Les fourmis bleues

Page 1

Les fourmis bleues

Jacques Pa誰onni


© 2006 Editeur Jacques Païonni 17 av de la Plaine 77270 Villeparisis, France ISBN : 978-2-9527853-0-3

2


Les fourmis bleues

Jacques Pa誰onni

3


4


Prologue

Trop seul, dans ce palais de brume et de vent, je viens de recevoir la nouvelle et je reste songeur. Personne autour de Moi ne peut comprendre l'importance de cette dépêche. Pour Mes collaborateurs, il s'agit une annonce banale et sans doute sans conséquence comme il en parvient tant et tant chaque jour. Mais Moi Je sais Seul, Je suis seul responsable de cette grave erreur qui compromet l'ensemble de Mon oeuvre et remet en question des milliers d'années de travail. Moi, l'Etre suprême de cette galaxie, Dieu aux mille noms que les hommes M'inventent. Oui, Moi... pour la première fois de l'histoire de ce monde, je me sens coupable de négligence... O Chaos, Mon père! Je suis coupable sans nul doute. Pourras-tu accepter que Ton fils préféré Te déçoive à ce point ? Le journal Me tombe des mains et s'ouvrent en grand sur le tapis de nuages. Le titre Me saute aux yeux une nouvelle fois:

Les fourmis bleues envahissent la Terre! Alors Me reviennent en mémoire les événements de Ma jeunesse. Aux temps où tout n'était qu'insouciance et enthousiasme. Aux temps où tout était à faire, à inventer, à imaginer et à créer... 5


«Concevrez chaque atome, chaque grain de poussière. Entraînez votre imagination dans les plus folles tentatives de création, inventez la vie et la matière. Chacun d'entre vous est libre car je n'interviendrai pas dans vos travaux. Allez et faites selon ma volonté! » Ainsi le grand Chaos a parlé. Et tous mes frères se sont lancés dans l'aventure avec l'ardeur et la fougue de la jeunesse et de la liberté. Rien ne serait arrivé s'Il ne m'avait retenu... Mais Il m'a retenu. « Viens! A-t-il dit. Vois ce vaste espace... Il est libre! » « Père, J'ai déjà une immense galaxie à ma charge, nous avons tous notre part d'univers. » « Tu es mon préféré, celui en qui J'ai le plus de confiance. Tu pourras t'occuper de ces deux espaces. » « Mon travail sera double. » « ... Non, je ne t'impose pas double tâche, Il faut combler ce vide et peu importe que deux parties d'univers se ressemblent. Tu dupliqueras tes créations... Ce sera pour toi une très riche expérience ... Il suffira qu'elles ne se rencontrent jamais... Evidemment… Jamais! » « Évidemment Père, jamais. » « Vas fils et mets-toi à l'ouvrage! » C'est ainsi que sont nées les galaxies Apadno et Bépadno. La conception d'une galaxie est simple. Une fois le principe de l'atome imaginé, il suffit de l'appliquer à l'infiniment grand et à l'infiniment petit. L'énergie nourrit le mouvement et le mouvement crée l'énergie. Un coup de pouce est nécessaire pour lancer le tout et ensuite, il ne reste plus qu'à gérer l'expansion... A ce niveau, il n'y eut guère de divergences entre mes frères et moi et toutes les galaxies se ressemblent à peu d'exceptions près. La matière était créée. La vie donna lieu à beaucoup plus de fantaisie. Personnellement, après avoir tâté plusieurs directions, je crus avoir trouvé la solution en inventant l'insecte. Rien à voir avec les glups ou les apsys qui recueillirent beaucoup de succès auprès 6


d'une majorité de mes frères. Je voulais être original et j'y parvins. Le trait de génie fut de penser à créer deux sexes... Ensuite les modèles se perfectionnèrent et j'obtins finalement une organisation suffisamment structurée et évoluée pour lui insuffler le petit plus... L'intelligence. Apadno et Bépadno prospéraient de manière identique. Cependant Chaos suivait nos travaux avec attention. Quelque chose ne lui plaisait pas dans nos réalisations. Je dois reconnaître que si personnellement j'ai presque toujours été vigilant à ne pas sombrer dans la facilité et l'extravagance, il n'en était pas de même pour certains de mes frères. Et ça, Chaos ne l'a pas admis! Il dut nous réunir à nouveau ; « Trop c'est trop! Vous ne pouvez pas continuer à faire n'importe quoi! Puisque vous n'êtes pas sérieux, je vais vous imposer un profil... Les êtres qui recevront l'intelligence devront être ... A notre image! » Ca fichait tous mes travaux par terre! Je me suis remis à l'ouvrage et cette fois-ci, conservant le principe des sexes, j'ai façonné mes premiers vertébrés... d'énormes animaux que j'ai ensuite miniaturisés. Au fil du temps j'ai diversifié et peaufiné pour enfin parvenir à l'homme... et à la femme, bien entendu! Pour cela six journées cosmiques me furent nécessaires. Tout brave Dieu bien dans sa tête se serait donné un peu de repos, le temps d'une septième journée cosmique... J'y ai pensé! J'ai voulu le faire, repoussant à plus tard la duplication de mes dernières créations sur Bépadno. Je sais maintenant que j'ai commis deux erreurs. La première, c'est d'avoir sous-estimé la charge que représenterait la responsabilité de mes inventions. La seconde, c'est, du fait de mon emploi du temps trop chargé ici, sur Apadno, d'avoir négligé Bépadno au point de n'y avoir plus mis les pieds. Le plus grave est naturellement cet oubli dramatique, car inévitablement le souffle d'intelligence s'est répandu ... sur Bépadno. Oui, le plus grave c'est de n'avoir pas repris ce souffle d'intelligence ... 7


Et ce titre de journal est comme un doigt accusateur pointĂŠ sur moi:

Les fournis bleues envahissent la Terre!

8


2

Le crachin qui tombe lentement depuis des heures rend les pistes de l'astroport luisantes et glissantes. Lenormand les traverse sans se soucier des couloirs peints au sol. Il ne craint pas la pluie et encore moins ce brouillard glacial. Sa combinaison le protège pleinement. Il marche de son pas bringuebalé, héritage d'une vieille blessure de guerre. Son regard noir est fixé sur "La Déesse Qui Aime". Les trois jours de cale sèche ne lui ont guère rendu son aspect d'origine. La déchirure de la coque a été réparée, mais faute de temps, la peinture reste à faire. Un des réacteurs est écrasé contre le Fuselage. Il est fichu, mais pas question de le remplacer ici. Le message codé a dû parvenir au siège de la compagnie. Si la réparation est possible, une équipe de spécialistes viendra discrètement changer les pièces. Sinon, il faudra rebrousser chemin à petite vitesse et rentrer penaud au siège. L'échec de la mission est de toute façon inévitable. Un véhicule s’approche par la droite. Ses phares se réfléchissent sur la piste. Il contourne de gros vaisseaux de commerce et vient droit sur Lenormand. Quelques techniciens affairés s'arrêtent un instant et regardent surpris les couleurs de l'emblème. Il est rare qu'un véhicule du gouverneur s'aventure par ici. L'endroit n'est pas des plus sûrs depuis les attentats qui agitent le pays. Le turbo jet s'arrête à hauteur de Lenormand. Un officier ouvre une vitre: 9


— Commandant Lenormand! J'ai un pli à vous remettre. Il lui tend une enveloppe portant le sceau du gouverneur. Il salue et disparaît rapidement. Lenormand l'ouvre et en sort un papier à en-tête. Il reconnaît les tampons de l'administration. C'est un visa de séjour tout à fait ordinaire accompagné d'une invitation à dîner pour ce soir chez le gouverneur. Il la glisse dans une poche et s’approche de son vaisseau. De près, les traces du choc sont encore plus visibles. Les arbres géants de la jungle de KD23 ont griffé la coque en freinant la chute, Les sèves digestives des plantes carnivores ont attaqué la laque et le métal. « Une chance que dans le désastre les moteurs auxiliaires aient pu repartir et nous arracher à cette zone sauvage » pense Lenormand. Naturellement, plus question de poursuivre l'exploration. Le premier monde habité fut rejoint le plus discrètement possible. Les commandos de la compagnie n'ont pas bonne presse, surtout dans ces contrées récemment colonisées. Voilà pourquoi, afin de ne pas provoquer les populations déportées, la compagnie préfère l'incognito même si sa présence est constante dans ces régions perdues. Le capteur vibratoire ne fonctionne plus, Lenormand tambourine du poing sur la coque en appelant « Ouvrez, c'est moi! ». Il entend les serrures fonctionner et la porte du sas s'efface. — Tout va bien commandant? Chuchote Léon de Nipas, le navigateur aux cent missions qui l’accueille. — Si l'on considère la situation politique de la région, nous pouvons penser que tout va bien pour nous. La porte se referme lourdement dans son dos et la voix de Bill résonne dans le circuit de communication. — Salut commandant, j'ai réduit la fracture. La Déesse est capable de repartir sans trop de risque... A condition de ne pas forcer la vitesse. — Dans ce cas repose-toi. Nous n'aurons pas de réponse de la compagnie avant minuit. Léon et toi devrez rester ici jusqu'à mon retour car ce soir je dîne chez le gouverneur. Léon intervient: 10


— La compagnie a déjà répondu. Je viens juste de décoder son message. Pas question d'envoyer une équipe dans ce secteur. La rébellion est puissante et personne ne veut prendre le risque de provoquer une échauffourée. Nous devons rentrer par nos propres moyens. — Je m'y attendais. Les renseignements que j'ai recueillis auprès des autorités ne sont pas rassurants... Nous décollerons demain matin, aux premières lueurs du jour. Reposez-vous. Léon, calculez nous une route potable. J'aviserai en rentrant. Il traverse le vaisseau et gagne sa cabine. L'équipement en est sommaire. Il se douche, se rase puis passe un uniforme propre. La pluie a cessé quand il quitte le vaisseau. La nuit s'installe, le froid devient plus vif. Les deux lunes montent au sud en illuminant les immeubles avoisinants de lueurs rosées. Il traverse les pistes et se dirige vers le bâtiment réservé à l'administration. Des sacs de sables sont empilés devant les baies vitrées et des militaires armés contrôlent son identité. Il entre sans problème. A l'intérieur, un délégué l'attend pour le prend en charge. Il a le visage grave, fermé. D’un mot il invite Lenormand à s’installer dans un petit véhicule aérien. Presque tous les "cols verts" (c'est ainsi que sont surnommés les militaires et les fonctionnaires de la fédération) sont menacés. Les déportations massives de populations dites "inférieures" vers les planètes lointaines à but de colonisation ont été longtemps payantes. Aujourd'hui ces populations s'organisent et se rebiffent. La fédération n'a pas les moyens de riposter et sa puissance est ébranlée. C'est ainsi que les "cols verts" des mondes les plus éloignés sont pratiquement livrés à eux mêmes, et bien souvent impuissants face à la montée de la révolte. Lenormand se demande même pourquoi la compagnie continue à lancer des explorations de plus en plus lointaines. Les accords qui lient la compagnie à la fédération sur les droits de découvertes n'apportent plus les avantages de jadis... Une politique qu'il n'a jamais vraiment comprise ni approuvée, mais qui a permis d'épurer les mondes du centre de la fédération de toutes les races dites impures, c'est-à-dire de couleurs de peau différentes... 11


Le bâtiment gouvernemental est une bastide fortifiée. Les rues avoisinantes sont quadrillées par des véhicules militaires. L'astro-jet se pose en douceur dans la cour. Lenormand gagne un perron et entre après avoir montré patte blanche aux gardiens de faction. Il constate que des d'impacts de balles ont fendillé les vitres côté rue. Les soldats, sans être nerveux, sont sur le quivive et armés jusqu'aux dents. Un personnage légèrement voûté vient au-devant de lui. Il le reconnaît immédiatement: — Albret! Ca alors, si je m'attendais! s'écrit-il. Léopold Albret est un ancien camarade de promotion. Ils ont fait leurs classes ensemble puis se sont perdus de vue depuis plus de vingt ans... — J'ai vu ton nom sur le rapport de douane. Je ne savais pas que tu travaillais pour la compagnie. Tu as quitté l'armée ? — Ho, il y a belle lurette... Après la guerre des Trois Cités, blessé, j'ai été démobilisé. Seule la compagnie m'a offert la possibilité de continuer à naviguer dans l'espace. Je suis devenu découvreur de planète. — Ca te ressemble. Moi j'ai continué dans la diplomatie. Tu vois où cela m'a conduit. Sur ce monde perdu aux confins de la galaxie et qui n'intéresse plus personne. Les temps sont durs pour les cols verts dans ces parages... — En effet, j'ai cru comprendre. Les colons sont mécontents ? — C'est bien plus grave que ça. Naturellement tu ne sais que ce que le gouvernement fédéral veut bien laisser entendre. Des attentats, des manifestations... La vérité est autre; Les colons possèdent une véritable armée. Ils revendiquent l'indépendance... Et la fédération n'a pas les moyens de les contrer... Ils traversent le hall et pénètrent dans le bureau du gouverneur. ... Ils finiront par obtenir ce qu'ils demandent, mais comme toujours, il faudra verser du sang. Tu sais comme sont les choses... La pièce est vaste, les meubles ont été luxueux. Des fragments de plâtre se sont décrochés du plafond, une poussière blanchâtre couvre le parquet. Dans un angle, une bâche est 12


tendue et protège le bureau et une table où sont préparés deux couverts. — Ca craint ici! Dit Lenormand. Vous êtes souvent bombardé ? — Pas directement, mais les explosions sont fréquentes dans le quartier. Nous vivons en pleine révolution. Et pas seulement ici, tu penses bien qu'il serait facile de riposter... C'est que toutes les planètes de la zone périphérique, environ 250, se sont conjurées pour lancer leur mouvement. Autant dire que nos armées sont partout en sous effectif et impuissantes. — J'en apprends de bonne en venant ici. Voilà ce qui explique la prudence de la compagnie. — Aux yeux des révolutionnaires la compagnie est à la solde de la fédération. Ce n'est d'ailleurs pas totalement faux. — Je n’ai jamais vraiment compris la différence… Ils s’installent à table et Albret remplit les verres de cristal d’un vin doré. — Et toi, que t’est-il arrivé ? — Un gros pépin rarissime, Nous survolions une planète découverte l’an passé par un autre équipage. Des ressources en or et en uranium… Tu vois l’intérêt. La vie y est uniquement végétale, mais terriblement dangereuse… Il soulève son verre et goûte le vin. Il est frais et sucré. — Depuis la réduction des effectifs nous ne sommes plus que trois sur les vaisseaux d’exploration. — Trois seulement ? — Oui, un pilote et un navigateur, plus moi, le commandant. Nous sommes tenus de faire tout le travail des scientifiques. — Ce doit être risqué ! — Nous n’avons pas vu arriver cette pluie de météores. Le vaisseau a été frappé à moins de trois milles mètres du sol, alors que nous étions absorbés par une expérience de prélèvement et que nous téléguidions notre robot. La violence du choc a déchiré la coque et nous a précipités au sol. Nous avons failli y rester. Heureusement que « la Déesse » est malgré tout solide. Avec un vaisseau de la nouvelle génération nous y restions.

13


— Les nouveaux vaisseaux sont produits en masse. La fédération veut s’armer pour lancer une vaste offensive contre les révolutionnaires… Un maître d’hôtel vêtu de blanc entre en poussant un chariot sur lequel sont déposés des plats. Il s’approche et soulève les cloches d’argent. Les mets ont l’air succulent. Il sert et se retire. — Quels sont tes projets à présent ? — Nous repartons demain matin. La compagnie refuse d’envoyer ses équipes pour nous dépanner. J’ai pu faire ressouder la coque. Nous devrions pouvoir rentrer à la base, mais en deux mois au lieu de douze heures. J’imagine que la situation est vraiment critique… — Pour tout dire, je ne suis pas sûr que nous la maîtrisions. Les révolutionnaires sont dix fois plus nombreux que nous. Et même s'ils n'ont pas encore les moyens dont nous disposons, il ne leur faudra pas longtemps pour y parvenir. Dans un an ou deux au plus ils seront prêts. Je te conseille d'éviter toute escale superflue. Et même ici, reste discret jusqu'à ton départ. Plus tard, dans la nuit, Lenormand regagne l'astroport. Le jet le dépose en bordure de piste. La pluie a repris, tombant des nuages en gouttes légères qui masquent partiellement les lunes. Au loin, il aperçoit les silhouettes des vaisseaux qui se dressent dans une auréole que forment les lampadaires et la brume de pluie. Il traverse les vastes entrepôts. L'endroit est désert. Il est absorbé par les confidences que lui a faites Albret. Engagés dans la compagnie, lui et ses compagnons ne sont pas assez au contact du monde civil pour prendre conscience des problèmes quotidiens. Nourri, logé, blanchi, sans attache familiale, il ne vit que pour ses missions, sans se poser de questions. Soudain un puissant projecteur s'allume et l'éblouit. Il entend un pas s'approcher rapidement, une voix l'apostrophe: — Que faites-vous par ici ? Qui êtes-vous ? Le premier réflexe de surprise passé, il écarte les bras et répond: — Je suis le commandant Lenormand. Je regagne mon vaisseau, là, de l'autre coté de cette piste... 14


— Quel vaisseau ? — La Déesse Qui Aime Le projecteur se rapproche et reste fixé sur ses yeux qu'il doit garder fermés. Une main ferme le saisit. Il est fouillé rapidement, une seconde voix dit "Il n'a pas d'arme". Alors le projecteur s'éteint et Lenormand retrouve lentement l'usage de la vue. Ils sont trois. Immédiatement il comprend qu'il n'a pas affaire à des douaniers ou des gardes. Ils portent des vêtements gris, des armes de chasse. L'un d'eux a une cartouchière autour de la taille et un fusil à canon scié. — Que voulez-vous? — Visiter votre appareil ! Interloqué, Lenormand cherche à comprendre. — A quel titre ? Qui êtes-vous ? — Vous allez le savoir. Mais avant tout, nous allons vous accompagné dans le vaisseau. Nos armes vous prouvent que nous ne sommes pas des plaisantins. Obéissez et conduisez-nous. Désabusé, le commandant hausse les épaules et reprends sa marche. — Si vous cherchez fortune, vous allez être déçus. Nous n’avons ni cargaison de valeur, ni argent. On vous a mal renseigné. Le canon d’un fusil se colle dans son dos. — Ne vous faites pas de souci pour nous, on sait ce qu’on fait. Lenormand marmonne quelques jurons puis tente de les décourager. — Attaquer un vaisseau de la compagnie à trois… Vous ne doutez de rien. A peine pénétrer dans le sas, mon équipage va vous maîtriser. Trois rires s’élèvent en même temps… — Vous parlez sans doute des deux personnes restées à bord ? Interloqué, Lenormand s’arrête un instant, mais il est immédiatement poussé dans le dos d’un coup de crosse. — Allez, avancez ! Ca vous surprend qu’on sache ? 15


Il arrive devant la porte du sas. Il sent un choc sur le crâne, titube et s’écroule dans les bras de ses assaillants. L’un d’eux frappe contre la cloison. — Holà, ouvrez, nous raccompagnons votre Comandant. Quelques instants s’écoulent sans qu’il ne se passe rien. Puis d’un Juda électronique, leur parvient une voix. — Qui êtes-vous ? — Je suis le capitaine Nuiselam, je suis chargé de la sécurité du gouverneur. Votre commandant à eut un malaise, il nous a demandé de le raccompagner. Il vient de perdre connaissance. Ouvrez ! Bill les observe sur l’écran. Il reconnaît son commandant et ouvre sans plus de méfiance. Léon l’a rejoint, inquiet pour son ami. Le sas déverrouillé, ils se trouvent nez à nez avec des armes pointées sur eux et des mines patibulaires. — Pas d’histoire, écartez vous et mettez vos mains sur la tête. Nous ne vous ferons pas de mal. — Qu’avez-vous fait au commandant ? — Pas d’inquiétude, il est juste un peu sonné, il va vite récupérer. Portez-le dans la salle de pilotage. Le couloir les conduit vers un ascenseur qui les emporte au sommet du vaisseau. La, Bill pivote un fauteuil et dépose son commandant avec douceur. A ce moment, Lenormand ouvre les yeux. Il se frotte le crâne, en tirant grimace douloureuse. — A qui dois-je faire mes compliments pour la bosse ? — Désolé, je ne voulais pas risquer de vous entendre avertir vos hommes, nous aurions été dans l’obligation de nous servir de nos armes, ce que j’aurais déploré. — Ha ! Et maintenant que vous nous tenez, que comptez vous faire ? — Remplir notre mission. — C'est-à-dire ? Vous êtes des révolutionnaires ? — Bien observé. Moi qui croyais que les employés de la compagnie étaient tous des gros nilgauts incultes. Je voix que vous avez entendu parler de nous. Bill gonfle ses narines, signe d’énervement ; 16


— Hé, Ne nous prenez pas pour des billes. Ok, vous êtes armés, mais faut pas nous chercher. Nous faisons notre boulot. Nous n’avons rien à voir avec votre guéguerre. Lenormand pose une main sur son épaule. — Laisse Bill, j’ai appris des choses que tu ignores. La situation est bien plus compliquée que ce qu’on veut bien nous le dire dans la presse. Il s’adresse au chef : — Vous avez un nom ? — Je m’appelle Jack Nuiselam. Mes compagnons sont Jim et Pietr. Notre démarche, voyez vous, n’a rien à voir avec des mouvements de protestation. Nous sommes en guerre contre le centralisme de la fédération… Toutes les nations périphériques se rebellent. Nous nous sommes engagés dans ce combat pour que cessent les pratiques racistes et que l'égalité soit reconnue entre tous les peuples de la galaxie. — OK Jack, mais que pouvons nous pour vous? Vous avez vu vous-même que notre vaisseau est bon pour la ferraille. Nous compatissons à vos malheurs, mais nous ne sommes pas concernés... — Moi j'ai une mission à remplir. Je dois prendre possession de ce vaisseau et le ramener vers une destination secrète... Que vous soyez concerné ou pas m'importe peu. J'ai besoin de votre appareil et de vous pour piloter. Vous n'avez pas le choix. Il faut collaborer! Jack n'a pas haussé le ton. Il est calme, mais tous comprennent qu'il ne sert à rien de discuter. Lenormand s'approche d'un hublot. La pluie forme de grosses gouttes qui coulent sur le carreau. La lueur du petit matin éclaircit l'horizon... — Puisque c'est ainsi... préparez-vous à décoller... Il est à peine six heures, quand la Déesse Qui Aime s'arrache péniblement à la piste et s'élève dans les cieux. A quelques centaines de mètres de là, un téléphone sonne sur un bureau encombré de dossiers. Léopold Albret décroche et entend une voix lui dire "Opération lancée ! ". Un sourire éclaire 17


son visage rougeâtre. Il raccroche, ouvre une boite de bois et en sort un gros cigare qu'il porte à ses lèvres. Se renversant en arrière contre le dossier de son fauteuil, il tire une bouffée tout en songeant à Lenormand. "C'est tout à fait celui qu'il nous faut... Pour prendre en main nos futures pilotes!" A cet instant un officier entre dans le bureau. Il traverse rapidement la pièce et se plante en face d'Albret. — Nous venons de capter un message codé émit par « La déesse Qui Aime ». "Ha zut, je n'avais pas pensé à cela"... — Vous l'avez décodé ? — Impossible. Il ne s'agit pas d'un texte, c'est juste un signal. Sans doute un appel à l'aide. — Prévenez la Flotte de la fédération. Vérifiez qu’elle a reçu le message et mettez vous à sa disposition s'il le faut. — C'est fait gouverneur. La flotte a décliné notre aide. Une de leur patrouille est déjà lancée à leur poursuite... — Très bien. Restez vigilant et tenez-moi au courant de l'évolution. A peine seul, Albret décroche son téléphone. Il compose un numéro et place devant le combiné un codeur. Un correspondant décroche... — Prévenez Nuiselam. Qu'il force l'allure et disparaisse dans l'hyperespace, sinon, dans moins de deux heures il va avoir la flotte de la fédération sur le dos ...

Un rictus de contrariété se dessine sur le visage de Jack Nuiselam. Le message lui est parvenu sur sa montre, en clair et sonore. Lenormand et Bill sont présents et ont tout entendu. Il se tourne vers eux: — Vous avez envoyé un message ? Lenormand hausse les épaules — Naturellement. Vous ne croyez tout de même pas que la compagnie n'a pas envisagé ce genre de situation ?

18


— C'est bien dommage. Nous allons devoir prendre des risques pour disparaître du secteur. Vous m'avez dit que l'un des moteurs est hors d'usage ? — Vous l'avez vu vous-même! Jack se tourne vers Pietr. — Qu'en penses-tu? — Il ne ment pas, mais par contre, j'ai examiné le vaisseau, je pense que nous pouvons tenter un plongeon. Bill réagit: — Vous êtes fou! Avec un seul réacteur nous ne pourrons pas contrôler notre puissance de sortie. Nous risquons de nous perdre dans l’espace... Pietr acquiesce; — C'est exact! Nous prenons le risque de manquer de puissance pour quitter l'hyperespace et de ne pas en maîtriser la sortie. — Il n'est pas question de prendre ce risque! s’exclame Bill. Jack dégaine son arme et lui pose le canon sous le nez. — C'est moi qui décide. Votre initiative nous oblige à agir dans l'urgence. Nous n'avons pas le choix. Commandant, nous allons plonger! Avec ou sans votre concours. Suis-je clair ? Lenormand échange un regard avec Bill. Il n'a pas le choix. — Puisque vous y tenez... Il va falloir que Léon nous calcule une route. Nous tâcherons de la suivre... Quand à vous et vos hommes, il serait prudent que vous passiez une combinaison. Vos jeans risquent d'être insuffisants pour vous protéger des éventuelles radiations. Léon va vous en apporter... Nous plongerons dans dix minutes. Jim fait une grimace de dégoût en enfilant la combinaison bleue relevée du logo de la compagnie. Il aurait préféré garder ses guenilles. Mais il sait qu'il ne pourrait pas supporter le passage en hyperespace sans cette protection. Ils se retrouvent tous les six dans le poste de pilotage. Léon affiche la route sur un écran et baisse la visière de son casque. Pietr a surveillé toute la manœuvre de préparation. Sa formation technique lui permet de contrôler qu'aucune embrouille ne se prépare. Lenormand vérifie les dernières données du calculateur et enclenche la procédure de plongeon. A moins 20 secondes, le 19


radar s'illumine soudain. Cinq points lumineux surgissent de l'espace. Une voix nasillarde retentit dans les écouteurs des casques. « Ici le capitaine Griot de la milice fédérale. Déesse Qui Aime, je vous donne l'ordre de stopper vos moteurs et de nous permettre de vous aborder. Inutile de continuer votre route, dans 30 secondes vous serez pris par nos filets magnétiques... » Sur le radar, les points lumineux se rapprochent à une vitesse folle. Jack pousse un soupir de soulagement et ne peut s'empêcher de railler: — Enchanté de faire votre connaissance capitaine Griot, mais vous ne nous en voudrez pas de ne pas vous attendre, nous avons un rendez-vous à l'autre bout de la gal... La fin de sa phrase se perd dans l’infinie de l'espace. La Déesse Qui Aime vient de plonger et de disparaître des systèmes de détection des vaisseaux de la fédération. Comme dans un film ralenti, les mouvements deviennent lourds. Les regards se brouillent... La profondeur obscure du vide s'illumine soudain d'un éclat violent qui se répercute dans l'infini du cosmos. La Déesse Qui Aime surgit du néant et file aussi vite que la lumière... Le premier réflexe de Lenormand est de contrôler la position du vaisseau. Il frappe quelques touches d'un clavier et regarde un écran afficher des courbes oscillantes. Le calculateur prend ses repères et mesure le déplacement. Pour l'équipage, le plongeon n'a duré qu'une seconde. En fait, le temps a cessé d'exister pour eux durant le transfert. Bill applique des tests de contrôle sous le regard attentif de Pietr. Le réacteur a bien fonctionné. Il vérifie la consommation de carburant. Un juron s'étrangle dans sa gorge... — Bon sang! 1250 volumes! Les regards se tournent vers lui. Jack défait son harnais de sécurité et s'approche: — Quel est le problème ? C'est Léon qui répond: — J'ai établis une route qui devait nous amener dans le secteur J. Cela représente une consommation de 35 volumes... 20


— Vous devez vous tromper... Commandant, que dit votre ordinateur ? — Je ne sais pas ce qu'il a. Il semble ne pas trouver de points de repère. Bill, vérifie la consommation. Nous n'avons pas pu user 1250 volumes. Je n'ai jamais entendu parler d’un pareil bond dans l'hyperespace. — J'ai vérifié! Il ne nous reste que 3 volumes de carburant. Un ange passe. Ils se regardent éberlués sans évaluer la véritable ampleur du désastre... Sauf Léon qui ne peut s'empêcher de lancer un laconique: — On est dans une sacrée mouise... Un message apparaît enfin sur l'écran. " Configuration stellaire inconnue. Position indéterminée excepté secteur alpha B partiellement identifié à 12% Jack s'approche de Lenormand. — C'est quoi ce charabia ? — Je n'en sais pas plus que vous... Il se tourne vers Léon. — Votre avis ? Léon se caresse le menton l'air songeur... — Si je me souviens bien, le secteur alpha est le nom que l'on donne à la galaxie... La nôtre. C'est peu utilisé car on ne précise jamais la galaxie... Le secteur B est la région de Protaure. — Mais pourquoi dit-il qu'il ne l'identifie qu'a 12% ? — J'en sais pas plus que vous. C'est la première fois que je me trouve dans une telle situation... Et je n'ai jamais entendu parler d'autre cas. Il prend la place de Lenormand devant le calculateur et entre quelques données... — Selon la probabilité la plus vraisemblable, nous avons parcouru beaucoup plus que prévu en hyperespace. J'avais programmé une sortie en secteur J. Il est évident que nous n'avons pas réussi à l’atteindre par manque de puissance. Ensuite, l'accélération permanente que produit l'hyperespace a fini par nous en éjecter. Je crains de ne pas avoir l'équation qui me permettrait de calculer notre itinéraire, mais ce qui est probable, au vu des informations, c'est que nous ayons quitté notre 21


galaxie... Et que nous soyons bien au-delà des galaxies identifiables... — Qu'allons nous faire commandant ? demande Bill. C'est Jack qui répond: — Dans un premier temps, nous devons nous féliciter d'avoir échappé à nos poursuivants. Mais je n'aime pas beaucoup ne pas savoir où nous sommes. — Léon, quand pourrez-vous faire une estimation de notre situation ? Demande Lenormand. — Je crains hélas ne pas pouvoir faire plus... je vais voir... — Dans ce cas, nous allons devoir improviser... et nous entendre sur notre organisation. Il regarde Jack qui acquiesce. — Commençons par prendre une collation, puis nous effectuerons une vérification complète du vaisseau. Ensuite, selon les résultats de Léon, nous aviserons. Le mess semble vide. Ils se sont groupés dans un angle de la pièce, autour d'une table ronde. Ils ont tous assimilés les conséquences de la situation. Pourtant ils mangent de bon appétit. Jim croque goulûment dans un sandwich, Bill le regarde amusé. Ils ont à peu près le même age... — Que faisais-tu avant de détourner des vaisseaux ? Jim sourit. — Agriculteur. Mes parents exploitent une ferme. Et toi, Tu pilotes depuis longtemps ? — Depuis la fin de mes études. La flotte de la fédération m'a refusé dans ses rangs parce que je suis métissé... Oui, ça ne se voit pas, mais ma mère est café au lait... Donc... — Hé bien! Moi qui croyais que seuls les noirs étaient exclus. Je voulais être pilote aussi figure toi. Mais moi on ne m'a même pas permis d'entrer dans une école... Tu connais le problème. Alors j'ai essayé d'aider mon père à la ferme pendant quelques années, et quand j'ai entendu parler de la résistance, je l'ai rejoint. Jack suit la conversation et s'adresse à Lenormand: — Et vous commandant ? Vous êtes un ancien de la flotte ? — En effet. — Vous y étiez bien ? 22


— J'aimais! J'y suis entré par vocation. J'en suis sorti blessé... dans mon amour propre. La Flotte ne pardonne pas les échecs et j'ai échoué dans une mission. J'y ai perdu une partie de ma troupe... des amis pour la plupart.... j'y ai gagné une blessure et une pension insignifiante... Pas de quoi pavoiser. Heureusement que la compagnie m'a accepté. Grâce à elle, je voyage et je reste actif. — Je sens un peu d'amertume dans vos propos. — C'est possible. J'avais rêvé d'une vie différente. Mais je ne me plains pas. Et je me dis que le destin n'est jamais définitif tant que la vie est là. Mais vous-même Jack, qui êtes-vous donc? Jack saisit un morceau de pain qu'il découpe entre ses doigts... — J'étais médecin. J'ai même enseigné à la fac de Détcord III. — Ce n'est pas le profil d'un chef de commando! — Vous parliez du destin... J'étais marié, deux enfants une belle maison et tout roulait bien pour moi, sans soucis... Jusqu'au jour où tout s'est écroulé... Ma fille est décédée dans un accident de la route. Je conduisais trop vite... Ma femme ne m'a pas pardonné. Elle est partie peu après avec mon fils. Vous connaissez le principe... Procès, confrontations, disputes... J'ai tout plaqué et je me suis retiré sur la plus lointaine colonie. C'est là que j'ai découvert la misère des populations déportées... Ensuite c'est l'enchaînement... Pietr intervient: — Il ne dit pas qu'il s'est mis gracieusement à la disposition des pauvres et que beaucoup lui doivent le peu qu'ils savent. Agacé, Jack le coupe et le fixant dans les yeux: — Je n’en ai pas fait plus que toi Pietr. Tu as toi aussi quitté un bon poste et un bon salaire pour te mettre au service de la révolution... Il se tourne vers Lenormand — Il était responsable des ateliers d'entretien du secteur K de la compagnie. C'est un poste rare pour un noir. Pietr le doit à son talent et à sa capacité de travail... Léon, qui était resté silencieux en bout de table, relève le nez de ses notes... 23


— Mes amis, je crois bien que nous sommes perdus. Depuis près de 80 ans que je sillonne la galaxie, c'est la première fois que je vois ça. — En clair ? demande Lenormand. — Je ne sais pas où nous sommes, et de ce fait, impossible d'établir une route de retour. — Le calculateur n'a pas conservé notre trajectoire en mémoire ? — Il a essayé, mais la taille de sa mémoire s'est révélée insuffisante. Il a "écrasé" une partie des données. Du plus loin que je remonte, je ne retrouve rien de connu. — Quelle est la capacité de cette mémoire ? — De quoi enregistrer un voyage entre trois gardes. Largement plus que nécessaire... Les regards incrédules se croisent. Jack croit devoir intervenir: — Pas de panique. Ca ne veut pas dire que nous n'allons pas nous en sortir. Il se tourne vers Lenormand: — Vous aviez parlé de contrôler le vaisseau... C'est le moment de nous y mettre. Ensuite on avisera. — Vous avez raison! Bill, Pietr et Jim; vous allez visiter les parties techniques. Faites également une sortie pour examiner l'état des soudures. Sans perdre de temps, ils quittent la table et se dirigent vers l'élévateur qui les dépose dans la soute. Là, sont entreposées toutes les réserves nécessaires à la vie à bord. De quoi tenir des années s'il le faut. Juste au dessous se trouve le refroidisseur qui produit l'énergie. Un léger bourdonnement accompagné d'une insensible vibration donne à l'endroit une note rassurante. L'accès à cette partie du vaisseau se fait par une trappe circulaire. Ils y descendent un à un. Bill s'approche d'un cadran et constate que les réserves de carburant sont remontées à 5 volumes. L'avantage de la technologie des réacteurs à masse froide, c'est que le vaisseau fabrique lui même son carburant. De ce fait il possède une autonomie totale. La machinerie n'a pas souffert de 24


la terrible dépense d'énergie. Jim découvre un monde nouveau. Pietr, lui, n'est pas en terrain inconnu. Bill est satisfait. Il leur propose de sortir pour l'inspection extérieure. Ils gagnent le sas. Les casques sont bouclés. Bientôt, ils se retrouvent à quelques mètres du vaisseau, flottant dans le vide, maintenu par une sangle d'énergie. Pourtant le vaisseau n'a pas diminué sa vitesse. Ils s'approchent du réacteur principal intact. Une légère couche de glace l'enveloppe. Son aspect est normal. Ils contournent le vaisseau en s'aidant des mains sur la coque. Ils parviennent aux parties ressoudées. Tout est normal. Naturellement, le réacteur écrasé, donne un air piteux à ce côté du vaisseau, mais là encore rien n'a souffert du long transfert en hyperespace. Ils vont pour regagner le sas quand un sifflement aigu retentit dans les casques. Il est aussitôt couvert par la voix de Lenormand: — Réintégrez rapidement le vaisseau... Léon, coupez l'alarme... Jack installez vous ici et surveillez le détecteur... Léon... Que dit le calculateur?... Bon sang comment marche cet agrandisseur... Bill plus habitué aux promenades dans le vide, rejoint le sas en tête. Il saisit ses compagnons et les aide à regagner l'intérieur du vaisseau. La voix de Lenormand continue de retentir dans les casques... — C'est un caillou... Alors Léon ? — Voilà. Bon sang, il est énorme... Vingt fois notre masse. Sa vitesse est supérieure à la notre de 15% environ. — Direction ? — Droit sur nous. Il vient dans notre sillage. Bill surgit à ce moment et remplace Lenormand au poste de pilotage. Un coup d’œil lui suffit pour évaluer la situation. — Il est encore loin, mais il nous rattrape vite. Il ne va pas être facile à distancer. Nous ne pouvons plus accélérer sans risquer de replonger dans l'hyperespace. — Change de cap! Bill se tourne vers Lenormand avec un sourire. 25


— Inutile. Il nous faudrait des heures pour modifier la trajectoire de quelques degrés et le caillou risque de s'accrocher à notre sillage. — Alors il faut plonger... Nous n'avons pas le choix. — Vous vous rendez compte de ce que cela signifie? Notre réserve d'énergie est pratiquement plate. Nous risquons d'y parcourir à nouveau des milliards de kilomètres... Jack intervient: — On ne peut rien faire d'autre ? Lenormand tire un cigare de sa poche et se le fiche dans la bouche. Il consulte son calculateur... — J'ai peut-être une idée. Il va falloir vous accrocher solidement à vos fauteuils. Il y aura probablement de la casse. Tous en place, dépêchez-vous. Chacun se niche et se sangle dans son fauteuil. — Je vais pivoter le vaisseau et piquer sur le caillou. La différence de vitesse et l'écran d'énergie nous permettrons peut être de l'éviter ou au pire de ricocher dessus. Gare à la casse... Et aux sensations fortes! Soudain l'écran panoramique semble s'illuminer. Le retournement du vaisseau transforme les points fixes des étoiles lointaines en réseau de câbles blancs... Et tout se stabilise. Le caillou apparaît droit devant. Déjà la réaction se fait sentir. Le caillou se rapproche et sa vitesse semble s'accélérer. En fait, c'est celle du vaisseau qui diminue. Le poids des corps est multiplié par 3, 4, 5... Léon surveille le calculateur... — Impact dans 30 secondes. Vitesse 360... — 20 secondes. Vitesse 310 — 10 secondes. Vitesse 275 Enfin le caillou s'écarte sensiblement de l'axe. — 6, 5, 4, 3, 2, 1... IMPACT! Un long craquement leur traverse les tympans. Le vaisseau semble secoué comme un jouet en perdant sa stabilité. Le sifflement de l'alarme éclate à nouveau. Plus personne bouge. Ils ont perdu connaissance...

