l'empêch
8 euros* 13 FS • BIMESTRIEL • Janvier -Février. 2006
Enquête sur la méthode Onfray Evénement
le Cardinal Barbarin ouvre un séminaire traditionaliste Dossier
L'Eglise et les gays : la longue histoire d'un désamour Débat
Décolonisation & evangelisation Rwanda
L'honneur perdu de la France Analvse
L'encyclique "Dieu est amour" lue par Jean Cardonnel
_e pape prêt à 'excommunication
Le retour des intégristes
To u s l e s 105
...découvrez l'actualité de l'Eglise dans le monde, mais aussi dans vos paroisses ;
13 fs • bimestriel • novembre /décembre 2005 • www.gollas.fr
n f ete
La face cachée les év n'aiment plus l'abbé Pierre !
...lisez un dossier complet et inédit au carrefour du religieux et du politique ;
Document
Comment le nouveau pape a été élu
..partagez la vision et l'analyse d'un théologien, intellectuel, clerc ou laïc, connu ou anonyme, sur l'avenir du christianisme.
Révélation
Guy Gilbert fan d'Escrivâ de Balaguer
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EN
PA G E
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mS0 M MAI R L
Focus Rwanda l'honneur perdu de la France 56
Le Journal
Même les génocidaires ont des amis 57 Vie
et
Mgr
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Falco
d'un à
prêtre
l'Elysée
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Les documents qui embarassent l'Elysée
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« Petits Gris » : lettre ouverte aux évêques 8 La Reconquista du terrain perdu 9 Décolonisation et evangelisation? 1 1 Labbé Pépino, camelot du Roi 13 La Croix et l'abbé Pierre : qui instrumentalise Un
Le
curé
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Forum
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lecteurs
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Grand Angle LEglise et les gays : la longue histoire d'un désamour 68 Catholiques versus gays ' Lintelligence pastorale des évêques suisses
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Le clergé de demain serait-il de plus en plus homosexuel ? 79
l'empêcheur de croire en r
8 «ms-13 FS ■ BIMESTRIEL - lairior -Février. 20DB Enquête sur la méthode Onfray le Cardinal Barbarin ouvre un séminaire traditionaliste
Radioscopie
Discours sur la méthode Onfray
Décolonisation & evangelisation L'honneur perdu de la France
Lettre ouverte à Michel Onfray 34
L'encyclique "Dieu est amour" lue par Jean Cardonnel
retrouvé
Le retour des intégristes
L'Eglise et les gays : la longue histoire d'un désamour
Pour Michel Onfray, l'urgence d'une provocation 23 Dieu
lever tion
39
L'aventure chrétienne Le retour des intégristes
4 3
Rome : bientôt la levée de l'excommunication contre les lefebvristes 44 Un «révisionnisme» de saison
4 8
Le cardinal Barbarin ouvre un séminaire pour les intégristes ralliésl 49 La réforme litugique de Benoît XVI 52 Golias magazine n" 106 janvier/février 2006
Jean Cardonnel répond à Benoît XVI 81 Judas Isacriote, le fidèle fourvoyé 87 Ce qui importe c'est l'écoute 92
Bulletin d'abonnement
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L'encyclique de Benoît XVI
lE■e
retour de la charité du XIX° siècle r a p p e l a n t q u e D i e u e s t a m o u r, e l l e v o u l a i t réconcilier l'éros (amour charnel) et l'agapè V o i l à u n(amour e e n c divin)... y c l i q u eLeq uchristianisme i c o m m e n ç est a i t en b i eeffet n : une religion de l'incarnation et on ne peut prétendre aimer Dieu sans aimer son prochain, mais c'est l'affir mation inverse qui intéresse Benoît XVI : on ne peut vraiment aimer son prochain sans aimer Dieu ! Si l'amour charnel est bien une dimension de l'amour, il doit être purifié... et c'est le rôle de l'Eglise. Le pape ne s'attarde pas sur la relation amoureuse ; il vise la dimension sociale de l'amour. Or, cette encyclique nous ramène aux plus beaux jours de l'apologie de la charité opposée, comme avant Vatican II, à la recherche de la justice sociale. L'Eglise ne se remet pas en cause ; c'est elle qui, selon lui, a tou jours été la motrice des progrès sociaux et qui doit purifier la raison de son inhumanité. Les raccourcis historiques sur les Lumières ( sous enten du la philosophie de la justice sociale) ou le marxisme (sous entendu la philosophie des droits de l'homme) évitent de se poser trop de questions ! Ainsi, il cite deux fois Julien l'apostat qui en reniant le Christianisme en a gardé la nécessité de l'amour mais sans se demander si Voltaire ou Marx n'avait pas fondamentalement eu la même attitude ! Le pape oublie nombre de textes des Pères de l'Eglise ou de théologiens du Moyen-Age qui rappellent que les pauvres ont des droits - même celui de voler en cas de nécessité et qu'il ne sert à rien de célébrer l'Eucharistie dans des calices d'or si Jésus dort nu dehors. Enfin, on peut décerner une mitre d'honneur à celui qui a écrit cette perle : Après avoir souligné à juste tire l'importance de la compétence professionnelle, il précise que si elle " est une des premières nécessités fondamentales (...) elle ne peut suffire. En réalité, il s'agit d'êtres humains, et les êtres humains ont tou jours besoin de quelque chose de plus que de soins techniquement cor rects. Ils ont besoin d'humanité. Ils ont besoin de l'attention du cœur. Les personnes qui œuvrent dans les Institutions caritatives de l'Église doivent se distinguer par le fait qu'elles ne se contentent pas d'exécuter avec dextérité le geste qui convient sur le moment, mais qu'elles se consacrent à autrui avec des attentions qui leur viennent du cœur, de manière à ce qu'autrui puisse éprouver leur richesse d'humanité " (n°3l) ! Demain, je vais aller lire ce texte à des soignants athées qui oeuvrent avec humanité au service de leur patient ! Dans cette encyclique, Benoît XVI cisèle sa pensée et nous conduit certes vers des sommets spirituels splendides. Or à celui qui a faim il est difficile de parler de spiritualité. C'est la collabo ration de tous, entre hommes de bonne volonté sur le etrrain, qui doit être privilégié. Et pas un spécifique de la charité chrétienne comme le dit le pape dans son encyclique qui ne peut conduire qu'à la confusion entre charité et evangelisation. A ce titre la première encyclique de Benoît XVI risque d'entraîner les organisations caritatives de l'Eglise catholique à pratiquer une charité telle qu'on l'a pensée au XIX" siècle. A l'heure des multiples bouleverse ments qui touche le monde, a visée de cette encyclique nous paraît un peu courte. Dommage ! Pascal Janin & Christian Terras
a,
Luand la religion acceptera-t-elle de rire d'elle-même pour se convertir ? tk u moment où éclate la polémique suscitée ^^L par les caricatures du prophète Mahomet, ^ r ^ M n o u s v o u s o ff r o n s q u e l q u e s l i g n e s d u d e r nier et superbe livre de Marie Balmary, dialogue entre un moine et une psychanalyste... C'est cette dernière qui parle : « Je crois qu'il y a une religion universelle avec laquelle on ne compte pas assez : c'est justement celle que combattent tous les penseurs. f...j Cette religion n'a pas de nom, ou plutôt elle a tous les noms, christianisme, judaïsme, islam, mais elle consiste aussi bien dans toute conformité absolue à un ordre, à une caste, une classe. En fait, elle traverse toutes les religions et même les idéologies athées : c'est celle du dieu obscur qui demande à l'homme le sacrifice de sa pensée, le renonce ment à sa conscience I... » et à l'ironie ! Le père JeanMarie Gaudeul, responsable du Secrétariat pour les relations avec l'islam aurait dit que « notre société est bâtie sur le respect de l'autre : le désaccord peut construi re, la dérision tue ». Mais il oublie que l'ironie est un pont qui permet, par la remise en question de soi, de passer du mépris au respect de l'autre ! Et c'est l'autre qui souvent peut nous interpeller sur nos propres limites. H est paradoxal que ce soit au nom d'un islam interdisant toutes les images comme idolâtriques, que l'on juge blasphématoires des caricatures qui juste ment barrent la route à toute idolâtrie : en acceptant de rire de soi-même, on se rappelle que le chemin est encore long vers Dieu et qu'aucune de nos images ne peut dire qui il est. À cause de notre finitude, et à cause de notre péché ! Or les religions, l'islam comme les autres dont le christianisme, ne peuvent faire l'éco nomie de se regarder telles qu'elles sont et telles qu'elles ont été. Certes des facteurs de paix mais pas toujours... Quand donc les religions accepteront-elles d'entrer dans la modernité, ce qui implique une atten tion à la fois bienveillante et critique à la parole de l'autre... comme Jésus qui passait pour un glouton et un ivrogne parce qu'il était toujours avec les publicains et les prostituées (cf. Mat 11, 19) ? Du reste les blas phèmes ne préoccupent pas Jésus sauf celui contre l'Esprit Saint (cf. Mat 12, 24-32)... sans doute dans la mesure où ils ne sont pas un refus de Dieu mais de ses caricatures que l'ironie de certains dessinateurs nous invite justement à discerner et à combattre... Pascal Janin I) Le moine et le psychanalyste.Albin Michel, 2005, p. 48. janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
ENQUETE Qui se cache derrière le crime t
reil dunorerei ■ I était agenouillé en train de prier juste après M avoir célébré la messe, dans la petite église M catholique de Trabzon, dans le nord de la M Turquie, sur la mer Noire, quand un jeune homme l'a tué de deux balles de revolver au cri de << Allah est grand ;;. Mais qui était ce prêtre ? Un prêtre originaire de Rome, Andrea Santoro, depuis plu sieurs années en mission comme prêtre fidei donum en Anatolie. Dans un premier temps, don Santoro a souhaité s'installer à Urfa (la terre d'Abraham), dans le sud-est de la Turquie, aux confins de la Syrie où il passa trois ans comme témoin silencieux et priant dans cette région qui ne comptait aucun chrétien. Sa gentillesse naturelle et son esprit d'ouver ture réussirent à le faire adopter par la population locale jus qu'à l'imam de la mosquée voisine. C'est avec arrachement qu'il accepta de déménager dans le nord du pays, sur la mer Noire, à Trabzon pour prendre en charge la paroisse et l'égli se Sainte-Marie, fondée dans les temps anciens par des capu cins, sans prêtre depuis plusieurs années. Son objectif de tou jours : « Ouvrir une fenêtre qui permette un échange entre l'Egli se chrétienne occidentale et celle d'Orient, retrouver la sève des racines juives et le tronc chrétien, encourager un dialogue sincère et respectueux entre le patrimoine chrétien et le patrimoine musulman, donner un témoignage de vie et de fraternité dans la prière et l'approfondissement des Saintes Ecritures », avait-il cou tume de dire à ses interlocuteurs qui le questionnaient sur le sens de sa présence en Turquie. Il y a deux ans, à Noël, il commença à confier à quelques visi teurs intimes sa préoccupation pour la situation des prosti tuées de la ville et son désir de faire quelque chose pour elles. « La première fois que je suis passé devant une de leurs maisons — ce sont toutes les filles originaires d'Arménie et de Géorgie — elles nous invitèrent à entrer et à prendre le thé. j'étais avec une religieuse, sœur Marie qui portait une croix à son cou. Quelques jours après, nous passions dans la rue principale du quartier où nous nous étions arrêtés pour parler avec ces jeunes prostituées, lorsque l'un d'entre elles, au vue de la croix de la reli gieuse, lui sauta au cou et l'embrassa en faisant le signe de croix. Au grand dam du souteneur qui fit son apparition immédiatement et fit savoir son mécontentement, je lui répondis afin de l'apaiser que la jeune femme était chrétienne et que, nous aussi, nous l'étions. Les maisons dans cette ville sont remplies de très jeunes femmes qui se prostituent. Que faire ? Je le confie jour et nuit au Seigneur : qu'il m'ouvre une porte, qu'il appelle l'une d'entre elles à changer de vie afin d'aider les autres à s'en sortir, qu'il touche le cœur de quelques "protecteurs", et qu'il en envoie, au moins un ,
Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
travailler avec moi. » Quelques semaines plus tard, on apprit de la bouche de l'évêque du lieu, que don Andrea s'était rendu jusqu'en Géorgie pour prendre contact avec l'Eglise locale de manière à venir en aide à ces jeunes femmes. Une piste pour l'enquête de son homicide, puisque d'après nos informations, les policiers de Trazbon soupçonnent que le crime puisse être lié à la mafia, impliquée dans le trafic de prostituées en provenance des pays de l'ex-Union soviétique. Selon cette hypothèse, les instigateurs du crime auraient pro fiter du mécontentement violent des pays musulmans suite à la publication des caricatures sur Mahomet, afin de maquiller l'assassinat du prêtre en conflit politico-religieux. Aujourd'hui, toute l'Église pleure un frère, un des plus nobles dans la radicalité de l'amour évangélique. Non seulement, un vrai témoin de la foi, mais un bâtisseur d'Église, corps du Christ. Un saint comme on a envie de les prier pour nous fortifier sur les traces de Celui qui a ouvert la Voie. C h r i s t i a n Te r r a s
~M
ournal
L'AFFAIRE
Quand l'Eglise s'invite à la table de la République
Falco u
l'Elqsëe peuplés des diocèses de France (avec 123 000 âmes), et pour autant ne pas O n p e u t êcraindre t r e l ' é v de ê q upartager e d ' u n la d e table s m o des ins Grands. Son Excellence Mgr Di Falco a connu, depuis quelques années, bien des déboires, que ce soit sa chute en plein envol parisien ou son exil sibérien dans de dures (mais si belles !) montagnes. Pourtant toutes ces claques, qui auraient laissé KO tout autre que lui, ne l'empêchent pas de parader dans ce » monde » par ailleurs tant décrié.
L'évêque de Gap sait rebondir comme un chamois du Pelvoux, sauf qu'il a l'estomac moins alpin. C'est Le Canard enchaîné qui l'a révélé dans son numéro du I I janvier 2006. Le 18 décembre 2005, pendant cette période appelée « l'Avent », temps où les chrétiens sont invités à se préparer à Noël, à la crèche, au dénuement du fils de Dieu dans sa mangeoire, Msr Jean-Michel Di Falco, lui, partageait, à l'Elysée, le râtelier doré d'une cinquantaine de prestigieux invités. Mais il ne faut pas lui en vouloir, il a toujours préféré les rois mages aux bergers (de ses montagnes). Tout ce beau monde était là pour célébrer une certaine Madame Pinault qui avait reçu des mains du président de la République les insignes de chevalier de la Légion d'honneur. Lecteur exigeant, ne nous demande pas quel service eminent et héroïque a pu rendre à la France cette épouse d'un milliardaire dont le nom est associé à la Redoute, la Fnac, Conforama, Château Latour et autre Executive Life... Nous avouons notre ignorance (mais n'en avons point honte...) !
ciples de M£l Lefebvre. Mais sa place d'épouse du chef de l'É tat lui interdit de trop afficher ses penchants extrémistes. Alors, elle donne, et depuis longtemps, dans une fréquenta tion plus modérée, dans un conservatisme prudent, en parti culier en confiant le soin de son âme aux moines de la Fraternité de Jérusalem, fortement implantée à Paris...
Mais que faisait donc l'évêque de Gap au milieu de ces chira-
que Bernadette « se lève et tous les convives, un peu interloqués, sont priés d'en faire autant. La première dame de France se tour ne alors vers Di Falco et lui donne la parole. Il lance haut et fort : "À la demande de ces dames, je vais dire une prière d'action de
quiens hyper-friqués ? Tout porte à penser qu'il était l'invité personnel de Bernadette Chirac qui le fit siéger à sa droite, la place d'honneur revenant, selon l'étiquette, au représen tant de Dieu. Dame Chirac est connue pour ses ferveurs religieuses qui instinctivement la poussent du côté des dis
À la fin de ce fameux repas élyséen, le Canard nous raconte
grâces." L'assistance est médusée. De table en table, tout le monde s'observe, un brin gêné, le visage de Claude Chirac est crisjanvier/février 2006 Golias magazine n° 106
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pé et celui de Jacques se décompose... » Et la prière de remerciement se termine par un signe de croix, que Jacques Chirac refuse de faire...
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... A SUIVRE
ar Di Falco à la rue ?
Nous ne saurons jamais, hélas, si notre Monseigneur des Grands s'estime avoir été piégé par Bernadette et mis dans l'im possibilité de refuser une manifestation qu'il ne souhaitait pas. À moins que la foi contagieuse de sa noble voisine ne l'ait lui-même emporté sur des sommets mys tiques, où, au lendemain du centenaire de la séparation des Églises et de l'État, la noble assemblée a été manifestement gênée de le suivre. Comment cet évêque, mis en pénitence le plus loin possible de la capitale, peut-il toujours être le saint chouchou des puis sants de ce monde, la coqueluche épisco pale des derniers salons de la République, l'homme que l'on est fier d'avoir à sa table, qui est capable au dessert et sur commande de sortir une prière de pleine bouche (prononcez « Bush ») ? Il y a là un bien beau miracle... Dieu, notre Dieu de pauvreté et d'humilité, aurait-il changer de tactique ? À croire qu'après la visite des Mages à la crèche, Son Fils a préféré fuguer avec eux, laissant sa place à un petit de berger, (voilà qui pourrait expli quer les discours évangéliques contre les riches et les grands de la terre !). Alors que l'épiscopat fait la gueule à l'abbé Pierre pour un aveu jugé déplacé, qui n'est, pourtant, qu'un humble (et bien chrétien) témoignage de difficile humani té, l'inoxydable Jean-Michel fait briller sa croix pectorale et sa vanité violette sous les lustres de cristal et n'a pas peur de porter des toasts à Dieu dans les bulles rotées d'un Champagne haut de gamme. Courtisan Jean-Michel, toi l'évêque des salons parisiens, surtout te gêne pas pour nous, ni pour ton (?) peuple de monta gnards. Continue, à l'aise, de faire tes ronds de jambe, tes baisemains et tes prières de prélat repu. Mais, pour la paix de ton âme, surtout n'ouvre plus jamais l'Évangile (appelé aussi « Bonne nouvelle annoncée aux pauvres »). Et pour termi ner tout de même avec le panache que mérite ton goût des grandeurs, répondsnous franchement : quand, toi, un prince de l'Église, tu sors de l'Elysée, est-ce que la Garde républicaine te salue sabre au clair ? Jean Molard
par contre sa situation est moins reluisante dans ce qui lui sert Si Monseigneur de diocèse...DiVoilà-t-il Falco est paslaque, starlà-bas,à religieuse Gap, desil est salons prié élyséens, d'acheter la belle maison qui lui sert (gratuitement) d'évêché, faute de quoi il doit vider les lieux qui appartiennent à la Congrégation des Sœurs de la Providence. Ces religieuses veulent vendre une grande partie de leurs biens pour restructurer leur couvent et y développer l'accueil des personnes âgées. L'évêque précédent, Mgr Lagrange, démissionnai re en 2003, avait déjà prévu de déménager et de s'installer dans la Maison diocésaine, qui regroupe l'ensemble des services du diocèse et sert de maison de retraite aux prêtres âgés. Il est tout à fait pos sible d'y loger un évêché. Il n'est pas question pour l'actuel évêque de partager le même toit que les vieux prêtres du diocèse. Le Dauphiné Libéré du 22 janvier 2006 titrait : « Hautes-Alpes : évêque sans domicile ? Mgr Di Falco : "Je suis un occupant sans droit". » C'est dire si le problème résonne dans les vallées bien au-delà des habituels cénacles religieux. Le prix de cet « évêché » proposé à la vente est de 1,4 millions d'euros, ce qui est, reconnaissons-le, une assez coquette somme. Mgr Di Falco affirme que ce prix est énorme et que le diocèse ne dispose pas d'autant d'argent Mais c'est le prix du marché pour 6 000 m2 de surface de plancher prévus par les promoteurs... Et les soeurs, dont le travail sur le secteur est assez apprécié, ont besoin de cette somme pour mener à bien leurs projets... Dans le même journal, Monseigneur Di Falco avoue qu'il aurait « pu aller en justice ». Il y a renoncé « pour ne pas rendre la situation plus désagréable » commente-t-il très chré tiennement... Mais, nous lui rappelons discrètement qu'il ne faudrait pas, pour le cas où il changerait d'avis, qu'il laisse passer la date de prescription... Depuis le Ier janvier 2006, puisque la mise à disposition de la maison n'a pas été renouvelée, Mgr Di Falco peut donc se proclamer « un occupant sans droit ». La scoumoune, on vous dit, qui lui colle à la mitre. Non seulement l'évêque le plus brillant de France est confiné dans « le djebel », comme diraient les anciens d'Algérie, mais de plus il lui faut renoncer à la belle maison bourgeoise qui jusqu'alors lui faisait oublier la dureté des lieux. On ne savait pas que la crise du bâtiment frappait aussi fort, jusqu'à Gap, et que même un évêque, pourtant ami des plus grands de ce monde, n'arrivait plus à se loger. Ou bien son entregent commencerait-il à montrer des signes d'essoufflement ? Une seule solution : qu'il prenne conseil, si l'abbé Pierre est trop absorbé par les problèmes du logement social, auprès de Jacques Gaillot. Celui-ci a une certaine expérience de survie épiscopale en milieu SDF, puisqu'il n'a même plus de siège pour asseoir sa fonction. Certains ne manqueront pas de nous reprocher cette comparaison. Et finalement ils n'auront pas tort. Il ne faut pas confondre l'amour de l'Évangile avec des réflexes de petit bourgeois qui se rêve en grand. Henri Cumain
Le Journal APPEL Les Frères de St Jean reçus par le pape Benoît XVI
« Petis Gris » : letre ouverteauxevêques vous écrive. Ne voyez là nulle provocation, mais l'expression d'une grande inquiétude. Il Sans do u t e , pour s e r enous z - v ode u s vous é t o nparler n é q ud'un e Gimpor olias s'agit tant dossier concernant la communauté des Frères de Saint-jean. Ce dossier (voir Golias 105), nous l'avons établi d'abord à partir du long cheminement de réflexion et de « deuil » que nous avons eu avec les parents, la famille de jeunes « sortis » de la communauté. Ensuite, nous avons poursuivi notre propre étude de la « doctrine » enseignée dans les maisons de formation et également du « fonctionnement » de l'autori té à l'intérieur de la communauté. Nous tenons à vous rappe ler un point important que nous avons souligné dans nos articles : ce sont les parents et familles qui ont demandé à nous rencontrer alors que nous ignorions jusqu'à leur exis tence, d'autant que ces personnes ont des sensibilités reli gieuses et des parcours personnels qui normalement n'au raient pas dû les orienter vers nous. S'ils se sont adressés à nous, c'est parce que leur immense souffrance n'est pas entendue. Ils ont aujourd'hui chez eux ou à l'hôpital un enfant qui a vécu un vrai drame et dont ils savent qu'il ne redeviendra jamais « comme avant », alors que les personnes responsables de ces destructions sont toujours en place et poursuivent leur œuvre, avec les mêmes méthodes, les mêmes justifications religieuses, sans avoir eu à rendre comp te à qui que ce soit... Car si ces parents n'ignorent pas, et nous le rappelons dans notre dossier, que l'épiscopat a déjà été alerté, souvent par eux-mêmes et que certains des évêques concernés ont pris quelques décisions d'assainissement, ils constatent, malgré tout, que ces mesures n'ont pas d'effet sur l'évolution de la communauté des Frères de Saint-Jean. L'engagement reli gieux, nous le savons, n'a pas de frontière puisque, par défini tion, il est ouvert sur l'infini et que cet infini, richesse de notre foi, aspire tout l'être dans sa démarche de croyant. L'appel à devenir toujours meilleur, à se dépasser, à se don ner, à s'ouvrir au mystère de Dieu est constitutif de « l'aven ture chrétienne » et l'histoire de l'Église est emplie de ces témoignages de « sainteté ». Mais cette ouverture à l'absolu
porte en elle, surtout chez des êtres jeunes, le danger de la dérive si les « maîtres » chargés de la formation ne sont pas des gens équilibrés, ou si même, plus grave, ils utilisent cette capacité du « toujours plus » dans l'intérêt de la communau té ou pour la satisfaction de leur propre ego. L'Église, au cours de siècles, n'a pas toujours échappé à ces dérives, mais la sagesse et même un assez constant bon sens ont toujours permis d'en limiter les excès. Or aujourd'hui, face à cette dérive de type sectaire que l'on constate dans certaines mai sons des Frères de Saint-Jean, et en particulier dans les centres de formation, on ne voit plus où s'exerce la vigilance des évêques. Il semble que leurs capacités de recrutement, et la possibilité qu'ils ont de remplir des presbytères leur donne une assurance, pour ne pas dire une arrogance qui fait taire toute voix de l'autorité. Nous sommes prêts, si vous le souhaitez, à vous faire rencon trer des parents de ces jeunes cassés par leur passage chez les Frères de Saint-Jean. D'autre part, nous souhaitons une enquê te approfondie à l'intérieur de la communauté faite par des personnes suffisamment neutres pour ne pas être tentées de couvrir les excès. Nous souhaitons aussi, que dans l'attente du résultat de cette commission d'enquête, un moratoire soit appliqué dans le recrutement et que chez les Frères de SaintJean, les « aspirants » ne soient pas embarqués immédiatement dans l'engagement total et la prise d'habit. On ne peut devenir un petit moine à 18 ans. Ne peut-on pas imaginer des commu nautés d'accueil particulièrement ouvertes pour des gens en étude de vocation, avec une découverte du monde réel et une préparation à une éventuelle activité professionnelle ? L'appel de Dieu sera-t-il si fragile qu'il ne résiste pas à une ou deux années de probation « en plein vent ». Et de plus, serait balayé l'argument selon lequel le jeune qui « craque » chez les Frères de Saint-Jean était déjà malade avant d'entrer. Nous estimons que la situation est suffisamment grave et engage trop l'en semble du témoignage de l'Église pour que vous ne donniez pas votre point de vue sur les problèmes que les parents cités plus haut vous posent à vous, responsables de l'Eglise de France. Nous vous assurons, de nos respectueuses salutations. La rédaction de Golias
janvier/février 2006 Golias magazine n" 106
ournaL CONFIDENTIEL La restructuration des paroisses en question
LoReconqusifa du terrain perdu.. des catholiques dans les villages du Rhône-Vert (la partie rurale du diocèse de Lyon). petit bijou qui sur en dit Une enquête vientUnd'être lancée la long vie sur la mentalité d'assiégé qui commence à se déve lopper dans ce qui reste de notre bonne vieille chré tienté ! Elle commence par : « Notre évêque, Me' Barbarin et notre vicai re episcopal, le Père Payen, constatant que dans la pratique, cer tains aspects négatifs dus au regroupement des clochers en une grande paroisse ont décidé d'organiser une enquête dans le Rhône-Vert sur la vie des catholiques pour y voir plus clair. Parmi ces aspects négatifs, on peut citer le fait que des catholiques ont pu se sentir noyer (sic) dans un grand ensemble et en conséquen ce se démobiliser localement. » Qu'en en termes ampoulés ces choses-là sont dites ! Mais il faut s'y reconnaître dans ce vocabulaire ! On a regroupé des paroisses parce qu'il n'y avait pas assez de prêtres pour en assurer la « desserte », mais comme il ne fallait pas donner l'impression d'une déser tification en ces temps de délocalisation, le vocable a été gardé. Il y a désormais une « grande paroisse » qui regroupe des « clochers ». Et les catholiques — encore heureux qu'on ne parle pas des chrétiens annexant sans coup férir tous nos frères réformés ou orthodoxes — seraient perdus dans ce grand ensemble ainsi constitué. Il faut donc les inciter à se regrouper pour qu'ils deviennent ainsi plus visibles à leurs propres yeux. Et s'étant regroupés ils pourront ainsi se re mobiliser localement (car, n'est-ce pas, le problème ne se
On ne parle plus de paroisse sinon pour classer ce qui en subsiste au niveau du vocabulaire parmi les grands ensembles dont on sait bien que c'est de là que nous vient tout le mal. Et sans penser à mal, l'insistance sur le clocher nous semble
pose pas « nationalement »).
quelque peu curieux au moment où se déplore, entre autres choses, une perte d'identité. Fallait-il s'accrocher à ce signe fort, à ce signal d'un autre temps qui nous a valu toutefois de belles prouesses architecturales, mais qui n'en est pas moins le symbole d'une force perdue. Et honni soit qui mal y
Mais plus loin le texte de présentation de l'enquête enfonce le clou : « // a semblé à l'équipe de l'EAP (Equipe d'Animation Pastorale) de réfléchir ensemble, par clocher, sur ce questionnaire. La présence de personnes des différents services est importante pour le bon déroulement de ces réunions. Un exemplaire conden sé est présenté ci-après et un échange sur ce questionnaire est
pense !
prévu dans les différents clochers selon les dates de rencontres. »
questionnaire que les questions tendancieuses, il nous paraît
Golias magazine nc 106 janvier/février 2006
Et pour qu'on ne nous accuse pas de ne prendre dans ledit
urnal nécessaire de laisser les lecteurs en juger par eux-mêmes. Peut-être nous fera-t-on un procès pour avoir ainsi reproduit sans autorisation un chef-d'œuvre de l'enquête sociologique. Mais parce que nos lecteurs ont droit à toute la vérité voici, in extenso, la grille d'analyse proposée aux catholiques du Rhône-Vert.
Ce qui est à l'initiative des catholiques du village a) Pour chaque village de la paroisse : enumeration d'initiatives, qui est à l'origine ?
Les puces de Golias rtr Breton (ùax) brouille les ondes cathodiques P h i lcourrier i p p e B r aux e t o n curés , é v ê qdes u e dparoisses ' A i r e - e t - Dlandaises a x a a d rles e s senjoi é un gnant de refuser l'installation d'antennes dans les clochers des églises.
quel fonctionnement ?
Ces relais, dans une région peu peuplée, sont censés per mettre une meilleure couverture internet. Oui, mais voilà, Internet transporte des contenus (notamment des films), « acceptés par la société mais réprouvés par la morale »,
quelle publicité ?
selon les mots du prélat...
quel but ou objectif ?
quel lien avec la paroisse, des mouvements ou service diocésain ? quelles conséquences pour les catholiques du village, de la parois se, dans la vie du village ? quels freins, limites, difficultés ? quels fruits, intérêts... ? commentaires Liens entre les catholiques et la vie villageoise profane ? b) Il existe des activités traditionnelles qui lient le profane et la religion catholique comme les classes par exemple. Enumeration et fonctionnement de ces activités. Quelles conséquences pour les catholiques du village, de la parois se, dans la vie du village ? Quels freins, limites, difficultés ? Commentaires : c) La communauté catholique du village a-t-elle une présence visible auprès des structures villageoises? municipalité, école, vie associative ? Description de cette présence : Commentaires : d) Quelles initiatives la communauté catholique a-t-elle pour être visible, présente, accueillante aux non-chrétiens ? Citez quelques initiatives en les décrivant : Dites ce qu'elles ont permis mais aussi les limites Quelles suites ? e) Les catholiques sont-ils repérables dans la vie du village, aux fêtes villageoises ? - Si oui : comment ? Donnez un ou deux exemples Quelle visibilité ? - Si non : Pourquoi ? Commentaires : f) Le village (municipalité, école, associations...) demandent-ils des services aux catholiques du village ou à leur représentant? Si oui : Donnez un ou deux exemples ? si non : Pourquoi à votre avis ? Commentaires : g) A votre avis, comment les catholiques sont-ils perçus dans le vil lage ? Auriez-vous un qualificatif les désignant ? h) Auriez-vous des propositions à formuler
II fallait le faire ! Il fallait surtout oser l'écrire... Reste que la plupart des clochers appartiennent aux com munes en vertu de la loi de 1905. L'installation d'une anten ne sur ces bâtiments communaux, ne relève pas a priori de la compétence de l'évêque, dans la mesure où elle ne trouble pas l'ordre du culte. Il est un peu affligeant de voir ainsi notre Église catholique se lancer dans des combats d'arrière-garde susceptibles d'avoir pour conséquence la privation de l'accès au réseau Internet grande vitesse, pour les habitants d'un département à faible densité de popula tion, et aux longues distances à parcourir pour se rencon trer, échanger, travailler... Un peu comme si l'Église met tait un obstacle au progrès. Golias
- Pour améliorer, créer des « activités » qui permettraient aux catholiques du villages de mieux se rencontrer, de plus faire com munautés ? - Pour mieux accueillir les demandes qui leur sont faites ? - Pour être plus missionnaire auprès des non-chrétiens ? i) Autres remarques que vous avez envie de faire ? Il faut reconnaître que toutes les questions ne sont pas de la même farine, mais comme il faut rendre à César ce qui est César nous n'en prendrons qu'une laissant nos lecteurs décrypter cette belle page de témoignage évangélique. Il est une coutume des chrétiens d'Orient dont pourraient s'inspi rer les rédacteurs de ce questionnaire qui s'accorde si bien avec ce désir latent — mais qui commence à s'exprimer de manière plus visible — d'une Reconquista : lors de l'entrée dans le Carême, certaines Églises d'Orient imposent non pas les cendres mais le parfum en souvenir de ce conseil évangé lique : « Quand tu jeunes parfume toi la tête... » Nos rédacteurs s'inquiètent en réalité de l'absence de lisibili té (un mot à la mode) des chrétiens « dans la vie du village, aux fêtes villageoises ». Comme les petites croix au revers du veston, à l'emplacement des légions d'honneur et des palmes académiques, ne sont guère... lisibles, diverses modalités pourraient être suggérées à notre Eminence. Les chrétiens pourraient se faire tatouer sur le front une petite croix : c'est un peu barbare mais ce serait tendance et permettrait à un artisanat modeste de pouvoir se développer ! En plus soft on pourrait aussi suggérer aux hommes de se mettre au col romain et aux femmes de porter cornette. Paul Gauthier
janvier/février 2006 Golias magazine n" 106
I Le Journal ANALYSE Le débat sur la colonisation
ëcolonisation et evangelisation
cès systématique de toute colonisation occidentale, accusant le rouleau compres Ces mois seurderniers, du colonialisme certainsde ont s'être faitefforcé le pro de tout reconstruire à notre image et à notre ressem blance. Dans cette triste logique, on n'accepterait la maintenance des coutumes des peuples indigènes qu'à l'état de survivances folkloriques, en vue de l'enrichissement des musées ou de la distraction des touristes. Et l'on ne fait parfois aucune distinction entre les dimensions politiques, commerciales et reli
journal La Croix (« Humanisme, colonisation et evangelisation », 19 janvier 2006), Gaston, Piétri énonce quelques repères his toriques élémentaires à ce propos. Merci à lui de remettre ainsi les pendules à l'heure. Cependant, le journal a cru bon de placer en exergue une phrase qui, personnellement, m'avait laissé dubitatif : « Difficile de nier que, malgré tout, l'Egli se ait eu une longueur d'avance à travers sa manière de distin guer evangelisation et européanisation. » On peut apprécier la nuance introduite par l'incise malgré tout, mais, à mon sens, c'est loin d'être suffisant. Parlant de
gieuses de ces entreprises d'outre-mer.
l'Église, notre auteur semble n'entendre que l'Église catho lique, alors que bien d'autres Églises ont pris davantage de distance par rapport aux fonctionnements ecclésiaux impor tés par leurs évangélisateurs.Avec raison, pour l'Église latine, Gaston Piétri fait allusion à l'instruction adressée en 1659
Les historiens les plus sérieux peuvent montrer ici comme ailleurs combien des jugements à l'emporte-pièce s'avèrent
par la jeune Congrégation de la propagande aux vicaires apostoliques en partance pour les royaumes de Chine, du Tonkin et de la Cochinchine. Ce texte admirable prône d'in
contre-productifs, se retournant ainsi contre la portion cré dible de la thèse avancée. Avec pertinence, dans un article du
dispensables distances pour que l'évangélisation ne soit pas confondue avec l'européanisation, selon les mots de notre
Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
auteur, autrement dit, dans le langage théologique actuel, c'est une clameur en vue d'une véritable inculturation. Cette instruction demande le respect maximum des cultures locales : « Quoi de plus absurde que de transporter chez les
Mar Barbarin : le péché par omission
Chinois la France, l'Espagne, l'Italie ou quelques autres pays d'Europe ? N'introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d'aucun peuple, pour vu qu'ils ne soient pas détestables. » Hélas, la mise en œuvre de ces consignes fut condamnée par Rome, dès 1742, discrédi tant pour longtemps une religion venue d'ailleurs qui enten dait imposer jusqu'au détail le rituel exprimant la foi catho
Quel mauvais exemple pour ses paroissiens !
lique des baptisés extrêmes-orientaux. Depuis lors, l'en semble des missionnaires occidentaux partent vers les
plus de la bannière que de la croix.
populations étrangères au catholicisme avec des containers bien pleins, tant pour la doctrine, la morale, la pastorale, la
IL y a deux mois, les Lyonnais ont appris que, pour
liturgie, la formation des couples de catholiques et la prépa ration à l'exercice du ministère sacerdotal. On pratique donc une simple transplantation des institutions et des diverses réalisations ecclésiales des contrées de notre vieille Europe. Pourquoi donc s'étonnerait-on aujourd'hui en constatant que le catholicisme a poussé plus de radicelles légères que de racines profondes dans l'humus des cultures indigènes ? Quand Rome, avec un regard anticipateur remarquable, voyant se dessiner l'ère des décolonisations, a nommé des évêques du cru, ceux-ci étaient chrétiennement construits sur le modèle de leurs prédécesseurs occidentaux. Aujourd'hui encore, le choix des prêtres épiscopables semble se faire prioritairement au regard de leur docilité à Rome plus que sur leur liberté prophétique ou évangélique. Depuis ces dernières décennies, on a entendu de grands et beaux discours papaux proclamant le devoir d'inculturation religieuse. Mais, dans la pratique tout écart par rapport aux réglementations établies par le Vatican se trouve réprimandé, avec toutes les nuances de la contrainte que les instances romaines manient avec brio depuis des siècles, y compris envers des évêques. Et lorsque l'un ou l'autre responsable tient à suivre la voie hiérarchique, comme ce fut le cas pour obtenir l'autorisation romaine en vue d'un rite zaïrois pour la célébration eucharistique, cela relève d'une course de fond et d'une folle dépense d'énergie que l'on pourrait rêver d'employer en d'autres combats. Le clergé formé dans les jeunes Églises est parfaitement for maté sur le modèle du fonctionnement ministériel exigé par les congrégations romaines. Des paroisses catholiques de France confiées à des prêtres venus de ces Églises lointaines peuvent témoigner combien nombre de ces prêtres ont bien retenu le détail des actes du ministère tel qu'ils l'ont appris dans leurs séminaires, souvent d'une orthodoxie scrupuleu se. Autrement dit, la manière d'évangéliser dans ces jeunes Églises, chez eux ou ailleurs, demeure très européanisée. Quand mettra-t-on enfin en place, avec la collaboration de tous, une evangelisation suffisamment décantée de ses inévi tables alluvions européennes, et se montrant attentive aux
Monseigneur Barbarin vient de commettre coup sur coup deux péchés qui font désordre quand on est primat des Gaules. Et c'est sans parler de ses petits arrangements avec ce diable de préfet qui, dans cette affaire, tient
récupérer un peu de sous, leur diocèse envisage de vendre plusieurs biens. Notamment l'église SainteMarie de la Guillotière. La main sur l'Évangile, Monseigneur Barbarin affirme que rien n'est vrai ment décidé pour cette église. Qu'il espère bien qu'elle ne sera pas détruite. Ce qui n'a toutefois pas empêché le diocèse de demander un permis de démolir. Le gros mensonge du cardinal n'y changera rien. Le sort de Sainte-Marie de la Guillotière est bel et bien scellé. L'acquéreur a été trouvé : la commu nauté arménienne catholique qui a prévu de démolir l'église et d'en construire une plus modeste. Pour f i n a n c e r l ' o p é r a t i o n , i l s u ff i r a d ' é r i g e r q u e l q u e s immeubles bien rentables. Autre péché barbarinesque, le mensonge par omission. Subitement tou ché par une amnésie pas très catholique, notre cardi nal oublie que cette église était en voie de protec tion. Et qu'il ne vienne pas nous dire qu'il ignorait son intérêt architectural. Dès le 23 juin dernier, l'ar chitecte des Bâtiments de France avait adressé une lettre tout à fait explicite sur le sujet. Il y faisait état de son intention d'obtenir l'inscription de cette égli se sur la liste complémentaire des monuments histo riques. C'était prendre Barbarin pour un enfant de chœur. Ce qu'il n'est plus depuis longtemps. Sitôt la lettre reçue, notre prélat s'est empressé d'intervenir auprès du préfet, persuadé qu'un homme qui s'appel le Lacroix ne peut rien lui refuser. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé. Le dossier de cette église a été retiré de l'ordre du jour de la CRPS, la commission du patrimoine qui devait justement se prononcer sur son classement. Au final, on l'a peut-être échappé belle. Si la primatiale Saint-Jean n'appartenait pas à l'État, qui sait si Barbarin n'aurait pas été capable de la vendre. Des immeubles à cet endroit, ça vaut cer tainement son pesant d'or et d'encens. (article extrait des Potins d'Angèle, n° 16)
consignes de 1659, qui fleurent si bon la fraîcheur évangé lique ? Aussi longtemps qu'une telle entreprise est repoussée aux calandres grecques, on peut tristement parler de colo nialisme spirituel. Michel Legrain
janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Le Journal MEMOIRE Ils pleurent toujours Louis XVI
Léi Pépnio,cameoltduRoi année en l'honneur du roi Louis XVI. C'était le 21 janvier, jour anniversaire de Des messes sa mort ont qui encore eut lieu été encélébrées 1793. Quecette des gens prient pour un défunt n'a rien de choquant. Chaque jour, des milliers de « messes » sont « offertes » et célébrées pour les défunts des familles, et le dernier des Capet a droit à l'égalité (républicaine) des chances de salut... A moins que dans son cas, il s'agisse moins de prier pour le repos de son âme (depuis le temps, si elle n'est pas au ciel, son avenir paraît bien compromis !) que de faire de l'Eucharistie un rassemblement politico-nostalgique qui pue un peu trop fort, autour de l'autel, son monarchisme militant.
Ces messes prennent des allures de manifestations royalistes et l'ambon se transforme en tribune pour les pourfendeurs d'une démocratie forcément régicide. Trois messes ont ainsi été célébrées dans la seule ville de Lyon, l'une en l'église Saint-Georges (chez les « Saint-Pierre », les ralliés de MSI Lefebvre), une autre au prieuré du 56 de la rue Inkermann qui, lui, est carrément aux mains des
l'Eucharistie en présence de Son Altesse royale le prince Rémy de Bourbon-Parme, descendant direct de saint Louis et de Louis XIV (« altesse royale », n'est donc pas une invention moqueuse de Colias). D'ailleurs, l'abbé Pépino a commencé son homélie en lui lançant un respectueux « Monseigneur », avant de dire « chers frères et sœurs »... Parmi ces chers frères et sœurs, il y avait Loïc Bernard deThugny, « président
membres de la fraternité Pie X, de stricte observance lefeb vriste..Voilà qui illustre bien ce sur quoi nous insistons tant
du souvenir bourbonien » (ça non plus, ça ne s'invente pas) et «
à Golias : ces milieux intégristes, ralliés ou non, sont impré
breux monarchistes légitimistes... » comme le rapporte sur
gnés de la haine de la République. Ils ont repris le flambeau jamais éteint des partisans de. l'Action française, de Maurras et des camelots du roi... Tout autant que leurs prédéces
son site « Lyon-people ».
seurs, ces nostalgiques de la monarchie détestent la démo cratie, la laïcité, la liberté, l'exercice de la citoyenneté, qui, pour nous sont autant de valeurs fondatrices, mais qui, pour eux, sont la source de tous les maux de notre société et de sa déliquescence... Dans le cadre de ces cérémonies « vieille France », plus sur prenante est la messe « royale » organisée dans la prestigieu se église Saint-Bonaventure de Lyon, avec bien sûr l'aval de son curé et donc celle du cardinal Barbarin. C'est l'abbé Éric Pépino, curé de paroisses dans le Val d'Azergues (départe ment du Rhône), qui a, encore cette année, célébré
Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
les représentants des grandes familles lyonnaises et (de) nom
Le sermon de l'abbé mérite bien quelques citations révéla trices : « Traîné devant un tribunal inique, condamné par des juges sans loi car sans Dieu, le roi [Louis XVI, ndlrj n'a pour témoignage que sa foi... » Va pour la foi du roi, mais « ces juges sans loi » parce qu'ils sont « sans Dieu », ça ne sent pas sa haine de la laïcité ? D'ailleurs, le prédicateur poursuit en dénonçant les révolutionnaires « qui se proclamaient les maître de la France ». Ils « avaient un plan : établir un ordre nouveau qui n'est en fait qu'un vaste désordre. L'ordre nouveau reposerait sur un principe que nous venons de commémorer : la laïcité... » S'en suit une charge générale, en particulier contre l'école, pour poursuivre : « La mort de Louis XVI ouvre donc des temps radicalement nouveaux où l'opposition à l'Eglise,
Le Journal à la foi chrétienne, à la famille et plus largement à l'ordre social
velle annoncée à toutes les nations... Il devient chapelle pour
naturel trouve son point d'aboutissement en notre siècle. »
l'élite où les aristos retrouvent leur place légitime, celle des
« Décapiter un roi que Dieu, lors de son sacre à Reims, avait oint
(Mon)Seigneurs. Le roi à venir, prétendant légitime, quant à lui, est annoncé comme le nouveau messie d'une société
de la sainte Ampoule n'était en rien un geste anodin. C'était la volonté délibérée de se séparer définitivement de la loi divine. C'est le même processus qui, aujourd'hui, sévit et conduit à la défaite de l'intelligence quand des lois sont votées sous la pres sion des minorités en tout genre, afin d'établir une société nouvel le affranchie de toute norme morale... » Le discours se termine par une annonce du « petit reste » , comme « Israël, qui après sa déportation à Babylone ne ressem blait à rien... » Et pourtant en Israël, il y eut toujours ce petit reste qui accueillit Jésus. Le petit reste avait eu raison contre tous... L'appel est là, pour les vrais chrétiens, pour les purs,
pieuse, morale, obéissante et soumise. Que les fils de Lefebvre, qui n'ont jamais fait mystère de leurs sympathies pour l'extrême droite, poursuivent leur combats contre ce qui fonde notre société moderne, c'est dangereux et appelle la vigilance, mais ce n'est pas nouveau. Mais que dans une des plus prestigieuse églises de Lyon, on puisse entendre une telle déclaration de guerre aux fonde ments les plus humanistes de notre société (liberté, égalité, fraternité), avec l'accord du curé des lieux et du cardinal, n'est pas acceptable.
rares mais convaincus, à reprendre le chemin des minorités Jean Molard
persécutées. Leur christianisme renonce à être la bonne nou
Nominations en vue à la D'après de des nouvelles sources nominations bien informées sont en au cours Vatican, au sein de la Curie... Le Père Leonardo Sapienza pourrait devenir le prochain président du Conseil pontifical pour les communications sociales ; organisme qui deviendrait un « superdicastère » regroupant Radio Vatican, la télévision vaticane, la salle de presse du Vatican, \'Osservatore Romano et le bureau du site Internet du Vatican. Leonardo Sapienza remplacerait donc l'archevêque Foley qui n'a pas atteint la limite d'âge, mais en poste depuis longtemps il aspire à changer d'air (ses relations avec l'en tourage de Benoît XVI ne sont pas au beau fixe). Le nom de Leonardo Sapienza n'est pas connu de beaucoup de
prochés du Vatican. Et le vent souffle en faveur des Italiens. Celui qui occupe la pôle position estAttilio Nicora, toute fois le cardinal Bertone, archevêque de Gênes et ancien collaborateur de Joseph Ratzinger à la Congrégation pour la doctrine de la foi semble se rapprocher de plus en plus de la ligne d'arrivée, ainsi que le cardinal Camillo Ruini, pré sident de la CEI (Conférence épiscopale italienne et vicaire de Rome), et de manière de plus en plus insistante, MSi Rino Fisichella, (poulain de Ruini) et président de la très influente université pontificale du Latran. Des noms qui font dire à certains observateurs que le poste de secrétai re d'État ne reviendra pas à une personnalité faisant partie de la nonciature apostolique. Rappelons que le cardinal Angelo a été nommé par Jean Paul II alors qu'il était nonce apostolique au Chili (sous le régime de Pinochet...). C h r i s t i a n Te r r a s
personnes, mais pas au Vatican où comme « Addetto per il protollo » (responsable du protocole à la Maison pontifica le), le Père Sapienza a la réputation d'être un « gros tra vailleur » discret et très efficace, présent à son poste de travail chaque matin à 7 heures. D'après d'autres sources, Leonardo Sapienza serait nommé dans le cadre d'un « Motu proprio » qui réformerait, comme indiqué plus h a u t , l e c o n s e i l p o n t i fi c a l p o u r l e s c o m m u n i c a t i o n s sociales. Enfin, le porte-parole de la salle de presse du Vatican, Joaquim Navarro-Valls serait invité à laisser sa place... Fin d'une époque !
Bientôt un nouveau secrétaire d'État... Même si Angelo Sodano semble demeurer en place pour quelques semaines encore, le nom de son successeur fait l'objet de nombreuses supputations dans les cercles rap
L'évêque qui veut relire Vatican II Msr Tommaso Ghirelli, évêque d'Imola, a attaqué très durement dans un article bien remarqué en Italie la réinterprétation idéologique à son goût que l'École de Bologne propose du dernier conci le. Ses deux cibles principales sont Giuseppe Alberigo et Alberto Melloni (voir Golias 105 à ce sujet) auxquels l'évêque italien de présenter la hiérarchie comme divisée d a n c e s q u i s ' a ff r o n t e n t . D a n s l a l i g n e
n°l04 et reproche en ten de son
patron et ami, Camillo Ruini, Mgr Ghirelli entend au contraire minimiser le tournant conciliaire ; Vatican II, au fond, est un concile parmi d'autres : mieux vaut désormais priez la Vierge Marie ! Romano Libero
janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Le Journal MEDIA Un journal aux ordres
LoCroxi eta'lbbéPe ire: quin i sfrm i entusile qui ? large en vue de satisfaire le maximum de ses lecteurs, le quotidien La Croix, C o m m e tqui o u tnej oveut u r n apas l q déplaire u i p r é t eà nla d hiérarchie balayer catholique en accueillant des réflexions trop éloi gnées de la ligne de pensée officielle de cette Eglise, utilise des chroniques dites de libre-opinion. A cela s'ajoute un courrier des lecteurs, judicieusement sélectionné, de façon à faire étalage d'un pluralisme de bon aloi. Aucune difficulté à être publié pour le lecteur réprimandant l'ignorant qui ne sait pas pourquoi une aube liturgique ne peut être de cou leur verte. Ce savant redresseur de tort n'engage en effet aucun débat de fond. Mais ce n'est pas pareil quand on ose réfléchir sur les choix retenus par La Croix à l'occasion des confidences de l'abbé Pierre. Le rédacteur en chef religieux (sic) de ce journal m'a envoyé une lettre, une sorte de circulaire desti née à remercier et apaiser celles et ceux qui ont pris la peine d'exprimer leur avis à propos de cet aveu du célèbre prêtre. Il évacue entièrement mon inter
En choisissant de titrer « Le propos de l'abbé Pierre est instrumentalisé », phrase extraite du discours d'ouverture de Msr Ricard, président de la Conférence des évêques de France, lors de leur rencontre d'automne à Lourdes, le jour nal La Croix du 7 novembre ne laisse aucunement supposer que l'évêque puisse être lui aussi « instrumentalisé » par les consignes disciplinaires romaines. En sous-titre, le journal insiste, reprenant les mots de l'évêque, déclarant que des mil liers de prêtres ratifient aujourd'hui avec sérénité leur choix initial du célibat. Certes, mais ceci étant entendu, ne pourra/t on pas imaginer que votre journal, pour compléter notre information sur ce délicat problème, nous dise quelque part
raient mieux qu'une simple mise au rebut ou une
qu'aujourd'hui, des milliers, de prêtres seraient, eux aussi, heureux qu'on leur laisse la liberté de choisir d'exercer leur ministère dans le mariage ou dans le célibat ? Une informa tion à sens unique, n'est-ce pas aussi une façon d'instrumentaliser ou de manipuler le lecteur ? Et quand les médias insis
dilution dans la banalisation.
tent, parfois lourdement, sur un seul aspect des choses, c'est
rogation, jugée assurément indécente. Merci à Golias de penser que certaines questions mérite
Michel Legrain Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
peut-être aussi parce que d'autres personnes en responsabi lité occultent ou banalisent ce seul aspect ? M. L.
