DIRECTION DE LA COMMUNICATION ET DES PARTENARIATS DOSSIER DE PRESSE
WALKER EVANS 26 AVRIL - 14 AOÛT 2017
WALKER EVANS #ExpoWalkerEvans
WALKER EVANS
26 AVRIL - 14 AOÛT 2017
9 Mars 2017
SOMMAIRE direction de la communication et des partenariats 75191 Paris cedex 04 directeur Benoît Parayre téléphone 00 33 (0)1 44 78 12 87 courriel benoit.parayre@centrepompidou.fr attachée de presse Elodie Vincent téléphone 00 33 (0)1 44 78 48 56 courriel elodie.vincent@centrepompidou.fr
1. COMMUNIQUÉ DE PRESSE
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2. BIOGRAPHIE DE L’ ARTISTE
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3. PLAN DE L’EXPOSITION
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4. TEXTES DES SALLES
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5. « UNE BONNE EXPOSITION EST UNE LEÇON POUR LE REGARD »
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6. AUTOUR DE L'EXPOSITION
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7. PUBLICATIONS
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8. EXTRAITS DU CATALOGUE D'EXPOSITION
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9. LISTE DES ŒUVRES EXPOSÉES
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10. TERRA FOUNDATION
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11. VISUELS POUR LA PRESSE
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12. INFORMATIONS PRATIQUES
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www.centrepompidou.fr
#ExpoWalkerEvans
9 Mars 2017
direction de la communication et des partenariats 75191 Paris cedex 04 directeur Benoît Parayre téléphone 00 33 (0)1 44 78 12 87 courriel benoit.parayre@centrepompidou.fr attachée de presse Élodie Vincent téléphone 00 33 (0)1 44 78 48 56 courriel elodie.vincent@centrepompidou.fr
COMMUNIQUÉ DE PRESSE WALKER EVANS 26 AVRIL - 14 AOÛT 2017 GALERIE 2, NIVEAU 6 Walker Evans (1903-1975) est l’un des photographes américains les plus importants du 20e siècle. Le Centre Pompidou consacre à son œuvre la première grande rétrospective muséale organisée en France. Par son attention aux détails du quotidien et de la banalité urbaine, il a largement contribué à définir la visibilité de la culture américaine du 20e siècle. Certaines de ses photographies en sont devenues les icônes ; ses photographies de l’Amérique en crise dans les années 1930, ses projets publiés dans le magazine Fortune dans les années 1940 et 1950 et sa définition du « style documentaire » ont influencé des générations de photographes et d’artistes.
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Conçue comme une rétrospective de l’œuvre d’Evans dans toute sa complétude, l’exposition a pour
#ExpoWalkerEvans Walker Evans
ambition de mettre en évidence la fascination du photographe pour la culture vernaculaire. Aux États-Unis, le vernaculaire définit des formes d’expression populaires ou communes employées
Alabama Tenant Farmer Floyd
par des gens ordinaires à des fins utilitaires. C’est tout ce qui se créé en dehors de l’art et des
Bourroughs, 1936
circuits de production principaux et finit par former une culture spécifiquement américaine.
Épreuve gélatino-argentique Collection particulière, San Francisco © Walker Evans Archive,
La première partie de l’exposition réunit les principaux sujets du vernaculaire qu’Evans n’a cessé
The Metropolitan Museum of Art
de traquer : la typographie d’une enseigne, l’agencement d’un étalage, la devanture d’un petit
Photo: © Fernando Maquieira, Cromotex
commerce, etc. La seconde montre comment il a lui même adopté le mode opératoire ou les formes visuelles de la photographie vernaculaire en devenant occasionnellement, le temps d’un projet,
avec le soutien de
photographe d’architecture, de cartes postales, ou portraitiste de rue. Et ceci tout en revendiquant explicitement une démarche d’artiste. La rétrospective du Centre Pompidou retrace, des premières photographies de la fin des années
En partenariat média avec
1920 jusqu’aux Polaroids des années 1970, la totalité de la carrière de l’artiste à travers plus de 300 tirages d'époque provenant des plus grandes collections internationales. À travers une centaine de documents et d’objets, elle accorde également une large place aux collections de cartes postales, de plaques émaillées, d’images découpées, et d’éphéméra graphiques réunis par Walker Evans tout au long de sa vie. Commissariat : Clément Chéroux, assisté de Julie Jones
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2. BIOGRAPHIE DE L’ARTISTE Biographie extraite du catalogue d'exposition.
1903-1915 : Walker Evans naît le 3 novembre 1903 à Saint Louis, de Jessie (Crane) Evans et Walker Evans, Jr. Ce dernier travaille dans la publicité. En1907, la famille déménage à Kenilworth (Illinois), puis en 1915 à Toledo (Ohio). 1919 : Evans rentre au pensionnat de Loomis, situé à Windsor (Connecticut). Il y reste jusqu’en 1920, puis rejoint sa mère et sa sœur à New York. 1921-1922 : À l’automne 1921, il entre à la Phillips Academy d’Andover (Massachusetts). L’année suivante, il intègre le Williams College, à Williamstown (Massachusetts). 1923-1925 : En 1923, il retourne à New York. De mars 1924 à l’automne 1925, il est employé dans la salle des Cartes et des Atlas de la New York Public Library. 1926-1927 : Le 6 avril 1926, il part à Paris pour treize mois. Il suit des cours à la Sorbonne et étudie le français, au collège de la Guilde. Il prend quelques instantanés avec un appareil petit format. Il se rend dans le Midi pendant l’été, en janvier 1927, et visite l’Italie en avril. Le mois suivant, il retourne à New York. 1928 : Il emménage avec le peintre Hanns Skolle dans un appartement de Columbia Heights (Brooklyn) et fréquente le poète Hart Crane, qui vit dans le quartier. Il travaille comme employé de bureau à Wall Street jusqu’en 1929. 1929 : Fin 1929, il se lie d’amitié avec Berenice Abbott. En août, il publie une traduction d’un extrait de Moravagine (1926) de Blaise Cendrars, ainsi qu’une première photographie dans l’éphémère revue d’avant-garde Alhambra. Il commence à utiliser une chambre photographique. 1930 : Au début de 1930, Evans se déclare « photographe ». Il fréquente Lincoln Kirstein, alors étudiant à Harvard, et découvre l’œuvre d’Eugène Atget dans l’atelier de Berenice Abbott. En janvier, il publie dans Alhambra un compte rendu de l’essai Dancing Catalans de John Langdon-Davies. Trois de ses photographies illustrent The Bridge, poème de Hart Crane. D’autres publications suivent dans les revues Architectural Record, Hound & Horn ou Creative Art. À partir de mai, il utilise l’appareil photographique à plaques (6 ½ × 8 ½ inches) de Ralph Steiner. En novembre, Kirstein inclut Evans dans l’exposition « Photography » (Harvard Society of Contemporary Art). 1931 : Au printemps, il publie deux photographies dans Hound & Horn et en hiver, l’article manifeste « The Reappearance of Photography », qui témoigne de sa très bonne connaissance de la photographie moderne européenne. Il expose avec Margaret Bourke-White et Ralph Steiner à la John Becker Gallery (New York), puis participe à l’exposition collective « The Third Annual Exhibition of Contemporary Photography » des Ayer Galleries (Philadelphie). Au printemps-été, il accompagne Kirstein et John Brooks Wheelwright, historien de l’architecture, dans la région de Boston : il y photographie des bâtiments d’architecture vernaculaire victoriens. Une quarantaine de ces photographies sont exposées au Museum of Modern Art (MoMA) de New York en 1933. Il passe l’été avec le peintre Ben Shahn et sa famille dans leur maison à Cape Cod. Suite à une commande de l’architecte Charles Fuller, Evans poursuit sa documentation de l’architecture vernaculaire américaine.