26


Jack est le premier à retrouver ses sens. Il défait son harnais. Devant lui, Lenormand commence à bouger et ouvrir les yeux. Il secoue Jim qui émerge lentement... Le calme est revenu. Le vaisseau a retrouvé son assiette. Bill s'éveille aussi. Il adresse un signe à Lenormand qui, déjà, est penché sur le radar... Ce qu'il y voit lui fait froid dans le dos... — Restez à vos postes! Nous n'en avons pas fini. Il branche l'écran panoramique. Apparaît alors un immense magma rouge qui occupe tout l’écran... Grossissant lentement, une planète lumineuse semble les attirer. Léon n'a pas une hésitation. — Commandant, regardez cette étrange planète... — je ne vois que ça... — Nous ne sommes pas sortis du pétrin. — Pas de panique, notre trajectoire nous en écarte... Ils examinent attentivement cette énorme planète avec ses deux satellites qui semblent se poursuivre dans une course acharnée. Plus près du sol, des gros nuages rouges et noirs se mêlent en formant des figures étranges et magnifiques. Léon semble calme... — J'ai eu l'occasion d'étudier ce type de monde en labo, du temps où je ne voyageais pas encore. C'est un cas extrêmement rare, et peu de ceux qui l'ont observé en grandeur réelle ont eu le loisir d'en parler. Cette planète produit un champ d'attraction fantastique et tout ce qui passe à sa portée est attiré comme dans un piège. La compagnie a connu pas mal de casse avec les différentes sondes envoyées en exploration sur le seul monde de ce type que nous connaissons. — Dans ce cas nous devons nous en écarter au plus vite... Bill intervient dans la conversation... — Nous dévions! Notre décélération joue contre nous. Notre vitesse continue à décroître, nous sommes attirés vers la planète. La radioactivité est importante... Léon sait qu'il n'y a qu'une solution pour s'en sortir... — Cette fois commandant, nous n'avons pas le choix. Il faut plonger de nouveau sinon nous allons griller... Lenormand acquiesce lentement de la tête. 27


— On va plonger! Notre vitesse est encore suffisante... Procédure de plongeon! Léon, combien de temps nous reste-t-il avant le transfert? — 16 secondes! — Pas le temps d'étudier une route... De toute façon, comme on ne sait pas où l’on est... Il ne reste qu'à nous remettre entre les mains du Puissant... Le vaisseau tressaille et bondit entre les nuages gazeux qui l'enveloppent... Il disparaît soudain, volatilisé vers l'hyperespace. La sortie semble intervenir dans la seconde qui suit. Une lueur bleue envahit immédiatement l'écran, et un choc terrible avec un objet extérieur expédie le vaisseau en vrille. Un craquement suivi aussitôt du déclenchement de l’alarme déchire leur tympan. Lenormand réagit sur-le-champ: — Nous venons d’heurter un objet. Le réacteur est stoppé! Le vaisseau tombe comme une toupie vers une planète, nous ne pouvons plus le maîtriser ... Il faut se réfugier dans les chaloupes. Sans autre explication, il s'arrache de son siège et se rue vers les sas d'évacuations... — Jack et Pietr, suivez Bill sur la gauche... Léon et Jim avec moi! Le tube est, à flan de paroi, invisible. D'un coup d'épaule il crève l'enveloppe hermétique et plonge les pieds en avant. La glissade dans le tube est rapide. Il parvient brutalement dans une chaloupe et s'installe aux commandes. Léon et Jim s'installent derrière lui. Il suffit de presser un énorme champignon rouge. Le tube se relève et le toit de la chaloupe se referme. Quelques sifflements retentissent, et soudain la chaloupe est éjectée, entourée d'un feu d'artifice d'étincelles. La seconde chaloupe surgit également au moment où une explosion entoure le vaisseau de flammes... Le choc des accélérations engourdit les esprits. Les chaloupes sont propulsées vers le sol. Les systèmes de sécurité enclenchent la procédure d'atterrissage d'urgence. D'un oeil expert, Lenormand reconnaît les caractéristiques générales de la planète. Il suit des yeux l'évolution des débris du vaisseau qui ricochent contre l'oxygène et s'entourent d'une auréole blanche... Les chaloupes les suivent, ralentissant leur vitesse en effectuant des figures particulières. 28


Bill est absorbé par son pilotage. Il ne maîtrise pas son appareil. Il hurle dans son micro: — Nous allons trop vite commandant... Nous allons nous écraser... Léon les observe. Il voit aussi ce globe immense couvrir tout son champ de vision: — On dirait... la planète... Lenormand donne ses derniers ordres... — Rétrofusées! Larguez les parachutes... Attention à la casse! La vitesse à laquelle ils se présentent est trop importante. Lenormand repère une bande de sable et tente d'y faire un atterrissage de fortune. L'engin tombe toujours. Il se redresse juste assez pour labourer le sol et rebondir sur des rochers. Il roule sur le côté et finalement s'écrase sur un mur naturel. Bill parvient à orienter sa chaloupe vers de grands arbres qu'il percute à leur sommet. L'appareil culbute et se retourne avant de tomber lourdement et se démanteler sur le sol...

29


3

Tout le monde retient son souffle. Les amis font un cercle autour de la table. Monsieur Grégoire, le voisin, a un vieil appareil photo braqué sur le gâteau. Pourtant Caroline ne se décide pas à souffler les six bougies qui commencent à fondre sur la couche de pâte d'amande. Caroline boude. Les derniers sanglots s'étouffent dans sa gorge. Un sourire timide se dessine sur ses petites lèvres... Enfin elle souffle de toutes ses forces et les bougies s'éteignent sous les applaudissements collectifs. Son papa la tient par les hanches et l'aide à descendre de la chaise où elle se tenait debout. Grand père prend le couteau et commence à découper les parts. Monsieur Grégoire mitraille tout le monde en faisant des photos. Lorsque chacun est servi, grand-père se choisit une petite part et va s'asseoir près de la fenêtre à côté de sa petite fille. Il ne se lasse pas de l’admirer. Il faut dire qu’elle est jolie, avec ses cheveux bruns tombants sur ses épaules et son petit minois mi sérieux mi rieur qui trahit son caractère enjoué. C'est vraiment une chance d'avoir la petite pour les vacances. Le mois de juin commence à peine. Il pourra l'emmener avec lui parcourir les champs et les bois des environs. Vétérinaire en retraite, Grand-père continue à soigner occasionnellement le bétail de ses voisins pour rendre service... et par goût pour son métier. Très connu dans le pays, il peut se rendre où bon lui semble et il sait que la petite Caroline raffole de tout ce qui concerne les animaux. 30


— Allons Caro, il est tard. Il va falloir penser à aller au lit. La petite se tourne vers sa mère qui est assise à ses côtés. — Ho maman, je veux rester encore un peu. Après je ne vous verrais plus de toute la semaine. Mais maman lui essuie la bouche avec une serviette et acquiesce: — Grand-père a raison, il se fait tard. De toute façon nous devons repartir. Dis bonne nuit à tout le monde, je vais t'accompagner jusqu'à ton lit. Caroline fait le tour de l'assemblée puis, elle suit sa maman vers sa chambre où elle se déshabille. Sa mère lui donne quelques conseils: — N'oublie pas d'être sage avec tes grands parents. Ils ne sont plus très jeunes. Surtout pas de caprices ou de bêtises, sinon gare à ton père à notre retour. — je serai sage, maman. C'est promis Maman l'embrasse et remonte le drap sur ses épaules. Peu après, la petite fille s'endort dans la maison devenue calme. Les parents montent en voiture et s'éloignent vers la nationale qui conduit à Orléans. Paris n'est pas très loin. Ils y seront dans une bonne heure. Le lendemain; le jour se lève sur la campagne tranquille. La rosée s'évapore en brume légère. L'air est encore frais et agréable. Les bruits des fermages éveillent le village. Grandpère pousse la porte du cellier et sort dans le jardin. Il a chaussé ses bottes car la terre du potager est grasse malgré la saison. Son gros pull est posé sur ses épaules, les manches nouées en écharpe autour de son cou. Il se dirige vers la haie qui sépare son jardin de la petite route départementale. Là, une brèche dans le grillage laisse deviner qu'un visiteur a forcé le passage pour s'introduire dans le Jardin. Grand-père a prévu du gros fil de fer pour refermer le trou. "Renard mon ami, tu ne passeras plus par ici, c'est moi qui te le dit! " Une petite heure plus tard, la réparation est faite. Le gros pull est accroché à un arbre et Grand-père a retroussé ses manches. Le soleil, déjà haut dans le ciel, tape dur, annonçant une chaude 31


journée Grand-père contemple son travail. Satisfait, il retourne à la maison. Quand il entre dans la cuisine, il trouve grand-mère et Caroline prenant leur petit déjeuner. La fillette se lève de table et vient l'embrasser. — Alors, ma chérie, tu as bien dormi ? — Oui Grand-père... Dis, c'est aujourd'hui que nous allons voir le petit poulain ? — Si tu veux, mais il faut d'abord finir tes tartines et ton lait. Ensuite, nous pourrons y aller.

Quelques instants plus tard, ils sortent tous deux par la petite porte du jardin et, coupant au travers d'un pré, ils se dirigent vers la ferme voisine. La matinée est un véritable enchantement pour Caroline. Les poussins, les lapins, les veaux et plus spécialement un tout jeune poulain de trois jours qui gambade maladroitement autour de sa mère, l'émerveillent. Le grand-père observe sa petite fille en buvant un petit blanc frais en compagnie d'Auguste, avec qui il échange ses impressions sur le temps et la bonne levée des blés. Sur le coup de onze heures ils reprennent le chemin de la maison en faisant un détour par le centre du village pour prendre le pain à la boulangerie. Ils empruntent le petit chemin qui passe près de la porcherie du père Rouan puis qui longe le bois de châtaigniers. Naturellement, ils font une halte pour contempler les cochons qui, toujours très comiques, s'ébrouent dans une mare en criant et en se pourchassant. — Allons Caro, il faut qu'on y aille, grand-mère va nous gronder si nous sommes en retard pour le déjeuner. Ils continuent leur chemin et arrivent au village. Ils achètent du pain, puis repartent vers la maison en contournant la sapinière et la carrière de sable à lapin. La chaleur est étouffante. Caroline sue, bien qu’elle n'ait pratiquement rien sur le dos. Grand-père rêve d'un canon de vin bien frais... C'est un grand noyer qui leur offre l'hospitalité de son ombrage. Une grosse branche abattue leur sert de siège et ils s'y installent pour souffler un moment. Caroline cueille des fleurs sauvages et en fait un bouquet... Ho! Grand-père! Une bête à Bon Dieu! 32


Le grand-père saisit délicatement l'insecte qu'il met au bout de son doigt, puis il souffle dessus et la petite bête s'envole en zigzaguant. Caroline la regarde s'éloigner songeuse... — C'est gentil ? — Oui, bien sûr. Tu sais, tous les insectes sont gentils. — Moi je n’aime pas les araignées. — Pourtant elles ne sont pas méchantes, au contraire. Elles sont bien utiles. Tout ce qui vit dans la nature, du plus gros au plus minuscule a une fonction utile pour la vie de la planète... Tiens, regarde Il caresse les cheveux de la petite: — Cette fourmi. Tu vois, elle travaille. Elle transporte un morceau de feuille pour nourrir les petits bébés de la fourmilière. Et bien, si les fourmis n'existaient pas, qui nettoierait les parcs et les jardins après les pique-niques ? Tu vois il y en a une autre ici. Elle est un peu plus grosse. — Ca pique les fourmis ? — Ca dépend... Parfois oui... Tu sais il y a des centaines de sortes de fourmis; les géantes, les naines... les rouges, les noires. Elles piquent parfois quand on les dérange mais elles préfèrent faire leur travail sans piquer les gens... — Et les bleues ? Grand-père rit: — Ha non! Il n'y en a pas de bleues... — Pourtant celle-là est toute bleue! Disant cela, la fillette pointe son doigt vers le sol, le long de l'écorce de la grosse branche. Grand-père hausse les épaules et se penche pour mieux voir l'insecte que Caroline prend pour une fourmi bleue... — Bon sang, c'est vrai qu'on dirait une fourmi! Il tombe à genoux et sort ses lunettes de sa poche. Il les pose sur son nez... La fourmi, car c'en est une, est bleue. Indiscutablement. Mais en plus, elle est encadrée par une vingtaine de fourmis rousses semblant lui faire une escorte... La vue de Grand-père n'est pas excellente. Sans loupe il ne peut remarquer les détails telle la taille des antennes et la forme de la tête de l'insecte. Mais pour l'instant, seule la couleur 33


surprenante de la fourmi l'intéresse et retient son attention. Il suit la marche des insectes, septique et intrigué. Puis il voit d'autres fourmis déboucher des mottes d'herbes. Deux autres fourmis bleues sont transportées par des rousses. Il ne s'agit pas de capture... Elles sont portées sur des sortes de brancards.... — Dieu, ce n'est pas possible.... je dois rêver. Caroline ne comprend pas pourquoi grand-père est à quatre pattes sur le chemin en baragouinant des mots inintelligible. Elle le ramène à la réalité: — Où vont-elles — Hein ? Ah, oui... heu... et bien elles vont sûrement rejoindre leur fourmilière. Caroline se lève — On s'en va ? J'ai faim. — Ho attends! Je veux d'abord savoir où se trouve cette fameuse fourmilière. La colonne de fourmis s'enfonce dans la pépinière et pénètre ainsi sur près de cent mètres. Il les suit et découvre un monticule de terre et d'aiguilles de pins. Elles s'y introduisent et disparaissent. — Elles sont parties ? — Oui, elles sont chez elles. — On rentre attenant ? — Allons, on y va... Mais je te jure qu'on reviendra très vite par ici. Ils reprennent la direction de la maison où ils sont accueillis par les remontrances de grand-mère. Pendant que Caroline explique maladroitement ce qu’elle à compris, grand-père file dans son bureau et note sur un cahier tout ce qu'il a vu. Trois jours plus tard, le professeur Henri Dragon sourit et se lève de son fauteuil de cuir. Il contourne le grand bureau d'acajou sur lequel règne un désordre légendaire dans toute l'université. — Voyons mon vieux, tu te rends compte de ce que tu m'annonces ? Des fourmis bleues ? C'est impossible, tu le sais bien. Tu as dû confondre avec d'autres insectes...

34


— Je t'assure Henri, c'est très sérieux. J'ai vu ces bestioles comme je te vois. Tu me connais, jamais je ne te raconterais cette histoire si je n'étais pas sûr de mon fait. — Tu les as vus souvent ? — Trois fois. D'ailleurs, avec l'aide de mon voisin, nous avons fait quelques photos. Il sort des clichés de son porte document. — Elles ne sont pas très nettes. Mon voisin n'est pas un spécialiste de ce genre de travail. Nous n'avions pas de matériel grossissant suffisant, mais on distingue bien les couleurs... Dragon les saisit et les observe en faisant une moue négative — C'est pas évident! Il n'y a rien à tirer de ces photos... A part celle-là peut-être... Bon, je ne pense pas que tu sois venu pour me faire une blague... Comme au bon vieux temps. J'avais justement envie de prendre quelques jours de repos pour aller à la pêche dans ton patelin. Nous pourrons voir cela de plus près!

35


4

Jack se relève péniblement en retenant un cri de douleur. Il se retourne et aperçoit la carcasse éventrée de la chaloupe. Le choc l'a projeté hors de la cabine. Il s'est évanoui dans l'herbe. Il reprend lentement conscience et sa première pensée va vers ses camarades restés à l'intérieur du vaisseau. Un léger craquement sur la droite attire son attention. Encore sonné, il reconnaît la chaloupe et voit un morceau de carter se soulever lentement. La tête de Pietr émerge. Une plaie lui barre le front. Le sang coagulé a souillé son col. Il se libère et, boitillant, se rapproche de Jack qui est heureux de le voir vivant, mais il se fige soudain. Pietr ne semble pas vouloir ou pouvoir bouger. Il ne regarde même pas Jack. Il fixe quelque chose sur le côté. Jack se retourne... C'est une apparition inouïe. Décontenancée, elle hésite et s'arrête. Elle les examine en tendant vers eux des antennes surdimensionnées. Bien que légèrement plus petite qu'eux, elle leur ressemble d'une manière extravagante. Sa peau est noire mais elle a une tâche rouge sur le torse. Elle est complètement nue et se tient horizontalement sur ses six pattes. — Ne bouge pas! Souffle Jack. Il ne faut pas l'effrayer. Elle n'est sans doute pas seule dans les parages. Pietr ne peut retenir un juron: — Mais qu'est-ce que c'est que ce type là! Où sommes-nous donc ? 36


La fourmi continue à les observer avec curiosité et surprise. — Je ne sais pas où l'on est, mais je n'aurais jamais imaginé que le premier être que nous rencontrerions sur ce fichu monde serait une fourmi... Comme nous! — Elle est nue. Elle ne semble pas armée. — Méfions-nous tout de même. Son attitude ne me dit rien qui vaille. La fourmi remue ses antennes. Le premier moment de surprise passé, elle décide de vérifier de quelle nature sont faits ces inconnus. Elle s'approche. Leur couleur est assez surprenante, et rien dans sa mémoire ne lui rappelle qu’elle aurait déjà identifié des fourmis bleues. Mais son travail consiste à chercher de la nourriture, et, après tout, ceux là sont peut être comestibles. Elle lisse ses mandibules et s'élance. Bill a repris connaissance depuis un moment. Il se rend compte qu'il ne peut pas bouger car il est encore fixé à son siège par le harnais de sécurité. Il parvient à saisir le poignard qu'il porte toujours dans une poche de sa botte et tranche la texture. Devant lui, le cockpit a résisté et l'a protégé. Il voit Jack et Pietr... Il découvre la fourmi sauvage à quelques pas d’eux. Ses réflexes d’explorateur chevronné leur sauvent la vie. Il ouvre un coffre sur le coté de son siège, en extrait une mallette de survie ouverte à la hâte. Bill émerge de l'amas de tôle que forme le vaisseau juste au moment où la fourmi passe à l'action et se rue vers Jack. Il tient en main arme, il braque le paralysant et tire sans viser. La violence du rayon est telle que la fourmi est soulevée au moment où elle est foudroyée. Elle retombe lourdement sur le sol. Jack se retourne vers lui. Son visage est défait. — Chapeau mon gars, sans ton intervention ce sauvage me sautait dessus ... Pietr s'approche et du pied, il retourne la fourmi: — Fantastique! Une race fourminoïde existant dans cette galaxie

37


— Ce n'est pas tout, le coupe Bill; Regardez autour de nous. Ces arbres, ces fleurs, ces végétaux. Tout ici ressemble à notre bonne vieille planète La fourmi sauvage est paralysée pour plusieurs heures. Ils l'examinent un moment, puis font quelques pas pour reconnaître l'endroit. La vue ne porte pas très loin car elle est bouchée par des roches et de hautes herbes. Prudents, ils ne s'écartent pas et reviennent au vaisseau. Bill se frotte la nuque et prend un air grave. — La chaloupe est dans un sacré état. — Complètement foutue, lui répond Pietr. Nous sommes dans un sacré pétrin. — Et que sont devenus les autres ? — Ils se sont posés plus loin. Ils ont peut être mieux maîtrisé leur descente. J'espère qu'ils ont moins de bobo. Je vais vérifier si la radio fonctionne... Nous pourrons peut être les contacter. Bill contourne le vaisseau pour évaluer l'ampleur des dégâts. Évidemment, l'engin n'a pas fière allure. Il revient vers la fourmi. — Et celui là, qu’allons nous en faire ? Jack s'approche: — Je vais l'examiner. Cette créature m'intéresse. J'espère qu’elle survivra à la décharge. Vous n'y avez pas été de main morte... — Je n'avais pas vraiment le choix! — Je ne vous reproche rien Bill, vous m'avez probablement sauvé la vie. Pietr et Bill soulèvent quelques fragments de métaux et pénètrent dans la chaloupe. Ce genre d'appareil est prévu pour les atterrissages mouvementés. Une ossature rigide à déformations progressive et des sièges cocons assurent, en principe, la sécurité de l'équipage. Encore faut-il avoir le temps de suivre la procédure de sauvetage... Ils font un tri rapide et réunissent les armes et les réserves. Une moitié de la chaloupe est défoncée, présentant une large ouverture sur l'arrière. Le reste, après inventaire et un rapide nettoyage, peut offrir un abri correct. Bill retrouve facilement la radio. Par chance, elle semble intacte. Il la branche sur une batterie de secours et programme un 38


appel automatique. Cet appel est destiné en priorité à l'autre chaloupe. Jack a dégagé la trousse de secours et prélève quelques fragments sur la fourmi. Un rapide examen lui permet de penser qu’elle va vivre. Le cœur est bon. Il a noté les dimensions extraordinaires des mandibules et des antennes. Le reste semble correspondre au standard de la race dont lui même et ses compagnons appartiennent. Pietr l'interpelle: — Jack ! Vous devriez nous rejoindre à couvert. En attendant les instructions du commandant nous devons être prudents. Il les rejoint et ils s'installent dans la cabine de pilotage, à l'écoute de la radio. Les minutes passent. Rien! Jack désinfecte la blessure de Pietr et lui fait deux points de suture. La soirée s'étire sans qu'un contact ne soit établi avec l'autre équipage. A l'aide de débris métalliques et de rochers, ils obstruent l'ouverture du vaisseau, puis ils l'aménagent pour y passer la nuit. Un peu plus tard, deux fourmis identiques à la première passent sans les remarquer. Elles n'accordent aucun intérêt à la chaloupe. Elles saisissent le corps et l'une d’elles le charge sur son dos et l'emporte. L'autre examine le sol. Ses grandes antennes fouillent le sable. Elle ne doit rien découvrir d'anormal car elle disparaît soudain. Une autre heure passe. Un nouveau bruit les alerte. C'est une punaise que Jack identifie facilement. — Géocorise ou punaise des bois. C'est une espèce en voie de disparition et protégée. Il n'en reste plus que dans le parc international de la capitale fédérale. Elle passe près d'eux sans les remarquer. La nuit vient enfin, recouvrant le vaisseau de son manteau sombre. A l'intérieur le moral est assez bas. Pietr s'est assoupi et Bill a mis des écouteurs pour mieux se concentrer sur d'éventuels signes. Dehors tout est calme. Une autre heure passe. Bill pose les écouteurs et se lève. — Cette attente commence à me monter au cerveau. Je vais faire un tour pour me dégourdir les jambes. 39


— Sois prudent. Prends une arme avec toi. Il enfile une ceinture contenant un paralysant et un radian désintégrant. Il repousse une poutrelle métallique et se glisse dehors. Il fait quelques pas, le regard vissé au sol. Soudain il réalise qu'une ombre l'accompagne. Il lève la tête et aperçoit la Lune... La Lune... LA LUNE! Le juron qu'il pousse éveille Pietr et met Jack en alerte. Ils s'arment et se précipitent dehors. Alors ils le voient, le regard tourné vers le ciel, pleurant comme un enfant... Ils fixent leur regard sur ce qu'il regarde et restent un long moment silencieux. Indubitablement et sans aucun doute possible, cette planète ne peut être que la Terre! Les bruissements de la nuit les tirent de leur torpeur. Dans les buissons alentours, des agitations inquiétantes les font se replier rapidement pour retrouver la protection du vaisseau. Une boîte de ration de secours est vite ouverte et ils se partagent la petite fiole d'alcool fort. — Nous sommes revenus sur Terre, constate Pietr. Jack est éberlué: — Ca paraît incroyable. Nous n'avons pas pu faire tout le trajet retour alors que nous ne savions même plus dans quelle galaxie nous étions. Et justement sur Terre! Bill a un autre point de vue: — Sur Terre, oui, ça parait certain. Mais je connais la Terre mieux que vous pour y séjourner souvent et même y avoir un domicile. Je peux vous dire qu'on n'y voit pas de sauvages tout nus et encore moins de ces punaises en libertés.... Ou je ne sais quoi! ⎯ Nous ne savons pas combien de temps nous sommes restés dans l'hyperespace. Nous avons peut être traversé des milliers d'années et nous voici revenus sur une Terre retombée en décadence... ⎯ Ou au contraire, ce sont quelques uns de nos ancêtres que nous venons de rencontrer... Qui peut savoir ? 40


⎯ En tous cas je ne peux imaginer qu'il existe dans l'univers une autre planète semblable à la Terre au point de posséder une lune identique, des forets, des prés, des arbres et des fleurs exactement pareils. Jack marque une pose, puis; ⎯ Dès demain nous capturerons un sauvage et nous le questionnerons. J'ai l'impression que notre survie va dépendre de notre adaptation à vivre avec eux... Au moins pour un bon moment!

Un râle étouffé s'échappe de l'amas de tôles tordues et fumantes. Jim reprend ses esprits lentement. Une énorme bosse lui déforme le crâne et sa combinaison bleue est déchirée dans le dos. Juste à côté de lui toujours fixé à son siège, Lenormand est KO. Une grosse plaie lui barre la poitrine. Jim se traîne hors du vaisseau pour respirer un grand bol d'air frais. La chance était avec lui. Son siège s'est éjecté au premier choc et a été projeté assez loin du sol pour permettre au parachute de secours de s'ouvrir. Accroché dans des branches, il s'en tire assez bien si ce n'est ce choc sur la tête. Il a eu tout le temps de voir la chaloupe rebondir et se disloquer, puis le début d'incendie embraser le vaisseau, heureusement maîtrisé par les systèmes de sécurité. Le temps de se dégager et de courir, il est parvenu à pénétrer dans le vaisseau. Mais les tôles encore chaudes lui ont brûlé deux mains et la fumée l'a suffoqué, lui faisant perdre connaissance. Après avoir récupéré, il retourne à l'intérieur et défait les sangles qui retiennent Lenormand. Il le tire à l'extérieur et l'allonge sur le sol. Le pouls est bon. Le cœur bat normalement. Il retourne dans la chaloupe et fouille le compartiment annexe pour dénicher une trousse de secours. Il choisit un remède régénérant qu'il fait avaler à Lenormand. Il cautérise sa blessure à la poitrine et lui verse un peu d'eau sur le visage. Ensuite il retourne dans le vaisseau à la recherche de Léon. Il le repère assez vite et par hasard, en passant devant les restes du cockpit qui a été pulvérisé. Léon est à l'extérieur, à une 41


vingtaine de mètres, enchevêtré dans son harnais, entre son siège et des branchages. Il se précipite vers lui. Le vieux Léon est dans un triste état. Sa respiration est saccadée et il baigne dans son sang. Jim doit retourner au vaisseau pour y prendre un radian. Il désintègre les branches et les lianes, puis il tire prudemment Léon qu'il dépose sur le sable. Il retourne chercher une couverture de survie avec laquelle il le couvre. Il trouve également des cachets et il peut lui pratiquer les premiers soins... Soudain sa tête tourne. Il pose un genou au sol. Tout bascule et danse autour de lui. Il s'affaisse et replonge dans l'inconscience. Lenormand ouvre les yeux. Il s'appuie sur un coude et regarde autour de lui. La nuit est déjà là mais il ne peut s'y tromper: l'appareil n'est plus qu'une ruine inutilisable. Une douleur lui perfore la poitrine. Il remarque le bandage. Il se relève et aperçoit ses compagnons allongés un peu plus loin. Il ne lui faut que quelques secondes pour estimer l'état de gravité des blessures de Léon. La trousse de secours est ouverte près d'eux. Il la saisit et la fouille. Il trouve ce qu'il cherche; des gélules de stimulants. Il en casse une et l'absorbe. Puis il en pose une sur les lèvres de Jim et la casse. Il lui tapote le visage et déjà ses couleurs reviennent. Jim retrouve ses sens. Il ouvre les yeux et se masse la tête. — Comment te sens-tu ? lui demande Lenormand. — Un peu dans le cirage, mais je crois que ça ira maintenant. J'ai perdu connaissance en m'occupant de Léon. Comment va-t-il ? — Il est très sérieusement touché. Je crains qu'on n’ait pas les ressources nécessaires pour le soigner. — Jack doit pouvoir faire quelque chose. C'est un as de la médecine. Il ne sort jamais sans ses produits miracles...

— Malheureusement nous sommes complètement isolés. Leur trajectoire était différente de la nôtre. Sans être forcément très loin de nous, il va falloir les rechercher tous azimuts... — La radio ? — Je vais voir si elle est en état. Occupe-toi de Léon. 42


Il retourne au vaisseau et en fait rapidement le tour. Il évalue les dégâts d'un oeil expert. "Pas beau... Pas beau du tout..." Il pénètre à l'intérieur en évitant de se brûler et se met en devoir de dégager l'espace encore habitable. Il sort la radio de secours, mais la batterie est fondue. Il part alors vers la soute et déniche des piles en bon état. Quelques câbles arrachés à la console lui permettent de faire le branchement. Il allume et règle la radio sur la fréquence d'urgence... Aussitôt il capte le message émit par Bill. — Je les ai! crie-t-il à Jim. Ils ont déjà branché leur radio... Allô Bill, Ici Lenormand... je vous reçois cinq sur cinq... Répondez — Ici Lenormand.... J'appelle la chaloupe... Bill répond!... Jim s'approche inquiet. Lenormand le fixe, agacé. — Ils ont branchés le message d'alerte automatique. Je les reçois au poil, mais ils n'ont pas l'air de m'entendre. — Notre radio en a pris un coup ? — Je ne crois pas. Elle est en parfait état. Je vais quand même la vérifier... — Vite! Car pour Léon ça devient urgent. Je ne suis pas spécialiste, mais je doute qu'il passe la nuit sans les soins de Jack. Il a perdu beaucoup de sang. Lenormand reste songeur. Par acquit de conscience il teste la radio, mais il constate qu’elle n'a pas de défaut. Il la remet en marche et branche lui aussi le message automatique. En principe, si un autre poste capte l'émission, la liaison s'établit immédiatement. — Jim, je vais ramasser du bois pour faire un grand feu. J'y crois peu, mais on ne sait jamais. Au cas où leur chaloupe fonctionnerait, ils pourraient nous repérer plus facilement au cours de la nuit. Il s'éloigne légèrement du vaisseau alors que Jim débouche une fiole de sirop de survie qu'il fait avaler à Léon. La nuit s'installe lentement. Les premières étoiles apparaissent sur l'horizon. Les bruits de la nuit envahissent les alentours. La vie nocturne s'éveille, prête à livrer son combat quotidien. 43


Après avoir contourné un gros rocher blanc, Lenormand traverse une plage de sable descendant vers une petite rivière. L'obscurité devient plus profonde et il doit allumer une lampe de poche pour ne pas buter sur les cailloux. Au bord de l'eau, il découvre un tas de brindilles dont il fait un fagot. Il se baisse, le noue et le charge sur son dos. La nuit devient subitement moins noire. Il lève les yeux et se fige, bouche béante. Le fagot dégringole par terre sans qu'il fasse un mouvement pour le rattraper. Près d'une minute passe, avant qu'il ne fasse un seul geste. Son cerveau est en plein chavirement. Finalement, il baisse son regard, regarde autour de lui. La rivière est là, coulant silencieusement. Il s'en approche, tombe à genoux et s'asperge le visage d'eau froide. Il la goûte prudemment, puis en boit plusieurs gorgées. Il revient vers son fagot, s'assoit dessus et lève à nouveau la tête vers la Lune. Aucun doute. C'est bien cette bonne vieille Lune qu'il a tant de fois visité lors de son instruction au centre militaire fédéral. Il casse une brindille, la porte à sa bouche et entreprend de la mâchonner. Quelques minutes passent, puis il se relève, recharge le fagot et reprend la direction du vaisseau. Il débouche à peine de derrière le rocher blanc, qu'il entend un cri d'horreur: — Attention commandant, un monstre énorme derrière vous! Il se retourne en repoussant le fagot et porte la main à son ceinturon pour saisir le radian. Ses yeux fouillent la nuit à la recherche du monstre... Il ne le distingue pas tout de suite ... Son cerveau n'est pas préparé pour concevoir un animal aussi énorme. Enfin il distingue la masse considérable qui avance en traçant un sillon dans le sable de la plage. Il vient droit sur lui... Lenormand détale et rejoint Jim. — Il faut mettre Léon à l'abri, vite. Ils le prennent chacun d'un côté et le transportent dans la partie du vaisseau encore en état. Ils l'installent sur un matelas de couverture et se postent devant l'entrée, prêts à se défendre contre ce monstre géant. Jim a un paralysant en main, arme ridicule comparée à la masse gigantesque du monstre. Celui-ci s'est 44


maintenant arrêté et s’est retourné pour boire. Les pattes avant baignent dans l'eau alors que celles de derrière sont à quelques mètres du vaisseau. — Que faisons-nous maintenant, demande Jim ? ⎯ Ne bougeons pas. J'ai l'impression qu'il ne nous a pas vus. ⎯ Qu'est-ce que c'est que cette bestiole ? — Je voudrais bien le savoir. Il y a à peine cinq minutes, j'ai eu la certitude que nous étions sur Terre. Maintenant je commence à en douter... — Sur Terre ? — Oui... Si tu lèves la tête tu apercevras un satellite bien familier des terriens: la Lune! Jim avance d'un pas et tend le cou pour regarder dehors sans se faire remarquer. La Lune est là, éclairant le monstre. ⎯ Je ne suis jamais allé sur Terre. Vous ne pensez pas que ce peut être un hasard ? ⎯ Je ne crois pas. Trop de choses sont identiques. — Mais alors, comment aurions-nous fait ? Et ce dragon... D’où vient-il ? Il n’y en a jamais eu de semblable sur la Terre, à ce que je sache… — Je suis incapable de répondre. De toute façon nous serons bientôt fixés. Notre chute et nos messages radios n'ont pu passer inaperçus des services de sécurité. Mais j'ai comme I'impression qu'il y a quelque chose de différent. Nous sommes chez nous sans y être vraiment... Tu saisis ? — Pas vraiment... Mais si nous sommes sur Terre, les secours devraient être là depuis longtemps. — Justement... — Attention, le monstre bouge! Après avoir bu copieusement, l'énorme bête fait demi-tour. Sa face monstrueuse, couverte de grosses pustules vertes se présente dans leur direction. Sa tête est massive, plaqué au corps, fendue d'une large bouche aux lèvres et à la langue roses. Des yeux lumineux et rapides fouillent la nuit. Quatre jambes seulement, mais si celles de devant semblent un peu courtes par rapport au corps, celles de derrière sont incroyablement longues et repliées, prêtes à projeter le monstre dans les airs. 45


Les deux fourmis bleues se terrent davantage dans la chaloupe, retenant leur respiration. Derrière eux, De Nipas est toujours sans connaissance. Le sang ne coule plus, mais le vieux navigateur est dans un état lamentable. Un grésillement filtre soudain de la radio. Une voix retentit dans le vaisseau... Presque aussitôt la langue du monstre jaillit et frappe la chaloupe à une vitesse fantastique. Le choc est si violent que le vaisseau est déplacé de deux mètres et pivote sur lui même. Lenormand comprend qu'ils ne feront pas de vieux os s'ils restent à l'intérieur. De nouveau le monstre attaque et cette fois la chaloupe est percutée si fortement queue bascule et se retourne. L'ouverture de la coque se retrouve offerte au monstre. La langue de détend et inonde l'intérieur de l'appareil d'un liquide visqueux. — Il faut sortir d'ici, j'ai failli être emporté par cette saleté de langue. — Comment faire demande Jim, Nous ne pourrons emporter Léon. Il va se faire dévorer. — A la prochaine attaque, je lui décharge le radian sur la langue... — Vu son volume, ça ne va pas lui faire bien mal. Nos armes ne sont pas conçues pour affronter des adversaires de cette taille. — Ca ne lui fera pas du bien non plus... Il faut essayer! L'occasion ne se fait pas attendre. L'organe visqueux réapparaît soudain et pénètre dans la cabine en les aspergeant et les asphyxiant de son odeur nauséabonde. Sans hésiter, Lenormand écrase la gâchette de son arme. Une flamme illumine la nuit et enveloppe la langue. Le monstre pousse un cri rauque. Il enfourne sa langue maladroitement, la laissant pendre dans le sable, avalant au passage des gravillons. Encouragé, Lenormand saute dehors et vise la tête en la balayant d'un mouvement du poignet. Le monstre pousse à nouveau un cri. Un oeil explose et une affreuse odeur de chair grillée se répand dans l'atmosphère. D'un bond prodigieux il semble s'envoler dans les airs. Il passe au-dessus d'eux et retombe hors de leur champ de vision. 46


Le silence de la nuit se réinstalle, comme une chape de plomb. Lenormand se laisse choir au sol en poussant un soupir de soulagement. — Ouf, nous avons eu chaud. ⎯ J'espère qu'il n'y a pas trop de spécimen de ce genre dans la région. Mes nerfs ne tiendront pas. ⎯ Allons voir ce vieux Léon. Il a été sacrement secoué. ⎯ Sans compter la radio. Elle s'est tu brutalement. Elle doit avoir son compte... Si l'état de Léon présente peu de changement, il n'en est pas de même pour le matériel. La radio a voltigé et s'est brisée. Elle est inutilisable. Lenormand rage car il est persuadé d'avoir reconnu la voix de Bill juste avant l'attaque du monstre... — Il ne nous reste plus que le feu. C'est notre seule chance d’être repéré par les autres. S'ils ont reçu notre message, ils savent que nous sommes vivants. Il est même possible qu’ils puissent venir à notre secours... — Je vais aller chercher le fagot de bois. Jim s'éloigne. Lenormand le suis des yeux. Il songe à l'autre groupe. Comment reprendre un vrai contact avec eux ? La situation n'est pas brillante. Pour la seconde fois de sa vie il ressent le désespoir. Lui, le crac des missions périlleuses, le voilà qui flanche... Un monde étrange par sa similitude avec sa propre planète. Perdu dans l'immensité des galaxies, et eux, coupés de tout lien, abandonnés... Non, il ne sera pas dit... Il faut réagir!

