Singulière aventure de vélo d’hiver
Au nord, en toile de fond, les remparts givrés des monts Valin. À l’est, les silhouettes souveraines du mont Félix-Antoine-Savard et de l’Acropole des Draveurs. La rivière Malbaie s’écoulant au fond de l’abîme qui les sépare est presque palpable. Folle épopée avec l’aide… de motoneigistes.
De bonne heure sur la route 381 par un beau matin d’hiver, en franchissant le point culminant (896 m) de cette route enchanteresse qui relie Saint-Urbain à l’arrondissement La Baie de Saguenay, le tableau de bord de la camionnette qui nous emmène à destination affiche une température extérieure de -29 °C.
Mon acolyte Antoine Dufour-Simard et moi échangeons des sourires approbateurs et nous frottons les mains de satisfaction. C’est que nous sommes en route vers la pourvoirie du lac Moreau, aux confins septentrionaux de l’arrière-pays charlevoisien, d’où nous nous lancerons en fatbike, alias vélo à pneus surdimensionnés (VPS), jusqu’à Notre-Dame-des-Monts.
Ce circuit de quelque 70 km oscillant sur un dénivelé de 1800 m, nous comptons le réaliser en deux jours. La vague de froid qui sévit depuis des semaines a envoyé à la hausse l’indice de « portaison » – en référence à la capacité de rouler sur la neige en vélo d’hiver. Jumelé à la contribution mécanique et désintéressée de nos amis motoneigistes, un tel indice rend possible cette singulière aventure de vélo d’hiver « haute route » en Charlevoix.
« Haute route » ? Cette expression, accolée surtout au ski de randonnée dans les Alpes, se justifie ici par notre parcours entre monts et vaux du massif du lac Jacques-Cartier, partie la plus relevée des Laurentides méridionales, et par notre itinéraire de « refuge en refuge », car nous
adresses utiles
› pourvoirie du Lac moreau auberge du ravage lacmoreau.com
› La traversée de charlevoix traverseedecharlevoix.qc.ca
› Zec des martres zecdesmartres.reseauzec.com
› association Loisirs, chasse & pêche du territoire libre – secteur pied-des-monts association-pieddesmonts.com
› resto-bar Le Grenier (notre-dame-des-monts)
418 439-4227
partons de l’auberge du Ravage, palais sylvestre de la pourvoirie du lac Moreau, pour nous arrêter en chemin au chalet La Marmotte, de la célèbre Traversée de Charlevoix. Il serait envisageable d’ajouter une étape à cette équipée en poussant, par exemple, vers la Vallée des Glaces (parc national des Hautes-Gorges-de-la-RivièreMalbaie), toujours en roulant sur des sentiers de motoneige non fédérés et peu fréquentés.
Antoine et moi sommes donc largués sur le chemin de l’auberge du Ravage. Sitôt franchi le pont qui enjambe le cours supérieur de la rivière Malbaie, spot bien connu des kayakistes d’eau vive, nous entreprenons une ascension de quelques bornes avant de nous engager sur une piste de motoneige qui domine la chaussée de près de 2 m de neige bien compactée.
Notre destination du jour, le chalet La Marmotte, se trouve à 40 km, 1000 m de grimpe et 1140 m de descente plus au sud : de la rivière Malbaie à la rivière du Gouffre, dans le giron du cratère d’impact météoritique charlevoisien, via le col du lac des Martres, un passage à 953 m qui constitue un spectaculaire belvédère naturel.
En théorie, ce trajet est seulement accessible en motoneige. Il est peu fréquenté et dépourvu d’abris et de refuges. Il représente une étape périlleuse... si le fameux indice de « portaison » pér iclite. Il faudrait alors nous débrouiller par nous-mêmes et poursuivre à pied… Apporter des raquettes ? Bah, nous optons pour le minimalisme : bouffe, fringues, de quoi nous réchauffer et nous éclairer ainsi qu’une bonne dose de témérité…
Le sentier nous installe d’abord dans une vallée capitonnée puis conduit jusqu’au lac de la
Loutre, source de la rivière des Martres. Tissé de réglettes surgelées qu’ont moulées les chenilles des ski-doos, le tapis blanc crépite au passage de nos montures à la pneumatique décomplexée. Quelques centaines de mètres plus loin, nous amorçons l’ascension du col du lac des Martres. Nous gravissons au-delà de 500 m en moins de 9 km. Même s’il faut marcher à quelques endroits où la pente est extrêmement abrupte, la surface enneigée rend plus roulant ce qui en été est une piste de quad minée de cailloux et de bourbiers. La température grimpe rapidement sous l’anorak !
