Insaisissables quotidiens – Mémoire Master 2 – Justine Lajus-Pueyo

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Insaisissables Quotidiens





INSAISISSABLES QUOTIDIENS

Transmission de l’ordinaire en architecture

Justine Lajus mémoire de fin d’étude, Master 2 dirigé par Patrice Godier, Ensapbx, janvier 2015



Vous avez vu un événement ordinaire, Un événement comme il s’en produit chaque jour Et, cependant, nous vous en prions, Sous le familier, découvrez l’insolite, Sous le quotidien, décelez l’inexplicable, Puisse toute chose dite habituelle vous inquiéter. Ne dites jamais « c’est naturel » Afin que rien ne passe pour immuable.

Bertolt Brecht, L’exception et la règle Théâtre complet I, Paris, L’Arche, 1955, prologue

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Sommaire

. PRÉAMBULE p. 10 — Introduction

1. A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES p. 16 — L’indétermination du quotidien p. 20 — La rue, terrain de l’aventure surréaliste et de la dérive situationniste p. 26 — Le pouvoir de dissolution du quotidien p. 31 — La narration de l’ordinaire


2. UNE ARCHITECTURE ORDINAIRE COMME LIEU D’ÉPANOUISSEMENT DES QUOTIDIENS p. 36 — L’infra-ordinaire p. 41 — Les coulisses de la ville p. 45 — Processus de quotidianisation p. 49 — Saisir le quotidien dans ses fissures

3. LES PARADOXES DE LA RECONQUÊTE DU QUOTIDIEN p. 75 — Transmettre l’ordinaire p. 78 — « Sois spontané » p. 86 — Structurer le désordre de la vie p. 92 — La pièce unique : carte blanche au quotidien

. POSTAMBULE p. 101 — Conclusions p. 105 — Principaux auteurs p. 107 — Bibliographie


INSAISISSABLES QUOTIDIENS, TRANSMISSION DE L’ORDINAIRE EN ARCHITECTURE

Place Flagey, Bruxelles

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PRÉAMBULE

Introduction

« Chacun de nous est un point de vue sur la ville1. » Nos premières intuitions s’étaient tournées vers la question de la production d’espaces hors de la planification, ou une envie de discuter de ce qui échappe à l’architecture. Nous nous questionnions à propos de ce qui donne du sens à l’espace construit, la sphère quotidienne, un champ qui se dérobe aux projections. Sans aucun 2 Pierre Sansot, doute, ces prémices d’écritures prenaient leur sources dans de Georges Perec, nombreuses lectures évoquant la ville par l’expérience2. Nous Jean-Christophe Bailly, Francesco considérons que l’architecture concerne la philosophie, les sciences Careri… sociales, l’anthropologie... dans la mesure ou elle se pose la question du sens : « avant de faire parler et de faire fantasmer, l’architecture fabrique 3 Benoit Goetz, des mondes où se disposent, se disloquent les existences. Et c’est La Dislocation, architecture et dans cette mesure ou l’architecture touche à ce point au cœur philosophie, même de l’existence qu’il faut la considérer comme une « substance Ed. de la Passion, 3 Paris, 2001 éthique » ». De nombreuses lectures ont orienté nos recherches, p. 17 parfois semblant nous éloigner du champs de l’architecture; ces détours auront été un moyen de nous extraire d’une réflexion esthétisante, pour se focaliser sur cette question du sens. Nous croyons à la rencontre entre ces différents savoirs, en différentes approches pour une multiplication des points de vu. C’est pourquoi ce mémoire s’ouvre sur une étude du quotidien dans le domaine de la littérature française du XXe siècle : un moyen de nous immerger dans le thème, de tenter d’en saisir l’esprit. Nous voulons rendre compte de l’interaction créatrice qui naît dans les années cinquante autour du quotidien, qui se déploie jusqu’aux années quatre-vingt-dix, et qui a depuis installé notre thème au cœur de la culture française. II semblerai que ce foisonnement soit lié en partie à l’émergence de la figure du consommateur ou encore à l’expansion de l’idéologie fonctionnaliste; face au déclin de la place de l’humain dans nos sociétés, les auteurs du quotidien s’engagent dans une quête commune pour interroger le social d’une nouvelle manière. Les discours de ces principaux auteurs seront un soutien

1 Gilles Deleuze, Le point de vue : le pli, Leibniz et le baroque, Université de Paris 8 (1979-1987)

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théorique tout le long de ce mémoire : Blanchot, Lefebvre, Certeau, Perec, Barthes… Leur engouement pour le quotidien et leur interconnexion nous livrent un ensemble de théories et de pratiques dans lesquelles ce mémoire puise son inspiration et interroge à sa manière la Ville et l’architecture. Nous voulons savoir quelles places l’architecture laisse à nos quotidiens. 1 Benoit Goetz, « Entre « architecture-monument » et « architecture-événement » La Dislocation, architecture et il y a la place pour une architecture ordinaire, merveille de philosophie, discrétion, qui édifie les conditions de l’habitation quotidienne, et Ed. de la Passion, Paris, 2001 qui n’est pas moins, mais plutôt d’avantage, de l’architecture que p. 17 les manifestations les plus spectaculaires de l’art de bâtir1 ». Dans quels lieux de nos villes pouvons nous le mieux nous immerger dans l’expérience du quotidien ? Par quels processus le quotidien s’approprie t-il l’espace ? Nos premières intuitions, et nos intérêts pour les investigations de Georges Perec en tant qu’explorateur du quotidien, nous amènerons à évoquer une architecture familière, une architecture ordinaire, comme lieu d’épanouissement des quotidiens. Nous mettrons de côté celle qui, déconsidérant les précédentes, se fait image ou signe. Celle qui veut 2 Michel De Certeau, embellir, détruire pour re-faire, du nouveau, toujours. Refusant L’invention du de se confronter à la complexité des illisibilité d’épaisseur d’un quotidien, I, Art de 2 faire, Paris, 1980, même lieu , il lui faut tout combler, maîtriser, conquérir, planifier. Gallimard Folio, Jusqu’à penser qu’il serait possible de finir la ville. N’obéissant à p. 293 aucun schéma fonctionnel de la ville, la sphère des interactions quotidiennes représente tout ce qui a lieu autrement. Nous tenterons nous même de nous ouvrir au déjà là, à l’hétérogène, au désordre dans les pratiques, et aux espaces qui les reçoivent. Nous essaierons de révéler des architectures banales et discrètes, au travers des usages et appropriations qu’elles n’attendaient pas. Le quotidien pourrait être un outil de reconquête : du vide, du spontané. Pour conclure, nous voulons dans un troisième temps, découvrir comment l’ordinaire de la banale vie de tous les jours peut inspirer l’exercice du projet en architecture ou en urbanisme. Comment la planification, à petite ou grande échelle peut-elle intégrer une multiplicité de parcours, de points de vue, de quotidiens. Ce sont ce que l’on appellera les « paradoxes de la reconquête du quotidien », ou comment l’intérêt du spécialiste pour ce

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PRÉAMBULE

thème s’exprime dans un projet construit. Certains l’utilisent pour créer de l’événement, du merveilleux, en le réinjectant dans l’espace public, d’autres le glisse dans des détails, et d’autres lui fabriquent des lieux. Nous voulons savoir ce que le quotidien garde de lui même après avoir été ainsi étudié, 1 Maurice Blanchot, manipulé et projeté sur le territoire. « La parole « Cette part d’existence inapparente et cependant non cachée quotidienne » (1962), L’Entretien (...) Silencieuse, mais d’un silence qui s’est déjà dissipé lorsque infini, Paris, nous nous taisons pour l’entendre et que nous écoutons mieux Gallimard, p. 356 en bavardant, dans cette parole non parlante qui est le doux bruissement humain en nous, autour de nous1 ». Cette sphère des interactions quotidiennes nous apparait comme un territoire commun, fait de traces, de visions, d’appropriations. Insouciante et involontaire, elle serait capable d’animer n’importe quel plan totalement autrement. N’est-ce-pas cela qui nous touche lorsque l’on parcourt une ville ? Comment l’architecture peut-elle s’ouvrir à ces gestes qui la font exister ? Comment l’expert peut il se référer au quotidien et transmettre l’ordinaire ? Ce sont justement ces bruits de fond, que sans brouiller, nous essaierons d’écouter. L’idée de ce mémoire, c’est tenter de saisir quelques uns de ces gestes, et d’en révéler la force de résonance au sein des espaces construits. Partir à leur recherche, comme partir à la quête d’un autre-chose qui transformerai la ville.

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1. A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES


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Four Men Reading the Newspapers, Saul Steinberg

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

L’indétermination du quotidien

Le quotidien serait d’après Maurice Blanchot et Henri Lefebvre, ce 1Maurice Blanchot, parole qu’il y a de plus difficile à découvrir1. Dans « La parole quotidienne », « La quotidienne », paru dans La Nouvelle Revue française en juin 1962 sous le titre L’entretien infini, Paris, Gallimard, « L’homme et la rue », Blanchot évoque le quotidien comme une 1969, p. 355 expérience ouverte et indéterminée. Dans ce texte, le quotidien est 2Ibid., p. 362 montré non pas comme une catégorie abstraite, mais comme un 3Ibid., p. 359 vécu, comme un niveau de la vie2. En devenir perpétuel, ce vécu ne peut être réduit à son propre contenu : il se dérobe à lui même. C’est à ses yeux cette indétermination qui constitue la caractéristique la plus importante : « le quotidien échappe, c’est sa définition3 ». Bien connu mais indéfinissable, passif et involontaire, le quotidien se fissure par ses contradictions : tellement là, qu’on ne le reconnaît pas. Cette même définition est présente chez Henri Lefebvre, mais là ou Blanchot évoque cette absence de classification comme une expérience en mouvement, 4Bruce Bégout, Lefebvre y reconnait plutôt le résiduel de la vie. Pour lui le quotidien La découverte du Paris, est l’insignifiant, ce qui est sans événement, et surtout qui passe quotidien, Allia, 2005 inaperçu. « Sa visibilité ordinaire le rend invisible, en nous laissant 5 Maurice Blanchot, croire que tout y est déjà manifeste4 ». Tous deux s’accordent sur « La parole quotidienne », l’absence d’événement du quotidien : « rien ne se passe, voilà L’entretien infini, le quotidien5 ». Cette absence nous apparaît souvent comme un Paris, Gallimard, 1969, p. 360 élément négatif, associé à l’ennui, au banal, à l’habitude, nous 6 Jules Laforgue, opposons le routinier à l’imaginaire, et il nous faut nous en éloigner Les complaintes, in pour élever nos préoccupations; comme si la vie se trouvait ailleurs. Poésies complètes, Paris, Le livre de Le quotidien est souvent évoqué comme ce que nous sommes poche, 1970, forcés de subir, « ah que la vie est quotidienne !6 ». Michel Leiris p. 86 7 Michel Leiris, dans un petit lexique personnel fondé sur des jeux de mots écrivait Langage Tangage à ce propos : « quotidien — commun et tiède, tel quel demain aussi ou ce que les 7 mots me disent, bien qu’hier ». Cette dévalorisation coutumière peut être associé à Paris, Gallimard, la transformation qu’a opéré la révolution industrielle sur nos vies 1985, p. 52 quotidienne en « imposant au travail de l’homme des cycles de