47


5

Sacré nom d'une pipe, c'est chaque fois la même chose ! Impossible de compter sur lui quand il est en mission sur Terre. (Je parle de la Terre… Celle des hommes, bien entendu). Il faut pourtant que j'arrive à le joindre. Et ces téléphones... Oui, belle inventions des hommes... Mais forcément toujours en panne ou occupés... « Allô ! Mademoiselle... J'ai demandé Paris... Comment ? Oui, je téléphone de l'étranger... » Rien à faire. Je n'y arriverai pas comme ça.... Naturellement Gabriel ne veut plus me rendre service, même pour me dépanner. Je dois reconnaître qu'il a de bonnes raisons pour cela, depuis qu'une fusée Russe lui a coupé la route et qu'on l'a retrouvée à moitié KO, ses magnifiques cheveux blonds tous grillés et ses grandes ailes blanches noircie de suie ... (La rigolade ici, quand il a dû astiquer sa cuirasse toute calaminée ...) N'empêche, je dois absolument joindre Pierre ! Il me reste l'ancien système. Je manque d'entraînement, mais ce n'est pas si difficile que cela et ça devrait marcher... Oui, j'ai cessé de l'utiliser parce qu'en ces temps difficile, les gens ne font plus attention à ce genre de message. Ce qui fonctionnait à merveille avec une bergère isolée au milieu de ses moutons ne passe plus dans les embouteillages... C'est normal! Mais Pierre a subi un entraînement spécial... ça devrait fonctionner... ⎯ Toc toc toc" 48


⎯ Quoi ? Entrez .... Ha c'est vous Paul! Qu’y a-t-il ? ⎯ Désolé de vous déranger, mais il s'agit d'une prière insistante du pape... En urgence ⎯ Que me veut-il encore celui là ? ⎯ C'est toujours la même chose: les cardinaux sont en concile et ont chacun une demande particulière qu'il nous transmet ... de l'eau sur le Sahel, moins d'eau sur la Bretagne et un règlement rapide du problème Palestinien. ⎯ Rien que ça! Comme si je pouvais y faire quelque chose... Et c'est tout ? ⎯ Il n'a pas pu terminer. Les employés italiens de l'électricité se sont mis en grève ⎯ Et alors ? On peut quand même prier dans le noir, à ce que je sache! ⎯ Dans le noir oui... Mais pas sans micro! ⎯ Effectivement ces jeunes, sans l'aide de la technique, ça n'a plus d'organe... Bon pour les problèmes d'eau faites les patienter. J'ai chargé Moïse de faire les réparations nécessaires. Ce foutu système, depuis qu'il l’a bricolé pour traverser à pied sec, ça n'arrête pas de se dérégler. ⎯ On pourrait demander à Noé de lui donner un coup de main ? ⎯ Heu, faut voir, Il nous a mis dans une sacré panade la dernière fois qu’il a touché au système. Ho après tout c'est une bonne idée. Faites comme ça... Merci Paul ! — Et puis pour la Palestine ? Qu’est-ce qu'on fait ? — Comme d'habitude ! — C'est que... D'habitude on ne fait... rien ! Vous savez, pas d’intervention privilégiée pour l’une des trois religions monothéistes. — CONTINUEZ ! Et surtout qu'on ne me dérange plus pour aujourd'hui. J'ai un travail important à régler et j'ai besoin de calme! Bon! Où en étais-je ? Ha oui, Pierre Celui là doit être encore en train de traîner sur les quais. C'est plus fort que lui, dès que je le lâche quelque part, il file repérer les meilleurs coins de pêche. 49


C'est un mordu ! C'est vrai que depuis sa petite barque sur le lac Tibériade les techniques ont évolué. Le mois dernier, je l'avais envoyé je ne sais où... Il a rapporté une collection de mouches artificielles ... (Des merveilles, je dois dire). Il a passé des heures à les examiner et il a voulu en fabriquer... Comme s’il n'y avait pas suffisamment de bestioles dans la nature... et en particulier ces fameuses fourmis bleues ! Bon, je me concentre... Je m'intériorise et je renforce ma volonté... HA! Je crois que je l'ai... Saperlipopette, il semble qu'il y ait foule autour de lui... le ressens une forte impression de cohue dans son esprit. « PIERRE, c'est Moi... Tu M'entends ? » « Cinq sur cinq Patron! » « Ou te trouves-tu ? » « Je suis dans le métro. J'arrive au Châtelet. » « Que fais-tu là-dedans ? Je t'avais dit de ne plus y mettre les pieds. Je te donne largement les moyens de prendre un taxi pour tes déplacements... » « J'avais pas le choix Patron. Les camions bloquent les routes. Les taxis ne peuvent pas circuler. » « Bon passons pour cette fois.... Mais quand même... Avec tout ce qui se passe dans le métro... Tu m'écoutes ? » « Pardon, vous descendez ?»

« Hein ? » « Châtelet, excusez moi » « Alors pépé, C’est-y qu’y t’faut les Champs Elysées ? » « Ouille mes pieds... Faites attention jeune homme » « PIERRE» « Oui Patron, ça y est, tout va bien, continuez ». « « Où en étais-je ?... Ha oui, j'ai du nouveau sur les fourmis... » « Ticket s'il vous plaît » « » « Un instant Patron.... Bon sang de D... bleu... où l'ai-je fichu... Mais... MON PORTEFEUILLE ... On m'a volé mon portefeuille ! » 50


« Ca va, je connais la chanson. Vous allez me suivre au bureau du chef de station... Vous vous expliquerez » « Mais c'est la vérité. Je vous dis qu'on me l'a volé!... Patron, faites quelque chose sinon je vais avoir des ennuis » « Venez par ici, suivez moi! » « Sapristi; Que t’arrive- t-il encore ? » « Je ne retrouve plus mes faux papiers, avec tout mon argent et mon ticket de métro... » « Allez, pas la peine de bougonner dans votre barbe. Suivezmoi! « « Une seconde, monsieur, je vais peut être le retrouver.... Patron... Vite Un petit coup de main... » « PIERRE! C'est la dernière fois que je te sors d'un coup comme ça ! Regardes dans ta poche gauche, il y a tout ce qu'il te faut. Et trouve un endroit calme qu'on puisse communiquer paisiblement!... » « Tu es seul ? » « Je suis dans les toilettes » « Bon, voilà où en est la situation. La première apparition de fourmis bleues est signalée à l'Est d'Orléans. Tu vas y aller voir sur place et tu Me fais un rapport détaillé. Je compte sur toi pour mener rondement cette affaire. » « Je ferai mon possible Patron. » « A quel endroit pourrais-je te joindre ? » « Orléans ! ... Je connais un petit hôtel pas cher, juste en face de la Loire.... La Truite Sauvage... » « Pas question ! » « Mais pourquoi ? » « Parce que ! Tu iras à l'hôtel de la Gare. Et cette fois pas de folies. Je te laisse... A bientôt. » Bon, ça roule. Il sera à Orléans dans l'après-midi. J'ai hâte de clôturer ce dossier avant que Chaos ne me tombe sur le dos... “ Toc toc toc !” — QUOI ENCORE ? — Le courrier.... 51


⎯ Ha très bien. Passez-moi uniquement les journaux qui parlent de l'affaire.... ⎯ C'est que dans ce cas vous n'allez pas avoir grand chose à lire... ⎯ Pourquoi donc ? ⎯ Tour de France, Foot, politique.... ⎯ Aucun journal n'en parle ? ⎯ Si, un seul... un tout petit article... ⎯ Hé bien, donnez le moi ⎯ C'est l'Huma... ⎯ PAUL! Vous vous payez ma tête ?

52


6

— Jack ! Pietr ! Ils répondent ! Je capte un signal... Allô Lenormand, ici Bill, je vous reçois cinq sur cinq, répondez.... Jack et Pietr se sont approchés. Sur leurs visages et dans leurs yeux se reflètent les premières lueurs d’espoir qu’ils aient eues depuis l’atterrissage sur ce monde. — Alors, ils répondent ? Demande Jack. — Ca ne devrait pas tarder. Je viens de me rendre compte que le potentiomètre était faussé. A présent la communication va s’établir automatiquement… Tenez, écoutez, on les entend… — Je ne comprends pas ce qu’ils disent ! — Ils ne nous parlent pas, on dirait qu’ils ont des ennuis…. Je n’y comprends rien ! Ils se rapprochent de la radio et assistent en auditeurs impuissants aux événements que subissent leurs compagnons. Les mots échangés entre Lenormand et Jim leur permettent de comprendre la situation. Ils Imaginent le monstre assaillant le faible vaisseau et soudain la radio se tait. La dernière parole captée est celle de Lenormand s’écriant « il faut essayer ». Puis c’est le silence. — Que faisons-nous ? demande Pietr. Bill se relève et sort du vaisseau. Le capteur de la radio indique que le message reçu était émis d’environ quatre kilomètres. Mais dans quelle direction ? Que faire ? Il scrute les alentours… Jack et Pietr se sont approchés. Parfois une idée peut naître du hasard ou de la chance… 53


La voûte céleste scintille par ses millions de clins d’œil que font les étoiles. La Lune, toujours plus ou moins complice, semble se désoler pour eux. Au loin, la silhouette immense d’un grand chêne (ces arbres montagnes atteignant des kilomètres de hauteur) attire son attention. Il se surprend à penser à ses dernières vacances d’étudiant. Elles se passaient sur un arbre à peu près semblable à celui-là. C’était avant de prendre son poste dans l’équipe de Lenormand. Il reste songeur, continuant à observer le chêne majestueux dont les plus hautes branches se perdent dans la nuit… les heures passent… … Et puis il y a cet éclair… Cette lueur. Bill est surpris, il doute d’avoir eu une vision… Une autre lueur lui arrache un cri de joie : LE FEU ! LE FEU ! Jack et Pietr sursautent : — Que dis-tu ? — Là, regardez, On dirait des signaux lumineux contre le grand chêne… C’est eux, j’en suis sûr ! Illuminant la nuit, un feu se développe et monte du pied de l’arbre … Lenormand et Jim font le point. ⎯ Première urgence, nous construire un abri pour y installer Léon en sécurité. Nous y mettrons aussi tout le matériel récupérable. Il doit y avoir des armes et de la nourriture. La soute à été relativement épargnée. De toute façon il faut sauver tout ce qu'on peut récupérer. ⎯ Comandant, je viens d'examiner les moteurs. Ils sont foutus sans rémission. — Tant pis, nous verrons plus tard. Aide-moi à retourner cette carcasse. Déjà, il saisit une barre de métal et entreprend le nettoyage. Jim se met de la partie et en quelques minutes ils dégagent un espace suffisant pour se glisser à l'intérieur de la chaloupe. Lenormand n'est pas surpris de l'état déplorable de ce qu'il découvre. Tout est sens dessus dessous. Il doit peser de toutes ses forces pour redresser un panneau qui obstrue l'accès aux soutes. Pendant plus d'une heure. Ils traînent tout ce qui leur semble d'une utilité quelconque vers 54


l'extérieur du vaisseau. Ils trient tout ce qui est récupérable et Jim découvre même une pharmacie complète dont ils ignoraient l'existence. Elle contient des remèdes plus adaptés aux soins à apporter à Léon. Ils les lui administrent et l'effet semble immédiat. Léon retrouve un rythme respiratoire régulier. Parmi le matériel récupéré, se trouve une arme redoutable. Le canon radian. Cette arme est difficile à manier pour deux fournis, mais, mis à part quelques fusils paralysants et désintégrant, elle représente tout ce qui reste de la puissance de feu du vaisseau. Soigneusement, Lenormand examine les pièces qui le composent. Il et est satisfait de constater qu'elles sont en bon état. ⎯ Il ne nous reste plus qu'à trouver un endroit propice pour y construire notre camp. — Voila un endroit idéal, propose Jim en lui désignant le rocher. Nous pourrions creuser en dessous, avec le canon ce sera un jeu d'enfant. — C'est un bon emplacement. Nous pouvons utiliser le radian pour percer la partie la plus résistante de la roche ou nous ferons l'entrée. Nous ferons une salle au niveau du sol et une autre en dessous.

Ils poussent le canon et le pointent. Jim s'agenouille derrière en prenant le maximum de précautions. Il lâche une première décharge d'une demi-seconde. L'éclair violent frappe le rocher de plein fouet et aussitôt une odeur de souffre se répand dans l'air. Une coulée de lave incandescente s'écoule sur le stable. Le bloc de pierre devient rouge et blanc. Jim attend que la fumée se dissipe, puis il envoie une seconde décharge. Cette fois l'intérieur du rocher paraît fondre comme une motte de beurre. Lenormand lui fait signe d'arrêter. Il s'approche en levant ses coudes pour protéger son visage de la chaleur. Le trou atteint presque deux mètres de diamètre, autant en profondeur. Il recule et fait signe à Jim de reprendre le tir. — Attention commandant, ça va chauffer... Un ronflement sourd accompagne la troisième salve. Des bouillons de lave giclent, vitrifiant le sable du sol. 55


— Stop! Crie Lenormand. C'est suffisant. Laissons refroidir les parois de la roche. Nous continuerons plus tard. En attendant je vais t'expliquer ce que j'ai l'intention de faire pour reprendre contact avec nos amis. — Vous avez un plan ? — Disons un espoir. Mais puisque nous sommes convaincus que ce sont eux qui ont tenté de nous contacter juste avant que nous soyons attaqués par le monstre, je pense qu'il y a un moyen de leur indiquer où nous sommes. Il est probable que nous ne sommes pas éloignés de plus de quelques kilomètres...

⎯ Sans radio il va nous falloir plusieurs jours pour les retrouver...... ⎯ Il y a un moyen plus rapide: faire un grand feu. Ses flammes devront être visibles à plusieurs kilomètres de distance. Nous pouvons compter sur le canon radian pour déclencher un superbe incendie. Un arbre géant par exemple... — Vous pensez à celui que nous apercevons ? Certaines de ses branches nous dominent, Nous risquons d'être grillés. — Les cendres seront dangereuses, mais nous serons à l'abri dans le camp souterrain que nous allons terminer. Nos combinaisons nous isoleront de la chaleur. ⎯ Comment allons-nous pointer le canon ? Nous n'avons pas de socle pour l'orienter. — Nous creuserons un trou dans lequel nous allons le glisser pour qu'il bascule dans la bonne direction. — C'est un plan extra. Je m'y mets de suite. — De mon côté je vais terminer le camp. L'impact du radian dans le rocher a pris la forme d'un long tunnel de plus de quatre mètres de diamètre et long de presque dix. Lenormand se change, il enfile une combinaison neuve. Les déchirures de l'ancienne ne lui offraient pas une sécurité totale. Il choisit un fusil désintégrant et pénètre dans le rocher. Les parois sont dures et lisses. Il tâte le sol avec la main et choisit un endroit encore chaud. Il pointe son arme et commence à désintégrer. La pierre cède moins vite qu'avec le canon, mais il réussit à percer les dernières épaisseurs dures de la roche et parvient au sol meuble. Ensuite, c'est sans problème qu'il façonne une excavation dans le sable. 56


Une demi-heure plus tard, il a creusé une chambre de six mètres sur huit, un escalier pas trop mal réussi et quelques bouches d'aération. L'ensemble de l'ouvrage est prêt à accueillir Léon et le matériel. Il ressort à l'air fibre et constate que Jim a mis en place et orienté le canon... Il est incliné de 15', dirigé vers le tronc du chêne. — Prêt ? demande-t-il. — Je peaufine la mise au point de la visée. Je veux l'atteindre juste sous les premières branches pour quelles s'enflamment très vite. — Il ne risque pas de nous tomber dessus ? — Difficile de prévoir. En principe il devrait rester debout. Seul le feuillage et des branches vont tomber. — Parfait, nous allons installer Léon dans la pièce du bas et mettre le matériel en sécurité dans celle du haut. Une autre demi-heure est nécessaire pour ce faire. Jim ressent une douleur à la tête. Il tâte sa bosse: — Il est temps qu'on en termine, j'ai besoin de me reposer. — Je suis las moi aussi, mais dans quelques instants nous pourrons nous préparer une boisson reconstituante et prendre un peu de détente. Puisque tu as mis en place le canon, a toi l'honneur de déclencher le tir... Jim s'allonge sur le sable, l’œil collé au viseur. Il tire. Un ronflement accompagne le rayon incandescent qui traverse la nuit et vient frapper le tronc en illuminant le paysage avoisinant. Jim répète cinq fois la manœuvre avant que des flammes ne jaillissent soudain du feuillage. Immédiatement une longue colonne de feu s'élève vers le ciel. L'incendie profite du climat estival pour grignoter le bois sec et s'étendre rapidement ... A quelque distance de là, Bill n'en croit pas ses yeux; — Je viens juste de le regarder, il y a à peine dix secondes... Jack le saisit par un bras et l'entraîne vers la chaloupe: — Viens te mettre à l'abri. Si nous ne nous protégeons pas nous allons griller comme des cuisseaux de sauterelles. L'incendie ronfle comme un vieux moteur d'avion. Jack Pietr et Bill, protégés des braises qui pleuvent, contemplent le spectacle avec un mélange de frayeur et d'admiration. Avec aussi le cœur exalté de la certitude que cet incendie est la marque de 57


Lenormand... Et donc que l'autre équipage est sauf et pas trop éloigné. Une vingtaine de minutes passent. L'arbre est maintenant complètement transformé en brasier. Des sons assourdissant et étrangement mélodieux leur parviennent. Ils pensent que c'est un effet du vent, du bois qui craque, de la sève qui fuse ou tout simplement l'annonce d'un orage. C'est probablement ça, puisque soudain une pluie diluvienne s'abat avec violence... Le petit jour s'installe paisiblement sur un paysage boueux. Bill s'éveille le premier et s'étire longuement. Il vient de passer la première nuit sur cette planète et il a déjà vu plus de choses étranges que durant l'ensemble de ses précédentes excursions. Il se tourne vers Jack et le secoue. — Hé debout les gars! J'ai pensé à pas mal de chose cette nuit. Pietr ouvre les yeux et repousse la couverture qui le recouvre. Lui aussi a beaucoup réfléchi avant de trouver le sommeil. Jack baille et se lève: ⎯ Bon sang, j'ai rêvé de sauvages. Ils nous faisaient bouillir dans des marmites. ⎯ Ho ça va, sourit Bill. Mois j'ai pensé à des choses plus terre à terre. ⎯ Et bien vas-y, nous t'écoutons. — Le commandant est vivant. C'est assurément lui qui a déclenché l'incendie de l'arbre. Le message est clair. Ils sont dans les parages et probablement sur notre gauche. Les éclairs du canon radian m'en donnent la certitude. Je pense que nous allons les voir rappliquer bientôt. Pietr est moins optimiste: — Tu sembles oublier qu'ils sont à pied. J'ai cru comprendre que leur vaisseau était dans le même état que le nôtre. D'ailleurs leur radio ne fonctionne plus, c'est un signe. — Sans compter, ajoute Jack, qu’ils ont probablement un blessé avec eux. Mais Bill ne désarme pas: — De toute façon nous savons où les retrouver... 58


— — — — dents.

Le chêne brûlé bien sûr! Ils nous y attendent peut-être déjà. Hé bien Jack, quand partons-nous ? On déjeune, on s'équipe et on part... Mais armés jusqu'aux La contrée ne m'inspire pas confiance.

Le temps de le dire et ils passent une combinaison neuve d'un bleu éclatant. Ils accrochent des armes à leur ceinture et se restaurent en avalant des sachets de nourriture concentrée. La chaloupe ne risque pas grand chose. Seule une fourmi évoluée pourrait y accorder de l'intérêt. Ce ne semble pas le cas par ici. Ils se mettent en route alors que le soleil est déjà haut. Ses rayons se reflètent sur les uniformes bleus. Une légère brise leur apporte les parfums des champs et des forêts. Ce sont les parfums de la Terre. La terre est détrempée et glissante. Les herbes sont couchées ou pliées par le poids de l’eau tombée dans la nuit. Jack ne peut s’empêcher de remarquer les dégâts : — Cet orage d'hier soir a tout inondé dans le secteur. — Il était providentiel. Il a permis au feu de s'éteindre. Sans lui, l'arbre aurait brûlé toute la nuit. — Surtout qu'il n'a pas duré très longtemps. Quand je suis sorti pour faire une petite ronde, à peine quelques minutes après l'incendie, le ciel était complètement dégagé. Pas un nuage.

Pietr se moque: — J'avais entendu dire que sur certains continents de la Terre, il y a de brutales averses. Je préfère ma petite planète du secteur K. Le climat y est plus régulier. Bill fait une moue. ⎯ Tu n'as pas tort, mais, à mon avis, vu le type de végétation, nous ne sommes pas dans une région qui subit ce type de mousson. Enfin, je ne suis pas spécialiste...

59


7

La respiration du blessé est bruyante. Elle remplit la pièce de son roulement sonore. Jim s'affaire autour de lui, conscient que la fin approche. Il a fait tout ce qu'il pouvait. Les moyens manquent pour tenter une transfusion qui seule pourrait sauver Léon. De toute façon, sans Jack les chances de réussite sont minces. Lenormand dort encore. Près de lui un petit paquetage est préparé. Il contient de quoi assurer sa survie et sa sécurité pour une expédition qui, quoique courte, n'en présente pas moins de nombreuses embûches. Jim s'approche de lui et le secoue doucement. ⎯ Commandant, réveillez-vous. Le jour est levé. Il s’éveille, soulève la tête et lui adresse un léger sourire. ⎯ Comment va Léon ? ⎯ Un peu mieux ce matin. Il devait y avoir un médicament miraculeux dans ce que je lui ai administré hier soir. Je doute malgré tout qu'il s'en sorte dans de telles conditions... ⎯ Ne perdons pas espoir. Il se lève et s'approche de Léon. Il l'observe sans rien dire, puis se retire et s'adresse à Jim: ⎯ Si mes estimations sont bonnes, je serai près de l’arbre vers midi. Nos compagnons seront probablement déjà là. Si nous faisons vite, nous pourrons le sauver. ⎯ S'ils ont compris le message...

60


⎯ Espérons-le. Mais garde confiance. Ils ont forcément aperçu l'incendie. Je suis persuadé qu'ils auront compris. Mais c'est assez parlé. Il faut que j'y aille. Lenormand charge son sac sur son dos, puis vérifie la charge de ses armes. Il jette un dernier regard sur Léon et se faufile dans le passage qui conduit à l'étage supérieur. Jim le suit et l'aide à déplacer les buissons qui masquent l'entrée. Ils se serrent la main, Lenormand s'éloigne d'un bon pas. Jim le suit des yeux le plus longtemps possible. Puis, après l'avoir perdu de vue, il s'appuie le dos au rocher. Il a un peu menti au commandant quand à l'état de Léon. Il n'a pas voulu lui mettre trop de pression, il aura déjà bien à faire pour retrouver leurs compagnons, seul dans ce monde étrange. Un grognement le sort de ses pensées. Il se lève et observe les alentours. Un autre grognement, plus proche, le fait frissonner. Prudent, il se replie dans la cachette, prenant bien soin d'en camoufler l'accès. Une ombre passe qu'il distingue mal au travers des feuillages, mais il peut apprécier la taille de l'animal, ce qui lui coupe les jambes pour un bon quart d'heure. Il tend une main en arrière et saisit son fusil qu'il ramène devant lui. Une longue journée commence qu'il va passer là, à monter une garde vigilante. Lenormand s'enfonce dans les épais fourrés. Finalement, la végétation est la même que sur Terre. Il ne doute plus d'être sur sa planète d'origine. Il se sent chez lui, et petit à petit un sentiment de sécurité se développe en lui et il se décontracte. Il marche depuis une heure et n'a fait aucune rencontre, si ce n'est un papillon très inoffensif et commun sur Terre qu'il identifie rapidement: « Agrias Narcissus » puis quelques mouches en vadrouille qui ne lui prêtent aucune attention. Il repense de temps à autre au monstre de la veille. C'est une énigme, mais les armes se sont montrées efficaces. Plutôt rassurant. L'arbre géant est maintenant beaucoup plus proche. Son tronc noirci occupe une bonne partie de son champ de vision et assombrit les fourrés. La vue de Lenormand est excellente, et déjà il distingue certains détails de l'écorce. 61


Il débouche sur une petite clairière et décide d'y faire halte. Une souche semble là pour l'accueillir, il s'y installe. Sa gourde est encore pleine. Il se désaltère avec plaisir. « J'ai dû parcourir du moins six kilomètres. Si tout va bien, j'y serai dans 1 heures ». Il se relève pour repartir, fait quelques pas et est stoppé net par des traces qu'il remarque sur le sol. Son attention est aussitôt en éveil. Et puis, il entend des voix... Rapide comme l'éclair, il plonge dans un buisson. Une première silhouette émerge dans la clairière, bientôt suivie par une douzaine d'autres. Pas d'erreur possible, ce sont des fourmis. Tout de suite une chose saute aux yeux de Lenormand.

Elles ne se tiennent pas debout et sont complètement nues. Leur couleur de peau est rouge ce qui est inhabituel et il pense qu'elles se sont enduites d'un produit colorant. Une petite colonne traverse la clairière, zigzaguant de droite et de gauche d'une façon comique. Les fourmis tâtent chaque morceau de matière quelles rencontrent. De temps en temps celle de tête s'arrête, immédiatement imitée par les suivantes. Quelques sons s'échangent alors, mais même en tendant l'oreille, Lenormand ne comprend pas le sens des mots. Cela ressemble à un langage primitif. Soudain deux d'entre elles quittent la colonne et se précipitent sur une masse blanchâtre qu'il n'avait pas remarquée. Immédiatement les autres les suivent et il assiste stupéfait à la capture d'une larve qu'il ne parvient pas à identifier. Celle-ci tente de s'échapper en s'enroulant sur elle-même et en bondissant, mais elle est aussitôt submergée par la hargne féroce des fourmis, et avant même qu’elle ne soit complètement maîtrisée, elle est entraînés vers les buissons. Lenormand entend quelques cris étouffés, puis la bande disparaît. Il est ébahi. La rencontre avec des fourmis il y a bien songé, mais pas de cette façon. Les choses sont vraiment étranges sur ce monde. Que lui reste-t-il à découvrir? C'est très prudemment qu'il reprend sa progression. Le trajet qu'il lui reste à parcourir lui paraît soudain beaucoup moins sûr. Il saisit son arme et ôte le 62


cran de sécurité. Il reprend prudemment sa progression, prenant garde de rester à l'abri des buissons. L'heure suivante lui apporte confirmation de ses craintes. Il a plusieurs occasions de croiser les fourmis. Elles n'ont pas toutes la même apparence, et il en déduit qu'il y a plusieurs tributs sauvages. En règle générale, elles sont plus petites que lui et ne semble pratiquement pas parler. Par contre la longueur de leurs antennes le surprend. Il se souvient alors qu'une théorie très populaire auprès des hyménoptèrologues les plus réputés, prétend que les fourmis des premiers âges possédaient un sens très développé de communication par leurs antennes. Or ces sauvages se touchent fréquemment du bout de leurs antennes... « Voilà pas mal de sujets de réflexions, pense-t-il. Si notre accident nous a entraînés dans les méandres du temps, il me permettra au moins de confirmer certaines hypothèses... Il cesse bientôt de se tracasser. Il arrive au but de son expédition. Le sol de terre grasse se soulève en pente douce et une immense muraille d'écorces s'élève vers le ciel. Lenormand observe les alentours et ramasse un grand bâton qu'il enfonce solidement dans le sol. Ensuite il sort de son sac un morceau de tissu qu'il fixe sur le bâton, confectionnant de la sorte un petit drapeau. Enfin, il collecte des cailloux et les dépose de façon à tracer une flèche bien visible sur le sol dans la direction du camp. Il consulte sa montre et a un petit sourire satisfait; à peine midi. A l'aide d'un stylo il écrit l'heure sur le tissu et des informations sur la position du camp. Enfin, il s'accorde un repos de quelques minutes qu'il met à profit pour se restaurer... son arme toujours à portée de main.

« Elles attaquent! Tenez-vous prêt, s'écrit Bill. » Ils sont tous les trois debout au sommet d'une petite colline, surveillant chacun un côté. Leurs fusils sont pointés en direction d'une centaine de fourmis à l'attitude plutôt agressive. 63


Un petit groupe se détache sur la gauche et fait mine d'attaquer. Un claquement sec en foudroie six ou sept à moins de dix mètres. D'autres surgissent sur la droite. Pietr les balaye d'une décharge de son arme. L'odeur de chair grillé se répand. ⎯ Elles sont inconscientes s'écrit Jack, elles n'ont pas d'armes et elles attaquent quand même. ⎯ Je ne sais pas si c'est de la folie, en tout cas elles n'ont pas l’air de réaliser ce qu'elles risquent. Piètr soupire: ⎯ Ce n'est pas tous les jours qu'elles rencontrent leurs futurs arrières, arrières et des poussières petits fils! ⎯ En tous cas nos aïeux ne sont guère accueillants. Ils n'ont pas l’air très heureux de nous voir. Passé un moment d'hésitation, les fourmis se rassemblent en rangs serrés. Des renforts arrivent, sortant de terre par de nombreux passages. Les trois voyageurs de l'espace ont pénétré naïvement au cœur d'une zone abritant une fourmilière. Ils doivent leur salut au réflexe de Jack qui avançait prudemment son arme à la main. Quand subitement la horde est apparue. Il a tiré dans le tas provoquant une confusion. La colline fut atteinte en quelques pas et avant que les sauvages n'aient le temps de se regrouper, ils organisent leur défense. Les fourmis sont de plus en plus nombreuses. Il en arrive de partout, criant et gesticulant dans la poussière que soulèvent leurs va et vient. Il n'y a pas de signal, pourtant, toutes ensembles se ruent soudainement à l'assaut. Pietr à placé son fusil sur une souche. Il ouvre le feu à la puissance maximale, désintégrant les plus proches assaillants. Bientôt les corps s'entassent et forment une sorte de mur compact. Mais l'assaut continue et les rafales de foudroyant taillent et tuent les fourmis par centaines. « Si cela continue nous allons toutes les tuer. Je n'ai jamais vu un tel carnage... » Les carcasses brûlées et fumantes s'amoncellent, la charge se poursuit. Il semble que pour chaque mort, dix nouveaux combattants surgissent de la terre... 64


Les arbustes avoisinants s'enflamment, touchés par les salves des rayons. Une épaisse fumée vient ajouter la confusion... Et soudain l'assaut s'arrête. Elles se replient et des colonnes surgissent du sol, emportant des œufs blancs. Les fourmis fuient devant l'incendie. Les derniers assaillants se replient et abandonnent le terrain. Pietr tâte son arme chauffé à blanc: ⎯ Il était temps qu'elles s'arrêtent, mon fusil allait exploser... ⎯ Dommage que nous n'ayons pas pensé à mettre le feu aux broussailles dès le début de l'attaque. Nous aurions évité tout ce carnage. Bill les secoue: ⎯ Ne restons pas ici. Elles pourraient revenir et nos armes ne tiendront pas longtemps à ce régime. Mais Jack le retient. ⎯ Je ne pense pas qu'elles reviendront. Ce sont des sauvages et elles n'ont même pas cherché à savoir qui nous sommes. Elles sont primitives, bestiales comme de vulgaires sauterelles. Nous venons de rencontrer des fourmis qui n'ont même pas encore atteint l'âge de pierre. Incapables d'évaluer les risques d'un combat, elles craignent le feu. Franchement, j'ai du mal à imaginer qu'elles sont les ancêtres de la race qui domine l’univers. Un rapide tour d'horizon leur permet de s'assurer que la voie est fibre. Rapidement, ils se faufilent entre les cadavres et disparaissent. L'arbre géant n'est plus très loin. Ils l'atteignent au pas de course et peuvent reprendre leur souffle, protégé par un terrain suffisamment dégagé pour parer toute attaque surprise. ⎯ De quel coté devons-nous aller, demande Pietr ? ⎯ Aucune idée, répond Bill Jack ne dit rien mais examine le tronc noirci. Il ramasse des morceaux de bois carbonisés et prend des repères. ⎯ Vous n'avez rien remarqué quand l’arbre a pris feu ? ⎯ Non, Tout s'est enflammé d'un seul coup. ⎯ Alors il va falloir se fier au hasard. Je n'aime pas beaucoup cela. 65


⎯ Nous ne savons pas dans quelle direction leur chaloupe est tombée. Ca me parait difficile dans ces conditions de prendre une décision. ⎯ Une seule solution, coupe Jack. Nous allons nous séparer. Deux iront à gauche et l'autre ira par la droite. La circonférence de l'arbre fait une dizaine de kilomètres. C'est deux heures de marche pour arriver de l'autre côté. De cette façon nous les retrouverons à coup sûr. ⎯ Dans ce cas propose Bill, je vais seul. Je suis mieux entraîné que vous pour ce genre d'expédition. ⎯ Exact, approuve Jack. Mais soit prudent. Dieu seul sait quels genres de dangers nous guettent. De toute façon, si nous les retrouvons avant toi, nous continuerons à ta rencontre. ⎯ Bien, je pense qu'il faut nous mettre en route tout de suite. Il est onze heure dix. Si tout va bien à 13 heures au plus tard nous ferons notre jonction. Allez, bonne chance Bill.

