RESTAURATION
PAR EVA BENSARD
LA CHAPELLE DES ANGES DE L’ÉGLISE SAINT-SULPICE Financée par la Mairie de Paris et par la Fondation du Patrimoine, la restauration de la chapelle des Saints-Anges, peinte par Delacroix dans l’église Saint-Sulpice à Paris, vient de débuter. La technique très complexe utilisée par l’artiste dans deux peintures murales, La Lutte de Jacob et de l’Ange et Héliodore chassé du Temple, représente un défi pour les restaurateurs. La chapelle des Saints-Anges occupe une place à part dans l’œuvre de Delacroix. Terminé deux ans avant sa mort (1863), ce décor fut son dernier chef-d’œuvre – son « testament spirituel », selon ses mots. Avec La Lutte de Jacob et de l’Ange, Héliodore chassé du Temple et Saint Michel terrassant le démon, Delacroix se mesura à « des grands maîtres bien imposants » (Raphaël, Michel-Ange, Véronèse, Tintoret ou encore Rubens), mais il renouvela la tradition par sa libre interprétation des textes bibliques, son sens accru de la dramaturgie et sa technique pleine de fougue, exaltant la couleur. Certains de ses contemporains goûtèrent peu ces outrances romantiques, mais Baudelaire rendit un hommage vibrant à son peintre de prédilection, « qui n’a jamais craint d’escalader les hauteurs difficiles de la religion » et dont l’imagination, « ardente comme les chapelles ardentes, brill[ait] de toutes les flammes et de tous les pourpres ». Toutefois, ce chantier au long cours – il dura quatorze ans – ne fut pas de tout repos. Le peintre, en proie à des crises aiguës de laryngite, lui voua ses dernières forces : aux déplacements épuisants depuis son atelier de Notre-Dame-de-Lorette, qu’il finit par quitter pour celui, plus proche de Saint-Sulpice, de la rue de Fürstenberg – vinrent s’ajouter la fatigue d’autres commandes (en particulier la galerie d’Apollon au Louvre), l’impossibilité de travailler en hiver à cause du froid et du manque de lumière, et surtout l’humidité tenace des murs qui mit sa patience et sa santé à rude épreuve. Pour venir à bout de ces parois gorgées d’eau qui buvaient sa peinture, Delacroix mit au point un procédé à base d’huile et de cire. Mais cette « recette », si elle permettait de former une barrière étanche, empêchait dans le même temps l’évaporation naturelle de l’eau, provoquant au fil des ans des soulèvements récurrents de matière picturale. Près de cent cinquante ans après leur inauguration, l’écaillage de La Lutte de Jacob et de l’Ange et d’Héliodore chassé du Temple se poursuit, mettant à terme ces peintures en danger. Altérées par des restaurations antérieures, encrassées par des dépôts de poussière, ces œuvres n’offrent plus que le pâle souvenir de leur flamboyance d’antan. Financée par la Mairie de Paris (à hauteur de 450 000 euros) et par la Fondation du Patrimoine (qui a lancé une souscription publique et a déjà récolté, grâce à diverses actions, 76 000 euros), une nouvelle campagne devrait permettre d’agir – enfin – sur les causes des dégradations, et de raviver les harmonies d’orange et de turquoise, de vert et de pourpre qui émerveillèrent Baudelaire. « Jamais (...) Delacroix n’a étalé un coloris plus splendidement et plus savamment surnaturel », s’enflammait l’écrivain. Ce chantier, qui se poursuivra jusqu’à l’été 2016, devrait redonner tout leur sens à ses mots. E.B.
Intérieur de l’église Saint-Sulpice © Collection Artedia / Artedia / Leemage
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RESTAURATION Pour Dossier de l’Art, Eva Bensard a recueilli les explications de Marie Monfort, conservatrice en chef du patrimoine et responsable de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris, qui supervise ce chantier.