Au beau milieu de la montée, un convoi de trois motoneigistes nous rattrape. Étonné de croiser des cyclistes dans ces montagnes couvertes de flocons, le trio stoppe pour s’enquérir de notre plan. « Vous avez du courage. C’est encore loin, Notre-Dame-des-Monts. Ça porte, avec ces pneus ballounes ? À vélo, l’hiver... incroyable ! Chapeau ! » Les hommes arrivaient du Ravage et rentraient au bercail, à Clermont. Nous examinons leurs engins et sommes rassurés de constater qu’aucun bolide n’est équipé de ces chenilles au profil mordant de type horspiste qui ne manqueraient pas de labourer le sentier en profondeur et de compromettre notre plan. Notre-Dame-des-Monts aurait semblé encore plus loin !
Le sentier s’agrippe aux flancs d’une arête qui surplombe le ruisseau des Érables, cours d’eau qui effectue un plongeon vertigineux, en cinq sauts, vers la rivière des Martres pour former la chute homonyme. Nous intégrons ainsi le territoire de la zec des Martres par la porte d’en arrière. Moulinant d’étage en étage sur cette piste ascendante, nous découvrons des panoramas
en bref
70 km de vélo hivernal « haute route » dans l’arrière-pays de charlevoix.
ATTRAIT MAJEUR
Les panoramas laurentiens emblématiques et le défi de planification.
COUP DE CŒUR
Le passage au col du lac des martres et la descente de 15 km qui s’ensuit vers la cuvette de l’astroblème charlevoisien.
uniques et mémorables : au nord, en toile de fond, on aperçoit les remparts givrés des monts Valin, et à l’est, les silhouettes souveraines du mont Félix-Antoine-Savard et de l’Acropole des Draveurs. La rivière Malbaie s’écoulant au fond de l’abîme qui les sépare est presque palpable.
Un des étages panoramiques est propice à casser la croûte : un thermos de soupe miso accompagne à merveille nos craquelins au saumon fumé et sait nous remonter le « canayen » ! Parvenus au sommet du col du lac des Martres, nous assistons à un autre spectacle naturel marquant : ce lac a une forme étoilée et est bordé de monts escarpés ! S’ensuit une récompense d’un genre différent mais des plus grisantes : 15 km de descente !
Le passage des motoneigistes de Clermont a ramolli un brin le parcours et affecté la « portaison », cependant la gravité est désormais une alliée et donne lieu à une meilleure vélocité et à des dérapages contrôlés. Au terme du premier segment de cette dégringolade, de loin le plus sinueux entre le sommet du col et les lèvres du cratère d’impact météoritique, les traces fraîches de chenilles obliquent vers les lacs des Érables, Cobra et du Foulon, empruntant un raccourci vers la vallée de la rivière Malbaie et Clermont.
Nous continuons droit devant sur une piste intacte qui a gagné en fermeté. Ça tombe bien, car le soleil frôle l’horizon et la descente est loin d’être terminée. Nous basculons dans le cratère en dévalant le long d’une brèche d’où coule la source de la rivière du Gouffre. Dévastée par un incendie de forêt dans les années 1990, cette contrée se révèle insolite. Y évoluer à vélo, l’hiver,
dans la lumière crépusculaire d’une fin de journée de janvier déroute et envoûte.
Au pied de la face nord du mont des Morios et dans le fond de la cuvette, sous les 400 m d’altitude et sur le chemin du Pied-des-Monts, nous sortons de la zec et pénétrons dans le domaine de l’Association Loisirs, Chasse & Pêche du territoire libre, zone tampon entre nature et civilisation. Les lampes frontales sont de mise, toutefois nous ne sommes qu’à quelques kilomètres du chalet La Marmotte. Ouf ! Mission accomplie, pari remporté ! Quelques attisées, et il fait bon dans notre chaumière.
Le lendemain, la trentaine de bornes jusqu’à Notre-Dame-des-Monts, en une succession de sentiers plus fréquentés à proximité de lieux habités, ne nous semblera qu’une formalité. Du chalet de la Traversée, nous effectuons un retour de 3 km vers le chemin du Pied-desMonts puis filons vers le lac Nice, où nous bifurquons sur une piste qui conduit au rang Sainte-Christine.
Nous gagnerions le cœur du village vite fait si nous décidions de poursuivre sur cette route en direction du rang des Lacs et de la rue Principale, mais nous optons plutôt pour faire durer le plaisir et demeurer sur les artères du réseau de sentiers informels jusqu’au resto-bar Le Grenier. L’établissement convivial, voire folklorique, agit comme relais sur le Sentier Trans-Québec 3. C’est aussi le repaire et quartier général des motoneigistes de la région, nos amis sur skis et chenilles qui tracent pour notre plus grand bonheur ces circuits de vélo hivernal « haute route ». Antoine et moi entrons nous réchauffer, célébrer et les remercier ! GPA