LE TRAVAIL
DÉCENT AU CARREFOUR DU CHANGEMENT
CLIMATIQUE ET DE LA MIGRATION
DOSSIER POLITIQUE DE LA CSI
AVANT-PROPOS
La migration a toujours fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité. C’est notre réponse naturelle face à des circonstances qui évoluent, qu’elle soit motivée par des opportunités économiques, des changements sociaux ou des facteurs environnementaux. Aujourd’hui, le changement climatique est une force indéniable qui oblige les humains à migrer, alors que la montée du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques extrêmes et la transformation des modèles agricoles rendent certaines régions inhabitables. Il est de notre responsabilité collective d’offrir aux personnes déplacées à cause du changement climatique des parcours fondés sur les droits pour faciliter leur réinstallation.
La migration peut s’accompagner d’importantes difficultés, aussi bien pour les migrants euxmêmes que pour les communautés de leur pays d’origine et de destination. Les migrants sont souvent confrontés à des voyages périlleux, à des incertitudes juridiques et des obstacles pour accéder aux droits et aux services élémentaires. Leur intégration dans de nouvelles communautés peut être semée d’embûches, et ils peuvent se heurter à la discrimination, à l’exploitation et à des protections du travail inadéquates, voire inexistantes. En même temps, les communautés des pays d’origine souffrent d’une perte de main-d’œuvre, d’expérience et de savoirfaire, et éprouvent des difficultés dues aux modifications du tissu social et culturel.
La Confédération syndicale internationale (CSI) reconnaît ces complexités et s’engage à prendre en considération les multiples facettes de la migration, parmi lesquelles la migration provoquée par le changement climatique, qui fait l’objet de la présente publication.
Pour les personnes contraintes de se déplacer en raison des effets néfastes du changement climatique, il doit exister des voies humanitaires qui leur permettent de chercher refuge et de reconstruire leur vie dans la dignité. Ces voies doivent garantir que les personnes déplacées du fait du changement climatique puissent non seulement satisfaire leurs besoins fondamentaux en termes de logement, de soins de santé et d’éducation dans leur nouvel environnement, mais aussi accéder au marché du travail, en bénéficiant d’une protection totale, et notamment de la possibilité d’exercer effectivement leur droit de s’organiser et de négocier collectivement.
Il est tout aussi indispensable de s’attaquer aux causes de la migration climatique. Cela signifie qu’il faut investir dans les Objectifs de développement durable (ODD), instaurer des communautés résilientes capables de résister aux changements environnementaux, et créer des emplois décents et respectueux du climat pour les travailleurs et leurs familles. Remédier aux causes profondes de la migration climatique en investissant dans une transition juste nous permettra de réduire la pression
exercée sur les individus pour qu’ils quittent leur foyer, et de soutenir leur droit de rester dans des environnements familiers où ils ont établi leurs relations sociales.
Notre appel mondial en faveur d’un nouveau contrat social est essentiel pour atteindre ces objectifs, qui reposent sur le travail décent et le dialogue social. C’est grâce au dialogue social que nous pouvons définir des politiques globales pour répondre aux besoins et aux droits des migrants, favoriser la cohésion sociale et construire des communautés résilientes à même de s’adapter au changement.
La CSI s’engage à promouvoir ces principes et à travailler en collaboration avec toutes les parties prenantes pour bâtir un monde où la migration est un choix et non une nécessité, où les droits de tous les travailleurs, quel que soit leur statut migratoire, sont respectés, et où les personnes déplacées par le changement climatique peuvent trouver refuge dans la dignité. En dépit des complexités de la migration au XXIe siècle, nous devons absolument centrer nos efforts sur les principes de justice, d’égalité et de dignité humaine. C’est ainsi que nous pourrons créer un avenir plus inclusif et plus durable pour tous.
Luc Triangle
Secrétaire général
Confédération syndicale internationale
GLOSSAIRE
Adaptation: S’adapter à la vie dans un climat qui évolue, par un processus d’ajustement au climat actuel ou escompté, afin d’atténuer les risques imputables aux effets négatifs du changement climatique. Il s’agit notamment de modifier le comportement humain et d’appliquer des mesures consistant par exemple à construire des dispositifs de protection contre les inondations, à créer des cultures résistantes à la sécheresse et à améliorer la gestion de l’eau pour protéger les personnes et l’environnement.
Atténuation: Mesures prises pour limiter ou prévenir l’augmentation de la température mondiale et le changement climatique en réduisant les flux de gaz à effet de serre qui retiennent la chaleur dans l’atmosphère. Il s’agit de mesures telles que le passage à des sources d’énergie renouvelables, l’amélioration de l’efficacité énergétique, la reforestation et la promotion de pratiques agricoles durables.
Demandeurs d’asile: Individus qui cherchent à obtenir le statut de réfugié mais qui ne sont pas encore légalement reconnus comme tels. Ils doivent demander l’asile et démontrer qu’ils craignent à juste titre d’être persécutés dans leur pays d’origine pour se voir accorder le statut de réfugié.
Déplacement: Éloignement forcé d’une personne de son domicile en raison d’un conflit armé, d’un contexte de violence généralisée, de violations des droits humains ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme.
Dialogue social: Tous les types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre ou parmi les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs sur des questions d’intérêt commun liées à la politique économique et sociale.
Émigrants: Du point de vue du pays de départ, il s’agit des personnes qui quittent le pays dont elles ont la nationalité ou dans lequel elles résident habituellement pour s’installer dans un autre pays.
Immigrants: Du point de vue du pays de destination, il s’agit des personnes qui s’installent dans un pays autre que celui dont elles ont la nationalité ou dans lequel elles résident habituellement.
Liberté syndicale: Droit des travailleurs et des employeurs de former des organisations de leur choix et de s’y affilier. La liberté syndicale est l’un des principes fondamentaux de l’OIT.
Mécanismes/programmes de régularisation: Procédures que les migrants en situation irrégulière doivent suivre pour obtenir un permis de séjour dans le pays où ils vivent déjà (voir PICUM)
Migrant sans papiers: Migrant qui se trouve dans un pays sans les documents nécessaires pour s’y déplacer ou y rester. Également appelé « migrant en situation irrégulière ».
