L'oeil sauvage PoĂŠsie / MolĂŠcules libres
Jasmin Farand
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Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence… (R. Char) Le temps vu à travers l'image est un temps perdu de vue. L'être et le temps sont bien différents. L'image scintille éternelle, quand elle a dépassé l'être et le temps. (R. Char) Mon amour, peu importe que je sois né : tu deviens visible à la place où je disparais. (R. Char)
Première partie
L'oeil sauvage J'ai l'oeil du loup, j'ai l'oeil sauvage j'ai l'oeil qui cherche des tremblements d'ombres dans la fente des forêts L'air humide charge l'espace de souvenances les femmes-oiseaux ont quitté leurs branches sont allés jouer dans la frange du jour À vue d'oeil des libellules font leur danse des cercles fous, des signes d'avance toutes sortes de voltiges en forme de coeur Dans l'attente silencieuse du mouvement brusque, de l'élan vital la nature retient son souffle, absente J'ai l'oeil qui brille, j'ai l'oeil sauvage qui capte le moment lent des tournures du vent quand tout près fait frémir le chant des oréades
L'arbre à plumes Au milieu d'un bois chantant j'ai vu dans le désir du jour un arbre à plumes ses branches qui s'ouvrent sur le ciel en extase mille oiseaux qui poussent comme des fruits avant que s'ouvrent leurs ailes
Lune fugitive La lune se retire à pas de loup du lac dont elle était captive suit le moment silencieux où l'air devient plus frais sur la joue la durée d'un frisson qui parcourt la forêt jusqu'à l'antre du jour L'offrande luit un dernier instant dans la planque des rêves et des douleurs prise dans l'ostensoir des poésies fait chaque nuit le tour du monde pour que cessent la tourmente des eaux et l'avancée des déserts les guerres d'Afrique et la fracture des bombes. La lune est le chant du loup qu'on entend jusque dans la mémoire des villes, quand l'oeil se ferme pour inventer l'amour.
L'eau douce Entre les pierres et la terre un jaillissement téméraire surgit de nulle part une pensée limpide l'eau douce suit le tracé d'un tapis sauvage jusqu'à la bouche du crépuscule avant de prendre le goût du silence
Le marais Dans la pousse des ombres les chemins d'air font des géométries secrètes des terrains vagues entourent un marais bordé de mauvaises herbes tout grenouille dans le reposoir des mouches et des couleuvres Puis une bulle sort de l'eau un rêve en éveil prend l'air avant d'éclater plus loin dans le paysage indifférencié des mouvances intérieures Sur leurs îles flottantes les fées clignent des yeux font des signes étranges dans le miroir de l'âme avant d'éteindre leur joie dans les caches dormantes.
Les affinités électives Sous l'onde transparente d'un ruisseau apparaît un sentier lumineux un jeu de perles de verre au gré de reflets changeants Les courants font hasard et nécessité dans le miroir des solitudes.
Le chemin de la marmite Il n'y a pas lieu où se perdre qui soit plus proche de l'étrange que celui qu'on trouve au bout du chemin de la marmite Là, dans la clairière mi-lumière les errances sont passages les pas perdus laissent des traces de rêves et des cendres autour du foyer les seuls ont passé la nuit à regarder les étoiles Derrière un rideau vert les sorciers font équations entre la vie et la mort donnent au miel et à la cigüe le même goût quand ils les mêlent au sang Au bout du chemin de la marmite le territoire du désir est une invention de sens inverses de calculs imprévisibles entre cristal et fumée pour rompre les mauvais sorts.
