ARPENTER LA FORÊT DOMANIALE DE LÈGE LA MARCHE COMME SENSIBILISATION ET EXPÉRIENCE SENSORIELLE D’UN PAYSAGE MONOSPÉCIFIQUE
PROJET DE FIN D’ÉTUDE
ISÉE DOUTRELOUX 2022
ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE ET DE PAYSAGE DE BORDEAUX 740 Cours de la Libération 33405 TALENCE
TEXTE DE PRÉSENTATION
Ce travail de fin d’étude naît d’une sensibilité personnelle à un paysage que je côtoie régulièrement depuis quelques années et qui m’intrigue par sa singularité et son histoire. Ce paysage c’est celui de la forêt domaniale du village de Lège. Sa singularité la plus frappante est qu’elle s’inscrit dans le massif artificiel le plus vaste d’Europe de l’Ouest. Son histoire et sa création reposent sur deux orientations principales : la protection de ce territoire contre la force du vent et de l’océan et la production pour rendre ces terres marécageuses fécondes. Les enjeux de ce paysage forestier sont inchangés aujourd’hui mais d’autres problématiques contemporaines se sont ajoutées. Le recul du trait de côte vers l’intérieur des terres, la perte de biodiversité générale ainsi que le réchauffement climatique impactent directement ce territoire investi par l’Homme et la voiture jusque sur le sable de ses plages, planté par une unique essence de pins et dont la production est remise en cause par la hausse globale des températures. L’action que je propose repose toute entière sur une envie profonde de montrer ce paysage qui, par son histoire, peut sembler binaire et grossier, pour en exhiber ses richesses, perceptibles de l’intérieur. C’est une invitation à pénétrer dans cette forêt, à travers un itinéraire ponctué de 8 interventions pour appréhender son paysage répétitif mais aussi pour se faire surprendre par une gestion forestière créatrice de bouleversements paysagers ou encore par les ponctuelles variations de peuplement qu’elle présente.
« L’acte de traverser l’espace naît du besoin naturel de se déplacer pour trouver de la nourriture et les informations nécessaires à sa survie. Mais après que les besoins primaires eurent été satisfaits, la marche s’est transformée en une forme symbolique qui a permis à l’Homme d’habiter le monde. En modifiant les significations de l’espace traversé, le parcours fut la première action esthétique qui permis de pénétrer le chaos, construisant un nouvel ordre sur lequel l’architecture des objets situés s’est développé. La marche est un art qui porte en son sein le menhir, la sculpture, l’architecture et le paysage. C’est-à-partir de cette action simple que ce sont développées les relations les plus importantes que l’Homme entretient avec le territoire. » Careri F., 2002, Walkscape.
REMERCIEMENTS
Il me tient à cœur de remercier ici : Marion Vaconsin, Lina Singer et Vincent Tricaut pour leur encadrement pédagogique bienveillant et formateur tout au long du semestre, Monsieur Fougeras, responsable de l’unité territoriale du Bassin d’Arcachon de l’ONF, pour ses précieux renseignements, ma mère pour la relecture, les discussions partagées et ses conseils avisés, mon père pour m’avoir permise de voir mon site de projet depuis les airs, mes amis Sarah, Ainhoa, Virgile, Louise, Camille, Charlotte pour l’entraide et les sessions de travail partagées, et toutes les personnes qui m’entourent, qui m’instruisent et qui m’inspirent au quotidien.
