HALMAG et l’AUC l’hypothèse d’un modèle
Ivan Vander Seypen Sous la direction de Benoît Moritz ULB La Cambre Horta | 2014-2015
TABLE DES MATIÈRES
5 Avant-propos 9 l’AUC 1. Des urbanismes postmodernes
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2. Une pratique
15 Textes 29 Visions métropolitaines 47 Concepts clefs
3. Halmag
51 Stim-Métropoles millionnaires 72 Commentaires
4. Esquisse d’une généalogie
Aldo Rossi Giovanni Batista Nolli Andrea Branzi Michel de Certeau Saskia Sassen Paul Barker, Reyner Banham, Peter Hall et Cedric Price 96 Rem Koolhaas et Jean Attali 99 Lars Lerup 101 Guy Debord
5. Halmag, un modèle?
105 l’urbanisme de l’AUC 107 l’AUC et les urbanismes postmodernes 108 Halmag et la notion de modèle
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113 Bibliographie
Avant propos Ce mémoire est né d’un travail de groupe réalisé dans le cadre de l’option d’urbanisme en 2015. Alors que le travail était consacré à la proposition de l’AUC pour la consultation de Lille métropole 2030, nous avons finalement détourné le sujet de l’étude en focalisant notre attention sur une exposition commissionnée par l’AUC pour la quatrième édition d’Agora, biennale d’architecture d’urbanisme et de design qui se tient à Bordeaux : Stim-Métropoles millionnaire. À l’occasion de cette exposition, Djamel Klouche présentait au public une ville imaginaire dénommée Halmag. Si lors de cette précédente approche, nous avions posé en guise de conclusion, l’hypothèse de Halmag comme « modèle », il s’agira ici, de vérifier de manière convaincante cette hypothèse et de placer l’AUC dans le paysage urbanistique. Cela permettra d’une part, de faire un peu plus de lumière sur l’AUC qui, malgré sa révélation au grand public lors de la consultation internationale du Grand Paris, reste néanmoins peu documenté. Et d’autre part, cela permettra de mesurer l’apport de ce bureau d’urbanisme dans le renouvellement du discours urbanistique. Hypothèse n°1 : L’urbanisme de l’AUC est un urbanisme postmoderne d’un genre nouveau. Hypothèse n°2 : Halmag est le modèle de cet urbanisme.
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Pour fonder mes intuitions, j’ai d’abord dû construire le cadre de ma réflexion. J’ai donc en premier lieu cherché à clarifier un certain nombre de notions et de termes, notamment sur les familles urbanistiques et la manière de classer l’urbanisme, afin d’établir de façon plus objective, plus consciente, les critères de mon raisonnement. Trois sources m’ont beaucoup aidé en ce sens : La campagne des Halles, les nouveaux malheurs de Paris de Françoise Fromonot qui constitue une critique de l’urbanisme « à la française » ; L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture de Sébastien Marot, manifeste du sub-urbanisme ; New York Délire de Rem Koolhaas, manifeste du sur-urbanisme et Mutations, sous la direction de Rem Koolhaas et Harvard Project on the City qui observe les processus de globalisation et d’urbanisation en cours. Ma méthode a tout d’abord été de lire et déchiffrer les principaux travaux de l’AUC. Par la suite ma trajectoire a plutôt été celle d’un touriste ; voyageant d’ouvrages en ouvrages, j’ai tenté de mettre en résonance les théories de l’AUC avec celles d’autres penseurs. Quatre parties rythment cette recherche. Dans la première, des Urbanismes postmodernes, je cherche à savoir, pour placer l’AUC dans le paysage urbanistique, comment l’urbanisme peut encore être classé aujourd’hui. La suivante, une Pratique, consiste en l’analyse de la production de l’AUC, à travers différents textes et études prospectives européennes, afin d’en dégager les concepts clefs. La troisième, Halmag, permet de replacer cette ville imaginaire dans la pratique de l’AUC, de la décrire et enfin de la commenter. Esquisse d’une généalogie, détermine le statut de Halmag dans et la compare avec d’autres villes imaginaires.
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Enfin, je tenterai de répondre à mes interrogations de départ : Comment peut-on aujourd’hui classer l’urbanisme? Quelles sont les caractéristiques de la pensée urbanistique de l’AUC? Quelle place l’AUC occupe-t-il dans le paysage de l’urbanisme contemporain? La ville imaginaire de Halmag est-elle un modèle? La plupart des architectures du bureau d’urbanisme n’étant pas encore sorties de terre, j’ai délibéremment ommis ce champ. Mais il serait intéressant de pousser la démarche de cette recherche et d’explorer comment les urbanistes mettent leurs théories en application.
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François Decoster, Djamel Klouche Caroline Poulin.
. . 96
Fondation de L’AUC à Paris Plans d’aménagements
Prospectives urbaines . . 09
Grand Paris Publication : Grand Paris Stimulé Projet Lyon Part-Dieu
. . 10
Bruxelles 2040 exposition « Stim métropoles millionnaires » à Bordeaux
. . 11
Bordeaux 50 000 Logements
. . 12
Moscow
. . 14 Lille 2030 Exposition « 152 Mediterranea » à la 14e biennale de Venise
. . 10
Transformation d’une friche industrielle à Lille sur Fives-Cail Aménagement du site Chapelle international à Paris 18e
L’AUC : présentation L’AUC est une agence d’architecture et d’urbanisme fondée à Paris en 1996 par trois jeunes architectes urbanistes : François Decoster (1966), Djamel Klouche (1966) et Caroline Poulin (1966). L’équipe s’intéresse aux problématiques urbaines et travaille à toutes les échelles que ces problématiques impliquent. L’AUC travaille en tant que consultant, urbaniste ou architecte et ce, en Europe, en Afrique du nord, en Amérique du Sud avec le Brésil et dans certains pays d’Asie comme le Vietnam, la Chine et Singapour. À travers ses collaborations avec des paysagistes, des environnementalistes, des économistes, des sociologues, des géographes et des artistes, la mission de l’agence revêt une dimension pluridisciplinaire. Les projets sont de caractères variés : de la planification territoriale jusqu’aux études urbaines, en passant par des projets d’aménagement ou de requalification urbaine et de maîtrise d’œuvre. À ce titre, le triumvirat a choisi en 2005 de créer une agence parallèle, l’AUC as qui se charge spécifiquement des projets de maîtrise d’œuvre architecturale tandis que l’AUC traite les missions à dominante urbanistique. Le but n’était pas de distancer les pratiques mais simplement de les identifier. L’AUC et l’AUC as travaillent séparément ou de concert selon les missions qui leur sont confiées. En fonction du caractère dominant de la mission, les équipes de projet s’agrégeront autour de l’une ou l’autre structure. L’AUC a participé à diverses études prospectives sur des projets de visions à l’échelle métropolitaine : le Grand Pari(s), Bordeaux « 50.000 logements nouveaux autour des axes de transports publics », Bruxelles 2040, Lille Métropole 2030 et Grand Moscou. L’AUC est également responsable de nombreux projets de restructuration urbaine parmi lesquels celui du quartier de la Part Dieu à Lyon, de la gare du midi à Bruxelles, du projet FIVE à Lille et de la Chapelle Internationale. 9
1.Des urbanismes postmodernes Au début de l’ère industrielle, « la ville, fait culturel (mais) à demi naturalisé par l’habitude, est pour la première fois l’objet d’une critique radicale qui provoquera la mise en examen de ses fondements et, dans le mêmes temps, la substitution de l’idée de la ville à sa simple présence. Motivée par sa critique, l’idée de la ville est véhiculée par les trois grands « mythes » de l’urbanisme que Françoise Choay* nomme urbanisme progressiste, culturaliste et naturaliste. Leurs fondements sont respectivement « la foi dans le progrès et la toute puissance des techniques ; aversion pour la société mécanisée et nostalgie des anciennes communautés culturelles ; aversion pour un monde dénaturalisé et nostalgie d’une relation formatrice avec la nature »**. En dépit de l’antagonisme de leur idéologie, les trois familles urbanistiques avaient au moins en commun, le rejet de la ville telle qu’elles l’avaient héritée et la tentation de conformer la réalité à des modèles. Paradoxalement, à l’aube des années 70, alors que l’urbanisation en cours se base essentiellement sur les modèles dogmatiques du passé, l’urbanisme est contesté, tant dans sa prétention scientifique à contrôler les phénomènes urbains et sociaux, que pour son incompétence à les résoudre. Entre utopie et réalité, s’opère alors un changement de paradigme dont l’urbanisme contemporain est l’hériter. Contrairement à l’urbanisme moderniste, le postmodernisme, notamment à travers la notion de faits urbains, reconstitue une pensée dont le réel est l’argument fondamental. À l’idée de la ville se substitue sa présence. L’utopie a perdu sa fonction ; elle n’est plus que l’ombre du réel. Depuis que le réel a supplanté l’utopie, une classification des pratiques de l’urbanisme par discrimination doctrinale n’est plus pertinente. Mais au vu de l’urbanisation démesurée qui depuis les * Françoise Choay (1925, Paris) est historienne des théories et des formes urbaines et architecturales. ** CHOAY F., L’urbanisme: utopies et réalités; une anthologie, Seuil, Paris, 1965, p.74 11
années 90 accompagne la mondialisation, Françoise Fromonot comme Sébastien Marot propose une classification des obédiences urbanistiques, non pas par la confrontation des idéologies, mais par le type de relations que le projet urbanistique établit entre le site et le programme. Tous deux distinguent trois urbanismes postmodernes : l’urbanisme de composition ou de convention, le sur-urbanisme (ou urbanisme de programmation) et le sub-urbanisme (ou urbanisme de révélation). Le sur-urbanisme ou urbanisme de programmation est, en quelque sorte, une surenchère ou radicalisation du modernisme. Il peut se définir, pour citer Sébastien Marot, comme « une démarche de projet qui trouve son site dans le programme, où le site est littéralement produit à travers la manipulation, le déploiement et la représentation du programme » En d’autres *
termes, le site est projeté à partir des manipulations du programme. Son « héros » n’est autre que Rem Koolhaas et son manifeste, Delirious New York, dans lequel d’ailleurs il annonce : « un site où le programme remplace la nature »**. À l’inverse du sur-urbanisme, « le sub-urbanisme est une démarche de projet qui renverse la hiérarchie établie par l’urbanisme moderne entre programme et site, de sorte que le site devient l’idée régulatrice du projet et presque le sujet ou le générateur du programme. » ; « une démarche de projet qui trouve son programme dans le site en question, où l’invention du programme est entièrement relative à l’exploration et à la représentation du site »***. Cette tendance qui coïncide avec l’accession de paysagistes à la profession d’urbaniste, entend insuffler dans l’urbanisme la sensibilité et les modes de travail des paysagistes. Lecteur attentif de cette pratique alternative du paysage, Sébastien Marot est, en publiant le manifeste du sub-urbanisme, L’Art de la * MAROT S., L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, éd. La Villette, Paris, 2010, p.14. ** KOOLHAAS R., New York délire: un manifeste rétroactif pour Manhattan, Parenthèses, Marseille, 2002. *** MAROT S., Sub-urbanisme / sur-urbanisme. De Central Park à La Villette, in : AA Files, n°53, 2006,p.293. 12
mémoire, le territoire et l’architecture, devenu le principal exégète de cette pratique alternative du paysage. La dernière attitude, pour dire les choses en deux mots, se manifeste par un urbanisme de plan de masse dont les tracés définissent des formes urbaines et des espaces publics préconçus et règlementés. C’est un urbanisme qui a encore foi dans la vision planimétrique et le dessin littéral de la ville. Un urbanisme figé, prêt à l’emploi et qui, pour reprendre les termes de Françoise Fromonot au sujet du projet des Halles de David Mangin , « se nourrit d’antécédents *
historiques censés l’inscrire dans la “continuité“ de la ville et de ses “espaces publics“ » . C’est une pratique de l’aménagement urbain profondément enracinée en France (depuis plus de trente ans à travers les ZAC) que Françoise Fromonot critique et en retrace la filiation : « en somme, ce qui est toujours présenté en France comme une révision critique du modernisme pourrait bien être d’abord un renouveau de la bonne vieille tradition de l’Ecole des Beaux-Arts, qui avait continué d’exister en parallèle, et avec laquelle l’architecture de ce pays n’avait jamais rompu. Après tout, les grands ensembles dessinés pour la plupart par des Grands Prix de Rome, doivent plus à la grande composition française qu’à la Cité radieuse de Le Corbusier » . **
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Le schéma triangulaire que forment ces trois catégories urbanistiques, me permettra par la suite, de placer relativement les réflexions et la philosophie de l’AUC.
* David Mangin (1949, Paris) est architecte et urbaniste. ** FROMONOT F., Le ventre des architectes, in : d’architectures, n°138, 2004, p. 66. *** FROMONOT F., La campagne des Halles: les nouveaux malheurs de Paris, éd. La Fabrique, Paris, 2005. 13
Vue aérienne, Hanoï
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2.Une Pratique Des Textes Hormis l’ouvrage publié à l’issue de leur réflexion sur le Grand Paris, la production écrite de l’AUC ne compte que quatre textes. Parmi eux, l’article De la planification aux situation fait l’objet d’une polémique ; paru sous le non de Djamel Klouche il serait en fait plagié d’un article de l’article, Après-guerres : révisions de l’histoire et reconquête du « modernisme », de Marina Kouniati. Les deux textes dont il est question ici, sont les plus significatifs de la production écrite de l’AUC. Sur ce point, le plus prolifique des trois associés est Djamel Klouche ; un seul texte marque sa collaboration avec François Decoster.