Désert humain Rien à perte de vue la ligne droite des yeux se défait de vagues déplacements d'air contournent les obstacles de la pensée les illusions du temps qui arrête et qui reprend qui fait la soif et la faim Il y a un désert humain qui grandit dans la mémoire des seuls une vaste étendue de sécheresse des voix qu'on n'entend plus des visages qui disparaissent l'eau manque à la bouche pour dire les voyances et les rappels incessants du vent quand tout devient poussières Dans les abris nuptiaux les papillons font des carrousels dans le creux des soupirs Tout ce qu'on peut voir dans le noir tout ce qui subsiste d'un souffle qu'on retient Jusqu'au bruit plus profond, sans limites des grains de sable qui érodent un jardin de pierres ramassées au gré des humeurs et des pas voyageurs.
Le temps proche Proche, le temps est proche de ma main et pourtant impalpable l'air circule tout autour charge les clairs et les obscurs d'un peu plus qu'ils ne sont Comme si un souffle venait de l'intérieur laissait passer un secret à qui mieux mieux l'aurait à la bouche pour dire ce qui paraît. Le temps proche, comme les secondes qui viennent juste après l'éclat d'un rêve Quand l'œil s'ouvre pour suivre le vol des libellules.
Luminescence Dans la rosée exaltent des parfums d'aurore les fleurs sauvages s'ouvrent d'en-dedans laissent aller de leurs essences Au bout de la nuit une flamme oscille cette chose qui est, qui veut être mais qui n'est pas encore le moment magique, l'apparition d'un visage l'arbre qui fait ses fruits, la forêt qui respire La lumière naît dans un dernier soupir entre les branches d'un grand saule qui puise dans l'eau le sel de la vie La beauté du monde tient dans cet instant luminescence qui unit la matière et l'esprit.
Sédiments La rivière a fait son lit dans une plaine chargée d'histoires anciennes les pierres et les boues parlent d'elles mêmes des climats et des blessures ont laissé des marques au sol des restes suspendus au courant à travers champs L'âge du métal brillant a charrié ses horreurs dans l'onde des pubs et des poisons qui dévastent le territoire du rêve l'eau a des couleurs toxiques, le goût amer des rejets jusqu'aux odeurs d'asphalte qu'on devine pas très loin En surface des molécules de rêves font une danse étrange on dirait mille éclats de lunes des poussières de diamant qu'on veut prendre dans sa main faire fondre au fond de soi pour changer l'eau en vin.
Terres inconnues Le promeneur céleste capte le relief des ombres qui font silence des enfants morts et des ventres creux la faim donne soif quand l'eau se fait rare et que des grands oiseaux tournent au-dessus des têtes Les seuls sont dans leurs caches à faire les cartes de terres inconnues des jardins qui renaissent au printemps et des étoiles qui brillent.
Paysage-1 J'aimerais atteindre ce point de fuite dans tes yeux changer le monde et ses reflets les vallées et les forêts dans les perspectives inversées du désir Des rivières de perles bleues coulent jusqu'à ce territoire inconnu en nous au milieu, le nu et l'enfance.
Strates imaginaires Je cherche le temps profond, le temps vrai qui raconte les silences et les bruits les passages d'une histoire à l'autre dans l'écriture des âges Ici des vagues immenses ont laissé au sol des coquillages et des histoires de dragons là des feux ont brûlé des forêts et des plaines les maisons, les villes, les livres et les images qui font les territoires du gène et des lunes Dans cette grotte des dessins sur les murs et des bijoux trouvés dans un coin laissent aller un peu plus des secrets que défait le vent plus loin, on peut lire la fonte des glaces et les tempêtes de sable la vie mise à nue par une explosion de lumière Les plus beaux contes sont enfouis sous terre et la mémoire est faite de poussières d'étoiles.
Spectacle éolien Le vent fait voler les ombres et les couleurs mille mots en apesanteur en-dedans des bulles du temps cherché du temps à compter les fractals amoureux dans des reflets de tourmaline J'ai trouvé dans la lueur de tes yeux les teintes du désir printanier le spectacle des alchimies du coeur dans la floraison des lilas et des muguets
Migrations Les migrations sont à tire-d'ailes de destins inconnus suivent les amours conduisant le monde les climats changeants, partances des plans indicibles pour rejoindre la mer. La ligne d'horizon n'existe pas dans l'espace des dedans qui prennent la place des dehors.