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production artificiels, atomisés et soumis aux aléas de l’économie, l’industrialisation a imposé le fléau de l’aliénation à la vie routinière, faisant du quotidien synonyme d’ennui1 ». D’après la théorie de l’aliénation qui domine la pensé de Marx, cet appauvrissement de l’expérience quotidienne correspondrait au moment ou le travail vint à être considéré comme une marchandise. Cette dernière influença fortement le travail de Lefebvre qui traduisit ses manuscrits dans les 2Cf. Henri Lefebvre, années trente2. Il n’est donc pas si étonnant que l’engouement pour morceaux choisis de Karl Marx, notre thème se vit naître autour de ces années là, comme la crainte Gallimard, Paris, d’une perte du quotidien. Nous trouvons d’autres ascendances 1934. dans ces connotations négatives, notamment dans les activité dites supérieurs comme l’art, la religion ou la philosophie, qui sont des disciplines qui visent à transcender la vie ordinaire plutôt que de la considérer comme telle. Lorsque la doctrine chrétienne valorise la vie de tous les jours, c’est principalement lorsque le chrétien montre sa soumission et son obédience au seigneur, cette doctrine reconnait la potentielle dimension spirituelle dans la répétition journalière du culte, qui serait aussi présente pour transcender la routine quotidienne. En art, certain élan esthétique s’inspirent du quotidien mais ne le ne reflète pas, tente plutôt toujours d’en dépasser l’horizon. La philosophie envisagerait le quotidien comme un résidu, c’est à dire ce qu’il reste une fois qu’on aurait soustré ces activités supérieures; Lefebvre développe une idée d’un quotidien qui opère comme un « sol nourricier » pour ces activités supérieures. Pour lui, ces activités sont spécialisées, et laissent entre elles certains vides techniques que la vie quotidienne se charge d’emplir. De ce fait, elle entretient un « rapport profond avec toutes les activités, et les englobe avec leur différents conflits; 3 elle est leur lieu de rencontre, et leur terrain commun. Et c’est dans Henri Lefebvre, Critique de la vie la vie quotidienne que prend forme et se constitue l’ensemble des quotidienne, I, Editions de rapports qui fait de l’humain — et de chaque être humain — un tout3 ». Paris, l’Arche, 1947, Il y a donc cette dualité chez Lefebvre, qui conjugue une vision de la p.108 vie quotidienne comme une abstraction capable de remplir un « vide technique », et un espace réel au sein duquel nos existences interagissent; « La vie quotidienne comment la définir ? De tous côtés, de toutes parts, elle nous entoure et nous assiège. Nous sommes en elle et hors d’elle.

1 Michael Sheringham, Traversées du quoridien, Presses universitaires, Paris, 2013, p. 35

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

Aucune activité dite « élevée » ne se réduit à elle mais aucune ne s’en détache. Ces activités naissent, croissent, émergent; aucune ne peut se constituer et s’achever pour et par elle même, en quittant le sol natal et nourricier1 ». Et cette matière, socle de nos pratiques et de nos interactions, se dérobe à elle même. Son intensité tient à sa fragilité, et tenter de la saisir reviendrai à parler de « ce qui est, de ce 2 Georges Perec, 2 « Approches de que nous sommes ». L’insolite et l’extraordinaire sont ce qui nous quoi? », in parle habituellement. Echouans à identifier nos quotidiens autour de L’infra-ordinaire, Seuil, Paris, 1989 nous, les médias de masse se chargent de répondre à notre besoin de quotidien en nous fournissant des substitues au quotidien vécu. Des films, des séries, des scandales, des réseaux sociaux; ainsi mis en scène le quotidien n’est plus « ce qui se vit, mais ce qui se regarde ou se 3 montre, spectacle et description, sans nulle relation active3 » et cela Maurice Blanchot, « La parole aboutit au déguisement et à la dépolitisation du quotidien au sein quotidienne », infini, duquel nous évoluons. Selon Blanchot Les journaux compensent L’entretien Paris, Gallimard, leur incapacité à saisir le quotidien en le rendant événement, en 1969, p. 358 substituant à l’absence d’événement propre au quotidien le vide du fait divers : « incapable d’atteindre ce qui n’appartient pas à l’historique mais qui est toujours sur le point de faire irruption dans l’histoire, il s’en tient à l’anecdote et nous retient par des histoires4 ». Le quotidien se 4Ibid., p. 364 fait image, scandale, et perd ainsi l’essence de son indétermination. Lefebvre oppose le récit du journal au récit de la rue, qui pour lui est un espace non-ostentatoire, qui serait la quintessence de l’espace quotidien. 1 Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, II, Paris, Editions de l’Arche, 1962, p.46

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Plan psychogéographique, Guy Debord, 1957

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

La rue, terrain de l’aventure surréaliste et de la dérive situationniste

« La rue, que je croyais capable de livrer à ma vie ses surprenants détours, la rue avec ses inquiétudes et ses regards, était mon véritable élément : j’y prenait comme nulle part ailleurs le vent de l’éventuel1 ». La pratique surréaliste n’est au départ ni littéraire ni poétique, elle opère au sein du quotidien, de la rue , se joue dans la parole, dans le désir et le hasard. Il y a cette idée que le possible est contenu dans l’actuel, et tout l’enjeu des surréalistes est de trouver un moyen de s’en saisir. Déconditionnée et prospective, 2Ibid., p. 697 la pratique de l’existence surréaliste invente ses stratégies pour s’adresser au monde présent. Ceci passe par une soif d’errer à la rencontre de tout2, autrement dit l’absence de but et la nécessité de mettre de coté la finalité qui anime nos activités habituelles. La vie des rues représente le territoire de cette expérience. Motivés par l’appréhension de cette expérience en elle même et non par l’envie de la transcender, les surréalistes ont « une volonté d’approfondissement du réel, de prise de conscience toujours plus nette en même temps que toujours plus passionnée du monde sensible3 ». L’extraordinaire est contenu 3Ibid., p. 231 dans le renouvellement du regard que les surréalistes opèrent, au travers de l’écriture automatique, par la peinture, la photographie ou le texte : on retrouve une notion d’évidence dans cette envie de révéler le quotidien. « Prenons le boulevard Bonne-Nouvelle et montrons-le », l’injonction de Breton dans Nadja montre que l’écriture surréaliste ne reflète que l’enregistrement d’une expérimentation, et qu’elle n’est pas considérée comme une œuvre mais plutôt comme un carnet de 4Henri Lefebvre, bord. Un nouveau regard attentif, qui n’aurait pas la faculté de Critique de la vie quotidienne II. transcender la réalité et le quotidien, mais qui aurait le pouvoir de Fondements d’une les rendre visible. « La rue représente la quotidienneté dans notre sociologie de la quotidienneté, vie sociale. Elle en est la figuration presque complète. Comme la L’arche, Paris, 1961, quotidienneté, la rue change sans cesse et se répète toujours4 ». p. 310 Pour Lefebvre, fortement imprégné du mouvement surréaliste, la

1 André Breton, Oeuvres complètes, I , Gallimard, « Pléiade », Paris, 1992, p. 196

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ville et surtout la rue, ont supplanté la sphère domestique pour devenir le lieu de quintessence du quotidien. Il la perçoit comme un lieu de passage, de croisement, de circulation, de communication; un théâtre qui reflète 1 De « Nouveaux aussi bien les trajectoires individuelles que la puissance du collectif. ensembles urbains » (1960), Les travaux d’Henri Lefebvre s’orientent peu à peu exclusivement à La production de vers l’espace de la ville, où le quotidien ne se retrouve plus que de l’espace (1974), en 1 passant par Le droit manière implicite . Les dialogues engagés avec Guy Debord et les à la ville (1968) situationnistes feront émerger certains des discours les plus influants et La Révolution urbaine (1970) sur le quotidien — leur pratique implique presque toujours l’espace urbain, et ils ont en commun l’influence des surréalistes. 2 Ce point de vue L’Internationale situationniste appréhende la ville comme un espace avait été développé concret, en utilisant le principe de la dérive, du détournement et de par Breton avec la notion la psychogéographie. La psychogéographie s’appuie sur le postulat de « magiqueselon lequel différents environnements ou ambiances agissent circonstancielle » dans « Pont-Neuf » directement sur les sentiments humains et contribuent plus ou 3 L’international moins fortement aux états d’esprits auxquels nous pouvons aspirer2. situationniste, Fayard, Paris, La dérive se définit comme « une technique de déplacement sans 1997, p. 55 but qui se fonde sur l’influence du décor3 », un comportement ludicoconstructif qui prend source dans le jeu et le désir, et qui s’attache à recueillir des données expérimentales sur les différents aspects du tissu urbain. « La beauté nouvelle sera DE SITUATION, c’est à dire provisoire et vécue4 », 4Walter Benjamin, surréalisme, comme chez les surréalistes, la volonté des situationnistes est de Le Œuvres, tome II, donner toute sa place à la vie courante; en 1957 Debord écrit : Paris, Gallimard, « Folio Essais », « nous avons à trouver des techniques concrètes pour bouleverser 2000, p. 119 les ambiances de la vie quotidienne5 ». L’utilisation de l’expression 5Guy Debord, 1955est nouvelle, et signale un rapprochement avec les aspirations de Potlatch, 1957, Paris, Lefebvre. Les situs considèrent que toutes les tentatives d’organisation Gallimard Folio, 1996, p. 163 de la vie quotidienne sont fondées sur l’aliénation et la contrainte, et 6 Ibid., p. 153 envisagent l’intervention de spécialistes — de l’espace par exemple, architectes, urbanistes… — dans la sphère du quotidien comme un non-sens. Un éditorial de L’International Situationniste proclamait que les situationnistes représentaient le plus bel exemple d’un « corps anti-hiérarchique et anti-spécialiste6 ». Il y a pourtant dans le groupe CoBrA — un groupe nordique des année 1950 qui s’inspire

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

des écrits d’Henri Lefebvre et qui fera le lien avec les situationnistes — un architecte qui initie cette théorie des situations en publiant en 1953 « Pour une architecture des situations ». Un texte fondamental dans les réflexions sur le quotidien où Constant Nieuwenhuys part de l’idée que l’architecture pourrait permettre de transformer la réalité quotidienne. Il réalise des plans pour une ville utopique : Neue Babylone, avec comme motivation de créer des situations nouvelles. Inspiré de la théorie des « moments » de Lefebvre, il propose de nouvelles situations construites qui mettraient en rapport des parties, des quartiers de la ville, séparés dans l’espace. Constant ne construisait pas, mais sera banni par les situationnistes pour avoir travaillé avec des architectes motivés par la construction réelle d’édifices. La présence du spécialiste est indésirable pour les situationnistes, qui envisagent le quotidien comme une expérience, une pratique non contrainte, qu’on ne peut appréhender qu’aux limites de la conscience puisqu’il n’existe que par notre participation non volontaire aux rythmes de la vie. Le bavardage de la rue incarnerait selon Lefebvre, l’ontologie du quotidien, un bourdonnement qui nous entoure, nous traverse et se formule sans effort, Blanchot se joint à lui lorsqu’il évoque « cette part d’existence inapparente et cependant 1 Maurice Blanchot, « La parole non cachée, silencieuse mais d’un silence qui s’est déjà dissipé quotidienne », lorsque nous nous taisons pour l’entendre et que nous écoutons L’entretien infini, Paris, Gallimard, mieux en bavardant, dans cette parole non parlante qui est le doux 1969, p. 361 bruissement humain en nous, autour de nous1 ». Un contre-discours, insouciant et involontaire, qui dans son élan anarchique met en péril les systèmes pré-établis.