Hanoï, portrait de ville Bien avant que Rem Koolhaas , avec les étudiants de Harvard explorent Lagos et le Pearl River Delta — travail qui sera publié dans Mutations —, Djamel Klouche et François Decoster avec une petite équipe fraîchement diplômée partent en 1994 à Hanoï observer les phénomènes en cours à l’ouverture économique du Viêt Nam. *
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Dans Hanoï, portrait de ville , publié en 1997, François Decoster et Djamel Klouche font l’exposé de la capitale vietnamienne en pleine mutation. La publication se développe en cinq parties : « Territoire, matrice d’une ville », « Histoire, urbanisation, enjeux », « Mutations, les grands ensembles », « Horizons, le chantier d’une métropole » et « Promenades dans Hanoï ». ***
La première présente le substrat géographique et les relations qu’il * Rem Koolhaas (1944, Rotterdam), est architecte, théoricien de l’architecture, urbaniste et professeur. Il fonde en 1975 à Londres, l’Office for Metropolitan Architecture (OMA), avec Elia et Zoe Zenghelis et Madelon Vriesendorp. ** KOOLHAAS R., BOERI S., KWINTER S., Mutations, éd. Actar, Barcelone/Arc en rêve centre d’architecture, Bordeaux, 2000. *** DECOSTER F., KLOUCHE D., Hanoi, portrait de ville, IFA - Institut français, Paris, 1997. 15
Mutations des unités d’habitation, Hanoï
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entretient avec l’établissement humain. « Le territoire de la province de Hanoï est avant tout celui du delta du Fleuve Rouge. Son histoire — une occupation d’abord essentiellement agricole, puis progressivement urbaine — est celle de la maîtrise de l’eau, dont les phénomènes d’urbanisation et de densification ont hérité certains aspects invariants. » « Si le Fleuve Rouge représente l’élément fondateur du territoire de Hanoï et de son économie agricole, il en constitue aussi la principale menace.» Hormis l’observation des principes et techniques des processus d’urbanisation planifiés ou non, les auteurs insistent sur le geste infrastructurel qui catalysa cette densification, « La route digue, (…) ligne fondatrice de l’urbanisation, dont le compartiment constitue l’unité agrégative de base.» . Ils terminent en pointant une valeur essentielle que la géographie, le Fleuve Rouge et son Delta ont inculqué aux habitants. Les ravages provoqués par les inondations ont naturellement conduit à une tradition de l’éphémère : « le terrain a plus de valeur que la construction qui y est édifiée » et « la valeur patrimoniale d’un édifice a moins d’importance que sa fonction » . *
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Le chapitre suivant s’attache principalement à identifier les jalons de l’urbanisation de la capitale et à la description des formes urbaines et des éléments qui la composent, comme les maisons traditionnelles et les compartiments. La troisième partie s’intéresse aux sujets précis de la mutation des grands ensembles. Les auteurs décrivent les évolutions typologiques des unités d’habitations et mettent en évidence le processus de subversion autorisé par la planification étatique. Les initiatives individuelles, selon un processus coordonné, ont emboité le pas au canon moderniste du grand ensemble. Mises bout à bout, les extensions et densifications ont parasité les quartiers corbuséens jusqu’à les assimiler au tissu traditionnel. « L’appropriation des espaces libres * DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.6. ** DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.7. *** DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.11. **** DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.11. 17
Mutations des unités d’habitation, Hanoï
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par les habitants, notamment au profit d’activités commerçantes au rez-de-chaussée, donne aux rues un nouveau profil. La densification des barres opère d’abord par encorbellements aléatoires en matériaux légers, puis en dur, du rez-de-chaussée vers les étages, chaque extension s’appuyant sur celle du niveau inférieur. L’horizontalité des barres collectives est peu à peu recouverte par un découpage vertical de façades mitoyennes, semblable à un alignement de maisons individuelles » *
vvÉvidemment face à l’actualité de la problématique, François Decoster et Djamel Klouche voient dans le processus de la transformation, un riche potentiel et ne peuvent s’empêcher de faire la comparaison avec le cas français. « Issus d’une politique volontariste, vecteurs d’un société en devenir, les grands ensembles de Hanoï connaissent aujourd’hui des phénomènes de densification, qui provoquent la mutation des modèles importés en des formes très proches de la tradition urbaine vietnamienne. Dans un contexte de sortie de guerre, de pénurie et de reconstruction, comparable à celui de la France après 1945, ces quartiers sont conçus, à peu de choses près, selon des principes identiques à ceux qui ont présidé à l’édification des premiers grands ensembles français. Leur devenir après 40 ans d’existence pour les plus anciens est cependant bien différent. Alors qu’en France ces quartiers se trouvent souvent aujourd’hui dans des situations d’enclavement et de relégation vis-à-vis des tissus urbains qui les environnent, à Hanoï, ils sont au contraire absorbés par la croissance de la ville. Certes les conditions sociales et l’attribution des logements au Viêt-Nam n’ont rien à voir avec celles de la France. La comparaison doit donc être relativisée quant aux dimensions socio-économiques, voire culturelles, de la population de ces quartiers d’habitat collectif. D’un point de vue morphologique en revanche, l’observation de l’évolution et des mutations des grands ensembles de Hanoï, fait apparaître une adaptabilité du modèle moderne. » **
Dans la dernière partie, il est question d’identifier les mutations, les problèmes et les enjeux auxquels Hanoï fait face depuis le Doï moï (1986) et l’ouverture du Viêt Nam à l’économie de marché. Avec l’ouverture économique, le Viêt Nam réoriente les stratégies nationales * DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.33. ** DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.29. 19
en matière d’urbanisation. À partir de 1986, le pays mise sur la croissance urbaine pour le développement de son économie. L’état met en place trois outils favorisant un rapide développement urbain : le code des investissements étrangers, la loi foncière et de nouveaux schémas directeurs. Au sujet de ces derniers, le schéma directeur de 1992 se caractérise par un changement radical d’échelle. Il prévoit la restructuration et la création de nouveaux axes de transport, l’extension de la ville, et de grands projets d’infrastructure. Les conséquences de la loi foncière de 1993 furent immédiates. « En un temps très court, le volume annuel de la construction est passé de quelque centaine de logements collectifs produits par l’état à plusieurs millier de mises en chantier individuelles. (…) Le type du compartiment, à la fois outil d’extension urbaine, de densification et de prolifération sur des constructions existantes, est adaptable à tous les programmes de l’économie urbaine individuelle. » . Le compartiment est à la fois l’outil d’absorption rapide de la galopante augmentation démographique et l’outil d’initiative de valorisation immobilière. *
Enfin, le code des investissements de 1987qui ouvre toute l’économie aux investissements étrangers, définit les conditions d’implantation d’une société étrangère au Viêt Nam. Selon le modèle de la société conjointe, la partie étrangère apporte le capital et la partie vietnamienne procure le terrain. Les licences d’investissement sont généralement de 30 ans et correspondent à la durée du droit d’usage du sol. Cela permet à la législation de contrôler le processus d’ouverture et en évitant la privatisation du foncier à l’égard de sociétés étrangères. Bien sûr, les schémas directeurs, la loi foncière et le code des investissements n’assurent en aucun cas la maîtrise complète du développement urbain de Hanoï, mais ils en définissent les nouvelles lignes. Si auparavant la planification et l’aménagement du territoire étaient exclusivement aux mains de l’État, aujourd’hui toute l’économie y participe. Et à défaut d’avoir les moyens de leurs ambitions, les pouvoirs publics comptent sur le concours des
* DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.29. 20
dynamiques privées locales et internationales pour les seconder et faire face aux enjeux de la métropolisation. Tandis que les initiatives individuelles et locales opèrent à un rythme effréné sur un territoire diffus, les promoteurs étrangers concentrent leurs investissements sur des programmes et sur des aires géographiques relativement définies. Arrive alors la question du patrimoine, qui « à Hanoï, ne peut être dissociée de celle du développement » . Si différentes études cherchent une *
bonne articulation de ces thèmes sur des secteurs bien définis, le schéma directeur de 1992 tente lui aussi mais à une échelle plus globale, de gérer l’articulation entre patrimoine et développement. Mais l’articulation ne se fait pas sans heurts. Ayant pour mot d’ordre la visibilité et la rentabilité, les opérations des investisseurs privés et des pouvoirs publics se focalisent sur les quartiers centraux les plus attrayants et sont dénuées de qualité architecturale et urbaine. La densification verticale initiée par les nouveaux programmes tels que les immeubles de bureaux, les hôtels ou les centres commerciaux, « conduisent à l’exclusion progressive des pratiques socio-économiques en place. En dehors de leurs impacts sur la morphologie et sur le paysage urbain, les opérations récentes de restauration ou de développement immobilier, s’accompagnent d’une forme de privatisation de l’espace public. La diversité, la superposition d’usages, qui caractérisent encore la plupart des rues de Hanoï, se perdent progressivement au profit de la monofonctionalité d’espaces extérieurs marqués par des aménagements rattachés aux nouveaux halls d’entrée plus qu’à la ville. » . **
Tandis que cette première vague d’investissement qui s’est principalement traduite par l’apport de modèles génériques, la seconde, qu’elle s’attache au désenclavement du centre ou au désengorgement du centre par le développement de nouvelles centralités, « la stratégie pour le centre renvoie nécessairement à des stratégies pour la périphérie. En cela, le centre de Hanoï est entré dans une problématique
* DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.44. ** DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.45. 21
métropolitaine, à l’échelle du territoire de la province. » . Mais si le schéma directeur de 1992 envisage l’articulation du centre et de la périphérie par un dispositif homogène par le comblement des interstices et la formation d’une seconde couronne, la réalité montre plutôt une croissance tentaculaire. Les grandes nationales qui convergent vers le centre sont, à la manière de nos chaussées, les premiers témoins de l’urbanisation. Propices au commerce, ces axes catalysent, par les flux qui les parcourent, un développement linéaire. *
Le nouveau schéma directeur engage Hanoï dans la conquête de nouveaux territoires. Et « dans un avenir proche, le Fleuve Rouge, limite fondatrice à laquelle la ville continue de tourner le dos, pourrait en devenir le centre. Plus que la densification ou “l’internationalisation“, c’est sans doute l’imminence de ce saut d’échelle qui rend la situation actuelle — et transitoire — de Hanoï aussi saisissante. (…)Un skyline émerge de la platitude du delta : c’est le chantier d’une métropole qui s’engage sur le territoire de la province. » **
Ce travail d’observation fut crucial pour Djamel Klouche et François Decoster. À l’émergence du dragon asiatique, cette première expérience leur a ouvert les yeux sur la réalité. Elle leurs a permis de voir qu’une ville différente était en train de d’émerger, qu’une autre ville était possible. Ce voyage fut fondateur dans leur manière d’aborder l’urbanisme et l’architecture. Il les a rendu soucieux des pratiques, de la petite échelle et de leur potentiel, soucieux des phénomènes imprévisibles. D’autre part, cet expérience les a rendu extrêmement critiques envers la manière dont se faisait la ville en France, envers l’urbanisme de composition qu’on leur avait enseigné : le projet urbain « à la française ».
* DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.46. ** DECOSTER F., KLOUCHE D., op. cit., p.46. 22
Urbanisation linĂŠaire, HanoĂŻ
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De l’information mutuelle de la petite et de la grande échelle : les microcentralités Ce texte, fruit de la première relation de l’AUC avec le Pavillon de l’arsenal pour l’exposition Territoires partagés, l’archipel métropolitain , *
correspond, selon Djamel Klouche, à la période où les questions et les réflexions sur la métropole naissaient. Dans cette contribution à l’ouvrage éponyme de l’exposition, Djamel Klouche fait la critique du projet urbain et aborde le potentiel des micro-centralités dans les quartiers d’habitat social. Les projets urbains concernant ces quartier sont, dit-il, guidés par deux grands principes : la banalisation de l’espace public et le retour à la forme traditionnelle de l’ilot, quand il est question de remanier la domanialité. Les politiques mises en place sont inefficaces et ont le plus souvent l’effet inverse de leurs ambitions. Alors que le contexte social, économique et géographique est à chaque fois différent, leurs applications sont systématiques, répétitives et caricaturales ; et tout projet qui commet l’hérésie de mettre en question cette pratique est mise au bûcher. Face à l’échec des politiques et à travers cette critique, l’AUC plaide pour l’exploration de nouvelles pratiques et des manières d’aborder les projets qui soient plus ouvertes, plus spécifiques ; et émet l’hypothèse de la complémentarité de la petite et de la grande échelle. L’intérêt se porte sur les micro-projets qui par une lecture attentive des espaces, de leurs usages, de leurs pratiques et des leurs potentiels de transformation, induisent un renouveau social et urbain à une échelle globale. L’idée sous-jacente est, en quelque sorte, de considérer le potentiel des pratiques comme axe de projet contextuel et dynamique. Un quartier, un morceau de ville peut changer juste parce qu’on le pratique différemment. Pour cette raison, la micro-intervention ne peut systématiquement faire * L’objectif de cette exposition, coordonnée par Jean Pierre Pranlas Descours, était de proposer au public matière à réflexion sur le devenir de la métropole parisienne. 24
l’économie d’une réflexion à une échelle plus vaste et réciproquement. Ils ajoutent que « le projet urbain doit pouvoir articuler des stratégies de projet descendantes et ascendantes : des politiques descendantes mettent en place le cadre de référence stratégique et régulateur pour un développement urbain intégré ; des politiques ascendantes se situent dans une perspectives d’écoute et de valorisation des spécificité locales » . La symbiose entre les échelles, entre les stratégies bottom-up et top-down favorise selon eux l’émergence d’attitudes d’innovation porteuse de projets-sailles ayant valeur d’expérimentation. *
Ces considérations sont guidées par un souci « singularité des devenirs afin que chaque intervention (…) puisse composer et recomposer dans l’espace et dans le temps sa trajectoire particulière. ». « Un projet doit pouvoir, simultanément, prendre en compte la très petite échelle et ses potentiels et trouver sa capacité d’innovation dans les ressort de la grande échelle en tant que vecteur de porosité, de liens et de partage d’une vaste étendue territoriale. » **
Djamel Klouche souhaitait en rédigeant ce texte éliminer l’échelle intermédiaire du champs réflexif de l’urbanisme. Car selon lui, l’échelle du quartier était devenue le prisme exclusif à travers lequel la ville était comprise, étudiée et projetée ; persuadé que les enjeux métropolitains et de l’habitat se jouent plutôt dans la relation entre la très petite échelle, l’échelle de la pratique de la vie urbaine et l’échelle des grands territoires, Djamel Klouche juge cette échelle intermédiaire impertinente car elle rend impossible la lecture des des pratiques comme celle des enjeux de la grande échelle territoriale.
* PRANLAS-DESCOURS J-P, Territoires partagés: l’archipel métropolitain, éd. Pavillon de l’Arsenal, Paris, 2002, p.251. ** PRANLAS-DESCOURS J-P, op. cit., p.251. 25
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Fondation de L’AUC à Paris Plans d’aménagements
Prospectives urbaines . . 09
Grand Paris Publication : Grand Paris Stimulé
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Bruxelles 2040 exposition « Stim métropoles millionnaires » à Bordeaux
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Bordeaux 50 000 Logements
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Moscow
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Visions métropolitaines Cette partie propose d’observer les quatre principales études prospectives de l’AUC concernant les métropoles de Paris, Bordeaux, Bruxelles et Lille. Ce type de consultation initiée par celle du Grand Paris, manifeste la volonté des pouvoirs publics de construire une nouvelle échelle de gourvernance. Chacune à leur manière a alimenter les plans d’aménagement du territoire. Par l’exposé de ces projets de vision, il s’agit de déconstruir les travaux de l’AUC pour en ressortir les concepts généraux de leur pensée.
Paris : Grand Paris Stimulé De juin 2008 à mars 2009, la consultation internationale du « Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne » aborde l’avenir métropolitain du Grand Paris à travers deux questions parallèles : celle de la Métropole du 21e siècle de l’après Kyoto et du Diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne. L’équipe de l’AUC face à l’échec avéré de la vision planificatrice, profite de la consultation internationale pour explorer d’autres méthodes de projection. L’AUC se positionne en rupture par rapport au mode traditionnel de planification qui gomme les différences et impose sa vision. Il s’agit pour eux de profiter de la nouvelle échelle du projet métropolitain pour remettre en question la méthodologie et le projet. Cela n’avait aucun sens pour eux d’aborder la complexité de la métropole avec des outils ancestraux. Jugeant la vision planimétrique inapte à représenter la métropole, l’AUC est la seule équipe lauréate de la consultation à n’avoir présenté aucun plan de la métropole parisienne. Leur travail s’est formalisé en une sorte de diptyque mettant en regard les deux chantiers de la consultation, la Métropole du 21e siècle de l’après Kyoto et le Diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne. Les deux volets sont présentés en miroir et suivent le même développement séquentiel : matrice - thèmes - situations.
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Les matrices ne sont ni objectives, ni exhaustives ; elles constituent pour chaque chantier le portrait ouvert et subjectif, une carte des identités de la métropole parisienne et de la métropole post-Kyoto. Pour la Métropole du 21e siècle de l’après Kyoto, la matrice porte un regard sur dix-neuf métropoles dans le monde, relativement contrastées. Elle présente, selon l’AUC, la condition spécifique de chacune de ces métropoles. L’objet ici n’est pas la comparaison mais l’addition de leur condition métropolitaine, de leur climat métropolitain. Chacune de ces villes raconte à se façon quelque chose de précis et de différent sur la métropole, et la matrice, de manière générale, en reconstitue les attributs. Pour en citer quelques exemples, Munich inspire l’équipe pour sa croissance raisonnée et sa politique de renouvellement urbain. Entre 1955 et 1997, la tache urbaine de la ville est restée presque identique alors que dans cette même période sa population a doublé. Pour le cas de Tokyo, il s’agit de l’hybridité : des gratte-ciels côtoient de petits immeubles ; des moments d’extrême effervescence, notamment à la gare de Shibuya, sont à un jet de pierre de quartiers résidentiels. À Houston, c’est l’absence de plan directeur ; l’urbanisation est guidée pare par les lois du marché. À Singapour, c’est l’ajustement annuel du plan directeur. De la même manière, la matrice du Diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne, raconte à travers dix-huit territoires et une panoplie de microhistoires métropolitaines, la diversité et la richesse de l’identité plurielle du Grand Paris. On y retrouve les Halles, la Gare de l’Ouest, l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, le 13e arrondissement, Bobigny et d’autres endroits plus ou moins perdus comme Le BlancMesnil, Gif-Sur-Yvette ou encore Fosses. Là encore, malgré leurs différences et leurs paradoxes, ces éclats métropolitains montrent que c’est ensemble et en même temps qu’ils constituent la métropole parisienne.
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extrait de la matrice M21AK
extrait de la matrice DPAP
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extrait des situations DPAP et M21AK
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Les thèmes qui découlent des deux matrices, sont le fruit de leur décontextualisation et dégagent les notions qui selon l’AUC, permettent de penser et de construire la métropole. Ils sont au nombre de quatorze pour la Métropole du 21e siècle de l’après Kyoto : Hybride | Planification | État diffus |Mobilité individuelle | Transport – Lieu | Flux | Exclusion | Polycentrisme ou Multipolarité | Recyclage | Ressources | Aménité | Transculturalisme | Démocratie | Climat ; et sept pour le Diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne : Stimulation des substances urbaines | Du régime spatial de l’espacement au régime de l’agglomération | La métropole héritée : grands ensembles, état diffus, espaces parisiens de la compacité | Lieux de l’insulation à très haute valeur ajoutée | Collecteurs métropolitains | Pérégrinations, les songlines franciliennes | Les géographies comme aménité. Les situations sont des microhistoires inventées, entre le réel et l’imaginaire, qui raconte la métropole et la variété des choix de vie qu’elle permet simultanément. Elles sont des actes de projets acontextuels mais possibles, des modes opératoires, des fragments d’une fiction presque réelle qui parlent à la petite échelle d’un climat métropolitain à venir.
