PERSONA #1

N°1 // printemps 2017 // 10 € // De l’autre côté du miroir, les artistes nous dévoilent leur face cachée.

LA FÉLINE // BÉATRICE DALLE // RODOLPHE BURGER // BOSS HOG THE KVB // NICOLAS COMMENT // FRUSTRATION // FRED D. ORBERLAND OISEAUX-TEMPÊTE // COUTEAU LATEX // LES MARQUISES // MATT LOW BERTRAND MANDICO // WILLIAM Z VILLAIN // MARC A. HUYGHENS ALBIN DE LA SIMONE // WINTER FAMILY // TANGUY VIEL // INVADERS OLIVER BRUT // REBECCA BOURNIGAULT // ISABELLE DALLE

SOMMAIRE 04

WHEN DARKNESS MEETS LIGHT par Isabelle Dalle

40

from her to eternity par Isabelle Dalle

05

RODOLPHE BURGER D’or et de boue

41

BÉATRICE DALLE La B-attitude

10

COUTEAU LATEX La Décadance

46

QU’EST-CE QU’UNE FEMME ? par Elizabeth Serin

12

REDHFAN par Pierre Beloüin

48

ALBIN DE LA SIMONE Les affinités électives

13

La féline La Nuda

51

BIRTH OF THE DEATH par Isabelle Dalle

18

THE KVB Spleen et idéal

52

INVADERS Projection d’âmes

19

RIEN… (après tout) par Emmanuelle Sarrouy & Jean-Paul Noguès

54

REBECCA BOURNIGAULT An object in your eyes

20

OISEAUX-TEMPÊTE Épiphanie

56

MARC A. HUYGHENS Le paradoxe de l’oisiveté

23

MANGE TES PETITES MORTES par Gabriel Machéta

57

NICOLAS COMMENT Éloge du hasard

24

TANGUY VIEL Les silences de l’amer

62

À L’OMBRE DES JEUNES FILLES EN FLEURS par Jean-Kristau

28

frustration Fin de civilisation

63

BERTRAND MANDICO Histoires de l’œil

32

BOSS HOG Mue de printemps

68

GUEULES CASSÉES par Marc Héliès

35

BOSS HOG Par Olivier Brut

69

WINTER FAMILY Situationnistes ultra-modernes

36

la nudité au cinéma et au théâtre par Mélanie Mary

71

FRÉDÉRIC D. OBERLAND This magic moment

38

MATT LOW Chant d’étoiles

74

SANS TITRE par Véro

75

LES MARQUISES La nuit du chasseur

77

LA BICHE par Linda Tuloup

78

ALAIN par Sarah Vitasse

79

william z villain Simplicité et honnêteté

81

THE OLD MAN AND THE SEA par Pietro Sedda

82

PAGE ABONNEMENT

OLIVIER BRUT « Ani ». Encre sur papier, 2015 // olivierbrut.blogspot.fr

édito

par Frédéric Lemaître

Quelle suite donner au N°0 qui a su enthousiasmer le plus rêche des disquaires, le plus curieux des libraires ? Le terrain est maintenant préparé pour aller plus loin encore et offrir au lecteur averti cette dose d’inattendu, qui a pour but de lui faire découvrir des artistes dont il ne connaissait parfois pas même le nom.

Je reste sidéré par tant de créations qui de jours en nuits établissent une carte d’émerveillements toujours renouvelée. Cette revue demande beaucoup. Mais vouloir le meilleur n’est-il pas ce que nous souhaitons tous ?

J’aimerais que Persona se lance comme un roman et qu’à chaque chapitre nous découvrions son histoire intime et ses parfums secrets. À nous d’en rendre le récit plus excitant.

Un corps se détache.

Un corps. Revenons à lui puisqu’il se présente mystérieusement. Il est devant nous, immobile à notre regard mais qui, dans un geste prochain s’échappera vers le flou, se cachera encore et se dévoilera avec parcimonie. Mais qu’est-ce qui va différencier ce corps d’un autre ? Son attrait ? sa force ?

J’ai voulu aborder la question du corps et plus précisément celle du corps nu, véritable réceptacle à tout ce qui peut se dire et révéler, à la fois de l’auteur et de son modèle car l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Questionner le corps et son érotisme, aussi varié qu’il y a de sensations avec lesquelles l’appréhender.

Mais aussi le corps dans tous ses états. Celui vieillissant, cassé, celui nerveux et échappant à tout contrôle. Le sensitif que tout fait frémir. Celui jamais rassasié que tant d’interférences projettent dans un plaisir incertain. En abordant ce sujet, il est intéressant de voir comment le corps est vécu, pressenti par les artistes que j’ai choisis de mettre en lumière. Il est captivant de réaliser combien l’aspect érotique de ce corps se mouvant devant nous peut prendre différentes directions et pas toujours celles dont on aurait pensé le mouvement. Le corps nu chez La Féline aborde la question de la différence, de cette vie vécue sans s’encombrer des artifices sociaux. Celui chez Rebecca Bournigault (dont l’aquarelle a été l’instigatrice de ce thème) pose la question de la pornographie car la frontière avec l’érotisme y est fragile. Et combien s’y perdent ? Mais l’érotisme des uns est parfois aussi la pornographie des autres. Je n’ai de cesse de penser à Léo Ferré qui disait que le plus encombrant dans la morale c’est que c’est toujours la morale des autres.

L’artiste aime à tendre une toile pour projeter les images mentales de chacun.

Imaginées, transformées, fantasmées, elles passent également une autre étape comme celle d’un songe, notamment par le travail des graphistes ici présents. Il y a aussi le corps en scène, éclairé de façon inédite et renvoyant le spectateur à sa propre image. Et puis enfin, celui confronté à la nuit, qui se détache d’une toute autre façon et qui donne à le penser plus librement peut-être. « Et la nuit, Ô la nuit, aux amants serait-elle moins sévère ? » soufflerait Rilke.

Directeur-Rédacteur en chef Frédéric Lemaître. Directrice artistique Isabelle Dalle. Ont contribué à ce numéro Elizabeth Serin, Catherine Viale, Mélanie Mary, Laurence Saquer Debavelaere, Céline Libouban, Jean-Rodolphe Zanzotto, Sarah Vitasse, Linda Tuloup, Jean-Kristau, Véro, Emmanuelle Sarrouy, Jean-Paul Noguès, Pierre Beloüin, Olivier Brut, Rodolphe Cobetto-Caravanes, Marc Héliès, Renaud de Foville. Comité de relecture Christine Fleuriau. COMMANDE & Abonnement persona.contactonline@ gmail.com // Facebook www.facebook.com/personaeditions // Adresse postale PERSONA ÉDITIONS. 62 bis, rue d’Aubervilliers. 75019 Paris.

Impression L’Imprimerie Générale.

EN COUVERTURE : La Féline par Alexandre Guirkinger.

Persona n°1 // 03

Isabelle dalle « When Darkness Meets Light » 2014 // www.isabelledallestore.com

Rodolphe Burger

D’or et de boue

Entretien Frédéric Lemaître // PHOTOs Julien mignot

Good. Immense et d’une cohérence saisissante, ce quatrième album solo soulève bien des montagnes. Exigeant et d’une élégance rare, le chanteur du légendaire Kat Onoma, que l’explication de texte rebute, met en lumière pour nous quelques zones d’ombre. D’une discrétion exemplaire, cet artiste hors-norme propose une œuvre riche et essentielle. d’un élan inspiré creuse plus encore son appartenance à une littérature souterraine mais ô combien primordiale. rencontre éclairée à l’aube d’un changement de pouvoir.

Persona n°1 // 05

tagé. Ce n’est donc vraiment pas un disque autiste. J’essaie aussi d’éviter le pathos justement, crépusculaire, larmoyant… mais, oui, ce sont aussi les textes qui appellent cela.

P

rendre les mots à bras le corps. Voici ce que m’évoque le travail de Rodolphe Burger sur cet album particulier.

Et ce relief du sens couvre comme un manteau de nuit.

Ce corps habité c’est aussi et avant tout cette voix projetée, murmurée, déposée avec ardeur et qui donne à entendre tout le cœur à l’ouvrage d’un choix d’écriture. Et de cette voix résonnent celles de poètes en or : de Goethe à Olivier Cadiot, de Beckett à Skip James. Co-réalisé avec Christophe Calpini qui avait également travaillé avec l’irremplaçable Alain Bashung, Good nous invite donc à entrer plus profondément au creux d’une création sonore pour une balade dans un royaume toujours aussi exalté.

“ Les voix d’écrivains m’intéressent toujours…

Il y a presque quelque chose dans leur timbre qui porte la marque de l’écriture. ”

Ton dernier album est vraiment singulier. Est-ce consciemment un disque crépusculaire, un disque sur la solitude ?

Le premier morceau, Good, dont le texte de Samuel Beckett fait écho avec celui de Georg Büchner sur le dernier titre Lenz, en est presque le témoignage.

Oui, et en même temps c’est une solitude assez peuplée. Ce n’est pas un disque que j’ai fait tout seul dans mon coin, il a été par-

06 // Persona n°1

Tu les as méticuleusement choisis justement, ça n’est donc pas innocent. Quelle cohérence donnes-tu à cette réunion de mots ?

Bien sûr. Ça se compose au fur et à mesure.

La façon dont un disque se construit est assez passionnante, en tout cas ce type de disque qui est assez différent de ceux que j’ai sorti récemment, plutôt liés à des créations live. Là, le disque s’est construit en deux, trois ans et par phases. Il y a bien sûr des amorces, mais c’est comme en chimie, pour que ça cristallise il faut qu’il y ait un élément autour duquel les choses viennent se greffer.

Le nom de code du projet était Explicit lyrics et le point de départ : des voix d’écrivains. J’ai développé un goût pour ça et avec Olivier Cadiot, une pratique de l’échantillonnage vocale, mais pas que pour les écrivains. Toute voix peut être plus ou moins fascinante.

Quand tu commences à en isoler une, que tu la répètes, ça a une puissance d’évocation absolument incroyable. Les voix d’écrivains m’intéressent toujours. Ils ne sont pas toujours de bons lecteurs de leur propre travail mais souvent leur phrasé est intéressant. Ils écrivent avec leur voix. Il y a presque quelque chose dans leur timbre qui porte la marque de l’écriture et je trouve ça magnifique. Quand tu découvres que T. S. Eliot a enregistré The Wast Land, ce que j’ignorais, tu le lis ensuite tout autrement. La voix de Cummings, elle, m’intéresse aussi depuis longtemps. Elle me hante, presque. J’ai fait plusieurs morceaux avec des échantillons de sa voix parce qu’il invente une musique qui n’est qu’à lui. J’ai donc eu envie de pousser plus loin cette idéelà et de composer des morceaux entièrement à partir du dessin mélodique de certaines voix. C’était aussi pour m’amener à chanter des choses que je n’aurais jamais osé chanter comme par exemple « Wallala leialala » qui vient directement de Eliot. Mais quand je le répète, moi, ça devient différent, comme si ça avait été composé par lui. Ce trouble-là m’intéresse et qu’à un moment donné on ne sache plus qui est l’écho de l’autre.

En ce qui concerne la cohérence, je n’ai pas toujours gardé le point de départ. On enlève les échafaudages au fur et à mesure. L’album s’est construit également à la faveur de résidences et de concerts où tu cherches des équilibres dynamiques entre les morceaux.

Des choses arrivent aussi parfois tardivement et se retrouvent dans le disque. Exactement

comme l’histoire avec Alain Bashung pour Samuel Hall : Il m’avait appelé en disant : « Il me manque un morceau, tu ne veux pas me faire écouter le titre dont tu m’as parlé ? » (Rodolphe en avait écrit la musique et Olivier Cadiot le texte). Il l’écoute et il me dit : « C’est dans le disque ! ». C’était celui qui lui manquait.

Quelquefois un disque devient une espèce d’attracteur. Pendant la période de composition, tu es toujours un peu en éveil. Certains morceaux sont donc arrivés très tard, comme Lenz qui vient boucler l’album.

Textes et musiques donnent l’impression de vouloir prendre le temps comme pour aller à l’essentiel.

Oui, tout à fait, c’est très juste. Il a été réalisé dans une certaine sérénité, sans stress.

Je suis assez actif sur plein de front. Ça me plaît et ça me va, mais comme tu dis, pour ce disque-là j’avais envie de temps. J’ai presque suscité les résidences. Je suis donc allé voir des amis susceptibles de me donner ce temps. J’ai eu cette chance, ce qui est précieux. Ensuite les choses peuvent aller relativement vite.

L’enregistrement en studio n’a duré que trois jours. « Il faut que tu arrêtes tout, et puis il faudra apprendre à chanter, et juste si possible. » dit le conseil d’ami du texte d’Olivier Cadiot dans Providence. Est-ce aussi de l’autodérision ?

Oui, forcément. Evidemment, c’est l’humour cruel de Cadiot, que j’adore. Je suis allé lui piquer quelques formules comme ça. Les prémices de l’album ont été conçues chez lui, dans sa magnifique baraque à la cambrousse pendant qu’il écrivait ce qui est devenu Providence, son livre. Ce ton cruel dans la première partie du bouquin m’avait frappé. C’est aussi un peu la voix de Samuel Hall.

Quand je fais des prises de voix je mets du temps à trouver le ton. Les premières étaient dures et puis j’ai commencé à prendre le ton avec douceur et là c’est devenu encore plus troublant. Ce qui est intéressant c’est quand ça devient bizarre, indécidable. Dans l’interprétation de Alain pour Samuel Hall il y a ça. Il ne dit pas « Je vous déteste tous » avec détestation, c’est très fort.

L’impression hautement littéraire du disque nous donne à penser que tu es un grand lecteur.

Là aussi il peut y avoir une illusion d’optique. Ça s’appelait Explicit lyrics donc j’assume, mais ça n’est pas un disque littéraire comme pourrait l’être un florilège de textes. Je ne suis pas un grand lecteur de poésie. Ce sont des

choses qui m’attrapent. J’adore d’ailleurs ces rencontres fortuites avec des textes, des livres. J’ai cette antenne. Je suis toujours à la recherche de choses qui pourraient m’inspirer par rapport à la musique. Jack Spicer a influencé beaucoup de morceaux de Kat Onoma comme Billy the Kid. À l’époque (2002), je suis tombé sur cette phrase : « C’est la radio qui m’a apprit la mort de Billy the Kid » et ça m’a directement envoyé vers ce qu’est devenu le morceau. L’autre jour je suis tombé sur ce livre, (Rodolphe sort un bouquin de sa besace) c’est un type qui se nomme Pasha Malla (Nos grands-pères les fantômes). Je ne savais pas du tout qui c’était.

J’ai ouvert le livre et là je me suis dis que j’allais en faire quelque chose. Je ne sais pas encore quoi, mais ça me parle.

Le terme « littéraire » que j’ai utilisé est peut-être trop fort. Je sais que déjà du temps de Kat Onoma on vous taxait de groupe intello, philosophique…

Oui, et tu sais bien à quel point il n’y a pas eu de démarches de ce type comme par exemple dénicher un poète américain et le mettre en musique pour faire genre.

C’est complètement idiot. Là où j’étais vraiment en colère, outre que ça nous a causé du tort de manière très injuste, c’est qu’en plus, ce reproche émanait souvent de gens qui étaient eux-même intellos.

“ Quelquefois un disque devient une espèce d’attracteur. Pendant la période de composition, tu es toujours un peu en éveil. ”

Dans Happy Hour, tu parles « des cocktails de flatteries au venin » et tu précises : « Quant à moi, merci bien je ne bois rien ».

J’y vois là une façon d’affirmer ton indépendance totale vis-àvis du show-biz et des mondanités de toutes sortes !

Oui, il y a de ça évidemment. J’adore ces formules ciselées d’Alféri. Là aussi je suis allé picorer dans ses textes (et notamment dans La voie des airs). Mes amis me laissent fouiller leurs brouillons, leur cartons. Il y a aussi une « private joke » avec le public de Kat Onoma et le morceau Reality Show car un fragment y est déjà présent : « Ça ne vous dit rien ? Ça ne vous rappelle rien ? » C’est donc du troisième degré : « Ça ne vous rappelle pas Reality Show ? » Et là c’est la musique aussi qui inspire ça. Ce son d’orgue amené par Christophe Calpini. Quelquefois nous avons travaillé sur des instrumentaux qui ont pris du temps à trouver leur texte.

Est-ce aussi un disque sur le mensonge politique ? À l’image de la pochette où on s’aperçoit que la couronne n’était que de papier, qu’elle est foulée et qu’elle gît maintenant dans la poussière.

C’est une des évocations possibles oui. Ce qui me plaît avec cette image c’est que c’est le contraire de ce qu’on appelle des concepts en publicité. L’idée serait là et l’image viendrait l’illustrer.

Là c’est l’image qui s’est imposée et moi-même encore aujourd’hui je trouve à l’interpréter. Il y a évidemment tout à fait ce que tu dis. On peut penser aussi à Shakespeare ou à Baudelaire. J’adore ce poème en prose sur la couronne du poète qui tombe dans la boue. Tu as raison, ça peut évoquer la notion de souveraineté en politique. Et en même temps c’est à la fois rien. Il y a quelque chose de l’enfance aussi et d’une fête terminée, de petit matin.

Je redoute toujours ce moment de faire une pochette. � Persona n°1 // 07

J’aime beaucoup cette image parce que je ne sais pas complètement non plus la déchiffrer. En réalité, c’est un ready-made, une photo qui m’a été proposée par Patrick Mario Bernard qui chante aussi à un moment dans le disque. Il est également cinéaste. On s’est beaucoup vu pendant les trois dernières années. Il a suivi tout le travail préparatoire de ce disque. Il m’a filmé non-stop dans pratiquement toutes mes aventures et il est en train de monter un film qui s’appellera Good, mais qui pourtant ne sera pas un film ni même un documentaire sur cet album. À vrai dire je ne sais pas ce que ça va être.

Dans Poème en or on sent une grande complicité avec Olivier Cadiot. « Je suis celui qui n’entend plus rien, rien ne sort de ma bouche, je suis sourd, je n’entends rien… ». Là encore, le texte sonne comme une affirmation à rester à la périphérie des grands discours.

Oui, sauf que là, le texte est un psaume distillé à partir de tous les autres psaumes. Ce sont des accumulations de formules pour dire la déréliction absolue (je suis sourd, je n’entends rien, je ne suis plus rien). Chez Pascal, il y a aussi des formules qui font penser à ça (« Imbécile, ver de terre, misérable »… en parlant de l’être humain). C’était déjà une vieille idée d’écrire le psaume à l’état pur, celui qui n’existe

pas. J’ai d’ailleurs découvert récemment que Léo Ferré l’avait fait.

Olivier m’a donc proposé un cut-up de tous les psaumes et làdedans j’ai encore fait un découpage pour faire ce morceau. Ça devient une chanson qu’on a du mal à définir. Est-ce une chanson d’amour ? On ne sait pas.

Le seul texte qui prend position frontalement (« Tu ne tueras pas, ni pour la loi, ni pour l’état ») est celui de Michel Deguy : Rien ni personne.

Absolument. Celui-là est à part. Je me suis d’ailleurs demandé si je devais le mettre dans le disque.

Ce morceau est venu très tard, au moment où je mixais l’album. Michel Deguy l’avait écrit à la mort de Ferré et il y avait cette phrase incroyable : « C’est le premier, le dernier et le seul commandement… tu ne tueras pas ! ». Ça m’a énormément frappé, ça dit quelque chose de très fort et qui n’est pas du tout religieux justement, qui balaye même l’idée religieuse du commandement. Toutes les religions commandent de ne pas tuer mais on voit bien ce qui se passe. En disant qu’il n’y a qu’un commandement, on fait valoir un autre impératif. J’ai repris des éléments de ce texte en le faisant résonner avec aujourd’hui. Je parle d’Alep mais aussi de Srebrenica. C’est une sorte de petit pamphlet.

“ J’ai découvert le chant assez tard puisque j’avais fait une tentative avortée avec un groupe quand j’étais gosse et que je m’étais évanoui en essayant de chanter du Hendrix. ”

Rodolphe à 11 ans.

Photo extraite du livre « Avec la guitare », aux éditions Bayard.

J’ai lu ton petit livre Avec la guitare. Tu écris : « Je ne me considère pas comme un chanteur ». Est-ce ce qui explique ce « parlé-chanté » que tu exerces depuis toujours ?

Oui, je ne suis pas un chanteur dans le sens de quelqu’un qui aurait la pulsion de chanter ou alors je l’ai comme tout le monde, je chantonne. Mon intérêt pour le chant ou un certain état de parole est complètement lié à la musique, au contexte musical dans lequel je me trouve. C’est aussi le micro amplifié qui me permet de placer une voix. J’ai découvert le chant assez tard puisque j’avais fait une tentative avortée avec mon groupe quand j’étais gosse et que je m’étais évanoui en essayant de chanter du Hendrix. Mon groupe de rock qui m’a d’ailleurs bien occupé entre 11 et 16 ans est resté un trio instrumental.

Cela faisait un moment que tu jouais Hard Times de Skip James. Il trouve enfin sa place sur un disque. Le texte en est-il pour quelque chose ?

Oui, c’est le blues de 1929. Skip James est probablement mon bluesman préféré. Lors d’une mini séance j’ai enregistré le morceau en guitare-voix et Christophe Calpini avec qui j’ai travaillé sur l’album m’a proposé un petit arrangement électro assez discret mais qui permettait de faire entrer le morceau dans le disque.

Comme Hendrix, les pédales d’effets t’ont-elles amené à composer différemment ?

Ah oui, absolument. Les pédales et tout ce qui fait du son, qui le transforme. Ce rapport aux machines, à la technique est fa-

08 // Persona n°1

buleux. C’est le droit absolu au bricolage dans le sens le plus noble du terme. Il n’y a pas de règle. On ne peut pas dire ce qu’est un bon son. N’importe quelle guitare peut devenir la meilleure du monde. Hendrix est le génie absolu de ça. Il n’y va pas à tâtons, il ne se dit pas : « Je vais apprendre à me servir d’une pédale wah wah », il y va direct. La vitesse à laquelle il s’empare des choses est quasi inconcevable. Il se met immédiatement à écrire quelque chose de totalement neuf, consistant.

C’est prodigieux.

On apprend aussi que tu as cessé de jouer de la guitare électrique pendant un moment.

L’amour de la guitare ne m’a jamais vraiment quitté. J’ai toujours joué, du blues surtout mais je ne pensais pas vraiment refaire de la musique comme ça m’est revenu en 80. Là il y a eu une envie irrépressible et un besoin de chanter qui est revenu en force.

Mais j’étais emmerdé parce que je n’avais pas de projet. Au début je faisais des reprises et c’est à tâtons que j’ai cherché à rencontrer des musiciens. Heureusement, à Strasbourg je suis très vite tombé sur des gens formidables qui sont finalement devenus les membres de Kat Onoma.

Le comble c’est qu’il a fallu passer par la philo pour y revenir.

Le moment où je refais de la musique coïncide avec le moment où je commence à enseigner oui. C’était une double vie assez sportive mais passionnante et instructive socialement. Un truc annule l’autre : Tu ne peux pas te prendre pour un prof car le soir tu joues et tu ne peux pas te prendre pour une rock star puisque la journée tu enseignes. Ça nettoie de tout un imaginaire que je crois superflu.

La philosophie à une place particulière chez toi. Tu la conçois plus comme une contre culture que comme une discipline scolaire.

Bien sûr. C’est comme ça que je l’ai découvert. Comme un continent caché. Pour moi ça n’existait pas. Dans ma famille les études littéraires étaient interdites, c’était éventuellement un truc pour les filles. Mais à l’époque j’étais déjà beaucoup plus passionné par le rock, les filles, la politique même. C’est donc vraiment très étonnant que je me sois retrouvé prof un jour. J’ai rencontré la philo de façon passionnelle et j’ai rattrapé le temps perdu. Je savais que j’enseignerai pour une période courte mais comme une expérience. Pas du tout comme un métier.

As-tu eu la chance de connaitre Gilles Deleuze dont vous aviez utilisé la voix lors de concerts avec Olivier Cadiot ?

Je suivais ses courts à Vincennes et à Saint-Denis. J’ai un ami qui était proche de lui et j’en étais jaloux (rires). Mais j’ai pu lui faire passer des choses comme Cheval Mouvement qui est arrivé à sa fille Émilie, qui ensuite m’a demandé de faire une musique sur un de ses films.

J’aimerais revenir sur Lenz dont le texte vient d’un écrit de Georg Büchner. Il ferme le disque d’une manière à la fois lumineuse et calme bien que le texte lui même fasse mention d’un danger imminent.

C’est un texte qui dit exactement le sentiment moderne de l’imminence d’un danger absolu. C’est un très grand texte de Büchner sur la folie (1834). L’histoire est incroyable. Lenz est poursuivi pour des raisons politiques et est obligé de quitter

Good.

(Dernière Bande, PIAS // 2017).

l’Allemagne parce qu’il a écrit des pamphlets très inspirés des révolutionnaires français. Il vient se réfugier à Strasbourg et tombe sur le journal du pasteur Oberlin qui habite à l’époque dans une petite vallée proche de la ville. Le pasteur était quelqu’un de cultivé qui connaissait l’existence de Lenz, ami de Goethe. Il faut imaginer sa surprise quand un jour Lenz arrive chez lui, un 20 janvier, en plein hiver. Il était parti à pied de la cathédrale de Strasbourg en marchant dans la neige. Lenz est arrivé dans un état de folie et de crise totale. Il va rester trois semaines chez lui. Le journal d’Oberlin décrit ses mouvements d’humeurs qui passent d’états d’exaltation à un état d’effondrement. Lenz se jette dans la fontaine glacée, se couvre de poussière… À partir de cette histoire, Büchner écrit cette magnifique nouvelle. Je connaissais bien ce texte, depuis longtemps mais jamais je n’aurai pensé le mettre dans un disque. Ce sont des choses qui remontent à la surface et qui tout d’un coup deviennent actuelles et trouvent leur place. C’est nouveau aussi pour moi de dire un texte et non pas de le chanter. � Persona n°1 // 09

“ C’est étrange car quand on a trouvé le nom, je n’ai pas du tout pensé à une connotation sexuelle.”

couteau latex

La décadance

Entretien & photo Frédéric Lemaître

Couteau Latex. Deux mots à l’évocation troublante ou pour le moins curieuse. Mais aussi deux personnalités aiguisées dans un coffret d’étrangeté. Voici Lise Sutter et Seth Sutton. Elle, est suisse et joue avec The Staches depuis huit ans. Elle a également formé Marauder, son projet solo. Lui, est américain et a fondé Useless Eaters dont la dernière tournée européenne s’est déroulée sur huit mois l’année dernière. Tous les deux ont décidé de s’unir pour ce projet musical hypnotique.

C’est à la boutique Born Bad que j’ai découvert l’existence du groupe et outre le fait que le nom m’ait apostrophé, ce post-punk minimaliste a tout de suite happé ma curiosité. Lise Sutter s’exprime en français et son écriture automatique nous fait tendre une oreille attentive. Il y avait donc une grande excitation à découvrir ce groupe sur scène. Au lendemain de leur premier concert parisien, je retrouve le duo, non loin de la boutique où cet étrange 45 T Hostile Environment avait attiré mon attention.

Pendant que Lise déménagera prochainement à Leipzig, Seth, lui, s’installera probablement à Berlin. Le prochain disque se fera donc en Allemagne. On a hâte.

10 // Persona n°1

Dans vos enregistrements, votre son fait penser à des groupes français des années 80 comme Martin Dupont. Est-ce une réelle influence ou est-ce seulement dû au matériel que vous utilisez ?

Seth : Quand nous avons débuté le groupe, j’écoutais pas mal de new-wave française ou de groupes issus de la scène musicale Des jeunes gens modernes (1978-1983). C’est pour ça aussi que j’ai poussé Lise à chanter en français. J’adore la façon dont ça sonne.

Lise : Quand nous avons commencé nous n’avions pas vraiment de direction. Nous passions du temps ensemble et nous avons eu envie de jouer sans une réflexion profonde sur ce que nous voulions faire par rapport aux influences dont tu parles. C’est vrai que nous écoutons la musique de cette époque-là et de cette géographie-là précisément mais c’est aussi, comme tu dis, parce que nous sommes intéressés par certains types d’instruments, en l’occurrence la boite à rythme et les synthétiseurs.

Par contre le son est beaucoup plus brut sur scène.

Seth : Plus nous jouons live et plus notre son se précise et s’épaissit oui.

Lise : Au départ, nous avons enregistré sur un 4 pistes Tascam, juste pour garder une trace de ce qu’on faisait et ainsi pouvoir poser des paroles dessus. Pour l’instant nous avons sorti une K7 démo et un 45 T. Hier soir, vous avez d’ailleurs joué un nouveau morceau plus musclé : Motorway.

Seth : Non, ça c’est un morceau de mon autre groupe Useless Eaters, qui est sur le dernier disque que nous avons enregistré. Joué avec une boite à rythme, ce titre est plus approprié à notre duo mais c’est plus une reprise qu’un morceau de Couteau Latex.

Auriez-vous envie d’un public plus dansant plutôt que cette écoute intime que j’ai pu observer ?

Seth : Ce serait chouette oui, pourquoi pas.

On va peut-être essayer de combiner un aspect punk avec une techno minimale. Nous venons plutôt du punk ou du garage rock à l’origine.

Lise : J’aime assez l’idée que ça puisse être un

hôtels luxueux et l’énorme décharge publique à la sortie du village. Ce texte était donc une réflexion par rapport à tout ça.

On se demandait évidemment aussi ce qu’on faisait-là, à se la couler douce à la plage, alors que ça n’est pas forcément à quoi on tend dans notre vie.

Seth : Mais même à Paris ou San Francisco tu vois des gens dormir à terre près des hôtels cinq étoiles. C’est partout le même contraste entre les exploitants et les exploités. C’est de quoi nous voulions parler dans cette chanson.

projet hybride. Nous écoutons aussi tous les deux pas mal de Hip-Hop. Basse en boucles, rythmes hypnotiques.

Votre duo détonne.

Seth : C’est vrai qu’avec ces boucles qui tournent encore et encore on s’approche du Krautrock, un peu comme chez Neu! où la basse et la batterie répètent la même chose pendant de longues minutes. Et c’est vrai que c’est hypnotisant.

Lise : Mais dans la répétition il y a toujours une variation qui se crée, un peu comme une deuxième couche qui se module en fonction des rythmes. Ces boucles sont intéressantes en live car à deux, elles nous permettent de produire beaucoup de sons différents.

Avec le nom que vous avez choisi, on aurait pu s’attendre à une mise en scène plus sexy, voire plus codifiée.

Lise : C’est étrange car quand on a trouvé le nom, je n’ai pas du tout pensé à une connotation sexuelle.

Seth : Nous trouvions que les deux mots sonnaient bien ensemble. Maintenant, quand j’y pense, j’imagine le couteau qui coupe la plante dont est issue le latex (l’hévéa. NDLA).

Je ne le vois donc pas comme quelque chose de sexuel mais comme une image qui n’a pas nécessairement à voir avec la musique. Je pense qu’il vaut mieux choisir un nom qui soit fort que plutôt représenter ta musique où qui tu es.

Est-ce intimidant pour toi Lise, de chanter en français ?

Lise : Au début oui. Maintenant plus du tout, ça s’est transformé. Mais l’expression est différente.

Seth : Même si je ne comprends pas bien le français, j’ai un sentiment particulier quand je l’entends, je reçois une vibration que je n’ai pas dans ma langue. J’ai l’impression qu’en anglais les significations sont plus faciles. Le français est plus descriptif.

Ta voix, Lise, n’est pas mise en avant, alors même nous, français, ne comprenons pas tout ce que tu chantes. Il reste une part de mystère.

On a un sentiment d’écriture automatique.

Lise : J’écris tout le temps. Je fais des compilations de textes et je pioche dedans quand j’en ai besoin.

De quoi parle exactement Décadance ? On entend les mots bourgeoisie, poubelle...

Lise : Ce texte-là à été écrit à deux avec Seth.

Il avait des idées et j’ai traduit ses mots. Ça provient d’un moment où nous étions sur une île touristique au Mexique. Il y avait un clash immédiat entre la plage magnifique, les

Êtes-vous toujours en vadrouille entre la suisse et les USA ?

Lise : Moi j’ai toujours habité à Genève Seth : Je vivais à San Francisco et quand nous avons formé le groupe nous sommes allés commencer l’enregistrement de la démo chez Lise à Genève. Puis je suis rentré. Lise m’envoyait les pistes de chaque chanson. Je lui renvoyais mes parties et nous avons terminé ensemble à Genève. Nous avons enregistré le 45T Hostile Environment là-bas aussi.

“ Les USA sont le leader culturel du monde occidental, le leader économique mondial et en même temps tu te retrouves dans des endroits où les gens sont dans des conditions de vie proche du tiersmonde ou presque. ”

Et justement, l’environnement hostile c’est la Suisse ou les USA ?

Seth : Hahaha. Les USA sont vraiment hostiles oui (Trump a été élu il y a quelques mois.

NDLA). J’ai eu l’idée de ce texte à San Francisco. C’est une des villes les plus chères où habiter.