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Neue Babylon, plan Constant Nieuwenhuys, 1960

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Neue Babylon, perspective Constant Nieuwenhuys, 1960

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New York, Sempé

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Le pouvoir de dissolution du quotidien

« La quotidienneté proteste; elle se révolte, au nom des innombrables cas particuliers et des situations imprévues. Hors de la zone atteinte par la bureaucratie, ou plutôt en marge, subsistent l’informel et le spontané. A l’intérieur de la sphère organisée ou même surorganisée, persiste une sourde résistance, de sorte que la forme doit s’adapter, se modifier, s’accommoder1. » L’idée que la révolte et la résistance émergent de l’indétermination du quotidien constitue un sujet central du dialogue entre Lefebvre et les situationnistes, imprégnés des aspirations surréalistes. Le surréalisme montrait comment l’acte d’appropriation qui consistait à faire de la rue l’espace du désir individuel et collectif pouvait constituer une émancipation. Pour eux, la vie quotidienne constituait le fondement des transformations révolutionnaires. Pour Blanchot c’est le non-alignement du quotidien qui en fait une réserve d’énergie subversive : « Inépuisable, irrécusable et toujours inaccompli, toujours échappant aux formes ou aux structures — en 2Maurice Blanchot, particulier celles de la société politique : bureaucratie, rouages « La parole quotidienne », gouvernementaux, partis2 ». Notre participation passive et non L’entretien infini, réfléchie aux activités de tous les jours, dissout notre individualité Paris, Gallimard, 1969, p. 357 dans l’anonymat, « nous évoluons dans une dimension collective, interpersonnelle, dans un présent sans particularité qui participe à l’humanité ordinaire3 ». Barthes développe dans Sémiologie et Urbanisme, une opposition entre la signification et le niveau fonctionnel. Dans le 3 Ibid. , p. 441 cas d’une ville, le lien entre la fonction et la signification serait la bête noire du spécialiste, car dans l’esprit du citadin « la signification est 4 4 Roland Barthes, vécue en opposition complète aux données objectives ». L’habitant Oeuvres complètes, met en œuvre ce que Barthes appelle la puissance sémantique de tome I, Paris, Gallimard, Seuil, la ville, en créant une ville à sa mesure, « la cité est un discours et ce 1993, p. 441 discours est un véritable langage : la ville parle à ses habitants, nous parlons notre ville, la ville où nous nous trouvons, simplement en 5 Ibid. , p. 441 l’habitant, en la parcourant, en la regardant5 » Cette intuition nous

1 Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne II. Fondements d’une sociologie de la quotidienneté, Paris, L’arche, 1961, p. 69

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amène à l’un des points principaux du travail de Certeau sur le quotidien : l’usager transforme activement les structures et les systèmes plutôt que de les subir. Il développe l’opposition mise en lumière par Barthes : celle qui s’opère entre le discours et la marche, le parler des pas perdus. Certeau s’intéresse aux différentes manières de faire, qui se fixent 1Michel De Certeau, leur propre règles, mais qui s’appuient sur le déjà-là, par exemple L’invention du quotidien, I, Art de l’agencement des rues. En jouant avec les règles de ce qui est pré- faire, Paris, 1980, établi, ces manières de faire introduisent un second niveau imbriqué Gallimard Folio, p. 51 dans le premier1. Il considère ces pratiques comme multiples, hétérogènes et interchangeables, car fondées sur des situations singulières. « Interconnectées, ces pratiques ont une véritable force active capable de modifier les systèmes au sein desquels elles interviennent, tout en évitant le contrôle imposé par ces systèmes, en utilisant leurs interstices2 ». 2 Ibid., p. 141 Ces différentes manières de faire s’opposent chacune à des ordres établis; si nous prenons le cas de la marche, l’ordre qu’elle vient 3Michel De Certeau, enrayer se manifeste dans la planification urbaine, dans la ville- L’invention du quotidien, I, Art de concept3. Marches dans la ville le chapitre de l’invention du quotidien faire, Paris, 1980, qui se trouve dans la partie consacrée aux pratiques d’espaces s’ouvre Gallimard Folio, p. 144 par l’évocation d’une vue panoramique de Manhattan depuis un building. La vue de la ville qu’offre ce point de vue à Certeau ressemble à un immense quadrillage ou des petits humains se déplacent. La perspective offre un champ de vision démesuré, qui permet à l’observateur de rêver au contrôle de cette ville. De Certeau oppose ce point de vue à celui des usagers ordinaires, qui évoluent dans les rues en contrebas : depuis la rue, cette vision absolue est impossible. Les mouvements des sujets qui sillonnent la ville 4Ibid., p. 141 produisent un texte urbain pour de Certeau, ou encore un texte social pour Lefebvre, la narration qu’invente leurs écritures avançantes et croisées4 n’ont pas d’auteur ni de spectateur. L’étrangeté du quotidien réside dans le mélange obscur des routines de tous les jours qui échappent aux représentations. Les usagers de la ville, dans leurs déplacements quotidiens créent une seconde ville, métaphorique, au sein de la première, que la marche vient inventer en brouillant les schémas établis. Pour Certeau, il est inutile de réinjecter quelconque comportement lyrique surréaliste ou des

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

dérives situationnistes pour libérer nos puissances inconscientes car la marche est déjà : multiforme, résistantes, rusées et tétues3. Le quotidien use de ressources qui ne lui appartiennent pas, sur 1 Ibid., p. 53 un territoire qui lui est étranger, Certeau utilise la métaphore du braconnage : « Ses ruses, son effritement au gré des occasions, 2 Ibid., p. 62 ses braconnages, sa clandestinité, son murmure inlassable1 ». Le quotidien n’a pas de lieu, utilises ses tactiques et stratégies chez l’autre. Il se révèle et s’exprime à travers l’appropriation, et s’impose toujours dans un contexte pré-contraint. Selon Certeau, ce sont les manières de faire des usagers qui provoquent « les zébrures, éclats, 3 Ibid., p. 154 fêlures et trouvailles dans le quadrillage d’un système2 ». Ainsi la marche dans son mouvement du corps s’approprie la ville et engendre une métaphore stylistique de l’espace3; la lecture pérégrine 4 Ibid., p. 245 dans un système imposé4 — le lecteur est producteur de sens et tout texte soumis à un processus de lecture est transformé —; la parole implique des mises en relations entre les espaces, celui du contexte 5 Ibid., p. 245 du discours prononcé, et le non lieu de la narration. Ces activités du quotidien ont toutes en commun le non-lieu induit par les histoires qu’elles racontent, cette narration lie et relie les espaces dans lesquels ces actions prennent place, contribuant à l’édification de leur propre monde, de leur ville métaphorique. L’usager de la ville, dans ses activités quotidiennes, « se déterritorialise, oscille dans un non-lieu entre ce qu’il invente et ce qui l’altère5 ».C’est précisément dans cette absence de lieu et dans ces liens métaphoriques, que le quotidien puise sa force et sa puissance de résonance.

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

La narration de l’ordinaire

Certeau développe l’idée selon laquelle la narration est une tactique quotidienne1. Selon lui, la structure narrative serait en elle même une trajectoire spatiale; la narration serait capable de relier 2Michael Sheringham, entre eux des espaces séparés, de la même manière que les Traversées du métaphores : « les histoires construisent des ponts , de sorte quotidien, Paris, Presses qu’elles enfreignent les limites2 ». Les formes microbiennes universitaires, 3 Michel De Certeau, 3 2013, p. 237 op. cit., p. 191 de la narration quotidienne détournent les ordres établis et supplantent des états stables par des trajectoires narratives. Dans sa conclusion de L’Invention du quotidien, Certeau développe la notion de lieux pratiqués — un lieu fréquenté qui devient de ce fait un lieu de pratiques — et qui peut par conséquent, grâce à la superpositions 4 Ibid., p. 293 de ces multiples pratiques, devenir une réserve de résistance face à la logique fonctionnaliste4. Cette même logique fonctionnaliste, selon Certeau, aurait fait office de prétexte à l’urbanisme moderne pour faire table rase et ainsi ne pas se confronter à la complexité 5 Ibid., p. 293 des illisibilités d’épaisseur d’un même lieu5. Certeau s’intéresse à la vision de Wittgenstein à propos de l’ordinaire, et se joint à sa vision lorsqu’il affirme que « le langage définit notre historicité, nous surplombe et nous enveloppe sous le mode de l’ordinaire6 ». Tout 6 Ibid., p. 25 deux ont cet intérêt pour l’historicité, en tant que couches stratifiées et accumulées par la mémoire pratique et l’existence commune. On 7 Cavelle est retrouve cette idée que le langage ordinaire déterminerait le monde un philosophe quotidien et serait la source de l’expérience commune. d’inspiration Wittgensteinienne Michael Sheringham, dans son ouvrage dédié au quotidien, établit un parallèle entre le quotidien de Certeau et l’idée d’ordinaire de Cavelle7. Wittgenstein ramène les mots à leur usage courant, et ceci est pour lui est un moyen de nous situer sur le plan du monde et des autres, 8Stanley Cavelle, d’affirmer ce que nous avons en commun. Pour Clavell, la pratique In Quest Of University de l’ordinaire8 — comme il la nomme — passe par un regard et une Ordinary, Press, Chicago, disposition différente vis à vis du savoir et de la connaissance, afin 1988 Michel De Certeau, L’invention du quotidien, I, Art de faire, Paris, 1980, Gallimard Folio, p. 170

