Secrets dévoilés 2 - Celui qui ne voulait pas être duc, de Liz Carlyle

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Du même auteur aux Éditions J’ai lu L’ANGE NOCTURNE N° 8048

Secrets dévoilés : 1 - LE BEAU TÉNÉBREUX N° 8988

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LIZ

CARLYLE SECRETS DÉVOILÉS - 2

Celui qui ne voulait pas être duc ROMAN Traduit de l’américain par Catherine Berthet

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Titre original NEVER DECEIVE A DUKE Éditeur original Pocket Books, a division of Simon & Schuster, Inc., New York © Susan Woodhouse, 2007 Pour la traduction française © Éditions J’ai lu, 2009

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Prologue

L’étrange saga de la famille Ventnor commença avec l’histoire d’un traître, et se poursuivit pendant plus d’un siècle, au hasard d’événements divers. Les Ventnor étaient des nobles, si arrogants et si fiers de leur sang normand qu’ils se mariaient rarement en dehors de leur propre famille. Mathilde Ventnor ne fit pas exception. À l’âge de quinze ans, elle épousa son cousin, le troisième duc de Warneham, et lui donna des enfants à un rythme si prodigieux que les Ventnor eux-mêmes en furent impressionnés. Tout se gâta lors d’une froide journée de novembre 1688, quand le duc, qui avait été jusque-là un farouche loyaliste, décida de trahir son roi et son pays. Une révolte sanglante s’annonçait, et le roi était sur le point d’être écrasé par les protestants. Les Ventnor n’étaient pas catholiques. Ils étaient avant tout opportunistes. Voyant la tournure que prenaient les événements, le duc fit donc demi-tour au nord de Salisbury et rejoignit le parti adverse. C’est-à-dire le parti gagnant. Warneham avait beaucoup à perdre. Son duché était l’un des plus grands d’Angleterre. Malheureusement, en dépit de sa remarquable fertilité, Mathilde ne lui avait donné que des filles. Il en avait six, toutes plus jolies les unes que les autres, mais parfaitement inutiles. Warneham avait besoin d’un héritier mâle, et d’une victoire, pour assurer la possession de ses terres. Sûr de lui, et de sa décision, il prit la tête du groupe de renégats, monta sur une butte couverte de feuilles

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mortes et aperçut avec soulagement la bannière protestante de Guillaume d’Orange claquant sous la brise. Les nobles partisans de Guillaume appelèrent Warneham et lui firent signe de les rejoindre. Le duc fut si satisfait de cet accueil qu’il ne vit pas le terrier qu’un renard avait creusé au pied de la colline verdoyante. Il lança son cheval au galop. L’animal trébucha dans le trou, désarçonnant son cavalier. Le duc tomba tête la première et se rompit le cou. La monarchie catholique ne vécut pas beaucoup plus longtemps que Warneham. Guillaume d’Orange remporta sans mal la victoire, James s’enfuit en France, et neuf mois plus tard jour pour jour, Mathilde mit au monde des jumeaux. Deux beaux garçons. L’aîné, un chérubin rose et rond, était le portrait de sa mère, alors que le cadet, un enfant maigre aux membres allongés, était doté d’une masse de boucles blondes. Aucun des deux n’offrait la moindre ressemblance avec le père défunt. Mais cette naissance était un miracle. Un cadeau du Ciel. Le roi Guillaume et la reine Mary ordonnèrent que les enfants soient présentés à la cour, et le roi luimême déclara qu’ils étaient le portrait du duc disparu. Personne n’osa le contredire, car… car ceci est une histoire d’amour. Et que serait l’amour sans une touche de tragédie par-ci, une pincée de tromperie par-là ? Le roi accorda à l’aîné de Warneham le titre de duc, qui avait appartenu à son père. Quant au plus jeune, Guillaume lui promit, à lui et à tous ses héritiers mâles, le commandement d’un régiment en hommage au courage de son père. Ainsi, comme le rapporte la légende, le destin des deux branches de la famille se trouva divisé à jamais. Le garçon qui se tenait à présent au centre de la vaste bibliothèque de Warneham n’était que trop conscient de cette légende. Deux cents ans s’étaient écoulés, et le fossé entre les deux branches s’était 8