Migrant: Terme générique désignant toute personne qui a franchi une frontière internationale ou s’est déplacée à l’intérieur d’un État, loin de son lieu de résidence habituel, qu’il s’agisse d’un déplacement volontaire ou involontaire, quel que soit le statut juridique de la personne. Le présent document porte sur les migrants qui ont franchi des frontières internationales.
Migration forcée: Mouvement migratoire non volontaire de personnes causé par des menaces contre leur propre vie et leurs moyens de subsistance, qu’elles résultent de catastrophes naturelles ou de l’action de l’homme, par exemple lorsque les personnes fuient du fait d’un conflit, de persécutions, de catastrophes naturelles ou de la dégradation de l’environnement, ou lorsqu’elles sont expulsées de force de leur domicile.
Migration régulière/irrégulière: La migration régulière désigne les situations dans lesquelles les personnes traversent des points de passage frontaliers réguliers munies des documents nécessaires pour entrer dans le pays d’origine, de transit ou de destination ou en sortir. On parle de migration irrégulière lorsque des personnes franchissent des frontières internationales sans les documents requis.
Mobilité humaine: Ce terme est de plus en plus utilisé pour évoquer les multiples façons dont les gens se déplacent d’un endroit à un autre, comprenant la migration – interne et internationale –, le déplacement et la réimplantation.
Négociation collective: Négociations qui ont lieu entre les employeurs et les travailleurs ou les organisations de travailleurs, telles que les syndicats, pour discuter des conditions de travail et d’emploi.
OIT: L’Organisation internationale du Travail est une agence tripartite des Nations Unies qui réunit les gouvernements, les employeurs et les travailleurs de 187 États membres pour fixer des normes de travail, élaborer des politiques et concevoir des programmes visant à promouvoir le travail décent pour tous.
Pertes et dommages: Les pertes et dommages désignent les effets négatifs du changement climatique qui se produisent malgré les
efforts d’atténuation et d’adaptation. Il s’agit notamment de la perte de vies humaines, de la biodiversité et du patrimoine culturel, ainsi que des pertes économiques dues aux infrastructures endommagées et à la baisse de la productivité agricole.
Réfugié climatique: Bien que le concept de « réfugié climatique » n’existe pas en droit international, il désigne une personne déplacée suite à la disparition de ses moyens de subsistance ou de son domicile du fait du changement climatique, comme l’élévation du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques extrêmes et les sécheresses prolongées. La nécessité de reconnaître officiellement les réfugiés climatiques et de leur offrir une protection juridique fait l’objet d’un débat permanent.
Réfugiés: Personnes qui, craignant avec raison d’être persécutées à cause de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social en particulier ou de leurs opinions politiques, se trouvent hors du pays dont elles ont la nationalité ou dans lequel elles résident habituellement (dans le cas des apatrides) et ne peuvent y retourner du fait de cette crainte.
Réimplantation planifiée: Processus planifié dans lequel des personnes ou des groupes de personnes reçoivent une assistance pour quitter des lieux qui sont devenus ou deviennent inhabitables en raison de catastrophes ou de la dégradation de l’environnement, et pour être réimplantés dans un nouveau lieu.
Réinstallation: La réinstallation est le transfert de réfugiés d’un pays d’asile vers un autre État qui a accepté de les accueillir sous un statut juridique leur assurant une protection internationale et une résidence permanente (voir HCR).
Résilience: Capacité à anticiper, à résister et à se reconstruire face aux répercussions du changement climatique ou à des événements climatiques défavorables.
Transition juste: Une transition juste assure l’avenir et les moyens de subsistance des travailleurs et de leurs communautés pendant la transition vers une économie à faible émission de carbone. Elle repose sur le dialogue social entre les travailleurs et leurs syndicats, les employeurs et les gouvernements, ainsi que sur la consultation des communautés et de la société civile. Un plan de transition juste offre et garantit des emplois meilleurs et décents, une protection sociale, davantage de possibilités de formation et une plus grande sécurité de l’emploi pour tous les travailleurs concernés par les politiques de lutte contre le réchauffement de la planète et le changement climatique. Il s’agit par exemple de programmes de reconversion pour les travailleurs des industries des combustibles fossiles, d’investissements dans l’agriculture durable et de mesures visant à protéger les ouvriers du bâtiment contre les chaleurs extrêmes.
Travail décent: Accès à un travail sûr, utile et digne assorti d’un salaire équitable, de l’égalité de traitement, de l’accès à la protection sociale et aux droits pour tous les travailleurs et travailleuses. La liberté d’association et les droits de négociation collective sont des composantes essentielles du travail décent. Selon l’OIT, les quatre piliers du travail décent sont la création d’emplois, la protection sociale, les droits au travail et le dialogue social.
Tripartisme: Dialogue et coopération entre les gouvernements, les employeurs et les travailleurs pour mettre au point des normes et des politiques. Les normes internationales du travail sont élaborées et supervisées par une structure tripartite au sein de l’OIT.
Voies humanitaires: Les voies humanitaires sont des programmes qui offrent une possibilité d’admission et de séjour aux individus qui fuient leur pays ou ne peuvent y retourner pour des motifs humanitaires, telles que les catastrophes naturelles, les tremblements de terre, les raisons de santé, etc.
INTRODUCTION
Le changement climatique est l'un des problèmes les plus urgents de notre époque. Il affecte les écosystèmes, les économies, les communautés et les travailleurs du monde entier. Les effets préjudiciables du changement climatique, tels que l'élévation du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques extrêmes, les inondations, les sécheresses prolongées et d'autres perturbations de l’environnement contraignent de plus en plus les gens à quitter leur domicile et leur communauté à la recherche d'un environnement stable pour reconstruire leur vie. Ces mouvements, qu'ils soient internes ou transfrontaliers, sont souvent qualifiés de migration climatique ou de déplacement climatique.
L'ampleur de la migration climatique est considérable et devrait augmenter au cours des prochaines décennies. La majeure partie de ces mouvements devraient se produire à
l'intérieur des pays plutôt qu'entre les frontières internationales.
Selon la Banque mondiale, d'ici à 2050, le changement climatique pourrait contraindre plus de 216 millions de personnes dans six régions du monde à migrer à l'intérieur de leur pays1. Pour la seule année 2023, l'Internal Displacement Monitoring Centre (Centre de surveillance des déplacements internes, IDMC) a signalé que plus de 20 millions de personnes ont été déplacées suite à des catastrophes liées au climat2.
