TransforNation Magazine #1 - Eté 2020

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PENSER LE MONDE DE DEMAIN, COMMENCER À LE CONSTRUIRE AUJOURD’HUI

ITnation Transfornation / été 2020


humain

technologie

organisations

au coeur du changement

depuis luxembourg


ITnation Transfornation / été 2020

édito

Changer pour de bon Ces derniers mois auront été le théâtre de profonds bouleversements dans nos vies. Cette année 2020 marquera-t-elle un tournant majeur pour nos sociétés ou sera-t-elle rapidement oubliée ? Personne ne peut prédire aujourd’hui l’impact qu’aura la crise sanitaire sur notre développement. Le coronavirus aura été à l’origine de profonds questionnements sur nos modes de vie, nos sociétés, la manière avec laquelle on soigne et celle avec laquelle on considère nos aînés. Le Covid-19 nous invite à repenser nos modes de consommation et plus globalement notre économie. À l’aube d’une crise économique, derrière laquelle se cachent d’importants bouleversements environnementaux, quelles leçons tirera-t-on de cette expérience ? Il apparait évident que l’on ne retrouvera pas le monde tel qu’on l’a laissé avant le confinement. Chacun, très certainement, nourrit de nouvelles aspirations. Mais qu’en sera-t-il demain ?

« Au-delà du numérique, notre volonté

Le changement, ce n’est jamais évident. Cela implique le plus souvent de renoncer à des choses que l’on croyait acquises, de faire évoluer des habitudes ancrées, de s’exposer à de nouveaux risques, pour tendre vers de nouveaux horizons et, espérons-le, des lendemains meilleurs pour tous.

est de mêler les points de vue et de regarder les enjeux sous une multiplicité d’angles »

Pendant plus de dix ans, ITnation s’est intéressé de très près au changement, et plus spécifiquement à la transformation numérique du business. La technologie, en effet, a constitué un moteur important de l’évolution des activités économiques. Au début de cette année, notre équipe a souhaité davantage explorer les autres dimensions du changement. Au-delà du numérique, notre volonté est de mêler les points de vue et de regarder les enjeux sous une multiplicité d’angles. La technologie aura toujours une place importante dans nos pages. Mais notre souhait est aussi d’aborder le changement en intégrant mieux les enjeux business, sociétaux, environnementaux, organisationnels, etc. Pour bien se transformer, toutes ces dimensions doivent pouvoir être mieux appréhendées. Cette direction, nous l’avons prise avant que ne survienne cette crise. Six mois plus tard, au regard des défis qui s’annoncent, nous sommes confortés dans notre volonté de contribuer à accompagner la transformation des organisations et de la société dans son ensemble vers plus de prospérité, de responsabilité et d’épanouissement. C’est cela, à nos yeux, changer pour de bon. C’est pour cela qu’ITnation Magazine devient TransForNation. Avec vous, notre ambition est de regarder l’avenir, de manière constructive et optimiste, avec la volonté de mieux aborder les différents défis que nous devons relever. Tous ensemble.

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Ma bonne résolution pour les 10 prochaines années 06

ILS NOUS INSPIRENT ET NOUS FONT BOUGER

Une Bonne inspiration : « Trouver comment nous installer sur Mars pour mieux préserver la vie sur Terre »

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Top & Flop 10

Transformer la banque

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11 Quelle banque pour demain ? NEWB, la coopérative belge qui veut changer la banque pour de bon est un magazine MAKANA 5, rue Belle-Vue L-7350 Lorentzweiler Grand-Duché de Luxembourg info@ITnation.lu IBAN I LU55 0141 0422 4000 0000 BIC I CELLLULL TVA I LU 30157240 RC Luxembourg B 95210

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transformer la mobilité 12 42 16

Une mobilité à repenser

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La finance verte, outil marketing 20 ou levier de changement ?

Placer l'Internet des Objets au service de la mobilité de demain

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AVEC LIBRA, FACEBOOK EST-IL EN PASSE DE RÉVOLUTIONNER LA BANQUE ?

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10 façons de répondre aux problèmes de mobilité

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Ouvrir le secteur financier à de nouveaux écosystèmes

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La voiture électrique, fausse solution ?

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Fluidifier et accélérer la distribution des fonds

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HUMAN & business transformation

OURS Publication

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tech transformation

Et si la crise transformait la grande distribution ?

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à la recherche de la bonne intelligence

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Acteur de ma carrière

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Dans l'Open Space avec Benoît Dourte

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« Une forte ambition permet de mobiliser les équipes 84 et d’innover »

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« Offrir une nouvelle dynamique à la transformation 60 numérique » Bâloise s’assure un avenir numérique

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Transformation numérique : quelles leçons tirer de la crise ?

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Placer le service desk au centre 68 de l’organisation IT Intégrer les lignes téléphoniques 70 aux outils collaboratifs  Allier DevOps et Cloud pour passer à la vitesse supérieure 72

Made in Luxembourg

Le mot de la fin : C'était mieux avant.. le télétravail ! 90

TALK2U www.talk2u.lu T. +352 26 30 52 27 Rédaction ALEX BARRAS QUENTIN DEUXANT SÉBASTIEN LAMBOTTE MICHAËL PEIFFER JEANNE RENAULD

Concept Design

86 F4A : la start-up luxembourgeoise qui a faim

CYRIELLE PINALIE Account Manager cyrielle.pinalie@ITnation.lu T. +352 671 26 10 26

Concept éditorial

55 « Dans la banque, tout n’a pas vocation à être numérisé »

ÉMILIE MOUNIER Owner emilie.mounier@ITnation.lu T. +352 691 99 11 56

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INSPIIRO.ME www.inspiiro.me T. +352 26 30 26 16 Maquette & Design JULIE MALLINGER

MAISON D'EDITION I Autorisation d’établissement N°102739 © Toute reproduction, même partielle, est soumise à l’approbation écrite préalable de l’éditeur. Tous droits réservés. ITnation est membre de Luxorr – Luxembourg Organization For Reproduction Rights – info@luxorr.lu

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Ma bonne résolution pour les 10 prochaines années

SE TRANSFORMER IMPLIQUE AVANT TOUT DE PRENDRE UN ENGAGEMENT. QUELLE SERAIT VOTRE BONNE RÉSOLUTION POUR LES DIX PROCHAINES ANNÉES ?

« Nous devons construire des ponts » Pascal Denis, Partner, Head of Advisory, KPMG Luxembourg

« Un jour, Coluche a dit « la vie te mettra des pierres sur ton chemin. À toi de décider si tu en fais un mur ou un pont ». Moi qui viens d’ouvrir une nouvelle décennie de vie, ma bonne résolution sera donc de construire des ponts. La période que nous venons de traverser a posé beaucoup de pierres sur nos parcours tant professionnels que personnels. Du jour au lendemain, il n’a plus été possible de travailler normalement ou encore de rencontrer qui nous souhaitions. La crise sanitaire nous a privés de la liberté de faire ce que l’on veut. Face au changement, un réflexe naturel peut être de construire des murs, ne fût-ce que pour se protéger. Mais au contraire,

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on a pu voir de nombreux acteurs réagir autrement. Beaucoup ont ainsi préféré construire des ponts, se montrant solidaires, se montrant créatifs pour trouver les moyens de s’adapter, surmonter les difficultés et avancer. Cette attitude positive a permis d’accélérer certains changements. Par exemple, cela fait longtemps que l’on pensait à mettre en œuvre le télétravail sans vraiment s’y engager. L’enjeu sera de conserver ces dynamiques positives héritées de la crise car d’autres défis importants nous attendent. Nous devons y faire face, pouvoir les appréhender avec optimisme, de manière positive, en construisant des ponts plutôt qu’en élevant des murs. »


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ILS NOUS INSPIRENT ET NOUS FONT BOUGER

10 initiatives

qui nous font bouger À travers le monde, des projets contribuent à améliorer nos modes de vie et la société. De quoi nous inspirer pour demain.

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L A PLUS GRANDE FERME URBAINE D’EUROPE SUR LES TOITS DE PARIS À partir du 1er juillet, Paris disposera de la plus grande ferme urbaine en rooftop d’Europe. Le toit du pavillon 6 du Paris Expo Porte de Versailles accueillera en effet 14.000 m2 de surface cultivable. Au total, c’est une tonne de fruits et légumes qui sortira de terre chaque jour, en plein cœur de la Ville Lumière, grâce à une vingtaine de maraîchers. 135 parcelles d’un mètre carré seront également mises en location à destination des particuliers pour 320€ par an. Une belle initiative pour tous ceux qui souhaitent se reconnecter à leur alimentation quotidienne et retrouver le goût des produits frais.

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LE FUTUR DU RECYCLAGE DE L’EAU MADE IN LUXEMBOURG Le Luxembourg ne pourra plus pourvoir à ses besoins en eau potable au-delà de 2035. Devant ce constat critique, Ama Mundu Technologies, une entreprise basée au Luxembourg, a mis au point une technologie innovante de recyclage des eaux usées. Grâce à sa technique de nanofiltration, Ama Mundu permet de recycler les effluents comme l’on trie ses déchets. Une station d’épuration locale sépare en effet l’eau des éléments qu’elle contient avant de la réinjecter dans le circuit. Et ainsi alimenter les chasses d’eau dans le cas d’un immeuble ou les tours de refroidissement, par exemple, dans des industries. Sans aucun doute le futur du recyclage de l’eau.

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REFUND POUR COMBATTRE LE « GREENWASHING »

Au cours de la dernière décennie, les marchés financiers ont connu une forte augmentation du nombre de fonds d'investissement durables et verts. Toutefois, cette tendance a fait apparaître de nouveaux risques, notamment en raison de l'absence d'un cadre général sur la performance environnementale de ces produits. Le projet REFUND, étudié actuellement par le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), vise à développer des instruments permettant d'évaluer de manière fiable la durabilité et les performances environnementales des obligations et fonds verts. Ce projet permettra d’offrir des métriques plus transparentes et d’ainsi renforcer l’évaluation des performances réelles des instruments financiers verts.

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ILS NOUS INSPIRENT ET NOUS FONT BOUGER

ET SI LES « DUMB CITIES » DEVENAIENT SMART ?

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Aujourd’hui, toutes les grandes villes rêvent de devenir des « smart cities », ces cités truffées de capteurs censés améliorer la vie de leurs habitants. Aux antipodes du concept, certains aspirent à créer des « dumb cities », ou villes bêtes. Ces métropoles veulent développer des solutions architecturales ancestrales qui pourraient aider à traiter les eaux usées, résister aux inondations ou favoriser l'agriculture urbaine. Un architecte chinois a par exemple imaginé des villes éponges capables d'absorber l'eau pendant la mousson. Les digues à Copenhague ont aussi été remplacées par des jardins, capables de protéger la capitale danoise des inondations. Plutôt smart, ces « dumb cities ».

06 FAIRE DES ÉCONOMIES D’ÉNERGIE AVEC JUNE Vous avez l’impression de payer votre électricité trop cher mais vous n’avez pas le courage de multiplier les devis pour trouver la meilleure offre ? Pour y remédier des start-uppers anversois ont créé June, une entreprise qui compare les prix et bascule automatiquement ses clients auprès du fournisseur le moins cher. Quitte à changer tous les mois. Le tout, si vous le désirez, sans la moindre paperasse. June vous permet aussi d’exclure des fournisseurs peu soucieux des énergies renouvelables. À la clé, environ 300 euros d’économies chaque année !

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L A SCIENCE PARTICIPATIVE, NOUVELLE VOIE POUR LA RECHERCHE ? Just One Giant Lab, un organisme à but non lucratif situé à Paris, est un laboratoire de recherche et d’innovation collaboratives. Cette plateforme catalyse la création collective pour répondre aux défis de demain. Plus de 1.000 personnes s’activent, par exemple, depuis début mars sur JOGL pour mettre au point des innovations permettant de s'adapter à la pandémie de Covid-19. Cette nouvelle approche de la recherche, financée par des grands groupes, validée par les institutions et offrant des capacités de tests, pourrait devenir la voie pour la recherche de demain.


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ILS NOUS INSPIRENT ET NOUS FONT BOUGER

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REMPL ACER LE PL ASTIQUE PAR DES ÉCAILLES DE POISSON

08 HELIOS, L A BANQUE POUR CLIENTS ENGAGÉS La responsabilité environnementale se trouve aujourd’hui au cœur de toutes les réflexions stratégiques des entreprises. La banque française Helios a ainsi décidé de s’engager et de changer la vision de la banque. Les clients de cette banque, qui devrait voir le jour en automne, pourront suivre de près leur empreinte carbone laissée lors de chaque achat. Ils pourront également profiter des alternatives proposées par leur nouvelle banque pour réduire leur impact sur l’environnement. La fintech suédoise Doconomy est allée encore plus loin avec sa carte DO Black. À la réception de votre carte, vous fixez un plafond d’empreinte carbone que vous ne pouvez pas dépasser sous peine de… bloquer votre carte !

En 2018, une annonce de l’ONU allait secouer la planète : « D’ici 2050, il y aura plus de plastique que de poissons dans la mer ». Lucy Hugues, une jeune plongeuse amateur anglaise de 23 ans, décide alors de mettre à profit ses compétences dans le design pour élaborer un plastique biodégradable à base… d’écailles de poisson ! On estime le gaspillage de poissons dans le monde à 50 millions de tonnes. Or, avec le projet MarinaTex de Lucy Hugues, les restes d’un poisson comme la morue permettent de fabriquer 1.000 sacs ! Pour l’heure, la marque est encore en développement mais ne devrait pas tarder à voir le jour et rejoindre les nombreuses alternatives portées par une nouvelle génération engagée.

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FINANCER UNE ALIMENTATION RESPONSABLE AVEC MIIMOSA

Miimosa est une plateforme de crowdfunding exclusivement réservée aux projets agricoles et alimentaires. Créée pour donner un coup de pouce aux agriculteurs et aux consommateurs, cette start-up, aujourd’hui leader européen en matière de financement participatif dans ce domaine, a déjà porté plus de 2.500   projets et collecté 25 millions d’euros ! Grâce à Miimosa, les consommateurs peuvent, en un clic, devenir de véritables acteurs du changement en finançant une alimentation plus responsable, durable et locale.

PAYER SON TICKET DE MÉTRO AVEC DES BOUTEILLES EN PL ASTIQUE La ville d’Istanbul, en Turquie, a développé l’année passée une formule qui devrait faire des émules  : une machine qui récolte les bouteilles en plastique et les canettes et crédite votre carte de transport. Une initiative pédagogique qui devrait permettre à des milliers de bouteilles de ne pas finir leurs jours dans le Bosphore.

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top & Flop

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MORT DE GEORGE FLOYD

FIN (THÉORIQUE) DU COMMERCE D’ANIMAUX SAUVAGES EN CHINE Début février, en Chine, l’Assemblée nationale du peuple a voté une résolution pour l’arrêt total du commerce illégal et de la consommation de la faune sauvage. Cette décision fait évidemment suite à la crise du Covid-19. Le nouveau coronavirus serait en effet passé de l’animal à l’homme sur un marché d’animaux sauvages à Wuhan. En Chine, la consommation de chauve-souris, de rats, de salamandres géantes ou autres crapauds épineux est en effet monnaie courante, et fait même figure de privilège de classe. Pour de nombreux experts, les contacts de plus en plus fréquents entre certains animaux sauvages et l’homme, en raison de la réduction des espaces naturels, pourraient causer de nouvelles épidémies dans le futur. La décision de la Chine vise donc à éviter cette situation. Ceci étant dit, il faudra voir comment elle est respectée. En effet, une « loi de protection de la faune sauvage » était déjà en vigueur avant l’émergence du nouveau coronavirus, sans qu’elle soit véritablement appliquée.

VERS UN TOURISME PLUS LOCAL… AVEC LE SOUTIEN DE L’ÉTAT Le tourisme représente pas moins de 11 % du PIB mondial. Le secteur a toutefois été rudement impacté par le coronavirus et devra certainement se transformer en profondeur pour survivre. En attendant, de nombreux États rivalisent d’ingéniosité pour soutenir le secteur à l’intérieur de leurs frontières. Le Luxembourg a, encore une fois, fait preuve d’une grande proactivité en accordant 700.000 chèques de 50 euros à faire valoir sur une nuitée au Luxembourg d’ici la fin de l’année. Tous les résidents et travailleurs frontaliers y ont droit. Une manière de promouvoir un tourisme plus local et de contribuer à sortir le secteur de l’ornière.

L’E-COMMERCE PROFITE DE L A CRISE La nécessité de maintenir des distances physiques durant la pandémie de coronavirus a eu plusieurs effets. L’e-commerce, par la force des choses, a connu un développement phénoménal au cours des derniers mois. Au premier trimestre, les ventes via ce canal auraient augmenté de 20 % au niveau mondial, avec des pics de 40 %. Et ce phénomène ne profite pas qu’aux géants comme Amazon. Le site Letzshop.lu, au Luxembourg, a ainsi vu son nombre d’utilisateurs quadrupler. Reste à savoir si la tendance s’inscrira dans le temps…

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Le 25 mai dernier, George Floyd, un Afro-américain de 46 ans, perdait la vie suite à une interpellation, en pleine rue, de la police de Minneapolis (Minnesota). Derek Chauvin, l’un des quatre policiers à l’œuvre lors de cette interpellation, a immobilisé George Floyd au sol en exerçant durant neuf minutes une pression sur son cou à l’aide de son genou, ce qui a entraîné sa mort par étouffement. Les policiers ont été licenciés et sont poursuivis en justice pour ces faits, requalifiés en meurtre au second degré par le procureur du Minnesota. Malgré ces développements judiciaires, une vidéo des faits tournée par des passants, dans laquelle George Floyd affirme à seize reprises qu’il ne « peut pas respirer », avant de mourir, a ému le monde entier, entraînant des manifestations contre les violences policières à l’encontre des Afro-américains et le racisme en général. Visiblement, il y a encore beaucoup de chemin à faire en la matière au sein de nos sociétés…

ET L’URGENCE CLIMATIQUE ? En raison de l’urgence sanitaire, la crise du Covid-19 a conduit à imposer des mesures radicales dans de nombreux secteurs, en un temps record et à une échelle encore jamais vue. Si ces dispositions « forcées » ont conduit à ralentir considérablement l’économie, elles ont aussi eu un effet positif sur l’environnement, notamment sur nos émissions globales de CO2. De nombreuses voix ont appelé à prendre des mesures aussi radicales pour préserver l’environnement au sortir de la crise. Alors que le déconfinement se poursuit, on constate que l’urgence de sauver ce qui peut l’être au niveau économique ne se conjugue que trop peu à l’urgence climatique. Et pourtant, cette dernière conditionne la survie de toute activité. Certes, le plan de relance de l’Europe prévoit une enveloppe de 55 milliards pour soutenir la transition écologique mais, structurellement, rien ne semble se dessiner.

UNE GUERRE DE L’EAU La gestion des ressources naturelles constitue un enjeu clé pour nos sociétés au cours des prochaines décennies. Pour y parvenir, la rationalisation de notre consommation et la collaboration internationale sont plus essentielles que jamais. Pourtant, certains pays adoptent une autre attitude à ce sujet, bien plus belliqueuse. Ainsi, l’Éthiopie s’apprête à construire un barrage gigantesque sur le Nil, en amont de la portion égyptienne du fleuve. Pouvant contenir 74 milliards de mètres cubes d’eau, ce barrage aura un effet direct sur le niveau d’eau en aval et, donc, sur la survie de millions d’Égyptiens. Le défenseur soudanais des droits humains Ahmed Al-Mufti juge qu’une « guerre de l’eau » est à présent inéluctable.


GRAND DOSSIER


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GRAND DOSSIER

QU’ATTENDRONS-NOUS DE NOTRE BANQUE DEMAIN, EN TANT QUE CLIENTS ? COMMENT LA RÉGLEMENTATION VA-T-ELLE ENCOURAGER LES ÉTABLISSEMENTS BANCAIRES À SE TRANSFORMER ? TRANSFORNATION ÉVOQUE LES GRANDES TENDANCES DE LA BANQUE DU FUTUR.

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La crise financière de 2008 avait bouleversé le monde bancaire, son organisation et son fonctionnement. Entre-temps, la digitalisation de l’économie a encouragé les acteurs de la banque à revoir, petit à petit, leurs modèles afin de mieux répondre aux besoins de leurs clients. Aujourd’hui, la crise sanitaire liée au Covid-19, qui a notamment mis en lumière l’importance d’une consommation plus locale et responsable, pourrait bien elle aussi modifier les attentes des clients vis-à-vis des établissements bancaires, tandis que les évolutions réglementaires les poussent à se repenser. Plus que jamais, la banque est confrontée à de multiples défis qui l’appellent à se transformer, dès demain.

UNE BANQUE  PLUS DIGITALE…  S’il y a bien une chose que la crise du coronavirus nous a apprise, c’est qu’un grand nombre d’activités peuvent être poursuivies à distance, grâce aux outils technologiques dont nous disposons. Le secteur bancaire n’y échappe pas. Les agences ayant pour la plupart fermé leurs portes, les acteurs ont rapidement su mettre en place les dispositifs nécessaires pour continuer à servir leurs clients de manière optimale. La crise a aussi permis à de nombreux établissements bancaires d’accélérer ou de renforcer la digitalisation de leurs parcours clients. Une approche qui répond aux attentes des consommateurs, demandeurs de pouvoir toujours plus facilement et rapidement réaliser leurs opérations courantes en ligne.

Aujourd’hui, les investissements responsables représenteraient entre 20 à 30 % du marché global.

…MAIS QUI RESTE  MULTICANALE

UNE BANQUE  PLUS ÉTHIQUE

Pour autant, la banque devra continuer à se montrer humaine. Selon une étude réalisée fin 2019 par Accenture au Luxembourg, intitulée Market Pulse Survey Banking, il semble que le tout digital ne soit pas pour demain. Les clients souhaitent en effet toujours pouvoir bénéficier d’un accompagnement et d’un contact humain avec leur banquier, essentiellement dans le cadre de « grands » projets de vie, tels que l’acquisition d’un premier bien immobilier ou le financement de la création de son entreprise. Tout l’enjeu consiste donc à trouver le bon équilibre entre canaux humains et digitaux.

La révolution de la finance durable semble être en marche depuis quelques années. Face aux enjeux climatiques, sociaux et de gouvernance auxquels le monde est confronté, le secteur bancaire n’a d’autre choix que de s’adapter et d’apporter, lui aussi, sa pierre à l’édifice. D’une part, la demande des clients envers des produits d’investissement plus respectueux de la planète et des humains est en pleine croissance. De nombreux clients, par exemple, ne veulent plus investir dans des sociétés qui financent l’industrie de l’armement ou qui ont recours au travail des enfants.

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GRAND DOSSIER

« Monzo, une banque numérique mobile active au Royaume-Uni, a développé une application permettant de partager une addition, de catégoriser ses dépenses, de réaliser des transactions gratuites ou d’obtenir des informations sur les taux de change lorsque l’on voyage à l’étranger » 14

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D’autres souhaitent s’engager pleinement, à travers leurs placements, pour un monde plus juste. D’autre part, les entreprises doivent elles aussi adapter leur business models et les rendre plus durables si elles veulent continuer à attirer des actionnaires. Aujourd’hui, les investissements responsables représenteraient ainsi entre 20 et 30 % du marché global. Et il y a fort à parier que le mouvement devrait encore s’accélérer, la règlementation européenne sur la finance durable encourageant les banques à se positionner de plus en plus sur ce créneau.

UNE BANQUE  PLUS  TRANSPARENTE  Les clients sont friands d’une finance plus durable et ils veulent avoir l’assurance que leurs investissements s’inscrivent effectivement dans cette optique. À terme, les banques devront parvenir à offrir davantage de garanties à leurs clients concernant leurs investissements durables et responsables. La législation devrait elle aussi évoluer dans ce sens. Un système de classification unifié des investissements durables devrait en effet voir le jour à l’échelle de l'Union européenne afin d’apporter une plus grande transparence.

UNE BANQUE  PROACTIVE  En ce qui concerne les services dispensés, la banque devra demain se montrer plus proactive, en apportant un réel support « orienté client ». Certains établissements travaillent déjà dans cette optique. Monzo, une banque numérique mobile active au Royaume-Uni, a par exemple développé une application permettant de partager une addition, de catégoriser ses dépenses, de réaliser des transactions gratuites ou d’obtenir des informations sur les taux de change lorsque

l’on voyage à l’étranger. Dans ce pays où la culture du jeu est très forte, Monzo travaille aussi sur un projet visant à aider ses clients dépendants aux jeux d’argent, en bloquant leur carte dans les établissements de jeux ou en les empêchant de retirer de l’argent dans des distributeurs situés à proximité de tels établissements grâce à la géolocalisation.

UNE BANQUE  MULTISERVICE  Si elle veut continuer à évoluer, la banque devra aussi être capable de proposer des services sortant du spectre purement bancaire. Plus de la moitié des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête d’Accenture se disent ainsi ouvertes à ce que les banques analysent leurs données personnelles afin de leur proposer, de manière personnalisée, une assistance et un accompagnement pour divers événements, tels que l’achat d’une voiture, l’acquisition d’un bien immobilier, la gestion de leur entreprise, le financement d’un voyage ou encore la planification de leur retraite. Autant d’opportunités pour la banque de vendre, demain, de nouveaux services…

UNE BANQUE  PLUS OUVERTE  La Directive sur les services de paiement 2 (DSP 2) adoptée fin 2015 par la Commission européenne encourage aussi les banques à se transformer. À l’ère de l’open banking, les banques doivent en effet, si elles veulent pouvoir offrir la meilleure expérience à leurs clients, être parties prenantes à l’ensemble de l’écosystème financier et construire des partenariats avec des acteurs innovants, tels que les fintech.

UNE BANQUE  SÉCURISÉE Plus que jamais, les banques devront continuer à se montrer toujours plus sûres. Selon le baromètre des banques 2020 d'EY, la cyber-sécurité reste en effet la première priorité des banques pour les prochaines années. Et à l’heure où le Règlement général de la protection des données (RGPD) est bien entré en vigueur, la sécurité constitue également une préoccupation grandissante dans le camp des clients.

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GRAND DOSSIER CHez nos voisins

NEWB, la coopérative belge qui veut changer la banque pour de bon À l’automne dernier, NEWB a mobilisé 76.000 nouveaux coopérateurs à investir 35 millions d’euros dans son projet de banque coopérative, citoyenne et durable. Cet incroyable succès a conduit à l’obtention d'une licence bancaire et à la construction effective de cette « autre banque » dans un secteur en proie à d’intenses transformations.