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Bordeaux : Métropole Millionnaire Habitante Si pour la consultation du Grand Paris, les questions de base étaient aussi ouvertes que floues (et l’objet de la commande était la vision métropolitaine), à Bordeaux le point d’entrée au projet métropolitain était précis et l’objectif tout aussi concret. De la vision métropolitaine il fallait arriver à des situations précises, des actes de projets opérationnels. La question du projet métropolitain était en quelque sorte prise à rebours ; les équipes devaient aborder la question du logement et disposaient de la métropole pour y répondre. D’une certaine manière, l’hypothèse de la commande rejoignait la méthodologie et les préoccupations de l’AUC ; l’échelle intermédiaire est éradiquée et le projet est dès lors entendu dans le jeu de la petite et de la grande échelle. Pour illustrer son propos, l’AUC utilise une métaphore empruntée aux mathématiques : l’équation métropolitaine. À défaut d’être soluble, cette équation s’attache essentiellement à identifier dans le territoire bordelais, les faits urbains indicateurs de la condition métropolitaine. Les sept paramètres qui la composent sont d’après l’AUC, les territoires dont les dynamiques sont communes à « toutes les métropoles (européennes) d’envergures » . Ils représentent les éléments qui manifestent la métropole, des marqueurs métropolitains potentiels et de ce fait, sont les principaux vecteurs de son développement. C’est ici que la relation de l’équation métropolitaine avec le monde des mathématiques n’est plus seulement métaphorique mais bien réelle ; car si chaque territoire de l’équation a sa logique intrinsèque, il entretient dans le même temps, une relation métabolique avec la ville. « En agissant sur leurs paramètres et variables, toutes les données de l’équation changent et déterminent automatiquement des modifications dans le résultat final » . *
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* p14 du livret de la 1e phase de 50000 logements
**p14 du livret de la 1e phase de 50000 logements 34
Substance
La boucle
Jalles coteaux
Campus
Airport city
Gare TGV
Garonne vis-à-vis
Équation métropolitaine de Bordeaux
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Loin d’être une définition exhaustive ni même suffisante de la métropole, l’équation métropolitaine constitue surtout les leviers de développement de la métropole. « La mise en tension de ces 7 territoires, qui ne sont évidemment pas exclusifs d’autres territoires, dessine la condition minimum pour mettre en dynamique la métropole bordelaise. » Ces territoires sont la Substance, la Boucle, Jalles coteaux, Campus, Airport City, Gare TGV et Garonne vis-à-vis » *
La Substance interroge la capacité du tissu pavillonnaire à entrer dans la dynamique métropolitaine. La Boucle, concerne le réseau de mobilité ferrée circulaire que Bordeaux a abandonné. Le territoire des Jalles coteaux, bien que spécifique à Bordeaux, traite de manière générale la question des lisières naturelles et de la relation du pavillonnaire avec le paysage. Campus questionne la relation de l’enseignement avec la ville. Airport City explore le potentiel des aéroports à générer de l’urbanité et aborde la question des entrées de villes. Gare TGV aborde le statut le sens des grandes gares dans la ville mais plus spécifiquement initie la réflexion sur le projet de la nouvelle ligne à grande vitesse qui relierait Bordeaux à l’Espagne. Face à la patrimonialisation de la rive gauche, Garonne vis-à-vis parle spécifiquement du devenir de la rive droite mais globalement, du patrimoine et du développement. De ces territoires et de leurs chevauchements, l’AUC dégage des thèmes comme le Strip renouvelé, l’Hybridation, Architecture et infrastructure, la Stimulation, Logement en Masse,… et à chacune de ces problématiques correspondent des stratégies de mise en oeuvre qui se matérialisent dans des situations possibles mais décontextualisées. Toutes ensembles, les situations constituent une boîte à outils, une espèce de catalogue prospectif de la métropole bordelaise.
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Vision
Situations
Parallèlement, l’AUC préconise deux attitudes pour construire la métropole. D’un côté des actes millionnaires, c’est-à-dire de grandes opérations, des gestes forts propices à construire l’identité de la métropole et en parallèle, de nombreuses actions homéopathiques qui ancreront à l’échelle locale, l’échelle de la pratique, la condition métropolitaine sur tout le territoire de la CUB. Selon l’équipe, la culture métropolitaine ne peut se construire sans les citoyens. Elle propose donc que le « P » de la Population se rajoute aux trois « P » des traditionnels Partenariats Public Privé et que la métropole se négocie dans un Partenariat Public Privé Population.
Stratégies
Showroom
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Bruxelles : Petite Métropole Mondiale Le travail mené par les bureaux 51N4E , BBS et l’AUC, part du postulat que la métropole bruxelloise souffre d’un déficit d’identité pourtant nécessaire à la construction de la métropole et de sa culture. L’équipe propose donc de *
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définir Bruxelles à travers ce qu’elle est, c’est-à-dire une petite métropole dans la méga-région de l’Eurodelta et une métropole mondiale par la densité de sa diversité culturelle. Cette double condition implique deux objectifs apparemment contradictoires. D’une part, un objectif de desserrement vise à positionner stratégiquement Bruxelles dans le réseau urbanisé de l’Eurodelta par l’amplification de la coopération, de la compétition et de la connexion avec les métropoles voisines. Et d’autre part, un objectif de recentrement s’attache par des actions plus proches des habitants à renforcer l’attractivité de Bruxelles par rapport à son espace métropolitain tout en cultivant les relations qu’elle entretient avec la ville diffuse. Cette double condition illustrée par le slogan « 100% mondial, 100% bruxellois », implique des réflexions et des actions à la petite comme à la grande échelle. Elle ne doit pas selon eux être lue comme des mouvements antagonistes, mais plutôt comme un processus d’enrichissement mutuel ; l’idée est d’articuler en chaque lieu de la métropole les ambitions du local et du global. Entre ces deux échelles stratégiques, la schizophrénie de Bruxelles, petite métropole mondiale, « ne doit pas être considérée comme un choix tragique ou comme une tension insoluble, mais comme le jeu multivoque, polyphonique, de choix parallèles, quelques fois antagonistes, qui ne vous laisse d’autre choix que celui de la recherche incessante d’une prospective du présent. Bruxelles, petite métropole mondiale pourrait constituer la prospective du présent urbain et métropolitain européen : une métropole mondiale européenne à venir où le global serait un flux qui circule dans les situations locales, et non une enveloppe surdéterminante qui transcende tout choix de société. » ***
* 51N4E est un bureau d’architecture fondé en 1998 par Johan Anrys, Freek Persyn et Peter Swinnen. ** BBS est un bureau de paysagisme fondé en 2007 par Bas Smets. *** 51N4E, l’AUC, Bureau Bas Smets, Mint, Transolar, Chôros, Urban solution : Bruxelles 2040, petite métropole, métropole mondiale, 10/2010, p.11. 38
Pour construire sa vision, le groupe articule sa réflexion autour de trois thèmes, trois stratégies d’intervention : la mobilité, l’espace public et le paysage. Sorte de consensus sans concession, chaque bureau développera de manière autonome mais complémentaire une thématique particulière.
rt urbain
tisation des
Enhanced Urban Movement, 51N4E tru ture paysagère: un paysage d a luents
Géographie Métropolitaine, BBS
Iconographic Urban Fabric, l’AUC
À travers le projet de mobilité Enhanced Urban Movement, 51N4E propose le recyclage, la réorganisation et la combinaison des réseaux de bus, trams, métros et trains. Le réseau de mobilité s’organise en quatre couches : les transports internationaux, inter-métropolitains, régionaux et les deux boucles qui constituent une nouvelle échelle de mobilité liant les transports inter-métropolitains et régionaux. En ce qui concerne la stratégie paysagère, Géographie Métropolitaine, BBS remarque que la grande majorité des espaces sont directement en lien avec les affluents de la Senne. Il propose dans cette optique, un paysage d’affluents, huit systèmes de parcs qui permettraient de répondre à la problématique des inondations. La métropole renoue des liens avec la géographie ; le paysage devient le socle de la métropole et une infrastructure. Enfin, dans Iconographic Urban Fabric, l’AUC aborde l’espace public dans sa relation avec le plein. Il nous dresse un inventaire des espaces publics de la métropole bruxelloise, grâce auquel il définit huit conditions d’intensité de l’espace public métropolitain. Ces conditions d’intensité permettent, par leur superposition, d’évaluer le potentiel d’attractivité et d’intensification du tissu urbain public. 39
À ce titre, l’AUC propose de stimuler la substance urbaine par le renforcement de la structure publique existante et la création de nouveaux espaces publics profitant des dents creuses, des friches et des bâtiments inoccupés. L’idée est de faire apparaître une structure des espaces communs capable de manifester la condition métropolitaine. Cette structure des espaces communs n’est pas ici entendue de manière monologique mais dans son dialogue avec l’architecture. Pour ce faire il identifie trois faits métropolitains publics correspondant à trois stratégies de mise en œuvre : les Commodités urbaines, les Megaforms et les Hybrid City Parts.
3 Faits Métropo
3 stratégies de m
La stratégie des Commodités urbaines s’attache au renforcement de l’espace public de proximité afin de le rendre plus riche et plus attrayant. Les Megaforms se basent sur le renforcement et la création d’espaces publics de grande dimension ayant un pouvoir attractif et signifiant à l’échelle de la métropole. La mobilisation de ces espaces repose sur le réseau de mobilité. La dernière stratégie, Hybrid City Parts, s’intéresse aux zones mono-fonctionnelles. Qu’il s’agisse de quartiers de bureaux, de campus ou de zones industrielles, ces parties de villes déjà bien connectées ont toutes, le potentiel de s’intégrer plus intimement dans la vie métropolitaine ; il sera donc question d’injecter de nouvelles fonctions dans ces morceaux de ville. Enfin, les trois instruments thématiques vont se recouper dans des projets d’alliances à travers quatre cas d’études pour en démontrer leur potentiel à stimuler le territoire. Ils n’ont pas vocation à dessiner des projets finis mais à illustrer la complémentarité, la richesse de la stratification ou plutôt des collisions et des frictions des ces trois visions. Par son approche très contextuelle et le recyclage des structures existantes, l’équipe démontre le caractère opérationnel de leur démarche et l’imminence du chantier de la métropole, face au potentiel déjà en place.
Mega orms 40
Mégaforms
Par le titre projets d’alliances, les urbanistes insistent sur la nécessité de créer une nouvelle échelle de gouvernance, une entité intergouvernementale, capable de répondre aux ambitions de la métropole.
olitains PublicsPublics
mise n oeuvre en oeuvre
Commodités urbaines
Commodités Commodités Commodités
Hybrid City Parts
Hybrid City Parts Hybrid City Hybrid Parts City Parts 41
Lille : Lille métropole hybride À l’instar de leur proposition pour Bruxelles 2040, l’équipe s’attache à ancrer la métropole lilloise dans la méga-région de l’Eurodelta en évoquant sa position favorable par rapport au réseau de mobilité et la nécessité pour la métropole lilloise de se positionner stratégiquement dans ce territoire urbanisé. Parallèlement, l’AUC replace Lille dans la paysage de vingt-sept autres métropoles millionnaires européennes et émet l’hypothèse que « la métropole millionnaire (de plus d’un million d’habitants) serait à même d’additionner les qualités de la grande métropole et celles de la ville moyenne. » , d’où le slogan « 100% métropolitain, 100% délicat ». Cette condition particulière implique d’aborder le projet métropolitain dans la relation de deux échelles distinctes. D’une part, la grande échelle de la métropole ouverte sur l’Eurodelta et d’autre part, la petite échelle plus soucieuse des pratiques locales. Enfin, l’AUC interroge les échelles de Lille ; il postule la nécessité de mobiliser tout le territoire pour construire l’identité et la culture métropolitaine ; « malgré la diversité des traductions locales tous les quartiers, toutes les communes de l’arrondissement doivent partager une même condition métropolitaine » . *
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Par la suite, l’équipe développe une stratégie à en trois temps : Vision - Actions - Ajustement. La première temporalité de cette stratégie, la vision, fixe les objectifs à long terme. Elles s’attache à répondre aux principaux défis de la métropole : attractivité, économie, mobilité, écologie, … Dans un second temps, à travers les actions, le groupe élabore une stratégie à court terme dont le but est de stimuler l’espace métropolitain. Elle définit pour cela cinq thèmes - l’enseignement, l’innovation, la culture, la mobilité et l’agriculture - auxquels répondent des axes de projets. L’AUC développe alors pour chacun * L’AUC, Bureau Bas Smets, Frédéric Gilli, Franck Boutté Consultants : Lille Métropole 2030, 12/2011, p.9 ** L’AUC, Bureau Bas Smets, Frédéric Gilli, Franck Boutté Consultants, op. cit., p.12. 42
de ces thèmes, une sÊrie de micro-projets, des situations abstraites Êvoquant des principes opÊratoires mais dont l’Êquipe situe leurs applications sur le territoire.
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Non-Plan
Plan Vision
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Ensuite, l’AUC procède à la superposition des cinq missions thématiques, ce qui donne le Non-Plan. « Non-Plan parce que ce que nous proposons n’est pas un plan pour la Métropole lilloise à l’horizon 2030 mais un processus de fabrication métropolitaine, qui serait à la charnière de la planification (…) et de l’urbanisme de projets. » . Le Non-Plan est une approche bottomup qui intègre l’ensemble des micro-interventions dans le grand chantier métropolitain. Sur cette base, l’AUC et BBS développent trois situations test qui mettent en synergie les différentes couches thématiques du Non-Plan. Ils élaborent ensuite le Plan Vision, une description conceptuelle mais contextualisée de la métropole à venir, qui, nourri des enseignements des projets test, présage le potentiel des micro-actions du Non Plan. Le Plan Vision est une stratégie top-down dont l’objectif à long terme est de catalyser des projets d’envergure à l’échelle de la métropole et en rapport avec les ambitions définies dans la Vision. *
Dans le dernier volet de la stratégie, Ajustement, l’AUC s’intéresse au processus de construction du projet métropolitain. L’équipe propose un ajustement presque en temps réel du projet ainsi qu’une interaction directe avec la population à travers une exposition permanente.
* L’AUC, Bureau Bas Smets, Frédéric Gilli, Franck Boutté Consultants, op. cit., p.29. 45
Concepts Clés Afin de mieux cerner la pensée de l’AUC, il est essentiel de mettre en relief les concepts sous-jacents de leur démarche. Au nombre de neufs, ils sont : le Recyclage et la Transformation ; la Matrice ; la Situation ; la Double condition ; l’Interdépendance de la petite et de la grande échelle ; l’Équation métropolitaine ; Du public au commun ; le Non-Plan et le Plan Vision ; la Stimulation ; la Climatologie métropolitaine.
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Recyclage et Transformation. L’AUC propose de recycler les structures existantes, qu’il s’agisse d’une zone pavillonnaire, d’un grand ensemble ou des espaces de la ville dense. Il s’agit non seulement, d’une posture critique envers l’écologie du « passif » et des « éco-quartier » que le bureau perçoit comme un nouvel hygiénisme, mais aussi d’une attitude de respect de la mémoire du lieu. Matrice. La matrice est un tableau qui représente des traits de caractère d’une métropole en particulier ou de la métropole en général. C’est un portrait subjectif, ouvert et non exhaustif des spécificités métropolitaines et constitue la matière première de la réflexion. Situation. La situation est une microhistoire métropolitaine décontextualisée mais tirée du réel. Elle décrit d’une part, une ambiance, un microclimat du climat métropolitain partagé et de l’autre, des modes d’action et de pensée pour la construction de la métropole.