Ces estimations soulignent l'urgence d'élaborer des politiques capables de répondre de manière adéquate aux besoins des personnes qui sont forcées de migrer ou qui considèrent la migration comme une option en raison des
UN MOT SUR LA TERMINOLOGIE
effets du climat dans leur région. Les politiques doivent veiller à ce que les personnes puissent choisir de rester chez elles en toute sécurité et dans la dignité, et à ce que leurs droits soient protégés si elles décident de partir ou si elles sont contraintes de le faire.
Ce document présente les solutions proposées par les syndicats pour faire face à ces problèmes, en plaçant les droits humains et les droits du travail au centre de toutes les politiques relatives au climat, à la migration et au travail. Les solutions en question visent à éviter un cloisonnement entre ces domaines politiques et soulignent l'importance du dialogue social entre les gouvernements, les employeurs et les travailleurs pour obtenir des résultats durables qui ne laissent personne de côté.
Selon la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC), « la migration climatique est le plus souvent utilisée pour décrire les déplacements volontaires à travers les frontières internationales en réponse aux conséquences anticipées du changement climatique »:
Cependant, ce terme est également utilisé par certaines organisations pour évoquer les mouvements involontaires (connus par ailleurs sous le nom de « déplacements liés au climat ») et s’applique aussi à des mouvements internes. En tant que tel, il peut être considéré comme un terme général décrivant le mouvement des personnes à cause du changement climatique3.
Reconnaissant que les gens se déplacent pour des raisons très variées et qu’il est rarement possible d’isoler l’une d’entre elles comme étant la motivation principale, la CSI utilise le terme de « migration climatique »4 dans le présent dossier politique pour faire référence au fait que des personnes quittent des endroits où le changement climatique a un effet négatif sur leur vie. Avec le terme « migration », la CSI reconnaît également que ces mouvements suivent tout un éventail de choix entre la migration volontaire et le déplacement involontaire/ forcé. À une extrémité du spectre, les personnes qui migrent ont plus de contrôle et de choix, tandis qu’à l’autre extrémité, le contrôle et le choix sont sévèrement limités par l’environnement et les réalités économiques.
1 Banque mondiale (2021), Groundswell Report
2 IDMC (2024) (en anglais), Global Report on Internal Displacement 2024. (Rapport mondial sur les déplacements internes 2024). L’IDMC précise que « toutes les catastrophes liées aux conditions météorologiques ne résultent pas du changement climatique » mais que ce dernier « rend certains phénomènes plus fréquents et plus intenses. »
3 IFRC, Croix-Rouge danoise et Centre climatique, Fact Sheet 2 (en anglais) – Displacement and Climate: Key Terms (Déplacement et climat: termes clés)
4 De plus en plus souvent, la mobilité imputable au changement climatique est mentionnée pour décrire toutes les formes de mouvement des personnes
FIGURE 1:
MIGRATION / VOLONTAIRE
Davantage de contrôle
Davantage de choix
DÉPLACEMENT / INVOLONTAIRE
Personnes obligées de partir Ne peuvent faire le choix de rester
COMMENT LE CHANGEMENT CLIMATIQUE PROVOQUE-T-IL LA MIGRATION?
Le changement climatique entraîne des phénomènes météorologiques extrêmes et des dangers, l’acidification des océans et l’élévation du niveau de la mer, la perte de la biodiversité, l’insécurité alimentaire et hydrique, des risques sanitaires, des perturbations économiques et même des conflits
À tout moment, les migrants peuvent changer de catégorie
Types de migration
Régulière
violents. Plus de 3 milliards de personnes vivent dans des endroits très vulnérables à la crise climatique, et les pays à faible revenu sont touchés de manière disproportionnée5; 130 millions de personnes pourraient basculer dans l’extrême pauvreté d’ici à 2030 sous les effets du changement climatique6.
Rapprochement familial
Éducation
Tourisme
Travail
Involontaire
Irrégulière
Migration professionnelle
Résidence permanente
Retour (migration des travailleurs qualifiés)
Temporaire
Circulaire
Migration (professionnelle) à long terme
Installation définitive
Personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays
Victimes de la traite des êtres humains/ d’enlèvements
Demandeurs d’asile/réfugiés
Clandestins
Victimes de la traite des êtres humains
Travail forcé
Migration professionnelle irrégulière/sans papiers
Adoptions illégales
5 Organisation mondiale de la santé (2023), Changement climatique: principaux faits
6 La Banque mondiale (2023), Article – Dans les pays les plus pauvres, agir pour le climat, c’est agir pour le développement
Les migrants titulaires d’un visa de tourisme ou participant à un programme de migration de maind’œuvre qui dépassent la durée de leur séjour se retrouvent en situation irrégulière
Personnes expulsées
Aide au retour volontaire
7 Wolf Scott - Consultant, George Tarkhan-Mourave (Caucasian Institute for Peace), Nicholas Kavalashvili (2009) (en anglais), Mobility and Migration: Thematic Guidance Note (Mobilité et migration: Note d’orientation thématique)
Soit ces conséquences du changement climatique incitent les personnes à migrer, soit elles ne leur laissent aucune possibilité de rester. Dans certains cas, il arrive que les gens partent de manière saisonnière sans avoir à quitter complètement leur domicile, lorsque les conditions météorologiques ne leur permettent pas d’effectuer de tâches agricoles pendant une partie de l'année, par exemple. Dans d'autres cas, le retour n'est plus possible s’il s’est produit une destruction totale du lieu de vie, car les personnes n’ont plus d’endroit où habiter.
Les événements à évolution lente, qui concernent les « processus de dégradation de l'environnement tels que la sécheresse et la désertification, la salinisation accrue, l'élévation du niveau de la mer ou la fonte du pergélisol »8, peuvent laisser du temps aux individus pour planifier et préparer leur migration ou migrer temporairement et accéder à des moyens leur permettant de rester dans des environnements qui évoluent. En dernier recours, certains gouvernements procèdent à des réimplantations planifiées de groupes de personnes, lorsqu'il apparaît que certains lieux vont finir par devenir inhabitables9
D’un autre côté, des phénomènes soudains tels que les cyclones et les inondations, s'ils ne sont pas correctement anticipés et planifiés,
peuvent contraindre les gens à partir sans aucune possibilité de préparation. Il arrive également que des personnes qui doivent fuir ou qui pourraient tirer parti de la migration soient prises au piège, en raison des rôles de genre discriminatoires ou parce qu'elles n'ont pas les ressources nécessaires pour pouvoir se déplacer.