Le Journal
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Monsieur. Nous avons bien reçu votre lettre du 16 novembre et nous tenions à vous en accuser réception.
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Soyez vivement remercié d'avoir pris le temps de nous écrire et de nous l'aire part de vos réactions quant aux propos de l'Abbé Pierre. Il est tout à fait important pour notre redaction de connaître le point de vue de nos lecteurs. Nous avons reçu beaucoup de courriers suite a la sortie de son livre ainsi qu'à son intervention télévisuelle. Certains pensent qu il a ete instrumentalisé. d'autres pensent qu'il est simplement un homme avec ses forces et faiblesses et les avis sont très partagés sur la pertinence d'un tel témoignage public. Je vous joins notre courrier des lecteurs des 17 et 21 novembre derniers, dans lesquels nous retrouverez différentes opinions. En vous remerciant de nouveau pour ce contact pris avec notre rédaction, veuillez croire, Monsieur, à l'assurance de nos sentiments les meilleurs.
3
-d)
Père Michel Kubler a. a.
Père, Vous avez pris la peine de répondre personnellement à mon courrier du 16 novembre, destiné à vos lecteurs. Je tiens à vous en remercier. Je sais combien il vous importe de connaître et de faire par tager les opinions et les réactions de vos lecteurs, et c'est pourquoi, de temps à autre, je m'y lance. Certes, vous ne pouvez pas tout publier, et vous vous efforcez certainement d'équilibrer au moins mal la diversité des opinions du cour rier reçu. Quoique parfois, on peut se demander si la totalité du courrier retenu ne va pas dans le même sens, comme il
au regard du lecteur moyen, il est clair que vous le faites entièrement vôtre, surtout quand vous le renforcez encore par le sous-titre auquel je m'en prends, non pas pour sa véri té, certainement réelle, mais pour la face cachée de ce même problème humain et spirituel, que l'on se garde bien d'évo quer. C'est à ce sujet-là que je m'interroge sur la surface exacte de la manipulation. Qu'un évêque se croit tenu de conserver la langue de buis pour tout ce qui concerne la discipline ecclésiastique, passe encore, bien que ce soit fort éloigné de la liberté évangélique vécue et prêchée par Jésus de Nazareth. Mais qu'un journal
apparaît à la lecture des lettres publiées à propos de l'abbé Pierre, (cf. vos livraisons des 17 et 21 novembre, photoco
catholique s'en tienne à n'être que la voix de son maître, cela me blesse profondément.
piées à mon intention). Je n'y retrouve guère les différentes opinions auxquelles vous faites allusion, sinon que ces lettres empruntent des chemins divers pour aboutir à la même conclusion, à savoir l'inopportunité de ce témoignage de l'ab bé Pierre. C'est pourquoi je ne comprends pas votre phrase m'assurant que les avis sont très partagés sur la pertinence d'un tel témoignage public. A la lecture du courrier publié dans La
Après l'élection de Benoît XVI, J'avais cru bon d'envoyer à vos services le texte ci-joint, qui est évidemment resté sans
Croix, on ne s'en serait pas douté.
Veuillez croire. Monsieur le rédacteur en chef religieux, à l'as surance de mes sentiments les meilleurs.
Ceci dit, ma réaction du 16 novembre ne visait aucunement l'abbé Pierre, mais votre journal. En choisissant le titre incri miné (cf. photocopie ci-jointe de ma lettre du 16 novembre),
répercussion aucune dans vos colonnes. Qu'un catholique se pose des questions devant ce choix des cardinaux, est-ce indécent ? J'éprouve une réelle nostalgie des temps où mon ami Bruno Chenu, souvent avec finesse et humour osait faire preuve dans ce même journal d'une plus grande liberté.
Michel Legrain
janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Le Journal L'ENQUETE
Paris : mais que fait l'archevêché Z
Lachaise à Paris, ne manquez pas le détour à proximité du cimetière, de l'Eglise Notre S se c o S i v o u s Dt raamî en edzu vPoesr p é g tuuêe tl r e d uur sc ôd taén s d lua qPu e è lrl e vous découvrirez un curieux journal paroissial intitu lé «Le Joint».
Dans les numéros 10 et II que nous nous sommes procu rés, vous trouverez les formules-choc suivantes : «Joint d'orgue - Feu de joint - Homme de peu de joint C'est joint l'Amérique ? Carole, un joint ! Joint de cul lasse...». Fichtre ! Les gens de l'almanach Vernot, du Canard Enchaîné, de L'Echo des Savanes et autres publications sati riques n'ont qu'à bien se tenir ! Le professeur Choron doit se retourner dans sa tombe ! Ils ont trouvé un MAITRE ! Ils ne pouvaient même pas être enfants de choeur à l'Eglise Notre Dame du perpétuel Secours !
Û-
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Et à l'intérieur du joint, le journal qui tire plus vite que son ombre, les fines plaisanteries continuent à la pelle : «Mobile immobile - L'épée de Mme Oclès - un violon xel - une barbe à canne - le dossier de la chaise du père - Enquête sur «les habitants du Père Lachaise» et «leur vie à tombeaux ouverts»». Et puis le Bulletin de notes : «Chimie : dès que le professeur a le dos tourné, transforme l'eau en vin pour faire rigoler ses camarades». Bulletin de notes (suite) : «Sport : au lieu d'apprendre à nager comme tout le monde, marche sur les eaux...». Toutefois, le petit chef d'oeuvre du joint est la rubrique horaires de messes, temps de prière, accueil et autres activités paroissiales : elle est intitulée : «Quand est ce qu'on se shoote ?... C'était donc bien vrai ce qu'on disait au XIX0 siècle, que la religion est l'opium du peuple !!! Bref, un curé qui a complètement pété le «joint de culasse», sans doute par overdose de populisme. Comme quoi aucune drogue n'est inoffensive, même si elle est d'usage courant, notamment en ces temps de pré campagne électorale... Mais, non content de faire dans la contrepèterie et le calem bour vaseux, le curé Antoine Baron - le maître des lieux vous réservera d'autres délicatesses s'il vous arrive de rester à la messe du dimanche matin. Ainsi, le 15 août dernier, au début du sermon, un homme âgé et visiblement malade, a commencé à quitter la basilique aussi discrètement qu'il le pouvait, mais avec difficulté puisqu'il marchait lentement, Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
appuyé sur ses deux cannes. Assis au premier rang, il passa tout près du prédicateur qui afficha une mine exaspérée. Puis il reprit la parole, mais il arrêta son discours, le regard pointé sur le vieil homme, qui en sortant de l'Eglise fit une génu flexion devant la statue de la Sainte Vierge. Fort agacé de cet intermède non prévu, le prédicateur laissa planer un silence très pesant qui se conclua par une série de gestes moqueurs en direction de cet homme. Ce comportement inadmissible a été source de nombreuses plaintes de la part de parois siens offusqués de l'attitude de leur prêtre auprès de la hié rarchie catholique. Mais en vain, puisque depuis trois ans il est maintenu dans ses fonctions.
Le Journal aux Dons Amis », espace convivial neMomaaaire ouvert a tous
Quand est-ce qu'on se shoote? Heures de messe Dimanche 18 h 30 le samedi soir 10h30 le Dimanche En semaine 12h30 du mardi au samedi 19 h du lundi au vendredi
6
Temos de Drière Dimanche
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samedi soir 17 h 30 vêpres Dimanche 9 h 45 laudes 17h chapelet médité
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Accueil Un accueil spécifique estouvertde17hà18h30 tous les soirs en semaine. Accueil laïc en semaine 9h-12h;15h-17h mardi 17h-18h30: préparation au mariage, questions matrimoniales mercredi 17h-18h30: l'Épaule de la charité (écoute, orientations, services) jeudi 17h-18h30 : préparation au baptême (adultes ou enfants)
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Et s'il vous vient à l'esprit d'écrire à ses supérieurs pour leur signaler ces faits, vous pourrez lire un beau matin en ouvrant votre courrier cette réponse : «... bien sûr je suis scandalisé par un tel comportement mais d'autres rendent grâce d'avoir un tel prêtre. Ce n'est pas simple, priez pour moi.» Signé : Mgr Patrick Chauvet (vicaire général du dio cèse de Paris). Mais si vous êtes de fidèles paroissiens qui essayent de vivre la collégialité au niveau des décisions et la transpa rence sur le plan financier, vous serez exlu du conseil pas toral, le sieur Baron n'aimant pas les contradicteurs. Quant à la clarté des comptes, comme il a l'obligation de le faire en publiant les chiffres de la paroisse, une simple réunion pastorale suffira à vote bonheur. «Circulez y'a rien à voir... C'est moi le chef !» Et vous aurez beau alerter à nouveau son supérieur hiérarchique, vous tomberez toujours sur la même ritournelle : «J'ai bien reçu vos différents courriers à propos de Notre Dame du Perpétuel Secours. Il faut retrouver un climat de paix et renouer un dialogue. Le Père Baron va continuer son ministère dans cette basi lique. Il serait dommage d'arriver à une rupture...» Signé : Mgr Patrick Chauvet. Une fin de non recevoir toute ecclé siastique... Puis quelques temps après, vous apprendrez par la feuille dominicale de la paroisse (datée du 18/12/05) «Un Ange à Paris» que le «scandaleux» Père Antoine Baron a eu une rencontre privée avec Mgr Vingt-Trois, l'archevêque de Paris, le 3 décembre et qu'il lui a offert le n°IO du Joint. Extraits : «A sa question sur le titre de notre journal, j'ai
Mie r a
a
Notre deal
dours P. Antoine BARON (éditeur responsable)
oublier tous les problèmes de drogue, fléau de nos quartiers. Une confidence : quand j'ai dit à notre évêque comment le Joint est diffusé dans le quartier par les paroissiens, il a juste souligné : «A condition que donner un papier ne soit pas une alternative au contact...«.Vous conviendrez alors qu'on a ren voyé des prêtres pour moins que cela. Mais dans ce cas de figure présent, vous devrez faire avec. Et ce n'est pas un nou veau courrier à l'adresse de l'archevêché qui changera quelque chose. Extrait de la réponse envoyée à l'un des paroissiens étonné de la réponse donnée par Mgr Vingt-Trois dans le bulletin paroissiale : «Mgr Vingt-Trois me charge de vous remercier de votre lettre et des informations que vous lui transmettez. Plusieurs personnes, déjà, lui ont fait part de leur étonnement ou de leur scandale devant l'humour «déca lé» de la feuille paroissiale de N. D. du Perpétuel Secours. Le vicaire général a mission de faire comprendre au curé qu'il doit changer de registre. Celui-ci (Le curé), soyez en sûr, est un prêtre plein de zèle et de charité pastorale...» Signé : Eric de Moulins-Beaufort (secrétaire particulier de l'archevêque). Vous constaterez une fois de plus que la hiérarchie du Père Baron «botte à nouveau en touche», avec quelque embarras. Alors que faire ? Direz vous. Continuez à interpeller Mgr Vingt-Trois, il finira bien par «lâcher l'affaire», si la vague de mécontentement prend quelque ampleur. Et surtout n'hési tez pas à suggérer une mesure d'éloignement de ce curé dans un lieu propice à l'isolement ou à la méditation solitaire. Courage ! C h r i s t i a n Te r r a s
répondu que le Joint veut faire le lien entre les jeunes et les anciens, les paroissiens habitant le Xl° et ceux habitant le XX", les vivants de ce côté du boulevard et les défunts du Père Lachaise, les chrétiens et les non chrétiens, sans
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Le forum DES LECTEURS
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Par une partcip i ante au coo l que de Lyon d'un humanisme de paix » et j'y ai trouvé une grande force. Pas seulement en raison J'ai participé à Sant' Egidio, « Le Courage des cinq mille présents dont trois cent cinquan te représentants religieux ou laïques, mais parce qu'il y avait un réel élément d'espérance. Sans doute, « l'Homme est un loup pour l'Homme » (Irak, terrorisme...), mais, quand il en appelle à Dieu ou à un idéal qui le dépasse, il naît un
entendre le cœur du monde découvrant la joie de son origi ne en Dieu. J'ai vu des larmes sur certains visages :Jean Paul Il était à côté du Dalaï Lama et de jeunes juifs offraient des fleurs à tous, en particulier aux musulmans. Les rencontres annuelles de Sant' Egidio ne sont pas spectaculaires mais magnifient la fidélité au caractère interreligieux d'Assise. Jean Dominique Durand (Université Jean-Moulin de Lyon.) : le succès des rencontres annuelles est dû : à l'audace d'Assise qu'on n'avait encore jamais vue ; à l'ampleur des réponses de toutes les religions.
espoir chez beaucoup de personnes, croyantes ou non, qui peut s'exprimer dans les instances
René Samuel Sirat, grand rabbin de France : « Malgré les silences de Pie XII, jean Paul II a demandé pardon aux Juifs à
dirigeantes.
Jérusalem en 2000, le terme de "Frères préférés" employé à Assise puis à Rome m'a conduit à prendre la parole, place Saint-
Les invitants étaient le cardinal Barbarin et Gérard Colomb,
Pierre, sur la vertu biblique d'espérance. »
m a i r e d e Ly o n . J e p o u r r a i s p a r l e r a u s s i d u c a r d i n a l
Le cardinal Etchegarray affirme : « Nous portons en commun cette espérance. »
Etchegarray, du cardinal Kasper, de Jean Arnaud de Clermont de la Conférence des Églises européennes protestantes, de Jean Michel Ducome de la Ligue de l'enseignement de France, de Karekine de Catholicos d'Arménie, de Filaret métropolite de Minsk, exarque de Biélorussie, de Yama Metzger, rabin d'Israël, de Yamed el Vashri, des Écoles isla miques d'Iran, du président de la République du Mozambique : Guerbuza, de Claude Dagens, de Sœur Emmanuelle... Tous ceux-là ne sont pas des naïfs. Peu de femmes, il est vrai, sauf dans les tables-rondes 2 et 16 : « Les Enfants du monde, la guerre et la paix » « Un rêve pour l'Afrique :des enfants sans sida » Dommage, certes. Je n'oublie pas les 800 000 euros donnés par les pouvoirs publics (on peut dépenser tout autant pour le sport). Mais il y avait là une grande espérance. Outre les cérémonies initiales et finales, j'ai suivi trois tablesrondes, un ami, les trois consacrées à l'Afrique où apparaissent les problèmes fondamentaux de la guerre et du sida ; j'ai suivi à Bron la soirée sur les gens du voyage avec trois jeunes Italiens. 1/ y a certes des critiques possibles à faire à Sant' Egidio, c'est normal. Mais ce qui m'inquiéterait, c'est qu'on puisse dire qu'une telle aventure aurait dû ne pas exister.
Ma participation au colloque de Lyon L'esprit d'Assise (table-ronde n" S) Le cardinal Etchegarray souligne que l'esprit d'Assise (prière et jeûne) est l'héritage principal de Jean Paul II. On a pu Golias magazine n" 106 janvier/février 2006
Bible, spiritualité et humanisme (table-ronde n° 13) J'ai retenu surtout l'intervention de Claude Dagens, évêque d'Angoulème : « À ce rassemblement, nous sommes invités à un travail de reconnaissance mutuelle : juifs, chrétiens, orthodoxes, protestants, catholiques. » On dit que nous sommes des hommes et des femmes du Livre, mais avant le Livre, il y a la Parole de Dieu. Grégoire le Grand disait : « La Parole de Dieu se déploie avec celui qui la lit » Comme s'il y avait une véritable croissance de Dieu en nous. Claude Dagens évoque la place privilégiée faite de nos jours au corps, les corps que le dernier Festival d'Avignon, manifes tant une sorte de refus de la parole, nous montre : exposés, violents et brisés. Pour nous tous ici, il y a une réflexion inscrite dans la Bible entre la parole et le corps, des signes qui allient les deux comme le serpent de bronze et la croix du Christ, dont le dernier mot pour les chrétiens est la Résurrection. On ne peut pas participer au rassemblement de Sant' Egidio sans espérer que cette victoire de Dieu et de sa Parole sera un jour la plus forte.
Humanisme laïc et humanisme religieux (table ronde n° 18) Il a permis de comparer les laïcité française et italienne avec la présence de Pierre Tournemire, secrétaire général adjoint
Le -orum de la Ligue de l'enseignement et de Vicenzo Pailla, aumônier de Sant' Egidio.
Le curé en recherche Mais les lieux où je prends la parole ne supporteraient
Les tables-rondes sur l'Afrique, la communauté de San Egidio et le politique Sant' Egidio, notamment en Afrique, est couramment repré senté comme assurant une diplomatie du Saint Siège : le plus petit État du monde, mais qui a une des diplomaties les plus actives. La communauté eut des succès, mais des contacts parfois controversés.
Un succès : le Mozambique Comment passe-t-on de l'engagement contre la pauvreté à la défense de la paix ? Au Mozambique nous faisions de la coopération, mais il s'avérait que le développement politique n'était pas libre sans la paix. Dans ce pays, le « Frelimo » pro-marxiste s'était battu contre le pouvoir colonial portugais. Mais il s'opposait au « Renamo » anti-marxiste soutenu par l'Afrique du Sud : 15 ans de guerre et un nombre énorme de victimes et de réfugiés.
J'aimerais pas que parler je pose des choses les questions de Dieu,de que jela sens Foi de monter l'Eglise. en moi. On me demande d'assurer le navire immobile sur son fond de sable et de l'immobiliser un peu plus avec des ancres un peu plus avec des ancres solides. On ne me demande pas la pleine mer.
Je pense à une époque où le fait ecclésiastique était socialement important et reconnu : cette insularisation était compréhensible. De nos jours où il faut rencontrer le monde séculier, il y a une étanchéité critique. On ne peut vivre l'Evangile et en parler que de l'intérieur. A l'extérieur, on est seulement vestige d'une organisation périmée, coupée de la vie, pesant pour freiner les dynamismes de libération de l'homme. Il faudra que l'Eglise perde encore beaucoup de forces pour qu'elle renaisse vivace de l'autre côté des remparts. Je crois que je crois, mais je ne crois plus comme avant. Cité par Bernard Alexandre dans son ouvrage «Le Horsain» (p.431)
Comment expliquer le succès de la négociation de Sant'
Envoyé par un prêtre (extraits)
Egidio ? • Par l'intérêt de l'Italie dont elle était le premier coopérant.
pour 18 millions d'habitants, I 300 000 sont séropositifs.
• Par le rôle du Parti communiste italien et de son secrétaire
Paola Germano, responsable des maladies du sida dans un
Enrico Berlinguer qui avait pris les contacts nécessaires avec le président du Frelimo.
hôpital de Rome est coordinatrice de Dream (le rêve) au Mozambique lancé par Sant' Egidio.
• Par l'amitié de Monseigneur Gonzalvez, évêque de Beira. Il obtint une aide humanitaire : 3 avions et 2 bateaux chargés de nourriture, de vêtements, de matériel de première néces sité et d'outils. Ce fut utile pour le dégel de l'État et de l'Égli
La thérapie rétrovirale demande beaucoup d'argent. Les donateurs habituels prennent Sant' Egidio pour des fous, mais une ONG britannique accepte l'aventure. Depuis 2001, Dream a ouvert 13 centres de traitements et 3 laboratoires
se catholique considérée comme ennemie du peuple.
gérés par les Mozambicains.
Monseigneur Gonzalvez, le représentant du gouvernement italien : Maria Rafaeli, Andrea Riccardi et Matteo Zouppi pour Sant' Egidio, avec les deux délégations adverses : 27 mois et I I sessions de travail. Sant' Egidio servait de pont avec quelques idées forces :
Lorsqu'un plan de paix échoue : l'Algérie Peut-on supposer que le Vatican accepte un contact dont il ne pouvait pas prendre l'initiative lui-même ? Certes oui, dit Andrea Riccardi, mais cela ne s'est jamais produit. Nous
—-les populations veulent la paix ;
avons par contre un devoir d'informer au préalable.
— il faut transformer les guérilleros en hommes politiques.
En Algérie, le 21 janvier 1992, le second tour des élections
L'accord fut signé le 14 octobre 1992.
législatives est annulé par l'armée, car le FIS avait remporté une large victoire au premier tour. Il fut donc dépossédé de cette victoire, et le 4 mars, le FIS est dissout. Une logique d'affrontement provoqua treize ans de guerre.
Le résultat fut salué.Andrea Riccardi cite une lettre du 25 mai 1995, signée notamment par le général des jésuites, le Père Kolvenbach, le maître-général des dominicains, le Père Radeliffe, l'abbé primat des bénédictins... « Votre existence est pour nous une source de joie, vous avez osé luter pour la paix. Il est important qu'il y ait dans l'Eglise des gens qui savent prendre des risques en se jetant dans des initiatives nouvelles, même si elles
À la prière d'anniversaire d'Assise du 10 septembre 1994, des Algériens demanderont si Sant' Egidio pouvait appliquer en Algérie ce qu'il avait réussi au Mozambique. En novembre 1994, San Egidio invita tous les acteurs de la
peuvent être critiquées. Sans doute, souffrez-vous de voir que vos efforts ne sont pas bien compris. Vous êtes un exemple merveilleux de la richesse et des charismes de l'Eglise. » Cette lettre faisait allusion aux initiatives de paix au Mozambique et en Algérie.
crise, gouvernement compris. Beaucoup s'exprimèrent, mais le gouvernement algérien répondit durement : pour lui, cette rencontre n'avait aucun sens.
La paix est signée, mais les Mozambicains meurent du sida :
Egidio avec les seuls membres de l'opposition : le... le RCD
Le 8 janvier 1995, une nouvelle rencontre eut lieu à San
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Le 8 janvier 1995, une nouvelle rencontre eut lieu à Sant' Egidio avec les seuls membres de l'opposition : le RCD et le FIS. Il en sortit un texte refusé par le gouvernement où le gouvernement militaire détenait le pouvoir, les évêques, Mgr Claverie et Mfl Tessier s'y opposaient aussi, à cause de la
Sur H6R Anatrella
parenté des mouvements terroristes avec le FIS (Front isla mique du Salut). La pensée d'Andréa Riccardi était de faire entrer le FIS dans le cadre légal aux côtés des autre partis démocratiques. Donc, refus par l'Armée le 13 janvier 1995. Et la guerre dura encore dix ans entre les groupes du FIS et l'Armée : officiel lement 150 000 morts et la disparition de 6 146 personnes, attribuée à la Sécurité militaire. Dix ans après, Abdelaziz Bouteflika, président autoritaire, se rêve en réconciliateur, l'emporte dans un référendum sur la fin de la guerre civile le 25 septembre 2005 : 97,7 %. Mais avec l'abstention des Kabyles et des partis de l'Opposition. Nul n'ignore que ce référendum est un plébiscite pour Abdelaziz Bouteflika. Le FIS demeure interdit, mais les rebelles islamiques ont voté oui, la conscience tranquille. Seuls sont exclus, ceux qui ont participé à des massacres col lectifs ou à des viols. C'est un oui sans pardon ni justice. Le contact direct avec l'adversaire convenait sans doute à Jean Paul II même dans les échecs. Dans certains cas du moins, il savait apprécier les sources vives. Il suffit de lire les 18 lettres envoyées par le pape de 1987 à 2005 pour les ren contres « Hommes et religions ». Je citerai la dernière, envoyée au cardinal Kasper le 5 juillet 2004, il n'y a pas de désaveu, au contraire : « Je remercie la communauté de San Egidio qui a compris, ce que j'ai appelé l'Esprit d'Assise, et qui depuis 1986 continue de le proposer avec audace et persévérance. »
Conclusion On peut sur Sant' Egidio porter une vue critique. Elle a son intérêt. Mais le cardinal Etchegarray dans son livre Vers les chrétiens en Chine pratique d'une autre voie, celle de la sympathie. Il écrit : « Pour entrer vraiment en Chine, il faut passer par la porte du cœur, celle de l'amitié. » Comme l'avait compris Matteo Ricci qui fonda au XVIIe siècle un premier projet d'évangélisation du monde chinois. Ici, il s'agit d'un autre continent, l'Afrique éprouvée et en dérive.Lors de deux guerres civiles cruelles et face au sida, Sant' Egidio a offert sa coopération et sa médiation avec suc cès, en Mozambique, des échecs en Algérie. Son travail pour la paix et les pauvres, mené depuis sa fonda tion est devenu un mouvement d'Église qui mérite attention et respect. Colette Saint-Antonin
NDLR : Golias maintient ses positions sur Sant'Egidio (voir notam ment notre enquête dans le n° 104), le débat concernant cette com munauté ne portant pas sur le contenu des conférences organisées à Lyon, mais sur le fonctionnement de ce groupe et sa posture sur le plan géopolitique.
Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
t e i n t e r d i c t i o n , p a r l e Va t i c a n , d ' e n t r é e M s r Todna yn s A lneas t rseél m l ai n a i r ce o s mdm e se nct aén dl ai d artés c eq n ui auraient « des tendances homosexuelles pro fondément enracinées »...
Pour mes amis psychanalystes, Msr Anatrella semble prendre une position plus dogmatique que thérapeutique. Cette difficulté de compréhen sion, par beaucoup, du message des clercs dans ce domaine difficile pourrait s'expliquer grâce aux raisons invoquées par Freud dans l'une de ses lettres à son ami, le pasteur Pfister : il y affir me fermement qu'un prêtre n'a « pas le droit d'être psychanalyste » praticien. En effet, les places et les fonctions du prêtre, d'une part, et du psychanalyste, d'autre part, sont fondamentalement différentes. Le prêtre repré sente, pour le croyant, le Christ sauveur. Il doit s'effacer devant le Christ ressuscité, en particulier au moment de la consécration du pain et du vin à l'eucharistie et lors de l'absolution au sacrement de réconciliation. La place et la fonction du psy chanalyste sont plus modestes : il doit écouter le patient sans référence dogmatique particulière et, seulement grâce à son expérience et à ses compé tences, aider librement le sujet à découvrir, luimême, son inconscient, après en avoir surmonté les résistances et, alors, à orienter sa vie d'une manière personnelle. Le psychanalyste est, ainsi, astreint à une grand abnégation. Il doit même reconnaître qu'il puisse être faillible comme l'a dit Lacan. En effet, sa propre psychanalyse didac tique, au cours de sa formation, l'a aidé à domi ner cette tentation de pouvoir qui existe au fond de tout homme et à chercher à être lucide et humble. Il en résulte que le conseiller spirituel (ou « confesseur ») et le psychanalyste doivent être différents même s'ils peuvent être utilement com plémentaires, par exemple au cours de la forma tion des futurs prêtres. Aussi l'apport de psycha nalystes chrétiens, praticiens, laïcs, serait pré cieux. M8' Anatrella pourrait, par exemple, faciliter l'accès de quelques-uns d'entre eux à un dialogue avec les deux dicastères dont il est consulteur. Je connais des psychanalystes qui, comme moi-même, seraient prêts à collaborer modestement à un tel service d'Église. Jean-François Dorand docteur-ingénieur et analyste de l'École catholique de psychanalyse
Le ::orum DES LECTEURS m ■
A
propos d'une circulaire du service « questions presbytérales » De qui se moque-t-on ? « Comment parler du Dieu créateur aujourd'hui ? » Je suis sensible au mouvement descendant de l'opération. Du haut vers le bas, le bas-clergé s'entend, et vieux de surcroît. Donc quelqu'un de titré va nous « parler sur » un « comment ». Ce projet de révélation d'un « comment faire pour » s'associe dans mon esprit à ces mots : « Un vieillard qui meure c'est une bibliothèque qui brûle. » J'eus préféré que cet auditoire en fin de vie, fût pour une fois convoqué à « dire » de préférence qu'à « écouter » l'expertise de l'expert. Ainsi chacun aurait pu se faire l'écho de la manière dont les gens, autour de lui, parlent du Dieu créateur... ou n'en parlent pas, ce qui est aussi une manière d'en parler. Ainsi nous n'aurions pas parlé « sur » ou du « comment faire » mais parlé « de ». Ce qui aurait donné lieu à une écoute mutuelle de l'expérience de chacun suivie de confrontations critiques et d'une synthèse. Je relis parfois ces lignes écrites par quelques auteurs autorisés : « La collectivité des fidèles ayant Fonction qui vient du Saint ne peut se tromper dans la foi. Le peuple de Dieu s'attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes, il y pénètre plus profondément en l'interprétant comme il faut, et dans sa vie la met plus parfaitement en œuvre. » On peut aussi inviter Jérémie 31,3 Is ! Mais il est un autre aspect que je ne voudrais pas laisser dans l'ombre : les prêtres, de la génération à laquelle j'appartiens, ont fait fond sur cette autre idée (à gagner chez Casto pour qui conque en découvrira le ou les auteurs : une caisse à outils « comment faire pour parler sur... » Une aide : ces textes sont actuellement censurés dans l'Eglise vaticane néo-conservatrice) voici : « La sacramentalité du Peuple de Dieu, source de tout sacrement dans i'Église... » etc. (citation approximative). Ces générations de prêtres avaient été initiées à une Eglise, à un ministère aujourd'hui en voie de disparition. Avant leur mort, la mort de ce qui fut le sens de leur vie. Premier choc. Second choc, l'apparition d'un clergé aviaire (par sa ressemblance au passériforme nommé corbeau) passéiforme aussi et expert en bondieuseries. D'où vient un tel effondrement, cette occultation de ce qui fit nos existences ? Essentiellement d'un blocage têtu et imbécile sur la question des ministères. Des hommes, des
Billet d'humeur J r ai
appris par le journal La Croix la nomination de Jean Legrez au siège épiscopale de Saint-Claude J'en suis atterrée. Je me garderai de lui donner le titre de Monseigneur, titre désuet d'un autre âge, mais sans ironie aucune, il lui convient bien. Responsable de la paroisse Saint-Nizier à Lyon il y a plus d'une vingtaine d'années, paroisse que les circonstances m'ont amenée à fréquenter quelques dimanches, il agissait tel le Seigneur d'antan sur ses terres. Il était prudent de ne pas émettre un avis ou une opinion contraires aux siens sans risquer au mieux sa mauvaise humeur et au pire de se voir congédier de la façon la plus hautaine voire la plus brutale.
Je me garderai aussi de lui donner le titre de frère qu'il revendiquait ; en le rencontrant j'ai fait l'expé rience amère du faux frère, capable de passer — selon l'interlocuteur ou l'interlocutrice auquel il s'adressait — de la plus exquise courtoisie à la vio lence verbale la plus agressive. Il était plus prompt à condamner qu'à compatir, à rejeter qu'à accueillir, à culpabiliser qu'à libérer lorsqu'on solli citait un avis ou un conseil. Au cours de mon existence, j'ai par deux fois dans ma jeunesse été confronté au pouvoir mortifère de certains clercs. L'un d'eux, j'avais 18 ans, décida de mon avenir ; quant à l'autre, la pénitence dont il me gratifia était du pur sadisme. Galilée n'est pas le seul, pour ne citer que lui, à bénéficier de la repentance de l'Église. J'ai eu aussi ce privilège au cours d'une retraite et ma recon naissance est grande envers le père jésuite qui solli cita le pardon. Ce n'était pas pour solde de tout compte... Heureusement !
précisément ces questions sont autoritairement occultées... oui, de qui se moque-t-on ? Ne pourrait-on pas tenir à l'écart d'une telle hypocrisie ceux d'entre nous qui abordons la « phase terminale » ?
Je n'avais pas encore rencontré Jean Legrez... Sans doute comme tout chrétien a-t-il remis sa vie en question dans le sillage des Béatitudes. Je le souhaite pour tous ceux et celles qu'il rencontre ou qu'il rencontrera dans sa nouvelle charge. La glaive à deux tranchants dont parle l'Écriture qui pénètre dans les articulations et les moelles est cette brisure de l'Esprit, seule capable de blesser notre cœur et de l'ouvrir à la vie éternelle, à la charité de ceux et celles qui se laissent brûler par son feu. En ce qui concerne Jean Legrez, j'en accepte l'augure.
Raymond Besson
M.C.M.
femmes, un peu partout et depuis longtemps exercent un minis tère pastoral. Pourquoi ce refus de les « appeler », de les recon naître comme ministres ? Pourquoi ce babillage pseudo-théolo gique pour tenter de justifier des positions injustifiables qui relè vent d'une véritable névrose des princes de l'Eglise latine ? Cela fait tout drôle de recevoir une circulaire à en-tête « Diocèse de Lyon - questions presbytérales » en un temps où
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Radioscopie
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a défrayé la chronique : sa critique virulente et parti culièrement agressive du monothéisme, notamment chrétien, a retenu l'attention des uns et des autres. Le combat de Michel Onfray, sincère et lucide, ne rempor te pas toujours l'adhésion. Et pour cause : l'homme est brillant, sa plume vive et acé rée, sa culture remarquable (mais avec des points aveugles), son zèle pose néanmoins question et sa fougue interroge. Les rac courcis historiques sont par fois confondants. Les juge ments abrupts et sans aucu ne nuance. Et pourtant... Dossier coordonné par Christian Terras Golias magazine n° 106 janvier/février 2006 23
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Radioscopie 1 «Disputatio » autour de Michel Onfray
Pour L'urgence d'une provocation Et pourtant, le philosophe demeure Phomme des pro vocations intempestives, des contestations insolentes. Il interroge et remet en cause. Comme ce taon dont parlait Socrate et qui perturbait le repos des Athéniens. Michel Onfray remplit très bien son rôle en définitive. Il oppose à nos convictions une cri tique décisive. Certes, à juste titre, des esprits chagrins ont pu relever les nombreuses exagérations, les rac courcis, les caricatures, les contre sens, les lacunes dans la connaissan ce de la Bible (voir plus loin). Chez Michel Onfray, la blessure parle davantage quelquefois que la raison. Dommage, car, au demeurant, cette réaction traumatique pourrait aussi nous enseigner des choses, comme au détour. L'idée profonde de Michel Onfray est que derrière le monothéisme se dissimule un pro cessus pervers d'exténuation ou d'enfermement de la vie, du désir et de la liberté. Depuis lors, Michel Onfray n'a jamais omis de saluer le combat des chrétiens progressistes, de Témoignage chrétien et de Golias, sans toutefois se risquer à un débat comme nous lui avions proposé. Dommage ! En effet, au nom de l'É vangile, des hommes et des femmes luttent et ouvrent de nouveaux che mins d'espérance, de désir et de vie. Pour autant, la critique du christia nisme se veut radicale et implacable. Il faut en finir. On pourrait opposer ! pfiïlùSLophe §feià^p^É®i^i '' ititètlemelki mpiptispit m Wk$)éerit vÉ%r «
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à Michel Onfray un argument certes vrai mais trop évasif et facile : ce qu'il dénonce constitue bel et bien l'un des aspects de la confession de Dieu, mais il y a bien d'autres choses encore dans l'affirmation de Dieu. Cette apologétique relookée peut en partie se justifier. Une bonne histoire des religions nous enseigne la com plexité des systèmes de pensée, de croyance, de déploiement du symbo lique. J'avoue pourtant que déplacer ainsi la « disputatio » me gênerait un peu. Je crois, cela s'entend, qu'il y a bien autre chose encore, dans le christianisme et les monothéismes, que ce qu'en peut dire Michel Onfray. Je crois aussi, pourtant, que sa critique, parfois exagérée, ne tombe pas dans l'insignifiance et que le philosophe normand a bel et bien vu aussi, malgré ses outrances traumatiques, quelque chose de vrai. En d'autres termes, nous ne sommes pas de ceux qui opposent à la provo cation vigoureuse lancée par Michel Onfray une simple fin de non-rece voir, à cause des dérapages réels de sa réflexion. Trop systématique, trop rapide dans ses analyses historiques, Michel Onfray ne rate pas entière ment sa cible : un processus pervers, celui des arrières-mondes dénoncés par Nietzsche. Le désir de l'homme se retourne en quelque sorte contre lui-même et cherche une surcom pensation dans un autre monde, doublant celui-ci pour nous en détourner. Michel Onfray n'a pas tort d'évoquer une pulsion de mort, même si cette pulsion de mort ne se trouve pas seulement dans le chris tianisme mais le précède et produit aussi de méchants fruits athées. Sous l'angle psychologique, Michel Onfray a vu assez clair, trop peutêtre, car une vérité trop éclatante finit par rendre aveugle aux autres. C'est avec une bienveillance critique
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et une irritation comprehensive (tout est exprimé par les oxymores) que nous entendons aborder l'oeuvre polymorphe et flamboyante de ce cher Onfray. Nous jetterons donc un regard pano ramique sur son entreprise. Au-delà des allégations historiques, c'est la thèse métaphysique de fond de Michel Onfray qu'il nous faudra dis cerner. Ainsi nous pourrons avancer dans le débat. Cette thèse est celle d'une opposition irréductible entre transcendance et immanence. C'est elle qu'il faudra situer et discuter. « Pour Michel Onfray » ne veut pas simplement ni d'abord exprimer une intention apologétique à son endroit, mais une volonté de suggérer une réponse à son adresse. Nous pour rons mieux voir alors ce qu'il nous apporte et peut-être les limites de son combat.
Itinéraire d'un philosophe qui entend jubiler Né en 1959, ce frétillant quadragé naire émerge de sa génération. Frappé par un vilain infarctus en 1987, il touche alors le fond de la pis cine : il ne peut que remonter et d'ailleurs tire de cette expérience traumatique un surcroît de vie et de force. Après avoir frôlé la mort, il ne peut plus concevoir la vie que dans l'intensité absolue et féerique de ses effervescences. Le philosophe se veut gastronome et hédoniste. L'art de penser se vérifie à l'art de vivre ; il ne saurait constituer l'alibi de nos écrasements. Esprit curieux, éclec tique, toujours en quête, Michel Onfray fait découvrir aux lecteurs des penseurs inconnus tel Lorenzo Valla, épicurien chrétien du quinziè-
me siècle ou Georges Palante, nietz schéen de gauche. Michel Onfray nous présente l'actualité des Cyniques de la Grèce antique (dont le plus connu est Diogène). Esthète raffiné et au goût très sûr, Michel Onfray sait mettre en relief l'expres sivité singulière et souvent entraî nante des différents arts. Ainsi, il nous laisse découvrir la peinture de Jacques Pasquier, de Vladimir Vélikovic, de Gilles Aillaud ou exhu me d'un oubli regrettable les repré sentations de la mort. En même temps, Michel Onfray, qui décidé ment ne perd pas le Nord, sait à par tir d'un paysage nous livrer un fabu leux message. Du grand art, en véri té. Chapeau l'artiste ! Sans oublier le tout aussi remarquable Journal hédo niste en quatre volumes, et le pre mier, mon préféré : « Le désir d'être un volcan ». Michel Onfray semble bien en être animé. Pour notre plai sir ; mieux, notre jouissance. J'ai envie de dire : « Deo gratias » (par don l'athée !). Ce magnifique parcours, littéraire et philosophique, nous semble unique dans l'histoire du présent de la phi losophie. Michel Onfray travaille beaucoup et vite. Jeune homme pressé, il digère pourtant bien et nous laisse deviner une sagesse en action, sensible à l'art, grâce à laquelle l'homme peut enfin sculpter sa propre statue et échapper au moule : une sorte de dandysme, un pacs imprévu mais fécond entre Brummell et Nietzsche. Cette posi tion intellectuelle et existentielle se présente comme une alternative intéressante et crédible au christia nisme. En effet, pour Michel Onfray, et le diagnostic semble en partie jus tifié, même sécularisé, ingrat et peu soucieux de cultiver sa mémoire, notre monde actuel reste profondé ment imprégné non seulement de références chrétiennes mais d'une vision éthique enfermante qui en découle. En ce sens, il suggère une toute autre approche, purement immanente sans aucune nostalgie ni souvenir d'une transcendance hon nie. La sagesse pratique qui en découle, jubilatoire et entraînante, se décline sur bien des modes et avec
des voix contrastées. Une sympho nie dionysiaque peut alors recouvrir la morne clameur des litanies morti fères de ceux qui restent enchaînés à un Dieu mort, dont le fantôme nous hante toujours en encore. La critique radicale et sans conces sion du monothéisme ne constitue donc pas un aspect périphérique de la pensée de Michel Onfray mais son cœur même. Il s'agit de poser l'im manence sans et contre la transcen dance. Les deux dimensions étant, selon Michel Onfray, exclusives l'une de l'autre. Ce qui, précisément, pose question.
Immanence contre transcendance : le cœur du débat
intellectuel Pour un certain nombre d'esprits, il n'est pas possible d'accorder la transcendance et l'immanence. L'une exclurait nécessairement l'autre.
Cette option de fond peut se décli ner en réalité suivant deux modali tés différentes. En effet, dans une première variante, l'affirmation ver ticale et abrupte de la transcendance conduira à l'exténuation partielle sinon totale de l'immanence, de sa vitalité et de son autonomie. Dans une seconde variante, au contraire, l'affirmation de l'immanence, de sa liberté, de son autonomie, de sa vita lité passe nécessairement par le refus, ou tout au moins la mise à dis tance aseptisée, de toute transcen dance hétéronome. Notons d'emblée que, pour antago nistes que puissent être ces deux positions, en définitive, elles illus trent un même mécanisme d'opposi tion irréductible. Un choix devra être fait entre deux pôles d'attraction et deux modèles de structuration de l'existence tout à fait irréductibles. Sans doute, d'ailleurs, est-il plus facile de changer de contenu que de remettre en cause une structure de pensée. Il y a donc un certain air de famille entre les deux variantes dans la mesure où l'une comme l'autre Golias magazine n° 106 janvier/février 2006 25
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postule le choix et s'appuie sur une inconciliabilité présumée. Michel Onfray se fait l'héritier radical d'une évolution historique riche et intéressante, parfois bien plus subtile. Loin de nous la prétention de la résu mer ici. Cette entreprise trop vaste, qui coïnciderait en bonne part avec l'histoire de l'athéisme, demanderait en effet une étude approfondie non seulement des thèmes en vigueur mais aussi, et peut-être davantage encore, des mentalités implicites, des compromis occultes, des refus qui se dissimulent sous le masque du conformisme social. Ce champ à explorer semble immense. Posons simplement comme postulat de départ l'existence historique poly morphe d'un choix existentiel et sou vent explicité au niveau intellectuel : celui de l'immanence contre la trans cendance. À défaut d'en mieux cer ner les contours, signalons du moins la récurrence de cette option dans l'histoire récente, en particulier sous la forme d'un athéisme négateur du théisme chrétien. L'athéisme s'accomplit véritable ment lorsqu'il tente non seulement de réfuter les croyances mais s'effor ce en outre de rendre raison de la foi en Dieu, de l'expliquer, d'en lever le secret, d'en expliquer la genèse et le besoin. Feuerbach se présente comme le père de l'athéisme : dans son esprit, il faut non plus croire, mais penser. Pour lui, en définitive, la religion, du moins la chrétienne, est la relation de l'homme à luimême, ou plus exactement à son essence, mais à son essence comme à un autre être (Wesen). L'être divin n'est rien d'autre que l'essence humaine, ou mieux l'essence de l'homme. Toutes les déterminations de l'être divin sont donc des déter minations de l'essence humaine. Au fond, la conscience religieuse opére rait une scission par rapport à ellemême ; elle s'aliénerait, c'est-à-dire accorderait à un autre être — non existant d'ailleurs — ce qui appar tient en propre à son essence, quand bien même aucun existant concret ne l'actuerait. Derrière ce soupçon se trouve sans doute l'idée plus ou moins explicite d'un monisme fon 26 janvier/février 2006 Golias magazine n" 106
cier : la structure du réel ne permet pas, sinon par illusion, par aliéna tion, de distinguer la nature créée et une réalité qui la dépasse. Sur cette critique de fond, peuvent se greffer divers types d'explications de détail : le nerf de l'argument demeure iden tique. La transcendance est une illu sion, elle transporte sur un autre ce qui revient en propre au sujet. En somme, les diverses etiologies des croyances en la transcendance per mettent d'en rendre compte comme des phénomènes illusoires, autre ment dit exprimant un désir ne cor respondant pas à une réalité extra mentale. On ne saurait négliger la dimension morale de la critique
athée. Pour elle, en définitive, le christianisme est une religion de la souffrance, qui se sert de cette souf france, prend sur elle son appui. « Dans le malheur, l'homme ressent Dieu comme un besoin. Le plaisir, la joie sont cause d'expansion pour l'homme ; le malheur, la douleur le font se contrac ter. » On perçoit l'antagonisme irré ductible entre la religion, qui écrase et bride l'immanence, et l'athéisme libérateur qui lui permet de se déployer. Dans cette optique, pour reprendre les termes de Jose Ortega y Gasset, « le divin est l'idéalisation de ce qu'il y a de meilleur chez l'homme, et la religion est le culte qu'une moitié de chaque individu rend à son autre moitié,
les parties intimes et inertes aux plus nerveuses, aux plus héroïques ». Pour beaucoup de pensées athées, l'homme libre refuse d'hypostasier ce Dieu qui n'est que la projection de l'infinité de sa contingence. Comme le clame Oreste dans Les Mouches de Jean-Paul Sartre : « Que les rochers me condamnent et que les plantes se ferment sur mon passage : tout ton univers ne suffira pas à me donner tort. Tu es le roi des Dieux, Jupiter, le roi des pierres et des étoiles, le roi des vagues et de la mer ; mais tu n'es pas le roi des hommes. » Se soumettre à Dieu serait aliéner sa liberté créatrice. Dieu se présente donc comme un concurrent qu'il serait moralement vil d'accepter. L'athéisme implique, au-delà de la conviction que Dieu de fait n'existe pas, la conviction morale qu'il ne doit pas exister. Marcel Conche développe un autre athéisme moral, un peu différent, basé sur le scanda le du mal : un Dieu qui admet la mort de l'enfant innocent serait indigne d'exister. Nietzsche annonce pour sa part la mort de Dieu. « Dieu est mort, mainte nant nous voulons que le surhumain vive. » Tout fondement transcendant est répudié. La critique porte non seulement sur les représentations traditionnelles de la transcendance, celles du christianisme, mais encore sur toute vision nouvelle (ou préten due telle), sur tout substitut à ces transcendances évanouies ou com promises. Une version plus diffuse d'une cri tique athée se trouve souvent formu lée dans la dénonciation du caractère contraignant, pour l'immanence libre et son autonomie, du carcan religieux. Bien des fois, la critique n'est d'ailleurs pas forcément expri mée dans un registre conceptuel : « La religion me gênerait beaucoup moins si elle ne cherchait à m'absorber par les moyens encore très puissants dont elle dispose. Je la tolérerais presque sans peine si elle me tolérait. Mais, par définition, elle ne peut être qu'impéria liste. » Ici encore, le choix théorisé est net : entre le parti de l'immanence et celui de la transcendance, il n'y a pas de moyen terme.
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En résumé, l'option théorique et pra tique de l'exclusion de toute trans cendance se confirme au fil des siècles. Elle constitue un choix radi cal dont les diverses expressions tra duisent peut-être un conflit irréduc tible de départ. Pour autant, la possi bilité de visions de l'existence et de l'agir sans jamais recourir à une transcendance constitue également un fait indéniable que l'apologète de Dieu ne peut nier ni occulter. Cette manière de tracer une ligne de partage très nette et de poser un antagonisme irréductible et parfois traumatique entre transcendance et immanence peut certainement être contestée. Des chemins de réconci liation ou du moins de cohabitation entre immanence et transcendance peuvent être envisagées.
Autres positions Une deuxième manière de concevoir le rapport entre transcendance et immanence consiste à opérer une séparation très nette en délimitant des domaines de compétence bien définis, et en veillant à ce que les partages territoriaux soient bien res pectés. Cette solution a un double mérite : elle évite ou limite les conflits ; elle se refuse à tout repli sur une solution exclusive et partiel le : ainsi elle tient les deux bouts de la chaîne. Cette solution n'est pour tant pas sans poser de problèmes. En premier lieu, son principe ne permet pas toujours de discerner, dans telle situation, pour telle ou telle chose, ce qui relève de l'immanence et ce qui, au contraire, relève de la transcen dance. La répartition ne sera-t-elle pas quelque peu arbitraire, sinon source de nouveaux conflits ? En second lieu, il y a quelque chose de très inconfortable dans le fait d'habi ter en quelque sorte une maison à étages où il n'y a pas d'escalier. On ressent l'opportunité d'une collabo ration, mieux d'une synergie, pour sortir d'une dichotomie au fond insoutenable. Une troisième solution envisagée consiste au contraire à souligner
cette synergie, à poser la transcen dance, à respecter aussi l'immanen ce, à ne pas se contenter de dire qu'il est possible d'affirmer et l'une et l'autre, mais à les poser ensemble. L'intensification de l'immanence non seulement serait compatible avec l'affirmation d'une transcendance mais serait le chemin de l'avènement de la transcendance et de sa glorifi cation. Cette façon d'articuler les deux dimensions contrastées peut se cristalliser en théologie chrétienne autour du thème de l'incarnation. En effet, il associe bien le divin et l'hu main, le transcendant et l'immanent. En tout cas, cette troisième ligne de solution présente toutefois sa limite : si l'affirmation de la transcendance et celle de l'immanence vont de pair, où situer encore leur irréductible dif férence ? Ne court-on pas le risque d'absorber purement et simplement la transcendance dans l'immanence intensifiée et se dépassant ellemême ? Nous percevons alors toute l'ambiguïté d'une expression comme la transcendance dans l'immanence, qui pourrait signifier la fin de la transcendance elle-même au détri ment de la pure et simple immanen ce se donnant à elle-même des figures de sens et des modèles à res pecter. On pourrait trouver une expression de cette vision de la transcendance sous la plume de Jean Wahl : « L'homme est toujours audelà de lui-même. Mais cet au-delà de lui-même doit finalement avoir conscience que c'est lui-même qui est la source de la transcendance. » Ces visions différentes du rapport entre transcendance et immanence peuvent également orienter diverse ment les théologies elles-mêmes. Ainsi, le premier modèle — celui de l'opposition — favorise les théolo gies verticales, les positions intransi geantes, sinon les intégrismes. Le deuxième modèle favorise en théolo gie une reconnaissance de l'autono mie relative des réalités terrestres. Le troisième va plus loin : dans une logique de l'incarnation, il considère que l'honneur à rendre à la transcen dance passe nécessairement par la libération des hommes, leurs luttes, leur humanisation. Il peut impliquer
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l'option parfois inavouée d'une réduction de la spiritualité au plan horizontal. En tout cas, face à l'inter pellation athée, le défenseur de la transcendance est invité à poser autrement cette dernière.