« Changeons la banque pour de bon. » C’est autour de ce slogan que NEWB, une société coopérative qui nourrit le projet de créer une banque citoyenne, éthique et durable en Belgique, a mené une campagne de souscription auprès des citoyens qui n’a laissé personne indifférent. Pour que cette banque puisse voir le jour, elle devait réunir 30 millions d’euros en un mois, entre le 25 octobre et le 27 novembre derniers, en faisant appel aux citoyens. Ceux-ci ont massivement répondu présent, malgré les risques que représentait l’investissement. Sur la durée de la campagne de capitalisation, le projet a séduit plus de 70.000 nouveaux coopérateurs et a réuni la somme de 35 millions d’euros. Le succès s’est avéré être au-delà de toute attente. De quoi surprendre les acteurs du secteur et même les observateurs qui, pendant un moment, ont regardé le projet avec amusement. Depuis lors, NEWB a obtenu sa licence bancaire et est occupé à construire sa banque d’un genre nouveau. Mais au fait, c’est quoi cette banque éthique et durable que propose NEWB ? Tom Olinger, l’actuel CEO de NEWB (un natif du Luxembourg), a accepté de nous répondre.

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COMMENT EST NÉE L’IDÉE DE NEWB ? Ce projet s’est construit en réaction de la crise financière qui s’est étendue de 2007 à 2012. En Belgique, les trois banques principales ont dû être soutenues par l’État. Et même les quatre, ING ayant de son côté bénéficié de l’aide des Pays-Bas. Un véritable cataclysme, conséquence de l’engagement des acteurs bancaires dans des produits et des opérations qu’ils comprenaient mal et qui ont conduit à la crise. SUR BASE DE CE CONSTAT, COMMENT LE PROJET S’EST-IL DÉVELOPPÉ ? Un mouvement a été initié, en faveur d’une autre banque, qui est prudente, qui remplit un rôle social, qui mesure ses risques et, surtout, qui appartient à ses citoyens. La première idée s’inscrit en réaction positive à la crise. La volonté a été de revenir au rôle traditionnel de la banque, qui s’articule autour de trois activités : la conservation de l’argent des clients, l’organisation des moyens de paiement et le financement par l’octroi de crédits.


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tements, nous avons constaté que, autour de valeurs et d’une vision forte, nous pouvons rassembler des personnes talentueuses pour faire avancer le projet, des gens motivés par le fait de prendre part au changement. De ce fait, nous sommes moins dans une course à la rentabilité. Notre souhait, aujourd’hui, est de démontrer que ce modèle est viable, rentable. QUE DISENT VOS PROJECTIONS ? On vient de commencer. Nous avons obtenu la licence le 31 janvier. Nous pensons pouvoir ouvrir effectivement la banque dans le courant de l’année. Nous avons fait de nombreuses projections, tenant compte de nombreux facteurs. Mais, de manière générale, nous espérons être rentables au terme d’une période de cinq ans.

Il s’agissait de créer une banque proche de ses clients, qui puisse agir localement. On ne va pas financer des clients que l’on ne connaît pas, mais des acteurs proches de nous, pour irriguer l’économie locale.

LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE, ÉCONOMIQUE, SOLIDAIRE EST AU CŒUR DES DÉBATS AUJOURD’HUI. COMMENT CELA SE TRADUIT-IL AU NIVEAU DE VOTRE MODÈLE ?

LES ASPECTS ENVIRONNEMENTAUX, DE DURABILITÉ, N’ÉTAIENT-ILS PAS PRÉSENTS AU DÉPART ?

Notre modèle est le même depuis le début. Et de manière cohérente, il constitue une réponse à ces aspirations à une transition économique et solidaire formulées par beaucoup. Cela se traduit par une certaine sobriété, en opposition à certaines pratiques du monde bancaire, dans le mode de fonctionnement de la banque. Par exemple, nous avons dit non à l’octroi de bonus, qu’ils dépendant du résultat ou pas. L’écart salarial au sein de notre organisation, entre le plus faible et le plus élevé, doit se maintenir dans un rapport de 1 à 5. Les employés et les dirigeants de NEWB ne bénéficient pas de voitures de fonction. Les résultats de notre banque, dès lors, profitent directement à nos coopérateurs, qui sont aussi nos clients. Pour ce qui concerne les recru-

Ils ont rapidement émergé dans la mesure où lorsque l’on agit localement, dans une dynamique participative et citoyenne, les thématiques qui préoccupent la population entrent rapidement en ligne de compte. Or, aujourd’hui, les préoccupations environnementales, en Belgique, poussent les jeunes et les moins jeunes à s’exprimer dans la rue. Avec la dynamique qui nous anime, la banque a rapidement englobé des problématiques sociétales qui nous paraissent aujourd’hui essentielles. Notre modèle s’est construit en considérant tous ces enjeux.

Aujourd’hui, notre banque compte 110.000 coopérateurs. 76.000 nous ont rejoints à l’automne dernier.

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GRAND DOSSIER CHez nos voisins

tom olinger, ceo de NEWB

UN DES FACTEURS ESSENTIELS SERA DE RASSEMBLER UNE MASSE CRITIQUE DE CLIENTS… Oui, mais ce n’est pas le seul. Il faut pouvoir proposer des services au juste prix. Et la sobriété de l’organisation est un élément essentiel du modèle. Dans tout ce que nous envisageons, nous cherchons à aller au plus simple, au niveau des processus, des produits, de l’organisation. Alors que la plupart des banques proposent quatre ou cinq types de comptes courants différents, nous n’en proposerons qu’un seul. Nous n’offrirons qu’une carte de paiement. En faisant cela, nous simplifions aussi la gestion de l’informatique et rendons l’expérience utilisateur plus fluide. LA SIMPLIFICATION, L’EXPÉRIENCE UTILISATEUR… CE SONT DES CONCEPTS QUI RELÈVENT AUSSI LARGEMENT DU MONDE DE LA FINTECH. Tout à fait. Et pour avoir échangé avec des acteurs de la fintech, je peux dire que nous partageons beaucoup de points communs. Nous sommes quelque part entre une fintech et une neo-bank. Certains nous ont qualifiés de finlowtech, qui veut proposer une offre simple, claire, cohérente. La complexité constitue un facteur de coûts important pour les banques traditionnelles, dans la mesure où elle rend difficile le maintien des systèmes et leur évolution. Cela pèse sur les coûts structurels des acteurs du secteur et freine leur transformation. Pour créer une banque qui répond aux

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nouvelles aspirations des clients, c’est plus facile de créer à partir de rien. Si l’on parle de fintech, notre projet comprend aussi une dimension digitale importante dans notre modèle. Nous voulons que nos services et produits soient accessibles, pratiques. Nous travaillons par exemple intensément pour que, à l’ouverture des comptes, l’on-boarding des clients puisse se faire en ligne, le plus rapidement possible. LA CAMPAGNE DE CAPITALISATION DE L’AUTOMNE DERNIER A CONSTITUÉ UN TOURNANT ESSENTIEL POUR LA CONCRÉTISATION DE VOTRE PROJET. QU’EST-CE QUE CETTE MOBILISATION POPULAIRE – PLUS DE 70.000 NOUVEAUX COOPÉRATEURS INVESTISSANT 35 MILLIONS D’EUROS – RÉVÈLE À VOS YEUX ? Que 1 % de la population belge souhaite une banque telle que NEWB et, plus que cela, contribue à sa concrétisation en y plaçant de l’argent. Aujourd’hui, notre banque compte 110.000 coopérateurs. 76.000 nous ont rejoints à l’automne dernier. Cela exprime une de-

mande pour une autre banque. C’est aussi pour nous un signal que ces personnes ont envie de devenir clientes de la banque. C’est rassurant pour l’avenir. Cela a aussi été déterminant pour l’autorité de contrôle dans l’octroi de la licence. LA CRÉATION DE CETTE BANQUE S’INSCRIT DANS UN CONTEXTE DIFFICILE. LA TENDANCE EST PLUS À LA CONSOLIDATION DES ACTEURS BANCAIRES QU’À LA CRÉATION DE NOUVELLES STRUCTURES. QUEL REGARD LES ACTEURS DU MARCHÉ PORTENT-ILS SUR VOTRE INITIATIVE ? Il faudrait leur poser la question à eux. De notre côté, nous avons un projet que nous défendons. Il se construit petit à petit, étape après étape. C’est une aventure collective extraordinaire. Il y a évidemment eu des moments de doute, des difficultés, au cœur de la campagne de capitalisation ou pour convaincre l’autorité. Mais nous les surmontons. Nous n’avons jamais été découragés. De manière générale, on


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peut vous faire deux types de reproches. Ceux qui concernent ce que vous avez réalisé et qu’il faut pouvoir entendre. Puis ceux relatifs aux choses que vous n’avez pas encore faites et qui doivent vous motiver à avancer. LE MODÈLE COOPÉRATIF BANCAIRE N’EST PAS NOUVEAU. AU LUXEMBOURG, IL EST PRINCIPALEMENT INCARNÉ PAR LA BANQUE RAIFFEISEN. COMMENT SE TRADUIT-IL CHEZ VOUS ? Il existe beaucoup de banques coopératives en Europe, sous diverses formes. Au sein de NEWB, nous sommes très attachés à la démocratie directe. Les coopérateurs sont les propriétaires de la banque et peuvent s’exprimer directement, en assemblée générale sur l’avenir de NEWB, par vote à main levée, à bulletin secret si la décision concerne des personnes ou lors d’enquêtes sur des décisions relatives à la tarification des moyens de paiement, du compte à vue, des retraits au guichet. De cette manière, on ne s’inscrit pas dans une course au profit, en cherchant à vendre un produit trop cher. Le bénéfice retournerait de toute façon dans la poche du client-coopérateur. L’argent récolté sert donc avant tout à garantir la stabilité et la pérennité de la banque, en rassemblant suffisamment de fonds propres. VOTRE BANQUE SE VEUT ÉTHIQUE ET DURABLE… COMMENT S’ASSURET-ON QUE L’ARGENT PRÊTÉ SERA BIEN UTILISÉ POUR SOUTENIR DES PROJETS ENVIRONNEMENTAUX PAR EXEMPLE ? Quand on lance une banque, on ne peut pas mettre sur le marché trop de produits en même temps. Nous n’en proposerons que cinq ou six dans un premier temps : un compte courant associé à une carte de paiement, un livret non rémunéré, des solutions de crédit. Chacun de ces produits aura sa déclinaison, l’une pour les particuliers, l’autre pour les clients professionnels. Au niveau des crédits, ils serviront le financement de projets bien déterminés, comme la rénovation énergétique des bâtiments, la mobilité douce, la production

individuelle d’énergie propre par l’installation de panneaux solaires ou de pompes à chaleur. Comme évoqué, on ne finance que ce que l’on connaît, à l’échelon local. Cela nous permet de rester cohérents avec nos principes et valeurs. Au niveau du portefeuille financier, la gestion du bilan exigeant un équilibre entre liquidités et investissements dans des actifs, nous nous tournons vers des titres sûrs, comme des emprunts d’État, répondant à des critères éthiques et durables élevés. LES INITIATIVES EN FAVEUR D’UNE BANQUE ET D’UNE FINANCE PLUS DURABLES, PLUS RESPONSABLES, SE MULTIPLIENT CES DERNIÈRES ANNÉES. QUEL EST VOTRE REGARD SUR CES TENDANCES ? Que les activités bancaires éthiques, durables et citoyennes s’élargissent est une bonne nouvelle. Que NEWB soit seul serait problématique. Nous nous réjouissons. Et plus cette approche de la finance grandira, plus elle séduira les citoyens, mieux nous nous porterons. C’est le signe d’une demande grandissante pour des approches plus responsables, pour davantage de justice sociale. Toute évolution qui va dans ce sens est bonne à prendre. Cependant, je ne me fais pas d’illusion non plus. Il ne faut pas essayer de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. À travers ces initiatives, il y a aussi beaucoup de greenwashing. QUEL EST VOTRE POINT DE VUE SUR LES INITIATIVES EUROPÉENNES QUI CHERCHENT À RÉORIENTER L’ÉPARGNE ET LES INVESTISSEMENTS AU SERVICE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE ? Nous allons au-devant de changements importants. Les autorités de contrôle en ont pris conscience et s’en occupent. Cela se traduit par exemple par la prise en considération d’actifs échoués, qui présentent des risques plus importants en raison d’évolutions réglementaires ou sociétales, en lien avec cette transition environnementale au cœur du bilan des banques.

de la population belge souhaite une banque telle que NEWB

SI JE COMPRENDS BIEN, DES BANQUES QUI ONT INVESTI DANS DES PLATEFORMES PÉTROLIÈRES, PAR EXEMPLE, S’EXPOSENT À DES RISQUES ACCRUS SI LES RÈGLEMENTS NOUS POUSSENT SOUDAINEMENT À NOUS DÉTOURNER DES COMBUSTIBLES FOSSILES ? C’est cela. Cela peut paraître simple, en se disant que les banques doivent se tourner vers une clientèle soutenant des activités éthiques, durables. D’autre part, mettre en fin à des relations commerciales historiques ou expliquer à un client rentable qu’on renonce à le servir en raison de ces risques exige beaucoup de courage. C’est complexe. Beaucoup de bonnes ou mauvaises raisons nous poussent à ne pas changer. Faut-il attendre qu’un produit de substitution voie le jour pour interdire l’utilisation du glyphosate ? La réaction des autorités nous fait dire que pour faire bouger les lignes, il faut de la contrainte et du courage. Ce que nous essayons de montrer, avec notre projet, c’est que lorsque l’on se place volontairement au pied du mur, comme nous y étions à l’automne dernier, des solutions émergent et l’on parvient à faire bouger les choses pour atteindre ses objectifs.

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GRAND DOSSIER Finance verte

La finance verte, outil marketing ou levier du changement ? Le Luxembourg est l’une des principales places financières au monde. Il ne pouvait donc pas passer à côté d’un phénomène qui se constate partout : le verdissement de la finance. Fonds ISR, obligations durables, prêts verts… : toutes les formes d’investissement sont concernées. Si certaines intentions sont bonnes, il reste toutefois du chemin à parcourir pour que la finance verte sauve le monde. La finance verte est un phénomène global, qui a le vent en poupe depuis de nombreuses années. On le comprend facilement en considérant que la génération qui arrive aujourd’hui au pouvoir ou à la tête d’importantes fortunes a été baignée, dès la naissance, dans une atmosphère d’inquiétude par rapport au changement climatique et aux dommages environnementaux. Les nouveaux investisseurs souhaitent donc que leurs placements financiers contribuent à un monde meilleur, plus écologique, durable et socialement responsable. Pour empêcher, peut-être, la grande catastrophe qu’on leur prédit depuis toujours.

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121,2 milliards d obligations vertes émises à la fin 2018 par Luxembourg

UNE CROISSANCE MONDIALE, UN SUCCÈS LOCAL Les chiffres les plus faramineux circulent pour objectiver la croissance de la finance verte au cours des dernières années et dans les années à venir. Les obligations vertes – ces sortes de prêts souscrits principalement par des États ou des organisations supranationales – représenteraient ainsi 1.000 milliards

de dollars en 2020. Et leur évolution serait exponentielle puisque, rien qu’en 2019, plus de 200 milliards d’obligations vertes ont été souscrites. Les fonds ESG, quant à eux, ont attiré pas moins de 33 milliards de dollars en 2019. Et ce n’est pas fini puisque, selon certains observateurs, 20.000 milliards d’actifs devraient adopter des stratégies ESG (« environnement, social, de gouvernance ») sur les vingt prochaines années.

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4E position

Luxembourg occupe la 4 e position du classement des places boursières les plus vertes.

La place luxembourgeoise n’a pas raté le train de la finance verte, au contraire. En 2007, c’est même à Luxembourg qu’a été cotée la toute première obligation verte de l’histoire, émise par la Banque européenne d’investissement (BEI). Le Luxembourg Green Exchange, une bourse entièrement dédiée aux valeurs vertes a ensuite vu le jour. Aujourd’hui, 256 obligations vertes y sont listées et 25 fonds durables y sont cotés. En Europe, Luxembourg occupe donc le haut du panier des places financières vertes, avec 121,2 milliards d’obligations vertes émises à la fin 2018, soit 2,5 fois plus que Paris et 5 fois plus que Francfort. Enfin, selon le Global Green Finance Index publié par Z/Yen et Finance Watch, Luxembourg se classe à la 4 e position du classement des places boursières les plus vertes au monde. UNE VÉRITABLE NÉBULEUSE Le Grand-Duché est donc plutôt bien placé dans cette nouvelle course au verdissement de la finance. Il est d’ailleurs doté d’une série impressionnante de structures liées à cette nouvelle forme de finance : la Climate Finance Task Force lancée par

l’État luxembourgeois et des acteurs privés, LuxFLAG, l’agence luxembourgeoise de labellisation qui propose des standards adaptés à la finance verte, la Climate Finance Platform, fruit d’un partenariat entre la Banque Européenne d’Investissement et le gouvernement luxembourgeois, le Climate Finance Accelerator, le Forestry & Climate Change Fund, etc. Cela dit, toute cette nébuleuse, ici comme ailleurs, n’est pas de nature à clarifier ce que l’on entend, de façon très générique, par un investissement vert ou durable. C’est d’autant plus le cas pour un petit investisseur lambda qui fait confiance à son banquier pour placer ses économies dans un fonds qu’il pense durable. Dernièrement la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF) a mené une enquête pour analyser les différentes sociétés dans lesquelles investissait en réalité une personne qui plaçait de l’argent dans les fonds verts proposés par différentes banques présentes en Belgique. Les résultats étaient édifiants. Ainsi, les fonds ISR (« investissement socialement responsable ») proposés par ING, Belfius, BNP Paribas ou KBC comprenaient tous des sociétés pétrolières comme Total, BP, Exxon Mobil ou Royal Dutch Shell, entre autres. De quoi refroidir considérablement l’enthousiasme de l’investisseur prêt à sauver le monde grâce à ses placements. MAIS DE QUOI PARLE-T-ON ? Il ne faut évidemment pas généraliser et chaque investisseur, s’il souhaite vraiment que son placement ait un impact, doit toujours vérifier avec attention les informations qui lui sont communiquées concernant le fonds dans lequel il souhaite investir. Ceci étant dit, pour éviter toute confusion et toute désillusion, il faut aussi pouvoir identifier clairement de quoi on parle. Ainsi, les fonds ISR ne sont pas destinés à financer des projets qui, en eux-mêmes, doivent produire un effet positif sur l’environnement. Ils s’attachent plutôt à soutenir des entreprises qui, en plus d’être profitables, mettent en place des pratiques respectant des critères ESG.

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«Vous pouvez donc très bien, comme le révélait l’enquête de la RTBF, financer une société pétrolière en plaçant votre argent dans un fonds ISR » Il peut par exemple s’agir de politiques de réduction de la consommation d’eau ou des émissions de CO2 de la société, de mesures visant à améliorer le bien-être du personnel, ou encore de pratiques donnant une plus grande transparence à la gouvernance de l’entreprise. Vous pouvez donc très bien, comme le révélait l’enquête de la RTBF, financer une société pétrolière en plaçant votre argent dans un fonds ISR. Pour financer directement un projet profitable à l’environnement, il vous faudra plutôt passer par un fonds dit « d’impact ». Ceux-ci sont destinés à financer un ou plusieurs projets clairement définis, et à la visée sociale, écologique, etc. Au Luxembourg, le Forestry and Climate Change Fund mène par exemple des projets de reforestation au Costa Rica et au Nicaragua qui profitent à la fois à l’environnement et aux populations locales, tout en offrant un rendement intéressant aux investisseurs. L’autre option est d’opter pour des obligations vertes qui, elles aussi, sont plus ciblées sur certains types de projets, avec une plus grande transparence.

DU RENDEMENT OU DES VALEURS Évidemment, opter pour un fonds d’impact ou une obligation verte ne vous offrira pas le même rendement qu’un fonds ISR proposé par votre banque. En termes de rendement, ceux-ci n’ont en effet quasiment rien à envier à un fonds traditionnel puisqu’ils peuvent atteindre les 10 %. Ceci étant dit, si l’appât du gain est pour vous moins vif que la volonté de laisser votre argent avoir un impact sur des sujets qui vous tiennent à cœur, vous pouvez alors opter pour les fonds d’impact ou les obligations vertes. Les possibilités d’investissement de ce genre, à partir du Luxembourg, sont en effet nombreuses. On le voit, il y a certainement une part de marketing dans cette finance verte qu’on nous présente souvent comme une véritable révolution à même de faire changer le monde. Cela dit, il est vrai que ce mouvement vous offre déjà des solutions si vous souhaitez que vos économies aient un véritable impact. L’évolution des mentalités au niveau global, la volonté de faire reposer l’évolution de nos sociétés non

Faire confiance aux labels, faute de mieux La transparence n’est pas encore totale au sein de nombreuses institutions bancaires qui proposent des investissements verts, d’autant que les textes légaux encadrant cette dénomination tardent à être validés. Pour avoir le détail des sociétés financées et savoir exactement quelles sont leurs différentes activités, c’est parfois le parcours du combattant. C’est la raison pour laquelle différents labels ont vu le jour pour certifier du caractère vert ou durable des fonds disponibles. Au Luxembourg, c’est LuxFLAG qui tient ce rôle. L’organisation labellise aujourd’hui 158 produits d'investissement représentant 65 milliards d’actifs : 21 obligations vertes, 9 fonds environnementaux, 3 fonds climatiques, 84 fonds ESG, 32 fonds microfinance et 9 'Applicant Fund Status'. LuxFLAG a enregistré une croissance de 37 % du nombre de produits d’investissement labellisés depuis juin 2019.

plus sur la seule croissance monétaire, mais aussi sur le développement durable du bien-être et de la qualité de vie du plus grand nombre, semblent par ailleurs être des tendances de fond. Demain, plus de leaders et de grands investisseurs devraient sans doute partager cette vision. Et le grand public pardonnera de plus en plus difficilement une entreprise qui s’assoirait sur le développement durable.

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Grand dossier Entretien croisé

Avec Libra, Facebook est-il en passe de révolutionner la banque ? Que devient le projet de création d’une monnaie virtuelle Libra, porté par Facebook et ses partenaires ? Annoncé en juin 2019, après avoir fait couler beaucoup d’encre, il est de nouveau au cœur des attentions un an plus tard avec une nouvelle mouture. Les promoteurs du projet ont revu leur copie sans pour autant abandonner leurs ambitions. Marc Hemmerling (ABBL), Laurent Kratz (Scorechain) et Fabrice Croiseaux (InTech) font le point sur les évolutions et perspectives liées à l’émergence de cette nouvelle cryptomonnaie qui pourrait rapidement devenir accessible à près de deux milliards d’utilisateurs.

AVANT D’ÉVOQUER LES DERNIÈRES ÉVOLUTIONS RELATIVES À LA CRÉATION DU LIBRA, POUVEZ-VOUS NOUS RAPPELER LES AMBITIONS PREMIÈRES DE CE PROJET ? MARC HEMMERLING, Head of Innovation, Digital Banking & Payments au sein de l’ABBL. L’objectif principal du projet est de recourir à une monnaie virtuelle globale pour mettre en œuvre un système de paiement convivial, accessible très facilement à un grand nombre d’utilisateurs, permettant des échanges en temps réel. Il intègre aussi une dimension inclusive, en se voulant accessible à des populations qui ne profitent pas du système financier traditionnel. Il y a également une vision transfrontalière, globale. Ces ambitions n’ont pas évolué avec la nouvelle mouture du projet, qui tient davantage compte des contraintes, notamment réglementaires, liées à la mise en œuvre d’un nouveau système de paiement.

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EN UN AN, COMMENT A ÉVOLUÉ LE PROJET ? FABRICE CROISEAUX, CEO d’InTech Face aux craintes soulevées par les autorités, liées au risque de fraude ou au fait qu’un consortium privé puisse émettre de la monnaie et porter atteinte à la stabilité financière de l’économie mondiale, les promoteurs du Libra ont revu leur copie. Si l’ambition initiale du projet n’a pas évolué, sa nouvelle mouture intègre de nouveaux outils, comme une vérification plus poussée des utilisateurs, un cadre renforcé pour le déploiement de smart contracts sur la blockchain qui soutient la monnaie virtuelle. Le changement le plus notable et le plus commenté réside dans le choix de ne plus créer une seule devise virtuelle, mais plusieurs. Dans sa première version, il était prévu que la valeur du Libra soit établie en tenant compte de l’évolution d’un panier de devises. Désormais, il est envisagé de créer plusieurs cryptocurrencies (appelées stable coin), chacune


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Marc Hemmerling Head of Innovation au sein de l’ABBL, dans les domaines du Digital Banking, de la FinTech et des paiements, Marc   Hemmerling est un expert des tendances numériques qui transforment la banque au Luxembourg et en Europe. Son expérience et expertise lui permettent d’accompagner les changements à l’œuvre et de conseiller les membres de l’ABBL ainsi que les autorités de la place financière luxembourgeoise sur les grands enjeux dans le domaine du numérique.

« L’objectif principal est de recourir à une monnaie virtuelle globale pour mettre en œuvre un système de paiement convivial » MARC HEMMERLING, Head of Innovation, Digital banking & payments au sein de l’ABBL 25


Grand dossier Entretien croisé

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ra son équivalent en monnaie virtuelle géré par la banque centrale. Mais je ne pense pas que l’idée de Libra de proposer une monnaie internationale soit abandonnée pour autant. MARC HEMMERLING Pour Libra, il s’avère en effet plus simple d’entrer sur le marché en associant la valeur de sa monnaie directement à celle de l’euro plutôt qu’en s’appuyant sur une devise neutre. QUEL EST LE POTENTIEL RÉVOLUTIONNAIRE D’UN PROJET COMME LIBRA ?

Fabrice Croiseaux Le CEO d’InTech, la filiale du groupe POST dédiée au Conseil IT et au développement logiciel, est investi dans de nombreux projets et sociétés fintech contribuant à la transformation de l’activité financière au Luxembourg. Nombre de ces projets s’appuient sur la technologie blockchain. C’est un observateur avisé des évolutions technologiques, explorant avec pragmatisme les moyens de mettre les nouveaux outils au service du business de ses clients et de l’économie luxembourgeoise.