Les travailleurs et leur famille sont affectés de multiples façons, non seulement dans leurs emplois, quand ils travaillent sous des températures extrêmes et dans des environnements qui ne sont pas adaptés au changement climatique, mais aussi dans leurs moyens de subsistance, étant confrontés à la fermeture d'entreprises due aux perturbations imputables au climat. De nombreux travailleurs migrent lorsqu'ils sont chassés de leurs moyens d’existence traditionnels ou si les possibilités de travail décent disparaissent dans leur pays d'origine à cause du dérèglement climatique.
Quand les travailleurs traversent les frontières, ils se heurtent à d’importants obstacles pour obtenir un travail décent qui leur assure un revenu équitable, la sûreté et la sécurité sur le lieu de travail, ainsi qu'une protection sociale. En l'absence de politiques et d'interventions adéquates, les migrants climatiques sont exposés à un risque élevé d'exploitation, de pauvreté et d'exclusion sociale.
8 Platform on Disaster Displacement (en anglais), Key Definitions (définitions clés)
9 Par exemple, dans certains petits États insulaires du Pacifique gravement touchés par l’élévation du niveau de la mer
RÉPONSE DES SYNDICATS: UN CADRE CENTRÉ
SUR LE TRAVAIL DÉCENT POUR
FAIRE FACE À LA MIGRATION CLIMATIQUE
Les politiques relatives à la migration climatique devraient s’articuler autour des trois principes fondamentaux suivants:
• Remédier aux causes de la migration climatique, en créant les conditions nécessaires dans les pays d’origine pour faire en sorte que la migration soit un choix et non une question de survie.
FIGURE 3: Un cadre centré sur le travail décent pour faire face à la migration climatique
• Garantir des voies d’accès fondées sur les droits pour les migrants climatiques qui doivent chercher refuge dans un autre pays en raison des effets néfastes du changement climatique.
• Veiller aux droits des migrants climatiques dans les pays de destination, notamment les droits du travail et l’inclusion sociale.
UNNOUVEAU C ONTRATSOCIAL
REMÉDIER AUX CAUSES DE LA MIGRATION CLIMATIQUE
TRAVAIL DÉCENT
Emplois· Droits ·Salaires · Pro t e c tion sociale
Le travail décent devrait être le principe central, car il agit contre les facteurs négatifs de la migration, en donnant aux gens la possibilité de rester chez eux, tout en leur permettant de mener une vie digne, quels que soient leur statut migratoire et le lieu où ils se trouvent.
Le travail décent pour tous est également la caractéristique principale du « Pro-Worker Climate Migration Policy Framework » (Cadre politique pour une migration climatique
DROITS DES MIGRANTS CLIMATIQUES DANS LES PAYS DE DESTINATION
favorable aux travailleurs), qui a été élaboré par l’AFL-CIO en coopération avec la CSI, et qui rappelle qu’il est indispensable d’éviter de cloisonner les politiques relatives au climat, au travail et à la migration10.
Toutes les politiques et tous les plans doivent reposer sur les droits fondamentaux du travail que sont la liberté syndicale et la négociation collective, et résulter d’un dialogue social tripartite entre les travailleurs et leurs syndicats,
les employeurs et les gouvernements, tel qu’établi par l’OIT pour sauvegarder les droits et les intérêts de tous les travailleurs, tout en favorisant la résilience et l’adaptation. Les politiques doivent s’inscrire pleinement dans le cadre du droit international en matière de droits humains et dans les normes internationales du travail, notamment les principes directeurs de l’OIT pour une transition juste11
Le nouveau contrat social, qui porte sur six revendications des travailleurs, à savoir (1) des emplois respectueux du climat, (2) des droits pour tous les travailleurs, (3) des salaires décents, (4) une protection sociale universelle,
LE NOUVEAU CONTRAT SOCIAL
CLIMAT TRAVAIL MIGRATION EMPLOIS DÉCENTS POUR TOUS
4: Cadre politique de l’AFL-CIO pour une migration climatique favorable aux travailleurs
(5) l’égalité et (6) l’inclusion, offre un cadre adapté à ces politiques12
1. Création d’emplois respectueux du climat, garantissant une transition juste: cela implique une transformation industrielle pour atteindre zéro émission nette de carbone, investir dans des secteurs économiques stratégiques tels que l’économie des soins, l’économie verte et les infrastructures durables, et formaliser le secteur informel.
2. Des droits pour tous les travailleurs et travailleuses: quel que soit leur régime d’emploi ou leur statut migratoire, tous les travailleurs doivent bénéficier de droits, afin de tenir la promesse faite dans la Déclaration du centenaire de l’OIT au sujet du socle de protection du travail, qui garantit des droits, un nombre d’heures de travail maximum, des salaires vitaux et la santé et la sécurité au travail.
3. Salaires minimums: des salaires vitaux légaux ou négociés doivent assurer la dignité de tous les travailleurs et travailleuses et de leur famille.
4. Protection sociale universelle: la protection universelle doit englober la création d’un Fonds de protection sociale pour les pays les moins riches.
5. Égalité: il faut parvenir à un salaire égal pour un travail de valeur égale et mettre fin à la discrimination, qu’elle soit fondée sur le genre, l’identité sexuelle ou l’orientation sexuelle, l’origine ethnique, le statut migratoire, l’idéologie, la religion, le statut social ou tout autre motif sur le lieu de travail et dans la société en général.
6. Inclusion: il faut créer un monde pacifique, un modèle de développement fondé sur les droits et un système multilatéral véritablement inclusif afin de corriger les déséquilibres existants en termes de pouvoir et de richesse, en utilisant le tripartisme et le dialogue social comme moyens essentiels pour mettre en œuvre le Programme 2030.