Conditions d'une nouvelle métaphysique de la transcendance Cette éventuelle affirmation renou velée de la transcendance suppose de vérifier un certain nombre de conditions qu'il nous faut à présent envisager. La condition initiale pour penser à nouveaux frais la transcendance suppose de ne pas la confondre avec des représentations grossières ou perverses, avec le visage sévère et écrasant que les religions ont parfois peut-être pu lui prêter, avec les interdits sévères, par exemple en matière sexuelle, épiphénomène peut-être, mais dont l'aspect repous sant et l'impact psychologique ne sauraient être minimisés. Une approche apophatique semble d'em blée indispensable. La transcendan ce en caricature cesse d'être trans cendante. Ce point peut sembler un acquis mais il ne l'est guère dans les faits. Dans le traité d'athéologie de Michel Onfray, par exemple, qui recense avec brio de nombreuses impostures théologiques, le défen seur d'une transcendance verra plu tôt d'épouvantables déformations du sens authentique d'une transcen dance. La critique des religions (y compris interne par une théologie éclairée) doit déblayer le terrain. Elle ne présume cependant pas pour autant que l'affirmation en soi de la transcendance reste hors de toute critique et de toute interrogation. La question de la transcendance revêt sans doute une dimension psy chologique — et psychanalytique — qui lui est intimement liée, mais que nous ne saurions traiter comme telle, autant qu'elle le mériterait. Notons simplement que cette dimension du problème en compromet toujours la 28 janvier/février 2006 Golias magazine n" 106
résolution, dans la mesure où un signaler qu'elle se pose, et qu'il faut jugement intellectuel ne saurait faire donc se défier de soi en une telle fi de l'autonomie, pour le coup, de matière ; ou plus encore, nous demander si nous ne pouvons pas, dynamismes souterrains, des len teurs hélas redoutables de dénoue par la pensée, imaginer une trans ments augurés, mais délicats et par cendance le plus possible libérée des fois incertains. En même temps, le scories de représentations qui nous parasitage psychologique éventuel taraudent et nous hantent souvent à doit nous mettre en garde, pour notre insu. qu'une représentation travaille tou Il convient de remarquer encore que jours sur elle-même et ainsi s'ar le même Eugen Drewermann analy rache à ce qui la conditionne et l'en se avec une férocité sans pareil les ferme, la falsifie et la pervertit. En pathologies de ceux qui cette fois se outre, l'analyse sartrienne de la soumettent à une transcendance et « mauvaise foi », mais aussi une s'écrasent devant elle. D'ailleurs, vision plus existentielle des enferme selon Aristote, les contraires sont du ments psychologiques, critiquant même genre. Sans aller jusqu'à évo l'alibi de l'inconscient, pour situer Nietzsche, relevons combien les nœuds au bon endroit, autrement quer sont nombreux et convaincants les dit là où notre désir s'est replié, psychologues et psychanalystes qui notre volonté s'est dérobée, pour ont su décrypter les ambiguïtés de raient conduire à frayer d'autres certaines attitudes proprement pistes, fécondes. masochistes, qui brident la vie et le Du point de vue d'un défenseur désir, ou du moins l'exténuent, l'af éclairé de la transcendance, un tra faiblissent. vail de haute qualité a ainsi été La transcendance n'est saisie qu'au entrepris par Eugen Drewermann travers du filtre de nos représenta qui tente d'expliquer l'opposition tions, comme ce qui les dépasse abso viscérale à la transcendance : « Seule lument, mais s'y reflète également. l'angoisse transforme les paroles de Dieu Autrement dit, la situation de l'esprit en commandements. Elle seule induit humain est assez paradoxale : d'un l'homme en contradiction ; elle seule le côté, il doit se défier de ses représen conduit finalement à faire par amour de tations qui trahissent leur objet inten soi justement ce à quoi au départ il n'as tionnel ; d'un autre, il ne peut se pas pirait que par amour de Dieu. En effa ser d'elles. L'essentiel est de ne pas çant celui-ci dans le vertige qu'elle pro être dupe. De passer d'une représen duit, elle conduit la créature à chercher tation de l'entendement à une autre, de toutes ses forces à surmonter sa en les critiquant à chaque fois, sans contingence et sa superfluité, à se prou pour autant jamais s'en satisfaire. ver par démesure même sa nécessité et La transcendance n'est pas rivale de son droit de vivre, à s'auto-justifier en l'immanence puisqu'elle se situe à tant qu'être humain en se posant un autre niveau. Il faut pourtant contradictoirement lui-même comme ce aller plus loin et reconnaître comme Dieu qu'il a perdu. » Au-delà donc de d'authentiques valeurs fondamen l'argumentation proprement philo tales l'autonomie et la liberté. sophique, et sans pour autant que Affirmer une transcendance n'est cela n'induise au plan métaphysique moralement acceptable qu'à la la nécessité de poser la transcendan condition de poser en même temps ce, le refus viscéral ou blessé de cette l'autonomie libre de l'être humain. dernière pourrait s'enraciner dans Sur ce point, un défi redoutable est une blessure d'angoisse initiale, qui lancé à tous les défenseurs de la défigure cette transcendance, la rend transcendance, et en particulier aux odieuse, et invite à s'en affranchir religions. Un contre-exemple pra enfin. Nous ne pouvons creuser une tique rendrait bien entendu moins telle question, proprement psycholo convaincante toute argumentation gique, liée en particulier aux repré théorique abstraite. Pour autant, on sentations du père de la petite enfan osera, dans cette perspective, mettre ce ; mais il importait au moins de
en cause la représentation d'une transcendance concurrente et rivale comme démystifiée. La nostalgie du fondement ne cesse de hanter les mentalités et les cœurs. Pour justifier les jugements de valeur, ou pour légitimer ultimement la portée de la connaissance, ne devrait-on pas poser un fonde ment ultime ? Sans nous consacrer ici à l'examen détaillé et circonstan cié des différentes tentatives — ou tentations — d'en revenir à un fon dement, c'est-à-dire à supposer que les réalités de l'immanence appellent quelque chose qui les supportent et les causent, les légitiment (surtout en morale), nous nous contentons de trois observations. Primo, faire d'une transcendance le bouche-trou de nos ignorances par incapacité d'accepter l'incertitude constitue une attitude discutable et... fragile. En effet, qui peut exclu re que l'inconnaissable par la raison devienne un jour connu, et ne se révèle tout différent ? Secundo, le fondement échappant à la prise puisqu'il est transcendant comment prétendre que l'inconnu fonde le connu ? Tertio, faire d'une transcendance un fondement consiste à lui faire rem plir un rôle, à le situer dans une fonction par rapport à l'immanence. Or, la transcendance n'est-elle pas de l'ordre du gratuit, du superflu, comme la beauté ?
Enfin, nous serions tentés d'ajouter que poser un fondement semble renvoyer le questionnement à l'infi ni (qui fondera le fondement). À moins de voir justement dans le fondement une réalité échappant à la catégorisation finie, ce qui nous ramène à la deuxième difficulté. En tout cas, la voie consistant à remon ter du contingent au nécessaire, du fondé au fondement, ne nous paraît pas la plus fructueuse pour envisa ger une possible transcendance. En outre, le risque de priver les valeurs de leur autonomie en invoquant un fondement transcendant n'est pas à négliger. En définitive, notre idée de la trans cendance se fonde surtout sur un pressentiment (qui n'est pas une simple croyance mais une sorte d'in tuition) d'une plénitude, d'une beauté, d'une vitalité ou d'un amour en permanente surabondance par rapport au dynamisme de l'imma nence, marquée toujours par l'entro pie, condamnée à mort. C'est le butoir de la mort qui constitue le point d'ancrage de la possibilité d'une transcendance. Si je suis desti né à mourir, irrévocablement, je considère que les limites de l'imma nence finie sont absolument infran chissables, qu'aucun autre ordre de réalité, de vie ou d'amour ne m'as sure une éternité éventuelle. Qu'il faille intensifier la vie constitue une invitation urgente et magnifique. Pour autant, même la vie la plus
intense reste vouée à la disparition. Des sagesses nous proposent de renoncer à espérer, nous invitent à nous résigner à disparaître, à accepter une mort qu'en vérité nous ne ren controns jamais : pour Epicure, tant que nous sommes en vie et conscients la mort n'est pas là ; au contraire, lorsqu'elle sera là nous serons morts. Cette option propose une sagesse que nous n'avons pas ici à évaluer, encore moins à réfuter. Pourtant, le butoir de la mort creuse en nous le désir et peut-être le pressentiment d'une dimension qui la dépasse. En somme, nous pourrions conclure par la possibilité offerte d'une recon naissance de la transcendance, non pas au bout d'une démonstration, d'une mise en évidence s'imposant à tous, précisément car Dieu n'est pas de l'ordre de l'étant, d'une essence, mais rayonne par l'amour. Tout ce qui contrarie le déploiement libre, joyeux, et pourquoi pas « jubilatoire », terme qui agrée tant à Michel Onfray, relève des pathologies et des parasitages. Nietzsche, sur ce point, nous donne une leçon indépassable. Avant-dernière pourtant, et non parole ultime, car en de tels hauteurs il faut craindre une réponse enfer mante et exclusive qui serait le mal heur de la question, et notre mal heur. Les arrière-mondes brident, exténuent, phagocytent, tuent la vie. Une transcendance redécouverte devra être non juxtaposée, comme un méchant doublet, mais à la fois ici et ailleurs, présente et plus gran de. Ce n'est pas un autre monde comme le nôtre qui se superposerait à lui. C'est plutôt une dimension de ce monde irréductible à sa finitude, et pour le théologien, à sa « créaturalité ». La référence célèbre au mythe platonicien nous égare : ce monde présent est le seul réel — et non pas le reflet du vrai monde idéal. En même temps il ne se ferme pas sur lui-même mais tend vers un achève ment, un sens, une existence, une beauté, un amour plus grands, accomplissement qu'il ne peut se donner par la seule intensification de son immanence mais qui advient autrement. Sans pour autant qu'une telle dimension ne concurrence ou ne
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veuille étouffer la vitalité splendide et solaire qui traverse nos imma nences, sinon en raison peut-être d'une pulsion de mort qui s'insinue, mais à laquelle le sens de la transcen dance ne nous semble nullement réductible. Au-delà des voies déca pantes de l'apophatisme, l'ouverture ne cesse de se creuser à nouveau. Nous avons modestement tenté non de la justifier, mais pour le moins d'envisager sa conciliabilité et son harmonie avec l'affirmation de l'au tonomie, héritage précieux et incon tournable des Lumières. Nous refu sons d'ailleurs d'en rechercher quelque hypothétique nécessité en humiliant l'immanence, ou même plus simplement en pointant les limites de ses activités et de ses déploiements.
La visée chrétienne Le christianisme entend faire un pas de plus et affirme, sur l'autorité d'une Révélation religieuse sacrée, que Dieu transcendant est venu habiter l'immanence : tel est le sens théologique décisif du dogme de l'incarnation. On peut certainement, comme le firent Hegel et Feuerbach, interpréter autrement ce pivot théo logique de la foi chrétienne, comme l'expression aliénée peut-être de l'identité même de l'homme, portée à tort à l'extérieur. Cette explication pourrait inciter à penser un autre christianisme, excluant la transcen dance. Pourtant, sans entrer dans une recherche approfondie, il semble clair que pour le grand nombre de chrétiens l'incarnation est bien celle d'un Dieu par ailleurs préexistant et transcendant. L'originalité, par rap port à une pensée purement vertica le de la transcendance, est que la transcendance vient réellement habi ter l'immanence sans se dissoudre en elle. D'un point de vue métaphy sique il y a certainement là une pro position fascinante, mais aussi peutêtre hallucinante. Il paraît acquis que le christianisme, s'il se veut vrai ment dans le prolongement de cette intuition, ne cherchera plus la trans cendance dans la fuite de l'imma nence mais au cœur de celle-ci. Cela 30 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
favorise une autre manière d'articu ler la transcendance et l'immanence, non seulement plus respectueuse de cette dernière que des pensées uni quement verticales de la transcen dance, mais également soucieuse d'une forme d'achèvement global et intégral où le plus humain et le plus divin se côtoient. Une telle dyna mique pourrait même devoir se détacher nettement des formes variées de « séparation », visant à dégager un pur, un sacré et un saint qui ne résiderait pas au cœur même de l'immanence. En ce sens, il y aurait peut être lieu d'envisager un paradoxe chrétien : une pensée de la transcendance qui renverse en quelque sorte son hégémonie pour la resituer et restituer autrement. C'est une tâche qui incombe éven tuellement aux théologiens. En même temps, si le christianisme his torique a bel et bien succombé, au fil des âges, à la tentation de diminuer la puissance d'exister, comme le sou tient Nietzsche, il constituerait alors un courant protéiforme, marqué par un clivage intérieur insurmonté entre deux dynamiques en conflit : l'une qui exalterait la créativité, l'autre qui, au contraire, l'exténue
rait. Il y aurait bien un nihilisme interne qui traverserait les pensées chrétiennes ; pour autant, il ne fau drait pas négliger une dynamique contradictoire d'intensification et de célébration de l'immanence. Nous ne faisons là qu'effleurer la question immense d'une éventuelle interpré tation philosophique globale du christianisme, impossible à traiter présentement. Notons simplement l'affrontement probable entre celui qui estimera que le christianisme ne pourra s'élucider, en quelque sorte, qu'à l'intérieur de lui-même, à la lumière d'une intelligibilité interne qui suppose d'y entrer et celui qui, au contraire, estime que de l'exté rieur il convient de déjouer une redoutable illusion d'optique. Illusion d'optique que pourrait être au bout du compte l'idée de trans cendance elle-même.
Transcendance et éthique L'un des problèmes posés par la référence à une transcendance qui fonderait la pensée éthique et l'arra-
nous garantit, au bout du compte, à cherait à l'arbitraire tient à la diffi culté de donner un contenu précis à part un argument d'autorité, que la la morale qui en découlerait. Ainsi, référence à la transcendance interdise les morales religieuses se fondent- absolument cette séparation, alors elles toutes sur un Dieu législateur. que l'on peut penser qu'une certaine Pour autant, le contenu de cette élasticité entre sexualité et procréa législation peut varier : au sujet du tion marque bien l'entrée de la pre prêt à intérêt, de l'homosexualité, du mière dans l'ordre de la culture ? La rôle de la femme, de l'obéissance référence, pour trancher les débats aux pouvoirs établis, etc. Des concrets, à une norme transcendante, conflits opposent les théologiens semble là au moins inopérante. Au moralistes alors même qu'ils sont contraire, elle semble durcir encore d'accord sur le point de départ. les positions, chacun se croyant Romulus et Remus avaient bien investi d'une autorité proprement commencé par se mettre d'accord divine et sacrée. En ce sens, le fonde avant que le premier ne s'oppose au ment transcendant peut non seule second et ne le tue. On n'obtient ment être inutile et incertain, mais certes pas une maison entière sim encore dangereux. Des plaisirs légi times pourront être interdits avec plement en creusant des fondations. La suite ne va pas de soi. Le fait férocité au nom d'une norme trans d'invoquer la référence ultime pour cendante... au détriment de per justifier une position morale pourra sonnes ne parvenant pas à s'épanouir être jugé arbitraire et être contesté légitimement. même par ceux qui cultivent la Par ailleurs, des pratiques crimi même référence. La diversité des nelles et nocives comme l'esclavage vues développées pourtant au nom ou l'incision pourront être couvertes, d'une même transcendance, le justifiées et imposées. On peut pen risque de confondre un point de vue ser à nouveau à cette monstruosité absolu avec un tabou historique ten nous qu'est l'intolérance vio dent à rendre inutile et incertaine la pour lente au nom même de l'amour référence à un fondement transcen envers celui qui erre, sincère qui dant, lequel, à supposer qu'il soit plus est. Les enjeux sont donc d'une réel, ne semble pas nous dispenser extrême gravité. Sans aucun doute, des délibérations incertaines quant en pure théorie, une référence trans au contenu même de ce qu'il semble cendante nous arrache à nos points impliquer. En dernière instance, c'est de vue arbitraires, mais l'indécidabibien la raison ou même l'opinion, lité quant à l'existence et plus encore sinon une croyance peut-être super au contenu de cette normativistitieuse ou fanatique, parfois de quant té transcendante compromet totale l'ordre de l'archaïque, qui tranche ment cet éventuel bénéfice. Qu'une ront le débat au nom d'une transcen référence transcendante, interprétée dance interprétée. d'une certaine manière, puisse servir Pour prendre un exemple concret et de pivot à une morale particulière ne actuel, le Magistère catholique fustige fait pas difficulté. Pour autant, est-il la séparation de la fin unitive et de la légitime d'étendre un choix particu fin procréative du rapport sexuel, ce lier en en faisant une théorie de maximes universelles ? Si quelque qui interdit à la fois toute contracep tion véritable (les méthodes natu fois la transcendance est revisitée, relles n'étant pas de cet ordre puis c'est-à-dire qu'un point de vue qu'elles consistent non à disjoindre immanent est défendu en son nom, par un « artifice » ces deux fins mais se parant des plumes du paon, qui un peu hypocritement peut-être à saura discerner ? Ne vaudrait-il pas éviter qu'elles ne se rejoignent) et la mieux alors fonder la morale sur le fécondation in vitro même dans un sujet libre, responsable, généreux, mais incertain et fragile ? Cette couple marié (la fécondation se fai sant dans une éprouvette et non au morale sans doute un peu décevante cours d'un rapport sexuel). La ques pour qui cherche surtout une solu tion est pourtant la suivante : qui tion certaine, qui n'évite pas les
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faux-pas, par sa modestie et son refus d'absolutiser ses propres choix — et éventuellement ses propres errances de jugement — serait celle de l'honnête homme qui pratique une vertu dont il ne sait trop le fon dement, dont il devine pourtant l'harmonie, la grandeur et l'agré ment. Une morale non infaillible s'assume alors comme telle, mais renonce à un prétendu fondement qui en fait ne résout aucun problème concret... et en suscite de nouveaux.
Beauté et transcendance Cette voie esthétique vers la trans cendance n'a rien d'une déduction ou d'une induction de l'ordre de la causalité efficiente. Elle relève plutôt d'une sorte de sentiment interne, qui n'a rien d'un pur caprice (j'aime les carottes mais non les tomates), ni pourtant d'une sorte de conviction intellectuelle que l'on pourrait étayer par des preuves. Il y a sans doute une proximité entre le sens du beau et le sens du sacré ; et plus encore lorsque le jugement porte sur le sublime qui a quelque chose d'ef frayant par l'excès même qu'il incar ne. La différence peut-être avec le sens du sacré est que ce dernier consiste en une sorte de cristallisa tion de ce pressentiment dans des réalités ou des symboles précis. La transcendance, devinée à partir du sens esthétique, du jugement du beau, consiste plutôt en une présen ce, un parfum, une atmosphère mys térieuses dont vestiges et stigmates sont inscrits dans la réalité sensible certes, mais qui ne ressemblent en rien néanmoins à ce qui les évoque et les chante. Peut-être s'agit-il d'une expérience proprement mystique plutôt que religieuse. Néanmoins nous l'associons étroitement à l'ex périence esthétique en ce sens qu'il naît à partir de la saisie sensible du bien, pour s'en détacher. La beauté sensible rend hommage à une autre beauté. Cette vision, développée aussi par une pensée religieuse contemporaine (par exemple sous la plume de Jean-Louis Chrétien) est
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Radioscopie ENQUETE
en somme également en sympathie avec Platon et le platonisme, même si elle se refuse souvent à trop hypostasier ce qui est pressenti, savouré parfois en idées aux contours sub stantiels bien nets.
Penser autrement Au terme de notre parcours, à l'en droit où nous nous trouvons présen tement de notre itinéraire, se déga gent à la fois les possibilités et les limites d'une affirmation théiste argumentée et moins grossière d'une transcendance. La question qui se pose alors au phi losophe est la suivante : faut-il enco re approfondir, faut-il en rester là, ou faut-il engager non pas simplement une autre réponse dans le même registre de pensée, mais une toute autre manière de penser, une toute autre approche, un autre continent mental, un autre cadastre de l'être ? Dans certaines traditions, comme celle de la sagesse chinoise, le concept de transcendance n'a pas véritablement de place. Il semble donc loisible d'envisager, au moins à titre hypothétique, une autre approche qui ne se contente pas de répondre autrement mais déplace d'emblée le questionnement et ose proposer une vision qui rend super flu le problème à traiter. En définitive, reste une éventuelle option religieuse pour la transcen dance, tempérée peut-être en théolo 32 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
gie par l'affirmation de l'incarnation. Le philosophe peut tout au plus sug gérer l'absence d'une incompatibilité absolue. Il reste toutefois gêné de cette idée de doubler le réel, même s'il ne s'agit pas simplement de deux couches de même ordre et de même nature. Il pourrait bien privilégier l'idée d'une réalité certes pluridi mensionnelle, mais fondamentale ment une et non duelle. Il pourrait aussi, un peu dans le sens de Hegel, inviter les théologiens chrétiens à porter un regard sur leur tradition en se libérant du point de vue des orthodoxies sur l'immanence. Certaines affirmations religieuses, comme l'incarnation du Verbe, pren drait alors un sens différent. La transcendance garderait éventuel lement encore une prégnance, non pas comme une surréalité existant vraiment, mais plutôt comme le chiffre et l'expression d'une capacité d'émerveillement face à quelque chose de plus beau que ce que nous pouvons palper et saisir, mais qui fait néanmoins partie d'une même réalité vivante, dont nous risquons de limi ter l'éclat, la profondeur et la portée. En somme, il s'agirait là d'une trans cendance purement esthétique, non réelle et métaphysique. En définitive, il serait certainement opportun et urgent de penser le christianisme lui-même autrement. Non pas tellement comme une juxta position de deux mondes, avec une super-substance qui serait Dieu, un
être supérieur et lointain, un « étant » figé pour parler comme Heidegger, un « être », Dieu, relevant davantage du mystère, d'une subjectivité réelle (« quelqu'un ») que nos catégories métaphysiques ne parviennent pas à saisir : « Il y a beaucoup plus de choses au ciel et sur la terre que l'intelligence humaine ne le peut concevoir (Shakespeare). » C'est dans l'irrup tion de l'événement, dans une ren contre, lorsque le désir renaît, qu'il fait Dieu dans une vie. « La catégorie centrale du christianisme est celle d'évé nement (Gianni Vattimo). » En défini tive, quelque chose se passe, et nous passons, Pâques, passage. Il ne s'agit d'ailleurs pas tellement d'une sorte de réalité compacte, surplombante, que de l'émergence d'une plénitude inachevée. Vaste programme pour les théologiens.
Michel Onfray : un bilan Le grand mérite de ce philosophe tient, répétons-le, à la force de la provocation lancée. L'alternative désirée par rapport au christianisme sera donc radicale. Michel Onfray met le doigt sur les plaies ; il nous invite à un regard lucide sur le caractère parfois très problématique de l'affirmation monothéiste. Il nous contraint à aller au coeur du problè me, à ne pas nous limiter à des aspects périphériques, à laisser résonner l'enjeu premier et décisif. Michel Onfray nous oblige aussi à reconnaître que certains discours jus tificatifs débouchent sans doute sur des impasses. Il n'est guère possible d'emprunter certaines voies apologé tiques désormais compromises. La pensée chrétienne devra tracer des chemins de traverse plus audacieux. Michel Onfray nous presse d'hono rer un certain nombre d'exigences existentielles : liberté et autonomie en tête. Voulons-nous être des hommes rabougris, amputés de nos affects, nous écrasant nous-mêmes, des « chameaux », pour reprendre la métaphore de Nietzsche. Laisseronsnous, au contraire, le désir, la jouis sance et la jubilation introduire en
nous une danse. L'ermite de SilsMaria disait ne pouvait croire qu'en un Dieu qui danse. Les relents infects de jansénisme, les fausses postures, les refoulements patho gènes du sexe, le corsetage du corps, la soumission servile à un sur-moi vertical qui nous infantilise n'en finissent pas de nous empoisonner la vie, alors que le message de Jésus de Nazareth nous semble tout autre, libérateur et vivifiant. Selon l'expres sion de Françoise Dolto, Jésus est maître du désir, au sens où il le sus cite et ne le contraint jamais. Notre lecture des Evangiles n'est peut-être pas celle de Michel Onfray. Ce der nier a au moins le mérite de nous mettre en garde contre une lecture mortifère et perverse. Il y a le risque de substituer à l'affirmation de la vie un processus de négation et de mort. Certains courants intransigeantistes ne finissent-ils pas par détruire psy chologiquement leurs membres, per vertissant ainsi radicalement le mes sage de Jésus qui mettait debout le paralytique ? Le christianisme est-il toujours si fidèle à l'inspiration des origines ? L'hypocrisie des prêtres et l'inhibition des dévots n'auront-ils pas fait d'un message de vie un mes sage de mort ? Merci, finalement, Michel Onfray de nous redire qu'il nous faut être des vivants qui savent jouir et faire jouir, admirer le monde et ses splendeurs, inventer nos existences singulières et originales, nous affranchir des tabous et des prisons que nous nous imposons à nous-mêmes et que nous imposons aux autres. Pour nous, d'ailleurs, l'Évangile garde la saveur de la liberté et d'un émoi d'adoles cent qui s'éveille. Loin d'une sou mission béate, il nous convie au cou rage partagé et à la lutte pour l'hom me. En effet, la cause de Dieu est celle de l'homme. Merci, donc Michel Onfray. Même si Jésus n'est pas un « ectoplasme » mais celui qui plus encore que vous (et ce n'est pas peu dire), veut que nous soyons des hommes libres. Reginald Urtebize
1) Michel Onfray, Le ventre des philosophes. Critique de la raison diététique, Grasset, 1989 ; La raison gourmande. Philosophie du goût, Grasset, 1995. 2) Michel Onfray, Théorie du corps amoureux. Pour une erotique solaire, Grasset, 2000. 3) Michel Onfray, Physiologie de Georges Palante, Grasset, 2002. 4) Michel Onfray, Cynismes. Portrait du philosophe en chien, Grasset, 1990. 5) Michel Onfray, L'œil nomade, la peinture de Jacques Pasquier, Folle Avoine, 1993. 6) Michel Onfray, Splendeur de la catastrophe. La peinture de Vladimir Velikovic, Galilée, 2002. 7) Michel Onfray, Epiphanie de la séparation. La peinture de Cilles Aillaud, Paris, Galilée, 2004. 8) Michel Onfray, Ars moriendi. Cent petits tableaux sur les avantages et les inconvénients de la mort, Folle Avoine, 1994. 9) Michel Onfray, Esthétique du pôle Nord, Paris, Grasset, 2002. 10) Hans Kung, Dieu existe-t-il ? Réponses à la question de Dieu dans les temps modernes, Paris, Seuil, tr. fr. de H. Rochais, 1981 ; Georges Minois, Histoire de l'athéisme, Paris, Fayard, 1998. 11) Hans Kung, ibid., p. 250 : « Pour la première fois dans l histoire de l'humanité, on est en présence d'un athéisme pleinement
réfléchi, absolument résolu, se reconnaissant tel sans réserve et — c'est un point important — un athéisme soutenu jusqu'à la fin comme un programme à réaliser : en aucun cas la théologie ne saurait le réinterpréter ou le récupérer après coup. Cet athéisme conséquent lance un défi permanent à toute foi en Dieu. » 12) Ludwig Feuerbach, L'essence du christianisme, tr. fr., Jean-Pierre Osier, Paris, Maspéro, 1968, p. 82. 13) Ibid., p. 331. 14) Cité par Georges Minois, op. cit., p. 547. 15) G. Verilhac, in France Observateur, 13 juin 1963, p. 5. 16) Jean Wahl, cité par Yves Burdelot, Devenir humain, Cerf, 2003, p. 71 (nous recommandons vivement la lecture du livre de notre ami défunt Yves Burdelot). 17) Marie-Dominique Chenu, Le Père MarieDominique Chenu : un théologien en liberté, Centurion, 1975. 18) Maurice Bellet, Le Dieu pervers, Declée de Brouwer, 1978. 19) Eugen Drewermann, L'Évangile de saint Marc, tr. fr., Cerf, 1993, p. 12. 20) Un classique, Pierre Solignac, La névrose chrétienne, Paris, 1971. 21) Jean-Luc Marion, Dieu sans l'être, Paris, Puf, 2000. 22) Pierre-Emmanuel Dauzat, Le nihilisme chrétien, Puf, 2000. Golias magazine n" 106 janvier/février 2006 33
Radioscopie «Disputatio » autour de Michel Onfray
Lettre ouverte à Michel Onfray, Melonsieur, Un traité d'athéologie ! Ce ne pou vait être que roboratif. J'en ai com mencé la lecture avec appétit. Mais, à l'expérience, je ne suis pas sûr qu'il soit aussi bon, ni surtout aussi déci sif que vous avez l'air vous-même de le penser. J'essaierai de vous pré ciser mon point de vue. À vrai dire, j'ai cru un instant qu'il s'agissait d'un canular de prof de philo, qui se payait la tête de ses lec teurs en leur assénant des invectives ou des contrevérités de toutes sortes, histoire de faire réagir. On allait entendre après-coup un immense éclat de rire : je vous ai bien eus ! Rien de tel n'est venu. Pourtant, on dit que votre livre connaît un honorable succès de librairie, et même davantage. Si ça ne prouve pas sa valeur, on peut au moins voir un signe dans cet engouement. Peut-être une part de votre lectorat a-t-elle besoin de se venger de ce qui fut pendant long temps sa raison de vivre, à savoir la foi chrétienne, qui lui paraît mainte nant comme désaffectée. Vous vous en prenez aussi au judaïsme et à l'is lam, mais, chacun le sait, « la reli gion » dans notre pays a eu pendant des siècles les couleurs de l'Église catholique. (Le judaïsme était pour beaucoup l'ennemi et l'islam une si lointaine obédience !) Or, présente ment, l'Église catholique se languit (ou se meurt, suivant les diagnos tics), en tout cas elle en déçoit plus d'un et, à travers votre livre vengeur, le lecteur se sent invité à lui deman der des comptes, il se libère d'une tutelle, il la juge, il a même le droit de lui cracher dessus, comme pour la tenir à distance. Car vous n'y allez pas de main morte et vous ne « dédaignez pas la calomnie », pour parler comme M. de Beaumarchais. 34 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Il faut peut-être que ça se fasse. Mais ne croyons pas que cet exorcisme anti-religieux va nous dispenser de penser. Au contraire il nous y invite. Je vais donc laisser glisser les insultes anti-chrétiennes comme la pluie sur le canard et tenter de « cau ser » avec votre livre, et avec vousmême si vous le voulez bien.
Et d'abord, une question Si je vous ai bien lu, ce que vous appelez le judéo-christianisme est habité, sous-tendu par la haine de l'intelligence et l'interdit de la connaissance, et ce depuis les ori gines. La haine de la raison est ins crite dans ses mythes fondateurs. À vous lire toujours, notre culture vit encore sur « t'épistémê judéo-chrétien ne », cette vision du monde qui nous est devenue si habituelle que nous ne la percevons pas consciemment. Elle est notre inconscient collectif, un socle que le judéo-christianisme
nous a laissé en se retirant et « sur lequel s'effectue tout échange mental et symbolique ». On ne peut guère que souscrire à cette dernière remarque. Les athées modernes dans nos socié tés partagent volontiers cette épistémè avec les chrétiens ou les juifs. Ce sont des athées fidèles, voire des athées chrétiens, dîtes-vous2. C'est même cette situation hybride qui engendre, d'après vous, le nihi lisme contemporain. « L'époque dans laquelle nous vivons n'est pas athée. Elle ne paraît pas encore post-chrétienne non plus, ou si peu. (...) La négativité procè de du nihilisme consubstantiel à la coexistence d'un judéo-christianisme déliquescent et d'un post-chrétien encore dans les limbes3. » Va pour le nihilisme consubstantiel ! Mais alors, pour vous suivre, il nous faut tenir tout ensemble la haine de la raison comme constitutive du judéochristianisme, ainsi que le règne insi dieux de l'épistémè judéo-chrétienne dans notre culture jusqu'à nos jours, sans pouvoir nier pour autant un événement majeur et irrécusable que
vous n'expliquez guère : la naissance de l'aventure scientifique moderne justement dans nos pays, marqués plus que d'autres par cette arriéra tion mentale. La haine de la raison et de la connaissance dont est pétrie notre culture (forcément judéo-chré tienne) aurait engendré le siècle des Lumières et la science moderne qui, dans ses principes et dans ses appli cations, a débordé sur toute la planè te et fait reculer la religion. Et voici ma question : en nous proposant ainsi votre fresque historique taillée à coup de serpe, êtes-vous bien sûr d'avoir « raison » ? ou d'avoir seule ment « rancœur » ? Rancœur de voir patiner une révolution culturelle au sein même de la religion, une révo lution qui s'origine peut-être dans le judéo-christianisme, mais qui, pour le moment du moins, n'arrive pas à son terme. Il ne vous aura pas échappé en effet que quelques historiens attribue raient volontiers à ce foutu judéochristianisme le mérite sinon d'avoir mis au monde, au moins d'avoir per mis la naissance de la science moder ne et l'explosion culturelle qu'elle a provoquée, et qui se continue sous nos yeux. Même si le capitalisme et le consumérisme qui est son corrélât l'ont très largement annexée.
Au-delà de la rancœur Si la rancœur parle fort dans votre réquisitoire, il y a pourtant des moments de votre livre où vous ne vous laissez pas aller aux règlements de comptes. J'en retiens deux, autour de deux penseurs : Bataille et Nietzsche. Vous empruntez à Georges Bataille le mot phare de votre titre « Vathéolo gie ». Un « concept » que vous dîtes « sublime ». Au nom de ce concept, on pourrait s'attendre à une percée nouvelle de la pensée pour sortir de nos impasses indéfiniment piétinées sur la raison et la foi. Mais vous vous gardez bien de poursuivre dans le sillon de Georges Bataille. Vous vous contentez de recycler son WSSKtëfflBM fls& IIPWBs&Sl
titre. Lui rêvait du « système inachevé du non-savoir », de « l'évanouissement du réel discursif ». Il faisait sauter les œillères qui rendent la raison aveugle à ses propres conditionne ments. Il disait de lui-même : « Je ne suis pas un philosophe, mais peut-être un saint ou peut-être un fou. » Et voilà que son athéologie avortée devient dans votre programme « la contreallée de la théologie, le chemin qui remonte en amont le discours sur Dieu pour en examiner les mécanismes de plus près [...] l'occasion d'un démonta ge philosophique4 ». On quitte le subli me que vous avez annoncé pour l'atelier de mécanique. Je n'ai rien contre la mécanique, bien au contrai re, mais c'est tout de même une compétence ancillaire comme on disait jadis. Devrons-nous nous contenter de démonter des discours dans la contre-allée de la théologie ? Je ne vois pas là de quoi nous sortir de la négativité. Avec Nietzsche, c'est différent. Vous invitez à penser « à partir de lui, là même où le chantier de la philosophie a été transfiguré par son passage5 ». Et vous concluez votre référence à Nietzsche par une profession de foi : « Les formes du nihilisme contemporain appellent plus que jamais une transvaluation qui dépasse enfin les solutions et les hypothèses religieuses ou laïques issues des monothéismes. Zarathoustra doit reprendre du service : l'athéisme seul rend possible la sortie du nihilisme 6. » Belle profession de foi ! Alors, en écho à votre requête, je sui vrais volontiers le conseil de Nietzsche sur un point précis. Il écrit (c'est dans Humain, trop humain) : « Un degré assurément très élevé de cul ture est atteint quand l'homme surmon te ses terreurs, ses idées superstitieuses et religieuses. » Nous sommes en plein dans notre sujet. Et il ajoute : « Après quoi cependant un mouvement vers l'arrière est nécessaire : il lui faut, de ces représentations, comprendre la justification historique autant que psy chologique, il lui faut reconnaître que les plus grands progrès de l'humanité sont venus de là et que, faute de ce mouve ment vers l'arrière, on se priverait du meilleur de ce que l'humanité a réalisé jusqu'à présent7. »
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C'est ce mouvement vers l'arrière, pour prendre en compte l'archéolo gie de notre culture, que vous igno rez gaiement. Vous vous privez ainsi, et vous privez vos lecteurs, du « meilleur de ce qu'a réalisé » Israël. Vous échappe le progrès qu'est la loi du talion : eh oui ! elle délimite la vengeance, ce cancer aux métastases envahissantes. Vous échappe le sens du sacrifice d'Abraham : le bélier prend la place de l'enfant, car son dieu répugne aux sacrifices humains que Canaan connaissait, avec tant d'autres civilisations. Vous échappe l'invention extraordinaire du deca logue comme lié à l'alliance (c'est-àdire que la loi, parfois frustrante mais nécessaire pour vivre ensemble, vient après l'investisse ment amoureux qui nous fonde). Vous échappe la « déconfessionnalisation » de la justice réalisée par les prophètes, lorsqu'ils demandent que règne le droit plutôt que le culte. Vous échappe la découverte de la responsabilité individuelle affran chie de la tribu : « On ne dira plus désormais les parents ont mangé des rai sins verts et les dents des enfants ont été agacées. » Vous échappe la beauté de l'amour charnel chantée par le Cantique, hors toute idée de pro création « utile ». Vous échappent les premiers balbutiements de l'universalisme dégagé du communautarisme ethnique, lorsque le dieu du Juif Jonas se fait du souci pour les gens de Ninive. Bref, tout vous échappe, dans la Bible d'Israël, de ce qui constitue, pour une part, l'archéolo gie de notre culture. (Avec la Grèce, bien sûr.) Dommage ! monsieur Onfray, la bible d'Israël et vousmême méritiez mieux que la pitoyable lecture que vous en faîtes.
Paul et Jean Dans le même « esprit nietzschéen », et au risque de vous fatiguer, il nous faut dire quelques mots du Nouveau Testament, en particulier de Paul et Jean, pour ne parler que de ces deux écrivains. Votre haine de Paul (« l'hys térique » comme vous l'appelez) vous
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aveugle et vous rend incapable de lire son apport à l'humanité. Décisif ! Vous ne lui faîtes qu'une concession : « Le christianisme — gloire soit rendue à saint Paid, une fois n'est pas coutume ! — ne s'encombre pas de tout ce qui, dans le Lévitique ou le Deutéronome parmi d'autres textes d'interdits majeurs, oblige, empêche, contraint sur tous les terrains...8 » Cet affranchisse ment des multiples contraintes léga listes, de « la kyrielle des interdits », qui emprisonnent et empoisonnent la vie, est évidemment un pas important vers l'autonomie humai ne. Mais c'est trop peu et trop mal dire. Je préfère emprunter à votre collègue philosophe (et athée), Alain Badiou, ce qu'il dit de l'homme du chemin de Damas : « Le mot "conver sion" convient-il pour ce qui s'est passé sur le chemin de Damas ? C'est un fou droiement, une césure, et non un retour nement dialectique. C'est une réquisi tion qui institue un nouveau sujet : "Par la grâce de Dieu je suis qui je suis (eimi o eimi)" (Cor. I. 15. 10). C'est le "je suis" comme tel qui est convoqué sur le chemin de Damas [...]. En un certain sens cette conversion n'est opérée par personne : Paul n'a pas été converti par des représentants de "l'Eglise", ce n'est pas un rallié. On ne lui a pas apporté l'Évangile [...]. L'événement — "c'est arrivé", pure ment et simplement, dans l'anonymat d'un chemin — est le signe subjectif de l'événement proprement dit qu'est la résurrection du Christ. C'est en Paul lui-même la (ré)surrection du sujet. [...] Le surgissement du sujet chrétien est inconditionné9. » Comme vous le savez c'est chez Paul qu'Alain Badiou va lire « la fondation de l'universalisme », dont nous vivons ou tentons de vivre aujourd'hui. Il n'est pas très sérieux (et même à vrai dire un peu dégueulasse) de traiter son livre comme vous le faîtes dans votre bibliographie 10. Dans la conclusion de son livre, Alain Badiou écrit à propos de Nietzsche : « Il aurait dû reconnaître [...] sa dette envers ce Paul qu'il accable de sa vindic te". » Alain Badiou aurait quelque raison de vous en dire autant. Quant à Jean, ce génial écrivain, vous ne semblez guère en connaître que le 36 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
fouet dont il dit que Jésus s'est servi sophisteries hitlériennes, comme pour chasser les maquignons du vous semblez parfois le faire. Car, temple et leurs troupeaux à offrir. tout comme Hitler, vous voyez une Voilà un prophète qui annonce la violence brutale et insensée dans nécessité d'en finir avec le temple et l'épisode des marchands du temple. le culte sacrificiel, ces supports Vous prenez à votre compte cette dépassés de sa religion, et vous ne lecture hitlérienne de l'épisode. Où regardez que le fouet de cordes dont allez-vous à faire ainsi un bout de il se sert pour le dire. Sauf votre res chemin en compagnie du fuhrer ? pect, quand le sage montre la lune Vous croyez l'instrumentaliser. Il l'imbécile regarde le doigt ! vous sert à achever la foi chrétienne Pas plus n'avez-vous vu annoncée la (et juive aussi, je vais y revenir). La solution finale, en somme. Êtes-vous fin de la religion ethnique et patriar cale dans la rencontre de Jésus avec sûr d'avoir une cuillère assez longue la femme de Samarie, ni réhabilité le pour manger avec lui ? Votre désir chez le paralysé de Béthesda, ni humour rejoint même parfois le sien : « Les chambres à gaz peuvent s'allumer dénoncé le machisme quotidien chez au feu de saint Jean, » écrivez-vous u. les délateurs de la femme adultère, ni Du mauvais Le Pen ! émerger le « sujet » moderne dans le « je suis » christique, etc., etc. Vous Vous écrivez encore : « On connaît ne voyez donc rien dans ces textes moins bien la défense faite par Hitler de qui, lointainement mais réellement, Jésus, du Christ, du christianisme, de mettent au monde notre modernité l'Église,5. » Que l'attitude de l'Église en ce qu'elle a de meilleur ? face au Reich soit contestable et Bien sûr ce ne sont « que » des textes contestée, comme si elle avait entiè et ils n'ont pas d'effet magique et rement renoncé à son « magistère immédiat. Vous écrivez : « Le corps de moral » "', je n'ai garde de l'oublier. Que Hitler ait cherché à utiliser Jésus, à l'évidence, ingère des symboles, mais ne digère pas, on n'excrète pas du l'Eglise et qu'il y ait en partie réussi, c'est certain. Il s'est même démagoconceptl2. » Faut-il vous faire remar quer que vous écrivez (plus que giquement approprié l'aura du Christ en prétendant poursuivre sa beaucoup de vos semblables) et que la portée d'un livre, tout matérialiste mission ". Mais qu'il ait entrepris « la défense du Christ et du christianis qu'on se prétende, ne se calcule pas me », c'est se moquer. (seulement) au poids du papier, ni « Martin Bormann, Y eminence grise de (seulement) à la bonne ou mauvaise digestion de l'auteur ? Quoi que Hitler, chef de la chancellerie du parti et vous pensiez du « corps de Jésus » secrétaire particulier du Fuhrer, est qui vous ennuie si fort, essayez de sans doute celui qui a le mieux résumé la réalité du fossé qui séparait le nazis lire Paul et Jean. Leur « corpus » lit me du christianisme l8. » On lit, dans téraire vaut la peine. les Propos de table de Hitler rapportés par Martin Bormann : « L'avènement du christianisme a été le coup le plus rude jamais subi par l'humanité '" », ou « Encore ! encore : « Il a fallu quatorze siècles au Encore... » christianisme pour atteindre le sommet Parce qu'il y a Hitler. « Hitler, disciple de la sauvagerie et de la stupidité20. » de saint Jean », écrivez-vous en titre B. Et aussi : « Le bolchevisme est l'enfant À cause du fameux fouet, selon Jean illégitime du christianisme. Tous deux fabriqué par Jésus, et que Hitler (et sont l'invention des juifs. Le mensonge vous-même ?) fétichise dans un de délibéré en matière de religion a été introduit dans le monde par le christia ses délires. Cela donne selon vous : « Bardé de sophisteries, on peut justifier nisme n. » la Nuit de cristal comme une éviction Si les tirades fumeuses du fuhrer moderne des marchands du Temple. » sont tout sauf une « défense du Faites attention à ne pas prendre christianisme », qu'en est-il de sa complètement à votre compte ces pratique ? Je relis le récit de la mort
de Inge Scholl et de ses camarades étudiants de la Rose Blanche, déca pités à la hache par les gens du fuh rer, à cause de leur résistance au national-socialisme, motivée par leur foi chrétienne22. Je relis les textes du pasteur Bonhoeffer écrits dans sa prison. Lui sera pendu. Je repense au courage de l'Église confessante, aux trois cents prêtres allemands déportés à Dachau et aux milliers d'autres de toute l'Europe, et je vous en veux d'écrire comme vous le faîtes. Sans respect pour aucun de ces chrétiens anonymes. Ceux-là n'ont pas signé de concor dat. Ce sont eux qui ont entrepris « la défense du Christ et du christia nisme ». Ils sont morts, avec tant d'autres « qui ne croyaient pas au ciel », pour que nous puissions rele ver la tête et vivre humainement. Nous, les chrétiens, et vous-même, dans le même bateau de l'histoire. Manquer de respect à l'histoire, c'est leur manquer de respect. Et puis, il y a les Juifs, pourchassés, déshumanisés, détruits corps et âmes par le national-socialisme. Vous expédiez rapidement « leur affaire », intellectualisée par vos soins. Vous écrivez : « En poursuivant l'argumentation hystérique, la solution finale devient la réponse sous forme de talion au fantasme national-socialiste de Yenjuivement racial et bolchevique de l'Europe 13. » C'est alambiqué. Essayons de vous suivre : Hitler puise dans la culture juive la solu tion finale (le talion), pour se libérer de son fantasme d'enjuivement de l'Europe. Les Juifs ont d'ailleurs per pétré, selon vous, le premier génoci de de l'histoire. Et, toujours selon vos dires, « la Torah invente l'inégalité éthique, ontologique et métaphysique des races2* ». Bref, ils émargent à la même culture de mort que les chré tiens et que le fuhrer. Faut-il en conclure qu'ils mourront par où ils ont péché ? Que comprendre d'autre à votre thèse ? La clarté athéologique se perd sinistrement dans Nuit et Brouillard.