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1932 : Il est engagé de janvier à avril comme photographe à bord du Cressida, voilier loué par un groupe de rentiers, lors d’une croisière dans le Pacifique. En février a lieu l’exposition « Photographs by Walker Evans and George Lynes », dans la galerie de Julien Levy à New York. 1933 : En mai, il se rend à La Havane afin de réaliser un portfolio pour l’ouvrage de Carleton Beals, The Crime of Cuba (1933). À la fin de l’année, le MoMA présente, dans le département d’architecture, l’exposition « Walker Evans. Photographs of nineteenth-century houses », organisée par Kirstein. 1934 : Il collabore pour la première fois au magazine Fortune en septembre, avec six photographies accompagnant l’article de Dwight Macdonald sur le parti communiste américain. En novembre, Gifford Cochran, ami de Kirstein, demande à Evans de photographier sa maison à Croton Falls (New York) ainsi que d’autres bâtiments de style néoclassique dans la région. 1935 : Cochran propose à Evans d’étendre sa documentation au sud des États-Unis : en février, le photographe part à Savannah, puis à La Nouvelle-Orléans. Jane Smith Ninas, jeune peintre rencontrée sur place, l’assiste dans son projet. Il part ensuite à Morgan City, puis à Natchez. À son retour à New York début avril, répondant à une commande du MoMA, il photographie les sculptures d’art africain montrées au musée dans le cadre de l’exposition « African Negro Art ». Il réalise 17 portfolios de 477 photographies chacun. Au printemps, il participe à l’exposition « Documentary and Anti-Graphic Photographs by Henri Cartier-Bresson, Walker Evans and Álvarez Bravo » dans la galerie de Julien Levy. Le 16 septembre, il commence à travailler pour le département de l’information de la Resettlement Administration. Organe du ministère de l’Agriculture, la RA (puis FSA) a pour but d’aider financièrement les fermiers pendant la Dépression. Evans part le 31 octobre photographier Bethlehem (Pennsylvanie), puis se rend à La Nouvelle-Orléans, en Alabama, au Mississippi et en Géorgie. 1936 : Au printemps, il rejoint Washington en passant par la Caroline du Sud et la Virginie-Occidentale. En mai, l’écrivain James Agee, à qui le magazine Fortune vient de commander un article sur les métayers du Sud, lui propose de l’accompagner. Ils passent l’été dans le comté de Hale (Alabama), où ils partagent la vie de trois familles : les Fields, les Tingle et les Burroughs. L’article est refusé. Au cours des années suivantes, Agee travaille au manuscrit d’un ouvrage sur ce sujet, qui sera publié en 1941, avec un portfolio de 31 photographies d’Evans (Let Us Now Praise Famous Men, Boston, Houghton Mifflin). Alfred Barr inclut Evans dans l’exposition « Fantastic Art, Dada, Surrealism », présentée au MoMA pendant l’hiver 1936-1937. 1937 : Le 30 janvier, Roy Stryker, à la tête de la FSA, envoie Evans en Arkansas et dans le Tennessee, régions sinistrées suite à d’importantes inondations. Cette commande est le dernier travail du photographe pour la FSA ; le 23 mars, il est remercié. Beaumont Newhall inclut six photographies d’Evans dans l’exposition « Photography, 1839-1937 » (MoMA). À l’automne, il expose quelques photographies chez Levy, au côté de Abbott, Atget, Cartier-Bresson, George Lynes, Nadar et Man Ray. 1938 : Du 28 septembre au 18 novembre, le MoMA présente « Walker Evans. American photographs », première exposition monographique majeure consacrée par ce musée à un photographe (le catalogue comprend un essai de Lincoln Kirstein). Pendant l’hiver, il prend des photographies dans le métro new-yorkais avec un appareil 35 mm-Contax. Il poursuivra ce projet durant l’hiver 1940-1941. Dans les années 1950 et 1960, il retravaillera ces négatifs et réalisera différents tirages, en variant les cadrages. 1940 : Il obtient une bourse de la Fondation Guggenheim. 1941 : Publication de Let Us Now Praise Famous Men (Boston, Houghton Mifflin). 1943 : Il collabore jusqu’en 1945 au magazine Time, dans lequel il publie des comptes rendus de films, de livres et d’expositions.
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1945 : Il devient le premier photographe salarié à temps plein de Fortune. 1947 : Rétrospective à l’Art Institute of Chicago. 1948 : En mai, il publie dans Fortune “ Main Street Looking North from Courthouse Square ”. Ce portfolio est constitué de reproductions en couleur de cartes postales de sa collection et d’un texte, le premier qu’il signe dans ce magazine. Les 9 000 cartes postales réunies par Evans tout au long de sa vie sont aujourd’hui conservées au Metropolitan Museum of Art (New York). 1952 : Il écrit un compte rendu de l’édition américaine d’Images à la sauvette [The Decisive Moment] de Henri Cartier-Bresson, publié en octobre par le New York Times Book Review. 1955 : Il aide Robert Frank à obtenir une bourse de la Fondation Guggenheim pour le projet de livre qui deviendra Les Américains / The Americans (1958/1959). 1956 : La Cambridge Review publie en mars les photographies inédites d’Evans prises dans le métro de New York, avec un texte d’Agee, daté d’octobre 1940. 1958-1961 : Il travaille à une maquette de livre à partir de ses photographies du métro new-yorkais. Intitulé The Passengers, il ne sera jamais publié. En 1959, il reçoit une seconde bourse de la Fondation Guggenheim. 1960 : Réédition augmentée de Let Us Now Praise Famous Men (62 photographies). 1962 : Réédition d’American Photographs (1938) et exposition au MoMA de New York. 1964 : Le 11 mars, Evans donne à l’Université Yale (New Haven) sa conférence « Lyric Documentary », en s’appuyant sur sa collection de cartes postales. 1965 : Il quitte Fortune, et commence à enseigner la photographie à la School of Art and Architecture de l’Université Yale. 1966 : Première exposition des photographies du métro new-yorkais, organisée au MoMA. L’éditeur Houghton Mifflin à Boston en publie quatre-vingt-neuf sous le titre Many Are Called. Parution de Message from the Interior aux Éditions Eakins Press, avec un essai de John Szarkowski. 1968 : Parution du livre Partners in Banking de John Kouwenhoven, avec une soixantaine de photographies d’Evans. L’ouvrage célèbre le cent-cinquantenaire de la création d’une grande banque privée américaine, la Brown Brothers Harriman & Co. 1971 : Rétrospective « Walker Evans » organisée par John Szarkowski, au MoMA de New York. La Yale University Art Gallery présente de décembre à janvier 1972 l’exposition « Walker Evans : Forty Years », conçue par le photographe, qui inclut des objets de sa collection. 1972 : À l’automne, Evans est artiste en résidence au Dartmouth College de Hanover (New Hampshire). 1973 : Il commence à se servir d’un appareil petit format Polaroid SX-70. 1975 : Il meurt le 10 avril à New Haven (Connecticut).
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3. PLAN DE L’EXPOSITION
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4. TEXTES DE SALLES INTRODUCTION Walker Evans (1903-1975) est l’un des photographes américains les plus marquants du 20e siècle. Ses photographies de l’Amérique en crise dans les années 1930, ses projets publiés dans le magazine Fortune dans les décennies suivantes et son « style documentaire » ont influencé des générations de photographes et d’artistes. Cette première grande rétrospective dans une institution muséale française met en évidence la fascination du photographe pour certains sujets typiquement américains comme les baraques des bords de routes, les devantures de magasins, ou les visages de passants anonymes. Cette approche de l’œuvre d’Evans permet de mieux comprendre ce qui en constitue le noyau dur : la recherche passionnée des caractéristiques fondamentales de la culture vernaculaire des États-Unis. Réunissant les meilleurs tirages des plus grandes collections publiques et privées, l’exposition accorde également une large place aux collections réunies par Walker Evans pendant toute sa vie. À travers plus de 400 œuvres et documents, elle offre une approche renouvelée de cette œuvre majeure de l’histoire de la photographie.
LE VOYAGE À PARIS En avril 1926 Walker Evans arrive à Paris, où il restera un peu plus d’un an, voyageant occasionnellement en province et en Italie. Il apprend le Français, suit des cours de « civilisation française » à la Sorbonne ou au Collège de France, traduit Cendrars, Gide et Baudelaire. Le jeune homme de 23 ans n’est pas encore photographe, mais réalise une série d’autoportraits et prend quelques clichés en amateur de ses excursions ou de la cour de sa pension parisienne au 5, rue de la Santé. Ce voyage, dans ce qu’il considère comme le « centre incandescent » des arts, aura une grande importance dans sa formation intellectuelle. Au cours d’un entretien réalisé à la fin de sa vie, il déclarait volontiers que « l’esprit » de Baudelaire et « la méthode » de Flaubert l’avaient « influencé, à tous les égards ». UN MODERNISME CLASSIQUE En mai 1927, Walker Evans est de retour à New York. À l’instar des surréalistes à Paris, il réalise des autoportraits turbulents dans un Photomaton. C’est à cette époque également qu’il décide de devenir photographe. Par ses fréquentations et sa lecture des plus récentes publications d’avant-garde, il connaît parfaitement les derniers développements de la photographie moderniste européenne. Très marqué par la plongée, la contre-plongée, le gros plan, le décadrage, la surimpression ou les jeux graphiques, son style, durant ces deux ou trois premières années de pratique, correspond parfaitement à celui de la Nouvelle Vision. Il relève de ce qu’il faut bien qualifier, malgré l’apparente contradiction, d’un modernisme photographique des plus classiques. DEUX RENCONTRES Comment le Walker Evans des débuts, si moderniste dans son style, a-t-il pu devenir celui que l’on connaît aujourd’hui ? C’est notamment à travers deux rencontres décisives : Lincoln Kirstein et Berenice Abbott. Brillant étudiant de Harvard, éditeur de la revue Hound & Horn, bientôt conseiller du MoMA et plus tard fondateur du New York City Ballet, le premier lui propose début 1931 de l’accompagner pour photographier l’architecture victorienne du nord-est des États-Unis. Elle-même photographe de grand talent, la seconde lui montre fin 1929 les clichés du vieux Paris d’Eugène Atget. Grâce à ces rencontres, Evans découvre un domaine qu’il ne cessera plus jamais d’explorer : celui de la culture populaire, domestique et utilitaire, c’est-à-dire vernaculaire.