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étant liée directement à la valeur de l’euro, du dollar ou d’autres monnaies. On aurait donc un Libra-euro, un Libra-dollar, un Libra-yen, etc. LAURENT KRATZ, CEO de Scorechain Libra a adapté sa stratégie. Plutôt que d’arriver d’entrée de jeu avec une monnaie globale, le consortium a décidé dans un premier temps d’adosser sa monnaie sur plusieurs monnaies nationales. Il faut se dire que, au-delà de Libra, la plupart des banques centrales travaillent à l’établissement de stable coin. À terme, l’euro trouve-

MARC HEMMERLING Les technologies sur lesquelles s’appuie Libra ne sont pas neuves. Les ambitions qu’il porte non plus d’ailleurs. Beaucoup d’acteurs aspirent depuis des années à mettre en œuvre un système de paiement global, permissionless. La technologie le permet. Mais les acteurs qui nourrissent ces ambitions sont confrontés à des contraintes réglementaires, qui visent avant tout à garantir la confiance des citoyens dans le système. L’aspect révolutionnaire du projet Libra découle surtout de la puissance de Facebook. LAURENT KRATZ En effet, techniquement, mettre en œuvre un tel projet n’est pas complexe. Les enjeux résident avant tout dans l’accès au marché. Facebook, c’est 1,7 milliard d’utilisateurs qui pourraient directement recourir à de nouvelles solutions de paiement s’appuyant sur Libra. Tous les utilisateurs de WhatsApp, au jour du lancement du Libra, pourraient accéder à leur porte-


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« Il y a une opportunité pour les banques feuille de monnaie virtuelle (wallet) et transférer de l’argent à un proche via l’application. Un tel projet rendrait directement l’utilisation des monnaies virtuelles moins confidentielle, faciliterait grandement les transactions. Rappelons que le Bitcoin n’est encore utilisé que par 50 millions d’utilisateurs seulement. FABRICE CROISEAUX Alors que la technologie blockchain permet d’envisager des modèles complètement décentralisés, on constate que ce qui est construit à travers Libra, autour de quelques dizaines de nœuds (des serveurs dont la fonction est de valider chaque transaction, ndlr), reste assez centralisé, même plus centralisé que le système bancaire actuel. Cette approche, à nouveau, doit faciliter l’accès à la devise pour chacun, autrement dit la distribution de la monnaie auprès des utilisateurs à travers des services providers identifiés, ainsi qu’assurer le contrôle des utilisateurs. LAURENT KRATZ Il faut aussi préciser le modèle économique sur lequel s’appuie le Libra. Plus il y aura des coins en circulation, plus le système sera rémunérateur pour ses parties prenantes. QUELS SONT LES RISQUES POUR LE SECTEUR BANCAIRE QUE L’ON QUALIFIERA DE TRADITIONNEL ? MARC HEMMERLING Le principal risque pour le secteur est de voir des fonds sortir du système bancaire. Les actifs convertis en Libra et gérés depuis un wallet disparaissent des comptes de dépôt. C’est un peu comme si vous conserviez une partie plus

de devenir elles-mêmes virtual asset providers » importante de vos actifs en cash. À grande échelle, compte tenu de l’importance de la masse monétaire qui pourrait être convertie en Libra, c’est la capacité de prêt des acteurs bancaires qui pourrait être impactée et entrainer des problèmes macro-économiques. Je ne dis toutefois pas qu’il n’est pas possible d’y remédier, en envisageant par exemple d’autres formes de financement au départ du Libra, comme le peer-to-peer lending. Cependant, cette éventualité pourrait nuire à la stabilité économique du secteur.

Fabrice croiseaux, CEO d’intech

COMMENT LES BANQUES PEUVENTELLES SE POSITIONNER OU S’ADAPTER VIS-À-VIS DE CETTE ÉVENTUALITÉ ? FABRICE CROISEAUX Il y a une opportunité pour les banques de devenir ellesmêmes virtual asset providers, autrement dit de se doter de la capacité de gérer de la monnaie virtuelle, comme elles gèrent déjà des actifs monétaires traditionnels. Elles pourraient très bien gérer et distribuer des Libra à leurs clients, mais aussi d’autres monnaies virtuelles. MARC HEMMERLING Les évolutions historiques dans le domaine du paiement ont tendance à démontrer que la constitution d’un wallet pour pouvoir effectuer des paiements constitue toujours une étape supplé-

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« Aujourd’hui, la monnaie virtuelle est un sujet considéré avec sérieux au niveau de l’ensemble des comités exécutifs des banques » LAURENT KRATZ, CEO de Scorechain

mentaire, et donc de trop. L’idéal sera de pouvoir initier des paiements depuis un compte de dépôt unique, sans devoir s’appuyer sur d’autres intermédiaires. C’est la direction que souhaitent poursuivre les autorités européennes à travers la directive sur les comptes de paiement. FABRICE CROISEAUX La plus grande menace concerne sans doute les opérateurs de cartes bleues, comme VISA ou MASTECARD. Quel sera l’impact dans ce business ? Vont-ils jouer un rôle dans le déploiement du Libra ? Ces acteurs faisaient partie du consortium au départ, avant de s’en retirer. Mais il n’est pas impossible qu’ils reviennent à la table de discussion. MARC HEMMERLING De tels acteurs n’hésitent pas à dépenser des sommes importantes dans leurs démarches de veille

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technologique. Il est probable qu’ils aient choisi de payer cher pour prendre part au projet Libra dès le départ et apprécier les enjeux, risques et opportunités les concernant. POUR FACEBOOK, L’ENJEU SERAIT DONC DE PROPOSER UN MOYEN DE PAIEMENT EFFICIENT, PLUS QUE DE SE POSITIONNER COMME ACTEUR BANCAIRE À PART ENTIÈRE… FABRICE CROISEAUX L’intérêt principal pour Facebook, dont le modèle s’appuie sur la valorisation des données, réside dans la connaissance de ses utilisateurs, dans le contact qu’ils peuvent maintenir avec eux. Facebook vient de renommer le 26 mai dernier son wallet Libra en Novi pour bien montrer la différence entre la monnaie virtuelle et le wallet. Il sera bientôt possible d’effectuer un transfert en temps réel vers un autre utilisateur à l’autre bout de la planète ou encore de régler des achats en deux clics

au départ de Facebook. À travers cela, surtout, Facebook disposera de nouvelles données utiles autour des achats effectués via l’application ou de la capacité financière des utilisateurs. LAURENT KRATZ D’autre part, le modèle économique de Libra s’appuyant sur la blockchain, ses parties prenantes se rémunèrent en fonction du volume de transactions effectuées. Plus les Libra circuleront, plus les opérateurs des nœuds de la blockchain (des serveurs dont la fonction est de valider chaque transaction, ndlr) y gagneront. Un des enjeux est de permettre aux utilisateurs d’effectuer toutes les transactions, en ligne et même chez l’artisan boulanger du coin, en Libra. EN EUROPE, ET PLUS LARGEMENT EN OCCIDENT, LIBRA VA DONC ÊTRE UN SYSTÈME DE PAIEMENT PARMI DE NOMBREUX AUTRES. SON RÉEL INTÉRÊT NE RÉSIDE-T-IL PAS DANS L’INCLUSION FINANCIÈRE QU’IL PERMET, DANS LA POSSIBILITÉ D’OFFRIR FACILEMENT UN MOYEN DE PAIEMENT EFFICIENT À CEUX QUI N’Y ONT PAS ACCÈS ? MARC HEMMERLING Je pense qu’il faut relativiser cet aspect. Si l’on parle d’inclusion financière en Europe, la directive sur les comptes de paiement contraint les banques commerciales à fournir un service minimum, un compte et un moyen de paiement associé, à tout le monde. Si l’on pense aux citoyens n’ayant pas accès aux services financiers dans les pays en voie de développement, le principal problème ne se situe pas uniquement dans l’accès aux moyens de paiement. Dans la mesure où, malheureusement, il n’y a pas ou peu


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Laurent Kratz Entrepreneur dans le domaine du numérique, Laurent Kratz a fondé et dirigé plusieurs start-up depuis l’émergence d’Internet. Parmi elles, citons lesfrontaliers.lu et jamendo.com. Depuis les années 2000, il s’investit dans le domaine de la fintech. Sa société actuelle, Scorechain, travaille autour de la technologie blockchain et des opportunités qu’elle offre pour le secteur financier.

d’actifs financiers à transférer, l’importance de disposer d’un moyen de paiement global et complexe tel qu'imaginé par Facebook est moindre. A mes yeux, la dimension inclusive est avant tout un levier commercial.

venir à ce que les utilisateurs capitalisent leur argent dans le circuit Libra. Il faut consolider un écosystème qui permette de facilement payer son AirBnB ou son Uber, ou encore une plateforme d’achats en ligne, avec des Libra.

LAURENT KRATZ Si l’on considère cet enjeu, on peut même ajouter que Libra arrive tardivement sur les marchés en voie de développement. En Chine, par exemple, avec Alipay, les utilisateurs peuvent depuis longtemps régler leur paiement sans passer par le système financier traditionnel, via leur opérateur téléphonique. Le véritable intérêt de Facebook et de ses partenaires est de par-

EN QUOI LE PROJET LIBRA A-T-IL CHANGÉ LA PERCEPTION DES BANQUES VIS-À-VIS DES MONNAIES VIRTUELLES ? LAURENT KRATZ Il l’a changé fondamentalement. Aujourd’hui, la monnaie virtuelle est un sujet considéré avec sérieux au niveau de l’ensemble des comités exécutifs des banques. Les banques centrales tra-

vaillent activement sur le sujet de l’émission de monnaie virtuelle, de stable coin. Tous considèrent l’importance et l’opportunité de proposer des devises virtuelles stables, adossées au système monétaire actuel, pour gagner en efficacité et en transparence. Je ne pense pas que le plus grand intérêt qu’offrent les cryptocurrencies et la blockchain se situe au niveau du paiement. Il se trouve à mes yeux davantage au niveau de l’activité de settlement, de gestion et de transferts des titres financiers. Les monnaies virtuelles constituent un moyen plus efficients de régler des achats ou des transferts de titres, de verser des dividendes, d’effectuer des swaps. FABRICE CROISEAUX La technologie blockchain, en permettant une gestion décentralisée des informations et des opérations, doit en effet permettre de réduire le temps de traitement des transactions liées à l’achat ou au transfert de titres et faciliter la réconciliation des données. Il y a un énorme potentiel à ce niveau.

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GRAND DOSSIER OPEn FINAnce

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Ouvrir le secteur financier à de nouveaux

écosystèmes Les institutions financières de demain seront plus ouvertes, davantage interconnectées avec une grande diversité d’acteurs et de partenaires pour toujours mieux répondre aux aspirations de leurs clients. La plateforme open banking LUXHUB accompagne les institutions financières dans ce changement, en facilitant la rencontre entre divers partenaires.

Début mai, LUXHUB annonçait la levée de 7,4 millions d’euros. Cet argent frais, injecté par les quatre fondateurs de la plateforme open banking que sont la banque Raiffeisen, BGL BNP Paribas, POST Luxembourg et Spuerkeess, va permettre à la société de poursuivre son développement galopant. AU-DELÀ DE LA CONFORMITÉ LUXHUB a vu le jour pour accompagner les acteurs bancaires dans leur mise en conformité vis-à-vis de la dernière directive services de paiement (PSD2) qui les contraignait à ouvrir leurs systèmes. Chaque banque doit en effet permettre à des acteurs tiers autorisés d’accéder aux données de compte d’un de ses clients et permettre d’initier des paiements au départ de celui-ci. « La réglementation engageait de cette manière les banques dans un mouvement d’ouverture, encourageant l’innovation dans le domaine du paiement, explique Jacques Pütz, CEO de LUXHUB. Nous avons vu le jour il y a deux ans dans ce contexte. Notre plateforme, qui offre des outils et des interfaces permettant de gérer l’accès aux données de compte dans le respect des prescrits réglementaires, a permis à une quarantaine d’institutions financières en Europe de se mettre en conformité. »

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Désormais, LUXHUB veut emmener ses clients plus loin, en leur permettant de s’ouvrir plus facilement vers l’extérieur et de se positionner au cœur d’écosystèmes naissants. « On sort désormais des enjeux réglementaires pour innover et permettre aux acteurs bancaires de se transformer, poursuit Jacques Pütz. En s’ouvrant, la banque peut aller au-devant de nouvelles opportunités, pour se rapprocher de ses clients, pour leur offrir de nouveaux services. Notre plateforme est au cœur de cet écosystème ouvert, facilitant la rencontre des institutions financières et des fintechs ainsi que la mise en œuvre de partenariats créateurs de valeur. » AGRÉGER LES COMPTES EN UNE SEULE INTERFACE Dans un premier temps, LUXHUB va lancer deux nouvelles solutions. La première, LUXHUB One, permet d’agréger facilement les comptes qu’un client peut avoir dans diverses institutions financières. PSD2, en effet, autorise une banque ou tout acteur tiers autorisé à accéder automatiquement et gratuitement aux données de compte du client qui en donne l’autorisation. Dès lors, chaque acteur a la possibilité d’agréger l’ensemble des données financières d’un client, pour lui offrir par exemple une vue globale sur ses avoirs, peu importe l’institution dans laquelle il les a placés. « Notre solution facilite l’intégration entre les banques pour leur permettre d’agréger les informations et de gérer les flux de données provenant de diverses institutions, précise Jacques Pütz. Grâce à elle, le client pourra non seulement disposer d’une vue globale sur tous ses comptes au départ d’une seule interface, mais il pourra aussi initier un paiement au départ du compte de son choix. » Cette première solution agrège aujourd’hui les sept principales banques du Luxembourg et plusieurs grandes banques en Belgique et en France. LUXHUB, deuxième plus grand acteur de l’open banking en Europe, entend être un catalyseur de la transformation des banques.

« Plus que l’open banking, nous nous intéressons beaucoup à l’open finance, avec la volonté de rapprocher les acteurs de la banque, de l’assurance ou encore de l’industrie des fonds  « La simple agrégation des comptes va permettre à la banque qui le propose et qui a obtenu le consentement de son client d’enrichir considérablement la connaissance de ce dernier, d’obtenir une vue sur son patrimoine global et de lui proposer des services adaptés ou des offres l’invitant à effectuer des transferts opportuns », explique Jacques Pütz. Cette possibilité doit engager les acteurs dans une nouvelle compétition, source d’innovation et d’opportunités pour le client. S’OUVRIR À DE NOUVELLES SOLUTIONS La deuxième solution réside dans la mise en œuvre d’une marketplace rassemblant une large palette de solutions innovantes. À travers la plateforme LUXHUB, des institutions financières telles que des fintechs peuvent rendre leurs solutions accessibles, en y exposant leurs API. Chaque institution financière peut dès lors innover, en proposant de nouveaux services à des acteurs tiers, par exemple à d’autres banques, mais aussi enrichir facilement son portefeuille de solutions fintechs destinées à ses clients. « De nombreux outils sont directement disponibles à travers nous. Les acteurs du secteur financier peuvent donc évoluer sans devoir multiplier les démarches avec chaque porteur de solutions individuellement. Pour les fintechs, cette plateforme constitue aussi une opportunité d’accéder via les banques à un large mar-

Jacques Pütz, CEO de LUXHUB

ché. Le catalogue va s’étoffer dans le temps et l’intégration de chaque nouvelle solution est facilitée », explique Jacques Pütz. S’OUVRIR AU-DELÀ DU MÉTIER DE LA BANQUE Si aujourd’hui, ces solutions et interfaces concernent essentiellement le métier de la banque, LUXHUB entend étendre son champ d’action tant sectoriel que géographique. « Plus que l’open banking, nous nous intéressons beaucoup à l’open finance, avec la volonté de rapprocher les acteurs de la banque, de l’assurance ou encore de l’industrie des fonds, précise Jacques Pütz. D’autres secteurs pourraient ainsi proposer des solutions directement intégrées avec la banque du client et qui contribueraient à améliorer l’expérience utilisateur proposée. » L’open banking vit ses premières heures et la révolution qu’il induit sera considérable. « Notre rôle, à l’échelle européenne, est de faciliter les enjeux des acteurs du secteur financier vis-à-vis de cette transformation, en garantissant la confiance leur permettant de s’ouvrir et de se positionner au cœur de nouveaux écosystèmes. »

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GRAND DOSSIER Témoignage Fundsdlt

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Fluidifier et accélérer la distribution des fonds En s’appuyant sur la technologie blockchain, la plateforme FundsDLT facilite la collaboration entre les acteurs de la chaîne de distribution afin d’en améliorer l’efficience, réduire le temps de traitement des opérations mais aussi les coûts. Cet acteur innovant contribue ainsi à maintenir l’industrie luxembourgeoise des fonds à la pointe.

bernard simon, CIO de Fundsdlt

C’est en 2016 qu’a été initié le projet FundsDLT. Fundsquare, la plateforme délivrant des services d’informations et de reporting réglementaire pour la distribution transfrontalière de fonds de la Bourse de Luxembourg, InTech, la filiale du groupe POST dédiée au développement logiciel et à l’innovation, et KPMG veulent explorer les possibilités offertes par la technologie blockchain afin de

faciliter la tenue des registres de fonds. Depuis lors, la start-up a fait du chemin, au point de convaincre quatre géants de l’industrie d’investir financièrement dans son développement. Clearstream, Credit Suisse Asset Management, la Bourse de Luxembourg et Natixis Investment Managers sont entrés dans son capital. «La volonté est d’entrer en production, avec nos premiers clients en début de l’année prochaine, et de progressivement convaincre de plus en plus d’acteurs de l’industrie avec une ambition européennes dès le départ, explique Bernard Simon, CIO de FundsDLT, co-initiateur du projet. Aujourd’hui, le processus est très fragmenté, avec une diversité d’acteurs qui ne collaborent pas efficacement et qui répliquent, chacun de leur côté, les mêmes opérations. » UNE INFRASTRUCTURE UNIQUE Les informations récoltées et vérifiées à un bout de la chaîne ne sont pas forcément communiquées aux autres acteurs. Le processus, très réglementé, avec différentes responsabilités, contraint chaque acteur à effectuer les mêmes vérifications. La multiplication des étapes et des opérations, parfois répétées d’un acteur à l’autre, a tendance à ralentir la distribution. « Avec FundsDLT, nous créons une infrastructure unique permettant à chaque acteur de se connecter directement au fonds, explique Bernard Simon. Cette plateforme réplique le processus métier existant, les diverses fonctions et responsabilités existantes, tout en standardisant l’approche. En s’appuyant

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sur une même infrastructure, l’information peut être plus efficacement partagée d’un bout à l’autre de la chaîne, pour éviter de devoir répéter les mêmes opérations. » RASSEMBLER L’ÉCOSYSTÈME Le distributeur, la banque dépositaire, l’agent de transfert et le gestionnaire s’appuient sur une même infrastructure, construite sur une blockchain privée, qui leur permet de partager, traiter et réconcilier les informations. « Chacun peut réaliser ses opérations et assumer ses responsabilités au départ d’une même source d’information, explique Gregory   Tordo, Directeur au sein d’In Tech. C’est un peu comme si l’on rassemblait une grande diversité d’acteurs autour d’une même chaîne de montage. Les opérations peuvent être effectuées de manière plus fluide, sans disparité dans les informations traitées. On enlève toutes les activités redondantes. On peut aussi mettre à la disposition des acteurs de nouveaux outils qui vont supporter leurs opérations. On gagne en temps, en efficacité et l’on peut réduire significativement les coûts inhérents au processus. La mise à disposition de l’ensemble des données à tous les acteurs permet d’envisager une exécution en temps réel. » TRANSPARENCE ACCRUE, CONTRÔLE RENFORCÉ Avec une information partagée sur l’ensemble de la chaîne, la transparence est aussi accrue. Une telle plateforme doit permettre au promoteur d’un fonds d’accéder à des données essentielles sur l’investisseur et qui étaient difficiles à obtenir avec une chaîne de distribution fragmentée. « On peut de cette manière envisager la création de filières de service à valeur ajoutée, au départ de solutions innovantes au cœur de la chaîne, pour enrichir l’expérience des investisseurs, explique Gregory Tordo. Le contrôle des opérations, grâce à la standardisation, est facilité. Si le niveau d’automatisation était déjà élevé tout au long de la chaîne, les opérations sont désormais ancrées au niveau d’un smart

contract. Autrement dit, la règle est encodée au cœur de la blockchain, garantissant la bonne exécution des opérations. »

gregory tordo, Directeur, intech

ENGAGER LA TRANSFORMATION Avec l’arrivée de quatre mastodontes de l’industrie des fonds dans son capital, FundsDLT aborde aujourd’hui une nouvelle étape de son développement. « Nous avons prouvé le potentiel de la solution, explique Bernard Simon. L’enjeu est désormais d’embarquer l’industrie sur la plateforme. Depuis le lancement, nous travaillons avec les membres de l’écosystème pour fixer une gouvernance acceptable pour tous, préciser les fonctions au départ des contraintes et attentes de chacun autour d’un Minimum Viable Product. Plus de cinquante acteurs ont pris part à cette phase d’exploration et de test de la technologie. Désormais, avec quatre partenaires forts, le déploiement est engagé. La volonté est d’entrer en production, d’abord avec nos quatre nouveaux actionnaires au début de l’année prochaine, et de progressivement convaincre de nouveaux clients. » AMBITIONS INTERNATIONALES In Tech, qui fait partie de cette aventure depuis le début, va continuer d’accompagner le déve-

loppement en assurant l’intégration de la plateforme auprès des acteurs de l’industrie. « Nous sommes là pour leur faire profiter de notre expertise et les aider à modifier leurs systèmes d’information afin qu’ils puissent pleinement profiter du potentiel de FundsDLT. Dans cette perspective, au-delà de l’intégration, nous avons aussi la volonté de les soutenir dans leur évolution et de leur permettre de proposer de nouveaux services à leurs clients, explique Gregory Tordo. Nous souhaitons aussi pouvoir explorer avec eux d’autres opportunités offertes par la blockchain. Notamment de rendre plus efficiente la distribution des fonds d’investissement et de développer de nouvelles solutions innovantes de distribution digitale.» De son côté, FundsDLT nourrit l’ambition de devenir une infrastructure de marché, susceptible de supporter l’ensemble de l’industrie à une échelle internationale. Le Luxembourg, deuxième centre de domiciliation des fonds au monde, est une place de choix pour s’engager dans cette transformation.

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UNE PERSONNALITÉ INSPIRANTE PARTAGE SA VISION DU MONDE DE DEMAIN


interstellar lab

founder & CEO

Grand entretien


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grand entretien

« Trouver comment nous installer sur Mars pour mieux préserver la vie sur Terre » Créer des écosystèmes régénératifs qui permettraient à l’homme de s’installer et de vivre sur une autre planète. Construire des lieux clos, quelque part entre un village de vacances et un laboratoire scientifique, autoalimentés en oxygène, en eau, en aliments essentiels, dans lesquels nous pourrions survivre sur mars ou sur toute autre planète. C’est le projet fou d’Interstellar Lab, une start-up montée en septembre 2018 par Barbara Belvisi, et qui est sur le point de se concrétiser. Et si l’on n’a pas encore inventé la fusée qui nous emmènera sur la planète rouge, cette expérience ambitieuse nous servira d’abord à mieux vivre sur Terre, dans le respect des ressources à notre disposition.

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Entretien avec une entrepreneuse dynamique et inspirante. Barbara Belvisi, en nous emmenant au cœur de ses villages, nous invite à repenser le monde de demain. Pourriez-vous nous résumer l’ambition poursuivie par Intestellar Lab ? Il s’agit de contribuer à construire un futur plein de vie, que ce soit sur Terre ou sur d’autres planètes. Plus concrètement, nous concevons et construisons des villages intégrant des systèmes de production de nourriture, de recyclage de l’eau, de traitement des déchets, autonomes en énergie et en oxygène… pour vivre suivant un modèle régénératif.

Vous nous invitez à envisager, de manière très concrète, la possibilité d’aller vivre sur mars. Comment cette idée a-telle émergé dans votre esprit ? Avant Interstellar, j’ai monté une autre boîte – Hardware Club – qui accompagnait les startup actives dans le développement de produits

électroniques. Ma volonté, quand j’ai quitté cette structure, était de continuer à travailler sur des solutions hardware, mais qui permettraient de répondre aux problématiques environnementales auxquelles nous faisons face aujourd’hui sur Terre. J’ai alors commencé à rechercher des solutions répondant aux problématiques de production de nourriture à l’échelle locale, de traitement des déchets, de production de matériaux au départ de composés organiques. À l’époque, je regardais à cela avec une approche vraiment terrestre. Après cinq mois de recherche, plusieurs idées avaient émergé. C’est à ce moment que j’ai vu les boosters de la fusée de Space-X revenir sur Terre. À ce moment, la perspective de devenir une espèce multiplanétaire, qui n’était qu’un rêve lointain, m’est apparue beaucoup plus concrète.

Comment cette perspective a-t-elle transformé votre vision des choses ? En faisant un lien. Les systèmes dont on aurait besoin pour vivre sur Mars doivent être régénératifs. Or, si nous pouvons les


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barbara belvisi, founder & ceo , interstellar lab

Il n’est pas certain que l’on puisse aller sur Mars avant plusieurs décennies. Qu’en est-il de la réalisation d’un habitat régénératif ? Il ne faudra pas attendre autant de temps. Nous bossons actuellement à la finalisation d’un module de test qui pourra accueillir cinq personnes. Il devait être construit pour cet été, aux États-Unis. Les mesures visant la limitation de la propagation du coronavirus nous obligent à adapter le planning. Mais nous espérons qu’il sera construit d’ici la fin de l’année et pourra déjà accueillir des visiteurs. Ces lieux seront ouverts à des scientifiques, évidemment, mais aussi à des touristes désireux de vivre de nouvelles expériences.

concevoir pour aller vivre sur Mars, pourquoi ne pas envisager ces modèles pour mieux vivre sur Terre ?

Pourquoi privilégier une approche extraterrestre, moins directement accessible, à une approche plus terre à terre ? Lorsque l’on conçoit des systèmes pour vivre dans l’espace, les contraintes sont telles que l’on doit trouver des solutions ultra-innovantes. Au départ de cette idée, je suis repartie aux États-Unis, pour retrouver mon réseau, raconter ce que je voulais faire, et lancer la boîte.

Une telle idée en aurait refréné plus d’un… L’ambition est hyper élevée mais cela ne m’a pas effrayé. Je pense que tout est une question de planification, d’équipe, d’organisation, de pouvoir reconnaître ce qu’on sait faire et ce que l’on ne sait pas faire… Il faut aussi constamment questionner le statu quo. Je pense qu’il ne faut pas considérer une chose comme acquise parce que l’on a toujours fait comme cela. J’aime regarder les choses avec un œil neuf et construire une expérience à partir de là. Bien évidemment, il faut bien s’entourer. Mais je pense que rien n’est impossible à partir du moment où l’on a un bon plan, que tout est bien organisé et que l’on procède étape par étape.

Nous ne disposons pas encore de la fusée qui permette de rejoindre la planète Mars. Si c’est l’objectif fixé, à travers notre démarche, l’ambition première poursuivie concerne la Terre. Nos développements doivent nous permettre de tester ce que l’on appelle des « bioregenerative life support system », des technologies qui nous permettront de nous installer sur d’autres planètes mais aussi de mieux vivre ici. Les technologies que nous développons, qui assurent l’approvisionnement en eau, en air, en nourriture en milieu fermé, à partir de plantes notamment, doivent donner lieu à des applications terrestres, dont on a besoin pour répondre aux défis de la vie sur Terre. Nous voulons être l’acteur le plus avancé pour développer ces systèmes régénératifs, aussi bien pour les déployer sur une autre planète que sur la nôtre.