Onfray effraie • • • Le livre de Michel Onfray a suscité d'autres livres en réponse. En voici trois, écrits tous les trois par des catholiques : René Rémond, Le Nouvel Anti-christianisme. Golias en a rendu compte dans son dernier numéro (n° 105, p. 81). Irène Fernandez, philosophe et théologienne, a écrit Dieu avec esprit Réponse à Michel Onfray (Éditions Philippe Rey). Elle y prend le ton de l'indignation et les raisons de s'indigner ne lui manquent pas. Car Michel Onfray a le verbe assez naturellement injurieux envers les croyants (et la manière dont ils expriment leur foi). Elle a de quoi s'indigner aussi des contra dictions de l'auteur. Et plus encore, peut-être, de ses erreurs historiques.Ainsi Michel Onfray fait discuter par le concile de Mâcon, en 585, un livre qui sera écrit seulement I 000 ans plus tard. Michel Onfray est comme ça, il flirte souvent, de bonne ou mauvaise foi, avec le canular. Là où l'indignation d'Irène Fernandez sonne le plus juste c'est sans doute lorsqu'elle prend la parole au nom des femmes qu'elle juge bien mal traitées par notre intellectuel. Moins convaincante est sa défense sans trop de nuances de l'Église catholique. Elle oublie, semble-til, que notre pratique ecclésiale est souvent très loin de l'Évangile et que les repentances ecclésiales sont tardives. Enfin, Matthieu Baumier (historien et romancier) a écrit L'anti-traité d'athéologie. Le systè me Onfray mis à nu (Éditions Presses de la Renaissance). L'ouverture en est dramatique : « Après la lecture du Traité d'athéologie, une question s'impose à mon esprit : sommes-nous revenus au temps des catacombes, celui où les chrétiens vivaient cachés comme des chiens, cette époque de Rome où nous servions de boucs émissaires pour toutes les insanités des temps ? » Est-ce l'historien ou le romancier qui fait ce parallèle ? S'il est assez pertinent de lire dans le livre de Michel Onfray « la construction d'un bouc émissaire sur la base de l'amalgame, de la confu sion historique, y compris en termes de dates, d'invectives et de blasphèmes », on ne voit pas que les chrétiens soient condamnés pour autant à se terrer. Comme tous les citoyens (et sans doute mieux que d'autres), ils sont, dans nos pays, protégés par la loi. Matthieu Baumier est mieux inspiré lorsqu'il dénonce l'interprétation du nazisme par « le système Onfray ». C'est, à l'évidence, le point le plus noir du Traité. Jean-François Soffray
Et pourtant... Et pourtant, vous aussi, you've a dream. Vous rêvez, dites-vous, d'une « politique moins fascinée par la pulsion de mort que par la pulsion de vie. L'Autre ne s'y penserait pas comme un ennemi, un adversaire, une différence à supprimer, réduire et soumettre, mais comme la chance d'une intersubjectivité à construire ici et maintenant, non pas sous le regard de Dieu ou des dieux, mais sous celui des seuls protagonistes, dans l'immanence la plus radicale. De sorte que le Paradis fonctionnerait moins en fiction pour le ciel qu'en idéal de la raison ici-bas. Rêvons un peu...25 » Allons-y pour l'immanence la plus radicale et suivons votre conseil, si ce n'est déjà fait : descendons le Paradis de son ciel pour en faire notre idéal terrestre, car c'est ici que nous habitons. Mais même alors, monsieur Onfray, à mon avis de non-philosophe, il ne faut surtout pas fermer l'histoire, lui mettre un
point final. Dieu merci, vous n'en avez pas le pouvoir. Mais ce n'est pas l'envie qui vous en manque, me semble-t-il. Encore un coup de cette fameuse pulsion de mort dont vous nous entretenez souvent ? Peut-être bien. Vous écrivez : « Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes. Et avec lui la crainte, la peur, l'angoisse, ces machines à créer des divinités2'". » C'est cette même position surplom bante qu'adopte parfois Régis Debray (que pourtant vous n'appré ciez guère27). Il imagine une catas trophe (climatique ou autre) qui anéantirait l'humanité et il prophéti se : « Le divin retournerait au néant au même instant, avec le dernier sapiens sapiens usant sa dernière goutte de pétrole pour cuire son dernier rat2S. » Comme Régis Debray, même plus allusivement, vous prophétisez, vous aussi, sur les « fins dernières », comme disent les Églises. Mais cette place que vous vous adjugez à la fin de l'histoire, qui vous permet de Golias magazine n° 106 janvier/février 2006 37
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parler en connaisseur de ce qui se passera avec le dernier des hommes, cette place n'est pas à prendre. Ni par ceux qui « font de la théologie », qu'ils s'en gardent bien ! elle est celle de l'Aimer, qui nous est si largement inconnu, et de son jugement « der nier » justement. Ni par ceux qui « font de l'athéologie », puisque, pour cette variété d'humains, cette place n'a ni légitimité, ni existence : c'est la place fictive du dieu, et ce sont « les autres », les croyants, qui l'ont inventée. S'il vous arrivait de vous y projeter, vous feriez mentir votre athéologie et vous risqueriez de fis surer l'immanence pour vous glisser hors de l'histoire. À la place du dieu. Un comble ! À mon sens, faire « fonctionner le Paradis en idéal », comme vous le pré conisez, ce ne peut être fermer l'his toire, mais plutôt « l'érotiser »29, modestement et si possible gaie ment, au jour le jour. Une érotisation qui retentit sur nos amours et nos tâches, en vue d'un « avenir encore improuvé », comme dit Nietzsche30. Car les formes que peut prendre « l'intersubjectivité » dont vous rêvez ne nous appartiennent pas. Que de surprises nous attendent sur ce chemin si peu exploré ! Et même ce rêve, le vôtre et le nôtre, ne nous appartient pas lui non plus. Ce rêve nous est donné, comme un cadeau à partager. Jean-François Soffray
1) Éditions Grasset, Paris, 2005. 2) En bon témoin de cette épistémè judéochrétienne, Jacques Derrida écrit, suite à son séminaire sur « le pardon » : « On voit non seulement des individus mais des communautés entières, des corporations professionnelles, les représentants de hiérarchies ecclésiastiques, des souverains et des chefs d'Etat demander "pardon". Ils le font dans un langage abrahamique qui n'est pas (dans le cas du Japon ou de la Corée, par exemple) celui de la religion dominante de leur société mais qui est déjà devenu l'idiome universel du droit, de la politique, de l'économie ou de la diplomatie : à la fois l'agent et le symptôme de cette internationalisation. » Puis il réfléchit sur le « concept de crime contre l'humanité » : « Si une sacralité de l'humain peut seule, en dernier ressort, justifier ce concept (rien n'est pire, dans cette logique, qu'un crime contre 38 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
l'humanité de l'homme et les droits de l'homme) ; si cette sacralité trouve son sens dans la mémoire abrahamique des religions du Livre et dans une interprétation juive, mais surtout chrétienne, du "prochain" ou du "semblable" ; si dès lors le crime contre l'humanité est un crime contre le plus sacré dans le vivant, et donc déjà contre le divin dans l'homme, dans le Dieu-fait-homme ou l'homme-fait-Dieu-par-Dieu l...] alors la "mondialisation" du pardon ressemble à une immense scène de confession en cours, donc à une convulsion-conversion-confession virtuellement chrétienne, un processus de christinnisation qui n'a plus besoin de l'Église chrétienne. » in Le Monde des Débats, décembre 1999, p. 18. 3) Op. cit., p. 70. 4) Op. cit., p. 34. 5) Op. cit., p. 60. 6) Op. cit., p. 61. 7) Humain, trop humain, 20, 38-39. 8) Op. cit., p. 100. 9) Alain Badiou, Saint Paul. La fondation de l'universalisme, Puf, 1997, p. 18-19. 10) Op. cit., p. 275. 11) Alain Badiou, p. 119. 12) Op. cit., p. 157. 13) Op. cit., p. 201. 14 ) Op. cit., p. 227. 15) Op. cit., p. 280. 16) L'ambassadeur britannique auprès du Saint-Siège, Sir Francis d'Arcy Osborne, écrivait à son ministre des Affaires étrangères, le 3 octobre 1942 : « Adopter ainsi une politique de silence sur de tels crimes contre la conscience mondiale implique de toute nécessité une renonciation à l'exercice d'un quelconque magistère moral. » Cité par Robert S. Wistrich, Hitler, l'Europe et la Shoah, Albin Michel, 2005, p. 185. 17) Ainsi dans un discours enflammé, prononcé à Munich en décembre 1926, Hitler va jusqu'à faire de Jésus le modèle et le pionnier de la cause nationalsocialiste : « La naissance de l'homme, célébrée à l'occasion de Noël, revêt une importance essentielle pour les nationaux-
socialistes. Le Christ a été le plus grand pionnier dans la lutte contre l'ennemi mondial juif... La tâche que le Christ a entreprise, mais qu'il n'a pu achever, je la mènerai à bien. » (Wistrich, op. cit., p. 165). 18) Wistrich, op. cit., p. 181. 19) Hitler's Table Talk, cité par Wistrich, p. 177. 20) Ibid., p. 179. 21) Ibid., P. 178. 22) On peut en lire le récit dans Michel Clévenot, Les Hommes de la Fraternité, XX' siècle. Séquence 14. édition Golias. Sur Bonhoeffer, cf. la séquence 15. « Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. » 23) Op. cit., p. 202. 24) Op. cit., pp. 198-199. 25) Op. cit., p. 90. 26) Op. cit., p. 39. 27) À en croire La Chronique mensuelle de Michel Onfray de décembre 2005 (sur le web) : « Régis Debray déplore le manque de religieux qui crée si bien le lien social ! Ah, l'eau bénite républicaine, quel placebo sublime, quelle panacée ! » 28) Régis Debray, Les communions humaines. Pour en finir avec « la religion », Fayard, 2005, p. 119. 29) L'expression est de Michel de Certeau, La faiblesse de croire, Seuil, 1987, p. 292 : « Cachée dans la soumission aux règles d'une tâche et dans la régularité d'exigences objectives non choisies, il peut y avoir une érotisation de l'histoire — une passion altérante et altérée, j'oserais dire : une rage d'aimer. » 30) Le gai savoir, n° 382 : « Nous les nouveaux, les innommés, les gens difficiles à comprendre, nous, enfants venus avant terme d'un avenir encore improuvé, nous avons, pour des fins nouvelles, besoin d'un moyen qui soit neuf, nous avons besoin d'une nouvelle santé, d'une santé plus forte, plus aiguë, plus endurante, plus intrépide, plus gaie que nulle ne le fut jamais. »
Radioscopie «Disputatio » autour de Michel Onfray
D i e u Les invectives véhémentes de Michel Onfray auront au moins un mérite, et non des moindres en vérité : nous inviter à nous interroger sur ce Dieu, vaste test projectif sans doute, creuset des diva gations les plus meurtrières, mais également horizon des élans mystiques les plus sublimes. Au-delà de la der nière idole, ce despote totali taire qui arme les bras ven geurs, n'y aurait-il pas à envi sager une redécouverte, avec un regard neuf ? Tel est le pari qu'entend relever, avec la culture, avec le brio, avec l'intelligence claire et précise qu'on lui connaît JeanClaude Barreau dans son dernier ouvrage, Y a-t-il un Dieu ? Un Dieu loin des poussées acnéiques et pubertaires d'une révolte sans nuance mais aussi des pieuses humi liations d'esclaves rampants. Un Dieu que Nietzsche n'aurait pas renié mais qu'indirectement il annonce et chante, ce Dieu qui enfin saurait danser, et ouvrir le bal d'une humanité joyeuse, libre, créative. Quelqu'un et non pas un ordre impersonnel ou une sorte de grand architecte drapé dans l'indifférence. Un Dieu enfin qui nous rendrait plus vivants et autonomes, sans prendre ombrage de nos affranchis sements, mais en nous donnant tou tefois un présent d'amour mer veilleux : la vie éternelle. Tel est le
pari qu'entend relever, avec la cultu re, avec le brio, avec l'intelligence claire et précise qu'on lui connaît Jean-Claude Barreau. L'excellent livre qu'il nous donne mérite d'être lu et avec la plus gran de attention. Il s'agit d'un essai théo logique des plus justes et des plus intelligents. Sans l'ombre d'un cléri calisme rance et castrateur, sans suc comber à la tentation des arrièremondes, le professeur Barreau parle à tout homme raisonnable et lui ouvre un chemin. Fort justement, Jean-Claude Barreau part de la conscience humaine. Nous sommes loin de la dernière idole, qui n'est pas le Dieu des hommes comme le clame Jean-Paul Sartre dans Les mouches. L'enfant et le vieillard se tendent la main : unité d'une conscience au-delà des aléas d'une destinée. Comme le disait Msr Pierre Bockel à André Malraux : « Le fond de tout c'est qu'il n'y a pas de grandes personnes. » Ou plutôt, il se confondent en ce point mystérieux de l'existence pure. Être conscient conduit à s'interroger. D'Aristote à Bachelard, les philosophes de tous les âges et de toutes les écoles ont compris qu'une pensée digne de ce nom commençait par la question. L'homme ne peut ressentir sa place dans le monde que comme inconfor table. Il est « citoyen de deux mondes » (Msr Maurice Nédoncelle). La névro se, dont la psychanalyse il est vrai peut nous aider à nous libérer, au moins en ce sens que la jouissance (au sens lacanien du terme) peut à nouveau circuler, s'enracine dans la condition humaine. Il est absolu ment stupide de penser que la cul pabilité puisse dériver du christia nisme. Bien entendu, il existe bel et bien une « névrose chrétienne » juste ment diagnostiquée par Pierre
Solignac. Pourtant, cette névrose n'est pas seulement chrétienne, ni d'abord chrétienne (et le christianis me ne s'y réduit pas) : elle est humaine. « Elle est la marque spéci fique d'une humanité consciente de son impuissance à maîtriser la mort. » JeanPaul Sartre n'avait pas tort d'écrire : « L'homme est l'être par qui le néant vient au monde. » L'homme d'ailleurs peut choisir le néant, se suicider]. L'homme sait qu'il va mourir (même si l'animal le pressent). Or, la conscience se refuse à mourir. « Toute conscience humaine veut être le centre du monde, elle s'éprouve comme un Absolu. Or la définition même de l'Absolu, c'est qu'il ne saurait dispa raître. L'Absolu s'il existe ne peut pas mourir (p. 19). » Entre parenthèses, c'est le sens d'une preuve qui n'en était pas une, celle de Thomas d'Aquin à partir du désir d'éternité. Certaines approches réductrices tentent de nous convaincre du contraire : Jean-Pierre Changeux et son L'Homme neuronal (Paris 1983) tentent de décrire l'homme comme un réseau de connexions cérébrales. Bien sûr, le neurophysiologiste ne peut ni de ne doit en dire plus dans les limites de sa discipline. La pen sée, néanmoins, ne saurait s'en tenir là. Autant décrire un tableau en se limitant à l'analysant des compo sants chimiques de la peinture employée. D'un point de vue philo sophique, l'argumentaire de JeanPierre Changeux est brillant mais grossier. Il renoue avec les juge ments péremptoires d'un Haeckel ou d'un Le Dantec de jadis. Cela est d'autant plus remarquable que JeanPierre Changeux est par ailleurs un savant de renommée internationale, un grand humaniste, un mécène, et parfois même un véritable philo sophe (par exemple ce qu'il dit de Spinoza). Golias magazine n° 106 janvier/février 2006 39
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C'est vrai, notre conscience s'avère évanescente : intermittente de la lucidité. Expériences quotidiennes des rêves, plus rare du coma. Cette conscience fragile est une étincelle vacillante et menacée. Certains témoins parlent d'une expérience douteuse de sortie du corps au moment de la mort. Des explications plus simples peuvent être envisa gées. En tout cas, notre étincelle de conscience semble se raccrocher à une source supérieure. Jean-Claude Barreau se détache d'une sorte de prurit concordiste voulant poser Dieu à partir du « big bang ». Hypothèse inutile et incertai ne (Pie XII, en son temps, s'était réjoui un peu trop vite). De même l'origine de la vie ne semble-t-elle pas forcément imposer nécessaire ment un Dieu. En revanche, il y a sans nul doute dans la conscience quelque chose d'absolument irré ductible et de merveilleux. Comme le concluait déjà Cornélius Castoriadis : « Le fantastique nœud de questions liées à l'existence de l'homme n'est pas réductible à la physique et à la biologie (cité p. 40). » Comment ne pas songer encore à ce vieil adage comanche : « Dieu respire dans les plantes, rêve chez les animaux et s'éveille en l'homme » ? L'homme bien entendu est solidaire de la matière, du monde vivant. Il perçoit au fond de lui-même quelque chose d'irréductible : « Vivre c'est aller de commencement en com mencement, vers un commencement qui n'aura pas de fin (Grégoire de Nysse, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, p. 52). » En passant, Jean-Claude Barreau évoque la sexualité humaine. Certes, l'idéal très élevé et peut-être inacces sible de sublimation retentit forte ment mais il y a aussi parfois, et pas seulement dans le tantrisme, un lien mystérieux et quelquefois trouble entre religion et sexualité. JeanClaude Barreau dénonce la répres sion du désir féminin dans l'islam. Au-delà des puritanismes et des refoulements (l'obligation du célibat continent pour les clercs catholiques est un aspect mais non moins signifi catif du problème), le coït revêt des 40 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
dimensions mystiques. Jean Paulhan le reconnaissait : « C'est une chose étrange, le simple fait du corps à corps sexuel établit une sorte de communica tion qui est magique, incompréhensible et que je ne suis pas loin de considérer comme sacrée (cité p. 64). » Il me plaît d'ajouter la scène de transfixion mystique de Thérèse d'Avila par Le Bernin (église Santa Maria délia Vittoria à Rome). Le visage humain est une énigme, mieux un appel. Le professeur Dubernard a réalisé une greffe de la face, nul ne peut greffer un visage. « Le visage ami fissure le mur de la matiè re d'un sourire, d'une lueur, mais seule la parole amie, la parole des autres me fait exister. Nous sommes créés par les autres, [...j j'existe parce que quelqu'un m'a adressé la parole (pp. 66-67). » Lacan parlait du désir de l'autre. Boris Cyrulnik insiste sur le fait que le malheur n'est pas héréditaire; les « résilients » peuvent devenir plus forts que les autres, avoir une vie plus riche. À condition qu'ils aient été au moins une fois appelés... D'ailleurs éduquer ce n'est pas seu lement transmettre un savoir mais aussi appeler. « Le propre du sujet est de ne pouvoir l'être que dans son rap port avec les autres sujets (Francis Jeanson, La foi d'un incroyant). » Cette vision positive de la condition humaine ne saurait occulter la tragé
die du mal. En fait, il n'y a de mal stricto sensu que pour l'homme. « Le véritable mal n'apparaît qu'avec l'hom me. C'est celui que les êtres humains se font entre eux. Il n'est pas à l'extérieur de nous, il vient au fond de nos consciences (p. 74). » Notons en pas sant que ni le christianisme, ni les religions n'ont inventé ou suscité le mal comme tel (ce que semble penser Michel Onfray, décidément un peu court dans ses analyses). Il serait très étonnant, en effet, qu'une fois libéré de la religion l'homme soit libéré en même temps de la mort. Michel Onfray rappelle qu'Adolf Hitler était catholique. Avec des raccourcis de ce genre, on ne va nulle part et surtout pas vers plus de vérité historique. L'homme athée peut créer aussi bien l'enfer sur terre que le fanatique reli gieux. Sans aucun doute, une cri tique même drastique des atrocités commises en christianisme doit être menée à terme ; à condition de ne pas court-circuiter une réflexion anthropologique et historique moins sélective que celle de Michel Onfray. René Girard a montré qu'avec Jésus (que Michel Onfray nomme « ecto plasme », ce n'est ni intelligent, ni élégant et ne repose sur rien de cré dible : la critique historique recon naît l'existence de Jésus) Dieu n'est pas celui qui tue, mais celui qui prend la place de la victime.
Il n'en reste pas moins vrai que l'athéisme dispose de munitions non négligeables et témoigne d'une vraie grandeur d'âme. Je pense à la posi tion de Marcel Conche ne se sentant pas pouvoir croire en Dieu en raison du scandale moral de la mort de l'enfant innocent. Ou encore au meilleur de la position de Michel Onfray, à cette grandeur de l'homme libre et autonome, qui sculpte sa sta tue, savoure les variations du désir, se refuse à ramper comme l'esclave2. L'athéisme ne saurait être déshonoré pourtant par des arguments sim plistes ou faux : il traduit un choix existentiel de grandeur, de courage et de dignité. Rien de plus odieux qu'une apologétique présentant l'homme sans Dieu comme une « baudruche crevée » (cardinal Jean Daniélou). Comme l'écrit JeanClaude Barreau : « C'est qu'une fausse théologie de la Providence a éloigné de Dieu les hommes : remercier Dieu — ou les dieux — parce qu'une bombe qui a tué des enfants cent mètres plus loin vous a épargné est une attitude indigne... Personnellement, ce Dieu-là me pousse à blasphémer. J'ai envie de crier comme les soldats de l'an II : "Si le Ciel vient à tomber, nous le recevrons sur nos baïonnettes" (pp. 84-85). » Simone Weil (citée p. 112) écrivait ainsi : « Entre deux hommes qui parlent de Dieu, celui qui le nie en est souvent le plus proche. » L'un des intérêts du livre de JeanClaude Barreau est de relever la grande diversité du phénomène reli gieux : la religion est capable du meilleur et du pire. L'une des erreurs, peut-être, de Michel Onfray est « de séparer les monothéismes du fait religieux en général (p. 91) ». « Le fanatique use de la religion comme d'une drogue (p. 91). » Le fanatisme n'est d'ailleurs nullement propre au monothéisme. « Les interdits alimen taires reposent sur la distinction entre le pur et l'impur. On pourrait poser comme règle absolue qu'on a le droit d'observer tous les rites de pureté qu'on veut mais que ces actes sont subordon nés au respect de l'autre : quand on est reçu chez quelqu'un, on doit manger ce que l'hôte vous, serait-ce du porc... (p. 93) » Ainsi, l'hindouisme a-t-il
poussé la tentation de la pureté jus qu'à l'horreur. Le grand hindouisme que fut le mahatma Gandhi a consa cré sa vie à dénoncer l'intouchabilité, et c'est même pour cette raison qu'il fut assassiné par un fanatique de sa religion. Jean-Claude Barreau refuse le politiquement correct qui consiste à présenter les religions comme pareilles. La rupture intro duite par le judaïsme par rapport à l'impersonnel représente pourtant un tournant capital. Désormais, Dieu est quelqu'un, et cela change tout. La révolution chrétienne com plète cette mutation : « Jésus, trans cendant les lois du judaïsme, en fit écla ter les limites, de la même façon que Socrate avait, à Athènes, pulvérisé celles de l'hellénisme (p. 111). » Jésus respec te et aime les femmes dont il a voulu s'entourer (admirable dialogue avec la femme adultère). Jésus universali se la fraternité dont il fait le signe même de la présence divine3. La critique athée ne se contente pas d'envisager un homme et un monde sans Dieu : elle tente d'expliquer la croyance en Dieu. On sait que Feuerbach ne voulait voir dans les religions que la simple projection des désirs de l'homme. « L'anthropologie serait le secret de la théologie. » Freud parle d'une illusion : l'homme pren drait ses désirs pour des réalités. La dureté de l'existence pousse l'hom me à cultiver le fantasme d'un Père protecteur que Freud présente aussi comme un père castrateur. « Aucun père de la terre ne voudrait ressembler à ce père-là (Diderot). » La divinité a aussi le visage d'une mère protectri ce, les « déesses-mères ». La genèse des croyances éclaire leurs contours. Pourtant, toutes les explications se heurtent à cette difficulté : l'aporie de rendre compte du « plus » par le moins. On préférera Voltaire : « Dieu a crée l'homme à son image et Dieu le lui a bien rendu. » Mais il ne peut le lui rendre, justement, que parce que d'abord il a été créé d'en-haut. En effet, « chacun de nous est un puits sans fond, et ce "sans-fond" est d'évi dence ouvert sur le sans-fond du monde (p. 42)». L'insistance constante de JeanClaude Barreau d'affirmer un Dieu
« sujet », autrement dit « quelqu'un », le sépare d'un panthéisme anonyme ou du déisme. En même temps, la critique de tout anthropomorphisme aussi bien que la mystique d'un Maître Eckhart nous préservent de cette racine de l'idolâtrie, faire de Dieu un « étant ». Cependant, quel amour pourrait susciter un Dieu impersonnel. Comme le dit si bien le grand théologien Yves Congar : « À chaque fois que quelqu'un dit "Toi", c'est Dieu qu'il appelle (p. 148). » La psychanalyse lacanienne nous apprend que l'homme désire par dessus tout le désir de l'autre. C'est ce désir de l'autre qui lui donne d'exister. L'homme sent au plus profond de son être qu'il est fait pour la vie. Aimer quelqu'un, estimait Gabriel Marcel, c'est lui dire tu ne peux pas mourir4. Cette immortalité ne consti tue pas une sorte d'échappatoire à l'épreuve de la finitude et de la mort. En effet, l'homme ne survit pas : il ressuscite. Il ne s'agit pas d'échapper à l'inéluctable mais d'une dehiscence, d'un accomplisse ment. C'est pourquoi, cette vision vraiment chrétienne de l'immortalité doit être bien distinguée des recons tructions postérieures. En particulier l'hypothèse de l'immortalité de l'âme pourtant difficile à soutenir dans le cadre de l'hylémorphisme hérité d'Aristote (l'âme forme du corps). Jean-Claude Barreau se détache, à juste titre, de la théologie du purgatoire, que pour paraphraser Descartes je qualifierais volontiers pour ma part d'inutile et d'incertai ne. La mort peut se comparer à un sommeil. Le véritable enseignement de la Bible, mis en lumière par exemple par un Oscar Cullmann, nous parle d'une résurrection de la chair qui succède immédiatement à sa mort : pourquoi imaginer un temps ou un lieu après la mort ? Pourquoi exhumer ce vieux dualis me si compromis et honorant mal l'espérance chrétienne : toute chair verra Dieu. J'ajouterais volontiers quant à moi, reprenant la thèse de Ladislas Boros, que l'option véri table de l'homme se décide vérita blement au moment de la mort
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Radioscopie enquet; lesquelles on se débattait étaient en fait de faux problèmes. L'œuvre de Jean-Claude Barreau, outre la richesse culturelle qui la sous-tend, rend toujours plus intelli gent. C'est, à mon sens, un mérite incontestable. Face aux dogmatismes rigides et sclérosés d'un côté (avec la pétrification d'un système intellectuel et disciplinaire, historiquement situé, aujourd'hui obsolète, le « tridentinisme ») aux invectives rageuses de l'autre (la charge violente d'un Michel Onfray, encore une fois d'au tant plus regrettable que cet auteur ouvre un chemin de pensée, jubilatoire et original que nous aimons aussi emprunter), une autre perspective s'ouvre, lumineuse, sans simplisme, cohérente et fraternelle. On pourra, sans aucun doute, voir les choses autrement : le « pari » que nous pro pose Jean-Claude Barreau pourra en tout cas apparaître tel qu'il est, loin de sa caricature. même, grand passage, dont on ne revient pas mais où même une desti née tourmentée et pervertie peut prendre un autre sens. Je me permets un souvenir person nel : j'ai eu l'occasion d'une ren contre avec Françoise Giroud, deux ou trois ans avant sa mort, à Paris. Elle m'avoua douter de l'existence de Dieu, peu probable selon elle, mais avec un grand « peut-être ». Puis nous avons abordé la question de la vie après la mort. Elle me répondit : « Non, certainement pas. » Sur ce point, elle semblait n'avoir aucune hésitation. J'ai voulu en savoir plus. Elle me répondit en sub stance que le dualisme était impos sible. Sur le coup, je l'avoue, je me demandais un peu malgré moi si elle n'avait pas raison et s'il ne fallait pas faire son deuil d'une telle illusion (encore que pour d'autres raisons j'étais davantage enclin à laisser tomber l'existence de Dieu que la survie...). Depuis, je me suis un peu replongé dans mes livres de théolo gie et mesure mieux la distance entre une métaphysique un peu vacillante et le message de l'Évangile. JeanClaude Barreau réveille ma foi. Autre confidence, j'ai vécu une expé 42 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
rience analogue en lisant Les Vérités chrétiennes. En effet, j'étais plutôt irrité par le titre, et puis j'ai décou vert que finalement ce dont je m'étais éloigné avec les années n'était pas le noyau vivant qui m'avait ébloui, mais des sédimenta tions d'une gangue à décanter. J'ai relu un ouvrage de jeunesse de l'alors abbé Jean-Claude Barreau, La Foi d'un païen et y ai retrouvé la même fraîcheur. Comme lorsqu'on découvre quelque chose pour la pre mière fois, comme un tableau qu'on apprécie parce qu'on a pris du recul pour le regarder. Jean-Claude Barreau évoque volon tiers son amitié avec François Mitterrand. J'ai toujours regretté de ne pas rencontrer personnellement cet homme de brillante intelligence et qui voyait clair (malgré des zones d'ombre). Une connaissance indirec te de quelqu'un pêche souvent par défaut. Pourtant, il me semble pou voir remarquer quelque chose de très mitterrandien chez Jean-Claude Barreau. Une sorte de stratégie peutêtre, mais plus encore une clarté immédiate de jugement : dans une simple conversation, on prend alors conscience que les difficultés avec
Sebastien Cavalier
1) Jean-Claude Barreau distingue justement le suicide « nihiliste » d'un acte de grandeur (je pense à Sénèque ou Caton d'Utique, dont Dante, très chrétien, vanta le geste), d'une affirmation de la dignité de l'homme (Pierre Brossolette se jette par la fenêtre pour ne pas parler sous la torture de la Gestapo) ou d'un acte de « gentleman » (le suicide de Montherlant). 2) Est-il besoin de préciser que notre polémique à l'endroit de Michel Onfray concerne certains dérapages très nets de son dernier livre (Traité d'athéologie, Paris, 2005) où cet excellent essayiste, vrai philosophe, qui écrit bien et nous communique un savoir « jubilatoire » a en effet eu un double tort : se laisser peut-être dominer par sa passion anti chrétienne, par une réaction affective ; s'aventurer sur un domaine qui n'est pas le sien (la critique biblique et l'histoire du christianisme). Pour autant, le combat mené par Michel Onfray nous inspire du respect ainsi que la posture existentielle qu'il entend promouvoir. Dans ce même numéro de Golias, on lira avec profit l'article « Pour Michel Onfray ». 3) Nous recommandons vivement Jean-Claude Barreau, Y a-t-il un Dieu ?, Paris, Fayard, 2006. 4) On sait que Lacan détestait cette phrase de Marcel, presque mortifère puisqu'elle revient à nier au fond le manque de l'autre... C'est Jacques Derrida, curieusement, qui m'a réconcilié avec elle lors d'une rencontre avec lui peu avant sa mort.
c Le pape prêt à lever I excomm
lite au mini «conclave» du 13 février dernier, le pe Benoît XVI envisage de lever ccommunication prononcée en 1988 par son . adècesseur Jean Paul II contre les évêques de Fraternité Saint-Pie X, fondée par l'évêque égriste Marcel Lefebvre. Pendant ce temps, à Lyon, le cardinal Barbarin «offre» un séminaire aux intégristes «ralliés» de la Fraternité St Pierre. La rentrée complète des marginaux traditionalistes dans le troupeau romain est bel et bien enclenchée. Pour préparer la suite en douceur, le retour pur et simple des «schismatiques» de la Fraternité St Pie X : autrement dit les fils fidèles de Mgr Lefebvre.
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Golias magazine n° 106 janvier/février 2006 E
Le retour des intégristes
Rome : bientôt la levée de le ' xcommunication contre les lefebvristes ? enoît XVI a convoqué le 13 février dernier une réunion des cardinaux responsables des « ministères » du Saint-Siège afin de réfléchir notamment sur les démarches de réconciliation avec le mouvement intégriste des disciples de Mgr Lefevre.
Durant les congrégations générales de la période vacante du siège apostolique, ceux-ci avaient exprimé leur désir d'avoir de telles réunions à une fréquence régulière. C'est chose faite. Parmi les points abordés durant ce mini conclave, figu rait la question de l'évolution des relations du SaintSiège avec la Fraternité Saint-Pie X. En fait, le pape a voulu discuter de la possibilité de retirer l'excommunica tion aux évêques ordonnés par M9r Lefebvre sans la permission du Vatican, en 1988 (voir en encadré un extrait de l'accord signé avec le Vatican puis rompu par M9r Lefebvre). Un point de tension qui existe depuis lors entre les intégristes qui se réclament de l'Église catholique et le Saint-Siège qui les considère comme schismatiques. Benoît XVI, dans un geste concernant les traditiona listes en général, a souhaité également parler, le 13 février dernier, de l'élargissement de l'utilisation du Missel pré-conciliaire, souhaité par la Fraternité SaintPie X. Depuis 1984, les messes traditionalistes selon le rite saint Pie V sont permises, mais seulement dans les diocèses où l'évêque a donné son accord. Si le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé et président de la Commission Ecclesia Dei, en charge du dossier inté griste, reste discret sur le sujet, la réunion au Vatican a eu pour objectif de parler de « l'éventuelle réconciliation de l'Église avec la Fraternité Saint-Pie X ». « Les discussions (avec le Saint-Siège) sont longues, mais elles sont probablement les plus fructueuses de celles que nous avons eues jusqu'ici », avait pour sa part déclaré le supérieur général de la Fraternité, lors d'une conférence de presse tenue le 13 janvier 2006 à Paris. M9r Bernard Fellay avait expliqué que l'on se diri geait désormais « plus vers une "régularisation" de la Fraternité », même s'il regrettait que reste en cause la question de la validité des ordinations épiscopales de janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
1988. Il s'était aussi réjoui du discours sur le quarantiè me anniversaire de la fin de Vatican II tenu par le pape aux membres de la curie, le 22 décembre 2005. « C'est un texte capital. On voit bien que le Saint-Père essaie de mettre le concile dans une nouvelle lumière », avaitil estimé. Dans son discours, Benoît XVI avait souligné que la bonne interprétation du concile se trouvait dans « sa juste herméneutique », celle du concile interprété à la lumière de la tradition. Il avait ainsi critiqué l'école « de la discontinuité et de la rupture » (cf. Golias n° 104 et 105 à ce sujet) pour valoriser celle de « l'herméneutique de la réforme, du renouvellement dans la continuité ». Au Vatican, on parle de « rapprochement » entre la Fraternité Saint-Pie X et l'Église catholique. On admet qu'il y a des « signes positifs » venant de la Fraternité et que l'on parle de « décrispation intéressante » côté intégriste — des lettres sont régulièrement échangées entre la Fraternité et le Saint-Siège, le cardinal Castrillon Hoyos reçoit de temps en temps les respon sables de la Fraternité Saint-Pie X, et Msr Fellay a eu des « paroles positives » en janvier dernier —, même si on souligne qu'il y a encore « des difficultés » au sein de la Fraternité, qui ne peuvent pas être surmon tées « en quelques semaines ».
Double langage des intégristes À Rome, certains dénoncent aussi un « double langage » de la part des supérieurs de la Fraternité qui semblent chercher à satisfaire la ligne dure des intégristes autant que ceux favorables au rapprochement avec l'Église catholique. De son côté, le cardinal Julian Herranz, membre de l'Opus Dei, président du Conseil pontifical pour les textes législatifs, a prédit depuis longtemps une hypo thèse « d'accord canonique prévoyant l'institution d'une administration apostolique » pour les intégristes. « Je suis presque sûr qu'on nous l'accordera », a pour sa part rapporté M9r Fellay en janvier dernier. Tout en ajou tant : « Même si nous ne voulons pas être des catho liques à part : l'ancienne messe, nous ne la demandons pas pour nous, mais pour tous. » Le 22 mars 2001, Jean Paul II avait reçu les cardinaux à ce sujet, mais avait esti mé que « les temps n'étaient pas encore mûrs ». En jan vier 2002, un accord de ce type avait été signé mais seu lement avec la communauté de Campos de Mgr Antonio
Le retour des intégristes de Castro Mayer, au Brésil, qui devint une administration
courant janvier 2006, estimant que « si nous signions
apostolique personnelle.
aujourd'hui, tous nos fidèles ne nous suivraient pas ». Alors que les élections du nouveau responsable de la Fraternité saint Pie X approchent, celle-ci traverse une forte crise interne. Après l'abbé Christophe Héry, l'abbé
Rappelons que Benoît XVI a reçu en audience privée Mar Fellay à Castel-Gandolfo le 29 août 2005. Nous sommes arrivés à un consensus sur le fait « de procé der par étapes » dans la résolution des problèmes et « dans un délais raisonnable », a ensuite rapporté le directeur de la salle de presse du Saint-Siège. « Rome veut aller vite, mais nous ne sommes pas aussi sûrs de vouloir aller aussi vite ! », a toutefois nuancé M9' Fellay
Document
Protocole d'accord du 5 mai 1988 entre le Saint-Siège et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (puis rompu par Mgr Lefebvre)
Philippe Laguérie de la paroisse lefebvriste bordelaise de Saint-Eloi, s'est fait exclure officiellement de la fra ternité schismatique pour avoir refusé sa mutation au Mexique. À l'instar d'une partie de la Fraternité, il a en effet fortement critiqué en juillet 2004 la gestion des séminaires de la fraternité, condamnant une trop forte sélection des postulants. D'autre part, l'aile dure, menée par le Britannique Mgr Richard Williamson, s'op pose à celle plus favorable, derrière Mgr Fellay, à un rapprochement avec Rome. Basée à Menzingen, en Suisse, La Fraternité Saint-Pie X comptait, fin 2004, 441 prêtres, dont un tiers de Français, dans 59 pays, ainsi que 6 séminaires. Ces der niers accueillent une cinquantaine de séminaristes chaque année. La fraternité dit regrouper 250 000 fidèles, dont plus de 100 000 en France.
réunion tenue à Rome le 4 mai 1988 entre le car Extraits dinalduJoseph protocole Ratzinger d'accord et Msr établi Marcel au cours Lefebvre, de et la signé par les deux prélats le 5 mai 1988. lVi9r Lefebvre l'a rompu avant de procéder, le 30 juin 1988, aux sacres épiscopaux sans mandat pontifical et contre la volonté du Saint Père. Presque, trente ans après, retour à la case départ ? / - Texte de la déclaration doctrinale Moi, Marcel Lefebvre, archevêque-évêque émérite de Tulle, ainsi que les membres de la Fraternité sacerdo tale Saint-Pie X par moi fondée : 1) Nous promettons d'être toujours fidèles à l'Église catholique et au pontife romain, son pasteur suprême, vicaire du Christ, successeur du Bienheureux Pierre dans sa primauté et chef du corps des évêques. S] Nous déclarons accepter la doctrine contenue dans le n" 25 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium du concile Vatican II sur le Magistère ecclésiastique et l'adhésion qui lui est due. 3] À propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficile ment conciliables avec la Tradition, nous nous enga geons à avoir une attitude positive d'étude et de com munication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique. 4] Nous déclarons en outre reconnaître la validité du Sacrifice de la messe et des sacrements célébrés avec l'intention de faire ce que fait l'Église et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du missel romain et des rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean Paul II. 5) Enfin nous promettons de respecter la discipline commune de l'Église et les lois ecclésiastiques, spécia lement celles contenues dans le Code de droit cano nique promulgué par le pape Jean Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière. [...]
Tout tenter « Nous devons tout tenter en vue d'une réconciliation, autant qu'il est possible, et, pour cela, profiter de toutes les occasions », avait affirmé le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans ses Entretiens sur la foi en 1985, à propos du mouvement de Mgr Lefebvre qui devait devenir schis matique trois ans plus tard. Il avait cependant affirmé qu'il ne voyait « aucun avenir pour une position de refus fondamental à l'égard de Vatican II, en soi illogique ». « Le point de départ de ce courant est sans doute une fidélité stricte au magistère surtout de Pie IX et de Pie X, ainsi que — d'une manière encore plus fondamentale — au concile Vatican I et à sa définition de la primauté du pape », avait-il constaté. « Mais pourquoi les papes jusqu'à Pie XII et non pas après ? Serait-ce que l'obéis sance au Saint-Siège varie au gré des années ou de la proximité entre un enseignement donné et certaines convictions personnelles ? », s'était-il interrogé. Enfin, la Congrégation pour la doctrine de la foi, dont dépend la Commission Ecclesia Dei en charge des inté gristes, s'est réunie à Rome en assemblée plénière après le « conclave » convoqué par Benoît XVI et a pu aborder ce sujet. Les temps sont mûrs pour la grande réconciliation. D'autant que le discours-programme de Benoît XVI sur le concile Vatican II a rassuré les leaders intégristes (voir plus loin). Golias
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Quelques chiffres... Fraternité sacerdotale Saint-Pierre [FSSP] Rappel chronologique ' 18 juillet 1988 : fondée comme société cléricale de vie apostolique. Livres liturgiques utilisés : Missel, Rituel, Pontifical et Bréviaire romains en vigueur en 1962. • Juillet 1988 : audiences privées avec le pape Jean Paul II et le cardinal Ratzinger. ' 18 octobre 1988 : érigée de droit pontifical par le Saint-Siège. 1 Pâques 1990 : le cardinal Ratzinger visite la Maison-Mère (à Wigratzbad, Bavière) et y célèbre la messe traditionnelle. 1 1995 : première paroisse personnelle confiée à la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre. 12 septembre 1999 : le pape Jean Paul II bénit une première pierre et un crucifix pour les deux nouveaux séminaires de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre en Europe et en Amérique. 8 octobre 1999 : 20 octobre 2001 : allocutions du supérieur général au synode des évêques à Rome. Décembre 2000. juin 2002. juin 2005 : le cardinal Castrillon-Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei et préfet de la Congrégation pour le clergé, vient bénir le nouveau séminaire SaintPierre et ordonner des prêtres pour la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre. 29 juin 2003 : Approbation définitive des constitutions par le Saint-Siège.
• Année 2005 : —candidatures reçues : 73 ; — nouveaux séminaristes admis : 34 ; —séminaristes envoyés par et pour leur diocèse : 3.
Croissance • Effectifs initiaux en juillet 1988 : • 12 membres • 12 lieux de ministère dans 4 pays d'Europe • Années d'existence : 17 • Croissance moyenne par année : • Nouveaux membres par année : 16,94 • Nouveaux clercs (prêtres et diacres) par année : 10,64 • Nouvelles implantations par année : 5,82
Implantations • Lieux de résidence : 77 • Répartition : 4 continents ; 17 pays • Diocèses desservis : 85 — Europe : 49 —Amérique : 30 — Océanie : 4 —Afrique : 2 • Maisons érigées canoniquement : 22
Membres • • • •
Total : 300 Prêtres : 180 Diacres : 13 Séminaristes : 107
• Âge moyen des membres : 33 ans • Membres défunts : 4 • Nationalités représentées : 25
Vocations • Séminaires internationaux : 2 • Maisons de propédeutique : 2 • Évêques ayant conféré les saints ordres : 33 ; dont cardinaux : 7 • Nombre de cérémonies d'ordinations : 94, dont 48 par des évêques dans leurs propres diocèses.
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• Paroisses personnelles : 6 • Lieux de messes dominicales: 111
Ministères particuliers • Aumôneries d'écoles : 21 • Apostolat de la jeunesse : —Membres présents en Allemagne pour les dernières JMJ : 51 — Nombre de camps d'été et colonies de vacances annuels : 17 • Prédicateurs de retraites : 10 • Prêtres formateurs de séminaristes : 26 Source : Maison générale FSSP ; www.fssp.org
Le retour des intégriste DOCUMENT
Quand la mairie d'Aix en Provence et la Fraternité St Pie X font «ami-ami» Il y a quelques années a été signée une convention d'occupation d'un immeuble à usage d'église entre la Mairie d'Aix et les intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX). Cette convention a été signée (et c'est déjà honteux en soi) pour un usage strictement religieux. Or, les faits ont montré que le prêtre ou/et les fidèles de cette « église » ont utilisé ce local à des fins politiques. En effet, ont été tenues des réunions de l'association politique Civitas [Pour une cité catholique). Pour preuve de la dernière réunion en date, cf. pièce jointe : bulletin paroissial émis par le prêtre. Ont été également tenues des réunions politiques, d'extrême droite, animées par des gens du FN [Front national] et du MNR [mégrétistes]. Évidemment, tout ceci est contraire à la contractuelle convention d'occupation (et le prêtre intégriste en est pourtant bien conscient : cf. extrait d'un courrier adressé à un fidèle), ainsi qu'à la loi de 1905 sur la laïcité. À ce titre, il est singulier de constater que Madame le Maire, élue UMP d'origine radicale, ainsi que Sophie Joissains, secrétaire natio nale du parti radical, aient assisté au moins deux fois en cette « église » intégriste à la messe. Et plus si affinités : Madame le Maire est allée jusqu'à honorer de sa visite le prieuré de cette fraternité intégriste, à Marseille ! À ces réunions politiques tenues en toute illégalité, il faut ajouter la transformation de l'« église » en « dortoir » : il est régulièrement arrivé qu'un fidèle y passe ses nuits. Que cela ait été fait à titre gratuit ou onéreux, cela est, de toutes façons, contraire à la conven tion d'occupation, ainsi évidemment qu'aux droits de l'homme [conditions d'hébergement...]. Par ailleurs, le prêtre organise des activités commerciales en toute illégalité : — de façon permanente, la procure qui se situe à l'entrée ; — de façon régulière, des ventes en tout genre sur le parvis. Outre l'illégalité de tout ceci, il est dégoûtant de constater que tout cet argent permet de financer les prêches enflammés anti-républi cains et anti-démocratiques de certains prêtres ayant eu l'honneur de célébrer dans l'immeuble offert aux frais des contribuables. Pis ! la Mairie en est même venue, les mois derniers, à multiplier les gestes de sympathie : parking offert pour le prêtre... Il est également question que la Mairie cède d'autres de ses locaux, sous peu, à ces électeurs potentiels de second tour ce qui consti tue une véritable zone de non-droit, Outre les pratiques hors-la-loi de cette fraternité dont les dignitaires parisiens occupent, sans droits ni titres, la célèbre « église » de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, il faut ajouter : — l'explosion des recours au pénal exercés contre des membres de cette « église». — le refus du droit étatique, laïque, républicain, Dans ces conditions, comment peuton laisser perdurer une telle situa tion ? Aussi, un certain nombre de chré tiens demandent au nom des citoyens d'Aix-en-Provence de faire mettre fin à la convention d'occupa tion de ce local. Faudra-t-il en venir à la médiatisa tion de cette affaire, comme ce fut le cas à Bordeaux [cf. affaire Juppé / FSSPX] ainsi qu'à Paris [Saint-Nicolas : pour combien de temps encore ?] ? Pour en revenir à Aix, ce local pourrait être mieux utilisé pour y loger des sans-abris. Cela pourrait enfin, leur ouvrir les portes de ce local qui, aujourd'hui, leur sont discriminatoirement fermées.
FORBID S N'78 SeDtemhro 7m1; Feuille d'annonces de Ea Chapelle Notre-Dame de Plmmaculée Conception ÀIX-EN-PROVENCE FRATERNITÉ SAINT-PIE X 9 FOYERS CHRÉTIENS DU PAY S D ' A I X
S
Bien faire son..
igné de Croix.