Là-bas les gens n’ont pas d’aides pour vivre. Tu es constamment étranglé. Ça sonne dramatiquement mais c’est vrai.

Lise : En tant qu’européenne je m’étais toujours imaginé que c’était un pays développé. C’est le leader culturel du monde occidental, le leader économique mondial et en même temps tu te retrouves dans des endroits où les gens sont dans des conditions de vie proche du tiers-monde ou presque. C’est totalement paradoxal. Ces gens ne sont pas considérés comme des êtres humains. L’éducation est la pire plaie des USA et c’est de là que tous les problèmes viennent.

Hostile Environment, 45 T (Goner Records).

Sur Internet : • couteaulatex. bandcamp.com/ album/demos • couteaulatex. bandcamp.com/ album/hostileenvironment

Couteau Latex est-il aussi une histoire de couple ?

Lise : Avoir un groupe c’est déjà avoir une relation de couple, même si c’est à quatre ou cinq.

Seth : Nous sommes ensemble c’est vrai mais je ne veux pas être vu comme un groupe d’amoureux. Juste comme un groupe.

Lise : Personne n’a besoin de savoir ça pour apprécier ou non notre son. On fait de la musique ensemble et les choses sont séparées. C’est une ligne de séparation un peu floue, certes, mais il faut la faire quand-même.

J’imagine que vos différents groupes sont aussi une façon de prendre l’air.

Lise : Oui tout à fait. Mais il n’y a pas non plus de hiérarchie entre les formations. Couteau Latex existe depuis deux ans maintenant. Mais ce que je trouve intéressant en ayant plusieurs groupes aussi divers c’est que chacun est nourri différemment et que ça apporte des choses neuves à tous les projets. � Persona n°1 // 11

PIERRE BELOüIN « Redhfan » 2008 // www.pierrebelouin.com

La Féline est donc avant tout une histoire d’attraction. Le nom de la formation est un hommage au film de Jacques Tourneur réalisé en 1942 où une jeune modéliste, persuadée de se transformer en panthère le jour où elle perdra sa virginité, voit sa croyance se réaliser. Tout un symbole pour Agnès Gayraud qui a son tour devient une autre femme sur scène. Agrégée de philosophie, cette jeune femme longinine d’une élégance féline, également chroniqueuse musicale à Libération développe donc une autre personnalité à travers ses chansons. Voyons donc ce qui se cache sous son sourire malicieux

La féline

La nuda

ENTRETIEN Frédéric Lemaître // Photo alexandre Guirkinger

Triomphe. Avec ce nouvel album, La Féline élève un étendard que nous ne lui connaissions pas.

Celui de la mythologie et de ses symboliques ainsi que d’une fusion avec mère nature.

Des histoires de femmes, héroïnes ou sauvages, intemporelles et amoureuses, qui seraient autant de faces d’elle même. Sa pop encorcelante erre donc dans des labyrinthes qui se plaisent à nous perdre et nous faire retourner à une naissance dépouillée de tout artifice.

Tes textes restent assez mystérieux. Le disque donne l’impression générale de petits récits de femmes au combat. Était-ce une thématique consciente du disque ?

Oui. Quand j’écris des chansons, je commence toujours par des climats musicaux et c’est la musique qui me guide et indique de quoi ça va parler. Et, en même temps, j’ai des obsessions. Lorsque j’avais fait Adieu l’enfance qui était un disque très introspectif où s’exprimait toute ma fragilité, il a eu sa fonction cathartique. C’est paradoxal car je raconte des petites histoire, et à la fois, je parle toujours de moi ou d’une certaine projection, d’une certaine métamorphose de La Féline. (La Féline étant la Agnès un peu plus audacieuse que la vraie). Dans Trophée il y a cette guerrière et, en même temps, si tu regardes les paroles de près, lorsque je chante « J’ai ramené ces trophées, je t’impressionne », c’est tout le dispositif mental de la petite fille qui veut plaire en disant « regarde ce que j’ai fait, tu vas m’aimer maintenant ? » C’est une volonté du désir d’être reconnue. Les chansons de guerrières sont presque aussi des moments de mise en condition pour monter sur scène. C’est donc assez naturel pour moi de disposer des thèmes de combat dans une chanson parce que tout est combat. A la fois pour exister en tant qu’artiste que pour exister tout court.

Et peut-être aussi en tant que femme dans ce milieu surtout masculin.

Oui mais c’est paradoxal. Tu as vu, beaucoup de filles émergent et ce ne sont pas des rigolotes, ce sont des bosseuses. Aujourd’hui dans la pop c’est presque plus dur d’être un garçon.

J’espère que ça va se ré-équilibrer parce que c’est assez malsain qu’il n’y ait plus que les filles qui comptent. Et puis, j’aimerais bien que ça ne soit pas qu’une mode.

Dans Trophée tu parles d’une héroïne casquée qui me fait penser à Athéna (déesse Persona n°1 // 13

de la sagesse, de la stratégie militaire, des artistes). La bio du disque indique aussi un rapport à Dionysos.

J’ai fait des études de philo et pendant que je faisais ma thèse j’enseignais sur La naissance de la tragédie de Nietzsche. Il fait une grande partition esthétique entre l’Apollinien qui est l’art de la mesure, de l’harmonie où tout est lisse et contrôlé et le Dionysiaque qui est l’art du chaos, du corps, de la démesure. C’est un peu bateau mais c’est tellement vrai pour plein de choses et quand tu fais du rock, tu le retrouves.

Moi qui suis à cheval entre une écriture assez pop avec des mélodies, une harmonie et en même temps de la guitare électrique plus échevelée, je me retrouve dans ce contraste. Avec ce nouveau disque un peu plus fou, j’ai l’impression que Dionysos a un peu plus droit de cité. Je ne m’y autorisais pas.

L’idée c’est qu’il m’amène à me lâcher et à aller un peu plus loin que la Agnès un peu trop consciente qui veut trop bien faire.

Héroïne casquée.

Dessin réalisé par Agnès il y a 10 ans déjà.

Crayon de papier et aplat de crayon de couleur sur Canson (2007).

“ Senga c’est de l’amour, de la fusion avec la nature.

Je voulais donc qu’on voit cette traque humaine et la répression de cette tentation-là. ”

Quel serait justement ce trophée qu’elle ramène ? Ce disque ?

Toutes les interprétations sont possibles. Mais pour prendre une autre image grecque, celle de Sisyphe condamné éternellement à la même action, la vision infernale serait que ramener ce trophée est déjà arrivé mille fois. Et en même temps oui, peut-être que c’est ce disque. Ça veut dire beaucoup de choses et non pas une, précisément.

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Le titre Senga est adapté de quelques vers de Walt Whitman, poète américain très proche de la nature. Mais c’est aussi Agnès à l’envers. Qui est exactement cette femme ?

Quand j’étais enfant, je vivais prés d’une forêt au pied des Pyrénées qui sépare la France de l’Espagne. Les montagnes sont très hostiles, les grands lacs majestueux. J’ai donc cet attrait pour la nature même si ça n’est pas la vie que j’ai choisi en vivant à Paris. Senga serait donc un autre moi qui aurait choisi cette voie plus sauvage. Ce que j’aime dans le poème de Walt Whitman qui se nomme Song of Myself, c’est qu’il fusionne avec chaque élément de la nature (je suis la vague, le caillou, le soleil, la brume). C’est ce qu’on a appelé le transcendantalisme. Dans le refrain il dit « We twoHow Long We were Fool’d ! » et je trouve ça tellement beau de dire que cet autre n’est pas séparé de moi. Je ne suis pas naïve non plus, je sais que c’est une nostalgie qui peut paraître niaise ou écolo, un peu gnangnan, mais c’est plus profond. Une chanson, ça nous autorise ça. Pour le clip réalisé par le duo As Human Pattern, je me suis inspiré de l’histoire d’une sauvageonne du XIXe siècle qu’on a appelé la folle du Montcalm. Elle a été trouvée toute nue dans la forêt et ramenée dans un village.

Elle s’est échappée et a été ramenée plusieurs fois de suite jusqu’à être enfermée dans un couvent où elle est morte. La chanson c’est de l’amour, de la fusion avec la nature. Je voulais donc qu’on voit cette traque humaine et la répression de cette tentation-là. Elle existe et n’est pas socialement admise. Ce sont des choix de vie radicaux qui m’intéressent.

La danseuse Hélène Rocheteau qui joue le personnage de Senga est exceptionnelle, elle arrive à être très animale.

Comme on ne la voit pas vraiment, ce qui est troublant c’est qu’on pourrait même croire que c’est toi.

C’est vrai oui, ça laisse le doute planer.

Sur la pochette de ton précédent disque Adieu l’enfance, ton visage était un peu caché par une surimpression. Pour le nouveau, c’est l’inverse, tu y es totalement en pleine lumière… divine.

En fait, ce qui es fou, c’est que je voulais déjà faire une photo frontale pour Adieu l’enfance (comme quoi tu es rattrapé par ton inconscient) mais aucune ne me satisfaisait.

Cette surimpression est donc une erreur hasardeuse car l’appareil de Alexandre Guirkinger qui est aussi le photographe de ma dernière pochette, s’est mis à déconner. Il y avait cette distance qui m’a plue. Pour le dernier disque, l’inspiration vient de Curtis, un

Dans Séparés le destin lui aussi est laissé libre au vent du hasard et c’est aussi une guerre contre la passion qui peut faire faire n’importe quoi. On dirait que tout perd le contrôle. La fin du texte est une tentative de le reprendre non ?

De mon point de vue, c’est vraiment une chanson sur la personne que j’aime. Il y a effectivement cette perte de contrôle avec ce truc un peu menaçant du destin mais c’est vraiment une chanson pour dire que, si je perdais cette

personne, ma vie perdrait son sens. C’est aussi simple que ça.

Le destin a aussi été là à l’origine de la rencontre. Comment se fait-il que je ne peux pas vivre sans cette personne ? Le pire c’est que j’aurais pu ne pas la rencontrer. C’est vertigineux. Mais tu sens aussi que le destin peut te l’enlever, c’est tenu par un coup de dé.

Ce n’est donc pas tant la volonté de reprendre le contrôle qu’une sorte de superstition, de peur que le hasard qui a joué en ma faveur puisse jouer contre !

“ Cette possibilité que tu as d’investir ton corps dans le mot, dans ton chant et de le faire basculer de sens, c’est ce qui fait que je suis chanteuse et pas écrivain. ”

Il y a beaucoup de sensualité dans la peine de ce « Oh, quelle disgrâce » qui vient nous emporter dans le refrain. Et ce Oh précisément est à la limite de l’érotisme.

Oui, c’est toujours cette histoire de contraste. « Disgrâce » est peut-être le mot où je mets le plus de grâce, de sensualité ou d’érotisme oui. Cette possibilité que tu as d’investir ton corps dans le mot, dans ton chant et de le faire basculer de sens, c’est ce qui fait que je suis chanteuse et pas écrivain.

Et le clip, pour le coup très minimaliste est lui aussi chargé de sensualité. Quel est ton rapport à la séduction avec ta musique ? Ça c’est une super question, parce que c’est vertigineux (rires).

Je pense que c’est central mais ce n’est pas une séduction unilatérale. �

© S éverin

photographe de la fin du XIXe siècle qui a photographié beaucoup d’indiens. Ces gens qui n’avaient jamais été pris en photo ont un regard que personne n’a. J’adore le côté académique avec la petite tenture en fond, l’habit d’apparat et le côté non domestiqué qui nous apparaît à l’image. Alors bien entendu, je savais que je n’étais pas un chef indien et qu’autre chose allait se passer mais j’ai demandé à Alexandre le même type de photos qu’il a réalisées avec le même genre d’appareil, à la chambre en 20/25, avec la tenture derrière. Azzedine Alaïa a prêté ce manteau qui est vraiment un manteau de triomphe. Au moment où je voulais être frontale, le regard est parti vers quelque chose de supérieur. Le non-intentionnel m’a rattrapé, c’est là que c’est intéressant.

Persona n°1 // 15

Je pense que je monte sur scène pour un besoin inextinguible d’être aimée, mais pour aimer aussi. Je suis là dans l’idée de consoler les gens, les prendre dans mes bras, les emmener. C’est comme une séduction de gourou. J’ai envie que les gens entrent dans la danse que je leur propose et qu’il se passe quelque chose de fusionnel entre nous. Je me suis longtemps interdit cette sensualité. Je lâche la bride et c’est bon de libérer ça, sans me dire que c’est vulgaire. Le dernier morceau Nu jeune léger donne un peu la formule de cette sensualité. Au fond elle est innocente, elle n’est pas manipulatrice. Mais c’est une question tellement profonde que je pourrais te répondre tout autre chose.

Justement, Nu jeune léger est d’un minimalisme total au niveau du texte puisque ces trois mots sont les seules paroles, et pourtant tu navigues sur un éventail de sentiments qui laisse libre cours à notre pensée.

Tu ne pouvais pas dire quelque chose qui me fasse plus plaisir.

Les paroles sont là pour que les gens en fassent leurs images à eux. C’est une nudité qui est, au départ, liée à l’idée de renaissance. C’est comme ça qu’on naît. J’aimais bien l’idée de finir le disque dans cet état de naissance comme si ça allait éternellement recommencer. Bien sûr qu’il y a une dimension érotique, de libération et une réconciliation avec sa nature propre. Tout le monde se reconnait là-dedans Tu es normalienne, agrégée et docteur en philosophie ; elle a donc une grande place dans ta vie. En quoi t’aide t-elle quand tu es à l’écriture de chansons ?

Elle ne m’aide pas à faire des chansons car la pulsion d’écrire vient de beaucoup plus loin, mais je mentirais si je disais qu’il n’y avait pas de relation. Elle structure mon imaginaire et notamment dans cette zone un peu intermédiaire de certaines métaphores philosophiques. La mythologie a nourri la psychanalyse. Ce sont donc des territoires que la philo rencontre, tout comme l’art. Quand je fais des conférences, le but pour moi est d’expliquer des choses, de me faire comprendre. Quand je suis sur scène, mon but est d’émouvoir, donc c’est complètement différent. La philo n’est pas là pour rendre les choses plus complexes ou faire argument d’autorité. Il ne faut pas de bagages pour écouter La Féline. Je veux que les petites filles dansent sur mes chansons.

“ La philo n’est pas là pour rendre les choses plus complexes ou faire argument d’autorité. Il ne faut pas de bagages pour écouter La Féline. Je veux que les petites filles dansent sur mes chansons. ”

Le royaume avec son refrain « Absalon Absalon » est clairement un hommage au livre de William Faulkner du même titre. Ça aurait pu mais il se trouve que non. William Faulkner emprunte ça à un royaume biblique. Je connais le livre mais c’est juste l’évocation d’un royaume fragile qui est l’objet d’une nostalgie. Pour moi, c’est l’idée d’un royaume perdu, effondré, dont le peuple a été sacrifié. j’ai pensé à plein de choses en faisant cette chanson. C’est presque aussi le royaume des amateurs indés où nous avions tous nos repères. Ce qui réunit des gens peut se

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dissiper, ce qu’une communauté prend pour la vérité fini par apparaître relativisée par d’autres.

Je trouve normal que les valeurs se perdent et se transforment, ce n’est pas un discours réactionnaire. On vit dans l’idée qu’on est dans un monde totalement mondialisé, ce qui n’est pas vrai. Tu crois avoir accès au monde entier sur Facebook mais tu te rends compte que c’est très déterminé socialement. Quand je vais sur internet, j’ai l’impression de quelque chose de très cosmopolite, que le monde entier est à ma porte et parfois je manque un peu de cette intimité de communauté, de groupe un peu plus petit. Même pour la façon dont est consommé la musique aujourd’hui : Je vois des groupes qui ont des millions de vues sur YouTube et je n’apprécie pas ce que j’entends alors je me demande qui sont ces millions de gens. Tout ça pour moi produit quelque chose d’impersonnel.

Le saxo fou en fin de morceau traduit bien cette forme de résistance sur ce qu’on vient nous prendre.

Complètement. C’est beau dit comme ça.

Ce morceau est très répétitif et tellement ordonné que j’avais là encore, dans une idée de contraste, qu’il y ait une explosion. Avant même que Yoann Durant enregistre ce solo de saxo, je voulais déjà que ça soit échevelé.

C’est aussi une autre image que j’ai de ne jamais vouloir figer quelque chose.

Choisir Triomphe comme titre d’album c’est ironique ?

Pourquoi ? (rires) Il y a un second degré oui.

La pop indépendante fait toujours profil bas, y compris moi-même. Il n’y a qu’en Hip Hop qu’on se permet des noms comme « I’m the queen », « watch the throne » donc je me suis dit que j’allais essayer. Mais Triomphe, c’est aussi le nom des processions des Bacchantes. Elles se promènent toutes nues avec leur laurier sur la tête en traversant les villes pendant les bacchanales pour fêter Dionysos. Pour moi le disque est un peu ça avec toutes ces chansons en liberté.

C’est une idée pour la scène ça (rires) Hahaha, oui, ça peut se tenter. Mais si je débarquais à poil sur scène ça fausserait aussi le message, cela perdrait tous les contrastes, toutes les médiations que j’y mets. Donc pour moi Triomphe est un très beau mot et il veut dire bien plus que succès commercial. Quand on voit la photo, on soupçonne bien que je suis en train de parler d’autres choses. Et puis ça m’amusait déjà d’entendre : « Triomphe fait un flop ». J’avais même envie d’écrire un faux article dans Libé.

Une chanson se détache des autres : La femme du kiosque sur l’eau, et là aussi, c’est une forme de résistance de la nature sur la ville.

Dans sa structure, elle se scinde en deux.

Oui, elle est assez particulière. Elle commence effectivement avec une petite mélodie contrôlée et ça part sur une dérive. Ça n’est pas la plus évidente et j’ai beaucoup de plaisir à l’écouter. Il y a quelques années j’étais allée faire un voyage en Asie et j’avais justement vu une femme jouer du luth et chanter avec sa voix de gorge. Ça m’avait bouleversée. Autour de ce très beau kiosque, la ville était plutôt détruite ou en transformation avec des choses modernes pas très belles. Cette femme était comme le vestige d’un temps ancien qui allait être englouti. Ce sont les images contemporaines qu’on a du sublime quand la nature reprend ses droits sur la ville.

© alexandre guirkinger

Sur Gianni, il y a un oracle, une carte cachée, un don de voyance. Tout semble un peu dirigé par une entité invisible, mystérieuse. Et on ne sait pas de quoi sera fait demain chantes-tu.

Là encore toutes les interprétations sont possibles mais dans l’histoire que je me suis racontée, Gianni est un Don Juan. C’est un séducteur en fait. On s’est amusé musicalement car la flûte au départ joue le début de Don Giovanni de Mozart. La fin du morceau, cette espèce de coda, c’est la descente aux Enfer dans Don Juan. Là encore, ce que tu dis est juste. L’entité invisible c’est le sentiment de la manipulation. Une séduction très attirante mais un peu maléfique. Je chante : « c’est déjà gagné mais c’est maudit d’avance ». Tu as raison, cette histoire de séduction est sous-jacente un peu partout et tout le temps. Tout ça n’est donc pas si apaisé. À chaque fois les chansons sont faites de plein de choses différentes. Elles ne sont jamais liées à une seule expérience.

aux musiciens pour qu’ils donnent le meilleur. C’est vrai que sur Triomphe ça donne quelque chose que je n’avais pas encore réussi à faire jusqu’ici.

Comment s’est faite la bascule vers une musique un peu moins électro ?

Adieu l’enfance était un peu plus électro, c’est vrai, mais si tu remontes encore un peu avant je faisais des choses assez folk. J’ai toujours aimé le son des années 80 et les chansons que j’entendais à la radio vers 6-7 ans. C’est dans l’idée de faire quelque chose de plus dionysiaque que j’ai donc décidé de prendre un batteur, des vents, des bois, des cuivres… mais ce sont des amours anciennes en fait.

Quel souvenir gardes-tu de ce moment où tu chantes avec Christophe Les Paradis Perdus ?

C’est un bon souvenir. C’était en direct et c’était un grand plaisir de faire avec lui ce morceau que j’adore. Sa voix m’émeut toujours et, à son âge, il chante toujours aussi bien. Venant de la variété, il fait encore aujourd’hui des choses intéressantes. C’est un peu une leçon pour notre génération. Il montre qu’on peut faire des choses très populaires et en même temps un peu bizarres, même s’il a beaucoup moins de succès que ceux qui ne prennent pas les risques qu’il prend. C’est vraiment un esthète. Quand tu le rencontre, tu vois qu’il est son personnage, que ce n’est pas un masque qu’il a mis. C’est quelqu’un qui s’intéresse à la jeunesse, il n’est pas aigri. Quand Adieu l’enfance est sorti, il est allé l’acheter.

Il est comme ça, il a une vraie sensibilité.

Il y a même un travail sonore que tu n’avais pas abordé sur les autres disques.

Avec le temps je sais un peu plus quelles textures je veux et comment ça doit sonner.

Je sais aussi quelles conditions il faut laisser

Par contre, toi, tu donnes rendez-vous en Enfer dans ton morceau Trophée.

Oui c’est ça, « va crever en enfer » (rires). Mais en fait ce que je préfère dans Paradis perdus c’est une des premières phrases : « Dandy un peu maudit, un peu vieilli ». J’adore la façon dont il le dit. �

Triomphe.

(Kwaidan records / 2017).

Persona n°1 // 17

“ Ce que je voulais pour cet album, c’était avoir un son sexy. ” Vous souvenez-vous de vos sentiments lorsque vous vous êtes rencontrés la première fois ?

N : Euh… Oui. K : C’était il y a longtemps !

N : Oui, très longtemps. Et c’était avant la formation du groupe. Nous avons commencé à travailler ensemble plus tard, beaucoup plus tard.

K : Nous étions amis et je savais que je voulais faire des concerts, être sur scène, mais j’étais trop timide. J’étais très old-school et je n’avais pas l’intention d’utiliser la musique comme un outil.

THE KVB

SPLEEN ET IDÉAL

ENTRETIEN & PHOTO FRÉDÉRIC Lemaître Retranscription LAURENCE Saquer Debavelaere

En couple, à la scène comme à la ville, Nicholas Wood et Kat Day me rejoignent sous un soleil radieux. Ils habitent Berlin, mais parcours sans cesse le monde. L’histoire dure depuis 5 ans et déjà 7 disques à leur actif.

Leur dernier opus Of Desire, axé autour de la luxure et du désir en serait l’apogée.

Votre dernier disque gravite autour de la séduction. Est-ce vraiment à propos de votre histoire d’amour ?

Nicholas Wood : Oui, un petit peu, mais pas seulement. Nos chansons parlent de choses différentes qui convergent toutes vers cela, le désir et les choses qui le traversent. Mais globalement, je pense qu’elles parlent de beaucoup de sentiments différents.

Kat Day : Moi, je ne voulais pas me taire et ce que je voulais pour cet album, c’était avoir un son sexy.

18 // Persona n°1

Of Desire (Invada Records / PIAS).

Quels sont les avantages et inconvénients d’être ensemble à la fois dans le groupe et dans la vie amoureuse ?

K : Les avantages ? On peut communiquer… sur le fait qu’il faut communiquer. C’est aussi très facile de voyager, nous ne sommes que deux. Les inconvénients… je ne pense pas qu’il y en ait ! Ou bien je dirais celui de travailler tout le temps. Ce n’est pas drôle tous les jours mais nous faisons en sorte d’y arriver, ce que tout le monde n’arrive pas forcément à faire.

N : L’un des avantages est de voyager et découvrir des lieux ensemble et faire ces expériences en tant que couple et duo professionnel qui fait de la musique. C’est chouette de pouvoir faire ça, c’est assez unique.

K : Et les inconvénients ? (sourire) N : Les inconvénients ?

K : Fais attention à ce que tu dis !

N : Parfois, les longues tournées, ça peut être fatiguant et stressant mais c’est pareil pour tout le monde je pense.

K : Oui, totalement. Et quand je suis stressée, ce n’est pas une bonne chose.

Si Berlin était une fille, quel genre auraitelle ?

K : Berlin n’est pas une fille, je pense que Berlin n’a pas de genre.

N : Peut-être… transgenre !… Ou un punk alcoolique, peut-être.

K : Je ne sais pas… quelqu’un qui ne dort jamais. � http://thekvb.bandcamp.com

RIEN... (après tout)

Rien Absolu/ment rien Absolu du rien Total /ité du rien Rien du tout Tout du rien Absolu/ment Infini/ment Rien de rien quoi rien De rien quoi du tout Ou rien Non Je ne regrette Quoi Pas du tout Tout du Monde Rien de rien Un petit rien de rien du tout du Monde Quoi Tu dis rien Tout petit rien chuchoté rien chuchoté rien Tu dis quoi quand tu dis rien Tu fais quoi quand tu fais rien Tu cries Tu penses le Monde Tu panses les plaies du Monde Tu craches des étoiles à la gueule du Monde Tu danses sur Les ruines du Monde Oh trois fois rien Une danse qui ne rime à Tout petit rien chuchoté rien chuchoté rien On y va Tu viens ?

Texte d’Emmanuelle sarrouy et photo de jean-paul noguès. www.lavideotheque.org/emmanuelle-sarrouy // https://www.flickr.com/photos/jeanpaulnogues/

Persona n°1 // 19

Oiseaux-tempête

épiphanie

Entretien Frédéric Lemaître // PHOTO As Human Pattern

Avec Al-’An !, troisième opus d’une trilogie autour de la méditerranée, les musiciens de Oiseaux-Tempête bouclent un parcours empreint de fureur et de poésie où le monde clame son envie de vivre. Questionner les enjeux politiques du Moyen-Orient, faire frictionner d’improbables rencontres. Voici ce que proposent cette formation avec rage et subtilité. A l’image de ce cri dans la nuit que la pochette illumine de toute sa détermination.

Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul, piliers de cette entité aux membres tentaculaires nous offrent donc la dernière partie de cette épopée qui fera date. Plus oriental, ce nouvel album explore de nouvelles sonorités, faisant percuter une instrumentation provenant du traditionnel à l’univers électronique de Mondkopf. Accompagnés entres autres du chant divin de Tamer Abu Ghazaleh, de la guitare de Chardel Haber et des percussions de Sharif Sehnaoui, ces oiseaux-là prennent alors un envol vertigineux.

Avant de parler du dernier volet de votre trilogie, revenons sur la genèse du groupe. Le premier disque a véritablement été réalisé après une unique répétition suivie d’un concert pour une exposition photos. Le groupe n’avait d’ailleurs pas encore de nom.

Fred : Effectivement, Stéphane et moi jouions déjà ensemble dans

20 // Persona n°1

Farewell Poetry et Le Réveil des Tropiques.

J’avais déjà enregistré des sons pour ce projet à part et au retour de mon premier voyage en Grèce je lui ai demandé s’il voulait participer à l’aventure. Le projet est donc né de voyages qui se sont déroulés au début avec le photographe Stéphane Charpentier et du matériel sonore et visuel que nous avions récupéré. Mais le point de départ du groupe est surtout la concrétisation scénique avec Stéphane et Ben Mc Connell à la batterie. À la suite du concert dont tu parles il y avait clairement une volonté de continuer ensemble. Nous avons donc enregistré un album et avons fait plusieurs dates de concerts.

Pour l’enregistrement du deuxième disque, vous vous lancez alors de façon plus spontanée encore, en improvisant totalement sur trois jours. Il en résultera treize heures de musique pour accoucher d’Ütopiya? après un long découpage.

Fred : Oui, le deuxième a éclos à partir des sessions d’enregistrement avec notre trio de concert et Gareth Davis à la clarinette basse. À ce moment là, Steph habitait fortuitement en Sicile et les sons que nous avions enregistrés sur place nous évoquaient la Turquie.

Je suis d’ailleurs parti à Istanbul faire des photos et capter d’autres sons.

A quel moment le projet devient-il une trilogie dans vos têtes ?

Fred : Pendant la tournée du deuxième disque mais comme une idée fantasmée. On en rigole

aussi ces textures électroniques réalisées avec nos petits synthés mais que nous avions envie d’explorer un peu plus. C’était donc génial de pouvoir aborder cette partie-là avec Paul (Mondkopf ) à notre retour. Nous sommes donc assez vite retournés en studio tous ensemble avec Sylvain notre batteur (qui joue également avec Mendelson).

à l’époque. Ça se concrétise quand on pense vraiment à ce que pourrait-être ce troisième disque.

Comment se fait le choix du Liban pour étendard du dernier volet ?

Steph : On s’est rapidement dit que ce serait bien de continuer autour de la méditerranée mais ça commençait sérieusement à chauffer un peu partout. Grâce à des amis communs, le plus évident était donc d’aller là-bas. On s’y est pris une bonne année en amont. Nous avons glané des contacts et de là nous avons commencé à avoir beaucoup de chance de rencontrer les bonnes personnes qui nous ont mis en relation avec d’autres musiciens.

“ L’arrivée de musiciens libanais apporte des sonorités différentes et modernes car ce n’est pas non plus du traditionnel. ”

Comment vois-tu ce travail de ton côté Paul ?

J’étais déjà très content qu’ils s’intéressent à ma musique et qu’ils m’invitent en studio avec eux. Je n’avais pas non plus envie de poser une sorte de marque sur leur musique mais plutôt de m’adapter. En même temps je voulais essayer de trouver les bons instruments pour aller dans une autre direction et les aider à avoir de nouvelles idées. Ça a plutôt bien marché entre nous. J’ai toujours fait de la musique électronique, j’ai donc souvent été tout seul derrière mon ordi. Jouer en live avec eux va me plaire encore plus je crois.

Vous vous organisez donc pour y rester longtemps ?

Fred : Effectivement, nous amenons un instrumentarium précis : des petits synthés, nos guitares, nos pédaliers et nous décidons de partir sans batteur fixe. Avec nous viennent aussi les deux vidéastes d’As Human Pattern et nous restons un mois sur place. L’idée, dés le départ, est de se dire qu’on ne vient pas seulement pour récolter des éléments mais aussi pour faire des concerts et partager ce qu’on fait avec les gens là-bas. De plus, nos contacts ont répondu très positivement et ont préparé le terrain avant même qu’on arrive. Nous avons donc voyagé dans le pays au gré des rencontres, avons fait trois concerts et consacré la fin du séjour à l’enregistrement pour quelques sessions avec des musiciens de là-bas. Nous nous sommes ainsi servis de ces matériaux-là comme étant la base réelle d’un album en cours.

Extrait de AL-’AN ! // 2016.

Il y a clairement de nouvelles directions qui sont même surprenantes. Le côté oriental justement.

Steph : Effectivement, l’arrivée de musiciens libanais apporte des sonorités différentes et modernes car ce n’est pas non plus du traditionnel.

Fred : La musique traditionnelle arabe est une musique très complexe et nous n’avions pas la prétention, une seule seconde, d’arriver et de faire rocker tout ça. �

© F réd éric D. Oberl and

D’ici on a un peu du mal à s’imaginer la scène musicale libanaise. Trouve t-on aussi une scène indé, expérimentale ou passiez-vous pour des extra-terrestres ?

Steph : On pourrait y penser mais en fait pas du tout. Nous nous sommes retrouvés dans une concentration au cœur de la scène expérimentale. Les gens étaient très accueillants et surtout, on s’entendait musicalement. Nous avions écouté leurs disques et réciproquement, ils avaient écouté les nôtres. Nous avons pris le pouls de la ville, nous nous sommes laissés porter par la générosité libanaise.

Fred : Quand nous sommes partis nous ne savions pas ce qui allait émerger de ces sessions, il n’y avait aucune garantie de résultat. Mais à notre retour nous avons eu la surprise de découvrir des choses assez fantastiques de notre rencontre avec les musiciens de là-bas. Nous avions une terrasse qui dominait tout le port, nous faisions des jams la nuit et on enregistrait tout sur un petit recorder. Il y avait déjà

On peut dire que ces textures électroniques sont la vraie nouveauté chez Oiseaux-Tempête.

Fred : il y en avait déjà dans les deux premiers disques mais dans le dernier elles sont peut-être plus assumées, oui.

Persona n°1 // 21

originellement écrit par Pergolèse au XVIIIe siècle. Au XIXe le morceau se retrouve intégré au répertoire des musiques populaires françaises et en Occitanie c’est une chanson révolutionnaire qui se nomme Adiéu paure Carneval.

Steph : La boucle était bouclée. Il était évident que ça devait figurer quelque part.

© Frédéric D. O b e r land

Le titre du disque Al-’An ! signifie : Maintenant. Est-ce une expression particulière de là-bas ?

Fred : Non, pas précisément. C’est le moment présent, l’instant qu’on vit.

J’ai eu peur à un moment donné de perdre le côté radical de vos morceaux mais il est toujours présent et notamment dans cet avant-dernier morceau qui dure dix-sept minutes.