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SOMMAIRE REMERCIEMENTS.................................................... 7 I ANALYSE TERRITORIALE > Un territoire forestier.................................................................................................... 12 > Une géologie marine façonnant le paysage............................................................. 13 > Des paysages de l’eau protégés................................................................................. 14 > Une polarisation des réseaux viaires autour de Bordeaux..................................... 15 II ANALYSE PAYSAGÈRE > Le site de projet............................................................................................................. 18 > Un paysage profondément façonné par l’Homme................................................. 20 > Un paysage monospécifique, rythmé par la sylviculture...................................... 22 > Un paysage ondulé, créateur de variations paysagères........................................ 24 > Un paysage forestier poétique, à la diversité perceptible de l’intérieur............. 26 > Un paysage forestier public, aux traditions de glanage et d’affouage............... 28 > Un paysage parcouru aux alentours des villages.................................................... 30 III PROJET > Démarche et concept.................................................................................................. 34 1. TRAVERSER LA FORÊT........................................................................................ 34 2. MARCHER POUR SENSIBILISER....................................................................... 36 3. S’ACCORDER AVEC LES RYTHMES FORESTIERS........................................... 38 4. INTERVENIR DANS LA MOUVANCE DU PAYSAGE......................................... 42 > Aménager la traversée................................................................................................ 44 1. L’ORÉE DU BOIS.................................................................................................... 44 2. L’AVANCÉE SUR L’EAU........................................................................................ 46 3. L’OBSERVATOIRE DES DYNAMIQUES FORESTIÈRES.................................... 48 4. LA VOÛTE DES CHÊNES..................................................................................... 50 5. LE CHEMIN IMMERSIF........................................................................................ 52 6. LE SENTIER DES ARBOUSIERS.......................................................................... 54 7. L’EFFLUVE DE L’OCÉAN....................................................................................... 56 8. LE JARDIN DES DUNES ..................................................................................... 58 BIBLIOGRAPHIE..................................................... 60 ANNEXES........................................................ 62 9
I ANALYSE TERRITORIALE
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> Situation et description La forêt domaniale de Lège s’inscrit dans le grand triangle forestier des Landes de Gascogne, au niveau du département de la Gironde, en Aquitaine. Elle longe ce que l’on appelle la côte d’argent, qui s’étend de l’Esturaire de la Gironde à celui de l’Adour. Elle s’étend sur une surface d’environ 3500 ha et occupe 60% de la surface de la presqu’île.
Forêt domaniale de Lège et Garonne
OCÉAN ATLANTIQUE LÈGE
BORDEAUX
Forêt des Landes de Gascogne
N
12
Carte du territoire des Landes de Gascogne
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50
100 km
> Une géologie marine façonnant le paysage Les 2 régions sylvicoles présentes de l’embouchure de l’Estuaire de la Gironde jusqu’au bassin d’Arcachon et plus encore au sud, se situent sur 2 substrats différents qui correspondent au même découpage. Le « sol de landes mésophiles » correspond au territoire des Landes de Gascogne et le « sol sableux inter-dunaires peu évolués » correspond au territoire de la forêt des dunes littorales. Le couvert forestier domine l’occupation du sol du triangle médocain et se poursuit au sud du bassin d’Arcachon. L’emprise de la forêt dunaire est constituée presque exclusivement d’un peuplement de pins maritimes et est majoritairement publique. En moins de deux siècles, l’implantation de la pinède sur ces sols sableux particulièrement squelettiques provoque un enrichissement du sol en matière organique qui favorise l’arrivée progressive en sous-bois d’essences feuillues.
LÉGENDE Forêt domaniale de Lège
Les sols : La forêt :
N
Carte des sols et des forêts
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5
10 km
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> Des paysages de l’eau protégés La forêt des dunes Atlantiques et par conséquent, la forêt domaniale de Lège et Garonne, sont ponctuées d’un chapelet de territoire protégés, allant souvent de paires avec les territoires de l’eau. La forêt de production de pins maritimes ne fait donc pas partie d’un secteur bénéficiant d’une protection environnementale particulière, cependant, des enjeux écologiques existent. À une échelle plus rapprochée, plusieurs actions en faveur de la biodiversité et de la pérennité du massif forestier sont primordiales comme par exemple accompagner la dynamique feuillus, conserver les lisières, conserver les arbres morts ou caverneux, la mise en place d’îlots de sénescence et de vieillissement, lutter contre les espèces envahissantes, prendre des dispositions pour favoriser la faune sauvage... Ces enjeux sont catalysés par les nouveaux questionnements à propos du réchauffement climatique, qui met en péril la forêt dunaire.
LÉGENDE Forêt domaniale de Lège
N
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Carte des espaces protégés
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5
10 km
> Une polarisation des réseaux viaires autour de Bordeaux Les réseaux routiers et ferroviaires du territoire choisi sont polarisés par la métropole bordelaise, qui distribue un flux étoilé de routes sur ses environs. Ce maillage de voies principales cours globalement de façon homogène sur le territoire girondin. La D106, reliant le bourg de Lège à la Plage du Grand Crohot ainsi que la route forestière du Truc Vert, fortement fréquentés voire saturées pendant les périodes d’affluence, jouxtent ponctuellement ou traversent le massif domanial. Au nord de la commune de Lège Cap-Ferret, l’urbanisation se concentre au niveau du Bourg de Lège. Bourg historique hérité des formes d’un habitat rural traditionnel parmi les plus anciens du littoral girondin, il est entouré d’une mosaïque de milieux agricoles ou forestiers jouxtant ponctuellement la forêt domaniale. Il représente la première polarité économique et commerciale de la presqu’île, avec une zone artisanale. La caractéristique majeure et singulière de l’urbanisation de la presqu’île réside dans l’imbrication étroite entre le relief, les constructions, la forêt et le littoral. L’été, la population saisonnière est estimée à 50 000 personnes séjournant à laquelle il faut ajouter les personnes de passage à la journée.
