PARMÉNIDE Le Poème : Fragments
TEXTE GREC, TRADUCTION PRÉSENTATION ET COMMENTAIRE PAR '.'·:..
MARCEL CONCHE
Professeur émérite
à
/'Université de Paris
I
PR E S S E S UNIV ER S I T AIR E S D E FR AN CE
A la mémoire de Martin Heidegger pour ce que je lui dois
ISBN 2130476457 ISSN 0768 0708 Dépôt légal
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1 rc édition: 1996, avril
2c édition : 1999, septembre © Presses Universitaires de France, 1996 108, boulevard Saine-Germain, 75006 Paris
INTRODUCTION
Parménide naquit à É lée, en Grande Grèce, une vingtaine d'an nées, semble-t-il, après que cette ville eut été fondée par les Phocéens . Il était donc ionien d'origine. 'EMIJ( est le nom que l'on trouve chez Platon. Au temps de Parménide, la ville se nommait Hyélè ('YÉÀ"YJ) , comme on le voit chez Hérodote (I, 1 67) ou sur des monnaies du ve siècle. A l'époque romaine, Élée était Velia ou Veliae, termes gréci sés en ÜÙÉÀilJ( (Plutarque, Publicola, 1 0, 3) et ÜÙÉÀilJ(i (Ptolémée, Geogr., III, 1 , 8), sans que le nom d"EMIJ( soit abandonné. En sep tembre 1 962, les fouilles de V elia ont révélé l'inscription épigraphique suivante, datant du !"' siècle apr. J .-C. : TIIJ([p] µe:vdÔ"Y]c; TI u p"Y)-roc; /ÜÙÀiâ.Ô"Y]c; /cpucnx6c;. Par analogie avec la notice de Diogène Laërce (IX, 2 1 ) : TIIJ(p µe:vlô"Y]c; TI up"YJTOÇ 'EÀe:â.-r"Y]c;, « Parménide, fils de Pyrès, natif d' É lée », on peut penser que ÛÙÀiâ.Ô"Y]c; signifie « natif de Velia » (pour la chute de l'e:, cf. 'YÉÀ"YJ écrit "YÀ"YJ, Suda, s .v. 'EÀfo) 1 • 1 . Cf. A. Capizzi, « Quattro ipotesi eleatiche », La Parola del Passato, 43, 1 988, p. 42, n. 7. D'après certains interprètes (cf., notamment, P. Ebner, « Parmenide medico ÜÙÀcocÔ'l)Ç», Giornale di metaftsica, 21, 1 966, p. 103- 1 1 4), ÜÙÀcOCÔ'l)Ç signifierait « fils d'Apollon guérisseur ». Mais, pour dire que Parménide etait médecin, on eût employé plutôt le terme 'AcrxÀ'l)mOCÔ'l)Ç (les médecins ne sont-ils pas les « enfants d'Esculape », 'AcrxÀ'l)rnli 7totô"ôeç, comme les désigne Platon, Rép., 408 b ?) . De plus, qu'Apollon soit ouÀrnç, au sens de « gué risseur », ne semble pas suffisamment attesté. L'existence d'un centre médical à Élée est probable. Mais faut-il y voir une école de caractère pythagoricien ? et une école à laquelle Parménide aurait appartenu ? On n'imagine guère Parménide travaillant en équipe. Selon -
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PARMÉNIDE - LE POÈME:
FRAGMENTS
Diogène Laërce (IX, 23) place, d'après Apollodore, l' akmè de Par ménide dans la 69e Olympiade ( 504-501 av. J .-C.) . On sait que le chrono graphe situe le jloruit à l'âge de quarante ans . Cela ferait naître Parmé nide en 540 av. J .-C., donc avant la fondation d' É lée. Les Phocéens s'installèrent, en effet, à Élée, après la bataille navale qui les opposa, dans la mer de Sardaigne, aux É trusques et aux Carthaginois, et qui se solda par une victoire « cadméenne » (Hérodote, I, 1 66) , c'est-à-dire aussi coûteuse qu'une défaite. Or, Glotz et Hammond s'accordent à dater cet événement de l'année 5351• Comme les colons de Hyélè venaient de Rhégion (Reggio de Calabre) , où les Phocéens s 'étaient réfugiés d'abord, la date de 535 est donc, pour la fondation d' É lée, vrai semblablement encore trop haute. Le témoignage de Platon permet de fixer, pour la naissance de Par ménide, une date plausible : autour de 5 1 5 av. J .-C. On lit, en effet, dans le Parménide ( 1 27 a): « Au dire d'Antiphon [demi-frère de Platon] , Pythodore [un disciple de Zénon] racontait qu'un j our, aux Grandes Panathénées, étaient arrivés Zénon et Parménide. Parménide était déj à fort âgé : tout gris mais de belle et noble prestance, il avait environ soixante-cinq ans 2 [•••] Socrate était alors un tout j eune homme. » Dans le Théétète ( 1 83 e), Socrate précise qu'à cette occasion, il a approché Par ménide : « J 'ai approché l'homme quand j 'étais bien j eune encore et lui bien vieux ». Dans le Sophiste (21 7 c) , enfin, il aj oute qu'il a entendu Par ménide argumenter : « procéder par interrogations, je l'ai vu faire j adis à Parménide, quand il développa des arguments de toute beauté en ma présence, alors que j 'étais j eune et lui déjà très vieux ». Né en 469, Socrate avait vingt ans en 449, lors des Grandes Panathénées de la
Ph. Merlan («Neues Licht auf Parménides», Archiv für Geschichte der Philosophie, 48, 1966, p. 267-276), il a pu appartenir à l' «aile matérialiste du pythagorisme», représentée plus tard par Simmias de Thèbes, et qui n'a pas été sans influencer Platon ( Timée, 86 b - 87 e) . Nous laissons l'hypothèse à son auteur. Reste que l'interprétation du fragment 16 qui est la nôtre dans ce livre, parle bien en faveur d'une sorte de «matérialisme médical». 1. G. Glotz, Histoire grecque, Paris, PUF, 1938, t. I, p. 200; N. G. L. Hammond, A his tory of Greece to 322 B.C, Oxford University Press, 1967, p. 121. 2. Et non: «il était sur le point d'avoir soixante-cinq ans» Q.-P. Dumont, Les Préso cratiques, Éd. Gallimard, 1988, p. 235). Rappelons que fl<iÀLo"ro:, avec un nom de nombre, marque une approximation.
INTRODUCTION
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82" Olympiade (452/451 -449 /448) . É tant peu probable qu'il n'ait eu que seize ans lors de la fameuse rencontre Qes Grandes Panathénées se célé braient tous les quatre ans) , c'est donc en 450/449 (ces fêtes avaient lieu la troisième année de !'Olympiade) qu'il aurait, le plus vraisemblable ment, entendu Parménide -lequel serait né vers 5 1 5/5 1 4 av. J .-C. Si la pleine maturité de Parménide - son akmè - se situe, comme il semble, vers 475 av. J .-C., il n'a dû rien ignorer de la philosophie ionienne. Les fragments qui nous restent de lui invitent, en tout cas, à penser qu'il a connu Anaximandre et médité Héraclite. Diogène Laërce nous dit seulement' (IX, 2 1 ) qu'il fut l' « auditeur» (&xoucrT�c;) de Xénophane, sans être, à proprement parler, son « disciple » ( &x6Àou6oc;) , et qu'il entretint des rapports étroits avec le Pyth agoricien Amei nias, au point, à la mort de celui-ci, de faire ériger un hérôon en son honneur. C'est d'ailleurs par cet Ameinias (que l'on ne connaît pas autrement) , aj oute Diogène, qu'il fut « converti à l'idéal de tranquillité (�cruxlrx) ». Reste que le Poème de Parménide porte avant tout la marque de l'influence d'Héraclite. Pourquoi un poème ? Sans doute parce que le poème, plus que la prose, est bâti pour s'inscrire dans les mémoires et pour durer : le sup port de l'affirmation de l'être éternel doit, autant que pos sible, échap per à la puissance dissolvante du temps. De ce Poème ne subsistent que des fragments, dont l'un, conservé par Sextus Empiricus, a toute fois trente vers, un autre, que l'on doit à Simplicius , plus de soixante.
1 . Il est difficile de lui faire dire plus. On lit en IX, 2 1 (texte de Diels, Dox., et des Vors.): XEvo<pchouç ÔÈ ôi>lxoucrE rlocpµEvlôl)ç rlupl)-roç 'EÀE1fr�ç (1:0û1:0v 0E6<ppoccrToç Èv T'ij 'Em-roµ'ij 'Avoc1;cµ&vôpou <pl)crlv &xoucrocc). Si l'on ne tient pas compte des parenthèses, TOÜTov se rapporte à Parménide : « Xénophane eut comme auditeur Parménide [. . .] : celui-ci (-roû-rov), au dire de Théophraste dans son Epitomé [Phys. Opin., 6a, Dox., 482, 1 4- 1 5], fut l'auditeur d'Anaximandre ». Mais Anaximandre a vécu, semble-t-il, bien avant la naissance de Parménide. C'est pourquoi Diels a mis entre parenthèses (Dox., I.e.) ce qu'il a considéré comme une glose marginale se rapportant à Xénophane, glose insérée ensuite dans le texte. Une telle solution nous semble difficilement évitable. Elle se heurte, dit-on, à la difficulté d'expliquer xocl dans la phrase qui suit la parenthèse : iîµwç ô'oi:iv &xoucrocç xocl XEvo<p&vouç oùx >)xoÀou01JcrEv ocÙ•i)>. « Bien qu'ayant été aussi (xoct) l'auditeur de Xénophane, il ne fut pas son disciple. » Mais le fait que xocl ne s'explique bien que si la glose fait partie du texte montre que ce mot a dû être ajouté par le copiste qui a inséré la glose dans le texte. Il faut donc écrire : « [ . . .] &xoucrocç (xoct) XEvo<p&vouç [ . . .] » .
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
Avec eux, les deux premières parties de l'ouvrage ont été préservées , semble-t-il, pour l'essentiel : d'abord le prooemium, le prélude, à teneur allégorique ; ensuite la partie 7tpÔc; 'Af..'Y) 6dcxv, ou la révélation, par la seule voie du discours (Myc.p) , de la vérité de l'être. De la troisième partie de l'ouvrage, où était exposée la genèse mythique (au sens du Timée) du monde sensible, ne restent que des bribes. Notre travail, qui tient compte des éditions essentielles de Karsten (1 835) et de Diels (1 897) , mais aussi de nombre d'autres travaux, vise à donner une interprétation philosophique de l'ensemble. Dans le Sophiste, en 2 1 7 c, Socrate déclare, disions-nous, avoir entendu Parménide « procéder par interrogations ». C'est pourquoi, en 237 a, Parménide est dit s'expri mer « aussi bien en prose ( m: (n) qu'en vers » : le mot m: � 7J renvoie aux discussions orales auxquelles il a été fait allusion dans ce même dia logue. Il n'a pas valeur de témoignage quant à une œuvre écrite de Parménide autre que son Poème (même si l'auteur byzantin de la Suda, s .v. « Ilcxpµe:vtô'Y)c; », a cru le contraire) .
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PARMÉNIDE - LE
POÈME: FRAGMENTS
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PARMÉNIDE - LE PütéM":
l·fü\CMt·:NTS
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PARMÉNIDE - LE POÈME:
l'R AGMFNTS
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PRÉS E NT AT I O N Les deux gestes d e Parménide
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p. 32.
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PARMÉNIDE LE -
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sique, et son auteur un cpucnx6c; (cf. 28 A 4 ; A 40) . Aus si a-t-on pu, à une époque tardive, donner à son livre le titre Peri phuseôs - titre que Simplicius fait remonter à tort à Parménide lui-même (De caelo, 556 . 25) . Mais Parménide n'est pas seulement un philosophe de la nature. La cpucnc;, en effet, dès lors qu'elle est un principe de croissance et de décroissance, est un principe de changement. Or, Parménide, en fonc tion de l'idée qu'il se fait du Réel - lequel n'est pas susceptible, au cours du temps, de devenir autre -, est amené à refuser au change ment une vraie réalité. C'est pourquoi Aristote peut le qualifier d' « antiphysicien » , &.cpucnxoc;, car nier que le changement, sans lequel la nature ne se conçoit pas, ait une vraie réalité, « revient à abolir la nature » (Sextus Empiricus, A dv. Math., X, 46 = A 26) . Le point de vue d'où Parménide met en question la réalité de la nature n'est plus un point de vue de « physicien ». Comment le qualifier ? Les choses naturelles , -ràc. cpucnxcX., s'offrent immédiatement comme réelles ; les choses que l'on dit ensuite (µe:-rcX.) , quant à la valeur de ce premier jugement de réalité - celui dont se contentent les « mortels » - peu vent être dites -ràc. µe:-ràc. -ràc. cpucrixcX., méta-physiques . Le terme « méta physique » s 'applique, depuis le Moyen Age, à ce qu'Aristote désignait comme « philosophie première » (7tpw-r'Y) <pLÀocrocpl(X, Méta., E, 1 , 1 026 a 24,30 ; K, 4, 1 06 1 b 1 9) . Or, quel est l'objet de cette philosophie, « pre mière » en droit, même si elle vient « après » ? -ro ov fi ov, « l'être en tant qu'être » (ibid., r, 1 , 1 003 a 21 ; E, 1 , 1 026 a 3 1 ) . -ro è:.6v, l'être comme tel (et non pas l' « étant ») : tel est, précisément, l'objet, dans le Poème parménidien, du fragment ontologique. Parménide est donc un philo sophe de la nature doublé d'un métaphysicien (et aussi, puisqu'il com pose en vers, d'un poète - ou, du moins, d'un versificateur) . Toute fois, la philosophie a-t-elle nécessairement besoin d'une particule ? Il y a la philosophie de (de la nature, de l'esprit, de l'éducation, des sciences, de la religion, etc.) et la philosophie - tout court. L'obj et de la philosophie « tout court » n'est pas ceci ou cela dans la réalité mais la réalité comme telle. Dire que la philosophie est philosophie de la réalité serait un pléonasme : de quoi s'occuperait-elle sinon de la réa lité ? Cela montre que, comme le veut Heidegger, philosophie « tout court » est synonyme de métaphysique. Metaphysica, en un seul mot,
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date du Moyen Age ; mais la chose a, dès longtemps, précédé le mot : elle avait nom cp tÀocrocp lcx 1 • Ainsi, ce que l'on a, avec le Poème de Parménide, c'est un système où la philosophie de la nature n'est pas le tout, car elle est subordonnée à une métaphysique, une pensée de la réalité. La nature est pensée, certes, mais sur le fond d'une pensée de la réalité. Or, ce qu'il importe de voir, c'est qu'un tel système n'est pas simplement un système de pensées : il est, identiquement, le système même de la réalité. Tà yiXp cxtrr à voei'v fo-rlv TE xal dvcxt. « Car le même est à la fois penser et être » (fr. 3) : le « même » - c'est-à-dire soit le penser soit l'être - contient lui-même et l'autre. Car le penser ne peut être « penser » qu'en étant penser de l'être ; et l'être est en soi ouvert au penser. Il n'y a donc, entre la pensée et la réalité, rien de tel qu'un « sujet » dont les « formes » informeraient le réel. Ce qui est pensé est le réel même en soi, qui se laisse voir comme il est, dans sa vérité mais aussi dans son indépendance à l'égard de la pensée - car il appartient à la signification même de l'être de n'être pas de la pensée. On peut parfaitement concevoir que la cohérence, le caractère de « sys tème », se trouve seulement du côté de la pensée, non de la réalité. Car il est possible de parler d'une manière ordonnée, cohérente, du désordre et de l'incohérence. Mais une telle scission entre la pensée et la réalité est totalement étrangère à la vision parménidienne et de l'être éternel et d'un cosmos, qui, quoique n'ayant pas lui-même l'être pour touj ours, peut être pensé comme l'œuvre d'une divinité caalµwv, fr. 1 2 . 3) sou cieuse d'ordre et de proportion. Ce que nous livre Parménide, ce n'est donc pas une vérité relative (à des facultés de connaissance, à un « suj et », etc.) , car, à ses yeux, il appar tient à la vérité d'être absolue ou de n'être pas. C'est, autant que pos sible, une vérité absolue : « autant que possible », car, en vertu de la cor rélation entre la vérité et l'être, si l'on n'a pas, d'un côté, l'être vrai mais seulement ce qui semble être, on ne peut avoir, de l'autre côté, le vrai, 1 . « Le Samien Pythagore, dit Aétius, fut le premier à employer le terme de qnÀocrocplcx » (I, 3, 8 ; p. 74 Lachenaud, avec la note 6). Pourquoi pas ? Nous ne pouvons croire que « philosophie » ait été, au temps de Platon, « un nom nouveau » (G. Colli, La naissance de la philosophie, É d. de !'Aire, 1 98 1 , p. 1 1 4) . Le terme cp LMcrocpoç se trouve, en tout cas, chez Héraclite (B 35).
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mais seulement le vrai-semblable. Ainsi en va-t-il du discours doxique, dont l'obj et est le monde, et qui ne peut atteindre à une vérité qui ne soit pas à la merci du Temps, car son objet est lui-même à la merci du Temps. Ainsi Parménide entend nous donner, en tout cas, toute la vérité possible. Est-ce à dire qu'il soit, pour autant, comme le veut Nietzsche, un « tyran de l'esprit », entendant par là celui qui, conscient de posséder la vérité, « en écrase » tous ses contemporains et devanciers, avec « dureté » et « arrogance » (Humain, trop humain, I, § 261) ? Non. Sa rela tion aux autres philosophes n'est pas de tyrannie mais de rivalité. Ath lète de l'esprit, dans la lutte pour la vérité il veut être le meilleur. « Tout se fait par la lutte (Ëpiç) », dit Héraclite (B 80) , et un Grec ne peut penser autrement. C'est dans ] ' « émulation » (��Àwcriç) 1 , non exempte de « j alousie » (Hésiode, Tr. , 26) , que le chanteur, l'artiste, l'athlète, le phi losophe font l'effort de dépasser celui ou ceux qu'ils admirent. Le res sort second de l'activité des philosophes présocratiques est l'admiration que ces héros se portent. Ressort « second », car ne nous y trompons pas . Ce sont des philosophes d'une authenticité trop absolue pour que la pas sion de la vérité n'ait pas le pas sur toute autre. Ainsi pour Parménide, qui remplace les dieux de la religion populaire par une déesse unique, la Déesse-Vérité, car il n'y a qu'une Vérité. C'est pourquoi la « j alousie » n'empêche pas les philosophes d'être chacun à l'écoute des autres. Par ménide a écouté A naximandre ; il a écouté Héraclite 2 •
I La pensée de Parménide se comprend d'une manière complète si l'on y voit une double radicalisation de la pensée d'Héraclite . Radica1. Cf. [Longin], Du sublime, 1 3, 2 ; voy. notre Héraclite, p. 1 1 6-1 1 9. 2. Selon Reinhardt (p. 64 s., 7 1 s., 155 s.), ce serait le contraire (en dépit de toute la
tradition ancienne et de l'opinion des Modernes) . Mais, en ce cas, comment expliquer que l'on ne trouve aucune trace dans les fragments héraclitée!l s de la pensée essentielle de Par ménide, sa théorie de l' éo n ? Cf. aussi A. M. Frenkian, Etudes de philosophie présocratique II, Paris, Vrin, 1 937, p. 1 0 1 - 1 07.
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liser la théorie du flux universel : tel est le premier geste de Parménide. Nous verrons plus tard le second. TI &v-ra: pei', « tout s'écoule », dit Héraclite (selon Simplicius , Phys. 887 . 1 Diels) . « Tout » : « toutes choses » (pan ta) du monde, non le monde lui-même, le cosmos - l'ordre du monde, cet ordre qui est le monde, ordre universel qui non seulement ne « s'écoule » pas mais est éternel. Certes, il y a une vie du monde ; il ne continue d'être que par une déconstruction/reconstruction perpétuelle, mais malgré les « échanges » ou « conversions » ( -rpona:l, B 3 1 ) de toutes les parties, la structure demeure : « Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l'a fait, mais il a toujours été, il est et il sera [ . . . ] » (B 30) . Les échanges ont lieu selon des lois, dont la principale est celle de l'unité des contraires, et le monde comme structure se maintient grâce au res pect de ces lois. Mais il n'est pas lui-même le principe de son activité et de sa vie. Ce principe est la nature, la phusis, la cause immanente de toute vie, qui opère en unissant les contraires - lesquels se présentent pourtant, immédiatement, comme des opposés (car le jour exclut la nuit, l'hiver, l'été, etc.) . Or, selon Parménide, c'est le monde lui-même qui est l'œuvre de la nature, qui donc est né et qui doit mourir : « Le monde, disait-il, est sujet à la corruption : de quelle façon, il ne l'a pas dit (-ràv x6crµov Ëcp'Y) cp6dpe:cr6a:�, cl) ôè: -rp6n9, oùx e:hte:v) » (Hippolyte, Philos., 1 1 : Dox., 564 . 22) . Certes, les doxographes nous disent également que « le Tout » , -rà nii.v (A 22 ; 23 ; 25 ; 29) ou -rà oÀov (A 26 ; 27) , est « immobile », « inen gendré », « sphérique », etc., mais il s'agit là des caractères que Parmé . nide attribue à l'éon, de sorte que le « Tout » ne peut être ni l' « uni vers », ni le « monde ». Les doxographes ne se bornent pas ici à rapporter une opinion : ils interprètent l' « être » de Parménide comme étant le « Tout ». Lorsque Parménide nous dit que « ces choses-ci », qui « sont maintenant », « sont nées, et, dans la suite du temps [ ... ] , mourront » (fr. 1 9) , de quelles « choses » s 'agit-il ? Est-il question seu lement des choses (astres, êtres vivants, etc.) qui. sont au monde et non du monde lui-même ? Non. Simplicius le précise : ce que Parmé nide a en vue, c'est l' « arrangement en monde des choses sensibles (-r�v 't'WV a:1cr6'Y)'t'WV a�a:x6 crµ'Y)cr�v) )) (De caelo, 558 . 8) . Ainsi le devenir
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concerne aussi les choses pour autant qu'elles forment un monde, donc le monde lui-même ; et « ces choses-ci » sont tout ce que les mor tels ont sous les yeux, c'est-à-dire le monde. Comme pour Anaxi mandre, le monde, avec tout ce qu'il contient, a eu un commencement et aura une fin. De là un problème de la mise en ordre, de la « genèse » (yévecrn;, Arist. , Méta., A, 4, 984 b 26) , du monde, qui n'existe pas pour Héraclite. Parménide le résout à l'aide d'un mythe où la « divinité » (�o:lµwv) qui « gouverne tout » (fr. 1 2 . 3) apparaît comme l'ancêtre du dèmiourgos dans le mythe cosmogonique du Timée. C'est elle qui, à par tir du Feu-lumière et de la Nuit en proportions diverses, est « à l'ori gine de l'odieux enfantement de toutes choses » (fr. 1 2 . 4) . Le mythe philosophique j oue ici le même rôle que les hypothèses explicatives dans la science moderne. Ce qui, chez Héraclite, pas plus que le monde, ne s'écoule, est le discours vrai sur le monde. Le logos d'Héraclite n'est pas la raison cos mique - comme ce sera le cas chez les Stoïciens, où l'on voit le mot Myoç entrer dans les trois définitions que Chrysippe a données du des tin (dµcxpµ€vYJ) 1 • Chez Héraclite, le mot pour signifier la raison imma nente aux choses et aux événements, cette « sage raison qui gouverne tout à travers tout » (B 41 ), n'est pas Myoç mais yvwµ"Y). Le mot Myoç désigne le discours au sujet de la yvwµ"Y) pour autant que ce discours est vrai, et cela veut dire éternellement vrai. Car toute vérité est éter nelle : une vérité qui ne serait pas touj ours vraie ne serait plus la vérité. « Tout s'écoule », tout change : cela est vrai, d'une vérité qui, elle, ne change pas. Rien n' est, tout devient. Le discours, toutefois, a un être (« De ce discours qui est touj ours [. . .] », B 1 ) , mais l'être d'un discours n'est pas l'être d'une chose : c'est l'être vrai. Parménide admet, comme Héraclite, que ce qui est vrai ne peut ces ser de l'être. Mais alors que, pour Héraclite, le logos recueille la vérité éternelle au sujet de l'éternel devenir, pour Parménide, le discours de ce qui est en devenir ne peut être dit « vrai » mais seulement « vrai-sem blable », au sens étymologique : ayant la semblance2 du vrai. Ce n'est pas 1. Cf. notre Temps et destin, PUF, 1992, p. 56. 2. Pour employer un mot vieilli.
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que, selon Héraclite, le discours puisse énoncer la mouvance comme telle, innommable ; mais les lois, les règles (telle la loi de l'unité et de l'in dissociabilité des contraires et ce qu'elle implique : le balancement mesuré d'un contraire à l'autre dans le respect d'une loi d'équivalence) qui définissent l'ordre du monde - ordre éternel -, ces lois, ces règles sont éternelles, et le discours qui les énonce n'est pas plus qu'elles à la merci du Temps . Mais, pour Parménide, l'ordre du monde n'est pas éternel : il est engendré et périssable. Il convient donc de décrire la manière dont s'est fait le monde. L'opposition et l'unité des contraires qui assurent la vie du monde chez Héraclite, chez Anaximandre en expli quent l'origine. C'est, de même, à partir de deux contraires que la daimôn de Parménide construit le monde. Pour Parménide, comme pour Anaxi mandre, ces contraires sont, dans le langage d'Aristote, le « chaud » et le « froid » (6e:pµov xcxt �uxp6v, Phys., I, 5, 1 88 a 20) , où il faut voir une refor mulation des termes parménidiens, le « Feu » , Ilup, et la « Nuit » , Nu� (le « Feu éthéré de la flamme » et la « Nuit sans lumière », 8 . 56 et 59) . Or, ce sont les « mortels » (�po-ro0 qui ont distingué ces deux « formes » (µoprpcx0 et les ont nommées (àvoµiX�e:�v, 8 . 5 3) . Ce n'est pas moi que vous écoutez, si vous écoutez vraiment, dit Héraclite, mais le logos, le discours de l'éternelle vérité (cf. B 50) . Le cosmos héraclitéen est pensé sub specie eternitatis. Au contraire, c'est avec les mots des mortels que, chez Parmé nide, la divinité du mythe cosmogonique bâtit son discours de la génesis tou kosmou. Il n'y a pas d'autre monde que le monde des mortels - où il y a le Feu-lumière et la Nuit -, un monde, comme eux, périssable. Le phi losophe lui-même ne vit pas dans un autre monde. Ce qu'il peut seule ment faire, c'est expliquer aux mortels, avec leurs mots à eux, ce qu'ils ont sous les yeux. Le monde est pour eux simplement là. Le discours doxique leur fait voir comment il en est venu à être ce qu'il est. Parmé nide ne présente pas ce discours comme « tout simplement faux » ( �e:uaii à7tÀwi:;, Sim pl., Phys., 39 . 1 0) , mais comme se tenant en dehors (cf. Èx7trn -rwx6-rcx, 39 . 1 2) de la Vérité, et relevant de ce qui semble. Pour les mor tels, le monde est. Mais ce qui est disparaissant n'est pas vraiment : il semble être. Le discours qui explique le monde semble vrai. Mais ce n'est que semblance, non en ce sens qu'un autre discours cosmique (celui d'un devancier de Parménide ou un autre) serait plus vrai, car il est
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aussi « vrai » que peut l'être un discours sur le monde sensible, m a i s en ce sens que, contrairement à la Vérité, celle énoncée par la Déesse (6e:&., 1 . 22) dans la première partie du Poème, il est, comme son objet même, à la merci du Temps. Lorsque le monde aura cessé d' apparazîre (cf. -rà qHnvô µe:vov, 39 . 1 1 ) , ce qui est sa seule façon d'être (car il s'épuise dans le phé nomène) , le discours sur le monde cessera de sembler vrai, car les signifi cations que les mortels donnaient aux mots se seront évanouies.
II La première « radicalisation » parménidienne de la pensée d'Héra clite a consisté, disions-nous, sans aller jusqu'à supprimer la notion de « monde », comme le voudrait Zeller (p . 50) , à faire naître et mourir le monde lui-même, de façon que non seulement toutes choses sensibles, mais leur organisation en monde, leur être-monde, soient entraînés dans le flux héraclitéen. En sens opposé, la seconde « radicalisation » consiste en ceci que la pensée parménidienne vise à se fonder dans une éternité plus incontes table que celle consentie au monde par Héraclite, car se tenant dans un « maintenant » (vüv, 8 . 5) qui n'est plus le maintenant temporel, au lieu de n'être rien de plus que la durée sempiternelle du temps . Les interprètes d e Parménide ont senti que l' É léate abandonnait au temps beaucoup plus que ne l'avait fait Héraclite, qu'il lui abandon nait presque tout. Mais ce qu'ils ont laissé pour constituer l' « Ê tre » de Parménide, était encore trop. Dire que l'être parménidien est la « matière primordiale » (Gomperz, p. 209) , « le plein (7tMov) , ce qui remplit l'espace » (Zeller, p. 5 1 ) , l' « étendue pleine, par soi et substan tielle de Descartes » (Hamelin, p. 1 20) , une « sphère égale à elle-même dans toutes les directions » (Bloch, p. 37) , une « image géométrique » (Bréhier, p . 63) , l' « espace » (Lachelier d'après Dauriac, p. 534) , l' « espace étendu » (Baccou, p. 1 69) , c'est encore trop dire ; e t c'est passer non pas à côté mais très loin de la découverte de Parménide : celle de l'être dont il n'y a pas à demander ce qu'il est, car ce mot ne signifie rien de plus que ceci : ily a.
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Il y a traduit Écr'n (sans sujet en 2 . 3) , il nj a pas, oùx Écr'n. Le fait qu'ily ait se dit To Èov, et l'on traduira par exemple Èov yàp ÈovTl ne:M�e:l (8 . 25) par : « Car le ily a touche au ily a » 1 . Toutefois, pour marquer la différence entre les formes grammaticales grecques, il est préférable de réserver ily a pour traduire foTi, et de traduire TO f.6v par « l'être » (à la condition de penser, dans « être », le fait qu'ily ait) . Certes, litté ralement, TO Èov est « l'étant » (« l'es tant » au XVII° siècle, chez Scipion Dupleix, par exemple� . O'Brien-Frère, à l'exemple de Beaufret, ont traduit To Èov par « l'être » , TO µ� f.6v par « le non-être ». M . Piclin a repris leur traduction, en substituant toutefois à l' « être », l' « étant », au « non-être », le « non-étant >>, Voilà pourtant exactement l'erreur à ne pas faire. Car il faut éviter tout ce qui pourrait sugérer de penser le ily a comme un étant. Une chose est le fait qu'il y ait, autre chose ce qu'il y a. Le ily a n'est pas ce qu'il y a. L'ambiguïté du participe, en particulier de Èov, a été soulignée par Heidegger (cf. aussi Beaufret, p. 34) : l'éon signifie d'abord « ce qui est étant », ensuite « ce qui fait, pour ainsi dire, que ce qui est nommé ainsi soit un étant » - ce qui, dans l'étant, « constitue son être » (Intro duction à la métaphysique, trad. G. Kahn, PUF, 1 9 58, p. 39) , Or, aj oute Heidegger, « le To av grec a souvent le deuxième sens et ne désigne donc pas l'étant lui-même, ce qui est étant, mais le « étant », l' étance, l'être-étant, l'être [ .. ) La première signification de TO av est TcX aVTO( (entia), la seconde TO e:Ivm (esse) » (ibid,, p. 39-40) . En - français, il arrive que le participe présent ait une orthographe différente selon qu'il est employé comme nom (adjectif pris comme nom) ou comme verbe (exemples : un intrigant intriguant, un navigant naviguant, un fabricant fabriquant, un adhérent adhérant. . . ). On pourrait écrire, par exemple, « l'étant estant », pour indiquer que l'on considère le fait, pour un étant, d' être, et non ce qu'il est. Mais ce que Parménide a en vue est bien l'être, le seul fait d'être. Il convient donc de laisser de côté la traduction imitative de Èov par « étant », et de traduire ce mot par « être », excepté, toutefois, lorsque Farménide parle bien de l' « étant », ,
1 . Ainsi avons-nous fait nous-même ( Vivre et philosopher, PUF, 1 992, p . 1 62) . 2 . Cf. sa Métaphysique, Livre deuxième (Rouen, 1 640 ; Paris, Fayard, 1 992) .