Fred : Je pense que c’est l’album qui nous a demandé le plus grand travail de montage, pour employer un terme cinématographique. Comment arriver à construire un disque qui colle à ce qu’on a vécu là-bas et raconter une histoire. Sur celui-ci nous avions envie de créer des méandres, que tu puisses te balader sans vraiment savoir où tu vas aller. Nous avions aussi envie de garder des choses pour la fin et que progressivement l’auditeur arrive à certains états. La voix chantée est quelques chose que nous n’avions jamais fait dans nos disques et en particulier la voix chantée en arabe. C’était pour nous quelque chose de très important à tenter, que tu saches bien où tu es. Effectivement, les explosions n’arrivent pas nécessairement là où tu pourrais penser qu’elles vont éclater. Pendant qu’on travaillait, un mot est revenu souvent : épiphanie. Les moments qu’on a gardé sont des instants vécus comme des temps très forts, des moments d’intensité qui nous dépassent. Tout le monde a réussi assez rapidement à vivre cette chose-là avec nous.

G.W. Sok au Poptones studio (Paris).

“ Nous avions envie de créer des méandres, que tu puisses te balader sans vraiment savoir où tu vas aller. ”

Au détour d’un enregistrement de rue on entend même Fairouz, immense chanteuse libanaise.

Fred : C’est un chant traditionnel du Vendredi saint pour tous les chrétiens du moyen-orient (même en Egypte, même en Syrie).

Ce son de rue nous a été ramené par les vidéastes. Eux-mêmes ne savaient pas ce que c’était. Le morceau s’appelle Wa habibi. C’est une chanson religieuse dédiée au Christ mais derrière ça c’est une grande chanson d’amour. Ce morceau à une autre histoire. Il a été composé par les frères Rahbani qui ont pillé tout le répertoire occidental et moyen-oriental pour en faire des chansons du répertoire de Oum Kalsoum, Fairouz et les autres grandes chanteuses et chanteurs de la région. Mais en fait la mélodie de ce morceau à été

22 // Persona n°1

Al-’An !

Sub Rosa.

2 x LP/CD // 2017.

D’où vient le long sous titre ?

Fred : C’est un extrait tiré d’un des poèmes de Mahmoud Darwich. C’est le poète qui parle sur le morceau The Offering et c’est lui qui a écrit le texte que dit G.W. Sok dans Through the speech of stars.

Frédéric, les photos de l’album sont réalisées par tes soins, ainsi que celle de la pochette.

Dans quelle condition a t-elle été prise ?

Paul : Je crois qu’il veut garder le mystère…

Fred : Tout le monde était là lorsque je l’ai faite. Ce qu’on peut dire c’est que cette photo a été prise au même moment qu’un appel à la prière du soir, dans une rue un peu vide. Puis des manifestants sont arrivés à ce moment-là, en lutte contre une entreprise qui a acheté et privatisé une partie du centre ville de Beyrouth.

Vous parliez des vidéastes d’As Human Pattern, ce qui veut dire que nous aurons le plaisir de voir un film de cette épopée ?

Fred : En plus des photos du livret nous aurons plusieurs choses à voir.

Steph : Grégoire Orio et Grégoire Couvert ont filmé beaucoup de choses en vidéo Hi8.

Lors d’une prochaine résidence où nous allons préparer les concerts du printemps, ils vont monter un film en interaction avec nous, quasiment en improvisation. À côté de ça ils veulent également préparer un film poétique et expérimental sur le Liban mais ça n’est pas pour tout de suite. Nous aurons donc des images en live et dans un futur proche un film entier.

Le futur de Oiseaux-Tempête ce serait quoi ?

Vous vous projetez déjà ?

Tous : Des vacances !!!

Fred : Non, on fait une tournée et ensuite on se reposera. Mais c’est pas pour tout de suite (rires). Ce sont des projets qui sont durs à tenir au quotidien.

Steph : On ne se projette donc pas plus loin pour l’instant. On veut rendre hommage au titre de notre disque, donc ce qu’on va vivre-là c’est : Maintenant ! �

GABRIEL MACHÉTA « Mange Tes Petites Mortes » 2016. Encre sur papier calque gratté (28,9 x 20 cm).

HEY, la revue d’art moderne et de pop culture propose : Gallery Show #1. Exposition du 17 mars au 22 avril 2017.

Commissariat de Anne & Julien. Galerie Arts Factory. 27, rue de Charonne. 75011 Paris.

TANGUY VIEL

LES SILENCES DE L’AMER

Entretien & PHOTO Frédéric Lemaître

Avec Article 353 du code pénal, septième roman aux Editions de Minuit, Tanguy Viel continue à nous mettre en tête quelques balles subtilement ciselées et dont le tracé intérieur vrille plus encore l’insatiable envie de le lire et de le relire. verdict.

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Peu à peu la pile de livres blancs aux caractères bleus nuit augmente et n’en finit pas de déployer une écriture incisive, obsessionnelle.

Unique en son genre, Tanguy Viel creuse un même motif tout au long de sa bibliographie : l’homme aliéné s’affranchissant de ses maux en racontant l’acte de sa libération. Dans Tout s’explique un petit essai, il écrit : « L’opération littéraire reste la même : une affaire de transformation, un trajet du réel au signe ».

Avant d’entreprendre la lecture de votre dernier roman, en lisant et relisant certains de vos livres, l’idée m’est venue de vous demander si vous aviez envie de faire revivre des personnages. Et c’est effectivement le cas dans le dernier.

C’est vrai que c’est un point de tissage entre deux livres qui se passent à Brest. C’était un vieux fantasme. Je pense qu’une des lectures les plus importantes de ma jeunesse est celle de Balzac. Je l’ai relu il y a peu de temps et ça a réactivé l’envie. Mais je ne suis pas sûr d’avoir les moyens de former une galerie de personnages qui pourraient se répondre et circuler de livre en livre. Pourtant, sans me comparer à lui, fabriquer ce monde-fiction me fait complètement rêver. Ça fait donc longtemps que j’y pense et j’ai ce tropisme de mettre tous les récits de mes livres en Bretagne, donc il y a déjà une unité de lieu. Il suffit de pas grand chose pour que les personnages puissent résonner les uns avec les autres. Je ne suis pas un écrivain naturaliste donc je ne cherche pas non plus à balzaquiser, mais il y a de ça.

On pourrait même imaginer que tous les personnages de vos romans se retrouvent dans le même livre, ne serait-ce que se croiser dans un bar.

J’y pense souvent. Mais pour le dernier ça ne fonctionnait pas par rapport à la cohérence du narrateur. Je veux quand même des livres qui aillent assez droit et tendus autant que possible. Je ne suis pas un écrivain épique. Mais j’y pensais. Je me disais que le promoteur immobilier pourrait avoir des accointances avec les commissaires priseurs de Insoupçonnable, par exemple. Il pourrait même avoir croisé les petits gangsters de L’absolue perfection du crime. Souvent je me dis que ces gens se croisent, ils habitent le même monde. Mais ce serait une coquetterie que de les faire se croiser réellement. Il vaut mieux qu’il y ait une cohérence d’univers par le fond. Mais… peut-être qu’un jour…

Au moment de l’arrestation, Martial Kermeur reste distant vis-à-vis de la situation.

Et dans cette distance au monde, curieusement, c’est là que les petits détails se détachent et prennent du relief. (Pluie, banc en plastique du fourgon de police, route fatiguée).

Oui, et pourtant si on les racontait dans l’urgence du présent, focalisé qu’on est par le centre de l’action, on serait incapable de les formuler. Et pourtant ils ont été là et ont sans doute constitué l’essentiel de l’épaisseur sensible de la vie quotidienne, y compris les moments dramatiques ou un peu plus actifs de

l’existence. Ce qui me permet ça, c’est que mon narrateur parle de longtemps après. Son discours va se déplier devant le juge mais au moment où nous lecteur, recevons le récit (et il n’y a que le dernier paragraphe du livre qui le dit) il est plus tard encore, sinon il ne pourrait pas dire : « J’ai dit au juge… ». On pourrait donc imaginer une autre couche d’où il parle, d’où il se souvient, cinq ans plus tard. La matière sensible remonte comme peuvent remonter des souvenirs d’enfance. C’est une sorte de neutralisation du passé qui offre des espaces de contemplation et qui bizarrement donne des vérités souterraines.

“ Dans la poésie on trouve ce drame intime chez tous les poètes. Ils voudraient embrasser le monde et ils sont dans la déploration permanente de cette distance qui les sépare des choses, que ce soit dans la question de l’amour ou de la nature. ” Et puis à l’extérieur de ce fourgon de police, la bruine se lève et le narrateur le dit lui-même : « Ça ressemble à notre histoire, comme un rideau indéchirable qui nous sépare des choses. » La froideur, la distance des personnages envers ce qu’il font reviennent souvent dans vos livres.

Oui, une incapacité, au fond, à être au monde de manière décidée, volontaire, totale. Cela me semble aussi être la tragédie d’être humain, c’est-à-dire d’avoir une conscience. Il y a un ricochet intérieur qui fait que nous ne sommes jamais dans les choses même.

Je ne sais pas si les animaux le sont plus mais on pourrait fantasmer que leur absence de conscience leur donne un accès au monde complètement direct et que ce qu’on appelle la conscience est comme une vitre dont le langage se ferait la scène tragique. Je crois que je pousse le curseur de ça. C’est peut-être aussi ce qui donne un sentiment de mélancolie, de fatalité et de désabusement des personnages. Dans la poésie on trouve ce drame intime chez tous les poètes. Ils voudraient embrasser le monde et ils sont dans la déploration permanente de cette distance qui les sépare des choses, que ce soit dans la question de l’amour ou de la nature. On voit bien que ce sont des utopies de réalité pure qu’ils n’arrivent pas à atteindre et qui leur font faire de si belles élégies. Il y a donc un côté élégiaque dans ce rideau qui nous sépare des choses.

Vous prenez vraiment le temps d’amener les choses et votre narrateur qu’on prenait au début pour un meurtrier froid et calculateur révèle un mal qui était là depuis longtemps. Son action devient alors un sacrifice.

Oui, c’est la modification du regard sur l’action plutôt. Dans ce livre-là c’était vraiment un travail de dévoilement très très lent…

Au fond, pour le lecteur, son acte se justifie par le sentiment d’injustice qui croît au fil du livre. Ça c’est la mécanique psychologique. Là encore, j’ai le sentiment que quand on creuse un peu dans le langage on se rend compte que la vérité souterraine des choses enlève toute la question de l’attente. En poussant le bouchon un peu loin, si on se mettait dans la tête de François Fillon Persona n°1 // 25

aujourd’hui et qu’on faisait le travail littéraire du drame intime qu’il doit vivre, on pourrait totalement être dans l’identification, alors que c’est un salaud, y a pas de doute. La vérité n’a pas de fond. On peut donc retourner complètement les choses selon le degré où on se place. C’est le travail de l’écriture de faire ça.

Il y a aussi l’angle de vue des personnages qui n’ont évidemment pas la même vision des choses et ainsi combien les histoires peuvent prendre un tout autre sens.

Oui absolument. Pourtant je n’utilise en général qu’un seul point de vue puisque mes romans sont écrits à la première personne.

Mais je pense que le narrateur a le temps de tourner l’affaire dans tous les sens, de sorte qu’elle peut à un moment inquiéter sa propre vérité, ou qu’il peut tout d’un coup aimer son ennemi, avoir un moment de doute sur sa propre personne et donc retourner le sens des événements.

Est-ce que les dramaturgies du monde politique pourraient justement vous inspirer ou préférez-vous toujours privilégier les petites gens ? Ça me tente beaucoup plus maintenant qu’il y a quinze ans.

C’est donc peut-être en train de monter en moi. La douleur intime que vivrait un ministre venant d’être lourdé de manière extrêmement violente et trahissante par un président de la République pourrait faire un beau livre. Je suis assez sensible au théâtre que ça représente parce que là aussi ce sont des situations superlatives quant aux sentiments humains, avec des violences très très fortes. Je me dis que derrière ce grand vernis de la saillie médiatique, de la phrase assassine, il y a quand même de pauvres gens, des hommes et des femmes qui ne sont pas plus malins que nous et qui doivent avoir du mal à s’endormir le soir… sauf qu’ils prennent les médicaments qu’il faut ! Sous ce vernis doit grouiller un monde de pulsions, de complexité, de sentiments contraires et qui est assez peu utilisé dans le roman.

C’est presque racinien.

Complètement oui. Ça me tente donc de plus en plus mais j’ai juste la peur de ne pas trouver l’endroit pour le théâtraliser suffisamment justement. C’est-à-dire lui donner la distance littéraire pour ne pas être pris dans l’anecdote. C’est ce qui est le plus difficile je pense, mais c’est tentant. Peut-être en effet, faut-il repenser à Racine.

Sans que ce soit péjoratif, vos personnages, comme souvent dans le cinéma des frères Coen, sont des perdants. Est-ce que c’est ça qui les rend plus humains ?

Oui, je ne réfute pas que ce soit des perdants ou des gens qui à un moment ont perdu. Et c’est bien pour réparer cette perte qu’ils parlent. En tout cas c’est le point de vue du faible c’est sûr.

Là aussi c’est peut-être un peu romantique mais la figure qui se retire du jeu du pouvoir, du jeu de l’action, de la réussite, comme la figure du flâneur chez Baudelaire, s’ouvre un espace neutre de poésie possible. Il y a plus de place ici que dans le discours du vainqueur. Le vainqueur est prosaïque par excellence.

Vos livres sont comme des vecteurs à se rebeller, à s’affranchir de ce qui nous oppresse. En cela ils sont « politiques » aussi.

Mais ce n’est peut-être pas le bon mot.

Ce peut-être politique oui mais c’est plus large que ça. Ce qui tue c’est l’aliénation. Mes personnages partent d’une situation

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d’aliénation et s’en libèrent par un acte dont ils racontent le parcours d’affranchissement.

Le point le plus important est de réussir à en faire le récit. Le vrai moment d’affranchissement est le fait de le raconter. Il y a donc deux étapes mais la situation de départ est en effet celle de l’oppression. Donc oui, la scène politique en est un lieu de choix. Mais ce n’est pas le seul. La famille peut l’être aussi. J’aime beaucoup ce mot « aliéné ». Il y a quand même le mot « alien », c’est-à-dire l’autre en soi, mais un autre qui prend votre place, qui vous empêche d’être vous-même. Vous avez raison. Je fais attention avec le mot « politique » parce que ça me semble être une scène parmi d’autres possibles. C’est le rapport aussi de l’enfant à l’adulte. Grandir c’est ça, au fond. C’est peu à peu se désaliéner, qu’on ait eu de bons parents ou pas. Ça n’est pas très sain de ne pas être capable de vivre sa propre vie. C’est ce que Cicéron appelle l’auctoritas.

C’est la notion d’autorité. Il dit qu’on ne peut arriver à ça qu’à la vieillesse. Faire autorité. La racine c’est être auteur, l’auteur de sa propre existence. L’écrivain est donc une figure majeure de cela. C’est une belle notion. Ce mot là est fort.

“ Mes personnages partent d’une situation d’aliénation et s’en libèrent par un acte dont ils racontent le parcours d’affranchissement. ” En parlant de grandir, le narrateur dit dans une lucidité glaciale, une des phrases les plus noires du roman : « Peut-être même que l’enfance ça n’existe pas. » Oui mais c’est « peut-être »… (rires). On pourrait retourner la chose dans tous les sens.

Peut-être que l’âge adulte n’existe pas non plus. Il y a quelque chose de très enfantin chez ce personnage d’une cinquantaine d’années au sens où il n’aura eu que très peu de prise sur son existence. On peut considérer à l’égard de son propre fils, qu’à cinq ou six ans déjà, on est dans des soucis, dans un combat, dans une dureté pas encore complètement assumés. Mais que l’enfance comme espace d’innocence, n’existe pas.

Il y a un très beau moment dans le livre sur le vent et l’alcool. « Des pensées de certaines heures et de certains états. » J’aimerais que vous nous parliez de ces moments précis

qui sont comme des révélateurs de notre moi profond où sont enfermées des choses dont nous n’avions pas conscience.

Je trouve qu’il y a un côté Docteur Jekyll et Mister Hide dans l’alcool. Pour le meilleur et pour le pire. On sait très bien ce qu’on peut faire et regretter sous le coup de l’alcool mais en même temps on peut avoir le sentiment de réduire la distance qui nous sépare des choses justement. Marguerite Duras disait : « L’alcool c’est Dieu. Il n’y avait rien, et puis soudain, il y a Dieu ». L’alcool c’est exactement ça. C’est une banalité de le dire mais il y a un petit côté off de nous-mêmes qui se révèle dans l’alcool et qui ouvre en effet des espaces de vérité. J’adore cet état et je crois que j’aime de plus en plus les lendemains d’alcool. Ils créent des états de sensibilité extrêmes dans lesquels je me sens souvent bien pour écrire. Il y a aussi quelquefois des sortes d’état second dans lesquels on ramasse des petits fragments de soi-même dans des espèces de ouates mentales et avec toujours cette idée d’accéder à cette authenticité de l’être. On a beau dire, l’alcool c’est quand même ça.

Même s’il y a de l’humour par moments, je trouve que c’est votre livre le plus sombre.

Même le baiser du couple est un moment qui semble sans avenir.

Oui je pense aussi. Ce qui assombrit c’est justement l’ancrage réaliste de ce roman.

Pour les autres j’avais choisi des scènes un peu plus abstraites. Donc d’un point de vue identificatoire il n’y avait pas la même force. Je garde en point de mire ce processus d’affranchissement dont nous parlions tout à l’heure, et qui est quand même à l’œuvre.

C’est un livre de la réparation. Et aussi de ce qui ne se réparera pas. Il y a un apaisement par le récit et par l’acte meurtrier mais c’est quand même en désespoir de cause, comme on dit. Il y a quelque chose d’irrémédiablement perdu de la vie comme espace de jouissance. L’amour c’est raté, le travail c’est raté…

Sans rien révéler, le roman pourtant ne se termine pas si mal, quand on croit comprendre que le juge d’instruction a lui aussi peut-être été une victime du promoteur véreux. C’est une lecture possible non ?

Ah oui, vous allez loin vous. (rires) Si j’y avais pensé, je me demande si je l’aurais fait.

Je crois que je n’aurais pas osé. Narrativement ça aurait été peut-être un peu trop machinique. Imaginer Kermeur dire au juge : « Non, mais vous aussi vous avez investi ? », ça aurait pu être pas mal.

Lecture à la Maison de la Poésie // 2017.

Article 353 du code pénal.

(Les Éditions de Minuit // 2016).

Dans Paris Brest, le fils Kermeur se moque lorsque le narrateur évoque un roman à écrire. Le besoin devient alors plus fort encore de faire les choses. Est-ce un sentiment que vous avez vécu ?

Oui. Humiliation, le mot serait trop fort mais j’écris toujours quand même avec quelqu’un qui éclate de rire derrière mon dos.

Et j’écris contre lui, contre ce rire. C’est impressionnant de voir des gens de 14-16 ans qui sont déjà dans une dérision des choses, une acceptation du combat. Tout est sujet à railleries. Ecrire c’est réparer ça, ré-affirmer ça. Le fils Kermeur n’est pas un mauvais bougre mais il ne pense pas que c’est avec la littérature qu’on va réparer le monde, il serait plutôt du genre à aller faire la révolution je pense. L’écrivain est un gosse maladroit qui ne sait pas trop s’y prendre avec le monde, les filles…

Entre deux romans vous écrivez des essais sur l’écriture, sur ce qui fait de vous un écrivain. La littérature n’en finit pas d’être une matière vivante. Êtes-vous toujours surpris de là où elle vous emmène ?

Le problème c’est qu’elle m’emmène toujours un peu aux mêmes endroits ou plutôt je suis toujours surpris de revenir au même endroit. Au fond, après 20-25 ans d’expériences d’écriture ou de pensée, ce sont deux trois obsessions, deux trois motifs quelquefois très abstraits qui tournent en boucle et qui, heureusement pour moi, se déplacent de scènes, changent de visage, de masque mais je vois bien que c’est toujours la même machine qui se remet en place, le même déroulé psychique, les mêmes difficultés, les mêmes obstacles. J’adore la formule d’Henri Michaux : « Skieur au fond d’un puits ». Pour moi ça résume tout. � Persona n°1 // 27

Frustration

Fin de civilisation Entretien Frédéric Lemaître // PHOTO Blaise arnold

Unique dans le paysage français post-punk, cette formation toujours en activité est une des plus excitantes qu’il m’ait été donné de découvrir et il y a un moment que ça dure. À quelques jours des dix ans de leur label Born Bad, les musiciens défendent encore avec fougue leur quatrième album Empires of Shame sorti fin 2016.

28 // Persona n°1

Frustration. Ce nom cingle comme une claque qu’on aimerait mettre sur le cul de la hype parisienne. Mais ce serait lui faire trop d’honneur. Frustration. Le genre de groupe qu’on écoute jusqu’à s’en abrutir, parce qu’il est bon de se jeter au cœur de ce volcan en éruption. Je rencontre les musiciens tout près de la boutique de leur label. Depuis le départ d’Emmanuel, leur ancien bassiste, un nouvel élément est arrivé au sein du groupe, apportant sa jeunesse et son doigté. Mais Pat n’est pas là aujourd’hui. Ce sont donc les vieux briscards d’origine qui répondent à mes questions. Fabrice, le chanteur, réagit sur le vif, n’a pas sa langue dans la poche mais sait aussi se montrer d’un humour non seulement grinçant mais aussi, léger…

Si leur musique s’approche parfois d’un regard introspectif, autour de la table du café ce sont plutôt des garçons déconneurs et toujours autant émerveillés de la chance qu’ils ont de vivre l’expérience de ce groupe. Unique vous dis-je !

On a du beaucoup vous poser cette question à vos débuts, mais choisir un nom ce n’est pas anodin. De quelle frustration s’agissait-il exactement ?

Fabrice : Nous avons formé le groupe en septembre 2002 et plutôt que de faire des T-shirts et des souvenirs, on s’est concentré sur le fait de faire des morceaux avant même d’avoir un nom. Nous avons fait notre premier concert un an après et nous n’en avions toujours pas. J’ai gardé une feuille avec une dizaine de noms qui seraient maintenant très à la mode. Pendant la canicule de 2003 j’étais chez moi, il faisait très chaud. J’écoutais Crisis et leur morceau Frustration passait sur la platine. Je l’ai proposé. Le sens du mot a plu à tout le monde, ou presque.

Et puis ça se dit de la même façon dans plusieurs langues, c’est pratique.

Il n’y avait donc pas de sentiment de colère au départ ?

Fabrice : Forcément, inconsciemment. Le nom collait parfaitement avec ce qu’on faisait.

Mis à part le changement de bassiste est-ce qu’il y a eu une volonté d’approcher le son d’une façon différente. Cet album à une touche électro en moins.

Nicus : Les morceaux que nous avions sous le coude étaient moins axés électro oui, si on peut dire ça comme ça. Ils nécessitaient donc moins de machines.

Fred : En fait, il y a toujours autant de synthés, sauf que sur le précédent disque j’avais eu un peu plus de temps de cerveaux disponible pour aller au studio et faire des morceaux de A à Z sur la machine.

Fabrice : Pour corroborer ce que dit Fred, il y a toujours autant de synthés mais moins pompiers, plus discrets, plus sereins. Il y a aussi le fait que nous ne sommes plus dans la même sensation. Du temps d’Uncivilized, nous étions dans une période de questionnements sur nos vies personnelles. Il y a eu des drames au sein de la bande donc la musique s’en est ressentie aussi. Le temps que Fred y avait consacré, avait donné des choses plus électroniques. Mais l’électronique permet également de se cacher.

Mark : Pour ce disque, nous nous sommes aussi plus investis sur le son pendant le mixage.

Le nouveau bassiste a peut-être aussi apporté du sang neuf.

Fred : Le touché est différent oui, et il a amené des choses avec sa pâte à lui. Il était déjà fan à la base et ultra motivé.

Le titre du disque sonne comme un manifeste ou comme une colère rentrée.

Fabrice : Ouhhhhh… Oh là gamin, oh bijou… (rires). Non, ce serait prétentieux. « Manifeste » m’appelle des mots comme « Oriflamme », ou des choses comme ça. Je vois tout de suite Bono ou un connard en train de remuer un drapeau sur scène. Un truc est clair : Nous vieillissons. Nous ne sommes pas contents et la période se prête bien à de grandes insatisfactions. Assumé oui, mais « Manifeste » c’est très prétentieux. Le son, la voix et les compositions que nous avons actuellement en font un disque homogène je crois.

“ Un truc est clair : Nous vieillissons.

Nous ne sommes pas contents et la période se prête bien à de grandes insatisfactions. ”

En tout cas ce nom pourrait indiquer le contenu des thèmes du disque.

Fabrice : Oui, indéniablement. L’écriture est beaucoup plus dans une phase d’observation des choses. Uncivilized, lui, était plus introspectif. D’ailleurs, la couleur de la pochette d’un bleu glacial lui allait bien. Pour ma part, je vais beaucoup mieux. Mais en allant beaucoup mieux, soit on ne regarde que soi-même, soit notre regard se pose sur les autres et ce qui nous entoure, ce qui est le cas actuellement. De toute façon, tous les thèmes que j’aborde sont systématiquement proposés aux autres avant de peaufiner les textes. Mais il y a aussi quelque chose de plus véhément dans ce disque. Bien plus que Relax ou même notre premier disque Full of sorrow (car leur discographie ne commence pas à Relax).

Dans Just wanna hide, on sent quelqu’un qui veut se préserver.

Du flot des infos par exemple ?

Fabrice : Absolument oui. Je me pose volontairement des barrières parce que je prends tout frontalement. Ça me met dans des situations de panique et de stress. Mais ceci dit, Just Wanna hide n’est pas un morceau sociétal. Il est vraiment intime. C’est juste le sentiment de quelqu’un qui ne veut pas dire à une femme ce qu’il ressent. Elle est partie, il est blessé. C’est un homme qui parle du silence qu’il y a dans la maison, des chats qui viennent ronronner devant son mal-être. Et par orgueil, par blocage, il ne veut pas révéler franchement ce qu’il éprouve. Mais attention, ça ne m’intéresse pas d’écrire des textes pour que les gens se disent : « Ah, Fabrice Gilbert est comme ça ! » Non, il faut que les gens puissent s’assimiler. � Persona n°1 // 29

Vous n’avez jamais voulu passer pour un groupe engagé, on sent pourtant que vous avez vos opinions. Avez-vous peur que des chansons engagées puissent mal vieillir ?

Fabrice : C’est pas le problème. Demander « Est-ce que vous êtes un groupe engagé ? » C’est comme demander à un mec en vélo de course « Hé, tu aimes bien le cyclisme ? ». Le mec va te répondre : « Mais non connard, j’suis garde-barrière ! ». Je m’explique. Si tu es dans le punk ou le post-punk et que tu fais ce genre de musique-là, il y a forcément des trucs sur lesquels tu es revanchard.

Pour moi, dans ce style de musique tout est politique, tout est engagé.

Marc : Nous avons chacun notre avis mais il n’y a pas de vérité. Nous ne sommes pas des porte-drapeaux. Nous avons tous nos opinions qui en générale sont partagées Fabrice : On ne se voit pas dire aux gens : « Faites-ci, faites-ça. La guerre c’est pas bien, l’eau ça mouille et le chômage, oulala c’est moche ». On le sait ça. Tu parlais de sur-information. Il faut arrêter de prendre les gens pour des débiles. Quelqu’un qui va voir des concerts d’œuvres d’Erik Satie a forcément un côté lunaire assumé.

Quelqu’un qui vient voir du post-punk, que ce soit Frustration, Zombie Zombie ou Exploited a forcément une quête dans ce style de musique. Quand on va dans une soirée électro et qu’on a envie de danser pendant quatre heures, ce n’est pas pour se prendre la tête. Notre musique est intrinsèquement vindicative et coupante.

Fred : Et il y a aussi des choses qui sont l’héritage direct du punk, comme les slogans ou titres comme Empires of Shame ou même Dreams Laws Rights and Duties.

Fabrice : Ou même Blind. « Are you so blind ? ». Que veux-tu polémiquer autour de ça ? Et pourtant c’est un bavard qui te le dit. Et surtout, quand tu le gueules sur scène dans des compos il y a un côté exutoire. C’est comme une partie de squash.

Quand on gueule sa haine sur scène, on est beaucoup mieux après ! Mais nous ne sommes pas dans une révolte continue.

Fred : On espère même que les gens, une fois le concert passé, ressentent la même chose : « Ça va mieux ».

“ Si tu es dans le punk ou le postpunk et que tu fais ce genre de musique-là, il y a forcément des trucs sur lesquels tu es revanchard. ”

Je confirme. L’ambiance de vos concerts est extraordinaire.

Sans faire des comptes d’apothicaire, vous sortez un disque tous les quatre ans environ. Ce rythme vous convient j’imagine ?

Mark : On remarque effectivement qu’on enregistre un disque tous les trois, quatre ans. Quand on assez de morceaux en fait.

Fabrice : C’est ça. Tu rentres des champignons quand le panier est plein. Il y a eu des moments où nous sommes restés trois, quatre mois sans sortir de morceaux. Nous avons eu des décès de gens très proches qui nous ont laissé sec comme des criques de bagnoles.

Il y a aussi eu un événement capital : Le fait que Fabrice ré-enregistre toutes les voix.

Fabrice : Nous avons fini d’enregistrer l’album en juillet 2015. Il ne s’est rien passé comme on sait très bien le faire pendant deux, trois mois. Puis vers novembre, décembre J. B. de Born Bad a mis

30 // Persona n°1

Danger Le projet remonte à environ six ans.

Fabrice Gilbert, chanteur de Frustration monte un groupe avec des membres de No-Talents et d’Operation-S. Leur musique, un post-punk à la fois glacé, mélodique et vindicatif a fait l’objet d’une sortie récente. Tirage vinyle limité à 300 exemplaires, en blanc d’abord puis en noir. Le groupe se nomme Danger, l’album porte le même nom et c’est sur Danger Records..

l’index sur la dichotomie entre les morceaux et mon accent. Une fois la vexation passée j’ai pris des cours avec un ami qui m’a fait comprendre que j’étais à la croisée de deux chemins entre l’accent anglais et l’accent américain dans lesquels j’étais empêtré. Il a donc fallu choisir une direction. Il était question de ré-enregistrer trois, quatre morceaux sur les dix. J’ai refait les dix et assez rapidement.

Fred : Nous étions là. Ça n’était même pas une question d’accent mais le fait d’être plus relâché a donné une bien meilleure intention.

Instrumentalement, nous enregistrons toujours en live. Du coup c’est plus compliqué à mixer, mais c’est comme ça qu’on fonctionne pour être dans l’intensité. Fabrice, lui, n’est pas dans l’intensité du moment. Le premier jet manquait donc de cette vivacité.

Fabrice : Il y avait un ou deux morceaux où je chantais plus juste sur la première version, mais je suis tellement content de l’intention donnée sur ce que j’ai refait que ça n’est pas très grave. Pour mon parcours personnel ça m’a fait du bien. Je suis loin d’avoir un accent parfait mais je vais progresser et ce sera encore mieux la prochaine fois. Mais pour finir là-dessus, je ne suis pas dans ce groupe pour me servir de quatre garçons à des fins de carrière artistique. Dans le punk la voix n’est pas plus importante que les instruments. Je vais aussi dire un truc que je n’ai jamais dit en interview ni même à mes comparses. En fait sur Excess, je chantonne à la fin, ce qui a un peu surpris mes camarades. Nous aimons bien les musiques de film et ça faisait un moment que je voulais chanter sans dire de paroles car quelque fois la voix se suffit à elle-même pour être vindicative. Ce truc-là, c’était juste le coup de marteau pour que le clou affleure bien au niveau du bois. Il n’y avait pas besoin d’en dire plus mais de chanter plus.

Arrows of Arrogance est en contraste avec le reste du disque. C’est un morceau apaisé dirons-nous. On t’entend même siffler Fabrice.

Fabrice : Oui absolument. On est tous fan de musique de western, d’Ennio Morricone ou autres. Mais c’est de famille en fait. On siffle énormément. Je m’aperçois que je le fais dans la rue, au boulot et c’est souvent pour m’apaiser et me bercer. Je dis que tout est un peu fini, un peu mort, que cette fin de civilisation est là. Le sifflement c’est comme regarder ça de loin. Les chiens aboient et la caravane Frustration passe (rires).

No place c’est chercher sa place dans le monde et ne pas en trouver ? La bio dit que c’est un morceau composé au dernier mo-

ment. C’est un espace de liberté qui a peutêtre finalement trouvé sa place.

Fabrice : Tu réponds très très bien à ta propre question. En fait les paroles sont très inspirés d’un groupe australien (Eddy Current Suppression Ring). Je ne sais pas si je vais rester sur Paris, je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. Je suis fier d’être un peu perdu. J’utilise les bons mots. Je suis fier de ne plus être sur les bons rails. C’est le morceau qui clôt les concerts actuellement et il continue d’évoluer, c’est complètement fou.

Il dure maintenant huit minutes sans soûler les gens. Il y a aussi une grande place laissée aux instruments. Tu as très bien résumé, il y a un énorme espace de liberté.

Nicus : C’est la première fois qu’on se permet ce genre de petite folie.

Even with pills c’est le côté punk qui ressort. Deux minutes chrono de plaisir et de pogo assuré. Est-ce un besoin de décompresser, même sous médocs ?