Double condition. La double condition est un caractère spécifique des métropoles moyennes. Cette notion suppose que ces métropoles peuvent prétendre aux qualités et ambitions des grandes métropoles tout en préservant les qualités et le confort des villes moyennes. Interdépendance de la petite et de la grande échelle. Le postulat de ce concept est que les enjeux métropolitains résident dans le dialogue constant de la grande et de la petite échelle. Cette notion d’interdépendance prône plutôt que leur opposition, la réconciliation des ambitions du local et du global, du bottom-up et du top-down. En d’autres termes, les projets à grande échelle doivent trouver leur salut dans l’enrichissement des pratiques locales, et inversement, les micro-interventions dans leur externalité positive à une échelle plus vaste. L’objectif implicite de cette notion, est d’évacuer l’échelle intermédiaire du quartier qui selon l’AUC, rend aveugle à la lecture des pratiques sociales et des phénomènes métropolitains. Équation métropolitaine. L’équation métropolitaine identifie les éléments qui véhiculent des
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problématiques communes à toutes les métropoles européennes. Ces éléments sont les indicateurs qui manifestent la condition métropolitaine à venir et sont par conséquent, les principaux vecteurs de son développement. Il s’agit des campus, des aéroports, du tissu pavillonnaire, des gares, des réseaux de mobilité circulaire, des lisières naturelles, du patrimoine et du développement
Stimulation.
Du public au commun.
Climatologie métropolitaine.
Par l’étude des relations entre les espaces publics et privés, ce concept envisage l’espace vécu au delà du clivage publicprivé. À travers la notion de commun, il entend surpasser cette dichotomie et faire coïncider les intérêts publics avec ceux du privé. L’espace public ou commun, est pour l’AUC un vecteur de développement de la métropole.
Si de fait la métropole existe, sa nature paradoxale, hétérogène, presque virtuelle rend son identité difficile à cerner. Le recours à la métaphore de la climatologie présente l’avantage de rendre compte de la condition métropolitaine partagée sans pour autant faire l’impasse sur le détail des singularités de la métropole. La notion de climatologie métropolitaine révèle autant le climat métropolitain général que l’infinité des microclimats qui composent la métropole. Qu’il s’agisse de l’influence du climat sur le microclimat ou du microclimat sur le climat, le concept montre le potentiel de l’interdépendance entre le micro et le macro dans le projet métropolitain. Dans sa capacité à intégrer toutes les particularités de la métropole comme sa condition commune, la climatologie métropolitaine est une notion qui sous-tend celle de l’identité métropolitaine.
Non-Plan | Plan Vision. Le Non-Plan est une approche bottom-up, qui fait participer les actions locales dans le processus du projet métropolitain. Le Plan Vision est une approche top-down dont l’objectif à long terme, est de faire surgir des projets d’envergure à l’échelle de la métropole sans toutefois exclure les micro-projets du Non-Plan. Les deux stratégies sont indissociables et sujettes à des ajustements constants.
La stimulation tend à renforcer l’activité d’un fragment métropolitain inerte. Elle procède par superposition, confrontation, hybridation et assemblage anormal de programmes de nature différente. C’est une stratégie qui ouvre la voie à l’expérimentation d’une nouvelle urbanité et aux mutations sociétales.
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Halmag, logotype
3.Halmag Halmag est une création de l’AUC, une ville imaginaire créée à partir de sept autres villes européennes bien réelles. Elle voit le jour en 2010 dans le cadre de la biennale d’architecture, d’urbanisme et de design de Bordeaux; Agora.
Depuis son inauguration en 2004, Agora met à l’honneur les dynamiques urbaines et architecturales. Sa vocation est d’échanger au travers d’expositions et de débats, les réflexions sur les enjeux urbains avec les architectes, les urbanistes, les entrepreneurs et les habitants. La force d’Agora réside dans la pertinence des thématiques qu’elle aborde. En 2006, Agora mettait l’accent sur la réalité de la ville diffuse. Pour l’édition de 2008, la biennale abordait la question de l’urbanisme écologique et en 2010, se préoccupait de l’échelle métropolitaine. À chaque fois, les sujets abordés ont devancé les problématiques auxquelles Bordeaux et sa périphérie allaient être confrontées. Agora constitue en quelque sorte, un palier d’acclimatation aux nouvelles questions urbaines, un forum urbain qui permet aux habitants d’apprivoiser les futures mutations de la ville. Dans le cadre de l’exposition Agora 2010, l’édition qui concerne Halmag, le thème abordé est celui de la métropole du million d’habitants. Faisant face à une croissance démographique considérable et voyant le seuil psychologique du million d’habitants s’approcher à grands pas, la ville de Bordeaux désigne Djamel Klouche au poste de commissaire général de l’exposition.
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Stim-Métroples Millionnaires L’exposition Stim-Métropole s’articule de manière linéaire, dans une succession de cinq chambres thématiques. L’enchainement de ces séquences expriment le fil de la réflexion de Djamel Klouche dont Halmag est la conclusion. Dans l’exposition, il n’est jamais directement fait référence à Bordeaux. La ville hôte n’est pas le protagoniste de cette mise en scène, mais le spectateur ou tout au plus, le figurant d’une réflexion plus générale sur la métropole millionnaire.
Agora #4 / Exposition
Axonométrie de l’espace d’exposition, Agora Bordeaux 2010
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séquence n°1 : Métropoles & Villes moyennes Cette première séquence est composée de deux salles. L’une expose des vieux plans et des photographies de villes moyennes toutes européennes et l’autre la seconde présente les situations du Grand Paris réalisées en 2009 par l’AUC. Par ces situations, l’AUC souhaitait démontrer que la grande métropole ne pouvait se représenter au moyen d’un plan urbanistique, mais plutôt par une multitude de situations. L’objet de ces deux salles est de poser l’hypothèse de l’identité millionnaire : la double condition. L’échelle ambiguë de ville millionnaire lui permettrait d’additionner les qualités de la ville moyenne et de prétendre en même temps aux qualités de la grande métropole. Selon Klouche, cette condition schizophrène via les situations permettrait à la collectivité de mieux se représenter le territoire métropolitain.
Villes moyennes / Métropoles
Métropoles et villes moyennes, Agora Bordeaux 2010
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Séquence n°2 : Tâches Urbaines Dans la seconde séquence, l’AUC présente les tâches urbaines de vingt-sept villes européennes entre 700.000 et 1.300.000 habitants. Au dos de ces tâches, sont déclinées une série de données qui caractérisent ces villes, telles que le nombre d’habitants, la superficie, etc … Certaines de ces villes, comme Prague, Copenhague, Stockholm, Helsinki, Belgrade ou Amsterdam sont des capitales. D’autres, comme Zurich et Anvers sont des capitales économiques et d’autres encore, comme Palerme ou Newcastle sont des villes secondaires. Selon Klouche, cette liste est sensée exprimer une diversité. Mais la pertinence de ces tâches urbaines dans le propos de Djamel Klouche est contre productive par rapport à l’objectif escompté. Ces tâches urbaines sont une expression vulgaire de ce qu’est réellement la ville. La qualité de la métropole ne se représente pas par de grands aplats mais plutôt à la manière dont s’évalue la qualité d’une feuille de papier, par son grain et son épaisseur. En fin de compte, ces tâches sont à la fois toutes différentes par leur formes, mais toutes identiques dans leur substance. Ce modeTaches de représentation urbaines graphique a, pour ainsi dire, les défauts de ses qualités. Si l’intention était de célébrer la diversité de ces 27 métropoles, il en résulte une expression lisse et englobante, un désaccord entre le propos et le mode de représentation.
Tâches Urbaines, Agora Bordeaux 2010
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Séquence n°3 : Little Big City Grâce aux travaux du géographe Jacques Levy , dans la troisième séquence de l’exposition, est abordée la question de l’urbanité. Dans cette séquence, l’accent est mis sur la dimension spatiale du social, les *
relations entre espace et politique, espace et économie, les villes et la mondialisation. Il est question, dans ce qui est exposé, des modèles urbains, de la mobilité, de la « micro-géographie » des espaces publics ou encore de la mesure de la mondialisation dans les aires métropolitaines. Ces travaux relèvent aussi bien de la sociologie, l’anthropologie, l’architecture que de la géographie politique, sociale et humaine. Il s’agit en fait d’élargir le champ sémantique de la condition métropolitaine. Le nombre d’habitants n’est pas le seul dénominateur des métropoles. D’autres facteurs tels que la densité, la connectivité, l’histoire, la culture, l’économie, la politique ou encore l’attractivité entrent en compte.
* Jacques Levy (1952, Paris), est géogrpahe, spécialiste de géographie politique et professeur. 55
séquence n°4 : Les Grands Dessins Des vingt-sept villes initiales, la quatrième salle en présente sept sous forme de grands dessins. Chacune de ces illustrations montre les particularités qui font de ces sept métropoles millionnaires, des villes exemplaires. Ce ne sont pas des représentations classiques de villes. Les informations ont été filtrées pour ne laisser paraître que les caractéristiques exemplaires selon l’AUC, de ces métropoles millionnaires. Imprimés sur un format entre 7 et 10 mètres de long, les dessins évitent la lecture hégémonique du plan. Le visiteur se promène littéralement dans le plan. Le jeu de la dualité du plan large avec le plan de détail permet au visiteur d’être en prise avec la complexité de la ville.
Valence – Grand geste Le détournement de la Turia a permis à Valence de devenir, à travers un acte de planification de grande envergure, une métropole millionnaire à l’échelle de l’Europe. Cette action a aussi transformé l’ancien lit de la rivière en territoire d’action, qui génère à travers le temps une réelle dynamique urbaine entre la ville historique et le port. La déviation du fleuve engendre une vraie stratégie urbanistique et une cohérence globale de la ville. Liverpool – Culture Liverpool fait preuve d’une réelle écologie du collectif, cette ville a toujours su se sortir des crises grâce notamment à la solidarité exemplaire dont fait preuve sa population. L’échelle du million permettrait donc de générer, dû au grand nombre, ce genre d’intensités, à travers des interventions culturelles ponctuelles.
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Grand dessin de Valence, Agora Bordeaux 2010
Grand dessin de Liverpool, Agora Bordeaux 2010
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Grand dessin de Zurich, Agora Bordeaux 2010
Grand dessin de Copenhague, Agora Bordeaux 2010
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Zurich - Globalisation La thématique traitée ici est celle de la métropole sous la ville moyenne. Zurich donne cette image de ville charmante, de parcs, d’hôtels et de petites maisons individuelles, derrière laquelle se cache des choses beaucoup plus structurantes qui la rendent globale. C’est en quelque sorte une ville centrale à l’échelle mondiale et une ville calme et diffuse à l’échelle régionale. Copenhague - Durabilité Considérée comme la ville éco-responsable par excellence, il s’agit ici de comprendre d’où vient cette sensation d’écologie immédiate. Deux faits remarquables sont mis en avant. D’une part, la construction du pont d’Oresund reliant Copenhague à Malmö en Suède et d’autre part, le réseau de pistes cyclables considéré comme le plus dense au monde. Le grand geste infrastructurel a totalement redéfinit le territoire de la ville et permis à celle-ci d’inscrire ses projets dans une vision métropolitaine binationale : Malmö avec le port maritime et Copenhague avec l’aéroport. C’est l’alliance d’une culture écourbaine à de puissants actes stratégiques qui est à l’origine du fait métropolitain.
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Belgrade - Rupture Dans le cas de Belgrade, il est surtout question du potentiel de réinvention des rapports intra-urbains. La ville a en effet connu de nombreux chocs historiques accompagnés de leur expression urbaine. Mais Belgrade a toujours su se relever, et tirer parti des périodes de transition pour sans cesse générer de nouvelles manières d’habiter la métropole. Rotterdam – Dualité À Rotterdam, l’intérêt est porté sur la cohabitation entre l’infrastructure portuaire et la ville. Seuls sont représentés sur la carte les morceaux de ville en contact avec le port. La confrontation permanente du port avec la ville, de l’économie avec l’urbain, engendre une posture « schizophrène » qui génère une réelle dynamique urbaine. Riga – Identité Le dessin de Riga concerne le brassage ethnique et culturel dont la ville est le réceptacle. Pour représenter la richesse culturelle de la ville et les relations de Riga avec sa géographie, l’illustration couvre une très grande échelle territoriale. C’est à travers la représentation des voies marchandes et migratoires que l’identité plurielle de Riga est rendue manifeste. L’échelle territoriale se confronte à l’échelle de l’individu et des communautés. Cette identité polyphonique propre à Riga, permet à la culture métropolitaine d’intégrer des dimensions temporelles et géographiques plus larges que celles des autres métropoles.
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Grand dessin de Belgrade, Agora Bordeaux 2010
Grand dessin de Rotterdam, Agora Bordeaux 2010
Grand dessin de Riga, Agora Bordeaux 2010
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séquence n°5 : HALMAG
ville diffuse/ville centrale
Aéroport
ville/port culture urbain
Culture / Urbain
aéroport
DURABILITÉ CRISE
MAQUETTES
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Ville / Port
ville diffuse
PLANIFICATION DUALITÉ
travers sept maquettes interactives flanquées d’un récit. Présentant chacune une situation de Halmag, les maquettes sont issues de l’hybridation des sept villes exposées dans la salle antérieure avec des projets manifestes de la condition métropolitaine, les «inputs». Les «inputs» seront donc greffés aux caractéristiques des sept villes exemplaires pour engendrer Halmag.