On/ail le signe de ta Croix en ponant la moin droite ou front en disant: n Au nom du Père *: puis à la poitrine, en ajoutant: « et du Fits a.; enfin de î 'épaule gauche à i 'épaule droite, en disant: e et du Saint-Esprit. Ainsi sait-il. a Ce rappel de catéchisme élémentaire n 'est pas superflu: Bien des chrétiens donnent plus l'impression de chasser uni mouche que défaire un signe de Crois: Aussi, alors que nous fêterons l'Exaltation de ta Sainte-Croix le mercredi 14 septembre, el en ces temps de rentrée et donc de bonnes résolutions, une toute simple peut être de bien faire ce qui est le signe extérieur du chrétien. Le catéchisme ajoute que le signe de la Croix est le signe du chrétien parce qu'il nous fait professer extérieurement les principaux mystères de la foi chrétienne: le mys tère di la Trinité el le mystère de la Rédemption. En effet, ses paroles signifient l'unill eu en trois personnes réellement disti"'•'**• "t /«_û~-—i—*—a—'
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Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
Le ret o u r des i n t é g i
Un « révisionnisme » de saison r Marcel Lefebvre parta geait avec ses adversaires une analyse globalement identique du concile, mieux de l'« événement conciliaire », ce que le futur cardinal Yves Congar présenta un peu vite comme « la révo lution d'octobre » de l'Église, mais non sans une part de vérité. En effet, il semble difficile de nier qu'au-delà de la matérialité des textes, de la sédimentation des rédac tions, des compromis finaux, un véritable tournant s'est dessiné, déjà préparé (comme tous les tournants, car c'est la route qui tourne) mais nous conduisant dans une autre direction. Sans cette volonté d'une autre approche, d'une sensibilité plus modeste et plus fine à la fois, d'une rupture avec l'arrogance d'un intransigeantisme défensif qui combat, d'une volonté de dialo guer, d'écouter, de se laisser instruire, on se demande à quoi bon un tel concile ? À notre sens, là réside pré cisément l'aporie évidente des interprétations minimali santes de Vatican II, qui tentent de noyer le poisson. Vatican II ne se limite pas aux textes toujours de com promis et donc mi-chèvre mi-chou qui se trouvent dans les recueils. L'inspiration véritable va bien entendu audelà : se limiter à la lettre, c'est tuer le concile, l'enter rer. Un corps sans âme n'intéresse personne. Le courant lefebvriste ne se trompe pas de cible. En revanche, nos restaurateurs, plus adroitement, entre prennent une relecture du concile qui le neutralise. Ils parlent du vrai concile, d'un concile à la lumière de la Tradition, ou « in chiave mariologica » ; autrement dit, un concile qui n'a rien à dire, ne donne pas envie, n'ouvre pas un chemin d'espérance, de partage, de fra ternité et de vie. L'enjeu des manœuvres du tandem « Ratzinger/Ruini », des négociations avec les courants intégristes, des cri tiques acerbes adressées aux historiens de l'École de Bologne se trouve là. Les prochains temps seront déci sifs. L'interprétation ouverte du concile comme un évé nement, un tournant, une nouvelle inspiration, une conversion du regard laissera-t-elle hélas la place à sa négation même, une sorte de Concile châtré, épisode fade parmi d'autres, accumulation ennuyeuse de textes doctrinaux indigestes ou convenus, qui n'empêche plus de dresser haut l'étendard menaçant d'une restauration intransigeante. Au fond pour Joseph Ratzinger le conci janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
le aura simplement marqué une parenthèse regrettable, que des naïfs auront cru « enchantée ». La page est tournée. L'habileté de Benoît XVI entend précisément se mesurer à cet objectif qui est le sien : tourner cette page sans que cela ne se remarque de trop, au moins au début. Romano Libero
Le retour des intégristes
Le cardinal Barbarin ouvre un séminaire pour les intégristes ralliés 'est le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, qui avait accordé aux « ralliés » de la Fraternité Saint-Pierre l'usage de l'église lyonnaise (non paroissiale) portant le nom de Saint-Georges. Trois cardinaux plus tard, c'est Mgr Barbarin qui leur offre un séminaire sur les pentes de Francheville, la colli ne piquetée de maisons religieuses... et du séminaire diocésain. Pour com mencer, donc, il y eut un lieu de culte, et maintenant un séminaire : la ren trée complète des marginaux traditio nalistes dans le troupeau romain est bel et bien enclenchée. Pour préparer la suite en douceur, le retour pur et simple des « schismatiques » de la Fraternité Saint-Pie X, autrement dit les fils fidèles de IW" Lefebvre. Pour ceux de nos lecteurs qui perdraient encore leur latin dans ces fraternités d'« intégristes », rappelons rapidement leurs origines. M9r Lefebvre, non encore excommunié, avait fondé en Suisse en 1970, à l'inté rieur de l'Église romaine, une fraternité regroupant des catholiques qui refusaient Vatican II. Elle prit le nom de « Fraternité Saint-Pie X », en hommage à ce pape de l'antimodernisme, qui fut l'ennemi de toute évolution dans l'Église et ne digéra jamais la séparation, en France, de l'Église et de l'État (à rappeler discrètement en ces temps de commémoration). Lorsque Marcel Lefebvre fut excommunié en 1988, certains de ses dis ciples ne voulurent pas du schisme et, sans renoncer à un seul iota de leur catéchisme, obtinrent de l'Église de pouvoir rester dans son giron en faisant sacristie à part. Ces « ralliés », comme on les appelle à Golias, fondè rent en 1988, donc dans la foulée, avec la bénédiction de Rome, la « Fraternité Saint-Pierre ». Cette Fraternité pouvait réunir ses fidèles en quelques lieux de culte marginalisés, mais n'avait pas de responsabilité parois siale. Ses prêtres disaient la messe en latin, et ensei
gnaient à leurs ouailles le catéchisme du concile de Trente (XVIe siècle). Restant hors des circuits diocésains, ils rassemblaient les nostalgiques de la France monar chique et de l'Église d'avant la Révolution française... Dans les premiers temps, les prêtres et les fidèles de la Fraternité Saint-Pierre ont vécu ainsi entre eux, dans une sorte de réserve d'Indiens. Mais peu à peu, on a vu ses prêtres, souvent jeunes et « battants », et bien reconnaissables à leur soutane, entrer dans le champ pastoral des paroisses. La raréfaction des prêtres diocésains, qui angoisse tant d'évêques, a poussé les diocèses à leur confier des paroisses ou des services d'Église. Et aujour d'hui, en 2006, même entrés discrètement par la petite porte, ils sont dans la place et bien décidés à faire triom pher leur théologie. Et quelle théologie ! Depuis 1988, la Fraternité Saint-Pierre a pu ainsi s'implanter dans un quart des diocèses en France. Ils sont à Lyon, on l'a vu. L'évêque de Dijon, M9r Minnerath .prenant la suite de son prédécesseur,, les loge à la Maison diocésaine1. M9r Bruguès leur a confié la paroisse cathédrale d'Angers, rien que ça ! M9r Daucourt _ après une campagne d'un groupe de pres sion «tradi» - accorde des messes paroissiales en latin selon l'ancien rite... La nomination de quelques nouveaux évêques, comme Msr Centène de Vannes, que l'on sait très proche des traditionnalistes, ne fait que confirmer cette dérive. L'Église de France est en train de se faire lefebvriser, car ne l'oublions pas, si les frères de Saint-Pierre ont quitté Marcel Lefebvre, ce n'était pas pour ses idées, Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
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Le retour des intégristes
c'est simplement pour éviter la fracture du schisme. Mais ils ont gardé le même catéchisme pur et dur de dogmes figés et d'une Église enfermée dans ses certi tudes d'hier. M9r Barbarin ouvre à cette Fraternité une nouvelle porte d'entrée. Jusqu'alors, ces ralliés avaient deux sémi naires, l'un à Denton aux États-Unis, et le deuxième en Allemagne à Wigratzbad. Mais ils n'avaient pas de séminaire francophone. Grâce au cardinal Barbarin, ce manque va être comblé. Pourquoi se focaliser ainsi sur une Fraternité qui peut apparaître à certains essentiellement folklorique ? Estce faire preuve de harcèlement vis-à-vis de gens qui, finalement, usent de leur liberté comme nous-mêmes réclamons de pouvoir jouir de la nôtre ? Golias revient sur le sujet et continuera de le faire, parce que ce sont les structures d'accueil de tous les lefebvristes qui sont ainsi mises en place et que ce retour, avec armes et bagages, est très lourd de dan gers... Tant qu'ils restaient dans « l'opposition », ils ne présentaient pas grand risque. Mais ils sont en train de franchir le cordon sanitaire qui protégeait l'Église. Même si, dans un premier temps, ils paraissent ne réclamer que le droit de prier en latin, leur visée profon de est beaucoup plus radicale. Ils contestent l'Église dans ses choix conciliaires, ou tout au moins dans ce qu'il en reste. Bien évidemment, pour se faire accepter, ils ont encore le profil discret, mais ils restent des « reconquérants » qui veulent restaurer l'Église dans sa puissance dominatrice. Selon eux, la foi catholique a été bradée au concile, l'eucharistie a été complètement dévoyée dans les rites de « la nouvelle messe », l'Égli se post-conciliaire est devenue « protestante » (la gran de injure, retrouvée souvent dans leurs écrits). À eux, les purs autoproclamés, de restaurer la religion de nos ancêtres « catholiques et français toujours ». Il suffit de consulter les cantiques utilisés dans les célébrations. Ce n'est pas que folklore, comme lorsqu'on chante à Noël « Il est né le divin enfant ». La doctrine lefebvriste, c'est l'affirmation de la royauté du Christ sur le monde, au sens politique du terme, c'est le retour d'une religion essentiellement centrée sur le péché et un Dieu fouettard, c'est l'obsession du Diable vu partout, c'est la condamnation du « monde moderne » et d'une société qui autorise la pilule, le divorce , le pacs... C'est, chez eux, le rejet de la liberté religieuse, de la liberté de pen ser et de l'œcuménisme, c'est la condamnation, qu'ils n'ont jamais cachée, de « l'esprit d'Assise » de Jean Paul II. C'est l'opposition à la laïcité (qui refuse à Dieu sa place dans la société) et aux « droits de l'hom me » (considérés comme autant de droits enlevés à Dieu). Dans les revendications des durs de l'islamisme (avec en particulier la mise en place de la charia et la soumission du politique au religieux), on trouve un pen dant assez symétrique des pensées de nos propres « christianicistes », qui n'ont rien à leur envier, même si les conditions politico-historiques et les rapports de force sont différents dans nos vieux pays chrétiens. Il faut le savoir et le dire clairement : M9r Lefebvre et ses janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Les lefebvristes et le concile Extrait du bulletin IU° 27 de décembre 2005 Lettre à nos frères prêtres envoyé chaque tri mestre par les lefebvristes à TOUT le clergé de France : dans son édito, l'abbé R. de Cacqueray, responsable en France de la Fraternité Saint-Pie X parle des contacts établis entre cette Fraternité et le Vatican. Il commente ainsi : « Deux choses restent cependant à espérer. Tout d'abord que... les conséquences [de ce rap prochement] soient admises par tous » parce qu'il sent bien les réticences et les craintes que le rapprochement fait naître dans beaucoup de communautés chrétiennes... Mais le point suivant est encore plus instructif : « En deuxième lieu, il serait regrettable que ces premiers pas vers une reconnaissance officielle en viennent à voiler le différend profond qui oppo se les héritiers de M9r Lefebvre et les tenants d'un concile dogmatisé sur le tard. Nous le disions dans la dernière "Lettre à nos frères prêtres", le principal point d'achoppement reste le concile Vatican II, point trop important pour être passé sous silence... » L'argument actuel des lefebvristes pour contester ce concile est que Vatican II n'a pas proclamé de dogmes. Il est donc possible d'en remettre en cause les décisions. Reproche est donc fait à ses défenseurs de « dogmatiser » le concile pour le rendre intouchable... On le voit une nouvelle fois : ce que veulent les « intégristes », ce n'est pas d'abord et essentiel lement le retour du latin. Ça, c'est la vitrine, car i'arrière-boutique est beaucoup plus inquiétante : il s'agit dans la réalité d'une remise en cause fon damentale de l'ouverture de l'Église au monde, de l'œcuménisme, de la liberté religieuse... et de tout cet Esprit qui fait que nous pouvons encore un peu respirer dans l'Église d'aujourd'hui... Jean Molard filiales, c'est le partage des idées des partis d'extrême droite, sous le prétexte officiel qu'ils sont les seuls à combattre l'avortement. Dans les faits, nos intégristes partagent beaucoup plus largement les « valeurs » d'extrême droite, en particulier la haine de la démocratie, parce que, pour eux, seuls Dieu et sa loi peuvent constituer l'assise et la légitimité du pouvoir. D'où les sympathies évidentes pour tous les pouvoirs forts et leurs hommes quand ils se réclament (ou se récla maient) de la religion catholique : Salazar, Franco, Pinochet, les généraux argentins, et bien sûr Pétain... C'est aussi l'antisémitisme, c'est la nostalgie de la France coloniale... Sait-on, par exemple, qu'en l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, siège mythique
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Le retour des intégristes
de la dissidence des disciples de M9r Lefebvre, se trou ve une stèle dédiée « à toutes les victimes tombées pour leur fidélité à l'Algérie française », c'est-à-dire éle vée en hommage à ceux qui sont morts en combattant dans les rangs de l'OAS... ? Le problème n'est plus, on l'aura compris, celui de la messe en latin... Demain, si la réintégration continue, c'est l'Agrif qui remplacera le CCFD, c'est Présent qui remplacera La Vie et Le Pèlerin, c'est Bernard Anthony, l'homme fort des catho liques du Front national, qui deviendra le maître à pen ser de l'épiscopat. Avec ces Fraternités, c'est l'extrême droite prétendument chrétienne qui avance, cachée sous la soutane... C'est pas vrai ? Mais, au nom du Dieu de la lucidité, allez écouter un sermon ou lisez leur presse... Quand des prêtres célèbrent une messe spé ciale le 14 juillet afin d'implorer le pardon de Dieu pour la Révolution, c'est quoi ? Avec la Fraternité Saint-Pierre, les évêques espèrent que les chrétiens se réhabitueront aux prêtres en souta ne, aux messes en latin, au « Dies Irae » des enterre ments, au catéchisme sur le péché, le diable et la colè re de Dieu, aux vitupérations contre la société moderne et ses dérives, contre la liberté religieuse, l'œcuménis me... Et quand sera digérée la Fraternité Saint-Pierre, la réintégration des lefebvristes se fera sans même que l'on s'en aperçoive. Jean Paul II n'a pas pu la réaliser. C'était trop difficile pour lui qui avait prononcé l'exclu sion. Son successeur est plus à l'aise. Le conservatis me de Benoît XVI n'est guère troublé par les revendica tions et les pratiques de ces intégristes. Il attend sim plement le moment, laissant les évêques préparer le terrain. Et M9r Barbarin, soucieux du regard de Rome, en rajoute dans le zèle... (voirplus loin notre article) Lorsque les séminaristes de la Fraternité Saint-Pierre arriveront au terme de leurs études, ils seront ordon nés... Et par qui ? Par le cardinal Barbarin, bien sûr, qui ensuite sera tout heureux de les mettre en paroisse. Et dans quinze ou vingt ans, l'Église de France sera aux
La maçonnerie prise la main dans le sac (de ciment) C'est la presse [Le Progrès du 7 janvier 2006] qui le rapporte : en l'an 2000, une cloche était tombée de son clocher d'une hauteur de 7 mètres, juste devant la porte de l'église, blessant une personne. Au tribunal de Dinan, la Fraternité Saint-Pie X (les disciples de M9r Lefebvre), propriétaire des lieux, vient d'être condamnée à 10 000 euros d'amende pour blessures involontaires et 1 000 euros d'amende pour ouverture d'un bâtiment au public sans autorisation. Tiens donc ! ces intégristes encore pris en flagrant délit de mépris total pour les lois de la République. Quand on vous disait que des lois des hommes, ils n'en ont rien à f... Quant au maçon, il a été condamné à 3 mois de prison avec sursis et 800 euros d'amende pour blessure invo lontaire. On sait la haine que vouent ces intégristes aux francs-maçons, qu'ils voient partout, les accusant de vouloir la destruction de l'Église. Ils feraient bien aussi de se méfier des autres, ceux qui, sans être francs, n'en sont pas moins professionnellement dangereux... Mais sans doute, comme toujours, nos « Hommes de Dieu » faisaient-ils plus confiance en la Providence qu'en la qualité du ciment ? J. M. mains des intégristes... Il n'y aura plus de prêtres conciliaires, ils seront tous morts. Sont-ils devenus aveugles, les évêques français, pour prendre de tels risques, pour accepter que de tels hommes prennent le pouvoir dans l'Église ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit. De nombreux prêtres, jeunes et activistes, venus souvent des milieux les plus conserva teurs, formés chez les Scouts d'Europe ou chez ceux de l'abbé Cottard, se préparent à entrer dans le champ pastoral, avec la bénédiction d'un nombre de plus en plus important d'évêques de France. Et ils n'ont nulle envie d'y faire de la figuration. Et comme ils ne trouve ront plus sur leur chemin que les prêtres de SaintMartin, ceux des communautés nouvelles, les Petits Gris, dont la théologie est déjà tournée vers le passé, le concile Vatican II sera définitivement enterré. On a vu le poids que pèsent aujourd'hui aux États-Unis, autour de George W. Bush, les chrétiens fondamentalistes. Souhaite-t-on pareille situation en France avec l'Église catholique de demain ? Nous rendons-nous compte que c'est la substance même du message évangélique qui est attaquée au cœur ? Mgr Barbarin, toujours heureux de sortir son slo gan, a coutume de déclarer à ses invités et aux journa listes qui l'interrogent : « Éteignez la télé, allumez l'Évangile ! » Soit, mais on n'allume pas l'Évangile pour le confier à des éteignoirs. Christian Terras & Jean Molard
1) et se fait accueillir par eux en grande pompe à la basilique St Bernard pour la pose d'une plaque commemorative et d'une statue de St Bernard...
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Le retour des intégristes
La restauration liturgique oseph Ratzinger détestait en définiti ve le style de Karol Wojtyla : ce Polonais trop médiatique et trop superficiel a toujours négligé la litur gie, laissant le champ libre à ceux que le cardinal Ratzinger considérait comme les fossoyeurs de la liturgie romaine, Mgr Piero Marini et Mgr Giuseppe Liberto, maître de la chapelle Sixtine, connus pour leur volonté de poursuivre dans le sens de la Réforme liturgique. Dès son arrivée sur le trône de saint Pierre, musicien esthète, doctrinaire résolu, Benoît XVI a marqué sa détermina tion de restaurer la liturgie romaine après une trentaine d'années qu'il juge calamiteuses. Cette restauration commencera déjà par celle de la musique liturgique. On sait l'amitié qui unissait le cardinal Ratzinger à M9r Domenico Bartolucci, ancien maître de chapelle, d'orientation vigoureusement traditionaliste. Or, Mgr Bartolucci fut évincé par les soins de M9r Marini, en 2002, année de gloire pour le cérémoniaire alors tout puissant et qui manqua d'un simple cheveu la barrette rouge et la charge de préfet de la Congrégation pour le culte divin. Ses trois ennemis à Rome étaient : l'arche vêque Luigi De Magistris, le cardinal Jorge Medina et... Joseph Ratzinger ! Les trois se liguèrent pour barrer la route à Piero Marini : ils intervinrent directement auprès de Jean Paul II pour faire obstacle à l'auto-promotion de l'ambitieux cérémoniaire. Comme solution de compromis, le pape Wojtyla nomma à la tête de la Congrégation du culte divin un Nigérian, le cardinal Francis Arinze, déjà septuagénaire. En fait, M9r Arinze s'est depuis longtemps rallié à la tendance Ratzinger et entend serrer la vis et dénoncer avec une vigueur renforcée tous les soi-disant abus liturgiques. Dans le staff curial, les durs, les « faucons » de Joseph Ratzinger, Mgr Castrillon Hoyos et Medina (à la retraite mais toujours influent) s'entendent bien avec M9' Arinze et inspirent souvent ses décisions. Pour ne pas donner cependant à l'aile traditionaliste une palme de victoire trop visible, Karol Wojtyla refusa finalement la pourpre à janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Mgr De Magistris. Ce dernier, forte personnalité, et homme libre, déplaît en effet non seulement à M9' Marini mais aussi à l'Opus Dei et encore au cardinal Lopez TRujillo. Le vieil archevêque sarde, en réalité inclassable, a combattu jadis la canonisation de Mgr Escriva et a également critiqué le rigorisme de l'Opus et du Conseil pour la famille en matière de sexualité. Comme son compatriote de Sardaigne, le cardinal Mario Pompedda, M9r De Magistris est un juris te redouté, formé à l'ancienne, très honnête au demeu rant. Dépourvu d'ambition, il incarne au fond une forme originale de résistance aux manœuvres de la Curie, avec des aspects traditionnels et d'autres étonnamment ouverts. Un personnage en somme, mais qui aujour d'hui, à près de 80 ans, s'est retiré sur son Aventin. L'année 2002 marque donc le sommet de l'ascension du très ambitieux M9' Marini mais également le début de son déclin. Il parvint à convaincre Karol Wojtyla d'évin cer M9' Bartolucci et de le remplacer par son complice Mgr Liberto mais ne peut neutraliser l'influence de ses ennemis ni grimper aussi haut qu'il le désirait. L'élection de Joseph Ratzinger annonce son prochain exil. En effet, Mgr Marini et Mgr Ratzinger sont de longue date en opposition radicale et définitive sur la question litur gique. Giuseppe Liberto, quant à lui, faisait savoir par tout qu'il n'avait pas lu une seule ligne de ce que le futur Joseph Ratzinger avait écrit sur la question qui nous préoccupe manifestant par là son dédain à l'en droit d'un cardinal dont il aura négligé, en bel impru dent, les chances pour le conclave. M9r Marini et Liberto doivent pour le moment avaler des couleuvres fort amères. À Rome, les milieux feutrés et souvent cruels de la curie murmurent que les deux hommes ont déjà préparé leur valise pour une destination inconnue. L'une des premières décisions prises par le pape Ratzinger fut de rétablir l'ordre dans la Congrégation du culte divin elle-même. En effet, Jean Paul II, aussi inté ressé par la liturgie que Benoît XVI par le nombril des Spice girls, laissait les différentes factions de la curie se répartir les postes, obligées qu'elles étaient de se ménager, car en gros de force égale. Après un cardinal réformiste (l'Espagnol Antonio Maria Javierre Ortas) la Congrégation dût supporter un traditionaliste : le Chilien Medina. En contrepartie, le secrétaire de la Congrégation devait être proche de la tendance Marini : ce fut le cas de l'ar chevêque bénédictin Pio Tamburrino. Ce dernier pour tant fut écarté, relégué dans un petit diocèse du Sud de
Le retour des intég l'Italie et remplacé par un centriste, M9' Domenico Sorrentino. C'est ce dernier qui a fait les frais de l'élection de Joseph Ratzinger. Jugé trop favo rable à la faction Marini, Mgr Sorrentino a été nommé évêque d'Assise (alors qu'en général un secrétaire de Congrégation est promu à un siège cardinalice). Pour le remplacer comme secrétaire de la Congrégation du culte, Benoît XVI aurait envisagé la désignation d'un de ses proches, ou en tout cas d'un prélat aligné sur la ligne traditionaliste et restauratrice. Parmi les candidats envisagés : Mgr Mario Marini (atten tion, ne pas confondre avec Piero), longtemps en poste à la Congrégation du clergé, proche du cardinal Castrillon Hoyos et sympathisant des milieux intégristes ; le Père Ferdinando Guimares, un rédemptoriste brésilien, conseiller du même cardinal Castrillon Hoyos, artisan diligent de la réconciliation avec les inté gristes de Campos au Brésil ; M9r Camille Perl, un prélat luxembourgeois qui seconde le même et omniprésent Castrillon Hoyos à la Commission « Ecclesia Dei » char gé de favoriser l'accueil des intégristes ralliés au pape. En fait, l'idée de faire prendre un tel virage à la Congrégation du culte (louée par les cardinaux Medina, Castrillon, M9r Brandmuller...) inquiétait d'autres proches de Benoît XVI, tel Mgr William Levada. Une solution moins radicale fut alors retenue : un nonce Sri-lankais Mgr Ranjith Patabendige Don. Né en 1947, il a fait ses premières armes à la Curie en 2001 comme secrétaire du puissant cardinal Crescenzio Sepe à la Congrégation pour l'évangélisation des peuples. En cette fin de règne du pape polonais, M9r Sepe, proche de M9r Stanislas faisait un peu la pluie et le beau temps. Il se heurta très violemment à son secrétaire srilankais qui dès lors trouva refuge dans une lointaine nonciature oubliée. Mgr Ranjith passe pour très conser vateur et de tempérament rigide. En le choisissant, Benoît XVI a également choisi d'infliger un camouflet au cardinal Sepe, très mégalo, et qui semble tarder à com prendre que la tiare a changé de tête. Une nomination fort habile. Elle pourrait en outre favoriser à brève échéance le transfert du même archevêque sri-lankais à la tête du dicastère chargé du dialogue interreligieux (barrette rouge à l'appui). En effet, Joseph Ratzinger est vivement opposé à la ligne « relativiste » du patron actuel de ce « ministère » Vatican, l'Anglais Michael Fitzgerald, un libéral confirmé, dont il dissuada Jean Paul II de le créer cardinal. Il vient d'ailleurs de le nommer nonce en Egypte... Un placard ! Benoît XVI entend favoriser l'étude et la promotion de la musique sacrée. Il pourrait créer une Commission pon tificale dans ce but présidée par un « Monsignore » catalan, le « canonico » Miserachs Grau. Le latin et le grégorien reviendront-ils dans nos paroisses ? En attendant un rite de la messe plus tridentin que jamais.
Romano Libero
Verbatim
Nous disons «Non» Je dis — et beaucoup disent avec moi — un NON franc et déterminé à tout ce qui risque d'aboutir, à pas feutrés, à un reniement pur et simple de Vatican II. Nous disons NON à l'idée qui s'infiltre peu à peu et qui voudrait qu'il y ait plusieurs tendances légi times dans notre Église, parmi lesquelles la « ten dance conciliaire », laissant ainsi entendre que l'adhésion au concile Vatican II est désormais facultative. Nous disons NON à ce chantage qui consiste, de la part des intégristes, à faire « payer » leur retour dans le giron catholique. Nous sommes prêts à accueillir ces ouvriers de la onzième heure, mais nous disons NON à ces « repentis » s'ils veulent dicter les conditions de leur embauche et de leur réintégration. Nous disons NON à ce qui faillit aboutir en 1988 à un protocole d'accord entre Rome et Mgr Lefebvre (sur un texte proposé par le cardinal Ratzinger) lequel texte concédait — si j'ai bonne mémoire — qu'il y aurait dans Vatican II des affir mations non conformes à la Tradition catholique ! C'est d'ailleurs à cette occasion qu'est né le réseau Jonas, pour la défense et l'intégrité de Vatican II. Nous disons NON à ceux qui voudraient faire un choix parmi les conciles, en ne retenant que ceux qui leur agréent. Nous ne pouvons pas adhérer à Trente sans adhérer à Vatican II qui lui apporte des précisions, voire des correctifs aujourd'hui nécessaires. Nous disons NON enfin à ceux qui voudraient nous entraîner dans une incroyable régression, à savoir interpréter « Hors de l'Église pas de salut » dans son sens le plus strict et le plus fermé, comme l'a fait récemment l'un de leurs porteparole à la télévision. Ce serait considérer d'em blée comme « damnés » non seulement les chré tiens non catholiques et tous les croyants des religions non-chrétiennes sans oublier tous les non-croyants, mais encore les baptisés divorcésremariés, interdits d'eucharistie. Nous disons NON, parce que nous disons plus fondamentalement OUI. Oui à notre Église quand elle est fidèle à l'Évangile. Oui à l'Église du Christ Sauveur universel, qui n'en finit pas de nous conduire, dès ce monde en compagnie de tous les hommes de bonne volonté, à son Royaume de Justice, d'Amour et de Paix.
Henri Denis et le réseau du groupe Jonas Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
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Le retour des intégristes
Le discours-programme de Benoît XVI sur Vatican II
Allez
messe est dite
ans son « discours à la Curie romaine à l'occasion de la pré sentation des voeux de Noël », ■ le 22 décembre 2005, le pape Benoît XVI nous livre un texte très important car il y précise, entre autres, son interprétation de l'œuvre du concile Vatican II : il s'agit bien du p r o g r a m m e d e s o n p o n t i fi c a t . Inquiétant ! Ces précisions arrivent au gré de l'évocation des évé nements importants de l'année écoulée : mort de son prédécesseur et son enseignement sur la souffrance et le mal, Journées mondiales de la jeunesse à Cologne, occasion d'un rappel de l'Adoration eucharistique, syno de des évêques et Année de l'Eucharistie, nouvelle insistance sur l'Adoration, 40e anniversaire de la conclu sion du concile Vatican II, appelant un plus long déve loppement sur lequel nous allons revenir, élection enfin du cardinal Ratzinger devenu Benoît XVI. Qu'en est-il aujourd'hui de l'aboutissement du concile ? Ce n'est pas la première fois que les conclusions d'un concile soulèvent des vagues dans l'Église, ce fut enco re le cas pour Vatican II. Pour le pape, c'est une ques tion d'interprétation, d'herméneutique et le pape stigma tise dans une dialectique un peu rapide, une herméneu tique « de la discontinuité et de la rupture » et une herméneutique de la « réforme » ; selon les tenants de la première il faut aller au-delà des textes pour en pour suivre l'Esprit. Tel n'est pas l'avis du pape. Les Pères du concile, selon lui, n'en avaient ni le pouvoir, ni la mis sion, ils n'étaient que dépositaires d'une Constitution ecclésiale venue de Dieu. Suit alors un développement sur l'« herméneutique de la réforme » qui s'argumente sur deux textes pontifi caux : le discours de Jean XXIII lors de l'ouverture du concile, celui de Paul VI lors de sa clôture. Pour le pre mier, on ne peut qu'adapter le dépôt de la foi aux exi gences de notre temps, en conservant le même sens et la même portée. Aujourd'hui, pour le pape, les fruits sont là, en effet, même si ce ne fut pas très claire dès le début. Pour Paul VI, il en allait du rapport entre l'Église et l'époque moderne, rapport qui avait historiquement mal commencé avec l'affaire Galilée, puis l'aventure des janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Lumières, ce qui avait entraîné des condamnations au XIXe siècle. Puis un dégel dans la première moitié du XXe siècle. Trois questions s'imposaient au moment du concile : relation entre foi et sciences modernes, y com pris biblique ; rapport entre Église et État moderne : respect des religions et idéologies ; tolérance religieu se, enfin : cas particuliers du nazisme, mais aussi d'Israël. Il s'agit-là des thèmes de la seconde partie du concile et Benoît XVI reconnaît qu'on peut y sentir une certaine discontinuité par rapport au passé de l'Église, ce qui ne rentre pas dans son interprétation. C'est alors qu'il se livre à un exercice de haute voltige pour revenir à son herméneutique de la continuité et de la réforme : « Dans un certain sens, s'était effectivement manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois éta blies les diverses distinctions entre les situations histo riques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n'était pas abandonnée... C'est précisément dans cet ensemble de continuité et de discontinuité à divers niveaux que consiste la nature de la véritable réforme. » Et il s'en tire par une dévelop pement sur le fondamental revenant à l'Église et le contingent lié au monde et à son histoire, y compris dans ses implications touchant l'Église. Ainsi, la liberté religieuse est admise, et la Vérité de l'Église est sauve. En ce qui concerne l'Église, seul ce qui concerne les principes est immuable, tout le reste n'est que contin gence liée aux contingences du monde. Dès lors, même si le concile a été amené à revisiter et corriger certaines décisions historiques (de l'Église) il a, dans l'affaire « approfondi la nature intime et la véritable identité de l'Église une, sainte, catholique et apostolique en chemin à travers les temps, à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu ». Dès lors, à la suite du concile, les catholiques partisans de l'ouverture au monde ne devaient pas rêver en sous-estimant les tensions intérieures et les contra dictions de l'époque, ainsi que la dangereuse fragilité de la nature humaine... ainsi notre Église demeure un signe de contradiction. Tout revient en définitive au pro blème éternel du rapport foi-raison : cela a été vrai dès le départ pour Pierre et le rapport à la culture grecque, comme pour Thomas d'Aquin avec l'arrivée de l'aristotélisme. Vatican II n'a pas tout résolu dans les données actuelles, mais le dialogue actuel entre religion et foi a trouvé sa direction essentielle et c'est ce que le monde attend de nous dans un renouveau toujours nécessaire de l'Église.
Le retour des intégriste? « Et voilà pourquoi votre fille est muette... » aurait-on écrit au Grand Siècle. Le texte de Benoît XVI apparaît comme très important et très révélateur : il explique et légiti me une interprétation de Vatican II ne laissant aucune place à une autre interprétation ; des faits patents comme la fin de la doctrine traditionnelle « hors de l'Église pas de salut » peuvent être là et être reçus comme irréversibles, il suffit d'évoquer une autre continuité, située ailleurs, pour les réduire au niveau subalterne d'une simple réforme en affirmant que l'essentiel est sauf. Quel essentiel ? le pape ne le dit pas, mais semble avoir les moyens de se situer au-dessus de l'éternel débat « révolution-réforme » que personne n'a encore réussi à dirimer d'une manière aussi super be que lui. Il fait d'ailleurs allusion, et c'est étrange dans la hauteur de son texte, aux événements de Mai 68 et l'on sait bien que c'est à partir des là que le professeur d'université chahuté par ses étudiants, ancien ténor progressiste du concile, a viré sa cuti et est passé de l'équipe pro
gressiste de la revue Concilium à la création de l'antidote conservatrice de la revue Communio. Le chemin du pontificat est désor mais tracé : une interprétation conservatrice des textes d'un conci le qui se voulait tout sauf doctrinal : dans l'esprit de Jean XXIII, il ne s'agissait pas de définir des posi tions ou des dogmes comme à Nicée, Trente ou même Vatican I, et pourtant à lire Benoît XVI, il faut les regarder comme tels et définitifs. La Lettre l'emporte une nouvelle fois sur l'Esprit, dans une nouvelle manifestation de la peur devant la modernité et les « signes des temps » chers à Jean XXIII et au concile. La scène romaine actuelle était magnifiquement illustrée à la télévision française dans une fiction récente sur l'« affaire Galilée » : on y voyait le pape ancien ami et pro tecteur du savant venir le visiter dans sa prison pour lui demander de se dédire au nom de l'intérêt de l'Église, qui n'avait rien à voir avec la vérité scientifique du savant. Le pape actuel en est là : du haut de sa culture et de son intelligence,
supérieures c'est indéniable, il ne peut dire, au nom de la raison d'É tat dans l'Église, que « non possumus », pour lui, l'interprétation de Vatican II est verrouillée, l'espéran ce est close dans les limites d'un sage réformisme, l'humanité catho lique peut en crever, selon la formu le inversée de Jésus dans l'Évangi le, elle est faite pour l'Église une, sainte, catholique et apostolique, et non l'inverse. On aurait au moins simplement aimé que, dans une telle argumentation aussi astucieu se mais assez tirée par les che veux, le Saint Père exprime un peu plus clairement quel est l'essentiel auquel il se réfère et qu'il reven dique. Un jour, dans une émission télévi sée, le cardinal Lustiger a expliqué que le Vatican II n'était jamais que la suite de Vatican I, interrompu par la guerre de 1870. C'était astucieux, mais assez tordu par rapport à la vérité historique. Nous étions en droit de penser que Benoît XVI était plus honnête en la matière. Serge Torrep
Quand le primat des Gaules trompe son monde...
Dans un premier temps, la Fraternité St Pierre avait demandé au cardinal Barbarin de faire de leur implantation au 1 chemin de Petite Champagne à Francheville, un lieu de retraites où seraient prêcher les fameux «exercices spirituels» de St Ignace, spécialité des Jésuites... Rappelons que la maison jésuite «Le Chatelard», à quelques centaines de mètres de là, a justement cette mission et cette vocatrion ! Le cardinal Barbarin donne son accord sans sourciller. Dans un second temps, le projet de la Fraternité St Pierre évolue : le lieu de retraites spirituelles sera aussi un lieu de formation théologique et doctrinale. Après quelques hésita tions, le cardinal Barbarin accepte. Enfin, dernière étape du processus : l'implantation sera finalement un sémi naire pour accueillir les «nombreuses demandes» que reçoit la Fraternité St Pierre pour ses «vocations franco phones». Le cardinal Barbarin entérine. Question : Le primat des Gaules s'est-il fait avoir ? On Connaît en effet la manière de surenchérir du milieu intégriste un fois au coeur du système. Sauf que M9' Barbarin est tout sauf un naïf en la matière. Il connaît parfaitement le milieu traditionaliste puisqu'il en est très proche malgré sa communication «moderne». Le cardinal Barbarin sait donc très bien qu'en accordant son feu vert à l'ouverture d'un séminaire traditionaliste, il permet à la Fraternité St Pierre d'aboutir à l'objectif que celle-ci s'était fixée depuis quelques années : à savoir ouvrir un séminaire pour l'espace francophone du traditionalisme catholique fort déjà d'un séminaire dans l'espace germanophone et d'un autre dans l'espace anglo-américain. M9' Barbarin ne peut pas ne pas connaître les intentions de la Fraternité St Pierre. Sinon il ne serait pas à la place où il est. C'est donc en toute connaissance de cause qu'il a consenti - dans la plus grande discrétion - à l'ou verture de ce séminaire qui sera effective à l'automne prochain. M9r Barbarin a donc trompé ses diocésains et plus encore les responsables du séminaire interdiocésain St Irénée qui est juste à côté et qu'il s'est bien gardé de mettre au courant. Le contexte romain concernant la réconciliation avec les lefebvristes (cf notre dossier) n'a pas non plus échappé au primat des Gaules, qui rappelons le, a ses entrées au Vatican et au St Siège. (Le conclave - entre autres - aide à consolider certains réseaux...) et connaît parfaitement les enjeux des actuelles négociations avec les intégristes. L'ouverture d'un séminaire traditionaliste n'est-il pas tout compte fait une belle opportunité pour préparer en douceur le terrain et par là, revendiquer aussi des vocations dans son diocè se. Et surtout quel signal envoyé à Rome pour ce grand serviteur de l'Eglise qu'est Philippe Barbarin et dont la m i s s i o n p o u r r a i t s ' é l a r g i r a u d e l à d e s f r o n t i è r e s r h o d a n i e n n e s . C . T.
Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
Douze ans après, le génocide des Tutsi du Rwanda s'expose à l'écran. Trois films reviennent sur cet événement en procédant d'une même démarche : le retour sur les lieux de témoins occidentaux du génocide qui, en 1994, ont tenté, sans succès, d'alerter l'opinion internationale. L'un est français, l'autre canadien, le troisième anglais. Deux avaient une caméra sur l'épaule au moment du génocide. Le troisième était casque bleu. Leurs blessures sont cousines. Elles demeurent intactes. Ces trois films sont aussi l'occasion de revenir sur le rôle sombre de l'ONU dans ce génocide, et sur l'implication plus spécifique de certains États dont la France. À l'heure où la production janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
éditoriale hexagonale est secouée de hoquets négationnistes, les images et t é m o i g n a g e s o ff e r t s p a r K i g a l i , d e s images contre un massacre, Shake Hands with the Devil et Shooting Dogs offrent une piqûre de rappel salutaire. Quelques semaines après la commémoration fiévreuse du dixième anniversaire de la mort de François Mitterrand, où l'on s'abstint soigneusement de prononcer ou d'écrire le mot « Rwanda », Golias apporte, à travers la publication de six documents inédits, un éclairage moins enthousiaste sur la politique de l'Elysée dans la conduite de ce dossier entre 1990 et 1994...
Même les génocidaires t des amis I arrive que l'image simplifie abusi vement le sens et la complexité des événements. Il arrive aussi qu'elle leur confère une envergure que les mots sont insuffisants à tradui re. Face au génocide des Tutsi, trois films s'essaient à dépeindre l'irreprésentable... Un ancien ministre français vacille en évoquant le génocide des Tutsi. Sans doute est-ce une première. Le trouble est quasi imperceptible : c'est une solennité qui relègue au second plan le cabotinage habituel ; ce sont des mots, lourds de sens, enfin prononcés ; c'est une gêne qui habite l'orateur, des silences qui mettent en suspension sa parole habituelle ment fluide. C'est un regard enfin, qui se perd dans le vague. Celui d'un homme qui a été témoin d'un génocide ; qui a approché les cadavres alignés sur les routes ; qui fut imprégné de la puanteur dantesque qui enveloppait, en ce printemps 1994, le « pays des mille collines » ; qui a serré la main des principaux organisateurs du massacre et senti leur froide détermination. Bernard Kouchner, puisque c'est de lui qu'il s'agit, apparaît longuement dans le film du réalisateur JeanChristophe Klotz, Kigali, des images contre un massacre. Il en est même un des principaux témoins, et il y a des raisons à cela. En mai 1994, les deux hommes ont séjourné ensemble au Rwanda. Le génocide avait quelques semaines, et à travers tout le pays, les chemins comme les collines étaient tapissés de cadavres en putréfaction. Cadavres de civils, bien sûr. D'hommes coupables d'être nés tutsi. De femmes coupables d'êtres nées tutsi. D'enfants et de nourrissons coupables d'être nés tutsi. Un génocide. Bernard Kouchner était officieusement mandaté par le secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros Ghali (proche de l'Elysée), pour négocier entre les parties Forces armées rwandaises (FAR), obéissant au gouvernement génocidaire, et Front patriotique rwandais (FPR) - l'établissement de « corridors
humanitaires » destinés à secourir ou évacuer quelques miraculés - des enfants de préférence. Bien illusoire, dans un contexte où l'extermination visait jusqu'aux plus innocents parmi les innocents, l'initiative donne la mesure de l'impéritie diplomatique personnifiée par l'ancien secrétaire général des Nations Unies, pour qui, durant cent jours, il ne fut question que de « cessez-lefeu entre les parties » ou de « couloirs humanitaires » quand tout un appareil d'État mettait en ouvre l'éradication méthodique d'une partie de sa population, au rythme d'au moins huit mille victimes par jour. À quelques jours du départ, l'ex-médecin sans frontières propose à Hervé Chabalier, le patron de l'agence Capa, d'emmener dans ses bagages un de ses reporters. Jean-Christophe Klotz, alors jeune journaliste-reporter d'images (JRI), est celui-là. On a le droit d'y voir une velléité, de la part du plus médiatique des French Doctors, d'ajouter un chapitre à sa légende (d'autant que Renaud Girard, du Figaro, accompagne lui aussi Bernard Kouchner au titre de la presse écrite). À l'époque député européen, l'ancien ministre de la Santé et de l'Action humanitaire de François Mitterrand est pressenti pour le poste de rapporteur spécial pour le Rwanda que la commission des droits de l'homme de l'ONU envisage de créer. Depuis le début de sa carrière, il a du mal à envisager l'humanitaire sans les médias...
Aucun impact Pour Jean-Christophe Klotz, l'aventure rwandaise s'achève prématurément. Le 8 juin 1994, une balle transperce la hanche du JRI alors qu'il hésite à passer la porte de la paroisse Karoli Lwanga, dans le quartier de Nyamirambo, à Kigali, devenue le précaire refuge de dizaines de personnes placées sous la protection du Père Henri Blanchard, un missionnaire français. Dehors, les miliciens Interahamwe attendent leur heure, la gâchette aux aguets, la machette aiguisée. Cette porte était bien plus qu'une simple issue, puisqu'elle ouvrait sur l'au-delà du génocide en cours, impossible à filmer sauf à s'y brûler. « J'ai souvent regretté de ne pas [l'javoir ouvertje], confie le documentariste. Juste pour voir. Passer de l'autre côté des murs. Je crois que c'est pour cela que j'étais devenu journaliste. » Témoigner. Dire. Montrer. Pour que le monde, enfin, réagisse. Qu'il s'indigne. Qu'il nomme et désigne du doigt bourreaux et victimes, afin que les premiers soient dissuadés de nuire et les seconds secourus. Montrer. Témoigner. Dire. Pour empêcher Ça. Face à la caméra Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
de Jean-Christophe Klotz, Philippe Gaillard, chef de la délégation du CICR au Rwanda pendant toute la durée du génocide, qui apparaît longuement dans Kigali, des images contre un massacre, met le doigt là où ça fait mal : « Personne ne peut dire : désolés, nous n'étions pas informés, nous n'avons appris les choses que plus tard... Non, on a pu suivre ça de façon quotidienne. [...] Il y a des contextes où l'information ne contribue pas à modifier le cours des événements. [...] Là, il y a eu une information quasiment en direct, sans aucune conséquence politique. Toi, tu es journaliste. Pour un journaliste, ça doit poser quelques questions ou problèmes, ça : le fait que le travail qu'on fait n'a aucun impact sur le cours des choses... » Des questions, des problèmes, effectivement, ça en a
A l'ETO, une reporter de la BBC interroge le capitaine Delon sur l'incohérence du mandat de l'ONU. - © Shooting Dogs
posé à Jean-Christophe Klotz. « Je me disais que mes images allaient alerter l'opinion, pousser le monde politique à réagir, retrace le réalisateur dans son commentaire. Les semaines passaient. Rien... Mes images n'ont rien changé. » Face à la mécanique implacable de ce génocide annoncé, en dépit des images, il n'y eut que l'abandon. Entre les miliciens Interahamwe enivrés de haine et leurs victimes désarmées, impuissantes, on tendit un voile d'indifférence. La communauté internationale préférait regarder ailleurs. Elle fit mine de ne rien voir. En 1994, elle abandonna les Tutsi et les Justes hutu à leurs bourreaux. Ce n'était pas les images qui faisaient défaut, ni les témoignages d'expatriés horrifiés, ni les avertissements préalables. C'était la volonté de se mêler de Ça. D'un génocide. De l'extermination d'une part de l'humanité par une autre, comme on éteindrait la lumière. Cette fois, des Noirs étaient les victimes et d'autres Noirs les bourreaux. Cela ne facilitait pas la prise de conscience du reste du monde, encore moins sa volonté d'agir. Au coeur de la terra la plus incognita de l'Afrique, un peuple fantasmé par « l'homme blanc » janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
et réduit au rang de cobaye anthropologique, étiqueté hutu, tutsi ou twa, fut abandonné à son sort par ceux-là même qui lui avaient inculqué ou l'avait conforté dans cette haine qui allait le faire s'autodétruire. Après plus de dix ans passés en équilibre au-dessus d'un gouffre d'interrogations, Jean-Christophe Klotz a tenu à revenir au Rwanda, à retrouver ceux qu'il y avait côtoyés en 1994 et qui avaient survécu. À travers son film, il boucle la boucle : « Il fallait que je revienne ici. » Le documentariste français n'est pas le premier à avoir éprouvé cette nécessité d'un retour en arrière. Fin 2003, l'ancien commandant en chef de la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar), Roméo Dallaire, publiait un livre-témoignage sur son expérience (J'ai serré la main du diable, éditions Libre Expression, Outremont, Québec) et s'efforçait d'exposer les racines du traumatisme qui, depuis, l'avait poussé à plusieurs reprises à tenter de mettre fin à ses jours. Marqué au fer rouge, Roméo Dallaire a vu. Pire, « soldat de la paix », il a dû rester passif face au génocide. Parce que les ordres de l'ONU étaient fermes et « motivés ». Parce que la communauté des nations avait réduit son contingent de casques bleus à la portion congrue dès les premiers jours d'un drame dont elle ne souhaitait pas se mêler. En conscience. En avril 2004, à l'occasion de la dixième commémoration du génocide, Roméo Dallaire a posé à nouveau le pied au Rwanda. Lui et son épouse étaient suivis, pendant ce séjour, par la caméra de Peter Raymont dans le cadre d'un documentaire en préparation, finalisé depuis, qui porte le même titre que son livre. Au bord des routes, Dallaire a revu défiler les scènes de 1994, les monceaux de cadavres entassés ; il a entendu résonner les tirs d'armes automatiques... Dans son esprit, à jamais, Kigali est hérissée de barrages tenus par des miliciens ivres et imprévisibles, tâchés de sang, entourés des corps disloqués de leurs victimes... Roméo Dallaire a reçu une éducation catholique. À ce titre, il nomme « diable » les organisateurs du génocide des Tutsi du Rwanda, qu'il a largement côtoyés en 1994 (officiers extrémistes des FAR et de la gendarmerie, responsables Interahamwe, pousse-au-crime des médias de la haine...). « J'ai rencontré en deux occasions les chefs de la milice Interahamwe, témoignet-il dans le documentaire qui lui est consacré. Quand je leur ai serré la main, elle était froide. Pas d'une température froide. En fait, leur main dégageait l'impression d'un corps étranger. Ces hommes avaient forme humaine, pourtant leurs yeux n'étaient plus humains. Ils reflétaient la forme du Mal la plus intense qui se puisse concevoir. Ils étaient le Mal incarné... »
« Et pourtant... j'aimais Mitterrand ! » Un troisième film, Shooting Dogs, de Michael CatonJones, sorti au cinéma le 8 mars, est né lui aussi d'un retour sur les lieux du génocide. Entre le 7 et le 11 avril 1994, quelques journalistes occidentaux passèrent par l'École technique officielle (ETO) de Kigali, qui était alors placée sous la garde d'un contingent de casques bleus
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Rwanda belges. De nombreux Rwandais menacés d'exter mination crurent pouvoir y trouver refuge, à l'abri de la Minuar. Leur espoir s'éteignit le quatrième jour, quand les troupes belges reçurent l'ordre de plier bagages en abandonnant aux miliciens toutes les personnes menacées qui s'étaient placées sous leur protection. Cette fois aussi, des journalistes filmèrent les « condamnés à mort » de l'ETO implorant qu'on les emmène, qu'on les protège, ou même qu'on les tue à l'arme automatique, mais qu'on ne les livre pas aux miliciens tortionnaires. Cet abandon caractérisé, qui apparaît dans le documentaire poignant de Steven Bradshaw sur L'insoutenable laisser-faire de l'ONU face au génocide des Tutsi rwandais (diffusé sur Arte en 2000), montre qu'il n'aura fallu que quatre jours aux planificateurs des massacres pour gagner le bras de fer engagé avec la « communauté internationale ». Cette retraite honteuse, qui leur laissait le terrain totalement dégagé, marque leur victoire totale. L'ETO ne fut qu'un modèle réduit du génocide au Rwanda. L'abandon des forces de l'ONU, l'indifférence des militaires français, belges, américains, italiens, etc. - venus évacuer leurs ressortissants - au sort des Rwandais exterminés sous leurs yeux (indifférence conditionnée par une absence totale de volonté politique), tout cela n'était pas seulement de la non-assistance à personnes en danger. C'était un véritable « feu vert » aux tueurs. Shooting Dogs en donne la mesure. Si ce film est un retour sur les lieux, c'est parce que David Belton, producteur et coscénariste du film, est un ancien journaliste de la BBC qui, en 1994, a travaillé dans Kigali livrée aux Interahamwe : « J'ai mis presque sept ans avant d'éprouver le besoin de témoigner. Témoigner, c'est précisément la raison d'être de ce film, même si c'est avec dix ans de retard ; et aussi rendre hommage à tous ceux dont les télévisions du monde entier ont refusé de montrer la mort en direct sous des prétextes fallacieux. » Le réalisateur du film, Michael Caton Jones, a souhaité tourner au Rwanda et associer largement les Rwandais au tournage. Il a notamment consulté des rescapés de l'ETO afin de s'approcher au plus près des événements qu'il retrace. Dans Shooting Dogs, John Hurt incarne un prêtre catholique installé au Rwanda depuis des lustres, tandis que Hugh Dancy campe un jeune coopérant fraîchement débarqué. Dès le 7 avril 1994, tous deux tenteront de protéger, de témoigner, d'alerter, aidés en cela par une équipe de reporters de la BBC. Mais à l'heure fatidique, le choix s'imposera : abandonner les Tutsi et les démocrates hutu à leur sort et sauver sa vie ; ou bien rester, et mourir - ou assister, passif, au grand carnage - à leurs côtés. Ce dilemme a laissé son empreinte sur la plupart des Occidentaux qui se sont trouvés témoins du génocide. C'est Jean-Christophe Klotz rapatrié en France après avoir eu la hanche perforée par une balle : « Je me souviens que l'attaque a cessé aussitôt et que j'ai été évacué. J'ai été évacué parce que j'étais journaliste, blanc. » C'est Bernard Kouchner décrivant, douze ans
plus tard, l'inaction à motivation variable des « gran des » nations : « Et pourtant j'aime Clinton ! Et j'aimais Mitterrand ! » C'est David Belton et ses confrères, de la BBC ou d'ailleurs, contraints de laisser derrière eux les réfugiés de l'ETO dont ils venaient de capturer la détresse dans leur caméra. C'est le capitaine Luc Lemaire (transposé à l'écran dans Shooting Dogs à travers le personnage du capitaine Delon, et dont le témoignage dans Rwanda : L'insoutenable laisser-faire montre l'incompréhension qu'il continue d'éprouver face à l'absurdité des ordres reçus), avec ses casques bleus belges, à qui l'on ordonna d'abandonner leurs protégés à leur sort. C'est Roméo Dallaire et ses casques bleus canadiens, ghanéens, tunisiens, qui restèrent aux côtés des Rwandais... mais furent contraints de garder l'arme au pied. C'est Philippe Gaillard, du CICR, qui n'eut pas d'autre choix que de pratiquer l'équilibrisme pendant trois mois, au contact quotidien des tueurs et de leurs chefs, et qui chaque soir lisait un poème aux membres de son équipe : « Un génocide, c'est du non-sens. [...] On est, quelque part, au-delà de l'imaginable. Tuer un million de personnes en moins de trois mois... Et sans chambres à gaz ! Simplement avec des machettes et des tournevis... »
Obsession ethnique « J'avais le sentiment que tout ce que j'avais fait toute la vie pour prévenir le massacre des minorités avait été inutile là, et qu'on avait régressé de vingt ou trente ans », analyse a posteriori Bernard Kouchner face à Jean-Christophe Klotz. La lucidité que manifeste l'ancien ministre en 2006 montre le chemin parcouru depuis ses premières impressions et déclarations. Le 20 mai 1994, dans un long entretien au Monde, l'envoyé officieux de Boutros Boutros Ghali (dont la mission était suivie à la jumelle par l'Elysée) livrait une vision du génocide plus confuse et convenue : « C'est une vraie catastrophe humanitaire. Les réfugiés qui s'installent dans la région de Gitarama ont été déplacés quatre fois depuis le Nord. Ils n'ont rien, rien à manger. [...] Il y a des milliers de miliciens, difficiles à dénombrer. [...] Ces milices, issues des partis politiques et des organisations de jeunesse, en particulier les plus extrémistes, sont devenus incontrôlables. [...] C'est la rue qui commande, ce sont les miliciens qui commandent, voilà la réalité, [...j On ne voit que les clivages Tutsi - 10 %, Hutu = 90 %. Mais les premiers massacrés ont été des Hutu démocrates, à Kigali et ailleurs. » Bref, un chaos à l'africaine où personne ne commande, si ce n'est la rue ; où la crise est humanitaire et non politique ; où l'on tue les Tutsi mais aussi les Hutu, si bien que le lecteur ne comprend plus vraiment qui tue qui et pourquoi ; où l'on évite soigneusement de prononcer le seul mot qui s'impose : génocide. Interrogé, dans le même entretien, sur le rôle de la France dans cette tragédie, Bernard Kouchner récitait la leçon : « Il ne faut pas exagérer, au Rwanda la France n'a pas soutenu que ceux qui sont devenus des assassins. » Quitte à relayer un gros mensonge : « Elle Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
Rwanda
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a respecté ses accords de défense avec le gouvernement, mais elle a aussi soutenu les accords d'Arusha, qui ouvraient la voie à une réconciliation nationale. » Jamais il n'y eut d'accords de défense entre la France et le Rwanda. De manière évidente, la proximité de Bernard Kouchner avec les responsables directs du dossier rwandais à l'Elysée (« Aaah ! Mon pote Bruno ! » - s'adressant par téléphone, depuis Kigali, à Bruno Délaye, le conseiller diplomatique de François Mitterrand) faussa, à l'époque, son analyse. Sa relation intense avec le chef de l'État français, et la façon si particulière qu'avait ce dernier d'envisager les ressorts de la crise rwandaise, tout cela imprégnait un Bernard Kouchner clairement connecté avec l'Elysée tout au long de cette période. Il retournera d'ailleurs, à la mi-juin 1994, voir Paul Kagame... pour lui présenter les bonnes intentions françaises manifestées par l'opération Turquoise ! Disons qu'en douze ans, Bernard Kouchner a évolué. Il en avait donné un avant-goût en 2004 aux réalisateurs du film « Tuez-les tous ! », David Hazan, Raphaël Glucksmann et Pierre Mezerette, en évoquant IV erreur criminelle » de François Mitterrand face à un génocide dont le Président français refusait d'admettre qu'il visait les Tutsi, « ennemis de la France ». Bernard Kouchner confirme cette évolution dans Kigali, des images contre un massacre : « Puisque, après tout, on l'avait su. Puisque, après tout, on l'avait dit. Et que la communauté internationale avait accepté - pas sous Toil des caméras, mais sous Toil de quelques caméras - qu'un génocide, c'est-à-dire la détermination froide de tuer pour ce qu'ils étaient et non pour ce qu'ils avaient fait tous les Tutsi de ce pays impossible qu'était le Rwanda. Et que toutes les explications fournies, vaguement fournies - « c'était les seigneurs, la race des seigneurs, les chefs », etc. -, ce qu'on entendait en France - « oui, mais c'était la révolte des esclaves... » -, ne valaient rien devant ce spectacle des crânes répandus et des lambeaux de vêtements qui s'attachaient... et surtout de ces oiseaux qui venaient bouffer la chair humaine. »
Ces « explications vaguement fournies » auxquelles l'ancien ministre fait allusion renvoient directement à la vision du Rwanda que partageaient François Mitterrand et ses principaux conseillers. Celle d'un pays autrefois soumis au joug d'une monarchie féodale, où des pasteurs guerriers venus d'Ethiopie auraient réduit de braves et trop naïfs agriculteurs bantous au servage. Un pays où, en 1959, grâce à la bienveillance d'une Église catholique romaine plus éprise de démocratisation que jamais, le « peuple majoritaire » (rubanda nyamwinshi) hutu avait pu enfin s'emparer, via une Révolution dite «sociale», d'un pouvoir censé lui revenir numériquement. Racialement. Dans un survol aussi superficiel qu'ethnocentré de l'histoire rwandaise, dans laquelle ils ne voyaient qu'un simple remake de la Révolution de 1789 « aux sources du Nil », quelques géopoliticiens de salon ont conduit la République française à épouser, au Rwanda, la cause du « peuple majoritaire » et son corollaire : la démocratie ethnique. Ce credo - qui est à la véritable démocratie ce que Mein Kampf est à la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen - a figé jusqu'à ce jour l'inconscient collectif occidental dans cette double certitude : 1) un Hutu ne peut que voter Hutu, et un Tutsi voter Tutsi ; 2) il ne saurait y avoir au Rwanda qu'une seule alternative, ethnique et non politique, raciale et non citoyenne : voter Hutu ou voter Tutsi. En 1990, au moment même où la mythologie française voudrait que François Mitterrand ait impulsé, à l'occasion du sommet de La Baule, un nouveau départ aux relations entre la France et l'Afrique, Jacques Chirac donnait un aperçu stupéfiant de la perception, par nos élites politiques, des réalités africaines. À la journaliste Catherine Nay, qui lui demandait sur Europe 1 « s'il n'était pas un peu raciste de dénier aux Africains le droit d'avoir plusieurs partis, comme n'importe quel citoyen du monde », l'actuel chef de l'État osait répondre : « C'est que les pays d'Afrique ont une caractéristique : c'est d'être divisés, non pas par l'idéologie - il n'y a pas d'affrontements idéologiques entre Africains dans tel ou tel pays - mais par des divisions ethniques. Il y a dans ces pays un très grand nombre de tribus qui ont leurs traditions, qui ont leur culture, qui ont leur histoire et qui se sont toujours battues. Le grand effort des dirigeants modernes de ces pays, depuis les indépendances, c'est de rassembler ensemble ces gens, de les faire s'entendre et de réaliser l'unité nationale et l'effort de redressement. Dès que vous envisagez la création, comme cela, simplement parce que l'Europe considère que c'est bien, d'un certain nombre de partis, ce que je peux comprendre, que se passe-t-il ? Vous avez immédiatement un parti par tribu, et au lieu d'avoir la démocratie, vous avez l'affrontement et un risque d'anarchie. Il faut tout de même réfléchir avant d'imposer à tous ses certitudes. La démocratie peut revêtir un certain nombre de formes. J'entendais tout à l'heure qu'on avait le choix entre un parti et un autre parti. Cela n'a aucun sens en Afrique, où il n'y a pas de clivages idéologiques. » Aucun sens ? Bien Missi'é. Oui Missi'é...
janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
u s Rwanda Au nom de la « Francophonie » Mais laissons Jacques Chirac à son Afrique Banania. Maire de Paris pendant la période 1990-1994, ce n'est pas lui qui inspirait la diplomatie de la France dans la région des Grands lacs africains. Pas lui, mais d'autres qui pensaient à peu de choses près comme lui : le chef de l'État (François Mitterrand), le secrétaire général de l'Elysée (Hubert Védrine), le conseiller diplomatique du Président (Bruno Délaye), le chef de son état-major particulier (le général Christian Quesnot), le chef d'étatmajor des armées (l'amiral Jacques Lanxade), tous sont imprégnés des mêmes convictions « tribales ». Dans leurs écrits s'exprime l'ethnographie la plus rance, tandis que l'américano-anglophobie semble leur tenir lieu d'unique projet politique avec les pays d'Afrique. Les documents reproduits plus loin par Golias illustrent l'africanisme désuet - mais nocif - qui a tenu lieu de boussole aux responsables de la politique française au Rwanda entre 1990 et 1994. Une pensée figée à la fin du XIXe siècle, enlisée dans les sables de Fachoda, incapable de penser « la grandeur de la France » autrement que par la volonté entêtée de ressusciter l'empire. En 1994, la diplomatie française se serait grandie à utiliser son influence - et le droit d'ingérence, notamment militaire, qu'elle s'octroie en Afrique quand bon lui semble - pour prévenir et empêcher un génocide annoncé. Ses dirigeants ont agi à l'inverse. Ils sont restés fidèles à leurs amis de trente ans. Des amis qui préparaient le génocide des Tutsi. Cette longue amitié n'allait pas de soi. S'enticher de quelques hommes et femmes - exquis, certes, cultivés, certes, mais obsédés par la race et dévorés par la haine - vivant à des milliers de kilomètres de chez vous, dans un pays que le vôtre n'a même pas colonisé, cela n'est pas mécanique. Il fallait un enjeu, et cet enjeu, tenezvous bien, ce fut... la place de la France dans le monde ! Parce qu'une infime minorité du peuple rwandais (dont la langue commune est le kinyarwanda) parlait le français, on déclara que ce pays rejoindrait la grande famille de la « Francophonie », des « pays du champs », bref, qu'il intégrerait la « Françafrique ». Et dans les hautes sphères de la diplomatie et de l'état-major, à Paris, on afficha des cartes montrant que le Rwanda était un verrou (voir, pages suivantes, la carte du pseudo-« Tutsiland » qui, en 1994, accaparait les stratèges de l'Elysée bien plus que le génocide luimême). Un verrou « géostratégique » entre les pays « amis », où notre langue est parlée, et ceux (représentés par les rebelles du FPR, venus d'Ouganda et portant les revendications des Tutsi contraints à l'exil par les vagues successives de massacres au Rwanda) où l'on persiste à parler la langue de l'ennemi héréditaire : l'Anglo-Saxon. Voilà au nom de quoi nous avons soutenu jusqu'au bout du bout, et même bien après la fin du génocide, nos vieux amis. Pour ce faire, il a fallu à nos stratèges demeurer sourds et aveugles pendant quatre longues années, de 1990 à 1994. Tout
ce qui annonçait la préparation du génocide, l'implication des plus hauts responsables du régime Habyarimana dans ce projet démentiel, ils le jetèrent aux orties. À l'inverse, ils imaginèrent un vaste complot menaçant les intérêts de la France et les nobles principes que celle-ci aime à défendre, en tous lieux et de tout temps. Ils inventèrent une invasion ougandaise qui n'a jamais existé que dans leur imagination. Ils prétextèrent - et prétextent encore - des accords de défense qui n'ont jamais existé que dans leur imagination. Ils allèrent jusqu'à inventer de toutes pièces un génocide anti-Hutu censé avoir décimé leurs protégés, ceux-là même qui commettaient au vu et au su de multiples témoins non rwandais (le CICR, quelques ONG, des journalistes, la Minuar...) le génocide des Tutsi.