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grand entretien

Biosphère II : le plus grand système écologique fermé jamais construit Le développement d’Interstellar Lab s’appuie sur des expériences similaires déjà réalisées dans le passé. La plus fameuse est Biosphère II. Il s’agit d’un site expérimental construit entre 1987 et 1991 par Space Biosphere dans le désert de l'Arizona. Cette structure avait pour but de tenter de recréer un écosystème viable à l'intérieur d'un immense dôme fermé. A l’époque déjà, un des objectifs était d'évaluer la faisabilité de biosphères identiques lors de la colonisation spatiale. Avec une superficie de 1,27 ha, c'est le plus grand système écologique fermé jamais construit. On y avait reconstitué différents écosystèmes : une forêt tropicale humide, un océan avec sa barrière de corail, une mangrove, une savane, un désert, un terrain réservé à l'agriculture, un habitat humain avec ses quartiers privés et ses lieux de travail, ainsi qu'un étage en sous-sol pour les installations techniques. De l'eau chaude et froide circulait à travers un réseau de tuyaux indépendant, et l'énergie électrique était fournie par une centrale au gaz naturel.

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© SLUSH

À quoi ressembleront ces habitats ? Pourriez-vous virtuellement nous y emmener et nous proposer une petite visite ? Je peux vous parler du module de test. Tout d’abord, il faut préciser que l’on n’y arrive pas directement en voiture ou avec un autre moyen de transport. Le village est éloigné, isolé des voies d’accès traditionnelles. Vous serez d’abord accueilli dans un endroit prévu à cet effet, où vous serez invité à laisser votre téléphone et toutes vos affaires. Nous vous fournirons un jeu de vêtements pour vivre là-bas. Nous vous emmènerons ensuite à la station. La volonté est de vous donner l’impression que l’on quitte la Terre. Le village est constitué de plusieurs dômes interconnectés avec l’habitat au centre. Une jungle est entretenue dans un des grands dômes, où est maintenu un climat tropical. On y fait pousser des fruits et des légumes. Trois autres dômes sont dédiés au système d’aéroponie, qui permet de faire pousser en intérieur les différentes plantes permettant de subvenir aux besoins essentiels de chacun. Le traitement de l’eau s’effectue au niveau du cinquième dôme. La structure centrale connecte les différents dômes et est composée de chambres, d’une salle de contrôle, d’une salle de sport, d’une cuisine…

À quoi ressemblera une semaine passée dans cet environnement clos ? Il sera possible de sortir de la station, au moyen d’un sas, pour accomplir les missions qui auront été confiées à chacun des membres participant à l’expérience. En outre, il y a plein de tâches à accomplir chaque jour. Tous les matins, il faut contrôler les niveaux de CO2 et d’O2, effectuer des suivis de données scientifiques, s’occuper des jardins, prévoir à manger. Chaque personne aura un rôle précis à jouer et des missions à réaliser. L’expérience s’apparentera à une mission de recherche ou d’exploration scientifique que l’on pourrait imaginer dans une zone reculée ou sur une autre planète. Pour la version à 100 personnes, que l’on envisage, ce sera assez différent. L’ensemble sera beaucoup plus grand, avec plus de choses à faire.

Une forme de Center Parc en milieu fermé en somme… Vous avez tout compris.

Comment envisagez-vous votre développement au-delà du module de test ? Nous voulons créer dix stations sur Terre sur les sept prochaines années. Ces sta-


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« Nous voulons être l’ acteur le plus avancé pour développer ces systèmes régénératifs, aussi bien pour les déployer sur une autre planète que sur la nôtre » tions seront accessibles au grand public, à travers une offre touristique, mais aussi aux scientifiques ou encore aux astronautes… Elles permettront de tester des technologies en circuit fermé, de procéder à des expériences scientifiques, de s’entrainer pour divers types de mission. La volonté est d’apprendre la vie régénérative et de trouver des applications qui nous permettront de mieux vivre sur notre planète.

On pourrait considérer l’intention d’aller vivre sur Mars comme une fuite en avant face à notre incapacité à préserver nos ressources ici même. C’est d’ailleurs l’un des reproches formulés à l’encontre de cette idée de coloniser une autre planète. Comment répondez-vous à cette critique ? Personnellement, je trouve génial de vouloir devenir une espèce multiplanétaire. C’est inspirant. Il n’y a rien de contre-nature à vouloir que la vie, dont on fait partie, se déploie. Mais je ne m’inscris pas dans une dynamique où l’on envisage une vie humaine extra-terrestre parce que c’est la merde ici. C’est un discours qui ne tient pas du tout d’ailleurs. La vie sur Mars, cela n’aura rien de fun. Et on n’y est pas encore. Commençons donc par

préserver la vie sur Terre avant d’aller faire les « zozos » ailleurs. Avec notre démarche, nous réfléchissons à la manière de construire notre habitat en commençant de zéro. Quelle approche devrions-nous mettre en place pour vivre tout en respectant les ressources dont on a besoin et l’environnement, comme si on arrivait sur une autre planète ?

Construire un tel environnement implique de considérer de très nombreuses variables et d’intégrer plusieurs disciplines. Comment concevez-vous un tel environnement ? Beaucoup de données entrent en jeu pour simuler et comprendre en amont les besoins en eau, en oxygène, en CO2, en nitrogène, etc. au cœur de cet environnement. Cela part d’une approche scientifique, de laquelle découle une modélisation algorithmique permettant d’évaluer les besoins en ressources et d’estimer des volumes utiles. On peut alors faire une sélection des plantes qui permettent de combler tous les besoins nutritionnels des humains et en même temps de subvenir à l’intégralité des besoins en oxygène, notamment. Toutes les informations issues des modélisations peuvent en-

suite être utilisées par les équipes « architecture et ingénierie ». Leur rôle sera de définir et d’organiser les espaces. Entrent aussi en considération toutes les contraintes climatiques, de lumière, d’étanchéité, de pression, de résistance, qui s’appliquent au choix des matériaux et à la construction. Le défi est de développer une approche transversale qui inclut algorithmique, biologie, architecture, mécanique, science des matériaux, ingénierie dans le domaine de la dynamique des fluides…

Est-ce que la dimension psychologique est prise en compte ? Oui, c’est hyper important. Chez nous, par rapport à l’initiative Biopshère II (voir encadré), les missions seront assez courtes. On n’a pas vocation à enfermer des personnes ensemble sur une durée de deux ans. Les missions dureront généralement une semaine. L’aspect psychologique joue cependant beaucoup. Quand on est en espace fermé, chacun réagit un peu différemment, les personnalités sont exacerbées. On travaille sur ces aspects. On discute notamment beaucoup avec des explorateurs, des astronautes, des scientifiques, qui ont déjà vécu des missions extrêmes ou qui ont déjà

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« Il n’y a rien de contre-nature à vouloir que la vie, dont on fait partie, cherche à se déployer » connu des conditions analogues. L’installation d’un jardin et d’une serre, par exemple, est une des réponses aux enjeux psychologiques. Technologiquement parlant, l’aéroponie suffit à répondre aux besoins nutritionnels.

C’est aussi avec les concepteurs de shows de télé-réalité qu’il faut discuter… C’est amusant. Beaucoup de gens font ce lien. Mais mon souhait n’est pas de reproduire le Truman Show.

Comment, au départ de la vision qui est la vôtre, parvient-on à convaincre les personnes d’embarquer dans un projet aussi fou ou d’y investir pour le concrétiser ? Au départ, il faut rassembler des moyens. Moi, j’y ai placé toutes mes économies. Quand le porteur de projet prend de tels risques, c’est déjà un signal positif pour les partenaires. On n’est convaincant que si on est convaincu soi-même. Après, il faut bosser. Il faut être très concret, avoir un discours très orienté vers les solutions. C’est sûr qu’il y a un idéal, un projet, une vision, une mission. Mais, au-delà de ça, il faut un plan, s’organiser, fixer les étapes qui, concrètement, nous conduiront vers des résultats. Il faut rétroplanifier. Au fil du temps, si l’objectif poursuivi ne bouge pas, le produit, les services, les moyens pour atteindre notre but peuvent évoluer en fonction des itérations.

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N’avez-vous pas été confrontée à des personnes trouvant ce projet trop fou, irréaliste ? Si, mais je ne m’embête pas trop avec ces énergies. Je ne m’amuse pas à jouer au ping-pong avec des gens qui ne croient pas à ce que je fais. Ceux qui ont envie d’y croire, qui souhaitent que ça marche, vont adhérer au projet. C’est comme cela que ça se passe. Je ne lâche rien. J’avance. Cette ténacité contribue beaucoup à convaincre, à fédérer des énergies positives qui font avancer le projet. C’est important pour les entrepreneurs d’apprendre à se mettre dans de telles dynamiques, d’éviter de s’enfermer dans des boucles négatives qui leur feront perdre leur temps à essayer de convaincre des gens qui n’ont pas envie d’investir.

J’imagine que si l’objectif est lointain, il faut aussi pouvoir dégager des revenus récurrents rapidement. De quoi seront constituées vos rentrées à court et moyen termes ? Au niveau du business plan, on peut fonctionner uniquement avec les revenus liés aux activités touristiques. Mais, pour être transparente, la cerise sur le gâteau résidera dans les spin-off des technologies développées et dans leur application sur terre au service de la préservation de notre environnement et de la vie. Cela est aujourd’hui difficile à chiffrer. Cependant, ce sont des rentrées auxquelles on peut s’attendre.

Quel genre de solutions et applications terrestres peuvent émerger de votre projet ? On peut penser à des solutions relatives au traitement de l’eau ou encore de nouvelles approches au service de la ville du futur. On peut inventer des moyens de transformer le CO2… Ce genre de choses-là. De nombreux systèmes que l’on imagine pour fonctionner en circuit fermé peuvent aussi être mis en œuvre dans des environnements ouverts.

De quoi sauver le monde, en somme ? (Rires) Je ne sais pas. On cherche à offrir un futur possible, positif, au cœur de lieux expérientiels qui sont beaux, où l’humain, la technologie et la nature sont en harmonie pour vivre durablement. En outre, dans un écosystème fermé, on arrive mieux à comprendre les implications de chacun de nos gestes sur une biosphère. Une des problématiques que nous rencontrons aujourd’hui sur terre réside dans le fait que l’on ne perçoit pas les conséquences de nos comportements, de nos actions. Au cœur d’un environnement clos, nos visiteurs pourront en faire l’expérience. Ils pourront se rendre compte que l’on peut vivre une semaine sans produire de déchet, qu’il est possible de recycler ses déchets organiques en méthane, une énergie qui leur permettra de cuisiner.


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Si, demain, une fusée nous permet d’aller sur Mars, est-ce que vous y allez ? Oui. Parce qu’on veut que les choses soient bien faites. Nous agirons dans une logique de préservation de la biodiversité sur place, pour nous assurer de vivre en harmonie avec l’environnement de la planète qui nous accueille. L’idée est d’éviter qu’on aille refaire les mêmes bêtises ailleurs.

Votre modèle régénératif s’oppose à toute la logique économique sur laquelle reposent nos sociétés actuelles et sur lequel vous fondez votre développement. N’est-ce pas contradictoire ? C’est vrai. Mais comme précisé, pour atteindre un objectif, il faut procéder étape par étape. Il faut accepter les contraintes et trouver son chemin en procédant avec ce qui est possible. Dans le modèle existant, on trouve des leviers pour avancer, construire une première station, puis d’autres, en veillant à garantir notre indépendance. Et ensuite… on verra, je ne sais pas.

Jusqu’à, potentiellement, si l’on pousse votre approche jusqu’au bout, atteindre un point de rupture au regard du modèle de croissance et d’exploitation des ressources actuelles ? Aujourd’hui, on s’appuie sur le côté expérientiel. Beaucoup de monde cherche à se divertir autrement, à se reconnecter avec la nature, à vivre de nouvelles expériences. C’est ce que nous leur proposons. C’est ce qui permet de financer les technologies que nous développons. A un moment donné, effectivement, quand la société aura atteint

© GREG AUTRY

une certaine maturité, on aura mis en place un cadre pour construire des villages indépendants, fonctionnant en autosuffisance, qui ne seront pas rattachés à des systèmes d’eau et qui pourront produire leur propre nourriture… Alors, nous y serons arrivés. On pourra open-sourcer tous nos plans pour permettre à chacun de vivre de cette manière.

Au fond, qu’est-ce qui vous anime personnellement dans cette quête ? Je fais ce que j’aime et ce que j’aime depuis très longtemps. Enfant déjà, je passais mon temps dans ma chambre avec mon laboratoire de chimie, ma planche

d’architecte, mes petits robots, mes bouquins, mes encyclopédies… à concevoir des mondes. J’avais dix ans. C’est un peu bizarre ce que je vais dire, mais j’ai toujours cherché à créer des mondes heureux quand, à l’extérieur, ça ne va pas. Concevoir des cocons qui rassurent et qui attirent les gens. Ça, je fais bien (rires). J’aime créer des choses qui font rêver les gens, qui les animent, qui vont titiller l’enfant qui est au fond de chacun de nous. C’est de la science-fiction en vrai, c’est plein d’utopie.

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GRAND DOSSIER


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S’IL VEUT RESTER COMPÉTITIF, RÉPONDRE AUX ENJEUX CLIMATIQUES ET PRÉSERVER LE BIEN-ÊTRE DE SES RÉSIDENTS ET TRAVAILLEURS, LE LUXEMBOURG DOIT, DÈS À PRÉSENT, RÉPONDRE À UN DÉFI MAJEUR : CELUI DE LA MOBILITÉ. CELA NE POURRA SE FAIRE SANS LA BONNE VOLONTÉ ET L’IMPLICATION DE CHACUN.

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Grand dossier

Il faut en moyenne 36 % de temps supplémentaire par rapport à la durée théorique pour effectuer un trajet en voiture au Luxembourg.

254 Chaque semaine, le Luxembourg crée 254 postes supplémentaires, soit autant de personnes en plus dans les transports.

Embouteillages sur les routes, transports en commun bondés, grèves sur le réseau ferroviaire aux frontières… Ces situations, chaque travailleur luxembourgeois y a déjà été confronté. Et pour cause, la mobilité au Grand-Duché constitue une problématique majeure. Preuve en est, selon le TomTom Traffic Index, qui mesure la congestion routière dans le monde, le niveau d’embouteillage dans le pays atteignait 36 % en 2019. En d’autres termes, il fallait en moyenne 36 % de temps en plus, par rapport à la durée théorique, pour parcourir un trajet en voiture dans le pays. Un chiffre en augmentation de 3 % par rapport à l’année précédente. Mais il ne s’agit là que d’une moyenne, calculée sur base du trafic 24h/24 et 7j/7. Si l’on se penche un peu plus sur les données dis-

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ponibles, on constate sans grande surprise que cette congestion est encore bien plus forte certains jours, à certaines heures. Le mardi, le mercredi et le jeudi, entre 8h et 9h, il faut en moyenne plus de 70 % de temps supplémentaire pour effectuer un trajet en voiture. En fin de journée, entre 17h et 18h, ce chiffre culmine à 74 % le mardi et le jeudi. Pour faire plus simple, un déplacement qui doit normalement durer 30 minutes lorsque le trafic est fluide vous prend un peu plus de 52 minutes durant ce créneau. Sur une année, ce sont ainsi pas moins de 6 jours et 19 heures qui seraient perdus dans les embouteillages.

Souvent, les soucis de mobilité au Luxembourg sont attribués aux travailleurs frontaliers, qui représentent un peu plus de 45 % des salariés du pays. Effectivement, ceux-ci sont de plus en plus nombreux chaque jour – en moyenne 133 par semaine depuis cinq ans, ce qui explique les embouteillages croissants sur les routes. En partie du moins. Car les travailleurs résidents, avec 121 nouveaux postes créés chaque semaine, sont eux aussi toujours plus nombreux. Et certains d’entre eux recourent également à la voiture pour rejoindre leur lieu de travail.

Avec ces résultats peu glorieux, Luxembourg se classe en 53 e position sur 416 des aires urbaines les plus congestionnées au monde et analysées par TomTom. Notre pays a gravi 11 échelons par rapport à l’année précédente, et côtoie désormais des métropoles telles que New York, Beijing, Osaka ou encore San Francisco.

Autre point intéressant que l’on néglige souvent, les trajets domicile-travail ne sont pas les seuls à congestionner les routes. « Au plus fort du pic matinal, en particulier, ils ne représentent qu’un peu plus de la moitié des déplacements, souligne Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation IDEA. Les déplacements domicile – école

LES FRONTALIERS, UN FAUX PROBLÈME ?


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« Sur certains axes, à certaines heures, comptent pour un tiers et les trajets privés pour plus de 10 %. Cela signifie donc aussi que, bien qu’il y ait évidemment une concentration de frontaliers sur certains axes routiers, dans certaines communes, ceux-ci ne représentent finalement « que » le quart des personnes qui se déplacent dans le pays, tous types de transports confondus, à ce moment-là. »  UNE STRATÉGIE POUR LE PAYS  Une telle situation ne peut durer, et on ne peut la laisser s’aggraver. « Sur certains axes, à certaines heures, on est aujourd’hui proche de la thrombose, met en garde Vincent Hein. Or, cette saturation a un impact sur l’économie du pays, sa compétitivité et son attractivité. » Selon les sources et la méthodologie de calcul, le coût des problèmes de mobilité au Luxembourg sont estimés entre 293 millions d’euros et 1,4 milliard d’euros – soit environ 3 % du PIB du pays ! – par an. Au-delà de ces considérations économiques, les difficultés en matière de mobilité ont aussi un impact sociétal car elles affectent la qualité de vie et la santé des résidents et des travailleurs luxembourgeois. Enfin, la mobilité est intrinsèquement liée aux enjeux climatiques et environnementaux. Le gouvernement luxembourgeois a donc décidé de prendre le problème à bras-le-corps, en développant, fin 2018, une stratégie pour une mobilité durable (MODU 2.0). Celle-ci ambitionne de « réduire la congestion aux heures de pointe, tout en transportant 20 % de personnes de plus qu’en 2017 à l’horizon 2025 ». Comment ? En faisant évoluer les modes de déplacement dans le pays, notamment en développant le covoiturage, les transports en commun et la mobilité douce. Ainsi, le nombre moyen de passagers par voiture devrait passer de 1,2 en 2017 à 1,5 en 2025. Parallèlement, le nombre de cyclistes et de piétons devrait doubler sur cette même

on est aujourd’hui proche de la thrombose  thrombose » Vincent Hein, économiste à la Fondation IDEA

période et le nombre de passagers dans les transports en commun progresser de près de 40 %. En d’autres termes, d’après les calculs de la Fondation IDEA, cela revient à ce que 73.000 personnes changent de comportement et délaissent leur voiture au profit d’autres modes de transport d’ici cinq ans.

Il s’agirait par exemple de se rendre seul en voiture jusqu’à un parking relais, puis de prendre le bus et de terminer son trajet à vélo. »

VOITURE, JE T’ADORE

TOUS UN RÔLE À JOUER

Car la voiture constitue le moyen de déplacement privilégié par les travailleurs luxembourgeois, qu’ils soient résidents ou frontaliers, pour se rendre au travail. D’après l’enquête Luxmobil de 2017, 73 % d’entre eux utilisent leur voiture, quand 19 % optent pour les transports en commun, 6 % se déplacent à pied et 2 % à vélo. Selon la Fondation IDEA, l’augmentation hebdomadaire du nombre de travailleurs au Luxembourg, encouragée par la croissance économique du pays, représente ainsi, si l’on tient compte de la répartition modale actuelle, un potentiel de 155 voitures, 48 passagers dans les transports en commun, 15 piétons et 5   cyclistes supplémentaires sur les axes, et ce chaque semaine !

Si les ambitions de la stratégie MODU 2.0 sont louables, sont-elles réalistes ? « Au-delà de la mise à disposition d’infrastructures et d’outils adaptés au covoiturage et à la mobilité douce, de transports en commun efficaces et gratuits, de solutions multimodales séduisantes, c’est avant tout un changement des mentalités et des habitudes qui doit s’opérer si l’on veut parvenir à s’attaquer à l’« autosolisme » », confie Vincent Hein.

« L’enjeu présent en toile de fond, derrière les chiffres ambitieux de reconversion modale présentés dans la stratégie, est de construire une mobilité au sein de laquelle chacun pourrait utiliser les modes de transports les plus efficaces en fonction de l’ensemble de son trajet, explique Vincent Hein.

Et pour y parvenir, l’État n’est pas le seul maître du jeu. C’est l’ensemble des acteurs, communes, entreprises, associations et particuliers, qui doivent se mobiliser en faveur d’une nouvelle mobilité et permettre ainsi au Luxembourg de rester attractif, de respecter ses engagements climatiques et de garantir une qualité de vie satisfaisante à chacun de ses résidents et travailleurs.

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Grand dossier IOT

Laurent Rapin, IoT Solutions Advisor, au sein de POST Luxembourg

Placer l’Internet  des Objets  au service de la mobilité  de demain Aujourd’hui, les objets connectés permettent de mieux comprendre la manière avec laquelle nous nous déplaçons et nous occupons les espaces. L’information qu’ils nous font remonter nous indique, grâce aux technologies de data analytics, comment mieux bouger et occuper les bureaux autrement.

Les objets connectés se multiplient et nous accompagnent de plus en plus au quotidien. « La transmission de données par des capteurs connectés ou encore les interactions possibles entre deux éléments distants permettent aujourd’hui d’explorer de nombreuses nouvelles applications, explique Laurent Rapin, IoT Solutions Advisor au sein de POST Luxembourg. Dans le domaine de la mobilité et de la gestion de l’espace, nous avons nous-mêmes mis en œuvre plusieurs nouveaux cas d’usage. »

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POST a notamment mis au point une solution de smart parking. On le sait, au Luxembourg, la voiture individuelle reste un mode de transport largement privilégié. En matière de mobilité, pour encourager le recours aux transports en commun, les politiques publiques au niveau de la capitale ont tendance à réduire le ratio de places de stationnement par mètre carré de surface d’immeuble. Trouver une place de parking peut, par moment, s’avérer complexe.


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La voiture est aussi un objet connecté POST investit aussi depuis plusieurs années dans le domaine de la voiture connectée. Les cartes SIM de l’opérateur luxembourgeois sont intégrées à des centaines de milliers de véhicules à travers l’Europe. Elles permettent par exemple de faire remonter de précieuses informations aux constructeurs, concessionnaires, utilisateurs ou encore à des acteurs comme les compagnies d’assurance. En temps réel, chacun peut donc disposer d’une information utile. Il est possible de localiser le véhicule, savoir s’il est verrouillé ou non, s’il présente des problèmes techniques. Ces données permettent de venir plus rapidement en aide à un conducteur en détresse par exemple. Certaines solutions permettent même de rendre compte des habitudes d’un utilisateur ou de la manière avec laquelle il conduit.

OPTIMISER LA GESTION DES PARKINGS « Grâce à l’IoT, on peut à la fois apprendre à mieux gérer l’occupation des parkings, mais aussi proposer des solutions aux utilisateurs à la recherche d’une place, poursuit Laurent Rapin. Notre solution fonctionne à partir de détecteurs connectés, fonctionnant sur batterie, positionnés au niveau du sol ou du plafond. Chaque détecteur est équipé d’une lampe LED, qui peut changer de couleur en fonction du statut de l’emplacement. » Elle sera verte si la place est libre, rouge si elle est occupée, bleue si elle est réservée. La structure est légère et n’implique pas d’importants investissements pour être installée. « Chaque détecteur est connecté à notre plateforme cloud Cumulocity et fait remonter des données aux gestionnaires du parking ou encore aux utilisateurs, poursuit Laurent Rapin. Grâce à ces informations, on peut mieux comprendre la manière dont est effectivement occupé le parking et, éventuellement, optimiser la distribution des badges d’accès, pour permettre à plus de monde d’y accéder. » NOUS AIDER À TROUVER UNE PLACE PLUS RAPIDEMENT Mais ce n’est pas tout. La solution permet de détecter les voitures ventouses, celles qui restent stationnées plus que la durée autorisée, et de faire remonter des alertes. Elle intègre aussi un composant Bluetooth Low Energy,

qui offre la possibilité d’identifier la personne qui stationne sur une place. De cette manière, grâce à l’usage d’une application, on peut s’assurer que celui qui se gare sur une place réservée aux personnes handicapées est bien en droit de le faire. « Une telle solution, d’autre part, permet à des utilisateurs de consulter la disponibilité des emplacements dans un parking donné, d’indiquer les emplacements libres et d’en réserver un », ajoute Laurent Rapin. Si, dès le réveil, un utilisateur peut constater qu’il ne trouvera pas de place dans le parking de son entreprise aujourd’hui, il envisagera peut-être d’autres moyens de se rendre au travail. OPTIMISER L’OCCUPATION DE L’ESPACE POST étu­die un autre aspect du space management avec sa solution Smart Office. Dans la même logique que pour les parkings, on peut positionner des objets connectés au coeur d’un immeuble de bureaux, pour détecter la présence effective d’utilisateurs dans les salles de réunions, mais aussi sur les postes de travail. « Il est alors possible de mieux comprendre comment les bureaux sont occupés et trouver les moyens d’optimiser l’espace, ajoute Laurent Rapin. Dans cette période de retour au bureau post-Covid, une telle solution permet par exemple de vérifier que les distances de sécurité sont bien respectées ou encore d'identifier les bureaux qui ont été utilisés et qui doivent être désinfectés afin d'optimiser les frais de nettoyage. Cette solution aide la direction et les Facility Managers à engager leur responsabilité dans cette phase de transition visant

à s'assurer de la conformité des lieux de travail, tout en maintenant les niveaux de sécurité et de confort pour le personnel et les visiteurs. Les informations récoltées permettent également d'appuyer les réflexions autour d'autres possibilités d'occuper l'espace, entre présence au bureau et télétravail.» COMPRENDRE COMMENT LA POPULATION SE DÉPLACE L’IoT apporte de la connaissance en temps réel. Si les détecteurs peuvent être déployés dans des contextes précis, comme un parking ou un bureau, les objets connectés peuvent permettre une meilleure compréhension de la mobilité à large échelle. « Tous, quasiment en permanence, nous avons notre téléphone ou smartphone avec nous. Chacun d’eux est un objet connecté, relié en continu à une antenne. En faisant remonter ces données, traitées de manière anonyme, il est dès lors possible de suivre les flux des personnes qui circulent au Luxembourg, aussi bien les résidents que les frontaliers ou encore les visiteurs occasionnels. En agrégeant ces données, on peut mieux identifier les leviers d’amélioration de la mobilité, proposer des alternatives efficaces pour se déplacer. Cette connaissance est précieuse pour les pouvoirs publics ou encore les opérateurs de solutions de mobilité afin d’adapter efficacement l’offre et d’orienter les investissements dans les infrastructures, comme des hubs de bureaux aux frontières ou le développement de pôles d’échange entre les divers modes de transport. » L’IoT s’est fortement démocratisé ces dernières années. L’agrégation progressive de données issues de sources diverses, autour des flux d’utilisateurs, des habitudes de chacun, de la fréquentation des transports en commun, de l’occupation de l’espace… va nous éclairer sur les possibilités d’améliorer la mobilité à l’échelle du pays. ETROUVEZ LES SOLUTIONS IOT R DE POST SUR post.lu/iot

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Grand dossier 10 idées

10 façons de répondre aux problèmes de mobilité Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour endiguer, ou à tout le moins réduire, la congestion et les problèmes de mobilité au Luxembourg. Nous en avons relevé dix.