Ils se séparent et bientôt se perdent de vue. Jack et Pietr avancent l'un derrière l'autre. Le terrain est assez découvert et leur assure une relative sécurité. Par endroit, des racines soulèvent le sol et il faut faire de véritables acrobaties pour les franchir. Ils avancent ainsi une dizaine de minutes, scrutant chaque recoin, sursautant à chaque bruit suspect. Soudain Pietr s'arrête et saisit le bras de Jack ; ⎯ Là-bas, regarde, on dirait Lenormand ! ⎯ Mais oui, c'est lui... HO COMMANDANT ! Nous sommes là! Lenormand entend l'appel, écarte quelques détritus noircis et les aperçoit. Il pousse un cri de joie en s'élançant vers eux. — Heureux de vous revoir. Surtout vous Jack. Léon a besoin de vos soins en toute urgence. Bille n’est pas avec vous ? — Il est parti de l’autre coté. Il ne doit pas être très loin, nous venons à peine de nous séparer. — Nous le retrouverons tout à l’heure. Le plus important est de rejoindre Léon. Ils se mettent en marche en file indienne. Lenormand marche devant en utilisant le sentier qu’il a suivi à l’aller. Le sol noirci par les cendres de l’incendie, est gras car la masse d’eau apportée 66


par la pluie l’a transformé en gadoue. Malgré cela, ils avancent à un bon rythme. — Vous avez fais des rencontres commandant ? — De quel type ? — Des fourmis sauvages ! Jack raconte leurs démêlés de la matinée. Lenormand ne peut le croire. — Vous êtes sur de ça ? Des fourmis comme à l’age préhistorique ? — Et pas que ça, d’autres formes ancestrales d’insectes que je croyais disparus. — Nous avons été confronté à un monstre, mais rien de connu à ce jour dans nos manuels. — Vous conviendrez qu’on se croirait de retour sur la terre. — C’est vrai. C’est étrange. Je n’ai jamais rencontre une telle similitude sur d’autres mondes. Enfin ils parviennent au point de repère planté par Lenormand. Jack propose de continuer seul pour rejoindre Léon le plus vite possible. — Ou est votre vaisseau ? — Dans cette direction. Vous atteindrez un ru d’ici 10 minutes, il vous suffira de le suivre. Vous ne pouvez pas le manquer. Pietr va avec vous, moi je pars à la rencontre de Bill. A tout à l’heure. Ils se séparent. Lenormand est un spécialiste des déplacements en zone dangereuse. Il applique la méthode des baroudeurs de l’exploration spatiale. Laser au poing, tous ses sens en alerte, il file droit devant lui. Selon ses estimations, Bill ne doit pas être très loin. Il connaît le gaillard et sait qu’en bon sportif, il a du tracer sans effort en utilisant le même style que lui. De ce coté du grand chêne, le feu a fait moins de dégât. Même la pluie a moins chamboulée le terrain. De ce fait, les brindilles et autres déchets végétaux sont nombreux à obstruer le passage et Lenormand est obligé de faire un véritable parcours du combattant. Au bout de vingt minutes, il fait une pose pour souffler. Il est inquiet. Bill devrait déjà l’avoir croisé. Il se 67


retourne, observe le site… Non, impossible de l’avoir croisé sans le voir. Il va pour reprendre sa progression quand il croit entendre un souffle ; Un murmure presque inaudible semble descendre depuis les branches d’un buisson d’aubépine. Sur ses gardes, il scrute le feuillage. Là, à deux pas devant lui, une lueur attire son attention. Méfiant, il s’approche et découvre un câble d’une grande finesse, pratiquement invisible. « Sans le reflet du soleil, je me le prenais en pleine poire ». Le câble est noué à une branche et se perd dans le fouillis des feuillages. « Qu’est ce que c’est que ce truc ». Il ramasse un morceau de bois pour taper dessus afin d’éprouver sa solidité. Surprise, le morceau de bois adhère au câble. « Ma parole, ce n’est pas du métal, c’est gluant »… Il n’a pas le temps de penser plus longtemps, une masse sombre obstrue le soleil, et sans un réflexe providentiel, il recevait deux crochets velus sur le dos. Son plongeon en arrière lui permet quand même d’apercevoir la bête. « Non d’une pipe, une araignée ! » Les araignées, il connaît. Le musée paléontologique de la capitale terrienne en présente des centaines d’espèces fossilisées. Mais ces bestioles ont disparues depuis des lustres… La bête est remontée dans les branchages, aussi vite qu’elle était apparue. Lenormand s’apprête à faire demi-tour pour contourner ce coin dangereux, mais le murmure reprend, et là, il comprend que c’est un message qui lui est destiné… « hum…hum blumm » — C’est toi Bill ? — Hum Moui… Pas de doute, c’est son pilote, Il reconnaît l’intonation de sa voix. Mais ou est-il fourré ? Il pointe son laser vers la masse des feuillages, faible intensité pour ne pas faire trop de dégât. Le murmure provient de la gauche. En suivant la direction du câble, il estime, l’endroit ou pourrait se tenir l’araignée. Il tire une salve. Aussitôt, un mouvement secoue les branches. Un gros paquet noir dégringole de quelques mètres, restant suspendu dans le vide. C’est l’araignée, elle se débat et tente de se raccrocher à quelque chose 68


pour ne pas tomber plus bas. Mais il est trop tard pour elle, Lenormand la pétrifie d’un coup de laser. Elle pousse un cri de douleur, se rabougrie et finit par tomber lourdement sur le sol, la carcasse fumante. — Bill ? Tu m’entends ? — Hum… Ici… A coup de laser, Lenormand commence à débroussailler le massif d’aubépine. Maintenant, il voit assez bien la toile tissée entre les plus grosses branches. Son arme la déchire sans difficulté. Plus haut, quelques cocons sont suspendus comme des jambons. Par transparence, il reconnaît une sauterelle, et à coté, un uniforme bleu bien connu. Dans un cas comme celui là, l'instruction donnée par la compagnie est vitale. Il inspecte les lieus et calcule la hauteur à laquelle se trouve son pilote. « Il va falloir deux cordes de trente mètres et un grappin. Avec toutes ces lianes ça devrait s'arranger». Il se met au travail, noue bout à bout de fines lianes. Une fois terminé, il enroule les cordes autour de ses reins et commence l’escalade d'un arbuste qui surplombe la toile. Il grimpe lentement, prenant soin d'éviter tout contact avec les nombreux fils d'armature de la toile qu'il croise. L'ascension le conduit bien au-dessus de Bill. Il fixe une extrémité d'une corde et déroule le reste dans le vide. Il la passe l'autre corde, celle où est fixé le grappin, au-dessus d'une branche et en laisse pendre les deux extrémités dans le vide. Il vérifie la solidité des nœuds et entreprend de redescendre en rappel jusqu'au niveau du cocon. Bill, emmailloté dans sa prison de fils de soie, parfaitement immobilisé, suit la progression de son chef. Il s'est fait prendre bêtement, s'accrochant seul aux fils transparents qu'il n'avait pas remarqués. Presque immédiatement la monstrueuse bête velue lui a sauté dessus, le pelotant en un tour de main agile et expert. Il crut sa dernière heure venue, mais il comprit vite qu'il servirait de provision et qu'il serait conservé vivant pour être consommé plus tard. Il se morfondit longtemps, après avoir tenté de se dégager ou d'atteindre son arme. Mais l’araignée connaissait son affaire 69


et il ne put bouger le plus petit de ses doigts. Quand il aperçut Lenormand, il eut juste le temps de l‘avertir du danger ... Ils sont maintenant face à face. Avec son couteau, Lenormand tranche dans le coton pour lui dégager le visage. ⎯ Ca va ? ⎯ Un peu à l'étroit, mais pas de blessure. ⎯ Je vais te sortir de là. Tu vas être secoué mon gars! ⎯ Comment allez-vous faire ? ⎯ Je vais accrocher le cocon avec le grappin et couper la soie au laser. Il lance le grappin qui s'accroche et s'emmêle dans le cocon. Ensuite il saisit son arme et commence à trancher les liens de soie. La puissance du rayon ne rencontre aucune résistance, et le cocon commence à bouger, les fils cédant un à un et l'entraînant vers le sol. Soudain, le dernier fil se rompt, le cocon plonge dans le vide. Lenormand agrippe la corde et le retient en faisant contre poids avec son corps. Le cocon se balance en l'air. Alors, Lenormand se laisse glisser au sol et, contrôlant la descente, ramène Bill et son cocon sur la terre ferme. Démêler Bill lui prend du temps, et c'est couvert de cette soie collante qu'ils se retrouvent enfin face à face. Bill est pâle. Il ne porte aucune trace de blessure ou de coup. Seule la peur est responsable du léger tremblement qui l'agite. Il s'approche du cadavre... ⎯ Qu'est ce que c'est que ce monstre ? Vous en avez beaucoup comme ça sur Terre ? Lenormand s'approche et soulève le corps du bout de sa botte. ⎯ C'est une bête préhistorique. Disparue depuis plusieurs milliers d'années. On appelle ça un aranéide. Les musées de la Terre possèdent de nombreux ossements de ces animaux. Par contre, je n'avais jamais entendu parler de ces filets collants et de ces cocons dans lesquels ils enferment leurs proies. C'est une information fantastique pour la science... Bill grimace. ⎯ En effet, je pourrais en témoigner. Mais franchement, je préférerais être loin d'ici. 70


⎯ Loin d'ici en terme de temps... Oui, car je pense que notre problème est d'avoir fait un plongeon vers le passé. Nous sommes remontés dans le temps... Voila ce qui explique la présence de ces animaux et l'attitude des fourmis que nous avons croisées jusqu'à présent. Ils reprennent la direction du camp.

Jack et Pietr avancent d'une bonne allure. Ils longent le cours d'eau que leur a signalé Lenormand. Ils sont sur leur garde, redoutant une nouvelle rencontre avec des sauvages. Le terrain est assez dégagé et si un danger survient, ils pensent pouvoir se protéger facilement. Contrairement à leurs craintes, ils ne font aucune mauvaise rencontre. Le trajet leur semble même relativement court tant ils marchent vite. ⎯ Ne dirait-on pas le canon ? Dit Pietr en désignant une tâche sombre devant eux. ⎯ Ce doit être là, répond Jack. Jim doit se cacher quelque part. Il va être surpris...

« NE BOUGEZ PAS! » Ils se retournent brusquement au son de cette voix caverneuse. Mais un éclat de rire semblant sortir de terre les rassure. Jim apparaît en écartant des fourrés. ⎯ Alors ? On voulait me surprendre ? Il repousse les branchages et dégage complètement l'entrée de l'abri. ⎯ Sacré Jim, s'écrit Jack en se jetant dans ses bras. Tu m'as fichu une de ces trouilles... Les mains se serrent cordialement et tout de suite Jim les entraîne auprès de Léon. Son état ne s'est pas amélioré. Il est toujours sans connaissance. Jack le prend immédiatement en charge. Aidé par ses compagnons, il le place sur une couverture. Une des règles de la compagnie est de tatouer sous l'épaule de ses 71


membres des informations concernant leur identité et en particulier leur groupe sanguin. Jack pousse un soupir de soulagement en constatant qu'il s'agit du même groupe que le sien. Il va pouvoir faire une transfusion. Il fouille dans sa sacoche et en sort le matériel nécessaire. En quelques mots il explique à Pietr comment pratiquer et il s'allonge à côté de Léon. Quelques instants plus tard, Léon reprend des couleurs alors que Jack ôte l'aiguille de son bras et se fait un petit pansement. Il vérifie le pouls et le rythme cardiaque. C'est bon. Il lui administre un sérum et le laisse dormir Ils se retrouvent tous les trois dans la salle du haut, et là, tout en cassant une petite croûte faîte de plaques de survie et de pastilles concentrées, ils se racontent leurs différentes aventures.

72


8

Ils marchent, surveillant chaque buisson, chaque mouvement de terrain susceptible de camoufler un prédateur ou une proie. Dans leurs regards, une lueur d'acier étincelle. Celui de tête, Buft, le chef, porte de nombreuses cicatrices sur tout le corps, souvenirs des innombrables combats qu'il a livré dans sa vie. Son aspect est rendu plus effrayant encore par la couleur rousse de sa peau. Il s'en dégage une forte odeur puissante de fauve. Sa troupe est constituée d'une centaine d'éléments, tous aussi féroces que lui. Ils sont parfaitement disciplinés et entraînés à toutes les formes de combats. Leurs mandibules sont démesurées par rapport à leur tête, mais c'est leur unique arme. Tous sont nus... Et ils n'ont pas de sexe. Le chef s'arrête imité par toute la colonne. Il vient de reconnaître un de ses éclaireurs. Il l'attend. L'éclaireur s'avance et se place face à lui. Il baisse ses antennes et Buft approche les siennes pour former un contact. Alors des images se succèdent dans son cerveau. Tout ce que l'éclaireur a vu se dessine comme s'il le voyait lui même. Ce sont des clichés gris et sans relief, mais la netteté est parfaite. Il voit des panoramas connus et classiques. Le passage rapide d'une libellule, un amas de branches mortes, des dunes de sable, des monticules de graviers. Les images défilent rapidement. Il 73


fouille dans l'esprit de l'éclaireur et cherche quelque chose de plus précis; ce qui justifie le retour agité de l'éclaireur. Et puis il voit une petite plage bordant un cours d'eau. Un rocher formant une grotte et offrant un abri à des fourmis qui ne se doutent de rien. L'évidence de la présence d'une fourmilière qui semble très peu protégée. Il adopte une formation d'encerclement. Il passe les consignes et son dispositif se met en place sans bruit. Quelques gestes mainte fois répétés lui permettent de manier ses combattants. Il lance l'ordre de resserrer les mailles du filet qu'il vient de tendre. Dans son esprit, les rudiments de souvenir qu il a enregistrés défilent. Il se surprend à constater que jamais auparavant une attaque ne s'est présentée aussi facilement. Normalement il aurait dû y avoir plus de gardes pour surveiller l'entrée. Des ouvrières devraient sillonner les alentours... L'apparence des trois soldats gardant l'entrée n'est pas redoutable... Un doute l'étreint. Il interrompt la manœuvre et s'approche seul. Il escalade un monticule dominant la vallée. Pas un être vivant à perte de vue. Pourtant il reconnaît la plage et les rochers, mais plus d'entrée de fourmilière ni de grotte. Il est surpris et reste un long moment à observer... Il n'y a pas de vent, pourtant il jurerait voir bouger des buissons. Pour la première fois de sa vie, Buft, chef incontesté des troupes de choc de la reine, ne comprend pas la situation. Il reconnaît pourtant bien les lieux, mais les fourmis et la grotte ont disparus ... Décidément ce buisson bouge. Devant ses yeux surpris, l’entrée de la fourmilière se dégage. Une silhouette se dessine dans l'ombre. La première fourmi apparaît. Buft étrangle un juron. Tout vient de se remettre en place tel qu'il l'avait vu dans la mémoire de son éclaireur. Avec cependant des nuances qu'il ne pouvait deviner... La couleur des fourmis ! On a beau être un grand soldat, il y a des choses qui dérangent. Buft, comme tout éminent chef de guerre, craint les prêtres et les Dieux, particulièrement ceux du ciel, de la pluie et 74


de la nuit. Or ces créatures étranges lui inspirent la méfiance.... Prudence. Il donne des ordres pour que personne ne bouge. Son bataillon commence à comprendre la situation et une crainte proche de la panique se répand dans les rangs. Buft ne doit pas perdre son autorité et le contrôle de ses troupes. Tous attendent de lui qu'il prenne la bonne décision. Que faire ? Reculer équivaut à être définitivement discrédité, et d'autres capitaines attendent depuis longtemps sa première défaillance pour avoir sa peau. Attaquer ? Il pourrait le faire, il ne craint pas la mort... Il craint autre chose et il sent que l'attaque n'est pas la bonne solution. Parlementer ? Oui, pourquoi pas. Ce n'est pas dans ses habitudes, mais la reine lui reproche souvent ses méthodes trop expéditives... Il adresse un signe d'apaisement à sa troupe et sort seul à découvert. Lui qui a si souvent bravé le danger au cours de combats sanguinaire se sent trembler. Il voit les inconnus et déjà il sait qu’ils ne sont pas comme tout le monde. Ce sont des êtres différents. S'approchant d'eux avec précaution, son instinct lui dit qu’il va livrer le plus difficile affrontement de sa périlleuse vie. Après s'être bien restaurés, Pietr conseille à Jack de sortir prendre l'air. ⎯ Tu es pâle. Tu as donné pas mal de sang et un peu d'air frais te fera du bien. Ils sortent pour faire quelques pas en conversant. Jim les rejoint. Pas mal de questions restent sans réponse et leur approche scientifique n'est pas satisfaite. ⎯ Le plus difficile à avaler, murmure Pietr, c'est l'imbécillité flagrante des sauvages. Si encore ils avaient une lueur d'intelligence, je comprendrais. Mais ils ont l'air complètement idiot. Ils agissent comme de vulgaires animaux... Jack le saisit par le coude et le serre fort: ⎯ Chut! Vous avez entendu ? 75


Jim et Pietr se figent et scrutent les alentours. ⎯ Je n'ai rien remarqué, dit Pietr. Jack désigne la direction d'un monticule, de l'autre côté de la rivière. — Tu as raison dit Jim, on dirait une sorte de rumeur. Alors Jack l’aperçoit et pousse un cri de surprise: ⎯ Là, regardez! C'est un véritable personnage de bande dessinée qui apparaît soudain. Sa taille est plus importante que ce qu’ils ont vu jusqu'à présent, presque aussi grande que la leur. Mais ses armes naturelles génèrent crainte et respect sans équivalence. Le colosse avance lentement sur la plage, les mandibules dressées au dessus de lui. Il semble très prudent. ⎯ Regardez sa façon de marcher. On dirait qu'il hésite. ⎯ Il a peut-être aussi peur que nous. ⎯ Pourtant il doit savoir se battre, le bougre. Sortez vos flingues et tenez-vous prêts à intervenir. Buft s'avance. Il contemple ces êtres différents. Il sait qu'ils l'ont vu et qu'ils l’attendent. Il ne voit pas d'agression dans leur attitude. Ils ne semblent pas le craindre ni se préparer à fuir. Ils ne sont que trois. Pas d'autres présences alentour... Il s'arrête à dix pas. Leur attitude le rassure. Un ennemi supérieur en nombre aurait déjà attaqué. Il les regarde. Surprise: les fourmis bleues émettent des sons... comme la reine!

⎯ Il s'est arrêté, ne l'effrayez pas. Ses intentions sont peut être pacifiques. Pietr, va chercher un fusil. Marche lentement. Pas de geste précipité ou brusque. Toi Jim, braque discrètement ton paralysant vers lui. Au moindre mouvement suspect tu tires. ⎯ Que vas-tu faire ? ⎯ Je vais m'approcher. ⎯ Sois prudent, d'un seul coup de ses mandibules il peut te couper en deux. ⎯ Je compte justement sur toi pour l'en empêcher. 76


Pietr revient avec le fusil et le braque. Jack s'avance. Il le fait progressivement, sans emballement inutile. Il s'approche à un mètre, à la limite des mandibules, il tient son arme à la main, pointée sur Buft. Il le regarde droit dans les yeux. L'aspect de la fourmi rousse n'a rien de sympathique.... Il fait un effort pour sourire. « Bonjour, je m'appelle Jack » Ce disant il plaque une main sur sa poitrine. Buft s'étonne. Il tend ses antennes en avant, vers ce qu'il considère comme un être de caste supérieure. Jack ne comprend pas la signification du geste, mais juge cette attitude pacifique. Il laisse faire. Il possède lui aussi des moignons d'antennes. Elles sont ridiculement petites par rapport à celles de Buft. D'autre part, elles sont complètement rigides. Buft fait un pas en avant et le contact s'établit. Jack reçoit un véritable choc. Une étrange sensation l'envahit. Une foule de choses traverse son esprit. Ce sont des images. Elles sont floues et elles sautent. Elles lui torturent la cervelle... Il fait un pas en arrière et rompt le contact. Jim croit le voir vaciller, mais Jack se reprend très vite. ⎯ Ca va Jack, Pas de problème? ⎯ C’est bon, j'ai reçu un choc. Ca va maintenant. Il regarde Buft et ne sait que faire. Le soleil est haut dans le ciel et brille de ses feux d'été. Il tend un doigt dans sa direction et prononce: ⎯ So ... leil, soleil... Buft est surprise Il n'a perçu aucune image lors du contact. Il sait que seuls les Dieux sont capables de retenir leurs pensées ... C'est donc un Dieu qui est en face de lui, et ce Dieu ne veut pas communiquer comme tout un chacun, mais il veut utiliser le langage des êtres supérieurs... Que seuls maîtrisent les prêtres et la reine... Lui, le grand Buft est originaire des hautes castes. Il sait ce que sont les mots et il comprend ce que veut dire le Dieu: Le Dieu vient du soleil... Il est le soleil ou son fils... Quel honneur! Alors il fait un effort difficile. Il répète le mot. ⎯SO ... LEIL, SO ... LEIL Jack se tape la poitrine et prononce son nom. 77


⎯ JACK ⎯ J A C K, répète Buft. Jack sourit. Le sauvage a-t-il compris ? Il pointe son doigt vers lui et attend. Buft regarde l’index. Il est surpris de la dextérité qu'a le Dieu pour agiter ses doigts. « Jack, Jack, soleil... Oui, le Dieu s'appelle Jack. Il vient du soleil. Maintenant il attend autre chose Alors il comprend...que peut être... il doit parler. Alors il parle: ⎯ BUFT... AMI ! Prononce-t-il. Jack sursaute d'étonnement. Il se tourne vers ses compagnons: ⎯ Vous avez entendu ? Il a dit AMI. C'est un hasard ou il parle notre langue ? ⎯ C'est peut être son nom. Il s'appelle Buftami... répond Pietr. Jack rengaine son arme et place ses deux mains sur sa poitrine. ⎯ AMI! Tu me comprends ? ⎯ MOI AMI! MOI BUFT! Et en disant cela, tous ses membres se mettent à trembler d'émotion. Buft sent son cœur fondre de joie! Mais soudain la rumeur qui couvait, s'élève plus forte. Buft fait un bond en arrière et se retourne. Il se dresse de toute sa taille, les mandibules vers le ciel. Jack recule. ⎯ On dirait qu'il est inquiet. Une ombre apparaît alors, dominant l'horizon. ⎯ Le monstre d'hier soir! s'écrie Jim.

Jack et Pietr n'en croient pas leurs yeux. Bavant par la commissure des lèvres, le monstrueux géant verdâtre s'approche d'eux d’un bond fantastique. Un appendice sort de sa bouche par à coups telle une flamme rouge. Buft semble épouvanté. Il s'agite fébrilement, ne sachant de quel coté fuir. Jack, imitant ses 78


compagnons, se précipite à l'abri de la grotte. Il voit que Buft est paralysé de stupeur. Il l'agrippe et le tire en arrière. Le colosse roux réagit et se rue à couvert, bousculant le Dieux sans ménagement. La langue visqueuse du crapaud s'abat derrière lui et balaye le sable en y déposant un liquide nauséabond. Jim est déjà en position: ⎯ Nous l'avons fait fuir avec nos paralysants. Avec les fusils désintégrant nous lui ferons beaucoup plus de mal. ⎯ Ce serait plus efficace si nous le prenions sous un tir croisé, dit Jack. Je vais sortir vers la droite. Attends que je sois en place pour déclencher le tir. Jack prend un fusil et s'approche de la sortie. Il évalue la distance à parcourir. Le monstre balance sa tête de droite à gauche. Il n'a pas de proie bien définie à attaquer. Jack s’élance, immédiatement remplacé à l'entrée par Jim qui épaule, prêt à tirer pour le couvrir. Jack veut atteindre un buisson proche. Il est à deux mètres quand il butte sur une touffe d'herbe et il s'étale. D’un coup de rein il roule dans le buisson. Il se redresse aussitôt et se retourne. Le monstre ne l'a pas remarqué. Il a encore une large bande de sable à traverser. Il s'élance et court le buste penché en avant. Il atteint des grandes tiges de fleurs derrière lesquelles il se cache pour mettre en joue. Mais avant même d'appuyer sur la gâchette, un éclair traverse son champ de vision et le monstre fait un bond sur place... Jack ne cherche pas à comprendre. Il tire. La cuisse gauche de l’animal vire au mauve, son cuir se met à bouillonner. Sa mâchoire explose littéralement. Sur sa poitrine, une balafre s'ouvre et des flots de sang et d'entrailles sont projetés au sol. Le cri du monstre se répercute dans leurs tympans. Il tombe sur le coté et tente des mouvements désordonnés mais il ne fait que basculer encore plus et il roule dans la rivière. Une grosse gerbe d'eau éclabousse les rives. Son corps reste soudain inerte. Jack aperçoit Jim qui surgit de la grotte et vient vers lui. Il sort à découvert, secoue sa combinaison pleine de poussière. La voix de Lenormand retentit dans son dos ⎯ Hé les amis! 79


Il se retourne alors que Jim arrive à sa hauteur. Lenormand et Bill sont au-dessus d'eux, sur une éminence de terre. Ils leurs adressent de grands signes et s'élancent dans la pente pour les rejoindre. ⎯ Alors s'exclame Bill, nous arrivons à point ⎯ Je pense qu'on s'en serait sorti sans vous, mais vous tombez bien. Puis, désignant l’entrée de la grotte. ⎯ Commandant, nous avons de la visite... Lenormand aperçoit Buft. Il se tient adossé, prêt de l'entrée de la grotte, les yeux écarquillés. Il réalise que les Dieux ont tué le crapaud. Pour cela ils ne se sont pas battus. Ils n'ont eu qu'à lancer des éclairs... La tête lui tourne et il doit poser un genou à terre. Il chancelle et s'écroule au sol, évanoui. Il reprend connaissance quelques minutes plus tard. Jack lui a fait respirer un liquide et lui tapote les joues. Alors Buft prononce un nouveau mot: CRAPAUD. Déjà ses guerriers sont sur le cadavre et découpent des morceaux de chair. Des messagers sont partis avertir la fourmilière pour que des ouvrières viennent ramasser le butin. En quelques minutes, l’endroit se transforme en un chantier géant d'équarrissage qui grouille de fourmis. Buft a placé ses troupes pour assurer la protection des ouvrières. Une file s’organise qui transportent les morceaux de viandes. D'autres reviennent et se mêlent aux travailleuses. Quand le soir tombe, les dernières fourmis disparaissent. Le silence du crépuscule remplace le tumulte. Les fourmis bleus se retrouvent accroupies autour d'un feu de bois, terminant le repas de viande fraîche que leur a remis Buft et quelles ont grillés à l'ancienne. Lenormand sort d'une poche une petite fiole d'acier qu'il débouche et tend à ses compagnons. ⎯ Nous avons droit à ça ce soir. C'est un fortifiant qui ne sort pas des labos de la compagnie. Je le tiens directement d'un vieil oncle qui le fait lui-même en distillant des fruits des bois... goûtez, vous m'en direz des nouvelles. La fiole passe de main en main et lui revient. Il boit une gorgée comme l'ont fait ses compagnons. L'alcool est doux, 80


chaud. Son parfum éveille en lui des souvenirs de jeunesse.... Mais il les chasse pour revenir au présent: ⎯ Je pense qu'il serait temps de faire le bilan de ces deux jours. Je veux connaître l'opinion de chacun sur notre situation et comment vous envisagez l'avenir. Bill, ton avis ? ⎯ Je ne peux parler qu'en tant que technicien. J'ai examiné les deux chaloupes. Elles sont en trop mauvais état pour espérer les remettre à flot. Les dégâts sont importants, les fuselages détruits et les moteurs pulvérisés. Cela signifie qu'une réparation est impossible dans l'état actuel de nos moyens et que nous sommes condamnés à rester sur cette planète quoi qu'il advienne. Pietr jette un morceau de bois dans le feu et ajoute. ⎯ Les moteurs ne sont pas totalement fichus, mais les pièces de rechanges qu'il nous faudrait pour les reconstruire seront introuvables sur cette planète. Je ne vois pas comment on pourrait les fabriquer. Je partage les conclusions de Bill. ⎯ C'est évident, coupe Jack. Nos chaloupes sont détruites et nous ne pouvons compter que sur la rencontre d'une civilisation avancée pour les réparer. J'en doute sur ce monde. Lenormand opine: ⎯ Bien, je crois qu'il n'y a pas grand chose à ajouter à cela. J'ai la conviction que cette planète est la Terre. Vous aussi. Trop de ressemblances ne peuvent exister dans l'univers. Ces fourmis sauvages me bouleversent énormément. Il me paraît difficile d'écarter l'hypothèse d'un retour dans le temps passé. Notre époque d'origine se trouve sans doute à plusieurs milliers d'années dans l'avenir et nous devons nous considérer comme perdus. A mon sens nous n'avons pas la moindre chance de revoir un jour nos familles et notre époque. ⎯ Si vous permettez Commandant, dit Jim, je partage votre analyse, mais je ne suis pas d'accord avec votre conclusion. Raisonnons! Tout d'abord nous découvrons une planète de type terrestre possédant une flore et une partie de faune analogue à celles que nous connaissons sur notre monde. Nous ne savons pas où se trouve cette planète par rapport à notre point de départ et tout laisse supposer que nous avons fait en quelque sorte et à notre insu demi-tour dans l'hyperespace. Nous découvrons des 81


sauvages qui, et c'est important, ne sont pas tous d'égale évolution. Buft est sans aucun doute plus intelligent que les fourmis qui se sont laissées massacrer ce matin. Ceci tenterait de me faire croire qu'une évolution, lente naturellement, mais certaine, est en cours et se fait sentir sur certaines races. Les fourmis rousses ne nous ont pas attaqué, elles nous traitent avec beaucoup d'égards, je dirais même avec respect. Incontestablement nous avons affaire à une sélection engendrée par la nature. Si l’on considère que nous n'avons, pour l'instant, découvert aucun indice de notre propre civilisation, nous pouvons penser que nous sommes en présence de nos ancêtres. Vous suivez mon raisonnement ? ⎯ Je suis d'accord répond Lenormand. ⎯ Ces fourmis, continue Jim, rien ne dit qu'elles ne connaissent pas un semblant de technologie. Rien pour l'instant n'empêche de croire que nous pourrions utiliser leur aide pour rebâtir notre vaisseau. Que faut-il ? Des métaux ? Nous savons comment en trouver. Des outils? Nous en possédons plein nos cales. La technologie ; nous la maîtrisons suffisamment pour nous en sortir. Il ne nous manque que la main d’œuvre, je crois quelle ne manque pas. A nous de la former et lui apprendre ce que nous savons faire. Pietr et Bill s'exclament ensemble. ⎯ C'est utopique! Ce ne sont pas des outils qu'il nous faut, ce sont des machines de très haute précision... Nous n'en avons pas. Et même, en espérant que nous puissions remettre sur pied une des chaloupes, Qu'en ferons-nous ? Où irons- nous ? Lenormand pose une main sur l'épaule de Jim: ⎯ Voilà une hypothèse bien hasardeuse mon ami. Nous avons échappé à la mort par je ne sais quel miracle. Nos vaisseaux sont en miettes, nous côtoyons des sauvages et tu penses qu'il suffit de leur donner un marteau et un tournevis pour que tout s'arrange? Tu sembles aussi oublier que nos ordinateurs sont détruits et sans eux, pas question de voyager dans l'espace. ⎯ C'est pourtant ce que nous devons essayer de faire. Notre devoir nous oblige à tout tenter pour regagner notre monde et 82


prévenir nos compatriotes des dangers que nous avons essuyés. Même si c'est sans espoir, nous devons tout tenter. Jack n'a rien dit depuis le début. Il laisse parler les spécialistes. Pour lui la conversation dévie. Ce qui compte c'est de savoir si l'on est capable de retourner en l’an 13788. A part cela, il faut se trouver un abri sûr et plus confortable que celui-là. Il faut trouver de la nourriture et, pourquoi pas, une tribu accueillante. Il se décide à donner son avis. ⎯ Si nous parlions de choses concrètes. J’entends la gamelle, un toit et peut-être notre réinsertion dans cette nouvelle vie ? ⎯ Il a raison, renchérit Lenormand. N'allons pas trop vite. C'est bien beau de vouloir retourner à notre époque, mais dans le meilleur des cas nous n'en aurons pas la possibilité avant plusieurs années. La tâche immédiate serait plutôt de nous organiser. En quelque sorte apprendre à vivre sur ce monde. « Exact » conviennent-ils tous ⎯ Dès demain nous entrerons en contact avec une tribu. Nous aurons les idées plus claires lorsque nous saurons comment elles vivent. La journée a été riche en événements et nous avons tous besoin de repos. Nous allons dormir quelques heures ; Jim commencera le premier tour de garde. Quelques instants plus tard la nuit s'installe complètement. Le feu s'éteint, tout le monde s'endort. Quand les bruits familiers du petit matin emplissent la grotte, il fait encore sombre. Une légère brume de chaleur flotte à quelques mètres du sol. Jim somnole le dos appuyé contre un grand sac, son fusil posé sur ses genoux. Il entrouvre doucement les paupières. Il respire goulûment l'air parfumé. Le plus grand calme semble régner, comme si la nature attendait les premiers rayons de soleil pour animer le plateau. Près de lui, couchés à même le sol, ses compagnons récupèrent. Il baille longuement et se lève en silence. Il jette un coup d’œil dehors au travers du buisson. Aucun danger. Il écarte légèrement les branches et se glisse à l'extérieur. L'air est plus chaud. Il contemple le ciel d'été, puis son regard redescend sur la ligne d'horizon. 83


C'est son grand jour. Buft, magnanime, regarde d'un air de défi les autres capitaines. Ils se rangent en courant et s'alignent au garde à vous. Buft sait que tous l'envient. Qu'au moindre faux pas, ils ne lui feront pas de cadeau. Il sait tout cela, mais il aime cette vie. Le jeu avec la mort est son destin et pour rien au monde il ne changerait cette façon de vivre. Une cavalcade lui parvient, sortant des sous-sols, toutes les troupes de combat apparaissent courant en tous sens. Chacun cherche son chef de compagnie. Buft reste impassible, son corps élancé bien dressé sur ses puissantes jambes, ses mandibules redoutables tendues vers le ciel, comme une insulte à ceux qu'il défie. Enfin l'escorte royale fait son apparition par l'entrée d'honneur. Les favoris de la reine se placent de chaque côté de lui. Encore quelques courtisanes, puis, avançant d'une allure princière, la souveraine sort de l'ombre. Les prêtres la suivent, ne la quittant pas des yeux, alors que le soleil fidèle au rendez-vous, perce les dernières brumes. Rahamuk, grand prêtre du soleil, sort à son tour. Il tient dans ses mains un large morceau de feuille de saule qu'il dépose sur le sol. D'un signe, il invite les autres prêtres à le rejoindre et ils entament alors une danse cérémonielle autour de la feuille. C'est le don au Dieu Soleil. La danse se prolonge jusqu'à ce qu'un léger coup de vent soulève le morceau de feuille et l'emporte à son gré. Alors le grand prêtre se dresse sur ses quatre jambes et, levant les bras au ciel, il prononce des mots magiques comme lui seul sait le faire. ⎯ Ho puissant Soleil, vient déposer ta lumière sur nous ! Protège notre reine et notre peuple de ta chaleureuse bienveillance! Les autres prêtres émettent un son rauque, repris aussitôt par les soldats et le peuple entier des fourmis. L'ensemble des voix monte en un message vibrant et la reine s'avance alors au centre de la scène. A cet instant, Buft sent son émotion grandir. Ca va être à lui d'intervenir. Il fait trois pas vers la reine et s'incline. Puis il refait trois pas et s'incline à nouveau et ce, jusqu'à ce qu'il 84


arrive à la hauteur de Rahamuk. Le grand prêtre s'adresse alors à lui, dans le langage des Dieux. ⎯ Buft, toi qui es un grand guerrier, tu dis que les Dieux sont parmi nous ! Tu as vu les Dieux ! Buft écoute ces paroles sans quitter les yeux de la reine. Il sait qu'il est invincible puisque les Dieux sont ses amis. Il sait que grâce aux Dieux, la reine va être sauvée du grand danger. — Moi Buft... Ami des Dieux... Eux venir ici quand moi vouloir! ⎯ Toi le grand guerrier va! Ramène les Dieux. Nous les attendons avec le cœur plein d'espoir. Tu es un grand guerrier ami des Dieux. Buft écoute Rahamuk. Il boit ses paroles. Alors il se retourne lentement et son regard d'acier se pose sur les autres capitaines qu'il écrase de sa gloire. Aujourd'hui il triomphe. Les comploteurs du grand danger tremblent... Sa compagnie est là, prête à partir. Il lance un dernier regard à ses rivaux et s'engage sur le chemin suivi de sa troupe. La colonne étroite et sinueuse défile fièrement et disparaît. Le parcours va être long mais chacun sait qu'au bout se trouvent ceux qui apportent la puissance et la vérité. Les Dieux sont venus pour écarter le grand danger et confirmer le pouvoir de la reine. Buft est grand! De son coté, Zizaka, le rival, le bâtard, l’insoumis, comprend qu’il est temps d’agir. Il ne croit pas à cette fable du retour des Dieux. Encore une diversion pour rallier les indécis autour de sa demi sœur… Jim pose son fusil contre le rocher et rassemble des morceaux de bois qu'il jette sur les cendres encore chaudes. Il remue la braise et le feu reprend. Il verse de l'eau dans une casserole puis la met à chauffer au-dessus des flammes. D'une de ses poches, il sort un sachet contenant des pastilles, il en jette deux dans l'eau frémissante. Quand la boisson est chaude, il l'écarte du centre du feu et va secouer Pietr pour le réveiller. Il revient près du feu remplir deux gobelets du breuvage. Pietr le rejoint. 85


Ils dégustent leur boisson sans échanger un mot. Pietr est encore engourdi par le sommeil. Jim, lui, n'a pas envie de se coucher. ⎯ Tu m'accompagnes au ruisseau ? J'ai envie de prendre un bain. ⎯ Tiens c'est une bonne idée. Ca va me réveiller et j'ai l'impression que ça fait des siècles que je ne me suis pas lavé correctement. Ils ôtent leur combinaison bleue et courent vers la rive emportant juste un fusil. Jim plonge tête première dans l’eau fraîche. Pietr dépose le fusil sur le sable et entre timidement dans l’eau. Jim l’asperge et il s'élance. Ils font alors une course et traversent le cours d'eau, puis reviennent en nageant sur le dos. Le bain est agréable en ce début de journée d'été qui s'annonce très chaude. Ils ne restent pas longtemps dans l'eau et ils s'allongent sur le sable de la plage. Pietr a un froncement de sourcil... Le bruit est presque imperceptible, roulant dans le lointain comme un orage de soir d'été. Mais il s'amplifie progressivement... Il se rapproche. ⎯ Dis donc Jim, Tu n'entends rien ? ⎯ Si! On dirait un troupeau... Ou une troupe qui marche au pas cadencé. ⎯ Qu'est-ce qui va encore nous tomber dessus ? ⎯ C'est peut être Buft, il devait revenir. ⎯ Souhaitons-le, j'en ai ma claque de tous ces sauvages qui veulent nous servir pour leur dîner... On devrait peut être se rhabiller. ⎯ Oui, et réveiller les autres... Jack sort justement de la grotte. Il les voit revenir de la rivière, nus, courant, tout dégoulinant de gouttes d'eau. ⎯ Vous avez le feu quelque part ? ⎯ Encore de la visite, lui répond Jim. Toute une troupe vient par là. ⎯ Décidément on ne peut pas être longtemps tranquille dans ce patelin. Habillez-vous, je préviens les autres. 86


Sur un signe de Buft ils s'arrêtent et se regroupent. Il s'éloigne seul. Il a préparé un cadeau pour les Dieux qu'il tient d'une façon maladroite. Il avance maintenant à découvert sur le sable de la plage, longeant la rivière et remonte vers les camps des Dieux. En face de lui apparaît celui qui semble être le chef. Il s'en approche et dépose le caillou brillant sur le sol, à ses pieds. Lenormand a reconnu le géant roux. Il le laisse approcher en évitant tout geste risquant de l'effrayer. Le sauvage dépose devant lui un caillou de la grosseur du poing. Il n'en croit pas ses yeux. Il s'agit de la plus grosse pépite d'or qu'il n'ait jamais vue. En un instant les autres fourmis bleues sont autour de lui et regardent le morceau d'or. Alors Buft explique avec ses mots qu'il les invite à le suivre jusqu'à la fourmilière. Il leur faut plusieurs minutes pour comprendre son message, mais en fin de compte cette proposition correspond à leurs intentions, et après s'être expliqués avec Buft, ils acceptent. Lenormand, prudent, refuse qu'ils y aillent tous ensemble. Il se sépare donc en deux groupes. ⎯ Pietr et Bill vous restez avec Léon jusqu'à ce qu'on vienne vous chercher. Je pars avec Jim et Jack. Nous serons de retour avant la fin de la journée. Ils prennent chacun une arme et s'engagent derrière Buft. Les soldats leur font une haie d'honneur puis, les encadrant, ils les escortent. On sent dans leur attitude une profonde curiosité mêlée d'une pointe de crainte. Il faut dire qu'ils ont la visite de Dieux fait de chair et de sang pour la première fois de l’histoire de la fourmilière. Et que, bien que leurs corps soient bleus, ils leur sont très semblables. Lenormand a adopté une situation qui tombe à merveille. Il se confie à Jack : ⎯ Puisque ces sauvages nous prennent pour des Dieux il faut jouer le jeu. C'est notre meilleur atout. Ils avancent donc conscients de l’importance qu'à le moindre de leur geste. Leurs combinaisons tombent impeccables, le ceinturon à boucle de cuivre brille comme neuf. Le pistolet laser est plaqué contre la hanche, les insignes des grades ornent leur 87


épaule droite, descendant vers le bras et la poitrine... Jim et Jack, moins gradés n'en n'ont pas moins d'élégance ...