GLOBALISATION
La dernière salle présente l’allégorie d’une ville imaginaire, Halmag. Halmag est racontée à
INPUT
VILLES
Principe de composition de Halmag
Voici le récit de Halmag extrait de la brochure de Stim-Métropole Millionnaire : « Halmag, une ville-métropole millionnaire s’étend entre pelouses vertes, buttes ensoleillées et montagnes densément arborées. Elle est devenue en l’espace de quelques années une destination très attractive et ceci pour diverses raisons. Elle est surtout sortie de l’ombre en quelque sorte, débarrassée de toute impression de déclin ou de marginalisation. Et pourtant, il y a à peine vingt ans, Halmag semblait être très mal partie. Elle était en train de perdre progressivement des habitants et de l’importance au profit de la grande métropole d’un côté et de la constellation des petites villes de la région de l’autre. Le chômage montait, les prix du foncier chutaient, ses industries d’excellence se transformaient en friches, dans ses banlieues l’espace hurlait, et ses jeunes cerveaux fuyaient de plus en plus loin. Elle semblait être à l’époque plongée dans une spirale noire, souffrant, comme d’autres petites grandes villes, d’une pathologie métropolitaine dans laquelle une crise succède à une autre et le ciel reste toujours gris. Mais Halmag a su, pour la énième fois de son histoire, renverser la tendance, à moins que l’histoire ne se renversait d’elle même. Longtemps hésitante entre une attitude métropolitaine et celle d’une ville moyenne, elle a finalement choisi de ne pas choisir. Elle continue à aspirer à ces deux univers opposés tout en rejetant les deux à la fois. On pourrait douter de la durabilité de cette situation et de ces choix, mais pour l’instant elle a réussi à stabiliser sa situation. Halmag compte aujourd’hui 900 000 habitants. Ses situations quotidiennes sont de plus en plus riches mais reposent sur des équilibres précaires d’une grande complexité. Ses contradictions révèlent chaque jour des nouvelles possibilités urbaines. Son port reste son principal atout économique malgré les mutations importantes des dernières décennies. Elle possède aussi un aéroport qui double sa fréquentation tous les cinq ans, un réseau de tramway récent mais en cours de saturation et un réseau de bus. Une large rivière coupe Halmag en deux parties de taille égale mais de valeur opposée. Au nord, le port industriel absorbe des containers, libère des énergies économiques considérables et des flux terrestres multidirectionnels. La ville qui s’étale derrière le port ressemble à un grand plan noir perforé. Il est très difficile de lire les limites entre le port et la ville. En essayant de fixer du regard les formes portuaires, elles semblent se dissoudre et se mélanger avec la ville qui les entoure. Les logiques et
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mouvements urbains dans les quartiers résidentiels derrière le port sont contaminés par une logique d’efficacité, contribuant ainsi à une dissolution des limites. La rive sud est une autre histoire, et il semble qu’il en a toujours été ainsi à Halmag. Les vapeurs de la rivière s’y propagent en petites vagues successives, diffuses, formant micro économies, micro crédits, micro carrefours. Une matière urbaine continue s’étend horizontalement de la rive vers l’infini. D’innombrables intersections rendent cette continuité poreuse, continuellement renouvelable. La rivière dissymétrique est une coupure et une source de vie à la fois. Le vis-à-vis violent entre ces deux réalités pourrait laisser croire qu’il s’agit ici de deux villes différentes. En réalité, les deux rives sont pareilles tout en étant le contraire l’une de l’autre. Les deux rives développent depuis longtemps une interdépendance cordiale. Dans les deux rives, plus on se rapproche du fleuve, plus les échanges s’intensifient, et plus le sentiment que tout est possible domine. Au lieu de parler de deux villes, on pourrait raconter une ville-fleuve : libertaire, échangiste et multiculturelle traversant une deuxième ville, plus neutre, paraissant presque fade. Halmag a un passé riche, souvent chargé, parfois compliqué. À Halmag, des fragments de l’histoire vivent parmi les habitants. Ces fragments sont parfois visibles, mais plus souvent ils ne le sont pas. Ce sont des choses qui se sont passées à Halmag, mais aussi ailleurs. Halmag n’a pas véritablement d’histoire propre mais une histoire par personne. Ces fragments ne sont ni compatibles ni hostiles les uns aux autres, ils sont juste là, au même moment, partageant le même espace. Il y a des zones dans Halmag qui sont particulièrement propices non seulement à absorber ces images individuelles, mais à fonctionner comme des surfaces abstraites de projection. Les rapports entre la maison et la métropole s’y inversent. La métropole devient un miroir de la maison, une extension géographique des intérieurs, une projection des mémoires, des rêves, des peurs. La métropole y génère aussi ses propres images mentales, indépendamment de la maison. La maison, quant à elle, fonctionne selon des logiques urbaines. Elle est une enfilade de pièces à usage unique, une série d’espaces servants, sans pièce noble. Ailleurs, les ruptures historiques de Halmag sont beaucoup plus visibles. Là où l’état a planifié et construit il y a une cinquantaine d’années l’extension de Halmag (appelée à l’époque le Nouveau Halmag) est l’exemple le plus frappant du
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Maquette Halmag, Agora Bordeaux 2010
ville/port
Maquette Halmag, Agora Bordeaux 2010
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Maquette Halmag, Agora Bordeaux 2010
Maquette Halmag, Agora Bordeaux 2010
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télescopage, souvent brutal, entre les différentes strates qui font la ville aujourd’hui. Cet espace, encore un champ vide il y a un demi-siècle, est aujourd’hui un concentré de complexités et de contradictions urbaines dont personne ne peut mesurer le potentiel définitif. Les grandes barres (dites ‘les voiles’) ont été les premières à voir le jour, peu de temps avant l’arrivée de la voie rapide. À cette époque elles semblaient plus fines, sans doute grâce à la grande fluidité de circulation. Cependant, cette sensation de nouveau monde n’a pas duré longtemps. L’état s’est littéralement décomposé peu de temps après, sa crise anticipant celle de Halmag, et surtout du déjà-vieux Nouveau Halmag. L’urbanisation spontanée et informe qui a suivi, a mis longtemps pour démarrer, mais une fois partie, elle a réussi à couvrir un immense territoire en relativement peu de temps. La municipalité essayant un temps d’arrêter l’hémorragie, a fini par céder, voire encourager, cette nouvelle ère. Ainsi, des centaines de constructions champignons sont apparues dans les interstices, transformant ce morceau de modernisme en ruche bricolée. Le Nouveau Halmag libéré, se situant quelque part entre John Coltrane et Archie Shepp, a abandonné l’harmonie pour l’énergie pure. Néanmoins, la simple vitalité a ses limites aussi. La voie rapide se transformait en immense embouteillage, les habitants commençaient à protester, les investisseurs frappaient à la porte. Devant l’impossibilité de faire demi-tour et de retrouver un état planificateur et régulateur d’un côté et l’impasse de l’improvisation de l’autre, se posait la question des moyens pour faire émerger l’intérêt collectif dans un territoire chaotique. Les nouvelles lignes de tramway ont basculé l’équation et ont donné naissance à un bâtiment particulièrement hybride. Fruit de négociations complexes entre investisseurs, habitants, représentants de l’état, élus locaux, associations et autres, ce conglomérat programmatique tente de jouer faux de manière juste. Il inverse le système en place en activant le territoire de manière ponctuelle. Halmag a déjà prouvé dans le passé sa capacité d’acclimatation aux réalités mouvantes. Sa période de planification centralisée et ostentatoire a été relativement courte, et il y a une vingtaine d’année Halmag a mis progressivement en place une stratégie plus diffuse et moins visible. Les grandes opérations d’extension ont cédé leur place à une croissance horizontale, plus silencieuse. Comprenant l’attractivité de ses petits bourgs et la beauté des buttes ensoleillées situées dans sa grande périphérie,
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Maquette Halmag, Agora Bordeaux 2010
Maquette Halmag, Agora Bordeaux 2010
ville diffuse/ville centrale
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la ville a misé de plus en plus sur une économie régionale. Son idée était de trouver une complémentarité entre la qualité de ses aménités, l’efficacité de ses infrastructures et l’hypertrophie de ses institutions. C’était l’expression spatiale d’une nouvelle modernité, calme, diffuse et discrète. Ainsi, les multiples environnements sensoriels dans la périphérie de Halmag sont aujourd‘hui des lieux de production technologique pointue, d’innombrable échanges, d’intensités économiques insoupçonnées. L’impression très forte laissée par la silhouette des montagnes, l’herbe, le bruit du vent et les détails soignés transgresse toute référence à l’imaginaire de la grande ville. La métropole prend une forme horizontale, enzymatique, sans monuments ni tours, ouverte aux animaux et à la biodiversité. La face cachée, est une métropole abstraite. Ces sont des milliers de transactions, des flux matériels et immatériels, des gens, des regards. C’est un espace temps plus qu’un espace réel, une ville dont les sons ont été estompés. Depuis quelques années, de plus en plus d’habitants de Halmag expriment un intérêt croissant pour la question urbaine. Il est difficile de savoir si cela est le résultat d’une évolution des discours politiques locaux ou d’une conscience écourbaine croissante des habitants, probablement les deux à la fois. Une des dernières grandes réserves foncières de Halmag est le théâtre des évolutions importantes dans la manière de faire et de parler de la ville. Ce lieu, labellisé ecoquartier avant même sa conception, a vu le jour afin de répondre à la grande crise du logement. C’était la première fois depuis longtemps que la ville s’engageait à planifier (dans le sens classique du terme) et construire un quartier presque monofonctionnel. Mais, contrairement aux vieux lotissements sur les collines, ici quelque chose semble mieux fonctionner. Les prémisses de cette réussite toute relative ont peut-être été, comme souvent en politique ou en urbanisme, des volontés a priori contradictoires. C’est une confrontation entre une politique du logement relayée par une planification rigoureuse, répétitive, presque égalitaire d’un côté, et un vide urbain libéré de toute volonté de liant, permettant une infinité de trajectoires individuelles ; une répétition et neutralité d’un côté, une métropole à la carte de l’autre. C’est une urbanité très étrange. Une grande partie de l’attirail courant de l’espace urbain y est absent : les trottoirs, les lampadaires, les rues, les feux. La nature y est laissée dans un état presque primitif, intacte, sauvage. Un sol ouvert et irrégulier y remplit un rôle proche de celui occupé habituellement par l’espace public. Cette ville verte, calme, ouverte est 69
un recyclage étonnant du projet urbain moderne. S’il est devenu aujourd’hui possible à Halmag, et probable ailleurs, c’est que les pratiques individuelles et les rapports personnels à la ville comme à la nature ont évolué de manière phénoménale. Il serait intéressant de noter que l’émergence d’une écologie immédiate et la transformation des pratiques individuelles ont eu un impact plus important et plus rapide sur la transformation de Halmag que sur celle de la grande métropole. La densification, à Halmag comme partout, est devenue une nécessité pour des raisons pragmatiques, politiques et écologiques. Il parait aujourd’hui, plus clairement que dans le passé, que l’avenir de Halmag se trouve à l’intérieur de sa tâche urbaine plutôt que dans des extensions virtuelles. Certes, Halmag possède encore quelques réserves foncières, mais, pour assurer plus de densité à long terme Halmag est aujourd’hui obligée de produire de la ville, là où elle n’était pas forcement prévue. Le bâtiment-ville, installé en face des pistes d’aéroport est un phénomène qui demeurait inimaginable il y a encore une dizaine d’année, voire illégal selon les anciens documents d’urbanisme. Le contraste entre les nuisances au goût métropolitain (bruit de l’aéroport, zones d’activité) et les qualités au goût de terroir (vignobles, vue panoramique, vieux bourg) ne permettait pas d’y imaginer une urbanisation banale. Néanmoins, l’attractivité croissante de Halmag et de son aéroport ainsi que la nouvelle navette monorail ont redistribué les cartes sur ce territoire.
aéroport 70
Maquettes Halmag, Agora Bordeaux 2010
Le bâtiment-ville est une agglomération d’éléments semblables par leur forme mais différents dans leur programmation. On y trouve un hôtel, un centre de congrès, une centralité commerciale, des logements collectifs, des services municipaux. Avec la mobilité accrue, le cadre autour de l’aéroport est devenu une attraction potentielle, surtout pour un public grandissant de congressistes, de femmes et d’hommes d’affaires, aux goûts de plus en plus raffinés. Les vignobles autour, même d’une qualité plutôt médiocre, fabriquent de la distance entre les éléments et participent à une expérience spécifique du territoire. Cet ensemble est une extra-territorialité parce qu’il est alimenté par l’aéroport, la route et le train. Au même moment il est un bâtiment territoire car il ne mise pas complètement sur sa propre qualité, mais sur la qualité de l’ensemble du territoire qui n’était qu’une hypothèse avant qu’il arrive. Il agit comme un révélateur en accentuant l’hétérogénéité. Après son arrivée le territoire ressemble à un collage aux morceaux décollés. Mais Halmag, tout en se renouvelant continuellement, continue à dégager quelque chose de profondément semblable et constant. La ville semble comme accrochée par quelque chose, une image qu’elle ne sait pas bien se définir à elle-même. Elle est habitée par un paradoxe qui lui permet de se transformer continuellement sans se figer, et dans le même temps d’être un véritable aimant de nostalgie urbaine. L’anecdote à propos de l’horloge de la marine près des quartiers d’habitation derrière le port, qui indique toujours la même heure a une signification particulière pour les habitants de Halmag et surtout pour ceux qui l’ont quitté sans jamais pouvoir se débarrasser de leur accent. Elle donne l’image d’une ville entre deux arrêts ; alors que les arrêts changent de nom continuellement, la ville, elle, reste figée au même endroit. Ce nuage constant et indéfinissable qui flotte au dessus de Halmag est le résultat infiniment complexe de tout ce qui s’y est passé auparavant. Il est aussi le reflet d’immenses parties de la ville qui n’ont évoluées que très peu ces dernières décennies. Ces zones sont plus difficiles à transformer mais elles contiennent un grand potentiel. Ces quartiers sont souvent couverts par des milliers de maisons ouvrières collées et n’ont quasiment pas d’espace public si ce n’est l’espace dédié à la circulation. Mais c’est peut-être dans ces lieux de la ville que l’écologie du collectif est la plus forte. Cette écologie trouve son expression la plus palpable dans les chants des supporteurs montant du stade les soirs de coupe d’Europe. »
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Commentaires La particularité de Halmag dans la production de l’AUC est rendue plus évidente en replaçant le projet, dans le contexte des études urbanistiques menées par le bureau. Halmag a permis de préciser les idées de Djamel Klouche, d’asseoir les intuitions développées dans la consultation du Grand Paris et de les capitaliser dans un projet. Graphisme Après m’être attardé sur la description de Halmag, penchons nous sur le mode de représentation de cette ville imaginaire. Réalisées par le collectif multidisciplinaire ENCORE , les maquettes interactives *
sont des artéfacts en marge de la réalité. Au gré des heures, des flux de transports, des événements et des activités, les maquettes s’illuminent de couleurs toutes plus synthétiques les unes que les autres. Allant du mauve au rouge en passant par le bleu et le vert, les maquettes plongent le visiteur dans la réalité immatérielle de la ville. La transparence presque insipide des bâtiments, le noir absorbant du sol fini de convaincre le spectateur que la question ici n’est pas de montrer l’architecture ou l’urbanisme dans ce qu’il a de préhensible mais plutôt de mettre en évidence ce qui l’anime. Il y a au regard de ces maquettes animées, non seulement une similitude colorimétrique avec les photographies de Learning from Las Vegas, mais aussi une similitude d’intention : la représentation d’une ville immatérielle. Cette convergence de fond peut également trouver écho dans les images de panneaux publicitaires de l’article Non-Plan : an Experiment in freedom, dont s’est d’ailleurs inspiré Robert Venturi, et le court métrage Logorama, du studio H5 , qui nous présente un Malibu logotype. **
* ENCORE est un collectif multidisciplinaire composé de trois graphistes ; François Alaux, Quentin Brachet & Hervé de Crécy. ** H5 est un studio de création français fondé en 1996 par Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet. 72
Non-Plan : an Experiment in freedom
Learning from Las Vegas
Logorama
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Étymologie Pour ce qui est de l’étymologie du mot Halmag, une intuition nous disait que ce nom venait d’amalgame. Mais quand nous avons questionné personnellement Djamel Klouche à ce sujet, il répondit qu’il n’y avait aucune explication, comme si ce mot était le fruit de l’imagination la plus pure. Insatisfaits de cette réponse, je me suis orientés vers son bureau qui me renvoya vers la citation de Sénèque : « Cherche la réponse en ce même lieu d’où t’est venue la question. ». Mais persuadés que rien n’est créé du néant, ces réponses taillées dans le même bois, n’ont eues d’autre effet que de nous convaincre de la mauvaise foi des géniteurs de Halmag. C’est donc guidés par notre toute première intuition, que nous avons poursuivi nos recherches. Le nom amalgame trouve sa première forme latine aux alentours de 1250 sous la forme, Amalgama. Il apparaît pour la première fois en vieux français sous l’aspect d’algame. Il n’y a jusque là rien de très intéressant. Mais heureusement, François Rabelais nous révèle deux formes : algamana et almagala. Selon nous, le nom de Halmag serait issu de la métathèse de cette dernière forme rabelaisienne ; dans un premier temps, l’élision des trois dernières lettres d’almagala donne ALMAG et dans un second temps, la prothèse du H donne finalement, HALMAG. Évidement la seule ressemblance morphologique ne suffit pas à valider l’hypothèse de cette étymologie. En revanche, l’alliance de cette analogie formelle à la similitude sémantique d’amalgame avec le mode de création de Halmag, étaie d’avantage cette supposition. Il ne manque, pour ainsi dire, que l’aveu de Djamel Klouche pour confirmer ou infirmer notre hypothèse et percer définitivement le mystère de l’étymologie Halmag. Mais il est encore plus intéressant de constater l’analogie du mode de construction du projet de Halmag avec celui de la doctrine de son 74
créateur. En ce qui concerne Halmag, Djamel Klouche a, par une approche comparatiste, dressé le code génétique de sa ville clone et de manière identique, a tiré de ses pères philosophes, les gènes de son idéologie. Autrement dit, la doctrine klouchienne, au même titre que Halmag, est le fruit d’un amalgame d’idées, d’un clonage théorique. Halmag et des villes imaginaires Deux villes imaginaires sont à ma connaissance comparable à Halmag ; elles se nomment Avenuri et Glooscap. La première a été crée en 2009 par l’architecte et urbaniste Alex Lehnerer et la seconde par l’artiste Alain Bublex. Dans le livre Grand Urban Rules, Alex Lehnerer drèsse le portait d’Avenuri. Cette ville gît quelque part sur une île du même nom au beau milieu de l’océan Atlantique. Deux heure et demi de vol la sépare de New York, cinq heure et demi de Londres. Avenuri et sa région métropolitaine occupe 1480 km2 soit environ 80% de la surface totale de l’île. Sa population est légèrement en dessous des 6 800 000 habitants et sa densité démographique d’environ 3665 hab/km2. Si sa densité est comparable à celle de l’unité urbaine de Paris qui en compte 3700, sa superficie en revanche n’en constitue qu’un peu plus de la moitié. Du fait de sa localisation, plusieurs vague d’immigration venant de tout les continents ont touché l’île durant les eux siècles précédents. Cet afflux massif de population a littéralement bondé Avenuri à tel point que la ville se préparait à sacrifier son dernier espace naturel, Avenuri Foothills. La ville a très rapidement commencé à souffrir de maux similaires à ceux qui affligent d’autres villes dans le monde. Si jusqu’à présent le maire d’Avenir, faisant confiance aux initiative individuelles, considérait l’aménagement du territoire comme superflus, récemment la municipalité a reconnu la nécessité urgente de mieux gérer l’établissement urbain. Face à l’urgence de la situation le maire de la ville a formé un groupe d’experts, le Grand Urban Rules Group (GRUG) et lui demanda de 75
chercher des villes de par le monde qui d’une manière ou d’une autre, faisaient face aux même problèmes qu’Avenuri. Concrètement le GRUG devait mettre en lumière les règles par les quelles ces villes géraient la relation entre les intérêts public et privés, autant que les conséquences de ces règles sur la forme urbaine. L’étude concernait 19 villes : Berlin, Chicago, Hong Kong, Houston, Las Vegas, Londre, Los Angeles, New York, Paris, Philadelphia, Buffalo, Portland, San Francico, San Gimignano, Santa Barbara, Seattle, Stuttgart, Vancouver et Zurich. Le résultat de cette enquête a pris la forme d’un code regroupant une série de règles urbanistiques. Ce code comme le dit Alex Lehnerer n’est pas seulement un instrument urbanistique mais aussi un portrait de la ville et de son futur. L’état actuel de ce code est le résultat d’une série d’hybridation et de calibrages successifs qui montrent qu’Avenuri a appris de l’histoire de ses “sœurs”. Aujourd’hui l’apparence physique d’Avenuri est le résultat de l’hybridation des règles qui ont constitué le code. C’est l’étude du GRUG et ce code qu’Alex Lehnerer expose dans son livre. La seconde ville, Glooscap, contrairement à Avenuri, n’est pas représentée par un code, mais par la reconstitution imaginaire de son passé. Le projet débute par inadvertance avec le dessin d’un immeuble sur une grande feuille de papier. Ce dessin fait par un ami, Alain Bublex l’agrémente d’un autre. De proche en proche, à la manière d’un cadavre exquis, la morphologie de la ville se construit. La seule règle qu’ils s’étaient fixée à l’époque (1985) était que la ville ne devait être ni grande, ni petite, absolument quelconque et en aucun cas exceptionnelle. Les dessinateurs procèdent de la sorte durant cinq années. Par la suite, prenant conscience de l’empleur de leur dessin sans échelle, les acolytes cherchent un lieu ou implanter leur ville. Ils choisissent un lieux sur la côte est du Canada, le lieu du premier débarquement français sur le continent américain. Les deux hommes vont dès ce moment s’attacher à reconstituer l’histoire possible de leur ville imaginaire. Ils commencent par lui donner un nom : Glooscap. Le nom de la ville est inspiré d’un dieu qui selon la légende amérindienne à créer la géographie où la ville 76
est implantée ; le dieu a fabriqué le territoire et la ville porte le nom de ce dieu. À travers l’archéologie d’un passée imaginaire possible, ils vont à partir de vraies archives, crée les vraies-fausses archives de leur ville. Les historiens du passé possible de Glooscap redessinent à la manière de l’époque, les documents historiques de la ville : plans, peintures, photographies, relevés météorologiques,… jusqu’à reconstituer les 300 ans de son histoire. L’histoire de Glooscap est uniquement inspirée de faits réels ; c’est-à-dire que pratiquement rien n’est inventé. Il n’y a dans Glooscap quasiment pas d’imaginaire, juste des déplacements d’évènements ou de projets, conçus pour d’autres villes, sur un lieu bien réel mais ou jamais rien ne c’est passé. Le projet de Glooscap se situe ainsi au-delà de l’habituel clivage entre fiction et réalité. Glooscap est en fait la description d’une ville imaginaire située sur un site réel. À la manière des fictionnolistes Alain Bublex raconte le récit des origines de Glooscap comme si la ville existait. Au final, Glooscap n’est pas moins vraie qu’une ville que l’on a jamais visitée pas. À la différence des ville utopiques ou dystocique, Halmag, Avenuri et Glooscap ont en commun leur banalité. Ne succombant à aucun extrême, ce sont trois villes imaginaires qui ressemblent à beaucoup d’autres, ni grandes ni petites, presque réelles. Si la vocation de la dernière est purement gratuite et cherche à fonder son existence dans la construction de son passé, Halmag et Avenuri, toutes deux faites par des architectes, ont une valeur prospective. Si elle ont perdu foi en l’idéal, elles ne cherchent pas à construire l’avenir mais le présent en s’inspirant du réel. Alex Lehenerer de manière plus pragmatique, à travers sa “toolbox” de 115 règles, drèsse le portrait abstrait de la situation actuelle d’Avenuri et Djamel Klouche plus fondamentalement, à travers les thèmes et situations, dépeint l’état d’âme d’une métropole, une philosophie, une manière de construire la culture et l’identité métropolitaine.