Fabrice : Pour moi ce qui est le plus intéressant, c’est qu’il y a des breaks partout pour montrer notre nouvelle dextérité (rires). Ce morceau dit que même sous médocs, quand la bécane de l’angoisse est bien huilée, tu peux faire ce que tu veux, il y a un moment où tu n’as plus rien à foutre de rien. Si la bête est dans ton cœur, elle se réveillera toujours. Dans le morceau, il n’en peut tellement plus qu’à la fin le mec demande à sa meuf de le tuer.

Empires of Shame (Born Bad Records).

Dernière question, (en m’adressant à Nicus qui n’a presque rien dit). Comme disait Mark, pourquoi Frustration plaît autant aux meufs ?

Nicus : Moi je ne dis jamais rien dans les interviews (rires).

Mark : On imagine que ça plaît à plein de nanas parce qu’il y a plein de morceaux qui sont dansants. C’est ce côté-là de Frustration qui doit leur plaire et peut-être aussi la voix de Fabrice qui les fait fantasmer. Comme elles viennent aux concerts avec leur mec, ils sont obligés d’y assister.

Fabrice : Régulièrement après le concert, les mecs viennent me voir, un peu durs, et me disent qu’ils n’aiment pas trop le groupe, que c’est leur meuf qui écoute. Et après, discrètement, quand il n’y a plus les copains ils me disent : « J’adore aussi » (rires). � Persona n°1 // 31

Boss Hog

Mue de printemps

Entretien Cathimini & Frédéric Lemaître // PHOTO Angel Zayas

Dix-sept ans que nous attendions le retour du couple le plus sexy du rock’n’roll. Et il est sidérant de mesurer l’attrait toujours aussi fort de la présence magnétique de Cristina Martinez. Les deux premiers albums étaient rêches, à nu, à l’instar des pochettes sur lesquelles elle posait avec presque rien. On retrouve de cet allant énergique dans Brood X et la pochette qui laisse deviner un détail de peau, en l’occurrence une épine dorsale, en dit long sur la filiation avec leur début.

32 // Persona n°1

T

oujours donc entourée de Jon Spencer, Hollis Queens, Jens Jurgensen et Mickey Finn, Cristina Martinez présente les morceaux de leur nouvel album comme une nichée de cigales qui auraient vécu dans le sol pendant tout ce temps, attendant le bon moment pour s’extirper et nous enchanter de stupéfaction. C’est d’ailleurs tout un regroupement de ces chanteuses estivales que nous entendons à la fin du disque. Ces Magicicada septendecim, qui restent elles-mêmes dix-sept ans sous terre avant d’opérer une mue totale en fendant leur corps au niveau du dos, afin de chanter, voler, se reproduire et disparaître à la fin de l’été.

On se rend compte au fur et à mesure des écoutes que Brood X n’est pas aussi monolithique et vindicatif qu’il le parait. C’est une sorte de roller coaster à l’échelle du rock.

Jens : C’est vrai que Sunday routine et 17 font baisser la tension vers la fin de l’album, alors que Billy, le premier morceau du disque est très rentre dedans, un morceau désespéré et colérique à la fois.

Cristina : Je suis contente que tu aies noté cela car c’est exactement ce que nous voulions.

Nous avons grandi en écoutant des albums ou l’ordre des morceaux suivait des concepts spécifiques de progression musicale ou racontait une histoire. Nous ne voulions pas d’un disque plat qui enchaine les morceaux comme des perles et semble une collection de singles.

Nous avons passé pas mal de temps à réfléchir à l’expérience auditive que nous voulions proposer, où nous voulions vous emmener et nous avons essayé plusieurs ordres avant de trouver celui-ci. Un album a une dimension physique qui ne doit pas être négligée. La pochette doit correspondre au contenu, le graphisme doit soutenir le style, le choix des morceaux doit engendrer certaines émotions. Tous ces petits détails doivent être pris en compte pour créer une œuvre d’art à part entière. Rien n’est dû au hasard, tout est réfléchi. Comme le dit Flaubert « Dieu est dans le détail ».

Quand tu dis dans Ground Control : « Je ne reconnais plus ma ville… », est-ce dû au nettoyage qu’a subi New York depuis les années 80 ?

Cristina : Et maintenant je chante en concert : « Qu’est devenu mon pays ? » Si tu étudies l’Histoire, il y a toujours eu des périodes de replis nationalistes, de guerres pour la suprématie de telle race ou telle civilisation. On sombre dans le chaos et les gens se relèvent dans un élan nouveau pour avancer vers une nouvelle ère, qu’ils espèrent toujours meilleure que la précédente. Donc ce que je veux combattre c’est le fatalisme et l’apathie, ce sentiment que le Monde nous a trahis. Ok c’est une sale pé-

riode, il y a des choses horribles qui arrivent partout chaque jour, mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller à la déprime et se cacher dans sa chambre. L’être humain a toujours des ressources qui le poussent à avancer, même s’il fait parfois des pas de côté ou semble reculer. Chacun d’entre nous se doit de faire partie de ce mouvement. Mes chansons sont pensées pour galvaniser les auditeurs, qu’ils aient envie de dire tout haut « Non, ça ne va pas ! » et qu’ils se bougent le cul pour défendre leur point de vue.

C’est exactement ce qu’il m’a semblé comprendre avec Formula X qui rappelle que nous avons besoin de spiritualité pour vivre, ce que beaucoup de gens de la Generation X - dont font partie les membres de Boss Hog - ont oublié de transmettre aux jeunes générations, élevés dans le culte du consumérisme et du narcissisme.

Cristina : C’est l’essence même de la formule de la vie : s’il n’y a pas d’esprit, de confrontation d’idées, il n’y a pas de plaisir. J’aime aller à l’église, non pas par croyance religieuse mais pour la musique et la puissance qu’elle dégage grâce aux chorales. Je ne crois pas en un Dieu masculin, Le créateur de toutes choses, juge et vengeur comme il a été souvent représenté par le catholicisme. Je pense que nous avons en nousmêmes les réserves nécessaires, des ressorts qui nous permettent de mener notre vie d’une certaine manière… Mais il y a forcément un ordre établi, les choses n’arrivent pas par hasard. Les mathématiques sont l’illustration que nous n’avons pas encore découvert toutes les connexions qui nous relient à la nature et qu’il y a des possibilités encore inexplorées dans notre cerveau qui pourraient nous aider à trouver le sens réel de notre existence. J’ai le sentiment profond que quelque chose unit tous les êtres humains et c’est mon interprétation de la spiritualité. La musique est une autre manifestation de ce lien invisible mais indiscutable entre nous. Que ce soit à un concert de rock ou dans une messe, chacun a la sensation de faire corps avec les gens qui sont là, nous vivons une expérience commune qui se traduit par une incroyable énergie qui se dégage et nous porte. C’est ça « la force » ! (rires) Pas besoin de faire de la musique pour cela, il suffit de faire partie de la communauté réunie à ce moment-là, se laisser immerger, ressentir l’harmonie entre le corps et la tête, se laisser aller et donner. C’est magique !

(Cela apporte un éclairage précieux sur les altercations qui ont opposé Jon à certaines personnes dans le public parisien ce soir-là, largement relayées et amplifiées par des témoins éberlués, ne comprenant pas de quoi il s’agissait. Cristina aime descendre dans la fosse pour s’immerger dans cette énergie dont elle parle avec tant d’enthousiasme et communiquer avec le public. Donc lorsqu’elle tombe sur un spectateur le regard rivé sur son écran au lieu de lui sourire et l’accueillir par un geste amical, cela lui fait l’effet d’une douche froide. Jon déteste tout autant les gens statiques qui filment tout depuis le premier rang au lieu de vivre le moment. Ca lui donne l’impression d’un rempart. « Qu’ils restent

“ Les mathématiques sont l’illustration que nous n’avons pas encore découvert toutes les connexions qui nous relient à la nature et qu’il y a des possibilités encore inexplorées dans notre cerveau qui pourraient nous aider à trouver le sens réel de notre existence. ”

Persona n°1 // 33

© Cathim ini

chez eux vautrés dans leur canapé devant la télé au lieu de venir nous e… » lancera-t-il dans les loges, énervé de ne pas avoir été compris et soutenu. NDLA).

Votre set list mixe les nouveaux morceaux et des vieux comme Texas que seule Cristina défendait à l’époque de son enregistrement.

Jon : Nous sommes arrivés au studio Canal et la première chose que nous a demandée le producteur de l’émission L’album de la semaine était la set-list. On n’en avait pas de prête mais il la voulait tout de suite. Du coup on a mis ce qui nous passait par la tête. C’est vrai que nous n’avions jamais joué Texas en public avant. Ca nous a pris plus de vingt ans à nous rendre compte qu’elle avait raison. On est un peu lent semble-t-il (rires).

En 2009 est sorti un album Solex vs Cristina Martinez and Jon Spencer qui a très peu fait parler de lui.

Jon : C’est un très beau projet que nous n’avons jamais porté sur scène. Elisabeth Esselink est hollandaise et nous étions tous les deux sur Matador aux États-Unis. Cristina et moi étions très fan de Solex et nous nous sommes rencontrés en tournée en Europe. Je lui ai proposé de faire quelque chose ensemble et il se trouve qu’elle avait un tas de morceaux sur lesquels elle travaillait. Ils étaient presque finis mais je crois qu’elle voulait changer de direction par rapport à l’identité pop bricolo qu’elle avait mais ne savait pas trop comment s’y prendre. Notre proposition lui a permis de s’échapper et nous avons donc passé quatre jours à Amsterdam où elle vivait à l’époque. Elle tenait un petit magasin de disques d’occasion et avait son studio au sous-sol. Nous avons chanté, j’ai fait quelques guitares, mais tout le reste était déjà prêt : les cuivres, les synthés, les rythmiques. Au final nous n’étions que les guest stars mais c’est cette interaction qui a fait partir le disque sur une voie inédite pour nous trois.

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Cristina Martinez et ses ailes de corbeau, en référence directe au poème de Edgar Allan Poe, The Raven.

Quand on cherche des images de Boss Hog sur Internet, on tombe en premier sur Chérif fais-moi peur. Avez-vous un lien avec le personnage de Boss Hogg, le politicien véreux toujours habillé en blanc avec un chapeau de cow-boy et un cigare ?

Jon : Non ! Notre nom vient de l’idée que nous avions de faire les malins sur une belle moto ou une voiture cool…

Cristina : C’était une erreur ! Et nous en sommes prisonniers maintenant (rires).

Jens : C’est un surnom qu’on donne maintenant à tous les sales types qui se la pètent avec un gros chien, une grande maison, une grosse bagnole… Ils ont tous l’air de dire : « Regardez-moi, je suis le Boss Hogg du comté, c’est moi qui ai le pouvoir ».

Rodeo Chica est la seule chanson où on t’entend distinctement en duo avec Cristina.

Jon : C’est parce que j’ai écrit les paroles. Au départ, Cristina devait la chanter toute seule mais elle n’y arrivait pas et a voulu l’abandonner. Nous n’avions que quelques bases mais j’avais envie d’en faire quelque chose et du coup je lui ai proposé de la finir à ma manière. J’avais envie de faire un truc à la Nancy et Lee et je crois que ça a marché. De même j’ai pas mal retravaillé Ground control qui ne ressemble plus du tout à l’idée de départ.

“ Il m’a fallu des années pour trouver le moyen le plus efficace et le plus simple de surmonter mon anxiété. C’est le seul conseil que je puisse donner : apprends à respirer, sens le sol sous tes pieds et laisse toi aller. ”

Brood X CD/LP (Bronze Rat/PIAS) Brood Star - EP – (In the Red/Bronze Rat/PIAS).

Pourrions-nous boucler la boucle avec 17 ?

Cristina : Ah, 17 est le seul morceau complètement « accidentel » de l’album et donc le plus magique. Il est né d’un son qui a servi d’étincelle à mon imagination. Du coup j’ai écrit les paroles d’un jet et j’ai demandé à faire une prise immédiatement. Je n’avais pas ressenti une telle magie depuis Texas qui date des tout débuts de Boss Hog. Et maintenant nous sommes capables de les jouer toutes les deux, c’est fantastique !

L’as-tu écrit pour votre fils qui doit avoir autour de 17 ans aussi ?

Cristina : Il en a 19… Mais il est vrai que je pensais en écrivant cette chanson à la fin de l’adolescence qui est un moment important de notre vie. C’est l’âge où on doit perdre une grande partie de son innocence pour affronter la vie. Il va entrer à l’université, devoir devenir responsable de lui-même, naviguer au mieux avec ses connaissances, ses émotions, sans nous derrière pour le guider ou l’aider à s’en sortir. Ca a tellement changé depuis l’époque où nous étions ados, avec les réseaux sociaux, le pouvoir des médias et tous ces nouveaux pièges.

Je pense à lui très souvent, mais la chanson n’a pas été écrite pour lui ! C’est une réflexion sur moi-même, comment j’étais à 17 ans, en conflit avec le monde entier. Je voulais à la foi être remarquée pour mon humour et mon intelligence, mais j’étais complexée et timide. Je voulais toujours prendre la parole mais je ne savais jamais quoi dire ou bien j’avais l’impression de ne pas répondre au bon moment et ça me tourmentait des heures. Tu sais ce que c’est (rires). Il m’a fallu des années pour trouver le moyen le plus efficace et le plus simple de surmonter mon anxiété. C’est le seul conseil que je puisse donner : apprends à respirer, sens le sol sous tes pieds et laisse-toi aller. Ca a l’air d’avoir marché sur mon fils, il est bien plus cool que moi à son âge (rires). �

OLIVIER BRUT « Boss Hog ». Encre sur papier, 2017 // olivierbrut.blogspot.fr

RÉflexion

La nudité au cinéma et au théâtre par MéLANIE MARY // PHOTO FRÉDÉRIC LEMAÎTRE (Boxing Girls, écriture en cours).

La pudeur a une histoire, liée à l’évolution des mœurs. Son fleuve n’est pas tranquille : avancées progressistes, enjeux politiques, militants, retours en arrière…1 Telle époque jugera une image obscène, qu’une autre admettra libre de circuler dans l’espace public.

Sous l’influence de la danse contemporaine et de jeunes metteurs en scène audacieux (Stanislas Nordey, Pascal Rambert, Olivier Py…), les corps nus se multiplièrent sur la scène des théâtres nationaux dans les années 90-2000.

Le plateau agit comme une loupe : tout ce qui s’y trouve est porteur de sens et s’oppose à ce qui ne s’y trouve pas.

Etymologiquement, l’obscénité désigne « ce qui devrait être en dehors de la scène ». À la racine du mot se trouve le phénomène érotique, cette représentation qui éveille les sens.

Dans le choix du visible et de l’invisible se joue une relation centrale : celle de l’œuvre au spectateur.

LA NUDITE AU THEATRE Un théâtre est un bâtiment dédié aux histoires. Ses murs l’isolent de la réalité extérieure.

D’autres murs encore entourent la scène : à gauche (côté « jardin »), au fond (« fond de scène »), à droite (côté « cour »). Et en face, cette paroi invisible à laquelle

36 // Persona n°1

le spectateur consent pour croire au récit : le 4ème mur.

Il sépare la réalité du spectacle de celle du public. Grâce à lui, le pistolet brandi par l’acteur ne m’inquiètera pas réellement. On voit l’idée.

Elle est ancienne, remonte à l’antique Aristote qui posa les bases de nos industries du spectacle dans sa Poétique : voir sans être vu, vivre des émotions sans leur risque, jouir de la distance pour réfléchir.

Avez-vous déjà vu un corps nu au théâtre ? Je n’engagerai que mon expérience de spectatrice : un corps nu sur la scène du théâtre détruit d’emblée le 4ème mur. Il est plus fort que l’art, plus fort que le théâtre. Il est un corps nu bien réel devant un autre corps qui, lui, ne l’est pas. Et cela brouille ma vision du spectacle, me « sort de l’histoire ». De la distance permise par la représentation, je passe au régime de la sensation, de l’intimité, de la proximité.

Suis-je stupide, réactionnaire, pas assez informée ? Ce serait plutôt un baromètre de mon état de pudeur. Et surtout, je ne me résous pas à ce qu’une œuvre puissante me donne autre chose qu’une sensation de liberté. Je consens au malaise aussi bien qu’au plaisir, et me déclare fondamentalement ignorante s’il s’agit que seuls les spectateurs érudits en soient des bons.

La pudeur est une « gêne face à ce qui peut blesser la décence devant l’évocation de choses très personnelles, en particulier l’évocation de choses sexuelles » (Larousse). On y est. On parle de « nudité blabla » mais bien sûr qu’il est question de sexe…

L’émouvante vulnérabilité d’un corps nu, ce moment du dévoilement, est le début de la sexualité.

Que me demande un metteur en scène quand il me met face à ma gêne ? Le fait-il par provocation ? Est-il guidé par l’envie de raconter son histoire, quelle qu’en soit ma réception ?

Le réalisme du théâtre, dans la mesure où des corps réels (dans la salle) sont mis en présence de corps réels (sur la scène), a une dimension politique. Quand bien même il me renverrait à mon expérience intime, il le fait au sein d’un collectif qui ne s’absente jamais de l’expérience. Alors peut-on vraiment approcher la notion d’intimité au théâtre ? La complexité d’une relation sexuelle à deux, où l’intimité se partage mais le fantasme reste personnel, n’est-elle pas l’indice d’un échec programmé ?

Le point de vue du metteur en scène est central, qu’il choisisse de représenter le nu anatomique, mort, sexuel ou érotique. Mon souvenir le plus fort concerne des corps dénudés : un torse nu sur un

jean ou une jupe. Evitant le piège de l’intégral, une partie était montrée. La nudité n’est plus une frontière où la gêne freine ma pensée. Elle devient une puissance de vie et de mort, en un mot : érotique.

Soumis au récit, le corps tend à se rhabiller.

Remarquons au passage l’éternelle fascination sexuelle pour les seins des femmes, transformés en étendards frondeurs des Amazones aux Femen, en passant par les Argentines défilant topless en février 2017 pour contrer le conservatisme ambiant. J’écris actuellement mon prochain scénario sur la boxe féminine.

L’occasion de m’interroger sur l’érotisme de la force : quelle sensualité se dégage d’un corps de femme au combat ?

Infirmière, archiviste, banquière, chômeuse… Chaque apprentie boxeuse apprend à recevoir un coup et à répondre. Son regard change : confiant, il gagne en érotisme. Contrant la fatalité d’un corps désigné depuis si longtemps comme objet de désir, de possession, de pulsions violentes et morbides, ces femmes expriment ce qu’elles sont vraiment : un être multiple, objet et sujet à la fois. Sans pour autant se masculiniser…

Alors des seins, oui, mais mis en scène dans le scénario de leur puissance et de leur vulnérabilité. Une histoire de boxe, exactement !

que peut offrir la pornographie et que n’atteindra jamais la fiction télévisée. A nouveau, l’auteur de séries peut se concentrer sur le personnage, qui s’implique dans sa vie sexuelle comme n’importe quel être humain ».

LA NUDITE AU CINEMA Au cinéma, grâce à l’écran, les corps réels ne sont pas en présence et la distance est préservée. Ce qui autorise le 7ème art à aller plus loin dans ce qu’on appelle bien les « scènes de nu » - à savoir : les scènes d’amour. Je parle bien sûr d’un temps postcensure, le détournement du Code Hays2 pouvant faire l’objet à lui seul d’une étude passionnante. Comme par le trou de la serrure, le cinéma pénètre l’intimité familière des personnages.

Scènes de douche, de sexe, de masturbation… Les plans multiples offerts par les zooms et optiques des caméras (gros plan, plan moyen, plan large) s’opposent au plan unique du théâtre. La technique offre au récit des situations de nudité multipliées.

Les pratiques des spectateurs changent. Depuis le début des années 2000, internet a ouvert tout un champ à l’industrie pornographique : plus besoin de se rendre dans un cinéma spécialisé. L’essor des séries télé a également fait entrer la fiction chez les gens.

Beau Willimon, le showrunner de House of Cards, témoigne de l’évolution de la scène de nu3. Argument marketing destiné à titiller le spectateur, elle échappait jusque très récemment à tout réalisme : corps normés sur feu de cheminée, position systématiquement missionnaire et plaisir instantané… Les clichés visuels ménageaient la décence, tout en transgressant par le simple fait d’exister. « Aujourd’hui, en quelques clics, l’internaute a le meilleur de ce

La vraie vie ? Au cinéma encore plus qu’au théâtre, les corps manquent cruellement de diversité. L’acteur – et surtout l’actrice – est beau à peu près comme un dieu.

Le militantisme de Lena Dunham, la créatriceauteure-réalisatrice-héroïne de la série Girls produite par Judd Apatow depuis 2012 pour la chaine HBO, se situe bien là. Lena veut témoigner de la vie de jeunes de son âge (les vingtenaires du millénium) dans une grande ville occidentale (New York). Elle parle donc aussi de leur sexualité, quotidienne.

Dès lors, quasiment tous les personnages seront montrés nus. La jeune femme opère volontairement une rupture nette : le sexe sera montré dans ses ratages, sa bizarrerie, sa zone grise (« gray area ») où l’expérimentation ne garantit ni l’orgasme, ni même le total consentement. Comme dans la vie. Et puisque Lena appartient au casting et qu’elle n’a pas un corps correspondant aux standards d’Hollywood, on y voit enfin une femme réelle, en l’occurrence grassouillette, avec des petits seins, loin des clichés bombesques. Oui, cette femme-là a une sexualité, peu de complexes, et couche à peu près avec qui elle veut.

Militant pour les droits des femmes à disposer librement de leur corps, elle multiplie les portraits et interviews de femmes remarquables par des attributs non sexuels sur son site The Lenny Letter :

points de vue, émancipation, réussite… Se montrer nue, pour Lena, libère un champ de possibles dans les représentations.

La majorité des corps nus représentés dans l’art sont féminins. Les corps d’hommes et de transexuels restent minoritaires. Toute une histoire des mœurs nous raconte le corps féminin dédié à la sexualité, la procréation, la nature. Oui, je reviens bien pour être claire à cette vieille dichotomie civilisationniste Nature/Culture. Quand les femmes défendent le droit à disposer librement de leur corps, à ne pas se soumettre à l’unique Nature, qu’elles se mettent elles-mêmes à écrire et réaliser leurs histoires, alors le panorama des propositions change. Les fictions, comme toujours, permettent de transgresser des tabous. En mars 2017, quand je clos cet article, le droit des femmes à l’avortement est à nouveau questionné en France, aux États-Unis, ailleurs… Les artistes l’ont bien compris : incarner des personnages réels, et à ce titre imparfaits, contradictoires, assoiffés comme vous et moi de bonheur et de liberté, quels que soient leur sexe et leurs préférences sexuelles, voilà ce qui politiquement peut nous aider à ne pas sombrer dans la haine. Le corps est politique.

Spécifiquement celui des femmes.

Marcela Iacub, Par le trou de la serrure : une histoire de la pudeur, Fayard, 2008 2 Code Hays : Code de censure appliqué aux Etats-Unis de 1934 à 1966 et rédigé en 1929 3 How TV sex got real de Eliana Dockterman, Time, 2017.

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Persona n°1 // 37

“ Je déteste ne plus avoir le temps de regarder. J’aime bien faire des chansons lentes, prendre le temps, et tout ce que j’entreprends se fait lentement mais sûrement. J’ai la sensation que ça se fait de manière solide ! C’est un éloge à la lenteur. ”

Matt Low

Chant d’étoiles

Entretien & photo Frédéric Lemaître

Parfois la nuit s’ouvre comme un livre d’éternité. Et sur la voie lactée se découpe un visage aimé. Le monde semble alors tenir au creux de notre main. L’univers tranquille de Matt Low se déroule ainsi d’une voix chaleureuse et sereine, que rien ne vient presser.

Après un premier EP Banzaï et en espérant un futur album, voici quatre nouveaux titres qui habillent notre attente et sur laquelle passe l’ombre de Jean-Louis Murat, ici auteur de textes.

A cause du titre, du calme ambiant du disque, on a le sentiment de vivre des chansons nocturnes. On dirait même un éloge à la nuit, voire même contre le jour, contre ce qui se voit trop.

Je pense que c’est le titre du disque qui donne cet effet là. J’aime les ambiances sombres même si les morceaux L’aventure et L’ermitage sont plus lumineux. J’ai longtemps aimé la nuit, la nuit qui te fait faire n’importe quoi. Mais maintenant, avec la musique que je fais, ce serait plutôt l’idée de la nuit à la campagne, la vraie nuit sans la pollution nocturne des villes. C’est plutôt une ambiance campagnarde qui m’intéresse.

38 // Persona n°1

Ton disque a été enregistré en juin 2016 et il est sorti cinq mois après, c’est devenu très rare.

Et moi j’ai eu l’impression que c’était long.

Le temps qu’ils sortent les morceaux ont déjà évolué.

Surtout qu’ils ont dû être composés longtemps avant l’enregistrement ?

Des nouvelles et L’aventure l’ont été six mois avant oui et les deux autres un an auparavant.

Dés la lecture du nom Matt Low et de son jeu de mot, on a déjà une impression de voyage. Un voyage qui prend le temps de regarder le paysage.

Carrément. J’aime bien entendre ça. Ça se rapproche de la façon dont j’essaye de vivre en tout cas. J’ai tendance à trouver que tout va trop vite pour moi et quand j’essaie de me mettre dans le rythme qui nous est parfois imposé, ça ne me va pas du tout. Je déteste ne plus avoir le temps de regarder. J’aime bien faire des chansons lentes, prendre le temps, et tout ce que j’entreprends se fait lentement mais sûrement. J’ai la sensation que ça se fait de manière solide ! C’est un peu un éloge à la lenteur.

Et le pseudonyme ?

En fait j’avais un groupe de Brit-pop à Clermont, dans lequel j’ai joué pendant dix ans et pour se la raconter nous nous étions donné des surnoms en anglicisant nos noms de famille. Matthieu Lopez est devenu Matt Low. Quand il a fallu choisir un nom pour

TEXTE INÉDIT

ticulier en le chantant et j’en suis moi-même spectateur. C’est tout le temps en mouvement, je ré-interprète à chaque fois. Le lendemain ça peut-être autre chose voire même complètement l’inverse. Pour le moment je n’écris pas mes textes. Ça va venir mais pour l’instant j’aime bien cette situation et la part de mystère que ça implique pour l’auditeur et pour moi aussi.

MATT LOW nous offre en avant-première le texte d’une future chanson.

GLISSE Après-midi froid Rejoins moi en bas La colline, c’est l’accueil De nos premiers pas

Jean-Louis Murat est crédité à l’écriture de deux textes justement, dont celui qui donne son titre au disque. Comment se retrouve t-il sur ton projet solo ?

Je joue dans un groupe qui se nomme The Delano Orchestra et avec qui nous avions enregistré l’album Babel de Jean-Louis en 2014. Nous avons donc fait ce double album ensemble et tourné pendant un an avec ce disque. On s’est très bien entendu. Je lui ai donc parlé de mes chansons que je traînais depuis des années, sans écrire de texte d’ailleurs mais que j’essayais vaguement de chanter en anglais sans que ce soit concluant.

C’est lui qui m’a bousculé : « Faut y aller, faut te bouger le cul, tu vas le regretter sinon. Pour te lancer et te filer un coup de mains je t’écris des textes si tu veux. » En français donc. J’ai dit banco !

C’était un coup de pied au cul vraiment salutaire !

Vifs et isolés Comme les arbres gelés Le brouillard est d’accord On peut même tomber Glisse et reprends toi Il n’y a ni haut ni bas Oubliées nos chaînes Cette raison si vilaine Tu vois, le décor N’est jamais le même Nos corps réchauffés Par le froid réveillés Si le soleil sort Il aura changé

“ Ça s’est passé naturellement avec Jean-Louis Murat. Nous avons une compréhension mutuelle, je crois. ” Tu en as déjà parlé mais comment se prépare t-on, comment appréhende t-on d’ interpréter un texte de quelqu’un d’autre et notamment de quelqu’un de prestigieux ? Ça s’est passé naturellement avec Jean-Louis Murat. Nous avons une compréhension mutuelle je crois. Déjà, techniquement, je lui ai envoyé des morceaux guitare-voix, donc la mélodie était déjà là dans une sorte de yaourt. Il a ensuite parfaitement calé ses mots en français sur ce que j’avais fait.

Il y a bien évidemment eu quelques ajustements mais ma mélodie n’avait pas bougé, donc c’était très facile pour moi. Et puis, ce qui est généreux de la part de Jean-Louis, c’est qu’il se met à ma place. Je découvre ses textes et je me vois. Je me vois évidemment d’une autre manière puisque ça passe par lui mais ça dit des choses sur moi qui sont très éclairantes. C’est une expérience forte.

Glisse et reprends toi Il n’y a ni haut ni bas Sur la colline Si pleins, si vides, si loin

me lancer en solo ça s’est imposé naturellement parce que tout le monde m’appelle comme ça. L’analogie avec le matelot est évidente mais ça n’a pas été pensé comme ça.

Dans Des nouvelles tu chantes : « Tu avais vu ce qui ne se dit pas… les murs sans velours, la chambre gisait droit. » Ces phrases-là interrogent et laissent planer un mystère.

Tu ne donnes pas de résolution, sinon musicale avec une fin hyper bruitiste qui pourrait aussi révéler des choses sur ce non-dit.

Ce que tu dis est intéressant mais je fais parfois les choses sans réfléchir. Ce texte là n’est pas de moi d’ailleurs mais de Clément Chevrier qui joue de la basse avec moi. Les morceaux m’interrogent aussi. À chaque fois que je chante ce morceau, à chaque fois même que je l’écoute il y a quelque chose d’énigmatique qui en ressort. Il n’y a donc pas vraiment de réflexion. J’aime bien me jeter dedans, y mettre quelque chose de par-

Hangar Bleu Nuit (Scarlett Productions.

Le Label.

PIAS // 2016).

Ne manquez pas le clip interactif : http://mattlowlaventure.com

Tu as choisi un dessin pour te représenter sur la pochette.

Cela confère d’office un côté artisanal comme une trace qui a pris du temps à marquer son empreinte, contrairement à une photo.

Je suis vraiment content du dessin. C’est une amie, Aurélie Eckenschwiller qui l’a dessiné à partir d’une photo. Je l’ai laissée libre de le faire comme elle voulait.

Le dessin, contrairement à la photo apporte aussi un autre univers. Cet autre visage sombre et énigmatique à l’arrière plan serait-ce un autre côté de toi qui se révèle à la nuit ?

L’idée de l’indien d’Amérique au second plan, car c’en est un en l’occurrence, pourrait être une autre face de moi, oui, mais en tout cas c’est un autre regard. � Persona n°1 // 39

Isabelle dalle « From Her To Eternity » 2016 // www.isabelledallestore.com

BÉATRICE DALLE

la b-attitude

ENTRETIEN Frédéric Lemaître // Photo Richard aujard

J’ai longtemps gardé en moi cette image de Béatrice Dalle arrivant chez Jean-Hugues Anglade dans 37°2 le matin, lâchant ses valises dans la poussière comme pour s’installer définitivement au cinéma.

Et puis il y avait cette scène aussi dans 17 fois Cécile Cassard de Christophe Honoré : Béatrice fumant une clope dans un couloir et où je m’étais dit qu’il n’y avait presque rien d’autre à faire que de lui donner une cigarette et de la regarder vivre…

Béatrice rayonne. Elle est. Tout simplement.

« Il faut vouloir les choses » dit un acteur dans ce même film. Et moi j’avais le désir de la faire parler. De tout. De ce passé de petite punkette jusqu’au triomphe en scène, incarnant Lucrèce Borgia. Un rôle sur mesure. Car son ambition est grande. Et considérable encore est l’amour que lui portent les metteurs en scène qui taillent leurs scénarios pour elle, comme un diamant. Icône absolue du cinéma français c’est une actrice à fort caractère qui s’ouvre alors à mes questions, et je ne vous le cache pas, j’en suis fier.

Alors que tout le monde se serre en bas dans un amas de bruits, je rejoins l’actrice à l’étage vide d’un café parisien du 3e. Béatrice vient de finir de déjeuner avec Sophie Blondy dont le dernier long-métrage L’étoile du jour réunissait Persona n°1 // 41

autour d’elle : Iggy Pop, Denis Lavant et Tchéky Karyo, entres autres. Les offres théâtrales et cinématographiques se bousculent toujours. Certains projets restent d’ailleurs encore secrets.

On la verra bientôt dans Les effarés de Francis Renaud, film sur la rencontre entre Verlaine et Rimbaud dans lequel elle joue Vitalie, la mère du poète, lui-même représenté par Oscar Berthe.

Mais, revenons quelques années en arrière.

De ta jeunesse punk on retrouve pas mal de photos aujourd’hui.

Que peux-tu dire de ce passé ?

Quand j’avais 14 ans, je me suis enfuis de chez mes parents. J’ai fait le mur avec une copine et on a quitté Le Mans. Nous sommes venues à Paris et on est allé aux Bains Douches. Avec nos dégaines de petites keupones, ils nous ont laissé entrer. Je me souviens avoir assisté à un concert des Dead Kennedys. Quand j’ai vu Jello Biafra, je me suis dit : « Plus jamais je rentre en province ! » (rires).