REMÉDIER AUX CAUSES DE LA MIGRATION CLIMATIQUE
De nombreux facteurs, dont les effets préjudiciables du changement climatique, incitent les personnes à quitter leur foyer et leur famille pour trouver davantage de stabilité. Les études montrent qu’en dépit de nombreuses difficultés, la majorité des gens ne comptent pas partir de chez eux, tandis que pour d’autres, la migration n’est pas une option13. Pour de nombreuses personnes, la migration est synonyme de séparation familiale et de rupture des liens sociaux et impose des risques et des problèmes plus ou moins grands (en fonction de l’âge et du sexe) à ceux qui migrent comme à ceux qui restent. En outre, la migration peut entraîner la disparition des traditions et des connaissances autochtones, et occasionner une fuite des cerveaux parmi les jeunes travailleurs, ce qui aggrave les obstacles que rencontrent les communautés en luttant contre le changement climatique. Ainsi, les efforts destinés à renforcer et à soutenir la résilience des individus et des communautés et la « capacité à s’adapter sur place [sont] fondamentalement liés au respect et à la protection des droits humains, notamment des droits collectifs »14
Les facteurs principaux qui permettent aux personnes de rester chez elles résident dans la sécurité que procure la communauté, la capacité de se remettre des catastrophes climatiques, l’existence de systèmes résilients, l’État de droit,
la protection sociale et un travail décent qui offre des emplois stables aptes à subvenir aux besoins des familles.
Les syndicats appellent à des stratégies constructives pour remédier aux causes profondes qui contraignent les gens à migrer pour survivre, et demandent que l’adaptation au climat soit planifiée et mise en œuvre de sorte à privilégier le travail décent et ainsi, à créer une meilleure résilience pour les communautés.
Pour que ces stratégies soient efficaces, il faut que les gouvernements nationaux, les entreprises privées et les institutions financières internationales empêchent la dégradation de l’environnement et soutiennent les investissements durables.
TRANSITION JUSTE15
Des investissements accrus dans les infrastructures vertes, l’agriculture durable et les énergies renouvelables, par exemple, sont des réponses cruciales aux effets du changement climatique. Un programme de transition juste constitue la base de transformations industrielles établies en créant un lien entre les politiques de changement climatique, l’emploi et le travail décent. La transition juste garantit l’avenir et les moyens de subsistance des travailleurs et de leurs communautés dans le cadre de la transition vers une économie à faible intensité de carbone, étant donné qu’elle s’appuie sur le dialogue social entre les travailleurs et leurs syndicats, les employeurs, le gouvernement,
13 Voir, par exemple, Amakrane et al (2023) « African Shifts: The Africa Climate Mobility Report, Addressing Climate-Forced Migration & Displacement » (Mutations africaines: Rapport sur la mobilité due au climat en Afrique, Faire face à la migration & au déplacement résultant du climat), disponible (en anglais) sur: https:// climatemobility.org/initiatives/africa/
14 Résumé mondial des consultations régionales de 2023 de la plateforme sur le climat CMDP et de la Fondation Friedrich Ebert (FES) disponible (en anglais) sur: 2023_06_CMDP_Global_Summary_Note.pdf (fes.de)
15 CSI (2023), Dossier « Nouveaux Fronts » pour la #COP28: À la COP28, les syndicats demandent un programme de travail sur la transition juste qui englobe toutes les questions liées au travail
et sur la consultation des communautés. Un plan de transition juste favorise et assure des emplois décents, une protection sociale, une formation professionnelle et des services de reconversion pour offrir une meilleure sécurité de l’emploi à tous les travailleurs touchés par le réchauffement de la planète et les politiques de lutte contre le changement climatique.
La CSI appelle à la création de 575 millions d’emplois et à la formalisation d’au moins la moitié des deux milliards d’emplois informels d’ici à 203016. Les responsables politiques doivent travailler avec les syndicats pour s’assurer que de nouveaux emplois décents et respectueux du climat remplacent les emplois perdus et que les travailleurs disposent de passerelles efficaces vers de nouvelles carrières, tout en bénéficiant d’un soutien pendant la transition. La transition juste doit être négociée avec les travailleurs, leurs syndicats et les communautés concernées afin de remporter le soutien public nécessaire à sa mise en œuvre. De surcroît, le changement climatique affecte de nombreux secteurs du marché du travail dans lesquels les femmes sont particulièrement actives. La transition juste implique la participation et la représentation équitables des travailleuses dans les prises de décisions à tous les niveaux17.
L’égalité d’accès aux formations professionnelles et à l’apprentissage tout au long de la vie est primordiale pour les individus qui vont perdre leurs moyens de subsistance traditionnels à cause du changement climatique, et ce pour deux raisons: d’une part, cela leur permettra de rester dans leur communauté d’origine et, d’autre part, ils
pourront accéder à des emplois décents lorsqu’ils se déplaceront à l’intérieur de leur pays ou à l’étranger.
La protection sociale, composante essentielle des plans de transition juste, est indispensable pour protéger les personnes des difficultés économiques et sociales dues à une importante baisse des revenus du travail résultant des effets préjudiciables du changement climatique18. Cependant, plus de quatre milliards de personnes dans le monde ne bénéficient d’aucune forme de protection sociale. L’Accélérateur mondial pour l’emploi et la protection sociale pour des transitions justes, lancé en septembre 2021 par le secrétaire général des Nations Unies et l’OIT dans le but de créer 400 millions d’emplois et d’étendre la protection sociale à quatre milliards de personnes ne disposant d’aucune couverture, est une initiative qui générera de considérables retombées et qui doit de ce fait être soutenue19
Par ailleurs, les États doivent revoir sensiblement à la hausse leurs engagements en matière de financement du climat et les tenir en accordant des subventions ou des prêts à taux d’intérêt réduit aux pays à faible revenu pour soutenir leurs efforts de décarbonisation. À cette fin, le Fonds « pertes et dommages » créé lors de la COP28 doit être financé de manière adéquate pour aider les pays moins riches à investir dans des projets d’atténuation de sorte à réduire les effets du réchauffement climatique et à remédier aux dommages occasionnés aux êtres vivants, aux moyens de subsistance, aux infrastructures et à la biosphère.