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4.Esquisse d’une généalogie Dans partie, je m’attache principalement à identifier les sources théoriques de l’AUC afin de mieux me figurer les méandres de leur philosophie et de pouvoir situer leur pensée dans le paysage de l’urbanisme. Certes cette généalogie n’est pas exhaustive, mais elle constitue à mon sens les principaux héritages théoriques de l’AUC.
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Aldo Rossi
Aldo Rossi La notion de fait urbain est la pierre angulaire de la thèse de Rossi . Pour une meilleure compréhension de la ville, Rossi avance la nécessité du déchiffrement de faits, morceaux de réalité, qui constituent la ville. « Aussi n’accorderons-nous jamais assez d’importance, dans les études urbaines, au travail monographique, à la connaissance des simples faits urbains. En ne les prenant pas en compte - y compris dans leurs aspects les plus individuels, particuliers, irréguliers et donc les plus intéressants - nous finirons par construire des théories aussi artificielles qu’inutiles » . *
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L’étude des faits urbains a conduit Rossi à aborder la ville par partie. « (…) la ville est divisée en parties différentes, constituant du point de vue formel et historique des faits urbains complexes » . La ville est ainsi faite de fragments ***
possédant une forme, une mémoire et une vie propre ; mais l’étude autonome de ces morceaux du réel ne doit jamais oublier la diversité et la complexité de la ville. « Enfin, je suis convaincu que l’esquisse d’une théorie urbaine proposée dans ce livre peut avoir des développements multiples, et que ces développements peuvent prendre des inflexions et des orientations imprévues. Mais je suis tout aussi convaincu que ce progrès dans la connaissance de la ville ne peut
* Aldo ROSSI (1931, Milan – 1997, Milan) fut architecte mais aussi auteur, artiste, professeur et théoricien. ** ROSSI A., L’architecture de la ville, éd. InFolio, Gollion, 2001, p.12. *** ROSSI A., op. cit., p.82. 80
être réel et efficace qu’à la condition qu’on ne cherche pas une fois de plus à réduire la ville à un de ses aspects partiels, perdant ainsi de vue sa signification » . *
À travers la notion de fait urbain et l’étude de la ville par partie, Rossi a tracé la voie des théories urbaines à venir. Sans cette notion il n’y aurait peut-être pas eu Delirious New York ni de Learning from Las Vegas ou de Collage City ; Venturi comme Koolhaas n’auraient peut-être pas **
poursuivi ce travail d’élucidation du réel. Pour l’AUC, la notion du fait urbain qui sous-tend l’étude de la ville par partie, se retrouve incarnée sous sa forme la plus explicite dans le concept des « indicateurs métropolitains » et dans leur intégration, « l’équation métropolitaine ». Mais si la formule est arrivée à maturation pour Bordeaux 50.000 logements, les gisements de cette notion, (leur version bêta) se trouvent dans les situations métropolitaines du Grands Pari(s) et de Halmag. Il y a cependant une évolution par rapport au fait urbain d’Aldo Rossi. Ce dernier, concentré sur la ville historique et la théorie, l’envisageait essentiellement comme un cas d’étude, un moyen de lecture, de comprendre la ville. Dans les mains de l’AUC, le fait urbain, muté en indicateur métropolitain, revêt davantage une dimension potentielle. Si la définition de la métropole par l’équation métropolitaine pêche par réduction de sens et omission de complexité - la compréhension de la métropole, quel qu’elle soit, ne peut se résumer au choix arbitraire de quelques territoires - en revanche, les territoires de l’équation dégagent tout leur potentiel dans la construction de la métropole. Plus un moyen d’action que de lecture, l’indicateur métropolitain une fois stimulé, devient marqueur métropolitain. C’est ici que la relation de l’équation métropolitaine avec le monde des mathématiques n’est plus seulement métaphorique mais bien réelle ; car si chaque composante
* ROSSI A., op. cit., p.20. ** Robert Venturi (1925, Philadelphie), est un architecte considéré comme un des précurseurs du postmodernisme. 81
de l’équation a sa logique propre, elle entretient dans le même temps, une relation métabolique avec la substance de la ville. « En agissant sur leurs paramètres et variables, toutes les données de l’équation changent et déterminent automatiquement des modifications dans le résultat final » . *
En d’autres termes, si un des territoires de l’équation évoluait, la métropole changera, et si tous ces territoires s’éveillaient, la métropole toute entière tremblera. Loin d’être une définition exhaustive ni même suffisante de la métropole, l’équation métropolitaine constitue surtout un levier de développement de la métropole par la construction de faits métropolitains.
Giovanni Batista Nolli Giovanni Batista Nolli est surtout connu pour être l’auteur du Nuova Pianta di Roma, dessiné en 1748. Le Plan Nolli représente le réseau médiéval et baroque des rues de Rome mais a la particularité de représenter tous les édifices dont l’accès est public comme faisant partie de l’espace public. Dans Grand Urban Rules , Alex Lehnerer explique que si le plan a été détourné pour l’étude des relations entre espace privé et public, il était à la base destiné à déterminé les taxe cadastrales. Et la singularité de ce plan qui représente tous les édifices à accès public comme du vide n’était en fait qu’une simple formalité. Car la certification de la présence d’espace public sur le domaine privé réduit la surface de la propriété privé sujette à l’imposition. **
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* AUC, Bordeaux métropole millionnaire habitante, notes 1 et 2, 02/2011 ** Giovanni Battista Nolli (1692, Come – 1756, Rome), fut un architecte et cartographe. *** LEHNERER A., Grand Urban Rules, Naio10, Rotterdam, 2013, p.198. **** Alex Lehnerer est architecte, urbaniste et professeur. 82
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Plan Nolli
Au moyen de cette loi fiscale qui a couplé l’intérêt public à l’intérêt privé, le tissu public a été doublé d’un réseau d’espaces presque public aux mains du privé. Grâce à ce réseau d’espaces publics « bonus », le Plan Nolli a surmonté le clivage entre les espaces privés et le public. Cette relation entre architecture et espace public est chère à l’AUC qui fait systématiquement référence à ce plan pour illustrer la notion du public au commun. L’espace public et l’architecture se définissent mutuellement et sont des notions qui pensées ensemble peuvent s’enrichir mutuellement.
Andrea Branzi L’hommage le plus avoué que l’AUC et Djamel Klouche aient fait à Andrea Branzi réside sans doute dans la maxime issue de la publication pour la consultation du Grand Paris : « La métropole n’est plus un lieu que l’on peut dessiner, mais une condition que l’on peut décrire. » *
La notion de condition métropolitaine qui dématérialise l’entendement de la métropole pour le faire basculer dans le champs de l’esprit, est en fait héritée de ce que Andrea Branzi et ces collègues d’Archizoom disaient dans leur projet aussi provocateur que critique, No-Stop City :
* DECOSTER F., KLOUCHE D., POULIN C., Grand Paris Stimulé. De la métropole héritée aux situations parisiennes contemporaines, éd. AUC, Paris, 2009. 83
«La métropole cesse d’être un “lieu” pour devenir une “condition”.»
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Mais la comparaison peut aller plus loin, jusqu’au concept de la climatologie métropolitaine. En effet, de les membres d’Archizoom parlaient déjà, à travers le sous-titre de leur ville sans architecture, de la condition métropolitaine comme un système climatique universel. « Être citadin ne veut plus dire aujourd’hui habiter en ville mais adopter un comportement particulier constitué par le langage, l’habillement, la presse et la TV, partout où ces médias arrivent, arrivent la ville. » **
Une autre adéquation de pensée concerne le concept de l’urbanisation faible. Selon Branzi l’architecture et l’urbanisme doivent s’accorder à la fluidité de notre société. À l’image du Fun Palace de Cedric Price, il s’agit non pas de réaliser des « projets définitifs, forts et concentrés , caractéristiques de la modernité classique mais plutôt de sous systèmes imparfaits incomplets , élastiques ,caractéristiques de la modernité faible. » ; un urbanisme léger, jetable, capable d’improvisations et de s’adapter aux mutations perpétuelles de la société et du programme. En 1994, une quarantaine d’année après No-Stop City, Branzi réalise Agronica. Il propose un modèle d’urbanisation diffus et flexible où la ville est dans la campagne et la campagne dans la ville : un territoire productif, flexible et citadin ; « un territoire pour une nouvelle économie » où ***
l’agriculture génère l’urbain. L’AUC a notamment repris le terme comme le concept lors de la consultation pour Lille dans le projet test nommé Agronica Banana.
* ARCHIZOOM ASSOCIATES, No Stop City, in : Domus, n°496, 1971. ** BRANZI A., Andrea Branzi, radicalment vôtre, in : Le Design italien, La Casa Calda, édition française, 1985. *** Andrea Branzi, Preliminary Notes for a Master Plan and Master Plan Strijp Philips, Eindhoven 1999, in : Lotus, n° 107, 2000, p.110-123. 84
Une similitude réside dans le pouvoir émancipateur de la petite échelle. Branzi comme l’AUC entende changer le monde par le-bas, en se concentrant sur les petites choses en questionnant le rapport de l’homme à son environnement. Et si Branzi le fait par le design d’objet, l’AUC le fait par son attention aux pratiques et aux microcentraliés. « Il n’est pas vrai qu’on puisse changer le monde uniquement avec des mégaprogrammes ou des révolutions ; on peut le faire aussi en modifiant la qualité de minuscule choses. La ville est un ensemble de petites réalités, et la qualité de l’environnement humain est constituée d’un essaim de molécules »
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Enfin, le dernier lien décelé se rapporte à la matrice métropolitaine. Dans Nouvelles de la métropole froide, Branzi parle de la métropole comme une matrice de choix de vie « Chaque case de cette matrice est formée à la fois de musiques, de couleurs, de chaussures, de tissus, de jargons, de coiffures, de détails de finition (...). La nouveauté intéressante de cette « matrice d’identité » ne réside pas seulement dans sa stabilité, mais également dans la liberté qu’elle donne à l’individu de changer de case à volonté, modifiant son style le vie selon l’heure de la journée, les circonstances, l’inspiration, l’âge. En ce sens, il s’agit véritablement d’une société télévisuelle parvenue à maturité: chacun peut aisément y changer la chaîne de sa propre identité, en fonction du palimpseste d’une offre de plus en plus internationale et spécialisées. »
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Il est en effet envisageable que la matrice d’identité de la métropole froide de Branzi soit devenue la matrice d’identités de la métropole parisienne de l’AUC.