88


9

Il y a une phrase que je ne peux prononcer sur ce maudit monde, c'est évidemment « qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu!» Pourtant dans certaines situations ce serait bien commode de refiler les responsabilités sur le dos d'une autorité supérieure... Mais comme Dieu et moi ça ne fait qu'un, je suis marron! Ca va faire une semaine que je suis sans nouvelle de Pierre. Le silence complet. Il se terre quelque part, il ne donne pas signe de vie. Et pendant ce temps la presse se déchaîne. Si j'en crois ce que je lis c'est une véritable invasion. On rencontre des fourmis bleues partout... Une véritable folie frénétique. Et Pierre qui doit me faire un rapport précis et détaillé. J'ai parfois l'impression d'être seul sur mon nuage... ⎯ Toc toc toc ⎯ Oui ?! ⎯ Excusez-moi, un message de la Terre, une carte postale ⎯ Une carte postale ? ⎯ Oui... ⎯ Donnez Ha! C’est Fêtnat. Il m'écrit d'Orléans. Je l’y ai envoyé pour épauler Pierre... Et aussi pour le surveiller. Avec lui je suis tranquille, il n'aime ni la pêche ni le camembert, ni les émotions fortes. Sa faiblesse c'est le reggae... Mais dans ce coin du monde on ne le pratique pas... Voyons, que me dit-il ? 89


« Bien arrivé sur Terre où j'ai facilement retrouvé Pierre. Le temps est splendide, le soleil radieux et la nourriture excellente. Nous avons loué des vélos et nous parcourons la campagne qui est merveilleuse en cette saison. J'ai parfois l'impression d'être aux Antilles... si ce n'est la musique qui est moins cadencée, quoique l'accordéon ait parfois des sons intéressants. Tout se passe bien, et Pierre se joint à moi pour vous adresser notre amicale souvenir. P.S.: L'argent commence à nous manquer... » Tonnerre de tonnerre! Et les fourmis bleues? Ce n’est pas croyable. J'expédie deux de mes meilleurs collaborateurs sur une affaire délicate (ho combien!) et les voilà qui font du tourisme.... ⎯ PAUL! ⎯ Vous me demandez? ⎯ Vous partez immédiatement sur Terre. Retrouvez moi ces deux lascars et faites les se mette au travail, non de D... pardon... d'un chien! — C'est ennuyeux... Ce n'est pas que je refuse, mais vous savez que j'ai une charge importante à assurer. Avec toutes ces statues de St Paul qui trônent dans les églises, j’ai une foule de prières à exaucer. Pourquoi ne pas demander à Fiacre ou Eustache ou encore Enguerrand. Ils sont pratiquement inoccupés. ⎯ Non, ils sont rouillés, trop démodés pour s'adapter à la vie moderne... Qui est libre en ce moment? ⎯ Et pas démodé ? ⎯ Evidement... ⎯ Il y a bien quelqu'un... ⎯ Qui ? ⎯ Jeanne. Elle a en plus l'avantage de bien connaître la région. Elle serait sûrement à la hauteur. ⎯ Hum ! Pourquoi pas après tout. Comme en plus elle est incapable de rester dix secondes sur un vélo sans s'étaler elle ne risque pas de se laisser entraîner par mes lascars. C'est d'accord, prévenez là, qu'elle se prépare... Et dites à Christophe de passer me voir... C'est urgent. 90


Je vais jouer finement. J'envoie Jeanne surveiller Pierre et Fêtnat... Et j'expédie Christophe surveiller Jeanne. Si avec ça je n'ai pas de résultats je me fais moine tibétain ! Et j'ai toujours la ressource de lire les journaux pour être informé! Heureusement qu'il y a quand même de bonnes nouvelles. Mes oeuvres éditées viennent de dépasser le milliard. C'est quand même une satisfaction d'être l'auteur le plus lu dans le monde. Traduit dans plus de 300 langues et dialectes... Bon, c'est vrai que les traductions ne sont pas toujours fidèles. A tel point d'ailleurs que parfois j'ai du mal à reconnaître ma plume... Il faudrait que je retrouve le texte original... Il n'était pas si long que ça, c'est curieux comme en partant de quelques mots on peut dévier et broder. Si je me souviens bien je disais des choses simples du genre aimer, paix, partage... Je n’ai pas dû être assez clair...

91


10

En débouchant sur la plaine, ils sont saisis de surprise. A perte de vue, des centaines de milliers de fourmis occupent les hauteurs et les coteaux. Au centre, sur une esplanade de sable, les divisions de l’armée sont alignées comme à la parade. Lenormand remarque alors que Buft, inquiet, regarde de droite et de gauche, comme s’il craignait quelque chose. — Le colosse n’à pas l’air dans son assiette. Chuchote-il à ses amis. On dirait qu’il ne s’attendait pas un cet accueil. Justement Buft fait signe à la troupe de stopper. Tout paraît calme mais l'air vibre d'une agitation nerveuse. Lenormand a remarqué le léger tremblement de Buft. Il sait que ce colosse primitif perçoit des ondes émises pas ses congénères. Il se tourne vers Jack et Jim pour leur faire comprendre de se tenir sur leurs gardes. Sa main glisse vers la crosse de son arme. A ce contact, sa crainte se dissipe un peu. — Il y a un problème ? Demande Jim. Buft semble comprendre, se retournant vers eux, il prononce difficilement ces quelques mots : — Zizaka pas croire Buft. Dire Dieux existe pas. Lui vouloir restaurer les traditions comme autres colonies. Jim s’adresse a Lenormand ; — Si je comprends bien, il y a de la zizanie dans la cité, et notre arrivée va en dépiter quelques uns… — Justement, cette réception ne me dit rien qui vaille, soyons prudent. 92


Buft s’en remis en route. A présent, il dévale la colline, se dirigeant fièrement et directement vers le centre de la place. Sa troupe le suit, impeccablement alignée sur deux files. Les bleues se tiennent discrètement au centre. Buft va vers un petit groupe de fourmis plus petites. C’est la cour composée des prêtres, des favoris et de la reine. Celle-ci, le corps enduit d'une poudre rose, semble assez jeune. Elle ne cesse de poser un regard inquiet sur Rahamuk. L'armée est formée en demi-cercle et chaque capitaine se tient en avant de sa division, rigide, dans la position de parade. Soudain l'air est déchiré par un cri aigu. Buft sursaute et fait un pas à gauche. Un capitaine sort du rang. Buft s'élance au devant de lui. Ils ralentissent quand ils sont face à face. Le nouveau venu semble terrible. Criblé de coutures et de déchirures. Il est de la même taille que Buft et semble le provoquer. Buft s'avance maintenant à pas lent. Lenormand a l’impression qu’ils augmentent de volume à chaque pas. Ils s'arrêtent à quelques centimètres l'un de l'autre et leurs antennes se choquent avec un bruit métallique. Jack a déjà son arme à la main, prêt à intervenir... Mais le combat ne s'engage pas. Les deux adversaires reculent et regagnent leurs points de départ. Buft observe Zizaka qui reprend contact avec sa troupe. Un échange de message se transmet par petites touches des antennes. Simultanément un grondement s'élève. D'autres capitaines quittent les rangs pour participer au brouhaha. Et puis lentement les choses deviennent plus claires. Une déchirure se dessine dans la troupe de Zizaka. Certains capitaines se rangent à ses coté, entraînant une partie des soldats. Les autres rejoignent le groupe de Buft. Lenormand évalue les forces: la majorité des guerriers se sont unis à Buft, mais sept des onze capitaines sont avec Zizaka. Les prêtres se regroupent autour de la reine. Il est évident que même s'ils sont prêts à tout pour la protéger, ils ne feront pas le poids face aux redoutables mandibules des guerriers. Leurs constitutions paraissent ridicules en rapport aux corps athlétiques des soldats Lenormand s'approche de Buft: ⎯ Que se passe-t-il ? lui demande-t-il. 93


Mais il a parlé trop vite et Buft, concentré, ne l'a pas compris ou entendu. Lenormand dégaine et fait signe à ses amis. Ils ne l'ont pas attendu pour mettre l'arme au poing. Surtout que les troupes s'agitent et se rapprochent l'une de l'autre, menaçantes. ⎯ Il va y avoir du grabuge. Tenez-vous prêts à intervenir, et surtout restons groupés tous les trois. Il a parlé fort, presque crié tant le grondement qui s'élève des troupes s'amplifie. Les fourmis qui les entourent prennent des ordres auprès de Buft et les transmettent par vagues. Elles entament une légère manœuvre pour se placer sur plusieurs lignes parallèles. A ce moment, une petite tape sur l’épaule fait sursauter Jack. Il se retourne et se trouve nez à nez avec une fourmi à la face affreusement froissée. ⎯ Qu'est ce que c'est que celui-là ? s'écrie-t-il. Lenormand s'interpose: ⎯ Je l’ai aperçu tout à l'heure près de la reine. ⎯ Je suis Rahamuk. Le grand prêtre. ⎯ Il parle! S’écrit Jack surpris. ⎯ Je vous ai entendu il y a un instant. J'ai pensé que vous ne compreniez pas bien la situation. ⎯ En effet, que ce passe-t-il ? ⎯ Zizaka ne croit pas aux Dieux vivants. Il prétend que vous nous trompez. ⎯ Et alors ? ⎯ Il veut profiter de la situation pour prendre le pouvoir. Il complote depuis longtemps. Depuis que notre ancien roi a quitté ce monde en désignant sa fille pour lui succéder. Zizaka est un fils bâtard de feu notre roi. ⎯ Pourquoi ne l’avez vous pas arrêté ? ⎯ Parce qu'il est très populaire. Ce complot que nous appelons le grand danger devait l’amener au pouvoir... Nous ne pouvions rien contre lui si ce n'est nous appuyer sur Buft... Mais aujourd'hui si vous nous aidez, tout peut changer. ⎯ Qu’attendez-vous de nous ? ⎯ Combattre! Personne n'a jamais vaincu Zizaka. Si vous gagnez vous serez un Dieu, sinon vous êtes mort. 94


Comme s'il attendait la fin de cet entretien, Zizaka s'élance droit vers Lenormand. Il traverse comme une flèche l’espace qui les sépare et l'aurait écrasé entre ses mandibules si Buft, sur ses gardes, n’avait interrompu son élan. Ils sont maintenant face à face. Les deux corps frémissent. Zizaka plonge un regard mortel dans celui de Buft. La rancœur accumulée depuis tant d'années explose en lui. Les antennes se choquent, les mandibules se cognent, c'est l'attaque. Ils ont tous les deux un gabarit extraordinaire et ils savent qu'il n'y aura pas de quartier. Jack se rapproche de Jim. Il le tire par la manche et lui fait signe de le suivre, bientôt imité par Lenormand. Ils sautent sur un bloc de roches afin de se mettent hors de portée des agresseurs. Rahamuk les y rejoint et observe le combat, l'air calme et détaché. ⎯ S'ils nous agressent comme les fourmis noires d'hier, nous savons comment les mater, dit Jack. ⎯ Non! Coupe Lenormand. Ce n'est pas avec un feu de paille que l'on va les disperser. Ils sont beaucoup trop évolués. ⎯ Vous avez raison, ajoute la voix de Rahamuk. Ce combat se terminera par la destruction de la moitié de notre colonie. Souhaitons que nos fidèles l'emportent. Lenormand se tourne vers lui: ⎯ Qui sont vos fidèles ? Pour qui êtes-vous? ⎯ J'appartiens à la reine. Nous sommes du même sang et je sais que vous êtes de ma race. Je connais vos pouvoirs. La reine est la seule à pouvoir guider cette colonie vers un avenir différent... Jack les bouscule. ⎯ Attention ils nous attaquent 1 Délaissant le duel entre les deux chefs, d'autres capitaines attirent leurs troupes dans une charge effrénée. En quelques instants toutes les fourmis se ruent les unes sur les autres, coupant, broyant, arrachant tout ce qui passe à leur portée. Malgré son air impassible, Rahamuk observe le combat avec angoisse. Il pousse un cri. 95


⎯ La Reine! Jim évalue tout de suite le danger. Presque tous les prêtres sont hors de combat. Les quelques survivants ne peuvent résister à la meute qui les assaille. Jim réagit immédiatement. Il oriente son paralysant qu'il règle avec une intensité maxi et vise les soldats les plus proches de la reine. La décharge est courte et l’éclair ne dure que l'espace d'une seconde. Cinquante combattants sont bousculés et roulent à plus de dix mètres. Ils sont sonnés. Les autres s'arrêtent surpris. Jim refait parler son arme et fait un large mouvement de balayage avec son poignet. Une centaine de soldats sont touchés et s'écroulent en se tordant de douleur. Seuls, Buft et Zizaka qui roulent au sol enveloppés de poussière ne voient rien et continuent à se battre. Mais le résultat est positif. Devant la reine les assaillants reculent. Sur la droite les combats reprennent mais Lenormand intervient à son tour en pulvérisant un rang d'attaquants. La trouée qu'il provoque est décisive. Les rayons lumineux de son arme effraient les révoltés qui commencent à se retirer dans un mouvement de panique. Lenormand n'a maintenant devant lui que le combat qui oppose Buft et Zizaka. C'est un duel rageur qui n'a pas cessé malgré les tirs des fourmis bleues. Les deux capitaines sont puissants et aucun ne parvient à faire la différence. Accroché l'un à l'autre ils roulent dans les décombres en se portant des coups sans se lâcher. Lenormand change d'arme. Il prend un paralysant qu'il règle sur une faible intensité. Il veut simplement les neutraliser. Il prend largement son temps et vise la tête de Zizaka dont les mandibules enserrent le corps de Buft. Pas d'éclat spectaculaire, pas même de bruit. Le colosse tressaille et se fige assez soudainement. Buft n'a pas été touché. Entraîné par sa force, il ne comprend pas que son ennemi n'offre plus de résistance et ses mandibules le broient. Zizaka est pratiquement coupé en deux. Buft le lâche et se redresse. Il prend alors conscience qu'autour de lui, règne un silence inhabituel. Mais il comprend que la partie est gagnée en voyant les Dieux autour de la reine. Rahamuk ne perd pas une seconde. Il s'élance vers Lenormand et pose un genou au sol en s'écriant: 96


⎯ Voici le fils du Soleil! Buft a dit la vérité! La foule s'agite, un murmure la parcoure. Rahamuk continue en s'adressant directement à Lenormand d’une voix puissante. ⎯ Toi et tes compagnons, vous êtes venus pour sauver notre reine! Je t'en suis reconnaissant! Les fourmis bleues se regroupent et ensembles s'approchent de la reine. Elle est pâle, elle s'appuie au bras d'un prêtre. Elle les regarde approcher et, lorsqu'ils ne sont plus qu'à quelques pas, elle s'agenouille imité aussitôt par l'ensemble des prêtres et bientôt par tous les combattants... Jack lui tend la main pour l'aider à se relever. Il est frappé de rencontrer un contact doux et chaud. Une émotion inattendue le traverse. Il se surprend à mieux regarder la petite reine aux grands yeux noirs qui le dévisagent avec une touche de crainte. Il veut la rassurer, mais il ne sort de sa bouche que quelques mots bafouillés. Il ne sait quoi dire. Jim saisit l'autre main de la reine et l'aide à se redresser. Lenormand fait signe aux prêtres de se relever également. La reine, sans lâcher Jim, se dirige vers le centre de la place. La foule des guerriers s’écarte sur son passage. Entraînant Jim, elle avance en saluant. Jim l’imite, et petite à petit, une clameur s’élève sur la vallée. De partout un fracas de cris et hurlement envahit la foule. La reine s’arrête juste au milieu, elle s'y agenouille et entonne une prière muette. La foule des fourmis de guerre l'imite, et bientôt les trois silhouettes bleues se retrouvent seuls debout, un peu gênées de la situation. Lenormand comprend que Jim a marqué un point. Il ne suffit pas de passer pour des dieux, encore faut-il être accepté par la majorité de la population. La reine vient de se les accaparer, ayant besoin d’être épaulée. Il faut sauter sur l'occasion. C'est Jim qui a le trait de géni. Alors que tous les regards se portent sur eux, il s'avance, puis, levant les bras au ciel, il pousse un hurlement très grave et récite un vieux poème appris étant enfant. Lenormand voit alors Rahamuk lui tendre une longue baguette souple. — Prends ceci, c'est le signe du brave. Le talisman que chaque capitaine rêve de se voir remettre un jour par la reine. Toi seul, maintenant que tu as ramené l'ordre dans la cité est digne de 97


la garder. Nous venons de te reconnaître, toi et tes compagnons. Vous êtes les Dieux puissants de la Terre. — Et qu'attends-tu de nous ? — Je n'attends rien, si se n'est la paix et le bonheur. A présent que tu es parmi nous, tu as tout pouvoir de décision. Nous sommes tes esclaves et nul n'osera désobéir à tes ordres. — Dans ce cas je veux que tu libères les prisonniers et que tu leur accorde le pardon. Je ne veux pas que ce jour soit entaché de plus de sang. — Il sera fait selon ton bon vouloir. Je suis heureux que tes premiers ordres soient emplis de magnanimité. Maintenant, suismoi. Alors que Buft se charge de reformer l'armée, Rahamuk les entraîne vers la fourmilière. Dés la cérémonie terminée, des centaines d'ouvrières sont apparues pour organiser le déblaiement de la place. Les cadavres qui y gisent disparaissent rapidement. Toujours au bras de Jim qui semble flotter dans une autre dimension, la reine marche derrière Lenormand et Jack. Le cortège est fermé par les prêtres et une dizaine de gardes. Ils se présentent devant l'entrée principale, trou béant dans un monticule fait de terre, de sable et de détritus de bois. Elle est protégée par quelques rochers mais surtout par des gardes à l'apparence féroce. Ils s'enfoncent dans un boyau descendant lentement vers le centre de la fourmilière. Apres quelques pas, l'éclairage naturel s'estompe, mais les cristaux de sable suffisent à diffuser une clarté correcte. Ils arrivent dans une salle assez grande ou règne une activité débordante. Des ouvriers transportent des marchandises sous forme de grains ou de quartier de viande. La police est assurée par des gardes, mais de taille beaucoup plus modeste que les soldats. Ils ne perdent pas de temps en cet endroit bruyant et pénètrent dans la salle du trône. Le luxe est parfaitement inconnu. Le plafond est soutenu par un enchevêtrement de branches et de mortier. Même le sol, pourtant entretenu, présente des irrégularités. Le trône, seul objet présent, n'est qu'une vulgaire souche plus ou moins travaillée. Rahamuk guide Lenormand et lui fait signe de s'installer sur le trône. Il n'hésite pas une seconde, et prend possession de son siège, comme d'une chose tout à fait naturelle. 98


Dehors, les choses vont bon train. Buft a bien travaillé. Le champ de bataille ne recèle plus un cadavre. L'armée est parfaitement alignée, obéissant à son chef incontesté. Les capitaines lui ont rendus les honneurs et se sont pliés à son autorité. On ne désobéit pas à un si puissant seigneur, allié des Dieux redoutables. Comme après chaque combat, Buft ne voulant point changer ses habitudes, fait défiler les troupes. Puis il donne ses ordres pour les tours de gardes et fait rentrer les soldats dans leurs quartiers. Il s'en vient ensuite retrouver les Dieux, près de la reine. Dès qu'il l'aperçoit, Jim le prend à l'écart et lui demande de visiter la fourmilière. Le mécanicien pense à sa chaloupe, il veut tout de suite se rendre compte des possibilités de réparation que peut lui offrir la science des fourmis rousses. Il ne lui faut que quelques minutes pour revenir affreusement déçu. Quand il rejoint ses compagnons, il leur fait un rapport déprimant. Aucune industrie n'existe, même le feu est inconnu de ce peuple. — Ils sont encore plus arriéré que je ne l'aurai cru. — Pas étonnant, lui répond Lenormand, sinon ils seraient déjà maître de la planète. En fait, ils ne présentent qu'une très faible différence avec les autres sauvages déjà rencontrés, c'est le langage. Et encore, chez certain seulement... Les prêtres parlent assez correctement, certains soldats beaucoup moins bien. La grande majorité ne dit pas un mot. — Ca prouve qu'il doit y avoir une éducation, une école pour les nobles. Mais pourtant tous les enfants sont réunis au même endroit. — Nous essaierons d'en savoir plus par la suite, pour l'instant il faut organiser une escorte et aller récupérer nos compagnons. Le pauvre Léon, s'il est encore de ce monde, sera sûrement heureux de dormir dans un lit... — Je ne voudrais pas ternir votre enthousiasme, mais de lit, ici, n'y a que le sol. Vous risquez de mal dormir Monseigneur. — Au lieu de te moquer, tu ferais bien de te mettre en route.

99


— Je pars, dit Jack. Jim à la cote avec la reine, il vaut mieux qu’il reste. J'emmène Buft et ses meilleurs hommes. Nous tâcherons d’être de retour avant la nuit.

100


13

Une petite bise parfumée emplit l'air d'une mélodieuse symphonie. Pietr prend le frais devant l'entrée de la grotte, son fulgurant a portée de main en mâchonnant un brin d'herbe. A quelques pas, Bill penché sur le feu de bois, mijote une grosse tranche de viande qu'il a piqué sur une badine. Au niveau inférieur, toujours allongé, Léon de Nipas respire faiblement mais son visage reprend peu à peu des couleurs. Il a retrouvé ses esprits et a pu échanger quelques mots avec ses amis. Des bruits de voix montent et se rapprochent sensiblement. Pietr saisit son arme et escalade le rocher pour inspecter l'horizon. Il distingue une colonne qui avance en serpentant dans sa direction. Bill délaissant le repas vient le rejoindre. — J'ai l'impression que ce sont les nôtres, j'ai cru voir une silhouette bleue en tête. — Enfin ça n'est pas trop tôt. Je commençais à trouver le temps long dans cette grotte sans confort, et surtout je n'aime pas faire la cuisine. 101


— Ils arrivent juste pour le repas, nous n'aurons pas assez de viande pour tout le monde. — Ho ils ont du prévoir ce qu'il faut. De toute façon il n'est pas question de partager ce rôti ... Bill se retourne et vérifie que la pièce de viande ne grille pas, or au même moment ils entendent un cri strident. En plein milieu de la place, à l'endroit où cuit la viande, se tient une grosse bestiole toute rouge avec de grosses taches noires sur le dos. Attirée par le fumet elle vient de se poser et de se brûler les pattes. — Pietr regarde ça! — C'est quoi ? — Un animal préhistorique, j'en ai vu un exemplaire reconstitué au musée. On nomme ça Coccinus. — C'est consommable ? — Pourquoi, tu veux organiser un banquet ? — Pourquoi pas. Je suis sur que nos amis se régaleront. — Joignant le geste à la parole, Pietr fait feu sur le coléoptère. La flamme l'enveloppe d'une aura d'or et l'animal s'effondre. — Bravo tu as pulvérisé mon rôti. — Bah t'en fais pas, il y a maintenant assez de viande pour tout le monde. Moins d'un quart d'heure plus tard, conduisant sa troupe, Buft se retrouve devant eux. Pietr reconnaît une lueur nouvelle dans son regard. Il ne sait s'il doit accorder sa confiance à ce sauvage qui bien que légèrement plus petit que lui est un géant pour sa race. — HO HO ! Quel beau tableau de chasse, s'écrit Jack apparaissant au milieu d'un groupe. A qui doit-on ce splendide coup de fusil ? — A moi ! Cette bestiole avait comme idée de s'envoyer notre repas. Finalement on a inversé les rôles. Comment ça s'est passé — Pas comme nous le pensions. Mais nous sommes parvenus à maîtriser la situation et à la retourner en notre faveur. Maintenant Adam est le dieu de la colonie. — Sans blague, le dieu de la colonie? — Comme je te dis ... mais en toute modestie évidemment 102


Ils partent d'un grand éclat de rire et se précipitent prévenir Léon. Celui-ci réussit à se tenir assis pour féliciter ses amis. — Nous allons fabriquer un brancard, propose Pietr. Léon n'est pas en état de faire le trajet à pieds. — Je vais donner des ordres, lui répond Jack. Pendant ce temps réunissez les affaires. Nous emportons tout. Il sort et appelle Buft qui, entouré de quelques compagnons, dépèce la coccinelle. Il vient vers lui laissant le soin à sa troupe de terminer le travail. — Buft ! Sais-tu fabriquer un brancard Le guerrier le regarde d'un air incrédule puis il bredouille maladroitement; — Bran..car. — Oui brancard ! Bon je vois. Et bien viens avec moi, je vais te donner ta première leçon de civilisation. Lui faisant signe de le suivre, il s'engage dans un fourré. Buft l'imite et, marchant à ses cotés, ils s'éloignent du camp. Jack s’arrête devant un arbuste qui lui convient. Il tâte le bois pour s'assurer de sa rigidité et choisit quelques branches bien droites. Il sort son pistolet laser qu'il règle sur une faible intensité, puis, il débite les morceaux nécessaires. Buft le regarde silencieusement, admiratif devant les pouvoirs fantastiques du dieu. Il ne comprend pas à quoi doivent servir les morceaux de bois et se contente de les prendre sur son épaule. En quelque minute il est chargé comme une ouvrière et Jack lui indique d'une tape qu'ils peuvent faire demi-tour. Jack trouve de la ficelle et à l'aide d'une couverture, il confectionne le brancard. Léon réussit à marcher et s'y installe. Apres quoi quatre soldats soulèvent chacun un coin et la troupe reprend la direction de la fourmilière. Bill s'est occupé de distribuer des colis à chacun, voulant emporter le maximum de matériel. Mais il sait que de nombreuses expéditions seront nécessaires pour réunir tout ce qui est récupérable sur les deux chaloupes. Buft a prit la tête de la file. Depuis le début de cette aventure il s'est passé tant de choses qu'il se sent un peu ivre. Tout va trop vite pour son cerveau primitif et engourdi. Il refait le point de sa nouvelle situation. Bien sur, il est maintenant le chef 103


incontestable de l'armée, les Dieux l'ont pris sous leur protection et il lui semble bien improbable qu'un quelconque capitaine lui lance un défi pour lui prendre sa place. Pourtant quelque chose le gène, un petit je ne sais quoi qui le met mal a l'aise. Ca prend comme une douleur dans le dos et remonte dans sa tête... Buft veut savoir, il voudrait comprendre et il y pense sans arrêt. Soudain c’est l'attaque. Plongé dans sa méditation, Buft le grand guerrier vient de tomber dans un guet-apens. Surgissant de nul part, des milliers de sauvages se ruent sur la colonne qui est latéralement ensevelit sous le nombre des géants noirs. Jack n'a même pas le temps de sortir son arme et l'eut-il fait ça n'aurait rien changé. Ils sont des milliers, redoutables par la taille et par la férocité. Le combat n'a pas lieu. En moins de vingt secondes la colonnes entière est maîtrisée et entraînée vers une destination inconnue. La dune de sable parait immense. A mesure qu'ils s'en approchent d'autres fourmis noires viennent grossir la troupe. Une entrée voûtée est leur dernière vision car ils sont entraînés dans un tunnel d'un noir d'encre. Ils suivent le long couloir qui descend en spirale vers le centre de la dune. De temps en temps, ils sont bousculés par une solide claque dans le dos et, tâtonnant, trébuchant, ils débouchent dans une grande cellule sans fenêtre et sans autre issue que l'entrée qui se referme sur eux. Parmi le tumulte qui suit leur arrivée, les fourmis bleues ont des difficultés à se retrouver. Personne ne semble blessé, mais à leur grande surprise, ils ne trouvent pas le vieux Léon. — Il m'a semblé le voir au sol, précise Pietr. Les fourmis qui le portaient l'ont tout simplement lâché au moment de l'attaque. Il a du rester sur le terrain. — Nos assaillants voulaient des prisonniers. D'ailleurs il n'y a aucun mort et très peu de blessés. Tout c'est déroulé comme si l'on nous attendait. — Tu veux dire que l'attaque était préparée contre nous ? Interroge Pietr. — Sans aucun doute lui répond Bill. Le guet-apens était minutieusement préparé et les assaillants nous ont maîtrisé en 104


premier, Personnellement j'ai la conviction que nous n'allons pas tarder à en savoir davantage. Il faut attendre. — Mais et Léon. Que va-t-il devenir ? Dans son état il va a une mort certaine. Le premier carnivore venu va le dévorer. — Hélas je ne lui donne pas beaucoup de chance. Ses forces lui revenaient lentement mais étaient encore insuffisantes pour qu'il puisse marcher jusqu'au camp. Espérons que Lenormand lance une équipe à notre recherche le plus vite possible. Il nous attend pour la fin de la journée. Qu'elle heure est-il ? Pietr allume sa lampe et consulte sa montre. — Treize heures. Léon doit tenir une dizaine d'heures, à condition que les secours partent vite. Pendant ce temps les fourmis rousses se sont rassemblées par petits groupes et semblent s’accommoder au mieux de la situation. Buft, entouré de ses lieutenants parait méditer. En fait il attend. Il a eu la preuve de la puissance des Dieux et il est persuadé qu'ils vont retourner la situation en leur faveur. Il prend patience et ses yeux commencent à s’accoutumer à l'obscurité. Soudain une petite lumière s'allume. Il reconnaît alors les trois Dieux et un sourire apparaît sur ses lèvres... Léon était bercé par le pas régulier des porteurs, et laissait son esprit vagabonder, quand le choc brutal l'étourdit. Il voulut bouger mais ses forces lui firent défaut et le poids du brancard qui se renversa sur son dos, lui parut incroyablement lourd. Ensuite se fut le brouhaha et les cris. Il fut piétiné et il émerge lentement de son rêve. Il ouvre les yeux pour découvrir un paysage curieux. Devant lui, s'allongeant sur une centaine de mètres, des paquets sont rependus ça et la sur l'herbe. Léon se soulève sur un coude pour regarder autour de lui. L'analyse de la situation se fait progressivement dans sa tête. Encore sonnée, il prend conscience du danger qu'elle représente. « Puis-je marcher ? Il faut à tout prix me dégager et trouver un abri. » Il réussit sans trop de mal à se débarrasser du brancard pour retrouver la position verticale. La tête lui tourne un peu mais il aperçoit la trousse de secours et pousse un soupir de soulagement. L'ouvrant, il sort l'arme qui s'y trouve et la passe à sa ceinture. 105


« On se sent beaucoup mieux ainsi ». Ensuite, il cherche parmi les médicaments, quelque chose qui pourrait lu donner un bon coup de fouet. Il trouve ce qu'il veut sous la forme d'une dragée revitalisante. Il vérifie que ses blessures ne se sont pas rouvertes, puis, découvrant à proximité un arbre creux, il s'y dirige. L'endroit est petit et très sombre. « Parfait, personne ne viendra me chercher ici ». Il doit faire plusieurs va et vient pour s'installer confortablement: Il traîne de la nourriture, des munitions et quelques objets plus ou moins utiles. D'un trait de fulgurant il coupe la branche d'un arbuste, qui lui sert à camoufler l’entrée. Un sac dans le dos, une grosse couverture sur les épaules, De Nipas est assis par terre. Il a placé ses armes à portée de mains ainsi qu'une plaquette de dragées. En cas d'alerte, il n'aura qu'un geste à faire pour être paré. Avec l'armement dont il dispose, il est quasiment imprenable. Il fouille dans une petite poche et avec un sourire, il en sort un petit étui de cuir qu’il ouvre et dont il hume le contenu. Satisfait par l'odeur, il choisit un petit morceau parmi d'autres de différentes couleurs, et le porte à 1a bouche pour le sucer. Cette drogue qu'il porte toujours sur lui le plonge dans une sorte de semi léthargie qu'il apprécie spécialement dans les moments difficiles. Bien que toujours éveillé, un rêve l'envahi voluptueusement. Sur son visage détendu, une mimique de satisfaction se dessine. La saveur du danger revient à ses lèvres, comme une vieille ritournelle oubliée. Ce léger picotement dans les os, ce tremblement de la peau, Léon ne l’a pas ressentit depuis des dizaines d'années. Déjà ses souvenirs se précisent et prennent des apparences colorées ... Ce jeune prof, timide et un peu raide dans son uniforme neuf. La première expédition, les mondes inconnus, les trésors scientifiques, tout revient en bloc dans sa mémoire. Léon replonge dans sa jeunesse, avec de temps en temps le visage flou d'une fille de rencontre ou l'odeur d'une ville aimée. Ce vieux baroudeur connaît plus de chose que tout le reste de l'équipage. Il a été parmi les premiers grands aventuriers, au 106


temps où l'on voyageait pour faire fortune. La fortune il l'avait trouvée, mais c'est seulement maintenant qu'il peut s'en rendre compte: Des aventures à faire frémir les plus courageux. Des angoisses, des espoirs et pour finir cette découverte... Étrange découverte. Une fois de plus il se trouve devant une énigme. Une présence inconnue dans l'univers. Il en est sur. Il ne peut y avoir de doute. Et il est peut être le seul parmi l'équipage à en avoir conscience. Oui, bien sur, il aurait pu en parler, mais les événements précipités, les nombreuses blessures ... et le doute. Léon allonge ses jambes, il se calle. Un bruit attire son attention. Il se pelote dans sa couverture, il n'a pas peur. Un paramètre nouveau devient évident, Léon veut vivre !