Et c’est ce que j’ai fait !

Ci-dessous : Photo de Jean-Claude Lagrèze (1984).

Peinture de Speedy Graphito).

J’étais déjà punk avant de partir. Mon milieu c’était les Lucrate Milk, les Bérus, Helno qui a ensuite fondé Les Négresses Vertes. Il se passait tellement de choses à Paris. On pouvait voir des concerts tous les soirs à l’usine désaffectée Pali-Kao. Maintenant, à 21 h si tu veux aller acheter des clopes, t’es en galère. Le 25 décembre, je sais bien que c’est Noël mais dans n’importe quelle capitale du monde tout est ouvert. Ici on est devenu une ville de province. On habite dans la plus belle carte postale du monde mais merde, il ne s’y passe plus rien ! À l’époque, j’allais aussi au Rose Bonbon où j’ai vu des concerts incroyables. J’ai passé mes nuits dehors. J’attendais le premier métro pour rentrer. Nous allions griveler, voler de la bouffe. Paris c’était merveilleux. Qu’est-ce que j’étais heureuse d’arriver là ! Et je suis toujours contente d’y être malgré tout.

De quoi vivais-tu ?

De vols, car je ne travaillais pas. C’est con d’aller voler dans des petits magasins. Tu vas chez les grandes marques la galère est la même donc j’y allais comme une princesse. Je me souviens aussi de départs en tournées avec les Bérus et Helno. Nous avons d’ailleurs eu un accident dans une grosse voiture américaine. Rien de grave mais nous sommes tombés dans un fossé. En pleine forêt et dans la neige, on aurait dit des chasseurs. Arrivés dans des bleds avec nos sacs de colle et nos dégaines de punks destroy, qu’est-ce que c’était drôle ! J’ai adoré cette vie-là. Tu n’as pas de thunes mais tu t’en fous.

Tu sors d’ailleurs d’une tournée, mais de tout autre facture.

Oui, je viens de terminer celle de Lucrèce Borgia. Je suis dingue de ce spectacle. Je porte le deuil, car j’ai joué pendant deux ans et demie avec une troupe où tout le monde s’entendait bien.

Ce que j’aime dans le théâtre c’est la vie de légionnaires en bordée, t’es avec tes potes… mais il faut bien travailler, être fier de ce que tu fais. Et puis tu respectes ton patron, ton metteur en scène (en l’occurrence David Bobée) car c’est beaucoup de travail pour lui. Moi je fais beaucoup de choses où il y a peu d’argent. Ce sont souvent des projets intéressants, avec des gens qui en veulent. J’ai dû faire 65 films dont 40 qui sont des premiers films. Du coup, je ne travaille qu’avec des gens qui ont super envie et ce sont des personnes incroyables.

A l’époque de cette période punk, écoutais-tu déjà les Stooges ?

Oui, je n’ai pas découvert Iggy Pop sur le tournage de L’Étoile du jour. Moi, tout ce que j’ai toujours voulu je l’ai eu. À chaque fois que je

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faisais des rêves improbables comme le rencontrer lui, ou Jim Jarmusch, ou Abel Ferrara, ça s’est fait. J’ai toujours travaillé avec les gens que j’aimais. En ce moment, quand je me lève le matin je me répète « Viggo Mortensen, Viggo Mortensen, Viggo Mortensen » (rires) ou bien « Michael Fassbender », on va voir. Alors oui, nous avons profité de la notoriété d’Iggy en présentant L’Étoile du jour dans des salles de cinéma au gré de sa tournée musicale. J’ai dû le voir trente fois, sans exagérer. C’était juste la promo la plus cool de ma vie. Le mec est mortel.

Je passe aussi ma vie à écouter de la musique.

Je poste des milliards de choses sur Internet.

Mon dernier fiancé était musicien. On pouvait passer les nuits, les jours en studio, je ne m’emmerdais jamais, je n’aime que ça.

Pourquoi n’as-tu jamais fait un groupe alors ?

J’aime tellement la musique que je ne veux pas faire ça à moitié. Tu donnes ta vie pour la musique. On m’a proposé d’être actrice et je me suis rendue compte que ça n’était pas un hasard. J’ai souvent de bonnes critiques sur mon travail et je les trouve justifiées car je suis honnête. Je donne ma vie pour. Mon cœur et mon âme en tout cas. J’ai fait 60 films et je n’ai pas une thune. Je ne suis pas à la rue, je ne me plains pas une seconde mais je devrais être plus riche.

J’écoute aussi beaucoup de musique classique. Je suis complètement amoureuse de Mozart, de Schubert, de Vivaldi. Je peux passer des nuits à écouter le Concerto N°21 de Mozart. Je peux passer ma nuit à regarder des mains sur un clavier de piano, tellement je trouve ça beau. Mozart c’est parfait de A à Z. À l’époque où ils ont composé, il n’y avait pas de cinéma, de télévision, de réseaux sociaux mais je vois mille fois plus d’images que dans n’importe quel plus beau film du monde. J’ai l’impression qu’il y a toute sa vie dans ce concerto. En tout cas c’est mon interprétation, ma sensation. Ça n’est peut-être pas la bonne mais c’est la mienne. Tu peux deviner sa tristesse, sa joie, le deviner amoureux, souffrant… Quand tu écoutes son Requiem qu’il compose alors qu’il est en train de mourir, tu vois non seulement sa vie mais aussi sa mort à venir.

Alors lui c’est un artiste, pas ceux qui font une télé-réalité. Il faut remettre les choses à leur place, sans déconner ! Pour moi, même le plus grand acteur du monde est un instrument.

C’est le metteur en scène qui va décider. Après, évidemment, il y a des grands interprètes et c’est mieux de jouer avec un Stradivarius qu’avec une crécelle, c’est certain. Mais les artistes ce sont les grands créateurs, pas les acteurs.

“ J’écoute aussi beaucoup de musique classique. Je suis complètement amoureuse de Mozart, de Schubert, de Vivaldi. ”

Quelle musique écoutes-tu actuellement ?

Du punk depuis toujours. Je suis la femme de Kurt Cobain, je pense qu’il faut l’annoncer car tout le monde ne le sait pas (rires).

Gainsbourg n’a pas essayé de te faire chanter ?

C’est le premier oui, ou peut-être Willy DeVille il y a très longtemps aussi. Ensuite, il y a eu Bowie mais j’ai dit non à tout le monde.

Gainsbourg, dans l’émission d’Ardisson Lunettes noires pour nuits blanches m’avait choisie comme invitée. Au début il était provocateur puis il a vu que j’étais une gentille gamine, même si un peu grande gueule. Il m’a donc proposé de nous retrouver sur un microsillon.

Mais non, sûrement pas, jamais. J’aime trop la musique pour ça. Il n’en revenait pas.

Tu aurais eu l’impression de trahir la musique ?

J’aurais eu l’impression de faire l’actrice qui chante. Je suis amie avec Tricky qui écrit incroyablement bien pour les femmes, alors avec lui peut-être. Mais faire quelque chose avec une grosse star parce que tu es actrice, non !

J’aurais l’impression de me vendre. Si Sham 69 ou Exploited m’avait proposé, j’aurais sûrement accepté.

Retrouvez plusieurs autres photos de Béatrice de ses années post-punk dans ce livre culte.

Paris Capitale Underground de Jean-Claude Lagrèze (Éditions de la Martinière // 2016).

Très tôt on t’entend dire et notamment à Gainsbourg, que tu t’emmerdes, que tu n’as pas de héros, que tu n’aimes pas lire…

Tu donnes l’impression que tu n’as pas de passion. On se demande ce qui t’anime depuis toujours.

Je ne suis pas quelqu’un qui calcule sur l’avenir. Le passé je m’en fous et le futur je ne peux pas le deviner, donc ce qui m’anime c’est le présent et je le vis intensément. J’ai revu cette entrevue récemment et effectivement on pourrait penser ça. J’ai envie de dire aujourd’hui que c’est presque l’inverse. J’ai tellement soif de vie que du coup je n’ai pas de temps à perdre en tirant des plans sur la comète comme on dit. Au contraire, tout m’intéresse, tout me passionne du moment où j’apprends quelque chose. Je suis très fière des personnes qui m’ont choisie pour travailler avec elles. J’ai quand même tourné avec beaucoup d’intellos et c’est quand même exactement l’inverse de ce que je suis. Je ne lis jamais, ça me saoule et en même temps je ne fais pas de complexe d’infériorité parce que quand Virginie Despentes, Claire Denis, Jim Jarmusch, Abel Ferrara te choisissent, ça n’est pas pour rien. Avec leurs regards, je vais faire passer leurs idées, leurs désirs. C’est un échange de bon procédé, je leur apporte autant qu’ils m’apportent. Alors je suis fière et honorée qu’ils m’aient fait ces propositions.

Je passe aussi beaucoup de temps dans les musées. J’adore la peinture et je fais souvent la comparaison avec le cinéma : on me demande souvent quel rôle j’aurais voulu jouer. Je m’en fous du rôle si c’est pas un mec ou une femme incroyable derrière la caméra.

C’est le regard qui compte. Est-ce que c’est un ciel étoilé qui est intéressant chez Van Gogh ? Non. Est-ce que c’est une chaise en paille dans une chambre d’hôtel pourrie dans laquelle il a habité ?

On s’en fout aussi. Si c’était ça, tu regardes un catalogue Ikéa et t’en as plein des chaises en paille. Non, son regard s’est posé sur cette nuit étoilée, sur ce lit défait… Je suis en larmes quand je suis dans un musée. À Amsterdam, je m’étais mise à distance d’un bras d’un homme qui peint, devant ses autoportraits. À l’endroit où Persona n°1 // 43

je me trouvais, il y a cent et quelques années se tenait Van Gogh qui se peignait en se regardant dans la glace. J’étais super émue.

Mais pour moi le premier punk c’est Jérôme Bosch. Quand tu vois ses peintures… quand tu y découvres des vaisseaux spatiaux ou même le symbole de l’entonnoir sur la tête dans nombreux de ses tableaux… merde, ce mec devait prendre de la drogue ou l’équivalent pour l’époque. On dit souvent que Iggy est le parrain du punk mais le père du punk c’est Jérôme Bosch (rires). Attention, ça n’est pas parce que tu es drogué que tu as du talent. Ça n’est pas forcément un chemin à prendre mais ça peut ouvrir des horizons que tu n’aurais peut-être pas ouvert sans. Je me dis que ça n’est pas pour rien si Jim Morrison ou Arthur Rimbaud ont écrit des choses aussi incroyables, quelque soit la drogue ou l’alcool.

Si Kurt Cobain avait été un premier de la classe il aurait fait autre chose mais son côté destroy et son mal-être ont forcément inspiré sa musique qui a pourtant fait un carton sur la planète entière. « Chaque bouffée d’air est une torture » disait-il.

Beineix, Doillon, Haneke, Claire Denis, Despentes, Jarmusch, Abel Ferrara, Honoré, Durringer, Bellochio, tous ces réalisateurs, ça donne le tournis non ?

Ahahaha, non, je suis fière.

Et là je vais monter sur scène avec Virginie Despentes et le groupe Zëro.

Nous allons faire Orgie de Pasolini. Virginie c’est juste la plus merveilleuse femme du monde. Tout l’a grandie, rien ne l’a aigrie. C’est la femme la plus sensible et la plus aimante.

Mais si j’ai un seigneur, un maître c’est bien Pasolini. Ce matin à la radio je parlais de censure. Aujourd’hui, plus personne ne prend plus le moindre risque. Tout choque tout le monde, tout est interdit. Qui prendrait le risque de produire Salò ou les 120 journées de Sodome de nos jours ? C’est un film que beaucoup de gens sont allés voir pourtant. Qu’est-ce que c’est que cette régression ? Pour moi, en art on devrait avoir droit à tout. Le moindre jeu vidéo où on fracasse tout, ça ne choque pas, mais par contre quand certains hommes politiques en reçoivent certains autres, ils mettent des robes aux statues et aux naïades de Botticelli. A l’Inquisition on faisait ça aussi ! Non, c’est triste.

“ Le passé je m’en fous et le futur je ne peux pas le deviner, donc ce qui m’anime c’est le présent et je le vis intensément. ”

Quand on affirme sa différence, les gens se retrouvent souvent déstabilisés, à l’image de ton rôle d’aveugle dans le film de Jim Jarmusch de 1990, Night on Earth.

J’affirme oui, mais je ne souhaite pas le faire, je n’y pense pas, et si j’ai une richesse c’est ma liberté. Je fais ce que je veux, vraiment ce que je veux. Je n’atteins à l’intégrité physique ou morale de personne, ça c’est important. À partir de là, si on m’aime tant mieux et si on ne m’aime pas, nique sa mère, je m’en fous !

Jim Jarmusch l’avait dit : « Malgré ce qu’on imagine, ce que j’aime chez elle c’est qu’elle a une morale et qu’elle ne la dépasse jamais. » Et il avait ajouté : « Ce qui est juste dommage c’est que c’est une morale de voyous. » (rires) C’est vrai, j’ai une parole, je suis quelqu’un de droit et d’entier mais je n’ai peut-être pas la morale de tout le monde. Jim s’occupe de tout sur un tournage. Pour lui, cette femme aveugle n’était pas une victime, c’était avant tout une femme. Il a donc voulu que j’ap-

44 // Persona n°1

prenne à me maquiller sans glace. Même les vêtements avaient été choisis précisément car même si elle ne peut pas les voir elle sait que les formes sont jolies, qu’on peut voir ses jambes…

Jim, Abel, Claire, Virginie, ce sont des potes depuis. Quand j’ai fait le Temps du loup avec Haneke, j’étais éblouie chaque jour même si lui est froid et distant. Mais je ne fais pas un film pour me faire un pote. Haneke a peu de mots pour t’encourager, il est dur mais la fin justifie les moyens. Chaque jour j’apprenais des choses et la fois où il m’a complimentée j’ai fait des bonds comme un enfant. J’ai besoin de ça, que mon patron soit super fier, pas juste content. Si tu es exigeant avec les autres il faut déjà l’être avec soi-même.

Les cent cinquante représentations de Lucrèce Borgia qui était ma première pièce de théâtre m’ont apporté de l’éloquence. Dernièrement, Abel Ferrara m’a demandé si je voulais bien dire des textes avec lui. Au début j’avais choisi des textes d’Artaud. Dans Le suicidé de la société, quand il parle de Van Gogh il est vraiment en convulsion, mais avec Abel c’était une lecture, pas une interprétation. J’ai donc choisi ensuite Le septième sceau de Bergman car c’est un de mes films préférés et notamment le passage où la mort parle avec Antonius Block, le beau chevalier qui n’a plus foi en rien. Grâce à Lucrèce Borgia j’avais une aisance que je n’avais pas avant de faire du théâtre. C’est super agréable et gratifiant. Maintenant je sais ce que je veux faire ou ne pas faire au théâtre. J’ai besoin d’être une héroïne, sans mauvais jeu de mot. J’ai besoin de triompher même si je dois me vautrer et me rouler dans la fange. J’interprète des êtres humains donc je veux bien être faible, laide, et j’accepte tout le cahier des charges, mais j’ai besoin de triompher à un moment ou un autre.

Comme dans ma vie. Je suis sensible mais pas fragile sinon je serai morte depuis longtemps avec tout ce que j’ai eu.

Se faire respecter c’est aussi ton image de marque et ce dés le casting de 37°2 le matin.

Oui c’est vrai, depuis que je suis née. J’ai envie de dire que c’est parce que je respecte tout le monde. Je suis polie, correcte, gentille. Maintenant, si tu ne me traites pas de la même manière je te nique ta mère ! Je suis vulgaire mais c’est volontaire. Je n’ai pas d’autres mots. Tu me parles mal, je te parle dix fois plus mal. Je peux tout supporter sauf l’humiliation. Je me tiens bien et je demande qu’on se tienne bien avec moi aussi. Il peut y avoir une bagarre avec des poids lourds, s’ils m’embrouillent je les insulte.

Il est arrivé des situations où j’aurais pu mourir dix fois, sauf que j’ai tellement de gueule qu’il ne m’arrive rien. Je n’ai pas peur à ce moment-là, ou si j’ai peur je ne le montre pas.

Comment expliques-tu que pour plein de gens tu sois un diable et non un ange ?

Parce que je ne transige pas, je ne compose pas.

Je fais ce que je veux avec qui je veux.

Parce que tu n’as pas ta langue dans ta poche ?

Parce que tu parles « vrai » et que ça dérange ?

Certainement. Je fonctionne comme ça et ça n’est pas parce que c’est devenu mon image de marque mais parce que je ne peux pas faire autrement ! Si je transigeais, j’aurais l’impression d’être un imposteur et ça je ne veux pas.

Pour faire bonne figure, avant de se jeter à l’eau ton personnage dans 17 fois Cécile Cassard, dit qu’il va au cinéma. Faire du cinéma c’est justement se jeter à l’eau ou est-ce que ça a toujours été, au contraire, l’endroit où tu te sens le mieux ?

Un endroit où je me sens bien, toujours. Je ne rêvais pas de faire du cinéma. Il se trouve qu’on m’a fait faire le casting de 37°2 et que le film a fait des millions d’entrées, partout dans le monde. Du jour au lendemain tu passes de l’anonymat le plus total au statut d’actrice reconnue. Il y a des choses dont je ne me rendais pas compte même si je fonctionnais déjà de la même manière. Je me suis pris la gueule mille fois avec Beinex (alors que, grand Dieu, je le remercie mille fois) Je crois que la production a vu trois mille filles mais quand j’ai vu sa tête j’ai su que c’était moi qui allais avoir le rôle. Il a eu comme une révélation. Il y a d’ailleurs une anecdote amusante : Lorsque j’ai rencontré Dominique Besnehard pour faire les tests, il m’a emmené dans une librairie pour acheter le livre de Djian dont est tiré le film et en me voyant, le libraire a dit à Dominique : « Si on fait un film de ce livre, il faudrait prendre cette fille. Je viens de le lire et j’ai l’impression que c’est elle. » Djian s’était inspiré d’une des femmes de sa vie, sauf qu’il l’a transformée pour qu’on ne pense pas à cette femme. Il décrit complètement l’inverse d’elle, il l’a fantasmée et on dirait une image de moi.

Il y a quelques années lors d’un reportage avec Guillaume Depardieu tu disais avoir

© Renaud de foville

Pour le coup, sans vouloir que tu révèles des noms, y-a t-il eu des réalisateurs renommés pour lesquels tu as dit non ?

Oui, mais il y a aussi des choses que je n’ai pas envie de faire et que j’aime pourtant. On m’avait proposé un rôle de femme qui pleure tout le temps dans les Lettres d’amour d’Ovide.

Je pleure aussi, sauf que je suis plus combative que ça. Je ne peux faire que ce que je revendique.

Lucrèce Borgia, Châteauvallon (Juillet 2016).

événement à venir.

Orgie de Pasolini.

Première le 10 mars à Vannes et fin juin à La Maison de la Poésie, à Paris.

horreur de la vieillesse. Inévitablement, on y va tous. Quelle est ta position aujourd’hui par rapport à ça ?

C’est horrible, horrible ! Une personne célèbre disait que c’était un naufrage et c’est vraiment ça. La vie est de plus en plus merveilleuse mais physiquement tu perds tes capacités, c’est comme une fleur qui fane. Avec l’âge et la maturité tu connais bien plus de choses. Ce serait merveilleux d’avoir ce savoir-là, cette oreille, ce regard avec la forme et le physique que tu avais quand tu avais vingt ou trente ans. Je suis dans un métier de séduction. Un metteur en scène ne te choisit pas seulement parce qu’il te désire mais quand même, il y a beaucoup de ça. Je comprends pourquoi tant d’actrices et d’acteurs cèdent aux sirènes de la chirurgie mais c’est juste une catastrophe. Je vois plein d’actrices qui sont devenues infilmables. Je comprends le mal-être, je suis une femme aussi, mais je ne veux pas avoir une tête en plastique ! À ce moment, derrière la vitre du café une femme passe dans la rue, son labrador habillé comme un prince. « Regarde le chien avec les habits. Pourquoi les gens veulent absolument que les animaux soient des ersatz d’humains ? C’est dingue. Il a une fourrure, il n’a sûrement pas froid, c’est fait pour, non ? » (rires).

Puis Béatrice étonne encore et de sa sensibilité naturelle s’excuse auprès du garçon de café venu faire sa pause à une table voisine. « Je suis désolée si on vous a pris la tête. On va vous laisser finir votre dessert tranquille en tout cas. » � Persona n°1 // 45

Question

Qu’est-ce qu’une femme ? par Elizabeth Serin, psychanalyste // PHOTO RODOLPHE COBET TO-CARAVANES

L

e terme d’hystérie, dérivé du mot grec hustéra, signifie matrice, utérus. L’on imaginait dans l’antiquité qu’il était un animal qui, se déplaçant dans le corps de la femme, formait des symptômes. L’hystérie se présente donc d’emblée de l’ordre de l’animalité, de la pulsion. Elle se présente également comme hétérotopie, dans son sens médical qui caractérise la migration, le déplacement d’organe ou de tissus dans le corps. Freud reprendra d’ailleurs à un moment, et à sa manière, la thèse de l’hétérotopie lorsqu’il écrit dans l’Esquisse que « le refoulement hystérique a lieu manifestement à l’aide de la formation de symboles, du déplacement sur d’autres neurones ». Dans l’antiquité, avec Hippocrate, le remède à la maladie passait par des massages sexuels sensés soigner l’affection.

Au moyen âge, on abandonne l’approche médicale pour envisager les manifestations hystériques, notamment convulsives, comme l’expression d’un plaisir sexuel et donc d’un pêché.

D’où la notion de possession et d’exorcisme car on imaginait que ces agitations étaient le fait du Diable, capable d’entrer et de posséder le corps des femmes. L’époque témoigne ainsi de la peur qu’elles suscitaient, notamment dans ce qui se rattachait à leur sexualité, à cette part intime, mystérieuse et ici tellement impérieuse, de ce que Freud appellera le continent noir.

C’est au XIXe siècle que l’hystérie est consacrée à nouveau, embrassée si l’on peut dire, en tant que maladie, avec le Professeur Charcot, neurologue à la Salpétrière et théoricien de la névrose. Il utilisait l’hypnose à des fins particulières, non pas pour soigner les malades mais plutôt dans la perspective de démontrer le bien fondé de ses hypothèses. En hypnotisant les femmes, il fabriquait expérimentalement des symptômes hystériques pour les supprimer aussitôt et démontrer ainsi le caractère névrotique de la maladie ainsi que le pouvoir de la suggestion. Avec Charcot, l’hystérie devient un fait de société. Et son service de la Salpétrière une sorte de salon mondain.

Ces mises en scène sont probablement, tout comme l’hypnose, une libération, un exutoire, un théâtre de l’intime. Charcot appelle l’hyp-

nose provoquée : « hystérie artificielle ». Tout en effet est ici artifice. Dialectique du vrai et du faux, de l’organique et du fonctionnel, de l’état de veille et de la transe hypnoïde, de la soumission de la femme en tant que cobaye pour les démonstrations du Professeur mais aussi de la domination de cette même femme par ses mises en scènes outrancières.

Rébellion sexuelle, dont elle se servira d’ailleurs comme moteur d’émancipation.

Vivement critiqué par Bernheim, tenant de l’école de Nancy, qui lui reprochait de fabriquer des symptômes, Charcot est admiré par Freud qui ira travailler auprès de lui autour des années 1885-1886. Freud abandonnera pourtant l’hypnose vers 1890. Ici apparaissent des traitements différents de l’hystérie et de ses destins.

L’invention de la psychanalyse d’une part avec Freud et l’Invention de l’hystérie, titre de l’excellent ouvrage de Didi-Huberman aux Éditions Macula avec Charcot.

Freud construit une théorie pour essayer de saisir l’essence de cette névrose, sa Neurotica tout d’abord, puis sa seconde théorie qui tient moins à la réalité vécue d’un trauma qu’à son fantasme.

L’hystérique se verra ainsi secouée par un autre animal que celui de l’antiquité, animal tout aussi pulsionnel : l’inconscient, puisque ce qui agite l’hystérique pour Freud est son désir inconscient d’être séduite. Ce sera également le temps de l’invention de la cure analytique : écouter et se taire, entendre ses symptômes dans leur valeur de métaphore.

Pour Freud le problème posé est celui de la rencontre entre le corps biologique et le représentant pulsionnel qui est de l’ordre du langage, c’est à dire du signifiant, puis de sa représentation et de son refoulement. C’est ainsi que l’hystérique atteinte de cécité n’est pas malade de l’œil en tant qu’organe mais du signifiant « Œil ».

L’hystérique atteinte d’une paralysie du bras n’est pas malade de son bras en tant que membre mais du signifiant « Bras », en tant que métaphore singulière d’un conflit psychique œdipien.

De l’autre part, il s’agit de l’invention de l’hystérie, invention d’une esthétique artistique avec

“ Le terme d’hystérie, dérivé du mot grec hustéra, signifie matrice, utérus. ”

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“ Il s’agit de l’invention de l’hystérie, invention d’une esthétique artistique avec Charcot. ” Charcot. Esthétique qui passe par le théâtre, par la mise en scène de ces crises paroxystiques, de cette sexualité grimaçante, exagérément figurée. Les séances à la Salpétrière sont des moments durant lesquels les femmes, photographiées dans toutes les postures de leurs crises, mettaient en scène le désir du Professeur.

Le désir, c’est le désir de l’Autre écrira plus tard Lacan dans les Écrits.

Les surréalistes se saisiront à leur manière de cette esthétique qu’ils liront dans sa valence subversive et dans cette idéalisation d’une femme libre et mystérieuse. « Un corps fait pour l’amour » écrivait Prévert, je crois. Ils revendiqueront le terme de « beauté convulsive » pour faire de l’hystérie l’emblème d’un art nouveau et décorseté.

En réfléchissant un peu au destin de l’hystérie dans le monde contemporain et à ses manifestations théâtralisées (ou théâtralistes pourrait-on dire), j’ai pensé au travail de Marina Abramovicz au Moma de New York dans sa performance « The Artist is Present » (film de 2012). Elle y incarne l’énigme de l’artiste, du corps de l’artiste mais également, à mon sens, l’énigme du féminin. En tant qu’artiste, elle interroge le visiteur, les visiteurs, très nombreux, qui viennent prendre place dans le face à face qu’elle propose. Mais en tant que femme également, Madonne ultra charismatique.

Ici il ne s’agit pas de convulsions mais tout de même d’un état autre, quasi mystique. Mi Freud dans la poigne de son silence, de sa présence et de ce qu’elle induit comme plongée introspective chez l’autre, renvoyant chacun à sa propre énigme de Sujet. Mi Charcot dans la mise en scène du désir de celui qui s’assoit en face d’elle, désir pris dans l’adresse à l’artiste. Mise en scène magistralement chorégraphiée de ce corps théâtral et de ces rencontres poétiques exposées au regard des très nombreux spectateurs à la fois captivés et captifs de cette même question : qu’est-ce qu’une femme ? � Persona n°1 // 47

Albin de la Simone

LES AFFINITÉS ÉLECTIVES

Entretien Frédéric Lemaître // PHOTO Frank Loriou

J’ai longtemps gardé le souvenir de ce chanteur à la tête de panda, les yeux entourés de noir sur son premier album en 2003. Depuis, son chemin a croisé de nombreux artistes aux noms prestigieux qui ont bénéficié de son savoir faire. Et ses propres disques de prendre leur envol. AUJOURD’HUI L’UN DE NOUS S’EXPOSE. 48 // Persona n°1

Une poignée d’albums plus tard et des collaborations multiples à n’en plus finir (musiciens de studio ou accompagnateur en concert pour Arthur H, Vanessa Paradis, Miossec, en passant par Iggy Pop, Alain Souchon, Mathieu Boogaerts ou Jean-Louis Murat, la liste est vertigineuse), l’artiste ne chôme pas. Aujourd’hui, L’un de nous, son cinquième album voit le jour dans une douceur nimbée d’allégresse. Et pourtant, à bien creuser son écriture, ce disque nous pose des questions essentielles qui reposent parfois sur rien, tout comme Les Films

Fantômes, spectacle musical qu’il avait créé et où il proposait des synopsis, des bandes originales et des critiques sur des films qui n’existaient pas.

Pour l’enregistrement de ton nouveau disque, la sonorité recherchée pour le piano a été longue. Tu as passé une annonce, comme pour trouver l’âme sœur.

Oui c’était vraiment presque formulé comme ça, l’âme sœur. J’ai envoyé un email à toutes les personnes susceptibles de m’aider. Je ne cherchais pas le meilleur piano du monde mais celui avec lequel je rentrerais en vibration. Je pouvais difficilement décrire ce que je voulais, j’en ai donc essayé plein. Je savais que je voulais un son doux parce qu’il laisse plus de place à ma voix. Ça a pris de telles proportions que je me suis demandé si je ne devenais pas fou. Tu finis même par douter, mais au moment où j’ai trouvé, j’ai su que j’avais bien fait. Ça avait du sens finalement.

Peut-on dire que c’est un disque sur l’abandon ?

Oui, mais alors sous plusieurs sens. Bien sûr, la peur d’être abandonné est toujours présente. Ça veut dire la peur de l’amour qui ne dure pas, la peur de ne plus être aimé par la personne ou les personnes qui comptent. Il y a aussi l’abandon au sens Give up, du genre « je n’en peux plus, j’abandonne ». Le disque parle aussi de ça et je n’ai justement pas envie d’abandonner. Des chansons parlent également de tout ce qui pourrait rendre cet abandon facile et attrayant. Pour moi, ce disque parle profondément de l’amour long, comparativement à l’amour court qui est beaucoup plus romantique ou littéraire. C’est d’ailleurs cet amour court qui est décrit dans la première chanson Le grand amour. On y va avec les grands chevaux et puis ça s’arrête d’un seul coup. Le personnage ne comprend pas ce qui s’est passé, ne comprend pas les erreurs qu’il a faites. C’était tellement dingue que ça n’était pas voué à durer.

Toutes les histoires sont un peu comme ça quand même, mais après on entre dans une deuxième phase qui elle, peut durer. Cela demande un ajustement, un non aveuglement et une lucidité. C’est là que j’essaye d’être. C’est ce qui me préoccupe en ce moment donc que je le veuille ou non, mes chansons parlent de ça, et ça n’est pas du tout un choix. De même pour mon précédent disque, avec ma nouvelle vie de l’époque (un enfant, une nouvelle maison), les chansons parlaient toutes de ce que c’est que d’être un homme.

Ce nouveau disque aurait même pu s’appeler Une Femme. C’est d’ailleurs le titre d’un morceau.

Complètement oui. Et dans cette chanson-là c’est la première fois que je fais ouvertement une déclaration d’amour à ma femme. Je lui dis que je veux vivre avec elle le mieux possible, mais je

suis aussi lucide. Il y a une phrase alambiquée qui dit : « une femme qui n’a pas jamais tort », juste pour évoquer que je ne suis pas seulement en train de dire qu’elle est géniale, qu’elle est parfaite, mais que tout ça est beaucoup plus complexe. C’est la chanson la plus claire du disque pour parler de ces sentiments-là. L’album aurait pu s’appeler Une Femme, si ce n’est que le faire après avoir appelé le précédent Un Homme aurait été lourdingue. Et puis nous n’avons pas le même regard sur un homme qui fait un disque sur le doute dans la masculinité que sur un homme qui fait un album appelé Une Femme. Ça aurait été simple de l’appeler ainsi mais je m’en suis bien empêché.

Tout est d’une grande douceur dans tes compositions et tes textes, pourtant, sous l’apaisement, on sent des moments troublés.

Je crois que je suis un peu comme ça dans la vie, ce qui ne m’empêche pas d’être critique ou en colère parfois ou même d’avoir une certaine violence en moi. Mais je crois que, même si je m’énerve, ça ne se voit pas trop. Je suis parfois ulcéré pour des détails techniques et j’essaie de gérer au mieux. J’envoie ensuite des lettres d’excuses à tout le monde, et on me répond que ça ne se voyait pas alors que je croyais avoir été un tyran. Et puis, si je veux dire des choses complexes ou dures, je ne veux pas que la musique le soit.

Tes textes sont parfois comme des impressions, voire des tableaux impressionnistes. Les chiens sans langues par exemple sort du lot.

Il y a un non-dit assumé dans ce morceau. Je ne voulais pas être plus clair parce que je n’ai pas envie d’être violent. Pour moi ça parle d’un couple qui a perdu un enfant. C’est une amie qui a inventé cette expression en parlant d’un endroit d’où la personne qu’elle aimait était absente (« cette ville sans toi c’est comme un chien sans langue ») L’image m’a saisie. Elle est tellement poétique et tellement dure.

En même temps, un chien sans langue, c’est un peu dégueulasse. En essayant d’écrire autour de cette expression, je me suis rendu compte que ce qui sortait était des phrases évoquant des gens qui pourraient être ces chiens. Il y avait cette idée de lui, dormant dans la baignoire, et elle buvant et riant toute seule. Et qu’est-ce qui leur manque dans ce tableau bizarre ? Un enfant. De fil en aiguille la chanson a pris du sens. Maintenant, sachant ça, tu vas voir que tu ne l’entendra pas de la même façon. J’ai envie de parler de gens qui dérapent, qu’un grand manque comme une absence de langue a fait dérailler.