Nature morte De l'autre côté du pont la statue de Ste-Anne en prìère les étals d'un marché les contours d'une pomme des baies sauvages, un jardin clos les inventions de l'oeil font revivre la Vierge avec un chapelet d'émeraudes autour du cou.
Puits de lumière La lumière fait chemin à contre-nuit jusqu'aux bruits du petit matin qui font écho dans l'oreille d'un rocher des moments qui achèvent avec la lune et des instants qui commencent avec la bruine À vue d'oeil j'entends le vent froisser le ruisseau qui sépare les terres et les villages j'aperçois la montagne capter les balbutiements du soleil au revers de son ombre immense et sereine qui protège les toits des maisons Le paysage se fond dans l'onde chimique des fruits perdus la dernière nuit des souffles du chêne centenaire qui racontent les passages étranges de l'ombre à la lumière juste après l'aube dans les sentiers qui s'ouvrent au jour.
Marie-Line Marie-Line, douce et belle Marie-Line qu'on réveille pour raconter les rêves et la peur la plus qu'amie anémone, la source tendresse un soir d'orage, un jour de sécheresse dans l'espace d'un silence la bonté du coeur et ta joue une joie d'enfant Sommes-nous encore loin de la mer et des châteaux de sable ? Marie-Line, douce et belle Marie-Line muse au chant fleur, femme-opale As-tu idée belle Marie-Line de ton rêve dans ce détour de l'esprit l'envie d'aimer et d'être aimé ?
Pierre de lune (Hanoï) Je sais de ton visage l'émotion le regard intérieur des prières et ce puits de lumière une pierre de lune restée captive dans la terre et les eaux le lotus en latence Quel est le nom de cet arbre déjà dont tu m'offres les fruits ?
La maison des mots (2003) Je m'en vais jouer avec le feu dans la maison des mots brûler des rêves et flamber mes peurs souder mes désirs aux parois du délire et fondre des éclats d'âme dans le ventre des nuits Là, là seulement, dans cet asile au plafond haut mes folies d'amour, mes fuites oniriques donnent présence au visage qui m'ouvre les yeux donnent aux absences d'autres raisons, d'autres lieux Ma quête est d'amour et de rédemption Et le tournant des grands vents m'emmène au champ clos combattre des ombres qui se détachent des murs de mon enfance PAN...qui fermera les yeux sur ma faute ? Brûle, brûle, brûle maison de papier que les flammes réduisent en cendres mes tourments Emporte mon mal ma muse, fais fuir les démons pour qu'enfin l'amour brille de ses rayons ardents tel un quasar dans le firmament.
Le fleuve amour * La vie nous fait seuls, mais pourtant liés à toute chose, à tout être. Ce paysage qui m'entoure prend les couleurs et les teintes, les clairs et les obscurs des pensées qui m'habitent. Une part de moi fait le monde. Je suis à un moment donné du temps et à un lieu précis dans l'espace pour donner forme au plus intime suivant les correspondances entre l'esprit et la matière. Je ne suis rien dans l'étendue des terres et des océans qui soit moins qu'un regard porté sur mes joies et mes blessures, rien qui ne soit plus qu'une ombre. Il suffit pourtant que tes yeux s'ouvrent dans mes yeux pour croire un peu de l'éternel dans un jeu de vagues. Des fractals de rêves. * Merci à Andreï Makine
Pensée sauvage J'ai idée d'un chaos fondateur d'un incroyable désordre, orgiaque et sublime capable d'un seul désir dans l'oeuvre toujours recommencée l'eau, la terre, l'air et le feu qui se mêlent J'ai idée de faire de ton absence, ma muse, ta présence absolue dans l'espace et le temps un hommage à la nature, puissante et rebelle qui fait tout être dans les concordances d'une pensée sauvage.