01

DES BUREAUX SATELLITES

De grandes entreprises luxembourgeoises se sont déjà lancées dans ce créneau  : développer des bureaux satellites, aux frontières du pays. Ces espaces de travail doivent permettre aux collaborateurs frontaliers de travailler, un jour par semaine par exemple, au Luxembourg, dans le respect des règlementations fiscales et sociales, mais dans un bureau situé plus près de leur domicile afin de réduire leurs déplacements et la congestion en heures de pointe.

02 DES LOGEMENTS AU BUREAU Dans certains pays, scandinaves et anglo-saxons notamment, c’est une démarche courante : proposer aux salariés un logement situé à proximité de leur bureau, voire, dans certains cas, sur leur lieu de travail. La pratique pourrait être adaptée au Luxembourg, mais elle nécessite encore de créer les outils légaux permettant de l’encadrer.

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03 LE TÉLÉTRAVAIL La crise sanitaire du coronavirus nous l’a prouvé : grâce aux outils technologiques, de nombreux métiers peuvent être pratiqués depuis n’importe quel lieu. Jusqu’à présent, le déploiement du télétravail à grande échelle, pour les résidents frontaliers, se heurtait à la réglementation. On peut désormais imaginer que les gouvernements de la Grande Région parviendront à s’accorder sur des mesures similaires à celles qui ont été en vigueur pendant la pandémie afin d’enrayer les problèmes de mobilité au Luxembourg et aux frontières.

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DES AIRES DE TRAVAIL LE LONG DES A XES ROUTIERS

Dans le même ordre d’idées, des espaces de coworking situés aux frontières ou à des endroits stratégiques dans le pays, sur des axes fortement fréquentés par exemple, pourraient accueillir certains travailleurs en début et en fin de journée afin de limiter les déplacements en heure de pointe.

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Grand dossier 10 idées

05 LE PÉAGE POSITIF

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DES COMMUNAUTÉS DE COVOITURAGE

Déployer une bande spécifique sur les routes pour les véhicules qui pratiquent le covoiturage et proposer des applications mobiles dédiées à cette démarche sont essentiels pour encourager le covoiturage. « Mais il ne peut se développer que dans un environnement de confiance, souligne Vincent Hein, économiste à la Fondation IDEA. Parce que cette pratique relève de la sphère privée, on covoiture plus volontiers avec des membres de sa famille, des amis, des voisins… ou des collègues. Il est donc primordial de créer des communautés de covoiturage au sein des entreprises elles-mêmes.  » À elles également de proposer une flotte de voitures partagées pour permettre à leurs collaborateurs de se déplacer durant la journée s’ils en ont besoin.

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Plutôt que d’instaurer un péage urbain dans les villes, comme c’est le cas par exemple à Londres, Oslo ou encore Milan, on peut imaginer développer un péage inversé, comme à Rotterdam, afin de réduire le trafic. « Le principe est simple, précise Thomas Valici, économiste chez IDEA. Sur base volontaire, les utilisateurs qui participent au programme et qui empruntent habituellement des axes routiers embouteillés, se voient rémunérés de quelques euros pour chaque trajet qu’ils évitent sur une période donnée, par exemple en covoiturant, en utilisant un autre moyen de transport, en télétravaillant ou encore en décalant leur déplacement. Cela contribue à éveiller les consciences. »

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UNE LOTERIE POUR COVOITUREURS

Autre idée qui peut sembler farfelue mais qui mériterait toutefois d’être étudiée : la mise en place d’un jeu, sous forme de loterie, afin d’encourager le covoiturage. « Chaque véhicule est obligé de transporter au minimum trois passagers, dont le chauffeur, sur un certain nombre de trajets pendant un an, explique Thomas Valici. Chaque participant qui désire jouer, conducteur ou passager, verse annuellement une somme d’argent – 5 ou 10 euros par exemple – à un fonds spécifique de l’État. Chaque année, une quinzaine de gagnants sont tirés au sort parmi l’ensemble des participants et se répartissent la somme collectée. »


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L A DEMIVIGNETTE

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Une solution imaginée par la Fondation IDEA et qui viserait à réduire l’utilisation du véhicule en heures de pointe serait l’utilisation d’une demi-vignette à certains horaires. « Les conducteurs auraient le droit de circuler gratuitement trois jours par semaine, mais devraient s’acquitter d’une certaine somme – un ou deux euros par exemple – par jour ouvrable supplémentaire afin de bénéficier du droit d’usage du véhicule sur l’ensemble du réseau luxembourgeois », indique Thomas Valici.

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UNE PRIME POUR L A MOBILITÉ DURABLE

Les véhicules de leasing sont très courants au Luxembourg. Si les conditions de l’imposition de cet avantage en nature dépendent aujourd’hui de la motorisation du véhicule et de son impact écologique, elles n’incitent toutefois pas à réduire le nombre de voitures présentes sur les routes. « Il semble difficile de revenir abruptement sur le traitement fiscal des avantages en nature, car ils remplissent également d’autres fonctions stratégiques, concède Vincent Hein. Mais on pourrait accorder un avantage à ceux qui pratiquent la mobilité durable, sous forme de prime ou d’autres modes de gratification par exemple. »

DES FRAIS DE DÉPL ACEMENT EN FONCTION DU MODE DE LOCOMOTION

Toujours dans le registre fiscal, la déduction des frais de déplacement forfaitaires pourrait être revue. Pour l’instant, celle-ci ne tient pas compte du moyen de locomotion utilisé par le travailleur luxembourgeois mais dépend du nombre de kilomètres qui séparent son domicile de son lieu de travail. Il pourrait néanmoins être intéressant de la moduler également selon les modes de transport utilisés.

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Grand dossier Voiture électrique

Parfois vendue comme la panacée pour une mobilité plus verte, favorisée par les pouvoirs publics à coup d’incitants divers, la voiture électrique fait toutefois l’objet de critiques de plus en plus nombreuses. Pour faire le tri entre les arguments des pro et des anti-électriques, il faut avant tout reconnaître la grande complexité du sujet.

Depuis quelques années déjà, le transport routier de personnes et de biens est en pleine transformation. Sous l’impulsion de réglementations européennes de plus en plus sévères — notamment concernant les émissions de CO2 — les constructeurs ont déjà considérablement amélioré les performances, sur le plan environnemental, de leurs véhicules. Pour aller encore plus loin dans la démarche, le basculement de la production de motorisations à combustion vers des propulsions électriques est devenu, semble-t-il, incontournable. Tous les constructeurs ont aujourd’hui lancé une gamme de véhicules hybrides ou électriques. Mais cette option est-elle réellement la bonne si l’on souhaite rendre la mobilité plus verte ? LES ATOUTS DE L’ÉLECTRIQUE Pour répondre à cette question, il faut d’abord savoir ce que l’on entend par « mobilité verte ». Parle-t-on des émissions de CO2, des polluants rejetés par les moteurs ou de ceux qui doivent nécessairement être émis pour les produire ou les alimenter ? La récente chasse aux moteurs diesel, lancée suite au « Dieselgate », a, à cet égard, contri-

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bué à brouiller les pistes. « Les motorisations diesel d’aujourd’hui émettent très peu de CO2, moins que les moteurs à essence, explique Antonio de Palma Ferramacho, Head of Mobility Technologies au sein de l’Automobile Club de Luxembourg. Ils sont aussi de plus en plus propres par rapport aux autres polluants comme les oxydes d’azote. Mais évidemment, le moteur qui, au niveau de son fonctionnement, émet le moins de polluants et de CO2 est bien entendu le moteur électrique. » Cette propulsion électrique a également d’autres atouts. « Avec un rendement de 90 à 95 %, le moteur électrique est trois fois plus efficace que la propulsion thermique. Autrement dit, il utilise bien mieux l’énergie qu’il consomme », ajoute Antonio  de Palma  Ferramacho. Un avis que partage Thomas   Gibon, Research and Technology Associate au sein du LIST (Luxembourg Institute of Science and Technology), qui a développé une application permettant de comparer les émissions de CO2 effectives de chaque véhicule (lire notre encart). « Même s’il y a beaucoup de nuances à apporter à cette affirmation, il faut pouvoir reconnaître que l’électromobilité est une solution intéressante sur le long terme : en


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Qu’émet réellement un véhicule électrique ?

2030, un véhicule électrique émettra beaucoup moins de CO2 qu’aujourd’hui, ce qui ne sera pas forcément le cas du diesel. » PRENDRE LE VÉHICULE ÉLECTRIQUE DANS SON ENSEMBLE Si Thomas Gibon parle d’émissions de CO 2 pour un véhicule électrique qui, en principe, n’en émet pas, c’est parce qu’au moment de créer son application Climobil, il a choisi de prendre en compte les émissions globales du moteur électrique. « On sait que le véhicule électrique, en fonctionnant, n’émet pas de dioxyde de carbone. Par contre, l’électricité qui l’alimente peut, en fonction de la région où vous vous trouvez, être très carbonée. Si vous vivez en Pologne, par exemple, où l’électricité est encore produite en grande partie dans des centrales à charbon, vous émettrez moins de CO 2 en roulant avec un moteur diesel de dernière génération qu’avec une voiture électrique… », précise le chercheur du LIST.

En outre, la fabrication des batteries et leur recyclage soulèvent également une série de questionnements. « Pour produire ces batteries, on utilise des ressources naturelles rares, extraites dans des conditions douteuses, parfois par des enfants », explique Antonio de Palma Ferramacho. « Quant au recyclage, nous ne disposons pas encore de volumes suffisants pour savoir si une filière pourrait s’organiser, ajoute Thomas Gibon. Il faudra aussi voir comment on peut réutiliser les batteries pour d’autres applications, considérant que, dans l’industrie automobile, elles sont jugées hors d’usage lorsque leur capacité descend sous les 80 %. »

Thomas Gibon et son équipe ont travaillé plusieurs années sur l’application Climobil, disponible depuis 2019. « Le point de départ de notre travail est un article allemand qui expliquait que la production d’une batterie de Tesla émettait autant que de rouler en Golf durant 8 ans », explique le chercheur. Avec son équipe, il s’est donc mis au travail pour développer un outil permettant de comparer les émissions de CO2 des différents véhicules sur le marché. « L’outil prend en compte l’ensemble du cycle de vie du véhicule, non seulement son fonctionnement, mais aussi sa production et sa maintenance », précise Thomas Gibon. « Vous devez également mentionner votre pays de résidence pour évaluer comment l’électricité que vous allez utiliser dans votre véhicule est produite. » En quelques clics, vous obtenez ainsi le détail des émissions réelles de gaz à effet de serre de votre véhicule.

Avec ce rendement, le moteur électrique est trois fois plus efficace que la propulsion thermique

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Grand dossier Voiture électrique

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« Pour produire ces batteries, on utilise des ressources naturelles rares, extraites dans des conditions douteuses, NOTRE RÉSEAU ÉLECTRIQUE N’EST PAS PRÊT On le voit, garantir une production suffisante d’énergie verte paraît être un indispensable prérequis pour pouvoir juger du caractère réellement écologique du véhicule électrique ou hybride. Dans un pays comme le Luxembourg, une bonne partie de l’électricité produite est issue de sources renouvelables. Et le réseau électrique peut aujourd’hui tout à fait assumer la recharge des véhicules électriques, étant donnée leur faible proportion sur le territoire. « Mais il est tout à fait utopique de dire que tout le monde peut aujourd’hui rouler à l’électrique. Le réseau n’est tout simplement pas prêt pour ça, estime le responsable de l’ACL. Si un grand nombre d’automobilistes roulaient à l’électrique, il faudrait que la plupart d’entre eux rechargent la nuit, pour ne pas créer une demande supérieure aux capacités du réseau. Or, étant donné que les personnes qui ont le plus d’avantages à utiliser l’électrique vivent en ville, et souvent en appartement, ils n’ont même pas la possibilité de recharger chez eux. » Le risque est donc de créer des pics de consommation en journée qui nécessiteraient d’acheter de l’électricité à des pays voisins, où elle est peut-être produite de façon moins respectueuse de l’environnement.

parfois par des enfants  enfants » L’ÉLECTRIQUE, PAS POUR TOUS LES USAGES Les primes offertes aux consommateurs et les pénalités européennes qui poussent les constructeurs à électrifier leur gamme incitent pourtant un maximum d’automobilistes à recourir à une solution de mobilité électrique ou, à tout le moins, hybride. « Cela fait dix ans que je teste des véhicules électriques et je peux dire avec certitude que ce type de motorisation est très avantageux pour certains automobilistes, mais clairement pas pour tous, indique Antonio  de  Palma  Ferramacho. L’électrique ou même l’hybride sont faits pour des conducteurs qui font de petits déplacements, à faible intensité. Dans l’état actuel de la technologie, il faut oublier l’autoroute et les hautes intensités. La concentration en énergie des batteries est simplement trop faible. Et puis, il faut avoir la possibilité de recharger son véhicule électrique ou hybride. Je connais des gens qui ont fait l’acquisition d’une hybride et qui, faute de possibilité de rechargement, consomment 12 litres aux cents. On marche sur la tête… » Soucieux de prendre des décisions fortes qui marqueront un mandat par définition court, certains responsables politiques, au niveau européen surtout, vont donc sans doute trop vite en besogne en poussant un maximum de consommateurs vers l’électrique. De nombreuses années seront encore nécessaires pour que la technologie soit viable et réellement écologique… si elle n’est pas dépassée d’ici là.

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Antonio de Palma Ferramacho, head of mobility ACL Automobile Club Luxembourg

Au Luxembourg,  les leasers font le marché Du côté des marques, comment juget-on ce basculement progressif vers l’électrique  ? Pour Baptiste Vallin, Managing Director de Bilia-Emond Luxembourg, concession BMW et MINI, il est clair que la pression commerciale est forte. « Nos objectifs de vente en ce qui concerne l’électrique et l’hybride sont de plus en plus élevés. Notre gamme est en pleine transformation et cela répond à une certaine demande.  » Pour le directeur de la concession luxembourgeoise de Bilia-Emond, l’électrique n’est pourtant peut-être pas la solution pour une mobilité 100 % verte. « J’ai l’impression qu’il s’agit plutôt d’une transition vers d’autres énergies, comme l’hydrogène par exemple. L’électrique n’est pas fait pour tous les usages, et nécessite une adaptation de la conduite, une prise en compte de la recharge, etc. » Baptiste Vallin note un plus grand intérêt pour l’hybride, lié à la place importante qu’occupe le leasing au Luxembourg.


SI ELLE PEUT INDUIRE LE CHANGEMENT, LA TECHNOLOGIE EST AVANT TOUT UN MOYEN DE SE TRANSFORMER EFFICACEMENT


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BANQUE

Yvan Pirenne, CIO Group, Degroof Petercam

« TOUT N’A PAS VOCATION À ÊTRE NUMÉRISÉ » Le groupe bancaire belgo-luxembourgeois, Degroof Petercam s’est engagé dans un important chantier de transformation de son environnement numérique. Adoption du cloud, évolution du parc applicatif, exploitation de la donnée et sécurité… : le programme est ambitieux et chargé. En s’appuyant sur le numérique, comme nous l’explique Yvan Pirenne, CIO Group, Degroof Petercam entend mieux appréhender les changements à venir.

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Fin d’année dernière, votre banque évoquait, dans un communiqué commun avec Telindus (Proximus Luxembourg), un important programme de transformation numérique du groupe. Pouvez-vous nous en définir les grandes lignes ? Notre banque, dont l’activité s’articule autour de quatre grands métiers – la banque privée, l’asset servicing, l’asset management et l’investment banking – a connu d’importantes évolutions ces dernières années. La plus importante, certainement, a résidé dans la fusion entre Degroof et Petercam, en 2015. Au niveau de l’informatique, il faut d’abord noter que cette fusion s’est très bien déroulée, et ce malgré l’importance du défi. Le projet a répondu à l’ensemble des objectifs poursuivis, en termes de délais, de budgets et de périmètre de l’intégration. Aujourd’hui, il y a lieu d’aller de l’avant, de moderniser nos systèmes. La volonté est de transformer notre IT pour assurer un meilleur support à la stratégie business post-intégration.

À quels objectifs stratégiques business vient répondre cette transformation numérique ? Comme je le disais, l’enjeu est de placer les ressources informatiques disponibles au service des enjeux que rencontre la banque. Cela implique une transformation profonde de nos systèmes, en commençant par les fondations, avec une modernisation de l’infrastructure. C’est le projet mené avec notre partenaire Proximus Luxembourg. Un des autres grands chantiers aura trait à l’évolution du parc applicatif, avec une modernisation de nos canaux de communication envers la clientèle mais aussi la nécessaire évolution de notre système bancaire core. Nous avons aussi la volonté de nous attaquer au volet data, nous permet-

tant de mieux exploiter les données dont nous disposons au départ d’une nouvelle gouvernance de l’information. Enfin, le quatrième chantier est celui, indispensable aujourd’hui, du renforcement continu de la sécurité informatique.

Comment le numérique doit-il faciliter la transformation des métiers de la banque ? Ce qui guide cette transformation, c’est avant tout la croissance de l’activité, qui s’appuiera sur le développement de nouveaux services et de nouveaux produits. Nous devons aussi explorer de nouveaux moyens d’interagir avec nos clients. Enfin, le volet réglementaire est aussi un enjeu clé. Nous assurons notre conformité réglementaire, en améliorant en permanence notre manière de collecter, de générer des rapports et d’archiver l’information. Cela implique une révision importante des processus en tenant compte à la fois des exigences du régulateur et des clients ainsi que de l’évolution des habitudes de ces derniers.

Qu’entendez-vous par l’exigence de repenser l’interaction avec le client ? Aujourd’hui, au cœur de la relation client, tous les aspects formels s’appuient encore fortement sur le papier. La gestion d’un dossier peut impliquer une quantité importante d’échanges, le plus souvent par e-mail, et la finalisation implique encore souvent une signature sur un document physique.

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BANQUE

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« Chez nous, le digital ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la transformation de l’activité »

La volonté est de mettre en place des outils qui permettront des échanges plus fluides tout en facilitant le travail de contrôle et le respect de la conformité réglementaire. En outre, la qualité de la relation et l’accessibilité à son conseiller sont des éléments essentiels pour le métier de la banque privée.

Comment le numérique permet-il à un acteur comme Degroof Petercam de faire face à la déferlante réglementaire qui s’abat sur le secteur financier ? Et comment, malgré une augmentation du « cost to serve », parvient-on à se transformer et à générer de la valeur ? L’enjeu est de transformer la contrainte en opportunité. Le défi de la maîtrise des coûts et de l’optimisation des processus, grâce notamment à l’automatisation, est transversal à l’ensemble de nos projets. Au niveau des processus, beaucoup peuvent être automatisés afin de nous permettre de nous adapter plus facilement aux nouveaux enjeux. Mais nous sommes d’avis que tout n’a pas vocation à être numérisé. C’est là qu’est tout le dilemme : il faut opter pour les solutions les plus adaptées en fonction de la segmentation de la clientèle. Dans beaucoup de cas, nous allons privilégier une approche « phygitale ». Pour certains services, les outils numériques vont venir soutenir une interaction physique, en permettant de délivrer la bonne information au bon moment, de faciliter le traitement des demandes. Il est cependant

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essentiel de préserver et d’enrichir la relation de confiance, au cœur du métier de la banque privée, et qui passe par un échange de personne à personne et une réelle proximité entre le client et son conseiller. Le numérique permet toutefois d’enrichir ces interactions, de les faciliter ou de les fluidifier. Il permet aussi au conseiller bancaire d’accéder à une meilleure compréhension de la situation du client.

Quelles seront les clés de la réussite de cette transformation ? Chez nous, le digital ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la transformation de l’activité. Le numérique est considéré comme un moyen, un support au développement du métier. La transformation se conçoit et s’organise au départ des compétences fortes présentes et actives au niveau de nos lignes de métiers. L’IT doit travailler en étant proche des acteurs du terrain, pour bien comprendre leurs besoins, faire les bons choix, fixer de nouveaux objectifs de performance. Les outils à notre disposition sont aujourd’hui nombreux pour accompagner ces compétences et nous engager dans une démarche d’excellence opérationnelle. Nous analysons les possibilités offertes par l’intelligence artificielle, l’automatisation des processus ou la data analytics. Le numérique doit permettre à nos conseillers de gagner du temps, en réduisant la charge administrative, pour mieux envisager de nouveaux leviers de création de valeur.


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Pourquoi avoir choisi d’externaliser la gestion de l’infrastructure de la banque au Luxembourg ? En quoi la proposition de Proximus Luxembourg répondait-elle à vos attentes ? Pour relever ces défis, il nous faut avant tout un environnement IT stable et fiable, qui tourne en 24/7. Jusqu’à présent, l’IT était géré en interne. Aujourd’hui, l’externalisation nous est apparue comme une évidence. Avec Proximus Luxembourg, nous accédons à une infrastructure professionnelle et profitons d’économies d’échelle liées aux possibilités de mutualisation. Notre partenaire, de plus, partage avec nous sa capacité d’innovation. La plateforme sur laquelle vont s’appuyer nos systèmes permet notamment des ouvertures maîtrisées vers des solutions nouvelles et accessibles en mode Software as a Service. On peut envisager l’avenir à travers la construction d’un écosystème de solutions ad hoc, pour mieux servir nos utilisateurs et nos clients. On peut plus facilement aller chercher des modules proposés par des acteurs de la fintech pour compléter notre offre de solutions.

Qu’est-ce qui a convaincu Degroof Petercam de migrer vers le cloud ? C’est avant tout une migration vers un cloud privé, localisé au Luxembourg, opéré par Proximus Luxembourg, et répondant aux normes de sécurité et de confidentialité les plus strictes. Le cloud, tel que nous le propose Proximus, nous offre en outre plus de robustesse et permet d’améliorer notre résilience tout en offrant des possibilités d’ouverture et d’évolution maitrisées. La plateforme offre des combinaisons flexibles de solutions d’hébergement, d’infrastructures dédiées et mutualisées ainsi que de nombreux services opérés et super-

visés 24h/24 et 7j/7, tels que les services managés de sécurité mais aussi des solutions traditionnelles d’entreprise comme les services de messagerie, de collaboration ou de téléphonie. Les datacentres de Degroof Petercam seront centralisés au Luxembourg, pour les entités de Belgique et de Luxembourg dans un premier temps. Proximus Luxembourg exploitera l’infrastructure cible, tout en y déployant des technologies de pointe éprouvées. À partir de cet environnement plus flexible, nous pouvons mieux envisager l’avenir et notamment le chantier suivant, qui a trait à la transformation de notre parc applicatif.

Comment va s’organiser la transformation numérique dans les mois à venir ? Quelles en seront les grandes étapes ? Il est important que nos systèmes puissent nous aider à absorber plus facilement les évolutions réglementaires et les futures intégrations. Nous devons parvenir à disposer d’une plus grande liberté de mouvement, afin de réduire les risques opérationnels et permettre la croissance de notre activité. L’architecture, dans son ensemble, va devoir évoluer, notamment en intégrant des logiques d’API management, nous permettant de nous ouvrir plus aisément vers l’extérieur tout en gardant la maîtrise sur l’ensemble de notre environnement.

Comment voyez-vous la banque évoluer sur le long terme ?

Notre vision de l’évolution de la banque s’exprime à travers tout ce que l’on a dit précédemment. Tout bouge rapidement. L’enjeu, c’est d’être à la fois suffisamment souple tout en restant consistant et cohérent sur la distance, pour pouvoir nous adapter et atteindre nos objectifs. Dans cet environnement incertain, il faut rester humble. Au-delà de l’évolution des systèmes d’infor-

mation, il faut pouvoir aussi accompagner le changement auprès des équipes. Le numérique transforme notre manière de travailler et l’on peut faire beaucoup si l’on s’engage, chacun à son niveau, dans la transformation du métier pour générer davantage de valeur. C’est avec les équipes que l’on pourra faire évoluer les processus, améliorer nos analyses, comprendre la donnée. Des fonctions vont disparaître, d’autres vont se créer. Il faut pouvoir appréhender cela en s’appuyant sur les équipes, en identifiant les besoins de demain pour mieux faire évoluer les compétences.

La plateforme offre des combinaisons flexibles de solutions d’hébergement, d’infrastructures dédiées et mutualisées ainsi que de nombreux services opérés et supervisés 24h/24 et 7j/7.

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crise covid-19

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«  OFFRIR UNE NOUVELLE DYNAMIQUE À LA TRANSFORMATION NUMÉRIQUE » Brice Lecoustey, associé d’EY Luxembourg, s’interroge sur le rôle du numérique dans l’après-crise Covid-19. Pour lui, la période que nous traversons doit nous inviter à ré-envisager les possibilités offertes par la technologie. La gestion des risques pourrait devenir le principal vecteur de transformation numérique des organisations et les pousser à aller beaucoup plus loin.

La crise du Covid-19 a mis les organisations à rude épreuve. Les acteurs qui se sont le mieux adaptés à la crise sont ceux qui pouvaient faire valoir une maturité numérique avancée, celles qui, en profitant des possibilités offertes par la technologie, ont transformé leur organisation et la manière de mener leurs activités. « À l’échelle du Luxembourg, l’adaptation à la situation que nous traversons a été plus ou moins bien vécue par les entreprises, commente Brice  Lecoustey, Partner, Advisory Services Leader pour le secteur Public et Commercial et Digital Leader au sein d’EY Luxembourg. Si l’activité a pu être maintenue malgré les mesures imposées pour limiter la propagation du virus, cette crise a permis de mettre en évidence l’importance de la technologie et va inviter de nombreux acteurs à reconsidérer les enjeux de transformation digitale avec davantage d’attention. »

DES FREINS À DÉPASSER Cela fait plusieurs années, désormais, que l’on évoque l’importance pour les acteurs de se transformer en mettant en œuvre les technologies disponibles, pour augmenter leur résilience, améliorer leurs performances, profiter de nouvelles opportuni-

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tés de marché. « Si beaucoup d’acteurs s’intéressaient à certaines technologies, comme la robotisation ou l’intelligence artificielle, leur adoption se limitait encore trop souvent à la mise en œuvre d’un proof of concept ou d’un projet particulier. Elle n’était que trop rarement étendue à l’ensemble d’une organisation et de ses processus. On ne pouvait donc pas parler d’adoption massive et de réelle transformation, et ce malgré des retours sur investissements potentiellement intéressants. » Les freins à cette transformation étaient encore nombreux. Au-delà du choix technologique à opérer, la transformation numérique implique de repenser les processus de l’entreprise et de former les collaborateurs pour leur permettre d’intégrer les outils numériques et d’évoluer au cœur d’une nouvelle organisation. « La technologie doit permettre aux salariés de se dégager de fonctions très opérationnelles pour mieux se concentrer sur la création de valeur ajoutée. Cependant, y parvenir implique un investissement en formation de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, mais aussi de sortir du day-to-day pour envisager d’autres opportunités  », explique Brice Lecoustey.