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creusé jusqu’à devenir un gouffre insondable. Et maintenant, il était sur le point de vomir. Juste sur les chaussures de la duchesse. — Redresse-toi, mon garçon. Les talons de la duchesse claquèrent sur le sol de marbre, tandis qu’elle tournait autour de lui comme si elle examinait une statue. Il déglutit, et la bile lui brûla la gorge. Jugeant sans doute qu’il n’avait pas assez souffert pendant cet horrible voyage dans un chariot de ferme, la duchesse lui assena un vif coup de poing dans l’estomac. La douleur lui fit écarquiller les yeux, mais il ne broncha pas. — Il semble robuste, déclara-t-elle avec un regard en coin à son époux. Son attitude est humble, et grâce au Ciel il n’a pas le teint bistre. — Non, admit le duc d’un ton revêche. C’est bien un Ventnor, avec ses jambes maigres et ses cheveux dorés. La duchesse tourna le dos à la vieille femme qui leur avait amené le garçon. — Nous n’avons pas le choix, Warneham, murmurat-elle. Il faut se comporter en bons chrétiens. Je vous demande pardon, naturellement, madame Gottfried, lança-t-elle négligemment par-dessus son épaule. Mais la vieille femme ne quittait pas le duc des yeux. Son visage aux traits harmonieux était déformé par le doute et la contrariété. — En chrétiens ! répéta-t-il. Pourquoi faut-il toujours se comporter en chrétien quand il y a une décision à prendre ? La duchesse croisa posément les mains. — Je comprends ce que vous voulez dire, Warneham. Mais cet enfant est de votre sang. Du moins un tout petit peu. Le duc sembla prendre ombrage de cette remarque. — À peine ! rétorqua-t-il avec brusquerie. Et il ne peut demeurer ici, Livie. Il n’est pas question que Cyril côtoie quelqu’un de son espèce. Que diraient les gens ? 9


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La duchesse s’approcha en hâte de son époux pour l’apaiser. — Non, non, bien sûr que non, mon cher. Cela ne serait pas du tout convenable. Mme Gottfried se leva alors péniblement et fit une révérence. — Monsieur le duc, ayez pitié de lui, dit-elle. Le père de ce garçon est mort en héros à Roliça, au service de son roi. Gabriel est désormais seul au monde. — Vraiment ? répliqua vivement la duchesse, avec un regard condescendant. N’avez-vous pas d’autre famille en Angleterre, madame Gottfried ? La vieille femme s’inclina avec humilité. — Aucun lien de sang, Votre Grâce, murmurat-elle en s’apprêtant à abattre sa seule carte maîtresse. Mais mon peuple se chargera d’élever Gabriel comme s’il était des nôtres… si c’est ce que vous souhaitez. — Par Dieu, non ! s’écria Warneham. Il se leva d’un bond et se mit à arpenter la pièce. C’était un homme élégant, encore jeune et vigoureux, à la démarche arrogante. — Maudit soit Ventnor pour nous avoir mis dans une position aussi intenable, Livie ! Lorsqu’un homme fait un mariage aussi peu convenable, il n’a pas le droit d’aller se faire tuer à l’étranger, que ce soit pour son roi ou non ! — Vous avez raison, mon cher, admit la duchesse. Mais il est trop tard pour les remontrances. Ventnor est mort, et il faut caser cet enfant quelque part. — Il ne peut pas rester à Selsdon, insista le duc. Nous devons penser à Cyril. Que diraient les gens ? — Que vous êtes un bon chrétien? suggéra sa femme avec douceur. Elle marqua une pause et frappa tout à coup dans ses mains, d’une façon un peu puérile. — Warneham, j’ai une idée ! Il peut aller vivre dans la maison douairière. Mme Gottfried s’occupera de lui. Et nous demanderons à ce drôle de petit vicaire… oh, comment s’appelle-t-il, déjà ? — Needles, grommela le duc. 10