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d’éviter le scepticisme : ce déni de l’existence des autres et du monde aboutirai à un désir de connaissance qui échouerait à se connecter au monde en tant qu’espace que nous habitons1. Les savoirs constitués représentent pour lui une menace, et il nous faudrait les écarter pour que devienne possible une reconnaissance de notre monde quotidien. Cette reconnaissance du quotidien est rendu possible par un changement, 2Stanley Cavelle, de Walden, un renouvellement de « l’angle sous lequel nous nous tenons devant Sens Courbevoie, Théâtre le monde2 ». Chez Cavelle aussi bien que chez Certeau, ce sont ce typographique, que ces activités partagent entre elles qui compte, c’est à dire ce lien 2007, p. 61 3 Stanley Cavelle à l’ordinaire par lequel différentes activités deviennent analogues, écrit ceci à propos « l’occupation de chacun, est isomorphe à toutes les autres. C’est d’un texte de Thoreau pourquoi construire une maison, sarcler, écrire et lire sont des 4 Propos traduit allégories et des mesures les unes des autres3 ». Pour eux, l’ordinaire par Michael Sheringham et le quotidien ont été submergé par les savoirs constitués, et leur dans : Traversées intérêt se porte sur les pratiques qui pourraient le faire réapparaître du quotidien, Paris, Presses et faire perdurer sa capacité à rendre le monde habitable. universitaires, D’après Wittgenstein, « l’ordinaire possède seul le pouvoir d’animer 2013, p. 240, issu de « Wittgenstein l’ordinaire, de rendre l’habitat humain habitable, de transfigurer as a philosopher of l’identique. La pratique de l’ordinaire peut être considérée comme culture », in The Cavell Reader, la défaite de la réitération ou de la reproduction ou de l’imitation par Blackwell Publisher, 1996, p. 232 la répétition, de l’art de compter par l’art de raconter, de l’appel par le rappel. C’est le familier envahi par un autre familier4 ». L’ordinaire établit une structure fondamentale, tandis que la pratique de l’ordinaire répète une performance en fonction d’un contexte particulier. Certeau pense le récit comme une pratique traversière reliant des espaces hétérogènes et dispersés grâce à un art de la relation5. « Le récit est lié à la mémoire, 5Michel De Certeau, non pas comme un réservoir encombrant d’expériences accumulées L’invention du quotidien, I, Art de mais comme domaine susceptible d’être activé dans un contexte faire, Paris, 1980, précis, faisant place à une intervention tactique, efficace en ce qu’elle Gallimard Folio, p. 133 se saisi du moment6 ». La narration est contextuelle et propose ainsi 6Michael des récits différents pour chaque situation singulière. La dynamique Sheringham, Traversées du de la métaphore englobe les activités du quotidien — la parole, la quotidien, Paris, marche, la lecture, l’habitation… — et de ce fait même, faire naître Presses universitaires, 2013, p. 241 des équivalences entre ces différentes expériences. Les manières de Stanley Cavelle, In Quest Of Ordinary, University Press, Chicago, 1988 1

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

faire expriment une manière d’être au monde, et ainsi mises en relation avec un ordre établi — le livre, la ville… — créent un véritable espace de liberté, constitué par un ensemble de pratiques éphémères, connectées par leur lien à l’ordinaire.

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2. UNE ARCHITECTURE ORDINAIRE COMME LIEU D’ÉPANOUISSEMENT DES QUOTIDIENS


INSAISISSABLES QUOTIDIENS, TRANSMISSION DE L’ORDINAIRE EN ARCHITECTURE

Georges Perec en pleine enquête, rue de l’Assomption, Paris, 1974

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UNE ARCHITECTURE ORDINAIRE COMME LIEU D’ÉPANOUISSEMENT DES QUOTIDIENS

L’infra-ordinaire

« Comment parler de ces « choses communes », comment les 1 Georges Perec, traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue L’infra-ordinaire, dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, Paris, Seuil, une langue : qu’elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous 1990, p. 11 sommes1 ». Georges Perec nous propose une manière de traquer le quotidien en se positionnant comme un explorateur du quotidien. Il utilise les méthodes traditionnelles de l’ethnographie — l’inventaire, la description — pour interroger l’habituel, l’évident, l’infra-ordinaire. Il cherche à « interroger ce qui semble tellement aller de soi que nous en 2 Ibid., p. 12 avons oublié l’origine2 », et pour cela il procède par investigation. 3 Ibid., p. 12 Ses projets d’écriture cherchent à s’approcher d’une nouvelle anthropologie, « celle qui parlera de nous. Non plus l’exotique mais l’endotique3 ». Dans son projet Lieux, Perec prévoit d’observer au cours de douze années, douze lieux parisiens. Il décrit les éléments remarquables de ces lieux en préambule de ses textes, puis le récit est dirigé vers autre chose; « décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se 4 4 Georges Perec, passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages ». L’infra-ordinaire, Et ceci n’est pas sans nous rappeler le résidu de Lefebvre ou encore Paris, Seuil, 1990, p. 11 le rien ne se passe de Blanchot. Perec se donne un mode opératoire précis et rigoureux pour assouvir son désir de décrire de ce que l’on ne remarque pas, il réalise un inventaire de tout ce qui s’offre à ses yeux : le temps, les couleurs, les trajectoires, les symboles, les chiffres, les lettres… Ce qui est sans importance, ce qu’en temps normal il n’aurait jamais relevé : le banal, l’ordinaire, le normal… Il veut reproduire un rythme, celui de nos marches, des vols des pigeons, des panneaux publicitaires, des passages des bus…Il veut interroger le quotidien en le faisant parler de lui même, avec son propre langage, dans sa propre tonalité, et ainsi nous exposer à l’expérience du quotidien.

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Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Paris, POL, 1982, p. 27 1

Tous les pigeons se sont réfugiés sur la gouttière de la mairie. Un 96 passe. Un 87 passe. Un 86 passe. Un 70 passe. Un camion « Grenelle Interlinge » passe. Accalmie. Il n’y a personne à l’arrêt des autobus . Un 63 passe. Un 96 passe Une jeune femme est assise sur un banc , en face de la galerie de tapisseries « La demeure » elle fume une cigarette. Il y a trois vélomoteurs garés sur le trottoir devant le café. Un 86 passe. Un 70 passe. Des voitures s’engouffrent dans le parking Un 63 passe. Un 87 passe. Il est une heure cinq. Une femme traverse en courant le parvis de l’église1

Il cherche à retranscrire l’expérience dans son processus, par l’enregistrement fidèle de micro-événements, comme un enregistrement. L’intention de Perec est de rédiger « un texte à prétention purement descriptive2 » tout en testant les limites de l’objectivité. Bien qu’il se place en scribe anonyme, il ne cherche pas à cacher sa perception et laisse certains traits de son humeurs, certaines de ses références s’exprimer. Il explique qu’il choisit des lieux liés à des souvenirs et à des moments importants de sa vie. Il veut procéder de deux façons : in situ — décrire instantanément ce qu’il voit, d’une manière neutre, énumérer des micro événement (un bus qui passe, une dame qui fume,…), des éléments d’architecture, le temps qu’il fait et le temps qui passe —, ou ex situ — décrire les souvenirs d’un lieu associé à celui des gens, de manière rétrospective, à la maison ou au café. En une année Perec devait décrire deux

Catherine KerbratOrecchioni, L’énonciation: De la subjectivité dans le langage, Armand Colin, Paris, 2009 p. 135

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fois chaque lieu : in situ et ex situ. Il scelle ses textes dans des enveloppes, avec quelques objets (tickets de caisse, factures…) afin de devenir le témoin d’un triple vieillissement : du lieu, du souvenir, et de l’écriture. 1Philippe Lejeune, Philippe Lejeune analyse le projet Lieux de ses début en 1969 à La Mémoire et l’Oblique, son abandon en 19751. En lisant le contenu des 133 enveloppes George Perec que Perec avait consigné, il remarque que ces lieux, plus que d’être autobiographe, Paris, POL, 1991 mêlés à des souvenirs personnels, étaient tous liés à de récentes histoires d’amour. Lejeune montre à quel point le projet Lieux est lié à la mémoire et au souvenir. C’est dans ces lieux évocateurs de sens que Perec choisit de décrire des événements insignifiants du quotidien, des lieux qui lui sont familiers et qui ont fait partie de son quotidien à un moment donné. Lorsqu’en 1981 un groupe de chercheurs en architecture lui demande sa collaboration pour une étude d’un morceau du 11e arrondissement, Perec eu beaucoup de difficulté a réaliser le même type de description. Il se vit confronté à un problème dans sa relation à l’espace. Il ne s’était rendu qu’une seule fois auparavant dans ce quartier et l’endroit lui parut insondable; cette absence de familiarité avec le lieu, l’empêcha de voir le quotidien. Il confia que son manque de rapport au lieu en faisait un lieu dépourvu de sens. Il avait besoin pour que ce lieu lui parle : de repères, de codes au travers desquels il aurait pu lire l’espace qui lui était donné. Nous nous attacherons à cette idée que pour qu’un lieu puisse devenir un lieu d’appropriations par l’écriture, il faut qu’il nous soit familier. Il y a t-il des lieux de la ville qui, sans que nous y ayons des souvenirs, nous soient plus familiers que d’autres ? Existe t-il une architecture qui accueillerait mieux les appropriations — par l’écriture ou par des gestes qui la transforment — qu’une autre ? L’architecture influence t-elle nos pratiques quotidiennes ?

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Les coulisses de la ville

« Si le monument, dans sa solitude d’objet, même relative, peut prétendre au statut de poème architectural, avec le récitatif de la rue, nous n’avons affaire, par contre, et tout du long, qu’à de la 3 Jean-Christophe prose. Une prose narrative, poétique, théorique, au sein de laquelle Bailly, La phrase les poèmes des monuments s’incrustent comme des citations, mais urbaine, Paris, Fiction et Cie, où tout finit par renvoyer à la théâtralité prosaïque des enfilades, 2013, p.101 avec des entrées et des cours qui scandent leur cœur des secrets et de digressions au sein des chapitres. Le passant, livré à la prolixité du plan, est le héros de ce roman, il l’écrit selon son désir et cite ce qu’il veut 1 ». Nous cherchons dans ce deuxième chapitre à planter notre propre décor : quels lieux de nos villes, malgré eux, nous invitent aux manifestations les plus spontanées de nos quotidiens ? La ville est par essence le lieu de la représentation architecturale; l’infinité de coulisses qui entoure cette représentation se charge de disperser ces lieux de représentation dans un réseau complexe de circulations et de services : une maille, un tissu, appartenant au patrimoine ordinaire. Reproductible et normalisable il se dissout dans la masse et l’anonymat. Si nous nous amusions à établir une comparaison entre la ville et le théâtre, ces lieux de représentation feraient appel à ceux de la scène, et le tissu ordinaire à ceux des coulisses, que Jean Christophe Bailly, dans son ouvrage La phrase urbaine, schématise de la manière suivante :

SCÈNE SYMBOLE MONUMENT

COULISSES FONCTION TISSU

Dans ces coulisses, qui relèvent plus du tissu que du monument, de la fonction plus que du symbole, se joue un spectacle permanent, qui dans son