LÉGENDE Forêt domaniale de Lège
Plage du Grand Crohot
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Carte des réseaux de transports et de la trame imperméabilisée
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5
10 km
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II ANALYSE PAYSAGÈRE
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> Le site de projet Le site de projet est délimité au Nord par la forêt communale du Porge, au Sud par la route départementale 106, à l’Est par le canal des étangs et à l’Ouest par l’Océan Atlantique. La quasi-totalité de l’occupation de son sol est voué à la production de pins maritimes en majorité appartenant à la forêt domaniale de Lège. Il est irrigué de nombreux chemins forestiers, de larges garde-feu, d’une piste cyclable au niveau du parking de la plage du Grand Crohot ainsi que de l’unique route permettant d’accéder à celle-ci (D106). Site de projet
N
18
Carte de situation du site de projet sur le Nord bassin d’Arcachon
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0,5
1
2
3
4
5 km
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Carte de la traversée
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1km
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> Un paysage profondemment façonné par l’Homme
En Aquitaine, les cartes des Cassini permettent de situer les premiers massifs forestiers. La typologie de la légende de la carte de Belleyme permet d’identifier pinèdes, chênaies, châtaigneraies, marécages... Les pinèdes et chênaies existaient sur le littoral gascon au XVIIe et XVIIIe siècle, mais à moindre mesure que ce que l’on connait aujourd’hui.
La fixation des dunes décrite précédemment consistait à créer une forêt sur les dunes mobiles pour empêcher leur avancement dans les terres. Il restait cependant toute une zone de sable sous l’action du transport éolien, sur une bande de 300 à 400 m en partant du rivage sur laquelle le boisement était considéré comme impossible, en raison de la violence des vents et de la présence d’embruns salés.
Au Moyen-Age, l’activité éolienne menaçait le littoral et au 18e siècle, la situation était si critique que les sables avaient formé une bande de 4 à 7km se développant vers l’intérieur. Le vent scindait les dunes en tronçons mobiles et dénudés de telle sorte qu’elles avançaient vers l’est tout en détruisant la couverture végétale. En 1720, le Captal de Buch, seigneur de La Teste devant les risques d’importants d’ensablements fait semer des pins sur la dune. Ces semis jugés contraires aux droits d’usage par les habitants seront brûlés en 1733. Il s’agit de sauvegarder le havre de Arcachon, seul mouillage entre la Gironde et l’Adour, de mettre en valeur les landes incultes de l’arrière pays et de relier par des canaux Bayonne à Arcachon et Arcachon à Bordeaux. De nombreuses études et tentatives de fixation à petites échelles ont suivis.
En 1822, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Jean-Sébastien Goury eut l’idée d’édifier une dune artificielle sur cette bande littorale, afin de protéger la forêt se trouvant juste derrière.
En 1801 fut créée une commission des dunes présidée par Nicolas Thomas Brémontier (1738-1809), ingénieur français, avec pour objectif de contrôler les sables et de coordonner les travaux. Une commission équivalente est créée dans les Landes en 1808. Les travaux se poursuivent et en 1862, l’administration des Eaux et Forêts à qui les Ponts et Chaussées remettaient les semis à l’âge de 7 ans, se voit confier la gestion de la forêt dunaire. En 1865, le pin maritime couvre près de 80 000 ha de dunes.
L’idée est partie d’une constatation simple : lors des chantiers de boisement (dit « ateliers »), les ouvriers érigent une palissade de protection entre la plage et les semis pour diminuer les effets du vent. Lorsque le sable transporté par le vent se heurte à la palissade, il s’accumule à son pied, jusqu’à la recouvrir. Il suffit donc de relever cette palissade régulièrement pour édifier progressivement une dune. Goury s’est également aperçu que ce phénomène était accentué lorsque cette dune était précédée d’un talus à faible pente du côté de l’Océan, qui déviait le vent et lui faisait perdre de l’énergie. Il a ainsi défini le profil idéal selon lequel la pente ouest est suivie par un plateau subhorizontal qui se termine par une pente abrupte à l’est correspondant au talus naturel du sable. Afin de pérenniser cette dune, elle était ensuite plantée d’oyats et couverte de branchages de genêts.