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SE TRANSFORMER À LA LUMIÈRE DE COVID-19 Le Covid-19pourrait inviter les entreprises à ré-envisager leur transformation numérique autrement. La crise, avec le caractère soudain des mesures prises pour empêcher la propagation rapide du virus, a mis en lumière le besoin de pouvoir mieux assurer la continuité des opérations en toutes circonstances, à distance, du jour au lendemain. « À ce niveau, le concept de Digital Office Hub va regagner en intérêt, assure l’associé d’EY Luxembourg. Le travail à distance, si l’on veut préserver la productivité, doit s’appuyer sur des outils de collaboration et de communication efficients. Il implique aussi une dématérialisation et un niveau d’automatisation des processus avancé, à travers le cloud notamment, pour faciliter les échanges et la réalisation des tâches ainsi que leur suivi. » Le maintien de la connectivité est aussi un enjeu essentiel. Pour Brice Lecoustey, le déploiement de la 5G doit permettre d’offrir des capacités de réseau amplifiées. D’autre part, la nouvelle génération de réseau mobile doit faciliter le déploiement d’objets connectés. « On peut dès lors très facilement envisager de superviser une chaîne de production à distance tout en profitant d’autres avantages en matière de suivi des installations et d’amélioration des performances. Les outils sont là et la crise que nous avons traversée devrait accélérer la transition vers des modèles industriels de nouvelle génération », précise-t-il.

INVESTIR DANS LE NUMÉRIQUE POUR RENFORCER SA RÉSILIENCE L’intelligence artificielle et le machine learning viendront parachever cette transformation. « Demain, la numérisation de l’économie, au-delà des enjeux de recherche

« le concept de performance, d’amélioration de l’expérience utilisateur ou de transformation des modèles opérationnels, tiendra davantage compte des exigences de résilience, analyse Brice Lecoustey. Au regard de ce que nous avons vécu, cette thématique risque de remonter dans les priorités des dirigeants. Et si ces derniers n’avaient pas encore inscrit ces enjeux numériques à leur agenda, il y a fort à parier qu’ils vont y songer sérieusement en commençant à réfléchir sur les bases : la connectivité, l’automatisation et la continuité des opérations. » Dans les mois à venir, la gestion des risques pourrait devenir le nouveau vecteur de la transformation numérique des organisations. En travaillant sur leur résilience, les acteurs privés comme publics trouveront certainement des leviers pour améliorer leurs performances opérationnelles et mieux appréhender les opportunités de demain.

de Digital Office Hub va regagner en intérêt » Brice lecoustey, associé EY Luxembourg

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ASSURANCE

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BÂLOISE S’ASSURE UN AVENIR NUMÉRIQUE Accompagnée par Fujitsu et Nvision, la compagnie d’assurances luxembourgeoise entend mieux répondre aux attentes de ses clients, quel que soit le canal qu’ils privilégient pour interagir. Pour cela, elle a repensé ses processus, ré-envisagé les divers parcours clients et mis en production deux nouvelles plateformes en ligne.

« La volonté était d’opérer une transformation sur l’ensemble de nos activités » Sébastien Proye, Digital IT Business Line Manager au sein de Bâloise

L’activité d’assureur au Luxembourg s’appuie encore aujourd’hui essentiellement sur des intermédiaires, des agents ou des courtiers, qui accompagnent les clients dans le choix de la meilleure couverture au regard de leurs besoins. « En 2020, 75% des clients combineront canaux physiques et numériques dans leur manière d’interagir avec les professionnels de l’assurance, explique Filip Volders, Chief Technology Officer de Bâloise Assurances Luxembourg. Comme le secteur financier l’a fait avant lui, le monde de l’assurance devient de plus en plus digital. Nous devons évoluer au regard des nouvelles habitudes et attentes des clients, en emmenant avec nous dans ce mouvement les intermédiaires avec lesquels nous travaillons. »

UNE STRATÉGIE ORIENTÉE CLIENT La compagnie d’assurances luxembourgeoise, active aussi bien sur la branche « Vie » que sur la « Non-Vie », à savoir notamment les

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couvertures incendies, accidents et risques divers (IARD), s’est donc engagée dans un projet de transformation de son activité. « Dans cette perspective, nous avons envisagé une stratégie orientée vers le client, au départ de ses attentes, souhaits et désirs afin de repenser les différents parcours, à travers les canaux physiques et digitaux, pour lui offrir un meilleur service et une expérience optimale », poursuit Filip Volders. Dans cette transformation, Bâloise Assurances Luxembourg a été accompagnée par les équipes de Fujitsu et de Nvision, qui combinent leur expertise à travers l’offre de service DigitalSphere. La démarche s’est articulée autour de trois grands axes : l’automatisation des processus grâce à la robotisation (RPA), la mise en place de la signature électronique permettant la dématérialisation des documents ainsi que la création de nouvelles plateformes « front », une pour les courtiers, l’autre pour les clients.

DE L’IDÉATION À LA MISE EN ŒUVRE « La volonté était d’opérer une transformation sur l’ensemble de nos activités, explique Sébastien Proye, Digital IT Business Line Manager au sein de Bâloise. Nous avons commencé à travailler avec nos courtiers "Vie" à l’international pour leur proposer un nouveau portail à partir duquel nous pourrions repenser l’intégralité du parcours client. »


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Pour parvenir à un résultat à la hauteur des attentes de chacun, la compagnie d’assurances a opté pour l’approche suggérée par Fujitsu et Nvision. « Nous accompagnons nos clients dans leur projet de transformation depuis l’idéation, sur base de problématiques rencontrées par le client, jusque dans la mise en œuvre de leur projet, commente Cédric Jadoul, Service Director au sein de Fujitsu. Dans le cadre de ce projet, nous avons mené des ateliers avec les équipes business de Bâloise et les courtiers. En recourant aux méthodes d’UX Design, nous avons pu identifier les éléments qui devaient intégrer la solution, ce que chacun voulait voir. L’objectif, en concevant de cette manière la solution future, est d’arriver très rapidement à un prototype. »

UNE MAQUETTE POUR ÉTABLIR LA FEUILLE DE ROUTE Les ateliers, après quelques semaines, ont permis de définir une maquette très visuelle de la future solution, permettant à chacun de se projeter. Le prototype a ensuite été développé, en donnant la priorité aux fonctions les plus essentielles, et en développant progressivement les autres. « La maquette permet d’établir une feuille de route conduisant à la réalisation de la solution. Itération après itération, les pièces s’assemblent pour constituer la solution. Chaque étape implique une révision des processus, l’intégration de nouvelles solutions technologiques et le développement de nouvelles fonctionnalités suivant une approche end-

to-end, explique Yann Dagorn, Head of Managed Application Services au sein de Fujitsu. En recourant aux méthodes agiles, avec des cycles de livraison de trois semaines, on peut construire progressivement une solution complète en garantissant la plus grande harmonie entre les attentes, les fonctionnalités réalisées et les différentes technologies utilisées. » La première plateforme dédiée à l’activité « Vie » a pu être mise en production en septembre dernier. Les courtiers peuvent déjà en apprécier les bénéfices. « La nouvelle solu-

tion, en intégrant la signature électronique, permettra de souscrire à un contrat auprès d’un courtier sans manipuler de documents papier et d’accélérer le traitement du dossier, commente Sébastien Proye en guise d’exemple. Grâce à la plateforme, les courtiers accèdent directement aux informations et à leurs mises à jour plus régulières. »

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ASSURANCE

MYBALOISE, LA PLATEFORME NATIONALE En 2020, 75% des clients combineront canaux physiques et numériques dans leur manière d’interagir avec les professionnels de l’assurance

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Après la mise en production de cette première plateforme, Fujitsu et Bâloise ont entrepris le développement d’une plateforme destinée au marché luxembourgeois, autour des couvertures IARD et Vie Locale,baptisée MyBaloise. « À travers elle, nous souhaitons accompagner l’évolution des habitudes des utilisateurs sans pour autant court-circuiter les agents qui restent le point de contact privilégié des clients, explique Sébastien Proye. Cet espace client personnel permet de retrouver tout l’univers Bâloise : accéder aux contrats, consulter les factures, chercher les documents (contrats, factures, attestation, certificat de prime) et surtout déclarer et suivre l’avancement du traitement du sinistre… tout Bâloise au bout des doigts ! »

stratégie claire autour des parcours clients. « Si l’on parvient à se mettre tous d’accord sur une vision commune, on a déjà réalisé une bonne partie du chemin », assure Cédric Jadoul. Le second réside sur l’engagement des parties prenantes : les membres du board, les équipes internes, les clients et les partenaires. « Tous les points de vue doivent pouvoir être pris en compte afin de proposer une solution qui inclue chacun et qui soit facilement adoptée », poursuit Sébastien Proye. Troisièmement, il est important d’accompagner les équipes et les partenaires, pour faire évoluer les habitudes. « L’expertise, la constance et la flexibilité dont ont fait preuve les équipes de Fujitsu et de Nvision ont aussi beaucoup contribué à la réussite de ce projet, assure Sébastien Proye. La proximité des équipes est aussi un atout qui nous a permis de facilement trouver des solutions aux problèmes rencontrés et ramener l’expertise en interne. »

La réussite d’un tel projet, qui a finalement impliqué beaucoup de monde, repose sur plusieurs facteurs. Le premier, de l’avis de nos interlocuteurs, réside dans la définition d’une

Encore plus que jamais, dans le contexte post-Covid actuel, la mise à disposition de telles plateformes est un atout essentiel pour Bâloise et ses clients.


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3 questions à Filip Volders,

Chief Technology Officer de Bâloise Assurances Luxembourg

« Une approche avant tout orientée client »

COMMENT, AU DÉPART,  AVEZ-VOUS APPRÉHENDÉ  CETTE TRANSFORMATION ? FILIP VOLDERS Par le passé, les outils numériques que nous déployions étaient principalement destinés à nos partenaires ou nos collaborateurs. Désormais, il est aussi nécessaire de pouvoir interagir directement avec le client sans pour autant court-circuiter les intermédiaires. Pour cela, il nous fallait établir une stratégie de transformation claire, mais aussi opérer un changement d’état d’esprit en interne. Cela a commencé par une réorganisation au niveau de l’IT, pour mieux positionner les ressources au service du business, afin de faire évoluer les processus et accéder à une meilleure exploitation et validation des données. La transformation numérique, au-delà des outils technologiques, a beaucoup de facettes dont il faut tenir compte.

ET QUELS EN SONT  LES PRINCIPAUX BÉNÉFICES ?   QUELS SONT LES GRANDS ENJEUX  DE CETTE TRANSFORMATION ?  F.V. Au-delà de la mise à disposition d’outils technologiques, il faut pouvoir repenser les processus et même les offres contractuelles. On doit mettre en œuvre de nouvelles manières d’interagir avec les clients. La clé, c’est d’adopter une approche orientée client. Notre philosophie est "Digital when possible, always Human". Depuis la souscription d’une couverture jusqu’à la clôture d’un dossier suite à une déclaration de sinistre, la volonté est de lui offrir la possibilité de tout faire en ligne, par téléphone ou encore avec son agent physiquement et de lui permettre de suivre son dossier à tout moment, quel que soit le canal privilégié. Cela implique de dématérialiser les processus et les contrats, d’offrir la possibilité de signer ces derniers en ligne, de ré-envisager la manière de communiquer avec chacun. Il était aussi important d’impliquer tous nos partenaires dans ce processus et de mettre de nouveaux outils à leur disposition.

F.V. Au-delà d’une amélioration de l’expérience client, une transformation comme celle que nous menons permet de mieux structurer notre approche, de standardiser nos processus. En maintenant une communication continue avec nos clients et partenaires, nous pouvons mieux répondre à leurs attentes, être plus réactifs. Au-delà, nous nous dotons des moyens de traiter plus efficacement les dossiers et de faire évoluer nos produits pour mieux répondre à la demande.

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crise covid-19

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Transformation numérique : quelles leçons tirer de la crise ? Les acteurs de l’assurance et de la banque ne sont pas égaux face à la crise. Les organisations les plus avancées dans leur transformation numérique se sont en effet mieux adaptées à la situation. Les autres devront tirer des leçons de cette expérience et accélérer l’intégration des outils technologiques au cœur de leurs modèles opérationnels. Pour les spécialistes de KPMG, plusieurs grandes tendances se dégagent. Avant que le monde s’arrête en raison du coronavirus, la plupart des acteurs des secteurs de la banque et de l’assurance étaient occupés à se digitaliser. Cette transformation s’avérait plutôt lente, en raison de la complexité des activités menées. Puis, du jour au lendemain, les mesures prises pour limiter la propagation du Covid-19 ont obligé les acteurs à se réorganiser pour assurer la continuité des activités à distance. « Les acteurs qui n’étaient pas suffisamment avancés dans la transformation numérique de leurs systèmes et de leurs processus ont eu beaucoup de difficultés à s’adapter. Ceux qui, inscrits dans une démarche d’excellence opérationnelle, avaient transformé leur infrastructure IT, cherché à limiter l’usage du papier et automatisé leurs workflows ont pu réagir plus efficacement », explique Vincent Koller, Partner au sein de KPMG Luxembourg.

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David Donias, Director au sein de KPMG Luxembourg

VERS UNE ACCÉLÉRATION DE LA TRANSFORMATION Dans l’assurance, où la transformation numérique est moins avancée que dans la banque, beaucoup d’acteurs se sont retrouvés dans une situation délicate. Pendant qu’ils étaient occupés à se réorganiser, chacun a dû faire face à une hausse des réclamations des clients. En effet, les pertes liées à la crise pouvaient, selon les contrats, donner lieu à des dédommagements. « Si, anticipativement, les acteurs n’avaient pas fluidifié le traitement des demandes, en éliminant les points de blocage au cœur des processus, la situation s’est avérée complexe à gérer »,

assure David Donias, Director au sein de KPMG Luxembourg, expert dans la transformation numérique du secteur de l’assurance. « La crise sanitaire a été révélatrice pour beaucoup d’acteurs de l’importance de mieux intégrer les outils numériques au cœur des modèles opérationnels. Beaucoup ont pris conscience du chemin qu’il leur restait à parcourir », ajoute Vincent Koller. La période que nous venons de traverser pourrait avoir un effet catalyseur et accélérer les projets de transformation numérique. « A travers les échanges que nous avons pu avoir avec des dirigeants ces dernières semaines, on a constaté une réelle volonté d’accélérer sur la voie de la numérisation. »


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MAINTENIR LE LIEN, GARANTIR L’EFFICIENCE OPÉRATIONNELLE La prise de conscience qui fait suite à la crise incite les acteurs à se transformer autour de deux axes principaux. Le premier a trait aux enjeux relationnels. « La volonté, à ce niveau, est de maintenir le lien avec les utilisateurs et de garantir une expérience client optimale », poursuit l’expert. Le deuxième axe est relatif aux enjeux opérationnels. « Au niveau du middle et du back-office, il s’agit de rendre les opérations plus efficientes, en limitant l’usage du papier, en rendant les processus plus fluides, notamment grâce à l’automatisation des workflows et de certaines tâches, ajoute David Donias. Cette transformation, en outre, permet une plus grande transparence et davantage d’ouverture. En ayant une vue sur l’ensemble des maillons d’une chaîne de traitement, on peut plus facilement connaître l’état d’avancement d’un dossier. »

LA FIN DE CERTAINS DOGMES L’accélération de la transformation numérique aujourd’hui voulue par certains acteurs pourrait être facilitée, et même accompagnée, par les régulateurs. Ces derniers ont préconisé cette dimension durant cette période pour permettre le maintien des activités. « Certains dogmes sont tombés, notamment certaines réticences liées à l’usage de solutions cloud. Le cadre de supervision de la CSSF prévoit spécifiquement le recours au cloud dans ses dernières circulaires, nul doute que des leçons pourront être tirées et que les acteurs auront la possibilité d’aller vers davantage de solutions cloud pour faciliter l’accès aux systèmes et aux informations à distance, ajoute David Donias. Le Commissariat aux Assurances pourrait lui emboîter le pas afin de faciliter l’usage de ces technologies au service d’une résilience plus forte des activités. » Jusqu’à présent, la technologie était avant tout considérée comme un levier de compétitivité, un moyen d’avancer. Après cette crise, beaucoup ont compris que le numérique constituait un enjeu métier essentiel.

Vincent Koller, partner au sein de KPMG Luxembourg

CLOUD ET AUTOMATISATION Les experts de KPMG ont cherché à identifier les grandes tendances à venir en matière de transformation numérique des organisations post Covid-19. «  La première réside dans l’adoption des solutions cloud. Les plateformes mutualisées se sont révélées être des outils indispensables pour maintenir le lien, garantir les opérations à distance et garantir la qualité du service », assure David Donias. Le cloud permet en outre d’intégrer facilement de nombreux services et solutions, comme la signature électronique ou encore la gestion automatique et l’archivage des documents. « Une deuxième tendance réside dans l’automatisation des processus, poursuit David Donias. On peut imaginer un traitement automatique des réclamations, suite à l’annulation de vols par exemple, pour gagner en efficacité. »

« Entre un client et sa banque ou son assurance, il peut y avoir plusieurs intermédiaires. Les dépendances entre les uns et les autres sont nombreuses. Ouvrir le système, mieux partager l’information, grâce par exemple aux APIs, doit profiter à tout le monde, explique David Donias. La difficulté, à ce niveau, réside dans le fait que la plupart des acteurs doivent composer avec des systèmes vieillissants qu’il faut parvenir à faire évoluer. » Enfin, la dernière grande tendance a trait à la « business continuity ». Il s’agit de mieux intégrer la technologie et ses usages au cœur des plans de continuité et de résilience des organisations, pour permettre à chacun de faire face à des situations similaires à ce que l’on vient de traverser.

L’EXIGENCE D’OUVRIR SES SYSTÈMES Un troisième enjeu important réside dans la nécessité d’ouvrir les systèmes pour agir plus efficacement à l’échelle d’un écosystème.

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SERVICES

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PLACER LE SERVICE DESK AU CENTRE DE L’ORGANISATION IT Spécialiste en matière de gestion du service desk, notamment auprès des Institutions Européennes, Aubay estime que cette fonction doit occuper une place centrale au sein de l’organisation IT, et dépasser le seul support utilisateur. Avec la généralisation du télétravail, le service desk est amené à devenir plus essentiel encore. Depuis 1995, AUBAY accompagne des clients d’envergure dans la mise en place de solutions informatiques adaptées à leurs besoins. Parmi celles-ci, le service desk est une fonction essentielle, même si elle est parfois considérée comme périphérique. « Aujourd’hui, le service desk n’est plus seulement destiné à offrir un support aux utilisateurs. Il s’agit plutôt d’un service global qui dépasse même l’IT. Nous intervenons par exemple dans la gestion de certains aspects logistiques, dans le facility management, etc. », détaille Cédric, Team Leader au sein d’AUBAY.

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GÉRER UNE MOBILITÉ ACCRUE  Pour gagner en efficacité, l’organisation du service desk tel que la conçoit AUBAY passe par un SPOC (Single Point of Contact). Ce centre de contact est le seul point de passage pour toutes les demandes des utilisateurs concernant leur poste de travail. « Cela concerne à la fois les problèmes de téléphonie fixe et de réseau, mais aussi tout ce qui concerne les appareils mobiles, poursuit le Team Leader d’Aubay Luxembourg. Il faut savoir qu’une partie des équipes dont nous gérons l’informatique travaille en déplacement, sur des devices adap­tés, et parfois à l’autre bout du monde. Nous devons donc assurer un service d’une amplitude de 11h30 pour satisfaire au mieux les besoins de nos utilisateurs » Cette mobilité liée au travail a été considérablement renforcée avec la crise du Covid-19. « La dernière semaine sur site et les deux premières en télétravail ont été très chargées, reconnaît Cédric. Nous avons notamment dû configurer sur des appareils mobiles un nombre important d’applications qui étaient utilisées sur des terminaux fixes. Nous avons


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UNE VITRINE POUR L’IT

placé environ 1.000 personnes en télétravail, ce n’est pas rien. Au final, c’est très posi­tif car tous les utilisateurs disposent au­j ourd’hui d’un accès à distance, ils seront donc plus autonomes dans le cadre de leurs éventuelles futures missions. »

AUTOMATISER  POUR RÉDUIRE LES FRAIS  L’un des enjeux d’un service desk performant est également de réussir à réduire les coûts engendrés par cette fonction. Pour y parvenir, l’automatisation est quasiment un passage obligé. « Nous avons recours à des outils de ticketing qui rationnalisent les opérations, précise le Team Leader d’AUBAY. On peut y intégrer des workflows en fonction des différents besoins. Par exemple, si un collaborateur a besoin d’installer une application de visio-conférence sur l’un de ses appareils, son responsable valide la demande et un ticket est créé pour lancer l’exécution de l’installation. L’utilisateur a un seul ticket à introduire, une seule démarche à faire pour obtenir une réponse à sa demande. » Le but de cette manière de procéder est de mettre en place une sorte de self-service pour les utilisateurs, qui s’applique à une série de demandes. « Certains utilisateurs continuent à avoir le réflexe d’appeler le service desk mais, au fur et à mesure, ils finissent par voir que ce système de ticketing automatisé fonctionne correctement et ils l’utilisent plus volontiers, estime Cédric. Le fait de passer un appel est finalement une perte de temps pour tout le monde. De notre côté, l’utilisation de ce système nous libère un temps précieux, qui nous permet de nous occuper des tâches les plus complexes. »

Un service desk fonctionnant de manière efficace et répondant parfaitement aux demandes des utilisateurs aura également un impact sur l’ensemble de l’IT de l’organisation. Au-delà du seul département informatique, c’est toute l’image de l’entreprise qui sera améliorée si le service desk est de qualité. « Les plaintes et les compliments, c’est nous qui les recevons en premier lieu, souligne Cédric. Il nous faut filtrer les différentes demandes des utilisateurs et les renvoyer vers les bonnes personnes. En ce sens, nous sommes également un canal de communication privilégié au sein de l’entreprise. » Pour AUBAY, il est dès lors essentiel que les responsables du service desk soient en contact étroit avec la direction de l’entreprise. Cela n’était peut-être pas le cas il y a quelques années, mais les lignes sont en train de bouger. « Nous avons régulièrement des meetings de suivi, nous assistons aux comités de gestion, de direction, etc., détaille le Team Leader. Cette proximité nous permet d’avoir une bonne vue sur la vision du management, mais aussi d’obtenir des retours sur les soucis rencontrés. Et puis retrouver un peu de contact humain est également primordial. » Le service desk va continuer à évoluer en fonction des avancées technologiques et de la modification des habitudes des utilisateurs. « La génération Google, c’est une réalité. Chacun cherche d’abord luimême un problème à ses soucis avant de faire appel à un expert. C’est notre rôle de mettre en place les outils qui permettent aux utilisateurs de trouver cette réponse par eux-mêmes. Et ce sera peutêtre encore plus le cas demain », conclut le Team Leader d’AUBAY.

« Nous avons recours à des outils de ticketing qui rationnalisent les opérations » Cédric, team leader au sein d'aubay luxembourg

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TÉLÉCOM

Intégrer les lignes  téléphoniques  aux outils collaboratifs  Ces dernières semaines, beaucoup ont pu apprécier les possibilités offertes par les outils numériques de collaboration, comme Microsoft Teams. On n’a jamais aussi bien travaillé à distance que ces derniers mois. En allant un peu plus loin, avec l’intégration des solutions voix sur IP avec MS Teams, chacun peut encore gagner davantage en efficacité.

En matière de collaboration, Microsoft 365 et sa suite d’outils ont démontré toute leur utilité durant la période de confinement. Plus que de faciliter la communication entre les membres d’une même équipe tenus à distance, ces solutions constituent un levier d’amélioration de l’efficacité dans le travail au quotidien.

CENTRALISER TOUTES LES COMMUNICATIONS DE L’ENTREPRISE MS Teams, par exemple, soutient tous les échanges formels et informels entre les membres d’une équipe ou partenaires d’un projet en faisant converger tous les canaux de communication en un seul endroit : messagerie instantanée, appel voix, visio-conférence avec fonctionnalité de partage d’écran, etc. La plateforme est en outre directement interfacée avec Outlook pour la messagerie, SharePoint pour le partage et le stockage des documents, rassemblant ainsi tous les services de Microsoft 365 en un point. Il ne lui manquait presque rien, sinon peut-être la possibilité de passer des appels vers des numéros extérieurs ou, à l’inverse, d’en recevoir.La fonctionnalité MS Direct Routing, récemment déployée, vient remédier à cette lacune.