*http://next.liberation.fr/design/2014/10/27/andrea-branzi-radicalementvotre_1116132 ** BRANZI A., Nouvelles de la métropole froide: design et seconde modernité, éd. Centre Pompidou, Paris, 1992, p.21. 85
Michel de Certeau Michel de Certeau fait figure de penseur marginal qui recourt à une approche interdisciplinaire en science sociales et humaine. À l’aube de mai 1968 alors que les travaux sur la culture « ordinaire » *
sont quasiment inexistant, Michel de Certeau entreprend au début des années 70, un programme de recherche sur les pratiques culturelles des gens ordinaires qui débouchera sur l’ouvrage, L’invention du quotidien : Art de faire. Son attention se porte sur l’invention et la créativité quotidiennes des hommes, et plus précisément sur leurs dimensions subversives ; les pratiques sont perçues comme des actes de résistance, des gestes d’émancipation quotidienne. Luce Giard explique dans l’avant-propos que Michel de Certeau cherchait à saisir les rouages à travers lesquels l’homme dans ses « opérations » quotidiennes, s’exprime dans la société de consommation. Elle reconnait dans cette posture, « […] la première forme du retournement de perspective qui fonde L’invention du quotidien, en déplaçant l’attention de la consommation supposée passive des produits reçus à la création anonyme, née de la pratique de l’écart dans l’usage de ces produits. […] il faut s’intéresser non aux produits culturels offerts sur le marché des biens, mais aux opérations qui en font **
usage ; il faut s’occuper “des manières différentes de marquer socialement l’écart opéré dans un donné par une pratique”. […] Dès lors, il faut se tourner vers la “prolifération disséminée” de créations anonymes et “périssables” qui font vivre et ne se capitalise pas. » . ***
* Michel de Certeau (1925, Chambéry – 1986, Paris), fut un intellectuel jésuite, philosophe et historien. ** Luce Giard est historienne, chercheuse, professeur et auteur. *** DE CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., op. cit., p.VI etVII. 86
« À la passivité supposée des consommateurs, [Certeau] a substitué la conviction (argumentée) qu’il y a une créativité des gens ordinaires. Une créativité cachée dans un enchevêtrement de ruses silencieuses et subtiles, efficaces, par lesquelles chacun s’invente “une manière propre” de cheminer à travers la forêt des produits imposés. »
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Dans la troisième partie du livre intitulée Pratiques d’espaces — à laquelle d’ailleurs Djamel Klouche fait référence dans son article Information mutuelle de la petite et de la grande échelle : Micro-centralités — Michel de Certeau fait en plus de la critique du l’urbanisme fonctionnaliste, la proposition de changer le type de rapport à la ville. Il reproche à l’urbanisme de ne considérer la ville que dans sa dimension « scopique », à travers l’acuité de ses instruments de mesure et de représentation, annihilant toutes les singularités des sujets qui l’habitent. Il propose donc de changer de focale, de passer de l’œil surplombant de démiurge à celui du marcheur. **
« La volonté de voir la ville a précédé les moyens de la satisfaire. Les peintures médiévales ou renaissantes figuraient la cité vue en perspective par un œil qui pourtant n’avait encore jamais existé. Elles inventaient à la fois le survol de la ville et le panorama qu’il rendait possible. Cette fiction muait déjà le spectateur médiéval œil céleste. Elle faisait des dieux. En va-t-il différemment depuis que des procédures techniques ont organisé un «pouvoir omni-regardant» ? L’œil totalisant imaginé par les peintures d’antan survit dans nos réalisations. La même pulsion scopique hante les usagers des productions architecturales en matérialisant aujourd’hui l’utopie qui hier n’étaient que peinte. La tour de 420 mètres qui sert de proue à Manhattan continue à construire la fiction qui crée des lecteurs, qui mue en lisibilité la complexité de la ville et fige en un texte transparent son opaque mobilité. […] C’est «en bas » au contraire (down), à partir des seuils où cesse la visibilité, que vivent les pratiquants ordinaires de la ville. Forme élémentaire de cette expérience, ils
* DE CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., op. cit., page de garde. ** KLOUCHE D., De l’information mutuelle de la petite et de la grande échelle : les microcentralités, in : Territoires partagés, l’archipel métropolitain, 2002. 87
sont des marcheurs, dont le corps obéit aux pleins et déliés d’un «texte» urbain qu’ils écrivent sans pouvoir lire.[…] Tout se passe comme si un aveuglement caractérisait les pratiques organisatrices de la ville habitée.[…]Ces pratiques de l’espace renvoient à une forme spécifique d’opérations ( des «manières de faire»), à «une autre spatialité» (une expérience «anthropologique», poétique et mythique de l’espace), et à une mouvance opaque et aveugle de la ville habitée. Une ville transhumante, ou méthaphorique, s’insinue ainsi dans le texte clair de la ville planifiée et lisible. » *
« Aujourd’hui, quels qu’aient été les avatars de ce concept [de ville], force est de constater que si, dans le discours,la ville sert de repère totalisant et quasi mythique aux stratégies socio-économiques et politique, la vie urbaine laisse de plus en plus remonter ce que le projet urbanistique en excluait. Le langage du pouvoir «s’urbanise», mais la cité est livrée à des mouvements contradictoires qui se compensent et se combinent hors du pouvoir panoptique. La Ville devient le thème dominant des légendaires politiques, mais ce n’est plus un champs d’opérations programmées et contrôlées. Sous les discours qui l’idéologisent, prolifèrent les ruses et les combinaisons de pouvoirs sans identité lisible, sans prises saisissable, sans transparence rationelle — impossible à gérer » **
Michel de Certeau en arrive à élaborer une sorte de philosophie pratique de l’urbanisme qui confronte l’urbanisme à la limite de ses prétentions de savoir et de pouvoir. Face au caractère erratique de ces usages mobiles disséminés sur le territoire urbain, le discours urbaniste ne peut qu’apprendre à en être sensible. C’est cette critique de la raison urbaniste, ce changement de focale qui considère les pratiques quotidiennes dans le projet urbanistique et cette éthique de l’urbanisme qui se retrouve dans la pensée de l’AUC. ***
* DE CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., op. cit., p.142. ** DE CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., op. cit., p.145. *** SIBERTIN-BLANC G., Pratiques de la ville et inconscient urbain : déplacements de l’utopie dans le discours critique de l’urbanisme, in : Meta : Research in Hermeneutics, Phenomenology, and Practical Philosophy, vol. 2, n°2, 2010, p.311. 88
Lagos, moment de cityness
Saskia Sassen Lors de l’exposition Stim-métropoles millionnaire, Djamel Klouche emprunte à Saskia Sassen le concept de cityness pour exprimer l’ambiance de sa ville imaginaire, Halmag. *
Dans l’article Cityness in the Urban Age , Saskia Sassen énonce la nécessité d’un nouveau terme pour décrire la condition urbaine contemporaine. Selon la sociologue, le mot urbanité n’est plus adéquat pour décrire nos villes. Le sens de ce néologisme provient de la saturation sémantique de l’urbanité en Occident. La cityness est d’une certaine manière le réceptacle du trop plein de sens dont souffre l’urbanité et tend à définir ce que l’urbanité ne peut caractériser. « Urban agglomerations are very often seen as lacking the features, quality and sense of what we think of as cities. Yet, urbanity is perhaps too charged a term, charged with a Western sense of cosmopolitanism of what public space is or should be. Instead, cityness sugests the possibility that there are kinds of urbanity that do not fit with this very large body of urbanism developed in the West. » **
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* Saskia Sassen (1949, La Haye), est une sociologue et économiste, spécialiste de la mondialisation et de la sociologie des très grandes villes du monde. ** SASSEN S., Cityness in the Urban Age, in : Urban Age, bulletin 2, 2005. *** SASSEN S., op. cit., p.1. 89
Dans un autre article, publié dans l’ouvrage Urban transformation , Saskia Sassen ajoute que « Cityness is a concept that encompasses inumerable types of urbanity, including, indeed, an intersection of differences that actuallyproduces something new ; wheter good or bad, this intersection is consequential. » *
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Avec la notion de cityness, la définition de l’espace public est élargie. L’espace public n’est plus seulement défini par sa représentation, son design mais par l’activité qui l’a rendu public ; c’est-à-dire que ce sont les pratiques et les usages de la population qui confèrent sa publicité à un espace dont l’accès est public. La cityness est un instrument qui saisit les phénomènes urbains de juxtaposition et d’intersection étrangers au terme d’urbanité dans son occidental et ouvrant la voie à différents modes d’appropriation des espaces publics. Pour l’AUC, la cityness est le symptôme de la nouvelle condition territoriale et dégage tout le potentiel des situations métropolitaines qui révèlent à travers des histoires locales, les conditions de la métropole.
* RUBY I., RUBY A., Urban Transformation, Ruby Press, Berlin, 2008. ** SASSEN S., Cityness, in : Urban transformation, 2008, p.84. 90
Non-Plan Le concept expérimental du Non-Plan que Djamel Klouche introduit dans Lille Métropole 2030, emprunte en fait son nom à un article publié le 20 mars 1969 dans le magazine New Society : Non-Plan : an Experiment in Freedom . Cet article provocateur écrit par Paul Barker , Reyner Banham , Peter Hall et Cedric Price , est un plaidoyer pour la dérégulation et l’expérimentation. Deux raisons ont motivé cet article. D’une part, le désir de changement face un urbanisme vaniteux qui se trompe dans ses prétentions et échoue dans la poursuite de ces ambitions. Et de l’autre, l’humble conviction qu’aucun architecte ou urbaniste ne peut savoir mieux que les habitants, ce qui est bon ou mauvais pour eux. Les auteurs dénoncent la pauvreté de l’urbanisme et le désaccord perpétuel entre la vision planificatrice et la population. Partant de ce constat, les auteurs tentent d’accorder la liberté individuelle avec les lois du marché et défendent, la thèse d’un urbanisme libre, décomplexé de tout jugement de valeur. *
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Dans le texte, leur position est annoncée d’emblée et a l’avantage d’être claire. Ils énoncent leurs critiques et leur thèse comme suit : «Town-and-country planning has today become an unquestioned shibboleth. Yet few of its procedures or value judgment have any sound basis, except delay. Why not have the courage, where practical, to let people shape their own environment?» Et ils concluent de la sorte : « The irony is that the planners themselves constantly talk — since the appearance of Jane Jacob’s Death and Life of Great American Cities — about the need to restore spontaneity and vitality to urban life. They never seem * BANHAM R., BARKER P., HALL P., PRICE C., Non-Plan : an experiment in freedom, in : New Society, n°338, 1969. ** Paul Barker (1935, Yorkshire), est un journaliste et écrivain. *** Reyner Banham (1922, Norwich – 1988, Londres), fut un auteur et critique architectural. **** Peter Hall (1932, Manchester – 2014, Londres), fut un urbaniste, géogrpahe et professeur. ***** Cedric Price (1934, Stone – 2003, Londres), fut un architecte. 91
to draw the obvious conclusion — that the monuments of our century that have spontaneity and vitality are found not in the old cities, but in the American West. There, in the desert and the Pacific states, creations like Fremont Street in Las Vegas or Sunset Strip in Beverly Hills represent the living architecture of our age. As Tom Wolfe points out in his brilliant essay on Las Vegas, they achieve their quality by replacing buildings by signs. (…) To say that Las Vegas is exciting and memorable and fine is also a value judgment. It cannot be supported by facts. But except for a few conservation areas which we wish to preserve as living museums, physical planners have no right to set their value judgement up against yours or indeed anyone else’s. If the Non-Plan experiment works really well, people should be allowd to build what they like. » *
Il est intéressant de constater que trois ans avant la parution de Learning from Las Vegas , les auteurs s’inspiraient déjà de la Sin City. Les photographies d’enseignes lumineuses de la banlieue de Londres qui illustrent l’article, sont similaires à celles de Robert Venturi et Denise Scott Brown et présagent l’expérience visuelle de la ville et les leçons du strip. Si en date de sa parution, Non-Plan de par son ton cinglant et iconoclaste, a eu l’effet d’une bombe et a surtout été décrié, les principes et les idées qu’il incarnait n’ont jamais étés aussi actuels. **
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*BANHAM R., BARKER P., HALL P., PRICE C., op. cit. ** IZENOUR S., SCOTT BROWN D., VENTURI R., L’enseignement de Las Vegas, Mardaga, Wavre, 2007. *** Denise Scott Brown (1931, Nkana), est une architecte urbaniste. 92
Non-Plan : an experiment in freedom
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Non-Plan : an experiment in freedom
La proposition de l’OMA pour la Ville Nouvelle de Melun-Sénart (1987) semble illustrer parfaitement la tension entre le plan et le non-plan. Les « vides » controllés sont les garants de la vie publique et les « pleins » construits par les lois du marché. Je vois dans ce texte la prophétie de What Ever Happend To Urbanism, qui à l’instar de Non-Plan, milite pour un “Lite Urbanism”, un urbanisme décomplexé qui accepte l’existant, qui « ne reposera sur les fantasme jumeaux d’ordre et d’omnipotence ; il sera une mise en scène de l’incertitude ; il ne s’occupera plus d’agencer des objet plus ou moins permanents mais d’irriguer des territoires par du potentiel » *
Concrètement, le quartette explique le Non-Plan et la manière dont ils appliquent cette liberté contrôlée au territoire, à travers trois nonprojets dans la banlieue de Londres. Les protagonistes vont choisir * KOOLHASS R., The Generic City, in : Small, medium, large, extra-large: Office for Metropolitan Architecture, Rem Koolhaas, and Bruce Mau, 1995. 94
des territoires qu’ils estiment prometteurs d’un développement urbain et définir le substrat marqueur d’une nouvelle urbanité. À chaque cas d’étude correspond un architecte : Peter Hall pour Lawrence Country, Reyner Banham pour Constable Country et Cedric Price pour Montagu Country. Les territoires étudiés sont plus vastes que ceux des visions métropolitaines actuelles, et présente la différence de ne concerner que la banlieue. Le projet de Cedric Price développe en bord de mer dans le sud de l’Angleterre un projet qui mêle tourisme, loisir, logement et activités commerciales. Seule une carte légendée définit schématiquement les lieux potentiels d’intensification par l’expérience. La nature des Non-Plans est essentiellement discursive ; à l’image de ce que Roland Barthes énonçait en 1967 (dans une conférence à Naples *
architecture d’aujourd’hui déc 1970) le réel support de leur réflexion est le texte. Ces considération faites, la comparaison avec le non-plan de l’AUC semble relativement limitée. En effet, si dans le fond les deux variations du non-plan se rejoignent, c’est-à-dire l’expérimentation, graphiquement la version de l’AUC, est beaucoup plus précise. Là où les auteurs du Non-Plan ne définissent que des zones de liberté, l’AUC cible des zones d’expérimentation thématique en accords avec des objectifs à long termes. Une seconde nuance concerne le terme d’expérimentation. Pour l’AUC, il est davantage question d’expérimentation formelle, programmatique et dans les processus de conceptions, alors que pour les quatre britanniques, il s’agit d’expérimenter les loi du marché et la liberté individuelle. Finalement, si la nature des deux non-plans diverge, ils ont toutefois en commun leur caractère incertain et la soif d’expérimentation.
* Roland Barthes (1915, Cherbourg – 1980, Paris), fut un critique littéraire, sémiologue, directeur d’études et professeur. Il fut l’un des principaux animateurs du structuralisme et de la sémiotique en France. 95
Rem Koolhaas et Jean Attali Si l’influence de Rem Koolhaas sur l’AUC est sans nul doute à la mesure de son apport au débat de l’urbanisme et de l’architecture, je ne citerai que les notions qui m’ont parues essentielles à la compréhension de la pensée urbanistique de l’AUC. « La ville contemporaine est-elle - comme l’aéroport contemporaine — “toujours pareille”? Cette convergence, peut-on la théoriser? Et dans l’affirmative, vers quelle configuration tendrait-elle? Celle-ci n’est possible qu’à condition d’évacuer la notion d’identité, ce qui est généralement perçu comme une perte. Etant donné l’ampleur de ce phénomène, il a forcément une signification. Quels sont les inconvénients de l’identité et, à l’inverse, tes avantages de l’impersonnalité? Et si cette homogénéisation apparemment fortuite (et habituellement déplorée) venait d’une intention, de l’abandon délibéré de la différence au profit de la similarité? Peut-être assistons-nous à un mouvement de libération mondial : “À bas le singulier!” Et que reste-t-il, une fois éliminée l’identité ? Le générique ? »
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Dans l’article The Generic City, paru en 1995 dans son automonographie S, M, L, XL, Rem Koolhaas fait le simple constat des phénomènes urbains contemporains. Et s’il voit des villes génériques, il ne fait que décrire ce qu’il perçoit de la réalité renonçant à toute forme de critique. Pour Rem Koolhaas, la ville générique et le phénomène d’homogénéisation qui l’accompagne impliquent inéluctablement la perte d’identité. Pour l’AUC qui accepte tout autant la propagation planétaire de modèles urbanistiques (génériques), la relation causale entre le générique et la perte d’identité n’est pas forcément vraie. La ville générique n’est pas selon lui incompatible avec l’identité plurielle de la ville ; face au lissage global, les singularités ne disparaissent pas mais se redéfinissent.
* KOOLHAAS R., MAU B., SIGLER J., WERLEMANN H., Small, medium, large, extra-large: Office for Metropolitan Architecture, Rem Koolhaas, and Bruce Mau, Monacelli Press, New York, 1995. 96
Sur ce point, l’AUC se rapproche davantage des propos de Jean Attali dans son article Roman System, ou le Générique a tous les temps . *
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« La relecture de l’urbanisme romain, à partir de la trame de ses villes (le cardo et le décumanus comme échiquier) et ses idéogrammes (les types de bâtiments, utilisés comme les pièces du jeu), se fait à la vitesse d’un jeu video ou d’une simulation informatique. Generic City se conjugue à tout les temps : passé, présent et futur. À travers une relecture de l’urbanisme générique de l’empire romain à partir de la trame des villes, élabore la Thèorie des 200% : « À peine programmée, une ville de synthèse est destinée à proliférer, à interagir avec toutes les autres, selon les conditions locales d’application du modèle. Il n’y a donc plus d’original ni de copie, le centre de Rome est partout et son périmètre nulle part. (…) L’interaction est un principe de variation, elle tend à annuler (ou à renverser) le rapport du centre et des colonies. Telle ville devient-elle plus belle, plus richement parée que Rome? Du moins la compétition de toutes est devenue la règle pour chacune. La rivalité n’est que l’expression d’une tension auto-organisatrice, et le principe qui définit l’émergence d’une qualité double : chaque ville est 100% générique et 100% spécifique. Elle n’assume ni ne dépasse les contradiction du “global” est du “local”, elle intègre en revanche ses propres variations continues (elle est toute la ville en chaque lieu où elle se bâtit, parce qu’elle nait du rapport de tous les flux qui la traversent avec sa propre “armature générique”) : c’est la ville à 200%, la ville en fuite… » ***
Brièvement, pour répondre à la situation locale et aux facteurs locaux la ville générique s’altère, s’adapte et développe des spécificités ; ces mutations sur mesure présenteront le double avantage de rendre 100% spécifique la ville générique, (tout en la faisant ressembler à de nombreuses autre villes en une seule.)