Regain négationniste « En 1994, je n'avais pas compris à quel point mon pays était lié au régime rwandais », confie Jean-Christophe Klotz. Bernard Kouchner, lui aussi, a largement minimisé cette liaison à l'époque. De même qu'il a minimisé, dans ses déclarations tenues en 1994, la discipline qui régnait au Rwanda derrière l'apparence du chaos. Ainsi les milices n'étaient-elles pas une manifestation spontanée, anarchique, bien au contraire : elles étaient le bras armé du génocide, conçues comme tel par les planificateurs de l'extermination des Tutsi. Lesquels étaient les amis des amis de Bernard Kouchner. Dans le saint des saints du pouvoir français, le génocide des Tutsi n'a jamais eu droit de cité. La France a été le seul pays au monde à reconnaître le gouvernement intérimaire rwandais, celui des tueurs. Le 24 mai 1994, le président de la République rwandaise par intérim, qui régnait sur le gouvernement des assassins, Théodore Sindikubwabo, écrivait à son homologue français pour le remercier du « soutien moral, diplomatique et matériel » que celui-ci avait « assuré » au Rwanda « depuis 1990 jusqu'à ce jour ». Tandis que les principaux conseillers de François Mitterrand abreuvaient le chef de l'État d'informations tendancieuses, quand elles n'étaient pas purement fantaisistes, d'où il ressortait qu'il n'y avait qu'un seul danger au Rwanda : le FPR honni. Dès 1990, le Président Mitterrand et sa garde rapprochée se sont claquemurés dans une vision délirante de la crise rwandaise dont tous ceux qui ont survécu au chef de l'État demeurent prisonniers. Douze ans après le drame, il leur est insupportable que l'Histoire, la grande Histoire, ne se plie pas à leur vision. Alors ils mandatent leurs propres scribes pour la réécrire conformément à leur « analyse » ethno-stratégique. Une analyse qui cherche, en vain, à établir qu'ils auraient soutenu un peuple opprimé contre la barbarie, et non cautionné l'inhumanité contre l'innocence. En 2005, leurs supplétifs se sont montrés productifs et culottés. Ils ont hissé l'art de l'accusation en miroir et le racisme anti-Tutsi à des sommets qu'on aurait cru réservés aux génocidaires condamnés ou en instance de procès devant le tribunal d'Arusha. Pendant une Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
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Rwanda
année entière, on eut l'impression nauséeuse de voir refleurir les médias de la haine rwandais dans les librairies et kiosques de l'Hexagone, sur les ondes des radios publiques, dans une indifférence quasi parfaite. Pour leur malheur, la vision de ces journalistes sous commandite et autres experts autoproclamés était à ce point calquée sur celle des idéologues les plus résolus du Hutu Power qu'elle finit par se retourner contre ceux qui l'agitaient. Et l'argumentation à décharge se mua en acte d'accusation : ainsi, il se trouvait bien, en France, des personnes pour adhérer sans le moindre renoncement à l'idéologie - intacte - et aux argumen tations -perverses-brandies par les génocidaires devant leurs juges.
Tour de passe-passe Cette vague négationniste n'a pas déferlé par hasard. Depuis le début 2005, la justice menace de dynamiter la version officielle française. Des plaintes ont été déposées (contre X) devant le Tribunal aux armées de Paris. Elles visent des militaires français ayant participé à l'opération Turquoise, au titre de la complicité de génocide. Deux d'entre elles ont d'ores et déjà donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire. Or Turquoise est le dernier rempart protégeant la grande mystification. Et ce rempart est d'autant plus fragile que, depuis douze ans, la vérité est sous nos yeux. Pendant deux mois et demi, la communauté internationale a laissé massacrer les Tutsi rwandais, quasiment jusqu'au dernier. Mais à la mi-juin, au moment où les auteurs des massacres se voyaient menacés par l'offensive du FPR, qui les ramènerait à une réalité dont ils s'étaient échappés durant ces trois mois de « non-sens » orchestré, le sang des responsables français ne fit qu'un tour. Nous voulions désormais sauver à tout prix ceux qui pouvait l'être. Mais sauver qui ? Et de quoi ? Sur ces deux questions repose la mystification. Écoutons Roméo Dallaire : « Je comprenais mal qu'après trois mois de massacres, [la France] se montre intéressée à envoyer des troupes qui sont perçues par le FPR comme l'ennemi. Le FPR qui poursuit son avance et combat avec succès les troupes que [les Français ont] entraînées, équipées, et qui sont en train de commettre les exactions. » Écoutons Bernard Kouchner, chez qui la lucidité le dispute à la candeur : « [L'opération Turquoise] s'est mal passée. Honnêtement, hein, je n'arrive pas non plus à croire que c'était voulu qu'elle se passe mal, et qu'on allait protéger les salauds, les génocidaires, les pourritures. » Écoutons Alain Juppé en 1994 : « ...les survivants qui sont sur les routes, et il y en a qui sont entourés, encerclés, menacés d'extermination et c'est ceux-là que nous voulons protéger... » Écoutons Jean-Christophe Klotz : « Mais il manque une information pour lire convenablement ces images [de réfugiés rwandais fuyant par centaines de milliers le long des routes, ndlr]. Il n'y avait plus de Tutsi dans cette région du pays. Et c'était ceux qui les avaient exterminés qui accueillaient les Français en libérateurs. Ils avaient des raisons d'être janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
joyeux. L'intervention française allait bloquer l'avancée du FPR de Paul Kagame et les mettre à l'abri de toute représaille. » Écoutons Philippe Gaillard : « Ces gens-là ne fuyaient pas les massacres, ils fuyaient l'avance du FPR. » Et une dernière fois Jean-Christophe Klotz : « Par un formidable tour de passe-passe médiatique, la menace ne semble plus venir de l'armée rwandaise et des milices, mais du FPR : la seule autorité qui jusquelà, de fait, mettait fin au génocide au fur et à mesure de son avancée. Filmées du point de vue des militaires [français], les images renouent avec la lecture ancienne des événements, tenace. L'ennemi reste bien le FPR, génocide ou non. » Tenace comme l'amitié qui unit toujours, douze ans plus tard, certains responsables et intellectuels français au Hutu Power. Génocide ou non. Mehdi Ba
Un génocide sur écrans Kigali, des images contre un massacre, de Jean-Christophe Klotz (90'], coproduction ADR Productions-KTO-Ina, en association avec Arte France et Capa. Le film sera diffusé sur Arte et KTO dans le courant de l'année 2006. La date de programmation n'est pas encore fixée à l'heure où nous écrivons ces lignes. Shake Hands with the Devil ; The Journey of Roméo Dallaire, de Peter Raymont, (Canada, 2005, 90'). La version longue, en anglais (sous-titrée en français), sera projetée lors de la 4e édition du Festival international du film des droits de l'homme de Paris, qui se tient cette année du 22 au 28 mars (www.festival-filmdroitsdelhomme.org). Le festival offre depuis quatre ans une sélection de documentaires de grande qualité, notamment sur la question du génocide des Tutsi du Rwanda, puisque l'on avait pu y voir en 2004 Un Cri d'un silence inouï, d'Anne Laine, et en 2005 « Tuez-les tous ! » Histoire d'un génocide "sans importance", de David Hazan, Raphaël Glucksmann et Pierre Mezerette. Une version courte du documentaire consa cré à Roméo Dallaire, J'ai serré la main du diable (50') est disponible en VF dans l'édition collector du DVD d'Hôtel Rwanda, le film de Terry George. Shooting Dogs, de Michael Caton-Jones (1 h 54], avec John Hurt, Hugh Danc\/, Dominique Horwitz, Clare-Hope Ashitey, David Gyasi, Susan Nalwoga, Steve Toussaint...Scénario de David Wolstencroft d'après un récit de Richard Alwyn et David Belton. Sortie nationale le 8 mars.
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Les documents qui embarrassent l'Elysée PRÉSIDENCE
Le 6 mai 199 4
DE LA
RÉPUBLIQUE Le Générai Chef de f Etat-Major Particule.
N O T E
Mai 1994 : Le gouvernement génocîdaîre remercie François Mitterrand En mai 1994, le chef de l'état-
-00O00-
major particulier du président de la République française, le
à l'attention de Monsieur le Président de la République
OBJET : Entretien avec le Chef de l'Etat Intérimaire du Rwanda. Mr le Docteur Théodore SINDIKUBWABO, président du Conseil National de Développement (CND) , originaire du sud (Butare) nouveau chef de l'État, très âgé et de santé fragile, m'a appelé mercredi 4 mai à râlai! Il désirait avoir un entretien téléphonique avec vous. Je lui ai dit que ce n'était pas possible pour l'instant et que je vous transmettrais le message q u ' i l v o u d r a i t b i e n m e c o n fi e r. Il vous remercie de tout ce que avez fait pour le Rwanda et de l'accueil qui a été réservé à Paris à la délégation conduite par le ministre des Affaires Etrangères. Il désire la mise en application des accords d'Arusha mais estime que le FPR, très aidé par le président MUSEVENI de l'Ouganda, a pour seul objectif de s'emparer du pouvoir par la force à Kigali. Sur le terrain le ?PR refusa tout cessez-le-feu et aura incessamment atteint ses buts de guerre—i—le contrôle de c a p i t a l e a fi n toute La partie est du Rwanda v compris ri'assurar une contmuit territoriale entre l'Ouganda, le Rwanda USA s i . le Burundi. Le Présidant MUSEVENI et. ses aMjés ayron 1 'aide annin-saxonne ai Là constitué "Tutsiland_" faux Intallectuels remarquables compile ré1 obiec valais d'un lobby tutsi auquel est également sensible une partie de notre appareil d'Etat. L ' i n s t a b i l i t é d e l a r é g i o n { R w a n d a Burundi, Zaire : les Hutus e t Ta n z a n i e ) e s t a s s u r é e p o u r d e s a n n é e s au Rwanda et au u r u n d i n ' a c c e p t e r o n t p a s ' l e majoritaires (85 contrôle tutsi. Est-ce vraiment ce que nous voulons L'introduction de l'ONU ou de l'OUA agrémentée d'un zeste d'humanitaire pour nous donner bonne conscience n'empêchera pas les massacres en cours ; jusqu'ici l'effet a été plutôt inverse. A travers le drame du Rwanda et l'abandon de fait d'années de coopération franco-rwandaise, sera-t-il possible de garantir à d'autres pays amis africains que des situations analogues ne nous conduiront pas à une réaction identique de repli ? A défaut de l'emploi d'une stratégie directe dans la région qui peut apparaître politiquement difficile à mettre en oeuvre, nous disposons des moyens et des relais d'une stratégie indirecte qui pourraient rétablir un certain équilibre.
o?. Général QUESNOT
général Christian Quesnot, se fait le relais des requêtes adressées à la France par le gouvernement génocidaire, en la personne de son chef de l'État : Théodore Sindikubwabo. Originaire de Butare, la préfecture « rebelle » qui avait été dissuadée par son préfet de basculer dans le génocide pendant les quinze premiers jours des massacres, le Dr Sindikubwabo alla en personne démettre ce préfet (qui fut assassiné peu après avec sa famille) et galvaniser la population afin de la mettre au « travail »- c'est-à-dire massacrer les Tutsi.
Dans le cadre d'un premier entretien téléphonique avec le général Quesnot, le 4 mai, la plus haute autorité rwandaise, dont le bilan à cette date se compte déjà en centaines de milliers de morts, « remercie [François Mitterrand] de tout ce que Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
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PRESIDENCE DE LA
Le 24 mai 1994
RÉPUBLIQUE Le Général Chef de l'Etat-Major Particulier
1994] à la délégation conduite par [son] ministre N
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à l'attention de Monsieur le Président de la République OoO 0 B .T K T :
[celui-ci a] fait pour le Rwanda et de l'accueil qui a été réservé [en avril
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M Correspondance du docteur Théodore SINDIKUBWABO President par intérim du RWANDA.
des Affaires étrangères ». Dans un courrier ultérieur, daté du 22 mai, (voir page 65) il exprime à son homologue français les « sentiments de gratitude [du peuple rwandais] pour le soutien moral,
d i m a n c h e 222 2max M 7 ^dont , à } ' :e * P evous l t é l ai é P hrendu ° n i ? u compte e d u P ce r é s imatin d e n t àd u11R w anda aimanche heures
diplomatique et matériel [...] assuré » par la France « depuis 1990 jusqu'à ce jour ».
çompUçité ln,pUcit"B fi ton^rlp" Sg j^âiSHS^ agnu
Le sommet régional n'aura pas lieu et il n'v »i.r«
Nyogalaiey' ' KawanQlre
n o u s t e B l a s y, ^ ? S S S S T ï ï S ^ S . W à l f U S S r t S S î S h u m a n i t a i r e a u B u r u n d i e t e n Ta n z a n i e . M o n s i e u r J u p p é s a n s
m J a irr i caai m P sn f e^t l ^d»e T 1P i tnee rf t i e d ua m ' épr iëc a Ui n d d e .' e n t h o u s i a s m e d e s é t a t s
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EOTJBLIg,US RVAÏIBAI3E Présidence da- la République
KIOALI, le 22 Kai I994
Plusieurs passages contenus dans les notes adressées à François Mitterrand les 6 et 24 mai 1994 par son chef d'état-major particulier montrent la grande proximité
A Son Excellence Monsieur BVaaçol» MHTKRBAHD, Ere aidant de. la République Françoise. PARIS
Excellence Monsieur la Présidant, Je prends la liberté de Voua informer que la situation militaire au Ruanla.-. spécialement à KiaALI eat très grave et même inquiétante dans la masure où nos farces armées, fauta da munitions, ont dû sa retirer de l'aéroport international de KIGALI. Comme. Vous la srtoz, l'appui de l'Uganda au Front Patriotique Rrowïala a été massif et déterminant. Lea appels à la Communauté internationale', on vue d'inviter le Préaident MlBStEUI à mettra fin à son intervention pour permettre les négociations sont restés vains. Monsieur le Préaident, Depuis que, de pal la Constitution, j'ai remplacé le Regretté Président Juvénal Habyarimana à- la tête du pays, J'ai consacré mes. efforts à pa/tifier le payB. En oela, le Gouvernement et l'Anaée m'ont donné leur appui, total et nous, avons noté aveo satisfaction l'arrêt des massacres interéthniques, du moins dans la partie que nous contrôlons. Le Iront Patriotique lui, a poursuivi des massacres massif» oomme en m témoigné un Représentant du Haut Commissariat aux Réfugiés. ieB progrès militaires du Front Patriotique risquent de. rallumer le feu et replonger le pays dans una oriae plus grave que la préoédente. Monsieur le Préaident, Le Peuple Rwandais Tous, exprima ses sentinnita de gratitude pour le Boutien moral, diplomatique et matériel que Vous lui avez assuré depuis I99O jusqu'à oe jour. En son nom, je faia encore une foiB BjipeX à. Votre «nSreuse compréhension et oelle du Peuple Français en Vous priant de nous fournir encore une fois Votre appui, tant matériel que diplomatique. Sans Votre aide urgente, nos agresseurs risquent de réaliBer leurs plans et qui Vous sont oonnua. C'est dans l'espoir que Vous nous manifesteras Votre habituelle oranpréhenflion que je Vous pria, Monsieur le Président, d'agréer las assurances de ma très haute considération»
de vues entre le général Quesnot et le Président du gouvernement intérimaire. L'officier français préconise notamment : « À défaut de l'emploi d'une stratégie directe dans la région qui peut apparaître politiquement difficile à mettre en œuvre, nous disposons des moyens et des relais d'une certaine stratégie indirecte qui pourrait rétablir un certain équilibre. » Ceci qui fait écho à la mission d'un lieutenant-colonel des FAR à Paris, le 9 mai, pour s'y entretenir avec le chef de la mission militaire de Coopération, le général JeanPierre Huchon, de l'aide susceptible d'être apportée par la France aux FAR et au régime génocidaire - indique que la France soutient vraisemblablement en sousmain la clique criminelle par des livraisons d'armes. S'affichent également sans complexes dans ces écrits la paranoïa ethniste d'un grand empire tutsi-hima en cours de constitution. Le génocide qui vise les Tutsi, lui, n'est même pas mentionné.
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Rwanda
République Française
Une autre politique était possible 2 8 FEV. 19SS
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006816 NOTE
montre qu'une autre politique était possible au Rwanda, et
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le Président de la République
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Cette note adressée par Pierre Joxe, alors ministre de la Défense, au Président Mitterrand le 26 février 1993
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qu'elle était formulée au sein de l'appareil d'État français. « Quant à Habyarimana, écrit
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Joxe, l'envoi de deux c a r 1 a r. e e r w a n d a i s e , a , f a l t , „ e , . „ „ p l u s B u è r o . 0 " t r " n é " '
compagnies supplémentaires, après beaucoup d'autres démonstrations de soutien, fait qu'il se sent à présent l'un des dirigeants africains les mieux protégés par la France. Ce n'est pas la meilleure façon de l'amener à faire les concessions nécessaires. Or, il est, par son
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intransigeance politique, et par son incapacité à mobiliser sa propre armée, largement responsable du fiasco actuel. »
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Si le FPR reprend son avance, nos soldats peuvent, au bout de quelques heures, se retrouver face aux rebelles. Le seul moyen de pression un peu f o r t q u i n o u s r e s t e , l ' i n t e r v e n t i o n d i r e c t e é t a n t e x c l u e - me semble l'éventualité de notre désengagement : - présentée à HABYARIMANA comme une menace, elle peut l'amener à assouplir ses positions; - présentée à MUSEVENI et au FPR comme une réponse possible à leurs propres concessions, elle pourrait les faire renoncer à u n e v i c t o i r e m i l i t a i r e a u p r o fi t d e l a s e u l e v i c t o i r e politique. Marcel DEBARGE devrait, à -mon avis, pouvoir disposer de cet argument pour faciliter sa mission.
Pierre JOXE janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
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Rwan PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE
Paris, le 2 mars 1993
le Conseiller a la présidence
(g) NOTE à l'attention de Monsieur le Président de la République (S/c de Monsieur le Secrétaire Général)^ur
Objet : RWANDA - MISSION DE M. DEBARGE
J'ai accompagné M. DEBARGE dans sa mission au RWANDA (27 - 28 février) et en OUGANDA (1er mars). A KIGALI, le Ministre de la Coopération et du Développement a rencontré le Président HABYARIMANA, le Premier Ministre et les principaux Ministres. A KAMPALA il a eu un entretien de 2 heures avec le President MUSEVENI. 1) -Au RWANDA
En ce début 1993, François Mitterrand devine que la gauche sera bientôt balayée par les urnes. Les élections législatives approchent, et avec elles la perspective d'une nouvelle cohabitation. Le Président sait qu'il devra bientôt partager le pouvoir, et donc la gestion du dossier « Rwanda ». Il dépêche son ministre de la Coopération, Marcel Debarge, pour une mission au Rwanda et en Ouganda. Mais ce n'est pas pour mettre en œuvre la politique alternative préconisée par Pierre Joxe, bien au contraire.
Sur le plan militaire, le Front Patriotique RwandiLjsjFgp) est - touchée par les divisions politiques rwandaises, est inégalement motivée' et ne se bat pas comme elle le devrait. \ Mais, surtout le FPR q„i n'est pes arc.im en UMratgur | pousse devant lui un million de pereonno- qui le fuient, soit 12 % de la population. Ces déplacés sont regroupés dans des camps aux portes mêmes de KIGALI (M. DEBARGE en a visité un où sont entassées 100 000 personnes).
Il suffit que le FPR accentue sa pression ou bombarde quelques camps pour que la capitale soit envahie. Nye_J^résWen^ni le Gouvernement ne pourront faire face au désordreqûî s'en suivra! Sur le plan politique, contrairement aux engagements pris, aucun rapprochement n'est intervenu entre le Président HABYARIMANA et son Premier Ministre. Le Président ne prend pas d'initiative et paraît dépassé. Rassuré par l'envoi de 2 compagnies supplémentaires il y a 15 jours, il ne cherche plus de compromis politique avec l'opposition. Convaincu de notre engagement à ses côtés, il ne peut croire one nous laisserons le FPR entrer en vainqueur dans KIGAI.T. Le Premier Ministre et les opposants, favorables eux aussi à la présence et au maintien des troupes françaises, mais plus soucieux de chasser du pouvoir HABYARIMANA que de s'opposer au FPR malgré la crainte qu'il leur inspire, croient encore en leurs chances de s'imposer comme une troisième force. Après les nettes et sévères mises en garde de M. DEBARGE (urgence d'arriver à un compromis politique et de présenter un front uni face au FPR dans les prochains jours, illusion sur le succès possible d'une troisième force car le FPR, minoritaire, imposera, s'il l'emporte, une politique totalitaire, rappel des objectifs limités de l'intervention militaire française ...), le Président et l'opposition ont cependant accepté de collaborer et de définir ensemble la position que défendra le Premier Ministre lors de sa rencontre avec le Chef du FPR à. DAR-ES-SALAM le 3 mars ; rencontre qui pourrait permettre la renri.se des négociations d'Arusha.
Au Rwanda, Marcel Debarge formulera de « nettes et sévères mises en garde (urgence d'arriver à un compromis politique et de présenter un front uni face au FPR dans les prochains jours, illusion sur le succès possible d'une troisième force [à côté du FPR et du parti présidentiel, ndlr] car le FPR imposera, s'il l'emporte, une politique tolitaire...) ». Ce « front uni » préconisé par la diplomatie française n'est rien d'autre qu'un front racial. L'opposition hutu est sommée de passer une alliance avec Habyarimana contre le FPR, sur une base ethnique. De là à déduire que le Hutu Power a été pensé depuis Paris...
Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
Grand Angle liMifrWHWIW
L'Eglise et les gays : la longue histoire d'un désamour L
ra récente déclaration romaine de la Congrégation pour l'éducation catholique sur la non-admission des gays à la prêtrise envenime un débat en fait très ancien et très douloureux. L'incompréhension totale manifestée par l'autorité romaine à l'endroit du désir homosexuel, évidemment très hypocrite, constitue un abcès de fixation depuis de très nombreuses années. 68 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
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Grand Angle
L'Église
et
l'homosexualité
Catholiques
o versus gays u,
ne nouvelle croisade a vu le jour en catholicisme : discrète, sournoise, parfois se protégeant sous le prétexte d'éviter le politiquement correct. L'Église a du mal à trouver un adversaire qu'elle puisse torpiller gaiement (si l'on ose dire). Le catholicisme intransigeant lui-même, en position défensive, n'ose guère sortir ses canons, sinon en enrobant le discours de la guimauve du compassionnel et du psychologisant Le débat n'est pas totalement nouveau : en réalité, le catholicisme, comme le souligne Eugen Drewermann, a toujours entretenu un rapport compliqué avec l'homosexualité : réprimée si elle est patente ; indirectement exaltée si elle est transposée, sublimée ou voilée. Le modèle clérical a été en partie cimenté par une homophilie savamment entretenue. Le caractère un peu androgyne du prêtre, qui faisait son charme — pensons au fait qu'il porte des vêtements féminins — s'inscrit dans une gestion assez particulière et somme toute fort adroite de la part de féminité et d'homosexualité qu'il y a en tout homme.
de justifier leur point de vue, au fil d'articles et d'interviews de qualité et d'ouverture Dans un inégaux1. livre récent, des «la chrétiens » tentent Pourtant note dominante est donnée par M8' Pierre d'Ornellas, évêque auxiliaire de Paris, pour qui l'homosexualité n'est pas acceptable. Inutile d'en dire plus sur ce livre. Presque simultanément est sortie une très bonne étude de Madame Hélène Buisson-Feret consacrée aux rap ports difficiles entre l'Église catholique et l'homosexua lité masculine dans les trente dernières aimées2. Elle fait preuve d'une remarquable précision : l'enquête se révè le approfondie et finement conduite, ce qui n'est pas si simple concernant le sujet en question. L'auteur sait faire fructifier l'apport méthodologique qui rend intelli gent de Durkheim, Bourdieu ou Touraine. L'analyse gravite autour du rapport à la norme, dans le cas pré sent intériorisée de façon toute particulière dans le monde catholique et chez les clercs. Hélène BuissonFéret peut faire cette remarque : « [...] même les clercs homosexuels particulièrement critiques à l'égard des posi tions homophobes de l'Église prennent comme référence l'idiomatique confessionnelle, montrant qu'ils ont en quelque sorte intériorisé une grammaire morale identifiée comme catholique, quand bien même ils en refusent la sémantique (p. 11). » En effet, la libération existentielle que tout chrétien peut et doit faire pour vivre dans un cadre aussi oppressant que l'institution catholique, grand maître es assujettissement, peut se vivre sous le mode de la rupture ou du réaménagement. Dans ce dernier cas, comme le dit Erving Goffman, à notre humble avis l'un des meilleurs philosophes sociologues contempo rains, bien trop peu connu en une France qui scrute trop son nombril hexagonal, « les individus n'inventent pas le monde du jeu d'échecs chaque fois qu'ils s'assoient pour jouer [...] ni le système de la circulation piétonne quand ils se déplacent dans la rue3 ». Pourtant, ils se faufilent, imagi nent des moyens de contourner la loi, de la transgresser : Michel Foucault aurait dit des espaces de résistance. Il ne fait aucun doute que l'institutionalisation de la psy chanalyse a constitué une révolution décisive, changé le type de discours, orienté autrement le regard. Même les Golias magazine nc 106 janvier/février 2006 69
Grand Angle défenseurs les plus bornés et les plus agressifs de l'ordre moral catholique, nous pensons à un Tony Anatrella, mais il est loin d'être le seul, s'alimente à la source de la psychanalyse même si c'est pour un détournement d'in tention, pour en faire un instrument de normalisation, de répression, de contrôle, d'enfermement, et non plus de libération4. Le rapport Kinsey de 1963 a établi la fré quence des pratiques homosexuelles occasionnelles et le fait qu'une certaine dose d'homosexualité traverse un très grand nombre de personnes. Le mouvement homosexuel a lui-même pris parole, comme d'autres la Bastille (cf. la phrase de Michel de Certeau). Dans les vingt dernières années on a assisté à une véritable explosion qui inquiète les Églises mais plus encore les homosexuels qui avait réussi à trouver un certain équilibre, vivant dans la discrétion, ne reven diquant pour parler comme Jean-Louis Bory que le droit à l'indifférence. Désormais, au contraire, les groupes gays revendiquent des droits positifs, et ont opéré l'al chimie de l'injure et de la honte en affirmation joyeuse et créative de soi5. Peu à peu, dans différents pays, les législateurs tentent de répondre à ces revendications, avec plus ou moins de largesse, plus ou moins de malaise. En France, c'est le vote du pacs. Dans quelques années, sans doute, du mariage gay et lesbien (60 % des jeunes y sont acquis). Nous sommes loin de l'amendement d'un député catho lique de Moselle, Paul Mirguet qui en 1960 encore faisait dénoncer l'homosexualité comme un fléau social. Loin aussi de la sévérité pugnace du garde des Sceaux Jean Foyer. Loin encore d'une mention qui incitait les loca taires à vivre en bon pères et mères de famille (suppri mée par Roger Quilliot). Loin même le temps où Gaston Defferre devait interdire la répression policière et le fichage. Cette évolution rend plus difficile pour l'Église de défendre son habituelle posture compassionnelle. Dorénavant, les catholiques ne peuvent se contenter d'accueillir et de plaindre, ils doivent reconnaître des droits. Or, c'est là que le bât blesse. En outre, alors qu'on assiste à une évolution sociétale dans ce sens, on assiste également dans l'Église à une trajectoire opposée. Celle d'une restauration, avec un épiscopat plus campé sur les valeurs morales.
L'Eglise catholique face à l'avancée de la cause homosexuelle Les milieux catholiques dans leur très grande majorité se sentent déboussolés par cette évolution. Il y a d'abord une question de génération. Les pratiquants occasion nels sont d'âge plutôt avancés ; les homosexuels du marais d'un âge nettement plus jeunes, avec un risque non négligeable de jeunisme. Les plus conservateurs sont horrifies ; les conciliaires modérés un peu troublés et réservés mais moins défensifs ; les plus progressistes globalement plus ouverts, mais en découvrant souvent une « terra incognita ». 70 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Les moralistes catholiques sont partagés en France, même si aucun d'entre eux ne semblent vraiment emboî ter le pas à ce mouvement societal. Il y a toujours un décalage chez les catholiques entre leur ouverture sur d'autres questions, et leur fermeture sur ce point précis, ou dans le meilleur des cas, leur ouverture moindre. Hormis les intégristes invoquant le feu du ciel, le plus hostile, et le plus étrangement agressif dans le ton, est Msr Tony Anatrella. Dans une perspective plus ouverte, plus emphatique, plus nuancée, on peut citer le Père Xavier Thévenot, sdb, hélas défunt, et la Sœur Véronique Magron, op, doyenne de la faculté de théolo gie catholique d'Angers. Le Père Thévenot, en son temps, fut un précurseur. Malade, et suspecté à Rome, il a fait ses dernières années un peu machine arrière. Encore plus réservé, mais moins agressif et plus subtil que Mfir Anatrella, le doyen laïc de la faculté de théologie de Lyon tient en gros le discours suivant : tolérance envers les personnes privées; non reconnaissance au niveau social. Xavier Lacroix semble plus ou moins prêt, comme Xavier Thévenot, de reconnaître une certaine légitimité morale au couple homosexuel, mais cantonné dans la discrétion et sans inscription dans le droit. Le Père Luc Pareydt, sj, professeur au Centre Sèvres, philo sophe il est vrai et non moraliste, semble ouvrir encore plus de portes reconnaissant par exemple qu'il y a une certaine fécondité d'un autre type dans le couple homo sexuel (comme le chanoine Pierre De Locht, de même, mais avec plus de réticence semble-t-il, le Père Olivier de Dinechin, sj). Alors que le protestant Olivier Abel invite à une évaluation éthique différenciée (et non pas du tout ou rien), la majorité des théologiens excluent toute reconnaissance positive du couple homosexuel, tout au plus, peut-on le tolérer comme un moindre mal, pour palier à une compulsivité destructrice ou dangereuse (c'est au fond la thèse de Xavier Thévenot). La radio catholique « Radio Notre Dame », très inféodée au cardinal Lustiger, confirme ce constat. Elle a consacré au thème de l'homosexualité une série d'émissions du 19 juin au 7 juillet 1995. Élise Corsini, la responsable se range en gros sur la ligne Anatrella, même si le style des émissions oblige à plus de prudence. Aucun débat véri table n'y a lieu : « Aucune confrontation d'opinions n'est pro posée aux intervenants, aucun "droit de réponse à l'antenne", mais la production d'un discours ordonné à partir de voix mul tiples, qui cherche finalement à convaincre de la justesse des positions magistérielles (p. 35) ». Au fond, vivre l'homo sexualité s'avère pour Élise Corsini une impasse radicale. Le fléau du sida avait pourtant incité les hommes d'Égli se — hormis de scandaleuses exceptions comme en Italie le cardinal Giuseppe Siri ou M8' Francesco Ruppi (arche vêque de Lecce) qui évoquèrent la punition divine — à des positions plus soft. Ainsi, le cardinal Joseph Bernardin, archevêque de Chicago, s'élève contre l'utili sation possible des textes testamentaires en un sens stig matisant. En France, la Commission sociale, présidée alors par M8r Léon-Didier Marchand, évêque de Valence (un libéral), s'exprime en ces termes : « Le sida n'est pas un châtiment divin : c'est une maladie qui a ses propres
Grand Ang causes. Dieu n'est pas sadique : Dieu est amour. Il ne veut pas la souffrance et la mort de l'homme. » Même le cardinal Lustiger, sur TF1 confie en son temps : « Ce qui me terrifie le plus c'est non seulement la gravité de la maladie mais c'est la ségrégation. » Le ton va très vite changé lorsque la prévention insistera sur les préservatifs. Même Msr Jean Vilnet, alors prési dent de la Conférence épiscopale, un prélat très conci liaire au demeurant, s'inquiète et tire le signal d'alarme. Rome crie au scandale. M8r Emile Marcus à l'époque, évêque de Nantes : « L'usage du sexe s'il est dévié, aberrant, sorti du cadre d'une relation affective normale est désintégrateur de la personnalité. » Pourtant, des nuances sont for mulées. Le cardinal Lustiger dès 1988 : « Quant à vous qui êtes atteints de cette maladie, si vous ne pouvez pas vivre ainsi de cette chasteté, prenez les moyens que Ton vous propose, par respect pour vous-mêmes et pour autrui. Vous ne devez pas donner la mort. » Pour le cardinal Albert Decourtray, pri mat des Gaules : « Quand il faut choisir entre donner la mort et prendre un moyen qui n'est pas bon, il vaut mieux le moyen qui n'est pas bon que de donner la mort. Cela s'appelle la mort. » D'autres prélats, le cardinal Robert Coffy de Marseille, NN SS André Collini (Toulouse) et Jacques Fihey (Coutances) sont tout aussi clairs sur la question. Néanmoins, en 1994, on assiste à un nouveau durcisse ment marqué par le rapport du déjà trop célèbre Tony Anatrella, virulent sur les moyens de protection". L'archevêque de Rennes, Mfir Jacques Jullien, un moraliste pur et dur, n'est pas en reste : « Notre vieux inonde est contaminé, malade, il a perdu le sens de la vie, de l'amour, et du partage vrai. » Et là encore pourtant un autre discours exis te : le 12 février 1996, une communication de Msr Albert Rouet évêque de Poitiers et président de la Commission sociale juge pour le moins nécessaire l'usage du préserva tif. Le bon Albert s'attira alors bien des foudres7. On assiste un peu plus tard à un nouveau retour du balancier à droite, au moment du pacs. Le Conseil per manent de l'épiscopat adopte une position très dure sur la loi : inutile et dangereuse. L'engagement, Bible en main, de Christine Boutin choque beaucoup. Si Benoît Gauchard, président de David et Jonathan se félicite du projet, tout comme Msr Jacques Gaillot ou le Père Antoine Lion, op, de Chrétiens-Sida, un nombre non négligeable de chrétiens reviennent à des propos très durs sur l'homosexualité, comme Guy Coq sans parler de M8' Anatrella. L'évêque de Tulle, M"r Patrick Le Gai aujourd'hui aux Armées, crosse La Vie qui s'était mon trée trop ouverte à ce sujet, à son gré. Le poids des AFC se fait sentir dans ce virage droitier des évêques et de leur président, l'éphémère cardinal Louis-Marie Bille. Même le cardinal Pierre Eyt, archevêque de Bordeaux, pourtant d'ordinaire de tendance libérale, soutient la manifestation violente et agressive conduite par Christine Boutin. Il est intéressant d'étudier ce durcissement, ce virage à droite. En effet, avant que l'homosexualité ne soit recon nue, l'Église, fort sévère sur les péchés de pureté, se montrait néanmoins paradoxalement plus indulgente envers une tendance qui « ne devait pas dire son nom » (Oscar Wilde). Le mouvement homophile « Arcadie » fondé par André Baudry (philosophe, lui-même ancien
séminariste) regroupait un certain nombre d'hommes d'Église parfois distingués et très en vue, évidemment dans la plus grande confidentialité. Sans doute, s'agis sait-il de faire bon accueil à l'homophilie (au sentiment, à la tendance) sans pour autant trop s'avancer du côté de la reconnaissance d'actes. Il n'empêche : par rapport à l'ensemble d'une société civile encore plus hostile, l'E glise faisait figure de mère tolérante. Aujourd'hui, il n'en est plus guère ainsi : au contraire, une fixation obses sionnelle sur une avancée qui fait positionne tout autre ment la hiérarchie et une part des fidèles catholiques. Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
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Grand Angle Dans les textes doctrinaux et législatifs, le moins que l'on puisse dire est que l'homosexualité n'y est pas bien reconnue. Les énoncés doctrinaux condamnent sans appel la pratique de l'homosexualité (la tendance ellemême est regrettée, mais n'est pas considérée comme un péché si elle n'a pas été volontairement implantée, dans le cas de l'homosexualité dite foncière). Pour une per sonne homosexuelle, si de fait l'hypothèse d'une réorientation s'avère impossible, seule la voie de la sublimation semble licite.
garde frénétiquement contre toute reconnaissance socia le. Sa prose, un brouet indigeste de psychanalyse, de sociologie et de théologie de sacristie rance, fera illusion auprès de beaucoup de catholiques et le fait hélas enco re. Notons la malhonnêteté objectif du propos qui dérive de la neutralité du spécialiste à l'emballement du bigot effarouché. Comme le note pertinemment Hélène Buisson-Fenet, « il s'agit d'obtenir la légitimité formelle que peut procurer une terminologie "semi-savante" de sciences humaines, tout en profitant de la mixité argumentative des raisonnements associés pour réintroduire une position grimée de scientificité (pp. 66-67) ».
En droit canon, l'homosexualité semble être conçue comme un empêchement potentiel au mariage. Avec l'apparition des mouvements gays et de leurs Pourtant, une sentence en 1983 du juge Msr Emilio qualifie d'inepte la jurisprudence qui pré revendications, les textes romains se font plus précis : ils Colagiovanni senterait l'homosexualité comme un empêchement en mettent en garde contre cette évolution sociétale, reven soi ! En ce qui concerne les clercs, c'est évidemment la diquent la légitimité d'une juste discrimination entre les avérée et notoire, ou le concubinage qui peu partenariats gays ou lesbiens et les couples et familles pratique vent être la cause de mesure comme la suspens, ou le « normales ». Même dans certains cas (certaines profes renvoi de l'état clérical. La tendance éventuelle d'un sions comme celles liées à l'éducation) une discrimina prêtre n'est pas en question (à moins que le prêtre la tion est légitime vis-à-vis de personnes homosexuelles revendique ; néanmoins, même en ce cas, si cette reven affirmées comme telles. Pire encore, peut-être, ces discri minations sont, de manière assez perverses, présentées dication n'est pas assortie d'une revendication de vie en couple ou de pratique sexuelle l'évêque l'écartera sans comme servant au bien véritable des personnes homo sexuelles elles-mêmes ! Les textes parlent d'ailleurs doute mais en évitant les sanctions canoniques). Le cas des candidats aux ordres sacrés est plus délicat : la d'appel à la raison et de sagesse 8. Ce qui gêne profondé ment le Vatican, n'est sans doute pas en profondeur une condition requise pour l'ordination demeure une santé physique et psychique suffisante, avec possibilité et certaine tolérance concrète et pratique vis-à-vis de l'ho même devoir de procéder à des investigations. Les mosexualité, mais plutôt le niveau du discours, le fait de l'Église universelle sont loin d'être tous d'ac que l'on dise certaines choses, et que l'on exige une évêques cord avec la décision des évêques français d'écarter de cohérence entre la pratique et les discours justificatifs. l'ordre sacré des candidats à tendance homosexuelle Les épiscopats nationaux disposent certes d'une certaine avérée et foncière (sur les conseils des gamme de manœuvre, relative pourtant, car cela concer PP. Thévenot et Bouchaud — en version plus soft — et ne plus le ton, la manière de présenter les choses, l'ap du P. Anatrella en version dure) : en Italie, il y a une cer proche que le contenu même. Dans un passé récent, qui tend hélas à s'éloigner, des épiscopats ont néanmoins taine loi du silence, qui permet de régler bien des situa tenu des discours moins fermés et plus positifs. tions ; en Allemagne, en Suisse et en Belgique, les En 1981, la Commission sociale de l'épiscopat, présidée évêques penchent plutôt vers une attitude médiane : une alors par M8' Joseph Rozier (évêque dit de gauche) pré prudence plus grande, plus de garanties, mais pas d'ex sente un document assez serein intitulé Sexualité et Vie clusion systématique. Un prêtre homosexuel qui deman chrétienne. Ce texte se démarque de tous les autres par derait sa réduction à l'état laïc aurait plus de chances de mie certaine audace. Il invite à la compréhension : « Outre l'obtenir qu'un autre. Le cardinal Jorge Arturo Medina qu'elle ne correspondrait guère aux attitudes du Christ à Estevez, ancien préfet de la Congrégation des sacre l'égard des personnes marginalisées par les "bien-pensants" ments, estimait en son temps que la connaissance de de son temps, une trop grande sévérité pourrait être le reflet l'homosexualité d'un candidat mettait en cause la valeur morale de son engagement au célibat... puisqu'il ne d'une certaine mauvaise foi. » Hélas, le Catéchisme des évêques de France, paraissant dix renonçait à rien n'ayant pas le désir de se marier (thèse ans plus tard sous la coordination de M8' Louis-Marie développée aussi par Tony Anatrella). Bille, marque un retour net aux affirmations de principe. Au sein de l'Église catholique, d'aucuns ont tenté de Ainsi, on nous y donne ce jugement lapidaire qui théoriser différemment les choses, d'ouvrir une brèche, contient déjà toute une vulgate qui sera plus tard d'imaginer des raccourcis, et aussi des moyens de déployée : « Refusant de s'affronter à la différence sexuelle, contourner les obstacles. Parmi eux, le théologien l'homosexualité est une déviation objectivement grave. » Pas Charles Curran, disciple du Père Haering, suggère que moins ! On croirait un texte romain... en pire, car les chez les homosexuels leur tendance créait comme une Français semblent en plus croire ce qu'ils écrivent. En nature qui leur était propre et permettait de relativiser 1996, l'abbé Tony Anatrella récidive dans un texte agres les jugements portés : ils ne pouvaient faire fi de cette sif comme à son habitude, sur un ton apocalyptique. condition, et, dès lors, l'exigence de continence devait Cette nouvelle Cassandre, mais sans jupons !, met en être revue. Le jésuite John McNeill, proche de l'associa-
Une lettre qui tue
72 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Grand Angle tion « Dignity » (États-Unis) publie en 1977 un livre remarquable et remarqué, L'Église et l'homosexuel : un plaidoyer. La Congrégation pour la doctrine de la foi exige alors du P. Arrupe, le « pape noir », de lui retirer Y imprimatur. Plusieurs théologiens canadiens comme le P. André Guindon, oblat, lui aussi sanctionné par la suite, ou Guy Durand, s'inscrivent en ce sens. De plus en plus une lecture prudente et non fondamentaliste des textes scripturaires se développe, surtout depuis Bailey, théologien anglican, illustrée en particulier par Guy Ménard à Montréal. Au plan de la recherche historique, le laïc historien John Boswell a établi une large tolérance, et même une vraie reconnaissance des couples gays sinon une culture gay ante liiteram au Moyen Age, surtout au douzième siècle. Des chercheurs moins engagés, comme Jean Verdon en France, ne peuvent que confirmer, pour l'essentiel, les opinions de Boswell. Les théologiens qui restent plus prudents et nuancés se refusent à suivre les positions prônant la reconnaissance pure et simple de l'homosexualité comme antrhropologiquement axiologiquement équivalente à l'hétérosexua lité, tout en se démarquant de l'abrupt dur et choquant des positions romaines ou de théologiens comme Tony Anatrella, se sentent souvent comme pris entre le mar teau et l'enclume. C'est le cas du défunt salésien Xavier Thévenot, du rédemptoriste espagnol Marciano Vidal ou de l'Italien Don Guido Gatti. Les plus conservateurs même, comme le bénédictin Alain You, ouvrent cer taines portes. Ainsi, en envisageant un moindre mal, ou encore en posant une gradualité de la loi. La réflexion chrétienne, en morale et en spiritualité, en France, depuis une cinquantaine d'années a été marquée par l'émergence de la psychologie et de la psychanalyse. Citons Maryse Choisy, le P. Bruno de Sainte-Marie, carme, le dominicain Albert Plé, le jésuite Louis Beirnaert, le salésien Xavier Thévenot, le sulpicien Constant Bouchaud, le séculier Jean-Marie Aubert et surtout l'abbé Marc Oraison. La position de ce dernier, exprimée dans La question homosexuelle (1953), choque aussi par l'étroitesse des vues ; pour l'époque, néan moins, la thèse ne manquait guère d'audace. Ainsi, Marc Oraison voulait étudier les cas dans leur originalité en évitant les idées préconçues. Il a écrit également : « L'homosexualité n'existe pas, c'est un mot. Ce qui existe, ce sont des sujets humains qui ont des tendances homosexuelles et qui s'arrangent comme ils peuvent pour vivre avec. Et l'ex périence montre que c'est aussi varié que le nombre de ces sujets eux-mêmes [op. cit., p. 80) ». L'abbé Oraison tente de déculpabiliser la tendance, et développent des intuitions moins enfermantes : « En perspective chrétienne, ce n'est point le tabou qui est la référence morale mais la qualité de l'amour. » Le Père Thévenot s'oriente dans le même sens, mais avec plus de réticence parfois, et vers la fin un cer tain retour en arrière. Soucieux d'abord de dépasser les interprétations lacaniennes courantes de l'homosexuali té, il tend pourtant de plus en plus à revenir à l'idée d'une « anormalité », d'une limite objective en tout cas. En 1993, le salésien avoue dans un entretien (cité p. 92) :
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«[...] au fur et à mesure que j'avançais, j'étais obligé de reve nir à la bonne vieille hypothèse habituelle, à savoir que ce n'est pas seulement une variation comme la couleur des cheveux, mais qu'il y a quelque chose à l'intérieur de la tendance homo sexuelle... Que l'homosexualité était bien une forme non-nor mative de sexualité [...]. Je n'ai pas rencontré de personne, parlant en vérité, qui me disait "ça me rend vraiment heureux d'être homosexuel". J'ai rencontré le contraire ou quasiment toujours le contraire... » Comme le note Hélène Buisson-Fenet, dans le monde catholique, hormis de notables exceptions, comme le jésuite John McNeill, les autorités magistérielles ou intel lectuelles restent hantées par l'idée de norme. Même les esprits les mieux formés, les plus bienveillants, comme Xavier Thévenot, n'échappent pas à la statue du com mandeur. À titre personnel, nous nous demandons si cela n'est pas inévitable tant que des experts tiennent un discours d'en-haut : ce serait aux homosexuels euxmêmes, dans leur volonté de positiver leur vie, qu'il reviendrait d'avoir la parole. Nul n'est propriétaire de la vérité des autres. Comme l'a montré Dominique Mehl, certains magistères des sciences humaines s'érigent trop vite en experts en humanité reprenant le flambeau des Églises, qui parfois ne sont que trop heureuses de le leur reprendre.