Paysage 2 Si loin, si proche à la fois on imagine un olivier et des rivières dans un carré de cendres rouges un jardin sur Mars dans l'oeil de Major Tom Si proche et si loin à la fois on croirait un pommier en fleurs dans un cercle de lumière un jardin au paradis dans l'oeil de Sgt. Pepper Loin et proche en même temps d'un même lieu un jardin sur Terre Dans un dessin d'enfant un iris et l'oeil d'un quasar.
Le corbeau (2003) Un corbeau fait des ronds dans le ciel il n'en faut pas plus pour savoir qu'ici-bas à hauteur d'homme et de femme nous sommes toujours sous observation qu'anges ou démons nous repèrent quand ils ont faim d'éternité
Nature morte 2 Des pommes, une poire et une mangue les fruits de l'imagination sont fertiles quand la pensée joue des sens pour inventer des amours
Sentiers humains Les sentiers humains sont parfois trompeurs suivent des superstitions et des croires qui font lieux de certitudes Ainsi du chant des oiseaux quand l'aventure du corps fait chemin de ses limites dans l'esprit des forêts. Jusqu'où aller pour savoir où on va ?
Présence étrangère Je sens une présence étrangère dans les parages à l'oreille une vibration sauvage l'onde courte d'un doute fait sa vie dans la mienne Je ne suis plus seul Pour chaque part de moi que prend l'autre je ramasse des pierres Pour chaque part que je prends à l'autre j'imagine un arbre à plumes Un jour ces pierres me serviront un jour les oiseaux pousseront comme des fruits Comme c'est étrange !
Exode Voyons voir là-bas puisque partir il faut plus âme qui vive ici même le chien cherche son ombre ce qui reste du village ! Wal-Mart, Big Mac, made in China Make it Big, fast do fast food le monde a changé d'orbite bientôt la catastrophe Le climat semble meilleur par cette route laissons parler le vent la raison n'a plus mot à dire ta main prend ma main un oasis nous attend le bonheur pas trop loin dis-tu moi je n'ai d'yeux que pour tes yeux.
Nature urbaine Dans les rues, bruits, re-bruits le temps dollars, l'éco d!trqaue travers et traverses les rues, la ville, l'air en bulles muses et musées, muses amusées vitrines en beauté, l'ombre passe l'aveugle et le chien les vieux dans leur coin l'espace qui reste, un reste de temps la foule et les seuls, la foule et l'ennui le temps qu'il fait, l'espace défait les rues, la ville, mouvances même jour, même nuit la nature des choses se perd dans l'être et le temps.
L’onde longue (2003) L'onde longue traverse le blanc de ses yeux l'instant d'un frisson, l'espace éclate l'amour m'emporte, j'ai des papillons dans l'âme elle a pris mon coeur et j'ai des fleurs dans les cheveux Irons-nous au bois ma belle aimée, irons-nous au bois cueillir les fruits sauvages, fouler pieds nus les mousses irons-nous au bois ma belle amie, irons-nous là faire l'amour jusqu'aux premiers rayons du jour L'onde longue traverse le blanc de ses yeux l'espace d'un clin d'oeil, le temps éclate l'amour m'emporte, j'ai des oiseaux dans la tête elle a pris mon coeur et j'ai des étoiles au bout des doigts Irons-nous sur la lune ma belle amie, irons-nous sur la lune chercher des diamants, planter des roses sur les dunes irons-nous sur la lune ma belle aimée, irons-nous là faire l’amour jusqu’à la fin des temps.
Plongée Aller en profondeur mourir un peu, beaucoup puis faire surface ouvrir ses ailes libre des pesanteurs de l'être Le temps d'une seconde suffit pour apprendre à voler du soleil à la lune dans une flaque de verre. * *merci à Pierre Reverdy pour cette image poétique
Biologie Un peu d'air, d'eau, de terre et de lumière peu s'en faut, très peu puis l'immense désir de vie des molécules en liberté sans attache qu'un lien de vapeur ou d'encens dans l'écologie de l'être Le fil du temps après de secondes en espaces l'insondable ouverture de l'oeil sur ton visage la vérité millième fois refaite des traverses de l'esprit dans l'accroche du coeur entre l'être et le temps une simple question de biologie. Qu'en est-il de mon rêve ?