16 CSI (2022), Déclaration du Congrès: Un nouveau contrat social, paragraphe 50 (iii). En outre, l’économie des soins, dans laquelle les femmes – en particulier les travailleuses migrantes – sont surreprésentées, est un secteur essentiel qui nécessite d’importants investissements publics. Selon les prévisions de l’OIT, une hausse des investissements dans l’économie des soins permettrait de créer 280 millions d’emplois d’ici à 2030 et d’accroître le taux d’emploi des femmes de 78 %, dont 84 % d’emplois formels. Voir OIT (2022), Un investissement accru dans les soins pourrait créer près de 300 millions d’emplois
17 CSI (2022), Quatrième conférence mondiale des femmes de la CSI: document final
18 OIT, Protection sociale: portail thématique
19 OIT Actualités (2021), Le Secrétaire général des Nations Unies appelle à une action accélérée en matière d’emploi et de protection sociale
VOIES D’ACCÈS FONDÉES SUR LES DROITS
POUR LES MIGRANTS CLIMATIQUES:
Dans le contexte de l’augmentation des déplacements humains, il est impératif de créer des voies d'accès pour les populations qui doivent fuir les effets néfastes du changement climatique. Les itinéraires actuellement disponibles pour les personnes déplacées du fait du climat sont limités en nombre et tiennent peu compte des droits et des besoins humanitaires des personnes concernées.
Les personnes déplacées à cause des effets préjudiciables du climat ne peuvent bénéficier des programmes de réinstallation des réfugiés que si elles sont en mesure de prouver que les raisons pour lesquelles elles ont quitté leur pays d'origine ou ne peuvent y retourner sont liées à la persécution, au conflit ou à la guerre. Dans tous les cas, les lieux de réinstallation disponibles sont insuffisants. Selon le HCR, moins de 5 % des deux millions de réfugiés qui avaient besoin d’être réinstallés, d’après les estimations, ont pu bénéficier de cette solution en 202320
De plus, il existe un nombre limité de visas humanitaires ou de permis de séjour humanitaires qui prennent en considération les catastrophes environnementales21:
• Le statut de protection temporaire (« Temporary protected status ») aux ÉtatsUnis, qui protège les personnes contre le retour forcé dans des pays touchés par des catastrophes environnementales22
• Le « visa humanitaire temporaire » que le Brésil accorde aux ressortissants de pays victimes de calamités ou de catastrophes environnementales23
• La législation italienne24, qui stipule qu'un « permis de séjour pour catastrophe » doit être délivré « lorsque le pays dans lequel un étranger doit retourner se trouve dans une situation de catastrophe circonstancielle grave qui ne permet pas un retour et un séjour en toute sécurité »25
• En Argentine, le « Programme spécial de visas humanitaires pour les ressortissants et les résidents des États-Unis du Mexique, d'Amérique centrale et des Caraïbes déplacés suite à des catastrophes socionaturelles »26, qui permet d'obtenir un permis d'entrée et un visa humanitaire environnemental pour les personnes déplacées en raison de phénomènes hydrométéorologiques et géophysiques soudains tels que les ouragans, les tornades, les précipitations extrêmes et les inondations, les tremblements de terre, les tsunamis, les glissements de terrain/ éboulements et les éruptions volcaniques27
20 UNHCR (2023) (en anglais), Resettlement Fact Sheet 2023 (données sur la réinstallation)
21 Amnesty International (2023) (en anglais), Americas: Amicus curiae submitted by Amnesty International to the Inter-American Court of Human Rights on climate emergency and human rights (Amériques: amicus curiae soumis par Amnesty International à la Cour interaméricaine des droits de l’homme concernant l’urgence climatique et les droits humains)
22 Amnesty International USA (2021) (en anglais), Policy Recommendations on Climate Displacement (Recommandations politiques sur le déplacement dû au climat)
23 Loi n° 13.445, 24 mai 2017 concernant «les droits et les devoirs des migrants et des visiteurs», (Brésil), disponible (en portugais) sur: https://www.refworld. org.es/pdfid/592c6f744.pdf
24 Article 20 bis du décret législatif 286/1998
25 Réseau européen des migrations (2023) (en anglais), Displacement and migration related to disasters, climate change and environmental degradation (Déplacement et migration dus aux catastrophes, au changement climatique et à la dégradation de l’environnement)
26 Argentina, Dirección Nacional de Migraciones, (Direction nationale des migrations), disposition 891/2022 (en espagnol), https://www.argentina.gob.ar/ normativa/nacional/disposici%C3%B3n-891-2022-364999/texto
27 Annex I, Article 2 of Argentina, (Direction nationale des migrations), disposition 891/2022 (en espagnol): https://www.argentina.gob.ar/sites/default/files/ infoleg/disp891-364999.pdf
Il existe également des initiatives régionales, telles que le Cadre régional du Pacifique sur la mobilité climatique approuvé par les dirigeants du Forum des îles du Pacifique en novembre 2023. Le cadre vise à « guider les gouvernements, les communautés, les acteurs non étatiques et les partenaires du Forum pour garantir des mouvements fondés sur les droits et centrés sur les personnes dans le contexte du changement climatique, en proposant par exemple le maintien sur place, la réimplantation planifiée, la migration et le déplacement par le biais d’une approche régionale proactive, inclusive et collaborative qui reflète les intérêts communs du Pacifique de façon appropriée du point de vue culturel, tout en respectant la souveraineté et la diversité nationales »28. De même, le Protocole sur la libre circulation des personnes dans la région de l'IGAD mentionne « la réalisation progressive de la libre circulation des personnes, des droits d'établissement et de résidence dans les États membres de l'IGAD »29 et prévoit sur le territoire d'un État membre l’arrivée de citoyens d'un autre État membre « en prévision, au cours ou à la suite d'une catastrophe », ainsi que la prolongation de leur séjour et d'autres droits si leur pays est victime d’une catastrophe30
Au titre du récent accord bilatéral entre l'Australie et Tuvalu, reconnu au niveau international comme l'un des États les plus vulnérables au changement climatique et dont de nombreuses îles de faible altitude risquent de devenir inhabitables avant la fin du siècle31, l'Australie s’engage à « mettre en place un parcours spécial de mobilité humaine pour les citoyens de Tuvalu afin de leur permettre de [...] vivre, d’étudier et de travailler en Australie [et] d'accéder à l'éducation, à la santé, aux revenus
essentiels et à l'aide familiale dès leur arrivée en Australie »32.