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pour dire, précisément, que ce qui est à penser est le fait, pour l'étant, d'être. Ainsi : X.P� 'îo ÀÉye:iv 'îE voe:'i:'v 'î' Èov E:µµe:vai (fr. 6 . 1 ) doit être tra duit : « Il faut dire et penser l'étant être » (E:µµe:vai est la forme les bienne pour « être » - e:Ivai en attique) . « Nous ne devons pas traduire 'îO È6v par l'être (Sein, Being). Ce mot signifie ce qui est (das Seiende, What is) », écrit Burnet (p. 206, n. 2) . Gil son lui fait écho 1 : « Comme on l'a fait remarquer, [Parménide] ne parle pas exactement de l' « être », mais plutôt de « ce qui est » (L 'être et l'es sence, Paris, Vrin, 1 948, p. 22) . Mais c'est prendre le contrepied de la pen sée de Parménide que de faire de l'être - du ily a - un étant, un être. Quel serait cet être ? L'expérience n'a fourni à Parménide, dit Nietzsche, « nulle part un être semblable à celui qu'il imaginait, mais du seul fait qu'il pouvait le penser, il a conclu qu'il devait exister » (La philosophie à l'époque tragique des Grecs, § 1 1 , trad. Haar-de Launay, in Écrits pos thumes 1870- 1873, Gallimard, 1 975, p. 249) . On reconnaît l'être de la preuve ontologique ; et, effectivement, une variante du passage est celle-ci : « Parménide est l'inventeur de la preuve ontologique » (ibid., p. 3 8 1 ) . L'être de Parménide serait l' É tant suprême - seul, du reste, à être vraiment. Mais, demande Beaufret, s'agit-il, chez Parménide, « d'identi fier l'étant qui mérite particulièrement d'être appelé ainsi, et qui sera dès lors le suprême É tant ? », ou s 'agit-il de ce « en vertu de quoi tous les étants, y compris le suprême É tant, peuvent être tenus pour étant ? » (p. 3 5) . Si l'on ne voit pas que la seconde question, « plus fondamentale que la première », dit Beaufret avec raison, est celle même de Parménide, non seulement on ne saisit pas ce qui est sa découverte, mais on manque du tout au tout l'intelligence du Poème. Ily a, et le ily a, disions-nous, n'est pas ce qu'il y a. La formule par laquelle on résume, traditionnellement, la conception de Parménide « L'être est, le non-être n'est pas » (ainsi Fouillée, Radier, Hamelin, p. 1 1 7, Rivaud, p. 6 1 , Brun2 , etc.) - est donc tout à fait aberrante. Elle
1 . Avec l'approbation de J ean Wahl, Traité de métaphysique, Payot, 1953, p. 85. 2 . Fouillée, Histoire de la philosophie, Paris, Delagrave, s.d., p. 5 3 ; Radier, art. « Parmé nide » , Grande Encyclopédie, Paris, Lamirault, s.d. ; Brun, Les Présocratiques, PUF, 4' éd., 1 989, p. 72.
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n'en est pas moins celle de Hegel : « seul l' Ê tre est, et le Néant n'est pas » (« nur das Sein ist, und das Nichts ist gar nicht » , Wissenschaft der Logik, éd. Lasson, I, p. 68) ; et Platon, disant qu'il faut, à l'encontre de l' É léate, « établir que le non-être est, sous un certain rapport, et que l'être, à son tour, en quelque façon, n'est pas » (Sophiste, 241 d, trad. Diès) , ne semble-t-il pas « inverser la formule classique de Parménide » (Cordera, éd. du Sophiste, Flammarion, 1 993, p. 240, n. 1 83) ? Mais surtout, la formule n'est-elle pas tirée de Parménide lui-même ? L' Éléate distingue les deux seules voies de recherche (du moins les deux seules légitimes) « qu'il y a pour penser », dont l'une est « qu'il y a et que non-être il n'y a pas » , 07tCùÇ fo1:w 'îE xod WÇ OÙX Ecr'ît µ� Elv!X.t (fr. 2. 3) . L'on traduit : « que !' Ê tre est, et que le non- Ê tre n'est pas », lisant -rà Èàv fon, alors que fo-rt est sans sujet ; ainsi, j adis, Riaux, Tan nery, Hamelin (p. 1 1 8) , Zafiropulo (p. 1 32) , etc. Reinhardt, qui écrit -rà ov fo-rt, « das Seiende ist » (p. 3 5) , ne s 'écarte pas de la tradition, même s 'il préfère parler de !' « étant » plutôt que de !' « être ». Lors qu'on introduit, en 2 . 3 b, la possibilité (qui ne s 'y trouve pas) - ainsi Patin (p. 535), Diels 1 897, Robin (« !' Ê tre est, et il n'est pas possible qu'il ne soit pas », p. 1 03) , A. Rey (p. 1 42) , Cl. Ramnoux (p. 1 1 0) , Couloubaritsis (p. 370) , etc. - , on garde pour fo-rtv, en 2 . 3 a, l a lecture traditionnelle « !' Ê tre est » (ou « (il) est », « (it) is », « (es) ist », lors qu'on remplace l' « Ê tre » par un pronom) . Diels (1 897) écrit donc : « [Das Seiende] ist » (p. 3 3) , « das Sein existirt » (p. 3 5) ; Cl. Ramnoux (p. 1 1 1 ) , G. Colli (op. cit., p. 9 3) , entre autres, écrivent : « L'être est », etc. Selon Mans feld ( Offenbarung, p. 45) , « es ist » signifie « das absolute Seiende ist », bien que cela n'apparaisse pas encore, selon lui, dans le fragment 2, où fo-rtv, en 2. 3 a, n'a pas de suj et. Certes, l'on peut dire qu' « un étant est », puisque c'est le propre de l' « étant » d'être, ou que « !' É tant est », si l'on entend par là !' É tant suprême, Dieu par exemple. Mais ni dans l'un ni dans l'autre cas, il ne s'agit de l'éon parménidien, lequel signifie seulement qu'ily a. On a cru, durant des lustres, exprimer la pensée essentielle de Parménide par ces mots : « L'être est », alors que, pour lui, précisément, l' « être » n'est pas. Heidegger le dit très bien : « Le substantif "être" suppose que cela même qui est ainsi nommé "soit". "L'être" devient maintenant lui-
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même quelque chose qui "est", alors que manifestement i l n 'y a que l'étant qui soit, et que l'être n'est pas en plus à son tour » (op. cit., p. 79) . La conférence de Heidegger Was ist Metaphysik ? ( 1 9 3 1 ) s'achève sur la question : « Pourquoi, somme toute, y a-t-il de l'étant (Seiendes) et non pas plutôt rien (Nichts) ? », question reprise dès les premières lignes de l' Einführung in die Metaphysik (cours de 1 935, publié en 1 9 53) , comme étant la « question fondamentale de la métaphysique ». C'est bien ainsi que Leibniz la présente, qui écrit, au § 7 des Principes de la nature et de la grâce fondés en raison : « Jusqu'ici nous n'avons parlé qu'en simples physiciens : maintenant il faut s'élever à la métaphysique, en nous servant du grand principe, peu employé communément, qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante [. .. ] Ce principe posé, la première question qu'on a droit de faire sera : Pourquoi il y a plutôt quelque chose que rien ? » Et, pour Leibniz, Dieu est la « dernière rai son des choses » (§ 8) . La prétendue « question fondamentale » de « la » métaphysique n'est-elle que la question fondamentale d'une métaphy sique créationniste ? Non, selon Heidegger, car Dieu n'est encore que l' É tant suprême, et, en expliquant le monde et les étants finis à partir de l' É tant infini, on ne répond en aucune façon à la question : pour quoi y a-t-il de l'étant et non pas plutôt le néant ? Mais la ques tion, qui avait un sens chez Leibniz (où le mot « rien » fait allusion à une non création, à une abstention possible de Dieu) , garde-t-elle ici un sens ? J ean Wahl n e le croit pas : ainsi, dit-il, que Bergson l'a montré, « le néant n'est pas une idée, le néant est une pseudo-idée » : « Nous n'avons donc pas à nous demander pourquoi il y a de l'étant plutôt que du néant, parce que le néant, nous ne le pensons pas, et que le néant n'est pas » 1 • Le rien, le il n) a pas (oùx fo·n) n'est « ni dicible ni pensable » (où CjlQ('TOV oÙÔÈ VO'YJ"T6v, 8 . 8) , dit Parménide. Dans la contribution Zur Seinsfrage, Heidegger approuve Léonard de Vinci
1 . Vers la fin de /'ontologie, Paris, Sedes, 1 956, p. 9. J. Beaufret, qui rejette les pages « si allégrement superficielles », dit-il, de Bergson (lntrod11ction aux philosophies de /'existence, Denoël/Gonthier, 1 9 7 1 , p. 1 57) , ne voit pas combien, sur ce point, Bergson est proche de Parménide.
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PRÉSENTA TION
d'écrire : « Des grandes choses qui sont à trouver autour de nous, !' Ê tre du Néant (das Sein des Nichts, l'essere del nul/a) est la plus grande » (éd. Klostermann, 1 955, p. 3 8) , et il demande : <( Auf welche A rt gibt es Nichts ? », « De quelle façon "y a-t-il" le Néant ? » 1 La leçon de !' Éléate n'a pas été entendue. Car, pour Parménide, parler de l' « être » du néant, demander « de quelle façon » il y a le néant, est absurde. D 'un côté le ily a, de l'autre le il ny a pas, et il n'y a pas de ily a du il ny a pas. La question : « Pourquoi les choses sont-elles ainsi plutôt qu'autrement ? » est légitime, et elle sous-tend, dans la deuxième partie du Poème, l'explication cosmogonique ; mais la ques tion « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » est vide de sens, car elle implique l'impossible prise en considération du non-être.
III La première « radicalisation » de la pensée d'Héraclite conduit à la dis solution, dans le flux universel, du monde lui-même. Au témoi gnage d'Aétius (A 37 I) , une enveloppe solide entoure le cosmos par ménidien « comme un rempart ('re:'i'x. oc;) ». Or, il en ira de ce « rempart » comme, chez Lucrèce, des « remparts enflammés du monde lflamman tia moenia mundi, I, 73) : car, « à leur tour les murailles qui entourent le vaste monde, succombant aux assauts du temps, ne formeront plus que décombres et ruines poussiéreuses » (II, 1 1 44-45, trad. Ernout) . O n a p u trouver, dans c e s vers d u D e natura rerum, u n écho d u frag ment 1 92 , lequel annonce, pour toutes choses sensibles et pour leur « arrangement en monde » (ô�()(x.6crµ'Y)mc;, Sim pl., Pl!Js., 558 . 8) , un terme fatal. En sens inverse, la seconde « radicalisation » découvre une stabilité plus fondamentale que celle du monde d'Héraclite, qui pourtant « a toujours été, est et sera (�v &d X()(L è'.crnv X()(L è'.cr-r()(�) » (B 30) . Car le ily 1 . Trad. G. Grane!, dans Questions !, Gallimard, 1968, p. 243. 2. G. Bréton, Essai sur la poésie philosophique en Grèce : Xénophane, Parménide, Empédocle, Paris, Hachette, 1 882, p. 1 69.
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PARMÉNIDE LE -
PO l\ M F. :
l ' H i\ C ; M E N TS
-ro ÈÔv, l'être, la Présence même, ne peut ni avoir été, ni devo i r être : la Présence ne peut avoir ni passé ni futur. Et le présent q u e l le ins taure est sans passé qui le précède, sans futur qui le suive. Tel est le « maintenant » (vuv, 8 . 5) sans avant ni après que Parménide distingue du maintenant temporel (vuv ou vuv, 1 9 . 1 ) . Or, ce que l'on a , avec la « Présence », c e n'est j amais l a Présence sans rien qui soit présent, mais c'est la Présence de ce qui est présent. Toutefois, ce qui est présent, ce qu'il y a, ne saurait persister dans la Présence au-delà d'un terme fatal. Tout ce qu'il y a s 'écoule, laissant place à autre chose, qui est pourtant touj ours, inéluctablement, ce qu'il y a. Ainsi le ily a, l'être, est indépendant non seulement de tel ou tel étant mais d'un étant quel qu'il soit ; mais il est indissociable du fait qu'il y ait des étants, puisqu'il ne signifie précisément pas autre chose que le fait qu'il y ait des étants, et qu'il doive nécessairement y en avoir touj ours . Ce que signifie ce « touj ours », c'est qu'une situation de droit sous tend toutes les situations de fait. En fait, il y a, présentement, tels ou tels étants : cette prairie enneigée, ce brouillard, le soir qui tombe. Mais l'on peut dire aussi : « Il y aura ». Et bientôt l'on pourra dire : « Il y a eu ». En droit, la Présence peut accueillir des étants à l'infini. Les étants adviennent, séjournent un moment dans le Lieu unique et iné branlable (µouvoye:vÉc; -re: x.d hpe:µÉc;, 8 . 4) du séjour, et disparaissent. Ainsi tout bouge, mais le ily a , la Présence, le Site, ne bouge pas. En éternité, dans le il y a absolu, pour accueillir êtres et événe ments à l'infini, s 'instaure le Temps . La Présence est accueil, et !'Ac cueil signifie Ouverture 1 • Tout ce qui a lieu a lieu dans !'Ouvert. Cela signifie que la Présence n'est pas, ne peut être un étant, un être, car to ut être, étant un être particulier (n'étant que ce qu'il est et pas autre chose) , n'admet, avec les autres êtres, que des relations particulières, donc exclusives . Tout être, en ce sens, est déjà un sujet, car un sujet appréhende le monde dans l'étroitesse d'une perspective, s 'ouvre donc à certaines relations et se ferme à d'autres. Certes, n'importe quoi ne a,
'
1. Le terme est heideggérien, mais la signification est indiquée par le contexte.
PRÉ SENTATION
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peut n'importe quand accéder à la Présence, mais cela tient, précisé ment, non à la Présence elle-même, mais à ce qui est présent, qui est compatible avec la venue à l'être de certains êtres ou événements, non d'autres . La Présence e s t donc libre à l'égard d e tout processus d e cause à effet, et indifférente. « Pourquoi les choses sont-elles ainsi plutôt qu'au trement ? » : la question concerne les êtres et les événements - dont il est toujours possible de rendre compte à partir d'autres êtres ou événe ments -, mais ne concerne pas la Présence. Nihil est sine ratione, « rien ne se fait sans raison suffisante » : tel est, dit Leibniz (/oc. cit.), le « grand principe » de la métaphysique. Ce principe concerne l'univers des êtres et des événements, mais ne concerne pas le ily a, l'être, -rà Èov, la Pré sence. Pour Leibniz, observe Heidegger, le principe « rien n'est sans rai son » veut dire j uste autant que « rien n'est sans pourquoi » 1 • Ainsi le fait qu'ily ait est « sans raison », ou, comme on voudra, « sans pourquoi ». A partir de quoi rendrait-on compte du ily a, sinon à partir du ily a, dont, par conséquent, il ne serait pas rendu compte ?2 Ce dont on ne peut rendre raison selon Héraclite, c'est de ce qui a touj ours été, le monde : « Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l'a fait [ . . . ] » (B 30) . Le monde est !'Englobant, le Site où hommes et dieux, mortels et immortels, cohabitent, du reste plus interdépendants qu'il ne leur semble (cf. B 62) . Le Site n'est pas, pour Parménide, le monde, mais simplement la Présence. Héraclite peut dire : « Il y a le monde » ; mais avant de dire « il y a le monde » et pour le dire, il faut dire : « Il y a » . Ily a : quand ? où ? Ici et maintenant. Le ily a, dit Parménide, « reste fermement ici même ( ai5fü) fixé » (8 . 30) . Cet « ici » n'est pas plus spatial que le maintenant de l'éternelle Présence n'est temporel. Tout comme le maintenant éternel n'a ni avant ni après, ainsi l'ici éternel est-il sans autres lieux alentour. Ce maintenant et cet ici, ensemble, sont le Site, dont l'éternité est une autre éternité que celle du Site héraclitéen, laquelle consiste simplement à être de tout temps. 1 . L e principe de raison, trad. A. Préau, Gallimard, 1 962, p . 109. 2. Cf. 8 . 1 9-20, et notre commentaire dans Vivre et philosopher, p. 1 63.
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PARMÉNIDE - LE POÈME
:
FRAGMENTS
« En se transformant, il reste en repos », dit Héraclite (B 84 a) . Ce qui se trans forme, c'est le Feu, et c'est aus si le Feu qui se repose, qui trouve à tout instant le repos dans la Loi immuable de ses trans forma tions, la Loi du monde. Ainsi se j oignent, en une unité vivante, ces contraires fondamentaux que sont l'immobile et le mouvant. Pas plus que celui d'Héraclite, l'immuable parménidien n'est un être. Mais il n'est pas une loi. Car une loi n'a de sens que par ce qu'il y a. Il faut donc que, d'abord et avant tout, ily ait (ou qu'il y ait le ily a, mais parler ainsi n'aj oute rien) . C'est le ily a, l' t6v, et lui seul, qui est !'Im mobile. Quant au mouvant, il peut se représenter, d'une manière générale, par l'expression ily a /il n'y a pas, qui définit la manière dont les mortels passent sans cesse à côté du plus étonnant sans s 'étonner : l'être. « Il y a du brouillard », dis ent-ils ; et ensuite : « Il n'y a pas de brouillard ». « Il y a ceci » ou « il n'y a pas ceci », selon les moments . Les mortels ne connaissent que l'être déterminé, qui n'est pas à l'abri du non-être, non l'être absolu qui n'a pas de contraire - car le non être absolu, le néant, n'étant « ni dicible ni pensable » (8 . 8) , ne peut être pensé comme le contraire de l'être. « Il y a [ . . . ] », ensuite « il n'y a pas [ . . . ] », puis « il y a [ . . . ] » : tel est le devenir. Ainsi, si l'on considère l'ensemble formé par le ily a et le ily a /il n'y a pas, c'est-à-dire le Site habité, ou occupé, on a, comme chez Héraclite mais autrement, l'union du stable et du mouvant, le Stable étant l'assise qui permet à toutes choses d'avoir lieu.
I L 'A L L Ã&#x2030; G O R IE
FRA G M E NT 1
1 -30 SEXT. , A dv. math. , VII, 1 1 1 28 b-32 S IMPL. , De caeL , 557 . 25558 . 2 Heiberg 28 b-30 D. L., IX, 22 29-30 PROCL . , in Tim. , 1, 345 . 1 5- 1 6 Diehl; CLEM., Strom. , II, 366 . 1 6- 1 7 Stahlin; PLUT. , A dv. Colot. , 1 1 1 4 d-e.
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L7t7toL Tal µe: <pÉpoucnv, ocrov '!''bd 6uµoç lxcX.voL 7tɵ7tov, E7td µ' E:ç oaov �Yjcrav 7tOÀÛ<p71µov &youcraL aalµovoç, 'ÎJ Xa'l'IX 7t�V Ta<{» '!'7) <pÉpe:L da6w cpc7na T?j cpe:p6µ71v, 'l'7j ycX.p µe: 7toÀÛcppacrToL <pÉpov L7t7tO L &pµa 'l'L'l'alvoucraL, XOUpaL a' oaOV �ye:µ6ve:uov. &Çwv a'E:v xvo l:icrLV LEL crÛpLyyoç &üT1jv a166µe:voç (aowi:ç ylXp E7tdye:To aLVW'l'OLcrLV xÛxÀoLç &µ<poTÉpw6e:v) , OTE cr7te:pxolaTo 7tɵ7te:Lv ' H ÀLaae:ç xoupaL, 7tpoÀmoucraL awµaTa VUX'!'6Ç, dç cpaoç, Wcraµe:vaL xpa't'WV cX7t0 xe:pcrL xaÀÛ7t't'paç. Ëv6a 7tÛÀaL vuxT6ç TE xal �µaT6ç dcrL xe:Àe:Û6wv, xal crcpaç \mÉp6upov &µcplç ËXEL xal M·L voç oùa6ç aÙ'!'aL a'a16ÉpLaL 7tÀYjvTaL µe:yaÀO L<rL 6upÉ'l'poLç· 'l'WV i)è; tilx71 7tOÀÛ7tOLVOÇ ËXEL xÀ71i:oaç &µoL�oûç. '!'�V a� 7tapcpcX.µe:vm xoupaL µaÀaxoi:m MyoL<rLV 7tELcraV Em<p paaÉwç, {},ç <r<pLV �aÀaVW'l'OV oxija tX7t't'EpÉwç C::, cr e:Le: 7tUÀÉwv cX7tO' WL aÈ 6uphpwv xacrµ' tixavÈç 7to l71crav tXVa7tTaµe:vaL, 7tOÀUXaÀxouç &Çovaç E:v crÛpLyf;Lv &µo L�aaov dÀlf;acraL
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PARMÉNJDE
-
LE POÈM I ·: :
l ' R A G M IC:NTS
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< u > T7J conj. Cordero : 7tlXV T<XTî) NL : 7tlXVTOC Tîj BVR : ît<XVTOC Tî) E : mxvw:
tjj AC : 7ttXVT'ii:3cxîj Karsten (« per arcana omnia ») : 7ttXVT'cxùT� G. Hermann Mullach
Jackson (1 897) : 7ttXVT'foT1) ( « toutes cités » ) Mutschmann (jaisa lectio du cod. N) DK 6 X.VOl?JCHV rEL Diels : X.VOLî)crM N : zvoL-ïjCHv ELç : zvoLjjç rEL Karsten 10 xpiXTwv Diels : xpcxTEpwv libri : x.pcxTwv Scaliger (ms) Karsten (corn.) 14 fi.lx11 Scaliger : 3lx11v libri 20 &:p11poTE Bergk Diels : &:p11p6Tcx libri : &:p11 p6Tcxç Karsten 29 EÙ7tEL6Éoç Sext. Plut. Clem. Diog. Laërce1 FP (EÙTl!lEoç B) Karsten Bidez (1 896, p. 204) Jackson (1 908) De Vogel Mourelatos Townsley (1 975) Mansfeld Coxon O'Brien-Frère : EÙcpEyyÉoç ( « bien illuminée » ) Procl. : e:ùx.uxÀÉoç ( « bien arrondie » ) Simpl. D E (e:ùx.uxÀwç A) Diels D K Untersteiner Guthrie Calogero Tanin Kirk Rav.-Sch. Cordero Couloubaritsis Reale-Ruggiu hpEµÈç Sext. VII, 1 1 4 ELN Clem. Procl. Simpl. : ii:TpExÈç ( « exact », « ferme », « précis » ) Sext. VII, 1 1 1 ELç (hEpxÈç N) Plut. Diog.2 Karsten 32 3oxlµwç libri : 3ox.Lµwcr' (3oxLµwcrcxL 3oxLµfocxL) Diels (1 897, p. 58)3 7te:pwvTcx Simpl. A Heiberg : 7t E p ovTcx Simpl. DEF. =
Les cavales qui m'emportent m'ont conduit aussi loin que mon désir puisse aller, lorsque, m'amenant, elles me mirent sur la voie aux nombreux signes de la divinité, voie qui, à l'égard de tout < ce qu 'ily a>, mène à celle-ci l'homme mortel en le rendant savant. Par là j'étais porté, car, par là, les très prudentes cavales m 'emportaient, 1 . Des éditeurs ou traducteurs de Diogène, tels Apelt, Long, Hicks, Gigante, choisis sent toutefois la leçon de Simplicius, EÙxuxÀÉoç. 2. Dans leurs édition � de Diogène Laërce, Long et Hicks impriment chpEµÉç. 3 . Mais R. Brague (Etudes, II, p. 49) rappelle que, selon Chantraine, « la désinence de l'infinitif actif -vcxL, -crcxL ne s'élide pas » (Grammaire homérique, t. I, Paris, 1958, p. 86) .
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tirant le char, tandis que desjeunes filles montraient la voie. L'essieu, brûlant dans les m<!Jeux, émettait le son aigu de laflûte (car il était activé, des deux côtés, par les deux roues tourn<!Jant), quand les Filles du Soleil, ayant quitté les demeures de la nuit, se hâtaient de me conduire vers la lumière, ayant, des mains, enlevé les voiles de leurs têtes. Là se dresse la porte des chemins de la nuit et du jour: un linteau en haut, en bas un seuil de pierre la maintiennent. Elle-même, éthérée, est remplie par de grands battants, dont la Justice, qui châtie fortement, détient la clef adaptée. La charmant par de douces paroles, les jeunes filles, habilement, la persuadèrent de vite repousser, pour elles, de la porte, le pêne du verrou. La porte en s'envolant produisit, des battants, /'ouverture béante, faisant tourner, l'un après l'autre, dans les crapaudines, les axes bien cuivrés, munis de clous et de pointes. Par là franchissant la porte, les jeunes filles guidaient, droit sur la grand'route, le char et les cavales. Et la Déesse m'accueillit, bienveillante, prit dans sa main ma main droite, parla ainsi et m 'adressa ainsi la parole : Jeune homme, compagnon de cochers immortels, toi qui, grâce aux cavales qui t'emportent, atteins notre demeure, réjouis-toi, puisque ce ne fut pas un destin funeste qui t'env<!Ja parcourir cette voie - car, certes, elle est à /'écart des hommes, en dehors du sentier battu -, mais le droit et lajustice. Ilfaut que tu sois instruit de tout : à la fois du cœur sans variation de la vérité droitement persuasive, et des opinions des mortels où ne se trouve pas de conviction vraie. Tu n 'en apprendras pas moins encore ceci: comment il était inévitable que les semblances aient semblance d'être, traversant tout depuis toujours.