“ Pour moi, ce disque parle profondément de l’amour long, comparativement à l’amour court qui est beaucoup plus romantique ou littéraire. ”

J’ai l’impression que L’un de nous, rejoint aussi un peu ce manque.

Le texte est plutôt existentialiste, voire même surréaliste parfois.

Est-ce un constat de l’incompréhension du couple ?

Oui, elle est très surréaliste et ce sont presque des images gagesques comme un cauchemar ou un rêve bizarre. Effectivement, ça pourrait être les mêmes personnages. Tu as raison de faire un lien sur ces deux chansons, je suis complètement d’accord avec toi. Mais celle-ci prend un angle comique. Le mec dit à l’autre personne : « je ne sais pas si c’est toi ou si c’est moi, mais il y en a un de nous deux qui dérape complètement. » La question se pose de savoir si ça n’est pas lui qui est givré, vu ce qu’il raconte. Ce morceau rebondit aussi sur une chanson de mon premier disque Les piranhas. C’est une chanson assez Persona n°1 // 49

angoissante. Le mec est enfermé chez lui avec tous ses démons.

Il s’adresse à sa compagne en lui disant que des piranhas sont en train de tout bouffer et il lui demande si ça n’est pas elle qui les a fait entrer. En fait, je me rends compte à l’instant que j’ai écrit la même chanson (rires).

devant le blablabla. « Allez viens, on va s’amuser, arrêtes de te prendre la tête… ». En même temps, sa prise de tête à lui est essentielle mais c’est aussi l’idée que la légèreté peut être tout aussi bien. Moi qui passe par tellement de questionnement, je fantasme sur cette légèreté. Dans les crédits de l’album, je dis qu’Emiliana élude allègrement la question Pourquoi on pleure.

Ma barbe pousse dit beaucoup de choses dures, amères, sur cet échec du couple.

Oui, je pense aussi. C’est vrai qu’elle est nourrie de souvenirs amers.

D’un passé ou bien d’autres histoires qui ne sont pas les miennes.

Les fins d’histoires d’amour sont tellement souvent violentes, méchantes… C’est quand même mieux d’y échapper. Je ne sais pas trop quoi dire si ce n’est que tu vois juste en parlant d’amertume. Je ne l’avais pas vu comme ça mais tu me fais ressentir quelque chose de particulier sur cette chanson. D’ailleurs, la façon dans le refrain dont le personnage à de dire « mais ça va » qui se transforme en « ça va aller », le prouve. Il fait le fier mais évidemment qu’il est amer quand il dit ça.

“ J’ai vraiment été en feu et en tourment intérieurement et en glace extérieurement, complètement dans l’incompréhension. ”

Dans A quoi, la consolation de la solitude avec une amie et la consommation physique inattendue sonne comme une soupape de secours et un retour à la vie, au sentiment d’être. On a rarement entendu une chanson sur ce sujet-là.

J’adore la manière dont tu interprètes mes chansons. Cette vision me plaît beaucoup. Effectivement, elle parle de tout ça et c’est presque moi qui ai envie de te faire parler (rires). Tu t’intéresses à des détails qui sont mis là pour contextualiser, mais qui en fait donnent un sens que tu soulèves comme étant plus fort que je ne l’imaginais, donc ça me fait plaisir. Cet instant-là de la chanson pose plein de questions. Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qu’on a fait ? Qui va dire le prochain mot ?

D’ailleurs il y a cette jolie question, délicatement posée : « Je la dis ou je la dis pas, la pensée qui brûle en moi ? ». Vaut-il mieux la dire ou pas ?

Puisqu’on est dans une œuvre, il ne vaut mieux pas la dire mais, si je pose la question, c’est qu’on brûle de savoir, qu’on brûle de le dire.

Et cette phrase : « Tu penses à quoi ? » est interdite. Tu n’as pas le droit de demander ça à l’autre et, en même temps, on a hyper envie de le savoir. On dépend de la propension que l’autre a à exprimer ses sentiments. Sinon, on ne sait pas, on imagine, on devine…

C’est comme ça qu’il y a de grands malentendus mais c’est aussi comme ça qu’il y a de la magie, bordel de merde ! (rires) Moi, je suis plutôt quelqu’un qui parle et qui a tendance à être analytique, je serais donc plutôt favorable à vouloir savoir mais c’est plus joli quand on ne sait pas. Il faut accepter ce doute. Cette incompréhension est importante en fait.

Dans Pourquoi on pleure on a un peu l’impression de passer à côté des choses essentielles, de se faire dépasser par les remous de la vie. Et pourtant à la fin du morceau, la voix d’Emiliana Torrini chantonne comme si de rien n’était, comme si tout ça n’était pas grave. Ou alors, autre angle : c’est une petite victoire pour elle.

Hahaha. Pour moi ce serait plus la première réponse. C’est un peu comme : « Tu penses à quoi ? - À rien ». C’est la nonchalance

50 // Persona n°1

L’un de nous.

(Tôt au tard / 2017).

L’album se termine sur un morceau axé sur l’adolescence. Joli texte sur leur créativité à fleur de peau et leur monde intérieur dont parfois rien ne peut les déloger. Te sens-tu parfois encore ainsi ? Fermé sur toi-même ?

Plus maintenant non. Mais cet ado, c’est vraiment moi. J’ai vraiment été en feu et en tourment intérieurement, et en glace extérieurement, complètement dans l’incompréhension. Les filles tombaient amoureuses de moi et je ne voyais rien. J’étais fou d’elles mais je n’osais pas en parler. Je vivais dramatiquement la chose alors qu’il suffisait d’ouvrir les portes, d’en parler. C’était une adolescence très violente, très agressive. Aujourd’hui je commence à voir ça avec un peu de distance et je trouve ça finalement assez touchant.

Pour reprendre ton mot, je continue à être amer avec l’adolescent que j’étais. Je commence à mieux comprendre et j’ai réussi à en parler avec tendresse. Et puis surtout à mettre une musique très douce pour évoquer ce romantisme intérieur.

La pochette réalisée par Sophie Calle est un choix étrange au premier abord. Que se cache t-il sous cette nature morte d’animaux empaillés ?

J’ai d’abord beaucoup cherché quel serait le meilleur titre pour ce disque. À partir du choix de L’un de nous on s’est retrouvé à jouer le texte et tout me semblait lourd. Puis je me suis souvenu de cette photo de Sophie Calle qui montre des animaux tous différents les uns des autres et qui se mettent en valeur chacun à leur manière. Ils sont harmonieusement installés mais c’est un peu le bordel quand même. Je trouvais donc que c’était une belle métaphore du titre. Cette photo existe dans le salon de Sophie Calle et elle a nommé ces animaux du nom de ses amis. Le petit ours au milieu c’est moi, mais ça, nul n’est censé le savoir. Je le dis parce que c’est drôle mais ça ne change rien de la perception qu’on a de la pochette.

Pour l’anecdote, j’ai reçu un email de Stephan Eicher, très ami aussi avec Sophie, qui me disait : « Dis donc, entre le zèbre et toi, c’est moi sur ta pochette de disque ». Je le sais depuis peu seulement. �

Isabelle dalle « Birth Of The Death - Happy Bird Day ! » 2012 // www.isabelledallestore.com

“ Je trouvais ça drôle de créer en 2010 une musique inspirée par les années 80 pour un film des années 60…”

invaders

projection d’âmes Entretien Frédéric Lemaître // Photo Paquito

Longtemps fantasmé par Nicolas Courret, ce projet de ciné-concert à aujourd’hui tissé sa toile. Au départ, seules ses démos erraient tels des fantômes. Il aura fallu l’écoute attentive de David Euverte pour enfin débloquer la machine et passer ensemble à l’action, et enfin pouvoir développer les rushs de cette bande-son rêvée. Moteur !

Certains projets restent à jamais au fond des tiroirs. Il eut été dommage de se priver de celui-ci. Il faut dire aussi que les musiciens sont plutôt bien occupés depuis plusieurs années : Nicolas Courret, batteur du groupe Eiffel et de Laetitia Sheriff, n’en finit pas de multiplier les collaborations artistiques, d’Olivier Mellano à la formation en 2015 du groupe Grain ou de nombreuses créations pour des compagnies théâtrales. David Euverte, lui, compositeur, arrangeur et ingénieur du son a également une grande activité avec Dominique A et une longue expérience de compositions de musique de films, entre autres.

Il était donc presque évident que ces deux-là se rencontrent pour donner une nouvelle vie musicale à ce chef d’œuvre du cinéma fantastique des années 60.

Redécouvrons donc le film de Herk Harvey Carnival Of Souls de façon inédite.

52 // Persona n°1

Nicolas, ce projet à longtemps germé dans ton cerveau, quel a été le déclencheur pour passer à l’acte ?

Il y en a eu plusieurs, mais le plus important a été l’arrivée de David (Euverte) dans cette histoire.

Lorsque je lui ai fait écouter mes maquettes en lui proposant de se joindre à moi, sa réaction enthousiaste - outre le fait de me rassurer - a posé le premier vrai jalon de cette aventure. Sinon, ces morceaux auraient pu s’entasser dans mon ordinateur et une légère tendance à la procrastination aurait fait en sorte qu’ils y restent… Je parle bien ici du ciné-concert, c’était le propos de départ.

L’idée de faire un disque est venue bien après et nous ne l’aurions sûrement pas fait sans l’envie et l’implication de Thomas Poli (réalisateur) et de Daniel Pabœuf (producteur exécutif ). Et je pourrais aussi parler du Festival Travelling qui nous a soutenu dès le début de la création, de Cap Nort, de l’Antipode, du Festival du Film de la Rochelle, des Tontons Tourneurs… Tous ces gens ont été sinon déclencheurs du moins accélérateurs et « consolidateurs » de ce projet.

Leur présence a été essentielle !

Vous réactualisez le son de ce film de 1962 tout en préservant un côté vintage. Votre son de clavier sonne délibérément comme à la fin des années 70. Par quelles idées êtesvous passés pour finalement pencher pour ce son-là ?

Cette direction musicale est venue tout naturellement, et tout de suite. Quand j’ai vu le film pour la première fois, j’ai été frappé par sa modernité : l’influence qu’il a eu sur des réalisateurs que j’adore (Lynch, Carpenter, Romero, etc.) est évidente (ils ne s’en cachent pas d’ailleurs) ! J’ai tout de suite eu envie que la musique puisse ramener ce petit chef d’œuvre plus près de nous, justement, à la fin des 70’s ou dans les années 80, époque à laquelle les enfants de ce film se sont comptés par dizaines !

De plus, j’ai grandi à cette période, j’en garde un goût prononcé pour le cinéma fantastique (et pour la musique de John Carpenter !). Et puis je trouvais ça drôle de créer en 2010 une musique inspirée par les années 80 pour un flm des années 60… (Là, on pourrait être clairement dans Retour vers le Futur !)

de la musique en pensant à certaines scènes, du moins au souvenir que j’en avais. Ce n’est qu’une fois ce travail bien avancé que j’ai ressorti mon DVD, j’ai alors recollé les musiques sur le film. Ce moment était assez magique : globalement ça marchait, l’essentiel du découpage était là ! Nous avons aussi rajouté d’autres morceaux que nous avons composé à deux de façon totalement différente, en improvisant directement devant le film.

Le fait que l’héroïne soit organiste a t-il orienté votre travail ?

Pas vraiment, si l’on enlève le fait que cette idée a beaucoup plu à David quand il a vu le film pour la première fois ! En tout cas, ça nous aura au moins permis d’écrire un morceau d’inspiration « orgue d’église baroque » (un pâle ersatz, évidemment !) pour les moments où elle en joue à l’écran. Mais ce qui est drôle c’est que nous utilisions l’orgue au départ (une sorte de réflexe !) et nous avons fini par réussir à l’enlever dans l’album (et par ricochet dans le ciné-concert aussi) pour le remplacer par un autre son qui n’a plus grand chose à voir. J’adore cette idée ! Sinon, la musique est bien sûr très axée sur les claviers, plutôt les synthétiseurs ( Juno 106, Sixtrack, Moog, Bass Station…).

Quels ont été pour vous les pièges à éviter ?

Avec ce genre de projet musical on peut aussi frôler le mauvais goût dans lequel vous n’êtes pas tombés, bien heureusement.

Si tu le dis, tant mieux, mais chacun peut avoir sa définition du mauvais goût. Certains trucs ne me dérangent pas trop personnellement : un bon vieux morceau de hard FM sur le générique de fin d’un film d’horreur, je peux m’en délecter je crois… (Le titre Carnival of Souls Main Title a été composé un peu dans cet esprit !) En tout cas, en terme de production je vois bien ce que tu dis : tout le mérite en revient à Thomas Poli, qui a fait un formidable travail de réalisation. Il a apporté énormément de relief à la matière que nous avions. Il a notamment questionné chaque son de synthétiseur afin d’aller tout le temps au plus juste, il a été très inventif sur la production de la batterie, et en plus il a joué de la guitare et du synthé modulaire…

Le film est visuellement superbe, comment allez-vous travailler le live au niveau des images ?

Eh bien pour le live, il s’agit vraiment d’un ciné-concert : les spectateurs assistent à une projection du film Carnival of Souls et nous jouons « notre » bande son en direct. Le film est diffusé dans son intégralité. Cet exercice demande beaucoup de concentration : nous sommes au service du film, nous jouons les yeux rivés à l’écran la plupart du temps, pour essayer de vraiment « coller » aux images, changements de plans, etc. C’est assez difficile, mais très excitant !

Quelles sont les pistes visuelles justement sur lesquelles vous vous êtes appuyé pour composer les 13 titres ? Comment avezvous pensé le découpage ?

J’ai commencé par voir et revoir ce film un bon nombre de fois, après quoi j’ai rangé le DVD sur mon étagère. J’ai ensuite commencé à écrire

Avez-vous été tentés de reprendre un thème musical déjà existant, comme ceux joués à l’orgue de façons inquiétantes, par la présence des morts-vivants ?

Non, pas du tout, la musique de Gene Moore est très belle, très envoûtante mais notre propos est radicalement différent. Il s’agissait vraiment d’effacer l’ardoise et de tout reprendre à zéro, en offrant quelque chose de beaucoup plus énergique, dynamique, et en cherchant à vraiment coller à l’image. Pour la petite histoire, j’ai récemment lu l’autobiographie de Candace Hilligoss (la comédienne principale), dans laquelle elle dit que le réalisateur, n’ayant presque plus d’argent pour la musique de son film, a fait appel à un organiste local, lui a demandé d’improviser (sans quasiment voir d’images) et a ensuite remonté tout ça sur son film, un peu « à l’arrache » du coup… Le résultat est vraiment beau et nébuleux, mais nous nous sommes placés autre part.

Les mélodies sont très importantes dans votre travail, du coup on imagine aussi un autre film avec les quelques images du film que nous avons en mémoire.

C’est précisement le but ! La musique peut faire dire des tas de choses à des images, parfois même en contradiction. L’idée était de s’amuser avec ça : accentuer certaines émotions, faire ressortir telle problématique, donner de fausses pistes même ! Par exemple, un personnage plutôt antipathique - une sorte de con pathétique mais pas vraiment méchant peut devenir plus beaucoup plus flippant grâce à (ou à cause de) la musique ! Le rythme est très important dans l’ambiance générale d’une scène. En travaillant à l’image je me suis rendu compte que chaque scène possède une sorte de tempo propre : du coup, on peut essayer de jouer avec, ou alors le contrecarrer à dessein. Dans le morceau Hey Johnny, Who’s the Doll ?, nous avons gardé un dialogue du film et la batterie vient s’immiscer dedans, ça devient carrément un rap ou un slam !

“ La musique peut faire dire des tas de choses à des images, parfois en contradiction. ”

Carnival of Sounds (Il Monstro / L’autre distribution).

L’avenir d’Invaders c’est l’adaptation d’un autre film ou bien une création totalement indépendante ?

J’espère déjà que nous allons pouvoir faire vivre ce ciné-concert le plus possible, et dans tout type de lieu (le rêve étant de le jouer en « Drive-In » : le film avait été distribué dans ce circuit à sa sortie, ça ne lui a pas réussi, mais bon…), vendre quelques disques également (un peu compliqué d’espérer ça de nos jours, mais j’aimerais au moins que ceux qui ont mis quelques sous là-dedans puissent les récupérer !)

Pour la suite, je ne sais pas vraiment, bien que j’ai déjà une petite idée en tête : je commence à réfléchir à un BD-concert autour du travail d’un auteur que j’adore : Jim Woodring. Ce qui est clair en tout cas, c’est que la relation musique/image me fascine, David est également très sensible à ça, je crois qu’on continuera ce travail-là, d’une façon ou d’une autre. � Persona n°1 // 53

Rebecca Bournigault

An object in your eyes ENTRETIEN Frédéric Lemaître

« Le travail vidéo de Rebecca Bournigault, qui, depuis ses débuts, ne cesse d’approfondir le rapport à la fois captif et créateur de la solitude humaine au temps, ne consiste pas en captations, mais en expressions vives.

La caméra de l’artiste ne se contente pas d’enregistrer, et par là de figer la vie des sujets ; sa caméra et les images qu’elle produit sont un dispositif qui provoque la vie, la fait s’épanouir, s’étaler là maintenant, débusquée jusque dans sa pulsation la plus élémentaire, fragile et fondamentale. » Mériam Korichi

Tu présentes actuellement d’anciennes vidéos à la MEP. Quel regard portes-tu sur ce travail et quel effet te donne t’il à revoir tous ces visages ?

Cela me conforte dans l’idée que mon travail à une continuité il y a une logique même si l’on peut dissocier des périodes qui semblent très différentes. Tout est axé autour du rapport à l’autre, du rapport à son propre corps et au corps des autres. Mon travail devient peut être plus politique au sens large du terme. Revoir mes premières séries de portraits m’a aussi donné l’envie d’en refaire, d’aborder de nouveaux thèmes qui évoluent avec mon expérience et mon regard sur la vie. Je viens d’ailleurs de réaliser une installation vidéo en collaboration avec l’École des Beaux-Arts de Marseille dans laquelle je demande à des étudiants s’ils ont déjà eu la sensation de perdre le contrôle.

D’après toi, comment l’érotisme a t-il évolué dans l’art depuis les premiers nus en peintures ?

Je pense que chaque époque et chaque société à ses tabous et encore une fois le rapport au corps diverge tellement selon les cultures qu’il est compliqué de considérer l’érotisme en général. Il faudrait définir l’érotisme or c’est très subjectif. L’art est souvent le lieu qui permet de contourner certaines règles et de dévoiler des fantasmes avec subtilité.

54 // Persona n°1

Water painting 2014, video installation non sonore.

En parallèle à ton travail vidéo tu continues tes aquarelles (exposées à Marseille actuellement) tu as donc, entre autres, une grande série érotique aujourd’hui.

Beaucoup plus immédiates à réaliser, est-ce une soupape pour toi ? Un retour à la source créative entre l’artiste et son pinceau ?

Oui, l’aquarelle est une pratique dont j’ai besoin. Cela me donne un rapport direct et un regard instantané sur mon travail. C’est une satisfaction de pouvoir produire rapidement sans trop de contraintes. Mes autres pratiques (vidéo, huiles, installations…) impliquent des processus beaucoup plus longs et parfois frustrants. J’ai besoin d’énergies différentes qui au final se complètent.

J’ai une série sur la pornographie que je ne considère pas comme érotique même si elles peuvent avoir une portée érotique.

La plupart de ces peintures sont assez violentes si on les considèrent en détail. La série complète s’intitule « Le corps comme objet du XXIe siècle ». J’ai balayée toute la pornographie que l’on trouve facilement sur internet pour réaliser ces peintures. C’est plus un regard critique sur cette production très normée ou les sujets sont totalement « objectisés ». Je les ai volontairement traitées en aquarelle pour les rendre aussi attrayantes que pernicieuses. �

“ L’art est souvent le lieu qui permet de contourner certaines règles et de dévoiler des fantasmes avec subtilité. ” Dreams Never End du 8 février au 9 avril. Maison Européenne de la photographie. Paris.

Installation vidéo du 23 mars au 13 mai. Hall du Théâtre National de La Criée. Marseille.

Rebecca Bournigault « Bodies » 2011. Aquarelle sur papier. 21 x 29,7 cm // rebeccabournigault.org

Persona n°1 // 55

“ Le chanteur est un acteur ou un peintre de séries.

Une espèce de Peter Falk qui ne jouerait que son rôle et qui évoluerait comme une éponge au gré des évévements qu’il vit. ” MARC A. HUYGHENS

lE PARADOXE de L’OISIVETÉ ENTRETIEN & Photo CATHERINE VIALE

Il faut avoir connu et rejeté le succès, les majors, les tournées, la promotion, la logique de production… pour atteindre un tel degré de clairvoyance sur sa relation personnelle à la musique.

Marc Huyghens a tué Venus pour créer Joy, tout est peut être dit là… ou pas ?

Q

uand j’ai commencé à faire de la musique, j’aurais été bien incapable d’expliquer pourquoi. Car on peut difficilement expliquer une révélation. Un mot un peu pompeux sans doute, mais qui exprime le mieux ce sentiment incontrôlable qui mêle une joie et une excitation intenses, une candeur infinie et une grande détermination. Cette sensation, je m’en souviens d’autant mieux que je ne l’ai ressentie qu’une seule fois dans ma vie, et qu’elle est survenue tardivement, à 27 ans. Je jouais très mal de la guitare. Je ne connaissais absolument aucun musicien. En fait, je ne connaissais personne dans ce métier.

Avec les années de recul, j’ai compris qu’il s’agissait, comme pour bon nombre de personnes timides et introverties, d’attirer l’attention et l’amour des autres, dans un domaine que je pressentais – à l’époque très naïvement - pouvoir maîtriser.

En revanche, ce que je savais déjà pertinemment depuis l’adolescence, c’est que je voulais m’inventer une vie à moi, et si possible une vie extraordinaire. J’avais abordé le dessin, j’avais

56 // Persona n°1

Marc A. Huyghens est né en 1964 à Bruxelles. Musicien autodidacte, il a commencé à écrire et composer à l’âge de 27 ans et a connu le succès assez rapidement avec son premier projet pop SO en 1992. Mais c’est Venus créé en 1997 qui le fera connaitre du grand public européen, avide de lyrisme depuis l’avènement de Radiohead. En 2007, il met fin au groupe, mais ne reste pas inactif longtemps et se lance dans une nouvelle aventure plus intimiste sous le nom de Joy.

Texte inédit originellement écrit pour le livre « It’s Not only Rock’n’Roll » (Sexe, Drogues et Sagesse du Rock) de Catherine Viale et Matthias Moreau paru aux Editions Intervalles.

abordé la peinture, j’avais abordé les arts plastiques en général. Par la suite j’ai suivi des cours d’art dramatique. J’étais dépité par mon manque cruel de talent et ma fainéantise au travail mais je sais aujourd’hui que c’est cet espoir déçu qui m’a conduit à la musique : le chanteur est un acteur ou un peintre de séries. Une espèce de Peter Falk qui ne jouerait que son propre rôle et qui évoluerait comme une éponge au gré des événements qu’il vit.

La seule chose qui ait changé, depuis que j’ai commencé, c’est que je ne souhaite plus attirer l’attention sur moi. Je ne souhaite plus attirer l’attention que sur la musique et les sensations qu’elle provoque.

Récemment, j’ai entendu dire Bouli Lanners, alors qu’il recevait un prix pour son travail de réalisateur, que cette récompense lui permettrait de ne plus penser qu’il volait le travail d’un autre. C’est une phrase formidable pour tous ceux qui décident de construire une maison sans diplôme d’architecture.

La musique n’a jamais été un métier pour moi. J’aime l’oisiveté. J’ai énormément travaillé, mais j’ai passé beaucoup de temps à ne rien faire. Je ne sais pas lire une partition, je ne suis pas un virtuose. C’est parfois très inconfortable, mais aussi parfois un formidable sentiment de liberté.

J’ai toujours évité la routine. Même lorsqu’elle me permettait de payer tranquillement mon loyer. Car elle devient alors du cynisme. Et la musique n’a pas le droit d’être cynique. La starification, son petit pouvoir et sa petite musique engendrent une telle vacuité, qu’il me serait impossible de continuer dans ce métier dans le seul but de gagner de l’argent.

J’ai vécu plusieurs années avec une bouddhiste. J’ai bien sûr adoré l’idée que nous ne sommes qu’un partie infime de l’univers, en interaction avec celui-ci ; un concentré d’anti-égocentrisme. Mais j’ai détesté dans le bouddhisme ce que j’avais déjà ressenti dans les religions : le besoin absolu de convaincre.

En fin de compte, je considère la musique comme quelque chose de sacré. Une religion sans dogme. Un lien continu entre le quotidien et le divin. Un accès perpétuel, simple et lent à la beauté. �

Nicolas Comment

éloge du hasard

ENTRETIEN & Photo Frédéric Lemaître

À la fois photographe et musicien, auteur et flâneur, Nicolas Comment promène son spleen dans une douceur rarement éprouvée. L’homme est loin d’une hype qui ne voit qu’en surface.

Son objectif à lui, unique et orné de sincérité capte une profondeur de l’instant dans un ressenti universel où le CISELÉ DE SON TALENT fait écho aux poètes de tout temps.

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » écrivait Paul Eluard. Et pourtant, le hasard, Nicolas Comment en a fait son credo. Et c’est encore le hasard qui nous a fait pénétrer au sein du club des Hashischins, ensemble, un jour de juin. Là où tant de poètes, dans de volutes habitées ont noyé leurs âmes perdues. Voici donc l’homme qui sublime la femme, sa femme : Milo McMullen, et qui nous offre aujourd’hui ses toutes premières séries photographiques à la Galerie Polka. � Persona n°1 // 57

À quand remonte la première fois où tu as présenté un travail en tant qu’artiste ?

Assez tôt dans la mesure où j’ai fait les Beaux-Arts. Je faisais alors beaucoup de vidéos, donc ce sont ces essais-là que j’ai montré en tout premier, autour de 1998-99… Il y a presque 20 ans !

Encore aujourd’hui, la manière de construire mes livres est la même. C’est l’entre-images qui me fascine, ce qui va se passer entre deux photos : c’est-à-dire dans le mental de celui qui regarde.

Ton premier petit livre A propos de Jeanne est tiré de ces années-là ?

Exactement. C’est assez extraordinaire que tu t’en souviennes !

C’était un petit collector autour de Jeanne d’Arc. Ça questionnait la figure, le visage… L’histoire du cinéma en fait (Dreyer, Bresson).

Instinctivement j’étais attiré par l’arrêt sur image, je cherchais à créer des images en mouvement à partir de l’image fixe, grâce au grain qui bougeait à l’intérieur de l’image ralentie. Ce genre d’expérimentation m’a rapidement amené à la photographie. Quand j’ai découvert le livre-photo je me suis dit que c’était ce que je voulais faire. Non pas des films, mais des photobooks qui étaient en fait pour moi comme des courts-métrages de poche.

Puis 2008 voit l’arrivée, non seulement d’un livre, mais celle d’un CD qui l’accompagne.

Oui, je crois que j’ai toujours écrit des chansons. J’écrivais et j’enregistrais sur un magnéto K7 une piste ! Je n’ai jamais envoyé de maquette à qui que ce soit, c’était juste pour mes

Raymond Depardon (1995). Photo inédite, jamais publiée.

© Nicola s comment

Quel a donc été ton premier matériel photographique ?

J’avais acheté un Pentax d’occasion avec deux objectifs livrés avec : un 50 mm et un 28 mm. Mais j’ai très rapidement résolu ces questions d’ordre techniques. Un jour Raymond Depardon est venu à Lyon, ville où j’étais étudiant, et j’ai proposé à l’université qui le recevait de faire un reportage sur lui. J’ai donc passé une journée avec lui. Dans le taxi, assis à ses côtés, je me suis retrouvé avec mes deux objectifs sans savoir lequel utiliser. Dans le stress, j’ai raté plusieurs images mais il a été charmant et m’a ensuite invité à déjeuner. Et là, j’ai fait un portrait de lui, au 50 mm (que je n’ai jamais d’ailleurs jamais osé lui montrer). Et quelques mois après, je suis allé rendre visite à Bernard Plossu à La Ciotat qui m’a expliqué que pour lui il n’y avait qu’un seul objectif : le 50 mm ! Il m’a dit : « À partir de là tu ne te poses plus de question, seul ton regard compte ! » Depuis, je fais toujours mes photos avec ce même objectif. Les premiers livres de Depardon m’avaient marqué, mais c’est Bernard Plossu qui est en fait devenu la figure tutélaire. Ensuite, grâce à Patrick Le Bescont, des éditions Filigranes, j’ai commencé à sortir des livres dans lesquels on retrouve des réminiscences de mes premiers montages vidéos, lorsque je passais des nuits blanches à raccorder les images !

“ C’est l’entre-images qui me fascine, ce qui va se passer entre deux photos : c’est-à-dire dans le mental de celui qui regarde. ”

58 // Persona n°1

amis dont certains possèdent d’ailleurs encore certaines de ces K7. Pour moi, la chanson est quelque chose d’intime : je préfère les disques aux concerts. Mais suite à une rencontre avec Rodolphe Burger, un jour j’ai osé lui faire entendre ces fameuses K7, tremblant, tout rouge… Et Rodolphe très sympa m’a prêté son studio. J’ai donc fait une première démo dans sa ferme en Alsace. Je revenais de Berlin et j’avais une salve de chansons que j’ai donc enregistrées un peu à l’emporte pièce. Mais c’est Jean-Louis Pierot des Valentins, qui a flashé le premier sur mes chansons et m’a proposé généreusement de produire mes morceaux. Ca m’a mis le pied à l’étrier : un premier six titres est sorti avec un livre-photos sur Berlin. L’objet se nomme Est-ce l’Est ? (Berliner Romanze).

Ensuite, Marc Collin qui avait entendu ces morceaux, à osé prendre le risque de produire mon premier album Nous étions Dieu en 2010.

Dans le livre-disque tu expliques que ton envie de refaire de la musique t’es revenue lorsque tu t’es retrouvé bloqué à Berlin avec les ombres de Bowie, Brian Eno et Iggy Pop. Oui, Berlin c’était un peu le mur du son ! Et la ville résonnait pour moi aussi en partie à cause de l’album de Lou Reed Berlin (qui n’avait pourtant jamais mit les pieds dans cette ville lorsqu’il a écrit son chef d’œuvre).

En fait, quelques temps après l’enregistrement de mon premier essai discographique, je suis retourné à Berlin avec Jean-Marc Burger – le frère de Rodolphe – et un soir nous sommes allés au studio Hansa pour visiter la salle de bal où Bowie avait enregistré Heroes.

me le présente à la galerie VU. Le « Monsieur » à qui la chanson s’adresse, c’est lui. Je cite d’ailleurs des fragments de certains de ses textes dans la chanson. Ça a été une rencontre forte avec lui, au départ photographique, puisque nous avons exposé ensembles en 2012 chez VU. Depuis, nous sommes restés proches.

Je lui ai fait écouter au casque mon dernier album Rose Planète, et -miracle ! – il a aimé… Je crois qu’il a assisté à chacun de mes (rares) concerts parisiens. Il a aussi écrit la préface de mon livre de photos T(ange)r. C’est un portrait qu’il fait de moi, très touchant. J’ai beaucoup de respect pour lui car dans le show-biz il est celui qui garde le secret, celui qui oppose l’écriture et l’introversion au spectacle et à l’exhibitionnisme. C’est ce qui le rend unique et essentiel à mes yeux.

Par chance, il y avait une fête ce soir-là et on nous a laissé entrer. C’était une sorte de boum offerte par un comité d’entreprise. Je suis allé voir le DJ pour lui demander de jouer Heroes, mais il n’avait que Hashes to hashes en stock !

C’est un beau souvenir en tout cas.

Quelle est l’implication réelle de Rodolphe Burger ?

Il intervient à la guitare sur deux titres, mais je n’oserais pas dire que nous sommes dans une filiation. J’ai trop de respect pour son art. C’est un musicien avant tout, un grand guitariste, un bluesman. Et personnellement, je me sens beaucoup plus « auteur » ou parolier que musicien. À l’inverse, lui n’écrit pas mais il collabore avec des écrivains, des poètes comme Olivier Cadiot ou Pierre Alféri… Rodolphe est quelqu’un qui a un rapport très exigeant avec les textes. Il chante du Goethe dans son dernier album ! Mais son placement de voix a eu une vraie influence sur moi.

Très longtemps dans tes expos tu étais associé à Anne-Lise Broyer qui fait un travail photographique en noir et blanc alors que le tien est presque exclusivement en couleur.

C’était aussi ta compagne.

Complètement oui. Nous nous sommes un peu partagé le travail. Nous avons fait énormément de choses ensemble. L’idée du couple a compté pour nous. On s’est d’ailleurs séparé après un projet en Italie, sur le thème du couple au cinéma (de Voyage en Italie de Rosselini en passant par Le Mépris de Godard.)