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improvisation, nous immerge dans l’expérience quotidienne de la ville. Ce n’est pas le lieu du spectacle, ni celui qu’il faut voir, et certainement pas celui où un ami nous conseillerai d’aller dans une ville qu’il a connu avant nous; mais il est pourtant celui qui fait exister la ville et qui nous apparaît 1Jean-Christophe La phrase souvent comme familier. Tandis que tous les lieux qui concernent Bailly, urbaine, la représentation se trouvent dans une dynamique statique, le reste Paris, Fiction et Cie, fait appel aux parcours, au mouvement, est « lié à la marche plutôt 2013, p.101 qu’à l’œil1 ». La scène et son équivalent dans la ville sont alors considérés comme des étapes au milieu d’un déploiement complexe de rues, et au sein de celles-ci, le monumental, dans sa démesure, et son autonomie,crée une pause, un événement. « Nul art n’est davantage tenté par la démesure que l’architecture2 ». 2Luc Richir, Et cette démesure, indifférente au temps, pourrait très bien se passer « Les vacances de l’architecte », La de ses habitants; proclamant avec arrogance l’autonomie de son part de l’œil, n° 13, existence. La pensée architecturale, est presque toujours séduites par 1997, p. 151 le charme du monumental. Pour Bataille, l’architecture se traduit uniquement dans cette monumentalité, elle est toujours représentative d’un pouvoir. De notre point de vue, l’architecture nous semble être plus générale et nous aimons penser qu’elle concerne un bien plus grand nombre de constructions, qui ne se réfèrent pas forcément au registre esthétique, ou à celui de 3 Emmanuel Levinas, Sur la technique. D’après Levinas « il faut rendre aux merveilles de notre Maurice Blanchot, architecture leur fonction de cabane dans le désert3 », on ne discerne Montpellier, Fata Morgana, aucun misérabilisme dans cette évocation de la cabane, l’auteur 1975, p. 23 évoque une construction humaine au sein de l’espace infini. Pour lui, l’architecture trouve tout son sens dans l’abri. Il y aurait une nécessité de libérer la pensée architecturale de toute cette sémantique de la merveille qui stupéfie, éternise, impose et domine; où l’habitant ne devient plus qu’une silhouette donnant l’échelle de l’édifice. Il nous faudrait lui soustraire sa charge pathologique — que notre époque affectionne tant — retirer l’émotion 4 Benoit Goetz, associée aux grandes réalisations construites, non pas dans le but La Dislocation, architecture et de refuser l’art mais plutôt dans celui de refuser la domination de philosophie, l’esthétique sur les dimensions éthiques de la spatialité. « Après tout, Paris, Ed. de la Passion, 2001 la plus belle architecture n’est qu’une construction fragile et muette, p. 95 un bricolage trop humain4 ».

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Pour revenir a notre analogie avec le théâtre, nous pouvons évoquer les coulisses de la ville au travers d’une architecture ordinaire, qui accompagne les gestes ou le jeu de ceux qui y demeurent. Une architecture qui prend en considération autre chose qu’elle même : les quotidiens qui s’y déploient et le tissu dans lequel elle s’insère; loin d’une idéologie engagée par les modernes, ou le zoning et les monuments abstraits, autonomes, s’imposent. Le tissu serait le lieu où les existences se jouent dans leur mouvement, et c’est en cela que notre intérêt porte plus sur cette maille qui met en jeux nos existences que sur n’importe quel monument qui ferait sensation. On oppose l’architecture ordinaire de la rue à l’architecture extraordinaire du monument. Évoquer une architecture ordinaire comme lieu d’épanouissement des quotidiens, c’est évoquer une architecture qui ne se représente pas, qui ne domine pas. Une architecture inaperçue mais qui pourtant fait sens. Nous cherchons à découvrir de quelle manière ces coulisses sont les lieux d’appropriation de nos quotidiens et quels sont les processus mis en jeux.

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Maison des aiguilleurs de train, Tour & Taxis, Bruxelles, 2010

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Processus de quotidianisation

« Nous nommons quotidianisation ce processus d’aménagement 1 Bruce Bégout, matériel du monde incertain en un milieu fréquentable, La découverte du ce travail de dépassement de la misère originelle de notre quotidien, Paris, Allia, 2005, p. 313 condition par la création de formes de vie familières1. » Le processus de quotidianisation est un point d’accroche de ces quotidiens évoqués précédemment, dans les espaces que nous habitons. La vie quotidienne serait ce qui domestiquerait notre monde, rejetant l’inconnu et l’immaîtrisable de l’humanité. Ainsi ce processus assurerai le rôle de produire un monde sûr et hospitalier, et serait la condition même d’existence du quotidien, aménageant ainsi son propre monde, connu et 2 Ibid., p. 93 familier, constitué de quotidiens « en train de se faire, de se défaire, 3 Ibid., p. 17 de se refaire2 ». Après nous être attachés à cette première dimension du quotidien de rendre familier, nous nous intéressons à sa capacité de créer la surprise. C’est bien par ce « mouvement incessant de la transgression et de la familiarisation3 » que se définit ce processus. L’étranger appartient au quotidien tout autant que le familier, dans la mesure ou ces deux notions cohabitent pour fabriquer notre appropriation du monde; et c’est dans cette dialectique précisément que le quotidien existe. C’est cet équilibre même, cette contradiction permanente du stable et de l’instable, du familier et de ce qui lui est étranger, qui établit cette frontière que le quotidien habite. L’ordinaire, serait la projection de ces quotidiens dans le plan concret, à qui on aurait ôté son processus de fabrication. Ainsi dépouillé, l’ordinaire s’offre à nous comme une forme de stabilité, et le quotidien se nourrit de cette stabilité, tout autant qu’il la rejette : « le quotidien crée cette frontière entre le connu et l’inconnu, entre ce qui rassure et ce qui inquiète, entre le familier et l’étranger. C’est cette dialectique, cet aller-retour permanent qui caractérise le quotidien comme un processus dynamique dont l’ontologie devient possible de ce fait même. L’essence du quotidien réside dans cet entre-deux de l’ambiguïté, de l’équivocité, de la tension en opposition à son apparence

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routinière et tranquille. Le quotidien est le conflit permanent, la dynamique des opposés qui le constituent1 ». A un lieu étranger, le quotidien crée ce monde connu qui rassure; à un lieu familier, le quotidien crée ces surprises qui étonnent. Lorsqu’il s’agit de se « défaire », le quotidien s’exprime en des lieux connus, des lieux qui lui sont devenus ordinaires. Cette liberté que lui confère ces lieux permet de rendre de compte de ses appropriations, et révèle l’élan anarchique qui lui permet d’en transformer la nature. Dans sa répétition, le quotidien intègre ses transgressions, et ce sont elles qui dévoilent ces mouvements, ces actions répétées. Un rien lui suffit pour créer le dérangement, la fissure, et ainsi déconstruire le monde ordinaire édifié par nos quotidiens eux même.

Sébastien Chevrier, L’inhabitable est notre site, DPEA Architecture et Philosophie, ENSA Paris La Villette p. 19

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A PROPOS DU QUOTIDIEN ET DE L’ORDINAIRE, DÉFINITIONS ET MODES OPÉRATOIRES

Saisir le quotidien dans ses fissures

« Comment voir le tissu, si ce sont seulement les déchirures qui le font apparaître ?1 ». Les coulisses de la ville, comme lieu d’épanouissement du quotidien. Nous suivrons cette idée selon laquelle les quotidiens peuvent s’exprimer librement dans des architectures familières. Nous poserons notre regard sur une architecture banale, qui se réinvente jour après jour; des espaces insignifiants, que l’architecture ne s’attarde pas à regarder, mais que les usages et appropriations, viennent enchanter et façonner. Notre attention sera portée sur ces espaces, qui prennent tous leurs sens par nos présences. Nous appelons fissures ce qui révèle le quotidien en le dérangeant. Au travers d’un carnet de bord, nous chercherons à lire ces espaces qui se laissent investir de nos gestes : par la photographie pour saisir l’instant — quand il ne s’est pas déjà dissipé — mais aussi par le dessin d’architecture pour d’une façon plus neutre, décoder ces espaces. Nous avons cherché des attitudes purement non-quotidiennes qui sont pourtant des composantes fondatrices de la vie et de la pensée du quotidien, non pas dans l’intention de les transcender mais dans celle de les rendre visibles.

Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Paris, POL, 1982, p. 40 1

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Carnet de bord, Fissures du quotidien.

2012 - 2014



17h00 vendredi 18 septembre 2014 Bordeaux

Fissure #1, Planter un cactus sur un terre-plein

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Plan

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AxonomĂŠtrie

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10h23 mercredi 17 aoĂťt 2014 Ile Tudy, Bretagne

Fissure #2, ĂŠtendre du linge sur un parking

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Plan

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AxonomĂŠtrie

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10h40 mardi 21 juillet 2012 Marseille

Fissure #3, Lire sur la marche du seuil de son entrĂŠe

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Plan

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AxonomĂŠtrie

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14h20 Lundi 12 janvier 2013 Morro da providencia, Brésil

Fissure #4 Un réservoir d’eau comme terrain de jeux

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Plan

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AxonomĂŠtrie

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16h50 Lundi 16 octobre 2014 Bordeaux

Fissure #5, Prendre le thĂŠ sur le trottoir

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Plan

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AxonomĂŠtrie

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3. LES PARADOXES DE LA RECONQUÊTE DU QUOTIDIEN



LES PARADOXES DE LA RECONQUÊTE DU QUOTIDIEN

Transmettre l’ordinaire

« Quel sujet parlant, quel sujet discourant, quel sujet d’expérience et de savoir, voulez-vous minoriser du moment que vous dites : «Moi qui tiens ce discours je tiens un discours scientifique et je suis savant »1 ». Nous nous permettrons un nouveau détour pour nous intéresser à une anthropologie de l’ordinaire défendue par Eric Chauvier. La question essentielle que l’anthropologue se pose dans cet ouvrage est celle de la transmission de l’ordinaire, et cela passe par la conversion du regard. Cette anthropologie pense l’enquête comme un phénomène 2 moments regroupant une suite de moments constamment expérimentés2, entendus au sens Goffman comme et propose de la positionner au cœur de la production finale du de « catégorie de la rapport de l’anthropologue. Plus considérée comme une simple praxis doté de propres, demande d’informations, l’enquête devient elle même le projet règles de partenaires, anthropologique; ce n’est plus la question seule et sa réponse d’enjeux, de risques ». décontextualisée qui intéressent, mais l’ensemble du temps partagé avec l’observé qui constitue la base de l’étude de l’anthropologue. Selon lui, cette anthropologie de l’ordinaire pourrait s’approprier la 3 Nathalie Sarraute, L’ère du soupçon, tache de la littérature, et créer cette « substance anonyme dont serait Paris, Folio essais, composée l’humanité entière3 », et pour cela ce sont les quotidiens 1956, p. 85 qu’il convient d’évoquer. L’anthropologue cherche à éviter les pièges de la pensée pure, construites sans considérer les informations recueillies in situe. Il prend en compte l’ordinaire, le quotidien, avec ses détails et ses anomalies, dans l’espoir de se rapprocher d’une théorie interprétative par un jeu d’appariement des consciences. Eric Chauvier reprend Merleau-Ponty et admet que « le monde n’est pas ce que je pense mais ce que je vis », non pas dans le but d’arrêter de penser le monde dans lequel il vit mais dans une projection ou le savoir traditionnel de l’habitant serait tout aussi légitime que le savoir théorique du savant qui vient le visiter. Dans cette praxis, l’interlocution est fondamentale. L’idée dominante est celle de convertir le regard incarné, et cela implique un changement épistémologique important puisque l’on considère à présent que le processus de l’enquête devient Michel Foucault, Dits et écrits (1954-1988), Gallimard, France, 2001, p. 11 1