Quel est le contexte historique de cette commande à Delacroix, et quelle place occupe-t-elle dans son œuvre ? Eugène Delacroix reçoit cette commande en 1849, un an après la révolution de 1848. Le contexte correspond à une recrudescence des commandes de peintures murales dans les églises. À l’image de ce qui se faisait dans d’autres églises pari-
siennes, le décor de Saint-Sulpice est confié à plusieurs artistes : Charles Landelle pour la chapelle Saint-Joseph, Auguste Vinchon pour la chapelle Saint-Maurice, Delacroix pour la chapelle des Anges... Bien qu’athée, ce dernier se montre très intéressé par la peinture religieuse, car il considère que chacun peut y projeter ses propres préoccupations spirituelles. « Les sujets religieux, entre tous les genres d’attrait qu’ils présentent, ont celui de laisser toute carrière à l’imagination, de manière que chacun y trouve à exprimer son sentiment particulier », écrit-il. Il choisit pour les deux parois les thèmes de La Lutte de Jacob et de l’Ange – suffisamment mystérieux pour que chacun en donne une interprétation personnelle – et d’Héliodore chassé du Temple. Pour le plafond, il retient Saint-Michel terrassant le démon. Après de
multiples péripéties, il achève son projet en août 1861. Ce décor, en particulier La Lutte de Jacob et de l’Ange, a beaucoup fasciné. Il sert de modèle à Gauguin pour son célèbre tableau sur le même sujet (La Vision après le sermon, conservé à la National Gallery of Scotland, à Édimbourg). Plus récemment, l’image énigmatique de cette lutte a ébloui l’écrivain et journaliste JeanPaul Kauffmann, qui lui a consacré un livre. Ce décor a en outre été un jalon dans le renouveau de l’art sacré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le père Couturier avait à l’esprit la chapelle des Anges lorsqu’il fit appel aux plus grands artistes de son temps (Bonnard, Léger, Matisse, Braque...) pour décorer l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy. Il vaut mieux, disait-il, s’adresser à des hommes de génie sans la foi qu’à des croyants sans talent. Delacroix met quatorze ans pour venir à bout de ce chantier. À quelles difficultés doit-il faire face ? Pour commencer, le temps de la genèse est assez long. L’artiste réalise de nombreuses esquisses préparatoires – on en connaît une centaine. Ensuite, lorsque le chantier proprement dit commence, une lutte s’engage entre le peintre et les parois humides de la chapelle. Delacroix retrace les difficultés auxquelles il est confronté dans son Journal et dans sa correspondance. Au début, pour isoler ses décors de l’humidité, il imprègne les murs d’huile. Mais cela suinte tellement qu’il doit revoir sa méthode ! Il confectionne alors un isolant composé de cire, d’huile et de résine. Ce mélange appliqué en couches superposées – on en a dénombré jusqu’à treize par endroits – forme une barrière étanche, mais empêche l’humidité du mur de s’évaporer. Dans ces conditions, une variation, même minime, de l’humidité peut provoquer une altération de la peinture. Cette façon de procéder est-elle courante à l’époque ? En connaît-on d’autres exemples ? À partir de la Restauration, on remeuble les églises de Paris, qui avaient été vidées de leur mobilier à la Révolution. La préoccupation d’alors est que les œuvres restent en place. Plutôt que des peintures sur chevalet, on commande donc aux artistes des décors intégrés à l’architecture. Les peintres sont tous confrontés à des problèmes d’humidité, mais chacun y répond à sa Héliodore chassé du Temple, 1861 Huile et cire sur enduit, 7,51 x 4,85 m Paris, église Saint-Sulpice, chapelle des Saints-Anges © COARC / Roger-Viollet PAGE DE DROITE. Lutte de Jacob et de l'Ange, 1855(?)-61. Huile et cire sur enduit, 7,51 x 4,85 cm. Paris, église Saint-Sulpice, chapelle des Saints-Anges © E. Michot / COARC / Roger-Viollet
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RESTAURATION Les églises parisiennes conservent aussi de somptueux décors des XVIIe et XVIIIe siècles. Découvrez ce patrimoine à travers deux numéros exceptionnels. Saint Michel terrassant le démon, 1856-61 Huile et cire sur toile appliquée sur la voûte, 4,41 x 5,75 m Paris, église Saint-Sulpice, voûte de la chapelle des Saints-Anges © COARC / Roger-Viollet