1 . rmto�. Les divinités d'Homère cheminent volontiers en chars tirés par des chevaux « aux belles crinières » que détellent les Heures. Dans le ciel, les déesses Athènè, Hèrè poussent les chevaux du fouet ou de l'aiguillon (//., 8, 392 s .) . La fiction d'un voyage en char attelé de cavales en un lieu céleste, demeure d'une Déesse, ne peut qu'être bien accueillie par des lecteurs familiers des images homériques . Ouµôc; : mon désir. « Le possessif n'est pas dans l e grec », note J. Brunschwig (p. 248, n. 1 2) . Sans doute, mais il n'a pas à y être : le possessif, on le sait, n'a pas à être exprimé quand le possesseur n'est
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PARMÉNIDE - LE POÈME :
F R A G M E NTS
pas douteux. Pourquoi traduire 8uµ6c; par « désir » plutôt que par « cœur » ? Thym os a le sens d' « organe des mouvements » chez Homère (cf. Br. Snell, p. 27) ; c'est un principe de vitalité et de mouvement lié à la vie. Mieux que le mot « cœur », le mot « désir » évoque, semble-t il, l'idée de mouvement, d'élan vers quelque chose. ix&vo�. L'optatif, dit-on, est à sens « fréquentatif», impliquant l'idée de répétition (ainsi Guthrie, t. II, p. 7 ; Campbell, p. 394 ; Tarin, p. 1 3, 1 6, 27, 30) . Mais, comme Mourelatos l'a montré, d'après des exemples homériques, « the relevant modality is that of possibility, not of iteration » (1 970, p. 1 7, n. 2 1 ) . Revenant sur l'opinion qu'il avait exprimée dans son article de l'En ryclopedia of Philosophy (1 967, s .v. « Parmenides ») , D. J. Furley a reconnu qu'il y a « only one journey » (1 973, p. 3, n. 5) qu'il n'y a qu'un seul voyage . -
2. 7tɵ7tov = Ëm:µ7tov. L'imparfait ne doit pas se traduire ici par un imparfait (malgré O'Brien, Études, I , p. 8) . Il s'agit de ce qu'on appelle l' « imparfait historique », que l'on traduit d'ordinaire, en français, par le présent, le passé défini ou le passé composé. oôov 7toÀÛq)"Y]µov. Cf. 8 . 2-3 : « Sur cette voie, les signes sont nombreux . . . » . 3 . ôixlµovoc;. Cette divinité (daimôn) n'est autre que l a Déesse (thea) de la ligne 22, qui accueille le poète avec bienveillance et lui enseigne la vérité totale, c'est-à-dire la vérité sur le Tout - sur toutes choses (cf. 7tavTix. 1 . 28) considérées ensemble. On a noté que la oôoc; ôixlµovoc; est la voie qui mène à la Déesse, alors que, chez Homère, les « routes des dieux » (li., 3 . 406 ; cf. Od, 1 3 . 1 1 2) sont les routes « que suivent les dieux » ; mais, chez Pindare (0/., 2. 77) , la « route de Zeus » (��oc; oô6c;) est la route indiquée par Zeus. On lit encore, dans Diels-Kranz, ôixlµovec;. C'est la correction de Stein (1 864) , adoptée par Wilamowitz (1 899) et Kranz (1 9 1 6) . Ces daimones (= sujet de la phrase l7td . . . ôixlµovec;) seraient les Hèliades du vers 9. Mais la leçon des manus crits, ôixlµovoc;, fait un bon sens. Tcx<u>ni . Hayden Pelliccia (1 988) observe que les manuscrits s 'ac cordent à donner, entre les mots 7tiiv et cpÉpe�, la même séquence 't"IXTYJ
I L'ALLÉGORIE. FRAGMENT 1 -
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(« The history of the treatment of the iota subs c r i p t m a k cs i t:s p re s e n c e or absence a non-factor », p. 5 1 1 , n. 20) . Dès lors, on a l a séq u c n c c '.ffiTil �pe:i qui ne donne aucun sens, puis la séquence cpw-rix'�p6µ'Y)v q u i donne un sens. « The conclusion i s inescapable : -rix -rYj be fore cpe: p6 µYJ V i n line 4 displaced whatever it was that came before cpÉpe:i i n l i n e 3 . T h c re fore the transmitted letters TIXT'YJ in line 3 are wholly corrupt » (p. 5 1 1 ) . La conjecture n'a donc pas à tenir compte des lettres TIXT'YJ et à re c h e r c h e r une quelconque « vraisemblance paléographique ». Et Hayden Pe l l i ccia de proposer, à titre d'exemple : � xix-riX niiv <-rà èàv> cp É pe:i. Cependant, que le groupe TIXT'YJ soit « entièrement corrompu », cela reste une hypothèse. Respecter la vraisemblance paléographique est donc souhaitable . De ce point de vue, la conjecture de N . L. Cordera (1 982, p. 1 59-1 79) , -rix<u>-r7J, nous paraît la mieux motivée, et, après C. Collobert, nous l'acceptons . Mais alors que Cordera fait de Sixlµovoc; l'antécédent du relatif � et le sujet de cpÉpe:i : « la Déesse [ . . .] conduit », nous voyons, avec la plupart des interprètes, dans oS6c; l'antécédent de ce relati f : « la voie [ ... ] conduit [à la Déess e] ». Dès lors, nous voyons dans -rixuT7J non pas, comme Cordera, un adverbe « utilisé comme syno nyme de -tjj », « là » (1 9 82, p. 1 7 1 ), mais un démonstratif, « à celle-ci » 1 • e:la6-rix cpw-rix. On traduit, généralement, « l'homme qui sait ». Mais si l'homme sait déjà, à quoi bon la révélation de la Déesse (cf. C. Col lobert, p. 40) ? Selon C. M. Bowra, le « mortel savant » doit nous faire songer à l' « initié » des sectes religieuses : « The "knowing mortal" cornes from religion and has more than an echo of "initiate" [ . . .] So Parmenides refers to the man who travels on the way of a goddess as he would to an initiate who belongs to a religious sect » (1 937, p . 1 09) . Mais dire que Parmenides « views his task in a religious or
1. G . Pugliese Carratelli a cru pouvoir réhabiliter la leçon erronée (cf. Coxon, 1968) «La discussa lezione xomx 7tcXVT'otcrT1) (fr. 1, v. 3) trova conferma in una fam osa lamina "orfica" di Thurii ( Kern, fr. 47), ove si invoca " H À<e, 7tÙ p ÔL<x 7tcXv-r'Oi.oT1) vloEotL » (1988, p. 340). Mais Hayden Pelliccia observe (p. 508) , après M. L. West ( The Orphie Poet11s, Oxford, 1983, p. 266), que le texte de Kern (conservé tel quel par G. C oll i , La sapienza greca, Orphica A 68) est «almost entirely Diels' invention» (cf. Diels, « Ein orp hisc h e r Demeterhymnus», in Festschrift Theodor Gomperz, Vienne, 1902, p. 1-15), de sorte que le «orphischer Demeterhymnus» n'offre «no evidence at ail for the reading ài.crT1) i n Parme nides 1. 3» (p. 510). 7tcXv-r'Oi.o-r1) :
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F R A G M ENTS
mystical spmt » (p. 1 1 2) , c'est oublier l'objurgation de la Déesse : « J uge par la raison (Mycp) » (7 . 5) , c'est-à-dire par la seule raison (Cl. Ramnoux traduit : « rien qu'avec la parole bien conduite », p. 1 1 1 ) , ce qui nous situe complètement hors du domaine de l'irration nel. Selon Tarin (p. 1 2) , « l'homme qui sait » est « the man who knows the way because he has already traveled on it ». Mais si le poète connaît le chemin, pourquoi a-t-il besoin de guides : les cavales « pru dentes » (1 . 4) , les j eunes filles « montrant la voie » (1 . 5) . Et s 'il ne le connaît pas, c'est, bien sûr, qu'il le parcourt pour la première fois . I l suffit, pour traduire dô6Tcx cpwTcx, d'entendre l e participe parfait de la manière classique, comme exprimant « la simultanéité de l'état résultant de l'action secondaire accomplie, avec l'action principale » (E. Koch, Grammaire grecque, trad. Rouff, Paris, A. Colin, s.d., p. 399) . L'action principale est celle d e suivre la voie qui mène à la Déesse, l'action secondaire celle d'en recevoir l'enseignement. 4. TioÀÛcppcxcrToç, « très réfléchi, très prudent, très habile » (Bailly, avec renvoi à 1 . 4) . Selon A. Francotte (1 9 58, p. 85), les juments de Parménide seraient, comme Xanthe, le cheval d'Achille, douées de parole, « disertes » (cf. aussi E. A. Havelock, 1 9 58, p. 1 36) . Mais on ne voit pas ce qu'elles auraient à dire ; comme le note Mourelatos, « they are pictured rather as mute participants in the drama » (1 965, p. 262) . D u reste, l e rapprochement avec l e cheval d'Achille n e vaut pas : Xanthe est normalement muet ; s 'il parle, c'est seulement parce que la déesse Hèrè l'a doué pour un moment de la voix humaine (//., 1 9 . 400424) . Mourelatos lui-même propose (ibid.) de traduire TioÀÛcppcxcrTo L r7t7t0L par (( chevaux bien guidés », dès lors, soutient-il, que le sens de cp pci�w dans la poésie grecque antérieure à Parménide n'est pas « dire » mais « pointer du doigt », « montrer ». Toutefois, ce dernier point n'est pas exact : le sens de cp pci�w, après Homère, est bien « parler », « dire », « annoncer » (Chantraine, s .v.) . Èm:lye:To. On ne traduira pas par « pressé » (O'Brien-Frère, Cor dera, etc. - traduction souvent reprise depuis F. Riaux, 1 840, mais que Tannery a su éviter) . « Pressé », ainsi employé, signifie que l'essieu est serré, comprimé par les deux roues (Beaufret, 1 984, traduit : « par
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le cercle des roues » - par la j ante ?) . Mais si Èrr:dyw signifie « presser », c'est au sens de « pousser », « hâter » (Chantraine, s .v.) ; em:L�Lc; est la « hâte », l' « urgence ». Le mouvement en avant de l'essieu, support du char, est « hâté », « activé » (C . Collobert, p. 1 0) par la rotation rapide des roues - le mot « tournoyer » signifiant que le regard ne peut isoler un tour de roue : il en voit en même temps plusieurs 1 • 8 . crne:px_olocro . Selon Tarin (p. 1 3) , Villani (p. 3 0 1 ) , et d'autres , l'op tatif serait employé ici en un sens « itératif» : ce serait un optatif « de répétition dans le passé ». O'Brien ne le croit pas, mais les exemples qu'il invoque (p. 1 0) ne lui sont pas favorables : en lliade, 1 9 . 3 1 7 et Ocfyssée, 1 3 . 22, orr:6-re: peut être traduit par « toutes les fois que ». I l est certain que, dans le Poème, le voyage du protagoniste est unique (il appartient à l'es sence même de la révélation de la Vérité par la Déesse d'avoir lieu une fois pour toutes) , et que o-re:, en 1 . 8, ne saurait se traduire par « toutes les fois que ». Mais alors comment comprendre l'optatif? Il suffit de revenir à la signification de ce mode : « L'optatif est proprement le mode par lequel on indique que l'action marquée par le verbe est envisagée comme une simple conception de l'esprit » (Croiset et Petitj ean, Gram maire grecque, Paris, Hachette, 1 892, p. 528) . Le voyage lui-même est évi demment une fiction, mais chevaux, char, essieu, moyeux, roues, cela existe dans l'expérience de tous les jours, alors que les Hèliades sont de pures fictions, de pures « conceptions de l'esprit ». L'optatif sert ici à exprimer ce degré de plus dans la fiction. 9 . ' H ÀLcXÔe:c; x.oupixL. Les Hèliades (identiques aux j eunes filles du vers 1 . 5) sont les Filles (non les « suivantes ») du Soleil, les sœurs de Phaéthon. Dans la mythologie, elles sont cinq, ce qui ne signifie pas
1 . Les Anciens connaissaient le char à essieu fixe autour duquel tournent les roues, e t le char à essieu mobile qui fait corps avec le5 roues et tourne avec elles, le pre m i e r c o n ve nant à la course et à la guerre, le second au transport des fardeaux. Les p i liers de bois à pivots sur lesquels étaient inscrites les lois de Solon, et qui tournaient à l ' i n térieur de cadres rectangulaires, se nommaient axones, « essieux » (Plut., Solon, 25, 92 a) . N a t u re l l e m e n t , l e char de Parménide, qui comporte des moyeux, est du premier type, comme c e l u i d ' A t h è n è et d'Hèrè au chant V de l'Iliade (720-732), char à l'essieu de fer et a u x roues d e b ro n z e .
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que Parménide songe à un tel nombre : ne voit-on pas que, dans l' Otfyssée (1 2 . 1 27 s.), elles ne sont que deux à garder, dans l'île du Tri dent, les troupeaux du Soleil ? Le Soleil a aussi des Fils, nommés aussi Hèliades . Mais Parménide choisit des guides féminins . Si le Proème correspond, comme nous le croyons, à un rêve de Parménide, cela se comprend : un homme « normal » ne rêve pas de garçons . Le Soleil est le dieu de la lumière et de la connaissance, le surveillant universel, celui qui « voit tout » (mx:·rr ' lcpopii, Od., 1 2 . 323) -, tout ce qui se passe chez les dieux et chez les hommes. L'Œil solaire, « œil de l' É ther » (Arist., Nuées, 285) , « œil qui voit tout » (Esch., Pr. , 9 1 ) , est le Père des yeux mortels : c'est parce qu'il y a son regard qu'il y a le nôtre (Pin dare, fr. 1 07 Schr.) . Il est la possibilité même du regard et de la vérité. En ce cas, pourquoi les Filles du Soleil ne conduisent-elles pas le poète à leur Père ? La raison en est simple : que voit-on à la levée du j our ? La diversité des choses, le multiple. Ce que nous révèle la lumière du soleil est le chatoiement des choses, le monde du devenir - de ce qui passe mais n'est pas vraiment. La Déesse qui révélera au poète la Vérité de l' Ê tre sera donc essentiellement différente du Soleil. ôwµcx-rix vux:r6c;. Il n'y a pas plusieurs « demeures de la nuit ». Le plu riel ôwµix-m est simplement « plus fréquent que le singulier pour souli gner l'étendue d'une demeure » (Chantraine, s .v.) . Proposer, comme Kranz, par exemple (1 9 1 6, p. 1 1 59) , une identification concrète et pré cise des « demeures de la Nuit » (pour Kranz, s 'inspirant d'Hésiode, Théog., 744, elles se situeraient au-delà d'Atlas , à l'extrême Occident) , c'est ne pas voir le caractère voulu de l'indétermination. 1 0. de; cpcX:oc;. Comme Diels (et Untersteiner, Guthrie, Tarin, Cor dera, Reale-Ruggiu, etc.) , nous mettons une virgule après vux:r6c;, et construisons de; cpcX:oc; avec 7tɵm:�v. D 'autres interprètes (Mans feld, Furley 1 973, p. 1 s., Coxon, O'Brien-Frère, Collobert, etc.) construi sent 7tpo/.. m oucrix� . . . de; cpcX:oc;, ce qui est possible, Àme:'i:v . . . dc; étant bien attesté (cf. Mansfeld, Die Offenbarung, p. 238) , mais « ayant quitté les demeures de la nuit pour la lumière » serait une platitude, et 7tɵ7te:�v, « envoyer », appelle un complément. 1 1 . ev8ix, « là » : en un endroit du chemin. Malgré Kranz ( 1 9 1 6,
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p. 1 1 58 s .) , « there is nothing in the text to suggest that év8a desi gnates the realm of night » (Tarin, p. 24) . nuÀaL. Contre Cordera qui voit deux portes « l'une en face de l'autre » (p. 1 80) , A. G6mez-Lobo (1 977, p. 1 85 - 1 88) souligne qu'il s'agit d'une seule et unique porte séparant deux régions . O'Brien l'ob serve avec raison : « L'emploi d'un pluriel ne suppose pas l'existence de deux "portes" différentes . C'est bien plutôt le contraire : ici, comme très souvent ailleurs, nuÀaL (pluriel) s'emploie pour désigner une seule "porte" à deux battants » (Études, I, p. 1 1 ) . Malgré O 'Brien lui-même, qui continue à traduire par le pluriel, il convient donc de traduire par le singulier. Ainsi font Diels et Diels-Kranz, Tannery, Untersteiner, Mansfeld, Casertano, Dumont, Reale-Ruggiu. xEÀEu8wv. Pourquoi le pluriel ? Il n'y a qu'un chemin, mais qui, jus qu'à la porte, est chemin de la nuit, et, au-delà de la porte, est chemin du j our. Nuit et Lumière du J our sont personnifiées chez Hésiode. Elles ont un séjour commun où elles ne sont j amais ensemble : « l'une descend et rentre à l'heure même où l'autre sort » ( Théog., 750) . La personnifica tion est ici moins évidente, et l'image de la rencontre ne se retrouve pas. Ce qui compte est l'avancée du protagoniste vers la lumière : il va vers elle et donc ne s 'y trouvait pas. Il a cheminé de nuit et va cheminer de j our. Toutefois, la lumière du j our, puisqu'il n'aura pas encore le savoir, ne sera pas encore la vraie Lumière, celle qui ne décline pas. 1 3. a18épLaL. La Porte est « taillée dans l'éther » (Cl. Ramnoux, p. 1 05) . L'éther est « la partie rayonnante, la plus pure et la plus élevée de l'atmosphère » (Chantraine, s .v. ar8w) . Lors du partage du monde entre les enfants de Cronos , il s 'est trouvé dans le lot de Zeus, avec le ciel (ouranos) et les nuées (Il., 1 5 . 1 92) . « It is mistaken to see in al8ÉpLaL a reference to the location of the doors high in heaven, as Deichgraber ( 1 9 5 8) does, since there is no reason to think that the trip is an actual experience » (f aran, p. 1 4- 1 5) . Certes , le voyage de Parménide ne cor respond aucunement à une expérience effective. La porte dite « éthérée » ouvre cependant, par là même, sur « le ciel considéré comme demeure des dieux » (Bailly, s .v. a18YJp) . Mais il s 'agit d'un ciel onirique, puisque, le voyage, Parménide ne l'a effectué qu'en rêve.
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1 4. tllx.1) 7tOÀÜ7toivoç. Les Heures, filles de Zeus et de Thémis (É quité) , ouvrent et ferment les portes du Ciel (li., 5 . 749 ; 8 . 393) , et Dikè est l'une des Heures (Théog., 901 -902) . Elle est laJustice, implacable pour ceux qui transgressent le Droit. De quel « droit » s'agit-il ? Pour les Préso cratiques, il n'y a pas d'autre droit que naturel, celui qui est inscrit dans la nature des choses. La convention ne fait pas droit. Pour Héraclite, les lois humaines, si elles sont de vraies lois, sont toutes « nourries par une seule loi, la divine (8e:ï:oç vôµoç » (B 1 1 4) , la loi éternelle de la nature (celle, pour Héraclite, de l'unité et de l'indissociabilité des contraires) . Dikè, qui, avec ses auxiliaires, les É rinyes - les Vigilantes, les Vengeresses -, veille à ce que le soleil « ne dépasse pas ses mesures » (B 94) , veille aussi bien à ce que l'homme ne franchisse pas les bornes étroites du jugement droit. Elle « saisira artisans et témoins de faussetés » (B 28) . Que signifie sa présence à l'entrée du domaine de la Lumière et de la Vérité sinon que, pour aller au vrai, il faut avoir l'esprit droit. La Porte que garde la Justice ne s 'ouvre que pour qui a l'esprit j uste. Dikè ne peut être identifiée avec la Déesse (8d.) du vers 22, malgré Sextus Empiricus, Adv. math., VII, 1 1 3- 1 1 4 (suivi par divers inter prètes : voy. Couloubaritsis, p. 84, n. 1 4) . La Déesse, en effet, se dis tingue elle-même de Dikè, puisqu'elle dit au j eune homme (v. 28) que c'est Dikè et Themis qui l'envoient (cf. aussi M. Pellikaan-Engel, p. 5859 ; Couloubaritsis, p. 84-85) . Que peut signifier, du reste, une tentative d'identification ? tllx.1), 8e:& n'ont qu'une « réalité discursive » (C. Collo bert, p. 4 1 ) , non une réalité substantielle. Elles ne sont pas autre chose et plus que ce qu'elles sont dans le discours . Elles se réduisent à leurs rôles, et le rôle de Dikè et celui de Théa sont différents . x.ÀY)Ï:Ô�ç &:µoi�ouç. Le mot x.À"Y) lc;, qui « désigne généralement le ver rou dans les poèmes homériques (il y est synonyme de ox.e:uç) )) (R. Vallois, art. Sera du Daremberg-Saglio) , lorsqu'il s'agit d'un ins trument permettant d'ouvrir une porte du dehors (cf. li., 6 . 89) , prend un autre sens, celui de clef. La clef doit être adaptée au verrou, doit lui « correspondre » : c'est ce que signifie le mot &:µm�ouç. On peut penser que Dikè manceuvre la porte à la manière d'Euryclée et de Pénélope dans l' Ocjyssée. Euryclée sort du thalamos. A l'aide d'un anneau métallique qui permet de la tirer à soi, elle referme la porte -
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porte à deux battants comme sont les portes des habitations homéri ques. Pour fermer « à clef», elle tire la barre du verrou en travers de la porte au moyen d'une courroie attachée au verrou, qui traverse le van tail et pend à l'extérieur avant qu'elle la prenne et la tende ( Od, 1 . 442) . La courroie sert donc exclusivement à fermer la porte du dehors, non à l'ouvrir. Pénélope veut entrer dans le thalamos, où sont les armes d'Ulys se (Od, 2 1 . 46 s.) . Elle dénoue la courroie attachée à l'anneau extérieur. Elle introduit ensuite la clef dans la porte et « elle repousse le verrou en le frappant juste au point voulu » (2 1 . 47, trad. R. Vallois , I. e.) . La clef est formée d'une barre de métal courbée deux fois à angle droit, comme on le voit sur la figure 1 (d'après Diels 1 897, p. 1 24, fig. 7) représentant une clef de temple. Les tiges, inégales, sont paral lèles . La plus courte est quelquefois en forme de lance ou terminée par une boule ; la plus longue s'élargit vers l'extrémité. Plusieurs peintures de vases représentent la porte du thalamos. Sur l'une d'elles (figure 2, d'après Diels, p. 1 33, fig. 22) , une servante ouvre cette porte à l'aide d'une clef semblable à celle de la figure 1
FIG. 1
FIG. 2
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mais plus petite (clef de maison) . On remarque sur le battant de gauche, en bas, la boucle pendante de la courroie (qui ne semble pas, ici, attachée à l'anneau extérieur) . Les figures 3 et 4 (d'après Diels, p. 1 36, fig. 23 et 24) 1 montrent une restitution de la serrure homérique (intérieur et extérieur) . A l'in térieur de la porte, un verrou de bois glisse, soutenu par deux cram pons fixés au vantail de droite et pénètre dans une gâche disposée sur celui de gauche. Ce verrou porte, sur sa face supérieure, une barbe, sans doute de métal, faisant saillie. La tête de la clef, en frappant sur cette barbe, pousse le verrou hors de sa gâche. Il faut une certaine adresse pour y réussir du premier coup. Aussi le Poète précise-t-il que Pénélope « poussa le verrou de la porte en visant droit » ( Od, 1. c. , trad. J accottet) . Le fait que la clef s 'élargisse souvent vers l'extrémité rendait la manœuvre plus aisée.
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FIG. 3
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FIG. 4
1 . Les figures du Parmenides Lehrgedicht reprises ici se retrouvent dans l'article Sera du Daremberg-Saglio, où René Vallois se réfère, du reste, à l'ouvrage de Diels.
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Puisque la clef sert uniquement à ouvrir la porte (la courroie uni quement à la fermer) , on ne peut traduire, avec Kranz ( Vors., I, p. 229) ou Albertelli (in Giannantoni, Presocr., p. 270) , XÀ"Y)°i:i>ixc; &.µot �oûc; par « les clefs qui ouvrent et ferment » ( « le chiavi che aprono e chiudono » ) . La clef, telle que nous la connaissons, unit les contraires que sont l'ouvrir et le fermer. Mais la clef dont use Dikè est une clef unilatérale, qui ne sert qu'à ouvrir. Il n'y a pas plusieurs clefs . Les peintures de vases, qui nous offrent des images de portes, ne montrent, pour chaque porte, qu'un seul trou pour la clef. Surtout les figures, généralement féminines, représentées portant la clef (souvent sur l'épaule) , n'en portent j amais qu'une. Bref, « the plural is merely poetical » (Tarân, p. 1 5) . 1 5. rrixpcp&.µevixt. rr&.p<p"Y)µt = rrixp&.cp"Y)µt signifie « feindre une parole » (Pind. , Pyth., 9 . 43) . Il est étrange que les kourai aient à « séduire » , à « apaiser » (Beaufret, Cordera, Couloubaritsis, etc.) la Justice, ce qu'elles demandent n'ayant précisément rien que de juste. Mais la nature de Dikè est négative : son rôle est de dévoiler (Héraclite, B 94) , de dénoncer (à son Père, Zeus : cf. Hésiode, Tr. , 259-260) les entorses à l'ordre naturel comme les actes ou paroles injustes des hommes, de poursuivre les cou pables (grâce aux É rinyes vengeresses) et de punir (cf. Héraclite, B 28) . Dikè n'a pas à se manifester d'elle-même lorsqu'il n'y a eu aucun crime, aucune faute. Elle reste figée. De là la nécessité de la persuader : accom plir ce à quoi elle n'est pas obligée est une faveur. 1 6. �IXÀIXVWTOV ox-Y)ix. S'agit-il ici du mécanisme décrit par É née le Tacticien (c. 1 8) , comme le croit Coxon (p. 1 64) ? La balanos désigne, en ce cas, une cheville adaptée au verrou : « C'était une cheville de bois de forme variable que l'on plaçait dans une boîte, appelée �ixÀixvoi>6x"Y), fixée sur la porte au-dessus du verrou. Quand on poussait celui-ci dans sa gâche, un trou creusé sur sa face supérieure (-rpÛrr"Y)µix) venait se placer sous l'ouverture inférieure de la �ixilixvoi>6x"Y) . La �&.Àixvoc; y descendait alors par son propre poids et immobilisait le verrou » (R. Vallois , I. e.) . Une serrure de cette sorte était en usage dans la deuxième moitié du v• siècle : les auteurs en témoignent aussi bien pour les portes des mai-
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sons que pour les portes des villes (cf. R. Vallois, ibid. ) . Mais était-elle connue au temps de Parménide ? Il ne semble pas, en tout cas, que ce soit à un tel mécanisme qu'il faille ici songer. En effet, pour ouvrir la porte, lorsque le verrou n'est pas seulement tiré mais « chevillé », il faut deux clefs : l'une « qu'on introduit dans une fente pratiquée le long de la �ixÀix voô6x"f) et avec laquelle on soulève la �iXÀixvoc; » (R. Vallois , ibid. ) , l'autre, déjà décrite, avec laquelle on repousse le verrou (le pêne du verrou) hors de sa gâche. C'est à cette dernière opération seulement qu'il faut songer : a) &:n<.ù6É<.ù signifie « repousser » (un verrou, Il., 24 . 446) et non « soule ver » ; b) le poète décrit, effectuée par la déesse, une seule opération et non deux ; c) les peintures de vases ne représentent les figures féminines qu'avec une seule clef. 1 8. noÀvxiXhovc;. Le mot xixÀxoc; « désigne, dès les plus anciens textes grecs [Homère] , tout à la fois le cuivre et le bronze (alliage de cuivre et d'étain) » 1 • Nous prenons le mot « cuivré » au sens 2 de Lit tré : « revêtu de lames de cuivre » . 1 9 . &Çovixc;. L' &Ç<.ùv dont i l e s t ici question e s t bien défini par Rich2 (s .v. axis) : « Axe vertical d'une porte, qui se mouvait dans des crapau dines fixées dans le linteau inférieur et supérieur, et formait ainsi un pivot sur lequel tournait la porte, soit pour s 'ouvrir, soit pour se fer mer » - si ce n'est que la porte ayant deux battants, il y a deux axones. �vpiyÇ est le mot pour la flûte champêtre ou flûte de Pan ; tel paraît être le cas en 1 . 6. En 1 . 1 9, le mot désigne la crapaudine, c'est-à-dire l'écrou d'un gond. 20. y6 µ.i:poic; xixt m::p6v"f)<nV. Le y6µ.i:poc; est le clou à grosse tête. Il est de bronze (lequel peut être ciselé) . La tête reste saillante après qu'on l'a enfoncé et contribue à l'ornement de la porte. Chez Homère (Il., 5 . 425, etc.) , � m:p6v"f) est l'agrafe ou la broche
1 . R. Halleux, Le problème des métaux dans la science antique, Paris, Les Belles Lettres, 1 974, p. 1 7. 2. Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, trad. Chéruel, Paris, Firmin Didot, 1 883.
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employée pour rattacher des vêtements . En 1 . 20, faut-il traduire ne:pÔv"Y) par « agrafe » ? Ainsi font O'Brien-Frère ou Couloubaritsis. Mais on n' « agrafe » pas du cuivre, du bronze ou même du bois . Le mot ne:pÔv"Y) désigne « toute pointe qui traverse un objet » (Bailly) . C'est le cas ici. Plus précisément, � ne:pÔv"Y) est la pointe au sens de petit clou, qui, de plus, à la différence du gomphos, n'a pas une tête qui reste saillante lorsqu'on l'a enfoncée. 22. Se:&. Certains interprètes veulent percer l'anonymat de la Déesse. Coxon (p. 1 67) rapproche xcxl µe: Se:& npÔ<ppwv \mdW;,cx-ro de cf> npÔ<ppwv ye: Se:& \moÔÉ�e:-rcxl e:ù:x_cxç, « dont la déesse a avec bienveillance écouté les prières », dans Hésiode ( Théog., 41 9) , et suggère « that P.'s divinity pos sibly owes some traits to the Hecate whom Hesiod celebrates as the most universal of goddesses ». Mais l'universalité dont la dées se de Par ménide est porteuse est celle du savoir, dont, à propos d'Hécate, il n'est pas question. Il est vrai que ses privilèges s'étendent à tous les domaines - mer, terre, ciel -, mais sa « bienveillance » se manifeste par la satisfac tion donnée aux désirs humains ordinaires - du guerrier, du pêcheur, de l'éleveur, etc. -, non au désir philosophique du savoir. Descendant directement de la génération des Titans, elle est d'ailleurs indépendante des divinités olympiennes, alors que la déesse de Parménide, dont l'élé ment est l'éther et la lumière, n'a certainement rien à voir avec les divini tés archaïques. West (p. 220, n. 2) rapproche Se:& de 0dcx, qu'Hésiode ( Théog., 1 35) met au nombre des filles d'Ouranos et de Gaia, et dont il fait la mère du Soleil, de la Lune et d'Aurore (v. 3 7 1 -2) . Pindare (ls., 5 . 1 ) invoque 0dcx, « Mère du Soleil » , MiX-re:p Ae:Àlou 1 • Mais la déesse de Parménide ne peut sûrement pas être assimilée à une Titanide. 1 . Qui est la Théia de Pindare ? « C'est le charme puissant qui rougeoie dans l'or ; la richesse du merveilleux qui baigne de sa lumière les régates sur la mer et les chevaux sur la piste de cours e ; la gloire sur la tête couronnée du vainqueur de la joute - c'est l'éclat, le rayonnement es sentiel, « la divine » à la magnificence de laquelle le soleil porte témoignage, et les hommes aussi, quand elle luit dans la félicité de l'instant parfai t » (IX!. Otto, Les dieux de la Grèce, trad. fr., Paris, Payot & Rivages , 2' éd., 1 993, p. 1 90) . Avec la déesse de Parmé nide, l'attention est portée non sur la « félicité » de l'ins tant mais sur l e savoir, n o n sur le bonheur mais sur la vérité.
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LE POÈME
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FRAGMENTS
Il n'y a pas à chercher à percer l'identité de cette déesse, puisque Parménide l'a voulue anonyme. Cela est tout à fait conforme à l'usage homérique, où, très souvent, le poète dit seulement « le dieu », « la divinité », et, s'agissant de la divinité en général, d'ordinaire, en ce sens, sans article : ainsi crùv Oi:: é(i (Il., 9 . 49) , « avec l'appui du dieu » . La théa parménidienne doit être pensée à partir de l' essence d u divin. Or, en quoi les Olympiens diffèrent-ils des anciens dieux, liés à la terre ? « Une lumière éclatante et débordante : telle est la différence entre le dieu de l' époque nouvelle et celui des temps les plus anciens » 1 • Or, la lumière signifie la connaissance, car, la nuit, tout se confond, alors qu'au grand jour, les choses se montrent en elles-mêmes. Les dieux savent. Que savent-ils ? Calchas, « le meilleur des devins » (Il., 1 . 69) , connaît « ce qui est, ce qui sera et ce qui fut auparavant » ( 1 . 70) , bref -rà Èov tel qu'il se décline au passé, au présent et au futur. Or, de qui tient-il sa science ? Fils de Thestor, lui-même fils d'Apollon, il la tient du dieu dont il descend. Savoir l'étant, -rà Èov, est d'abord l'apanage du dieu. Même si Apollon est, par excellence, le dieu de la divination, il n'a pas l'exclusivité de cet art. C'est ainsi qu'il l'enseigna lui-même à Hermès. Mais c'est, éminem ment, à Zeus qu'appartient la capacité, prévoyant l'avenir, de le j oindre au présent et au passé. Il a sous son regard le domaine entier de l'étant. Aux humains, aux mortels, dévoiler l'étant (tel, il est vrai, que l'entend Parménide, c'est-à-dire en le considérant dans son fait d'être) , trans mettre aux mortels la science divine, tel est le rôle de la déesse de Parmé nide, d'où résulte que le philosophe, devenu l'homme qui sait (de tous les humains, le seul qui sache) , s'égale à la divinité. Car la Déesse semble bien ne rien garder par devers soi, dire tout ce qu'elle sait. Prométhée a dérobé le feu divin, en a gratifié les hommes. Ce dont la Déesse instruit le j eune homme est le savoir absolu, lui aussi pro prement divin. Le geste de la bienfaisante déesse n'est-il pas compa rable à celui de Prométhée ? Or, Prométhée est le fils d'un Titan. La question renaît : la Déesse n'aurait-elle pas quelque rapport avec la génération des Titanides ? A cela, il suffit, en fin de compte, d'obj ecter
1 . W.
Otto,
op. cit., p. 1 57.
