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VIRGIL ABLOH

ARCHITECTURE & MODE

VIRGIL ABLOH, UNE ICÔNE PARTIE TROP TÔT.

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Par Thibault Roy

UN DESIGNER DE GÉNIE

Nommé chez Louis Vuitton en 2018, il était le premier Noir Américain à accéder à la direction artistique d’une maison de mode parisienne. Virgil Abloh, qui se réclamait autant des cultures urbaines que de la Renaissance, est mort d’un cancer à 41 ans, le 28 novembre 2021. Pour toute une génération, cet Américain né en 1980 était devenu un symbole : la preuve que l’on peut être enfant d’immigrés venus du Ghana et, pour la première fois, accéder à la tête d’une maison de mode française. C’est-à-dire, dans l’esprit du public international, au sommet. Après une formation technique, Virgil Abloh obtient en 2006 un diplôme d’architecture à l’Institut technologique de l’Illinois, où il est frappé par le minimalisme des bâtiments conçus par l’architecte Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969). Il collabore avec le rappeur Kanye West, ouvre une boutique à Chicago, puis lance sa propre marque, Off-White, en 2013, en créant des motifs évoquant souvent la signalétique de rue : rayures, damiers... Louis Vuitton l’embauche en 2018. À une époque où le racisme trumpiste monopolise la scène politique, le créateur devient l’incarnation d’une Amérique ouverte. En accédant à la direction artistique de la maison parisienne, il passe avec la même aisance du streetwear au costume-cravate, auquel il apporte couleurs et coupes confortables. Il restera ainsi dans l’histoire du vêtement comme l’un des stylistes qui, à la suite de Jean Paul Gaultier, ont aboli les barrières entre le prêt-à-porter de luxe et la mode de la rue. On peut dire aussi qu’en le recrutant la mode parisienne a pris acte qu’elle ne parvenait plus à résister à l’américanisation de nos vestiaires. Avec Virgil Abloh, le graffiti, le skateboard, le hip-hop, et toute la culture urbaine sont en tout cas devenus des sources d’inspiration reconnues. Grand, portant sneakers et sweat à capuche, il expliquait cette démarche avec décontraction, pas star pour un sou, développant un discours clair mais sans asséner ses convictions. Sa notoriété est telle que le musée d’Art contemporain de Chicago lui consacre dès 2019 une exposition où il présente vêtements, chaussures, graffitis, vidéos, installations. Il déclarera : « Je crois que je comprends certaines choses, mais je ne me sens pas encore accompli. J’ai encore l’impression d’être un stagiaire ». Il ne faut pourtant pas le réduire au street art, car Virgil Abloh a toujours revendiqué son éclectisme : dans un cours d’histoire de l’art, il avait été marqué par l’exemple de Gian Lorenzo Bernini, dit le Bernin (1598-1680). À fois sculpteur et architecte, cette figure de la Renaissance est l’auteur de la colonnade de Saint-Pierre et de la fontaine des Quatre-Fleuves sur la piazza Navona, à Rome. Virgil Abloh se réclamait de cette époque où les artistes n’étaient pas enfermés dans une spécialité : « Établir des catégories, construire des frontières entre les disciplines, c’est faire de la ségrégation. Le temps où l’on se destinait à un métier unique est terminé. »

/ Designer, styliste, architecte, DJ... Virgil Abloh, touche-à-tout, est décédé dimanche 28 octobre à l’âge de 41 ans. Il souffrait depuis plus de deux ans d’une forme rare de cancer, un angiosarcome, qui touche notamment le système cardiaque. C’est le groupe LVMH qui a fait cette terrible annonce sur ses réseaux sociaux .

/ Intérieur de la boutique OFF-WHITE de Miami. Imaginé par Vigil Abloh et le studio AMO, cette boutique a été pensé tel un lieu de vie et d’échange, mêlant architecture, art et mode. Le mix des matières, des matériaux et des couleurs confèrent à l’espace un esprit urbain de luxe, propre à l’identité de la marque.

ARCHITECTE DU PROGÈS

Situé au 127 NE 41 Street, au cœur du quartier dynamique et tentaculaire Design District, l’espace composé de deux étages a été conçu par le fondateur et directeur créatif d’Off-White, Virgil Abloh, en collaboration avec AMO, la branche design et innovation du célèbre studio d’architecture OMA, dirigé par Samir Bantal. La collaboration entre Abloh et AMO représente un dialogue continu entre les deux qui a été déclenché par l’exposition Figures of Speech, qu’ils ont développée ensemble. L’espace commercial comporte un certain nombre d’éléments esthétiques différents, notamment une façade en polycarbonate opaque. La vitrine et notamment l’enseigne immaginée par les designers nous indiquent immédiatement qu’il ne s’agit pas là d’une boutique comme les autres, mais plutôt d’un laboratoire innovant.

Le «X» sur le mot «Shop» est le résultat de l’effort continu de Virgil Abloh et AMO pour redéfinir le monde du rétail et casser les codes pré-établis des boutiques de prêt-à-porter. Virgil Abloh cherche avant tout à fusionner la mode et l’art et proposer un espace de vie aux visiteurs qui favorise l’interaction et l’intérêt pour la marque. Les multiples activités et expériences à découvrir sont facilités par la modularité de l’espace. En effet, un mur mobile permet par exemple de réagencer la boutique pour organiser des expositions d’art contemporain, des petits défilés ou concerts privés, tout en conservant un espace de vente dédié aux aficionados de la marque. Le mobilier utilisé par les designers n’a également pas été laissé au hasard, notamment pour faire face aux températures élevées de Miami : portants en acier inoxidable faits sur-mesure en Italie pour Off-White, murs en métal ondulé, comptoirs en marbre noir et blanc de Carrare... Virgil Abloh aura marqué cette décénnie par son génie et son avant-gardisme en réinterprêtant les codes de la rue, de la mode et de l’architecture.

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