Nous n’avons jamais terminé ce projet. Pour moi l’idée du couple est toujours importante.

Mes compagnes ont toujours été mes muses.

Peut-être que le fait qu’Anne-Lise soit beaucoup plus artiste que « muse » fait aussi que nos routes ont dévié, même si on s’est retrouvé récemment sur le projet Being Beauteous.

La chanson Nous étions Dieu parle-t-elle de votre rupture ?

C’est une chanson écrite avant la rupture. À la base j’étais parti de la fresque de Masaccio : Adam et Eve chassés du paradis terrestre. Je voulais faire une chanson de rupture… définitive ! Avec une sorte de parti-pris formel minimaliste, d’une grande froideur. C’était une manière de rappeler que – selon la légende – Dieu a séparé l’homme et la femme car le couple lui faisait de l’ombre.

Les textes de cet album semblent plus écrits.

Comme d’une forêt la hache par exemple.

Cette chanson est un hommage caché à Gérard Manset. Pour moi, il restait un artiste inaccessible avant que Gilou Le Gruiec ne

En 2012, un livre et une expo Mexico city waltz sont inspirés d’écrivains tels que Jack Kerouac, Malcom Lowry, Antonin Artaud. Tu aimes les traces et retrouver un peu de leur allant poétique.

Cette histoire de références est surtout liée au fait que c’était une résidence et que je devais donc monter un dossier. J’insiste là dessus car on me dit souvent que mon travail est référencé. Je construis mon projet avec des références, mais au final j’efface les traces. Cela dit, c’est aussi à cause de la Beat Generation que je me retrouve à photographier Tanger ensuite… En voyage, plutôt que de suivre un guide, je préfère lire des livres.

Je note les adresses, j’étudie.

J’ai une âme de chercheur. Je suis donc allé voir tous les lieux évoqués dans leurs bouquins.

En me déplaçant, j’apprends des choses sur les textes que je lis. C’est un luxe que Google maps ne pourra jamais nous offrir je pense. Quand tu vas à Tanger tu comprends mieux Le Festin Nu. J’ai foi dans le lieu. « Rien n’aura eu lieu que le lieu » comme disait Mallarmé. Ça me permet d’entrer en connexion, sans être dans le mysticisme. Je crois que c’est plus important de se déplacer physiquement que de lire un texte critique, abstrait.

C’est pour ça que j’aime la photo aussi. Elle nous pousse à sortir dans la rue. C’est le corps qui est en jeu. Actuellement je m’intéresse à Germain Nouveau, un ami de Rimbaud peu connu.

J’adapte ses textes pour un disque.

“ Je crois que c’est plus important de se déplacer physiquement que de lire un texte critique abstrait.

C’est pour ça que j’aime la photo aussi.

Elle nous pousse à sortir dans la rue.

C’est le corps qui est en jeu. ”

Reverb Exposition à la Polka Galerie jusqu’au 6 mai 2017.

12, rue Saint-Gilles (Cour de Venise) 75003 Paris.

Aujourd’hui te sens-tu plus musicien que photographe ou simplement poète ? Sans vouloir paraître prétentieux.

Ce sont les autres qui disent « poète », pas moi. Poète c’est quand même pas évident à assumer : soit ça paraît présomptueux, soit ça paraît un peu ringard. Cela dit, j’ai quand même l’impression que ma position en photo et en chanson est clairement de l’ordre du poétique. Je ne fais pas des photos utiles. Je ne fais pas de reportages ni de portraits. Je fais des photos pour moi, comme un écrivain prend des notes. Et quand je les recompose entre elles c’est de l’ordre du poème, ce sont des rimes visuelles Persona n°1 // 59

© Juan Cle m e nte

Reed dont j’adore surtout les ballades. C’est un peu comme le SM. Quand j’ai sorti Nous étions Dieu j’ai reçu des emails de filles soumises qui pensaient que j’étais un master, puis ensuite des copines ont essayé de m’embarquer dans des soirées. Et j’ai toujours résisté à ça. J’ai l’impression que c’est une époque où il faut un minimum de dignité pour rester un peu clair dans sa tête. L’enjeu de Rose Planète était pour moi de faire un album de chansons françaises, pas un disque de rock.

“ Je ne pense pas qu’il faille se taillader les veines pour être un artiste ou un poète digne de ce nom. ”

donc aussi des chansons. J’aime l’idée de faire les deux. Ce qui me dérange dans la chanson, c’est le culte de la personnalité, le côté christique du chanteur de rock.

Je m’en méfie à tous points de vue. Je suis contre l’idée d’avoir un chef, même en art. Je ne suis pas celui qui va aller se prosterner devant Jim Morrison ou même Nick Cave, que j’adore. Je me mets à distance de la chanson grâce à ma pratique de la photographie mais je joue quand même un peu le jeu si je veux que des producteurs claquent un petit peu d’argent et me permettent de dire des mots à l’oreille des filles. Je suis obligé de poser pour les pochettes, de faire des clips.

Photo ci-dessus : Nicolas et Milo, Maison de la Poésie en 2015.

En 2015 un nouveau disque sort, Rose Planète, où nous découvrons ta nouvelle muse : Milo. Tu la photographies et elle est sur scène aussi avec toi en tant que musicienne. Elle est même devenue ta femme. Est-elle ton moteur idéal ?

C’est elle qui m’a mis le pied à l’étrier pour le live et m’a poussé à monter sur scène. Je ne voulais pas faire de concert au départ.

L’amour est donc moteur ! Sans elle je n’aurais jamais osé. C’est aussi pourquoi dans mon dernier album j’essaie de défendre une vision de l’amour et du couple, la dernière des utopies.

Ce disque sexy est d’un érotisme assez doux, mais à la connaissance de tes goûts littéraires ou musicaux, on s’attendait à quelque chose de plus subversif.

Disons que je me méfie des destins sacrifiés. Je trouve ça un peu triste, un peu con. L’expressionnisme n’est pas une forme qui me bouleverse non plus. Moi, ce qui me plait c’est la nuance. Finalement, aujourd’hui pour moi le subversif est plus dans la douceur comme tu dis. C’est quelque chose que j’ose affronter. Pour moi, le sentimental est beaucoup plus délicat à aborder que quelque chose qui serait de l’ordre de la radicalité. J’ai aussi une défiance par rapport à la vieille idée d’avant-garde… Je ne pense pas qu’il faille se taillader les veines pour être un artiste ou un poète digne de ce nom. J’aime les petits maîtres, les artistes discrets, la seule véritable marge… Mais c’est vrai que par rapport à certaines références, je suis très loin de la violence d’un Burroughs ou même d’un Lou

60 // Persona n°1

Rose Planète (Kwaidan Records // 2015).

Milo Songbook (Chicmédias éditions. Collections desseins // 2016).

En ayant croisé plusieurs photographes, de qui aurais-tu aimé être l’assistant ?

De personne, car l’idée qu’un photographe ait un assistant est pour moi rédhibitoire. Pour moi, la photographie ce n’est pas Karl Lagerfeld à qui cinq assistants tendent un polaroïd, puis un 5D, puis un Leica à 20 000 euros gravé à ses initiales… Ce qui me plaît c’est le photographe seul qui tient son carnet de notes visuel et qui est dans une forme de solitude, qui n’est pas là pour faire une image spectaculaire ou vendeuse, mais simplement pour exprimer – comme un écrivain – son rapport au monde.

Ce peut-être des miettes sur une table, la pluie battante sur une route mexicaine. C’est pourquoi l’idée du « modèle » m’est très étrangère.

Il faut quand même une vérité, une sincérité.

Le parlé vrai, en photographie, c’est important.

Quitte à devenir une fiction soi-même.

Fin 2016, un livre de photos et de textes est sorti : Milo Songbook. Parle-nous de ce livre hybride qui regroupe tes chansons face aux images que tu as réalisées avec Milo.

Tu sais, je m’en remets beaucoup au hasard. Le hasard est une des plus belles choses pour moi en art. Suite à mon livre sur Tanger, une commissaire d’expo m’a commandé une série sur Milo que nous avons exposé l’été dernier. Puis Bruno Chibane (magazines Limelight, Novo, Zut) a lancé l’idée de faire un livre réunissant tous mes nus. J’ai dit non car je voulais prendre le temps de le faire plus tard, et de replonger dans mes archives ultérieurement. C’est ainsi que je lui ai envoyé cent photos de Milo.

Comme il voulait aussi des textes j’ai commencé à écrire des notes, mais c’était un peu impudique, anecdotique. J’avais aussi l’idée de réunir mes textes de chansons. Comme c’est une collection à caractère érotique et que mes textes sont tous marqués du sceau d’Eros, nous les avons donc intégrés. C’est un peu artificiel, mais ça évite que les images soient seulement illustratives et/ou que les textes deviennent des commentaires des images. C’est donc l’aléatoire qui a décidé des rapports entre textes et images. Et j’accorde une grande vertu à l’aléatoire dans ma vie. �

Nicolas comment // Photo extraite de « Milo Songbook ».

Jean-kristau « À l’Ombre des Jeunes Filles en Fleurs » 2014 // jean-kristau.tumblr.com

Bertrand mandico

Histoires de l’œil

ENTRETIEN & Photo Frédéric Lemaître

La créativité fantastique de Bertrand Mandico est ce qui pouvait arriver de mieux au cinéma indépendant français. Son univers poétique s’engouffre vers des contrées étranges où l’érotisme prend une place particulièrement importante. Mais cet érotisme, et c’est là ce qui fait sa différence, explore des troubles sans âge tant son cinéma, exclusivement couché sur pellicule sensible, est intemporel.

Sa pratique artisanale du truquage, des surimpressions, du collage et du dessin en font également un frère des surréalistes. On pourrait même penser que le dérangement provoqué par Eraserhead, le premier long métrage de David Lynch, aurait pu l’enfanter. L’appartement de Bertrand Mandico qui me reçoit chez lui est à l’image de son cinéma : fantasmagorique. Ici des objets hétéroclites happent le regard. Ici trônent des masques de rituels.

En un instant on est déjà au cinéma ; dans son cinéma, comme perdu au sein de la forêt vierge sibérienne d’où il a failli ne pas revenir. Mais ça c’est une autre histoire…

Boro in the Box est un hommage au cinéaste Walerian Borowczyk mort en 2006 et que vous avez failli rencontrer.

Oui, j’ai tardé à le rencontrer. Son travail m’avait happé quand j’étais étudiant en cinéma d’animation. Je voyais son parcours comme un exemple à suivre. Il a commencé par animer du pa-

pier découpé, des photos, des objets… Pour aller vers la prise de vue réelle, mais il n’a jamais cessé de faire des films courts, il a créé une œuvre cinématographique cohérente, vouée à sa perception singulière du monde…

Borowczyk c’est une île isolée dans le monde du cinéma. Son parcours et ses partis pris, correspondaient exactement à mon fantasme de cinéaste. Ses flirts avec le surréalisme, son rapport à la musique, à l’érotisme m’ont touché, c’était un Control Freak absolu. Tout comme David Lynch… Ils ont pas mal de points en commun, je les aime autant.

J’ai ensuite essayé de voir tous ses films, ce qui n’était pas une mince affaire dans le milieu des années 90. Il était oublié, j’ai glané des VHS anglaises et japonaises… Puis quand j’ai réalisé mon premier court métrage on m’a proposé une carte blanche dans un cinéma et j’ai présenté un de ses films courts Renaissance. Borowczyk a passé une copie, mais avant il voulait visionner la VHS de mon film Le cavalier bleu.

Il a vu et a manifestement aimé, il a proposé que l’on se rencontre. J’étais très impressionné, mais quitte à le voir je voulais attendre d’avoir fait plus de films pour lui en mettre plein la vue… J’ai donc botté en touche, bêtement. J’ai longtemps imaginé ce rendez-vous, dans une grande maison comme celle dans La bête, lui semblable à Marcel Dalio… J’ai tellement tardé qu’au final il est mort. Et j’ai finalement décidé de le rencontrer, après sa mort.

L’idée du film était-elle déjà là avant sa disparition ?

Non, pas du tout. Sa mort fut un événement peu relayé, il était démodé… J’ai eu l’opportunité de faire quelque chose pour lui, du côté de Varsovie. Je me suis retrouvé à co-piloter une rétrospective de ses films là-bas avec Pascal Vimenet mon ancien prof de cinéma aux Gobelins. Nous avons donc organisé une rétrospective totale de ses films et une grande exposition de ses œuvres / recherches… Mais je me disais qu’en tant que cinéaste, je devais boucler la boucle en imaginant un film. Un film où je parlerai de lui, un prétexte pour parler de moi et de mes obsessions. Je voulais lui rendre un hommage, en faire un personnage de fiction dans une campagne polonaise fantasmée…

On assiste à des moments ironiques comme le viol de sa mère qui contraste avec le souvenir qu’on a laissé entendre à l’enfant : « le coup de foudre fut immédiat » dit la voix off.

Dans le film c’est le personnage fictionnel de Borowczyk qui témoigne. Il embellit la réalité ou nous raconte peut-être ce que sa mère lui racontait… Le récit contredit ou est contrarié par des images déroutantes, c’est un principe qui Persona n°1 // 63

m’est cher. L’association d’une voix off et d’une image incongrue, ça crée une distorsion surréelle. Cette histoire de viol qui n’en est pas un, met en avant la bestialité, la pulsion sexuelle et une certaine délicatesse (boueuse)… Des éléments que l’on retrouve dans son travail, tout comme l’infanticide qui est une figure récurrente du cinéma de Borowczyk… C’est pour ça que j’ai eu l’idée de représenter le personnage principal comme un enfant mort-né, tué par sa mère, grandissant dans sa boite. L’histoire d’un cercueil rempli d’une pulsion de vie.

nu et provoquer l’érotisme ? J’essaie d’étudier cette question en travaillant sur l’idée du surgissement, un nu apparaissant à un moment incongru, fugace et entêtant. Je n’inscris jamais le nu dans un quotidien (le quotidien est un tue l’amour). Ça doit jaillir sans prévenir comme un diable d’une boîte. J’ai en réalité une approche timide et pudique du nu, je contourne et je juxtapose des éléments étrangers à la chair, avec le désir de provoquer un trouble, pas seulement une image pour remplir l’écran. Une image pour embrasser la pupille.

Le trou dans la boite fait aussi figure d’œil, comme celui d’une caméra.

Les boites ou les coffrets sont très présents chez Borowczk, les plans dans ses films sont enfermés : décors clos, sans perspectives ni ciels, femmes retenues dans un château, sur une île, dans une chambre close ou une armoire… Mais pour qu’il y ait de la lumière, de la vie, du plaisir, de l’espoir, il faut un orifice.

Le trou ouvre l’imaginaire et le désir. Le symbole de la caméra n’était pas l’image recherchée. Pour moi la caméra est un élément vivant, mouvant et organique. Une machine palpitante et suante.

La pellicule lèche la lentille, les ailes de papillons frémissent dans l’obturateur et les images sont avalées par la machine.

“ Pour moi la caméra est un élément vivant, mouvant et organique. ”

Ce qu’on voit par son regard est instantanément cinématographique. Et puis il y a souvent ce parallèle entre l’oiseau et la femme.

Oui, il y a des métaphores, je n’y échappe pas, c’est plus fort que moi. Cette boîte fait aussi penser à un abri à oiseau… Un abri à mensonge, puisqu’il est dit qu’on observe des oiseaux alors qu’on lorgne des filles au bain. Le mensonge et la métaphore, c’est peut-être une forme de pudeur.

La nudité est chez vous filmée de façon détournée, et jamais vulgairement montrée.

Il n’y a plus rien de révolutionnaire à filmer quelqu’un de nu, c’est même une figure imposée. Mais comment filmer autrement le

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Boro in the Box (2011).

Dans Vie et mort d’Henri Darger, encore une fois ici le sexe est détourné. La voyante à un vagin en forme d’ailes de mouette. On en revient encore à la femme-oiseau.

Oui, oui, oui. Je ne peux pas vraiment analyser cette image. En tout cas je n’avais pas envie de montrer un sexe féminin s’ouvrant de façon frontale. Je travaille sur l’idée du collage, du remplacement. Comme par exemple je substitue le sexe masculin par une langue de bœuf.

La langue de bœuf est curieusement plus dérangeante qu’un sexe en érection (du moins c’est ce qui m’a été dit). Ce travail de bouture m’amuse beaucoup. « Je devins le spécialiste de films de plumes. » dit Boro. La caméra organique à la fin du film est alors montrée comme un sexe masculin, pour le coup très sexuel, presque à la Cronenberg dans Le Festin Nu. La matière prend alors encore plus de sens.

Cette caméra revient aussi dans Prehistoric Cabaret et je pense que c’est une figure que je retrouverais encore dans d’autres films, je la décline à l’infini. Cronenberg a réalisé des films viraux qui contaminent nos mémoires pour toujours… Il travaille sur le corps et sa capacité à l’absorption, mutation… Pour ma part, je vois les caméras comme des excroissances organiques, je les imagine comme des boutures ; nées de la fusion des larmes, des cils et des paupières. C’est un nouvel organe sexuel lié à l’œil.

Dans Boro la caméra est infectée, l’excroissance oculaire est contaminée par des maladies vénérienne, à force de tremper son objectif dans n’importe quel film… J’ai imaginé la dérive d’un réalisateur contraint de filmer des choses de plus en plus cheap, pathétiques…

Ce rapport à l’organique, vient de mon goût pour les textures mal aimées et cinégéniques.

Souvent on utilise dans les films d’horreur des matières sublimement belles. Ces matières sont condamnées à personnifier le mal, la métamorphose, le dégoût… Moi je les trouve envoûtantes, j’essaye de travailler sur leur ambiguïté érotique, je veux magnifier la matière organique.

Dans Notre Dame des hormones, il y a le même aspect d’objets organiques qui peuvent rappeler des organes sexuels.

Vous évoquez, cette chose, cet obscur objet du désir qui synthétise toutes les frustrations des actrices. C’est en réalité une caméra en germe… Si elles laissent la créature se développer, les deux actrices vont pouvoir s’épanouir à l’ombre de la caméra en fleur. Je n’en ai pas fini avec mes histoires de machines molles à filmer. Je continue à les cultiver dans quelques projets. J’ai d’ailleurs un moyen-métrage sur le feu où les machines se ramifient pour accompagner les désordres amoureux.

Pour en revenir à Boro in the Box, une scène semble survenir comme un hommage à Cocteau et sa façon d’aborder la mythologie grecque.

Vous pensez au Testament d’Orphée, et à la figure du cheval debout dans mon film…

J’aime beaucoup « Cocteau le cinéaste ». Sa façon d’inventer les trucages m’inspirent. J’aime ses récits maniérés, la façon qu’il a de sublimer (avec filtres) ses acteurs. Techniquement, Cocteau résonnait à rebours. La logique de sa pensée cinématographique est fascinante, chaque trucage devient un événement poétique. Je pense à lui lorsque je suis face à un problème technique un peu lourd, en me demandant ce qu’il aurait fait dans telle ou telle situation pour contourner les conventions filmiques. Cocteau a une grande descendance cinématographique : Kenneth Anger bien sûr,

Notre Dame des hormones (2014).

Terayama… En France, Demy et Truffaut revendiquaient son influence, mais c’est Carax qui me semble être son authentique enfant terrible. Il y a cette scène géniale dans Mauvais Sang où regardant la silhouette d’un homme aux cheveux blancs qui fume de dos, deux protagonistes dialoguent « - C’est pas Cocteau de dos ?

– Mais non il est mort voyons – Pas du tout, regarde il bouge encore… » Léos Carax est le cinéaste français le plus inspiré. Et curieusement, je trouve que Cérémonie d’amour le dernier film de Borowczyk, entretient une certaine parenté avec ses films.

La fin du film est-elle une allégorie de votre parcours de cinéaste ? « On me reprocha ma pornographie, mes obsessions, mon systématisme. On qualifia certains de mes films de vulgaires » dit Boro. Ça fait peut-être parti des craintes que je peux avoir en me projetant dans un avenir sombre.

Après avoir plu, si on y arrive, il faut se préparer à déplaire… Je dis ça pour alléger la chute. C’est ce qui est arrivé à Borowczyk, qui a connu son chant du cygne.

Avec La Bête certains ont pensé qu’il avait dépassé les bornes et ça a été le début du divorce avec la critique. Il a signé Emmanuelle 5, film pour lequel il n’a tourné qu’une micro-scène de maquette d’avion et touché un chèque. La rupture avec la critique fut totale… Pourtant, un de ses films tardifs, Dr Jekyll et les femmes, est un sommet. Ce film faussement déstructuré, nous montre un Mr Hyde harponnant de son sexe vigoureux la bourgeoisie anglaise… Hyde dérègle à grands coups de vit le petit théâtre d’une famille conventionnelle. Aujourd’hui Borowczyk est revu à la hausse et une génération qui n’a rien à faire des agacements du passé voit son œuvre sans à priori, comme une globalité cohérente et unique. �

“ Je pense à Cocteau lorsque je suis face à un problème technique un peu lourd. ”

Persona n°1 // 65

On a l’impression avec vos films de retourner aux origines du cinéma. Dans Living Still Life, le personnage principal joué par Elina Löwensohn réalise des films courts avec des animaux morts. Elle leur redonne vie comme dans les début du cinématographe avec Etienne-Jules Marey. On pourrait presque même ne pas pouvoir les dater.

C’est important pour moi, de ne pas inscrire un film dans le temps, ou un pays. Cette notion de frontière floue est essentielle… L’intemporalité ne veut pas dire faire un film vieillot à la façon de…

J’ai horreur de la contrefaçon ou de l’exercice de style. En revanche j’aime travailler avec la pellicule, ce vieux support chimique, essayer d’obtenir tous mes effets au tournage, même si le spectateur ne le sait pas et ne le voit pas (peu importe) il ressentira, ce qui est essentiel pour moi, le ressenti… Pour Living Still Life je me suis inspiré des marches décomposées de Muybridge. L’idée de travailler avec des cadavres d’animaux et de donner l’illusion de la vie en les filmant image par image, n’avait pas vraiment été mise en scène au cinéma (du moins à ma connaissance).

Mon but étant d’évacuer l’aspect macabre du dispositif et de donner l’impression que l’on voit un être délicat qui gambade dans le néant.

“ J’ai filmé dans un état second absolu, malade comme jamais, avec plus de 40°C de fièvre. ”

Depressive Cop et Souvenirs d’un montreur de seins sont des films courts assez peu vus.

Ce sont des films qui sont en tout début de carrière et qui ont seulement été projetés dans quelques festivals pour le moment.

Ils font partis de la série « 21 ».

Souvenirs d’un montreur de seins est un film en super huit, tourné de façon extrêmement minimaliste. Elina y joue un homme pourvu d’une poitrine de femme, témoignant face caméra, désabusée et touchante. Elina m’évoque Antonin Artaud dans ce film, tout repose sur sa puissance de jeu.

Depressive Cop est un film qui fait aussi parti de cette série de 21 films en 21 ans. Nous avons inauguré avec Elina, il y a sept ans maintenant, le tournage de cette série. Fiction fantasmagorique sur support pellicule tournée tous les ans, suivant les principes filmiques de l’International Incohérence… Depressive Cop est un film policier écossais, il a été tourné en 16 mm durant 3 jours

Depressive Cop (2016).

sur la plus petite île d’Écosse, tout au nord (Papa Westray). C’est aussi le lieu d’un festival étrange où je suis allé deux fois, notamment pour une rétrospective de mon travail… Sur Papa Westray on brûle des idoles en bois pour chasser l’esprit de l’hiver, on mange des crabes et on regarde les phoques nager dans l’eau turquoise… J’ai écrit un scénario se déroulant sur cette île. Elina y tient deux rôles, celui d’une mère et de sa fille borgne. J’ai filmé dans un état second absolu, malade comme jamais, avec plus de 40°C de fièvre. Nous avons développé une grande partie de la pellicule sur place et projeté les rushes dans une grange, entourés de poules aux longues plumes blanches comme des poils. Puis nous avons terminé le film en France loin de la fièvre écossaise. Dans ce film, il est question d’oppression insulaire et de rivalité sexuelle entre une mère et sa fille. La fièvre y joue un grand rôle.

Qu’est-ce qui détermine ces 21 films exactement ?

Ce sont des films que l’on initie ensemble avec Elina. Nous démarrons sans production, sans demander de subventions en amont. Nous tournons en deux ou trois jours avec de la pellicule périmée, du matériel glané. Les films sont ambitieux mais l’économie restreinte. Par la force des choses, l’idée qui sous tend la série est le vieillissement et le rapport au désir. Vieillissement du regard porté par le réalisateur sur l’actrice. Initialement c’est le désir de tourner avec Elina et de tirer parti de son potentiel hallucinant. C’est l’occasion de créer un kaleïdoscope de films court ou nous explorons nos obsessions communes. Une sorte de grand vitrail de notre collaboration. Il y a six films pour l’instant : S Sa Salam Salammbo / Prehistoric Cabaret / Y a t-il une vierge encore vivante ? / Féminisme, rafale et politique / Souvenirs d’un montreurs de seins / Depressive Cop puis Le matin des magiciens tourné en partie (la suite sera filmée sur banc titre), il y a un prochain film à venir, encore sans titre, que l’on va tourner l’été prochain à New York.

L’idée est aussi de changer de pays pour chaque film. Ce sont les films inachevés de Welles, ceux de fin de carrière, tournés avec Oja Kodar, sans moyen, tout autour du monde, qui m’ont inspiré pour notre entreprise.

En 2003 vous avez tourné Il dit qu’il est mort, un court-métrage déjà ambitieux avec la présence magnétique de Katya Golubeva.

Oui elle était incroyablement puissante, elle a aussi donné de la voix dans ESSAI 135.

J’avais un projet de long avec Katya, un western ésotérique, avec également Guillaume Depardieu que j’adorais, Maurice Garrel, Tina Aumont, mais tout le casting s’est tristement

66 // Persona n°1

éteint et le projet s’est transformé, par la force des choses… Nous devions aussi faire Boro in the box avec Katya, mais je la sentais hésitante, on a donc décidé de se retrouver sur un prochain film. C’est Elina avec qui j’allais tourner Living Still Life qui a prit le rôle… Ce fut le début de notre collaboration. Puis Katya a disparu. C’était une personne profonde et généreuse, inspirante, j’ai du mal à en parler plus, les souvenirs sont tellement fragiles… Je l’avais filmée une fois chez moi, grimée en homme.

Nous avions fait ces essais vidéo où elle portait l’ombre d’une moustache avec grâce.

Les garçons sauvages, votre prochain film encore en montage est-il lié avec le livre de William Burroughs ? Ça n’est pas l’adaptation des Garçons sauvages qui est un livre très important pour moi. Nous évoquions tout à l’heure les mondes organiques. Burroughs, écrivain qui me hante, est le prince de l’organique, je bois à sa source très souvent. Mon film est sous son patronage, ainsi que celui de Jules Verne (autre démiurge de l’organique). C’est un télescopage, un film d’aventure, dans l’esprit de Deux ans de vacances, perverti par un regard Burroughsien.

La nature y est vivante, sexuée, les garçons fusionnent avec elle. Les personnages sont beaucoup moins sages que les héros de Verne.

Ils sont dévergondés, mélancoliques et roublards… Mais ceci dit, j’ai appris récemment par François Angelier que Jules Verne était une personne beaucoup plus trouble qu’on ne croit. Il avait un rapport très particulier avec son système organique… Et par ailleurs il baffrait, il était boulimique et avait même scié les barreaux de sa chaise pour avoir la bouche au niveau de la table et engouffrer le plus rapidement possible toute la nourriture qu’il pouvait. À la fin de sa vie, après avoir pris une balle dans la jambe, tirée par son neveu qui voulait en finir avec lui, Verne était devenu accroc à la morphine, il lui a même dédié un poème. C’est un personnage fascinant, il y a tout un sous texte crypté dans son œuvre. Prehistoric Cabaret était déjà une relecture de Voyage au centre de la terre.

Un voyage au centre de l’actrice.

Recherche-collage pour Le Matin des Magiciens.

(Court inédit).

Où s’est déroulé le tournage ?

En grande partie sur l’île de la Réunion (plages sauvages et forêts primaires). Il y a une séquence dans la maison où Truffaut avait tourné une partie de La Sirène du Mississipi. Nous avons aussi filmé en studio pour les scènes de bateaux.

L’action se déroule au début du XXe siècle.

Les protagonistes sont des garçons de bonnes familles, violents et troubles. Ils sont repris en Mandico in the main par un capitaine le temps d’une croisière Box Coffret double répressive. Ils font escale sur une île fantastique DVD. (Malavida)

ou leur destin bascule… C’est un récit d’aventure onirique, fantastique, avec une forte charge érotique. Le film sera en grande partie en noir et blanc, contaminé par quelques séquences couleurs qui surgissent sans prévenir… Les moments de couleurs sont comme des fruits vénéneux sur un grand arbre noir… Le récit est assez dense, très romanesque, il se passe beaucoup de choses tout au long de l’histoire. Le film entretient une dimension somnambulique avec le spectateur… Une particularité réside dans son casting, ce sont cinq actrices qui incarnent les garçons. Superbes et talentueuses : Vimala Pons, Diane Rouxel, Mathilde Warnier, Pauline Lorillard et Anaël Snoek…

Il y a souvent une dernière image après le générique de fin de vos films. Quelle importance donnez-vous à cette coda ?

C’est comme un dernier salut avant que la lumière envahisse la salle. Des points de suspensions à la fin d’un roman, pour ne pas oublier après le défilé des noms, que l’image reste et les mots s’effacent… � Persona n°1 // 67

Marc Héliès « Gueules Cassées » // www.marc-helies-peintre.odexpo.com Travail aux stylos à bille et crayons sur des pages du « Feu » d’Henri Barbusse, au format 24 x 30 cm.

En découvrant tous vos travaux j’ai beaucoup pensé au travail de ce couple Khalil Joreige et Joana Hadjitomas, plasticiens et cinéastes libanais, qui ne cesse de poser des questions irrésolues comme : que représenter ? Que montrer face à la douleur du monde ? Ils ont choisi de montrer la beauté humaine à travers les déchirures. Quelles seraient vos réponses ?

Ruth : Je ne connais pas ces artistes… Bien sûr, nous sommes touchés par cette question de la douleur, mais en fait on ne se pose pas la question « que montrer ? ». On y répond comme on sait le faire, par des textes et des musiques.

C’est un sujet qui est important pour nous, mais nous ne sommes pas cérébraux, on ne pense pas vraiment aux formes avant de les faire.

winter family

situationnistes ultra-modernes

ENTRETIEN & photo céline libouban

De retour à Paris, après avoir séjourné et travaillé entre New-York, Israël et la France, les Winter Family nous parlent généreusement de leur dernier disque et de leurs projets.

Les Winter Family subjuguent à nouveau par leur liberté et leurs errances délicieuses avec South From Here. Ce nouvel opus est composé de treize climats parfois hypnotiques, parfois très urbains, toujours aussi impressionnants par leur profonde noirceur et leur beauté limpide. Mais ce nouveau disque, fabriqué pendant six longues années inspire aussi une vitalité bienvenue, détonante presque au vue des habitudes de Xavier Klaine et Ruth Rosenthal, qu’on croyait pouvoir définitivement ranger dans le rayon des musiciens au spleen abyssal. C’est au contraire une sacrée claque revigorante et sauvage qui nous projette au plein cœur des tourments des villes et des ravages des hommes qui veulent encore et toujours danser alors même que le sol s’écroule sous leurs pieds.

On y retrouve avec bonheur la voix langoureuse de Ruth et les explorations musicales assurées de Xavier ; mais aussi des explosions rythmiques au milieux de drones suaves, des cris poussés pour la liberté ou pour la joie d’être au monde malgré tout.

“ Nos spectacles de théâtre sont quelque part à l’opposé de notre musique : c’est très simple, assez brut. ”

Quel est votre rapport à l’art contemporain ? Y a-t-il des artistes plasticiens auprès de qui vous avez travaillé ? Vous avez joué notamment dans des galeries…

Ruth : On l’a fait un petit peu, mais surtout dans le cadre de rencontres avec des gens, pas forcément déterminées par des projets artistiques.

Xavier : On a joué lors de vernissages, dans des musées, des choses comme ça…

Vous travaillez les images que vous projetez lors de vos spectacles ?

Xavier : Oui, mais ça c’est autre chose, ce n’est pas la musique mais le théâtre documentaire.

On fait tout, les montages, etc.

Ruth : Pour le coup, là ce ne sont pas des images très travaillées, elles sont brutes ; des images qu’on a prises en Israël - pour le spectacle Jérusalem plomb durci – Voyage halluciné dans une dictature émotionnelle’- ou prises sur internet - pour No World. Nos spectacles de théâtre sont quelque part à l’opposé de notre musique : c’est très simple, assez brut.

Xavier : Bah la musique aussi !

Ruth : Je pense que notre musique est beaucoup plus poétique que notre théâtre. Plus travaillée aussi…

Xavier : Oui, même si on se prend plus la tête avec le théâtre ! Pour la musique, on ne réfléchit pas autant. Une mélodie vient, Ruth travaille des textes qui sont comme des poèmes…

Votre pochette est très belle, quelle a été est votre inspiration pour la réaliser?