107


14

La vie de la fourmilière reprend petit à petit son cours normal. Les activités font régner un tapage familier démontrant que tout est rentré dans l'ordre. Jim ne quitte plus la reine. Pour lui la situation est toute en rose mais il reste cependant vigilant, offrant sa force et ses connaissances au service de la jeune fourmi. Lenormand a jugé prudent de surveiller de près l'entourage du trône. Jack est parti depuis longtemps, et en attendant son retour, Adam a prit les premières mesures en vue de rassembler et de reconstruire un appareil. A ce sujet, il convoque Rahamuk ainsi qu'une dizaine de prêtres parmi les plus importants de la communauté. Il les réunit dans la salle du trône. — Rahamuk, demande-t-il, comment sont réparties les activités de la cité, et qu’elles sont-elles ? — Cinq branches importantes constituent l'ossature de notre système. Tout d'abord l'armée, chargée de la sécurité du territoire, de la police et de la capture de nos esclaves. La maternité, qui surveille les œufs et les petits. Les ouvriers, qui s'occupent du ravitaillement en nourriture et entretiennent la fourmilière. Les pasteurs, qui surveillent nos troupeaux de pucerons et enfin les jardiniers qui s’occupent de nos cultures de champignons. Il faut aussi ajouter à cela la caste des prêtres, et la famille royale, mais il n'en reste pas grand chose à ce jour. — Vous n'avez pas d'industrie ? — Je ne connais pas ce mot... — Je vois. Tout est à faire... Ecoutes-moi Rahamuk, je vais créer un nouveau service. Tu en seras le chef direct car tu es le 108


plus évolué de la colonie. Pour ce faire, tu choisiras les meilleurs éléments, les plus intelligents, les plus adroits, les plus forts. Il me faut trois cents fourmis, prêtes pour demain matin. — Il sera fait selon ton désir. Rahamuk se retire, suivi des autres prêtres, et Lenormand se retrouve seul plongé dans ses projets. La tache qui l'attend est ardue, reconstruire un engin spatial avec comme techniciens des sauvages ne sachant même pas parler. Il faut reprendre tout a zéro, leur apprendre à lire, a compter, a travailler les métaux... pratiquement leur faire faire un bond de dix mille ans .... Lenormand rejoint Jim, et tous deux entament la préparation du programme d'action. Ils travaillent et réfléchissent au projet une grande partie de l'après-midi, sans se préoccuper de l'heure. Soudain Rahamuk fait son apparition. — Maître, j'ai à t'entretenir de choses graves. — Parles, nous t'écoutons. — Il est tard, le Dieu Soleil a disparu du ciel, et tes frères ne sont pas encore de retour. — Leur retour n'était pas impérativement prévu pour ce soir — Malgré tout, je suis inquiet, nous devrions avoir de leurs nouvelles car j'avais demandé à Buft d'envoyer des messagers régulièrement afin d'accueillir les Dieux dignement. — Et alors ? Tu n'as vu personne ? — Si, j'ai reçu des messages. Ils m'annonçaient l'arrivée des dieux avant la nuit... Jim sursaute. — Avec tous les pièges de cette maudite planète, il a du leur arrivé quelque chose. — J'en doute, répond le grand prêtre, Buft connaît parfaitement la région, et il sait ou sont les passages dangereux. — Une rencontre avec un monstre géant est possible, Jim tu restes, moi je pars dans un quart d'heure. Toi Rahamuk, désignes moi les dix meilleurs éclaireurs, je les emmène. Bientôt la troupe est prête et sort de la fourmilière. Elle s'enfonce lentement dans la nuit, suivit du regard par les terribles gardes. 109


Ils marchent deux heures sans arrêt. Leur destination est l’endroit d'ou est parti le dernier message. Ils progressent en silence, épiant les ténèbres et sursautant au moindre craquement. La nuit est d'un noir d'encre, et sans la connaissance parfaite du terrain que possèdent les guides, ils ne pourraient faire dix pas sans s'égarer dans la végétation abondante. Soudain la fourmi de tête s’arrête. Elle se retourne vers Adam et lui désigne un objet volumineux sur le sol. Le commandant s'approche et braque une lampe vers la forme. Il s'agit d'un canon radian. Celui qui a été récupéré sur une des chaloupes. « Nous avons retrouvé leur trace, chuchote-t-il. » Ils reprennent leur progression découvrant les nombreux objets que Jack voulait rapporter à la fourmilière. Ils s'arrêtent de nouveau. « Qu'a-t-il bien pu se passer là ? Ils sont tombés dans un traquenard. Aucune trace de sang sur le sol, pas un cadavre. » « Les fourmis ont l'habitude de ne pas laisser de cadavres, elles en font de la nourriture. Quand au sang, il fait trop sombre pour avoir une certitude. Nous aurions du nous faire accompagner par un prêtre, nos éclaireurs ne peuvent pas parler et ils en savent peut être un peu plus que nous. » « En tous cas une chose est sure, il leur est arrivé quelque chose. Et s'ils ont été pris, ils n'ont pas pu se servir de leurs armes. » Il en est t la de ses réflexion quand lui parvient un bruit de feuillage froissé. Aussitôt il se met en garde, l'arme au poing et braque la lumière dans le fourré. Un autre faisceau de lumière apparaît alors, qui vient croiser le sien ... — Content de vous voir mes amis ! Le feuillage s'agite de plus belle, et retombe sur le coté. Alors, sortant d'un tronc d'arbre, De Nipas fait son apparition.... Pietr, Bill et Jack se sont isolés de Buft et de ses soldats pour qu'ils ne devinent pas leur trouble. Ils préparent un plan. En effet, les fourmis noires, en les capturant, ont fait preuve de beaucoup 110


d'efficacité et surtout, mais cela ils ne s'en sont rendu compte que plus tard, elles ont subtilisé les armes, et ceci d'une façon fort adroite puisque personne ne s'en est rendu compte. Naturellement, ce fait n'est pas du au hasard. Toute cette manoeuvre est trop habille, trop calculée. Jim a d'abord songé a une sortie en force de leur prison, mais sans arme la tentative ne peut aboutir. Attendre du secours de l'extérieur peut être très long, et il y a urgence à prévenir Lenormand. D'une part pour secourir Léon, d'autre part pour réagir à ce nouveau problème que constituent les fourmis noires. — Il y a peut être un moyen, s'écrie Pietr. — Tu as une idée ? — Peut être, nous avons une petite chance que ça marche. Regardez autour de vous, que voyez-vous ? — Rien, répond Bill, si ce n'est Buft et ses fourmis rousses qui sommeillent paisiblement, et nous même. — Justement, regarde l'entrée. Elle est fermée par une grossière porte faite de tronc d'arbres mal jointe. Il n'y a pas de serrure, juste quelques gardes que nous apercevons de temps a autre. — Que veux-tu faire ? — Une diversion, une pagaille que nous allons provoquer pour nous permettre de nous mêler aux ouvriers de cette fourmilière. — Mais tu n'y penses pas, Ils sont bien plus nombreux que nous, et surtout nous sommes trop repérables! — Actuellement peut-être, mais avec un peu d'astuce nous allons réussir. Ce qui nous distingue de nos geôliers c'est la couleur de notre peau. Bien entendu, Buft et les autres serons repris, mais nous, une fois nu, pratiquement rien ne nous différencie des autres. Sous nos combinaisons bleues, nous sommes également noirs. — Mais oui bien sur. Nous pouvons même passer nos vêtements à trois fourmis rousses, comme ça ils n’y verront que du feu. Déjà Jim commence à se dévêtir. — Il n'y a pas une seconde à perdre, BUFT, approches! 111


Le géant roux vient à eux. Il les voit faire des gestes bizarres, et quand la peau bleue des Dieux tombe au sol, il a un geste d'effroi. Bill le saisit par les épaules et lui tend son équipement. — ......... — Je crois que notre ami a un problème, il ouvre des yeux immenses. — Nous aurions du le préparer, il n'a pas l'habitude de voir ce genre de chose. — Pressons, pressons, nous n'avons pas le temps de nous occuper de ses états d'âmes. Habille-le en vitesse. Ils en choisissent deux autres parmi les plus grands expliquent a Buft ce qu'ils attendent de lui. La consigne est formelle, provoquer le plus de pagaille possible, de manière à attirer un grand nombre de soldats et, dès que les dieux se seront perdus dans la foule, refluer vers la cellule. A peine habillé Buft échange des signes avec ses lieutenants et il s'élance de tout son poids sur la porte qu'il fait voltiger d'un coup d'épaule. Il pousse un grand cri en se ruant sur les premiers gardes paralysés de surprise. En quelques secondes la cellule est vidée de tous ses occupants. Les rousses poussent et enfoncent les faibles forces qui tentent de leur résister, mais déjà un bruit de pas résonne dans les profondeurs des galeries. Soudain c'est une avalanche de soldats qui déferlent sur le groupe. Devant, sublimé par sa couleur bleue, Buft taille et tranche, utilisant ses redoutables armes naturelles et sa troupe, subjuguée par son exemple oeuvre dans l'art du combat comme jamais elle ne l'a fait. Dès le premier couloir, les trois géants noirs, grelottant de froid se coulent dans les méandres de la fourmilière. Ils croisent des soldats dont l'affolement leurs permet de penser que Buft réussit parfaitement sa mission. Puis, allant au hasard des couloirs, ils débouchent dans une salle remplie de déchets de toutes sortes. Quelques ouvriers transportant une carcasse d'insecte passent près d'eux sans leur accorder la moindre attention. Bill ramasse des débris de végétaux et conseille à ses amis d'en faire autant. Ainsi, se voûtant lorsqu'ils croisent une 112


troupe (afin de dissimuler leur taille élevée), ils se mêlent aux ouvriers. La fourmilière est différente de celle que Jack connaît. L'organisation semble mieux réglée. Les routes sont bien nettoyées, et une police règle le flot ininterrompu de va et vient. Parmi les ouvriers, une très grande disparité de races se côtoient, ce qui démontre que la colonie est très puissante et possède de nombreux esclaves. Ce détail facilite la fuite des fourmis 'bleues'. Bill marche en tête. Ils se joignent à une file qui se dirige vers une sortie, et prennent le même air soumis qui se lit sur les visages. Ils avancent, courant presque tant l'allure imposée par les gardes est élevée. Afin d’être le plus insoupçonnable possible, ils se sont espacés dans la file. Pietr qui est le plus en retrait se trouve soudain au niveau d'un autre couloir qui ouvre sur une salle bizarrement colorée. A ce moment, la colonne s’arrête pour laisser passer une autre file dont les esclaves rentrent chargés de marchandises. Pietr en profite pour mieux regarder dans ce couloir. Par quoi sont provoquées ces curieuses couleurs ? Apparemment rien de très banal, des nuances de terre mêlée a certaines racines ... C'est le choc.... Deux fourmis paraissent au seuil de la salle et passent prés de lui. Elles ne lui accordent pas un regard ce qui le sauve certainement car son air ébahi l'aurait démasqué. Il reste sans bouger, la bouche bée, les yeux tout ronds. La colonne reprend son avance, il est bousculé, poussé en avant. Il allonge le pas et rattrape ses compagnons. — Je viens de voir une chose incroyable! — Chut, parles moins fort tu vas nous faire repérer, lui chochotte Bill. — Quand tu sauras ce que j'ai vu tu seras aussi excité que moi. Je viens de voir passer deux fourmis, et tenez vous bien, elles étaient habillées. — De quoi, des fourmis habillées ? Mais habillées comment ? — Elles portent une sorte de tunique rouge, comme une large robe. De plus, elles marchent en se tenant debout... 113


— Ca ce n’est pas banal. J'aimerais en savoir plus sur leur compte. Je me demande décidément s'il n'y a pas autre chose que des monstres sur ce monde. — Une minute, je reconnais que nous devons régler ce mystère au plus vite, mais nous devons d'abord penser à ce pauvre Léon qui doit se morfondre dans la brousse, s'il ne s'est pas fait dévorer par un monstre. — Nous approchons de la sortie, il faut se décider. — Très bien dit Bill. Vous allez partir tous les deux, Léon a peut être besoin de soins et Jack est le seul qualifié, en plus, tu connais la direction du camp ou retrouver Lenormand. Je vais rester ici et tenter de comprendre ce qui ce passe. — C'est très dangereux, tu risques ta peau! — Je ne pense pas, nous avons affaire a un ennemi qui semble nous attacher de la valeur, qui nous estime mais qui n'hésite pas à nous attaquer et a nous confisquer nos armes. — Personnellement je ne pense pas qu'un sauvage puisse accorder la moindre valeur a nos armes, sauf s'il connaît très bien leurs usages et qu'il ne soit pas terrorisé par une superstition quelconque. — Tu as raison, mais ne prend pas de risques et si tu es pris, n'essaies pas de te défendre. Tu serais réduit en charpie. Nous serons de retour demain au lever du jour ... Bonne chance. A ce moment la file débouche à la lumière du jour. Bill s’écarte et rebrousse chemin vers le couloir multicolore. Il se retourne, jette un regard à ses compagnons qui disparaissent dans la foule vers le salut. Il n'a pas à attendre longtemps pour comprendre. A peine cent mètres plus loin, une réunion de fourmis lui fournit un début d'explication. Il s'approche discrètement, faisant mine d’être occupé a une tache de nettoyage et prête l'oreille... Elles sont vêtues de rouge et l'une d'elles parle. Elle parle une langue pratiquement sans accent, avec un maintient qui respire la noblesse. Les autres l'écoutent calmement, lui répondant avec la même maîtrise. Bill apprend ainsi que l’émeute vient d’être refoulée, et que les « fourmis 114


bleues » ont regagnées leur cellule. « Parfait pense-t-il, ils ne se sont pas aperçu de la supercherie ». Les robes rouges continuent leur conversation, s'interrogeant sur l'utilité de la capture de ces « bleues », et surtout sur cette tentative de révolte qui semble les surprendre. A ce moment une autre robe rouge les rejoint. Elle semble assez énervée. — Les bleues se sont échappées ! — Comment ? Interrogent en coeur les autres. — Echappées, en se servant d'un stratagème d'une grande habileté. Elles ont passés leur vêtement à des sauvages ! — Mais comment ce fait-il que nous ne nous en soyons pas aperçu immédiatement. Leur morphologie est différente. — Vous savez que nos gardes n'ont pas assez d'intelligence pour remarquer ce genre de détail. C'est lorsque nous avons voulu parlementer avec eux que nous nous en sommes aperçu. — Elles sont sortie de la fourmilière ? — Probablement. — Le prince est au courant ? — Il rage. Je crains que quelques têtes ne tombent. — Sans compter les représailles des bleues, car elles vont certainement revenir, ne serait-ce que pour récupérer les armes qu'on leur a dérobées ... Si au moins nos techniciens parvenaient à percer un de leur secret, on pourrait s’en servir et nous défendre ! Bill n'en croit pas ses oreilles. Des 'techniciens' sur ce monde. Une tribu apparemment inoffensive, et pourtant très évoluée quoique limité par leur possibilité. Elles ne savent pas utiliser les armes ... Derrière Bill, un garde s'est approché. Il l'observe quelques seconde et brusquement applique ses antennes sur les siennes. Bill est surpris et il hésite un moment ne sachant que faire. Le garde ne recevant pas le message escompté le ceinture et le maîtrise. Les robes rouges, attirées par les brusques mouvements les examinent et dévisage Bill curieusement. Il se sent perdu. L’halène forte du garde l'incommode, il entrevoit les robes rouges former un cercle autour de lui. Alors il respire un grand coup et d'une voix forte dit: 115


— Voudriez-vous demander à ce monstre de me lâcher s'il vous plait. Je suis l'un de ceux que vous recherchez ... Eh bien, vous comprenez ce que je dis ? Pietr et Jack sont passés devant les gardes sans problèmes. Ils s'éloignent progressivement, en suivant une des colonnes qui se forme et dès qu'ils sont hors de portée de vue, ils se faufilent entre les grandes herbes. Plus loin ils parviennent devant une grande plaine descendant doucement vers une rivière. Tout parait calme. Ils se repèrent à peu près. Ils sortent à découvert et s'éloignent en courant. Instinctivement, ils ont suivi fait confiance à leur sens de l’orientation en marchant vers l’ouest. — J’entends des voix, chuchote Jack. Depuis la tombée de la nuit, ils se tiennent sur leur garde et marchent silencieusement. Leur itinéraire n'est pas rassurant et ne voulant pas retomber dans un traquenard alors qu’ils ne sont pas armés, ils prennent le maximum de précautions. Ils possèdent pour cela une précieuse formation reçue à l’école de survie. Ils se trouvent à présent près de l'endroit ou ils ont été attaqués. Ils craignent que les robes rouges n'aient laissées quelques gardes dans les parages, c'est en rampant qu'ils s’approchent. — Chut, écoute... c'est un des notre ? — Mais c'est Lenormand.... Ils se relèvent en poussant des cris de joie. En se retrouvant, Léon et Lenormand s'étreignent ce qui n'est guère dans leurs habitudes. Aussitôt les questions fusent. Le commandant veut tout savoir et le géographe réunit tous ses souvenirs pour lui décrire les derniers événements. — Faites un effort, il y va sans doute de leur vie. — Je sais, mais hélas je n'ai pas vu grand chose — Vous n'avez pas une idée ? — Non franchement rien, mais les éclaireurs devraient suivre facilement la piste. 116


— Pas ce soir, il est tard et ça serait imprudent. sommes obligés d'attendre...

Nous

A ce moment deux ombres surgissent en poussant des cris ... ce sont Pietr et Jack qui écartent les derniers buissons et sortent à découvert. Quelques minutes plus tard, ils ont fait le récit de leur mésaventure. — Bill a fait une folie, s’écrie Lenormand. Sans arme il est a la merci de m'importe quel garde un peu trop féroce. Ces sauvages ne contrôlent pas leur force. De nipas, vous allez retourner à la fourmilière avec une partie des gardes. Soyez vigilant. Quand a nous, nous partons immédiatement. Ils s'organisent vite. Ils partagent les radiants et se mettent en marche. Pietr et Jack marchant devant (toujours nus) ouvrent la marche. Léon, juché sur son brancard se laisse emporter par les gardes. Le jour se lève lorsque qu'il découvre la fourmilière d'ou Jim surgit a sa rencontre, impatient et inquiet. Léon soudain jure, il a oublié de parler de sa réflexion à Lenormand. « Et puis après tout, maintenant rien ne presse, pense-t-il, et les événements me démontreront si j'ai raison ou tord ... »

117


15

Les fourmis revêtues d'une robe rouge restent figées. Elles l'observent avec leurs grands yeux ronds. Le gaillard qui le maîtrise lui fait très mal, il empeste et personne autour deux ne semble disposé à intervenir. Bill se décide à parler. — Alors quoi, vous ne comprenez pas ce que je dis ? Les rouges se ressaisissent et se lancent des regards interrogateurs. Elles sont surprises et ne savent pas vraiment quoi faire... Enfin l'une d’elles se décide à parler. — Qui êtes-vous ? — Mais voyons, celui que vous cherchez. Une fourmi bleue si vous préférez. — Ce doit être vrais, il parle. — Il a l'air bien grand, ses antennes sont ridiculement petites. — Bon les gars, vous pourrez me détailler tant que vous voudrez, mais dites a cette brute de me lâcher, il m’écrase. Sur un signe bref, le garde le lâche mais vite cerné par d’autres gardes, il est conduit dans une petite cellule. La pièce est étroite mais confortable. Elle est meublée d'une souche en guise de siège. Quelques personnages à robes rouges disparaissent en courant, il reste face a face avec l'un d’eux semblant très embarrassé. Bill ne perd pas son sang froid. 118


— Vos copains sont partis prévenir le prince? Demande-t-il désinvolte pour le mettre a l'aise. Curieusement il se sent parfaitement calme et en sécurité. L'hypothèse selon laquelle ils ont fait un bond dans le passé se concrétise. Finalement, bien qu'il y ait des comparaisons boiteuses, il semble que la période ne soit pas si éloignée dans le passé, comme il le croyait au début... — Je m'appelle Robt ! Lui dit soudain son vis à vis. Et vous ? — Bill ! — Vous venez vraiment de l'espace ? — Oui, mais comment sais-tu cela? Comment connais-tu l'existence de l'espace, et pourquoi es-tu plus intelligent que la plupart des fourmis que j'ai rencontrées jusqu'ici ? — C'est parce que je suis de la race des Lancerbs. Nous avons toujours été les maîtres. — Les Lancerbs ? Et les autres qui sont-ils ? — Ca dépend. Il y a plusieurs races. Mais aucune n'est capable de parler. Ce sont des primitives, des races inférieures. — Pourtant je connais des fourmis qui parlent et qui sont différentes de toi. — Vous voulez parler des fourmis rousses ? — Oui ! — Nous savons. Nous les surveillons depuis longtemps, c'est comme ça que nous avons su que vous étiez de retour... — De retour ? — Oui! Et le prince ne comprend pas pourquoi vous avez choisi de vous installer chez les fourmis rousses. Il est très en colère. — C'est pour ça qu'il nous a fait enlever ? — Non, cela vient de la décision d'un capitaine trop impulsif. Quand il vous a ramenés, nous avons compris qu'il avait commis une erreur et nous avons voulu vous expliquer. Mais vous aviez déjà disparus. Il faut que vous compreniez, nous voulons êtres vos amis. Le capitaine a été puni, il a eu la tête tranchée. — Pourquoi avoir pris nos armes ? — Par mesure de sécurité. Mais si vous le souhaitez, nous vous les rendrons. 119


Un bruit de pas se rapproche. Robt se lève au moment ou un groupe entre. Il incline la tête devant le prince. Bill remarque tout de suite le pendentif au cou du prince, et, bien que celui-ci soit vêtu d'une somptueuse robe bleue, ornée de motifs étoilés, il ne regarde que la chaîne d'or à laquelle est suspendue une montre... — Bienvenu aux fourmis de l'espace, longue vie et prospérité a notre visiteur ! La formule est amicale et Bill adresse un sourire au prince. Pourtant il ressent une curieuse impression. Il est le seul à n’avoir rien sur le dos, il se sent soudain ridicule. — Je te remercie pour ces belles paroles, bien que la méthode employée pour m'amener ici ne soit pas des plus pacifiques. — Mille excuses pour cette erreur. Rassure-toi, le coupable a été puni — Oui je sais. Et que comptes-tu faire à présent ? — Te rendre tes armes et ta liberté naturellement. Et aussi t'offrir l'hospitalité... ici, dans cette fourmilière qui est ta vraie demeure. Décidemment pense Bill, il y a beaucoup de chose surprenante. Une bonne conversation s'impose. — Je vais réfléchir à ta proposition, mais avant tout, je veux reprendre mes armes et mes vêtements. — Je te conduirais moi même. Tu pourras reprendre tes vêtements auprès des fourmis rousses. — Et mes armes ? — Nous irons ensuite si tu le veux bien. — Allons ! Une longue file de gardes leur fait une escorte, doublée d'autres fournis vêtues de robes rouges ainsi que quelques unes en robes vertes. Le cortège déambule dans les galeries et s'immobilise devant une cellule que Bill reconnaît. La porte est poussée et les gardes vont chercher les fourmis portant 1'uniforment des cosmonautes. Buft parait. Il reconnaît Bill et pousse un cri en se débarrassant des soldats qui le maintiennent. Il se serait jeté sur les autres, si Bill comprenant, sa méprise ne l'avait retenu. 120


— Du calme Buft, je ne suis plus prisonnier. Je viens juste récupérer mon uniforme. Du coup, le géant roux se calme et, un sourire naissant sur son visage, il entreprend de se déshabiller. Peu après Bill est présentable, il retrouve le confort de la climatisation. — Parfait dit-il, ou sont mes armes à présent? — Les voici, répond un vieillard vêtu de vert. Bill les saisit, et tout en ajustant son ceinturon, il détaille ceux qui l'entourent. Il comprend assez vite que, mis a part le prince, les Lancerbs « parleurs » sont classés en deux catégories: les rouges et les verts. Les premiers sont plus jeunes, sans doute en transit de l'enfance vers un autre age leur procurera une certaine expérience et le droit de porter la robe verte. Déjà le prince a fait demi-tour, lui indiquant une direction. Mais Bill n’en a pas terminé: — Un instant, qu'allez vous faire de mes amis? — Les fourmis rousses? Lui demande le monarque qui visiblement n'y a pas encore songé. Il se tourne vers ses conseillers à robe verte et les interroge d'un signe de tête, leurs laissant apparemment toutes décisions à ce sujet. L'un d'eux lui répond sans hésitation, démontrant qu'il a déjà réfléchi à la question. — Nous nous sommes toujours tenu à distance d'eux, compte tenu de notre parenté. Mais maintenant qu'elles savent ou nous trouver, je redoute le pire. Nous pourrions les garder comme esclaves... — Pas question s'exclame Bill. Ce sont mes amis et je me porte garant qu'elles ne vous inquiéteront pas. — Dans ce cas, tranche le prince, qu'on les libère ! Et il s'éloigne entraînant Bill par un bras. — Viens voyageur du ciel, tu as des tas de choses à me raconter... — Toi aussi, lui réponds Bill amusé par le caractère bon enfant que se donne le prince. J'ai une foule de questions à te poser ...

121


— C'est ici, dit Pietr en désignant du doigt la grande fourmilière. Ils s'arrêtent pour souffler. Lenormand s'appuie contre un tronc, il passe sa main sur son visage. Devant lui au soleil naissant, apparaît le grandiose édifice enveloppé de brume matinale. L'activité n'a pas encore prit son rythme endiablé. Tous est calme. — L'entrée a l'air bien gardé, dit-il. — Elle est pratiquement imprenable avec les moyens conventionnels en usage. Les gardes sont de véritables fanatiques, près à tous les sacrifices. — Ouai. Il faudra ruser. Peut-être qu'en se déshabillant. ? Ca a marché pour sortir, ça peut marcher pour entrer ... — Pas si sur. Ils sont très méfiant sur tout ce qui rentre, et ils ont du s’apercevoir de la combine. Ils sont certainement sur leurs gardes. — C’est vrai, et Bill est là-dedans, peut être en danger de mort. Il n’y a pas à hésiter plus longtemps, nous fonçons ... et tant pis s'il y a de la casse. Je marche en tête, vous surveillez les arrières, armes au point. En avant! Ils se mettent en marche, restant groupé, apparaissant à la vue des gardes tel un fantastique animal de combat... Ils sont maintenant à quelques mètres de l'entrée, et à leur grande surprise, les gardes ne bougent pas. Au contraire, ils paraissent calmes comme s'ils les attendaient. Et puis, surgissant de l'ombre, des personnages en robes rouges s'avancent vers eux, s’écartent et découvrent Bill... Lenormand se présente devant le prince. Entouré des ses compagnons, il essaie de l’impressionner, car il n’a pas l’intention de tergiverser. Il doit prendre les commandes de cette fourmilière, comme il l’a fait dans l’autre. Il aura besoin de toutes les énergies pour réaliser ses plans de reconstruction d’un vaisseau. Tout en flattant le prince, et en l’assurant de son amitié, il lui fait comprendre que son intérêt est de se ranger sous la bienveillante protection des fourmis bleues et de leur puissance. 122


Ensuite, il envoie jack retrouver l’autre colonie afin d’informer Jim et Léon de la situation. Quelques jours ont passés. Ils sont tous là, réunis dans la grande salle du trône, sur lequel, paradant un peu se tient assis le prince. Autour de lui, ses principaux conseillers, les robes vertes. En face, installés sur des sièges de fortune, l'équipe de Lenormand, accompagnée de la jeune reine, de Rahamuk et de Buft. Beaucoup de chose se sont éclaircies. Tout d'abord les révélations qu’a enregistrées Bill, puis les suppositions de Léon vinrent confirmer les choses. C’est pour faire le point qu'ils se sont réunis, et déjà leur espoir grandit. — Prince, dit Lenormand, Tu as prétendu que ta race est venue du ciel. Je voudrais connaître cette histoire de ta bouche, ainsi que tu l’as déjà conté à mon compagnon. Le prince hoche la tête, se racle la gorge, et caressant son menton, il rassemble ses souvenirs. — Ce que je vais vous raconter s'est passé il y a très longtemps. Environs huit cent années sont passées depuis, mais le souvenir s'est perpétué au file des ans, et nous pouvons dire que pas un fait ne nous manque... Tout a commencé lorsque Lancerb l'ancien est venu de 1’espace. — Lancerb ? Questionne Lenormand. — Oui c'est ainsi que se nommait le père de notre race. — Ce nom ne vous dit rien ? dit-il en se tournant vers Léon. — Il me semble que si. Attendez. Lancerb, Lancerb. Zut, je suis persuadé avoir entendu ce nom quelque part. Ca me reviendra, continuez. Le prince remercie, agacé d'avoir été interrompu, et reprend: — Tout a donc commencé quand Lancerb l'ancien est venu de l'espace. Il était accompagné de ses frères, et ils choisirent ce territoire pour y fonder une race supérieure. Notre fourmilière existait déjà et était la plus puissante de la région. Alors ils s'y installèrent et la modifièrent à leur goût, faisant d’elle un véritable paradis. Ils prirent des épouses parmi la population et 123


les élevèrent à leur niveau. On ne sait pas quand est mort Lancerb l'ancien, mais il a vécu dix fois plus que nous ne vivrons nous même, et il laissa a ses fils des secrets afin qu'ils continuent son oeuvre. Malheureusement, si nous connaissons bien la vie de Lancerb l'ancien, ses secrets eux se sont perdus. Seuls, les tables de tris restent en notre possession. Selon la tradition, Lancerb doit revenir et redonner ses secrets a ses descendants. Lorsque vous êtes apparus, nous avons pensé que c'était l'heure du retour. Mais je dois dire que nous sommes peu portés à croire aux revenants. Nous avons douté et nous vous avons observé. Naturellement vous êtes de la race des Lancerbs, votre apparence le prouve, mais aucun de vous n'est Lancerb l'ancien — Tu résonnes bien, mais comment peux-tu en être si sur ? — Lancerb l'ancien avait un visage différent des vôtres. — Comment le sais-tu? — Les fils de Lancerb avaient le pouvoir de projeter les images sur les murs. On peut encore voir quelques uns de ces miracles. — Ou s'exclame Bill. Tu ne m'en avais pas parlé. — Je peux vous y conduire, c'est dans la cité secrète. Il y a un tas d'objets bizarre, et aussi des armes comme les vôtres, mais nous ne savons plus les faire fonctionner. — Mais toi, qui es-tu? — Je suis le dernier descendant de Lancerb, ainsi que tous ceux qui portent une robe. Notre race fut puissante, mais elle s’appauvrit de générations en générations. Bientôt il n'y aura plus un seul Lancerb, nous sommes obligé de choisir nos épouses parmi les primitifs, comme le faisaient nos ancêtres, et de ce fait, nos enfants ne sont pas toujours digne d'êtres des Lancerbs supérieurs. — Mais il n'y a pas de femme Lancerb ? — Rarement. Nous ne pouvons avoir que des fils, comme les fourmis rousses. Ce sont nos cousins. Lorsque Lancerb s'est installé chez nous, il était accompagné d'une femme de sa race. Ils se fâchèrent et elle préféra partir ailleurs avec son compagnon. Elle s'installa chez les fourmis rousses. Voila pourquoi dans cette colonie, il y a des males et des femelles supérieures — Peux-tu nous conduire à cette cité secrète aujourd'hui ? 124


— A l'instant si tu le désires. Ce disant, le prince se lève et, suivit de sa cours s'engage dans un passage étroit. Il y fait sombre et les fourmis bleues allument leur éclairage individuel. Ils se rendent compte alors que le sol et les murs sont maçonnés. Le cortège stoppe devant une grille métallique. Elle est poussée et ils pénètrent dans une grande salle poussiéreuse. — Voila dit le prince. Je n'y suis pas venu depuis des années. La lampe de Jim balaie une ombre grise. Il s'agit d'une bâche. Il s’en approche et la soulève d’un coté. En dessous une forme lisse est couverte de poussière. Jim tend un doigt hésitant, il gratte un peu une surface lisse qu’il nettoie de sa couche de poussière. Un objet métallique scintille sous l'effet de la lumière de sa lampe. Il augmente alors son mouvement. Petit à petit, la peinture d’une coque apparaît. C'est un élément de rétrofusée. Son origine ne fait aucun doute. Sur la laque bleue nuit quelques lettres blanches sont encore parfaitement lisibles... Le sigle de la compagnie !

125


16

La Peugeot roule lentement afin de se laisser rattraper par la camionnette. Le bras pendant par la fenêtre de la portière, Dragon conduit en douceur. Près de lui, suant dans une chemise légère, Erik Sanson, journaliste de réputation internationale, lit une carte de la région. — C'est la prochaine à gauche, dit-il, juste après la station service. — Alors il faut que l’on s'arrête pour les attendre. Je ne sais pas ce qu'ils font. — Ils ont du être bloqué aux feux dans Orléans. Ils vont apparaître bientôt. Tiens, j'aperçois un peu de fumée bleue, c'est sûrement eux. — Ce sont eux, nous pouvons y aller. Dragon tourne à gauche et, bientôt suivi de la camionnette, il empreinte la départementale. La route est tracée au milieu des champs de blé et de mais. Elle traverse quelques groupes de maisons puis elle passe une rivière sur un vieux pont bombé. Plus loin elle coupe une voie de chemin de fer désaffectée sur un passage à niveau abandonné. De nombreux bosquets créent des taches verdoyantes sur une campagne brûlée de soleil. — Joli coin, constate Sanson. On aimerait y vivre. —Mon ami Anthony a bon goût. Il est venu dans cette région prendre sa retraite. D'ailleurs j'ai bien failli faire comme lui, mais vous savez ce que c'est; la recherche, l'université... et le temps 126


passe sans qu'on se rende compte qu'on vieillit. Enfin il reste toujours la solution d'y passer des vacances. — Votre ami était bien un farceur dans le temps ? — Ho pour ça oui. Mais je vois ce que vous pensez, rassurezvous, ce n'est pas une blague ... Il n'oserait tout de même pas...