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— Oui, oui, Needles. Il pourra éduquer l’enfant, dit-elle en ramenant son époux vers le fauteuil. Ce ne sera pas si terrible, mon cher. Et cela ne durera qu’un temps. Dans une dizaine d’années, il sera en âge d’entrer dans l’armée, comme son père et son grand-père. — La maison douairière ? marmonna le duc, pensif. Le toit laisse passer l’eau, et les parquets sont pourris. Mais nous pourrions les faire réparer, je suppose. Le garçon se tenait aussi rigide et silencieux que possible, s’efforçant d’imiter l’attitude d’un soldat. Comme son père. Il savait que le duc et la duchesse représentaient son seul espoir. S’il ne l’avait pas su, il l’aurait compris en voyant les pleurs de sa grand-mère, ce matin, lorsqu’ils avaient quitté la misérable auberge du bord de la route où ils avaient passé la nuit. Il ravala sa fierté de petit garçon de neuf ans et rejeta les épaules en arrière. — Puis-je parler, monsieur ? s’enquit-il d’une voix fluette. Le duc se tourna vers lui et un silence de mort s’abattit dans la bibliothèque. Pour la première fois depuis le début de l’entrevue, le duc le dévisagea. — Oui, dit-il finalement avec agacement. Parle, mon garçon. — Je… je souhaite devenir soldat, monsieur le duc. Je veux combattre Napoléon, comme papa. En attendant… je promets de ne vous causer aucun souci, monsieur. — Aucun souci, hein? releva le duc d’un ton sec. Ça m’étonnerait. — Aucun souci, monsieur. Je vous le promets. Il ne pouvait pas savoir… aucun d’entre eux ne pouvait savoir que c’était un terrible mensonge.


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Le soleil brûlant chauffait l’herbe odorante de Finsbury Circus. Gabriel jouait avec ses animaux en bois, les alignant à la queue leu leu sur la couverture. Papa se pencha et attrapa l’un d’eux. — Gabe, comment s’appelle celui-ci ? — Frederick, dit l’enfant. Son père se mit à rire. — Quel genre d’animal est-ce donc ? — Un éléphant. Vous me l’avez ramené des Indes. — Oui, c’est vrai, approuva papa. La mère de Gabriel fit entendre un rire cristallin. — Gabriel connaît le nom de tous les animaux depuis qu’il a trois ans, Charles. Vous n’avez plus grand-chose à lui apprendre. Papa se renversa en soupirant contre le dossier du banc. — J’ai manqué tellement de choses, Ruth, dit-il en prenant la main de son épouse. Et je crains d’en manquer encore beaucoup. Le visage de maman s’attrista. — Oh, Charles, je ne voulais pas dire… Secouée par une violente quinte de toux, elle tira brusquement un mouchoir de sa poche et le plaqua devant sa bouche. — Je vous demande pardon. Cette toux est affreuse. Papa fronça les sourcils. — Il faudra vous faire soigner dès que je serai parti, mon amour. Gabriel, tu rappelleras cela à ta mère. Elle doit voir le Dr Cohen sans tarder. Dès demain. 13


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— Oui, monsieur. Gabriel prit un des singes par la queue et le tendit à son père. — C’est pour moi ? demanda son papa. — Il s’appelle Henry. Il vous tiendra compagnie pendant votre voyage. Papa glissa le singe dans la poche de sa veste d’uniforme et ébouriffa les cheveux de Gabriel. — Merci, Gabe. Tu vas me manquer terriblement. Tu seras bien ici, avec maman, Zayde et Bubbe ? Gabriel hocha la tête, et sa mère posa la main sur le genou de papa. — Il vaut mieux continuer ainsi pour l’instant, Charles, dit-elle doucement. Cela vous ennuie beaucoup ? Papa lui saisit la main. — Tout ce que je souhaite, mon amour, c’est que vous soyez heureuse. Les bureaux de la Neville Shipping, à Wapping, étaient aussi débordants d’activité qu’une ruche. Des employés couraient en tous sens dans les escaliers avec des contrats de dernière minute, des factures de cargaisons, des polices d’assurances, et parfois une tasse de thé. La chaleur lourde du mois d’août ne faisait rien pour apaiser cette agitation. Toutes les fenêtres étaient ouvertes, mais la brise matinale était si légère qu’elle ne servait qu’à transporter la puanteur de la Tamise. Penchée sur son bureau, Mlle Xanthia Neville était à peine consciente de l’odeur d’égouts qui flottait autour d’elle. Elle n’entendait pas non plus le bruit des chariots sur les pavés, ni les hommes qui s’interpellaient sur les péniches. En moins d’un an, elle s’était habituée à tous les désagréments de Wapping. Mais ces maudits comptes… c’était une autre histoire! Exaspérée, elle jeta son crayon et repoussa ses cheveux en arrière. — Gareth ? 14