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COLLECTIONNER/PHOTOGRAPHIER Qu’est-ce que le vernaculaire ? Les objets qui fascinent Walker Evans permettent de le comprendre bien mieux qu’une longue définition. Son père travaillant dans la publicité, il a très tôt développé une relation particulière avec cette culture. Dès l’enfance et jusqu’à la fin de sa vie, il collectionne les cartes postales et les petits papiers imprimés. Lorsqu’il photographie, il ne manque jamais une occasion d’introduire dans son cadre une publicité, une enseigne, ou une affiche de cinéma. Plusieurs de ses proches ont raconté qu’après avoir photographié une plaque publicitaire in situ, il n’était pas rare qu’Evans la dérobe. Les murs de sa dernière habitation en étaient d’ailleurs couverts. Comme si la photographie était une manière de prolonger la collection, ou l’inverse.
LE VERNACULAIRE COMME SUJET À partir du début des années 1930, la plupart des photographies de Walker Evans ont le vernaculaire pour sujet. Les lieux qu’il arpente sont des espaces de circulation sans qualité particulière : les grandes routes américaines, les artères principales des petites agglomérations, les trottoirs des villes avec leurs enseignes et leurs vitrines caractéristiques. Ceux qui habitent ses photographies ne sont jamais des personnes connues, mais des anonymes, sans nom et sans-grade. Les objets qui le fascinent ressortent de l’utilitaire le plus ordinaire, ils ont été fabriqués en série et sont destinés à la consommation courante. Evans se passionne pour tous ces infimes détails du quotidien, cette culture invisible et non répertoriée, qui, à ses yeux, révèle une forme d’américanité. BARAQUES DES BORDS DE ROUTES L’Amérique s’est construite autour du tracé de ses routes. Ceux qui ont décidé de s’arrêter et de s’installer au bord de la chaussée déploient des trésors d’ingéniosité pour attirer l’attention des automobilistes qui continuent d’avancer en regardant droit devant eux. Le garagiste de Géorgie désireux de faire comprendre à sa potentielle clientèle qu’il vend des pièces détachées accroche ainsi celles-ci sur sa façade en un arrangement hétéroclite, mais néanmoins harmonieux. Snacks, stations-service, marchands de fruits et de légumes… pour Walker Evans, le bas-côté est un inépuisable réservoir de trouvailles visuelles, une sorte de cabinet de curiosités, un musée en plein air. Il s’y manifeste quelque chose qui explique en quoi l’Amérique est américaine. DEVANTURES ET VITRINES Comme Eugène Atget, le grand documentariste du vernaculaire parisien, Walker Evans a beaucoup photographié les vitrines des petits commerces américains. Dans toute sa production, c’est incontestablement le sujet le plus représenté. Il est séduit par la typographie d’une enseigne, l’allure d’un mannequin, ou la façon dont le commerçant affiche ses prix. Il aime la manière dont le boutiquier peint sa devanture pour la rendre plus attrayante, le soin qu’il prend à organiser sa marchandise par forme ou par couleur. Il affectionne particulièrement la poésie des bric-à-brac d’objets désassortis qui débordent jusqu’au trottoir. Dans ces manières de faire rudimentaires, et qui changent selon l’État ou le quartier, s’exprime selon lui tout le génie fonctionnel des États-Unis.
PAYSAGE D’AFFICHES À la différence de beaucoup d’autres photographes de sa génération qui se sont évertués à photographier le paysage en évitant les affiches, Walker Evans les a systématiquement recherchées. En digne fils d’un père publicitaire, il aime les images géantes sur les murs des villes, les couleurs criardes et les slogans populaires. Qu’elles soient fraîchement collées, abîmées par la pluie ou déchirées, il les photographie en contexte, parfois frontalement et en gros plan, comme s’il s’agissait simplement d’en conserver la reproduction. Dans Moravagine, Cendrars vante la beauté des « affiches multicolores » et des « placards typographiques ». Evans, qui en a traduit quelques extraits, partage pleinement cet engouement. Pour lui aussi, la publicité est une forme de poésie moderne.
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ENSEIGNES ET SIGNES Dans l’inventaire du paysage urbain typiquement américain que Walker Evans a entrepris de dresser, il y a encore les enseignes. À l’instar des affiches, il les documente en contexte, mais aussi parfois en plan serré. Blanchisseur, cartomancienne, cireur de chaussures..., les enseignes qui l’intéressent prioritairement sont celles des petits métiers, peintes à la main, de manière rudimentaire. Dans les années 1960 et 1970, il cherchera même les fautes d’orthographe sur les panneaux des bords de routes. Evans est fasciné par la typographie, les pictogrammes et les logos. Il s’intéresse à la façon dont la lettre se transforme en image et le dessin en signe. Selon son dernier assistant, Jerry Thompson, c’est pour lui une « obsession artistique ». LE PEUPLE DES HUMBLES Ouvriers, métayers, dockers, vagabonds, mendiants... Walker Evans a photographié les humbles. Jamais misérabiliste ni grandiloquent dans ses images, il ne cherche surtout pas à faire de l’art, mais plutôt à documenter la résilience ou la dignité humaine face à l’adversité. À de rares exceptions près, qui révèlent les limites d’Evans face à la souffrance, ses photographies ne sont pas volées. Les personnes qu’il photographie participent à la construction de leur image en regardant le photographe, son objectif, et par-delà ceux qui bientôt les dévisageront. Comme Evans l’écrit lui-même en 1961 dans un article intitulé « People and Places in Trouble », ces gens-là « parlent avec leurs yeux ». TROIS FAMILLES EN ALABAMA De 1935 à 1937 Walker Evans travaille pour la Farm Security Administration (FSA), un programme gouvernemental du New Deal destiné à venir en aide aux cultivateurs les plus touchés par la crise économique consécutive au krach boursier de 1929. Durant l’été 1936, il s’interrompt pour aller photographier, en compagnie de l’écrivain James Agee, trois familles de métayers en Alabama. Pendant plusieurs semaines, ils vivent avec eux, partagent leurs repas et leurs inquiétudes. Let Us Now Praise Famous Men, le livre qu’ils cosignent en 1941, deviendra un classique de la littérature américaine. Evans réalise là quelques-unes de ses images les plus poignantes. Ses portraits des Burroughs, des Tengle ou des Fields incarnent à tout jamais les visages de la Grande Dépression. LA GRANDE CRUE DE 1937 Début 1937 Walker Evans est envoyé par la Farm Security Administration à Forrest City dans l’Arkansas pour photographier l’une des pires crues du Mississippi au 20e siècle. Des kilomètres de zones inondées, plusieurs centaines de morts, des milliers de personnes déplacées et relogées temporairement dans des camps de fortune, c’est un désastre de plus pour cette région déjà très durement touchée par la crise économique et les tempêtes de poussière. Evans est sur place le 2 février. Pendant cinq jours, il photographie sans relâche les campements où noirs et blancs sont séparés, les files d’attente pour obtenir de la nourriture et le désespoir de ceux qui ont tout perdu. Il est très éprouvé par ce qu’il voit. Ce sera sa dernière série pour la FSA. L’ENVERS DU PROGRÈS Aux États-Unis, le modernisme est le plus souvent associé à une époque flamboyante, celle de la vitesse, des gratte-ciels, des chaînes de montage, des roulements à billes et des chromes rutilants. Walker Evans a compris que ce modernisme-là possède un envers : la recherche perpétuelle de la nouveauté accélère le sentiment de vieillissement ; la consommation à outrance entraîne une augmentation inéluctable des déchets ; le progrès ne peut se vivre sans une forme de regrès, c’est-à-dire de régression. Pendant près de 40 ans, le photographe traque inlassablement les signes de cette autre face du modernisme. Splendeurs déchues, maisons en ruine, intérieurs décatis, tôles froissées, ou surfaces décrépies… l’obsolescence et le déclin des choses le fascinent.