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que la Déesse n'a aucune réalité mythologique. Elle n'est rien de plus que la Déesse-du-proème. Les divinités de la mythologie sont des fic tions collectives ; la déesse de Parménide est une fiction individuelle, une fiction du poète-philosophe. Ce n'est pas elle qu'il faut comparer à Prométhée mais plutôt Parménide lui-même 1 • 24. c1 xoüpe:. Pourquoi « j eune homme » ? Est-ce parce que Parmé nide était j eune lorsqu'il reçut la révélation de la Déesse ? Certains, à par tir de là et du témoignage de Platon (notamment Parménide, 1 27 ab, où il est dit que Parménide avait autour de soixante-cinq ans lorsque Socrate, né en 469, le rencontra à l'occasion des grandes Panathénées) , qui leur « donne » la date de naissance de Parménide (c. 5 1 4 selon Tannery, c. 5 1 5 selon Cornford, p . 1 , c . 5 1 5-5 1 0 selon I<irk-Raven) , en « déduisent » la date de la révélation, qu'ils confondent avec celle de la composition du poème (c. 485 selon Cornford, ib., c. 490-475 selon Kirk-Raven) - alors qu'en tout état de cause, il faudrait, comme le note Tarin (p. 1 6) , les dis tinguer. A une telle interprétation, il suffit de répliquer qu'il n'y a pas eu de « révélation » effective : n'oublions pas que la « Déesse » n'existe pas. Le savoir qu'elle dispense n'est autre que le savoir même de Parménide. Il reste seulement à se demander pourquoi il le présente sous la forme d'une révélation à un « j eune homme » . 1 . Certaines identifications d e l a 8eiX ont été suggérées par les fragments dits « orphi ques » ou les témoignages sur la théogonie orphique. Celle-ci fait de la Nuit non seulement le « principe » (&pz�) de tout (Eudème, fr. 1 50 Wehrli = B 9 a Colli) , mais surtout, d'après le papyrus de Derveni, la conseillère riche en savoir que Zeus lui-même a dû consulter pour régner sur !'Olympe (cf. R. Sorel, Les cosmogonies grecques, PUF, 1 994, p. 72) . Ne serait-elle pas la 8eiX auprès de qui le xoupoç a sa révélation (cf. W. Burkert, in Phronesis 1 4, 1 969, p. 1 30 ; M . L . West, The Orphie Poems, p . 1 09) ? Mais, e n tant que principe, Nyx signifie la confusion initiale de toutes choses (cf. Ar., Méta. , 1 07 1 b 26-28 = A 57 Colli) , alors que l'es prit de la 8eiX est de lumière, de clarté et de distinction ; et, quant au « savoir » que Nyx dis pense, il s'agit d'oracles qui révèlent l'avenir aux dieux : or, la Déesse parménidienne, qui se fie au f..6y oç, n'a rien d'une prophétesse. - D'un autre côté, G. Pugliese Carratelli, qui a notamment édité en 1 97 4 une tablette orphique dédiée à Mnémosyne, tablette découverte à Hippone (A 62 Colli) , a proposé d'identifier la 8eiX avec Mnémosyne (« La 0siX di Parme nide » , PP 43, 1 988, p. 337-346) . Mais si la Mnémosyne orphique permet au myste, selon Pugliese Carratelli, de s'affranchir du cycle des renaissances, cela par la mémoire (aussi bien de ses expériences mystiques que de la doctrine qu'il a faite sienne) comme par un savoir vital, dans le Poème de Parménide, il n'est question de rien de tel. Du reste, à notre avis, c'est le problème même de !' « identification » qui est un faux problème.
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Selon Tar:in (I. e.) , il voudrait marquer « the difference between the divine and the human nature ». Mais ce qui fait la différence entre l'humain et le divin, c'est la mort d'un côté, de l'autre l 'immortalité ; ce n'est pas la différence de la j eunesse à la vieillesse, car les dieux ne sont j amais vieux : la Déesse est, comme Calypso, « la toujours j eune » (&:y� pwc;, Od., 5 . 2 1 8) . L e thème d u voyage a fait songer a u retour d'Ulys se (Havelock, Harvard St., 63, 1 958, p. 1 33 - 1 43) . Mais il n'y a, dans le voyage du protagoniste, rien qui ressemble à un « retour ». On a supposé alors que le koûros serait l'homologue contrasté d'Ulys se (« das Gegenstück zu Odysseus », dit Mansfeld, Die Offenbarung, p. 230) . Qu'en est-il d'Ulysse ? Il est, précise M. R. Cosgrove, le prototype de l'homme expérimenté : « Youth, on the other hand, implies inexperience [ . . . ] , and precisely for this reason a x.ou poc; was chosen as the goddess' guest » (Phronesis 1 9, 1 974, p. 93) . A la différence des mortels pris dans les rets de l'habitude « très habile » (n;oÀÜTCElpov, 7 . 3) , le j eune homme est dépourvu de cette expérience coutumière qui retient l'esprit loin de la vérité. Mais Cosgrove de citer Aristote pour qui, de l'expérience aussi qui fait l'homme « prudent », le j eune homme est « touj ours dépourvu » (Eth. Nic., VI, 9, 1 1 42 a 1 5 s.) - comme si la différence entre l'expérience en un sens négatif et l'expérience en un sens positif était ici négligeable. En réalité, présenter le koûros comme le pendant d'Ulysse, l'homme « expérimenté », ne sert de rien. Par quelle faveur le j eune homme qui a vocation de philosophe n'aurait-il pas été, comme tous ceux de son âge, investi des préj ugés de sa tribu ? N'a-t-il pas été, comme tout le monde, « enfant avant que d'être homme », ainsi que le dit Descartes ? Il ne saura que par le discours même de la Déesse la vérité sur les opinions des mortels. Est-ce à dire qu'il soit sans opinion aucune ? N'y a-t-il pas chance pour qu'il garde en lui telle ou telle de ces opinions sur lesquelles il ne sait pas encore la vérité ? Et, en parti culier, ne se trompe-t-il pas fondamentalement au suj et de l'être, croyant et disant, en vertu d'une habitude invétérée, que les choses qui l'entourent et dont il use, le pain et l'huile, sont des choses qui sont ? Si les premiers mots de la Déesse seront pour détourner son
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regard du non-être, le tourner vers l'être, n'est-ce pas qu'il en reste encore à l'illusion initiale, celle du prétendu « être » ? En ce cas, pourquoi c1 xoupe: ? On en donnera deux raisons . D'abord la j eunesse est l'âge où l'on apprend (imagine-t-on la Déesse se proposant d'instruire un vieillard ?) , où les habitudes de l'esprit et du jugement ne sont pas, chez certaines natures, tellement invétérées que ces natures ne soient éducables. En second lieu, que signifie la vieillesse pour un Grec ? C'est l'âge « indigent, misérable, que les dieux ont en horreur » (Hymne homérique à Aphrodite !, v. 244-246) . Dès lors, seul un être j eune méritait d'être, par une déesse, accueilli avec faveur. Corrélativement, quel âge est le plus digne d'accueillir la connaissance, la haute sagesse ? Non pas la vieillesse, « état d'épuise ment, d'appauvrissement et d'obscurcissement de la nature », âge qui est, en quelque sorte, déjà « au-delà de la vie » 1 , mais la j eunesse, telle celle d'Apollon, le dieu de la connaissance. Ainsi, que l'aspirant au savoir, à qui la Déesse fait bon accueil, soit un koûros, était, pour un Grec, une nécessité. Encore va-t-il sans dire que la j eunesse ne va pas ici sans la beauté : le jeune homme est beau. 26. µoî:pcx xcxx�. Le mot µotpcx, « part », de µdpoµcxl, « obtenir en partage », a signifié originellement, pour les Grecs, le caractère essentiellement fini de la vie humaine : chaque homme n'a qu'une durée de vie limitée, une part de temps lequel dure sans finir jamais. La Moire personnifie l'inflexibilité de la loi qui nous destine à la mort. L'Iliade associe « la mort et le destin » , 6&.vcx·roç xcxl µoî:pcx. Le destin est donc, comme tel, destin de mort, destin « funeste ». Dire que ce n'est pas un destin « funeste » qui poussa le j eune homme à emprunter cette voie, c'est dire, tout simplement, que ce n'est pas le destin : ce à quoi sont opposées thémis et dikè, c'est donc au destin comme tel. Aucune contrainte destinale ne pèse sur le j eune homme : la voie qu'il a suivie est une voie de liberté, et qui ne débouche pas sur la mort - la Déesse le rassure sur ce point -, mais sur la vie de l'intelligence. -
1 . W. Otto, op. cit., p. 1 52.
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27. &7t'&v8pc.:mwv bcràç 7tiXTou. Puisque la voie que suit le xoüpoç est « à l'écart des hommes », c'est-à-dire des lieux qu'ils occupent, des cités qu'ils habitent - et donc de leurs coutumes, mœurs et loi particu lières -, il est exclu que la « voie de la Déesse » passe « à travers toutes cités » , xixTiX 7tiXvT' &crTY), et donc, en 1 . 3, il ne convient pas de garder, à titre de conjecture, la fa/sa lectio de Mutschmann. Les hommes des cités ont les yeux et les œillères que leur fait la collectivité. A l'aide du mot « être », ils donnent indûment le cachet de l'universel à leurs évi dences propres et particulières. A l'écart des sentiers battus et des conformismes, la voie de la Déesse est voie vers la Vérité, qui ne se confond pas avec celle des opinions collectivement partagées. 28. fü:µiç TE 8lx1J. (Karsten, Stein, Diels, DK, de Vogel, Tarin, Mansfeld, Casertano, Kirk-Rav.-Sch., Coxon, Gallop, O'Brien-Frère, Reale-Ruggiu, Collobert . . . ) et non 0ɵiç TE �lx"'f) (Untersteiner, Mou relatos , Austin . . . ) ou Thémis et Dikè (Cordera, Ramnoux . . . ). Le droit et la justice ne sont pas ici personnifiés . En effet, si la déesse Dikè avait poussé le j eune homme à prendre ce chemin, comment expliquer que les kourai aient dû, ensuite, user de paroles charmeuses pour la persuader d'ouvrir la porte de l'éther et de la Lumière sans ombre ? Elle eût ouvert cette porte sans se faire prier, ou plutôt, ayant elle même envoyé le j eune homme la franchir, elle l'eût tenue ouverte. La voie de la Vérité est à l'écart des sentiers humains, trop humains . Car les hommes, engoncés dans leurs certitudes collectives, n'ont nul souci de la vérité. Ils se bornent à suivre les chemins que la société leur trace. Vouloir la vérité est se différencier, par là même, du reste des humains , être singulier. Le couple thémis-dikè signifie que le philo sophe se place sous le joug d'une loi et d'une justice qui ne sont plus celles de la collectivité, car elles ont un caractère universel. « L'ordre en général, chez Homère, c'est 8ɵiç et ôlx"'f) » 1 • La 8ɵiç est la loi fondamen tale que la 8lx1J prolonge. Mais, chez Homère, il s'agit avant tout de l'ordre humain, alors que, dans le Poème, l'ordre qu'il s 'agit d'explorer 1 . L. Gernet, Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce, Paris, Leroux, 1 9 1 7, p . 7.
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est l'ordre universel e t éternel - même s i le cosmos lui-même, l'ordre monde a un commencement et une fin. Un élan, une aspiration portent le j eune homme que l'esprit de la philosophie anime vers la vérité. Mais ce qui oriente la recherche est le pressentiment que la découverte de la Vérité ira de pair avec le dévoilement de l'Ordre, de l'ordonnancement profond du réel - même s 'il n'est, par principe, pas possible d'anticiper sur la révélation par la Déesse tant des signes irréfragables de l'être que du caractère contingent de l'ordre cosmique. Tiav-rix. « Il faut que tu sois instruit de tout » : la vérité qui s e fera jour est la vérité totale, ne laissant rien hors d'elle. Par Tiav-rix, il faut entendre tout ce sur quoi il y a quelque chos e à dire qui ait la marque du vrai = tout ce qu'il y a. Déjà, donc, se trouve exclu le « il n'y a pas », comme ne pouvant donner lieu à aucune vérité. L'erreur même se situe dans le champ de la vérité ; elle le suppose. « Ce fruit est mûr », dit-on. Erreur : il le paraissait, il ne l'est pas. Mais le propos erroné est relatif à ce qu'il y a : ce fruit, là. 29. EÙm:tElÉoç. Certains interprètes retiennent la leçon EÙxuxMoç, qui est celle de Simplicius (De caelo, 557 . 26) . Tels sont Diels et DK, Untersteiner, Vuia, Guthrie, Tarân, Riezler, Kirk-Rav.-Sch., Cordera, Couloubaritsis, Reale-Ruggiu. D 'autres préfèrent la leçon EÙTIEtElÉoç, qui est celle de Plutarque, Clément, Sextus et Diogène Laërce, c'est-à dire des « auteurs les plus anciens et les plus nombreux » (Brunschwig, p. 241 ) . Ainsi Karsten, Riaux, Stein, J ackson (1 908, p. 4) , J ameson (1 958, p. 1 5-30) , Deichgriiber (p. 22) , Friinkel (Dichtung, p. 402, n. 1 1) , Mourelatos, Townsley (1 97 5, p. 337 s . ) , Gallop, Coxon, Austin, Mansfeld, O'Brien-Frère, Heitsch, Collobert. Tarân choisit EÙxuxÀÉoç comme étant la lectio di.fficilior, et aussi parce que Simplicius « is our best authority for Parmenides ' text » (p. 1 6- 1 7) . Mais, à ce sujet, Mourelatos (p. 1 55) met en balance à l'au torité de Simplicius le « superior context » du mot eupeitheos dans Sex tus, qui cite complètement le fragment 1 . Quant au premier point, J. Brunschwig, à la suite d'O'Brien, observe : « On peut dire très plau siblement que la lectio philosophice di.fficilior est ici EÙTIEtElÉoç ; car l'al liance de mots vérité/persuasion transgresse une polarité traditionnel-
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lement platonicienne, celle de l' tXÀ�8wx et de la nlc;-nc; » (l. c. ) . Les Néo platoniciens Proclus et Simplicius ne pouvaient guère s'accommoder de cet écart à l'égard de la doctrine platonicienne. De là, chez Proclus, la variante e:ùcpqyfoc; ( « bien illuminée » ) , inspirée de la notion ploti nienne de lumière intelligible, et, chez Simplicius, la variante e:ùxuxÀÉoc; ( « bien arrondie » ) tirée de l' e:ÙxÛxÀou de 8 . 43 (cf. O'Brien, Études, II, p. 3 1 5-3 1 8) - mais si une sphère peut être « bien ronde », on ne voit pas en quoi une telle imagerie géométrique peut s'appliquer à la vérité . Ajoutons à cela deux observations de Jackson (l. c. ) : a) nla-nc; et ne:L8w sont des « mots d'ordre » ( « watchwords ») parménidiens (cf. ne:L8ouc; xÉÀe:u8oc;, 2 . 4 ; nla-noc; 1crxûc;, 8. 1 2 ; mcr-roc; Myoc;, 8 . 50) ; b) « tXÀ1)8e:b i c; e:ùne:L8Éoc; in 1 . 29 is exactly echoed by nlcr-rLc; tXÀ1)8�c; in 1 . 30 » . ne:L86c; signifie « persuasif» (Chantraine, s . v. ne:l8oµrxL) . e:ù ( e:ù-ne:l8w) aj oute la signification de l'adverbe e:i'i, « régulièrement, justement » : e:ùne:L8�c; « qui persuade légitimement ». Vérité « persuasive » : qui per suade avec légitimité, à bon droit. tXÀîJ8e:lîJ. Selon Couloubaritsis, « Alètheia est personnifiée par Par ménide » (p. 376) . Diels et Diels-Kranz, Untersteiner, Beaufret, Tarin, Mansfeld, Reale-Ruggiu, entre autres, écrivent A.À1)8dî)c; (mais non Mourelatos, Cordera, Coxon, O'Brien-Frère, Collobert . . . ). A tort (ce choix est d'ailleurs lié, généralement, au choix d'e:ùxuxÀÉoc;) : a) Les Grecs n'ont j amais personnifié la vérité ; b) « Il faut que tu sois ins truit [ . . . ] de la vérité », dit la Déesse : curieuse façon de parler si la vérité est une personne ! c) « Il faut que tu sois instruit [ . . . ] de la vérité [ . . . ] et des opinions [ . . . ] » : comment la vérité pourrait-elle être personnifiée, alors que les doxai ne le seraient pas (et que personne ne soutient qu'elles aient à l'être) ? 1 hpe:µÈc; �-rop. �-rop est un mot du langage poétique (épique et lyrique) fréquent chez Homère. Il désigne une partie du corps comme siège de la vie, des sentiments et affections ou de l'intelligence, donc 1 . Si, toutefois, il nous arrive de parler de la Déesse-Vérité, c'est seulement pour indi quer que toute la signification de la Déesse s'épuise à nous donner la Vérité.
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un lieu. Le « cœur » de la vérité n'est pas le noyau de la vérité (car la vérité n'a pas de « noyau ») mais là où elle se trouve. « Il faut que tu sois instruit [ . . . ] du cœur de la vérité » signifie : il faut que je t'en seigne, que j e te fasse découvrir l'être vrai, car alors seulement tu découvriras la vérité. &:rpEµÉc;, « qui ne tremble pas », « immobile ». Villani (p . 308) songe au « mouvement immobile en plein vol » ! Non, car le mouvement est exclu de l'être vrai. &:-rpEµ�c; s'emploie pour désigner le calme de la mer - de la mer « d'huile », sans frémissement, sans rides . Il désigne ici la parfaite égalité de l'être à soi-même. Quelques interprètes ont préféré la leçon &:rpExÉc; ( « ferme », « exact », « de bon aloi » ) . Ainsi Karsten, Mullach, Riaux (qui traduit par « incorruptible ») . Toutefois, depuis Stein - en dépit de l'exception notable de Frankel (Dichtung, p. 402, n. 1 1 ) -, un accord quasi général s'est fait sur le choix d'&:rpEµÉc;, la leçon &:rpExÉc; étant « manifeste ment », dit-on (« obviously », Verdenius, Mnemoryne, 1 962, p. 237) , une lectio Jacilior, et surtout la leçon &:rpEµÉc; étant celle de Simplicius . 30. nlcr-r�c; tXÀ1J8�c;. Les mortels n'ont pas de « conviction vraie ». C'est la Déesse qui le dit. Les mortels sont convaincus (nrno�86-rEc;, 8 . 39) du contraire et que leurs opinions sont vraies. Vraiment convain cus, ils ont de vraies convictions. Mais de vraies convictions ne sont pas pour autant des convictions vraies. Le discours vrai est discours de l'être vrai, lequel est immuable, de sorte que ce que l'on dit à son sujet ne varie pas. Les opinions des mortels portent sur des choses mor telles. Le Temps a prise sur ces choses, et donc, corrélativement, sur ce qui est dit à leur sujet. « C'est là ma maison », dit le propriétaire. Il en est bien convaincu. Cela est-il faux ? Non, mais cela manque de vérité, de la vraie Vérité, laquelle est à l'épreuve du Temps. Bientôt, la maison aura un autre propriétaire, et bientôt après, il n'y aura plus de maison. �8è: �po-rwv a6�œc;. « C'est ce " et" qui est inquiétant, car enfin, il s'agit de savoir s 'il peut y avoir, aussi quelque chose à côté de la vérité et comme en plus d'elle (l'illusion ou la folie) » (Campbell, p. 395) . É trange question : Parménide n'est-il pas précisément e n train d e dire
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qu'il y a quelque chose ? Les « opinions des mortels » ne sont pas rien, car de rien on ne peut rien dire. 3 1 . lXÀÀ' ˵7t'Y)Ç. L'expres sion homérique a une valeur concessive : « pourtant ». Souvent l'on traduit comme s 'il s 'agissait d'un troisième enseignement de la Déesse, s'ajoutant aux deux autres . Ainsi Beaufret (1 984) : « Mais voici encore ce que tu auras à apprendre [ . . .] . » « Il faut que tu sois instruit de tout », dit la Déesse ; ce « tout » comprend : a) le « cœur sans tremblement de la vérité, b) les « opinions des mortels » . Rien d'autre : les dokounta n e sont que l e corrélat intentionnel (au sens de la phénoménologie) des doxai. Dès lors que le j eune homme aura été ins truit, d'une part, de la Vérité, comme ce à quoi l'être vrai fait offrande, d'autre part, des opinions des mortels, où la Vérité est absente (sans qu'elles soient fausses pour autant) , il saura, dès lors que la Vérité s e sera absentée du champ des opinions, que celles-ci s'illusionnaient sur elles mêmes, ce qui avait semblance de vérité et d'être n'en ayant que la sem blance. Toutefois, c'est inévitablement que les dokounta semblaient manifester l'être : elles paraissaient, en effet, « pénétrer toutes choses », ne rien laisser hors de leur domaine, dès lors que le pôle de la Vérité n'avait pas été reconnu. Les apparences semblaient la réalité, puisque l'on n'avait pas encore d'yeux pour la vraie réalité. ·rn.Ü"t"IJ(. Comme le veut W. Kranz ( Vors., I, p . 230) , le pronom démonstratif annonce ici, par exception, la complétive qui suit. R. Brague considère, de son côté, cette solution grammaticale comme « la plus probable » (Études, II, p. 45, n. 3) . 32. ôoxlµwç signifie ici « apparemment ». Ce sens de l'adverbe dokimôs résulte, en l'occurrence, de la « parenté manifeste » (O'Brien, Études, I, p. 1 3) - étymologique - de ce mot avec ôQÇIJ(ç (1 . 30) et ôoxoÜv"t"IJ( (1 . 3 1 ) . Il convient aussi de prendre garde à l'assonance des mots . R. Brague note à ce sujet : « ôoxlµwç exprime l'idée d'apparence, comme l'indique l'asso nance certainement voulue avec ôoxoÜV"t"IJ( » (/oc. cit., p. 59) . Les dokounta, les « paraissants » (A. Lowit, 1 986, p. 1 67) , paraissent être ; ils s'en don nent l'air - mais ce qui maintenant « est », bientôt n'est plus, est-il vrai ment ? Il se réduit à une apparition.
Pourquoi le Proème ?
Il y a le philosophe et le disciple ; et si l'on songe que le prétendu « savoir » de la Déesse n'est autre que le savoir même de Parménide, on peut penser que le xoupoc:; représente le disciple : aus si est-il un « koûros », un « jeune homme » . L e philosophe sait l a vérité, non pas l a vérité a u sens d e s humains - vérité qui est celle de leur milieu et de leur époque, donc particulière et mortelle -, mais la vérité que l'on peut dire universelle, car n'étant pas celle des uns plutôt que des autres , absolue car valant par elle même sans conditions, et éternelle car à l'épreuve du Temps que l'on dit « tout-puissant » (7tixyxpix't"fic:;, Sophocle, OC, 609) . Or, comment le philosophe va-t-il enseigner la vérité ? Par la démonstration ? Mais pourquoi le disciple en acceptera-t-il les prin cipes ? Par la discussion ? Mais le disciple est un auditeur : il écoute, il ne discute pas encore. Le philosophe dira-t-il simplement : « Voici ce que je crois » ? Mais la question est de savoir pourquoi il faut le croire. Dira-t il : « Je fus moi-même disciple ; cet enseignement, je le tiens d'un maître » ? Mais cela ne nous fait pas sortir de la culture traditionnelle, à valeur simplement relative, à moins que le maître ne soit incontestable, et hors de toute tradition particulière : telle est la Déesse, nécessairement anonyme, dont l'anonymat signifie l'universalité. Ce n'est pas moi qu'il faut écouter mais le logos, dit Héraclite (cf. B 50) . Le même souci se retrouve, chez Parménide, de ne pas réfé rer la vérité à un sujet. D 'une part, la Vérité absolue, d'autre part, les
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PARMÉN I D E
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LE P O t M E
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FRAGMENTS
op1mons des mortels. Si Parménide représentai t la Vérité qu'il annonce comme étant la sienne, que serait-elle sinon l'opinion d'un mortel ? Le penseur n'est que le porte-voix de la Déesse-Vérité ; il n'est là que pour faire entendre au-delà de lui. La Déesse elle-même, étant anonyme, n'est pas un sujet ; et, si on laisse de côté la fiction, elle n'est rien d'autre ni de plus que la Vérité même (mais on ne peut ni identifier la Déesse et la Vérité, car la première, comme « Déesse », est une fiction, alors que la Vérité n'a rien de fictif, ni personnifier la Vérité, qui est impersonnelle) . Ce qui est retenu de la tradition religieuse est seulement l'idée d'omniscience, comme associée à la notion du divin comme tel, même si les dieux particuliers n'ont que des savoirs partiels, liés à leur fonc tion. Encore cette idée d'omniscience - de savoir touchant la réalité dans son ensemble - suppose-t-elle une purification de la tradition, purification déj à philosophique, et qui fut l'œuvre de Xénophane. Qu'en est-il, pour Xénophane, du dieu unique ? « Tout entier il voit, tout entier il pense, tout entier il entend ( oÙÀoc; o pêi, oÙÀoc; ÔÈ voû, oÙÀoc; ôé -r'&:xoûe:�) » (B 24) . Le dieu n'est donc plus tel o u tel ; il n'est que regard, pensée, écoute - regard qui voit tout, pensée qui tout embrasse, écoute universelle. Bref, en lui la réalité dans son ensemble se sait elle-même ; et il n'est que ce savoir que la réalité a d'elle-même. Il est le lieu où sans autre qu'elle se déploie la vérité. Dieu anonyme, ce n'est plus le dieu de la religion : c'est le dieu de la philosophie. La Déesse de Parménide n'est autre, pour l'essentiel, que le dieu de Xénophane. Si Parménide préfère parler de « déesse », c'est peut-être parce que le mot &:À�8e:w. est au féminin. Seule est réelle, c'est-à-dire éternelle, la Vérité. La Déesse, comme personnalité religieuse, n'existe pas. Il n'y a donc pas d'expérience religieuse chez Parménide. La vérité se dévoile. C'est là ce qui est initial. Loin d'être conquise, elle suppose l'effacement du sujet, l'extrême humilité, la passivité prête à l'accueil. Que signifie cela ? Le philosophe est d'abord l'homme d'un milieu et d'une époque, d'une collectivité. Des « vérités » toutes faites, notamment religieuses, l'ont nourri. Il a ses façons de voir, ses catégo ries, ses œillères ; il suit les sentiers battus. C'est de tout cela qu'il doit se délivrer pour être libre - libre pour la vérité. Le philosophe est l'homme
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qui se délivre de tout ce qui a été déposé en lui par l'éducation collective, qui donc rompt avec l'homme collectif en lui pour se retrouver individu purement raisonnable face à l'universel. La philosophie suppose une rupture avec la collectivité, avec le peuple, un cheminement « à l'écart des hommes » (1 . 27) . Elle n'est pas l'affaire d'un peuple comme tel, mais d'un individu. Celui que les « cavales » emportent, poussé en avant par un impérieux désir de savoir, corrélat de sa totale ignorance, est seul. C'est un individu laissé à lui-même, que la collectivité ne soutient plus, et c'est à un tel indi vidu que s'offre la possibilité de sortir du monde où règne l'obscurcis sement pour accéder au royaume de la Lumière qui ne décline pas, et à lui que la Vérité se révèle telle qu'en elle-même. Dans son voyage vers la demeure de la Déesse-Vérité, le philosophe est emporté sur un char tiré par de « prudentes cavales ». Des j eunes filles, les Hèliades, « cochers immortels », guident le char vers la lumière. Que signifie cela ? La philosophie ne naît pas du cours ordinaire des choses humaines. Le philosophe, comme tel, ne peut compter, parmi ses proches, ses voisins, ses éducateurs, les instances de la cité, sur l'aide de personne. Tous les citoyens qui s 'adonnent au travail, aux affaires, à la politique, comme aux j eux ou aux plaisirs, vivent dans le périssable pour des valeurs périssables, alors qu'il entend, lui, l'appel de l'impérissable. Il ne peut donc être aidé que par les forces qui participent de l'impéris sable. Pourquoi, comme guides, des j eunes filles ? Les Hèliades repré sentent l'éternelle j eunesse de ce qui ne périt pas. Rien de vieux, ici, n'a sa place. Pourquoi des natures féminines ? Grâce à elles et aux cavales s'aj oute un élément de beauté et de j oie, de sorte que le j eune homme n'est pas seulement « transporté » au sens propre : il est transporté en ce sens aussi qu'il est mis hors de soi par l'effet d'une émotion toute nou velle de joie et de liberté. ÀÀÀ'Y)yoplcx, de èÎ.ÀÀoc,, autre, et &yopEuELv, dire : dire autre chose que ce qu'on paraît dire. Le proème dit bien autre chose que ce qu'il paraît dire : c'est une allégorie. Le poète fait le récit d'un voyage : d e s caval es l'emportent, les Filles du Soleil le guident, Dikè, la J ustice en per sonne, dévérouille la porte qui ouvre sur la g rand' r o ut e menant à la Déesse en sa demeure ; la Déesse l'instruit de l a Vérité. O r, u n tel
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
voyage n'a pas eu lieu, sinon peut-être en rêve, et, en ce cas, le proème est le récit accommodé d'un rêve. Les figures empruntées au mythe les Hèliades, Dikè - ne sont pas réelles . A. Croiset note que Parmé nide ne croit pas plus à Dikè ou aux « charmantes Hèliades » que Lucrèce, au début de son poème, ne croit à Vénus 1 • Non pas récit mythique, donc (car un mythe n'est pas un mythe si l'on n'y croit pas\ mais allégorie. En ce cas, que signifie le proème d'autre que ce qu'il dit au sens propre ? Le voyage s'effectue « vers la lumière » (de; cp&oc;, 1 . 1 0) . Le philosophe désire savoir ; il ne veut rien de moins que l'absolue vérité. Or, que sait-il d'elle ? rien encore sinon que par elle il sera éclairé. Il est ab initio guidé par une idée de la vérité comme lumière. Mais quelle lumière ? ce ne sera plus une lumière mortelle, une de ces lumières qui n'ont qu'une vie précaire entre deux nuits, mais une lumière immortelle, immatérielle, bref définitive. Les Filles du Soleil sont les relais de la lumière. Dikè en est la gardienne, car l'acquisition du savoir philosophique suppose la justesse de l'esprit et du j ugement. Les détails du voyage sont souvent imprécis. Cette imprécision est voulue. Un certain flou subsiste et doit subsister. Le poète n'a voulu que créer une atmosphère, obtenir un effet. Quel effet ? Il s 'agit de bien disposer l'esprit du disciple, de l'apprenti philosophe, par le charme de la poésie. Le philosophe veut communiquer son propre ravissement. Pour cela, il se fait poète. Ainsi fera Lucrèce. Le ravisse ment philosophique entend, du disciple, toucher l'âme et l'esprit, par le biais du ravissement poétique. Ce qui ravit le philosophe, arraché au domaine obscur de l'ignorance, c'est-à-dire des faux savoirs, est tout ce qui annonce, fait espérer la lumière. Or, de cette lumière tout autre que les lumières mortelles, l'apprenti philosophe ne sait encore rien. Du ravissement et de la j oie inhérents à la recherche philosophique, il n'a pas encore l'expérience. Mais, dans le sensible, la beauté est
1 . Histoire de la littérature grecque, 3' éd., Paris, E. de Boccard, s.d., t. II, p . 548. 2. Ou, tout au contraire, dira-t-on, un récit fabuleux n'est qu'un « mythe » parce qu'il
n'y a pas lieu d'y croire - mais un tel usage du mot ne serait guère à sa place dans le présent contexte.
I - L'ALLÉGORIE.
POURQUOI LE PROÈME ?