manière : certains optent pour la toile marouflée (c’est ce que fera Delacroix pour le plafond de la chapelle des Anges), d’autres pour la fresque, la technique de la cire à froid (par exemple Hippolyte Flandrin à Saint-Germain-des-Prés), voire pour un isolant à base de quartz pilé (François Édouard Picot à Notre-Dame-deLorette). Delacroix emploie une technique à base de cire et d’huile, que la restauration à venir permettra de mieux étudier. Quand les dégradations ont-elles commencé, et quelle a été la fréquence des restaurations ? Les interventions sur ce décor ont été très nombreuses, du fait de l’écaillage récurrent des peintures. La première restauration a lieu en 1895, soit trente-cinq ans après achèvement. Elle sera suivie par d’autres, en 1907, 1934 et 1938. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la toiture est endommagée et les infiltrations provoquent de nouveaux problèmes de soulèvement de la couche picturale, qui sont traités en 1943 et 1946. En 1957, nouvelle restauration. Elle sera suivie d’un chantier très important vingt ans plus tard : en 1978, une résine acrylique est appliquée pour fixer la peinture. On pensait alors avoir trouvé le produit miracle pour neutraliser l’écaillage. En réalité, cette résine a altéré la matière originale. La dernière
intervention a porté sur le plafond, en 1996. Vous avez fait réaliser un constat d’état en 2008. Qu’a-t-il révélé ? Effectué en 2008, puis réactualisé en 2012, ce premier diagnostic a montré que les soulèvements s’étaient poursuivis depuis 1978. Il a permis d’effectuer un relevé général des altérations et de faire des tests. Les questions posées par le nettoyage de ces peintures à la cire nécessitent des compléments d’étude approfondis. La poussière se dépose directement sur la matière picturale, qu’elle encrasse car la peinture n’a probablement pas été vernie. Les tentatives précédentes pour stopper les dégradations ont échoué. Comment comptez-vous procéder aujourd’hui ? Face à la complexité technique de ces peintures, une phase d’étude préalable va être conduite sur trois mois, d’octobre à décembre 2015. Elle permettra d’y voir plus clair, notamment sur les précédentes interventions de restauration, pour lesquelles il n’existe pas ou peu de documentation. Des analyses de matériaux, de composants chimiques, vont être réalisées. Des tests de nettoyage seront effectués, afin de voir comment la peinture réagit. Cela va permettre d’établir un protocole d’intervention. Ensuite suivra la phase de restauration proprement dite, pour une
durée estimée à sept mois : il s’agira d’éliminer les matériaux accumulés en surface (poussières, crasses, fixatifs, retouches) et ceux introduits lors des interventions antérieures (matériaux de restauration inadéquats). Le vitrail de la chapelle, très encrassé, sera aussi nettoyé, et le système d’éclairage repensé. Pour les peintures, nous sommes confrontés à un vrai défi : leur sensibilité à l’humidité exclut l’utilisation de tout produit à base d’eau. Il faudra mettre au point des micro-émulsions sur mesure à partir des analyses de la peinture originale, selon la méthode déjà employée l’année passée à la chapelle Sainte-Anne de l’église Saint-Nicolas-des-Champs. Notre démarche est scientifique. D’autre part, nous bénéficions du contrôle de l’État qui accompagne la restauration de toute œuvre classée. La décision a été prise aussi de recourir aux meilleurs spécialistes du peintre. La Ville de Paris a la chance de pouvoir s’entourer de toute une équipe d’experts, et mettre ainsi en œuvre une pluridisciplinarité précieuse pour servir au mieux les intérêts de ce patrimoine insigne.
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Église Saint-Sulpice, 50 rue de Vaugirard, Paris 6e. Ouverte tous les jours de 7 h 30 à 19 h 30. Pour en savoir plus sur la souscription ou faire un don à la Fondation du Patrimoine : www.fondation-patrimoine.org
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