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partie intégrante de cette dernière, le processus de l’enquête devient l’objet de l’enquête. Le cadre change, ethnologiquement, devient une conversation située, on recherche l’objectivité : « dans ce programme l’anthropologue à pour but d’outiller le non spécialiste, et pour ce faire, d’inventer 1 Eric Chauvier, les textes (ou autres supports) susceptibles de déjouer les pièges Anthropologie de des métadiscours et l’indicible inertie à laquelle ils assignent les l’ordinaire, Toulouse, foules1. » Eric Chauvier déplore ce conflit de classe entre observés Anacharsis, 2011, p. 34 et observateurs, omniprésent en anthropologie, et rend compte de la violence symbolique que l’observateur inflige à l’observé. Ce dernier étant toujours considéré comme un être mutique, n’ayant aucun droit de parole. Renouer avec l’ordinaire équivaut pour lui à retrouver cette précieuse situation d’interlocution, et pour que dans le rapport final de l’anthropologue, l’observé puisse apparaître comme quelqu’un capable de prendre la parole. Ainsi les philosophes en reviendraient aux usages, et les 2 Michel Foucault, anthropologues à l’ethnographie. Chacun reviendrait à la rencontre Dits et écrits avec l’autre, « une expérience de savoirs qui se dissocient de la (1954-1988), Gallimard, France, connaissance2 ». Aller vers cette rencontre et laisser émerger des 2001, p. 220 savoirs de cette expérience. Nous pourrions tenter d’imaginer la même chose pour les architectes. L’observé de l’anthropologue 3Eric Chauvier, serait l’usager de l’architecte, et le temps partagé prendrait toute son op. cit., p. 48 importance, « les observés deviennent des êtres témoins, des êtres structurant des structures, signifiant des concepts, échantillonnant leurs propres cultures, des êtres implicites, des êtres de l’implicite3. ». Les formes spontanées de savoirs ne sont plus exclues et peuvent de ce fait menacer un « modèle d’interprétation fixé a priori ». L’anthropologie de l’ordinaire reconnait l’autre en tant que porteur de savoirs légitimes : « Il s’agit de faire jouer des savoir locaux, discontinus, disqualifiés, non légitimes, 4Eric Chauvier, contre l’instance théorique qui prétendrait les filtrer, les hiérarchiser, op. cit., p. 58 les ordonner au nom d’une connaissance vraie, au nom des droit d’une science qui serait détenue par quelques-uns4 ». Si l’anthropologue, le philosophe, via la parole, proposent un certain classement du monde, l’architecte en construisant, propose et met en forme son propre classement du monde. De la même façon que les autres, il interprète, et impose cette interprétation. Redonner sa place au langage ordinaire revient pour Chauvier,

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LES PARADOXES DE LA RECONQUÊTE DU QUOTIDIEN

à « tenter de rendre acceptable cette classification pour ceux avec qui nous communiquons », plus que rendre acceptable , l’architecte en construisant, rend habitable. Nous étudierons dans la suite, trois façons différentes de transmettre l’ordinaire en architecture. Nous avons choisi des architectures qui semblent proposer un certain regard sur notre thème du quotidien et nous tenterons d’analyser comment ces architectes s’inspirent de cela pour rendre un lieu habitable. Que se passe t-il lorsque les concepteurs de la ville se mettent en quête de l’espace familier ? Ou comment le spécialiste de l’espace peut-il penser l’ordinaire et le quotidien au travers d’un projet construit. Nous voulons aussi savoir ce que le quotidien garde de lui même après avoir été ainsi étudié, manipulé et projeté sur le territoire.

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Place des Géants Saint Etienne, Collectif Etc, 2010

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LES PARADOXES DE LA RECONQUÊTE DU QUOTIDIEN

« Sois spontané »

Nous nous intéressons ici à la pratique des collectifs en architecture, et cherchons à questionner une tendance qui tend à recréer des quotidiens dans l’espace public. Sous forme d’événements ponctuels, le collectif investit un lieu, souvent sujet à un futur projet, et y expérimente une nouvelle façon de faire participer les habitants à la fabrique de la ville. Des activités sont proposées, les habitants encouragés à venir participer. On plante, on lit, on cuisine, on discute, on aménage tous ensemble un lieu qui deviendra notre. On s’installe pour une courte durée, d’une façon très simple, dans l’espace public. Cela n’a rien de spontané ni de normal, mais ça en a tout l’air. Où qu’ils se trouvent, ces projets ont en commun de s’adresser à l’habitant quelconque, aux personnes ordinaires. Il y a entre ces collectifs une envie commune de défendre la présence de l’ordinaire dans l’espace public. Dans quelles mesures la question du quotidien inspire t-elle leurs projections ? Projeter et planifier, mais peu à peu, et avec des moyens modestes, dans l’espoir d’une production d’un imaginaire commun, qu’ils 1 Constantin Petcou, Doina Petrescu, entendent comme une production sociale. Sur la place publique Au rez-de-Chaussée de la ville, ou dans les interstices, le lieu et la participation des habitants Multitude n° 20, forment la base du projet, et contribuent ainsi à la création printemps 2005 d’une ville de substitution, qui « invente, intensifie et restitue d’une manière critique ces nouvelles formes de réappropriation de la ville contemporaine »1. L’unité de mesure ici change, c’est l’Homme, l’être, celui qui parcourt la ville. Comment ces actions, participent-elles à la fabrique de la ville ? Sont-elles capable de dépasser l’événement pour s’inscrire dans des parcours quotidiens ? Que retrouve t-on ici du quotidien et de l’ordinaire ? On y retrouve des gestes simples et banals, auxquelles ont aurait pu s’adonner spontanément si on en avait eu l’idée et le temps. Les collectifs prévoient la matière et le lieu de nos futures appropriations, dans l’idée d’y mettre en scène des quotidiens, de les amplifier, de les donner à voir dans l’espace public. A nous de jouer, « d’être spontanés », de récréer nos quotidiens sur cette place, dans cette dent creuse, sur ce parking. L’idée

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rassemble, invente un nouveau vivre ensemble dans des lieux improbables. Cela amuse, on participe. Après s’être émerveillé devant la simplicité de la démarche, la convivialité du chantier et la modestie de l’échelle du projet — il est vrai que cela n’est pas toujours courant chez les architectes — il reste cette étrange idée de planification de l’ordinaire. Lorsque l’on agit spontanément, on agit à sa propre discrétion. Il y a la même contradiction insoluble dans « agit par toi même » que dans « sois spontané », mais serait-il alors possible d’y répondre correctement ? Il est impossible de décider de dormir plus profondément. De quotidien dans ces pratiques, il y a toujours la magie de l’éphémère, bien sûr, mais parfois au prix de la stigmatisation des populations, car souvent ces projets trouvent leur lieux d’accueil dans des quartiers populaires. Il y a aussi les matériaux utilisés, esthétique favelesque des palettes, des planches de bois dépareillées et des baignoires isolées. De quotidien, ils n’empruntent que les gestes, et lui ôtent l’imaginaire qui l’accompagne. Perdues sont ces choses qui échapperaient à notre volonté, puisqu’ici, nous prévoyons la simplicité, transfigurons la perception ordinaire du banal. Mais peut être est-ce une urgence de reconquérir les espaces publics de nos villes, d’y réinjecter du sens et de la gratuité, des possibles. Et que l’un des moyens pour y arriver est de planifier les appropriations collectives. « Peut on imaginer un urbanisme laboratoire, complémentaire à l’urbanisme planifié et « fait pour durer » ? Un urbanisme de préfiguration, qui défriche et teste des possibles, un urbanisme permissif, reposant sur des interventions légères et éphémères et offrant une place réelle aux initiatives d’appropriation collectives, un urbanisme qui révèle et augmente 1 Collectif Bruit du Frigo, le potentiel poétique et d’usage des lieux, un urbanisme qui Manifeste contribue à lutter contre l’appauvrissement de l’espace public et le repli sur soi, en réinventant des espaces communs désirables... Si le développement des projets démocratiques reste un enjeu de nos sociétés alors de nouvelles formes d’urbanités sont à inventer. Un nombre croissant d’individus devrait trouver les possibilités d’avoir prise sur la fabrique permanente du monde où l’on vit1 ». On retrouve l’idée de l’habitant qui façonne sa propre ville. Comme chez le collectif Etc, il y a cette volonté commune de créer ou accompagner des situations urbaines autogérées. On occupe l’espace public pour le transformer. Il y a cet espoir que le lieu puisse

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perdurer, dépasser l’événement pour se faire lui même quotidien. Mais sans rentabilité, les délaissés ne laissent pas souvent le choix de la durabilité. Le futur projet prendra sa place, sans se soucier de ces nouvelles traces. L’appropriation de la place des Géants à Saint Etienne est aussi un outil d’acceptation des futures constructions : on se projette dans le futur plan tracé au sol, le collectif induit des usages que les habitants viennent s’approprier. On reproduit l’habité dans ses futures dimensions, dans l’espace public; on imagine comment est-ce que l’on vivra prochainement dans ce bâtiment. Le chantier se veut événement, on le communique, on nous y invite, on nous pousse à agir en habitant quelconque, puisqu’ici c’est cela qui importe. Contraindre l’irréfléchi, en le rendant événement. Dans quelle mesure peut on dépasser cet événement, pour lui laisser une chance de prendre part à nos quotidiens ? Institutionnaliser, officialiser, on perd encore un peu de spontanéité, mais nous pouvons à nouveau prétendre à la projection d’un vécu dans ces lieux, leur donner une part d’existence réelle dans nos parcours journaliers. Pour les faire entrer dans ses codes de planifications, la Ville se saisit de l’idée, et la façonne à sa manière pour mieux l’intégrer, avec tout ce que cela engendre. Les Parklet de San Francisco en sont un bon exemple. L’idée prend sa source de l’occupation d’une place de parking par le collectif Rebar, en 2005. Cela durera une journée, en alimentant le parcmètre, le collectif reprogramme le lieu pour en faire un petit parc temporaire. L’espace est aménagé, un rouleau de gazon-synthétique au sol, un banc et un arbre, suffiront à en transfigurer l’usage. En 2013 cette initiative se fera urbanisme tactique en devenant un élément pour la reconquête de la ville, lors du Parking-Day où les habitants de plus de 180 villes 1Philippe Gargov, s’emparent des places de stationnement. La volonté de départ « Chronique villes agiles est intacte, installer une micro-architecture qui créé un conflit des – L’essor des d’usage dans l’espace public, toujours lors d’un temps donné, parklets », Blog Chronos, 2011 ainsi que mettre en scène l’ordinaire de nos vies dans un lieu ou l’on ne l’attend pas. L’échelle de l’événement est boulversé, un urbanisme du minuscule et de l’insignifiant, planifié sur plusieurs continents. On veut aller encore plus loin dans l’expérience, la pérenniser, pour « rendre aux petites urbanités la place qu’elles avaient perdu ces dernières décennies. En cause, un urbanisme essentiellement fonctionnaliste qui en aurait oublié