Les dunes basses et les lettes sont laissées à la disposition des communes pour le pâturage, leur boisement ne se fera qu’au XIXe siècle artificiellement ou par ensemencement naturel. Cela explique la configuration de la forêt domaniale de Lège Cap Ferret où les lettes appartiennent généralement à des propriétaires privés. En 1995, la surface de forêt domaniale aménagée est égale à celle d’aujourd’hui. N
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Carte Cassini (Source : gallica.bnf.fr )
Le système de Goury pour l’édification du cordon dunaire.
La pinède à perte de vue : les alternances d’ouvertures et de fermetures dues à la gestion et l’exploitation forestières sont aisément appréhendables sur cette photo prise à bord d’un DR400.
Crédit photo : Isée Doutreloux
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> Un paysage monospécifique, rythmé par la sylviculture De 1876 à 1974, l’objectif premier de la forêt est le gemmage. Le gemmage vise à récolter l’oléorésine sur un pin vivant (en France principalement Pinus pinaster, le pin maritime). L’oléorésine mêlée d’eau, et d’impuretés solides, prend alors le nom de « gemme ». La gemme, après clarification, porte le nom de térébenthine.
Aujourd’hui, la vocation touristique et de conservation des milieux prend de plus en plus d’importance, tout en restant très inégalement répartie pour la première. Ces attentes nouvelles nécessitent une adaptation fonction du niveau de l’enjeu en matière d’aménagement mais aussi des pratiques sylvicoles.
La régénération des peuplements est fixée à 72 ans en 1896, 64 ans en 1938 et 60 ans et moins en 1975. L’âge des pins à leur coupe réduit au fil des années, car l’objectif de production de bois prévaut progressivement à l’objectif du gemmage. La futaie régulière est le mode de traitement historique utilisé. Quatre générations de pins maritimes se sont succédées depuis les origines des boisements mis en place au XIXe siècle. La répartition dans l’espace et dans le temps de peuplements équiennes sur des surfaces plus ou moins importantes entraine des variations paysagères directement liées au déroulement du cycle sylvicole (coupe de renouvellement, jeunes peuplements...), favorisant les effets de lisières et la multiplication des plans. Les coupes rases constituent souvent les seules ouverture significatives dans le paysage, rythmant le paysage le long des sentiers ou des pistes cyclables. Reflet de la gestion sylvicole, l’implantation historiquement géométrique du parcellaire et les changements rapides du paysage qu’impliquent les besoins en lumière du Pin maritime engendrent parfois une perception négative de cette gestion, liée au caractère «artificiel» de cette gestion, se heurtant à la perception «de nature» que le public se fait de cette forêt.
Récolte de l’oléorésine pour la confection d’essence thérébenthine 22
La production de bois de pins de chauffage ou de construction
Îlot de vieillissement de pins maritimes
Calendrier des opérations forestières majeures de la forêt de Lège et Garonne
Des parcelles de jeunes pins traversées par un garde-feu.
Crédit photo : Isée Doutreloux
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Dun es bark anoï des Dun es para b anci oliques enne s i so lées
Du n ind es iffé ren cié es
Dun non es litto r -b o isée ales s
> Un paysage ondulé, créateur de variations paysagères Les entités géo-morphologiques rencontrées d’ouest en est, de l’Océan jusqu’au Bassin d’Arcachon sont : - La dune littorale non-boisée, d’une largeur de 200 à 300 mètres depuis le rivage. La plateau dunaire culmine de 22 à 25 mètres ( points à 35 mètres). La lette d’arrière-dune est généralement large mais parfois boisée, en effet des régénération artificielles ont concerné certains secteurs de cette lette d’arrière dune dans les années 1970-1990. - Un ensemble de dunes indifférenciées sur une largeur de 1 à 1,5 km qui culmine à 25-30 mètres, relief peu marqué. - Deux chaînes de dunes barkanoïdes (Une barkhane ou barcane est une dune de la forme d’un croissant allongé dans le sens du vent. Elle naît là où l’apport de sable est faible et sous des vents unidirectionnels) bien marquées culminant à 30-35 mètres. Elles présentent généralement des versants Est très pentus. Les lettes interstitielles ont une altitudes de 10 à 25 mètres. - À l’Est de ces barkhanes et jusqu’au bassin d’Arcachon se situent d’anciennes chaines de dunes très discontinues qui se présentent maintenant sous forme de dunes isolées entourées de lettes basses (5 à 10 mètres d’altitude). La dune de la Doucine (parcelle 46) d’une altitude de 45 mètres est le point culminant de la forêt. La houle apporte le sable sur les plages qui, repris par le vent forme des avant-dunes. Lors des tempêtes, la houle et le vent viennent reprendre du sable : c’est l’érosion.