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BEAUTÉ DES DÉCHETS Fierté de l’industrie automobile américaine, la Ford T est représentée rutilante et à pleine allure. Walker Evans choisit de la photographier immobilisée, à l’état d’épave, dans un cimetière de voitures. Il offre ainsi une image de la modernité à l’arrêt. Dès les années 1930, il avait photographié la face obscure du progrès. Dans les années 1960 et 1970, il pousse cette logique à son paroxysme, allant même jusqu’à photographier les détritus dans les caniveaux ou les poubelles. Fasciné par ce que la société industrielle rejette après l’avoir consommé, Evans s’identifie à la figure du chiffonnier, cet alter ego du poète, tant célébré par Baudelaire. « Une boîte à ordures, déclare le photographe, peut parfois être belle, du moins pour moi ». PHOTOGRAPHIER/COLLECTIONNER Walker Evans conservait dans ses archives quelques exemples de photographies de presse et de police, des pages de catalogues d’outils et des portraits d’anonymes réalisés en studio. Les catégories de sa collection de cartes postales correspondent souvent à des sujets qu’il a lui-même abondamment photographiés : vitrines, monuments, portes d’entrée, églises en bois, artères principales des petites villes américaines, etc. Il n’est cependant pas possible de savoir s’il a collectionné ces cartes avant de photographier ces sujets, ou vice-versa. S’ajoutent ici d’autres exemples de photographies vernaculaires qui n’ont pas fait partie de la collection d’Evans, mais qui ont, à l’évidence, constitué des modèles ou des sources d’inspiration pour ses projets.
LE VERNACULAIRE COMME MÉTHODE Pour Walker Evans, le vernaculaire ne constitue pas seulement un sujet, c’est aussi une méthode. Il a beaucoup regardé la photographie vernaculaire et s’en est largement inspiré pour ses propres projets. Pour réaliser ses images d’églises en bois, il se convertit, le temps du projet, en photographe d’architecture. Pour fixer l’allure des passants, il opère comme ces photographes de rue qui surgissent soudainement devant les promeneurs et prennent leur portrait. Et pour concevoir ses séries d’outils, de chaises en métal ou de masques africains, il se fait photographe de catalogues, spécialisé dans le packshot d’objets. Le paradoxe d’Evans est qu’il adopte les formes ou les procédures de la photographie non artistique tout en revendiquant une démarche créative. LA VILLE EN SÉRIES Il y a dans l’œuvre de Walker Evans une forme de systématisme sériel qui vient de la photographie appliquée. Lorsqu’il photographie des bâtiments, des rues, des portes, des églises ou des monuments, il le fait à la manière d’un professionnel. La répétitivité, l’impersonnalité, l’absence d’emphase de ses images sont caractéristiques des photographies produites à la commande. En travaillant comme un photographe d’architecture ou de cartes postales, Evans se positionne à l’exact opposé de la posture de l’artiste-photographe revendiquée à l’époque par Alfred Stieglitz. Avec quelques décennies d’avance sur les artistes conceptuels des années 1960, il s’approprie les codes de la photographie vernaculaire pour créer tout en donnant l’impression de ne pas le faire. LE CHARME DES RUES PRINCIPALES À la différence des villes européennes organisées autour des lieux du pouvoir, les villes d’Amérique du Nord se sont construites à partir d’un axe de circulation central, Main Street, littéralement la rue principale. Cette particularité de l’urbanisme américain passionne Walker Evans. Une grande part de sa collection de cartes postales est constituée de vues des artères principales des petites villes américaines éditées dans les premières décennies du 20e siècle par la Detroit Publishing Company. Evans a publié plusieurs articles sur ces rues centrales dans la revue Fortune et les a abondamment photographiées. Il aime le rythme des devantures, des poteaux télégraphiques, des automobiles garées en épi. Ces lieux possèdent à ses yeux une véritable poésie.
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LE MONDE EN PASSANT Les moyens de locomotion, le chemin de fer au 19e siècle et l’automobile au 20e, ont joué un rôle crucial dans le développement des États-Unis. Walker Evans l’a très bien compris, mais il envisage moins cette question du point de vue économique que sous l’angle de la vision. En voiture ou en train, il n’aime rien de plus que « s’abandonner à ce fastueux passe-temps consistant à regarder par la fenêtre ». Il a ainsi beaucoup photographié depuis la fenêtre d’un véhicule en mouvement. Ce n’est cependant pas l’abstraction de la vitesse qui l’intéresse, mais plutôt sa capacité à assouvir son œil insatiable en lui offrant plus vite et en plus grande quantité ses sujets préférés : vitrines, usines, enseignes, architectures et tout le vernaculaire américain. PASSANTS ANONYMES À Bridgeport en 1941, à Detroit en 1946, puis encore un peu plus tard à Chicago, Walker Evans photographie les passants. Des hommes, des femmes, de classes moyenne et populaire, flânant ou rentrant du travail. Leur seul point commun est d’être américains et anonymes. Evans se poste à un carrefour ou devant une palissade ; il prépare un cadre approximatif et attend que les passants viennent d’eux-mêmes occuper celui-ci. Il opère à la manière de ces photographes de rue (appelés filmeurs ou surpriseurs selon les pays) qui opéraient sur les trottoirs des grandes villes, surgissaient devant les promeneurs et prenaient leur portrait. L’enjeu est pour lui de les extraire de la foule tout en conservant leur anonymat urbain à travers une forme d’automatisme photographique. EN TRANSIT Durant l’hiver 1938, puis épisodiquement jusqu’en 1941, Walker Evans photographie des passagers du métro new-yorkais. Il opère avec un petit appareil dissimulé dans l’échancrure de son manteau. La série sera partiellement publiée en 1955 et 1962 dans des revues, exposée au MoMA en 1966 et éditée sous la forme d’un livre la même année. À la différence d’un portraitiste classique, Evans ne choisit pas ses sujets en fonction d’une particularité, ce sont les passagers eux-mêmes qui viennent « inconsciemment s’asseoir devant une machine fixe et impersonnelle ». Par le dispositif mis en place, puis par le recadrage des images serrées sur le visage, il transforme ainsi le wagon du métro en une cabine de Photomaton, le processus photographique le plus neutre et automatique qui soit. PORTRAITS SOUVENIRS L’inventaire du vernaculaire ne serait pas complet si Walker Evans ne s’était pas également intéressé à la photographie de famille. Dès ses débuts, il réalise des portraits de ses amis, ou de sa future épouse, Jeanne Ninas. À la manière d’un amateur, il opère instantanément, sans apprêt et en centrant son sujet. En Alabama, en 1936, il érige un véritable monument à cette manière de photographier en reproduisant simplement deux petits snapshots épinglés au mur. Quarante ans plus tard, la firme Polaroid lui offre un appareil SX-70 et un stock illimité de films. Pendant les trois dernières années de sa vie, sa principale occupation photographique consiste à s’adonner à cette forme de photographie populaire en prenant des milliers de portraits souvenirs de ses proches. L’ÉLÉGANCE DE L’UTILE Walker Evans a beaucoup regardé les catalogues d’outils ou d’objets manufacturés, les planches illustrées des encyclopédies et des ouvrages scientifiques. Il aime l’efficacité visuelle de ces pages recouvertes d’ustensiles se détachant sur un fond neutre mettant en évidence l’élégance de leur silhouette. C’est exactement cette forme d’immédiateté qu’il cherche à retrouver dans ses propres images. Au milieu des années 1930, il photographie en série, comme un professionnel le ferait pour un catalogue, des chaises en métal ouvragé. En 1955, il réalise pour le magazine Fortune un portfolio sur la beauté des outils ordinaires dans lequel il affirme que la moindre quincaillerie est pour lui comme un musée : il y découvre des merveilles d’élégances.