La maison du vétérinaire se trouve en dehors du village, et Dragon la reconnaît immédiatement. Anthony lit un roman dans son jardin sous un grand parasol. Il entend les moteurs et, posant son livre sur une table de bois, il va à leur rencontre. Les présentations sont vites faites, après s’être désaltéré à l'eau fraîche du puits, ils suivent Anthony jusqu'au village afin de prendre possession de leurs chambres d'hôtel. La chaleur devient plus pesante, et c'est sans appétit qu'ils déjeunent au restaurant de l'hôtel. Après quoi ils remontent dans les véhicules et toujours guidé par Anthony, ils se dirigent vers la campagne. Dragon descend de voiture et inspecte les lieux. Tout est conforme a la description qu'il en a eue. La pépinière s'étend sur tout le long du chemin de terre qu'ils viennent de prendre en soulevant un nuage de poussière. Là, un noyer centenaire, et de l'autre coté, un pré qui longe un ruisseau pratiquement desséché. — Alors demande-t-il d'un ton inquisiteur, ou sont-elles ? — Par ici lui répond Anthony, il faut suivre ce passage. Il s'enfonce lui même dans les taillis, suivi de près par tous les autres. Il s'arrête, et il se porte à sa hauteur, entourant un monticule de terre. Tous en même temps poussent la même exclamation de surprise. Anthony ne les a pas tenus au courant des dernières évolutions et ils découvrent un spectacle étonnant. La fourmilière se trouve au centre d'une place bien dégagée, avec, l'entourant complètement a une centaine de centimètres, des brindilles taillées en pointe, fixées dans la terre, formant un rempart. Quatre portes aux points cardinaux permettent aux fourmis d'entrer ou sortir, et toutes les portes sont surveillées par un groupe de solides guerriers. 127


Plus loin, un fossé de cinq centimètres de large, rempli d'eau, entoure la fourmilière dans laquelle on peut pénétrer en passant sur quatre ponts suspendus par des cordages. Là aussi, des gardes surveillent tous ceux qui veulent passer. Mais ce que n'a pas encore vu Anthony, ce sont les arcs et les flèches que chaque garde tient entre ses petites pattes, ainsi que les travaux pratiqués sur la fourmilière elle même. Le sommet est aplani et des huttes de bois s'y trouvent installées. Des troupes montent la garde, surveillant l'horizon sans répit. Au centre, dépassant d'une quarantaine de millimètres, un tube creux, sans doute en argile, s'élève vers le ciel. — Tu te fiches de moi, grogne le professeur Dragon en ouvrant des yeux qui lui mangent le visage. Ce n’est pas vrai, tu nous fais une blague. — Je t'assure que non. Ce que tu vois est du uniquement au fait que certaines fourmis bleues sont apparues. — Mais c'est incroyable, c'est une véritable révolution Erik Sanson, paralysé par la stupeur, n'a pas encore sorti son appareil de photo. Il contemple le phénomène, sans voix, hébété. Or à cet instant, précédé d'une compagnie de soldat, Quatre fourmis sortent prenant la direction du nord. Les regards des observateurs se croisent troublés ... Les fourmis sont vertes... — Alors la je n'y comprends plus rien s'exclame Anthony. Jusqu'a présent elles étaient bleues ! — Qu'elles soient vertes, bleues ou écossaises ne change plus rien, lui répond Dragon. Au point ou nous en sommes ... — En tout cas tu n’es pas venu pour rien. — Pour ça non. Nous allons d’ailleurs sortir le matériel et prendre quelques clichés. Vous n'en faites pas Sanson ? — Ho si, mais pour l'instant j’observe ce que vont faire les fourmis vertes, je les suis. La camionnette contient il outre les appareils photographiques, des instruments de mesures, des émetteurs et autres babioles. Il faut tout décharger, installer les tables, les tréteaux, les spots. Le tout prend un bon quart d'heure, et c'est seulement la qu'on remarque l'absence d'Erik Sanson. — Ou est-il passé ? demande Dragon 128


— Je l’ai vu s'enfoncer par là, lui répond un assistant. — Je vais voir, décide Anthony. Il s'engage dans la direction indiquée, et au bout d'une centaine de mètres il aperçoit le journaliste agenouillé... — Vous avez trouvé quelque chose d'intéressant ? Sans répondre, Sanson lui fait signe de s'approcher. Anthony a une nouvelle surprise de choc. Une autre fourmilière. Mais beaucoup plus grande celle-là. Elle possède les même perfectionnements que la première, mais en plus il en émane un ronflement sourd ressemblant au bruit d'une rame de métro parisien, et surtout, trois cheminées surplombent la construction, d'ou s'échappent des filets de fumée blanches. Ils passent l’après midi à observer les activités des deux fourmilières, ne sachant s'il faut commencer le travail ou attendre... Eric Sanson rédige un article, et l'expédie en express avec des photos d'excellentes qualités qu'il vient de prendre. Dragon téléphone au préfet. Celui-ci, prévenu dans la soirée, vient lui même sur les lieux constater la véracité des dires. Terrifié, il câble au ministère, qui lui même prévient le chef du gouvernement. Le lendemain matin, les plus grands quotidiens de la capitale tirent en première page:

Les fournis bleues envahissent la Terre! Les journaux se vendent comme des petits pains. Dans les rues, les gens commentent les nouvelles, chacun apportant une version personnelle, sans se rendre compte que la vérité se déforme. Le mardi soir, toutes les capitale du monde reprennent l'information, et le mercredi, le conseil des ministres se consacre à définir les mesures d'urgences à prendre. C'est le jeudi matin alors qu’un millier de journalistes font les cent pas sur le chemin de terre, attendant des tuyaux que leur passent les scientifiques, qui seuls peuvent passer les barrières de protection, qu'arrivent les premiers chars de l'armée de terre. 129


Quelques hélicoptères se posent dans le Champ Moreau à coté de la troupe. Le vendredi est plus calme. Les Nations Unies ayant débattu du problème et de ses conséquences, il est décidé en haut lieu de tasser l'affaire. On ne compte plus les suicides. Les gens désertent la région et certains partis politiques prennent à leur compte le bénéfice de la situation. Dans les jours qui suivent, les journaux sont censurés. Petit à petit, grâce a des informations créées de toutes pièces, le publique se détourne vers d'autres sujets moins angoissants. Anthony est convoqué à la préfecture et fait un rapport complet. Dragon en fait tout autant, puis on leur demande de rester vigilant mais sans intervenir pour le moment. La sécurité du monde occidental s'étant organisée, il reste à attendre les preuves d'une attaque. La France s'engage auprès de l'ONU à ne pas entamer d'hostilités tant que le sommet mondial des experts en fourminologie n’a pas statué sur l'origine et les risques que représentent ces fourmis multicolores. Les équipes de chercheurs et d’observateurs ne quittent pratiquement plus le terrain. Ce midi même, le vétérinaire en a oublié de rentrer chez lui pour prendre son repas. Grand-mère remet un panier à Caroline, contenant des casse-croûtes des fruits et une bouteille de cidre. La gamine a prit son vélo, et en quelques minutes elle parvient a la première zone de contrôle. Il y a la plusieurs soldats qui fument tranquillement une cigarette. Ils l’arrêtent et la questionnent amicalement. L'un d'entre eux va prévenir le professeur, car, malgré que la petite soit à l’ origine de la découverte, il n'est pas question de la laisser passer. Monsieur Anthony arrive bientôt. Il est préoccupe par ses réflexions et il ne reconnaît pas tout de suite sa petite fille. — Alors grand-père, tu les as encore vue ? Les soldats tendent l'oreille car même eux sont tenus a l’écart de ce qui se passe. Mais Anthony ne répond pas, il se sert, et commence à mordre dans le pain. Ses pensées sont orientées par l’acte qu’il a osé faire. Discrètement, sans rien n’en dire à personne, Anthony a disposé aux alentours, des pépites de fer, un morceau de papier alu et des copeaux de laiton. 130


Plutôt que de répondre à Caroline, il s’adresse aux militaires. — Ou en sont vos hommes, lieutenant ? — Vous voulez parler de l’installation de la seconde enceinte de barbelés ? — Oui, bien sur! — C'est pratiquement terminé. Nous avons agrandi le périmètre de sécurité pour tenir compte de la troisième fourmilière. J'espère qu'il n'y en aura pas d'autres, car je n'aurais pas assez d'hommes. — Au point ou vont les choses, elles n'auront besoin de personne pour se garder. La situation est figée. Les semaines passent. Les observations se poursuivent. Le temps s’écoule, les hommes regardent, et les fourmis s'agitent... Tant et si bien qu'un matin, une épaisse fumée jaune recouvre la fourmilière 4. C’est comme un brouillard lourd, qui se dépose et ne permet plus de rien y voir.

131


17

Un silence feutré règne en maître, une plume crisse délicieusement sur le parchemin... soudain c'est le faut mouvement. — Zut j'ai fait un pâté. Lucette, apportez un buvard s’il vous plait! Il faut le dire la plume d'oie, si elle fait chic, n’a pas les avantages d'un Bic. Enfin, il faut que je conserve un peu les traditions dans cette maison, même si de temps en temps je dois faire quelques pattes de mouches. Au fait, à propos de mouche, je n’ai toujours pas de nouvelles de mes fourmis. — PAUL ! — Vous me demandez ? —Dites moi, vous avez des nouvelles de Jeanne ? Elle devrait avoir retrouve Pierre et Christophe. — Je crois savoir qu'elle est arrivée à Orléans hier dans la matinée. — Ha! Et ou en est-elle ? — Heu. Et bien... — STOP! N’en dites pas plus. Je devine... des problèmes 132


— Non, pas exactement... — Alors quoi ? — Et bien voila. Heu... — Au fait nom d’un p’tit bonhomme, au fait Paul! —Jeanne a eu un léger contretemps. En fait elle a croise une manifestation d'étudiants, elle a été entraînée par le flot de la foule, et, fort inconsciemment, elle a pris la tête du mouvement... — QUOI ? — Je suis intervenu très vite, et je lui ai rappelé quelle était en mission. Des que la police la relâchera elle se remettra à l'oeuvre. — Je vais devenir fou moi avec de pareils énergumènes. Ou estelle? — Au violon — Charmant, et bien je vais l'y laisser, ça lui apprendra à vouloir jouer les petits soldats ... à son age... Rien d'autre ? — Si. — Oui ?? — Pierre. — Quoi Pierre ? — Pris en flagrant délit. Défaut de permis de pêche... — Aie aie aie. Et Christophe, il n'y a rien pour lui ? — Rassurez-vous, il ne peut plus rien lui arriver. Depuis qu'il a été renverse par un bus en traversant à un carrefour, il est au chaud à l’hôpital avec une jambe dans le plâtre. — Tout va bien quoi! — Tout ceci n'est pas grave, ça va s'arranger... — Bigre, je crois qu’il va falloir que je prenne les choses en main — Vous? — La paix Paul, faites préparer mes affaires, je descends sur Terre. Et je vous prie de croire que ça va marcher a la baguette, non mais sans blague. « Finalement j'ai bien fait de me charger personnellement de cette affaire. Depuis des siècles je délègue, je délègue, et je n’ai plus la possibilité de profiter des belles choses dont je suis (il ne faut quand même pas l’oublier) l'auteur. Tient, par exemple ce ruisseau s’écoulant paisiblement en passant sous un saule, quel 133


chef d'oeuvre. En plus je me suis choisi un chouette petit temps de conges payes, pas trop chaud, pas trop frais. Cinq sur cinq. La ville a bien change depuis que j'y suis venu. Il n'y avait pas toutes ces voitures, la circulation, les magasins pleins de belles choses. Je suis un peu gêné dans mon jean, mais comme a dit Paul, c’est ça ou la barbe. Comme je ne tiens pas à me raser, je n’ai pas eu le choix. Et le costard trois pièces est un peu voyant pour un touriste en vacances. Il y a tellement de choses à voir que je ne sais pas par ou commencer. La cathédrale ? Ras le bol du boulot. Tiens, un supermarché. Depuis que j'en entends parler, c'est le moment de voir à quoi ça ressemble. Tient, je n’ai pas de pièce pour prendre le caddie. C'est la qu'on se rend compte qu'il est bon d’être Moi... Voyons un peu ce qu’il y a là-dedans, cette lessive à l'air efficace, je vais l'essayer. Douze boites de bière, elles sont en promo. Je prends aussi Je n’ai pas encore goûté le camembert Président ? Cette pub a raison, j'en prends un.... Il est temps de sortir, mon caddie est rempli. J’ai pris un peu de tout, finalement je ne profite pas assez des produits qu'offrent la vie moderne. Voyons, cette caissière est mignonne, je vais prendre sa file... — COMBIEN ? Heu... non je paie en liquide... (Ben mon cochon, la note est salée. Je pensais juste acheter un stylo à bille). Oui vous avez raison, ça serait plus pratique avec une carte bleue... bleue... Vous avez dit bleue ? Et moi qui suis la à m’occuper de futilités. Allez mon vieux, assez perdu de temps, au boulot.

134


18

Pietr a en charge le recensement du matériel disponible, trouvé sur place ou récupéré sur les épaves. Afin de réduire les risques d’attaques d’un éventuel ennemie, Lenormand organise un bataillon de soldats afin qu’ils fassent des rondes régulière autour des deux fourmilières. Une route a été dégagée entre elles par des centaines d’ouvriers. Léon va mieux. Il étudie l’histoire de ces colonies pour comprendre comment elles ont évoluées. Jim a pris le rôle de gouverneur chez les rousses, et Bill le même rôle chez les noires. Jack a la responsabilité de tester toutes ces fourmis, afin de sélectionner les meilleurs potentiels. Le travail à faire est immense, mais le cœur y est. En plein après-midi, alors que tout est calme, une fébrilité soudaine s’empare des ouvrières rousses. Certaines d’elles, travaillant dans un secteur éloigné, on repérées un troupe nombreuse venant dans leur direction. Aussitôt c’est le branle bas de combat. Sans plus s’occuper des fourmis bleues, les capitaines 135


réunissent leurs troupes et se positionnent autour de la cité. Buft, aux avant-postes, donne des ordres. Lenormand ne comprend pas immédiatement ce qui se passe, pris par leurs anciennes habitudes, les fournis ont réagis sans penser à l’informer du danger. Jim le rejoint, surexcité. — Que se passe-t-il, pourquoi tout ce remue-ménage ? — J’ai cru comprendre qu’ils se préparaient à être attaqués par une race agressive. C’est fréquent semble-t-il. — Je vois que nos messages sont utiles, je pensais que Buft au moins avais compris que nous étions là pour assurer ce genre de conflit. Nous avons encore du travail. Fait hisser le canon au sommet de la fourmilière ; nous n’aurons pas de mal à endiguer cette attaque. Jim se précipite vers la salle des armes. Au passage, il entraîne une trentaine d’ouvriers avec lui. Il leur fait charger le canon et le mettre en place a un endroit ou il pourra être orienté facilement de tout cotés. Lenormand ne s’attendait pas à ce qui allait suivre. Soudain, surgissant de partout, des milliers de fourmis aux mandibules redoutables se ruent vers les soldats de Buft. En un instant, la plaine est noire de monde, et l’avance est si rapide que les premières lignes sont déjà au combat. Impossible de tirer sans risquer de toucher ses propres troupes. Les assaillant arrivent de partout et tentent de s’infiltrer dans le cité par une de nombreuses voies d’accès. Lenormand comprend à l’instant la fragilité du système. Au dessus de lui, Jim a ouvert le feu en tirant sur les lignes arrière de l’ennemie. Le canon fait des ravages, mais les vagues noires continuent de déferler. Elles viennent buter sur les guerriers de Buft, qui telle une muraille vivante, forment un rempart pratiquement infranchissable. Lenormand utilise un fusil laser, arme redoutable et précise. Dès qu’un des accès flanche, avant que les ennemies ne puissent 136


pénétrer, il les désintègre. Des centaines de d’ouvrier se jette dans la mêlé, venant renforcer les soldats. Ils ne font pas le poids comparés à ces combattants armés par la nature de formidables mâchoires, mais à cinq contre un, ils obtiennent des résultats et permettes de ralentir l’invasion. Le combat dure plus d’une heure, les envahisseurs devaient être dix fois plus nombreux que les fourmis rousses. Grâce au canon et aux lasers, la victoire revient aux défendeurs, et presque aussi soudainement que le déclenchement de l’attaque, le combat prend fin, les derniers assaillants s’enfuyant d’un seul mouvement. Ils laissent sur le terrain des centaines de cadavres. La colonie est sauvée ! Dans la soirée, alors que Jim et Lenormand constate que le champ de bataille est déjà nettoyé, ils décident d’engager des travaux important pour renforcer la sécurité. Dès le lendemain, les équipes de maçons, bûcherons, charpentiers, sous la conduite de quelques cadres évolués, se lance dans la construction d’une enceinte fortifiée. Des pieux affûtés sont plantés sur un socle surélevé, une rivière est détourné et vient former des douves larges et profondes. Quatre passages sont conservés, fortifié et lourdement armés de catapultes et de pierres. Durant des dizaines de jours, le chantier va utiliser toutes les énergies de la cité. Juché au sommet de l’édifice, Buft contemple l'oeuvre des Dieux. Comme tout a changé depuis leur arrivée. Il est fier. Fier de cette robe verte qu'on lui a remise le jour de la parade, fier d’être chef, fier d’être l'ami des dieux. Fier de toutes les splendeurs qui naissent devant ses yeux. Colonel, il est colonel. Ce sont les Dieux qui ont trouvé ce mot. Ils ont tout changé. Les noms, les grades. Jusqu'ici les soldats obéissaient à un seul chef, qui prenait ses ordres directement auprès de la reine. Maintenant il y a des officiers, des sousofficiers ...

137


Un mouvement parait au loin. Ce sont eux pense Buft. Ils sont un peu en avance. Il se tourne vers son lieutenant et lui fait signe d'approcher. — Les voici dit-il, faites ouvrir les portes nord. — A vos ordres mon colonel. Le lieutenant s'écarte et va transmettre le message. Il sait lui aussi que bientôt un événement important va bouleverser leur vie. Il a été détaché ici avec plusieurs autres fourmis à robes vertes car les fourmis rousses manquent de cadres. Le Dieu en bleu, Lenormand a tout prévu pour qu'il n'y ait pas de conflit. C’était il y a plusieurs semaines, les grands travaux venaient de se terminer et les deux fourmilières avaient été complètement transformées dans leur architecture. La réunion des deux armées sous l'autorité du même chef, la création des grades et des décorations pour les plus valeureux soldats, les récompenses, avaient profondément modifié les coutumes. La lourde porte de rondin s'écarte lentement. Elle est actionnée par deux solides gaillards. Bientôt l'avant garde de la troupe pénètre dans l'enceinte. Lenormand a adopté une protection très étudié en fonction des dangers pouvant survenir lors des déplacements. Il a créé un corps spécialement entraîné pour ouvrir les chemins, et qui se déplace en éventail. De plus, une route large et bien dégagée a été percée entre les deux fourmilières. Ainsi leurs activités en sont plus sures et plus performantes. Des postes avancés entourent une vaste zone dans laquelle un défrichage important a été effectué afin de développer l'agriculture. Buft dévale l'échelle du mirador et se porte à la rencontre de Jim. Les fourmis s’éparpillent dans le camp et se débarrassent de leur paquetage. Jim, promu au grade de général en chef, adresse un petit signe d’amitié à Buft. — Tout est en ordre ? demande-t-il. — Le commando est prêt général. J'ai choisi les meilleurs hommes, ainsi qu'un guide connaissant la région. Il a été esclave d'une colonie installée dans le coin. — Parfait, ne perdons pas de temps, nous partirons dans vingt minutes de manière a être sur place dans la soirée. 138


Depuis leur atterrissage, les choses ont terriblement évoluées. La plupart des fourmis ayant un quotient intellectuel suffisant ont reçues une instruction sommaire. Elles ont appris un langage simple et efficace. Des écoles ont été créées, une administration mise en place. Surtout, une formation technique rudimentaire a été enseignée aux plus douées. Très vite, un énorme chantier souterrain a été ouvert dans le but d'accueillir la future navette. Les deux fourmilières ont pris un essor foudroyant, et des tas de petits métiers artisanaux ont vue le jour sous l'impulsion de Pietr et Bill. Léon a été chargé de retrouver tous les indices permettant de reconstituer le parcours de Lancerb et de son équipage. Grâce aux histoires coutumières que se racontent encore les derniers descendants de Lancerb, ses travaux progressent. En comparant les traditions des deux fourmilières, il a put en tirer des conclusions encourageantes. En effet, le matériel retrouvé sur les deux cites n'est pas de première importance. Il ne peut s'agir que d’éléments négligés. Le principal a disparu, en particulier l'ordinateur, les pièces moteurs et surtout le générateur de carburant... Il est persuadé qu’un autre site est à découvrir dans les environs. Apres s’être posé en catastrophe, le vaisseau de Lancerb était en partie détruit. Il n’était pas encore question de navette, et l'appareil devait être du type 4. Une réparation était sans doute possible, mais, des événements dramatiques ont contrarié sa réalisation. L’équipage était constitue de sept officiers et de deux physiciennes. Très vite, des accrochages ont eu lieu. L'une des filles refusait de se 'partager'. Lancerb, soutenu par la majorité, et en violation des règlements militaires, a certainement apprécie la vie facile et a décidé de se créer un royaume. Il souhaitait fonder une race de super fourmis en procréant avec les deux physiciennes. L'une d'elle s’échappa avec un compagnon. Ils emportèrent des armes et s'installèrent chez les fourmis rousses. Leur postérité fit souche avec les naturels et comme ils ne 139


disposaient pas de gros moyens techniques, la colonie ne trouva pas le même essor de sa voisine. Une autre partie de l'équipage n’accepta pas les égarements de Lancerb. Ils étaient trois, ils croyaient en la possibilité de réparer l’appareil et de repartir dans l'espace. Lancerb les surveillait de près, mais à cette époque, les cosmonautes n’étaient pas polyvalents comme aujourd'hui, et ne maîtrisant pas toutes les techniques, il dut négocier avec eux. Ils obtinrent le droit de quitter la région, d'emporter le matériel nécessaire à la reconstruction de l'appareil et d’être accompagné de l'autre physicienne. Lancerb reçu en contrepartie des armes et l'assurance que jamais il n'entendrait plus parler d'eux. Lorsque Léon eut fini de résumer cette histoire à ses compagnons, il se rendit compte qu'il leur faisait un cadeau. L'espoir qui ne les avait pas quittés depuis des mois retrouvait une nouvelle vigueur. Jamais personne au sein des fourmis bleues, n'avait entendu parler d'un retour quelconque d’équipage égaré dans le temps. Donc le projet de reconstruction avait échoué, et ils pouvaient envisager que près d'ici, une cachette abritait du matériel, des machines et peut être d'autres choses encore. Les recherches furent organisées et Jim y dépensa toute son énergie. Minutieusement, les environs furent explorés. L’expédition d'aujourd'hui va plus loin, dans un secteur étranger mais qui bénéficie bizarrement d'un préjuge auprès des prêtres des deux fourmilières. C'est un territoire interdit depuis toujours. Le soleil est encore haut dans le ciel d'automne, lorsque la petite troupe se met en route. Buft ouvre la marche avec sa compagnie, Jim, ayant son équipement de combat, assure les arrières. La marche sera longue. Les fourmis sont parfaitement entraînées et connaissent leur mission. Leur vigilance ne doit pas faire défaut une seconde sous peine de mort. Tous les périls écartés par les travaux de fortification reprennent leurs droits dans cette nouvelle région. Vers le soir, ayant parcouru une grande partie du chemin prévue, Buft fait stopper la troupe. Il s’approche de Jim. — Nous sommes en plein dedans maintenant. Il serait bon de trouver un endroit pour établir notre camp de base. 140


— Le coin ne me plait pas, j'aimerai mieux une clairière bien dégagée. Continuons d'avancer vers le nord, j'aperçois des rochers. Ils pourront peut être nous servir de fortifications. Ils reprennent leur marche au travers d'un plateau encombré d'immenses herbes sauvages. Soudain Buft s’arrête. D’un signe, il met ses hommes en état d'alerte. Jim le rejoint et se glisse à son cote. — Qu'y a-t-il ? J'aperçois un monticule de terre qui pourrait bien être une fourmilière. — Prudence. Il risque d'y avoir des gardes dans les parages et je ne tiens pas à rencontrer du monde aujourd'hui. Nous allons faire un détour. — Il va bientôt faire nuit. Nous ne pourrons pas marcher longtemps. — Dans ce cas établissons-nous ici, nous allons creuser une cache souterraine. Je n'en aurais pas pour longtemps avec mon arme. Jim trouve un endroit relativement abrité, et aussitôt il creuse un puits dans la terre molle. Il ne lui faut pas plus de dix minutes pour réaliser une cachette parfaite. Il camoufle l’entrée à l'aide de débris végétaux. La nuit survient rapidement et chacun s'installe pour dormir. Quelques heures plus tard, seuls les ronflements percent le silence. Jim, allongé près de l’entrée s’éveille. Il aperçoit les étoiles au travers des branches et du feuillage qui cache l’entrée. La lune éclaire abondamment la nuit. Le sommeil faisant défaut, il décide de relever la sentinelle. Il se faufile dehors et rampe sous le chariot ou le garde est posté pour sa faction. — Va dormir, je prends ta place. Sans un mot, se coulant silencieusement en arrière, le soldat laisse Jim seul et va se coucher. La nuit est douce. Quelques voiles de brume flottent légers dans le ciel, entourant la lune d'une auréole terne. L'envol d'un oiseau rompt soudain le charme mais le silence se réinstalle très vite. Jim respire le parfum frais de la nuit. L'odeur des champignons, des dernières fleurs. Il se 141


revoit enfant, lorsqu'il partait a l'aventure avec ses camarades, dans les grands parcs autour de la ville ou il est né. Un craquement le surprend. Les sens en alertes, il scrute autour de lui. Un autre craquement retentit. Les grandes herbes ne permettent pas de distinguer à plus de cinquante mètres, et c'est très inquiet que Jim sort de sont refuge en évitant le moindre bruit. Il a son radian en main et le braque devant lui tout en se reprochant de l'endroit d'ou est venu le bruit. Il s’arrête bientôt car un froissement léger lui parvient dans le dos. Il se retourne et reconnaît la silhouette de Buft. — Quelque chose qui cloche ? Lui souffle le colonel. — J'ai entendu un bruit suspect et j'ai comme un drôle de sentiment, une sorte de sixième sens... Il n'a pas l'occasion de terminer sa phrase. Buft lui plaque une main devant la bouche et lui désigne la gauche d'un mouvement de tête. Des ombres bougent, silencieuses en se rapprochant d’eux. Jim sent une montée d’adrénaline lui parcourir les muscles. Il dégage son autre arme de sa ceinture. Il distingue soudain plusieurs ombres qui suivent les premières et il peut bientôt se rendre compte qu’une troupe passe à une vingtaine de mètres d’eux. Une centaine de silhouettes se faufilent ainsi et se dirigent vers la fourmilière aperçu la veille. Bientôt le danger est écarté. — J'ai bien cru qu'ils venaient pour nous. — Ils vont vers la fourmilière. Ils préparent une attaque. — De quelle race sont-ils? — Une petite race, mais ce sont souvent les plus sauvages. Je ne peux vous en dire plus. — Nous allons les suivre, j’aimerais connaître la suite — Allons-y prudemment, car les attaques de nuit sont destinées à piller les esclaves. Aucun soldat ne peut être pris vivant, seuls les ouvriers valides et les oeufs sont emportés. — Nous ferons attention, et de toute façon j'ai des armes. Je doute qu'une seule salve de mon radian ne suffise à les effrayer mais nous serons à l'abri. Ils se redressent lentement et s'engagent à la suite des assaillants. La fourmilière est bientôt en vue et Jim constate que d'autres groupes se sont approchés, l’encerclant de tout cotés. Maintenant 142


il voit mieux la fourmilière. C'est le moment choisi pour l'attaque. Obéissant à un signal, des milliers de guerriers sortent de toutes parts en hurlant. En un instant la plaine entourant l'édifice se noircie de guerriers hurlant. Pourtant, aucune réaction ne semble venir de la fourmilière. — C'est vraiment étrange, on dirait qu'ils attaquent une ruine déserte. Ce manque de réaction surprend les fourmis qui s'arrêtent et les hurlements cessent progressivement. Et puis un roulement sourd leur parvient. Stupéfait, Jim voit alors un énorme rocher pivoter au sommet de la fourmilière. Il s'abat soudain en soulevant un peu de poussière. Pendant deux secondes il ne se passe rien puis un éclair jaillit. Le rayon est foudroyant, et il creuse un sillon dans la foule des fournis. Le sol semble s’enflammer. Une panique folle se répand et les soldats se dispersent et fuient. En moins d'une minute la place est déserte. Jim et Buft se sont aplatis au sol pour ne pas être vu des fuyards, mais ceux-ci n'ont certes pas pris le temps d'examiner le terrain. — Tu as vu, dit Jim, un canon radiant. — Il doit y avoir des Dieux ici. — Impossible, nous avons tenté des contacts radio. Nos appareils émettent en permanence. Non, il y a une autre explication. Nous avons sans doute découvert l'autre colonie de Lancerb que nous recherchons. — Comment savoir ? — Il faut y aller. Nous devons y pénétrer. Petit à petit le silence est revenu. La lourde porte de pierre est à nouveau en place. Jim trouve plus prudent de regagner la cachette. Ils rebroussent chemin et se glissent dans les buissons qui cachent le camp. Un autre garde est en poste, Jim et Buft se recouchent. Le lendemain matin, Jim qui a peu dormi, est réveillé par une main ferme qui le secoue. — Colonel... colonel, nous sommes encerclés.

143


Jim ouvre les yeux et aperçoit Buft, la mine défaite. Il repousse sa couverture, saisit son arme et passe la tête dehors. Il voit aussitôt une cinquantaine de guerriers, Ils sont nus et sans armes. Il voit aussi et surtout une fourmi qui est assurément le chef. Et là il se sent envahis par une grande émotion. La fourmi est vêtue d'un uniforme bleu ...

144


19

Ce matin là, comme d'habitude, la patrouille de garde effectue sa ronde à huit heures. La relève est appliquée conformément au règlement. Le chef de patrouille affecte deux gardes à la salle des secrets. (Cette mesure étant parfaitement inutile mais traditionnelle). L'un des gardes est armé d'un pieu de bois, mais ses mandibules sont certes plus redoutables. L'autre garde est particulier. Il est une exception à la règle. Ayant peu d'armes naturelles, il ressemble plutôt à ceux de la caste des dignitaires. Fils d'esclave, il a réussi à sortir du rang par quelques actions intelligentes. Naturellement, sa condition restera humble car il n'est pas de bonne naissance, mais ses compagnons l’on surnommé Tarfou Le futé et il n'y a pas plus malin pour éviter les corvées ou grappiller du bon temps. Ce matin là donc, Tarfou le futé se prépare à passer le temps a ne rien faire. La garde dure depuis un bon moment et il somnole. Figé à son poste, a coté de lui, l'autre garde prend son service à coeur et de temps en temps le secoue pour l'éveiller. Tarfou n'a 145


aucune amitié pour Boen ce grand balèze sans cervelle qui ne vit que pour le service. Lui il est différent, plus astucieux mais Boen lorgne l'attitude nonchalante de ce farfelu de Tarfou. La conversation des autres gardes est limitée et Tarfou n'aime pas dévoiler ses pensées. Aujourd'hui il hésite. Le temps est magnifique, il préférerait passer la journée au soleil. Mais cette fois-ci il n'a pu y couper. Et en plus il est de garde, cloué dans cette galerie sombre et humide... Pas de chance. La galerie l’a toujours intrigué. Il connaît son histoire, comme tous ici, mais entre le conte et la réalité il y a toujours un monde... En fait, Tarfou n'a jamais eu le moindre respect pour les coutumes et autres croyances. Personne n'aurait l'idée de s’aventurer dans la galerie. Selon la légende l'oeil des Dieux en surveille l'entrée et paralyse d'effroi les imprudents qui s'y aventurent. Même le roi parait-il, y a eu droit. Mais ce sont des bruits de bonnes femmes et Tarfou est curieux. Puisqu'il est là à ne rien faire, autant en profiter. C'est une occasion unique. Les conséquences ? Bof, on verra bien. Qui vivra verra... Il se décide. La limite à ne pas dépassée est matérialisée pas des cailloux, déposées là prudemment pour évité les accidents. Au delà, un couloir mène directement à la porte. Il frémit en dépassant la ligne de cailloux, mais n’as pas d’hésitation, s’engage dans le couloir, se présente de face. Rien ne se passe. Il avance à nouveau. Toujours rien. Il entend un juron derrière lui. C'est Boen qui panique en le voyant violer la consigne. Tarfou s'enhardit et avance encore de quelques pas. Il fait très sombre, il n'y voit guère. Encore un pas. Boen l'appelle à voix basse mais il l'ignore... Lentement, la galerie devient moins sombre. Une légère clarté couvre les parois. Progressivement, elle s’amplifie. Tarfou a un moment d'hésitation, mais la curiosité est plus forte. Il reprend sa progression. Boen tremblant de peur s'engage aussi pour le rattraper. La galerie s’élargie légèrement, et se termine devant une porte étincelante, juste au dessus, un oeil géant observe... Jamais Tarfou n'a eu aussi peur de sa vie. L'oeil émet un léger bruit, il semble s’animer. Sa couleur est rose au centre, virant au 146


rouge sur le bord. Tarfou a l'impression d’être examiné comme un puceron d'élevage. Soudain l'oeil vire au vert et une lueur aveuglante l'entoure. Il se jette contre la paroi, affolé. Mais c'est déjà terminé. Il aperçoit Boen gisant sur le sol. Il s’en approche et se penche sur lui. Il constate que Boen est vivant mais complètement paralysé. Alors Tarfou se relève et se tourne vers l'oeil. Il n'a plus peur, il a comprit. Il est accepté des Dieux. Il est maintenant juste devant la porte. Sa main la caresse doucement. Elle est en métal doré. Il pousse dessus. Silencieusement, elle tourne sur ses gonds. Au delà, c'est un autre monde. Une immense salle est illuminée, avec, à perte de vue, des objets inconnus. Revenu à lui, Boen s'est précipité dehors et a prévenu le chef. En un instant les organes supérieurs de la fourmilière sont au courant. Bientôt le roi lui même est présent devant la galerie, entouré de ses ministres. Depuis plus de quatre siècles personne n'a été autorisé à pénétrer là-dedans. Le roi Lure est nerveux. Il se souvient encore de la douleur ressentit lors de l'unique tentative qu'il fit. Tous les nobles, de premières lignées jusqu’aux plus bâtards ont connus aussi cette douleur. Voila qu’aujourd'hui, un simple garde a pu passer ? Le roi se décide, il pénètre dans la galerie qui est toujours éclairée. Il est suivit de sa cours qui le presse. Les huit premiers ont le temps d'apercevoir la porte, mais l'éclat lumineux qui les submerge soudain leur alloue le même traitement qu’à Boen. Tarfou a tout vu. Surpris au début, il a prit conscience de sa position. Le Roi, les ministres, les généraux... Tous y ont eu droit les uns après les autres. Personne n'a pu passer. La fourmilière s'est transformée en infirmerie. Les victimes de l'oeil magique ont compris à leur dépend qu'il n'y aurait qu'un élu. Que faire maintenant ? Pourquoi suis-je seul autorisé à pénétrer dans ce sanctuaire ? Qu’elle va être la réaction du roi? Tarfou réfléchit. De réputation, il connaît l'humeur du monarque. Faible, paresseux mais brave. Capable de grandes colères mais aussi insouciant et joueur. Délaissant ses fonctions 147


au profit des nobles, aimant la chasse et par dessus tout la bonne chaire. Le danger viendra des ministres. Ils sont plus ou moins médiocres, mais terriblement ambitieux et jaloux. Il va falloir jouer prudemment pour ne pas terminer ce coup de chance fabuleux dans une oubliette froide et profonde. Il s'aventure. Il découvre des choses surprenantes. Certaines qu'il croyait n'exister qu’à un seul exemplaire, comme le livre du roi, se trouvent ici en quantité astronomique. D'autres complètement inconnues l'ébahissent; Celui-la, à peine effleuré, projette des images qui bougent et qui parlent. Celui-ci, qui ressemble à un trône et qui entraîne Tarfou à vive allure autour de la gallérie. Il y a aussi ces malles. L'une contient des armes, une autre des équipements bizarres. Il lui faut plusieurs heures pour explorer. Il ne comprend pas tout, mais sa première idée, il la doit aux images projetées. Il y voit une fourmi vêtue de bleu. Pas une de ces robes mal coupées comme en porte la cours, mais un habit superbe, pratique. Il voit comment se fixe les armes, comment s’en servir... Sa décision est prise. Il passe l'équipement bleu, choisit une arme, et sûr de lui, il ressort. En fin de matinée, le roi Lure et sa cours sont assemblés dans la grande salle du trône. Ils forment un arc de cercle. Bouches bées, Ils écoutent religieusement Torfou raconter. — Sire, la salle est immense. Ses murs sont couverts d'une matière inconnue que je devine d'une grande résistance. Il règne une chaleur douce et constante ainsi qu'une lumière permanente. Il y est entreposé des machines merveilleuses, des tissus, des objets inconnus. Les anciens savaient utiliser certains de ces objets. Si nous arrivons à retrouver leur secret, nous redeviendrons la cite riche et puissante d'autrefois. — Penses-tu être en mesure d'y parvenir, demande le roi ? — J'ai été choisi. J'ai déjà beaucoup appris grâce aux machines. — Quel est ton souhait, que demandes-tu pour cela ? — Rien sire, j'ai besoin de votre confiance, de votre aide. Ensemble, nous pouvons construire des choses magnifiques. 148


Vous êtes le Roi. Laissez-moi devenir votre serviteur et mettre à votre service tous les secrets des anciens. Le roi a un petit sourire, il regarde ses ministres. La pensée que Tarfou puisse lui prendre sa place ne l’a même pas effleurée. Le roi est sacré donc intouchable. Il sait cependant que les ministres ne sont pas inébranlables, et toutes ces histoires de clans et de familles l’ennuient. Avec une épaule du calibre de ce Tarfou, il va pouvoir vivre en paix et faire ce qui lui plait. Enfin ! — Tarfou, je vois bien que tu es un serviteur fidèle. Puisque les dieux t'ont choisi, je te proclame premier ministre. Que tous t'obéissent à partir de ce jour, J'ai dit ! La belle vie commence. Tarfou est manifestement malin, et, mettant à profit les énormes moyens que contient la salle, il commence par distribuer des cadeaux autour de lui. Le roi reçoit un vieux fauteuil, des tissus aux couleurs vives. Aux ministres il distribue des livres (qu’ils sont bien incapables de lire). Les militaires gradés se voient attribuer des armes totalement inoffensives mais d'une très grande valeur décorative. Petit à petit, Tarfou se fait des amis. Il lui faut peu de temps pour créer autour de lui une cours. Mais il prend bien garde de maintenir un espace entre lui et le roi. Il gouverne, mais toujours au nom de Lure. D'ailleurs le roi ne se passe plus de lui. Pour un oui, pour un non il demande son avis. Et Tarfou est bien trop intelligent pour ne pas opiner dans le sens le plus avantageux pour son Roi. C'est d'ailleurs lui qui décide Lure à reprendre une épouse. Le roi est veuf, sans postérité, Tarfou (pour effacer tous soupçons sur ses intentions) le persuade de se remarier. Les prétendantes ne manquent pas, et Lure a une entière confiance dans le choix de Tarfou. L'heureuse élue lui en sera reconnaissante, puisque au bout de quelques années, les deux héritiers que la reine donnera à Lure auront l'intelligence et bien plus de Tarfou ... 149


Son apprentissage ne se fit pas en un jour. A l'aide des machines, il apprit à lire et à écrire. Il apprit également à utiliser les armes, les canons. Ces connaissances lui permirent de jouir d'une puissance incomparable dans la colonie. Mais Tarfou n'a pas l’âme d'un conquérant. Une vie plaisante lui suffit. Il n'ambitionne pas les honneurs. Grâce a lui, la fourmilière deveint plus sur, sans pour autant retrouver la puissance d'antan. Tarfou n'en a que faire. Les années s’écoulèrent ainsi, dans la volupté d’être craint, puissant et servi. Sous son impulsion, des travaux de modernisation améliorèrent la vie de la colonie et sa sécurité. Et chaque jour, chaque semaine, Tarfou découvrait d’autres merveilles, d’autres savoirs, qu’il approfondissait avec passion.