L’ONF y réalise des travaux de génie écologique pour limiter l’érosion en maintenant le sable au plus près de sa source : la plage.
Cet écosystème est protégé contre la surfréquentation par des équipements visant à guider le public.
Profil des premières dunes littorales et début de la pinède 24
La frange forestière ou forêt de protection est un bouclier préservant le massif boisé des assauts du sable et des embruns.
N
Dunes barkhanoïdes directement soumises au vent
Carte de la géo-morphologie des dunes
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1
2 km
Dunes paraboliques, plus éloignées du trait de côte
La dune offre une position en surplomb et ne laisse apercevoir que la canopée des pins au loin.
Crédit photo : Isée Doutreloux
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> Un paysage forestier poétique, aux variations perceptibles de l’intérieur Présentes en sous-étage, dominantes sur les versant Est des dunes ou succédant progressivement au pin maritime sur les sols les plus évolués, les formations à dominante feuillue (principalement chêne pédonculé, chêne vert, chêne liège ou chêne tauzin) contribuent à la diversité biologique et à la qualité des paysage intra-forestiers. Plusieurs espèces végétales en sous-étage participent directement à l’identité des paysages et à leur phénologie (fruits des arbousiers, fleurs des ajoncs et genêt, cystes, feuillages caduques...). Les peuplements d’arrière-dune, les peuplements situés sur les versants Est de dune et les boisements abritant des équipements d’accueil sont classés hors sylviculture de production ou en îlot de vieux bois.
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Passage entre la dune du Trella (35 mètres) et la dune de l’Aygue de Beguey (29 mètres) : ce boisement de chênes est permis par la situation protégée des vents et des embruns offerte par la hauteur des dunes.
Crédit photo : Isée Doutreloux
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> Un paysage forestier public, aux traditions de glanage et d’affouage La Forêt Domaniale de Lège et Garonne a hérité depuis son origine d’un périmètre complexe fait d’imbrications de dunes domaniales et de lettes privées (lettes privées enclavées à l’Ouest dans le massif domanial compact, et dunes domaniales isolées enclavées à l’Est dans des terrains privés). Les parcelles appartenant donc à la forêt domaniale sont arpentées, depuis le moyen âge, pour y trouver de quoi compléter le repas des paysans, de quoi allumer leur feu ou encore de quoi nourrir les cochons. De façon contemporaine, les habitants jouissent toujours de l’opportunité de profiter des ressources qu’offre la forêt.
Calendrier du glanage dans la forêt domaniale de Lège et Garonne 28
Les sous bois de la forêt domaniale sont riches en ressources : ici le bois mort, les aiguilles et les pommes de pins peuvent être ramassés pour allumer un feu. Également, la présence exclusive de l’arbousier sous ces pins offre une récolte abondante de fruit à la fin de l’été.
Crédit photo : Isée Doutreloux
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> Un paysage parcouru aux alentours des villages La forêt est parcourue toute l’année par les habitants de Lège, du Cap Ferret ainsi que d’Arès. Ces usagers quotidien ou hebdomadaires pratiquent la forêt en marchant, en courant, à vélo, seuls, en famille, avec un chien et ne s’éloigne pas souvent des villages. Les chasseurs sont également des arpenteurs assidus de la forêt, surtout pendant la période de chasse en automne et en hiver. Pour finir, la période estivale attire de nombreux touristes sur la côte Atlantique pour profiter de la plage. Ces touristes, d’un jour ou d’une semaine, longent souvent la forêt à l’allure d’une voiture sans la traverser ou l’appréhender véritablement. La fréquentation intraforestière est donc moindre, néanmoins celleci tend à se développer, notamment par la présence de 40 km de pistes cyclables à l’intérieur de celle-ci. Chemins de désir à moins d’1 kilomètre du village de Lège
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Les rives du canal des étangs sont investies par de nombreux habitants de Lège.