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LA CARAVANE DU CIRQUE Walker Evans était passionné par tout ce qui a trait à la locomotion : les automobiles, la route elle-même, ses bas-côtés ou son architecture spécifique, les trains, leurs passagers, ce que l’on voit depuis la fenêtre du wagon, etc. En 1941, à Sarasota, en Floride, il découvre le lieu où l’un des plus célèbres cirques américains, le Ringling Brothers Circus, entrepose ses anciennes voitures de parade. À la manière d’un légiste chargé d’effectuer le relevé minutieux d’une scène de crime, il les photographie sous tous les angles : de face, de profil et de trois quart, en détail ou en contexte. L’aspect populaire, utilitaire et désuet, de ces véhicules le fascine. Ils condensent en un seul objet deux de ses thèmes de prédilection : le vernaculaire et le véhiculaire. OBJETS D’AFRIQUE En 1935, à la demande du MoMA de New York, Walker Evans photographie les deux tiers des 600 sculptures présentées dans l’exposition « African Negro Art ». Une exposition de 75 de ces images voyage aux États-Unis et un portfolio de 477 tirages est édité à 17 exemplaires. À la différence de la plupart des autres photographes de l’époque, Man Ray et Charles Sheeler notamment, qui ont photographié la sculpture africaine en jouant avec les ombres pour renforcer son caractère expressionniste, Evans cherche la neutralité. Il cadre serré, sur un fond neutre et en faisant tourner la lumière tout autour de l’objet pendant un long temps de pose afin de faire disparaître les ombres. Ici encore, il opte pour l’immédiateté et l’efficacité, à la manière des photographes de catalogues.
LA PHOTOGRAPHIE, MÊME (CONCLUSION) La culture vernaculaire américaine est au cœur de l’œuvre de Walker Evans. Il l’a documentée en s’inspirant des formes ou des procédures de la photographie vernaculaire. Pour lui, le vernaculaire est donc bien à la fois un sujet et une méthode. Il choisit cependant parfois des sujets qui ne relèvent pas simplement de la culture vernaculaire en général, mais plus spécifiquement de la photographie vernaculaire elle-même : la devanture d’un studio de quartier, un présentoir à cartes postales, des portraits de famille accrochés au mur, et quelques photographes de rue, ambulants ou saisonniers. Il replie ainsi la méthode sur le sujet et produit des photographies qui sont autant de professions de foi exprimant sa conception de la photographie – des images - manifestes, en somme.
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5. « UNE BONNE EXPOSITION EST UNE LEÇON POUR LE REGARD » Pour ceux qui le veulent, ou en ont besoin, une bonne exposition est une leçon pour le regard. Et pour ceux qui n’ont besoin de rien, ceux qui sont déjà riches en eux-mêmes, c’est un moment d’excitation et de plaisir visuel. Il devrait être possible d’entendre des grognements, des soupirs, des cris, des rires et des jurons dans la salle d’un musée, précisément là où ils sont habituellement refoulés. Ainsi, dans les expositions classiques, certaines qualités des images peuvent également être refoulées, voire totalement perdues. J’aimerais m’adresser aux yeux de ceux qui sont capables d’apprécier pleinement la valeur des choses, sans être sujets aux inhibitions liées à la bienséance publique. Je veux dire ici, qu’avec un peu de chance, le vrai sentiment religieux peut parfois être éprouvé même dans une église et qu’il est possible de percevoir l’art ou de le sentir sur la cimaise d’un musée. Ceux d’entre nous qui vivent grâce à leurs yeux – les peintres, les designers, les photographes, ceux qui regardent les filles – seront tout aussi amusés que consternés par cette demi-vérité : « Nous sommes ce que nous voyons » ; et par son corolaire : nos œuvres complètes sont, pour une bonne part, des confessions autobiographiques, impudiques et joviales, mais dissimulées par l’embarras de ce qui ne peut être dit. Pour ceux qui comprennent ce langage, il s’agit bien de cela. Nous ne savons simplement jamais qui se trouve dans notre public. Quand celui-qui-voit surgit pour examiner notre œuvre et qu’il saisit nos métaphores, nous sommes tout simplement pris en flagrant délit. Devrions-nous nous excuser?
Walker Evans Boston Sunday Globe, 1er août 1971, p. A-61.
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6. AUTOUR DE L’EXPOSITION PARCOURS WALKER EVANS DANS L’APPLICATION MOBILE DU CENTRE POMPIDOU Disponible en français et en anglais À télécharger gratuitement sur les stores Google Play, Apple et Windows ou en flashant ce code :
VISITES GUIDÉES DE L’EXPOSITION AVEC UN CONFÉRENCIER DU CENTRE POMPIDOU 29 Avril-13 Août : les samedis et dimanches à 15h ( durée : 1H30 ) Vente en ligne sur www.centrepompidou.fr ATELIERS EN FAMILLE À L'ATELIER DES ENFANTS En inventant des scénettes à partir de fonds photographiques et d’accessoires, les enfants et les parents s’initient ensemble aux notions de base de la photographie. Cadrer un détail, changer d’échelle, d’angle de vue, se mettre en scène …. seront autant de jeux pour aiguiser son regard et pour apprendre à mieux voir. Les samedis 13, 27 mai, 24 juin et les dimanches 14 et 28 mai : 2-5 ANS : « Clic-Clac », 15h-16h30 6-10 ANS : « L’œil et le cadre », 14h-16h 10€, pour un enfant et un adulte / 8€ pour toute personne supplémentaire / TR : 8€ Vente en ligne sur www.centrepompidou.fr CYCLE CINÉMA WALKER EVANS, LE CINÉMA FACE À LA CRISE MERCREDI 17 MAI, 20H, CINÉMA 2 6€, TR 4€, gratuit LP*
Pare Lorentz, The Plow that Broke the Plain, 1936, (detail) © MOMA Circulating Library.
En écho à l’exposition, le Centre Pompidou propose une rencontre autour du cinéma américain face à la grande dépression. Du premier court métrage réalisé en 1936 pour le compte de l’administration américaine The Plow That Broke the Plains du documentariste Pare Lorentz au chef d’œuvre du cinéma du cinéaste John Ford The Grapes of Wrath (1940) adapté de la nouvelle éponyme de John Steinbeck, cette séance sera l’occasion d’évoquer l’influence de la photographie de Walker Evans sur le traitement d’une tragédie humaine des temps modernes. Pare Lorentz, The Plow that Broke the Plain, 1936, 35mm, nb., son, 28min. (vo) John Ford, The Grapse of Warth, 1940, 35mm, nb., son, 129min. (vost)
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7. PUBLICATIONS
CATALOGUE DE L’EXPOSITION Éditions du Centre Pompidou Relié, 23,5 x 28 cm 320 pages, 420 illustrations 49,90 euros Sous la direction de Clément Chéroux
La nouvelle monographie de référence en français sur Walker Evans. L'ouvrage s'attache à présenter tout le parcours de l'artiste à travers une iconographie exceptionnelle de plus de 400 photographies et documents provenant des plus importantes collections internationales. SOMMAIRE
Essais L’art de l’oxymore. Le style vernaculaire de Walker Evans , Clément Chéroux Le “géant sournois” et le “séquoia géant” : Walker Evans et Lincoln Kirstein, Jerry Thompson Des documents de la culture populaire, Jeff Rosenheim Animer l’obsolescence : Walker Evans, chiffonnier d’une Amérique en déclin, Julie Jones “Œuvrer pour les magazines” et “Œuvres” pour les magazines. Walker Evans, la presse populaire et l’art conceptuel , David Campany “I’m a writer too.” Les textes de Walker Evans, Anne Bertrand Walker Evans photographe : américain et moderne, Didier Ottinger L’œil d’Evans , Sveltana Alpers
Catalogue des œuvres Introduction 1. Le vernaculaire comme sujet 2. Le vernaculaire comme méthode Conclusion
Un modernisme classique En mai 1927, Walker Evans est de retour à New York. Au même moment que les surréalistes à Paris, il réalise des autoportraits turbulents dans un Photomaton. C’est aussi à cette époque qu’il décide de devenir photographe. Par ses fréquentations et sa lecture des plus récentes publications d’avant-garde, il connaît parfaitement les derniers développements de la photographie moderniste européenne. Très marqué par la plongée, la contre-plongée, le gros plan, le décadrage, la surimpression ou les jeux graphiques, son style, durant ces deux ou trois premières années de pratique, correspond parfaitement à celui de la Nouvelle Vision. Il relève de ce qu’il faut bien qualifier, malgré l’apparente contradiction, d’un modernisme photographique des plus classiques.
Annexes Chronologie Bibliographie sélective Liste des œuvres Self-Portrait in Automated Photobooth [Autoportrait dans un Photomaton], 1929 Self-Portrait [Autoportrait], 1927
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ALBUM DE L’EXPOSITION Éditions du Centre Pompidou Par Julie Jones Broché, 27x27 cm, 60 illustrations, 60 pages 9,50 € Version bilingue français / anglais. L’album de l’exposition retrace en images le parcours de l'exposition avec une sélection des œuvres majeures éclairées de courts textes.