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ses habitants1 ». Les villes de San Francisco et Vancouver, et plus récemment des villes Sudaméricaines, se dotent d’un programme de Parklet afin de reconvertir ses places de stationnement de manière durable. On imagine de nouvelles formes d’appropriation de la rue pour le passant, le trottoir s’étend au delà de sa fonction de déplacement. Ainsi la ville fournit aujourd’hui un mode opératoire aux commerçants, entreprises et résidents dans le but qu’ils participent au développement des espaces piétons. D’une stratégie urbaine ascendante de bottom-up on revient à une stratégie descendante de top-down, actionné non plus par les habitants mais par les institutions, que les premiers Parklet s’amusaient à défier. L’expérience en est renversée, dans son essence comme dans la forme qu’il se donne. Dans ces appropriation planifiées, l’affirmation du quotidien a presque le même effet que son rejet : des moments évanescents se condensent en un tout stable et cohérent. En désignant son intérêt et sa valeur, on ne parvient pas à saisir le quotidien dans son authenticité. On ne retrouve pas les tensions qui l’animent et qui en font un espace où l’homme peut 1Louis Aragon, trouver à se réaliser. On le réhabilite, on l’exhorte, et met en scène Le paysan de Paris, Paris, Gallimard son propre paradoxe. Ainsi transfiguré le quotidien cesse d’être lui Folio, 1972, même pour devenir l’exceptionnel, le merveilleux quotidien1. p. 105-106

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Collectif Rebar, San Francisco, 2005

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Manuel d’installation de Parklet, San Francisco, 2013

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La Mémé (1969), Woluwe-saint-Pierre, Bruxelles, 2013

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Structurer le désordre de la vie

« Il nous semble légitime de conserver, au travers des réactions maladroite des groupes, les contradictions, les hésitations, les ratés, les multiplications, les superpositions, les piratages, les atavismes, les nonsens, les juxtapositions, les inégalités, enfin tout ce qui forme une 1 Patrick Bouchain, Simone et texture urbaine, tout ce dont l’absence n’engendre que le modèle du Lucien Kroll, 1 une architecture pensionnat ou celui de la caserne enjolivée ». habitée, Paris, Actes Lucien Kroll est appelé par les étudiants en médecine de Bruxelles Sud, 2013, p. 32 pour concevoir un bâtiment qui rassemblerait leur locaux et des kot2, à Woluwe-Saint-Pierre, dans la périphérie de Bruxelles. Ils ont rejeté le premier projet qui leur était proposé, le zoning dont il faisait état correspondait pour eux à la perte de proportion humaine, qu’ils mettent en relation avec ce que la médecine de classe aurait perdu. C’est dans 2 Kot signifie petit abri en flamand, ce contexte que la culture étudiante devient la véritable maitrise ce sont des lieux d’ouvrage de Lucien Kroll, qui considère ses interlocuteurs comme communautaires de vie étudiants personnes et non comme fonctions. On retrouve dans cette relation très répandu entre l’architecture et ses usagers, l’idée de transmission de l’ordinaire en Belgique, les chambres défendue par Eric Chauvier. Et c’est justement cet état d’esprit qui s’organisent autour de lieux communs trouve dans les besoins humains son inspiration plutôt que ses (cuisine, séjours), restrictions, les savoirs ne cohabitent plus mais s’imprègnent les chaque chambre se loue de manière uns des autres, sans se contraindre. « Il est irrationnel d’imposer des indépendante. éléments identiques à des habitants divers; cela les rend identiques, amorphes ou révoltés3 ».Le temps est considéré comme une dimension principale du projet, l’accumulation des désirs, la stratification des envies, inventent les espaces. On y retrouve des identités, des visions, une addition d’individualités qui s’expriment dans un lieu commun. La volonté de l’architecte est d’aboutir à un milieu habitable et signifiant, et pour ce faire, il croit en le maintien d’un dialogue tout au long 3Patrick Bouchain, du processus de création. On retrouve un intérêt très fort pour le op. cit., p. 21 quotidien dans la mesure ou il considère ces identités comme des éléments essentiels du projet. Les marges de décisions s’en retrouvent élargies, on

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refuse l’identique, et souhaite donner un appui a cette diversité, « qui 3Patrick Bouchain, entraînerai à son tour la créativité pour faire naître de surprenants op. cit., p. 27 espaces1 ». Une trame de 30 centimètres permet d’organiser la construction, et accueille les remplissages des artisans et des habitants. Kroll encourage les artisans à exprimer leur propre savoir faire, il réalise une maquette assez évasive d’une sculpture afin que l’un des maçons puisse finalement représenter ce qu’il veut. Il croit en la réconciliation entre l’habitant et le bâtiment, et ceci s’amorcera par l’expression de la trace de la main de l’artisan dans la construction finale du bâtiment — les maçons incorporent des végétaux aux coffrages des voiles bétons. Dans son esprit, ceci encouragera la main de l’homme à s’exprimer aussi. Il est obsessioné par la recherche d’une méthode de construction qui pourrait permettre l’essor à la fois de l’homme et de la machine, et prône une entente entre la production de masse et l‘environnement naturel. Grâce à l’apport du SARL2 — Stiching Architecten Research — le projet de la Mémé développe les coordinations modulaires, suivant une trame de 30 centimètres. Les remplissages qui prennent place dans cette structure peuvent être fabriqués par un artisan ou un habitant lui-même. On peut ainsi permuter la taille de sa fenêtre, le remplissage d’un mur, devenir l’architecte 2Le SARL , Stiching Architecten de l’esthétique de sa façade. Les cloisons mobiles et démontables Research, créé en permettent de réinventer l’espace, d’adapter le plan de son étage, à 1965, est un groupe chaque fois qu’un groupe en aura l’envie ou le besoin. Ainsi mis en de recherche en sur la mouvement, le plan peut correspondre à des usages présents, des architecture, standardisation de habitudes, devenir le reflet de pratiques quotidiennes. En laissant superstructures. cherchent leur place à ces usages, on accepte aussi de les rendre visibles dans la Ilà développer ville. Les fenêtres de la Mémé ont été tirées au sort par les étudiants l’emploie d’éléments et les élèves de l’école maternelle située au rez-de-chaussée, en industriels, à résulte une composition qui relève du hasard, et ce désordre ne nous faciliter la diversité des habitats en est pas étranger. Volontairement inachevé, le projet possède des série, et à rendre volumes vides, laissant à l’habitant la liberté de les transformer en possible l’évolution de cet habitat une pièce, une loggia, un jardin d’hiver… Kroll accepte de ne pas tout par extension ou contrôler, de laisser le temps et les usages compléter l’édifice. L’action remplacement. quotidienne devient aussi source de programmation lorsque des infirmières déclarent que le meilleur réveil pour elles est celui de l’odeur du pain chaud, on décide d’encastrer dans la Mémé une boulangerie qui n’était pas prévue,

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sous les logements. On retrouve dans l’architecture de la Mémé des identités et des points de vue, des aspirations ordinaires qui s’additionnent, dans ce qu’elle donne à voir dans l’espace public jusqu’à l’intérieur des logements. Le lieu accepte de se transformer, d’évoluer, l’architecte veut que cette référence à l’ordinaire évolue avec ses habitants et leurs besoins. Les espaces naissent de l’accumulation des quotidiens, on se réfère à l’ordinaire — comme on pourrait se référer à une référence architecturale prestigieuse — pour nourrir le projet.

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La Mémé (1969), façade Woluwe-saint-Pierre, Bruxelles, 2013

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Conception en maquette avec les futurs habitants Woluwe-saint-Pierre, Bruxelles, 1964

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Villa Buggenhout, plan Buggenhout, Bruxelles, 2007

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La pièce unique : carte blanche au quotidien

Nous avons choisi d’évoquer l’une des maisons d’Office KGDVS 1, un atelier qui par ailleurs développe presque de manière systématique le principe de la pièce unique dans ses projets. L’édifice est situé dans la campagne Belge, implanté sur une parcelle entourée de bosquets. L’enceinte en acier modulaire définit le volume de la maison, qui est organisé en deux niveaux : la maison intérieure à l’étage supérieur et la maison extérieure ouverte sur le jardin au rez-de-chaussée. La maison extérieure est conçue comme une villa avec un jardin, ses murs épais et doubles, en brique, portent une plateforme en béton, sur laquelle s’appuie la maison intérieure. Une architecture introvertie, qui ne laisse pas penser ce qui s’y passe. Kersten Geers et David Van Severen perçoivent aussi l’architecture comme un outil pour fabriquer des cadres, des enceintes, des périmètres, s’intéressent aux seuils, au moment où l’on n’est ni à l’extérieur, ni à l’intérieur2. Ils ne 2Nous traduisons les propos de craignent pas la répétition, et la voient plutôt comme un moyen de Kersten Geers et développer un vocabulaire spécifique, de lui donner plus de force. David Van Severen interviewés dans la A l’intérieur de la maison Buggenhout, une même pièce se répète, revue Plot : se clone. Nous pouvons y voir la recherche d’une pièce idéale, d’un « As a result we started to archétype, d’un espace primitif et parfait, basé sur les proportions contemplate a about the du nombre d’or; mais nous choisissons de l’aborder du point de vue lot perimeter, and a de notre thème et de nous demander ce que ces espaces identiques perimeter makes Looking at ont à voir avec le quotidien. Toutes les pièces sont de dimensions ait room. today we would 2 égales, des carrés d’un peu plus de 14 m . La trame orthogonale de rather say that we very interested 3,80 mètres définit la structure et les espaces de la maison. Le plan, are in the threshold, carré, est constitué de 9 pièces identiques à chaque étage. Chaque the moment when one is not outside, volume est semblable, et tous les espaces se valent. On recherche nor inside. More une architecture qui n’aurait pas de programme spécifique, une and more we start to think that it is architecture pas vraiment fonctionnaliste. Sur le plan, on distingue ultimately this parfois des affectations, pas toujours perceptibles. Quelques espaces which is our project, the project of the du plan restent vide, ou habillés de deux petites assises. Certaines threshold, of the pièces n’ont donc pas de fonction prédéfinie, et ceci relève d’une perimeter. »

Office KGDVS est un atelier d’architecture Belge fondé en 2002 par Kersten Geers and David Van Severen 1

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interprétation spécifique du quotidien : on décide de le laisser faire, de se laisser surprendre. Les appropriations de chaque espace se feront par le vécu, les habitudes. L’escalier situé dans le carré du milieu, permet de desservir tous les espaces, qui présentent de larges ouvertures, afin que le sur-cloisonnement du lieu ne soit pas trop imposant dans le parcours de l’usager. Les périmètres des pièces sont surtout marqués par leurs angles. La rationalité du plan nous dit encore autre chose; nos quotidiens n’ont pas besoin d’aménagements particuliers pour telle ou telle tâche, il sont libres et leur puissance peut être celle de définir des fonctions pour ces espaces. On fait confiance au quotidien, à sa spontanéité pour faire lui même de cette pièce une chambre, un salon, une salle à manger. L’espace est neutre, presque monotone, ce sont les usages qui s’en empareront pour le faire vivre. Une rigidité presque provocante, déconstruite par nos appropriations. La multiplication des espaces donne aussi lieu à des usages très spécifiques et précis, ce qui serait habituellement un coin dans un espace plus grand, possède ici un lieu pour lui; l’escalier a sa propre pièce, tout comme la cheminé, ou le fauteuil pour lire. Et cette succession de petits lieux n’est pas anodine, chaque geste compte, et les espaces qui leur sont donnés ne font état d’aucune hiérarchie. Ici l’architecture donne des cadres, des périmètres, dans lesquels des quotidiens s’expriment en transformant radicalement la nature des espaces qu’on lui propose. Office KGDVS inverse les normes, transforme l’idée du prédéfini : on ne retrouve pas le fonctionnalisme habituel qui préside à la distribution habituelle de l’espace. On refuse un style de vie stéréotypé en refusant les pièces définies, destinées à être habitées strictement selon les fonctions et l’emploi du temps réglé — l’emploi du temps modèle dirait Perec — qu’elles présupposent. Les architectes décident de laisser les priorités des habitants s’approprier l’espace.