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PLUS BESOIN DE MAINTENIR DE CENTRAL TÉLÉPHONIQUE MS Direct Routing permet de basculer et de gérer toute sa téléphonie directement dans MS Teams, de passer des appels voix vers l'extérieur et bien évidemment d'être joignable où que l'on soit. La plateforme devient la pierre angulaire de la digitalisation offrant une vraie communication unifiée. POST propose ainsi cette solution Direct Routing sur le marché, commercialisée sous le nom CloudVoice*. Aujourd’hui, POST et Elgon accompagnent leurs clients afin de leur permettre de profiter de cette opportunité et de faire converger l’ensemble de leurs canaux de communication. « Les avantages sont nombreux, explique Sébastien Poekes, Head of Smart Computing Services / Teams VoIP Expert au sein d’Elgon. La solution MS Direct Routing permet de ne plus avoir à maintenir de central téléphonique et de réduire les coûts liés à la téléphonie. Elle permet en outre une intégration plus avancée des solutions de communication et de mobilité tout en conservant son fournisseur téléphonique ainsi que ses numéros d’appel. Tout l’envi­ ronnement voix est géré au départ de MS Teams, qui est directement connecté au Session Bor­der Controller (SBC) de l’entreprise, autre­ment dit, l’élément qui effectue la passerelle de communication vers le réseau téléphonique (PSTN). La solution peut fonctionner aussi bien que le SBC soit on premiseou dans le cloud. »

UNE SOLUTION ACCESSIBLE ET FACILE À DÉPLOYER

MS Direct Routing est directement accessible aux utilisateurs de Microsoft 365 possédant une licence supérieure (E5). Les utilisateurs dispo­ sant d’un niveau de licence inférieur désireux d’en profiter devront souscrire à une licence additionnelle. « Le déploiement d’une solution comme MS Direct Routing sur MS Teams peut être déployé rapidement si le SBC est géré depuis le cloud, précise Sébastien Poekes. Un tel projet de transforma­tion implique toutefois de tenir compte des ha­bitudes des utilisateurs, pour effectuer une mi­gration la plus transparente. Il est possible de faire basculer toute la téléphonie sur MS Teams. Mais, dans certains cas, il sera intéressant de faire cohabiter deux systèmes, avec une inté­gration entre l’ancien IP PABX (le central télé­phonique) et la solution MS Direct Routing, pour que l’utilisateur puisse par exemple continuer à utiliser d’anciens équipements ou application voix comme il en a toujours eu l’habitude. »

UN MARCHÉ, DEUX TENDANCES « À l’échelle du marché, ce type de solutions va être privilégié par les acteurs, principalement de petite et moyenne taille, qui souhaitent s’appuyer sur un environnement tournant entièrement sous Microsoft, poursuit Luc Halbardier. Cependant, les acteurs qui disposent déjà d’une plateforme de téléphonie avancée, de type CISCO par exemple, choisiront le plus souvent de la maintenir pour de nombreuses bonnes raisons. »


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Luc Halbardier, chef de service cloud & datacenter solutions au sein de POST Telecom

* PLUS D'INFORMATIONS SUR LA SOLUTION CLOUDVOICE DE POST  : www.post.lu/independants-et-pme/ catalogue-produits/telephone/cloudvoice

Les grands comptes, souvent, ont déjà investi dans d’autres solutions de téléphonie, qu’ils ont intégrées au cœur de leur processus métier, avec des fonctionnalités d’enregistrement des appels, de cryptage, d’archivage des informations, de synchronisation avec le CRM. « Les plateformes comme CISCO ont démontré leur robustesse pour soutenir les besoins en voix et en collaboration, assure Luc Halbardier. Cela explique que les grands comptes sont encore prudents à l’égard des solutions proposées par Microsoft, dont la voix n’est toujours pas le cœur de métier. »

FAIRE LES BONS CHOIX EN FONCTION DES BESOINS Pour permettre à ces acteurs de profiter des avantages d’une communication unifiée en maintenant deux environnements, POST et Elgon peuvent aussi accompagner les organisations dans l’intégration des plateformes MS Teams et CISCO, par exemple. « Si ces deux grands acteurs sont souvent en concurrence, ils peuvent aussi s’entendre sur certains points pour évoluer ensemble, commente Luc Halbardier. Les possibilités d’unifier les canaux de communication sont nombreuses et s’apprêtent à transformer nos habitudes, pour plus d’efficacité. »

Sébastien Poekes, Head of Smart Computing Services / Teams VoIP Expert au sein d’Elgon

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TECHNOLOGIE

Allier DevOps et Cloud pour passer à la vitesse supérieure Associé aux compétences DevOps, le cloud public est un catalyseur important de la transformation numérique des organisations. Spikeseed, l’entité du groupe Arηs spécialisée dans l’accompagnement des projets IT complexes s’appuyant sur des pratiques agiles et des technologies, a récemment obtenu la compétence DevOps délivrée par Amazon Web Services (AWS). Son directeur, Christophe Grosjean, évoque les opportunités que cela représente pour les acteurs luxembourgeois. Les acteurs qui performent le mieux au cœur de leur marché sont ceux qui se sont donné les capacités de faire évoluer leur environnement système efficacement et rapidement afin de toujours mieux soutenir les objectifs poursuivis par l’organisation. Que l’on soit un acteur privé ou une organisation relevant de la sphère publique, l’enjeu est aujourd’hui de placer les systèmes d’information au service de son efficience opérationnelle et de son développement.

ACCÉLÉRER LES CYCLES DE DÉVELOPPEMENT

Christophe Grosjean, directeur de Arηs Spikeseed (page de gauche) & Kamini Aisola, General Manager, AWS Benelux (page de droite)

Pour rester à la pointe, les outils numériques doivent soutenir le développement et ne peuvent en aucun cas constituer un frein. « Les challenges sont les mêmes pour la plupart de nos clients. Il s’agit de transformer l’IT pour gagner en agilité dans la mise en œuvre de nouveaux projets et de réduire le time-to-market, explique Christophe    Grosjean, directeur de Arηs Spikeseed. Dans cette perspective, s’appuyer sur une plateforme cloud comme AWS permet d’accélérer les cycles de développement, notamment à travers la mise en œuvre rapide de nouveaux environnements et l’accès à de nombreux services déjà disponibles. Si, au-delà, on s’inscrit dans une démarche DevOps Cloud, en automatisant toute une série de choses, on peut profiter de gains de temps supplémentaires et bénéficier d’économies de coûts. »

RAPPROCHER LE DÉVELOPPEMENT ET LES OPÉRATIONS Récemment, Spikeseed a obtenu la compétence DevOps d’Amazon Web Services. Le programme de compétences associé à la plate-

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Le machine learning au service des enjeux de prévention sanitaire

forme cloud a été conçu pour mettre en évidence les acteurs membres de son programme de partenariat mondial qui ont démontré des compétences techniques et un succès prouvé par les clients dans des domaines de solutions spécialisés. En l’occurrence, Spikeseed a fait valoir sa capacité à accompagner ses clients et ceux d’AWS à adopter une démarche DevOps. « Les pratiques DevOps sont importantes. Elles aident les organisations à créer rapidement plus de valeur commerciale et à réduire les risques, explique Kamini Aisola, General Manager, AWS Benelux. Elles visent à améliorer la collaboration, la communication et l’intégration entre les équipes de développement et celles en charge des opérations. À travers elles, on modifie l’approche qu’ont les entreprises en matière informatique, pour les rendre plus agiles et plus efficaces. »

AUTOMATISER LE DÉPLOIEMENT Quand une entreprise migre vers le cloud, elle peut en effet y répliquer son environnement tel qu’il était on-premise. Ce faisant, elle risque de passer à côté des réelles opportunités liées à l’utilisation de ces plateformes. « Les compétences DevOps nous invitent à envisa-

ger des stratégies plus élaborées, permettent d’activer d’importants leviers de performance, poursuit Christophe Grosjean. Des pratiques comme l’infrastructure as a code permettent d’automatiser la mise en œuvre d’un environnement qui puisse accueillir un applicatif donné. L’intégration des applicatifs en fonction des besoins est facilitée. On peut accélérer le processus et s’inscrire dans une approche de déploiement continu des applications et des services. L’autre avantage est que tout est directement documenté au sein même du code. »

DES COMPÉTENCES AVANCÉES Pour acquérir la compétence DevOps d’AWS, Spikeseed a dû obtenir un niveau de certification suffisant, attestant de sa capacité à mettre en œuvre ces pratiques et techniques de manière autonome. Architectes, ingénieurs, gestionnaires de réseau, experts en sécurité, en gestion des données ou encore en intelligence artificielle ont dû monter en compétences. D’autre part, AWS considère aussi des critères de satisfaction client et prend le soin de valider les compétences acquises à travers un processus d’audit. « Ces efforts nous permettent aujourd’hui de gérer des projets pour le compte de clients, en

Animé par la volonté d’innover et de proposer de nouveaux services au départ des possibilités offertes par la technologie, Spikeseed a mis en œuvre deux concepts s’appuyant sur le machine learning dans le domaine de la sécurité et de la santé. « Nous avons récemment travaillé sur un projet de computer vision, avec une caméra intelligente connectée à un moteur d’intelligence artificielle tournant sur AWS, afin de détecter des situations spécifiques, explique Christophe Grosjean. Un des cas d’usage que nous avons mis au point vise la détection des équipements professionnels de sécurité dans une logique de prévention en entreprise. La caméra permet par exemple de détecter si un ouvrier revêt bien son casque ou si une personne porte un masque de protection quand cela est requis. Cette technologie, par exemple, pourrait servir dans la lutte contre la propagation du coronavirus, afin de rappeler à chacun de bien porter son masque et de contribuer à la protection de tous. » prenant la responsabilité de leurs opérations avec un niveau de services garanti. Notre expertise nous permet par ailleurs d’accompagner plus efficacement des projets de migration des environnements de nos clients vers le cloud, en nous assurant qu’ils puissent bénéficier de tous les bénéfices que leur offre AWS. Au cœur de ces projets, nous aidons les équipes que nous accompagnons à maîtriser les pratiques DevOps et leur nouvel environnement », explique Christophe Grosjean.

NOUVELLES OPPORTUNITÉS « Spikeseed est le premier de nos partenaires au Luxembourg à accéder à la compétence DevOps, précise Kamini Aisola. Pour nos clients, c’est une nouvelle enthousiasmante. Spikeseed est un partenaire certifié de confiance pour les organisations désireuses de mettre en œuvre des modèles de développement, d’intégration et de livraison en continu ou d’automatiser le provisionnement et la gestion de l’infrastructure au départ des outils proposés par AWS. »

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L’HUMAIN ET LE BUSINESS AU CŒUR DU CHANGEMENT


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ET SI LA CRISE TRANSFORMAIT LA GRANDE DISTRIBUTION ? Alors que la plupart des secteurs d’activité souffrent depuis le début de la crise de la COVID-19, il en est un qui se frotte les mains : celui de la grande distribution. La demande a en effet explosé de façon instantanée et, pour y répondre, le secteur a dû trouver des solutions parfois inédites. Pour certaines enseignes, cette crise est une opportunité de réviser profondément leur modèle.

Le secteur de la grande distribution n’est pas réellement un perdreau de l’année. Au contraire, ses origines remontent au XIXe    siècle et sa visée est au départ autant sociale que commerciale. Il s’agit en effet, pour des coopératives, de mettre à disposition des ménages des biens de première nécessité. Depuis ce moment fondateur, la grande distribution a connu de nombreuses évolutions : le succursalisme, consistant à multiplier les enseignes d’une même marque vendant des produits à prix fixes et affichés, les grands magasins, sortes d’épiceries géantes implantées dans les grandes villes, les magasins à prix unique, les magasins en libre-service, les enseignes à discompte et, enfin, les grandes surfaces.

UN REFLET DE LA SOCIÉTÉ La grande distribution n’a donc cessé de se transformer au cours des décennies. Son évolution s’est en réalité dessinée parallèlement à celle de la société dans son ensemble. Lorsque celle-ci s’interroge sur la manière de fournir les denrées de base à des ménages ouvriers naissent les premières coopératives. Lorsque la guerre laisse des millions de personnes dans un état de précarité terrible, les enseignes trouvent des solutions pour vendre moins cher et font de cette particularité un argument commercial. Ces dernières années aussi ont été marquées par une crise d’importance qui, sous une forme ou une autre, a été évoquée quo-

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COMMERCE

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Vive le plastique !

tidiennement dans les médias : la crise climatique et environnementale. Comme depuis les premiers temps de son histoire, la grande distribution s’est adaptée aux questionnements, craintes et espoirs soulevés par cette crise, notamment en proposant aux consommateurs inquiets des produits plus locaux, moins transformés, et dont l’élaboration nuit moins à l’environnement. Les magasins sont devenus plus aérés, tablent autant sur la qualité que sur le prix, laissent de la place au vrac. L’histoire est en marche et la grande distribution suit le mouvement.

UNE CRISE SANITAIRE INATTENDUE

Les équipes de Grosbusch ont dû s’adapter à des exigences sanitaires assez lourdes depuis quelques mois : gants, masques, désinfection des camions et des bureaux… « Tout ceci contribue à rassurer nos clients, explique Goy Grosbusch. Il en va de même de l’emballage des fruits et légumes. C’est assez paradoxal mais alors que tout le monde, avant la crise, voulait réduire au maximum le packaging, notamment en plastique, on se retrouve aujourd’hui avec une demande complètement inverse. Les gens veulent aujourd’hui plus de plastique et j’ai l’impression que cette tendance pourrait durer… »

tribution en ligne, et de se les faire livrer à domicile. Les ventes ont triplé sur cette période, alors que nous avons finalement dû limiter l’accès à la plateforme aux seules personnes vulnérables, car nous n’arrivions plus à suivre. Nous aurions donc pu vendre bien plus encore. »

La pandémie à laquelle nous sommes confrontés pourrait toutefois avoir des conséquences bien plus importantes pour le secteur de la grande distribution. On ne peut que le regretter, mais le changement climatique a cette particularité de n’avoir actuellement pas d’effet suffisamment déterminant dans nos vies d’Occidentaux pour motiver un réel changement d’habitudes. Ses conséquences devront être assumées par les générations futures, celles qui ne sont pas encore là et dont nous ne devrons donc jamais affronter le regard accusateur. Pour être aussi cru que ce débat l’impose, posons-le en ces termes : le changement climatique ne tue pas aujourd’hui nos grands-parents. En tout cas, pas de façon suffisamment claire. Pour la grande distribution, les efforts réalisés pour apporter leur pierre à l’édifice dans la lutte contre ce phénomène sont donc plus de l’ordre de l’opération marketing que de la transformation structurelle.

Poussés par la peur de manquer de nourriture, mais aussi par celle de contracter le virus, les consommateurs luxembourgeois se sont en effet tournés vers les (rares) solutions d’achat et de livraison d’alimentation disponibles dans le pays. La question est de savoir si cette habitude perdurera une fois la crise derrière nous. « Je suis convaincu que cet épisode va donner un coup d’accélérateur à l’achat d’alimentation en ligne, poursuit Jacques Lorang. Pendant des années, ce marché n’a été qu’une niche. Mais on voit bien que, malgré le déconfinement, la demande reste importante. Je ne dis pas que la moitié des consommateurs vont à présent acheter leur nourriture en ligne, mais je suis tout de même très confiant dans l’avenir. »

Arrivé subitement, et laissant derrière lui des morts bien visibles, le coronavirus est d’un tout autre ordre. Et ses conséquences sur le secteur de la grande distribution ont été très importantes. « Nous avons été surpris par l’explosion de la demande, dès les premiers jours du confinement, explique Jacques Lorang, CEO de Luxcaddy, société qui permet aux particuliers de commander des produits alimentaires et de grande dis-

Grosbusch, important distributeur de fruits et légumes au Luxembourg et à l’international, avait déjà mis en place sa formule Fruit@ office, permettant aux entreprises de se faire livrer fruits et légumes pour la consommation de leurs collaborateurs. Pendant le confinement, l’entreprise luxembourgeoise a étoffé cette offre avec Fruit@home. « Nous collaborions à l’initiative corona.letzshop. lu – une plateforme permettant aux plus

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L’ALIMENTATION EN LIGNE, BIENTÔT LA RÈGLE ?

vulnérables d’acheter en ligne et de se faire livrer de la nourriture – et nous nous sommes dit qu’il n’y avait pas que les plus de 70 ans qui cherchaient une possibilité de se faire livrer leurs fruits et légumes. Nous avons donc décidé de lancer cette formule qui consiste à proposer des paniers pré-composés de produits saisonniers, explique Goy Grosbusch, Administrateur délégué de la société. Même avant la crise, la tendance pour la livraison de nourriture fraîche à domicile se dessinait de plus en plus clairement. Nous n’avions toutefois pas forcément le temps nécessaire pour nous lancer. La période que nous traversons nous en a donné l’occasion.  » Selon Goy   Grosbusch, la fin de la période de confinement n’a pas calmé les ardeurs des consommateurs et la demande pour le service Fruit@home reste importante.

OPPORTUNITÉ COMMERCIALE ET EXIGENCE SANITAIRE On le voit, des acteurs bien établis de la grande distribution ont également senti que la pandémie laisserait des traces dans l’esprit des consommateurs et qu’il y avait là une opportunité commerciale à exploiter. Certes, les possibilités de commande en ligne, avec collecte des achats au magasin, voire de livraison, commençaient à se multiplier déjà avant la crise. Mais la Covid-19 a convaincu les plus réticents de se lancer. Offrir aux clients une nouvelle manière d’obtenir leurs produits n’est d’ailleurs peut-être pas seulement une façon pour les grandes enseignes d’exploiter une faille psychologique des consommateurs. Il peut


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«Je ne dis pas que la moitié des consommateurs vont à présent acheter simplement s’agir de répondre à une réelle exigence sanitaire. « L’expérience client devra être différente tant que les garanties sanitaires ne seront pas totales, estime Cyril Dreesen, Directeur général d’Auchan Retail Luxembourg. Cela signifie plus de digital, plus de livraisons à domicile ou de commandes de panier préparés. Tout ceci va devenir courant et la grande distribution doit s’y préparer. » Pour le directeur d’Auchan Luxembourg, ces habitudes pourraient devenir si bien intégrées qu’elle resteront en vigueur même lorsque le virus sera maîtrisé. « Si on a recours pendant plusieurs mois à ces solutions, je suis convaincu qu’elles resteront dans les mœurs. Elles ne seront peut-être pas autant utilisées que pendant le confinement, mais elles seront bien plus privilégiées qu’avant la crise. »

DU LOCAL POUR GARANTIR L’APPROVISIONNEMENT Au-delà du canal de distribution des produits, un autre changement, lui aussi déjà engagé par beaucoup d’enseignes avant la crise, devrait s’accélérer après celle-ci : le recours plus marqué aux produits locaux. « Au plus fort de la crise, lorsque la demande était très importante, nous nous sommes retrouvés face à des grandes marques en pénurie, se souvient Jacques   Lorang. Nous travaillions déjà avec des marques locales, mais nous avons alors renforcé notre collaboration avec elles afin de proposer une alternative aux clients. Et on a vu que ça fonctionnait. A l’avenir, nous mettrons certainement plus en avant ce type de produits.

leur nourriture en ligne, mais je suis tout de même très confiant dans l’avenir » Jacques Lorang CEO de luxcaddy

Avant, c’était une question d’image mais, aujourd’hui, il s’agit plus d’une façon de sécuriser notre approvisionnement. » Chez Grosbusch aussi, l’approvisionnement a été très perturbé au cours de la période. « Nous importons des produits de partout en Europe et, vu que la logistique et le transport étaient impactés par les fermetures de frontières, ça a été très compliqué, précise Goy Grosbusch. Toutefois, comme notre clientèle Horeca était à l’arrêt, nous avons réussi à répondre à la demande. La production locale, chez Grosbusch, a toujours été mise en avant et elle le sera encore à l’avenir. Cela dit, nous aimons également surprendre nos clients avec des produits plus exotiques et, pour ceux-là, nous devrons toujours nous tourner vers l’étranger… » Promouvoir le local est aussi le credo d’Auchan depuis plusieurs années. Cette politique, selon son directeur pour le Luxembourg, aurait plus d’une vertu suite à la pandémie. « Il sera impossible de revenir à ce que l’on

faisait dans le passé, pense Cyril Dreesen. Plus que jamais, les consommateurs recherchent des produits proches d’eux. Par ailleurs, le tissu économique va être considérablement mis à mal suite à cette crise. Le fait de collaborer entre acteurs locaux permettra à chacun de mieux surmonter cette situation. En proposant des produits locaux, la grande distribution a la possibilité de soutenir l’écosystème local. Changer de modèle a donc aujourd’hui beaucoup de sens. » Pour ne rien gâcher, en changeant son fusil d’épaule, la grande distribution contribuerait non seulement à rebâtir l’économie post-Covid, mais aussi à lutter contre le changement climatique. Car, bien que celui-ci ait été balayé de l’agenda médiatique au cours des derniers mois, il reste bel et bien le plus grand défi qui nous attend au cours des prochaines années...

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entreprise du futur

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à la recherche de la bonne

intelligence  Au-delà de la transformation digitale et du déploiement des nouvelles technologies, l'entreprise du futur doit se construire autour d’un socle collaboratif solide, et plus précisément sur l'intelligence collective, sans se cacher derrière la technologie.

« Seul, on va plus vite ; ensemble, on va plus loin ». Ce proverbe africain résume l'essence même de l'intelligence collective : faire davantage en partageant ses compétences et savoir-faire avec les autres. Très répandue dans le monde animal, notamment chez les fourmis, les poissons ou encore les loups, l'intelligence collective donne ce pouvoir au groupe d'aller plus loin, d'être plus créatif, plus innovant, de trouver des alternatives ou des solutions à des problèmes plus ou moins complexes en mettant les compétences, connaissances et aptitudes de chacun au service du groupe.

UNE DÉMARCHE CONSCIENTE À INSTAURER Chaque entreprise utilise l'intelligence collective, parfois même sans en avoir conscience. En réunissant plusieurs personnes, ayant des compétences et des connaissances variées, elle veille à les faire interagir de la manière la plus optimale, avec un objectif commun : la croissance de l'entité. Dans notre société en constante mutation, où la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain, il est important que les entreprises développent leur intelligence collective de façon plus construite et réfléchie. Nous vivons dans un marché en mutation permanente où la vitesse de création et de renouvellement sont des facteurs stratégiques majeurs. Aujourd’hui, il faut à la fois être créatif, mais aussi réfléchir différemment. Il faut placer l’expérience du client au centre de son activité. Le processus n'est plus le seul facteur de performance. Le savoir être, la relation client, l'intelligence émotionnelle, l'empathie sont des éléments tout aussi importants. Pour être performante, une entreprise doit favoriser la collaboration entre des personnes qui ont des compétences différentes, qui viennent d’horizons variés, qui ont des prismes différents.

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L'enjeu, pour le dirigeant, est de réussir à sortir d'une autorité prescriptive et de passer à une autorité de compétences et d'influence, plus riche et plus ouverte. L'intelligence collective et la coopération, c'est un peu « créer ensemble », mais c'est aussi et surtout « faire face à l'inconnu ensemble » et cristalliser une énergie positive. UNE AVENTURE UTOPIQUE ? Coopérer ? L’idée est attirante et, en théorie, tout le monde est pour. Dans les faits, il suffit d’écouter le Président des Etats-Unis pour replonger tout de suite dans la réalité : défiance, manœuvres et batailles sont les mots du quotidien aujourd’hui. Entre états, entre entreprises, entre territoires. Bien qu'une majorité de salariés expriment un réel besoin de collaborer, il existe encore deux principaux freins à l'essor de l'intelligence collective : le manque de confiance dans et entre les équipes ainsi que le manque d'authenticité dans la démarche. Pourtant, la réussite d’un collaborateur dépend des actions que son collègue a menées avant lui et de celui qui les mènera après lui. Individuellement, nous ne sommes pas en toute puissance. Coopérer c'est reconnaître la compétence de l'autre, ses forces, son talent mais aussi ses faiblesses et difficultés. C'est accepter l'autre tel qu'il est, dépasser les préjugés et composer avec lui, lui faire


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confiance. C'est faire preuve de consensus et savoir naviguer le monde relationnel qui est souvent fait d'ambiguïtés et de non-dits.

lective sont souvent dues à des effets de groupe comme le conformisme, l’absence de diversité, l’absence de procédure ou l’autocensure.

Dans une telle démarche, les relations hiérarchiques et inter-collaborateurs doivent être réinventées pour faire place au dialogue, à la confrontation d'idées, à l'écoute sans jugement de valeur ou critiques non constructives... Le but est bien de favoriser l'émergence d'idées dont la portée est insoupçonnée. En se sentant écoutés, pris en considération, les individus seront davantage impliqués non seulement dans les missions qui leur sont imparties, mais également dans la dynamique stratégique globale de l'entreprise.

L’intelligence collective suppose le partage de l’information, le respect de règles communes, la multiplication d’interactions et de connexions sociales afin de développer des pratiques collaboratives. Cela permet d’accroître la performance dont les gains seront équitablement répartis entre les différents membres engagés dans la co-construction. Dans cette optique, les entreprises doivent favoriser l’émergence de l’intelligence collective en développant notamment un management qui repose sur l’autonomie, le partage du pouvoir… Ici, la fonction ressources humaines mobilise les talents en facilitant le partage des informations, en les impliquant davantage

«  Au niveau d’un site productif, la performance repose moins sur la qualité et le coût des diverses ressources que sur l'intelligence de leur combinaison, autrement dit l'efficacité de l'organisation et du tissu relationnel », explique le sociologue français Pierre Veltz. Si sa thèse est juste, ses conséquences sont vertigineuses. À l’échelle d’un pays, d’une entreprise, entre entreprises, sur un territoire. PLURIDISCIPLINARITÉ ET SOLIDARITÉ C’est Pierre Lévy, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui a été le premier a théorisé la notion d’intelligence collective dans un ouvrage paru en 1994 (L’intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace). Pour lui, l’intelligence collective désigne la capacité d’une communauté à faire converger intelligence et connaissances pour avancer vers un but commun. Elle résulte de la qualité des interactions entre ses membres (les agents). C’est une «  intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences ». Les limites de l’intelligence col-

dans le processus de décision, et surtout en encourageant la prise de parole et l’audace. Le déploiement d’outils permet de favoriser les échanges tout en cassant les silos. Grâce à la technologie actuelle, de nombreux outils collaboratifs ont vu le jour. Ils permettent de travailler à distance, en réseau, de discuter, d’échanger en direct. L’entreprise ou l’organisation ne peut toutefois se cacher derrière ce dispositif technique, cette abondance de solutions, pour justifier une véritable démarche d’intelligence collective. Celle-ci peut s’appuyer sur les services digitaux pour simplifier les échanges, mais elle ne pourra jamais se faire sans un véritable partage et une réelle volonté de repenser la hiérarchie en donnant davantage la parole à toutes les parties prenantes.

« C’est une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences » Pierre lévy professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières

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Acteur de ma carrière

acteur de ma carrière Au sein des organisations, les collaborateurs restent les principaux vecteurs de changement. Quatre salariés au Luxembourg nous explique ce qu’ils aiment dans leur job, dans leur entreprise et comment ils mènent leur carrière.

Florian Sey

Bonjour Florian, peux-tu nous raconter ton arrivée au sein de NEOFACTO ? J’ai rejoint NEOFACTO en 2012 pour un stage. Dès mon premier entretien, j’ai compris que cette entreprise était différente. Au final, je suis toujours resté sur cette première impression et je peux dire que c’est devenu ma famille professionnelle. Quelle est la raison qui te fait continuer ton aventure au sein de NEOFACTO ? L’esprit d’équipe qui y règne ! Ce n’est pas juste une valeur d’entreprise pour faire beau, je m’y suis toujours senti bien entouré. Il y a aussi les prises de risque de l’entreprise pour développer des projets/startups sur des techno ou business qui émergent, c’est challengeant ! Ton anecdote la plus marquante au sein de NEOFACTO ? Lors de mon premier stage, Laurent KRATZ (CEO) m’emmène pour un rendez-vous client à l’improviste. J’étais nouveau et impressionné par la situation mais content qu’on me fasse confiance. Bien sûr, je n’avais rien pu préparer j’étais donc un peu stressé. La présentation commence et là première surprise c’est en anglais j’essaye de faire bonne figure quand Laurent décide de me passer la parole sur la slide sur le développement de HTML 5 grâce à l’industrie pornographique... Je peux vous dire que ça l’a fait plutôt marrer.