Outre les initiatives relatives au climat ou aux catastrophes naturelles mentionnées ci-dessus, des voies de migration de maind’œuvre, existantes et nouvelles, sont également proposées pour répondre aux besoins des communautés affectées par le changement climatique. Cependant, de nombreuses voies de migration de maind'œuvre actuelles sont temporaires et liées à l'employeur, ce qui rend les travailleurs migrants qui les empruntent vulnérables aux abus et à l'exploitation, notamment au travail forcé33 Certaines violations des droits du travail dont les travailleurs migrants sont victimes dans le cadre de ces programmes, telles que le vol de salaire et les frais de recrutement, empêchent également ces travailleurs et leur communauté dans leur pays d'origine de profiter des avantages présumés de ces programmes sous la forme d’envois de fonds. Des migrants peuvent se retrouver dans une situation effroyable, être exposés à des effets encore plus dangereux du changement climatique, et contraints de vivre dans des zones sujettes aux catastrophes climatiques dans les pays de destination.
La migration de main-d'œuvre ne peut représenter une solution appropriée aux situations de crise humanitaire, telles que les catastrophes liées au climat, les conflits, les guerres ou les persécutions qui obligent les gens à fuir. Les crises humanitaires nécessitent des réponses humanitaires qui proposent des voies d’accès adaptées aux besoins humanitaires des personnes déplacées, au lieu de combler les prétendues « pénuries de
28 Voir (en anglais) Pacific Regional Framework on Climate Mobility.pdf (forumsec.org) (Cadre régional du Pacifique sur la mobilité climatique) (paragraphe 9)
29 Article 2 (en anglais), Protocole final de l’IGAD approuvé par les ambassadeurs et les ministres de l’Intérieur et du Travail de l’IGAD (iom.int)
30 Article 16 (en anglais), Protocole final de l’IGAD approuvé par les ambassadeurs et les ministres de l’Intérieur et du Travail de l’IGAD (iom.int)
31 Banque mondiale (en anglais), 15824-WB_Tuvalu Country Profile-WEB.pdf (worldbank.org)
32 Article 3 (en anglais), Traité “Union Falepili” signé entre l’Australie et Tuvalu | ministère des Affaires étrangères et du Commerce du gouvernement australien (dfat. gov.au)
33 En ce qui concerne les violations des droits humains et les déficits de travail décent relevés dans les programmes de migration temporaire de main-d’œuvre, voir HDCH (2023) (en anglais), We wanted workers, but human beings came (Nous voulions des travailleurs, mais ce sont des êtres humains qui sont venus), 2023. Voir également OIT (2022) (en anglais), Seasonal worker schemes in the Pacific through the lens of international human rights and labour standards: Technical report, (Programmes pour les travailleurs saisonniers du Pacifique sous l’angle des droits humains internationaux et des normes internationales du travail), en particulier la section 6.2. sur les conditions de travail
compétences » dans les pays de destination. Toutefois, même lorsqu'ils sont fondés sur des motifs humanitaires, tous les parcours de migration doivent garantir l'accès au marché du travail assorti d’une protection totale des travailleurs.
En raison de la répartition des rôles entre les hommes et les femmes, les responsabilités qui incombent à ces dernières en matière de soins limitent leurs possibilités de migration, et celles qui restent dans leur pays d’origine doivent s'occuper des personnes âgées, des enfants et d'autres personnes ayant besoin de soins dans des environnements de plus en plus hostiles. Les voies d'accès doivent également tenir compte des considérations de genre, en veillant à la dynamique de la main-d'œuvre et aux effets du changement climatique différenciés entre les hommes et les femmes.
Le changement climatique ayant des répercussions diverses sur les différentes communautés, il n'existe pas de solution unique. Par conséquent, les parcours de migration doivent être conçus avec les communautés concernées, ainsi qu'avec les travailleurs et leurs syndicats, tant dans les pays d'origine que dans les pays de destination, afin de s’assurer qu'ils répondent aux besoins réels des personnes touchées sans fragiliser les droits humains et les droits des travailleurs. Comme dans d'autres domaines, le dialogue social doit prévaloir pour élaborer et mettre en œuvre des parcours fondés sur les droits et sensibles à la dimension de genre, qui mènent au travail décent avec une pleine protection des droits humains et des droits du travail.
DROITS DES MIGRANTS CLIMATIQUES DANS LES PAYS DE DESTINATION
Les gouvernements devraient collaborer activement avec les syndicats pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies d'intégration des migrants climatiques sur le marché du travail. L'absence de planification efficace pour intégrer au marché du travail les nouveaux arrivants peut entraîner une expansion de l'économie informelle et d'autres conséquences profondes, notamment le risque de déclencher des réactions populistes de droite.
Tous les travailleurs, quel que soit leur statut migratoire, ont besoin de droits égaux et applicables sur le lieu de travail, en particulier le droit de constituer un syndicat ou de s'y affilier,
et de participer à des négociations et à des actions collectives sur des lieux de travail exempts de toute discrimination. L'adhésion à un syndicat s'accompagne d'une représentation sur le lieu de travail, d’une protection supplémentaire émanant des conventions collectives, de possibilités de formation accrues et de promotion de la cohésion sociale avec la main-d'œuvre existante. Les syndicats disposent également de systèmes d'apprentissage et d'autres mécanismes de formation pour aider à préparer les travailleurs aux emplois dans le domaine des énergies propres.
La liberté syndicale est un droit qui facilite la modification de la dynamique du pouvoir, en permettant aux travailleurs de protéger
et de faire avancer leurs intérêts par le biais d'actions et de négociations collectives avec les employeurs. Il est essentiel d’éliminer les obstacles à la syndicalisation, non seulement pour réduire les facteurs qui contraignent les gens à migrer, mais aussi pour protéger les droits des travailleurs migrants et leur intégration socioéconomique. Les syndicats offrent des mécanismes concrets pour faire respecter les normes du travail, régler les différends et plaider pour les besoins de tous les travailleurs et travailleuses.
Les droits de négociation collective contribuent à promouvoir la santé et la sécurité au travail34, une question de plus en plus importante dans le contexte du changement climatique35. Les travailleurs migrants sont surreprésentés dans les emplois « sales, difficiles et dangereux » qui, sans protections adéquates, engendreront une mortalité croissante à mesure que la planète se réchauffera.
L'accès à la protection sociale est également crucial pour les travailleurs migrants, qui en sont exclus de manière disproportionnée. L'extension des régimes contributifs de protection sociale aux migrants peut également « permettre d’accroître la base de financement de ces régimes et d’élargir le groupe des cotisants et des bénéficiaires, créant ainsi un plus grand partage collectif des risques36. »
Les travailleurs migrants doivent avoir un accès effectif aux mécanismes de justice. S'ils ne peuvent pas signaler de violations par crainte de représailles, comme le risque de perdre leur statut migratoire, la détention et l'expulsion, il ne sera pas possible d'obliger les employeurs qui commettent des abus à rendre des comptes. Les mécanismes de contrôle du respect des normes du travail doivent être suffisamment financés et privilégier la
protection des droits des travailleurs, quel que soit leur statut migratoire, au lieu de rechercher les migrants en situation irrégulière et de les sanctionner.