Crédit photo : Isée Doutreloux
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III LE PROJET
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> Démarche et concept 1. TRAVERSER LA FORÊT La démarche du projet repose sur la volonté de montrer ce territoire forestier, de l’ouvrir au public et d’accompagner sa traversée. Cette proposition d’aménagement convoque le déplacement lent et doux qu’est la marche pour s’immiscer dans un paysage à forts enjeux de production et de protection. Le premier acte de projet a été le choix des paysages à traverser, par l’élaboration d’un itinéraire. Le départ se trouve dans le village de Lège, près du canal, et la destination est la plage océane du Grand Crohot. Le second a été d’imaginer un accompagnement de la traversée pédestre par des interventions ponctuelles, sur des paysages porteurs d’une expérience sensorielle forte, sur des paysages à questionner, ou encore sur des singularités et des richesses de la forêt que je souhaitais mettre en avant. C’est un itinéraire porteur d’un nouveau regard, permis par la proposition de ne pas emprunter la route pour se rendre à l’océan, mais plutôt d’y aller à pied afin de découvrir pleinement ce paysage de forêt, pris en étau entre les villages du bassin d’Arcachon et les très convoitées plages océanes. Il offre l’opportunité de s’immerger dans la forêt, de la parcourir dans son épaisseur ainsi que de porter une attention particulière aux subtilités de ses paysages.
La traversée est guidée par ces bornes de couleurs oranges ainsi que par une carte (voir Annexe 1 p62-63) pour accompagner les marcheurs dans leur déambulation.
OCÉAN ATLANTIQUE
LÈGE
Plage du Grand Crohot
N
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Carte de la traversée
0
0,5
1km
Itinéraire de la traversée
Crédit photo : Isée Doutreloux
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2. ARPENTER POUR SENSIBILISER
1 LA MARCHE COMME LIEN AVEC LE PAYSAGE
2 LA MARCHE COMME IMPLICATION DU CORPS DANS LE PAYSAGE PARCOURU
« La marche, tout en n’étant pas la construction physique d’un espace, implique une transformation du lieu et de ses significations. La seule présence physique de l’Homme dans un espace non cartographié, et les variations des perceptions qu’il reçoit en le traversant, est une forme de transformation du paysage qui, bien qu’elle ne laisse pas de signes tangibles, modifie culturellement la signification de l’espace et, par suite, de l’espace en soi en le transformant en lieu. Avant le néolithique, (...) l’unique architecture symbolique capable de modifier l’environnement était la marche, une action qui est simultanément un acte perceptif et un acte créatif, qui est en même temps lecture et écriture du territoire. »
3 LA MARCHE PORTEUSE D’UNE EXPÉRIENCE SENSORIELLE
FRÔLER CARESSER TOUCHER ÉCOUTER OBSERVER SENTIR CUEILLIR GOÛTER
Francesco Careri, Walkscape, p57, 2002.
TRAVERSER FRANCHIR GRIMPER ENJAMBER MONTER GRAVIR RALENTIR S’ARRÊTER CUEILLIR SAUTER CONTOURNER DESCENDRE ESCALADER
COMME ATTENTION PORTÉE AUX FINESSES D’UN PAYSAGE MONOSPÉCIFIQUE 36
POUR RÉVÉLER L’ESPACE EN LE PRATIQUANT
Crédit photo : Isée Doutreloux
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3. S’ACCORDER AVEC LES RYTHMES FORESTIERS
Calendrier forestier de la forêt domaniale de Lège et Garonne
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Les amoncellements de troncs de pins coupés jonchent les bords de la route du Grand Crohot après une coupe rase.