Développeur Senior - NEOFACTO

https://neofacto.com/recrutement

Hervé Grolinger Après plusieurs missions IT en tant que Technicien Helpdesk, j’ai effectué mes premiers pas au Luxembourg avec Aubay en 2006. Au cours des 14 dernières années, j’ai pu monter en compétences et avoir l’opportunité de m’orienter vers la gestion d’outils spécialisés type « ticketing » basés sur ITIL tel que « Computer Associates » ou plus récemment en devenant Administrateur sur Service Now. Au sein d’Aubay, j’ai pu évoluer au fil des années et donner à ma carrière les orientations que je souhaitais en étant soutenu et encouragé notamment via des formations et certifications. De plus, j’ai eu la chance de travailler dans des équipes efficaces avec un management à l’écoute, le tout dans une bonne ambiance. www.aubay.com/index.php/carriere/votre-carriere/

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Administrateur CA Service Desk Manager - AUBAY


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Cl aude Rodisio

J’ai rejoint Agile Partner durant le printemps, en pleine période de confinement, pour l’accompagner dans la gestion des enjeux de recrutement et de développement de ses collaborateurs. C’est une entreprise que je connais depuis de nombreuses années. C’est la culture qu’elle promeut, en vivant pleinement l’agilité, qui m’a séduit. J’y suis à temps partiel, avec pour mission de renforcer la marque employeur, structurer et accompagner les démarches de recrutement, mais aussi soutenir les collaborateurs en interne et faciliter la mobilité et les évolutions de carrière. En travaillant sur ces aspects, l’objectif est de permettre à l’entreprise de saisir les opportunités qui se présentent en cette période et de mieux préparer l’avenir. Je poursuis en parallèle une activité indépendante de formateur et de coach pour accompagner les ComEx./managers dans leur ambitions de transformation digitale. Cette expérience, je me réjouis de la partager et de la mettre au service du développement d’Agile Partner et de ses équipes. www.agilepartner.net/emplois

Responsable RH – Agile Partner

Yann Pill a

J’ai rejoint CGI, leader mondial des services IT end-to-end, il y a douze ans en tant qu’analyste programmeur. Je fais partie de la famille des informaticiens. On pourrait s’imaginer que nos vies sont faites d’heures interminables passées derrière un écran à aligner des lignes de code source, à écouter de la musique, portant de grosses lunettes, avec un côté social peu développé... Voilà les clichés. En fait, l’informatique, c’est complexe : plein de métiers, de personnes et donc, de personnalités. Si pendant le confinement, vous avez pu travailler avec vos collègues, parler à vos proches, faire des live quand vous voulez, partager tout et n’importe quoi sur vos réseaux sociaux, regarder un film ou une série à votre guise... C’est qu’une armée d’informaticiens a rendu cela possible. Les mêmes femmes et hommes qui sont derrière leurs écrans pour faire que votre connexion soit fiable, que vous puissiez commander ce que vous voulez quand vous voulez. Je n’aurai jamais la prétention de me comparer à eux. Je suis en charge de la coordination d’une équipe d’une dizaine de personnes pour le compte d’une institution européenne. Notre mission s’articule autour de la nécessité d’assurer la maintenance continue de systèmes et du développement de projets spécifiques, comme la mise en place du vote à distance.

Chargé de projet - CGI

C’est l’aspect humain que j’apprécie particulièrement dans mon travail. Au sein de CGI, on progresse et acquiert de l’expérience à travers les objectifs que l’on nous fixe. J’aime apprendre de nouvelles choses et CGI me donne l’opportunité de prendre plus de responsabilités. C’est comme cela que de la fonction d’analyste, j’ai petit à petit évolué vers la gestion de projet. www.cgi.com/luxembourg/fr/recrute

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dans l'open space avec un drh

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« Foyer a développé depuis plusieurs années une véritable culture de l’intrapreneuriat »

vos applis indispensables

01 LinkedIn « Je dirais tout d’abord LinkedIn. En tant que professionnel des ressources humaines, cela me semble incontournable »

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02 WAZE

03 WhatsApp

« Waze m’est aussi très utile, chaque matin, pour me rendre au travail »

« j’adore WhatsApp. Nos collaborateurs y créent des communautés, en fonction de leurs affinités ou de projets communs.C’est très enrichissant »


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Dans l’open space

avec Benoît Dourte Directeur des Ressources Humaines du Groupe Foyer, Benoît Dourte nous a ouvert les portes de son bureau, le temps d’aborder les grands enjeux auxquels la fonction RH est confrontée. Rencontre. QUEL EST LE PRINCIPAL DÉFI POUR LES RESSOURCES HUMAINES AUJOURD’HUI ? Notre ambition, en tant qu’entreprise de services, est de pouvoir nous appuyer sur des hommes et des femmes de valeur, sur leurs compétences, leur professionnalisme, leur engagement. Pour une société telle que la nôtre, c’est la matière grise des collaborateurs qui crée la différence. Dans ce contexte, tout l’enjeu pour les fonctions RH est de parvenir à attirer des talents, puis à les fidéliser. Les talents sont des ressources rares, qu’il nous faut réussir à recruter, mais aussi et surtout à accompagner dans leur développement, pour qu’ils continuent à s’épanouir dans leur travail. COMMENT LA FONCTION RH S’ADAPTE-T-ELLE À CETTE SITUATION ? Aujourd’hui, ce qui attire les jeunes talents, ce n’est plus le fait qu’ils pourront faire toute leur carrière dans une seule et même entreprise. Il faut aller bien plus loin, en proposant aux collaborateurs des fonctions attractives et des projets innovants, en leur permettant de se former continuellement, en leur offrant la possibilité d’évoluer au sein de la société, d’exprimer leurs idées et leur talent, en laissant la porte ouverte au développement de projets personnels ou collaboratifs au sein de l’entreprise. C’est pourquoi Foyer

a développé depuis plusieurs années une véritable culture de l’intrapreneuriat. À travers diverses initiatives, telles que notre hackathon annuel ou des workshops thématiques, nous encourageons l’innovation chez nos collaborateurs. Nous leur permettons de mettre en œuvre de nouvelles idées, afin d’améliorer la qualité de notre travail, de nos processus, de nos services.

service de conciergerie, une salle de sport et une cantine de qualité à nos employés, des services et avantages qui facilitent leur quotidien et le rendent plus agréable.

ON SAIT AUSSI QUE L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL JOUE DÉSORMAIS UN RÔLE IMPORTANT DANS LE RECRUTEMENT ET LA RÉTENTION DES COLLABORATEURS. QUELLE EST L’APPROCHE DE FOYER À CET ÉGARD ?

Nous sommes sortis de notre tour d’ivoire. Le métier RH ne se contente plus de faire du recrutement ou de la gestion de salaires. Nous intervenons quotidiennement sur des besoins de formation ou des envies de mobilité interne, nous offrons un suivi et un accompagnement réguliers à chaque employé. La technologie nous a aussi permis d’automatiser certaines tâches et d’ainsi libérer plus de temps pour des missions présentant une réelle valeur ajoutée. Nous développons par exemple de plus en plus de programmes de formation sur mesure, selon le bilan de compétences et les aspirations de chacun. Depuis longtemps, le Groupe Foyer a compris l’importance des ressources humaines, conscient que ce qui fait et continuera à faire la différence, c’est le capital humain.

Nous souhaitons proposer à tous un lieu de travail attrayant, avec l’ambition et la volonté que chacun s’y sente bien. Ainsi, chaque équipe a été impliquée dans l’aménagement de son espace de travail. Notre bâtiment comprend, à chaque étage, des open spaces à taille humaine, mais également des salles de réunion dédiées à des projets ou plus classiques, des zones pour s’isoler, des coins détente qui favorisent la discussion et l’échange. Au-delà des espaces de travail, nous veillons également à offrir un

AU VU DE CES DIFFÉRENTES ÉVOLUTIONS, LA FONCTION RH PRENDELLE UNE IMPORTANCE GRANDISSANTE DANS L’ENTREPRISE ?

bureau ouvert ou fermé ? Je travaille seul dans mon bureau, mais celui-ci est entièrement vitré et donne sur l’open space. Il peut être fermé lorsque cela se révèle nécessaire, pour certains appels téléphoniques ou certaines réunions par exemple. Lorsque je ne suis pas en réunion ou en entretien, ma porte reste ouverte à tous ceux qui souhaitent me rendre visite.

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afterwork with a ceo

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«  UNE FORTE AMBITION PERMET DE MOBILISER LES ÉQUIPES ET D’INNOVER » Pour cette nouvelle rubrique, TransForNation convie un dirigeant à un échange informel, autour d’un verre en après-journée.

Fin mai, on se serait bien vu rejoindre JeanMarc Ueberecken en terrasse pour ce premier « Afterwork avec un CEO ». Les terrasses étant encore closes, c’est par visio-conférence que nous avons donc échangé. Nous étions en fin de journée et, pour respecter l’esprit de cette nouvelle rubrique, le Managing Partner du groupe Arendt s’apprêtait à savourer un verre de bière d’Orval, histoire de décompresser. « Comme les 850 collaborateurs du groupe, je suis en télétravail depuis l’annonce des mesures de confinement. », explique-t-il. Le groupe Arendt, comme beaucoup d’autres structures, a dû s’adapter. « Juste avant l’annonce des mesures de confinement, nous étions sur le point de lancer un programme de télétravail à l’échelle d’Arendt. La crise a précipité les choses. En 48h, il a fallu tout réorganiser, pour permettre à chacun de se connecter à distance et de continuer à travailler, en garantissant la sécurité de l’information et en veillant à maintenir la communication et la cohésion des équipes. »

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VIRAGE SERRÉ Si Arendt est parvenu à bien appréhender ces changements, c’est aussi parce que les dirigeants s’étaient bien préparés dès janvier. « Un comité interne de sécurité et de santé avait été mis sur pied pour travailler sur plusieurs scénarios. On ne pensait pas cependant que nous allions passer aussi soudainement des mesures prévues dans le scénario 1 à celles du scénario 5, avec la fermeture des bureaux. » Jean-Marc Ueberecken, qui est par ailleurs pilote de course automobile aguerri, a appris à gérer des virages serrés avec sang-froid. La gestion de la crise, il l’envisage comme un projet parmi les autres, étape après étape.

« ON VOIT POINDRE LA CRISE ÉCONOMIQUE » Pendant ces dernières semaines, l’activité du cabinet a faibli différemment selon les expertises, certains domaines restant très actifs. « Les clients font face à une crise. Il faut pouvoir les soutenir. Très rapidement, nous nous sommes organisés pour les ac- compagner sur les problématiques liées au Covid-19, en livrant des conseils relatifs au droit social, aux règles du télétravail, aux congés exceptionnels », explique-t-il. Arendt a mis en place une plateforme dédiée avec la volonté de partager largement et gratuitement l’information avec l’ensemble des acteurs du marché luxembourgeois. A la crise sanitaire va succéder une

crise économique. « On la voit poindre doucement, reconnait Jean-Marc Ueberecken. Les problématiques dans un contexte de crise sont nombreuses et ont le plus souvent trait à des difficultés de remboursement ou de restructuration de crédit, de refinancement, de rachat de structures ou encore, malheureusement, de faillite. »

GÉNÉRALISATION DU TÉLÉTRAVAIL, RÉDUCTION DES VOYAGES Il ne fait aucun doute, aux yeux du Managing Partner d’Arendt, que la crise sanitaire modifiera nos habitudes. « Le télétravail va se généraliser même si, au Luxembourg, il restera limité par des règles fiscales pour les travailleurs frontaliers », explique-t-il. Les voyages, aussi, seront plus limités. « Du moins, au niveau professionnel. Si les systèmes de visio-conférence existaient déjà, beaucoup les ont seulement découverts avec cette crise. Pourquoi aller à NewYork, Paris ou Londres pour suivre une conférence ou rencontrer quelqu’un, avec tout ce que cela implique, si on peut profiter du contenu à travers un webinar ou échanger par visio-conférence ? » Cette crise aura-t-elle d’autres conséquences sur notre manière de consommer, dans la structuration des échanges internationaux, dans la manière d’investir ? « Je pense qu’il est encore trop tôt pour le dire. Mais il y a des choses qui ne reviennent pas après les crises. Il faudra voir au jour le


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« La créativité, c’est penser à quelque chose de nouveau. L’innovation se situe avant tout dans la mise en œuvre »

Autour d'un verre  QU’EST-CE QUE VOUS PRENEZ ?  Un Orval. C’est une bière au goût typique que j’apprécie particulièrement.  À QUI AIMERIEZ-VOUS PAYER UN VERRE ?  POURQUOI ?  jour et essayer d’appréhender les perspectives, risques et opportunités à plus long terme. » Le secret d’un pilote, pour bien appréhender chaque tournant, réside dans une bonne anticipation.

INNOVER AU DÉPART DES TALENTS L’innovation, constitue un des leviers essentiels du développement du groupe Arendt. « La créativité, c’est penser à quelque chose de nouveau. L’innovation se situe avant tout dans la mise en œuvre. Au sein d’Arendt, elle s’articule autour de trois axes : dans la manière de travailler, dans la communication avec nos clients ainsi que dans les produits que nous offrons », explique Jean-Marc Ueberecken. «  Certaines évolutions technologiques, comme l’intelligence artificielle, peuvent bouleverser la manière d’appréhender notre environnement. L’enjeu reste cependant de parvenir à bien les utiliser. A côté du numérique, l’innovation se déploie au départ des talents qui nous accompagnent. Elle implique des investissements conséquents dans la formation, pour pouvoir tirer tout le monde, vers un objectif commun. »

ÉQUILIBRISTE Mais après quoi court Arendt  ? « Avant tout la satisfaction de nos clients et de nos collaborateurs, dans leur grande diversité, assure Jean-Marc Uerberecken. C’est ce qui nous a poussés à ne pas nous limiter au seul métier d’avocat et à mettre en place une offre intégrée de services pouvant répondre aux divers besoins rencontrés par nos clients nationaux et internationaux. Le modèle d’Arendt est assez unique. C’est quelque chose qui n’existe pas ailleurs. » A la tête d’Arendt, Jean-Marc Ueberecken compose avec les atouts à sa disposition, jouant à l’équilibriste pour satisfaire les parties prenantes autour de lui et les engager dans une même direction. « Une forte ambition commune permet de mobiliser les équipes, invite chacun à s’investir, à proposer des idées. Innover, c’est aussi avoir confiance, accorder le droit à l’erreur. C’est en tout cas le type de management qui est le mien. »

À Niki Lauda. Le pilote de course autrichien qui est parti de rien et qui a connu un parcours incroyable. Victime d’un grave accident en 1976, il reprendra le volant de sa F1 six semaines plus tard. Il a fondé deux compagnies aériennes. Ces dernières années, il était revenu à la F1 en tant que président non exécutif de l’écurie Mercedes. J’aurais été curieux d’échanger avec lui sur la manière de rebondir après chaque difficulté.  UNE ADRESSE POUR BIEN MANGER  AU LUXEMBOURG ?  Je vous recommande le Bivio à Schuttrange. C’est un restaurant tenu par des amis. On y sert l’extraordinaire cordon-bleu façon Thierry.  VOTRE TRUC POUR DÉCOMPRESSER  EN FIN DE SEMAINE ?   Soit un voyage en famille, soit une compétition automobile. Pour décompresser, il n’y a rien de tel.

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AU LUXEMBOURG, DES IDÉES NAISSENT & CHANGENT LE MONDE


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F4A  LA START-UP LUXEMBOURGEOISE QUI A FAIM Qui, ces derniers mois, n’a pas entendu parler au moins une fois de Food4All ? La start-up luxembourgeoise et son concept de lutte contre le gaspillage alimentaire ne laissent personne indifférent. Cette année, de nombreux supermarchés à l’étranger auront recours au service de la jeune pousse. Rencontre avec Ilana Devillers, une entrepreneuse qui a les crocs !

Lorsqu’elle évoque ses ambitions et son engagement pour les valeurs qui lui sont chères, Ilana Devillers n’y va pas par quatre chemins : « je m’arrêterai quand F4A, cette petite start-up luxembourgeoise, aura rendu le monde meilleur, pas avant  !  » Ça donne le ton.

chés, etc. Le facteur déclencheur réside dans ma participation à un dîner chez un ami préparé uniquement avec des produits entièrement issus des poubelles du supermarché à côté de chez lui. Je me suis alors dit que ce n’était plus possible et qu’il fallait faire quelque chose. »

F4A est LA start-up luxembourgeoise dont tout le monde parle depuis un an. Il faut dire que le concept d’Ilana Devillers, sa fondatrice, répond à une problématique connue mais trop souvent ignorée  : le gaspillage alimentaire. « Food4All est parti d’une situation simple. Comme bon nombre d’étudiants, lorsque j’étais à l’université à Strasbourg, en 2015-2016, j’ai été confronté aux difficultés de me nourrir sainement avec un budget – serré – à tenir, explique Ilana Devillers. Manger des pâtes quotidiennement, ce n’est malheureusement pas un stéréotype de l’étudiant. À cette période, une nouvelle passait en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux : la javellisation des produits dans les supermarchés, les cadenas sur les poubelles, les personnes qui se nourrissent dans les rebus des supermar-

LA GRANDE DISTRIBUTION  SOUS LE CHARME Alors qu’elle se dirige vers une carrière d’avocate en droit des affaires, Ilana Devillers contacte Xenia Ashby, une étudiante à l’Université libre de Bruxelles. Les deux jeunes femmes créent alors le concept de Food4All en 2018. « Ce concept, il est simple. F4A est une start-up luttant contre le gaspillage alimentaire grâce à différents outils. Nous avons d’abord une application gratuite, avec laquelle nous nous sommes fait connaitre. Elle permet à tous les consommateurs de voir les invendus proches de leur date d’expiration dans tous nos supermarchés partenaires. Ces produits sont alors mis dans un endroit du magasin estampillé Food4All. » Grâce

à cette solution, les supermarchés participants jettent moins de marchandises à la poubelle et peuvent augmenter leur chiffre d’affaires. D’autre part, les consommateurs ont accès à des produits totalement consommables et de qualité à prix réduit. F4A développe également des solutions B2B afin d’optimiser la chaine d’approvisionnement des magasins. La grande distribution au Luxembourg est rapidement tombée sous le charme du concept de F4A et de l’engagement de ses fondatrices. Des magasins comme Delhaize, Pall Center ou encore Naturalia embrayent et équipent alors leurs magasins du logiciel. C’est le début d’une belle aventure pour Food4All, qui tente de faire évoluer les mentalités en matière de gaspillage alimentaire. « D’un côté, vous avez 820 millions de personnes qui meurent de faim chaque année dans le monde. De l’autre, 32 % de la production globale de nourriture est jetée à la poubelle. C’est un paradoxe révoltant et, malheureusement, il n’est pas neuf. On ne peut pas continuer comme cela. »

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Made in luxembourg

Une expansion imminente Malgré la crise sanitaire, la planète F4A ne s’est jamais arrêtée. Cette année, la start-up continue sa croissance avec plusieurs chaînes de supermarchés qui devraient adopter les technologies de F4A à l’étranger. D’ici la fin de l’année, les équipes de F4A se renforceront également pour atteindra un total de 30 personnes. La start-up a aussi annoncé le développement d’un nouveau service au Luxembourg : la livraison gratuite de ses produits en voiture électrique. « Je vois déjà arriver les débats sur le caractère réellement écologique des voitures électriques. Je peux vous assurer que nous avons pris tous les paramètres en compte et que notre processus sera écologique. Je suis fière de l’annoncer ! »

L’ENVIE DE FAIRE BOUGER LES LIGNES  Créée officiellement en juin 2017, la jeune pousse a collectionné les nominations et les titres. Elle a notamment été élue startup de l’année par la nouvelle opération des Start-up Stories du magazine PaperJam il y a quelques mois. Ilana Devillers ne boude pas son plaisir devant une réussite qu’elle n’imaginait pas aussi instantanée.

Derrière le large sourire affiché se cache aussi une jeune entrepreneuse profondément engagée, bien décidée à faire bouger les lignes de lutte pour la préservation de l’environnement. « La protection de l’environnement est quelque chose qui me prend aux tripes, littéralement. La nature est quelque chose que l’on doit protéger et, hélas, elle n’est que trop rarement prise en considération. Pourtant, il suffit d’analyser la qualité de l’air ou de constater les tonnes de plastique qui finissent dans les océans pour se dire qu’il est grand temps de se bouger », explique la CEO de Food4All, qui n’hésite pas à mettre en corrélation le réchauffement climatique et la crise sanitaire que nous vivons depuis plusieurs mois. Le combat est loin d’être gagné. Et Ilana Devillers craint que la situation inédite que nous traversons amplifie les problèmes environnementaux déjà connus. « Les usines chinoises retournent par exemple déjà à plein régime. J’ai bien peur que les considérations liées à l’environnement soient aujourd’hui reléguées au second plan…, souffle-t-elle. La sonnette d’alarme a été tirée il y a deux ans lorsqu’on nous a expliqué qu’il ne nous restait plus que deux ans pour agir contre le réchauffement climatique. Depuis, peu de choses ont évolué. J’aimerais que ma famille, plus tard, puisse elle aussi profiter d’une nature qui m’a tant apporté. »

UN MANQUE D’ACTIONS  À L’ÉCHELLE MONDIALE  La CEO de F4A se réjouit tout de même de voir naître des initiatives citoyennes, comme les marches pour le climat par exemple, pour tenter de conscientiser la population et

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les pouvoirs publics aux problèmes environnementaux. « Mais ce qu’il faut, ce sont des actions à l’échelle mondiale et une alliance de toute la population : le public, le privé, les ONG… C’est de cette manière que les choses pourront changer. Heureusement, de plus en plus de sociétés intègrent la RSE dans leur stratégie business. Et c’est justement aux grands groupes de montrer l’exemple. C’est leur devoir. Si Amazon prenait réellement en compte toutes ces considérations, cela changerait le monde, sans aucun doute. »

LA TECHNOLOGIE POINTÉE DU DOIGT  Le succès de la start-up, qui a atteint un seuil de rentabilité en seulement 7 mois, , est en tout cas le signe d’une certaine prise de conscience concernant ces problèmes de gaspillage alimentaire. Mais Ilana Devillers pointe également du doigt le manque d’efficacité dans l’utilisation des technologies durant la crise sanitaire. « Aux États-Unis, il y a eu d’énormes problèmes au niveau de la chaîne logistique alimentaire. Certains rayons sont vides, faute d’approvisionnement. D’un côté, vous avez des Américains qui ne trouvent pas de nourriture et de l’autre, vous avez chaque jour des quantité considérables de lait et d’œufs qui sont jetés à la poubelle. Comment la technologie ne parvient-elle pas à résoudre une équation comme celle-ci ?, questionne Ilana Devillers avant d’en rajouter une couche. Pourtant, en 2010, cette même technologie assurait que le comportement du consommateur était prédictible à 93 %. Face à des comportements que l’on considère si prévisibles, pourquoi n’est-on pas parvenu à proposer une solution capable de garantir l’approvisionnement des magasins  ?


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« Cette volonté de changer les choses, c’est vraiment l’essence et la mission de F4A. Et j’espère que dans 10 ans, on pourra mesurer l’effet que F4A aura eu sur le monde » C’est assez simpliste de schématiser le problème comme cela car c’est bien plus complexe. Mais une bonne utilisation de la technologie aurait pu éviter ces catastrophes. » Pour la dirigeante, c’est une preuve supplémentaire qu’il est grand temps d’arrêter de mettre sur le marché des technologies non abouties ou qui ne fonctionnent tout simplement pas ! « Dans le secteur alimentaire, on a vraiment pris un retard considérable en matière de digitalisation. Et cette crise nous a montré qu’on pouvait en payer les pots cassés », explique la CEO.

DE GRANDES AMBITIONS POUR F4A  Malgré ces critiques, Ilana Devillers reste persuadée que la technologie pourra être une fabuleuse bouée de sauvetage pour faire face aux nombreux défis de demain. « Je suis très contente de l’intérêt qu’il y a vis-à-vis de notre boîte, clairement. Mais ce n’est pas la finalité. On veut que F4A ait un impact international. Imaginez que nous parvenions à réduire le gaspillage alimentaire mondial de 95 % ? Cela aurait un impact environnemental et sociétal considérable. D’une part, on pourrait contribuer à une réduction substantielle des émissions de gaz à effet de serre. D’autre part, plus de personnes auraient accès à une nourriture de qualité. Cette volonté de changer les choses, c’est vraiment l’essence et la mission de F4A. Et j’espère que, dans 10  ans, on pourra mesurer l’effet que notre start-up aura eu sur le monde », conclut avec détermination Ilana Devillers.

Ilana Devillers, CEO F4A

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Le mot de la fin

c'était mieux avant... Le télétravail ! Ah qu’elle semble loin cette belle époque où, chaque matin, enfermés dans nos voitures glaciales, affrontant la rudesse de l’hiver, nous nous en allions retrouver nos collègues. Depuis que ce satané virus est apparu, je suis au boulot en cinq minutes (douche comprise), un thé à la main. Mon bureau se situe juste au-dessus de la rampe d’escalier, me rappelant sournoisement et en permanence, pire que mon boss, que le travail n’attend pas. Je n’ai même plus l’occasion de savourer ces merveilles d’interviews d’hommes politiques et autres dirigeants qui, à la radio, rythmaient nos débuts de journée en nous promettant quotidiennement des lendemains qui chantent. Je ne dispose même plus de ce fameux temps de trajet pour m’informer sur la beauté de ce monde, les frasques de l’oncle Donald, le clairvoyant et extrêmement simpliste politique belge, les palabres relatives à la réforme des retraites française… L’agitation du bureau me manque, toute cette pression entretenue qui chaque jour nous poussait à donner le meilleur. Tout seul, dans mon bureau, j’ai abattu en quatre jours le travail de toute une semaine. Mais à quoi bon si je ne peux même pas me faire mousser auprès de mes collègues et si ces derniers n’ont même pas l’opportunité d’entendre les félicitations faites à mon égard.

« Avant, au moins, j'avais de bonnes raisons de me plaindre » 90

Qu’elle me manque aussi la climatisation du bureau. Je suis désormais contraint de m’installer à l’ombre de ma terrasse pour travailler et profiter de quelques courants d’air frais. Foutu réchauffement climatique. Avant, au moins, j’avais de multiples raisons de me plaindre. Je ne voyais pas mes enfants... Désormais, ils sont dans mes pieds en permanence. Je ne pratiquais plus de hobby… Je me suis mis à la peinture. Je n’avais plus de temps pour le sport… Je n’ai jamais autant marché, couru, pédalé. Même plus le temps de lire un livre… J’en ai avalé trois en un mois. Bientôt, nous n’aurons même plus d’excuses pour déroger à nos bonnes résolutions. Il est très fort, ce coronavirus. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour qu’il parvienne à éradiquer complètement la bêtise humaine. Étaitce vraiment trop lui demander ? Puis, pourquoi rêver le monde d’après ? Celui d’avant n’était-il déjà pas parfait, sans injustice sociale, ni haine raciale (?!). Seul comptait le bien être des salariés et leur épanouissement personnel, non ? Non, vraiment, c’était mieux avant. Seul le Luxembourg semble ne pas avoir changé, faisant preuve d’ouverture et de solidarité avec ses voisins en détresse, gérant la crise avec une efficacité rare (toute germanique), pour la santé de tous et, de ce fait, nous permettre de retrouver le bureau plus rapidement que beaucoup d’autres. Demain, je retrouve mes collègues. Quelle aubaine. Cette parenthèse extraordinaire n’avait-elle pas du bon finalement ?


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