Le militantisme Deux types de militantisme chrétien homosexuel existent. Ils sont chacun incarnés par une association connue : le premier, plus réticent, restant hanté par les schémas normatisants catholiques est « Devenir un en Christ » ; le second, plus ouvert, plus critique à l'égard des normes catholiques défend vraiment la cause homosexuelle, « David et Jonathan ». « David et Jonathan » est né d'« Arcadie », l'association homophile d'André Baudry, naît sous l'intitulé « Christianisme et homophilie » notamment autour de Max Lionnet ou de Gérard de La Mauvinière. Quelques années plus tard, le mouvement est baptisé « David et Jonathan ». David et Jonathan regroupe des homo sexuels de style très différent. L'orientation ecclésiale dominante est évidemment progressiste. Ainsi, la plu part des membres apprécient beaucoup le style de Jacques Gaillot. Deux « filiations » se croisent à David et Jonathan : « celle de chrétiens progressistes ou Tétant "deve nus" avec la découverte de leur propre homosexualité ou de celle d'un proche ; celle déjeunes homosexuels que le militan tisme gay parisien ne satisfait pas, parce qu'il ignore l'aspira tion à problématiser l'identité homosexuelle qui peut s'associer parfois à une demande de spiritualité (p. 111) ». David et Jonathan n'entend pas justifier le discours officiel de l'Église auprès des homosexuels, mais plutôt donner aux homosexuels qui croient une voix dans l'Eglise. C'est pourquoi ce mouvement a vivement protesté lors des déclarations négatives du cardinal Ratzinger. David et Jonathan interpelle aussi l'ensemble des évêques fran çais sur la question du célibat des prêtres. Le mouve ment est présent lors des fêtes de la JOC. Dans son ana-
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lyse, David et Jonathan discerne dans l'attitude de l'Égli se au sujet de l'homosexualité un symptôme d'un rapport de domination des esprits et des corps peu évangélique. L'intuition foncière de David et Jonathan est la suivante : « II n'y a pas de contradiction à se sentir homosexuel et à s'ac complir comme catholique, à s'identifier chrétien et à assumer, tant psychologiquement que sexuellement son homosexualité (p. 122). » L'association « Devenir Un en christ », un collectif bien plus modeste, est né de l'initiative personnelle de son fondateur, en 1986, à Melun. Contrairement à David et Jonathan, elle est officiellement reconnue par la hiérar chie. À l'opposé de la démarche de David et Jonathan, elle emprunte le registre thérapeutique et aborde le dis cours de la hiérarchie comme une référence positive. Elle se rapproche davantage, même si c'est de façon autre ment plus feutrée, des groupes d'Exodus International Europe, « union internationale de ministères chrétiens qui offrent aide et ressources à ceux qui désirent quitter un style de vie homosexuel ou s'en abstenir ». Certaines personnalités françaises s'inscrivent dans ce processus : le P. DanielAnge ou le professeur Henri Joyeux'.
Vocations religieuses et sacerdotales face à l'homosexualité Les prêtres ne rencontrent pas seulement l'homosexuali té dans le cadre de leur activité pastorale. Ils doivent souvent affronter leurs propres désirs en ce sens. Les dif férentes hypothèses statistiques sont invérifiables et dis cutables à l'infini. Pour autant, il ne fait guère de doute que parmi le clergé on compte davantage d'homo sexuels exclusifs ou de bisexuels que dans l'ensemble de la population masculine. Cette tendance semble plus forte depuis quelques années (selon le P. Donald Cozzens, vicaire episcopal émérite de Cleveland, 60 % des candidats au sacerdoce seraient gays), ou dans cer tains pays, notamment parce que le célibat sert de cou verture (en particulier en Italie). La chose n'est pas nou velle : depuis fort longtemps, le ciment de la vie monas tique semble bien être le désir gay, en particulier au 74 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
Moyen Age. Le douzième siècle a connu une véritable floraison de la culture homo. Néanmoins, la reconnais sance sociale de plus en plus large de l'homosexualité comme telle bouscule aujourd'hui, peut-être comme jamais, une Église où règne le déni. Indéniablement, le fait que le clergé et les communautés religieuses comp tent en leur sein un nombre non négligeable d'homo sexuels qui pourraient privilégier leur solidarité sexuelle sur la soumission à leurs autorités inquiète fortement les conservateurs. Ce qui frappe d'emblée c'est la très forte intériorisation de la norme par les clercs, ce qui explique la grande difficulté avec laquelle beaucoup parviennent à se reconnaître homosexuels, et aussi le déni des autres. Même des prêtres ouverts et conciliaires doivent surmonter bien des obstacles insurmontables pour s'assumer tels qu'ils sont. Parfois ils tentent de concilier pour l'essentiel la norme avec les dispenses qu'ils s'accordent. Ainsi, les efforts apologétiques pour montrer, avec raison d'ailleurs semble-t-il (cf. le théologien anglican Bailey) qu'il ne faut pas trop tirer des jugements scripturaires négatifs sur l'homosexualité. D'aucuns déplacent en quelque sorte la norme, par exemple en refusant le multipartenariat, ou les rencontres sexuelles éphémères. La question en tout cas se pose, et ne semble pas permettre une réponse rapi de et aisée : « Comment la dissonance est-elle gérée par ces hommes de religion dont les affects ne sont pas conformes aux attendus du magistère en matière de morale sexuelle ? » Chaque situation est unique et pourtant il y a des traits communs. Hélène Buisson-Fenet nous rapporte une suite de témoignages, des fragments de vie : « La dissonance n'est donc rien moins que perceptible dans ces fragments d'his toires de vie : mais elle se trouve à la fois déclinée sur des modes très différents, et déplacée de Taxe attendu qui opposerait orien tations sexuelles et morale religieuse. Son caractère psycholo gique se double par ailleurs de déterminations socioculturelles fortes : on semble davantage éprouver des tiraillements entre son son statut clérical et son identité homosexuelle lorsqu'on vit en Province plutôt qu'à Paris, lorsqu'on occupe un poste de res ponsabilité où le statut sacerdotal fait l'objet d'une forte visibili té sociale, lorsque le "climat relationnel" à l'intérieur de la famille n'autorise guère à la confidence (p. 176). » Les prêtres et religieux gays sont comme des conduc teurs qui usent beaucoup leur levier de vitesse. En effet, ils sont obligés de changer de discours, de style et par fois même de ton de voix selon les circonstances et par fois les amis qui les entourent. « Il faut en effet ajuster la communication à "ce qu'il est convenable de dire" dans telle ou telle circonstance, en fonction de la nature du public — plus précisément en fonction de la manière dont les personnes en présence sont évaluées (p. 180). » Comme l'analyse fort justement Erving Goffman : « On peut pratiquement dire que chacun a autant de personnalités différentes qu'il y a de groupes sociaux distincts dont l'opinion compte à ses yeux. Chacun montre généralement un aspect différent de lui-même à chacun de ces différents groupes (cité, ibid.). » Ainsi, l'aveu de son orientation sexuelle, au moins explicite (en d'autres endroits il pourra être implicite, non-dit, deviné mais tu), se limite à des groupes privilégiés. Cela cause
Grand Angle
des souffrances, des problèmes. Comme l'analyse le phi losophe Allan Gibbart : « Le fait de devoir toujours parler en secret est ressenti comme une tension ; la personne qui se voit placée dans cette situation aura bientôt l'impression de perdre ses repères normatifs. Un secret constant la prive d'une communauté dans laquelle penser (cité, p. 220). » Pour ceux qui s'assument le mieux, des espaces de partage convi viaux, mais strictement confidentiels, pourront se déve lopper. On sait que pour beaucoup de gays, le « coming out », c'est-à-dire le fait de révéler à une personne, ou à plusieurs, voire à un très grand nombre, par exemple à la télévisionH1, s'avère très libérateur. Dans le cas des clercs, en raison des risques encourus, mais plus encore de la tension par rapport à l'idéal déontologique très intériorisé, un tel acte ne peut être vécu que dans un petit groupe, avec des amis très proches, dans sa famille. Le risque de choquer profondément l'entourage consti tue certainement un poids permanent ; le prêtre aura de toute façon du mal à accepter sereinement une homo sexualité pratiquée dans le cadre actuel du ministère et des mentalités à l'intérieur de l'Église ; une vraie « sortie du placard » exigera souvent la sortie complète du ministère ou du moins le réaménagement conséquent de l'exercice de ce dernier, sous un mode plus indépendant, plus sécularisé aussi. Beaucoup de choses dépendent de l'identité que le prêtre ou le religieux entretiennent d'eux-mêmes. Ainsi, se présentent-ils d'emblée comme prêtres, ou au contrai re avancent-ils leur personnalité humaine spécifique. Le mode de formation (séminaire) favorise l'intériorisation d'un modèle. Cela crée souvent comme une seconde
nature, sinon une tunique de Nessus qui vous colle à la peau. En sociologie, on peut d'ailleurs distinguer trois phases — en quelque sorte qui s'articulent — d'une même identité sociologique : l'autoperception, la dési gnation par autrui et la représentation catégorielle. Dans le cas du clerc situé d'emblée comme « curé » les deux dernières seront très prégnantes, sinon contraignantes et réduiront la marge de manœuvre de l'auto-position, ou du moins dans le cas de très fortes personnalités, exigera un déploiement d'énergie et d'affirmation de soi très fort". Même un clerc intérieurement libéré et critique à l'endroit des positions romaines ne pourra pas ne pas ressentir très douloureusement à certains moments une solidarité même involontaire avec ceux qui empêchent d'autres de vivre. Ainsi, ce témoignage d'un aumônier diocésain reporté p. 196 : « Et moi, quelque part, je suis bien obligé de reconnaître que je participe indirectement à cette situation. » Enfin, comme tout régime autoritaire un peu intelligent, l'Église catholique joue plus sur l'intimi dation préventive que sur des sanctions effectives, sinon épisodiques et intimidatoires. Nous ne connaissons pas de cas de prêtres révoqués pour homosexualité ou pour une pastorale trop complaisante à l'égard des gays. En revanche, quelques prêtres ont eux-mêmes préféré lar guer les amarres pour recouvrer leur liberté. Le seul cas d'un « coming out » très spectaculaire en Espagne, celui du P. José Mantero a été cependant suivi d'une suspens a divinis (mais pas, à notre connaissance, d'une réduction forcée à l'état laïc). Ce qui veut dire que la hiérarchie le considère toujours comme un de ses prêtres. En Italie, il est vrai, un prêtre très connu du diocèse de Pinerolo qui Golias magazine n° 106 janvier/février 2006
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Grand Angle avait célébré de très nombreux mariages a été réduit à de façons de se situer par rapport aux normes que de l'état laïc, mais surtout pour l'exemple. personnes. L'affrontement brutal en est un, mais il y a Dans la très grande majorité des cas, la hiérarchie aussi, dans la durée, une liberté intérieure sage et pru dente qui sait ouvrir des chemins de renouveau et de cherche un compromis : par exemple un poste plus dis réinvention, tout en assimilant une part de la norme, le cret, moins institutionnel. Elle compte sur une auto-cen sure efficace, comme d'ailleurs dans le cas de prêtres noyau de vérité que l'on continue à y reconnaître malgré tout, parce qu'on refuse aussi de jeter le bébé avec l'eau vivant avec une compagne et se cachant. Un prêtre dio du bain. Rien de tout cela n'est simple. L'histoire person césain témoigne : « L'homosexualité n'est pas un obstacle nelle et la situation actuelle du prêtre sont toutes diffé pour être prêtre, canoniquement non [...J. C'est pas pour autant qu'on peut se permettre de le crier sur les murs, j'en rentes. Certains chrétiens s'engagent pour que l'Église change ; d'autres préfèrent se concentrer dans une sphè parlerai par exemple pas à mon évêque (cité p. 198). » Ce que re propre épanouissante (par exemple leur aumônerie) l'institution châtie éventuellement, ce n'est pas, en géné ral, la transgression individuelle parfois très bien tolérée et y vivre au quotidien et à la base la Bonne Nouvelle de si elle est discrète, c'est la remise en cause des règles du l'Évangile ; d'autres encore, déçus et blessés, n'attendent jeu, c'est le refus exprimé en soi de la légitimité d'un soi plus rien, et survivent, parfois en compensant un échec (et non pas seulement le fait de s'en dispenser à titre ou une frustration par des activités parallèles, des pas personnel). La posture militante déclarée constitue une sions profanes ; d'autres enfin se résignent à la tristesse : rupture de la règle du jeu. Un prêtre qui au su et au vu le pire des cas de figures. Il arrive que des religieux ou de tous, hormis peut-être dans une ville comme Paris où des prêtres s'éloignent, puis reviennent ; parfois, une il est au fond possible de mener des existences parallèles rupture survient de façon soudaine, comme par effet « cocotte-minute » ; d'autres fois, c'est le fruit mûr d'un (et encore), militerait en faveur du droit des gays pour rait avoir des ennuis, être mis sur la touche, invité au long travail intérieur, impliquant un deuil par rapport à départ. Paradoxalement, l'Église ferme beaucoup plus l'image du prêtre que l'on porte encore en soi. Il ne suffit volontiers les yeux sur l'incontinence de ses clercs que évidemment pas de s'être libéré intellectuellement des sur la remise en cause des frontières mentales jugées vues conservatrices pour qu'elles ne s'exercent plus du taboues. Dans les cas concrets, une certaine adaptabilité tout de manière souterraine dans l'inconscient. Dans un pragmatique semble possible — de moins en moins grand nombre de cas, la découverte et l'acceptation de néanmoins — à condition de ne pas, encore une fois, leur homosexualité par les prêtres leur a permis de mieux ouvrir aux autres, d'avoir une vision plus progres mettre en cause les règles du jeu. Une parenthèse miséri cordieuse n'équivaut pas à un renouveau de la pensée et siste du christianisme et de l'Église, d'être sensible aux encore moins à une mutation des normes. Au fond, pour différentes formes d'exclusion. À l'inverse, il nous reprendre les analyses du sociologue Albert O. semble que différentes formes d'homosexualité non Hirschmann, il s'agit de faire des clercs dociles et assumées favorisent chez les clercs l'évasion esthétisante, la rigidité morale, le cléricalisme, le goût pour les loyaux... jusque dans leurs trahisons mêmes. Au risque de blesser peut-être des intéressés, il nous ambiances ecclésiastiques feutrées. Les prêtres homo semble devoir préciser que là encore les victimes ne sont sexuels qui sont restés en poste tentent de réélaborer un discours un discours chrétien plus humanisant, moins pas toujours totalement innocentes : rares sont les clercs abrupt, moins enfermant ou excluant, sans perdre tous qui ne gardent pas au fond d'eux-mêmes un assujettisse les repères, ni même un certain « ton » dans le propos ment souvent renaissant à la norme, même si elle fait mal qui parfois irrite des gays non-chrétiens, plus revendica ; cela va au-delà de la prudence qui s'impose évidemment tifs, plus hédonistes. Ainsi, certains prêtres affirment à nombre d'entre eux par crainte de sanctions ou encore moins un droit des homos qu'une critique du discours parce qu'étant trop âgés, trop solitaires, trop blessés, il ne de l'institution se situant un peu entre-deux. Il peuvent tout simplement pas imaginer une autre vie (la déphasé est en effet très difficile de sortir d'un système de question matérielle n'étant jamais à négliger n). valeurs dans lequel on s'inscrit, ou alors sur le mode L'intériorisation d'une norme que par ailleurs on contes te crée souvent un conflit interne douloureux et usant, violemment réactif qui perpétue alors autrement la avec des pas en avant et des pas en arrière. Ce constat ne dépendance. Par la fuite, en mettant l'accent sur les saurait nous aveugler sur l'existence effectivement d'un valeurs sociales ou esthétiques on peut également certain nombre de prêtres qui ont réussi à très bien échapper plus ou moins à la tension. Enfin, saluons des concilier ce qui semble inconciliable aux hiérarchies personnalités d'exception qui ont réussi à vivre une cer conservatrices : ce sont des prophètes, des hérauts de taine fidélité intelligente et créatrice, sans sombrer dans le ressentiment, en rendant féconde une tension difficile, l'Évangile et des témoins d'une Église autre. Tant mieux. en tenant ensemble deux bouts de la chaîne sans rien Pour autant, beaucoup de prêtres vont mal, faute d'avoir pu un jour trancher, d'avoir fait le pas de sortir, casser ni se casser. Ce sont hélas des exceptions. Qui d'avoir franchi un Rubicon redouté (et parfois, hélas, les osera dans l'Église faire repentance pour les souffrances infligées à des serviteurs finalement trop soumis ? difficultés sont telles que c'est chose presque impos Au-delà des difficultés spécifiques rencontrées par des sible). On ne saurait donc assez dénoncer le fonctionne ment proprement pervers d'une institution qui inculque clercs gays, sincères avec eux-mêmes et ceux qu'ils aux candidats des dispositifs intérieurs profonds et diffi aiment, il y a l'ensemble de la cristallisation pathologique ciles à lever qui compromettent leur avenir. Il y a autant propre à l'état clérical. Cela tient, surtout en France, à un 76 janvier/février 2006 Golias magazine nG 106
Grand Angle statut, très justement analysé par Pierre Bourdieu : « Les clercs eux-mêmes ont aussi un statut économique ambigu, qu'ils vivent dans la méconnaissance : ils sont pauvres (smic) mais d'une pauvreté apparente (ils reçoivent toutes sortes de dons) et élective (leurs ressources leur venant sous la forme d'offrandes, de dons, ils sont sous la dépendance de leur clientè le). Cette structure convient à des habitus doubles, dotés du génie de l'euphémisme, de Tambiguïsation des pratiques et des discours, au double sens sans double jeu l3. » Eugen Drewermann et son Kleriker nous invitait déjà à réagir.
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Nous ajouterions volontiers que cette posture inconfor table est de plus en plus mise à mal (entre le marteau et l'enclume) par une double pression qui s'exerce sur les malheureux : d'une part celle d'une hiérarchie de moins en moins libérale et de plus en plus répressive (au moins dans le discours) ; d'autre part celle d'une société insa tisfaite par la prudence excessive des catholiques, même les plus ouverts. Cette tension douloureuse ne saurait trouver un apaisement que dans un dépassement pra tique et théorique des règles du jeu encore en vigueur. C'est l'ensemble du fonctionnement qui est à réinventer. Abélard DELAFLj4MME
1) Claire Lesegretain (direction). 2) Hélène Buisson-Fenet, Un sexe problématique. l'Église et l'homosexualité masculine en France (1971-2000), Paris, Presses universitaires de Vincennes, 2004. 3) Erving Goffmann, Les Moments et leurs hommes, Paris, Seuil-Minuit, 1988, 208 p. (ce recueil de conférences et autres interventions constitue à notre sens l'une des meilleures choses qui ait été écrite). 4) Sur la question gay, des psychanalystes éclairés tiennent bien entendu un tout autre discours comme Michel Tort, Jean Allouch, Elisabeth Roudinesco, Sabine Prokhoris, et dans une moindre mesure, même Jacques-Alain Miller. 5) Cf. Didier Eribon, La question gay, Paris, Fayard, 1999 (le livre clé sur la question). 6) Tony Anatrella, « Au sujet des documents publiés dans le cadre de la prévention du sida » in Documents episcopal, 14 septembre 1994. 7) Y compris d'un évêque italien ultra-conservateur, proche de Communion et Libération, MKr Alessandro Maggiolini, de Côme, qui estime quant à lui qu'il y a des choses que l'on peut dire dans un dialogue pastoral privé, mais pas publiquement dans une déclaration épiscopale officielle (ce distinguo un peu schizophrénique est très typique de l'Église italienne).
Au fond, face à un tel désastre humain, on n'a qu'une envie : crier « assez ! ».
Intériorisation et authenticité Le sociologue a beaucoup à dire sur la question de l'in tériorisation de la norme et du caractère étouffant de ce processus. En même temps, il observe que, lors même qu'un système normatif est bien intériorisé, sans négli ger ses remises en cause radicales et brutales (prêtres qui claquent la porte) ou des processus de libération cour tois mais décisifs, un espace de compromis éthique est creusé, parfois difficilement, souvent non sans créer un certain malaise intérieur, une tension (féconde ?). Hélène Buisson-Fenet conclut fort justement : « La modalité la plus révélatrice de cette articulation entre normes et compor tements est l'apparition de l'authenticité comme valeur anthropologique supérieure, valeur qui s'impose même aux membres d'une institution fonctionnant encore sur le mode traditionnel de la vérité. C'est au nom de cette "authenticité" que Tintégralisme religieux, c'est-à-dire la volonté de faire intervenir dans tous les domaines de la vie le message chrétien tel qu'il est perçu par l'individu s'allie chez nos clercs avec un "transigeantisme" moral, c'est-à-dire l'adoption négociée de bien des libéralités (p. 238). »
8) Il est intéressant de relever que les textes du Magistère sont constamment auto-référentieles; ils se citent entre eux. Ils nous font penser au baron de Munchhausen qui pensait se tirer d'un marais... en tirant sur ses propres cheveux ! 9) Les « joyeusetés » du dit professeur ont été vivement critiquées par Antoine Lion dans le numéro spécial de la revue Échanges (n° 217, mai-juin 1993). 10) Jonathan Denis, Le reflet d'une ombre, Paris, 2003, pp. 17-37. Beau récit de « coming-out » à la télévision. 11) Moins difficile paradoxalement dans une société encore très catholicisée, où le modèle du prêtre en très présent et bien inséré dans la société. Dans une situation plus défavorable pour lui, comme en France, le prêtre risque de s'enfermer davantage dans une identité parfois que dans un pays de chrétienté comme l'Italie, où il se sent moins en décalage, d'où pouvant plus facilement déployer les variations de son humanité concrète personnelle. A notre avis, c'est aussi l'une des raisons paradoxales pour lesquelles nous avons actuellement des jeunes prêtres clergifiés et par ailleurs dépersonnalisés. 12) Ce qu'il est de fait dans la plupart des études. Or, beaucoup de prêtres en crise ont franchi le cap de la quarantaine, et parfois largement, ce qui pose de très gros problèmes de réinsertion notamment professionnelle, avec des risques (chômage, pas de retraite...). Nous n'hésitons pas à dire que si vraiment tous les prêtres pouvaient (au moins sans rencontrer une montagne de difficultés) quitter le ministère et commencer une autre vie, le nombre des départs serait encore beaucoup plus important. Il semble donc sage de conseiller aux prêtres encore plus jeunes de s'en aller maintenant s'ils le souhaitent ou au moins d'acquérir une autonomie financière et professionnelle. 13) Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, 1994, pp. 208-209.
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Grand Angle L Eglise e
omosexualite
L'intelligence pastorale des évêques suisses Golias publie la lettre pastorale des évêques suisses suite à l'Instruction romaine sur l'homosexualité et la prêtrise. Enfin des pasteurs intelligents !
-L \ ous sommes profondément reconnaissants à tous les prêtres qui vivent leur vocation dans une gran de fidélité. Nous sommes conscients que dans le collège presbytéral et dans nos séminaires vivent des confrères avec orientation hétérosexuelle et d'autres avec orienta tion homosexuelle. Nous avons à respecter chacun d'entre eux en sa qualité d'homme et de confrère. Nous avons décidé de vivre la chasteté indépendamment de notre orientation sexuelle. Dès lors, au cœur de nos réflexions sur l'accès au sacerdoce il n'y a pas la ques tion de l'orientation sexuelle, mais la disponibilité à suivre le Christ de manière cohérente. La prise de position que nous avons publié à ce sujet dans la Lettre pastorale d'octobre 2002 reflète en grande partie la position de la nouvelle instruction : « Il est de notre devoir d'évêques de discerner avec prudence qui aura reçu ce charisme du sacerdoce et qui, par conséquent, pourra être accepté ou non pour un ministère dans l'Église. Une pré disposition homosexuelle vécue dans la continence n'exclut pas du ministère ecclésial ; une continence vécue fidèlement peut même annoncer un charisme particulier tout comme le célibat librement choisi. Il faut toutefois peser pour chaque cas les dangers ou les lourdes tentations que les personnes homo sexuelles pourraient subir dans un ministère ecclésial. Par contre, les personnes homosexuelles ou engagées dans le céli bat qui décident explicitement de ne pas vivre la continence sexuelle, deviennent inaptes pour un ministère d'Église 1. » L'instruction retient, « que l'Église [...] ne peut pas admettre au séminaire et aux ordres sacrés ceux qui prati quent l'homosexualité, présentent des tendances homo sexuelles profondément enracinées ou soutiennent ce qu'on appelle la culture gay ». Celui qui décide délibérément d'une vie de célibataire en s'engageant pour l'Église, ne peut pas cultiver en toute sincérité un style de vie qui est opposé à cette décision ou prendre une position qui n'est pas compatible avec celle de l'Église. Si une ten dance homosexuelle ne permet pas à un homme de vivre dans la chasteté, alors une admission aux ordres
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sacrés n'est pas possible. L'intention première de cette position doit, d'un côté être à la hauteur de la mission de l'Église, de l'autre de chaque individu. Ce qui nous tient à cœur, c'est que chaque séminariste et chaque prêtre fasse l'expérience d'un accompagnement humain et spirituel qui l'aide à vivre avec conviction et en liberté son style de vie.» Fribourg, le 23 novembre 2005
Les évêques suisses
1) Evêques suisses, Lettre pastorale, « Position de la Conférence des évêques suisses concernant la bénédiction par l'Église de couples homosexuels et l'engagement par l'Église de personnes vivant en partenariat homosexuel », d'octobre 2002.
Grand Angle L'Église et rhomosexualité
Lecelrgédedemani seral-ti o depulsenpulshomosexuel; L'
auteur de cet article tient à préciser que : • premièrement, il est hétérosexuel pratiquant ; • deuxièmement, il a nombre d'amis homosexuels dont il reconnaît et respecte la différence ; • troisièmement, s'il déplore l'attitude actuelle de l'Église catholique en la matière, il a l'impression qu'une bonne partie des fidèles n'est pas plus prête à accepter la situation et à regarder les choses en face. La question ne devrait pas être posée, elle n'en est pas une, elle ne se pose pas, elle a quelque chose de monstrueux : l'orientation sexuelle n'a rien à voir avec la condition du prêtre et avec la théologie du sacerdoce. Et pourtant elle mérite d'être abordée, surtout à cause de l'attitude malsaine de l'Église en la matière, et un peu à cause de réactions de certains catholiques, même si ceux-ci semblent être de moins en moins nombreux à réagir négativement sur le sujet.
nous retrouver, à plus ou moins brève échéan ce, devant une situation assez paradoxale : Au train d'un où côté, vont les lesinstances choses, denous l'Église risquons catholique de ne semblent pas prêtes à épouser le mouvement actuel de reconnaissance de l'homosexualité qu'elles conti nuent à condamner ; de l'autre, c'est un fait de plus en plus notoire que le recrutement clérical actuel comporte une proportion d'homosexuels suffisamment importan te pour inquiéter, en privé, évêques, supérieurs de sémi naires et supérieurs religieux... Serait-ce pourtant un fait d'ouverture exceptionnelle de l'Église à une donnée importante de la mutation actuelle de notre société, la reconnaissance de l'homosexualité ? Dans ce cas, il y aurait tout lieu de s'en réjouir. L'Église manifesterait par là un souci d'actualité, qui n'est pas encore le sien par rapport à l'autre fait majeur de notre temps : la reconnaissance du statut de la femme et du fait de la sexualité en général. On pourrait ainsi espérer que le passage par une phase particulièrement homosexuelle du clergé irait ouvrir la porte à une ouverture non moins urgente dans les deux autres domaines, les femmes et la sexualité : l'Eglise catholique retrouverait alors une dimension importante de sa mission de salut : elle servirait la cause de libéra tion humaine en matière de sexualité, de féminité, d'ho mosexualité et d'hétérosexualité. Ce qui n'est guère le cas à l'heure actuelle. Mais on est en droit de penser ou d'espérer que l'évolution du recrutement du clergé pourra accélérer les choses. Il semblerait pourtant qu'une telle espérance risque d'être déçue à brève échéance ; l'accueil de séminaristes à tendance homosexuelle plus ou moins affirmée, répond moins à une ouverture d'esprit qu'à un besoin de recruter envers et contre tout, quand la pénurie de clergé se fait de plus en plus sentir. On dira à juste titre qu'il n'y a pas plus lieu d'écarter un candidat homo sexuel qu'un candidat hétérosexuel. Les mauvaises langues ajouteraient que dans la situation actuelle des choses un prêtre homosexuel ne risque pas de quitter le ministère pour se marier. Bref, l'Église subit cette évolu tion, elle ne l'a pas choisie et elle préfère ne pas en parler en public, ce qui revient à cultiver le mensonge... Golias magazine n° 106 janvier/février 2006 79
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Autrement dit, l'accueil des séminaristes à tendance homosexuelle semble plus lié à une urgence de recrute ment qu'à la question plus profonde de l'heure : l'urgen ce d'une ouverture à toutes les questions touchant d'une manière ou d'une autre à la sexualité, ouverture à laquelle nous nous refusons alors que nous devrions être à la pointe des recherches et des combats. La question, en ce qui concerne le clergé, n'est pas radi calement nouvelle : il a toujours comporté dans ses rangs une part non négligeable d'homosexuels, à une époque où cela demeurait tabou, secret ; c'était déjà une rançon de l'obligation du célibat sacerdotal. Le propre de la situation actuelle est la reconnaissance, la notorié té, le passage à l'acte aussi, ainsi que le besoin de recon naissance, diraient d'autres. On me posait dernièrement la question à propos de l'arrivée d'un nouveau vicaire dans une grande paroisse urbaine : « Est-il de la famille, lui aussi ? », la chose était déjà notoire pour le curé et un autre vicaire. Inutile de dire que j'ai rembarré l'interlo cuteur, mais la question prouvait que cela jasait déjà dans le quartier. Certains s'interrogent aujourd'hui à juste titre en fonc tion du recrutement de séminaristes différents de ceux d'hier qui rentraient le plus souvent à l'âge de la fin des études secondaires. Il en arrive aujourd'hui qui ont passé la trentaine, qui ont une assez longue expérience professionnelle, et qui sont, semble-t-il, arrivés à cet âge sans trop se poser la question du mariage et de la pro création : le fait de l'amour d'une femme et le désir ou le besoin d'une descendance ne s'étaient semble-t-il pas imposés à eux jusque-là. Leur tendance homosexuelle a éventuelle dérive homosexuelle du clergé, dans les confidences ou les plaintes d'évêques, de supérieurs ou pu les y disposer ou s'y manifester... Il y a quand même une question qui demeure, et qui de formateurs, dans les réactions de certains paroissiens, m'a précisément été posée par un homosexuel qui n'est pas cette situation objective actuelle, c'est qu'elle n'avait aucune envie de rentrer au séminaire : quelle ne nous ouvre pas à la véritable question sous-jacente : la reconnaissance par l'Église de tout le progrès et de reconnaissance sociale, ou familiale, les homosexuels toute la recherche actuelle touchant à la sexualité, au sta qui rentrent chez vous sur le tard attendent-ils donc ? Et tut des femmes et des homosexuel(le)s, comme des hétécela l'avait mis en colère. Le statut ecclésiastique leur rosexuel(le)s... On préfère continuer à se lamenter, à offrirait-il, en tout bien tout honneur, une reconnaissan tendre le dos, et à s'aveugler. Ce n'est ni très courageux ce, un statut social, qui n'est pas toujours évident pour eux encore aujourd'hui dans le reste de la société ? Ce ni très évangélique ! Notre Église a simplement encore un métro de retard par rapport à la société comme par soupçon ne retire bien entendu rien à leur vocation et à rapport aux sciences humaines. On peut comprendre leur générosité. que des évêques et des supérieurs fassent part en privé La question est posée par la statistique du recrutement de leurs interrogations sur ce qui peut leur paraître une actuel et il est difficile d'en parler pour des raisons très dérive ou un risque actuel. Il serait radicalement déplacé différentes. D'une part il y a l'hypersensibilité des de se demander si les nouveaux pasteurs seront homosexuel(le)s encore à l'heure actuelle, ce qui est par meilleurs ou pires que leurs prédécesseurs ; ce n'est faitement légitime de la part d'une minorité en quête de absolument pas cela qui est en cause.. On peut, en reconnaissance et souvent encore injustement brocardée. revanche, s'interroger sur la manière dont ils seront Mais, de l'autre, parce qu'il traîne encore dans notre reçus dans les paroisses et sur l'image de l'Église qui se société une assimilation, une confusion entre « pédophi ainsi chez nous, si elle ne s'accompagne pas lie » et « pédérastie », qui sont deux choses pourtant prépare d'une ouverture plus large et plus réaliste dans tous les radicalement différentes ; la pédophilie est autant le fait domaines qui touchent à la sexualité. Notre Église en d'homosexuels que d'hétérosexuels. La mentalité reste malheureusement au niveau de la déploration, du publique a certes fait des progrès en la matière, mais il y mensonge, de l'ignorance et du mépris. C'est ainsi qu'el en a encore beaucoup à faire en particulier chez les bien- le achève de trahir sa mission et de perdre la face devant pensants et les bons pratiquants. nos contemporains. Derrière tout cela ce qui me gène dans ce regard d'une Serge Torrep 80 janvier/février 2006 Golias magazine n° 106
est Amour », masque du pouvoir absolu
deux interrogations radi cales qu'en appétit d'une C'est auréponse cœur fulgurante, même deje ces me suis plongé dans la lecture avide, passionnée, de la première lettre encyclique du cardinal Ratzinger devenu le pape Benoît XVI. J'ai lu ce texte samedi 28 janvier 2006 sans relâcher mon attention d'une seule phrase — de 13 heures 45 à 16 heures 01. Il faut préciser en la moindre de mes lectures, y compris de mes propres œuvres, et, à plus forte raison par rapport à celle des documents du magistère d'Église romaine, ma méthode rigoureuse puisée dans les conseils de Gustave Flaubert : ne rien lire, ne rien écrire, que je ne fasse passer par mon « gueuloir ». Je ne lis pas seulement des yeux, je me parle à haute et intelligible voix d'orateur du Verbe en chair et en os, le texte lu pour, en termes de théâtre, vérifier si, oui ou non, il passe la rampe, la rampe du monde. C'est ainsi qu'il y a une foule d'auteurs que j'ai déclarés admissibles à l'écrit, mais qu'en toute honnêteté, j'ai dû coller à l'oral. Eh bien, je me vois dans l'obligation professionnelle, par honnêteté conceptuelle, d'accom plissement de mon métier de frère prêcheur, orateur d'éloquence du Verbe et du Verbe fait chair, d'affir mer que la première lettre ency clique du pape Benoît XVI intitulée Deus Caritas est, « Dieu est Amour », n'est pas parlable. Elle n'a rien de parlant. Je mets même au défi un seul prédicateur, un seul orateur, de la parler. Or, si elle est impossible à parler, comment serait-elle la Parole ? Et, du même coup, comment pourraitelle être la Parole de Dieu ? Car, pour être de Dieu lui-même, l'Infini parlant, la Parole divine n'en est pas moins la Parole. Je dirais même
qu'étant la Parole de Dieu, elle n'en est que plus et, à l'infini, la Parole. Si nous allons maintenant davanta ge aux racines ultimes du problème, la lettre encyclique « Dieu est Amour » non seulement ne parle à personne, mais elle n'est audible de personne. Je constate qu'un concert de voix officielles — et surtout l'of ficieuse d'un chroniqueur religieux tel que celui du quotidien Le Monde — ne disent pas la vérité en préten dant que le pape actuel est, sinon un penseur, du moins un intellec tuel. Ma lecture attentive de Deus Caritas est me conduit à m'inscrire en faux contre l'opinion d'Henri Tincq : « Résolument philosophique et spirituel, il [Benoît XVI] se situe à un haut niveau de principes, et de profon deur (Le Monde, jeudi 25 janvier 2006, « L'Amour sujet de la premiè re encyclique du pape »). » Ce n'est pas la première fois que je mets le doigt sur la plaie du monde d'Église et des milieux médiatiques : il y a belle lurette que la flagorne rie a remplacé la fidélité. Désolé, Henri Tincq, mais le niveau de « Dieu est Amour » est celui de la dis sertation, de l'exercice scolaire d'un professeur de philosophie de classe terminale d'un collège catholique. C'est de la scolarité ou plutôt de la scolastique légèrement remise au goût du jour d'une culture moyenne contemporaine. La première encyclique du pape Benoît XVI est aussi illisible que la constitution européenne. Toutes les deux ne sont que les grossiers para vents, « Dieu est Amour » du dieu pouvoir tout-puissant, l'Europe affairiste libérale, de l'Argent-roi par l'idéal sublime d'une libre concurrence non faussée. Mais, si je formule la vérité intégra le et non intégriste, au fur et à mesure que mes yeux suivaient sur
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oici des années, surtout
depuis Que j'ai atteint l'âge de Jean Paul II, prédécesseur du souverain pontife actuel, Qu'il m'est vitalement nécessaire de m'interroger sur les deux Questions fondamentales de toute vie humaine : si Dieu existe, oui est-il ? Pour les hommes et les femmes qui regardent le mot « Dieu » comme réservé aux gens de religion, je me demande en termes profanes : le monde a-t-il un sens, existe-t-il un sens de la vie , de l'histoire ? Et, dans le cas d'une réponse positive, quel est le donc le sens universel ? Deuxième Question : Que peut bien signifier l'amour dont tout le monde parle, amants, amoureux, philosophes, religions, Églises ?
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le papier le déroulement du cours d'enseignant, de professeur pontifi cal du magistère romain, et que ma voix essayait de lui donner une force de minimum d'éloquence, je me sentais gagné par le phénomène bien connu : l'engourdissement pro gressif, l'assoupissement irrépres sible, que provoque l'écrit dépour vu d'intérêt. Ma recherche devient plus actuelle sur l'énigme de tou jours : pourquoi et comment l'Église romaine trouve-t-elle le moyen d'ennuyer, d'embêter le monde avec cela même qui a de quoi le dilater, l'épanouir, le faire jubiler, l'enthousiasmer ? Car, qu'y a-t-il de plus enthousiasmant que le Dieu d'un amour si contagieux qu'il prend chair, s'affirme l'anti-pouvoir, se fait exécuter pour excès de langa ge, meurt en révolté mais rebondit plus loin que la mort afin d'extraire de tous les cachots et de tous les tombeaux les vivants et les morts ? Pendant ma lecture du « Dieu est Amour », à mon esprit se donnaient rendez-vous deux réactions expres sives du sentiment que j'éprouvais : la première, du Padre Balducci, un janvier/février 2006
merveilleux prêtre florentin, parti pour la vie éternelle. Il me disait — c'était du temps de Pie XII — que je m'attachais trop à distinguer dans une encyclique ce qui me parlait, des passages qui me laissaient froid ; alors qu'ici, en Italie, poursuivait-il « nous la mettons dans le tiroir et nous envoyons les félicitations ». La secon de réaction du curé provençal qui brandissait du haut de la chaire une série impressionnante de feuillets en tonitruant : « Vous savez ce que c'est çà, mes frères ? Une encyclique de notre saint père le pape. Et vous mérite riez que je vous la lise... Eh bien non ! je ne vous la lirai pas. »
S'aimer les uns
les autres démasQue le Dieu Amour tout court Il est temps d'aborder le contenu même de « Dieu est Amour ». Il plaît au pape de répéter litaniquement à grands renforts d'épîtres au pluriel de saint Jean que, même si l'on n'en voit rien du tout histori quement, Dieu est Amour, qu'il
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nous aime le premier, comme per sonne n'a été, n'est maintenant, ne sera jamais capable d'aimer, qu'il n'existe par conséquent qu'une faute universellement commise : ne pas répondre à son amour. J'attends donc logiquement l'originalité abso lue de Jésus-Christ, l'unique signe auquel on reconnaît ses disciples, celui qu'il appelle son commande ment nouveau, sans précédent. Après 16 heures 01, du samedi 28 janvier 2006, je m'y reprends à plusieurs fois, convaincu que mal gré mon attention fervente, la paro le faisant foi de l'innovation du Verbe Incarné Jésus, a dû m'échapper. Eh bien non, je dois me rendre à l'évidence, j'ai beau chercher, lire, relire l'encyclique, je n'y trouve pas, parce qu'elle n'y est pas, la parole qui donne son sens, son caractère tout neuf, à l'Heureuse Nouvelle du Verbe incarné, Jésus : « Je vous donne un commandement tout nouveau, Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, il faut vous aimer les uns les autres. Si vous avez, si vous manifestez de l'amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes
Chronique mes disciples. » Il ne suffit pas de dire, de redire, ce que ne fait même pas le pape Benoît XVI, le comman dement nouveau. Il importe de l'ap pliquer en le pensant d'une recherche théorico-pratique, de se demander actuellement le sens concret, la signification d'acte d'in telligence, d'affectivité, d'ampleur réalisatrice de cet amour mutuel, fraternel, universel, auquel on reconnaît les croyants partisans du Verbe incarné. Car il ne peut être question que d'un amour de frères dans le sens le plus large d'humani té, d'universalité chaleureuse au masculin et au féminin. De par mon expérience d'un très grand nombre d'années passées dans l'ordre dominicain et plus lar gement dans le milieu catholique, je suis témoin du fait qu'il y a impos sibilité actuelle de discerner le signe de re-connaissance des disciples croyants partisans de Jésus-Christ. En effet, c'est peu de dire que les affichés, les catégorisés, les étique tés chrétiens, ne s'aiment pas, ne sont pas fraternels entre eux, ceci dans l'indifférence aux non chré tiens. Il leur arrive de se détester religieusement, pieusement, d'intri guer les uns contre les autres, de faire preuve d'esprit anti-fraternel. Il s'y ajoute un autre aspect consti tutif lui aussi de la même réalité bafouée : le pape Benoît XVI traite longuement de la relation de l'âme et du corps, de l'esprit et de la chair, mais il ne lui vient pas à l'intelligen ce prophétique d'orateur inspiré, pour l'écrire dans son encyclique « Dieu est Amour » ce qui brouille toutes les pistes, fait exploser les catégories les mieux établies : le Verbe, la Parole Dieu s'est faite chair. Le Verbe s'incarne, devient chair. Les réalités totalement, tradi tionnellement séparées, en pleine spiritualité chrétienne, ne font plus qu'un seul Réel dans le Dieu Pur Esprit fait chair. C'est tout de même étrange que le pape du « Dieu est Amour » ne fasse pas la plus petite allusion à cet événement destructeur de l'idée séculaire des êtres tenus chacun de ne jamais quitter sa place dans la hiérarchie cosmique, Dieu, l'Esprit,
l'âme, le spirituel d'un côté, la chair, le temporel, le terrestre, le politique, de l'autre côté. Comme le pape ne s'aperçoit pas qu'il n'y a même plus le premier commandement de l'amour de Dieu d'une part, le second commandement d'amour du prochain, d'autre part.
Mais les deux n'en forment qu'un seul : l'unique commandement tout neuf, tout nouveau, contrordre de tous les ordres, de nous aimer en humanité, en création, les uns les autres d'amour d'amitié mutuelle, fraternelle, universelle sans aucune frontière ni d'espace ni de temps, ce qui implique plus même que la vic toire sur la mort, l'offensive contre la vie mortelle. Autrement dit, la sortie massive de tous les cachots et de tous les tombeaux, la résurrec tion à mordant insurrectionnel des vivants et des morts. Nous comprenons alors que c'est du même mouvement qu'une ency clique inaugurée par les mots « Dieu est Amour » ne mentionne jamais, ne serait-ce qu'à titre de cita tion « le Verbe Dieu s'est fait chair » et ne prononce qu'une fois, sans développer son contenu d'acte, la Résurrection. Benoît XVI obéit à la même logique d'atténuation du Fait de Dieu Auteur-Acteur de sa Création en y prenant chair jusqu'à y être avec elle perpétuellement
suspect, donc crucifié, cloué au bois, comme criminel coupable de lèsemajesté du pouvoir, incarnation sur le tout-marché mondialisant, des forces tyranniques anti-créatrices, anti-libératrices. Je découvre peu à peu la cause de l'équivoque vertigineuse, de l'ambi guïté monumentale dans lesquelles baigne la lettre encyclique Dews Caritas est. Ses trois premiers mots annoncent la couleur ou plutôt l'incolore. Il n'existe rien qui soit plus éloigné, plus séparé que le substantif « Amour » du Verbe acte de s'aimer les uns les autres. D'un seul mouve ment, du même élan ininterrompu le Verbe, la Parole, se fait chair et trouve son expression radicale, s'in carne dans l'humanité où au rythme de l'acte créateur universel, des mil lions d' hommes, de femmes, d'en fants, s'aiment les uns les autres d'une chaleureuse amitié d'estime et d'admiration contagieuse. L'amour est statique, le Dieu amour est immuable. Le Dieu qui aime au point d'exiger uniquement que tous s'aiment, suscite et res-suscite l'énergie universellement soulevan te des vivants et des morts. L'amour sentiment et substantif n'engage à rien. L'acte d'aimer du Verbe réalisateur engage à tout. De l'omission par Benoît XVI du commandement nouveau d'amour fraternel sans frontières et de la Parole faite chair, découle comme un effet inéluctable de sa cause suprême directoriale, dictatoriale, la logique d'une conservation dans l'être, de l'univers hostile au péché, toujours de rébellion, de libération, de révolution. À ce moment précis de mes décou vertes de tous les présupposés du « Dieu est Amour », je songe à une petite phrase non innocente de l'amiral Auphan sous le régime maréchaliste de Vichy. L'amiral écri vait : « Le premier résistant a été Adam, puisqu'il a résisté à Tordre de son créateur. » Le pape s'établit d'autant plus dans l'omission de ce que le commande ment nouveau et le Verbe fait chair ont de mutuel, d'extraordinaire
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L'AVENTURE CHRÉTIENNE réciprocité — Créateur-Création — qu'ils procèdent au découpage de l'Amour en deux dimensions. Çà, la réalité bi-dimensionnelle, je l'ai entendue sous tous les aspects de mon formatage scolastique domi nicain : la dimension verticale du rapport premier d'autorité divine appelant l'obéissance humaine reli gieuse et la dimension horizontale soumise à la première, de la charité entre les hommes. Et voici que reste, demeure pour revenir sans cesse, le rappel par le souverain pontife romain, des deux amours : l'amour divin descendant et l'amour humain ascendant. Je retrouve là ce que j'avais appelé dans Fidèle rebelle, la théologie de ma tante Ninon qui soutenait qu'un seul amour réalisait la perfection de l'amour total, radi calement désintéressé : l'amour maternel. Comment le petit, la petite d'homme et de femme pourrait-il manifester un amour re-connaissant à la hauteur du chef-d'œuvre d'art d'aimer qu'ils ont reçu du don total de leur maman ? Le pape Benoît XVI emboîte le pas à ma tante Ninon quand il écrit que Dieu nous aime d'un amour descen dant. J'explicite sa pensée : Dieu descend et condescend. Il se penche tellement de toute sa sollicitude aimante sur sa créature qu'il l'aplatit de tout son poids d'amour totalitaire qu'aucune place d'initiative de vraie tendresse filiale personnelle n'est laissée à celui que le XVIIe siècle appelait l'objet aimé. Oui, bien qu'aimé, il n'en reste pas moins objet. D'autant plus définitivement à jamais objet qu'il est aimé comme tel. Si totalement parfaitement chose aimée, du seul véritable amant aimant, chef du grand trust de l'Amour qu'il n'a plus lui-même la moindre possibilité, la liberté d'être quelqu'un qui aime. Nous voilà en pleine théologie de ma tante Ninon, qui disait superbement : « L'amour descend, il ne remonte jamais. » La montée, l'ascension d'humanité sera toujours dérisoire, chétive, insignifiante auprès du sublime de la descente divine. Comme la tendresse maximale de l'enfant n'est rien et ne sera jamais rien dans sa vaine puérile compéti janvier/février 2006
tion d'amour avec l'emprise totali taire du sein maternel triomphant à son sommet, la sainte mère « génitrix ecclesia ». Ce n'est pas l'effet du hasard si je viens de parler au sens d'une écritu re parlante, du plus totalitaire de tous les amours. Car, pour peu que vous demeuriez héroïquement, stoï quement, éveillés comme je l'ai été à la lecture du tout puisant sopori fique « Dieu est Amour », vous y découvrirez la trouvaille inattendue qui fut la mienne. Vous démarrez, vous partez donc confiant mais attentif sous la direc tion paternelle de la première ligne de l'encyclique, vous franchissez les bornes de la première partie labo rieuse, didactique qui rappelle les diverses acceptions en grec du mot « amour » — l'éros, la phïlia, omise par le pape en cours de route, et l'agapé. Si vous n'avez pas déjà sombré dans le sommeil plus ou moins dogmatique, vous remarquerez l'er reur pontificale sur le sens du mot « éros » qui exprimerait pour l'an tique philosophie grecque l'amour de l'homme et de la femme. Il suffit de lire Le Banquet de Platon, pour voir que l'éros même sublimé en phïlia, c'est l'amour de l'homme et de l'homme. Cette insuffisance romaine d'attention au sens de l'éros, nous explique le bafouillage actuel du Saint-Siège sur la ques tion de l'homosexualité en général et de ses prêtres en particulier. Mais passons sur cet accident de parcours pour découvrir la fantas tique énormité qui explique l'ulti me racine d'une trahison inimagi nable par l'église impériale romai ne, du commandement nouveau de Jésus-Christ. Je recommençais à dodeliner du chef sous l'effet d'assoupissements de l'abordage du document pontifical en sa seconde partie non plus spécu lative mais caritative (l'horrible mot, l'amour devenu inconsistante chari té pour n'être plus qu'épithète, adjectif, mais de quoi ou de qui, mon Dieu ou que diable !) quand soudain mon attention s'est réveillée pour ne plus s'endormir.