Crédit photo : Isée Doutreloux
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LÉGENDE
N
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Carte de recensement des peuplements des parcelles forestières domaniales empruntées par le transect choisi
0 100
500 m
Détails des peuplements actuels (2022) et des travaux prévus jusqu’en 2034 sur les parcelles forestières domaniales du site de projet 41
4. INTERVENIR DANS LA MOUVANCE DU PAYSAGE
T0
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T+ 1 année
T+ 5 années
T+ 20 années
Les interventions proposées s’inscrivent dans les temporalités longues de la forêt d’exploitation et proposent des expériences différentes à chacune d’elles. De la même façon, les saisons jouent sur les impressions variées de la forêt pendant la traversée. 43
> Aménager la traversée 1. L’ORÉE DU BOIS - 0 km
N
Plan de situation de l’aménagement
0
500 m
1 km
L’orée du bois est l’accroche du parcours à la ville. Elle est à la croisée de l’Avenue du Lescourre, de la piste cyclable et du passage du canal des étangs. Cette première intervention met à disposition un espace de stationnement dédié aux voitures ainsi qu’aux vélos et autre moyen de transport afin que les promeneurs puisse les déposer avant de pénétrer dans la forêt. L’entrée du parcours se fait sous les houpiers des grands arbres de la ripisylve du canal et est matérialisée par deux bornes ainsi qu’une boîte dans laquelle se trouvent les cartes (voir annexes) mise à disposition pour guider la traversée. 44
Élévation de l’orée du bois
N
Plan de l’aménagement
45
2. L’AVANCÉE SUR L’EAU - 0.8 km
N
Plan de situation de l’aménagement
0
500 m
1 km
Les rives du canal des étangs sont des endroits fréquentés tout au long de l’année. Elles offrent aux promeneurs des paysages secrets, calmes et ombragés près de l’eau ocre du canal. Les berges abruptes laissent apparaître les différentes couches de la roche du sol, notamment l’alios qui est un grès typique des Landes de Gascogne, cachées sous le sable, sur les berges aux pentes douces. Cette roche reprends les teintes orangées de l’eau du canal pour créer un tableau paysager singulier ainsi qu’une information pour les promeneurs à propos du socle sur lequel il se déplace. Le ponton est une invitation à se rapprocher de l’eau, souvent inaccessible tout au long du canal, à la surplomber, à observer la vie qui s’y développe, à écouter les chants des oiseaux, très nombreux à cet endroit du parcours et enfin à contempler la situation particulière de cette roche mise à nue sur l’autre rive. 46
Élévation de l’avancée sur l’eau
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Plan de l’aménagement
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3. L’OBSERVATOIRE DES DYNAMIQUES FORESTIÈRES - 1.6 km
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Plan de situation de l’aménagement
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500 m
1 km
N
Plan de l’aménagement
Après de longues minutes de marche au milieu de larges parcelles de pins alignés, créatrices d’un paysage sombre et répétitif, le marcheur débouche sur une parcelle ouverte. Au printemps, elle est recouverte d’ajoncs et de genêts en fleur qui teintent d’or toute la surface de la parcelle coupée. Une passerelle s’engouffre dans cette vaste étendue et appelle le marcheur à entrer dans ce nouveau paysage. Cette parcelle est une occasion de tester de nouvelles méthodes forestières basées sur la régénération naturelle des plans de pins, qui sont donc gratuits et qui peuvent ainsi germer et grandir à l’ombre des autres végétaux de la forêt, protectrices des jeunes sujets de pins qui pâtissent du réchauffement climatique. La passerelle s’insinue dans la végétation forestière et propose une expérience d’observation à plusieurs temps à travers les années. La flore spontanée, l’intervention humaine de gestion et d’exploitation d’une espèce parmi les autres, la phénologie de ce paysage, la concurrence végétale, la présence de la faune sont autant de faits et de détails que propose d’apercevoir l’Observatoire des dynamiques forestières. Élévation de la passerelle observatoire 48
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4. LA VOÛTE DES CHÊNES - 2.3 km
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Plan de situation de l’aménagement
0
500 m
1 km
N
Plan de l’aménagement
La voûte des chênes est une situation particulière dans la forêt littorale, permise par la juxtaposition de deux hautes dunes qui créent une protection contre les embruns et les vents forts de l’océan. Cette topographie particulière habilite l’installation d’espèces feuillus, notamment le chêne pédonculé qui y déploie ses branches. L’aménagement de ce lieu à l’apparence presque sacré, incite le marcheur à simplement se coucher, lever les yeux et contempler l’architecture végétale des branches de ces vieux chênes qui se rejoignent au centre du chemin. Cette intervention est aussi une façon d’insister sur ce point du parcours, de créer du temps pour observer cette formation végétale. 50
Élévation de la voûte des chênes
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5. LE CHEMIN IMMERSIF - 4.7 km
N
Plan de situation de l’aménagement
0
500 m
1 km
N
Plan de l’aménagement
L’immense parcelle 47 de la forêt domaniale de Lège a subi une coupe rase en 2016. L’ONF applique un principe selon lequel une période de trois ans avant la plantation de nouveaux sujets de pins est nécessaire pour que les maladies, champignons ou parasite présents potentiellement sur les anciens pins aient le temps de disparaitre et de ne pas mettre en danger les prochains. Ces pins ont donc aujourd’hui (2022) trois ans et mesurent seulement quelques centimètres. Le chemin immersif place les yeux du marcheur à hauteur de la surface du sol et propose une appréhension nouvelle de la forêt. Le point de vue en contre-plongé, induit par le chemin enterré, place le marcheur dans une position dominée par la végétation qui, avec le temps, s’allongera et deviendra de plus en plus dominante. En attendant ce temps, c’est également un passage qui bénéficie de la fraîcheur du sol et qui fournit au promeneur de l’ombre pour traverser cette parcelle écrasée de chaleur en été.