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comme le relais de la vérité. Grâce au plaisir que donne la beauté, le disciple est atteint de manière immédiate, et captivé, charmé. La pré sence de natures féminines, la sorte de complicité entre la philosophie, la vérité et l'élément féminin contribuent à l'effet de charme. Ce que l'on ressentira devant la vérité est pressenti comme un analogue de ce que, devant la beauté, l'on ressent déj à. Il n'y a pas de philosophie sans amour de la vérité. Le proème vis e à éveiller cet amour. Les nombreuses réminiscences homériques et hésiodiques que l'on relève dans le proème, et que les érudits ont dûment répertoriées 1 , montrent que Parménide entend se situer dans l'élément de la poésie, et cela de manière consciente aussi bien pour ses auditeurs ou lecteurs, puisqu'elles leur sont connues, que pour lui-même. Il convient que le Grec du ve siècle, en qui chantent les vers d'Homère, et qui, donc, vit, d'une certaine façon, au pays de la poésie, en la compagnie mentale des héros, ne soit pas dépaysé. De là ces emprunts qui ont en lui des résonances familières . Parménide a médité la manière de se faire entendre, sachant que ce qu'il a à dire est inouï. Le proème n'est pas un hors-d'œuvre. La poésie est là pour dispo ser à la philosophie, à l'écoute de l'inouï. On peut demander : y a-t-il vraiment poésie ? Les Anciens passent pour avoir été sévères à l'égard de la poésie de Parménide. Est-ce exact, du moins s 'agissant du proème ? Lisons le De audiendis poetis de Plutarque. Socrate, incité par un songe à s'aventurer dans le domaine de la poésie, tenta de faire des vers . Sans succès, car il ne savait que dire la vérité, alors que la poésie ne va pas sans la fiction et le mensonge. Aussi se borna-t-il à mettre en vers les fables d' É sope. Ici vient une objection : les poèmes de Parmé nide et d'Empédocle, entre autres, ne concilient-ils pas poésie et vérité ? Mais, réplique Plutarque, ce sont en fait des « discours » (fogoi) qui n'ont fait qu' « emprunter à la poésie la maj esté du style et le mètre, comme un véhicule, pour éviter la marche à pied de la prose » (1 6 c) . On le voit : Plutarque songe à la partie du Poème d'où la fiction est absente (ou quasiment absente) : il ne songe pas au proème . Pour
1 . Cf. , par exemple, l'édition de Coxon.
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PARMÉNIDE LE POÈME -
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FRAGMENTS
Ménandre de Laodicée (A 20) , le Poème est un « hymne de philoso phie naturelle », et Parménide, comme du reste Empédocle, a usé de cette forme littéraire, l'hymne (6µvoc;) , avec « sûreté de jugement » (&.xpl�wc;) . A l'époque moderne, la qualité littéraire du proème a été reconnue, mais plus par les littérateurs et les érudits que par les philo sophes (par suite, surtout, d'un certain manque d'intérêt de ceux-ci pour l' « allégorie poétique du début », fascinés qu'ils étaient par le fragment ontologique) . Karsten trouve « splendide » l'allégorie qui inaugure le chant (splendida allegoria carmen orditur, p. 5 1 ) ; il évoque Homère (Il., 8 . 41 -46) , Pindare (01., VI, v. 22 s.), le mythe du Phèdre. Dans son Histoire de la littérature grecque, qui, vers 1 880, était dans toutes les mains, Alexis Pierran n'hésite pas à écrire : « Homère lui même n'eût guère désavoué, dans l'allégorie du début, que la conci sion un peu obscure de quelques phrases et la physionomie un peu sévère de l'ensemble » (8° éd., 1 879, p. 223) . A l'encontre de Cicéron, qui jugeait ses vers « moins que bons » (A cad. Pr. , II, 23, 7 4) , Alfred Croiset voit un vrai poète dans Parménide, « ce Lucrèce grec » : « Nous le sentons poète par une plénitude extraordinaire de vie et d'émotion. Chez lui, la métaphysique la plus abstraite est accompa gnée d'une sorte d'exaltation, d'ivresse philosophique. Il y a, dans ces vers abrupts , une pure joie de l'esprit que Pascal aurait comprise [ . . .] L'enthousiasme poétique a été décrit bien des fois : grâce à Parménide, l'enthousiasme philosophique aussi, cette ascension radieuse de l'esprit jusqu'à la vérité absolue, cette intuition qui ressemble à une révéla tion, a trouvé son peintre. Non seulement l'idée est belle, mais l'ex pression est puissante. Cette vision a la précision pittoresque et lumi neuse d'un spectacle réel, avec la grâce de la poésie grecque » (op. cit., p. 546-548) . Cela, cette « altière beauté » du proème, certains, il est vrai, ne la voient pas. Mais les voyants ont raison contre les aveugles. Parménide est un voyant, et il faut l'être aussi quelque peu pour voir sa v1s10n. Résumons. Pourquoi le proème ? La vérité que Parménide annonce n'est pas sa vérité. Il la tient de la Déesse-Vérité elle-même ; il n'en est pas le sujet. É coutez non moi mais le logos : telle est l'invite d'Héraclite.
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É coutez non moi mais la Déesse, c'est-à-dire la Vérité, c'est-à-dire le logos : telle est aussi l'invite de Parménide. Mais philosopher, c'est aimer : aimer la vérité, et l'aimer pour elle-même. Cela veut dire que l'on ne phi losophe vraiment qu'avec toute son âme. Parménide se représente comme le disciple de la Déesse : il a été le « j eune homme » que la Déesse accueille et instruit - « bienveillante » et bienfaisante, car bienfaisante est la vérité. Or, à qui s 'adresse-t-il ? à son propre disciple, au j eune homme à instruire, qui doit s 'identifier au koûros du proème, à celui que son maître a été, et se laisser « transporter », mettre hors de soi par une émo tion de délivrance et de joie ; qui doit, en somme, faire sien, à l'imitation du maître, l'enthousiasme proprement philosophique, celui où le dieu dont on est possédé est nul autre que la Déesse-Vérité. Grâce à la poésie, c'est toute l'âme qui est gagnée et envoûtée. Mais par quoi ? Par ce gui délivre de tout envoûtement.
II LA VÉ R I TÉ
FRA G M E NT 2
31 -8 PROCL. , in Tim. , 1, 345 . 1 8-27 (à la suite de 1 . 29-30) 8 S IMPL. , Pf?Jls., 1 1 6 . 28- 1 1 7 . 1 Diels 5 b-6 PROCL . , in Parm., 1 078 . 4-5 Cousin e:1
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ô'è(y' è:ywv È:pÉw, xôµmixL ÔÈ: crù µü6ov &xolicrixç, IXLnE:p OOOL µoÜVIXL OL�-f)CJLÔ Ç dcrL 'IOYjCJIXL0 -Ji µÈ:v orrwç fonv Te: xixl wç oùx fon µ-� e:IvixL, rre:L6oüç fon xÉÀe:u6oç (àt:À"f)Be:ln yiXp à rr"f) Ôe:L) , Yi ô' wç oùx fonv Te: XIXL wç xpe:wv fon µ� dvixL, T�V ô-fi TOL qipa�w 7tlXVIX7te:u6fo ˵µe:v àt:Tixprrôv" o \lTe: yiXp &v yvo L"f)Ç TÔ ye: µ� È: Ô v (où yiXp &vucrT Ô v) , OlJTE: <jlpcXCJIXLÇ.
1 &y' , èywv Karsten : &ye: -rwv libri 3 wç Simpl. : om. Procl. 4 tXÀ'l)Bdn Bywater : tXÀ'l)Bd'I) libri (car la vérité l'accompagne) 5 Ëcmv Mullach : Ëcm libri -re: Simpl. : ye: Procl. 6 rrotvome:uflÉ0t Simpl. EF (7totpot7te:uBm D) : 7totv0t7te:cBfo ( « tout à fait incroyable » ) Procl., in Parm., in Tim. P Karsten : 7totpot7te:cBfo Procl., in Tim. N 7 è6v Sim pl. : ov Procl. &vucr-r6v Sim pl. : Ècpcx-r6v ( « qui peut être atteint » ) Procl.
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Viens donc, je vais dire - et toi, l'qyant entendue, garde bien en toi ma parole - quelles sont les seules voies de recherche à penser : l'une qu 'ily a et que non-être il n'y a pas, est chemin de persuasion (car celle-ci auompagne la vérité) ; l'autre qu 'il n'y a pas et qu 'il est nécessaire qu'il n'y ait pas : celle-là, je te le montre, est un sentier dont on ne peut rien apprendre. Car tu ne saurais ni connaître le n 'étant pas (car il n 'offre aucune prise), ni en montrer des signes.
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PARMÉNIDE
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LE POÈME : FRAGMENTS
1 . x6µicrou. Selon Mansfeld (1 966, p. 95-96) , le sens serait : « conserver et transmettre aux autres », ce qui renverrait à la mission d'aède de Parménide. Mais cela va au-delà de la signification, ici, de x6µimxL : « emporte avec toi » (comme une chose précieuse dont il faut prendre soin) . 2 . µoüvlJ(L . . . voYjcrlJ(L. Mourelatos construit l'infinitif aoriste voYjcrlJ(L avec dcrl : « qu'il y a pour penser » (« what routes of quest alone there are for thinking », p. 5 5) . Mais dcrl forme une unité syntaxique avec µoüvlJ(L, et voYjcrlJ(L est un infinitif consécutif complément de µoüvlJ(L (cf. O'Brien, Études, I, p. 1 53 - 1 54) . Cordera traduit, comme Mourelatos : « quels sont les seuls chemins de la recherche qu'il y a pour penser », où « penser » est compris comme « une activité à réaliser » (p. 49, n. 26) , l'infinitif aoriste se rapportant ici « à l'avenir ». Mais quel sera l'objet de cette activité de « penser » ? Ce sera l' « être », précise Cou loubaritsis : « la quête vise à penser l'être pour fonder le penser » (p. 1 67, n. 4) . En ce cas, objectera-t-on, pourquoi Parménide parle-t-il de deux chemins ? Il sait bien qu'il n'y en a qu'un seul. Et pourquoi parle-t-il de chemins « pour penser » - à l'avenir -, sachant que l'un des deux conduit à l' « impensable » (&v6'Y)TOÇ, 8 . 1 7) ? Il paraît raison nable de s'en tenir à l'interprétation habituelle, exprimée, par exemple, par D. Bahut, pour qui l'aoriste voYjcrlJ(L « indique bien » qu'il ne s'agit pas de la pensée « en général », ou « à venir », mais « de celle qui per met, en l'occurrence, de concevoir les deux voies de la recherche » (rec. Cordera, 1 985, p. 302-303) . Avant de les décrire, Parménide précise qu'il s'agit des deux seules (µoüvlJ(L) voies - ou chemins - de recherche « à penser », c'est-à-dire que la pensée ait à prendre en considération, dont elle ait à tenir compte. Cela signifie-t-il qu'il n'y en a pas d'autres ? É videmment non. « Le terme µoüvlJ(L, à notre avis, dit Cordera, est suffisamment explicite pour établir l'impossibilité de l'existence d'autres chemins en plus de ceux qui seront énumérés en 2. 3 et en 2 . 5 » (p. 5 1 ) . Nulle ment. Certes, ces deux chemins sont les seuls légitimes a priori, les seuls qui existent en droit ; mais cela n'empêche pas qu'en fait il puisse en exister et qu'il en existe d'autres.
II
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LA VÉRITÉ. FRAGMENT
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Il est question, en 7 . 2, d'un « chemin de recherche » : mais « de ce che min de recherche, dit la Déesse, écarte ta pensée (v6'Y)µ(X) MV ». La pen sée, en vue de la vérité, n'a pas à connaître d'autres voies de recherche que les voies légitimes. Sinon, elle ne peut que s'égarer. Il s'agit, pour la pensée, de s'orienter et de se décider par la raison seule (Mycp, 7 . 5) . Dire qu'il faut « j uger » ou « décider » (cf. xpî:v(Xt, 7 . 5) par la raison signifie que l'on a fait, dès le départ, le choix du rationnel. Les che mins de 2 . 3 et 2 . 5 sont bien les s euls qui existent pour la pensée rationnelle ; mais il y a aussi tous les chemins de l'irrationnel, qui, sans doute, ne se réduisent pas à celui dont il est question en 7 . 2. Le mythe, l'inspiration poétique, la divination, l'initiation aux mystères et la révélation sacrée peuvent sembler des manières d'atteindre à la vérité, mais illégitimes aux yeux de la raison. 3a. fonv, « il y a » . Ëcnw est la troisième personne du singulier de l'in dicatifprésent du verbe être. La première voie consiste, d'abord et avant tout, dans l'affirmation de l'être comme indissociable de l'affirmation de la présence : « être » signifie être présent. Et comme l'être - le fait d'être, e:lv(Xt - précède tout être particulier, car s'il n'y avait pas déjà de l'être, comment pourrait-il y avoir tel ou tel être, de même la présence comme telle précède toute présence particulière, relative à un sujet. Strictement, Ëcrnv se traduit par « est » (ainsi O'Brien-Frère) . Mais, pour que la traduction fasse sens, et ne soit pas un simple décalque mais une traduction, on éprouve, ou du moins on éprouvait générale ment, avant les Studi sull'eleatismo de G. Calogero (1 932) , le besoin de supposer et d'adjoindre un sujet : « l'être » (« l'être est », Riaux, 1 840, Tannery, 1 887, puis Hamelin, Robin, Zafiropulo, Voilquin, Legrand, etc. ; das Sein, Deichgraber ; l' essere, Pasquinelli, 1 9 58, p. 396, Mondolfo, 1 964, p. 3 1 1 ; « Il soggetto è l'esistente, l'essere, il reale », Albertelli, p . 27 1 , n. 3 5) , « l'étant » (das Seiende, Diels 1 897, Reinhardt, p. 36, etc.) , « quelque chose » (etwas, Holscher, 1 969) , « il » ou « (il) » (Beaufret, 1 95 5 , 1 984, Ramnoux, Cordera, Couloubaritsis, Dumont) . E n 1 942, Verdenius propose « reality » , e n 1 962, « truth » . Battis tini écrit d'abord (1 9 5 5) « être est » (souligné par lui) , plus tard ( 1 968), « il est ». Pour Untersteiner, reconnais sant que le sujet de fonv
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- si sujet il y a - doit se tirer du contexte, « il soggetto di fo·nv è oMc; » - la voie elle-même (p . LXXXVI) . Mais pour Calogero, Frankel (1 962) , Tarin (1 965) , Éo"'nv n'a pas de sujet : considérer comme sujet de Écnw l' è: 6 v « significa aggiungere nel testa una parola che assolutamente non vi si trova » (Calogero, p. 1 7) . Et, effectivement, s i Parménide eût voulu dire : « l'être est », i l ne tenait qu'à lui d'écrire � µè:v onwc; è:àv Écrnv (d'après Cornford, 1 939, p. 30, n. 2, c'est d'ailleurs ce qu'il a dû écrire) . S'il eût voulu dire : « quelque chose est », il lui était loisible d'écrire fo·n TL (Loenen, 1 9 59, propose, du reste, de corriger ËcrTLv Te: en ËcrTL TL) . Bref, si ËcrTLV n'a pas de sujet, c'est que Parménide l'a voulu ainsi. Quant à la solution d'Un tersteiner, elle conduit à dire que des deux seules voies de recherche, si l'une « existe », l'autre « n'existe pas » (« non esiste », p. 1 29) : en ce cas , pourquoi dire qu'il y en a deux ? Concluons, avec Tarin : « ËcrTLv and oùx. Éo"'t"LV in lines 3 and 5 are used as impersonals and no subject has to be understood with them. In asserting this Calogero was cor rect » (p. 36) . Mais lorsque Calogero, méconnaissant l a signification existentielle de fon, le réduit à l'être de la copule verbale, on ne peut le suivre : comme l'observe Cordera (p. 64) , une interprétation « qui affaiblit à tel point l' ËcrTL de Parménide » ne peut s'accommoder de plusieurs des cr� µcxw de l'être que présente le fragment 8, lesquels sont « complète ment inadéquats » pour un ËcrTL ainsi entendu. Mais si fon n'est pas le « est » de la copule, comment peut-il être sans sujet ? Autrement dit, peut-on garder une moitié de la thèse de Calogero en refusant l'autre ? Car, s 'il y a l'existence, il doit y avoir ce qui existe. Frankel (Dichtung, p. 403, n. 1 3) rapproche ËcrTL d'un verbe impersonnel tel que « (es) regnet », « il pleut ». Soit ! Mais que signifie « il pleut » ? Rien d'autre que ceci : « il y a de la pluie ». Dès lors ËcrTL - et c'est l'opinion de Cordera - doit signifier « il y a de l'être » (p. 79) . Qu'est-ce à dire, pense-t-on, sinon que ce qu'il y a, c'est l'être (ce qui revient à dire que « l'être est ») ? « Nous ne nions pas qu'il y ait un sujet [de ËcrTL] », écrit Cordera (ibid.) : simplement, il n'est pas tiré des passages du Poème où il apparaît explicitement, mais « extrait analytiquement de la signification d' ËcrTL ». Cordera rej oint ici la
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position de J. Bollack, pour qm fo·nv, en 2 . 3, « n'a pas de sujet extérieur à lui-même » (Empédocle, III, p. 1 43) , position reprise par B . Cassin (est « n'a d'autre sujet possible que lui-même, il se déploie, il se sécrète lui-même comme suj et, "ce qui est, c'est être" » , Si Parmé nide, p. 5 5) et adoptée par A. Finkelberg : « the only possible gram matical solution is to take the estin as implying its own subject » ( Oxford St., 1 988, p. 45) . De cette manière, pensons-nous, on passe complètement à côté de la signification parménidienne de fo·n. D 'abord, nous traduisons ËaTtv par le gallicisme « il y a », où le verbe « avoir » a, comme on sait, perdu son sens propre. « Il y a » est une locution impersonnelle où le pronom personnel neutre « il », souvent appelé sujet « grammatical », est un simple signe qui annonce le véritable suj et, dit sujet « logique » ou « réel » : « il y a des fautes d'orthographe ». Un verbe impersonnel exprime une action qui n'a pas de sujet : « il pleut » - ce n'est pas la pluie qui pleut, de sorte que « il pleut » se suffit à lui-même. Au contraire, quand on dit « il y a », on attend que l'on nous dise ce qu'il y a. Si le sujet réel fait défaut, comme dans « il y a » = fonv, faut-il tirer le sujet du « il y a » lui-même, qui, en ce cas, impliquerait son propre sujet ? On aurait alors : « il y a » = « il y a de l'être » = « l'être est » (ou « être est ») . L'être serait « ce qui est » (B . Cassin, ci-dessus) . Or, en disant « il y a », on crée une attente quant à ce qu'il y a, mais on ne dit pas du tout par là même ce qu'il y a. Discerner, dans « il y a », le sujet de l'acte d'être, c'est aller contre la signification du « il y a ». Exacte ment de même, on ne peut tirer du seul ËaTtv son propre sujet. On peut, toutefois, entendre par « il y a », « il y a être » (il y a le fait qu'il y ait, cf. 6 . 1 ) , mais à la condition de ne pas faire de « être » un suj et, comme dans « être est » (ou « l'être est ») . Il convient de retenir, comme un point essentiel, que l'être n'est e n aucun cas ce qu'il y a. Il est simplement ce dont l'entente permet de dire de ce qu'il y a, que cela « est » . L a Déesse s'adresse à Parménide, o u plutôt - puisque l a « Déesse » n'est qu'une fiction permettant simplement à Parménide de présente r la vérité qu'il annonce comme n'étant pas une opinion h u maine, mais une vérité absolue - Parménide s 'adresse à son disciple. 1 1 l u i p ropose
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cette première vérité : fo·n, « il y a ». Il ne lui demande certainement pas de sous-entendre ÈÔv, mot qui suppose la philosophie de Parmé nide pour être compris. Simplement, ily a. « Il y a quoi ? demande le disciple - Ce que tu voudras : la mer, le ciel, ou toi, ou moi, ou le mot fo·n, bref quelque chose. Suspendons notre jugement au sujet de ce qu'il y a - sur quoi, sans doute, nous ne serions pas d'accord (que, par exemple, il y ait des dieux) . Quoi que ce soit qu'il y ait, tu m'accorde ras qu'il n'y a pas rien mais qu'il y a quelque chose, bref qu'ily a >> , Parménide énonce ici une première vérité, qui e s t l a première vérité de la philosophie, et qui est autrement plus originelle que le « je pense, donc j e suis » de Descartes , ou la « première vérité » de Lequier. 3b. oùx fo-n µ� elv(X�, « non-être il n'y a pas » . fo-n, e n début d e proposition et suivi d'un infinitif, peut signifier : « il est possible ». Est-ce le cas ici ? Beaucoup l'ont cru. Couloubaritsis, O'Brien-Frère traduisent : « il n'est pas possible de ne pas être » ; Reale-Ruggiu : « non è possibile che non sia » ; Cordera : « ne pas être n'est pas possible » (formule à laquelle, toutefois, il apporte diverses modifications, jusqu'à l'abandon, p . 89, de la notion de « possible ») ; Cl. Ramnoux (p. 1 1 0) : « ne pas être est impossible » . C e s traductions marquent u n recul par rapport à l a traduction ancienne et classique : « le non-être n'est pas » (Riaux, Tannery, Hame lin, Zafiropulo, etc.) - « ancienne » et « classique » comme étant la for mule même que, j ointe à « l'être est », Platon présuppose (en en prenant le contrepied, Sophiste, 241 dj, et qui, s elon la tradition, « résume les textes mêmes de Parménide et le contenu de toutes les longues explica tions des doxographes » (Rivaud, Histoire de la philosophie, I, p. 6 1 ) . I l e s t vrai que l a traduction e t l'interprétation qui introduisent fal lacieusement et gratuitement, en 2 . 3b, la notion de « possible », ont pour elles une partie de la tradition de langue allemande, depuis Zeller et Diels (1 897 : « es unmoglich nicht sein kaon) , avec J aeger, Hol scher, Riezler, Bormann, comme de la tradition anglo-saxonne, avec Burnet, Tarân, Kirk-Rav.-Sch., Austin, Gallop, et de la tradition ita lienne, avec Calogero, Albertelli, Untersteiner ( « non è possibile che non esista » ), Pasquinelli, Casertano.
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Il n'en reste pas moins que, si l'idée d e nécessité est présente e n 2 . 3 b, il n'y a , comme l e note M . Piclin, « aucune raison d'y introduire la "possibilité" comme catégorie modale » (1 994, p. 1 8, n. 5 ; cf. surtout C. Collobert, p. 75 s .) . De plus, la traduction « il n'est pas possible de ne pas être » est d'une fausseté trop évidente pour avoir quelque chose à voir avec la pensée de Parménide. Ne pas être est, en effet, très pos sible, puisque c'est ce qui arrive tous les j ours aux êtres mortels , qui, après avoir été, cessent d'être. « Il y a » (2 . 3a) : quoi que ce soit qu'il y ait, en tout cas, il n'y a pas rien. Mais dire : « il n'y a pas rien », c'est dire qu'il y a quelque chose. Cela n'exclut pas qu'à côté de ce qu'il y a, il y ait du non-être, du rien (de même que, pour les Atomistes, il y aura du vide à côté du corps) . Ce n'est pas là ce qu'entend Parménide ; c'est ce que fait ressortir la traduction que Cl. Ramnoux donne de 6 . 2, « du non-être, non, il n'y en a pas », où l'on retrouve la pensée de !' É léate. A la suite de Kranz (« Nichtsein nicht ist » , Vors. , l, p. 23 1 ) , cer tains interprètes renouent avec la tradition classique, quoique suppri mant l'article le : Battistini (1 9 5 5) écrit « non-être n'est pas », Vuia (1 9 6 1 ) et C. Collobert (1 993) , « ne pas être n'est pas », M. Piclin (1 994) , « il n'y a pas de non-exister ». Nous retenons l'expression « non-être il n'y a pas » plutôt que « non-être n'est pas », car, ainsi que le soupçonne Platon (Sophiste, 238 e) , il y a peut-être quelque contradiction à dire du non-être qu'il n' « est » pas . A la suite de 2 . 3b, nous savons qu'être il y a, et rien d'autre, que, par conséquent, le « il y a », ou !' « être », épuise tout ce que l'on peut penser ou dont on peut parler. On notera que « non-être il n'y a pas » ressort d'un autre type d'évidence que « il y a ». Je vois la mer, le ciel, la multitude des vivants, je te vois . . . : par là s 'impose l'évidence qu'ily a beaucoup de choses, et, tout simplement, qu'il y a. C'est une évidence de fait : c'est le fait primordial de l'être, entendant par « être » le fait qu'il y ait. Mais « non-être il n'y a pas » relève d'une évidence intellectuelle : il est clair que le « rien » ne peut avoir aucune sorte de réalité ; et donc ce qui a quelque réalité que ce soit ne peut être, par l à même, absolument rien.
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4. TCe:d:Joùc; xÉÀe:u8oc; . . . La voie définie en 2 . 3 est chemin de persua sion, « car celle-ci accompagne la vérité ». Cela implique que ce qui a été dit en 2 . 3 est vrai. Or, qu'a-t-on dit ? Qu'ily a ou qu'ily a être (à distinguer de « l'être est », car l'être n'est pas ce qui est) - rien d'autre. Disant cela, nous avons dit la vérité. Il y a donc une corrélation entre la vérité et l'être : la vérité est ouverture à l'être et dit de l'être sur le fond de cette ouverture. Or, la voie de la vérité est aussi voie, ou chemin, de persuasion. Qu'est-ce à dire ? Ce n'est pas parce que l'on détient la vérité que l'on saura, forcément, en persuader autrui, à moins qu'il en vienne à recon naître que c'est la vérité, à moins donc qu'il la voie de ses yeux. Ce n'est pas nous qui persuadons, c'est la vérité même qui persuade : celui qui voit que c'est vrai, croit que c'est vrai. Persuader, c'est porter à croire. Le chemin qui ·mène au dévoilement de la vérité est chemin de persuasion, car il porte au point où l'on croit en la vérité. Le vers 2 . 4 justifie la primauté de la « Déesse-Vérité » par rapport à tous les procédés de rhétorique que connaissent les mortels . Sa. oùx fo-nv, « il n'y a pas » . Littéralement, oùx fo-nv se traduit par « n'est pas » (ainsi B . Cassin, I. e., p. 55, O'Brien-Frère, C. Collobert ; cf. Frankel, « ist nicht », Dich tung, p . 403) . Mais, pour que cette « traduction » - qui est plutôt un décalque - fasse sens, on a généralement supposé un sujet. Ce fut sou vent « il » (« il n'est pas », Burnet, Beaufret, Vuia, M. Sauvage, Dumont) ou « (il) » (Cl. Ramnoux, Cordero, Couloubaritsis) , « it » (« it is not », Guthrie, Barnes , p . 1 57, Austin) ou « (it) » (Kirk-Rav.-Sch., Gallop) , « es » (Diels, Riezler, Bormann, Heitsch : « es ist nicht ») . Encore resterait-il, pour donner sens à « il n'est pas », à préciser ce que ce « il » représente. L'interprétation traditionnelle répondait à cette exigence en sup posant, comme suj et, « l'être ». Cela donnait : « L'être n'est pas » (Riaux, Tannery, Robin, Voilquin) , ou, en supprimant l'article : « être n'est pas » (Battistini) . Mais qu'entend-on par « l'être » ? S'agit-il de !'éon entendu non comme le ily a, mais comme !' É tant suprême ? En ce cas, dire qu'il « n'est pas » n'est pas assez dire, car, si l'on dit qu'il
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n'est pas, on ne dit pas, par là même, que l'univers de la doxa n'est pas. Ainsi, en disant « l'être n'est pas », on ne dit pas qu' « il n'y a rien », ce qui est le sens de oùx fo-n. Zafiropulo suppose, comme suj et, « le non être ». Cela donne : « Le non-être existe ». Mais Parménide ne veut pas dire que quelque chose (qu'on l'appelle comme on voudra) « existe » , mais, a u contraire, qu'il n ' y a rien. « Il n'y a pas » est une expression qui, dans le langage courant, ne se suffit pas à elle-même. On attend que soit précisé ce qu'il n'y a pas : « il n'y a pas de pain », etc. Mais, en 2 . Sa, « il n'y a pas » s'emploie absolument : il n'y a, purement et simplement, rien du tout. Il est clair que semblable thèse n'a pu être soutenue par personne. Pourquoi donc vient-elle à l'esprit de Parménide, au point de voir en elle une « voie de recherche » ? C'est qu'il ne lui était pas possible de penser « il y a » , fo·n, c'est-à-dire « il n'y a pas rien », sans penser le rien. Dès lors, suivre une première voie de recherche, c'était refuser d'en suivre une autre. L'évidence de la vérité du fon implique l'évi dence de la fausseté du oùx fo-n, et l'évidence de la praticabilité du pre mier chemin implique l'évidence de l'impraticabilité du second. Sb. xpe:wv lcr-n µ.� e:Ivl)(�, « il est nécessaire qu'il n'y ait pas » . Certains considèrent que ce qui e s t nécessaire, c'est le non-être. « Le non-être est nécessaire », écrit Beaufret (1 9 S S) , s 'inspirant de Diels (1 897 : « dass dies Nichtsein notwendig sei ») - comme Bor mann et Heitsch, entre autres . Couloubaritsis obj ecte que « l'applica tion de la nécessité au "non-être" parménidien n'a pas de sens, puis qu'il n'est pas absolument » (p. 1 79, n. 28) . Cela est j uste, mais s'ensuit-il que l'hémistiche Sb fasse « apparaître une obligation » (p. 1 79) , e n vertu d e quoi Couloubaritsis traduit : « (il) doit n e pas être », et C. Collobert, qui se range à sa façon de voir : « c'est obligé de ne pas être » ? La notion d' « obligation » a-t-elle sa place ici ? Une obligation est quelque chose à quoi l'on ne doit pas se soustraire, mais à laquelle on peut se soustraire. Ce dont il est question en 2 . Sb ne peut pas se soustraire à l'obligation de ne pas être ; c'est donc nécessairement qu'il y a non-être = qu'il y a non il y a, ou, tout sim plement, qu'il n'y a pas. Ce qui est nécessaire, ce n'est pas le non-
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être, mais c'est l'inférence qui, prenant le contrepied de 2 . 3 b, conclut au non-être, c'est-à-dire au rien. « Il n'y a pas » ou « il n'y a rien » : cela ne signifie pas que rien est, mais, plus radicalement, que rien n 'est. Ne sont donc pas acceptables les traductions de Tannery : « le non-être est forcément » ; de Voil quin : « nécessairement le non-être est » ; de Battistini : « nécessaire ment non-être est ». Suivant 2 . Sb, l' « existence » du non-être « serait nécessaire », écrit Zafiropulo (p. 1 32) . Non. Aucune existence ne peut être nécessaire, puisqu'il n'y a existence de rien. Ce qui est nécessaire, dès lors que l'on refuse le é(rn, ce n'est pas qu'il y ait rien mais qu'il ny ait rien. Riaux traduit : « il ne peut y avoir que le non-être ». Non, car s 'il y avait le non-être, il y aurait quelque chose et non pas rien. La tra duction de Piclin : « il faut que soit le non-exister » tombe sous la même objection. La traduction d'O'Brien-Frère, « il est nécessaire de ne pas être », échappe à cette objection, comme aussi celle de CL Ramnoux et de Cordera : « ne pas être est nécessaire ». Mais elles manquent de clarté. Il n'est pas évident qu'elles équivalent à celle-ci : « il est nécessaire qu'il n'y ait pas » (i.e. « qu'il n'y ait rien ») . « Il est nécessaire qu'il n y ait par n : non pas « qu'il n'y ait pas ceci », « qu'il n'y ait pas cela », mais « qu'il n'y ait pas » - purement et simplement. D'où vient une telle nécessité ? De ce qu'il n'y a pas de milieu entre le « il y a » ou l' « être » , elv(XL, et le rien, de sorte que si l'on refuse de dire fo'n, on est nécessairement conduit à dire qu'il n'y a rien. 6. <ppiX.�w. Ce verbe a le sens primitif de « faire comprendre, indi quer » (par des signes ou par la parole) . D 'après A. Mourelatos (Class. Philo/., 1 965, p. 261 -262) , il doit être pris ici en un sens concret : non pas « dire » mais « pointer du doigt », « montrer » ( « to point out », « to show », « to indicate with a gesture » ), et 2 . 6 doit s e traduire : « 1 am painting out this road to you as being 7t(XV(Xnrou6�c; », c'est-à-dire « totally without guidance » (sans direction) . En réalité, la Déesse montre que le deuxième chemin, celui du rien, est « un sentier dont on ne peut rien apprendre », en faisant ressortir une nécessité : le rien n'a
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rien à nous dire ; elle « montre » aussi ce sentier en un sens concret, mais ironiquement : on ne peut montrer un sentier qui n'en est pas un, qui ne dirige pas les pas. 7 . -rà µ� Èov, « le n'étant pas » . L a traduction « le non-étant », quoique exacte, peut donner lieu à une méprise : elle incline à substantialiser ce qui n'a pourtant aucune réalité, à le penser comme une sorte d'opposé de l'être. Or, le n'étant pas, n'étant rien, ne peut être l'opposé de quoi que ce soit. Le fo-r� épuise toute la réalité, ne laisse aucune place pour autre chose 1 • Que le n 'étant pas ne puisse être connu est chose évidente : qu'y aurait-il à connaître dans le rien ? On ne peut, éventuellement, connaître que ce qu'ily a. où y&p &vucr-r6v, « car il n'offre aucune prise ». O'Brien-Frère (suivis par C. Collobert et M. Piclin) traduisent : « car il n'est pas accessible ». Mais Parménide ne dit pas seulement que le « n'étant pas » n'est pas « accessible », ce qui n'empêcherait pas qu'il puisse exister ; ou plutôt il ne dit pas du tout cela : il n'entend pas repousser simplement le « n'étant pas » au-delà de tout accès. « C'est, en effet, impossible », traduit Couloubaritsis . Qu'est-ce qui est « impossible » ou « pas possible » (Zafiropulo, A. Stevens, p. 1 20) ? « Connaître ce qui n'est pas . » Mais &vucr-r6v s 'applique à -rà µ� Èov et non au fait de connaître. Et puis, c'est attribuer à Parménide un argu ment bien faible : « Tu ne saurais connaître ce qui n'est pas - Pour quoi ? - Parce que ce n'est pas possible. » Belle explication ! Selon Beaufret ( 1 9 5 5) , &vucr-r6v concernerait la voie Oa deuxième) : « il n'y a pas là d'issue possible » : tenter de connaître ce qui n'est pas est suivre une voie sans issue. Reste à expliquer ce que signifie dire du mè on qu'il est anuston. Aussi Beaufret a-t-il proposé, plus tard (1 984) , une autre traduction : « sur lui [sur le non-être] on ne gagne nen », mais qui n'est pas fort claire. 1 . Si, en 2 . 3, nous avons traduit µ� « non-il y a il n'y a pas » .
eivocL
par « non-être », c'est pour éviter d 'écrire
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ixvuw est « mener à son terme », « accomplir », « achever », « réali ser » : &.vucr-r6ç, « qu'on peut accomplir ». Le « n'étant pas » est ce qui « ne peut s'accomplir» (Battistini) , que l'on « ne peut saisir» (Tan nery) , qui « ne mène à rien » (Dumont) . Le « n'étant pas » est hors de la réalité, n'a pas d'accomplissement dans le réel, pas d'effectivité ; il n'offre aucune prise à la connaissance. Celle-ci n'étreint que du vent ; car on ne peut étreindre . . . rien. 8 . oü-re: cpp&:crixiç, « ni en montrer des signes ». Beaufret traduit : « ni l'énoncer en une parole » ; Cl. Ramnoux, A. Stevens : « ni le dire » ; Coxon : « nor tell of it », etc. : d'autres tra ducteurs, comme ceux-ci, paraissent oublier que la Déesse vient de parler du n'étant pas, et ne pas se rendre compte que, pour signifier oÜ-re: cp p&:crixiç, elle en parle encore. Il semble donc que cpp&:�w doive être pris au sens de « montrer » des signes, des manifestations du rien, en vue de le « faire comprendre » (trad. O'Brien-Frère) . Sur la voie du if y a, « les signes sont nombreux » (8 . 2) ; sur la voie du rien, il n'y a pas de sèmata. Le rien ne brille même pas par son absence : rien ne signifie le rien. La plénitude du ify a ne peut être entamée en aucune façon par le rien.