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Elle jeta un coup d’œil à un employé qui passait et demanda : — Siddons, où est Gareth Lloyd ? Je veux le voir tout de suite. Avec un bref signe de tête, Siddons se précipita dans l’escalier. Quelques secondes plus tard, Gareth apparut, et son imposante silhouette sembla emplir le bureau sombre qu’il partageait avec Xanthia. L’espace d’un instant, il la dévisagea. — La précipitation ne donne rien de bon, ma chère, dit-il en s’appuyant au chambranle avec nonchalance. Tes comptes ne tombent pas juste ? — Ils en sont loin, reconnut-elle. Je ne retrouve plus les rapports de voyage d’Eastley. Il s’approcha lentement du bureau, et sortit les papiers qu’elle cherchait de sous une pile de feuilles. Xanthia s’affaissa dans son fauteuil et leva les yeux au ciel. — Tu te sens nerveuse ? demanda-t-il au bout d’un instant. C’est compréhensible, Zee. Demain, à cette heure-ci, tu seras une femme mariée. Xanthia ferma les yeux et posa une main sur son ventre, dans un geste infiniment féminin et protecteur. — Je suis morte de peur, avoua-t-elle. Ce n’est pas le mariage qui m’effraie. J’aime Stefan… désespérément. C’est… c’est la cérémonie que je redoute. Les gens. Son frère connaît tout le monde. Et il les a tous invités. Mais je n’ose plus reculer… Gareth s’appuya au dossier du fauteuil, en prenant garde de ne pas l’effleurer. Il s’était juré qu’il ne la toucherait plus. — Tu savais que ça finirait comme ça, Zee, dit-il doucement. Et ce n’est pas le pire. Quand tu seras lady Nash, et que les gens découvriront que tu as l’audace de travailler pour gagner ta vie, ils diront… — Je ne travaille pas pour gagner ma vie ! protestat-elle. Je possède une compagnie de navigation. Ou plus exactement, nous en sommes tous propriétaires, ma famille et toi. J’aide simplement à… à surveiller sa bonne marche. 15


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— C’est ce qui s’appelle couper les cheveux en quatre, ma chérie. Mais j’espère que tu réussiras à imposer ton point de vue. Elle le regarda, et ses traits se crispèrent un peu. — Oh, Gareth… dis-moi que tout ira bien. Il savait qu’elle ne faisait pas allusion à son mariage, mais à leur affaire. La compagnie était comme un enfant pour elle. — Tout ira bien, Zee. Tu ne partiras pas en voyage de noces avant une semaine. D’ici là, tout sera en ordre. Nous engagerons quelqu’un, s’il le faut. Et je serai là tous les jours, jusqu’à ton retour. Elle eut un pâle sourire. — Merci. Oh, merci, Gareth. Je ne serai pas partie trop longtemps. À cet instant, brisant la promesse qu’il s’était faite à lui-même, il lui prit le menton. — Ne t’inquiète pas, Zee, murmura-t-il. Jure-moi de ne pas t’inquiéter. Pense à la nouvelle vie qui t’attend. Pendant un instant, le visage de la jeune femme s’illumina de bonheur. — Tu seras là demain ? À l’église ? Il détourna le regard. — Je ne sais pas. — Gareth ! s’exclama-t-elle d’une voix rauque. J’ai besoin de ta présence. Tu es mon… mon ami le plus proche. Je t’en prie… Gareth n’eut pas le temps de répondre. On frappa timidement à la porte, et il se retourna. Un homme âgé, aux cheveux argentés, se tenait sur le seuil avec leur chef comptable, M. Bakely. Celui-ci, l’air terriblement mal à l’aise, semblait vouloir se fondre dans l’ombre du visiteur. — Que puis-je pour vous ? demanda Xanthia avec un peu d’agacement. Bakely était censé retenir les visiteurs en bas, dans la salle des comptables, et les empêcher d’accéder aux bureaux des directeurs. L’homme entra dans la pièce, et un rayon de soleil éclaira son costume simple mais de bonne facture. 16

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