* Jean Attali (1950, ?), est philosophe, professeur et auteur de nombreux articles sur l’architecture et l’art contemporain. ** ATTALI J., Roman System, ou le Générique à tous les temps, in : Mutations, p.20, 2001 *** ATTALI J., op. cit., p.20. 97
Roman System, ou le Générique a tous les temps
Il y a en effet dans la pensée urbanistique de l’AUC, non seulement une similitude de fond mais aussi de forme avec la théorie des 200%. La première ressemblance concerne le décodage du gène métropolitain. En effet, comme Jean Attali s’attache à le faire pour la ville romaine, L’AUC tente d’identifier les éléments communs à toutes les métropoles européennes ; les idéogrammes du Roman System — c’està-dire les bâtiments clefs de la ville romaine — sont d’une certaine manière les ancêtres des marqueurs métropolitains que Djamel Klouche décrit dans Halmag et qu’il intègre à Bordeaux dans l’équation métropolitaine. Ces « marqueurs » sont les éléments qui manifestent la condition de la métropole. Ils représentent notamment les grands équipements et infrastructures qui font la ville tels que les aéroports, les gares, les ports, les universités ou les figures paysagères,… Le second parallélisme est encore plus explicite et se rapporte à la Théorie des 200% et plus précisément à la formule, « 100% générique et 100% spécifique ». À travers les slogans « 100% mondial, 100% bruxellois » et « 100% métropolitain, 100% délicat » énoncés respectivement dans les consultation de Bruxelles et Lille. Dans les consultations, l’AUC reprend à la fois le fond et la forme des réflexions de Jean Attali. Et plus généralement, cette Théorie des 200% qui voit la ville embrasser les contradictions du « global » et du « local » pour les faire marcher d’un même pas, pourrait être à l’origine du concept de la double condition comme celui de l’interdépendance des échelles.
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Lars Lerup Dans l’article Stim & Dross : Rethinking the Métropolis , Lars Lerup dresse depuis la fenêtre de sa chambre le portait nocturne de Houston. Il nous propose à travers cette expérience de repenser le territoire *
urbain et propose pour cela les termes de « Stim » et « Dross ». « Stim » provient de stimulation, mais aussi de « stimme » : voix et « stimmung » : ambiance. « Dross » sont les impuretés qui se forment à la surface d’un métal en fusion, mais le mot s’utilise également pour désigner une chose sans valeur. « Stim » pour stimulation et « Dross » pour inactivité. Lars Lerup propose avec ce vocabulaire, une nouvelle lecture du territoire urbain. Les lieux de la ville sont qualifiés de « Stims » ou de « Dross » selon l’intensité de leur activité. Les « Stims » sont les endroits ou les gens se rencontrent et quand les lieux ne sont plus stimulés, ils redeviennent « Dross ». « The metropolis, like the surface of a lake during rainstorm pocked by thousands of concentric ripples, is bombarded by a million stims that flicker on and off during the city’s rhythmic cucles. These stims stream and stir, oscillate and goad, yet eache specific Stimme (voice) reverberates throughout the metropolis in a most selective manner : the art party draws a very narrow audience just as do the zydeco dance halls in Houston’s Fifth Ward. Both are esential and vital elements of the fullfledeg metropolis. The Stimmung (ambience) projected by each stim is fully understood and fully had by insiders only. Although as a stimulus the zydeco dance occasionally draws a group of (slumming?) upper-middle-class guest (and they are graciously tolerated), they remain aliens, however moved they may be by the dance and its stimulantia. » **
Plus généralement, le paysage « Stim » correspond à la ville « centre »
* LERUP L., Stim & Dross : Rethinking the Metropolis, in : Assemblage 25, p.83-101., 1994. ** LERUP L., After the City, MIT Press, Cambridge, p.61., 2000. 99
et le paysage « Dross » peut être compris comme son sous-produit, le tissu pavillonaire. L’auteur met en évidence la complexité du système urbain en mettant en évidence le fait qu’il y a deux manière de le voir : depuis l’extérieur et de l’intérieur. La vue de l’intérieur permet une compréhension ciblée, localisée de la totalité par l’étude de l’un de ses fragments, tandis que la vue du dehors substitue le détail à un aperçu de l’ensemble. Une double perspective qui examine le paysage urbain sous deux angles différents. Lars Lerup explique que le « Stim » et le « Dross » sont des aspects fondamentaux de la métropole et leur coexistence peut constituer un plus pour l’urbanisme; il incitent à trouver des manières de stimuler le « Dross ». «Metropolitan life is concentrated in these stims, and we live as if our life depended on them. The common tendency to focus all attention on the stim ignores the fact that it is a living organism, machines, a behavior setting, in short a manifold shale of wonderful complexity. As such it is dependent on its talons and its backwoods (its lacunas), first the ocean of the metropolis,then the world. The inaddequacy of the binary oppostion of stim and dross is becoming evident (…). Only in the hybrid field of stimdross may we begin to rethink and then recover from this holly plane some of the many potential futures. » *
Chez l’AUC, la stimulation des parties dormantes de la métropole se retrouve partout dans leur discours ; non seulement il est à l’origine d’une grand partie de leur champs sémantique (Stim-Métropoles Millionaires, Grand Paris Stimulé,…), mais il est surtout le moyen de construire partout l’identité métropolitaine, qu’il s’agisse du centre ou du tissus pavillonnaire. Le Non-Plan et le Plan Vision pour Lille métropole Hybride est à mon sens, une représentation parfaite de l’idée de Lars Lerup ; la métropole toute entière « est bombardée par un millions de stims ».
* LERUP L., op. cit., p.62. 100
Guy Debord et les situationnistes En réaction à l’urbanisme fonctionnaliste, les situationnistes ont développé une réflexion urbaine qui se base notamment sur la notion de pyschogéographie et de dérive. Dans le texte fondateur de l’internationale situationniste (1957) , Guy Debord définit la psychogéographie comme «l’étude des lois exactes et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus». Si sa prétention scientifique peut être contestée, l’important ici est que la psychogéographie s’intéresse à l’expérience affective de l’espace par l’individu. Le projet des situationnistes est de fonder la ville afin des ambiances ou des situations inédites et hétérogènes : «Notre idée centrale est celle de la construction de situations, c’està-dire la construction concrète d’ambiance momentanées de la vie, et leur transformation en une qualité passionnelle supérieure. Nous devons mettre au point une intervention ordonnée sur les facteurs complexes de deux grandes composantes en perpétuelle interaction : le décor matériel de la vie ; les comportements qu’il entraine et qui le bouleversent.» Il oppose à la démarche fonctionnaliste, un contre-urbanisme : l’urbanisme unitaire. «L’urbanisme unitaire se définit premièrement par l’emploi de l’ensemble des arts et des techniques, comme moyens concourant à une composition intégrale d’un milieu.(…) Il devra embrasser la création de formes nouvelles et le détournement de formes connues de l’architecture et de l’urbanisme.(…) Deuxièmement l’urbanisme unitaire est dynamique, c’est-à-dire en rapport étroit avec des styles de comportements.» Cet urbanisme se manifeste concrètement par les « situations construites » que Guy Debord définit dans le premier numéro de la revue internationale situationniste (1958) comme un « moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l’organisation 101
collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu d’événements. ». Et il précise que la situation est l’élément le plus réduit de l’urbanisme unitaire car elle réunit tous les facteur conditionnant une ambiance. On peut percevoir dans la démarche de l’AUC, la prolongation naturelle des théories situationnistes. Les situations de l’AUC sont, comme chez les situationnistes, l’unité de base de l’urbanisme. Mais bien que celles de l’AUC soient toujours abstraites, jamais le décor matériel de le vie n’est soustrait à la perception de l’individu. Et les plans de situations de l’AUC peuvent être compris comme une citation au projet de Guy Debord, «The Naked City».
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5.Halmag : Un modèle? Revenons à mes interrogations initiales et mes hypothèses : Quelles sont les caractéristiques de la pensée urbanistique de l’AUC? Quelle place l’AUC occupe-t-il dans le paysage de l’urbanisme contemporain? La ville imaginaire de Halmag est-elle un modèle?
L’urbanisme de l’AUC Quotidien. La passion de l’ordinaire, du quotidien constitue sans doute la première des caractéristiques. L’AUC renoue en quelque sorte avec les préoccupations des théories critiques de années 60 et 70, ce qui assoit l’ambition postmoderne d’être au plus près du réel. Nous pouvons en effet clairement distinguer dans les filiations théoriques esquissées plus haut, l’importance des théories critiques radicales de ces années : Andrea Branzi (Archizoom) et sa confiance en la petite échelle, sa foi dans les petites choses à changer le monde ; les auteurs de Non-Plan qui voient dans la liberté architecturale un futur émancipateur ; Michel de Certeau avec ses « arts de faire » ; tous attestent de l’attachement de l’AUC à la micro-échelle et à cet urbanisme du quotidien. Philosophie. Une seconde particularité est le caractère immatériel de leur pensée. En effet, si nous considérons la qualité des concepts clefs, aucun n’engage directement des manières de faire, mais renvoie plutôt à des manières de penser la métropole. La climatologie métropolitaine, la matrice, la situation, la double condition, l’interdépendance des échelles, l’équation métropolitaine, du public au commun, le NonPlan, la stimulation, le recyclage ; bien que certain de ces concepts aient des applications plus concrètes, ils sont avant tout de l’ordre de la philosophie. Tout porte à croire qu’à travers ces notions, l’AUC 105
tente de reconsidérer la manière dont est abordé le projet de territoire et cherche à poser les bases culturelles de la condition ou de l’identité métropolitaine par un urbanisme « philosophique ». Micro-Macro | Local-Global. Une troisième spécificité est le double regard que porte l’AUC sur la métropole. Le déplacement permanent des angles de vue du micro au macro : de la vision aux situations et des situations à la vision. Cette attitude pose un regard atypique sur la ville. Elle renouvelle l’approche du projet territorial par l’articulation de la grande et de la petite échelle ; celle du quotidien, celle du citoyen. L’AUC prône d’une part, à l’instar d’Andrea Branzi, une urbanisation douce presque invisible et de l’autre, prêche la nécessité de grands gestes urbanistiques marqueurs de l’identité métropolitaine. De plus, par cette posture le bureau refuse l’antagonisme entre le local et le global, le spécifique et le générique. Génétique. Cette caractéristique se manifeste surtout par le désir constant d’abstraction et de traiter des problématiques «communes à toutes les métropoles européennes». Il semble que depuis la matrice des 27 métropoles élaborées pour l’exposition Stim-Métropoles millionnaire — que d’ailleurs l’AUC recycle dans les consultations ultérieures — l’AUC tente d’identifier les gènes dominants de la métropole européenne. On peut encore trouver l’écho de cette volonté dans la lecture que Jean Attali fait de la ville romaine dans son article Roman System, ou le Générique a tous les temps.
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L’AUC et les urbanismes postmodernes. A la vue de ces considérations, reprenons le schéma des trois tendances urbanistiques décrites au début de l’étude — Sub-urbanisme, Urbanisme de Composition et Sur-urbanisme — et voyons où placer l’AUC dans cette constellation. De par l’aversion que les urbanistes vouent à l’urbanisme « à la française » et la critique qu’ils font du plan, tout lien de l’AUC avec cette famille urbanistique est à exclure. Cependant, si cette exclusion est sans équivoque, trancher entre le Sub-urbanisme et le Sururbanisme est beaucoup plus délicat. Entretenant des affinités avec les deux, et c’est peut-être là le seul point commun avec l’urbanisme de composition, la philosophie urbanistique du bureau croise le respect envers la réalité des lieux et la surenchère programmatique. Partisan du « Sub’» et du « Sur’», comme du bottom-up et du top-down, l’urbanisme de l’AUC semble inclassable. C’est un urbanisme hybride et antidogmatique qui concilie à la fois la « mémoire des territoires » et la «culture de la congestion ».
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Halmag et la notion de modèle Affirmer que Halmag est un modèle est certainement aussi délicat que la notion de modèle est ambigue. Si l’on s’en tient à la version de Françoise Choay, la notion de modèle est plutôt péjorative car empreinte d’idéalisme et de dogmatisme. Mais son jugement est implicite car jamais elle ne parle clairement de la notion de modèle. Et quand elle en parle, s’est toujours en référence aux obédiences urbanistiques de son étude. Voici ce qu’elle nous en dit en parlant de la philosophie progressiste et culturaliste (p.15) : « Ce qui est ressenti comme désordre appelle son antithèse, l’ordre. Aussi vat-on voir opposer à ce pseudo désordre de la ville industrielle, des propositions d’ordonnancements urbains librement construites par une réflexion qui se déploie dans l’imaginaire. Faute de pouvoir donner une forme pratique à sa mise en question de la société, la réflexion se situe dans la dimension de l’utopie ; elle s’y oriente selon les deux directions fondamentales du temps, le passé et le futur, pour prendre les figure de la nostalgie ou du progressisme. D’un ensemble de philosophies politiques et sociales (...) ou de véritables utopies (...), on voit ainsi se dégager, avec un plus ou moins grand luxe de détails, deux types de projections spatiales, d’images de la ville future, que nous appelerons désormais des “modèles”. Par ce terme, nous entendons souligner à la fois la valeur exemplaire des construction proposées et leur caractère reproductible. Toute résonance structuraliste devra être écartée de ce mots : ces modèles du “pré-urbanisme” ne sont pas des structures abstraites, mais au contraire des images monolitiques indissociables de la somme de leur détails.»
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Voilà tout ce que Françoise Choay nous dit de ces modèles urbanistiques. Et étrangement, le terme ne figure dans aucun des index qui accompagnent ces livres, ni dans L’urbanisme, utopies et réalités (1965), ni dans La règle et le modèle (1980). Retenons de cette définition relative de la notion de modèle les traits qui la caractérisent et confrontons les à Halmag. Il y a en effet quelques points de convergeance entre le « modèle » de Françoise Choay et Halmag : Halmag a une valeur d’exemple car représente et synthétise en elle les théories de l’AUC ; elle se déploie dans l’imaginaire ; et les principes qui la fonde sont reproductibles. Cependant Halmag ne se conforme à aucuns des autres points. Son objectif n’est pas l’idéal mais le réel ; elle ne présage d’aucune projection spatiale à laquelle elle préfère une projection philosophique ; Halmag ne se fonde ni dans le passé ni dans le futur mais plutôt dans le présent ou le futur proche ; elle n’obéit a priori à aucun dogme ; elle a troqué la fluidité de l’idéal et de l’utopie pour la rugosité du réel ; et enfin l’abstraction est sa marque de fabrique. Du fait de ces similitudes et de ces divergeances, mais surtout du caractère relatif de la définition de Choay, nous pouvons donc dire que Halmag est un modèle d’un genre nouveau, instable, multimorphe, un modèle philosophique qui refuse de s’enfermer dans la rigidité des dogmes.
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Ville polycentrique, Rogers
Métropole horizontale, Sechi et Vigano
Enfin, il est intéressant d’évaluer le statut de Halmag par rapport aux modèles urbanistiques contemporains. Si nous considérons les modèles spatiaux tels que la ville polycentrique de Rogers ou la métropole horizontale de Secchi et Vigano et des modèles urbains comme la ville archipel de Ungers ou la ville comme fédération de quartier de Krier, il en ressort que Halmag ne correspond à aucun de ces modèles, mais les intègrent tous à la fois. Halmag est en fait une ville imaginaire, un récit, une fiction réalisable, une addition de climats métropolitains, un anti-modèle philosophique surtout pas idéal capable de se greffer à n’importe quel autre modèle.
Fédération de quartier, Krier
Ville archipel, OMU
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Halmag, AUC
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Bruxelles et ses territoires, Elaboration d’une vision territoriale métropolitaine à l’horizon 2040, 11/2011
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Sites web. www.ateliergrandparis.com www.scot-lille-metropole.org www.lacub.fr/50-000-logements www.arcenreve.com www.prdd.be http://www.saskiasassen.com
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Merci à Judith
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Merci à mon promoteur Benoit Moritz, Judith, et tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont soutenu.