FRA G M E NT 3
CLEM . , Strom. , VI, 23 (Il, 440 . 1 2 Stah lin) ; PLOT. , Enn., V, 1 , 8 ; V, 9 , S'.
. . . T à ydtp cx.ÙTà VOEÏ:V ÈcrT[v T E x d dvcx.L
i:cnl Clem. Plot., V, 9, 5 Karsten : Zeller Burnet
È:crr l v
Mullach Diels : ecrr L Plot., V, 1,
8 : fo·nv
. . . Car le même est à la fois penser et être.
A la suite de Diels, de nombreux interprètes ont pensé que le frag ment 3 faisait suite à 2 . 8 et devait lui être j oint. Cela est douteux : comme le remarque Tarin, l'inconcevabilité du rien (2 . 7-8) n'a nul besoin de la démonstration introduite ici par y&.p. Il est immédiate ment clair que, dans le n'étant pas, le rien, il n'y a rien à connaître, à concevoir, à penser. Calogero (p. 1 9) complète ainsi 2 . 8 : OUTE cppi:X.crcx.Lç. Tà ydtp cx.ÙTà voûv ÈcrT[v TE xcx.l dvcx.L <8cmcx. voEÏ:ç cpi:X.crllcx.L> 1 . Dans son Partnenides Lehrgedicht, Diels indique aussi, comme source, Procl., in Partn., 1 1 52 . 33 Cousin : TotÙTàv ô'foTlv È:xEL voÉELV TE xocl dvoci. Cette indication disparaît dans les Vors. 28 B 3, où, selon Mansfeld (Die Off-11 barnng, p. 77 s.), elle aurait eu sa place. Elle est rétablie, dans leurs éditions, par Coxon, Cordera, O'Brien-Frère. Mais Tarin pense que Diels a eu raison d'y renoncer, et préfère lui-même ne pas en faire état. Il remarque que, dans Proclus, wÙTàv ô' foTlv È:xEL voÉELV TE xocl dvoci est suivi par une citation de 8 . 35-36, de sorte que ces mots lui semblent « more likely to be a paraph rase of B 8 . 34 than of B 3 » (Class. Philo/., 1 967, p. 1 94) .
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- « pensare infatti è lo stesso che dire che è quel che pensi ! » : ce qui n'est pas, tu ne saurais ni le penser ni le dire (2 . 7-8) , car penser est la même chose que dire être ce que tu penses. Cela est « ingenious », note Tarin, mais « goes beyond the textual evidence » (p. 42) . La traduction la plus naturelle du fragment 3 paraît être : « . . . Car penser et être sont une seule et même chose. » Zeller, toutefois, la repousse. Lisant fo·nv (= g�rn-cw, « il est possible ») , et donnant aux infinitifs une valeur de datifs, il traduit : « Car le même peut être pensé et être », ce qu'il explique ainsi : « Il n'y a que ce qui peut être qui puisse être pensé » (p. 45, n. 1 ) . Zeller a été suivi par Burnet (p . 200, n. 3) , Zafiropulo, Tarin, Holscher, Kirk-Rav.-Sch., entre autres . Si l'on traduit littéralement, en adoptant la construction de Zeller ('rà ()(Ù't"6 étant le sujet de la phrase, et les infinitifs des prédicats unis par TE X()(0 , on a : « Car le même est pour penser et pour être. » Telle est la forme adoptée par Gallop ( « . . . because the same thing is there for thinking and for being » ) , par Coxon ( « . . . for the same thing is for conceiving as is for being » ) , entre autres . L'entente zellérienne d u fragment 3 reste e n deçà d u sens entier. « Il n'y a que ce qui peut être qui puisse être pensé » : autrement dit, on ne peut penser que le possible, ce qui n'enveloppe pas contradic tion. Un cercle carré ne peut être pensé. Mais il est clair que le frag ment 3 porte sur la confrontation du penser et de l'être, et sur leur rapport immédiat, non sur la médiatisation du rapport. La traduction de Gallop et Coxon, tout en admettant la construc tion de Zeller, écarte l'idée de possible. Mais « le même est pour pen ser et pour être » revient à : « le même est pour être pensé et pour être ». Ainsi D. O'Brien et J. Frère, avec les infinitifs compléments du pronom Tà ()(ÙT6, traduisent : « For there is the same thing fot being thought and for being » (= « C'est en effet une seule et même chose que l'on pense et qui est ») . Calogero verrait là une tentative de plus « per intendere il vodv corne se fosse un voeî.'cr8()(L : corne se tale trasfor mazione del percipere nel percipi fosse casa di poca importanza ! » (p. 1 4) . Il objecterait également le « déséquilibre » (comme dit Aubenque, reprenant l'objection, Études, II, p. 1 1 6) qui fait du même terme ()(Ù't"6 l'objet de voE�v (comme ce que l'on pense) et le sujet de
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LA VÉRITÉ. FRAGMENT 3
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e:i'vcx.t (comme ce qui est) . O'Brien montre, il est vrai, que ce tour « n'a rien d'exceptionnel » (Études, l, p. 20) , à l'aide de citations d'Homère et d'Aristote que J . Brunschwig juge « très pertinentes » (1 990, p. 248) . Reste que Parménide a écrit vosi'v. Cela étant, il convient, avec Plotin, de s'en tenir au sens obvie : « Penser et être sont la même chose ». Ainsi font Untersteiner, Beau fret, Cordero, Heitsch, Reale-Ruggiu, C . Collobert ( « Car le même est penser et être » ) . Si séduisante soit-elle, on ne retiendra pas la proposition de Heidel (1 9 1 3, p. 720) , de voir dans le fragment 3 un cas de brachylogie ; en suppléant vosi'v avant dvcx.t, on lirait : « For it is one and the same thing to think and to think that it is » (cf. Cl. Ramnoux, p. 1 1 6 : « C'est même chose que penser, et penser l'être ») . Certes, il est possible que Parménide ait voulu « faire court » (�pcx.x.uc;, court) ; mais la supposition n'est pas nécessaire. P. Aubenque (foc. cit.) songe à la thèse aristotélicienne de l'identité en acte du connaissant et du connu : « L'intelligence coïncide avec l'être de ce qu'elle pense, au moment où elle le pense : tel serait le sens du fragment 3 ». Mais, en ce cas, le fragment 3, n'ayant rien de pro prement parménidien, est comme isolé, et l'on ne voit pas quelle est sa place nécessaire dans la composition, très s avante et très méditée, du philosophe. Dans le rien, nous le savons, il n'y a rien à penser. « Penser » : cela n'a de sens que parce qu'il n'y a pas rien : il y a. C'est le fait d'être, dvcx.t : penser n'a de sens que par l'être. Que signifie : penser ily a ? Il appartient au « il y a », comme tel, d'être pensé comme indifférent au fait d'être pensé ou non, et donc de se poser comme indépendant de la pensée. « Le même est à la fois penser et être » : entendons que « le même » - soit le penser, soit l'être - est à la fois les deux. Les deux côtés sont, certes, différents - il n'est pas question de les confondre (cf. 6 . 1 , où, comme le note Calogero, p. 1 3, « l' è:µµsvcx.t dell'È6v è ben distinto dal ÀÉystv e dal vosi'v ») -, mais, prenant l'un des deux côtés, on y trouve aussi l'autre côté. Le terme « penser » n'est lui-même pensable que par référence à l'être : la pensée n'est rien d'autre qu'ouverture à
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PARMÉNIDE - LE POÉME : FRAGMENTS
l'être. Quant au ily a, à l'être, il porte en lui la référence à la pensée comme à ce qui le pose dans son indépendance vis-à-vis d'elle. Le fragment 3 a donc un sens très clair si l'on veut bien voir que -rà wh6 ne signifie pas autre chose que voe:î'v ou e:Ïv<X� l'un ou l'autre de ces deux termes - pour dire que l'un des deux termes contient l'autre, tout en étant différent de lui. De la corrélation du penser et de l'être, que résulte-t-il ? Non pas du tout que être, ce soit être pensé, car le ily a ne dépend aucunement du fait d'être pensé ou non, mais que être, c'est être pensable. En l'être, il n'y a donc rien qui, de droit, échappe à la pensée. Par conséquent, le savoir de la Déesse, qu'elle transmet au philosophe, peut être et est un savoir absolu. L'être se dévoile entièrement à la pensée ; il n'en outre passe aucunement le pouvoir. Le savoir de la Déesse suppose un pouvoir de connaissance. Ce pouvoir est coextensif à l'être. -
FRA G M E NT 4
1 -4 CLEM . ,
Strom. , V,
1 1 52 . 3 7 Cousin ; 2 DAMASC. ,
De pr. princ.
in Parm.
1 5 (II, 3 3 5 . 2 5 - 2 8 Stahlin
1 PROCL . ,
Gr. aff. cur. , 1, (1, 6 7 . 23 Ruell e = 1,
(22 . 1 7- 1 8 Raeder)
THEOD . , 34
72
1 0 1 . 22 Westerink)
Àe:uc;c;e: /)' oµwc; à7tEÔVT<X VÔ<.fl mXpEÔVTot (3e:(3otiwc;" où yàp &7to-rµ�Çe:i -rà Èàv -rou ÈÔv-roc; è:xe:cr8oti, o\he: crxil>v&µe:vov 7ttXVT/] 7tav-roc; xot-riX xôcrµov oü-re: cruvicr-r&µe:vov.
1 oµwç Clem. Karsten Diels : oµwç Theod. BL Stein v6cp Clem. Theod. : 2 à.noTµlj�EL Pro cl. à.nEÔvw . . . mxpEÔv-rot libri : à.nEÔv . . . mxpEÔv Stein Clem. : &noTµljcm Damase. Ë;t.pr6e<t Damase. : ËX.6Ecr6e<t Clem. v6wv
Les choses absentes, regarde-les pourtant, par le penser, comme fermement présentes. Car le penser ne coupera pas le il y a de fafon qu 'il ne s'attache plus au il y a qu'il se disperse partout de toutes les fafons à travers le cosmos, ou qu 'il se rassemble. -
Les interprètes sont en désaccord quant à la place de ce fragment dans le Poème. Certains l'insèrent dans la seconde partie ; d'autres le rat tachent au fragment 8. J . Bollack (REG, 1 957) objecte que, dans le frag ment 8, « on ne parle pas au pluriel de ce qui est » : « le pluriel du premier vers évoque bien la multitude des choses dans l'univers où nous vivons » (p. 5 8) . Dès lors, « on imagine volontiers que les &.7te:ÔvTot sont les obj ets lointains, jusqu'aux astres et aux régions célestes, dont la déesse vient de décrire la formation et l'ordonnance » (p. 66, souligné
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
par nous) . Couloubaritsis, qui voit une parenté entre les mè-eonta (7 . 1 ) , les apeonta (4 . 1) e t les dokounta (p. 335) , situe ainsi l e fragment 4 à l a fin de la seconde partie, juste avant le fragment 1 9 (p. 374) . Holscher (p. 1 1 7) , Bicknell (Apeiron, 1 979, p. 1 1 5) le repoussent même après le fragment 1 9 ; ils sont suivis par Kirk-Raven-Schofield (1 9 83) et Tarrant (Apeiron, 1 985, p. 73-84) . Bicknell voit, dans les lignes 3 et 4, une allu sion « to a cyclical cosmic proces s featuring a succession of world forma tions as a result of progressive mixture of originally separate light and night, and world dissolutions upon the elements ' reintegration » (I. e.) . On aurait, dans ce fragment 4, une anticipation de la conception empé docléenne du cycle cosmique. Tarin maintient que « the fragment belongs to the AÀ�6Elœ » (p. 50) , mais i l renonce à être plus précis. A . Diès (éd. d u Parménide, 1 956, p. 1 3) le place après 8 . 25, « Ainsi tout est continu : être se presse contre être », car 4. 2, « tu ne couperas point l'être de son attache avec l'être », lui paraît envelopper l'idée de la continuité de l'être. Kirk et Raven (1 9 57) suivent Diès ; pour M. L. West également, le fragment 4 se place « logi cally » après 8 . 25 (1 97 1 , p. 221 , n. 3) . La raison est moins nette de le pla cer après 8 . 33, comme font Karsten (p. 3 8) , Patin (1 899, p. 569) ou Hei degger (cf. Beaufret, p. 8 1 , n. 1 ) . C. Collobert obj ecte que, dans l'un comme l'autre de ces choix, « la pluralité dont il est fait mention [en 4 . 1] s 'insère mal dans la discursivité de la parole de l'étant » (p. 255, n. 1 ) . Il en va autrement après les vers 38-4 1 , alors qu'il vient d'être question de « toutes les choses que les mortels ont établies, convaincus qu'elles étaient vraies ». Le fragment 4 a là sa place. « Les éonta ne sont pas, au sens absolu : ce "est" est dévolu uniquement à l'éon » (p . 253) . Les mor tels disent << éonta », mais c'est un dire impossible. Paréonta désigne alors la façon dont la Déesse peut parler des éonta : « L'affirmation noétique de l'être doit s'accompagner de celle des éonta comme paréonta/dokounta » (p. 255) . « Voir les dokounta, non pas comme apéonta (absences) , mais comme paréonta (présences) » : tel est le sens de l'impératif énoncé au fragment 4 (p. 253) . Ne prétendons pas ajouter encore une hypothèse quant à la place de ce fragment dans l'économie générale du Poème. Prenons-le en lui même, et voyons s 'il est possible d'avancer une interprétation qui en
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VÉRITÉ. FRAGMENT
4
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fasse voir la profonde cohérence. En tout état de cause, il est com mode d'envisager le fragment 4 à la suite du fragment 3, puisque le penser, voe:Lv (fr. 3) résulte de l'opération du v6oç (4 . 1 ) . Ce que nous apprenons maintenant est que la différence présence-absence disparaît pour le penser. Or, une telle différence est liée à la subjectivité. Pour un sujet quelconque, il y a ce qui lui est présent et ce qui ne lui est pas présent : « Où est Pierre ? - Il n'est pas là, il est ailleurs, il est absent pour le moment . . . ». Le sujet sépare ce qui est de ce qui est, dès lors que ce qui est « présent » ne peut être « absent », ni l'inverse. Pour le penser, une telle séparation n'existe pas, et donc l'opération de penser n'a rien de subjectif. Elle est plutôt ce par quoi le « penseur », comme tel, n'a rien d'un « sujet ». Il est naturel que disparaisse, pour le penser, la dimension de l'absence, puisque on ne peut penser ce qu'il n'y a pas. Les choses absentes pour l'individu ou le « sujet », lesquels cons tituent dans le réel des centres d'intérêt et de désintérêt, sont comme des monades ouvertes/fermées, ces choses, pour le penser, ne sont pas « absentes » : elles participent de la Présence. Qui dit individu, ou « sujet », dit perspective et « point de vue ». Mais le penser ne connaît que la Présence en soi, en dehors de toute perspective et de tout « point de vue » . L e corrélat d u penser e s t le ily a o u l e fait d'être, e:lv0t�. Mais, dans le fragment 4, ce corrélat est -ro è6v. Peut-on traduire -ro è6v par « le ily a » (ou par « l'être », mais dire « i l y a » nous semble plus clair) ? La traduc tion littérale n'est-elle pas « l'étant » ? Sans doute, mais une telle traduc tion n'a-t-elle pas l'inconvénient de masquer l'ambiguïté du participe ? Le participe « participe » à la fois du nom et du verbe, et, en mettant l'ac cent sur la signification de nom, on risque d'oublier quelque peu la signification de verbe, qui est peut-être plus essentielle. Lorsqu'on parle d'un enseignant enseignant (qui est en train d'enseigner) , on a d'abord le nom puis le verbe. Dans le cas d'un fabricant fabriquant, l'orthographe fait la différence . Un « agonisant » est en train d'agoniser ; un « mou rant » est en train de mourir : la signification verbale l'emporte. Si l ' on traduit -ro è6v par « l'étant » , to éon est alors ce qui est : on est dans l e cas du fabricant. Or, Parménide veut-il bien dire que le penser ne coupera pas ce qui est de son attache, ou de son adhérence, à c e qui est ? Ce qui est
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
- la terre, les astres, etc. - ne formerait, en ce cas, qu'un seul bloc, un seul monde, dont toutes les parties seraient solidaires. Mais rien ne per met de penser qu'il y ait, chez Parménide, quelque chose d'analogue à la sympathie universelle du cosmos des Stoïciens, dont toutes les parties « conspirent ». Si penser ne fait qu'un avec être, einai (fr. 3) , on doit en conclure que Parménide est moins intéressé par ce qui est que par le fait, pour ce qui est, d'être. Or, si l'on traduit TÔ ÈÔv par « l'étant », on met l'accent sur la signification nominale du participe, sur ce qui est, au détriment du fait d'être. Le fait d'être est exprimé par ily a, et to éon signifie ce qui est en son fait d'être, ou l'étant en tant qu'étant (comme on dit le fabricant en tant que fabriquant) . Dès lors, si l'on traduit 4 . 2 ainsi : « Car le penser ne coupera pas l'étant en son être de son attache à l'étant en son être », ou « . . . ne coupera pas le ily a de ce qui est de son attache au ily a de ce qui est », on s 'aperçoit qu'une telle coupure ne peut pré cisément pas avoir lieu, puisque le penser est penser de l'être, e:Ivcxi, quoi qu'il en soit de la différence entre les étants, dès lors que les uns ne sont pas les autres. Si l'on s 'en tient à la traduction de TÔ ÈÔv par « l'étant », comme fait C. Collobert, il faut penser « l'étant étant », comme on dit le fabricant fabriquant, c'est-à-dire ce qui est pour autant qu'il est en train d'être. Les deux significations - verbale et nominale - sont à maintenir. Dans le vers 2, la signification verbale domine ; dans les vers 3 et 4, la signification nominale. Car ce qui « se disperse partout de toutes les façons à travers le cosmos » ou « se rassemble », ne peut être que ce qui est. On laissera ici de côté l'interprétation objectiviste, superficielle et banale, pour laquelle il s'agirait de phénomènes de dissipation et de concentration, tels les phénomènes de raréfaction et de condensation que l'on voit dans le cosmos d'Anaximène (ainsi, entre autres, pour Reinhardt, p. 50 ; Untersteiner, p. XCIX et n. 1 95) . Une telle interpréta tion ne peut s'autoriser d'aucune justification qui tienne au texte lui même. De ce texte, il ressort que Parménide a en vue non telle ou telle construction de physiologue, que ce soit pour la faire sienne ou la refu ser, mais la structure même du réel. De quoi est-il question ? De pré sence et d'absence. Une telle opposition tient à l'existence, au sein du
II
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LA VÉRITÉ. FRAGMENT 4
'J S
réel, de ces points de concentration que sont les individus ou « sujets » . U n « sujet », cela signifie une vision sélective des choses, u n point de vue, une perspective. Dès lors, les choses ne se dispersent plus « par tout, de toutes les façons » : elles sont arraisonnées sous un regard sélec tif, et, dans cette relativité, se rassemblent. Mais le penser a affaire non à la présence-à, gui s'oppose à l'absence, mais à la Présence en soi, indiffé rente à une telle opposition. Car, absent ou présent, il y a ce qu'il y a. 3 . xcxTiX x.6crµov : « par le monde » (Cl. Ramnoux, Dumont) , « par l'univers (Bollack, I. e., p. 63) , « dans le monde » (Tannery, O 'Brien Frère) , « dans l'univers » (P . Voulet, trad . des Stromates) . Bailly et L. S. J . admettent, pour x.6crµoc;, le sens de « monde » chez Parménide . Traduire « in order » (Tanin, Gallop, etc.) ne donne pas un bon sens : « ni s'il est entièrement dispersé selon un ordre » (Cordera) ne semble guère cohérent, car la complète dispersion signifie plutôt le désordre que l'ordre. Le mot « monde » nous paraissant trop riche en significa tions (on peut songer au monde animal, au monde humain, etc.) , nous choisissons, avec Calogero (« nel cosmo », p. 22, n. 1 ) , Reale-Ruggiu, C . Collobert, le mot « cosmos » - comme faisant allusion aux vasti tudes 1 gui nous entourent, peuplées d e s objets l e s moins immédiats, les plus lointains, les plus « absents » . L'individu, l e « sujet », quel qu'il soit (homme ou être vivant quel conque) , s'intéresse à ce gui est, non au fait que ce qui est soit, mais au fait que ce qui est soit ce qu'il est, par exemple ce dont il a besoin, ceux avec qui il vit, ce qui se passe alentour. Il divise donc le réel entre ce qui lui est présent et ce qui est hors de sa présence. Mais cette division n'existe pas pour le noein, qui est le penser de l'être, einai, ou de la Présence. Si on laisse de côté les différences qui font que, parmi les étants, les uns ne sont pas les autres, il reste le fait que, étants , ils participent tous d'une unique Présence, soit qu'ils se dispersent dans les profondeurs de l'absence, soit qu'ils se trouvent captés par les pôles d'attraction que sont les individus, les esprits individuels, les « suj ets » .
1 . Le mot e s t dans Littré.
F RA G M E N T 5
PROCL . , in Parm.,
708 . 1 6- 1 7 Cousin
E;uvov ôé: µol Ècnw, 07t7t6!le:v &pE;wµm -r6fü yiXp mX.ÀLv l'E;oµcxL cxùfüç ·
énm6fkv Mullach
Stein : &mt0!lev Procl. éd. Cousin Karsten
Il m'est indifférent d'oùje commence, carje retournerai en ce point de nouveau.
Proclus cite le fragment 5 entre 8 . 25, Èo'I yàc.p È6nL 7te:ÀIX�e:L, « car le ily a touche au ily a », et 8 . 44, µe:crcr6Ele:'I 1cro7tcxÀÉç, « du milieu en tous sens pareil ». Cornford (p. 4 1 , n. 1) suggère la possibilité d'une lacune après 8 . 25, où les fragments 4 et 5 prendraient place, mais il est « dif ficult to imagine Simplicius [qui cite le fragment 8 . 1 -52 comme un tout continu] omitting a large portion of the poem after fr. 8 . 25 » (G. J ameson, Phronesis, 1 958, p. 2 1 ) . �u'l6c; qui, dans les fragments d'Héraclite, o ù i l se retrouve cinq fois (B 2, 80, 1 03, 1 1 3, 1 1 4) , signifie « commun » ou << Universel » (par exemple, si l'on fait le tour d'une circonférence, le point de départ et le point d'arrivée sont un seul et même point « commun » : fr. 1 03) , dans ce fragment-ci, ne signifie pas « commun » (malgré E. Loew, Wiener Studien, 1 935, p. 9 ; Cordero, p. 37) mais « indiffé rent » (cf. Bailly) . A la traduction de Cordera - « Il est commun pour moi où je commence, car j 'y reviendrai à nouveau » -, il n'est
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VÉRITÉ. FRAGMENT
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pas possible, observe D . Bahut (rec. Cordero, 1 985, p. 302) , de trou ver un sens clair. Pour Karsten (p. 74-76) , le fragment 5 traduirait une hésitation de Parménide : commencer par l' A.À�6wx ou par la �6�()( ? par la voie de l' Ê tre ? ou par celle du non- Ê tre ? Mais, d'abord, on ne trouve pas trace, dans le texte, d'une hésitation quelconque, mais l'affirmation nette d'une indifférence au commencement ; ensuite, on ne conçoit pas la Déesse « hésitante ». Peut-on songer à une circularité du discours ? Parménide, dit Cornford (Class. Quart., 1 933) , conçoit, comme plus tard Platon (et Hegel) , le réel (le vraiment réel) comme rationnel. Or, « "Rational" means that its properties must be logically necessary and coherent, deducible by that mode of thought [ . . .] which makes no real progress but can start from any point in the coherent structure and corne round to it again : �uvàv ÔÉ µol lcr·nv [fr. 5] » (p. 1 02) . On oppose à cela que « there is no circularity in Parmenides' arguments » O ameson, I. e., p. 1 9) . « Le raisonnement parménidien, note Cordero, avance par étapes, et il n'est pas possible d'inverser l'ordre des affirmations » (p. 50) . Ce point est essentiel dans la thèse de C. Collobert. Pour Kirk Raven 1 957 (p. 268) , le fragment 5 signifiait que « every attribute of reality can be deduced from every other ». Cela est incompatible avec la structure du fragment 8 (farin, p. 52) , et une telle phrase ne se retrouve pas dans Kirk-Raven-Schofield (1 983) . Lisons 8 . 1 -2 : « De voie pour l a parole n e reste que il y a ». Cela ne pourrait être dit si d'abord la voie du non-être n'avait été écartée comme impraticable. Et cela doit être dit avant que ne soient énu mérés les repères (sèmata) sur la route. « Où je commence, cela m'est indifférent » : le fragment 5 semble prendre exactement le contrepied de la démarche de la Déesse. Cela a conduit J ameson à douter de son authenticité. Proclus a dû citer de mémoire (ou d'après une anthologie, dit Tarin, p. 5 1 ) , et le fragment « has no more authority behind it than Proclus' memory » (p . 2 1 ) . La remarque de J ameson est assez faible, puisque le fragment n e pré sente aucun signe de quelque distorsion due à la mémoi re . I l convient de ne pas s e réfugier derrière telle ou telle supp o s i t i o n (o u
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PARMÉNID E - LE POÈME : FRAGMENTS
dans l'abstention, comme O. Gigon, Der Ursprung, 1 945, qui le laisse de côté, p. 257) , mais de le prendre tel quel. Un paysan s'apprête à moissonner son champ : « D'où je com mence, peu importe, car je reviendrai là de nouveau. » Qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il moissonnera tout le champ, et, ayant fini, se retrouvera alors à son point de départ (sinon, il resterait encore un espace à moissonner) . « Il faut que tu sois instruit de tout », dit la Déesse au j eune homme (1 . 28) . Ainsi la vérité totale et ce que la Déesse sait et est en mesure d'enseigner ne font qu'un. En vertu de la corrélation noein-einai, la vérité totale, le tout de la vérité, n'est autre que la vérité du Tout - du Tout de la réalité. La réalité est sue, et ce savoir est lui-même un tout achevé, auquel il n'y a rien à aj outer, auquel rien ne manque. Le tout de la vérité se referme sur lui-même : telle est la clôture du vrai. La Déesse ignore la recherche, la quête. Tout ce qui est à savoir lui est donné ensemble, est en sa possession tout à la fois . Le j eune homme sera instruit « de tout », mais, évidemment, pas de tout à la fois : il y aura des étapes, un ordre. Il faudra commencer par l'affirmation de l'une des voies à l'exclusion de l'autre ; ensuite telles choses devront être dites avant telles autres, les unes avant, les autres après. Mais cette nécessité de l'enseignement, à laquelle la Déesse doit se plier relativement au disciple, n'en est pas une pour elle : « Où j e commence, peut-elle dire, cela m'est indifférent, puisque j e suis e n pos ses sion de tout le savoir et que je veux t'enseigner tout, de sorte que, quel que soit le point par lequel j 'aurai commencé, j 'y reviendrai, ayant fait le tour de ce que j 'ai à t'apprendre, ce qui sera, comme on dit, "boucler la boucle" » . Il e s t bien vrai que Parménide avance par étapes e t que l'ordre des propositions ne peut être inversé, mais comment la Déesse ( = Parmé nide lui-même) serait-elle assujettie à un tel ordre, puisque, sachant le tout, elle est aussi bien au commencement qu'au milieu et à la fin, à la fin qu'au commencement et au milieu, au milieu qu'au commence ment et à la fin, de sorte que n'importe quel moment du savoir peut j ouer, à volonté, à ses yeux, l'un des trois rôles ? Ou plutôt, ces notions de « commencement », « milieu » et « fin » sont relatives à une
Il
-
LA VÉRITÉ. FRAGMENT 5
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nécessité pédagogique : pour la Déesse, tout se tient, dans un unique ensemble cohérent. Ainsi Cornford avait, d'une certaine façon, raison ; mais il a manqué de voir que le fragment 5 devait être compris du point de vue de la Déesse. La Déesse explique : par où commencer l'exposé du savoir ? Rela tivement à moi, c'est chose indifférente ; mais relativement au j eune homme, cela n'est nullement indifférent.