WALKER EVANS LE SECRET DE LA PHOTOGRAPHIE ENTRETIEN AVEC LESLIE KATZ Éditions du Centre Pompidou Édition établie par Anne Bertrand Broché, 18,5 x 12 cm, 48 pages 10,50 €
Les Éditions du Centre Pompidou publient un entretien exceptionnel avec Walker Evans, traduit pour la première fois en français.
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8. EXTRAITS DU CATALOGUE D'EXPOSITION L’ART DE L’OXYMORE LE STYLE VERNACULAIRE DE WALKER EVANS (EXTRAITS) PAR CLÉMENT CHÉROUX, COMMISSAIRE DE L'EXPOSITION
— CLÉMENT CHÉROUX
de son introduction consacrée aux premières années d’Evans, le projet proposé ici rompt avec la chronologie, il mélange les temps et les lieux selon une perspective résolument plus thématique. Cette approche a plusieurs avantages. Elle permet de mieux appréhender ce que l’on pourrait considérer comme un étirement ou une dispersion du travail d’Evans. Les portraits dans le métro, par exemple, ont été pris entre 1938 et 1941 ; mais la série ne trouve sa forme définitive qu’en 1966 à travers une exposition au Museum of Modern Art (MoMA) et la publication du livre Many Are Called 3. Ceux qui approchent l’œuvre chronologiquement hésitent généralement à positionner cette série dans les années 1930 ou dans les années 1960, c’est-à-dire dans le prolongement de l’interrogation sur le visage humain entamée en Alabama ou dans le contexte des projets plus conceptuels réalisés pour Fortune. Or, à l’exemple de la photographie décrite en introduction, le projet combine les deux. L’analyse thématique résout ce dilemme et restitue la complexité du projet. Elle offre aussi l’opportunité de mieux associer des photographies éloignées dans le temps ou dans l’espace et de faire ainsi émerger les véritables obsessions d’Evans pour certains sujets comme les vitrines, les enseignes ou les signes typographiques, qu’il n’a cessé de traquer compulsivement depuis ses débuts dans les années 1920 jusqu’à sa mort en 1975. Enfin, aborder l’œuvre d’Evans à travers ses thèmes les plus récurrents permet de mieux saisir ce qui en constitue sans doute le noyau dur : la recherche passionnée des caractéristiques fondamentales de la culture vernaculaire américaine. En français, comme en anglais, le mot « vernaculaire » est construit sur la racine latine « verna » qui désigne l’« esclave4 ». Dans la Rome antique, ce dernier est juridiquement assimilé à une chose. Aristote le définit comme un « outil animé5 ». Le vernaculaire définit donc une activité liée à la servilité ou tout du moins aux services ; il est utilitaire. Dans le droit romain, « vernacŭlus » décrit plus spécifiquement un esclave qui n’est pas issu de la traite. Il n’a pas été acheté ou échangé, mais est né dans la maison. Par extension, le vernaculaire recouvre donc tout ce qui est confectionné, cultivé, ou élevé dans le foyer. Il correspond à une production domestique ou home-made comme disent les Américains. C’est la raison pour laquelle le vernaculaire est souvent associé au localisme ou au régionalisme. Enfin, dans la hiérarchie sociale, l’esclave occupe l’échelon le plus bas. Sur l’échelle des valeurs, le vernaculaire désigne donc une position mineure. Il se situe toujours en deçà de ce qui a été reconnu le plus digne d’intérêt par les instances de légitimation culturelles. Il se développe en périphérie de ce qui fait référence, compte ou pèse dans l’établissement du goût. Résolument populaire, davantage lié à la culture des masses qu’à celle des élites, il est l’autre du Grand Art. « Vernaculaire » fait partie de ces mots intimidants que l’on n’ose employer sans guillemets. Il paraît toujours trop large pour ce qu’il décrit… ou pas assez précis. Il semble varier en fonction de ceux qui l’emploient. Ici, il se définit selon trois axes précis : sa fonction, son lieu et son esprit. Le vernaculaire est utile, domestique et populaire.
L’ART DE L’OXYMORE LE STYLE VERNACULAIRE DE WALKER EVANS
Ill. 1. Walker Evans Subway Portrait [Portrait dans le métro], janvier 1941 Épreuve gélatino-argentique, 13,6 × 18,2 cm National Gallery of Art, Washington Gift of Kent and Marcia Minichiello, in Honor of the 50th Anniversary of the National Gallery of Art, 1990.114.7
Un homme et une femme sont assis côte à côte dans le métro de New York (ill. 1). Il porte un feutre mou clair à large bord et une cravate à pois. Des inscriptions, au-dessus de sa tête, indiquent qu’il voyage sur la ligne de Lexington Avenue, qui relie le City Hall au Pelham Bay Park. Elle est vêtue de sombre et coiffée d’un chapeau passablement cabossé. Dans son dos apparaît une affiche pour quatre concerts gratuits au Metropolitan Museum. Tous deux sont absorbés dans leurs pensées. En regardant plus attentivement l’image, plusieurs détails attirent l’attention. Elle semble anormalement plus grande, ou assise un peu plus haut que lui. Une bande verticale noire qui se confond avec la paroi sombre du wagon vient couper le cadre de haut en bas, aux trois cinquièmes de l’image. Il y a quelques années, Sarah Greenough, la conservatrice de la collection de photographies de la National Gallery of Art de Washington, qui possède ce rare tirage de Walker Evans, remarquait qu’il ne s’agissait pas d’une, mais de deux images1. Les protagonistes ne semblent pas assis au même niveau car ils ne sont pas dans la même photographie. La barre noire qui apparaît sur l’épreuve est en fait la zone de séparation entre deux vues successives sur le négatif. Au tirage, Evans n’a pas centré sa bande de film 35 mm (ill. 2) dans la fenêtre de l’agrandisseur, il l’a au contraire décalée latéralement afin que le passe-vue puisse cadrer deux clichés consécutifs. Il a ainsi tiré sur le même papier photographique la partie droite d’une image et la partie gauche de la suivante2. Bien que présents dans le wagon en même temps, les deux passagers n’ont donc pas été photographiés au même moment. Il appartient à l’instant d’avant ; elle habite l’image d’après. Une photographie est habituellement perçue comme un tout cohérent d’espace et de temps. L’image d’Evans vient rompre cette logique de synchronie. À la manière d’un photomontage qui aurait été réalisé dans la matière même du film, elle propose une reconstitution diachronique de la situation. Le présent ouvrage et l’exposition qu’il accompagne sont construits selon ce même principe diachronique. La plupart des analyses rétrospectives de l’œuvre d’Evans sont chronologiques : les débuts modernistes, le voyage à Cuba, le travail pour la Farm Security Administration (FSA), la série sur les trois familles de métayers en Alabama, puis les portfolios pour le magazine Fortune. À l’exception
Ill. 2. Walker Evans Subway Passengers, New York City [Passagers du métro, New York], 25 janvier 1941 Négatif souple 35 mm, inversion numérique The Metropolitan Museum of Art, New York Walker Evans Archive, 1994, 1994.253.612.3
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La plupart des analyses rétrospectives de l’œuvre d’Evans sont chronologiques : les débuts modernistes, le voyage à Cuba, le travail pour la Farm Security administration (FSA), la série sur les trois familles de métayers en Alabama, puis les portfolios pour le magazine Fortune. À l’exception de son introduction consacrée aux premières années d’Evans, le projet proposé ici rompt avec la chronologie, il mélange les temps et les lieux selon une perspective résolument plus thématique. Cette approche a plusieurs avantages. Elle permet de mieux appréhender ce que l’on pourrait considérer comme un étirement ou une dispersion du travail d’Evans. Les portraits dans le métro, par exemple, ont été pris entre 1938 et 1941 ; mais la série ne trouve sa forme définitive qu’en 1966 à travers une exposition au Museum of Modern art (MoMa) et la publication du livre Many Are Called. Ceux qui approchent l’œuvre chronologiquement hésitent généralement à positionner cette série dans les années 1930 ou dans les années 1960, c’est-à-dire dans le prolongement de l’interrogation sur le visage humain entamée en Alabama ou dans le contexte des projets plus conceptuels réalisés pour Fortune. Or, à l’exemple de la photographie décrite en introduction, le projet combine les deux. L’analyse thématique résout ce dilemme et restitue la complexité du projet. Elle offre aussi l’opportunité de mieux associer des photographies éloignées dans le temps ou dans l’espace et de faire ainsi émerger les véritables obsessions d’Evans pour certains sujets comme les vitrines, les enseignes ou les signes typographiques, qu’il n’a cessé de traquer compulsivement depuis ses débuts dans les années 1920 jusqu’à sa mort en 1975. Enfin, aborder l’œuvre d’Evans à travers ses thèmes les plus récurrents permet de mieux saisir ce qui en constitue sans doute le noyau dur : la recherche passionnée des caractéristiques fondamentales de la culture vernaculaire américaine. [...]