Les gouvernements doivent renoncer aux régimes de migration de main-d'œuvre liés à l'employeur, qui permettent à ce dernier de contrôler l'emploi, la rémunération, les conditions de travail et le statut migratoire. Ces régimes dissuadent les travailleurs migrants d’alerter sur l'exploitation au travail et d'autres abus, de s'affilier à un syndicat et de réclamer de meilleures conditions. À la place, les gouvernements doivent étendre les protections concrètes du statut migratoire aux travailleurs migrants qui signalent des violations du droit du travail et demandent justice. Cela implique la mise en place de pare-feux entre les mécanismes chargés de faire appliquer le droit du travail, la justice et l'immigration.
Les plans de transition juste doivent également prendre en compte les contributions que les travailleurs migrants apportent et peuvent apporter, en veillant à ce que ceux qui risquent de perdre leur emploi aient accès à de nouveaux emplois, grâce à la reconnaissance de leurs compétences et à l'accès au développement des compétences, par exemple. Les demandes des travailleurs en matière de création d'emplois et de formalisation vont de pair avec l'appel lancé aux gouvernements pour qu'ils accordent la priorité aux programmes de régularisation des migrants en situation irrégulière37. La régularisation du statut des migrants sans papiers38 permettrait de sortir des millions de personnes de l'économie informelle et d'éliminer les obstacles qui les empêchent d’accéder à des emplois décents et à des parcours de formation adaptés, ainsi qu’aux opportunités croissantes d’emploi dans les énergies propres.
34 Voir, par exemple, OIT (2022), Renforcer le dialogue social au profit d’une culture de la sécurité et de la santé
35 OIT (22 avril 2024), Assurer la sécurité et la santé au travail à l’heure du changement climatique (ilo.org)
36 CSI (2021) (en anglais), Ensuring Migrants’ Access to Social Protection (Garantir l’accès des migrants à la protection sociale)
37 Il est difficile de chiffrer le nombre de migrants en situation irrégulière mais, d’après l’OIT, « une estimation prudente indique qu’environ 58 millions de migrants sont en situation irrégulière. » OIT (2022), Protéger les droits des travailleurs migrants en situation irrégulière et faire face aux migrations irrégulières de maind’œuvre: Recueil de l’OIT
38 L’importance et l’élaboration des mécanismes et programmes de régularisation (picum.org)
DEMANDES DES SYNDICATS
▶ Assurer la cohérence entre les politiques relatives au climat, à l'emploi et à la migration, en recherchant un véritable dialogue social avec les travailleurs et leurs syndicats, considéré comme un outil de gouvernance fondamental pour élaborer et mettre en œuvre des politiques.
▶ Renforcer le rôle de l'OIT dans la conception et la mise en œuvre des politiques climatiques et migratoires, et promouvoir la ratification et l’application des normes de l'OIT.
▶ Mettre en place un nouveau contrat social dans tous les domaines, depuis les pays d'origine jusqu’aux pays de destination, comprenant les voies de migration, dans le but de protéger et de promouvoir les normes internationales du travail pour tous les travailleurs.
▶ S'attaquer aux causes de la migration climatique en créant les conditions pour que les personnes restent, telles que: des plans de transition juste pour bâtir des sociétés pérennes, accompagnés d’investissements durables propices à la création d'emplois respectueux du climat; la protection des droits du travail, en particulier la liberté syndicale et la négociation collective pour tous les travailleurs; l'égalité entre les hommes et les femmes; des salaires minimums vitaux qui assurent aux travailleurs un seuil minimum de dignité; des systèmes de protection sociale universels, fondés sur les droits et tenant compte des dimensions de genre, avec un financement renforcé aux niveaux national et international.
▶ Garantir aux migrants climatiques des voies d'accès fondées sur les droits:
» Développer des parcours humanitaires pour les personnes qui fuient les effets néfastes du changement climatique, afin de garantir l'accès au marché du travail dans le respect de tous les droits des travailleurs et sans discrimination, avec des possibilités significatives d’obtenir un statut permanent.
» Renoncer aux programmes de migration de main-d'œuvre temporaire liés à l'employeur pour combler les pénuries de main-d'œuvre, et encourager au contraire des stratégies de marché du travail inclusives qui intègrent et soutiennent intentionnellement les travailleurs migrants, notamment au moyen de programmes de régularisation accessibles aux migrants en situation irrégulière.
▶ Garantir aux migrants climatiques les droits du travail et l'inclusion sociale dans les pays de destination39:
» Collaborer activement avec les syndicats pour définir et mettre en œuvre des stratégies d'intégration des migrants au marché du travail.
» Protéger efficacement le droit de liberté syndicale, d'organisation et de négociation collective pour tous les travailleurs.
» Garantir aux travailleurs migrants un accès effectif à la justice et obliger les employeurs qui commettent des abus à rendre des comptes.
NORMES ET CADRES CONCERNÉS:
» Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 (P029) (OIT)
» Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme)
» Convention sur le service de l’emploi – C088 (OIT) et convention sur les travailleurs migrants (révisée) – C097 (OIT)
» Convention sur l’égalité de traitement (sécurité sociale), 1962 – C118 (OIT)
» Convention sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires) – C143 (OIT)
» Convention sur les agences d’emploi privées – C181 (OIT)
» Convention du travail maritime (MLC) – n° 186 (OIT)
» Convention sur les travailleuses et travailleurs domestiques – C189 (OIT)
» Convention sur la violence et le harcèlement – C190 (OIT)
» Recommandation générale concernant les travailleuses migrantes – R026 (CEDAW)
» Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) (Assemblée générale des Nations Unies)
» Recommandation sur l’emploi et le travail décent pour la paix et la résilience, 2017 – R205 (OIT)
» Principes généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement équitable et Définition des commissions de recrutement et frais connexes (2018)
» Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (adoptée en 1998, amendée en 2022)
» Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière (2018)
» Principes directeurs de l’OIT pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous (2015)
CSI
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