Dossier de l'art - novembre2015

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RESTAURATION

PAR EVA BENSARD

LA CHAPELLE DES ANGES DE L’ÉGLISE SAINT-SULPICE Financée par la Mairie de Paris et par la Fondation du Patrimoine, la restauration de la chapelle des Saints-Anges, peinte par Delacroix dans l’église Saint-Sulpice à Paris, vient de débuter. La technique très complexe utilisée par l’artiste dans deux peintures murales, La Lutte de Jacob et de l’Ange et Héliodore chassé du Temple, représente un défi pour les restaurateurs. La chapelle des Saints-Anges occupe une place à part dans l’œuvre de Delacroix. Terminé deux ans avant sa mort (1863), ce décor fut son dernier chef-d’œuvre – son « testament spirituel », selon ses mots. Avec La Lutte de Jacob et de l’Ange, Héliodore chassé du Temple et Saint Michel terrassant le démon, Delacroix se mesura à « des grands maîtres bien imposants » (Raphaël, Michel-Ange, Véronèse, Tintoret ou encore Rubens), mais il renouvela la tradition par sa libre interprétation des textes bibliques, son sens accru de la dramaturgie et sa technique pleine de fougue, exaltant la couleur. Certains de ses contemporains goûtèrent peu ces outrances romantiques, mais Baudelaire rendit un hommage vibrant à son peintre de prédilection, « qui n’a jamais craint d’escalader les hauteurs difficiles de la religion » et dont l’imagination, « ardente comme les chapelles ardentes, brill[ait] de toutes les flammes et de tous les pourpres ». Toutefois, ce chantier au long cours – il dura quatorze ans – ne fut pas de tout repos. Le peintre, en proie à des crises aiguës de laryngite, lui voua ses dernières forces : aux déplacements épuisants depuis son atelier de Notre-Dame-de-Lorette, qu’il finit par quitter pour celui, plus proche de Saint-Sulpice, de la rue de Fürstenberg – vinrent s’ajouter la fatigue d’autres commandes (en particulier la galerie d’Apollon au Louvre), l’impossibilité de travailler en hiver à cause du froid et du manque de lumière, et surtout l’humidité tenace des murs qui mit sa patience et sa santé à rude épreuve. Pour venir à bout de ces parois gorgées d’eau qui buvaient sa peinture, Delacroix mit au point un procédé à base d’huile et de cire. Mais cette « recette », si elle permettait de former une barrière étanche, empêchait dans le même temps l’évaporation naturelle de l’eau, provoquant au fil des ans des soulèvements récurrents de matière picturale. Près de cent cinquante ans après leur inauguration, l’écaillage de La Lutte de Jacob et de l’Ange et d’Héliodore chassé du Temple se poursuit, mettant à terme ces peintures en danger. Altérées par des restaurations antérieures, encrassées par des dépôts de poussière, ces œuvres n’offrent plus que le pâle souvenir de leur flamboyance d’antan. Financée par la Mairie de Paris (à hauteur de 450 000 euros) et par la Fondation du Patrimoine (qui a lancé une souscription publique et a déjà récolté, grâce à diverses actions, 76 000 euros), une nouvelle campagne devrait permettre d’agir – enfin – sur les causes des dégradations, et de raviver les harmonies d’orange et de turquoise, de vert et de pourpre qui émerveillèrent Baudelaire. « Jamais (...) Delacroix n’a étalé un coloris plus splendidement et plus savamment surnaturel », s’enflammait l’écrivain. Ce chantier, qui se poursuivra jusqu’à l’été 2016, devrait redonner tout leur sens à ses mots. E.B.

Intérieur de l’église Saint-Sulpice © Collection Artedia / Artedia / Leemage

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