Élévation longitudinale du chemin immersif 52
Élévation transversale du chemin immersif
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6. LE CHEMIN DES ARBOUSIERS - 5.8 km
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Plan de situation de l’aménagement
0
500 m
1 km
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Plan de l’aménagement
Le parcours se poursuit sur un chemin dominé par de hauts sujets n’ayant pour sous bois que de grands arbousiers dispersés dans la parcelle. Cette intervention incite le marcheur à jouir des ressources de la forêt domaniale et ici particulièrement des fruits des arbousiers, mûres à la fin de l’été. C’est une passerelle de différentes hauteurs qui permet de s’élever, d’apprécier la particularité de ce peuplement et de pouvoir atteindre les arbouses les plus hautes. La cueillette se pratique assez peu de nos jours, cet aménagement est une façon de la mettre en avant et d’honorer le caractère public de cette forêt. 54
Élévation de la passerelle aux arbousiers
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7. L’EFFLUVE DE L’OCÉAN - 6.3 km
N
Plan de situation de l’aménagement
Cet aménagement fait appel au sens de l’ouïe mais également à celui de l’odorat et de la vue. L’Effluve de l’Océan est situé au point de la traversée où l’on commence à distinguer le bruit de l’eau, le fracas des vagues, ce bruit de fond qui s’intensifie au fur et à mesure du chemin. Le belvédère s’élève à une hauteur de 20 mètres et permet au marcheur d’assouvir son envie de voir ce qu’il entend. Après avoir été contenu sous la canopée pendant la majorité du parcours, il est maintenant possible de la traverser, dans ses étages intermédiaires puis de la dépasser pour se procurer une vue en hauteur sur le feuillage cotonneux des pins, sur les dunes et sur l’océan au loin. 56
0
500 m
1 km
Élévation du belvédère
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Plan de l’aménagement
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8. LE JARDIN DES DUNES - 8.4 km
N
Plan de situation de l’aménagement
0
500 m
1 km
Le jardin des dunes est la porte sur l’océan. Il se situe au niveau de la dune grise qui est totalement en rupture avec les paysages forestiers précédents. Il n’y a pas de strate arborée ni arbustive, ou seulement quelques pins penchés et cachés derrière les micro-reliefs de dunes. Le reste de la végétation est basse et ponctuelles, elle rase le sable en formant des parterres irréguliers. Cette dernière intervention consiste à planter les 7 espèces principales rencontrées sur la dune grise afin de densifier le maillage de végétaux déjà présent et de guider les marcheurs sur un unique chemin vers la plage. Le jardin des dunes accentue cette continuité de végétation endémique afin de guider les marcheurs sur un unique chemin vers la plage. Il mélange l’univers du jardin, luxuriant et sophistiqué, à la rusticité de la végétation dunaire, en créant un motif évaporé autour du chemin.
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Élévation du jardin des dunes
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Plan de l’aménagement
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BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES : A. Tiberghien Gilles, 2020, Le paysage est une traversée, Parenthèses, Marseille. Careri Francesco, 2002, Walkscape, Actes Sud, Arles. Clément Gilles, 1997, Traité succinct de l’art involontaire, Sens & Tonka, Paris. Martin Maurice, 1923, Le triptyque : Poèmes de la Côte d’Argent, Éditions des régionalisme, Cressé. Sansot Pierre, 1998, Du bon usage de la lenteur, Rivages, Paris. DOCUMENTAIRE : Drouet François Xavier, 2018, Le temps des forêts.
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ANNEXE > Annexe 1 : La carte de la traversée, mise à la disposition des marcheurs RECTO :
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VERSO :
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RÉSUMÉ Cet projet d’arpentage et de découverte de la forêt domaniale de Lège est un manifeste pour une éloge de la lenteur dans l’appréhension d’un paysage. C’est une invitation à pénétrer dans cette forêt, à appréhender son paysage répétitif, à apprécier le graphisme de son peuplement mais aussi à se faire surprendre par une gestion forestière créatrice de bouleversements paysagers brutaux ou encore par les fines et ponctuelles variations de peuplement qu’elle présente. Ce transect de 8,5 km emprunte les chemins forestiers de la pinède de production en explorant les finesses de son paysage monospécifique, mise en avant par huit interventions qui accompagnent la traversée jusqu’à l’océan. Chacune d’elle souligne une particularité, une circonstance ou une richesse abritées par la forêt.
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