F RA G M E N T 6
1 -2 a S IMPL . , 9
a
S IMPL . ,
PfD!s.,
Phys.,
86 . 27-28 Diels
1
b-9
SIMPL. ,
PfD!s.,
1 1 7 . 4- 1 3 8-
7 8 . 3-4.
XP� •o ÀÉye:Lv •e: voe:î"v .' èov ˵µe:vaL ËcnL y<Xp dvaL, µY)ÔÈv ô'oùx fonv " ,& y'èyw rpp&�e:cr6aL &vwya. 7tpw•riç y&p cr'&rp'oôoü •au•ric; ÔL��crwç < e:Lpyw >, aù•<Xp Ëne:L'l"' ho tjç, �v ô� �po•ol dô6•e:ç oÙÔÉv 7tÀ&�ovwL, ôlxpavo L &µrixavlri y<Xp Èv au•wv cr•�6e:mv 16uve:L 7tÀayx•ov v6ov o[ ÔÈ rpopoÜv't"IXL xwrpol o µwç 't"U<:flÀO l 'l"E:, 't"E:6Yj7t6't"e:Ç, rJ.xp L't"IX rpÜÀIX, oiç 't"O 7tÉÀe:Lv 'l"E: xal oùx e:IvaL 't"IXÙ't"OV ve:v6µL<r'l"IXL xoù •aÙ•6v · 7tanwv ÔÈ 7taÀlnpo7t6ç fon xÉÀe:u6oç. ·
5
·
·
1 TE voEi:"v Karsten Brandis Diels : TO voEi:"v libri (« this is surely an error of ditto graphy, and the correction TE must be right», Kahn, PP, 1 988, p. 261 ; cf. Cordero, p. 1 1 0, n. 1) T'èov Karsten Mullach Diels : TO ov Simpl. DE Ald. : TEov F 2 T<X y' gyw Sim pl. D Diels Cordero : TcX YE Sim pl. BCF : Tou èyw Sim pl. E : TcX crE Simpl. P Ald. : TcX cr'èyw Bergk (1 839 ; cf. KI. philo/. Schr., II, 1 886, p. 34) Mullach Stein DK Coxon O'Brien-Frère (« TcX y'èyw a plus d'autorité », D. Bahut, rec. Cordero, 1 985, p. 301) 3 y<Xp cr' Simpl. DEF Diels : y<Xp T' Simpl. BC <E(pyw> Diels : <èipf;EL> (« tu commenceras ») Cordero (pour le choix d'E(pyw, cf. O'Brien, Études, I, p. 225, n. 1 2 ; A. Stevens, p. 1 20, n. 1 4) 5 7tÀ<X�ovT<XL Ald. Karsten Mullach Stein Coxon : 7tÀcXTTOVT<XL (« ils façonnent ») libri Diels 9 T<XÙT6v Karsten Mullach : T<XÙTov, Stein Diels DK (pour le choix du colon, cf. M. Stokes, Ciass. Rev., 1 960, p. 1 94) . IIfaut dire et penser !'étant être ; car ily a être, et rien il n) a pas : cela, oui, je commande, moi, de le méditer. D'abord, en effet, de cette voie de recherche [2 . 5-8], je te détourne, mais ensuite de cette autre aussi sur laquelle errent les mortels
II
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-
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qui ne savent rien, têtes-doubles. Car l'irrésolution guide, dans leur poitrine, une pensée errante ; ils se laissent emporter, à la fois sourds et aveugles, stupéfaits, foules incapables de décision, par qui l'être et le n 'être pas sont réputés le même et non le même : d'eux tous, le chemin revient sur lui-même.
1 -2 a. X.P� -rà ÀÉye:tv . . . oùx fo-rtv. La phrase X.P� -rà ÀÉye:tv -re: voe:i'v -r'làv ˵µe:vl)(t s e prête à différentes constructions . Burnet (p. 20 1 ) , suivi, avec de légères variations, par Cornford (« What can be spoken of and thought must be », p. 3 1 ) , Kirk-Raven, Owen (in Allen-Furley, I I , p . 60) , Dumont e t d'autres, traduit : « De toute nécessité, cela doit être, qui peut être pensé et dont on peut parler ». Cette traduction où Mv dans -rà . . . È6v signifierait « est possible », ce qui serait presque sans exemple (Tanin, p. 5 5) , a été reje tée avec raison par Verdenius (Parmenides, 1 942, p. 36, n. 2) , plus récemment par Ch. Kahn (Rev. of Meta, 1 968, p. 722, n. 26 ; PP, 1 988, p. 261 : traduction « extremely harsh and contorted ») . Du reste, elle n'aurait rien de parménidien, puisque Parménide ne s'intéresse aucu nement au possible. Riaux traduit, d'après Karsten : « Il faut que la parole et la pensée soient de l'être » , où ˵µe:vl)(t j oue le rôle de copule. Diels (1 897) traduit de même : « Das Sagen und Denken muss ein Seiendes sein » ; et Heidel (Proceedings, 1 9 1 3, p. 721) : « Speech and thought must be real » ; Verde nius (p. 37) : « Speaking and knowing must be a thing which is ». Une telle traduction, grammaticalement sans reproche, est « evidentemente inaccettabile per il con tenuto » (Pasquinelli, p. 399, n. 3 5) . Certes, la parole et la pensée ne sont pas rien. Mais cela, on peut le dire de n'im porte quoi, sauf du rien. Or, le dire est pris ici en tant que dire, et le pen ser en tant que penser (ou la parole en tant que parole, la pensée en tant que pensée) . Il faut dire quoi ? penser quoi ? Il faut dire l'être, penser l'être : c'est là ce que commande la Déesse. Frii.nkel (Dichtung, p. 404) traduit : « Es ist erforderlich dass ein Aussagen und Denken dessen was Ist, Ist » « Il est nécessaire que parler et penser ce qui est, soient », où Èov est l'objet des deux i n fi n i tifs , -r à ÀÉye:tv -r e: voe:i'v -r ' , tandis qu' ˵µe:vl)(t e s t pris e n u n s e n s « existen tiel ». Il ne s'agit plus, comme pour Diels (1 897) , de l ê tr e d u dire et -
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du penser, mais de l'être du dire et du penser qui disent et pensent ce qui est. Mais la question est seulement celle de l'être de ce qui est, de l' Elvixt de l'è6v (ce dernier point souligne que ˵µe:vixt est essentiel : on ne saurait l'escamoter, comme Tarin traduisant : « It is necessary to say and to think Being ») . A la suite de Diels ( Vors. , 4c éd., 1 922) , « Dies ist notig zu sagen und denken, dass nur dass Seiende existiert », certains traducteurs ont pris T6 comme un démonstratif. Ainsi Beaufret (1 9 5 5) : « Nécessaire est ceci : dire et penser de l'étant l'être » ; O'Brien-Frère : « Il faut dire ceci et pen ser ceci : l'être est ». Mais que T6 soit un démonstratif est « in itself improbable (XP� is an impersonal) » (Tarin, p. 5 5 ; cf. aussi Kahn, PP, 1 9 88, p. 260) . De plus, dire que « das Seiende existiert » est une plati tude : c'est pourquoi Diels (cf. aussi Diels-Kranz) a ajouté « nur» ( « seu lement » ) qui ne correspond à rien dans le texte grec. Quant à O'Brien Frère, ils commettent un faux sens (de même Cl. Ramnoux, p. 1 1 1 : « Il faut dire et penser que l'être est ») : È6v, en 6 . 1 , n'est pas l' « être » mais l' « étant » : ce qui est et qui est en train d'être (le fait, pour l'étant, d'être, n'est pas c e qui est : l' « être » n'est pas) . Tannery traduit : « Il faut penser et dire que ce qui est, est » (p. 252 et erratum, p. 435) ; de même A. Stevens : « Il faut dire et penser que l' É tant est » (p. 1 1 3) . Ces deux traducteurs sont « piégés » par la forme du discours indirect, qu'ils choisissent du fait qu'en l'occurrence, la proposition infinitive n'existe pas en français. C'est, en effet, la forme de la proposition infinitive qu'il faut ici conserver : « Il faut dire et penser l'étant être ». Car il ne s'agit pas simplement de penser que l'étant (ce qui est) est, mais en son fait d'être - ou l'étant en tant qu'étant, comme on dit le fabricant en tant que fabriquant. En 1 b - 2 a , certains traducteurs, à la suite de Burnet (p. 20 1 , n. 1) puis de Calogero (« i due ËcrTt valgono Ëi;,e:crTt », p. 20, n. 1 ) , donnent à fon et oùx fon un sens potentiel : « il est possible », « il n'est pas pos sible ». Ainsi Zafiropulo ( « car l' Ê tre peut exister » ) , I<:irk-Raven, Guthrie (p. 20) , Bormann, Casertano, Austin, O'Brien-Frère, A. Ste vens (p. 1 1 3) . Mais il est enfantin de croire que Parménide peut se contenter de quelque chose d'aussi faible qu'une simple « possibilité » . « Car i l e s t possible d'être » (O 'Brien-Frère) . Et puis ? L a question
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n'est pas de savoir s 'il est « possible » qu'il y ait, mais s'il y a, et ce que cela signifie. Tannery traduit très bien fo·n yiXp dvai : « car il y a être ». Il est suivi par P. Aubenque (Études, II, p. 1 1 0) , L. Couloubaritsis (cf. aussi Frankel, Dichtung, p. 404, suivi par Heitsch : « denn Sein gibt es ») . « Rien » : il n'y a rien de tel. Telle est l a nullité du rien. Cela signifie qu'il y a touj ours quelque chose. Or, ce qu'il s'agit de penser, ce n'est pas ce « quelque chose » qui est (ce qu'il y a) , mais le fait même qu'il y ait. « Il y a être » = il y a ce fait qu'il y ait (quoi ? ce qu'il y a) ; ou : il y a le ily a. Ce n'est pas là dire la même chose que « l'être est » (ou « être est ») : l' « être », répétons-le, n'est pas ce qui est, n'est pas l' « étant ». Il n'est pas ce qu'il y a, mais le ily a lui-même. Si le ily a était ce qu'il y a, les étants seraient inutiles ; mais l'être ne peut être l'être de rien, puisque le rien est sans être. 2 b-3. Le propos de la Déesse, dans le vers 3, est - la correction de Diels étant admise (comme par Untersteiner, Tanin, Mourelatos, Mansfeld, Holscher, Bormann, Casertano, Kirk-Rav.-Sch., Gallop, Coxon, O 'Brien-Frère, Heitsch, Reale-Ruggiu, C. Collobert, etc., bref par la quasi-unanimité des interprètes) - de « détourner » le j eune homme de suivre une certaine voie : « D'abord de cette (·rnu-rî) c;) voie de recherche, je te détourne » (ou j e « t'écarte ») . Nous savons « quelles sont les seules voies de recherche à penser » (2 . 2) , dont la seconde ( « qu'il n'y a pas et qu'il est nécessaire qu'il n'y ait pas » ) est un « sen tier dont on ne peut rien apprendre » (2 . 6) , dans lequel, par consé quent, il ne faut pas s 'engager : et que fait la Déesse sinon détourner le j eune homme de s'y engager ? En ce cas, wu-rî)c; ne renvoie-t-il pas à µî)ÔÈ:v ô'oùx fo-riv (6 . 2 a) , « et rien il n'y a pas », où il faudrait voir « la voie du non-être », c'est-à-dire la mauvaise voie (ainsi Cornford, p. 32, Untersteiner, p. CXI, Frankel, Dichtung, p. 404, etc. : cf. Cordera, p. 1 29 s.) ? Mais c'est là chose impossible, puisque µî)ÔÈ:v ô'oùx fo-riv n'affirme pas qu'il y a l e ri e n , comme en 2. 5 , mais, au contraire, qu'il est faux de dire qu'il y a l e rie n 6 . 2 a, « rien il n'y a pas » = 2 . 3 b, « non-être il n'y a pas » ; par consé quent, 6. 2 a fait partie du premier chemin, du « vrai » c h e m i n . La .
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Déesse voudrait-elle (cf. dpyw) inviter le j eune homme à abandonner momentanément ce chemin pour y revenir ensuite ? On a pu le suppo ser (Tarin, p. 6 1 ) . Mais une telle supposition n'est pas nécessaire. « Il faut dire et penser l'étant être ; car il y a être, et rien il n'y a pas » : ce sont « ces choses » ('t'iX mis en relief par ye:) qu'il s'agit de « méditer », en se détournant, en tout premier lieu, de la voie déjà refusée en 2. 5-8, celle du non-être (car on ne saurait méditer le non-être) - voie rappe lée par 't'otV't''Y)Ç. Les interprètes n'ont pas suffisamment tenu compte du fait que, si Simplicius cite 6 . 1 b-9 en Phys., 1 1 7 . 4- 1 3, il cite, immédia tement avant, 2 . 3-8 en Phys., 1 1 6 . 28-1 1 7 . 1 , ce qui donne à penser que les deux fragments se suivaient dans le Poème, de sorte que 't'otV't''Y)Ç se rapportait, pour Parménide, à ce qu'il venait de définir comme étant une voie impraticable (voie qui ne consiste pas à dire que « le non-être existe », c'est-à-dire qu'il y a le rien, mais, contrairement à 2 . 3, qu'il ny a pas, c'est-à-dire non pas qu'il n'y a rien sauf le rien, mais qu'il n'y a rien, pas même le rien) . 4-9 . Outre la voie impraticable du il ny a pas, il en est une autre dont il convient de se détourner : celle sur laquelle errent les « mortels qui ne savent rien ». Qui sont ces brotoi ? A leurs yeux, nous est-il dit aux vers 8-9, « l'être et le n'être pas sont le même et non le même » . On songe à l'unité héraclitéenne d e s contraire. A tort o u à raison ? C'est à examiner. Selon Bernays (« Herakl. Stud. », in Rhein. Mus., 1 850, VII, 1 1 4 s. = Ces. A bhandl., Bd. 1 , 1 885, p. 62 s.), les vers 4-9 relèvent d'une polémique antihéraclitéenne. Il est suivi, entre autres, par Diels (1 897, p. 7 1 ) , Patin (« Parmenides im Kampfe gegen Heraklit » , jahrb. f class. Philo/., 1 899, p. 524 s., 633 s .) , Gomperz (t. 1, p. 206-207) , Calogero (p. 4 1 ) . Les e:1ô6't'e:ç oÙÔÈ:v, explique A. Covotti (! Presocratici, 1 934) , sont Héraclite et les Héraclitéens, qui, « negando assolutamente l'essere, non possono fare alcun giudizio che si esprime appunto nell'essere [cf. 8 . 35-36] , per mezzo della copula è : non possono, quindi, avere alcun pensiero, alcuna conoscenza » (p. 1 27) ; à quoi il est aisé de répondre qu'Héraclite ne nie pas « absolument l'être » : il ne nie pas l'être vrai (le logos est le discours qui « est toujours », B 1 ,
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c'est-à-dire qui est touj ours vrai) . Selon Guthrie, « though "to be and not to be are the same and not the same" can describe the state of mind of the ordinary man, its phraseology recalls nothing so much as the paradoxes in which Heraclitus and no one else showed such delight » (p. 24) . L'expression « Being and non-Being are the same and not the same » est, observe Tarân, « the exact characterization of the doctrine of the identity of contraries, although Heraclitus did not express this in the words, Being and non-Being » (p. 70) , de sorte que, selon toute probabilité, « the doctrine attacked in this fragment is that of Heraclitus » (p. 69) . « L'adversaire tout désigné nous paraît être Héraclite », dit enfin Couloubaritsis (p. 1 98) . Ce sont surtout les mots oiç -rà nÉÀe:tv . . . :x.où -rixù-r6v qui semblent à ces auteurs ne pouvoir s 'accommoder d'une autre interprétation : « The words used in lines 4-7 would by themselves be inconclusive and the attack can be proved only by an interpretation of lines 8-9 », note L. Tarân (p. 69) ; et on lui accordera que, si la thèse d'une attaque contre Héraclite peut être prouvée, c'est par une interpréta tion de ces lignes qu'elle peut l'être. Mais la phrase « l'être et le n'être pas sont le même et non le même » est-elle une proposition héracli téenne ? Si elle se trouvait dans les Fragments, la question ne se pose rait pas. Mais elle ne s 'y trouve pas (la phrase « nous sommes et nous ne sommes pas », du fragment B 49 a, ne l'implique pas : il s'agit de savoir si nous sommes vraiment ou seulement pour le discours com mun, non de l'être comme « le même et non le même » que le non être) . Cela, qui a été souligné par Zeller et par d'autres , Tarân - on vient de le voir - ou Guthrie le reconnaissent. Mais Tarân pense que, pour Parménide, « who reduced all opposition to that of Being and non-Being », la doctrine d'Héraclite, qui « affirmait que les contraires sont un et cependant différents », était « équivalente (tantamount) à l'assertion que être et non-être sont le même et cependant pas le même » (p. 7 1 ) . Aristote ne dit-il pa s : « tous les contraires se ramènent à l'être et au non-être » (Méta., r, 2, 1 004 b 27-28) ? La pensée de l'unité et de l'indissociabilité des contraires est, certes, l'une des thèses fondamentales d'Héraclite. Les couples de contraires sont nombreux à énumérer : immortel/mortel (B 62) ; esclave/L ibre
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(B 53) ; vivant/mort, éveillé/endormi, j eune/vieux (B 88) ; j our/ nuit, hiver/été, guerre/paix, satiété/faim (B 67) ; beau/laid, bien/mal, justice/injustice (B 1 02) ; maladie/santé, fatigue/repos (B 1 1 1) ; droit/courbe (B 59) ; montant/descendant (B 60) ; rassemblé/séparé, consonant/dissonant (B 1 0) ; froid/chaud, humide/sec (B 1 26), etc. « Sont le même le vivant et le mort, et !'éveillé et l'endormi, le j eune et le vieux », lit-on dans le fragment 88. Autrement dit : le vivant et le mort, !'éveillé et l'endormi, etc., « sont le même et non le même ». N 'est-ce pas là exactement ce qu'on lit en 6 . 8-9 ? Nullement, et l'on s'étonne que Tarin et d'autres ne voient pas la différence. Rappelons que le terme contradictoire de « blanc » n'est pas « noir », mais « non blanc ». Héraclite n'oppose pas le vivant et le non vivant, mais le vivant et le mort : des contraires, non des contradic toires. L'unité des opposés à laquelle il a affaire n'est autre que l'unité des contraires . Or, le non-être, négation pure et simple de l'être, en est le contradictoire. En 6. 8-9, l'unité des opposés est l'unité des contra dictoires. Ce n'est pas celle qu'a théorisée Héraclite. Ce passage du fragment 6 ne peut donc atteindre ni concerner Héraclite, et si celui ci, parmi les nombreux couples de contraires, ne cite pas l'opposition de l'être et du non-être, c'est simplement qu'à juste titre il n'y voyait pas une opposition de contrariété. Mais, dira-t-on, Parménide n'a-t-il pas pu penser, comme l'affirme Tarin, que toute opposition, et donc l'opposition héraclitéenne des contraires, se ramenait à celle de l'être et du non-être ? Nullement. Parménide, en effet, ne pouvait pas ne pas voir que les contraires des couples héraclitéens sont des contraires réels : la vieillesse est réelle, elle n'est pas une simple privation de j eunesse ; le courbe, opposé au droit, est réel comme lui, etc. Or, le non-être, étant la pure négation de l'être, n'a aucune réalité : il n'y a pas, chez Parménide, d'être du non-être. Quant à la phrase d'Aristote, « tous les contraires se ramènent à l'être et au non-être », elle ne peut être invoquée ici. Car Aristote, en cet endroit du livre r de la Métaphysique, n'a pas en vue l'opposition de l'être et du non-être en dehors de tout genre, laquelle, selon lui, ne peut être que de contradiction, mais à l'intérieur d'un genre déter-
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miné. Prenons la phrase à son début : « Des deux séries de contraires, l'une est privation de l'autre, et tous les contraires se ramènent à l'être et au non-être [ . . .] » (I. e.) . Vient l'exemple du repos et du mouve ment : le repos est privation du mouvement - non-être de mouve ment. Mais, que le contraire soit une privation (de façon à se ramener à un non-être) , ce n'est là ni la doctrine d'Héraclite, pour qui l'un des contraires n'est pas simplement la privation de son opposé, ni d'ail leurs la doctrine définitive d'Aristote. En tout état de cause, si l'être et le non-être sont pensés par Aristote soit comme des contradictoires (cf. Phys., V, 1 , 225 a 1 3 - b 3) , soit, parfois, comme des contraires, Héraclite et Parménide s 'accordent sûrement pour exclure le couple être/non-être de la liste des contraires . D è s lors, l a question reste entière d e savoir qui sont ces « mortels qui ne savent rien, têtes-doubles ». Ne pourrait-on les rapprocher des po/loi, des « nombreux » que fustige l'ironie d'Héraclite ? N e pourrait on dire d'eux qu' « à des sourds ils ressemblent » (fr. B 34, où l'on a le mot xwq:>ol, comme en 6. 7) , que, « ne sachant pas écouter, ils ne savent pas non plus parler » (fr. B 1 9 et 87 : de même, les brotoi de 6 . 7 restent « stupéfaits », « bouche bée » , n:8Y)rr6-rEc;) , qu'ils « ne pensent pas les choses qu'ils rencontrent, ni, en étant instruits, ne les connaissent » (B 1 7) , que leurs yeux sont, comme leurs oreilles, de « mauvais témoins » (B 1 07) ? Parlant des « nombreux », « c'est à des inexperts qu'ils res semblent », dit Héraclite (fr. B 1) ; et Beaufret ( 1 9 84) traduit &.µYJxcxvlYJ par « inexpertise ». Et comment ne pas rapprocher les akrita phula (6 . 7) des po/loi ? La « foule » est dépréciée comme, chez Héraclite, la « multitude » (B 1 04) . Notons que la « foule », au singulier, q:>ÜÀov, indique déj à le nombre (que l'on entende par ce mot la « race », la « tribu » ou l' « espèce », on signifie un grand nombre d'individus) ; pourtant, Parménide use du pluriel, marquant ainsi davantage encore l'intention dépréciative et méprisante. Parménide et Héraclite, comme des co-ouvriers du vrai, ainsi qu'Aristote et Hegel les présenteront, sont du même côté. De l'autre côté sont tous ceux qui ne jugent pas « par la raison » (Myc:i, 7 . 5) , que le logos, le discours de vérité, glace et paralyse (cf. 22 B 87) . La clef de l'errance des mortels est dans leur pensée même. C'est d'abord une
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errance de la pensée. Le v6oc;, dont la vocation est de penser l'être, cède par faiblesse (d'aucuns traduisent &µ7Jxavl'Y) par « impuissance ») à l'attrait du non-être, au vertige du rien, lui prête un être, lui fait j ouer un rôle à l'égal de l'être dans un couple. Les mortels errent d'une errance qui est d'abord intellectuelle (« 7tÀCX:nov-rat is typically used for an intellectual error », dit Tarin, p. 63 : cela vaut pour 7tÀCX:�ov-rat) . Les errants (dont peuvent faire partie, avec d'autres , les « errants dans la nuit », les vux-rmoÀot d'Héraclite, B 14 a) sont en nombre : ce sont les Joules qui sont &xpt-ra. C'est là indiquer clairement que l'errance du v6oc; est due à ce que l'on en use non pas seul, dans la clarté de l'évi dence, mais avec d'autres : l'usage collectif du v6oc; aboutit à la pensée collective, qui se détourne du vrai, étant assuj ettie à l'utile, aux inté rêts de la collectivité. Les phula sont akrita : l'homme collectif est incapable de décision, de la xplcnc;. J uger « par la raison » , ÀÛyCJ;J, s eul le peut l'individu qui s'est détaché intellectuellement des croyances collectives ; car s eul l'in dividu solitaire peut avoir affaire non au collectif mais à l'universel. De quelle « décision » s'agit-il ? 8 . 1 6- 1 7 le dit : « Il a été décidé (xÉxpt -rat) , comme c'est nécessaire, de laisser de côté l'une des voies, impen sable, innommable » - la voie du non-être. Les « mortels qui ne savent rien » sont incapables de cette décision qui, logiquement (xa-ràt Myov) , annule le rien. L'être et le non-être sont réputés par eux « le même et non le même », comme si l'on pouvait dire d'eux ce qu'Héraclite dit du j eune et du vieux, du droit et du courbe, etc., bref comme s 'ils étaient des contraires. Or, si le droit est réel, cela n'empêche pas, disions-nous, que le courbe le soit aussi, alors que, de l'être et du non être, s 'il y a l'un, il n'y a pas l'autre. Or, « il y a être » (6 . 1) , et donc « non-être il n'y a pas » (6 . 2) . Bref, les brotoi traitent les contradictoires comme des contraires. Qui sont donc ces brotoi, dont on sait qu'ils vivent en troupeaux, leur pensée étant celle des autres ? S'agit-il de disciples d'Héraclite qui auraient mal compris la doctrine héraclitéenne des contraires, et l'au raient appliquée à l'opposition de l'être et du non-être ? Cela est peu probable : la brièveté du temps qui s 'est écoulé entre le livre d'Héra clite et celui de Parménide n'a pas pu permettre l'apparition d'une
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« foule » de disciples , si tant est que les disciples d'un philosophe for ment j amais une foule (un philosophe n'ayant rien d'un prédicateur religieux) . Par « mortels qui ne savent rien », il faut entendre sans doute la masse des non-philosophes - des hommes ordinaires -, que Parménide trouve « sourds et aveugles, ébahis » (6 . 7) lorsqu'il tente de leur faire entendre la parole de la Déesse, la parole même de la Vérité, tout comme Héraclite, tenant le « discours toujours vrai » (logos), ne trouvait en face de lui que des hommes « sans intelligence » (B 1 ) . Or, e n quoi les hommes ordinaires traitent-ils l'opposition d e l'être et du non-être comme une opposition de contraires ? Qu'est-ce qui nous permet de le dire ? On peut répondre : l'être et le non-être sont « le même » (6 . 8) ; or, pour être le même que l'être, il faut être (le il n'y a pas parménidien ne pourrait en aucune façon être le même que le il y a) : c'est ainsi qu'une réalité est prêtée au non-être, de même que, dans les couples de contraires, chacun d'eux a sa réalité. Mais cette réponse ne suffit pas. Il faut préciser de quellefaçon une réa lité est prêtée au non-être. C'est ici qu'il faut prendre en considération le fait suivant : le mot �po·rol apparaît en liaison avec le couple « être - ne pas être » en un autre endroit du Poème, en 8 . 39-41 . Citons ce passage : « Sera nom tout ce que les mortels ont posé, croyant que c'était vrai : naître et mourir, être et ne pas être, changer de lieu et changer de couleur » . Ce texte nous apprend deux choses : 1 ) D'abord, ce qu'il faut considérer, c'est l'être et le ne pas être de ce qui est puis n'est plus. En effet, le pre mier couple est « naître et mourir » ; or, ce n'est pas le naître qui naît ni le mourir qui meurt : il s 'agit donc de ce qui naît et de ce qui meurt. De même, l' « être » n'est pas l'être de l'être, mais de ce qui est, et le « ne pas être » n'est pas le ne pas être du ne pas être, mais de ce qui n'est plus. 2) Ensuite, de quelle façon un être est-il prêté au ne pas être ? Par le lan gage, en en parlant. Je parle de ce qui est et aussi bien de ce qui n'est pas, ou plus ; j e dis l'être et le non-être, oubliant de faire mienne la décision ( xplcrn;) de laisser de côté la voie « impensable, innommable », du non être. Je nomme l'innommable, mais, comme cela ne le rend pas nom mable, c'est un nom qui ne nomme pas. Les choses changent, sont puis ne sont plus ; ou même, en serrant de plus près le phénomène, « le changement est l'état d'une chose qui
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est et n'est pas à la fois, qui n'est déjà plus ce qu'on dit qu'elle est » 1 • Les mortels ne connaissent l'être que comme l'être de ce qui est puis n'est plus, de sorte que, lorsque ce qui est cesse d'être, c'est l'être qui leur semble céder la place au non-être. Ê tre et non-être alternent : quand il y a l'un d'eux, il y aura l'autre ; et comme « sont le même le vivant et le mort », selon Héraclite (B 88) , ainsi « l'être et le n'être pas sont le même » - tout en n'étant, bien sûr, pas le même. Les mortels pensent et vivent sans voir que l'être n'est nullement entraîné par le devenir de ce qui est. L'être, le ily a , est toujours là, immuable Pré sence, quoi qu'il en soit du devenir des étants . Qu'il y ait le il y a le fait d'être -, c'est ce qui ne cesse j amais. L'écoulement fait qu'il n'y a plus ce qu'il y avait, mais cela concerne seulement ce qu'il y a, non le ily a lui-même. Les étants sont participa tion à l'être (e:Ivix�) , à l'étance, à la Présence. Et l'être, le ily a, n'est pas indifférent à ce qu'il y ait quelque chose, mais il est indifférent à ce qu'il y ait ceci plutôt que cela. Il est donc indifférent à l'écoulement des choses, au devenir. Les mortels vivent et pensent dans l'oubli de la Présence, n'ayant d'yeux, d'intérêt que pour ce qui est présent, séjourne dans l'être, avant de cesser d'être. Et cela qui est, c'est cela qui cesse d'être : le même est être puis néant ; d'où le paralogisme : l'être et le non-être sont le même. L'erreur des mortels se trouve bien systématisée par Hegel dans sa Logique : « L'être pur et le néant pur sont la même chose. Ce qui est la vérité n'est ni l'être ni le néant, mais que l'être - non point passe mais est passé en néant, et le néant en être. Pourtant la vérité, tout aus si bien, n'est pas leur non-différenciation, mais qu'ils ne sont pas la même chose, sont absolument différents, mais sont pourtant inséparés et inséparables, et que chacun disparaît immédiatement dans son contraire (Gegenteil) . Leur vérité est donc ce mouvement du dispa raître immédiat de l'un dans l'autre : le devenir » 2 • C'est là exactement ce qu'eussent pu écrire les mortels visés par Parménide dans le frag-
1 . Bergson, « Parménide », ms. Cotton, p. 526 (sur ce manuscrit, cf. notre ouvrage L 'aléatoire, 2' éd., 1 990, p. 1 39-1 44) . 2 . Wissenschaft der Logik, éd. Lasson, 1 948, I, p. 67.