Temps clair Le ciel a couleur d'été un voile de jour sur nos corps esseulés Y a-t-il si loin du soleil à nos ombres dans le nu de l'âme ?
Cassiopée Sous le vent tiède d'occident que d'amours perdus à chercher le nord l'être est avalé par le temps puis disparaît une vague immense prend tout âme, coeur et corps jusqu'à cette part du ciel qui scintille trop belle Cassiopée pour toujours, à jamais, jusqu'à la mort la lueur simple, éternelle de la beauté sacrifiée par le nombre pour le plaisir des dieux.
L'oeil sauvage - 2 J'ai l'oeil sauvage, j'ai l'oeil délire la terre se meure, des peuples crient famine tout crève sous un ciel de pétrole. Et toi, que fais-tu à ramper par terre sur des terres étrangères ?
Éveil Fermes les yeux te souvient-il d'un rêve fou une croisée de chemins au milieu des terres l'espoir naissant d'un jardin clos mort de sa propre vie dans nos silences Je pars demain, je pars ailleurs vivre dans un paysage de verre et d'acier l'espace d'une nuit, j'aurai la lune dans les yeux un chemin vers toi dans l'éveil des sens pour marier le ciel et la terre.
Renaissance Ouvrir un autre temps en profondeur dans la cache des paysages l'eau douce qui prend la couleur de tes yeux dans le rythme du coeur Je veux vivre aux sources du vent et de l'infini l'âme vibrante, joyeuse à contempler la beauté du monde.
Écritures Des signes imaginés traversent l'esprit au rythme de temps changeants flèches et passions l'archer poète vise des ombres atteint le coeur ou la raison les amants cherchant leur île morts ou vivants les faiseurs de rêves et de liberté
Coïncidence à Torill Kove (the Danish Poet) Une pomme et un oiseau quittent une branche coincidence hasard ou gravité, qui sait ? l'arbre unit ciel et terre puis sépare les destins entre l'ici-bas et l'au-delà. L'espace d'un frisson, faut-il croire un autre temps ?
La roche d'eau * Bien étrange ! un peu d'eau dans une roche le secret gardé d'une vie antérieure, sans rivages avant même que soit le temps l'espace-temps fermé sur lui-même dans un joyau obscur, un vide immense l'enfance d'un rêve. * Merci à Roger Caillois.
La fin de s chose s / Ré volut ion La révolution, tout de suite et maintenant. Brûler d'un seul désir, tout recommencer. Révolution! Crever l'oeil des menteurs et des diseuses, crever les silences et les peurs, trouver le juste texte des choses, ta présence, entière, dans la tournure des vents. Révolution! La vie comme un quasar, le temps lumière, l'amour m'emporte, m'emporte l'amour, si loin, si proche. La fin des choses commence par un commencement, l'appel d'une survivance dans la croisée des regards et, un peu plus, ta main tendue, ta bouche à mon oreille pour dire – Ensemble, un autre monde est possible. "La révolution doit être spirituelle et non politique" . (Antonin Artaud)
Promenade Pas de deux, pas de marche pas ici, pas là pas chantant, pas dansant un pas, deux pas la cadence pas de guerre tambour battant pas loin, pas proche les cent pas, tous ces pas pas de trop, pas perdus les pas comptés pas à pas, suivre le pas un pas, deux pas, trois pas le pas jusqu'à toi ta main dans ma main les pas, le chemin du soleil à la lune Où allons-nous ?