Xavier : On avait envie de confronter le travail photographique puissant d’Henrike Stahl aux dessins de Vesolt, malheureusement disparu, qui avait déjà réalisée la pochette de Red Sugar, de nombreux flyers pour nos concerts et le clip Shooting stars. La rencontre entre ces deux mondes a été réalisée par Fabien Lehalle, un graphiste talentueux avec qui nous avons Persona n°1 // 69

travaillé depuis notre premier album. C’est une super belle pochette, qui ressemble assez peu à la musique de l’album, mais on voulait une image sereine et un peu flottante alors c’est très bien.

longuement avant de les enregistrer, sans enrichir parce que la complexité harmonique ne m’intéresse pas et j’ai plutôt envie au contraire de faire confiance au flash initial. Ensuite on enregistre la voix de Ruth, ça peut prendre une ou soixante-quinze prises.

Ruth enregistre aussi les beats, la batterie, des machines puis j’ajoute parfois d’autres instruments de façon empirique ; alors on mixe, et cela peut prendre plusieurs années. Au contraire, d’autres morceaux sont enregistrés simultanément en condition live, orgue et voix en une prise. Ensuite on confie les morceaux à Patrick Klem qui réalise le mastering depuis sa cachette en Caroline du Nord et cette dernière étape est elle aussi fondamentale et parfois violente. Je trouve son master pour le vinyle vraiment réussi.

Vous avez sorti South From Here début février.

Comment ce nouvel album est-il accueilli ?

Xavier : De l’avis général c’est notre meilleur album, on le pense aussi. Plus complexe que le premier, avec moins d’erreurs que dans Red Sugar… il est plus compact, équilibré et diversifié. On s’est sentis plus libres d’utiliser un peu tous les outils sonores à notre disposition, contrairement aux deux albums précédents, plus dogmatiques. Cette plus grande liberté a été accueillie avec enthousiasme par ma sœur qui l’écoute dans sa voiture, ce qui est une première ! Même son copain a trouvé qu’on avait fait des progrès.

Vous produisez-vous toujours à deux ou avez-vous l’occasion et l’envie d’inviter d’autres musiciens ?

Xavier : On invite parfois d’autres musiciens à enregistrer et à jouer avec nous quelques morceaux sur scène. Sur cet album, il y a un morceau joué par Fabien Lehalle, aussi doué à la basse que devant son ordi, et des percussions jouées par le fantastique batteur Ben Mc Connell avec qui on a joué plusieurs fois à New-York. Il réside maintenant à Paris et joue pour des groupes excellents tels que Buvette. On a réalisé une performance musicale intitulée Brothers il y a quelques semaines dans une église de Tel Aviv, aux grandes orgues et à la voix avec les grands musiciens Adam Scheflan à la basse et Alex Drool Jonovic aux percussions. C’était un honneur et une grande émotion de jouer avec de tels monstres. Depuis quelques temps notre fille joue parfois avec nous. On travaille aussi parfois avec les musiciens Olivier Perola et Olivier Robert, de vieux frères essentiels. Mais quatre-vingt quinze pour cent du temps, nous sommes deux.

Ruth tu m’as dis être proche de la Théorie de la dérive de Guy Debord, est-ce que ce texte te parle de ton travail d’écriture, de ton regard indifférencié posé sur le monde ?

Ruth : Je pense que cela inspire la façon que j’ai de regarder la vie et le monde et, de façon évidente, influe sur ma manière d’écrire. Il y a quelque chose d’intéressant dans le regard ludique et léger que pose Guy Debord sur le monde (et sur ses horreurs). Je trouve que le concept de déterritorialisation de Gilles Deleuze et Félix Guattari est une façon stimulante de regarder les choses. Quand tu mets quelque chose en dehors de sa zone de confort et hors de son contexte, il peut acquérir un nouveau sens intéressant.

Y a-t-il des collaborations avec des artistes que vous aimeriez voir aboutir ?

Xavier : Pas spécialement. Nous sommes plutôt doués pour l’isolement un peu maladif et totalement vital. On a plutôt envie de continuer à creuser cette voie en en assumant les limites créatives ; à nous de trouver les clés ou de nous planter. Sinon on a par exemple invité Sing Sing de Artl à lire des textes pendant la nuit blanche au Musée du Judaïsme et c’était évident, ça s’est passé comme dans un rêve, sans travail, sans discussion. Sinon on aime travailler avec des chorégraphes et des metteurs en scène.

On l’a fait avec Paco Decina, Damien Jalet, Arthur Nauzyciel, etc… On a des discussions en ce moment avec plusieurs chorégraphes que nous aimons beaucoup. On verra si cela aboutit.

“ Nous sommes plutôt doués pour l’isolement un peu maladif et totalement vital. ”

Ruth peux-tu nous parler de la session radio que tu as enregistrée avec Rodolphe Burger ?

Ruth : J’ai travaillé avec lui sur un projet appelé Le Cantique des Cantiques & Hommage à Mahmoud Darwich il y a quelques années. Ce sont deux très beaux textes que j’aime beaucoup. Pour son nouvel album, Rodolphe était invité à jouer un live à FIP avec quelques musiciens. Il m’a invité à le rejoindre sur deux chansons.

Quel est l’apport de l’un et de l’autre dans les compositions, comment un morceau se construit-il ?

Ruth : J’écris les textes. Certains d’entre eux me prennent des années (parfois plus de dix ans) et certains sont écrits très vite.

Quelquefois j’improvise sur la musique et je les réécris après, ça peut être très variable.

Xavier : Je crée les quelques accords d’un morceau en quelques secondes comme un flash inéluctable, puis je cherche un moyen de comprendre ces accords en les répétant

70 // Persona n°1

South From Here (Ici d’Ailleurs / L’Autre Distribution) 2017.

Avez-vous des projets en cours de construction ?

Xavier : On commence à rassembler de la matière pour un quatrième album. Qui sera très différent des trois premiers. On va essayer de le terminer plus rapidement cette fois. Et on commence la création de notre troisième spectacle de théâtre documentaire : Hebron, dont la première aura lieu à l’automne 2018. �

FRÉDÉRIC D. OBERLAND

THIS MAGIC MOMENT

ENTRETIEN FRÉDÉRIC LEMAÎTRE // PHOTOS FRÉDÉRIC D. OBERLAND

Frédéric D. Oberland est photographe et musicien au sein des groupes Oiseaux-Tempête, FOUDRE !, Le Réveil des Tropiques et FareWell Poetry.

En parallèle avec la musique, tu as commencé à faire du cinéma expérimental il y a de nombreuses années mais pour la pratique photographique, quand arrive t-elle et qu’est-ce qui la déclenche ? À peu près à la même période, jeune adulte au début des années 2000. J’étais à l’époque en fac de sciences politiques, je m’ennuyais sévèrement, je balbutiais la musique dans mon coin. Je me rappelle d’une exposition de William Eggleston à la Fondation Cartier, et d’y comprendre soudainement une des puissances de la photographie, l’aspect extraordinaire que peut revêtir un fragment du monde ordinaire saisi avec acuité.

C’est à peu près à ce moment que je me suis procuré un premier reflex argentique, un vieil Olympus OM2n. Je photographiais mes voyages, mes amis, en testant différentes pellicules, différents objectifs, sans vraiment me poser des questions. Puis je suis passé par la case école de cinéma à la Fémis ; pour plein de raisons, je l’ai quittée avant la fin du cursus avec mon désir d’images anéanti. J’étais sec. Quelques années plus tard, c’est revenu progressivement en expérimentant avec des appareils en plastique, en testant le moyen-format, les sur-impres-

sions… En me rapprochant finalement de ce qui m’avait intéressé initialement dans le cinéma expérimental dont j’avais tâté au sein de l’Etna, en m’extrayant du côté « documentaire » qui est si souvent intrinsèque à la photographie de rue par exemple, pour aller chercher du côté du magique, du symbolique, du flou, du bougé. La découverte de photographes comme Jozef Koudelka, Michael Ackerman, Antoine d’Agata, puis plus tard de Daido Moriyama, Mario Giacomelli ou des photographes réunis autour des projections Temps Zero avec qui Oiseaux-Tempête a collaboré, m’a apporté de grands bols d’air. Un second éveil finalement assez récent et l’encouragement des proches, les premières pochettes de disques…

Depuis lors j’ai quasi toujours sur moi un appareil.

“Comprendre soudainement une des puissances de la photographie, l’aspect extraordinaire que peut revêtir un fragment du monde ordinaire saisi avec acuité. ”

Persona n°1 // 71

“ Pour moi, le noir et le blanc c’est la lumière et la nuit qui s’entrechoquent. ” capricieux. C’est ta propre distance à l’objet qui décide de ton cadre, une contrainte qui me va très bien.

Ton univers pictural est sombre, énigmatique et où l’on entend sourdre une révolution sur « le qui-vive ».

Sombre, je ne le vis pas du tout comme ça…Pour moi, le noir et blanc c’est la lumière et la nuit qui s’entrechoquent. J’aurais aimé savoir dessiner ou graver - d’où peut-être mon penchant pour le grain qui éclate, les traînées d’ombres. Dans tout geste créatif, le mystère est fondamental - ce quelque chose qui peut se révéler et prendre forme en dehors de soi ; dans le processus argentique l’aspect magique, quasi alchimique, est immanent: les sels d’argent sensibles à la lumière, le révélateur, l’anti-immédiateté du résultat… On a le temps d’oublier ce qu’on a cherché à capturer, on redécouvre, on remodèle avec un oeil neuf. Ce qui m’obsède, au delà de l’état de transe photographique que tu peux frôler parfois quand tu shootes, c’est moins de recueillir la trace furtive d’un instant figé que de possiblement accéder a posteriori à la révélation d’une nouvelle empreinte qui transcenderait le sujet, le contexte ; comme en musique, la photographie crée l’illusion de jouer avec le temps et la mémoire. De mon côté c’est à l’instinct, car je ne sais pas faire autrement.

Tu explores divers sujets mais aussi le nu de façon très fantomatique. Quel rapport as-tu à cet érotisme et à ta façon de photographier un corps dénudé ?

Je photographie ce qui m’environne, sans mise en scène ajoutée. Pour moi l’érotisme est partout, et bien loin d’être concomittant du nu d’ailleurs. Un paysage, une nature morte, une manifestation, un détail qui surgit et te saisit, une forme fantomatique qui s’effrite peuvent être tout autant érotique qu’une photographie de corps nu, qui peut ne pas l’être du tout. Le nu pour le nu ne m’intéresse pas. La vraie question de l’érotisme c’est la parenté entre l’orgasme, le désir et la mort - on jongle.

Je sais que tu aimes la technique et les appareillages, quel est donc ton appareil de prédilection ?

Ces dernières années quasi exclusivement un Contax T-3, un petit compact argentique à focale fixe, maniable mais un peu

72 // Persona n°1

Ci-dessus : Extrait de Al-an !

Oiseaux-Tempête // 2016.

Jours Redoutables En collaboration avec l’écrivain Christophe Manon, Éditions Les Inaperçus, à paraître // 2017.

Peregrinus Ubique Photozine + CD, Gazzar(r)a & VoxxoV Records // 2015.

A l’occasion d’une exposition tu as sorti Peregrinus Ubique (Gazzar(r)a / VoxxoV), un photozine accompagné d’un album instrumental découpé en six scènes. La musique n’est jamais loin, mais quel a été le cheminement pour ces enregistrements par rapport à tes photos ?

Une fois le premier travail d’editing photo effectué avec l’aide de Pamela Maddaleno, Léa Neuvile et Fanny Béguély, spontanément j’ai eu envie de proposer une sorte d’accompagnement musical à ce premier petit livre photographique. Il y avait dans cette série l’idée de « pérégrination », de voyage intérieur autant qu’extérieur - peutêtre qu’en feuilletant ces pages on pourrait entendre des séquences en harmonie ou en contrepoint, et quelques field-recordings parfois captés au même moment que certaines photos avaient été prises. J’ai enregistré et mixé le tout en une dizaine de jours à la maison, les photos trainaient au sol. C’est après-coup que j’ai réalisé qu’il s’agissait aussi d’un premier disque en solitaire. �

Exposition collective à venir : « Intériorités, La Traversée des Inquiétudes » autour de l’œuvre de Georges Bataille, du 9 Septembre 2017 au 18 février 2018 à Labanque, Béthune ; commissariat : Léa Bismuth Discographie : « AL-’AN ! » (2017) et « Unworks & Rarities » (2016) de Oiseaux-Tempête (Sub Rosa) // « Mere II & III » (Home Normal, 2016) et « Filament » (Slaapwel Records, 2016) de Gareth Davis // « We Stood Up For Victory, You Stood Up For Less » (Gizeh Records, 2013) de A-Sun Amissa // « The Rustle Of The Stars » (Gizeh Records, 2011) de Richard Knox & Frédéric D. Oberland.

Site : http://www.fredericdoberland.com

Frédérc D. oberland « Apparition » 2015 // Extrait de « Peregrinus Ubique ».

véro « Sans titre » 2017 // verotau.free.fr

“ Il y a toujours un moment où je m’échappe de la réalité pour essayer d’aller dans un univers imaginaire. ” service aux morceaux le mieux possible. Pour le coup, Olivier Mellano a aussi composé des parties et proposé plein de choses.

Préférez-vous toujours les bidouilleurs éclairés aux virtuoses ?

Oui, sauf quand les virtuoses restent des bidouilleurs, un peu comme Robert Wyatt, ce qui est assez rare. Il connait très bien le jazz mais il a un esprit pop. Il est aventureux et est assez libre dans sa tête, il n’étale pas sa virtuosité.

LES MARQUISES

LA NUIT DU CHASSEUR ENTRETIEN & photo frédéric lemaître

« Entre dans la nuit » semble nous souffler Jean-Sébastien Nouveau. Sorti en début d’année, A Night Full Of Collapses, le troisième album des Marquises, nous entraîne subtilement à travers un monde onirique où se révèlent bien des élans dans une nuit noire féconde.

Pensée Magique en 2013 avait déjà fait la part belle à une folie ambiante au cœur d’une jungle où là encore on pouvait se perdre.

Merveilleusement entouré de Matt Elliott, Agathe Max, Olivier Mellano, Christian Quermalet et, entres autres, de Jeff Hallam, qui rejoignent ses musiciens ( Julien Nouveau, Martin Duru et Rémy Kaprelan), Jean-Sébastien Nouveau nous offre donc avec son nouvel opus une pépite qui pourrait rendre nos nuits aussi blanches que l’écume au large de l’archipel des Marquises.

Votre façon de concevoir vos disques est singulière : vous composez les morceaux et ensuite distribuez les parties aux musiciens que vous avez choisis, comme un chef d’orchestre.

Oui, c’est un petit peu ça. Je vais au bout des démos tout seul puis Martin Duru, un des musiciens, m’aident à arranger certains morceaux. Pour ce dernier disque j’avais fait beaucoup de programmation sur ordinateur. Dans un deuxième temps j’ai donc réfléchi à qui pouvait interpréter les morceaux et leur donner corps. Je cherche toujours des gens dans le même esprit et un peu la même famille musicale pour créer une équipe cohérente, même si tout est écrit et au final assez directif. Le but ultime est de rendre

Le disque est musicalement riche et chaque écoute révèle de nouvelles découvertes, de nouvelles émotions. J’imagine que c’est un long travail d’élaboration.

En fait, je travaille mes morceaux et les ré-écoute beaucoup. Je veux ne jamais m’en lasser, du coup je rajoute des détails. La redécouverte d’un morceau est importante pour moi, il faut que je sois content d’avancer dessus.

L’ambiance générale est très cinématographique. Même les titres pourraient faire penser à des films. Est-ce que ce sont d’abord des images mentales qui vous inspirent pour composer ?

Oui. Il se trouve que les trois disques ont des thématiques particulières. Le premier était basé sur l’œuvre de Henry Darger. Le deuxième c’était l’univers de la jungle de certains films de Werner Herzog, et le dernier est une certaine idée de la nuit. La nuit sous différentes formes : cauchemardesque et ambiguë pour Feu Pâle par exemple. Pour Following Strangers c’était l’idée de réfugiés qu’on chassait et qu’on ramenait chez eux.

Pour le morceau Des Nuits, je me suis souvent imaginé dans mon lit, allongé dans une pièce ouverte sur la nature. Alors une partie de moi s’évade et erre dans la forêt. Ça définit assez bien la façon dont je fais de la musique en me projetant dans des univers. Pour le précédent disque j’avais déjà imaginé une déambulation sur une île. Traverser la jungle, arriver à une clairière, longer la mer… Il y a toujours un moment où je m’échappe de la réalité pour essayer d’aller dans un univers imaginaire. � Persona n°1 // 75

Je fonctionne de façon étrange par rapport aux paroles. Je fais du yaourt sur mes démos et ensuite j’essaie de coller au maximum à l’idée qui était en germe dans ces tentatives. Vallées Closes est vraiment écrit de cette manière. Feu Pâle par exemple, était au départ écrit en anglais mais je l’ai ré-écrit en français pour justement me détacher de Twin Peaks. Je trouvais qu’il fallait ajouter quelque chose de différent.

D’ailleurs, dés ce premier morceau Vallées Closes, on est comme dirigé vers un monde ouvert où plusieurs portes pourraient être ouvertes vers l’inconnu.

Oui, il y a un battement et c’est une espèce d’avancée vers quelque chose qui s’ouvre. Le morceau se ferme sur une sorte de développement qui revient mais qui s’efface progressivement.

Dans Feu Pâle justement, la trompette fait penser à l’univers de David Lynch. Est-ce volontaire ?

L’influence de Lynch n’était pas volontaire sur ce disque mais effectivement ce morceau fait très Twin Peaks, j’ai même hésité à le mettre sur le disque pour ça, mais maintenant j’assume le fait que cela puisse ressembler à autre chose.

Sur le premier disque, les six morceaux étaient également devenus des courts-métrages. Avez-vous la tentation de tourner un long métrage ? D’en faire la bande son ?

Il y a eu un clip d’animation pour le dernier disque, réalisé par Vergine Keaton qui était en fac cinéma avec moi. Nous allons justement faire la musique originale de son prochain film qui sera un court-métrage de 15 minutes avec à peu près la même esthétique. Il y a d’ailleurs d’autres liens avec le cinéma dans ma musique, comme des titres de films que je reprends : La Terra Trema est un film de Visconti par exemple. Vallées Closes sur le dernier album vient du titre d’un film de Jean-Claude Rousseau. Qu’on le comprenne ou pas, n’est pas grave, ce sont des clins d’œil. Ce sont des pistes, c’est bien de tisser des liens qui n’en sont pas vraiment.

Jusqu’à présent, les parties chantées ne l’étaient qu’en anglais seulement ou presque (à part Les maîtres fous en français sur Pensée Magique). Sur ce troisième disque, trois morceaux sont chantés en français et ça fonctionne plutôt bien. Les textes sont comme la musique, une sorte d’impressions, de sensations oniriques comme à l’intérieur d’un rêve.

76 // Persona n°1

Pochette du disque A Night Full Of Collapses (Ici, d’Ailleurs / L’Autre Distribution 2017).

L’atmosphère nocturne est prédominante mais de quels effondrements sous entend le titre du disque ?

C’est une bonne question (rires). Je pense que c’est lié à des effondrements plus intimes, lié à des peurs. C’est un disque sur la nuit, sur la solitude mais aussi sur les angoisses, les inquiétudes. Par exemple, le deuxième titre Lament parle de la peur d’être abandonné, oublié. Ces effondrements de nuit parlent aussi de l’incompréhension des phénomènes nocturnes où les sensations sont différentes.

Vos pochettes sont toutes extrêmement différentes. La dernière est vraiment singulière. D’où vient l’idée de cette ambiance qui transforme une chasse à courre en tableau improbable ?

Je cherche toujours quelle sera la pochette en faisant le disque et parfois elle m’aide à le finir quand je l’ai trouvée.

Cette photo vient d’une performance artistique. C’était un travail sur la chasse à courre et cette photo m’a beaucoup plu. Nous avons juste retravaillé l’image pour enlever le public et en faire une scène sans contexte. Pour moi c’était une belle image de la solitude. Quelque chose de désespérant aussi, dans le sens où le chasseur se retrouve presque comme chassant ses démons.

“ Je cherche toujours quelle sera la pochette en faisant le disque et parfois elle m’aide à le finir quand je l’ai trouvée. ”

Vous aviez fait un remix du duo Mansfield Tya Au loin dans la nuit, qui résonne étrangement justement avec ce thème nocturne et du cerf blessé.

C’est clair ! Je n’y avais pas du tout pensé mais c’est vrai que ça fait écho. Peut-être qu’inconsciemment ça m’a influencé et m’a amené là.

Le nom de votre formation m’a tout de suite fait penser au dernier album de Jacques Brel qui porte le même nom. Quel est le réel lien que vous faites entre ce disque qui annonçait sa mort et votre univers musical ? À la base je n’aime pas du tout Jacques Brel, mais au moment où j’ai découvert les morceaux de son dernier disque comme La ville s’endormait ou Les Marquises, ça a complètement changé ma manière de l’écouter. Son morceau Les Marquises décrit des scènes un peu étranges qui correspondent un peu à ce que je fais.

J’ai découvert ensuite que c’est l’archipel le plus éloigné de tout continent, ce qui pour moi donnait encore plus de sens. �

Linda Tuloup « La Biche » Série Chimère. 2012. // Courtesy Galerie Olivier Waltman, Paris // www.lindatuloup.fr/fr/accueil.html

Linda Tuloup exprime, à travers ses séries photographiques, la relation forte qu’elle entretient avec la nature et l’image du féminin, dépassant la simple séduction pour nous faire pénétrer dans un univers pleinement poétique où l’inconscient devient langage à part entière. La série Chimère convoque les mystères de la nature et le trouble autour du corps féminin qui se masque, parade, s’animalise, à la fois incarné et désincarné, nu et nuageux, créant une alchimie complexe entre érotisme et spiritualité, entre paysage et émotion.

Clémentine Feuillet, commissaire d’exposition.

Persona n°1 // 77

SARAH VITASSE « Alain » 2016 // sarahvitasse.tumblr.com

“ Pour moi, la musique n’est pas sérieuse, n’est pas marrante, elle n’a pas à être quoi que ce soit. La musique est, c’est tout. ”

william z vilain

Simplicité et honnêteté

ENTRETIEN Jean-Rodolphe Zanzotto // Photo Cathimini

Signé récemment sur le label français Normandeep Blues créé par Nicolas Miliani, William Z Villain a réchauffé le public de Dijon aux Nuits de l’alligator. Jeune homme de 26 ans, au complet de gangster trop large, il propage durant le concert sa fantaisie, sa générosité tout en affichant une présence scénique naturelle et surprenante.

L

e cantonner à la rubrique blues serait une erreur, car il intègre subtilement dans sa musique du reggae, du rebetiko ou encore le souffle des musiques caraïbes. Sous des dehors simples, ses chansons cachent elles aussi un travail rythmique et des harmonies vocales très élaborés. A l’image de ce qu’il nous raconte sur sa guitare, son écriture emprunte au passé tout en s’enracinant dans le présent, rendant au tout un parfum d’intemporalité. Réponses à quelques mots proposés.

Guitare J’ai commencé à prendre des cours de guitare classique mais je n’étais pas très bon. J’ai appris ensuite essentiellement par moimême. La guitare que j’utilise aujourd’hui est une National Resonator fabriquée en Californie. National est une vieille compagnie

créée aux alentours de 1880. Durant la seconde guerre mondiale, cette société a été obligée de fermer ses portes, faute de main d’œuvre. Tout le monde était employé pour l’effort de guerre.

Vers 1980, un groupe de geeks a racheté la marque National et a repris la fabrication. Ils ont un peu amélioré les guitares en les rendant plus facilement ajustables, plus modernes tout en gardant le même design. Mais ces modèles sont très chers et j’ai dû emprunter quelques centaines de dollars à la tante de ma grand-mère. Elle vivait en Arizona et nous envoyait chaque année des fruits extraordinaires, notamment des pamplemousses. Elle avait perdu son mari et elle venait passer noël chez nous, dans le Wisconsin. Nous mettions de grandes planches de bois pour permettre à son siège roulant d’accéder à notre maison (rires). Cette somme m’a permis d’acheter une voiture, une Ford tourus Station wagon, mais c’était une véritable merde et elle est morte juste après que je l’ai payée. Mais j’ai pu aussi acheter avec cet argent cette guitare que j’ai depuis 4 ans maintenant. J’ai fait rajouter deux cordes aigües supplémentaires par des luthiers du Wisconsin, ce qui permet d’obtenir un effet de chorus.

Musique Je ne suis pas qualifié pour énoncer des généralités sur la musique. Pour moi, la musique n’est pas sérieuse, n’est pas marrante, elle n’a pas à être quoi que ce soit. La musique est, c’est tout. La musique remonte aux hommes des cavernes, c’est quelque chose de très naturel. Elle est là quand je sifflote en achetant des fruits au supermarché ou encore quand j’ai envie de faire des vocalises dans un endroit qui résonne. Je pense que les oiseaux faisaient de la musique bien avant nous.

Animaux J’aime beaucoup les animaux, tous les animaux, même les araignées (rires). Quand j’ai utilisé dans mes chansons des sons d’aniPersona n°1 // 79

Enregistrement

maux, je n’y ai pas beaucoup pensé. Je trouvais que c’était une bonne idée, cela ne va pas plus loin. Quand j’ai enregistré ces chansons, je ne pensais pas qu’elles seraient écoutées par quelqu’un un jour. Je faisais ça pour moi, quelques amis et quelques personnes dans le Wisconsin. Je n’aurais jamais pensé que je serai là ce soir.

La majorité des titres qui sont sur l’album ont été enregistrés live sur bandes. Je prépare mes boucles, règle les niveaux, et une fois que tout est prêt j’enregistre sur une seule piste. Je ne rajoute quasiment rien, seulement une basse de temps en temps ou quelques vocaux. Si j’avais à ma disposition un très grand studio, équipée d’une multitude de pistes d’enregistrement et dix ans devant moi, je ne pense pas que je serai capable de faire mieux (rires). J’aime la simplicité et la rapidité. La majeure partie des morceaux qui sont sur l’album a été enregistrée à Madison dans le Wisconsin, dans une petite chambre que j’ai louée. Cette chambre était destinée il y longtemps a conserver le lait au frais ! Cette pièce n’est pas très spacieuse, mais elle est au calme, à moi et elle me permet de stocker mon matériel.

C’est largement suffisant. D’autres chansons ont été enregistrées dans les montagnes, l’hiver. Je travaillais alors dans une ferme, dans le nord de la Caroline.

Nous n’avions pas d’électricité, j’ai enregistré avec l’aide d’un groupe électrogène.

Quand j’étais dans le Kentucky, employé comme chef d’équipe également dans une ferme, j’ai enregistré grâce aux panneaux solaires. Le bâtiment dans lequel je vivais était construit avec des palettes. J’enregistrais dehors, quotidiennement entouré par les sons de la nature.

C’est peut être de là que me vient mon amour des criquets que l’on retrouve sur le disque ; mais les criquets sont également présents sur ce disque pour une autre raison. Je suis parti en tournée aux États-Unis. Je jouais dans des sous-sols, des bars cradingues, chez des gens et dans de petites galeries d’art.

J’avais besoin de cassettes avec mes chansons pour les vendre et me permettre de vivre pendant la tournée. Le week-end avant de partir, j’ai enregistré ces chansons que l’on retrouve aujourd’hui sur l’album. J’ai donc acheté des cassettes avec 15 minutes de lecture sur chaque face et comme j’avais trois minutes de silence une fois enregistré sur chaque face, j’ai comblé les espaces avec le son des criquets.

Mélodie Oui, la mélodie est importante, mais de très belles musiques n’ont pas de mélodie. Définir une mélodie dans une chanson est très subjectif. Mais certaines mélodies sont très puissantes. Une des mélodies que je chante ce soir à plus de cent ans et une autre et encore plus ancienne. Elles traversent les temps.

Influences J’aime beaucoup la musique folk. Mais je ne parle pas du revival qui c’est opéré dans les années 1960 ou 1970 aux États-Unis avec des chanteurs comme Pete Seeger, Simon & Garfunkel ou encore Bob Dylan ou Joan Baez. À cette période, les majors compagnies étaient déjà importantes et les ventes de disques également. Dès les années 30’, les premiers juke-boxes ont commencé à être installés et ont, à mon avis, profondément changé la manière d’écouter et d’appréhender la musique. J’aime la folk musique des années 1920 avant tout. Ceci ne m’empêche pas d’écouter des musiques actuelles : du métal, de la musique d’avant-garde ou Chopin. Mais ce qui demeure le plus important c’est l’honnêteté avec laquelle elle est faite.

“ J’aime la folk musique des années 1920 avant tout. Ceci ne m’empêche pas d’écouter des musiques actuelles. De la musique d’avant-garde, du métal ou Chopin. ”

Composition Je joue de la guitare et chante tous les jours.

Au fil du temps, je trouve différents rythmes (il en joue plusieurs avec des onomatopées), différentes parties de chansons que j’écris, et un jour, je réussis à les réunir. Je rajoute quelques fois un chorus ou quelques petites choses. Je rejoue plusieurs fois la chanson, la réajuste parfois et vois si elle fonctionne correctement. Ceci peut-être une première manière de faire. Parfois, et même très souvent, cela vient très vite, d’un seul jet. Mais de toutes les manières, j’ai surtout besoin de me limiter dans le temps, ce qui me permet de me motiver. Pour finaliser l’album pour Normandeep Blues, j’ai dû travailler rapidement sur de nouvelles chansons et cette contrainte me convient parfaitement.

80 // Persona n°1

Littérature

William Z Villain.

Normandeep Blues // 2016.

J’aime lire et j’ai un cerveau étrange. Parfois il m’est difficile de lire avec toutes les distractions qu’apporte la ville. J’ai vécu la majeure partie de ma vie dans les villes et ça me prend énormément de temps pour achever la lecture d’un livre. Maintenant, je vis à la campagne. Mon rythme de vie suit celui de la nature. Je me sens plus en forme et je peux davantage me concentrer sur mes lectures. Je lis beaucoup de science fiction, et apprécie beaucoup Dune de Frank Herbert. Je lis actuellement Hypérion de Dan Simmons. C’est très épique comme Dune. Je lis également des romans graphiques comme Hellboy. En fait, j’aime bien ce genre de littérature car il vous permet de vous immerger complètement dans son univers. Cela m’apparait également très réaliste, très authentique, bien que ce soit de la science fiction. �

Pietro Sedda « The Old Man And The Sea » 2014 // Aquarelle et encre sur papier (37 x 25 cm).

HEY, la revue d’art moderne et de pop culture propose : Gallery Show #1. Exposition du 17 mars au 22 avril 2017.

Commissariat de Anne & Julien. Galerie Arts Factory. 27, rue de Charonne. 75011 Paris.

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REMERCIEMENTS

Une fois de plus, Isabelle Dalle s’est surpassée pour sublimer la maquette de PERSONA. C’est ce qu’on voit en premier et tout le mérite lui en revient.

Merci à Olivier Brut pour ses dessins et sa bienveillance. Merci à Richard Aujard, Juan Clemente, Renaud de Foville, Sarah Vitasse, Rodolphe Cobetto-Caravanes, Séverin Pignol, Pierre Beloüin, Jean-Paul Noguès, et Linda Tuloup pour leurs photographies.

Merci à Alexandre Guirkinger d’avoir joué le jeu d’accepter de transformer la photo de couverture au carré. Merci à Pascal Lagrèze de nous avoir permis d’utiliser une photo de Béatrice Dalle réalisée par son frère Jean-Claude Lagrèze. Merci à Véro et Jean-Kristau pour leur œuvres originales.

Merci à Céline Libouban et Jean-Rodolphe Zanzotto pour leurs entretiens. Merci à Mélanie Mary, Elizabeth Serin et Emmanuelle Sarrouy pour leurs textes toujours aussi lumineux. Merci à Clarisse Vallée, Jennifer Havet, Jean Philippe-Béraud, Marine Batal, Thibault Guilhem, Sorya Lum et Michaëlle Roch, Melissa Phulpin, Ophélie Surelle, Nicolas Miliani, Victoria Levisse et Thibault Manchon-Bono pour leur professionnalisme et leur réactivité afin de mettre en place les rencontres avec les artistes. Merci à Pascal Larsen, Virginie Duval, Cathimini, Laurence Saquer Debavelaere pour leurs conseils et coups de main. Merci à Marc Héliès pour ses « Gueules cassées ». Merci à Christine Fleuriau pour ses relectures clairvoyantes.

Et enfin, merci à la mystérieuse Francine Grosmouge dont l’humilité exemplaire m’étonne chaque jour. Merci à tous les acquéreurs du N°0.

Et évidemment, merci à tous les artistes interviewés qui ont donné plus que leur paroles. Je me trouve très chanceux d’être si bien accueilli à chaque fois.

Ci-dessus : OLIVIER BRUT « Béa ». Encre sur papier, 2015 // olivierbrut.blogspot.fr/

FRÉDÉRIC LEMAÎTRE & ISABELLE DALLE « Medusa » 2012 // www.isabelledallestore.com