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Sur l’échelle des valeurs, le vernaculaire désigne donc une position mineure. Il se situe toujours en deçà de ce qui a été reconnu le plus digne d’intérêt par les instances de légitimation culturelles. Il se développe en périphérie de ce qui fait référence, compte ou pèse dans l’établissement du goût. Résolument populaire, davantage lié à la culture des masses qu’à celle des élites, il est l’autre du Grand Art. « Vernaculaire » fait partie de ces mots intimidants que l’on n’ose employer sans guillemets. Il paraît toujours trop large pour ce qu’il décrit… ou pas assez précis. Il semble varier en fonction de ceux qui l’emploient. Ici, il se définit selon trois axes précis : sa fonction, son lieu et son esprit. le vernaculaire est utile, domestique et populaire. [...]
Evans s’est lui-même beaucoup intéressé à la culture vernaculaire. Son père travaillant dans la publicité, il a très tôt développé une relation particulière avec l’iconographie produite en masse par ce secteur : habillage graphique, logos, affichettes, etc. Dès l’adolescence, il collectionne les cartes postales. Plus tard, il collectera passionnément les éphéméras graphiques – tickets d’autobus, billets de loterie, papillons publicitaires, etc. –, ou les plaques émaillées trouvées sur les bords des routes. « Je m’intéresse à ce qu’on appelle le vernaculaire. Par exemple, l’architecture achevée, je veux dire cultivée, ne m’intéresse pas, mais j’aime découvrir le vernaculaire américain », explique-t-il en 1971. Evans s’est également beaucoup intéressé à la photographie vernaculaire. [...] C’est cependant par sa propre photographie qu’Evans a le mieux célébré le vernaculaire. Ses toutes premières photographies, réalisées à la fin des années 1920, dans un style très marqué par la Nouvelle Vision européenne, glorifient déjà ce qui est alors considéré comme l’aspect le plus spectaculaire du modernisme architectural américain : celui des gratte-ciels new-yorkais. Plusieurs rencontres déterminantes, dans les années 1930, le feront évoluer vers un vernaculaire plus sobre et subtil. Ralph Steiner, qui, au cours de l’année 1931, le forme aux rudiments de la chambre grand format, était luimême fasciné par les affiches déchirées, l’ambiance des arrière-cours et la poésie des bords de route. James Agee, avec lequel Evans se lie peu après, était quant à lui passionné par le langage vernaculaire. Dans Let Us Now Praise Famous Men, l’ouvrage qu’ils signent ensemble en 1941, l’écrivain fait un usage abondant d’extraits des Évangiles, de chants populaires ou d’expressions idiomatiques. C’est encore par sa complicité avec Berenice Abbott qu’Evans développe son intérêt pour le vernaculaire. Après un long séjour à Paris, où elle a été l’assistante de Man Ray, puis une portraitiste reconnue, Abbott revient à New York en 1929 avec des milliers de négatifs et de tirages achetés à l’exécuteur testamentaire d’Eugène Atget après le décès de ce dernier en août 1927. Bien qu’Evans, lors de son séjour d’étude à Paris en 1926-1927, ait habité à quelques pas de la rue Campagne- Première, où le photographe du vieux Paris avait son atelier, et même noté le nom de cette rue sur une liste de lieux visités, il est peu probable qu’il ait vu ses images à l’époque. C’est à New York, à la fin de l’année 1929, dans le studio d’Abbott, qu’il en découvre la puissance. « J’étais complètement électrisé et secoué », expliquera-t-il plus tard. Il conservera longtemps quelques photographies d’Atget tirées par Abbott et reconnaîtra volontiers l’influence de celui qui réalisa la plus admirable enquête visuelle sur le vernaculaire parisien [...] Peu après la collaboration avec Kirstein sur l’architecture victorienne, Evans commence à étendre son intérêt à toutes les autres manifestations de la culture vernaculaire. Il s’intéresse à la manière dont l’utile se transforme en visible. Il traque les signes les plus ostensibles de la fonctionnalité marchande : la façon dont le commerçant dispose son étalage, organise sa vitrine, peint son enseigne. Il est ainsi fasciné par ce garagiste de Géorgie qui, pour bien faire comprendre à sa potentielle clientèle qu’il vend des pièces détachées d’automobiles, accroche celles-ci sur sa façade en un arrangement hétéroclite, mais harmonieux. Il recherche ce qui sert ou ce qui a servi – et ce jusqu’au rebut. Le photographe se passionne également pour tous ces petits détails de l’environnement domestique révélant une forme d’américanité : les façades de planches en bois à clin, la tôle ondulée, l’aluminium embossé, la silhouette de la Ford T, ou la typographie pseudo-cursive des enseignes Coca-Cola. Enfin, la plupart de ses sujets sont résolument populaires. Les lieux qu’il arpente sont des espaces de circulation sans qualité particulière : la route américaine, les artères principales des petites agglomérations, les rues, les trottoirs, ou les caniveaux des villes. Les objets qui l’émeuvent relèvent de l’ordinaire, ils ont été fabriqués en série et sont destinés à la consommation courante. Il en va de même pour les êtres qu’il photographie. Ceux qui habitent ses
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images ne sont jamais des célébrités, mais des anonymes, sans nom et sans grade. Visages d’une humanité humble, ils sont employés, ouvriers, ou métayers. Dans le choix de ce qu’il place devant son objectif, Evans privilégie donc toujours l’utile, le domestique ou le populaire, parfois les trois à la fois. Dans son archive, rares sont les motifs qui échappent à cette triangulation. Le vernaculaire est bel et bien son sujet de prédilection. Il y a également dans l’œuvre d’Evans un ensemble assez conséquent d’images dont le sujet n’est pas simplement le vernaculaire, mais bien la photographie vernaculaire elle-même : la devanture d’un studio de quartier, la façade d’un établissement délivrant des portraits à cinq cents pour les permis de conduire, des clichés de famille épinglés au mur et quelques photographes de rue, ambulants ou saisonniers. La récurrence de ces images montre qu’Evans était autant intéressé par la culture vernaculaire en général que par ses manifestations plus spécifiquement photographiques. Pour lui, la photographie vernaculaire est un modèle au double sens du terme : c’est un sujet qu’il ne se lasse pas de placer devant l’objectif, mais aussi une méthode dont il aime s’inspirer. Pendant plus de quarante ans, il n’a en effet cessé de calquer ses manières d’opérer sur celles de la photographie vernaculaire. Pour fixer l’aspect des églises en bois du sud-est des États-Unis, il devient photographe d’architecture. Pour enregistrer l’image des rues principales des petites villes américaines, il se transforme en opérateur local produisant des vues à la douzaine pour l’édition de cartes postales. Pour concevoir ses séries d’outils, de chaises en métal ou de masques africains, il se fait photographe de catalogues, spécialisé dans le packshot d’objets. Pour saisir l’allure des passants de Bridgeport, Detroit ou Chicago, il opère comme ces photographes de rue qui se postent sur les axes de déambulation, surgissent soudainement devant les promeneurs et prennent leur portrait. Et pour réaliser ses images dans le métro de New York, il se transforme, comme il l’explique lui-même, en « appareil enregistreur fixe et impersonnel », c’est-à-dire en véritable photomaton. La liste pourrait aisément être rallongée tant Evans a adopté les formes ou les procédures de la photographie vernaculaire tout en revendiquant en même temps une démarche d’artiste. Avec quelques décennies d’avance sur les artistes conceptuels des années 1960, Evans s’approprie donc les manières de faire de la photographie vernaculaire. Cette pratique qui, sur le modèle du « faire avec » de Michel de Certeau, pourrait être qualifiée de « faire comme », est au cœur de sa stratégie créative et de ce qui constitue son style. Dans un entretien de 1971, à la question de Leslie Katz lui demandant si les photographies documentaires pouvaient aussi être des œuvres d’art, Evans répondait : « Documentaires ? C’est là un mot très sophistiqué et trompeur. Et pas vraiment clair. Il faut avoir une oreille sophistiquée pour l’entendre. L’expression exacte devrait être style documentaire. Un exemple de document littéral serait la photographie prise par la police sur le lieu d’un meurtre. Vous comprenez, un document a une utilité, alors que l’art n’en a aucune. En conséquence, l’art n’est jamais un document, bien qu’il puisse en adopter le style. On dit parfois de moi que je suis un “ photographe documentaire ”, mais cela suppose une connaissance assez subtile de la distinction que je viens de faire, qui est plutôt nouvelle. Un homme qui opérerait selon cette définition pourrait prendre un certain plaisir sournois sous ce déguisement. » Cette dernière périphrase est particulièrement révélatrice. après avoir employé le pronom personnel « je », puis s’être subitement mis à couvert de la troisième personne du singulier, Evans reconnaît là que ses images ne sont pas des photographies documentaires au sens strict du terme, mais qu’il aime néanmoins leur en faire revêtir l’apparence. À y regarder de plus près, cependant, le document photographique n’est pas son unique modèle. Il emprunte aussi beaucoup à d’autres registres visuels comme le snapshot, la carte postale, ou la publicité, dont la vocation première n’est pas à proprement parler de documenter, mais qui ont en commun de tous appartenir à la catégorie générique du vernaculaire. Bien davantage que de « style documentaire », il serait donc plus juste de qualifier la démarche d’Evans de « style vernaculaire ».