Deuxième partie
Presque-rien La vie. Presque-rien. Un peu d'eau sur une roche suffit-il pour faire pousser un arbre ? Possible. Difficile de dire toutefois ce qui prendra forme dans la latence des choses. Le poème est toujours au-delà de son propre texte, c'est ce que disait Vladimir Jankélévitch en faisant allusion à l'univers de la vie. Ainsi donc de toute chose dans l'espace qui prend la forme du temps dans notre conscience. Presque-rien dont la sédimentation recompose à chaque moment vécu l'unité de la nature. La durée ne s'explique pas, elle se vit comme un flux continu de l'être dans le temps.
Je-ne-sais-quoi La vie. Je-ne-sais-quoi. Cette mouvance, toute intérieure à soi, qui anime l'esprit mais dont on ne sait dire ce qu'elle est vraiment sinon un sentiment, ineffable, indicible, qui peut transformer une chose en un peu plus qu'elle n'est et qu'elle ne paraît être, laissant apparaître sa nature subjective et sa dimension purement esthétique. Un peu comme si l'environnement prenait les géométries de l'âme et que s'en découvrait les paysages intérieurs.
L'évolution créatrice " La seule philosophie qui n'épaississe pas le mystère est celle qui commence par ce mystère, qui se le donne tout entier sans l'expliquer par autre chose que par lui-même." ( V. Jankélévitch ) La mémoire est plus qu'un cerveau.
Troisième partie
Écosystème Tout. Le tout qui fait tout, le vrai portrait de la nature. De l'oxygène, de l'azote et du gaz carbonique. La matière et la lumière. Un peu de vapeur ou d'encens pour lier les choses entre elles. Un peu d'incertitude et d'imprévu aussi. Un équilibre de forces, de tensions et de résonances. Un jeu musical aux subtilités infinitésimales. Temps forts et temps morts, contre-temps, même temps, entre-temps. Le temps fait climat des espaces et des sentiments. Écosystème. Lieu de conjugaisons. Découverte de l'unité et du nombre. L'envers et l'endroit en surface d'un lac. Une onde passagère, puis la vie qui explose en mille éclats de mystère. La forêt n'est rien si on ne sait comprendre le silence des plaines. La rivière n'est rien si on ne sait mesurer l'étendue des déserts. Il y a en chaque chose qui fait la nature son contraire. C'est ce qui en fait l'unité, sa complétude dans le dénombrement des gènes et l'extraction de leurs essences. La nature est un jeu d'équilibre entre la vie et la mort. À quoi bon l'agneau ou la chèvre, si le loup n'existe pas ? À quoi bon le phoque, si le requin n'y est pas ? Et l'humain dans tout ça, qui le mangera ? Qui mange quoi, quoi mange qui, qui ou quoi a besoin de quoi ou qui, voilà les questions en ce temps d'écologie.
Matière " La chimie dans ses premières formes a été troublée par l'imagination des valeurs. " (Gaston Bachelard) Matière, accumulation d'indéfinis jusqu'à finitude, jeux d'ombres et lumières dans la mémoire des formes et résistance. Une amulette d'or au temps des temps durs, des temps naufrages et des apories. Tes yeux qui prennent couleur d'ambre au toucher du soleil. La matière est insaisissable à l'oeil nu, il faut en imaginer les poésies.
La mesure du temps Survivre est un jeu d'esprit, un scénario d'ADN dans la mesure du temps.
La liberté La liberté est conscience des appartenances à l'autre qui définissent les possibilités d'être réelles, imaginaires, symboliques ou spirituelles. Peut-on s'imaginer libre autrement que par l'autre ?
Latence La pluie contient l'unité et le nombre l'entente des heures visibles et invisibles l'eau, la terre le chemin d'ombre qui couvre lumière dans la pensée. De quoi avons-nous peur ?