Jim n'en croit pas ses yeux. Il contemple son vis à vis avec surprise. Il est assez petit, surtout comparé à ceux qui l'entoure. Sa morphologie est cependant semblable aux autres fourmis rencontrées depuis son arrivée sur ce bout de planète. Il porte l'uniforme de la compagnie, et il a un radian en main qu'il semble parfaitement manipuler. — Qui êtes-vous demande Tarfou ? — Je m'appelle Jim Prince, J'appartiens à la section explo de la compagnie. Mais vous même ? — Je m'appelle Torfou... Dit le futé. D'ou venez-vous ? — Peut-être du même endroit que vous. Je me suis égaré avec mes compagnons. Je ne sais si c'est dans le passé ou dans l'avenir. Nous cherchons les moyens de retourner à notre époque. — Je ne comprends pas... ? — Vous n’êtes pas astronaute ? — Je suis Tarfou, le confident du roi Lure. On m'a signalé que vous possédiez un canon comme le notre. J'ai compris que vous ne pouviez êtres que les Lancerbs dont m'a parlé la machine. — Quelle machine ? — Celle qui parle et qui surveille la salle des trésors. Je suis le seul qui puisse y entrer. — Vous connaissez les Lancerbs ? 150


— Oui. Les Dieux étaient des Lancerbs, mais ils se sont fâchés il y a très longtemps et certains ont préférés s'installés ici. Ils ont fondé notre fourmilière et ont confié à la machine la garde de tous leurs secrets. — Tu n’es pas un vrai membre de la compagnie alors ? (Inconsciemment Jim s'est mis à le tutoyer). — J'ai vu sur les images que l'habit bleu était magique. Je le porte depuis sept ans. — Tarfou, je suis un Lancerb et je connais tous les secrets des machines. Je suis à leur recherche depuis très longtemps. Montre les-moi, je t'apprendrai comment t’en servir. — Il faut que la machine te laisse entrer. (Lui aussi adopte le tutoiement) — J'en suis sur. Elle me reconnaîtra car elle me connaît. Je voudrais être sur d'avoir retrouvé ce que je cherche depuis si longtemps. — Suis-moi. Le roi Lure sera content de te voir. Il aime les visiteurs. Ils parcourent ensemble la distance les séparant de la fourmilière en conversant amicalement. Tarfou ne se fait pas prier pour expliquer à Jim tout ce qu'il sait des Lancerbs. Contrairement à ce que Jim a constaté jusqu'alors, la fourmilière n'est pas protégée par une cohorte de gardes. Il y a tout simplement une grosse porte en pierre. En approchant, Tarfou fait un signe du bras, et toute la troupe qui les accompagne s’arrête. Un grincement résonne et un des battants de la lourde porte s'affaisse lentement. Jim voit une grosse corde reliée à une poulie et actionnée par une quinzaine de gardes. Ils entrent. Tarfou l'entraîne et le mène directement devant le souverain. Celui-ci leurs apparaît en habit d’apparat. Il est assis sur son trônes (Un vieux sièges de cabine) et a ses cotés se tiennent la reine (beaucoup plus jeune que lui) ainsi que les héritiers. Jim s'approche du trône et s'incline respectueusement. Le roi se lève, vient vers lui, le contemplant avec curiosité. — Vous portez les mêmes vêtements que Tarfou. Seriez-vous un de ceux qui peuvent pénétrer dans le sanctuaire des dieux ? 151


— Je l'ignore encore sire, mais il ne tient qu’a vous de le savoir. Je sais par Tarfou que lui seul parmi ceux qui ont essayé, a réussi à y entrer. Le roi fait une grimace et retourne s’asseoir. — J'appartiens moi aussi à la descendance des Lancerbs. Pourtant je n’ai jamais pu approcher la grande salle. Si ça ne marche pas pour vous, vous pourriez être déçu. — Il est probable que je sois admis par l’œil magique. Je connais la machine et elle me connaît. — Que faites-vous dans ces parages, armé de ce gros canon ? — Je cherche un métal précieux, et si je me fais accompagner d'un canon, c'est uniquement dans le but de me défendre. Mais je n'en aurai plus besoin car ce que je recherche est probablement ici. Le roi pousse un soupir, hausse les épaules et se tourne vers Tarfou. — Et bien, puisque je ne peux accompagner notre visiteur, montre lui toi même le chemin. La dessus il prend la main de son épouse et quitte les lieux. Tarfou fait un signe à Jim. Il l’entraîne vers les fondations de l'édifice. Ils arrivent bientôt devant deux gardes qui somnolent. Il les écarte vivement et s'engage dans le couloir. L’œil n’est pas un problème, et la porte ouverte, ils pénètrent ensemble dans la salle. Jim regarde les objets. Il s'avance, et soudain il se jette en l'air en poussant un cri de victoire.

152


20

La réunification des colonies commence à prendre un tour compliqué. Les castes dirigeantes, toutes descendante de Lancerb ou des ses compagnons, ont des privilèges (différents selon les fourmilières et le niveau d’intelligence de ces êtres) qu’ils ne tiennent pas à perdre. Il faut donc du doigté et beaucoup de fermeté pour imposer un système nouveau. Les mois passant, les choses se stabilisent. L’efficacité des fortifications a convaincu tout le monde. C’est moins évident pour l’administration, mais vaille que vaille, les nouveautés se mettent en place Léon, ayant trouvé des gisements de fer, des armes simples sont maintenant fabriqués pour équiper les gardes de hallebardes et d’épées. Une forge fonctionne 24 heures sur 24, on y coule le métal dans des moules des sable pour confectionner des embouts de flèches, des dagues, des outils divers. L’exploration du hangar à révélée des merveilles. Des pièces de moteurs, des ordinateurs, des machines-outils, des plans, des documents précieux. Ce qu’il a manqué aux Lancerbs, venu se perdre dans ce coin de l’univers, c’est la compétence. Ils avaient pratiquement tout pour reconstruire un vaisseau. Les pièces manquantes, ils pouvaient le fabriquer, possédant les plans et les machines. Ils ignoraient comment se procurer les métaux de base. Or, Léon a déjà trouvé plusieurs blocs d’aciers, merveilleusement purs. 153


La construction d’un atelier s’est avérée indispensable, mais a pris plus de temps que prévu. En effet, le feu effraie les fourmis, à tel point qu’il fut décidé de l’installé sur un nouveau site, assez éloigné des trois fourmilières pour rassurer tout le monde. Ils choisirent un emplacement proche d’un ruisseau. Jack dessina les plans d’un barrage. L’eau fut détournée vers un canal, alimentant un moulin. Ainsi, grâce à un alternateur récupéré sur une des navettes, ils eurent de l’électricité. L’atelier aménagé, les machines installées, la réalisation des pièces est confié à Pietr. Malgré le niveau d’intelligence de certaines fourmis locale, il s’avère, rapidement, qu’elles sont incapable de maîtriser les techniques les plus modernes. Qu’importe, la main d’œuvre ne manque pas pour élever les murs, creuser des mines, fouiller le sol, à la recherche des métaux précieux manquant. Bill, se souvenant des récits de son enfance, a l’idée de capturer des larves de hannetons. Il avait lu qu’autrefois, qu’avant l’invention du moteur, ils étaient utilisés comme moyen de locomotion. A peine sortie du cocon, les hannetons sont dressés pas cinq cornacs. Ce moyen permet de transporter rapidement, par les airs, des objets lourds et encombrants. Il permet également de se déplacer rapidement d’un point à un autre, de sauter les rivières. Bill dresse une carte sommaire de la région, utilisant une bonne vieille boussole pour se repérer. Vue d’en haut, il peut découvrir de plus vaste territoires, et les singuliers animaux géants aux multiples couleurs qui le peuple. Ainsi, l’activité de la communauté n’est pas seulement orientée vers la reconstruction du vaisseau. Léon sélectionnes des graines qu’il fait semer. Les champs ont été préparés par des ouvriers, déboisés, labourés, irrigués. L’atelier principale, là ou l’on construit le vaisseau, se présente sous la forme classique d'une fourmilière. Lenormand a retenu cette option car le personnel a une grande expérience dans ce 154


genre de construction. Pour des raisons de commodités, le pas de décollage a été construit à peu de distance. Viennent enfin les premiers tests. Selon le plan de travail, une coque a été réalisée en utilisant tout ce qu’on pouvait récupérer des épaves. Le résultat est mitigé. Le vaisseau est couturé, sans peinture, les tôles cabossées. Bill est pourtant fier du résultat. Il fait le tour du propriétaire avec Lenormand. — C’est vrai, commandant, elle un triste mine notre fusée ; on la dirait sortie d’un vieux film de science-fiction. Mais elle est solide, et surtout, elle pourra nous recevoir tous les six à bord. La moue du commandant est expressive. — D’une chaloupe pour quatre, tu nous as fait un vaisseau pour six ? Faut que tu m’expliques. — J’ai rallongé le corps. Ca n’a pas été simple, car les fuselages avaient soufferts et étaient déchirés. Grâce aux outils des Lancerb, j’ai pu couper et ressouder les coques. Avec les deux épaves, j’ai fait un vaisseau un peu plus long, histoire d’y installer deux fauteuils de plus. Par contre, on sera obliger de naviguer aux instruments, je n’ai pas pu réparer les cockpits. J’ai du souder tout hermétiquement. Mais je pense qu’une fois dans l’espace, on se passera de la vue. — Et le moteur ? Tu en es ou ? — Demain matin premiers essais. Si tout se passe bien, on pourra le mettre en place. C’est un vieux model, mais notre chance c’est qu’il est beaucoup plus puissant que ceux des navettes. J’ai réussi à le transformer pour qu’il puisse utiliser l’énergie des masses froides. — T’es sur qu’il ne va pas nous exploser à la figure ? — Je pense, on verra demain. — Bien, je rassemblerai nos amis pour ce test. Si ça marche, il ne nous restera plus qu’a faire le plein de nourriture… Je commence à en avoir ma claque de ce pays de sauvages. Le lendemain les six fourmis bleues sont présentes pour l’essai du moteur. Bill à prit quelques précautions en installant un talus tout 155


autour. Le ouvrier ont évacués le hangar. Les batteries sont branchées. — Attention, cinq secondes…. 4, 3, 2,1 GO Au signal, le vrombissement du vieux moteur s’élance, accentué par quelques toussotements, rien à voir avec le sifflement des moteurs modernes. Il craque, peste, semble s’étouffer, puis d’un seul coup, le bruit diminue et devient un doux ronronnement régulier. Simple inconvénient, le bâtiment, fait de sable et de brindilles est soufflé par la puissance du propulseur. Les murs s’effondrent, une poussière jaunâtre s’abat, les ensevelissant tout de débris et de poussière. Bill à juste le temps de couper l’alimentation et de plonger sous des trémies de sécurité. Quand ils réussissent à s’extirper des décombres, une bonne demi-heure plus tard, il ne reste rien du hangar. Aussitôt les ouvriers se mettent à l’ouvrage. Des messagers sont dépêchés vers les autres sites pour recevoir des renforts. Il faut deux jours pour débarrasser le site des gravas, et deux autres jours pour rebâtir le hangar. L’inspection qui suit est rassurante… — Bon, ben au moins on est fixé sur la solidité des soudures du vaisseau, s’exclame Léon. — Bill, demande Lenormand, Quand comptes-tu avoir assemblé le moteur au fuselage ? — Un petite semaine. — Ca nous laisse le temps d’organiser notre départ. Jack, tu t’occupes du ravitaillement ? — Pas de problème. Il nous reste une grosse quantité d’aliments de synthèse, je n’aurai qu’à compléter avec des spécialités régionales. — Léon, Il va falloir étudier une navigation. As-tu une idée ? — Non, franchement, calculer le chemin pour aller d’ici à ici, en remontant le temps… Nous allons partir dans l’inconnu. Je ne vois qu’une piste pour notre saut. Reprendre la consommation exacte du voyage allé et nous orienter en sens inverse. Je sais, ce n’est pas très scientifique, mais on n’a pas le choix. — Ok, il ne nous reste plus qu’à faire nos préparatifs et prier le bon Dieu d’être avec nous. 156


Les fourmis bleues viennent de prendre une difficile décision. La date du départ est programmée, et, conformément aux règles de la compagnie, ils ne doivent pas laisser de trace de leur civilisation entre les mains de races ou tributs non civilisés. La réalité est telle que les avis sont partagés ... Demain sera le jour. L'expérience n'est pas sans risques, et ils sont tous très nerveux. A midi, leur nouveau vaisseau le « Lancerb » se lancera vers les étoiles. La soirée s’organise. Les militaires défilent, Buft en tête, parfaitement organisés. Puis les « amis », Torfou, son épouse, la princesse et le prince, les notables, tous viennent leur présenter leurs hommages. Ensuite un banquet grandiose est proposé a l’ensemble des colonies. Lenormand attire jack à l’écart. — Avec tout ça, tu ne m’a jamais dit ce que tu devais faire quand tu m’as enlevé… Jack sourit. — Ca n’a plus grande importance. En fait, outre les données de tes calculateurs que nous estimions précieuses, c’est toi que nous visions, un de nos amis que tu venais de rencontrer nous a signalé que ton profil correspondait exactement a ce que nous cherchions pour prendre en charge notre école de pilotes. — D’Albret ? C’est lui qui m’a vendu ? — Pas vendu, donné, il est des nôtres depuis longtemps. La liberté et l’égalité sont des valeurs partagées par beaucoup dans notre civilisation, même chez les nantis. — Ouais, j’aurai pu me joindre à vous. Mais maintenant que nous rentrons, si ça ne te fais rien, j’aimerais passer chez moi et oublier un peu la bagarre… On a vu qu’ici ça chauffe pas mal entre les fourmis, Le monde tourne mais ne change pas. — Si nous réussissons, tu nous déposeras sur une planète solitaire, en dehors des zones de combat. — Naturellement. Les soutes de l'appareil sont pleines d'objets divers. En plus des réserves de nourriture, ils emportent des souvenirs, des témoignages de ces fourmis encore très sauvages qu'ils pensent 157


être leurs ancêtres, car la dessus ils n'ont plus aucun doute maintenant. Petit à petit le pas de décollage se vide. La consigne est formelle. Tout ceux qui travaillent sur le site doivent s'éloigner des leur activité terminé. Ce soir la grande fête du départ sera donnée en présence de tous les notables. La question que se pose Lenormand est « Que deviendront-ils après notre départ? » Tarfou est maintenant roi lui aussi, il a épousé Yglaé et prit le contrôle des deux fourmilières. Les fils de Lure semblent assez intelligents (et pour cause). Ils auront le pouvoir sur les trois colonies dans un futur proche. Seront-ils capable de continuer l’œuvre commencé ? Il faut bien reconnaître que sans le contact de Lancerb, les êtres de cette époque seraient semblables à leurs voisins, c'est à dire des fourmis sauvages et d'une intelligence très faible. Bien trop faible pour conquérir le monde et plus tard le cosmos. Les temps ne sont pas encore venus, pense Lenormand. Il faudra de nombreux siècles... Son esprit vagabonde... Il imagine l'évolution lente qui les conduira vers un jour nouveau. Il comprend alors qu'il est sain que lui et ses amis puissent repartir. Leur présence ici a déréglé le processus naturel. Le passage de Lancerb n'a eut aucun effet bénéfique. Au début, ses enfants ont continués à développer les colonies, mais petit a petit, par le brassage du sang, la nature a repris son cours. Sans leur intervention, les colonies seraient retombées à l’état sauvage en une ou deux centaines d'années. La décision qu'ils ont prise est la bonne. Rien ne restera après leur départ. Aucune trace de civilisation ... ni arme, ni machine, tout sera détruit. Resteront uniquement les aménagements et améliorations mises en place, a charge pour Tarfou de continuer dans le bon sens. La dune de sable et de brindilles s'élève devant eux. Ils sont là tous les six. Les adieux sont faits. Personne n'a eu l'autorisation de les accompagner. Leur cœur est lourd. Ils emportent des 158


souvenirs émouvants. Buft le colosse fidèle voulait être du voyage. Il fallut lui rappeler ses obligations de capitaine. Certains ont une larme dans le coin des yeux. Ils respirent les dernières bouffées d'air de ce coin de planète, de ce morceau de terre et de temps. Enfin Léon se décide le premier. Il porte naturellement sa combinaison bleue, son casque dans une main et une petite fleur dans l'autre. Il entre dans la fourmilière et s'engage dans le couloir qui conduit au vaisseau. Les autres l'imitent et chacun emporte un dernier signe de vie d'ici. Pietr et Bill s'engagent à leur tour, bientôt suivis par Jim et Jack. Lenormand ferme la marche. Au dernier moment il se retourne, parcours des yeux l'horizon ... 'Que c'est beau' murmure-il ... D'un mouvement brusque il s'arrache et rejoint ses compagnons. Une fois dans la cabine, ils retrouvent des sensations familières. Chacun pense soudain à ce qu'il va retrouver au bout du chemin. Le décollage se fera lentement, le réacteur à masses froides est destiné aux déplacements dans l'espace et peu efficace pour arracher un objet a l'attraction d'une planète. Il a fallut faire avec.... Un engin fera exploser la base ou sont entreposés tout ce qu’ils n’ont pu emporter et qu’ils ne doivent pas laisser derrière eux. Ainsi il ne restera rien de leur passage. C'est la loi qui sera ainsi respecté. (Chacun fait semblant d'ignorer que quelques armes, des livres et autres objets ont disparues dans les derniers jours.) Peu importe, l'avenir des fourmis de cette époque ne dépendra pas d'un pistolet que personne ne saura utiliser dans quelques années. Le vaisseau n'est encore qu'une carcasse d'acier sans vie. Lenormand le sait bien. Il s’installe sur son siège, fixe ses sangles de protections. Les autres sont déjà à leur poste. Bill lève la tête, tend la main et saisit la commande d'ouverture d'énergie... Soudain le vaisseau prend vie. Il vibre légèrement. Une petite touche s'enfonce... La vibration augmente, le vaisseau s'arrache du sol. A ce moment un souffle intense l'entoure. La basse est pulvérisée en poussière et s'élève avec le vaisseau. 159


Pendant plusieurs minutes les capteurs sont brouillés, aucune perception de ce qui se passe à l’extérieur n’est possible. Le vaisseau s'élève de quelques mètres, et part à l'horizontale entouré d'un nuage de sable. Il s’écarte du point d'envol et quand il se libère du halo de poussière, il est déjà à plusieurs kilomètres de la base et des amis. Le moteur prennent de la force. La vitesse augmente.... La planète est déjà semblable à une boule bleue entourée de coton se dessinant dans l’espace. Les paramètres sont en mémoire. La route du retour est aléatoire. Objectif: le cosmos et le temps ...

160


21

Noël approche; Le vétérinaire aperçoit le train entrer en gare. "Enfin, revoilà les enfants." Le convoi ralentie et s’arrête bruyamment. Une portière s'ouvre, une grosse valise tombe sur le quai. — Caroline ! Fait attention, ce sont mes bagages. Anthony se précipite et la ramasse, puis souriant, il attrape la main de sa petite fille et l'aide à descendre Vous avez fait bon voyage ? — Oui! répond Caroline en riant — Non! Lui réponds sa fille, le train était plein et nous n'avons trouvé une place assise qu'à partir d'Orléans. Je suis fourbu. — Un bon bain t’attend à la maison, et pour toi aussi Caroline. Ils sortent de la gare et montent dans la voiture. Le temps est encore beau pour la saison. Il ne fait pas trop froid. Le ciel est dégagé. — Alors grand-père, et les fourmis ? Tu les vois encore ? — Toujours ma chérie. Mais tu sais je n’ai pas le droit d'en parler. C'est top secret! — Secret de Polichinelle, lui dit sa fille. Tu sais papa, personne n'y croit plus a vos fourmis bleues. — Moi j'y crois grand-père, je les ai vus. — Justement je dois y passer ce matin. C’est sur la route et je n’en ai pas pour longtemps. Vous pourrez m'attendre dans la voiture. 161


Apres le village, la voiture quitte la route et s'engage sur le chemin cabossé. Un peu plus loin, il y a un barrage contrôlé par des militaires. Anthony freine et stoppe le moteur. Il descend et s’en va discuter avec un sous-officier. Caroline descend aussi. Elle aime cette région et elle voudrait bien revoir les fourmis bleues. Elle s’écarte de la voiture pour longer la double clôture de fil de fer et de grillages. Les arbres n'ont plus de feuilles, les champs semblent à l'abandon, ils se couvrent de plantes sauvages. Dans cinq jours c’est Noël, les fleurs sont rares. Caroline s'est éloignée un peu. Elle trouve un bouquet de champignons et s’arrête pour les contempler. On entend du bruit au loin. Des hommes s'agitent. L'un d’eux se met à courir vers grand-père en lui faisant des signes. Il crie quelque chose mais Caroline ne l'entend pas. Elle tend l'oreille, les mots qui lui parviennent sont incompréhensibles: « poussière ...brouillard » Caroline n'y comprend rien. C'est grand père qui courre maintenant. Il a l'air très pressé de rejoindre le groupe d'hommes au loin. Les voix sont moins forte maintenant... Les champignons sont violets. Ils y en a deux gros et toute une bardée de petits qui se serrent les uns contre les autres. Et puis il y a le sifflet... Pas fort, discret. Caroline lève les yeux. Il y a un petit, tout petit peu de rosé qui passe devant elle. Elle a l'air légère, si légère qu'un courant d'air pourrait l'éparpiller. Comme un petit nuage de fumée, elle se déplace doucement en montant vers le ciel. Caroline n'a jamais vu une chose pareille. Le ciel est complètement dégagé, pas un souffle d'air. Elle reste un moment à le chercher dans le ciel. Mais il a disparu. Puis elle voit un autre nuage. Il est gros celui-la. Il vient on ne sait d'ou et semble suivre le même chemin que le tout petit. Il est beau ce nuage. Il n'a pas de couleurs ordinaires. Un nuage de fée pense la petite. Caroline prête l'oreille. Il lui semble entendre un murmure lui parvenir de ce nuage. Elle écoute... un murmure, un soupir peutêtre. Mais non. Plus rien. Le nuage s'élève et s’évanouit dans le ciel. 162


Caroline revient vers la voiture en rêvant. Elle a cueilli quelques fleurs qu’elle sert dans sa petite main. Elle aimerait bien partir dans le ciel sur un nuage de toutes les couleurs...

163


22

— Ou en est-on ? Demande Lenormand ? — Nous venons de dépasser Mars, répond Léon, nous sommes parés. J’ai programmé le plongeon à 1253 volumes, c’est l’estimation de ce que nous devons consommer pour revenir sur nos pas. La direction est bonne… enfin, je l’espère. — Nous n’avons guère le choix… Ok, tout le monde est attaché ? Le casque lui renvoie les réponses de ses cinq compagnons. — On y va…

164


23

La lumière crépite. Le souffle coupé, Bill ouvre les yeux sur ses cadrans. Sans cockpit, il n’y a que les appareils qui pourront dire s’il n’y a rien en face… Léon tapote sur le clavier de l’ordinateur. Les autres attendent, anxieux. — Alors s’exclame Pietr ? On est ou ? — Secteur F… C’est bon les enfants, on est en terrain connu. Les hurlements de joie envahissent les écouteurs des casques. Situation bizarre, car aucun d’eux ne peut se détacher, manques de place dans l’habitacle. Aussi, c’est en sautant sur leur siège qu’ils manifestent leur victoire. Très vite, Léon les situe et ils choisissent un itinéraire. Le système Huchot est choisi pour déposer Jack, Jim et Pietr. C’est une planète à l’abandon, peu peuplée, il leur sera facile de joindre des amis pour être récupérés. Léon reprogramme un nouveau plongeon, court celui là, pour s’en approcher. Un quart d’heure plus tard, ils sont en approche. Le vaisseau se pose sans difficulté sur l’astroport d’une ville de province. Pas de police, pas de douane sur ce monde perdu. Les six compagnons descendent du vaisseau. Les pistes sont quasiment dessertes, un vieux rafiot rouille dans un coin, quelques navettes bien esquintées sont parquées devant un hangar. Une musique (la première qu’ils entendent depuis des mois) leur parvient de l’atelier. Ils s’y dirigent. Un mécano, les mains noires 165


de cambouis, répare le moteur d’une vieille guimbarde. A leur arrivée, il se redresse, surpris. — C’est fermé ! Pas de vol avant demain ! Puis, apercevant leurs uniformes, il s’écrit : — Des pilotes de la compagnie ? — Le bar est ouvert ? Lui demande Jack — Ben ça vous tombez mal, il n’ouvre qu’une fois par semaine, quand passe la navette. On ne vous voit pas souvent dans ces parages. — Nous faisons une petite escale technique. On aurait bien bu autre chose que de l’eau… — Y a le distributeur, mais si vous cherchez de l’alcool, vous allez être déçus. — Une limonade fera l’affaire. Lenormand tire de sa poche sa carte de crédit et achète six limonades. — Vous savez ou allez maintenant ? — Jim a une vieille connaissance dans les parages. Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Une dernière accolade, le regard droit dans les yeux… — A bientôt, nous nous reverrons. De retour dans le vaisseau, Léon planifie la nouvelle route. Cette fois, direction le siège de la compagnie. Le plongeon ne durera que 12 minutes. A peine sorti du sub-espace, les écrans crépitent de milles informations. L’espace autour d’eux est chargé d’un important trafic. « Ici le commandant Lenormand, je désire me signaler. Mon vaisseau ne possède pas de signe d’identification, voici ma position… » « Bien reçu commandant, un vigile va vous approcher. Restez sur votre trajectoire en attendant » Le vigile surgit soudain, effectue les teste de sécurité, et constatant l’absence de danger, les prend en charge, ils sont orientés vers un astroport de la compagnie. Le « Lancerb » se pose entre d’autres vaisseaux rutilants. En quelques minute, il 166


devient l’attraction de l’astroport. Tout les regards s’oriente vers ce curieux appareil, rouillé, couturé, sans cockpit ni peinture. Des policiers ceinturent l’appareil. Lenormand s’extirpe le premier. Il ôte son casque et respire à plein poumons le parfum de son univers. Bill et Léon le suivent. Dans la foule, un lieutenant reconnaît Léon. — C’est de Nipas ! On le disait disparu depuis près d’un an… — Vous avez vu leur vaisseau ? C’est une épave…Ils ont du en baver pour revenir dans cet état… Conduit dans les locaux de la sécurité, ils sont identifiés, puis, conduit vers l’infirmerie pour un bilan de santé. Le soir même, Lenormand est allongé sur son lit d’hôpital. Il regarde la télé, les infos pour essayer de se reconnecter avec les réalités du jour. Il a déjà reçu plusieurs coups de fils de la part d’amis du service et de responsables de la compagnie. Il attend l’arrivé du général Couscaye d’un instant à l’autre. La porte s’entrouvre, Bill passe la tête ; — Je peux entrer ? — Viens ! — Tu as vu les infos ? Ca à l’air de barder. Les rebelles ont l’air d’avoir pris le dessus dans pas mal de secteurs. — J’ai vu, j’ai cru comprendre que des divisions entières avaient déserté pour passer en rébellion. Le gouvernement est en difficulté. — Je me demande qu’elle est la position de la compagnie ? — On ne va pas tarder à le savoir. J’entends claquer les talons ferrés du général… — Couscaye ? Il vient ici ? — En personne ! — Alors je me tire, pas envie de le voir celui là. Bill a juste le temps de disparaître. Le général pousse la porte et entre. Son aide de camp reste dehors. — Alors Commandant vous réapparaissez ? — Comme vous voyez mon général. En chair et en os. Le général le regarde de biais, dubitatif. — Vous ne pensez quand même pas me faire avaler une histoire pareille ? Vous disparaissez dans une circonstance plus que 167


douteuse, après nous avoir informé, d’une part que votre vaisseau est presque hors d’état de marche, puis vous signalez une sorte de prise d’otage, et enfin, au moment ou on va vous arraisonner, vous disparaissez mystérieusement. — C’est la vérité ! — Vous n’avez pas une autre histoire de remplacement ? Celle là me parait un peu grosse ! — Et vous ne connaissez pas les détails de la suite, le plongeon dans le temps, la découverte de sauvages qui peuvent être nos ancêtres… Et notre retour sur un vaisseau reconstruit avec des restes de nos navettes et de matériel appartenant a un certain Lancerb… — Ca va, j’ai lu le rapport de police ! Je doute que la commission chargé de votre cas se laisse bercer par ce conte. Voyez-vous, je pense plutôt que vous vous êtes entendu avec les rebelles. Je ne comprends pas les raisons de votre retour, mais je finirai par comprendre. Croyez-moi mon vieux, vous êtes dans de salles draps. A ce moment, l’aide de camp frappe. — Oui ! ordonne le général. — Mon général, je reçois le rapport d’analyse sur… — Donnez ! Le lieutenant tend un feuillet au général. Il l’ouvre, parcours les deux pages, a un rictus d’étonnement, se tourne vers Lenormand, le défigure, revient sur les feuilles et grommelle ; — Bon sang… Ce n’est pas croyable… — Et bien mon général ? Un problème ? demande Lenormand. Le général reste un instant songeur… — Vous avez dont dit la vérité ? — Oui, pourquoi ? — Le vaisseau qui vous ramène a été complètement passé au crible. Et mes gars ont fais des recherche sur ce fameux Lancerb. Ca concorde. Il a bien existé et disparu sans qu’on ne retrouve jamais sa trace. Et les éléments de votre moteur sont bien ceux qu’il utilisait, tout est enregistré dans nos archives. Je suis obligé de vous croire ! — J’en suis ravi, mon général. 168


— Ouais, en tout cas ça ne change pas grand-chose pour votre avenir. — C'est-à-dire ? — Je ne vais pas confier un équipage à un commandant qui bousille son vaisseau et ensuite se le fait piquer par trois rebelles de pacotilles. Ca manque un peu de professionnalisme, vous ne croyez pas ? Lenormand ne répond pas. Il comprend que de toute façon la compagnie n’a pas l’intention de lui faire à nouveau confiance. Il aurait du s’en douter. D’ailleurs, le même régime va s’appliquer aux autres… — Et mes hommes ? Léon et Bill, vous comptez les virer aussi ? Le général a un petit rire cynique. — Le vieux fou a dépassé l’age de la retraite, quand au jeune cinglé, il est juste capable conduire une fusée dans un manège pour gosse de six ans. Vous n’aurez qu’a allez ensemble à la pêche, ça occupera votre retraite. Ceci dit, sans plus de formule de politesse, il claque des talons et sort. Ses pas bruyants se perdent dans le couloir. Bill apparaît presque aussitôt. — Alors ? Tu as droit à une promotion ? Lenormand s’allonge sur le lit, les mains derrière la tête. — Nous sommes virés, tous les trois. Il nous considère comme des incapables. — Forcément, il ne croit pas notre histoire… — Si, bien obligé, l’enquête le prouve. Il nous trouve ringards. — Ho l’enfoiré, après tout ce que nous venons de subir pour revenir… On frappe, la porte s’ouvre, c’est Léon. — Commandant, il y a un planton qui vous cherche. Il s’écarte pour le laisser entrer. C’est un jeune soldat encore sans grade. Il transporte une lettre cachetée. — Je dois vous la remettre en main propre mon comandant. — Donnez, merci. Le jeune soldat salut et sort. — Tu arrive bien Léon, je viens de recevoir le général Couscaye. Il a du mal a digérer notre petit voyage, en trois mots, nous sommes virés. 169


— Je m’y attendais, ce crétin n’a rien dans la caboche que la discipline. C’est pas avec de tels chef que notre armé pourra mater les rebelles. Lenormand déchire l’enveloppe. C’est un papier officiel du quartier général. Le commandant et son équipage sont convoqués le lendemain matin au QG pour s’expliquer devant une commission. Ils devront se présenter en uniforme. Les papiers d’une navette sont également dans l’enveloppe. — Et bien, ils ne perdent pas de temps. Demain matin. Bill et Léon lisent la convocation. — Mazette, s’écrit Bill, un Subsong, je n’en ai jamais piloté, elles sortaient juste quand nous sommes parti pour notre dernière mission. — Et bien, au moins un qui sera content. Allez, bonne nuit et à demain, moi j’ai besoin de dormir. — Dis-moi, demande Léon, tu penses que nos cartes d’identification sont encore valides ? — Oui, au moins jusqu’à ce qu’on passe en commission. Pourquoi ? — Juste un petit travail à faire sur l’ordinateur, je voudrais lire mon courrier et contrôler quelques petits points sur le fichier central. — Essaie, tu verras bien Le lendemain matin, vêtus d’un uniforme neuf, ils se dirigent vers le Subsong. C’est un vaisseau de petite taille sensé être polyvalent. Un vigile vérifie les papiers et les laisse prendre possession de l’appareil. Bill s’installe au poste de pilotage. Il remarque facilement les nouveautés et apprécie l’esthétique des commandes. Lenormand s’installe a ses cotés. Il est soucieux. Léon, décontracté, prend possession du poste de navigation. Il apporte avec lui un ordinateur portable qu’il connecte au vaisseau. — Léon, tu connais l’adresse ? — Laquelle ? — Ben celle du QG, elle n’a pas changée. 170


—Tu veux dire là ou la commission nous attend pour nous flinguer ? Nous expliquer qu’on est des vieux chnoques juste bon pour la retraite sans prime de départ parce qu’on a cassé un vaisseau ? Lenormand et Bill se dévisagent, interloqués. — Qu’est ce tu as ? T’as mangé du scorpion ? — Franchement, j’ai passé l’age de me faire mettre au piquet, surtout par des planqués qui n’ont jamais traversé la galaxie. — Mais à quoi tu penses ? — Tu vois, cette nuit j’ai bossé, j’ai chargé dans mon ordinateur, toutes les données confidentielles que je pouvais trouver sur nos serveurs. Avec ça, notre ami Jack et les rebelles vont marquer des points dans ce conflit. — Tu veux dire… tu as l’intention… Léon hausse les épaules, sort un papier qu’il tend à Bill. — Tiens mon garçon, voici la route à suivre ne pas prendre notre retraite. Lenormand l’intercepte, le parcours des yeux. — Tu nous fais plonger ? Pour aller ou ? — Rejoindre Jack s’écrit Bill, Léon à raison, à nous l’action, la liberté… Lenormand marque un moment d’hésitation. Lui, la retraite ne l’inquiète pas, quelques semaines à se la couler douce, pour recharger les batteries… Pour quoi faire après ? « Ouais, je vais sacrément tourner en rond » Il passe le papier à Bill. — Aller, au point ou nous en sommes, va pour une nouvelle connerie. Bill saisit le morceau de papier, frappe son clavier, lance les réacteurs et décolle lentement. Le vaisseau s’élève au dessus de la piste frôle le « Lancerb » et soudain, comme dans une sorte d’explosion de puissance, il disparaît dans l’espace.

171


Epilogue

Il m'a fallu de la patience. Je me suis pris au jeu et j'ai observé leurs réactions. Finalement elles se sont bien débrouillées. Bien sur j'ai de temps en temps donné un petit coup de pouce. Il fallait bien les aider. Mais je suis fier de ces petites bêtes. Et bien voila, tout est bien qui fini bien. Cette fois j'ai tout prévu. Le vaisseau des fourmis est protégé. Je tiens à ce qu'il rentre à bon port. Je m’occupe personnellement de leur trajet. Les hommes eux n'y ont rien compris. Ca n’est pas la première fois et ça me réserve d'alléchantes lectures.... Il me reste à rapatrier Pierre, Christophe, Fêtnat et Jeanne à la maison. Ils boudent car ils voulaient passer les fêtes de Noël sur Terre. Et puis quoi encore ? Mais avant de reprendre les affaires courantes, je vais accompagner ces petites bêtes jusqu'à destination, sur Bépadno. Depuis ces lustres que je n’y ai pas traîné mes sandales, les choses ont évoluées, la preuve ces fourmis qui voyagent dans l’espace. Ha ! Voir enfin un monde pacifique, sans guerre, sans problème de racisme, de religion… Je n’ai pas tout raté finalement Et le principal n’est-il pas que j’ai le dernier mot, non ?

- FIN 172


173


Commencé vers 1977, revue, modifié, complété, oublié au fil des ans. Enfin terminé à Villeparisis le 13 septembre 2006

174


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.