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11. VISUELS PRESSE
Il est interdit de recadrer les photographies et de faire apparaître du texte en surimpression. Pour les sites internet la définition des images doit être de 72 DPI. Mention obligatoire : © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art
01. WALKER EVANS
New York City Street Corner 1929 Épreuve gélatino-argentique 18,4 x 12,7 cm The J. Paul Getty Museum, Los Angeles © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
02. WALKER EVANS
Stamped Tin Relic 1929 Épreuve gélatino-argentique 23,3 x 28 cm Collection Centre Pompidou, Paris Achat en 1996 © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © Centre Pompidou / Dist.RMN-GP
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03. WALKER EVANS
Coney Island Beach vers 1929 Épreuve gélatino-argentique 22,5 x 31 cm The J.Paul Getty Museum, Los Angeles, Los Angeles © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
04. WALKER EVANS
Truck and Sign 1928-1930 Épreuve gélatino-argentique 16,5 x 22,2 cm Collection particulière, San Francisco © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © Fernando Maquieira, Cromotex
05. WALKER EVANS
Self-Portrait in Automated Photobooth années 1930 Épreuve gélatino-argentique 18,3 x 3,8 cm The Metropolitan Museum of Art, New York © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © The Metropolitan Museum of Art, Dist-RMN-GP/Image of the MMA
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06. WALKER EVANS
Main Street, Saratoga Springs, New York 1931 Épreuve gélatino-argentique 18,73 x 16,19 cm Collection particulière, San Francisco © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © Fernando Maquieira, Cromotex
07. WALKER EVANS
License Photo Studio, New York 1934 Épreuve gélatino-argentique 27,9 x 21,6 cm The J. Paul Getty Museum, Los Angeles © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
08. WALKER EVANS
Penny Picture Display, Savannah 1936 Épreuve gélatino-argentique 21,9 x 17,6 cm The Museum of Modern Art, New York Gift of Willard Van Dyke © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © 2016. Digital Image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence
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09. WALKER EVANS
Joe’s Auto Graveyard 1936 Épreuve gélatino-argentique 11,43 x 18,73 cm Collection particulière, San Francisco © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © Ian Reeves
10. WALKER EVANS
Houses and Billboards in Atlanta 1936 Épreuve gélatino-argentique 16,5 x 23,2 cm The Museum of Modern Art, New York © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © 2016. Digital Image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence
11. WALKER EVANS
Shoeshine Stand Detail in Southern Town 1936 Épreuve gélatino-argentique 14,5 x 17cm The Metropolitan Museum of Art, New York Anonymous Gift © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © The Metropolitan Museum of Art, Dist-RMN-GP/Image of the MMA
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12. WALKER EVANS
Negroes’ Church, South Carolina mars 1936 Épreuve gélatino-argentique 24,1 x 19,1 cm National Gallery of Canada, Ottawa Purchased 1969 © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa
13. WALKER EVANS
Alabama Tenant Farmer Floyd Bourroughs 1936 Épreuve gélatino-argentique 22,9 x 18,4 cm Collection particulière, San Francisco © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © Fernando Maquieira, Cromotex
14. WALKER EVANS
Allie Mae Burroughs, Wife of a Cotton Sharecropper, Hale Country, Alabama 1936 Épreuve gélatino-argentique 22,86 x 18,41 cm Collection particulière © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: Collection particulière
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15. WALKER EVANS
Subway Portrait Janvier 1941 Épreuve gélatino-argentique 20,9 x 19,1 cm National Gallery of Art, Washington Gift of Kent and Marcia Minichiello, in Honor of the 50th Anniversary of the National Gallery of Art © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: National Gallery of Art, Washington
16. WALKER EVANS
Westchester, New York, farmhouse 1931 épreuve gélatino-argentique collée sur carton 18 x 22,1 cm Collection Centre Pompidou, Paris © W. Evans Arch., The Metropolitan Museum of Art © Centre Pompidou / Dist. RMN-GP
17. WALKER EVANS
Resort Photographer at Work 1941 Épreuve gélatino-argentique, tirage tardif 15,9 x 22,4 cm The J. Paul Getty Museum, Los Angeles © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
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18. WALKER EVANS
Anna Maria, Florida, octobre 1958 Huile sur panneau de fibres, 40 × 50,2 cm The Metropolitan Museum of Art, New York. Walker Evans Archive, 1994, 1994.261.178 © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA
19. WALKER EVANS
Untitled, Detroit 1946 Épreuve gélatino-argentique 16 x 11.4 cm Fondation A.Stichting, Bruxelles © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: Fondation A.Stichting, Bruxelles
20. WALKER EVANS
Tin Snips by J. Wiss and Sons Co., $1.85 1955 Épreuve gélatino-argentique 25,2 x 20,3 cm The J. Paul Getty Museum, Los Angeles © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art Photo: © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
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12.INFORMATIONS PRATIQUES INFORMATIONS PRATIQUES Centre Pompidou 75191 Paris cedex 04 téléphone 00 33 (0)1 44 78 12 33 métro Hôtel de Ville, Rambuteau Horaires
AU MÊME MOMENT AU CENTRE MUTATIONS / CRÉATIONS IMPRIMER LE MONDE 15 MARS - 3 JUILLET ROSS LOVEGROVE CONVERGENCE 12 AVRIL - 23 JUILLET 2017
Exposition ouverte de 11h à 21h
VERTIGO 15-17 MARS
tous les jours, sauf le mardi
FORUM, IRCAM
COMMISSARIAT Clément Chéroux, Conservateur en chef du département des photographies, San Francisco Museum of Modern Art Conservateur puis chef de service du Cabinet de la photographie, Musée national d’art moderne, Paris, de 2007 à 2016 Assisté de
Tarif
HERVÉ FISCHER
Julie Jones,
14 €
14 JUIN - 11 SEPTEMBRE 2017
attachée de conservation, Cabinet
tarif réduit : 11 €
attachée de Presse
de la photographie, Musée national d’art
Valable le jour même pour le musée
Céline Janvier
moderne, Paris.
national d’art moderne et l’ensemble
01 44 78 49 87
des expositions
celine.janvier@centrepompidou.fr
Accès gratuit pour les adhérents du Centre Pompidou
STEVEN PIPPIN
(porteurs du laissez-passer annuel)
14 JUIN - 11 SEPTEMBRE 2017 attachée de presse
L’accès au Centre Pompidou est gratuit
Elodie Vincent
pour les moins de 18 ans.
01 44 78 48 56
Les moins de 26 ans*,
elodie.vincent@centrepompidou.fr
les enseignants et les étudiants des écoles d’art, de théâtre, de danse,
DAVID HOCKNEY
de musique ainsi que les membres
21 JUIN - 23 OCTOBRE 2017
de la Maison des artistes bénéficient de
attachée de Presse
la gratuité pour la visite du musée et
Anne-Marie Pereira
d’un billet tarif réduit pour les
01 44 78 49 87
expositions.
anne-marie.preira@centrepompidou.fr
Le billet unique peut être acheté sur www.centrepompidou.fr et imprimé à
FRED FOREST
domicile.
12 JUILLET - 28 AOÛT 2017
* 18-25 ans ressortissants
attachée de Presse
d’un État membre de l’UE
Céline Janvier
ou d’un autre État partie
01 44 78 49 87
à l’accord sur l’Espace
celine.janvier@centrepompidou.fr
FORUM , NIVEAU -1
économique européen. AU MUSÉE : COLLECTIONS MODERNES 1905-1965 L’ŒIL ÉCOUTE NOUVEAU PARCOURS DES SALLES
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DOSSIERS À PARTIR DU 3 MAI 2017 attachée de presse Dorothée Mireux
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