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Comme le pape Benoît XVI avait opéré un passage trop rapide du corps au sexe, du charnel au sexuel, il passait encore plus vite de la cha rité, de l'amour selon Dieu à la nécessité de l'organiser, d'y mettre bon ordre. Lisez plutôt : « L'Église aussi en tant que communauté, doit pratiquer l'amour. En conséquence, l'amour a aussi besoin d'organisation comme présupposé pour un service communautaire ordonné. » Ainsi, le besoin d'organisation est à la fois la conséquence et le pré-supposé de la première ligne-titre de l'encyclique Deus Caritas est. Dieu est Amour mais dans l'Ordre, tonnerre de Dieu que Diable ! Il faut donc l'ordonner d'abord, cet amour, ce qui permet d'éluder la question désormais secondaire du fait majuscule qu'il s'incarne, qu'il prend chair ! Dieu est Amour, çà va de soi, c'est enten du. Mais, sans la moindre initiative, sans aucune surprise ni plus petite création de notre part puisque nous sommes créatures de rien. Car Dieu seul s'y connaît en Amour, il en a l'exclusive. Il a pris soin de le faire tout seul, sans partenaire. Il y a une éternité avant même le commence ment de toutes choses ; de sorte qu'il en a le secret d'état divin, la raison d'état divine, le monopole absolu, tout droit de reproduction interdit sauf pour re-produire, non pas des co-créateurs à son image et ressemblance créatrice mais des sujets produits, re-produits de sa manière ineffable, transcendant d'aimer. L'Amour, c'est moi, dit Dieu. Comme mon plus visible imitateur en tant que pouvoir absolu, le Roi Soleil disait : « L'État, c'est moi. » Après çà, on ne peut plus rien dire. Puisqu'une fois pour toutes, « Dieu est Amour », et nous a aimés le pre mier, afin de garder de conserver à jamais la primauté, la suprématie. Impossible donc de le faire nou veau, l'Amour puisque Dieu l'a fait au départ comme le Bien, ne lais sant à l'homme d'autre possibilité que le mal tel qu'avec une parfaite rigueur logique et dialectique l'affir me Goetz dans Le diable et le bon Dieu de Jean-Paul Sartre : « Goetz Je prendrai la ville. Catherine - Mais
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Je sens que j'approche de la quintes sence de l'inhumain, du crime infernalo-divin contre l'humanité. Il s'agit toujours, dans la pensée du
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pourquoi ? Goetz - Parce que c'est mal. Catherine - Et pourquoi faire le mal ? Goetz - Parce que le bien est déjà fait. Catherine - Qui Ta fait ? Goetz - Dieu le Père. Moi, j'invente. » Cette fois, je ne résiste pas seulement à la tentation du sommeil que l'on obtient en absorbant comme somni fère garanti « Dieu est Amour ». Je ne fais pas que redoubler d'atten tion. Je sens venir dans toute sa Majesté le faux Dieu. C'est, selon la trouvaille de mon ami Manuel de Dieguez, « l'idole monothéiste », la pire caricature mais si ressemblante, de l'Infini Dieu.
Derrière « Dieu est Amour », le grand patron,
le cosmocrate Elle est là, l'idole monothéiste, elle vient à pas de loup, pour récupérer, croquer, l'agneau victimal sur l'au tel de sa tanière sacrificielle de Grand Loup. Écoutez donc son pro gramme sous la plume du pape Benoît XVI : « Plus une personne œuvre pour les autres, plus elle com prendra et fera sienne la parole de Christ : "Nous sommes des serviteurs quelconques". (Luc 17-10) » Incroyable ! Abstraire de tout le
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l'instrument pas même verbal. L'instrument vocal. Une pelle, une pioche, qui, contre toute vraisem blance, est dotée d'une voix ! Dès lors, en bonne logique, et infernale dialectique, ce qu'est un esclave par rapport au pire de ses maîtres, nous le serions tous vis-à-vis de l'Esclavagiste en chef dans son hor reur transcendantale : Dieu !
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contexte évangélique la mise par écrit de l'une des paroles du Christ Jésus se prêtant le plus à l'ambiguï té ! Mais poursuivons la lecture : « En effet, elle reconnaît qu'elle agit, non pas en fonction d'une supériorité ou d'une plus grande efficacité person nelle mais parce que le Seigneur lui en fait don. Parfois, le surcroît des besoins et les limites de sa propre action pour ront l'exposer à la tentation du décou ragement. Mais c'est alors justement que l'aidera le fait de savoir qu'elle n'est en définitive qu'un instrument entre les mains du Seigneur. » Çà y est ! le mot est lâché, L'instrument ! Je n'aurais jamais cru que déjà tant d'années après le concile de Vatican II qui avait fait naître l'espérance d'une Église enfin capable de se regarder dans le miroir de l'Évangile selon l'expres sion de Jean XXIII, un pape revien drait au plus vieilles conceptions du pire Dieu instrumentalisateur, manipulateur de la Création. Nous serions les instruments, les exécu tants, les marionnettes, les auto mates dont le « Dieu est Amour » tirerait les ficelles en vertu de son bon plaisir de droit divin. Il n'en faut pas plus pour que surgisse en plein cœur de ma mémoire, la défi nition romaine de l'esclave par Cicéron : « lnstrumentum vocale »,
pape, de la personne qui travaille pour les autres : « Elle se libérera ainsi de la prétention de devoir réaliser, personnellement et seule, l'amélioration nécessaire du monde. » À cet instant de ma lecture, le voile de ce qui me restait d'illusions se déchire : repré sentatif d'un courant numérique ment majoritaire d'Église passive et même des religions soumises, le pape Benoît XVI voit le plus gros danger dans la prétention de vou loir réaliser d'une façon qu'il croit être en mesure d'interpréter comme solitaire et personnelle, « l'améliora tion nécessaire du monde » ; alors qu'à l'opposé d'évidence hurlante, depuis la nuit des temps, résumé par le XXe siècle, l'unique péril est celui de la médiocrisation, de la putanisation, de la criminalisation, de la bestialisation mondiale. J'arrive tout près de la perle des perles. En compagnie du pape, nous en restons toujours à la fameuse personne qu'obsède l'amélioration nécessaire du monde mais qui va être ramenée au primat de l'obéis sance que souligne deux fois dans la même phrase pontificale l'adverbe « humblement » : « Humblement, elle fera ce qui lui est possible de faire et humblement, elle confiera le reste au Seigneur. » Et soudain, je ne suis pas qu'indigné, scandalisé, mais tous mes cheveux blancs se dressent sur ma tête qui reçoit le plus violent des coups que l'on puisse asséner : la
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L'AVENTURE CHRÉTIENNE phrase-clé sur laquelle débouchent toutes les considérations antérieures du pape Benoît XVI dans l'ency clique inaugurale de son pontificat « Dieu est Amour ». Ce petit mot discret mais d'une puissance syn thétique à rassurer le cercle des diri geants de notre planète avec tous leurs crimes d'État, le voici : « C'est Dieu qui gouverne le monde et non pas nous. » C'était donc çà ! Le pape commence par « Dieu est Amour » pour mieux nous faire avaler, gober, qu'avant d'être celui qui nous aime, Dieu est notre souverain, notre chef , le PDG de la libre entreprise universelle ! La preuve qu'il nous aime, c'est la fait universel qu'il nous gouverne. Pourtant, je suis sûr de n'avoir pas rêvé, cauchemardé. J'étais bien en train de lire que « Dieu est Amour ». D'où vient que je me retrouve avec dans les mains le manuel du gradé d'infanterie dont les premières lignes sont d'une netteté, d'une clar té à rendre jalouse toute la prose papale : « La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subor donnés une obéissance parfaite et de tous les instants. » Presqu'aussi bref mais de même inspiration que « c'est Dieu qui gouverne le monde et non pas nous ». J'allais oublier pour confirmer cette thèse militaro-ecclésiastique le pire du génie de saint Augustin que cite Benoît XVI : « Si comprehendis, non es Deus. » « Si tu comprends, ce n'est pas Dieu. » Autrement dit, Dieu est d'autant plus Dieu que toi, homme et surtout toi femme (!), tu n'y com prends absolument rien. Une fois de plus, je retrouve l'armée, le trône et l'autel, le sabre et le goupillon, avec leurs maître-mots à déchaîner le fou-rire universel qui hélas a beau coup trop de retard : « Chercher à comprendre c'est déjà commencer à désobéir. » Il faudrait être un taré définitif pour ne pas voir dans cette formule l'ex plication de l'anathème jeté par l'É glise romaine sur les théologies de la Libération ce qui implique qu'il n'y aurait de vraie théologie que de la domination et de la conservation janvier/février 2006
exigeant la parfaite soumission d'esclave né. Il est significatif, révélateur qu'au moment où il cite la charte fonda mentale d'Israël, le « Shema », Benoît XVI en le réduisant à : « fe suis l'Unique... », l'ampute de sa force libératrice. Car l'Infini Dieu ne dit jamais : « C'est moi qui ai créé le ciel et la terre » mais « Écoute, Israël, c'est Moi qui t'ai arrachée à la terre de servitude... Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi. » Donc, tu n'auras pas d'autre Dieu que l'exigence d'une sortie massive du peuple des esclaves de leur servitude. À l'opposé de l'Infini, du passage, de la Pâque, de l'asservissement structurel à la libération, de la mort à la vie, le Dieu Amour non mutuel n'est autre que le gant de velours qui cache la main de fer, la poigne de l'éternel tout-puissant mis en forme économique et financière par le tout-marché. C'est le principe du patron, le prin cipe du chef, le Fuhrer Prinzip auquel les catholiques papistes puis papolâtres étaient préparés par le pape Prinzip, lui-même expression visible du culte de l'idole mono théiste, le Gott Prinzip. En d'autres termes, nous voici face à l'ennemi multiformes, l'Autocrate de Théocratie absolue dont les agents sont ceux Jean Ziegler, dans L'Empire de la Honte nomme les « cosmocrates ». Il y a un temps fou que le comman dement nouveau d'amour mutuel fraternel a été remplacé par le diktat de l'amour tout court. Avec la pre mière encyclique du pape de la res tauration, l'église romaine s'enfonce dans le diktat.
Alors, pour ne jamais désespérer... L'absence radicale de force attracti ve du Dieu qui n'est qu'Amour tout court vient de ce qu'il n'a ni chair ni cœur ni... humour. Devant la mena ce croissante d'un déluge cosmique et cosmocratique provoqué par le front de l'ennui, de la titanesque puissance d'emmerdement, je sug
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gère la mise en scène et au monde du gag contagieux que voici car il peut servir de tremplin au bondissement d'une foule d'autres scéna rios de même inspiration. Paris, gare de Lyon. Je prends mon billet pour Montpellier. Personne n'étant derrière moi, je demande à l'homme au guichet : Monsieur, puis-je vous poser une question ? — O u i , b i e n s û r, m e d i t - i l . — Connaissez-vous le commandement nouveau ? Il répond : Non. — J'articule lentement : Aimez-vous les uns les autres. — Ah çà patexemple ! me dit mon interlocuteur d'un moment à re-créer ami, frère définitif. Disposant d'un temps limité, je vais directement au pri mordial : vous ne trouvez pas curieux que quelqu'un ait comman dé de s'aimer les uns les autres puisque nous savons bien, vous et moi, que l'amour çà ne se comman de pas ? — Oui, c'est bizarre, remarque mon ami encore inconnu. Expliquez-moi. Je me lance : Eh bien, celui qui a commandé çà, de s'ai mer, de se lier d'amour d'amitié les uns aux autres, ne commande à per sonne. Il n'est jamais en position de pouvoir. Et, de plus, il n'est com mandé par personne, pour la raison enfantine que son unique Principe, son unique Conviction qu'il appelle son Père, ne lui est pas supérieur et vit avec lui d'égal à égal dans leur souffle commun. Alors, parce qu'il ne commande à personne et n'est commandé par personne, cet homme-là peut se payer le luxe de ne commander que ce qui ne se commande pas. — Merci, Monsieur, çà, je ne l'oublierai jamais », me dit l'homme devenu en un rien de temps, mon prochain. L'Homme-Dieu au commandement tout nouveau, contrordre d'absolu ment tous les ordres : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, çà vous a quand même une autre allure que le vulgaire toutpuissant, fut-il d'amour tout court, blasphématoirement nommé Dieu. Jean Cardonnel
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fidèl riences qui démontrent le contraire, les hommes de notre temps, comme E n d é p i leurs t de m prédécesseurs, aintes expé n'imaginent pas qu'une tragédie puisse survenir autrement que comme la conséquence d'une ou plusieurs fautes délibérées dont la gravité soit à la mesure des dom mages constatés. C'est en vertu d'un tel mode de raisonnement que pour avoir « vendu », dit-on, Jésus de Nazareth, dont il était l'ami, Judas Iscariote, depuis deux mille ans, a été l'objet d'une exécration générale et permanente. Modèle universel d'infamie, son prénom est couram ment utilisé, dans plusieurs langues, pour désigner tous les auteurs de trahisons. Comme, au surplus, il s'est ensuite « suicidé », la plupart des chrétiens le considèrent, depuis deux mille ans, comme le coupable absolu. Procès jugé, mais non plaidé. Quelques voix éparses, il est vrai, se sont élevées en sa faveur. Les plus anciennes, inspirées par la compas sion pour un homme qu'elles conti nuaient de considérer comme un grand criminel, souhaitaient que celui-ci fût néanmoins traité avec miséricorde dans l'au-delà et priaient en ce sens. D'autres, plus récentes (Pagnol, Zeffirelli, Cardonnel...), sont allées à contrecourant général et ont tenté de réha biliter Judas en le présentant comme un homme qui, loin de vou loir trahir, aurait jugé, comme Marie naguère à Cana, que l'heure de la manifestation plénière de Jésus comme Messie était venue et aurait provoqué délibérément la situation qui devait assurer cette révélation. Un tel propos, qui dénie implicite ment toute validité à l'affirmation contenue dans les évangiles, selon qui Judas a agi selon les impulsions
du « diable » ou de « Satan », n'est pas le mien. Je considère, cepen dant, que du point de vue de l'Évangile même, le fait qu'un sujet agisse « comme un Satan » n'im plique pas forcément qu'il soit un homme de mauvaise foi, au sens courant qu'on donne à ce terme. C'est ainsi, par exemple, que Simon Pierre s'est entendu dire : « passe derrière moi, Satan » quelques ins tants à peine après qu'il ait été déclaré pierre angulaire de l'Église à venir pour avoir salué Jésus comme « le messie, le fils du Dieu vivant », pour le simple fait d'avoir reproché au même Jésus d'avoir annoncé qu'il devrait souffrir et mourir. Simon Pierre, cependant, était aussi indubitablement sincère quand il s'exprimait selon l'esprit commun du monde qu'au moment où il par lait sous la motion du Saint Esprit. L'affirmation précitée concernant Judas n'exclut donc pas que celui-ci ait pu trahir sans le vouloir et, même, sans le savoir. Dans le cas de Judas, précisément, on ne peut oublier que celui-ci, s'il a « livré » Jésus, a aussi été le seul, parmi les Douze apôtres, à rendre publiquement témoignage à ce der nier pendant le temps de la Passion. Pierre, qui l'a suivi jusqu'à la demeure du grand-prêtre, a renié son maître et ami par trois fois ; dix autres se sont enfuis au moment de l'arrestation, dont neuf sont restés invisibles tout le temps du juge ment et de l'exécution ; le dixième, Jean, qui est venu au pied de la Croix, est resté témoin muet. Judas seul a osé se présenter devant le Sanhédrin, devant lequel il a procla mé haut et fort l'innocence de celui que cette instance venait de condamner pour blasphème. C'est donc de façon manifestement abusive que Judas a été réduit à l'image du
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ous ne savons
pas dans au elles circonstances Judas a rencontré Jésus de Nazareth. Les seuls faits le concernant en particulier Que nous connaissions, sont Qu'il a été chargé de la bourse commune du groupe formé par Jésus et ses douze disciples les plus proches, et Qu'il a publiQuement fait observer un soir, à Béthanie Qu'un certain parfum de grand prix eût été mieux employé à se procurer de Quoi secourir les pauvres Qu'à être versé sur les pieds de son maître.
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traître. S'il a « livré » Jésus, il a été aussi son témoin, et même son seul témoin dans l'épreuve. C'est là, me semble-t-il, une raison plus que suf fisante de reconsidérer son cas et d'essayer de le comprendre dans sa complexité d'homme.
Judas avant la Passion Nous ne savons pas dans quelles circonstances il a rencontré Jésus de Nazareth. Les seuls faits le concer nant en particulier que nous connaissions, sont qu'il a été chargé de la bourse commune du groupe formé par Jésus et ses douze dis ciples les plus proches, et qu'il a publiquement fait observer un soir, à Béthanie qu'un certain parfum de grand prix eût été mieux employé à se procurer de quoi secourir les pauvres qu'à être versé sur les pieds de son maître.
Un voleur ? L'évangile de Jean, il est vrai, com mente cette dernière intervention en indiquant que Judas, qu'il qualifie expressément de « voleur », se moquait bien des pauvres et que ses remontrances manifestaient en réa lité son dépit de voir lui échapper une ressource importante qui serait forcément passée par ses mains en sa qualité de trésorier du groupe et dont il aurait pu détourner une par tie à son profit. Il faut prendre garde, ici, qu'un tel commentaire pourrait bien ne pas être réellement un témoignage, et exprimer une opinion formée après coup à partir du rôle discutable joué par Judas pendant la Passion. L'évocation de détournements opérés par lui, notamment, pourrait être non le compte-rendu de constatations effectivement faites par le narrateur au cours de sa vie commune avec Judas, mais le fruit de la reconstruc tion après coup de l'image de celuici en fonction des griefs encourus par lui à la fin du compagnonnage. Tout nous commande, en d'autres termes, de vérifier que le passage janvier/février 2006
qui nous donne à entendre que Judas était un voleur et un menteur qui serait tout naturellement deve nu un traître, n'est pas tout simple ment l'expression d'une aversion motivée par le fait indiscutable de la livraison de Jésus par Judas et auto matiquement reportée par l'auteur (qui peut ne pas être Jean lui-même, mais un copiste ultérieur) sur tous les actes antérieurs de l'intéressé. Dans son récit de la dernière Cène, précisément, Jean nous rapporte qu'après que Jésus ait annoncé à ses compagnons que l'un d'eux allait le livrer, tous ont commencé par se regarder les uns les autres, se demandant de qui il pouvait bien parler et que Pierre, pour sortir d'embarras, avait fait signe à Jean pour que celui-ci pose directement à Jésus la question : « qui est-ce ? » C'est déjà là, pour peu qu'on y réfléchisse, une raison très sérieuse de penser que Judas, à ce moment, n'était considéré comme un voleur par aucun des présents. Selon l'ex périence courante, en effet, les soupçons des membres d'un grou pe, dans le cas où un événement interne d'origine encore indétermi née affecte la solidarité de celui-ci, se portent automatiquement sur celui ou ceux d'entre eux dont la conduite, pour quelque raison que ce soit, a été sujette à caution dans le passé. C'est donc vers Judas que, dès l'annonce faite par Jésus de sa
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livraison prochaine, auraient dû se tourner tous les regards s'il était déjà connu comme voleur. C'est si peu le cas, en fait, que le même Jean nous indique, un peu plus loin, que ceux des disciples qui n'ont pas entendu la réponse de Jésus qui désignait Judas s'imaginent, quand ce dernier s'en va, qu'il sort pour procéder à quelques acquisitions d'intérêt commun. Ceci, à l'éviden ce, confirme qu'aucun soupçon par ticulier ne pesait sur lui à ce moment de la part de ses compa gnons. Une autre raison de mettre en doute l'image d'un Judas voleur est que, pour pouvoir dire avec cer titude qu'il y a eu détournement, il est indispensable de connaître avec exactitude le montant des fonds entrés en caisse, celui des emplois « légitimes » qui en ont été faits au cours d'une période donnée et celui du reliquat conservé en caisse à l'is sue de cette période. On voit mal, à vrai dire, comment une communau té errante aurait pu ou même songé à instituer un contrôle sur les opéra tions de son trésorier et, par consé quent, comment l'un des apôtres aurait pu disposer de l'information nécessaire pour conclure à l'existen ce de détournements opérés au détriment de la bourse commune. À supposer Judas coupable, au sur plus, on a quelque difficulté à ima giner comment il aurait pu profiter de ces détournements avec le mode
Sources de vie qui était le sien. Comment, en effet, un homme sans cesse en mou vement à la suite de Jésus sur tout le territoire de la Palestine aurait-il pu « accumuler » ? Comment un homme vivant en communauté, c'est-à-dire sous le regard des autres, aurait-il pu utiliser au jour le jour le produit de ses détourne ments sans éveiller l'attention de ceux avec qui il vivait en permanen ce et, dans ce cas, pour quelles rai sons ceux-ci, dont on sait quelles rivalités existaient entre eux, se seraient-ils abstenus de dénoncer son infidélité à Jésus ? Un examen attentif de l'épisode du parfum de prix versé sur les pieds de Jésus par Marie de Béthanie, au surplus, confirme pleinement le caractère d'interpolation du com mentaire péjoratif des propos tenus à cette occasion par Judas. Ces pro pos, en eux-mêmes, n'ont rien d'ex travagant. Beaucoup d'hommes et de femmes en tiennent couramment de semblables sans qu'on les quali fie pour autant d'hypocrites. Jésus lui-même, dans sa réponse, n'écarte pas la critique dans son principe, mais seulement à raison du caractè re très exceptionnel du moment, qui est celui de sa mort prochaine : « Laisse la faire, dit-il à Judas ! Elle observe cet usage en vue de mon ensevelissement. Vous aurez tou jours des pauvres parmi vous, mais moi vous ne m'aurez pas toujours ». Si Judas n'était pas devenu « le traître », une telle conversation eût à coup sûr été considérée comme le signe qu'il existait un rapport privi légié entre lui-même et Jésus. Non seulement il n'est pas sermonné pour ce qu'il vient de dire, comme d'autres, mais sa volonté de secou rir les pauvres est portée implicite ment à son crédit par l'indication qu'il aura bien d'autres occasions de la réaliser. En donnant au propos de Judas un caractère de duplicité qu'aucun des témoins directs de l'événement n'avait certainement ressenti au moment où il a été tenu, le commentaire écrit bien des années après la « trahison » a très probablement été interpolé par une personne qui a voulu écarter toute possibilité d'envisager les rapports
de Jésus et de Judas sous l'angle de la familiarité réciproque.
Un « diable » ? On peut d'ailleurs faire une observa tion du même ordre à propos d'une autre indication formellement défa vorable à Judas qui figure également dans l'évangile de Jean, où elle appa raît comme par hasard dans une cir constance qui, elle aussi, était de nature à être favorable au « traître ». Choqués par le discours sur le « pain de vie », la plupart de ceux qui, jusque là, avaient suivi Jésus l'aban donnent ; n'est resté qu'un dernier carré de fidèles, constitué par les Douze et qui comprend par consé quent Judas. La présence de ce dernier, à l'évi dence, cadre très mal avec l'image du voleur car l'amoindrissement du nombre des disciples impliquait inévitablement un amoindrissement des ressources communes, de telle sorte que Judas, s'il avait suivi Jésus par intérêt, aurait dû logiquement s'éloigner. Puisqu'il est resté, il n'y a aucune raison de considérer que ses motivations n'étaient pas les mêmes que celles des autres qui, à la ques tion de Jésus : « allez vous vous aussi m'abandonner ? », ont répon du par la voix de Pierre « Seigneur, où irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ! ». C'est justement à ce moment que l'auteur du récit fait tenir à Jésus le propos suivant, qui est pour le moins curieux : « N'est-ce pas moi qui vous ai choisis tous les douze ? et cependant l'un de vous est un diable ! », à quoi le narrateur ajoute, pour que nul n'en ignore, qu'était désigné ainsi Judas, fils de Simon l'Iscariote « celui qui allait livrer Jésus ». Le propos prêté à Jésus dans cette circonstance détone déjà fortement par rapport au langage ordinaire de ce dernier qui, dans les cas où il lui est arrivé d'avoir des mots durs à l'égard de tel ou tel (Pierre, les pha risiens et les marchands du Temple l'ont éprouvé à leurs dépens), les a toujours fait suivre d'explications destinées à révéler à l'intéressé la
nocivité d'une manière d'être, de penser ou de faire que, jusque là, il croyait de bonne foi sans reproche. Ici, au contraire, on est en présence d'une dénonciation à la cantonade, dont on voit mal quel pourrait être le résultat positif recherché. L'étrange, au surplus, est que ces mêmes Douze, qui manifesteront un peu plus tard une émotion bien compréhensible à l'annonce que l'un d'entre eux allait livrer Jésus, semblent être restés totalement indifférents à celle, pour le moins équivalente, que l'un d'entre eux serait « un diable ». Ni Pierre ni Jean, cette fois, n'ont jugé opportun de questionner Jésus pour apprendre de sa bouche lequel était ce diable. Une autre étrangeté est la contradiction manifeste de la dési gnation prétendument faite par Jésus lui-même et l'indication don née dans un passage ultérieur du texte où, nous dit-on : « Satan entra dans Judas ». Quel besoin Satan pourrait-il bien avoir d'entrer à ce moment en quelqu'un dont la per sonne la plus autorisée qui soit aurait dit antérieurement qu'il était « un diable » ?
Le vrai Judas Au moment où il va jouer le rôle que l'on sait et qu'il faut maintenant examiner en détail, Judas apparaît, en définitive, comme un disciple semblable à tous les autres. Jésus l'a appelé et il a tout quitté pour suivre cet homme qui allait de ville en ville ou de ville en désert, et qui ne possédait rien. Il a été, aussi, un homme d'un dévouement particu lier, qui a accepté de servir la com munauté constituée par Jésus et ses disciples les plus proches en accom plissant quotidiennement les tâches nécessaires à la subsistance de tous. Comme chacun des Douze, il a constamment fait confiance à des paroles qu'il ne comprenait pas tou jours, parce que c'étaient celles d'un homme en qui il avait reconnu le Messie attendu par le peuple d'Israël. Comme Pierre et les autres, cependant, il était aussi un homme ordinaire, imprégné de l'esprit du
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L'AVENTURE CHRETIENNE ordinaire, imprégné de l'esprit du monde, continuant de raisonner selon le sens commun et par consé quent capable à tout moment, comme l'écrira plus tard Paul à pro pos de lui-même, de ne pas faire le bien qu'il voulait et de faire au contraire le mal qu'il ne voulait pas. Comme dans le cas de Pierre, mais dans l'ordre inverse, cette double ouverture à la parole de Dieu et à l'esprit du monde l'a conduit à agir successivement, dans la phase finale de la vie de Jésus, d'abord « en Satan », c'est-à-dire conformément aux calculs ordinaires du monde, puis selon l'esprit du Royaume.
La « trahison » de Judas et ses mobiles Ramené aux seuls faits qui lui soient indiscutablement imputables, le rôle de Judas dans la Passion apparaît très modeste. Il est entré en relation avec les membres du Sanhédrin juif et a accepté, contre une somme plus que modeste (tren te deniers, c'est tout juste le dixième de la valeur du parfum utilisé lors de l'onction de Béthanie), de guider les gardes dépêchés par cette insti tution jusqu'à un endroit où ils seraient assurés de trouver Jésus à l'écart de la foule et pourraient pro céder à son arrestation sans provo quer de scandale. Sans doute, compte tenu de ce qui est advenu ensuite, peut-on dire qu'il a « livré » Jésus à ceux qui l'ont fait mettre à mort. Sa protesta tion finale accompagnée de la resti tution de la somme reçue, cepen dant, démontre à l'évidence qu'il ne s'attendait pas du tout à ce que son geste eût le résultat qui a été effecti vement obtenu. Judas, en d'autres termes, n'a eu à aucun moment la volonté de « trahir » Jésus, et il n'a « livré » celui-ci que parce qu'il a mal apprécié le risque que, dans la situation du moment, son geste représentait pour ce dernier.
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Une première question à envisager est celle de la validité de l'affirma tion commune aux trois évangiles synoptiques, selon lesquels c'est de sa propre initiative que Judas serait allé trouver les chefs des prêtres pour leur proposer de leur livrer Jésus. Une telle démarche, en effet, cadrerait bien avec l'image d'un Judas mû par l'appât du gain, dont nous avons vu ce qu'il fallait en penser, mais pas du tout avec celle d'un Judas jetant l'argent reçu à la face de ceux devant qui il proclame qu'ils ont condamné un innocent. Pour retrouver la manière dont a dû se dérouler la première rencontre entre ces chefs des prêtres et Judas, en fait, il faut se référer à d'autres indications précises que fournissent les évangiles. Les membres du Sanhédrin, nous le savons, étaient de plus en plus inquiets de l'ascen dant pris sur le peuple par un homme dont les propos qui leur étaient rapportés, en particulier celui sur le destruction suivie de reconstruction du Temple leur ren dait l'orthodoxie hautement suspec te. Ils se sentaient donc pleinement dans leur rôle en considérant qu'il était indispensable de faire compa raître un tel homme devant eux pour l'inviter à se justifier. Comme, nous le savons aussi, ils craignaient les réactions du peuple, leur problè me était de trouver le moyen d'at teindre le prévenu à un moment et en un lieu où il serait seul. Le meilleur moyen d'y parvenir sans trop de délai, naturellement, était de s'assurer du concours d'un des proches de Jésus. Judas, de ce point de vue, était certainement celui qu'on pouvait contacter le plus aisé ment puisque ses fonctions au ser vice de la communauté l'amenaient fréquemment, et même probable ment chaque jour, au marché. Le scénario plausible de la ren contre, dans un tel contexte, est le suivant. Judas, alors qu'il vaque à son occupation ordinaire d'écono me, est contacté par des émissaires qui l'invitent à se présenter dans les meilleurs délais au siège du Sanhédrin pour une affaire concer nant Jésus de Nazareth. Judas défè re aussitôt à cette injonction, qu'il
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n'a ni le droit ni même aucune rai son de principe de refuser. Ses inter locuteurs commencent par lui faire part des soupçons qui pèsent sur la doctrine prêchée par Jésus et concluent en indiquant que le seul moyen de trancher une question de cet ordre est de faire en sorte que le prédicateur se présente en personne devant l'instance chargée de veiller au maintien de l'orthodoxie pour exposer lui-même ce qu'il croit. Assurant ensuite Judas que le pro cès de son maître sera équitable (ce qu'il sera effectivement, d'ailleurs !), ils lui disent ce qu'ils attendent de lui : qu'il conduise leurs repré sentants vers Jésus à un moment où celui-ci sera seul, ou à peu près, ce qui permettra de ne pas donner inutilement l'alarme au peuple et, même, en évitant une mise en accu sation publique, de ne pas nuire à la réputation de Jésus dans le cas où les soupçons le concernant se révé leraient infondés. La somme d'ar gent qu'ils lui proposent est propor tionnée à celle du service attendu : elle n'est pas le prix d'un homme, mais celui d'une information. Si de « faux témoins » se sont pré sentés, le tribunal n'en a pas tenu compte, et Jésus a été condamné uniquement pour sa réponse à l'ad juration de Caïphe, qui ne pouvait qu'être jugée blasphématoire par des hommes pour qui il était incon cevable qu'un homme pût s'égaler à Dieu. Judas a accepté d'entrer dans le jeu défini par le Sanhédrin parce que, très probablement, il a considéré que Jésus ne courait auctm risque. Lui-même ne l'avait-il pas vu, au cours des années précédentes, l'em porter sur tous ses contradicteurs et déjouer des pièges dont certains étaient tendus par des personnes qui n'étaient pas les premières venues ? Quant à l'acceptation du prix proposé, elle peut se rattacher au calcul très prosaïque de l'écono me d'une communauté peu fortu née qui estime qu'une ressource offerte en échange d'un service sans conséquence est la bienvenue. Trente deniers correspondant au salaire mensuel d'un journalier agri cole, Judas a pu calculer qu'il pou-
Sources messianique aura avorté. À cet ins tant, certainement, Judas a pensé qu'il eût mieux valu, pour lui, ne pas être né. Arrivé au sommet du mépris et de la haine de soi, cet homme profondément malheureux ne pouvait plus envisager d'autre solution que d'aller se pendre. Qui pourrait l'en blâmer ? Quels « moralistes », confortablement assis dans leurs fauteuils, ont pu se permettre de soutenir sentencieuse ment que Judas a ajouté le crime au crime en détruisant une vie qui venait de Dieu ? Qui peut se croire autorisé à juger le désespoir d'un homme ? Quels théologiens, assis sur leurs certitudes abstraites, ont pu se permettre d'enseigner docte ment que le principal tort de Judas était de n'avoir pas cru à la miséri corde de Jésus ? À quoi lui aurait-il servi d'y croire puisque Jésus était mort et que, pas plus qu'aucun autre des Douze, il ne pouvait ima giner la résurrection à venir ? Qui peut donc, en conscience, jeter la pierre à Judas pour s'être suicidé ?
y avait, dans ces conditions, un risque considérable qu'il les jugent négativement. Judas, qui n'a pas cessé un instant d'aimer Jésus, qui l'a entendu répé ter sans cesse, pendant de longs mois, que la Loi est une semence que chacun doit recevoir dans son cœur, n'accorde évidemment pas le moindre crédit au jugement rendu. Le Sanhédrin tout entier a pu consi dérer que Jésus était coupable de blasphème, il s'est forcément trom pé et le disciple désolé va le lui dire en face. Il ne cherche pas pour autant à se disculper où à rejeter sur quiconque sa propre faute ; il recon naît expressément que lui-même a eu tort, qu'il « a péché », non pas en trahissant, mais en se fiant à son propre jugement, qui l'a conduit à « livrer le sang innocent ». Il témoigne pour Jésus, et il est le seul des douze apôtres à le faire ... mais c'est trop tard. Pour les juges, en effet, la « cause est entendue » et il n'y a pas lieu de revenir sur ce qui a été jugé et, selon eux, bien jugé. Ce
que Judas pense du jugement est, comme ils ne le lui envoient pas dire, « son affaire » et non la leur. Jésus va mourir et, Judas, son fidèle et son ami, qui ne peut plus qu'ac complir le geste dérisoire de jeter l'argent reçu va sombrer dans le désespoir. Les défaillances des autres ne sont rien à côté de ce que lui-même a fait ; ils n'ont songé qu'à leur propre protection tandis que lui, par son insouciance, a été la cause première du supplice particulièrement atroce par lequel le maître va mourir. Toutes les apparences sont contre lui, si bien qu'il ne peut imaginer possible de trouver autour de lui un seul regard ami ; pour les autres disciples, ses compagnons, pour tous les autres amis de Jésus, pour la mère de celui-ci, pour tous ses contemporains même indifférents, pour toutes les femmes et tous les hommes à venir, il sera celui qui a trahi, et trahi pour de l'argent. Il se voit désormais, au surplus, comme celui par la faute de qui l'espérance
Judas aujourd'hui Ceux qui croient à la Résurrection peuvent savoir, s'ils réfléchissent un instant, que Judas, parti « en son lieu » comme a dit Pierre, y a trouvé Jésus qui lui a dit, comme à la femme adultère : « Moi, je ne te condamne pas ! ». Ils peuvent savoir, aussi, s'ils méditent le passa ge de l'Évangile relatif à une femme pécheresse que les « bien pensants » reprochaient in petto à Jésus de ne pas éloigner de lui, que Judas est certainement, aujourd'hui, au lieu de notre avenir commun, de ceux qui aiment et aimeront éternelle ment le plus pour avoir trouvé, au point même où s'enracinait le plus profondément le dégoût qu'ils avaient d'eux-mêmes, le coeur aimant de Celui qui est la Vie, et qui les attendait. Louis Constant
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ans son ouvrage « La Quête du Sens », publié en 2002 en nos éditions, Georges Lethé développe une méthodologie oui permet d'initier le lecteur à une interprétation appropriative ;f des textes bibliques. Inscrite dans la tradition judéo-chrétienne Qu'il présente vivante et créative, sa lecture repose essentielement sur Queloues clés : la langue hébraïQue, le commentaire au sein d'un groupe actif et lié à un art de vivre. Le cheminement de ce chercheur laïc permet de développer une esQuisse de théologie à la base dans laouelle les liens entre les deux Testaments ressortent lumineux et fournissent un socle à la pratique de nos contemporains. Nous vous proposons Queloues extraits significatifs de ce livre. janvier/février 2006
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mée par les premiers témoins L'essentiel d i s a nest t le lau rparole f o i eprocla n la Résurrection.
Le texte Les événements rapportés dans la Bible, à défaut du moindre docu ment contemporain les corroborant, sont dépourvus de tout caractère testimonial. Les faits évoqués n'ont d'évidence eu lieu... qu'une seule fois. Ils ne peuvent se répéter. Il s'ensuit qu'au plan historique ils sont définitivement perdus, qu'il s'agisse des miracles tels que Cana, la guérison de l'aveugle-né, la mul tiplication des pains... ou des évé nements racontés dans les récits, tels la naissance de Jésus, sa mort et sa résurrection. Le fait en cause échappe à jamais à toute vérification et à tout examen. Il est révolu et a définitivement dis paru. L'intérêt de la lecture ne rési de pas dans une vaine recherche de l'historicité des faits, mais exclusi vement dans le sens du récit, ce qui libère d'emblée de nombre de diffi cultés, voire de contradictions impossibles à surmonter... À l'époque des Écritures, l'écrivain n'était pas dirigé par le souci de rapporter le fait brut tel qu'il s'était effectivement passé. Pareille préoc cupation est relativement récente. Elle ne remonte pas beaucoup plus avant que le siècle dernier, au moment où l'histoire devint science. Tel est aussi l'objet de notre réflexion, la recherche de sens. Toutefois notre approche ne conduit pas à évacuer purement et simple ment le fait évoqué comme s'il s'agissait d'une simple allégorie qui serait dépourvue de toute consis tance historique et serait sans rap
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port direct avec la réalité. Raisonner de la sorte serait méconnaître totale ment la culture hébraïque. Le même terme ~a~i davar exprime également et la notion d'action et celle de parole. Jésus, Marie, Joseph, Pierre, Paul, Jean et les autres des débuts, en leur immense majorité, étaient juifs. Prétendre bâtir culturellement quoi que ce soit, sans référence à cette réalité concrète qui est leur culture propre, constituerait une entreprise dénuée de sens et d'ailleurs, en réa lité, impossible. Il y a donc bien un fait fondateur qui a interpellé ces témoins et a pro voqué un événement devenant à son tour fondateur dans le milieu où il s'est produit. Ce n'est donc pas tant du fait initial, mais bien du retentissement de celui-ci au milieu d'eux qu'ils entendent témoigner. Essentiellement nous voulons signi fier que nous abordons le récit biblique par son interprétation, diffé rente de la critique historique qui, elle, est axée sur la réalité du fait lui-même.
La parole La Parole essentielle proclamée par les évangélistes est la foi des com munautés en Jésus et, partant, au premier chef, dans le fait de sa mort et de sa Résurrection. Aussi les premiers récits des Évan giles content-ils avant tout la Résurrection de Jésus. Mais cette assertion, si exceptionnelle soit-elle, s'épuise aussitôt par le seul fait de sa proclamation. Aussi, de ces récits de la mort et de la Résurrection, passe-t-on aux récits de la Passion, et de ceux-ci à celui de la Cène, mais toujours pour, à travers eux, proclamer la seule et
Tradition même Résurrection comme fait essentiel et fondateur. Pour amplifier ces récits, les évan gélistes, de proche en proche, remonteront à ce qui précéda l'ar restation du Seigneur. Ils en vien nent ainsi à écrire sa vie publique en évoquant les miracles, mais tou jours et avant tout dans le souci pri mordial de dire la Résurrection du Seigneur. Parmi ces miracles, prenons, pour illustrer notre propos, le récit de la guérison de l'aveugle-né : cet homme qui, de nature, ne voyait pas mais que le passage de Jésus dans sa vie fit voir, ou encore celui de Cana, où, au cours d'un banquet de noces, le Seigneur changea la Mort — dont l'eau dormante est signe — en Vie — évoquée par le vin, qui renvoie au sang, symbole de vie. Menée selon cette optique, la lecture rend directement compte non tant de l'événement lui-même que du sens qu'évoque le récit. Jean avertit du reste le lecteur que Cana est le premier des signes accom
plis par Jésus, annonçant par là que les autres y prennent aussi référence. Le premier... au sens de rrcwo Beréshit, c'est-à-dire un signe qui n'est premier qu'en ce qu'il contient en lui tous les autres, jusqu'au der nier qui sera la Croix. Le même Jean rapportera que du côté de Jésus, fendu par le coup de grâce du soldat romain, jaillirent de l'eau et du sang : épanouissement du signe de Cana trouvant sa plei ne signification à la Croix, procla mant ainsi le message qu'en Jésus, la Mort — l'eau — se mue en Vie — le sang. De même que du côté d'Adam endormi — signe de mort — jaillit l'humanité entière, en Eve, appelée la mère des Vivants, du côté de Jésus mort jaillira la communauté, l'Eglise : réalisation au plan collectif de la Résurrection. D'un fait énoncé, mais en lui-même invérifiable, le lecteur est invité à remonter à son sens. Pour y accé der, chacun aura à en vérifier la véracité dans la réalité de sa vie propre.
La Tradition, un cfëpqt a La Tradition n'est pas une transmission brute d'un donné immuable. Il ne s'agit pas davantage dé répéter aujourd'hui l'ensei gnement d'hier que de s'abandonner à unlectexxr4o|it le commen taire ne serait pas enraciné dans le■ teèeaù |ee©n.d $e la Trg#tion. Rien n'a jamais, en effet, été doiinë Eux ftrëfe <|tf à a^stMitton des Fils. Chaque homme est constitué en maillbn de là diaîne> appelé à transmettre à ceux qui viennent ce qu'il à reçu à cette seule fin. Comme un de ces tuyaux d'oçgues, ammé dû même souffle, élé ment de l'harmonie formée par rensemblë. G.L.
Une parole à s'approprier À défaut d'une appropriation, l'évé nement rapporté — en lui-même révolu — perdrait tout intérêt. Cette vérification par appropriation s'ac complit parmi ceux qui, y prêtant foi, entendent s'en faire les témoins. Si aujourd'hui se trouvent des hommes qui réalisent en leurs milieux l'événement rapporté dans les Évangiles en signe, celui-ci en prend d'emblée consistance dans l'actualité. Sinon, les Écritures ne seraient proprement que pieuse litté rature et pour tout dire aliénation sinon perversion, pour les hommes emportés ainsi dans ce qui resterait un rêve... démobilisateur de l'action. Concrètement, si en présence d'ex clus comme de réfugiés chassés de partout, perdus, affamés, se trouvent des hommes pour les accueillir en frères, les vêtir, les nourrir, vivre avec eux, alors, en vérité, le récit de la multiplication des pains prend réalité dans l'actualité à travers la pratique de vie des hommes. Ce n'est qu'à cette condition sine qua non que le récit évangélique est transmis sible et devient interpellant. Dans le cas contraire, ne subsiste que le recours à une répétition infi nie de ce qui dès lors ne sera jamais que récit, voire liturgie à gestes évocateurs d'un projet théorique, condamné à rester toujours à ce stade sans aboutir à sa réalisation. Les rites, dont la liturgie, y trouve ront d'autant plus leur utilité que le
culte restera à jamais le seul lieu d'expression du projet. Pareille répétition n'est point appropriation. La répétition des mêmes signes sera toujours impuissante à en apporter la moindre vérification. En revanche, l'attention portée aux Écritures comme recherche du com mentaire de la vie implique appro priation de la parole et de l'événe ment réunis, devenant en leur imbrication réalité unique. Sinon, le regard porté sur l'Écriture pour y chercher quelque consolation n'apportera, en ce monde, stricte ment rien d'autre que nostalgie pour le pauvre ou l'infirme, dont celle de n'avoir pas eu le bonheur de vivre... il y a deux mille ans, pour avoir pu courir la chance d'y rencontrer ce Jésus présenté comme seul recours à toutes situations désespérées... Sans appropriation, quel secours pourrait apporter aujourd'hui quelque perspective historicisante ? Quel effet concret pourrait avoir la proclamation d'une Résurrection qui aurait constitué un événement historique remontant à quelque deux mille ans ? Quel serait l'apport d'une Foi qui proclamerait que Jésus est ressusci té... voici vingt siècles écoulés ? Quel en serait l'intérêt aujourd'hui s'il n'était pas possible à une com munauté d'hommes et de femmes de s'approprier ces événements et d'en porter témoignage dans la réa lité quotidienne ?
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Georges Lethé
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Le Temps des Moines de Bruno Rotivai Volume 1 : De saint Benoît à Thomas Merton 160 pages - 15 euros Plusieurs personnages ont compté dans l'histoire monastique, notamment en instituant des règles toujours existantes telle celle de saint Benoît ou celle de saint Bruno mais ils n'ont pas limité leur influence aux seuls monas tères auxquels ils appartenaient. Il est primordial de connaître le parcours et les volontés de ces hommes et ces femmes si l'on veut comprendre l'organisation monastique actuelle. Volume 2 : Des Bénédictins à l'Ordre de Bethléem 160 pages - 15 euros Les ordres monastiques sont nombreux, et cet ouvrage se propose de remonter à leurs origines et de reprendre leurs histoires respectives afin de comprendre la motivation des fondateurs et les principes qui caractérisent chacun de ces ordres. Ces principes sont bien souvent toujours en vigueur aujourd'hui et n'ont pas été laissé au hasard : ils répondaient à la volonté d'un religieux en réaction aux besoins de l'homme.
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Volume 3 : De Mâtines à Complies 160 pages - 15 euros Ce tome s'intéresse au quotidien des religieux et religieuses reclus dans leurs monastères ; entre temps de prière, de travail (nécessaire à la quête spirituelle) et temps de repos, la journée s'organise avec précision selon les règles ancestrales. Chaque moment a une signification particulière et se perpétue depuis des siècles : il est nécessaire de connaître cette forme de vie particulière pour en apprécier la valeur.
Vatican II - L'espoir déçu de Pierre Hegy 368 pages -15 euros En 1972, à peine sept ans après la fin du concile Vatican II, Pierre Hegy, théologien et sociologue, soutenait devant l'Université de Paris X (Nanterre) une thèse sur L'autorité dans le catholicisme contemporain du syllabus à Vatican IL Elle était placée sous la direction de Roland Barthes et le jury était présidé par Henri Lefebvre, tous deux de réputation mondiale. La thèse fut éditée en 1975 par les éditions Beauchesne. Trente ans après, les édi tions Golias proposent la réédition refondue par l'auteur : il s'ap puie sur la suite de l'histoire qui a donné raison à ses intuitions et à ses analyses, et tout particulièrement, sur son expérience actuelle du catholicisme aux Etats-Unis. Mais, d'un bord à l'autre de l'Atlantique, les situations et les problématiques ne sont guère différentes. Au moment où nous allons fêter les quarante ans de la fin du concile, cette réédition s'impose : elle illustre nombre de dérives qui n'ont pas manqué de surprendre et décevoir dans la mise en œuvre romaine des réformes conciliaires. On com prend mieux ainsi tout le chemin qui reste à parcourir, toute la conversion attendue de l'Eglise, mais aussi toutes les motiva tions qui maintiennent la hiérarchie catholique dans une menta lité préconciliaire. Il ne servira jamais à rien de parler d'Eglise "Signe" et de "Signes des temps" tant que l'on demeurera, a Rome et ailleurs, dans une conception périmée du "Signe".
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de la Volume 10 : La fin de l'ère chrétienne £fi i?
(Le XVIIe siècle) 336pages - 19.50 euros
Viennent de paraître les trois derniers volumes de l'œuvre de Michel Clévenot : Les Hommes de la Fraternité. Ils couvrent les 18', 19 et 2Ù siècle. L'œuvre entière, incom parable, en douze volumes, n'était plus éditée depuis des années et nous étions fermement décidés à la rendre à nou veau accessible. Des le premier volume, Michel Clévenot annonçait : « Un fil rouge court h travers notre vie : c'est le christianisme, qui nous a tissés, non seulement depuis notre enfance, mais par toute notre culture, pour le meilleur et pour le pire. » Et son projet : « Entreprendre une Histoire nouvelle, contrastée et contradictoire, des
Venant après le XVI' siècle de Luther, Calvin, "V
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vingt siècles du christianisme. Chacun des douze volumes prévus comportera trente séquences, consacrées chacune à un personnage ou un épisode peu connus ou présentés sous un jour différent. Cet entrecroisement d'existences et d'évé nements plus ou moins emmêlés au fil rouge donnera à voir, à sentir, à comprendre de quels écheveaux nous sommes tissés. » Douze volumes plus tard, à travers quelque trois cent soixante séquences et des milliers de visages, d'aventures et de textes, M. Clévenot propose à son lecteur un passion nant voyage à travers notre passé. Il est peu de lectures aussi vivifiantes que celle de cette collection de boue, de
Tome I Tome 2 Tome 3 ■ Tome 4 ■ Tome 5 ■ Tome 6 ■ Tome 7 ■ Tome 8 Tome 9 -
Les hommes de la Fraternité Les chrétiens et le pouvoir Le triomphe de la croix Les chrétiens à l'heure de Mahomet Quand Dieu était un monarque féodal Au cœur du Moyen-Age Doux Jésus enrichis moi Un siècle qui veut croire Ombres et lumières D£ IA FfMTEKMTE
Les hommes, de la fraternité
(Le XIX siècle) 356pages - 19.50 euros
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(Le XX siècle) 286pages -19.50 euros Voici le douzième et dernier volume des Hommes de la fraternité, consacré au XX siècle. Aucune époque, je crois, n'a été aussi terrible que celle-ci. Deux guerres mon diales, deux bombardements atomiques, plusieurs géno cides, totalitarismes, dictatures, massacres, tortures, « purifications ethniques », catastrophes écologiques... Où s'arrêtera la folie, la barbarie humaine r> Pourtant, d'immenses progrès ont été accomplis, dans les domaines scientifique, technique, médical, social. Les habitants des pays occidentaux vivent mieux, incontesta blement, qu'il y a cent ans. Mais à quel prix ? Les trois quarts de la planète meurent de faim, tandis que nous nous débattons entre l'abondance matérielle et le vide spi rituel.
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Entre Sade et Nietzche, le XIX siècle apparaît, au premier abord, fort peu chrétien. Aussi bien, une partie notable des personnages que nous allons rencontrer ne sont pas croyants, ou ne le sont plus. Le Dieu du grenadier Coignet, c'est Napoléon ; celui de Bettina von Arnim, c'est Goethe. Quanta Flora Tristan, elle se prend elle-même pour une sorte de Messie, et Louise Michel est baptisée la Vierge rouge. C'est une période agitée. La Révolution a bou leversé les esprits autant que les institutions. Cam pée sur ses positions intransigeantes, l'Église catho lique condamne pêle-mêle toutes les expressions de la liberté. Le libéralisme économique engendre une société impitoyablement inégalitaire, traversée
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mystique a quasiment disparu. En conséquence, la théologie est inerte, dessé chée, incapable de faire face aux défis culturels et aux innovations politiques. Contrairement aux . Révolutions anglaise et américaine, la Révolution française n "ira pas chercher ses références dans la Bible. Athée ou déiste, mais farouchement anticlé ricale, elle provoquera chez les catholiques une cas sure aux conséquences dramatiques.
Volume 11 : Un siècle cherche sa foi
Un siècle ■rené s
sang et d'or, nos archives.
Ignace de Loyola et Thérèse dAvila, après le XVII' de Pascal, Vincent de Paul, Richard Simon et Fénelon, le XVIII' apparaît, en ce qui concerne du moins le christianisme français, comme une période de basses eaux. Anéantie par les condamnations du jansénisme et du quiétisme, la
par ce que Marx n'est pas le seul à appeler k lutte des classes. Une fois encore, voilà une époque dure, contradictoire, pleine d'occasions manquées et d'espoirs avortés, mais aussi débordante de foi, de courage, de grandeur. Ni meilleur ni pire que les autres, le XIX siècle n'a peut-être qu'une leçon à nous apprendre: c'est qu 'ilfut vécu par des gens à la fois généreux et mesquins, enthousiastes et peureux, plus ou moins intelligents, encombrés de préjugés et d'illusions, portant, comme dit l'Apôtre, leur ti-ésor dans des vases d'argile. Des gens comme nous, très proches de nous, nos grands parents et arrière-grandsparents.
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