Quatrième parti
Les pièges du ciel L'aventure humaine est résistance au silence. Silence s-v-p, on tourne ! Silence s-v-p, nous sommes en onde ! Silence s-v-p, je parle ! Silence s-v-p, j'entends une voix venue du ciel ! Silence s-v-p, on ne s'entend pas parler ! Silence s-v-p, j'écris ! Silence s-v-p, vous me dérangez ! Silence s-v-p, je prie ! Entre ciel et terre tant de bruit. Combien de fois faudra-t-il dire - Silence, avant que le silence soit ?
Le silence On n'a pas idée de ce que le silence peut vouloir dire, pas idée de ce qu'il cache de l'être, pas idée du néant qu'il exprime. Le silence est entier dans son mystère, reste indéchiffrable à tout effort de raison. Il sépare la mort du vivant, mais fait présence de l'une dans l'autre. Début et fin de toute chose. Le silence est sentiment, retrait du nombre dans l'avancée du coeur.
Émergence Un temps suspendu libre pensée, vent paraclet la clé d'un songe une nuit d'été ta voix dans le souffle du vent Te suffira-t-il de dire je suis ?
L'oeil de la nuit (2003) Tu atteins là où mon coeur bat sans mot dire ce n'est pas un hasard si je ne peux pas dormir c'est que ta présence est un peu plus que la lune quand tu tournes autour de moi dans l'oeil de la nuit.
Cinquième partie
La source cachée Un sentier de pierres mène plus loin un pas à la fois chaque fois plus près d'un battement de coeur d'un clignement d'yeux d'une source cachée du soleil. Le temps prend son temps avant de sceller l'alliance entre la vie et la mort.
Le rond de sorcière Le cœur bat moins fort un instant un arbre est mort et tout autour la forêt s'ouvre sur le ciel le voyageur repose un moment dans la mémoire sauvage des ombres sylvestres L'esprit entre en terre pour renaître plus loin dans les caches vertes la lumière fait luire la pointe des buissons où fouinent les guêpes les chemins d'air et les chemins d'eau s'entremêlent jusqu'au creux de l'âge dans la blessure ouverte par l'éclair puis une invasion obscure laisse pour miettes la somme des vies intérieures Le sol respire une autre fois les poésies de l'arbre et du voyageur au milieu du rond de sorcières le vol des oiseaux laisse planer un doute immense la vie a-t-elle autre fin que la mort ?
Le signe blanc (2003) Sa main trace un signe blanc dans l'espace qui nous sépare, comme pour dire la chose qui n'existe pas, qui n'existe plus mais dont on entend l'écho par dessus les toits et les arbres, dans l'entre ciel et terre immense qui perd le temps et nos regards. Le bruit court entre des brindilles que le coeur a perdu ses raisons, que la tempête a pris l'espace du dedans des songes, jusqu'au lent recul des nuits qu'on ne lit plus sur les battures. Sous les blessures qu'on voit souffrance il y a pire et plus cruel, il y a ce qui ne paraît pas au jour, il y a le noir qui colle à l'âme et qui fait grandir la peur, une peur bleue d'amour, une peur qui fend l'âme et la mémoire quand le sang dévie dans la pensée pour nourrir des pleurs de sel. Est-ce un mur ou une porte que sa main signe entre nous ? L'oeil se ferme pour défaire le temps, pour faire voyance des naufrages, des abandons et des passants laissés passé qui n'ont plus de peau sur les os, qui sont de vapeur et d'encens dans le repli des crépuscules qui ont fait la vie, qui ont fait l'amour. Au-delà comme au-dedans des rêves, il y a les heures qui restent dont on ne connaît ni la tournure ni la cassure, mais qui restent, qui restent... Qu'y a-t-il d'un mur ou d'une porte qui puisse faire mourir d'amour ?
Crépuscule À portée de silence l'antre jour, l'autre nuit, l'angle mort gardent secrets les sentiers d'espoir ces voyagements, ces destins qu'on voudrait suivre jusqu'à l'autre rive.
Fin ! " Je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspire que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n'était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m'atteindrait moi-même car je suis bien certain d'une chose : le besoin de consolation est impossible à rassasier. " (Stig Dagerman)