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Villa Buggenhout, vue intérieure Belgique, 2007

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Villa Buggenhout, vue depuis la deuxième enceinte Belgique, 2007

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Conclusions

« L’architecture est par essence débordée par l’espace qui l’entoure 1Jean-Luc Nancy, de « La et les corps qui l’habitent. Toute œuvre d’architecture est une Préface dislocation », ouverture vers ce qu’elle ne contient pas ni ne comprend. Elle attend Benoit Goetz, des surprises qu’elle appelle et qu’elle provoque1 ». Nous voulions Ed. de la Passion, Paris, 2001 évoquer de la ville du point de vue de celui qui la pratique, la ville p. 17 à vue d’homme. Nous convoquions des références en marge de l’architecture, celles de la littérature, de la philosophie, de l’anthropologie... Nous voulions nous ouvrir à autre chose, suggérer l’architecture au travers de ces surprises qu’elle provoque. Nous nous amusions à porter un nouveau regard sur des architecture dites ordinaires, car nous découvrions en ces lieux des appropriations surprenantes; qui de notre point de vue révèlent une dimension humaine parfois oubliée des architectes. Nous nous sommes intéressés à des projets qui, chacun à leur manière, prenaient en compte le quotidien. Manger, dormir, marcher, lire travailler, se reposer, acheter, bavarder, aménager son lieu de vie, sont autant d’actions que nous connaissons bien. Cependant tenter de les approcher dans leur quotidienneté, d’approcher l’expérience — plutôt que le simple fait — de la répétition, du rythme des choses; tenter de saisir comment tout cela tient ensemble, revient à délaisser la connaissance telle que nous la concevons en général. La mise en espace par l’architecture d’une analyse du quotidien révèle son propre paradoxe : il nous est impossible de le saisir. Ceux qui s’y risquent dévoilent un non-sens, un contre-sens, en le rendant événement, lui ôtant l’imaginaire qui l’accompagne. C’est ici que nous nous tournons vers la référence, il est possible de retrouver quelque chose de nos quotidiens, des bribes qui relèvent de l’ordinaire au travers d’une architecture qui suggère sans se saisir de. Le quotidien serait capable d’inspirer une architecture qui rappellerait quelque chose de familier, une architecture qui laisserait venir le temps tel qu’il se raconte, recelant les traces de nos trajectoires. Une référence qui viendrait nourrir celles de l’architecture, pour la complexifier d’une nouvelle manière. Le quotidien n’existe peut être que lorsque l’on adopte cette attitude, sans lui accorder de valeur particulière, en opérant juste un retournement du regard. Son indétermination nous laisse penser,

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à la manière de Lefebvre, que le quotidien pourrait être capable d’activer involontairement une sorte d’utopie par ses gestes, non pas une utopie captive — comme celles qui concernaient le seul domaine de l’architecture —, mais plutôt une utopie qui se retournerait elle-même contre toute idée ou tout fantasme de fondation. Une utopia povera1, qui traverserait les espaces 1 Cf Jeanet le temps, qui se façonnerait dans la mémoire des strates superposées Christophe Bailly, de nos quotidiens. Un hors-champs que seules nos expériences infimes « Utopia povera », La phrase urbaine et involontaires pourraient creuser. Une utopia povera car elle se loge partout, enfouie dans toute construction humaine qui s’ouvre à autre chose qu’à même — la ville et celui qui la traverse — ; concrète et critique car elle considère la réalité et ses possibles de manière globale et non seulement spatiale. Ne relevant d’aucune théorie, ne se projetant vers aucun avenir radieux, une utopie qui fonctionnerait de manière beaucoup plus humble, avec les éléments du bord. La ville doit demeurer cette œuvre collective qui traverse les temps, une ville qui refuserait de voir son passé se figer, ou de se laisser imposer une modernité autonome et intemporelle. Une ville narrative, qui s’agrippant à sa matière, ferait autant parler les vieilles pierres que les nouvelles structures; et qui emprunterait les dynamiques propres au quotidien, c’est à dire ce don pour le récit collectif au travers de situations singulières.

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Principaux auteurs cités

Walter Benjamin 1892-1940

André Breton 1896-1966

Henri Lefebvre 1901-1991

Maurice Blanchot 1907-2003

Roland Barthes 1915-1980

Michel de Certeau 1925-1986

Guy Debord 1931-1994

Georges Perec 1936-1982

Bruce Bégout 1967

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POSTAMBIULE

Bibliographie

— Livres — Aragon, Louis La paysan de Paris Gallimard Folio, Paris, 1972, 256 pages Careri, Francesco Walkscapes Jacqueline Chambon, Paris, 2013, 224 pages Chauvier, Eric Anthropologie de l’ordinaire, une conversion du regard Anacharsis, Toulouse, 2011, 220 pages Bégout, Bruce La découverte du quotidien Allia, Paris, 2010, 502 pages Bailly, Jean-Christophe La phrase urbaine Fiction et Cie, Paris, 2013, 288 pages Barthes, Roland Œuvres complètes Seuil, Paris, 2002, 1360 pages Benjamin, Walter Œuvre II Gallimard, Paris, 2000, 464 pages

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Bekaert, Geert Declerck, Joachim Gunzig, Thomas La beauté de l’ordinaire, ou comment je me suis disputé avec mon voisin A16 & Label Architecture, Bruxelles, 2006, 190 pages Brecht, Bertolt L’exception et la règle L’Arche, Paris, 1955, 216 pages Breton, André Nadja Gallimard, Paris, 1964, 192 pages Breton, André Œuvres complètes Gallimard, Paris, 1999, 1568 pages Blanchot, Maurice L’entretien infini Gallimard, Paris, 1969, 672 p. Bouchain, Patrick Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée Actes Sud, Paris, 2013, 355 p. Cavelle, Stanley In Quest Of Ordinary, Cambridge University Press, Chicago, 1988, 260 pages De Certeau, Michel L’invention du quotidien I : Arts de faire Gallimard Folio, Paris, 1990, 416 pages De Certeau, Michel L’invention du quotidien II : Habiter, cuisiner Gallimard Folio, Paris, 1994, 448 pages 108


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Foucault, Michel Dits et écrits (1954-1988) Gallimard, France, 2001, 1708 pages Goetz, Benoit La dislocation, architecture et philosophie Ed. de La Passion, Paris, 2001, 192 pages Kerbrat-Orecchioni, Catherine L’énonciation: De la subjectivité dans le langage Armand Colin, Paris, 2009, 272 pages Kroll, Lucien Conversation avec Yvonne Resseler Tandem, Paris, 2012, 234 p. Kroll, Lucien Kroll, Simone Tout est paysage Sens et Tonka, Paris, 2012, 234 pages Laforgue, Jules Poésies complètes Le livre de Poche, Paris, 1970, 236 pages Lefebvre, Henri Critique de la vie quotidienne Grasset, Paris, 1947, 248 pages Lefebvre, Henri Critique de la vie quotidienne II : Fondements d’une sociologie de la quotidienneté L’Arche, Paris, 1961, 357 pages

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Lefebvre, Henri Critique de la vie quotidienne III : De la modernité au modernisme (Pour une métaphilosophie du quotidien) L’Arche, Paris, 1981, 170 pages Lefebvre, Henri Morceaux choisis de Karl Marx Gallimard, Paris, 1934, 463 pages Leiris, Michel Langage Tangage ou ce que les mots me disent Gallimard, Paris, 1985, 188 pages Lejeune, Philippe La Mémoire et l’Oblique, George Perec autobiographe Pol, Paris, 1991, 256 pages Levinas, Emmanuel Sur Maurice Blanchot Fata Morgana, Montpellier, 1975, 79 pages Sheringham, Michael Traversées du quotidien, des surréalistes aux post-modernes Lignes d’Art, Paris, 2013, 414 pages Handke, Peter Essai sur la journée réussie Gallimard, Paris, 1998, 208 pages Perec, Georges L’infra-ordinaire Seuil, Paris, 1989, 128 pages Perec, Georges Tentative d’épuisement d’un lieu parisien Christian Bourgois Editeur, Paris, 49 pages

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POSTAMBULE

Sansot, Pierre La poétique de la ville Payot et Rivages, Paris, 2004, 64O pages Nathalie Sarraute L’ère du soupçon Folio essais, Paris, 1956, 160 pages Sheringham, Michael Traversées du quotidien, des surréalistes aux postmodernes Puf, Paris, 2013, 416 pages — Articles internet — Dollé, Jean-Paul L’enlaidissement du monde Le portique, 2012 Mons, Alain L’intervalle des lieux Le portique, 2003 Gargov, Philippe Chronique des villes agiles – L’essor des parklets Blog Chronos, 2011 — Conférences, mémoires — Cuyers, Wim Conférence d’ouverture de l’année académique 2013-2014 Faculté d’architecture Lacambre-Horta, ULB, Bruxelles, 2013

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Deleuze, Gilles Le point de vue : le pli, Leibniz et le baroque Université de Paris 8, 1979-1987 Chevrier, Sébastien L’inhabitable est notre site, Mémoire encadré par M. Jacques Boulet et Mme Chris Younès, École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette DPEA Architecture et philosophie, 2008 — Émissions radio — Broué, Caroline « Politique et poétique de la ville », La Grande Table 8.04.2013, France Culture Van Reeth, Adèle « L’imaginaire capitaliste de la ville moderne », Les nouveaux chemins de la connaissance 12.04.2013, France Culture Chaslin, François « A propos du vide avec Paul Virilio », Métropolitains 02.06.2011, France Culture Chaslin, François « Georges Bataille contre l’architecture », Métropolitains 08.07.2012, France Culture — Revues — Geers Kersten Van Severen, David (sept. 2012) « La villa Buggenhout » 2G n° 63, Barcelone, 176 pages 112


POSTAMBULE

Debord, Guy Khayati, Mustapha Riesel, René… L’internationale Situationniste, Fayard, Paris, 1969 Richir, Luc « Les vacances de l’architecte », L’architecture et son lieu La part de l’oeil n° 13, 1996, 262 pages Potlatch l’Internationale lettriste, Allia, Paris, 1999 Petcou, Constantin Petrescu, Doina (printemps 2005) « Au rez-de-chaussée de la ville Multitude n° 20, 2005, 118 pages

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