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ment 6. Du fait de la contamination de l'être et du n'être pas par le devenir de ce qui est et n'est pas, l'être et le non-être se voient attri bués un « passage » ou un « disparaître » de l'un dans l'autre, c'est-à dire une sorte de mouvement fictif, prétendument « logique ». En réa lité, l'être « pur » ne saurait disparaître en néant, auquel il n'a rien à voir, ni le néant « passer » ou « disparaître » en être, n'ayant pas assez de réalité pour cela, et même n'étant rien qui se puisse penser. Héra clite s'est bien gardé de construire l'idée de changement à partir des idées d'être pur et de non-être pur, l'une et l'autre exclusi ves de toute idée de changement. Parménide, se plaçant, lui, du côté de l'être, le préserve de toute contamination par le devenir ; et quant au n 'être pas, il le laisse à son néant, incapable même d'une relation quelconque. W. J aeger attire l'attention sur le terme vc:v6µtcrTcu, qui « se rap porte, non à l'opinion d'un homme ou de quelques individus, mais à la malignité de la v6µoc; dominante (= coutume, tradition) », tout comme, chez Xénophane, B 2 . 1 3, voµl�c:Tixt « se rapporte également à l ' opinio communis des humains » (p. 240, n. 36) . Le phénomène analysé par Parménide est, en effet, d'essence collective. C'est pourquoi Par ménide ne pouvait pas viser un seul individu, tel Héraclite ou un autre, car l'errance du v6oc; n'est pas celle de l'individu isolé mais de l'individu collectif, qui, s 'il est « sourd et aveugle, stupéfait » (6 . 7) , l'est toujours avec d'autres . Il existe une pensée collective, par là même errante. L'homme de groupe s 'intéresse à ce qui est. Mais, pour lui, ce qui est, c'est sa maison, sa terre, tels ou tels « biens ». On sait que, dans la langue non philosophique, chez Hérodote, les tragiques, Lysias, etc., « oùcrlix désigne un bien, notamment une terre, une mai son, etc. » (Chantraine, s .v. dµl) . Dès lors, ce qui est, c'est ce que l'on peut avoir ou n'avoir pas, ce qui peut n'être pas nôtre, ou, tout sim plement, n'être pas . De là des humains « têtes-doubles » , dikranoi, car ils ne peuvent regarder leurs « biens » sans crainte de les perdre, ou : regarder vers l'être sans regarder aussi vers le non-être. « Mortels qui ne savent rien », bien que sachant peut-être beaucoup de choses, comme c e u x dont parle Héraclite, à qui « le grand savoir (7toÀuµix8lri) n'enseigne pas l'intelligence (v6oc;) » (B 40) , car leurs savoirs nombreux les l a i s s e n t
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
loin de la Vérité, dès lors qu'ils n'ont pas le caractère définitif qui appartient à celle-ci. Les mortels savent, par exemple, quels sont leurs droits de propriété sur leurs maisons, leurs champs : mais les législa tions changent. Savoir vraiment, c'est savoir la Vérité, entendant par là ce qui ne cesse j amais d'être vrai, qui, contrairement aux savoirs empiriques, n'est en rien à la merci du Temps. 9 . ncX:v-rwv ÔÈ: mxÀÎ v-rpon6c; Ècr-rL xlf..i::u 6oc;. Cette phrase est-elle une affirmation de la Déesse au sujet des mor tels, affirmation introduite par ÔÈ: comme la précédente, en 6 . 6, par o 1 ÔÈ: ? Ou ce qui s'exprime en elle est-il, dans le fil de ce qui précède (ligne 8) , à mettre au compte des opinions des mortels ? Dans le premier cas, ncX:v-rwv est un masculin, il est séparé de xoù -raù-r6v par un point en haut ; dans le second cas, c'est un neutre, séparé de xoù -raù-r6v par une virgule. Comme Riaux, Tannery, Beaufret, Cordera, Couloubaritsis, O'Brien-Frère, C. Collobert, entre autres , nous tenons ncX:v-rwv pour un masculin. Burnet voyait dans ncX:v-rwv un neutre : « toutes choses vont dans des directions opposées » (p . 20 1 ) . Il a été suivi par Kirk-Raven (« The path of all things is backward-turning », p . 2 7 1 ; mais, p. 272, n. 1 , 7tcXv-rwv masculin est admis comme une possibilité - et cette solution est seule retenue par Kirk-Rav.-Sch. , en 1 983 : « the path taken by them all is backward-turning ») , Guthrie (p. 21 ) , Tarin, Holscher, Casertano, Reale, etc. M. Stokes ( Class. Rev., 1 960, p. 1 93 - 1 94) argumente en faveur de 7tcXv-rwv masculin. Si 7tcXv-rwv . . . xlf..i:: u 6oc; devait exprimer l'opinion des mortels, Parménide, de préférence à la construction oie;. . . fo-rl en paral lèle à oie; . . . vi::v 6µrn·-raL, impliquant une maladresse grammaticale (puisque le datif oie; est, dans un cas, un datif d'agent, dans l'autre, « a quite diffe rent sort of dative ») , eût choisi de placer 7taf.. l v-rp7t6c; Ècr-rL xlf..i:: u 6oc; en dis cours indirect dépendant de vi::v 6µLcr-raL, avec dvaL au lieu de fo-rl. A quoi Tarin réplique que Parménide, dès lors qu'il ne voulait pas sacrifier le terme 7taÀÎv-rpo7toc;, devait écrire fo-rl « because 7taÀÎv-rpo7tov dvaL xlf.. i:: u 6ov would not scan and neither would any arrangement of them (or sub stitutes like 7tlÀELV, �fLfLEV()(L - oô6c;, 7t6poc;, 7tcX't"oc;) )) (p. 67) . La position défensive de Tarin n'emporte pas notre conviction, et, tout en recon naissant que la discussion grammaticale, supposée approfondie, reste-
II
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LA VÉRITÉ. FRAGMENT 6
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rait indécise, il nous paraît raisonnable de rapporter 7tav't"wv ôè: 7tl)(Àlv't"po7t6 ÈcH� xÉÀe:uSoç au jugement de la Déesse : « d'eux tous, le che min revient sur lui-même » . Du côté d e l'interprétation, l a raison pour laquelle certains tien nent 7tav't"wv pour un neutre est donnée par Burnet : « je considère 7tl)(Àlnpo7toç xÉÀe:u8oç comme équivalent à l' o ôàç &vw xa't"w d'Héra clite » (p. 20 1 , n. 3 ; cf. 22 B 60 : « Le chemin montant descendant est un et le même ») . Que les mortels expriment ici une pensée d'Héraclite, cela confirme - dans cette perspective - l'interprétation qui voit dans les « mortels qui ne savent rien », visés par Parmé nide, les sectateurs d'Héraclite. Tanin, pour qui, « in ail likeli hood », la doctrine attaquée dans le fragment 6 est celle d'Héraclite (p. 69) , considère 7tav't"wv comme neutre et donc « 7tav't"wv . . . xÉÀe:uSoç as part of the opinions of the mortals » (p. 67) . Les deux points de vue sont liés. L'un et l'autre sont erronés. Nous avons vu qu'Héraclite n'est nul lement visé, au contraire. Quant à dire que la phrase « 7tav't"wv . . . xÉÀe:u Soç » ainsi entendue : « le chemin de toutes choses fait retour sur lui même », exprimerait l' « opinion » des « mortels », cela ne se peut : 1 ) Ce ne pourrait être l'opinion des « mortels », mais seulement de quelques philosophes : les mortels n'étant pas, dans leur ensemble, philosophes, n'ont pas d'opinion au suj et de « toutes choses » ; 2) On se trompe en se figurant que la phrase « l'être et le n'être pas sont le même et non le même » exprime l' « opinion » des mortels . Les mor tels, « sourds et aveugles », sont également « stupéfaits » ('t"e:8"Y)7t6't"e:ç) , figés dans une sorte de mutisme dès lors que le discours touche aux choses essentielles . On ne peut leur attribuer une proposition aussi abstraite que « l'être et le non-être sont la même chose » - premier côté à saisir avant de saisir le côté opposé. Parménide parle seulement de ce qu'implique le comportement des mortels. Le fait est que, pour eux, sans qu'ils l'aient théorisé, l'être, ce qui leur semble réel, substantiel, est indissolublement lié au non-être. Il s 'agit du rapport à l'être qui sous-tend, conditionne leur vie et leur pensée - un rapport qui est marqué, dès lors que l'être est lié au non-être, par l'ignorance d u vrai « lien » de l'être au non-être, qui est l'absence de lien.
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
« D'eux tous, le chemin revient sur lui-même ». Comment entendre cela ? D 'après l'Index de W. Kranz ( Vors., t. III) , mxÀlv-rponoc; ne se retrouve que deux fois chez les Présocratiques : en 6. 9 et dans le frag ment B 5 1 d'Héraclite, où il est dit qu'un résultat harmonieux peut être obtenu « par actions de sens contraire, comme de l'arc et de la lyre », le mot 7t(XÀlv-rponoc; signifiant un mouvement de sens contraire à un autre. Dans le cas de l'arc, il s'agit de l'action en sens contraire de la main gauche et de la main droite pour tenir l'arc bandé. Dans le cas du deve nir, le chemin de l'être est aussi le chemin du non-être, car, dès lors qu'un être sera venu à être, il sera voué au non-être. Cela s 'applique par ticulièrement aux humains eux-mêmes, qui ne sont pas pour rien dénommés « mortels » : ils ne viennent au monde que pour y mourir. « Le chemin d'eux tous fait retour sur lui-même » : entendons qu'ils retournent au néant d'où ils sont sortis. Il n'y a pas d'avancée qui ne soit un recul. Aller vers la vie, c'est, aussi bien, aller vers la mort. On peut songer aussi au fragment 60 d'Héraclite, invoqué par Burnet (mais c'est la Déesse qui parle !) : le chemin de l'être est celui du non-être, comme, selon Héraclite, « le chemin montant descendant est un et le même » ; ou au fragment 88 : « Sont le même le vivant et le mort, et !'éveillé et l'endormi, le j eune et le vieux ; car ces états-ci, s'étant renversés, sont ceux-là, ceux-là, s'étant renversés à rebours, sont ceux-ci » : le contraire de la veille est le sommeil et le contraire de ce contraire est, à nouveau, la veille. Ainsi pour l'être et le non-être dans l'univers des « mortels qui ne savent rien » : l'être, en langage hégélien, « disparaît » dans son contraire, lequel « disparaît » à son tour dans celui qui disparaissait en lui. Dans le cas de l'arc, les tensions de sens contraires produisent, par l'exacte mesure de chacune à l'autre, un équilibre dynamique, une « harmonie » (&pµovlYJ) . On a, dans le cas du devenir, quelque chose de semblable. Si l'être et le non-être « sont la même chose », aucun ne sera j amais sans l'autre, aucun ne pourra j amais l'emporter sur l'autre. En particulier, le non-être ne pourra l'emporter sur l'être. Il ne pourra j amais se faire qu'il n'y ait rien, et, quelle que soit la figure changeante du monde ou quelle que soit la suite des mondes changeants, le deve nir sera éternel.
F RA G M E N T 7
1 -2 PLAT . , Soph., 237 a 8-9, 258 d 2-3 ; S IMPL . , Phys., 1 3 5 . 21 -22 (citant P laton) , 1 43 . 3 1 - 1 44 . 1 , 244 . 1 -2 Diels 1 ARIST. , Meta. N, 2, 1 089 a 4 ; 2 S I MPL. , Phys., Ps. ALEX . , Meta., 805 . 20 Hayduck (citant Aristote) 78 . 6 ; 650 . 1 3 3-5 D. L . , IX . 22. 2-6 SEXT . , Adv. math., V I I , 1 1 1
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où yà: p µ�7tOTE: 't"OU't"O Ôotµ1j dvoti µÎ) èôvTot" àÀÀcX O"Ù Tijcro' àrp' OOOU Ôi� �O"WÇ EipyE VÔ1)µot, µ 'Y)ÔÉ cr' €!Joç 7tOÀÛ7tELpov OOOV Xot't"cX T�VOE �LcX.cr!lw vwµéiv &crxo7tov il µµa xat �X�Ecrcrav &xou�v XotL yÀwcrcrotv, xpî:vm ÔÈ ÀÔycp 7tOÀÛÔ'Y)p LV ËÀEYXOV è� èµt!lEv p'Y)!lÉnot.
1 ToÜTO oaµjj (oaµîj) Arist. EJ (Ross, J aeger) ; Simpl. 1 35 . 21 E, 1 43 . 31 DE, 244 . 1 E ; Stein (1 867, p. 785) Diels (1 897) : -roü-r'ouoaµjj Plat. 237 a Y ; Arist. A' ; Simpl. 244 . 1 F ; Karsten (p. 48) : -roü-r' ouoaµjj Plat. 237 a BT, 258 d BTYW : -roü-ro µ1)ôaµ1j Simpl. 1 35 . 21 D ; Ps. Alex. : -roü-ro oajjç Heindorf Mullach Zeller Calogero (p. 20, ÈOVT<X Arist. Plat. 258 d w : OVT<X Plat. n. 2) : TOÜTO oaµ'?i Jackson (1 893, p. 74) 2 Ôt��crwç Plat. 258 d, Simpl. : OL�� µEvoç Plat. 237 a BTYW, 258 d BTY, Simpl. 237 a Diès 3 cr'�!loç Sext. : crE !lEèiç D. L. (Long : cr'Ë!Joç) 5 7tOÀU01Jp tv D . L. : 7tOÀU7tEtpov Sext.
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Carjamais ceci ne sera mis sous le joug : des non-étants être. Mais, toi, de cette voie de recherche, détourne ta pensée, et que /'habitude très experte ne te mène pas de force sur cette voie : mouvoir œil sans regard, ouïe remplie de bruit et langue ; mais juge par la raison la réfutation polémique quej'ai énoncée.
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PARMÉNIDE - LE POÈME : F RAGMENTS
1 . -roü-ro 00tµ'fj : la lecture de Stein 1 , aujourd'hui généralement reçue (DK, Untersteiner, Tarin, Mansfeld, Holscher, Kirk-Rav. -Sch., Coxon, Cordera, O'Brien-Frère, Heitsch, C. Collobert, etc.) , fut refu sée par H . J ackson qui proposa 00tµ'fl(o0tµ&: = µ'Y)Ô0tµ&:) . Plus près de nous, et indépendamment, semble-t-il, de J ackson, la même coupe Mµ(<X) 'fl a été proposée par W. Borgeaud (Mus. Helvet., 1 955, p. 277) : 00tµ&:, dans cette hypothèse, se rattache à µ�, qui, en 7 . 1 , forme à la fois µ�7to-re G amais) et µ'Y)Ô0tµ<X (en aucune façon) . Une tmèse analogue se trouve dans le fragment philosophique 23 (Diehl) d'Alcée, XOtt x'oÙOEV Èx OEVOÇ yÉVOL't"O ( « Rien ne naîtrait de rien » ) - déj à invo qué par J ackson -, où oevoc; se trouve séparé de où : oùoè:v Èx oev6c; = oùoè:v ÈÇ oùoev6c;. Le vers 7 . 1 , avec le verbe « être » trois fois de suite, peut se traduire ainsi : « Car il n'y a pas de danger que j amais ceci en aucune façon ne soit : des non-étants être » . Mais pourquoi n e pas garder l a leçon -roü-ro 00tµ'fj que l a plupart des manuscrits autorisent ? Une émendation est-elle nécessaire ? La forme verbale 00tµ'fj (aoriste subjonctif passif de Mµv'Y)µL) est « insup portable parce que son sens ·n e convient pas au contexte » (Bor geaud, I. e.) : que peut signifier dire que l'énoncé « des non-étants sont » ne s era j amais « dompté » ? « Il 00tµ'fj non dà senso », dit Calo gero, et il parle de « l'assurdità del 00tµ'fj » (p. 20, n. 2) . Toutefois, la conj ecture de Jackson lui semble « bizarre » (« strana » , ibid. ) , et il s 'en tient au 00t'fjc; (où µ�7to-re -roü-ro 00t'fjc;, « que tu n'apprennes j amais ceci ») de l'édition Mullach, qui, cependant, n'a qu'un faible appui dans la tradition manuscrite. En réalité, il n'y a pas de raison bien décisive pour ne pas s 'en tenir à la leçon -roü-ro 00tµ'fj. Le s ens est très bien marqué par la traduction Diès du vers 7 . 1 : « Non, j amais tu ne plieras de force les non-êtres à être » (éd. du Sophiste, 237 a et 258 d) . C'est cette idée de « forçage » que Platon a dans l'esprit lorsqu'il écrit plus loin : « Il nous faudra mettre à la question la thèse de notre père Parménide et, de force (cf. �La�ecr00tL) , établir que le non-être est, sous un certain rapport [ . . . ] » (241 d) . 1 . Élève de Ritschl, comme Nietzsche, Heinrich Stein ne doit pas être confondu avec Heinrich von Stein (1 857-1 887) , dont le nom est lié à celui de Nietzsche.
Il LA -
VÉRITÉ. FRAGMENT 7
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Ce dont Parménide reconnaît l'effet, c'est seulement de la force de l'habitude - dont il faut se défier : « que l'habitude très habile ne te mène pas de force c��cX.cr6w) sur cette voie )) (7 . 3) - la voie que suivent les mortels, prêtant l'être à des choses de néant. Mais, quoi qu'il en soit de la force de l'habitude, aucune force ne peut faire que « des non étants soient ». L'énoncé « des non-étants sont » ne sera j amais « dompté », c'est-à-dire mis sous le j oug du logos - de la raison. Le vers 7 . 5 dit : « J uge par la raison (Mycp) ». Jugeant par la raison (= mettant sous le j oug de la raison) , « jamais ceci ne sera admis (= « dompté ») : des non-étants être » . Bien des traductions d e 7 . 1 sont gravement fautives . Ainsi : « J amais tu ne feras que ce qui n'est pas soit » (Tannery) ; « Car aucune force n'achèvera j amais ceci : que le Non-être soit » (Zafiropulo) ; « Point de danger que l'on te prouve que le non-étant est » (Battistini) ; « Car j amais ne prévaudra que : non-être est » (Cl. Ramnoux) , à quoi . l'on pourrait ajouter les traductions de Diels (1 897) , de Diels-Kranz, de Mansfeld, de Heitsch, de Riezler, etc. L'essentiel, en effet, en 7 . 1 , n'est pas dans le choix entre -roü-ro 3ixµji, -roÜTo 3ixjii:;, ou autres . Il est de ne pas manquer à traduire le pluriel è6v-rix. « Non-être est » (Ram noux) : on laisse croire que Parménide en est encore au rejet de la seconde voie (2 . 5 a, oùx fo-r�v, « qu'il n'y a pas ») . Or, il est entendu que le rien n'est rien et qu'il n'y a pas un être du non-être, de sorte qu'en parler, c'est parler pour ne rien dire. Ce dont il s'agit mainte nant, c'est, comme l'exprime ] . Beaufret (1 9 5 5) , de la « diversité de ce qui n'est pas », où « diversité » est le mot qui importe. « J 'ai une maison », dit le mortel. Mais survient la flamme. La mai son n'est plus. Ainsi de toutes choses dont on dit qu'elles « sont » . Leur être e s t lié à leur non-être. Elles n e « sont » p a s sans plus e t pour toujours : elles sont et ne sont pas . Les étants, voués à cesser d'être, ne sont pas vraiment car ils ne sont pas sans plus. Ce sont des non-étants . Dès lors que le mot « être » se pluralise, il signifie non-être. Mais d u non-être absolu, i l n'y a ni pluralité n i d'ailleurs unité, car il n'a aucun caractère. Les non-étants sont donc à mi-distance de l'être et du non être. Ils ne sont pas vraiment, et cependant ne sont pas absol ument rien : ils passent.
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
1 -2. La place de ces deux vers, pour lesquels nous adoptons la dis position de Diels-Kranz, a été discutée. En effet, ils se présentent iso lés dans nos sources, Platon et Simplicius , tandis que, d'autre part, les vers 7. 3-5 se présentent isolés dans Diogène. Sextus, il est vrai, donne 7 . 3-6 à la suite de 7 . 2, mais 7 . 1 ne s 'y trouve pas . Le fragment 7 est composé de 7 . 1 + 7. 2 + 7. 3-6, qui se suivent soit dans Platon, soit dans Sextus. Riaux, à la suite de Karsten, privilégie Sextus et la suite 7 . 2-6, qu'il rattache au fragment 6 : « Toi, de cette voie de recherche, détourne ta pensée » (7 . 2) , à savoir de « cette voie sur laquelle errent les mortels qui ne savent rien » (6 . 4) . Diels (1 897) fait de 7 . 1 -2 un fragment à lui seul - qui est son fragment 7 , lequel vient à la suite des 6. Toutefois, s'inspirant de Sextus (chez qui, en VII, 1 1 1 , 1 . 30 et 7 . 2 se suivent) , il rattache 7 . 2-6 à 1 . 32, de sorte que le vers 7 . 2 appa raît deux fois dans son édition : en 1 . 33 et 7 . 2. F r ankel (Dichtung, p. 403, n. 1 4) fera également de 7 . 1 -2 un fragment à lui seul. A la suite de Reinhardt (p. 45) , Calogero (p. 20, n. 2) place 7 . 1 -2 non pas après mais avant le fragment 6 : -
7 . 1 Car jamais ceci ne sera dompté : des non-étants être. Mais, toi, de cette voie de recherche, détourne ta pensée. 6 . 1 Il faut dire et penser l'étant être ; car il y a être, et rien il n'y a pas : cela, oui, je commande, moi, de le méditer. 7 . 3-6 concernerait, selon Reinhardt, la « troisième voie ». Il en détache 7 . 1 -2 qui viserait la seconde voie. C'est là une erreur qui ne tient pas compte du pluriel èhrrrx . L'ordre que nous adoptons pour les fragments 6, 7 et 8, se j ustifie comme étant l'ordre que l'on voit dans Simplicius , Pf?ys., p. 78, où l'on a la suite : 6 . 8-9 a (p. 78, 3-4) , 7 . 2 (p. 7 8 . 6) , 8 . 1 - 1 4 (p. 78 . 8- 1 0, 1 2-23) ; quant à l'économie interne du fragment 7, elle se justifie par les consécutions déjà indiquées : 7 . 1 -7 . 2 dans Platon (et Simplicius) , 7 . 2-7 . 6 dans Sextus. Reinhardt, j ugeant 7 . 1 -2 et 7 . 3-6 incompatibles, rompait l'unité du fragment. Tarin rétablit une telle unité, mais en étendant l'erreur de Reinhardt à tout le fragment 7, lequel lui semble, en effet, « direc-
II - LA
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ted against the second way of inquiry », à savoir « the way that asserts the existence of non-Being » (p . 76) . Il a pourtant souligné lui-même l'importance du pluriel neutre €6vTix, mais sans la comprendre, puis qu'il écrit, de manière tout à fait absurde : « It is important to notice that non-Being in the fragment is expressed by the plural » (p. 7 5) . Or, s'il est une chose certaine, c'est bien que le « rien » n'a pas de pluriel. Tarin invoque Simplicius qui introduit 7 . 2 par ces mots : « après avoir détourné de la recherche du non-étant » (&7tocrTpl�ixç tjç oôou TYjç Tà µ� ov �"YJ't'OÛcr"Y)c;, Phys., 78 . 4) . Mais Simplicius , qui ne fait ici qu'ap pliquer à son propos le vers 7 . 2, se garde de citer 7 . 1 où est le plu riel ; et, du reste, Simplicius n'est pas Parménide. N. L. Cordera s 'accorde avec L. Tarin : « L'expres sion e:Ivixi µ� €6vTix ( = ËaTi µ� €6nix) est en contradiction avec la formule µ"Y)ÔÈ:v ô' oùx ËaTiv (6 . 2 a) , et il s'agit, par conséquent, d'une formulation évidente du deuxième chemin de la recherche » (p. 1 45) . Mais ne lit-on pas, d'un côté µ� €6vTix, de l'autre µ"Y)ÔÈ:v ? Sans doute, et Cordera de préci ser : « µ"Y)ÔÈ:v est synonyme de µ� €6v » (p. 1 45, n. 1 39) . Ainsi, que €6v soit au pluriel n'importe pas : le pluriel est nul et non avenu. Dans ces conditions, le vers 7 . 1 ne dit rien de nouveau 1 : « Le vers 7. 1 , dans sa totalité, est synonyme de 2. 3 b» (p. 1 46) . Parménide se répète. C. Collobert a, elle, souligné l'importance du pluriel : « La connais sance de l'être commande d'affirmer la différence absolue : sans cette affirmation, on est dans l'errance du non-savoir. Ce non-savoir semble se caractériser par l'énoncé " e:Ivixi µ� €6vTix" (des non-étants sont) [ . . .] Voie des mortels, elle est sans valeur pour la Déesse et dangereuse pour la pensée, parce qu'étrangère au noein, mais d'une façon diffé rente de la voie du ouk esti [ . . .] Si la première voie est ouverture sur l'être, la seconde sur le non-être, la voie des mortels ouvre, elle, sur les non-étants [ . . . ] Le terme µ� €6vTix est, à la fois, l'expres sion d'une p l u ralité aus sitôt posée aussitôt niée, et de l'impossibilité d'une diversité
1 . Toutefois, Cordero traducteur ne manque pas de rendre le pl uriel, q u e ce s o i t d a n s Les deux chemins de Parménide (p. 38), o u dans s o n édition commentée d u Sophiste (G F- F l a m marion, 1 993) : « Que ceci ne soit jamais imposé : qu'il y a d e s c h o s e s q u i ne s o n t p a s » (237 a, 258 d) .
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de l'éon. Cette impossibilité se traduit par une voie absurde, que seul un esprit errant (TCÀixyx:ràc; v6oc;) peut forger. La voie des mortels· est celle d'une pluralité impossible et inconcevable. Elle conduit à l'affir mation d'une dispersion de l'être » (p. 9 8) . E n 6 . 3-4, il est question d e deux voies, l'une e n laquelle nous avons reconnu la voie du non-être, l'autre « sur laquelle errent les mortels qui ne savent rien ». La « voie de recherche » du vers 7 . 2, qui conduit à reconnaître faussement « des non-étants être », et, du fait de l'intervention de la pluralité, ne saurait être la voie du non-être, n'est autre, semble-t-il, que la voie même sur laquelle errent les mortels . Elle constitue une troisième voie - voie, d u reste, illégitime d u point de vue de la Déesse ou du rationnel : dans le fragment 2 ont été défi nies les deux seules voies légitimes. 3-5. fLî)SÉ. . . gÀEYXOV. Ce passage signifie-t-il une méfiance de Parménide à l'égard des sens ? C'est ce que croient L. Tanin et N. L. Cordera, entre autres : « What Parmenides says in this passage is that the senses are respon sible for the acceptance of the way of non-Being » (Tarin, p. 7 8) ; « Dans cette nouvelle affirmation d'une méfiance à l'égard des sens, nous trouvons le trait d'union entre les fr. 6 et 7 » (Cordera, p. 1 5 1 ) . Tarân croit reconnaître l a pensée d e Parménide dans l e fragment 8 de Mélissos, où il est dit que « nous ne voyons pas droitement (opflwc;) », etc., ce qui signifie, commente-t-il, « not that we should use the senses in a better way but that the testimony of the senses is fals e [ . . . ] » (p. 79) . Mais une telle interprétation, exacte ou non dans le cas de Mélissos, ne l'est pas, semble-t-il, dans le cas de Parménide. H. Langerbeck pouvait soutenir, dans sa dis sertation de 1 93 5 1 , que Parménide, en 7 . 3-5, ne vise pas les sens eux-mêmes mais la façon dont on en use (p. 44 s .) . Que nous dit, e n effet, l e texte ? « Que l'habitude très experte n e te mène pas de force sur cette voie [ . . .] , mais juge par la raison (My<fi) » . 1 . �6�,ç Èmpucrµl1). Studien zu Demokrits Ethik und Erkenntnislehre, Berlin, Weidmann, 1 935.
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Deux choses sont claires : 1 ) Il n'est pas inévitable, cédant à la force de l'habitude, de suivre cette voie où l'œil regarde sans voir, où l'ouïe est remplie de bruit (d'échos) , etc. Ce qui est condamné est le mauvais usage des sens sous l'effet de l'habitude ; les sens eux-mêmes ne sont pas en cause. 2) Si la Déesse commande de « j uger par la raison », c'est donc que, lorsqu'on suit la voie déconseillée, on ne juge pas « par la raison » mais sous l'influence de l'habitude. Ce ne sont pas les sens comme tels qui sont fautifs, mais le j ugement. Comme nous l'avons vu à propos de 6 . 4-9, l'errance des mortels est d'abord une errance de la pensée, une errance intellectuelle. C'est pourquoi l'injonction de la Déesse, en 7 . 2, est : « détourne ta pensée (noèma) . . . ». Le risque est dans la pensée. Ce qui est à craindre : non pas les sens mais la tentation, pour la pensée, de suivre la voie facile des jugements tout faits. Du reste, pourquoi parler de méfiance « à l'égard des sens » ? La vue, l'ouïe sont des sens, mais la langue n'est pas un sens. Elle est ici l'instrument de la parole : par elle, les mortels ont la faculté de dire des noms. Le terme vwµiiv yÀwcrcrrxv signifie la même chose qu'àvoµ&�e:�v (« nommer », 8 . 5 3) , observe Verde nius (p. 55, n. 7) , après Patin (p. 633) . Les mortels croient bien j uger et dire la vérité en disant : « cela est », mais comme ils ne séparent pas l'être du n'être pas, ils n'ont affaire qu'à l'être uni au non-être et qui n'est pas l'être vrai. De quelle sorte d'habitude s'agit-il ? Nous savons que la voie de la Déesse se situe « à l'écart des hommes, en dehors du sentier battu » (1 . 27) . L'habitude, au contraire, nous entraîne, si on lui cède, « sur ce chemin battu » (7 . 3, trad. Tannery) . Aussi CL Ramnoux préfère-t-elle, au mot « habitude », le mot « coutume », et traduit-elle, fort judicieuse ment : « Ne cède pas non plus à la force de la coutume en t'engageant sur le chemin de tout le monde » (p. 1 1 1) . La coutume nous fait juger comme tout le monde, voir ce qu'il faut voir, entendre ce qu'il faut entendre, dire ce qui se dit - comme si notre œil était privé de regard propre, notre ouïe privée de la capacité de discerner les n o tes et les mots justes, notre langue asservie à la pensée commune, collective. L'habitude est « très experte », « très habile » , 7tOÀV7te:�pov : le terme est, sans nul doute, usé « in ma/am partem », note Verdenius : « th e word refers to the powers of habit which foster slavish i m i tation » (p. 5 5) .
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L'habitude, ou plutôt la coutume, car il faut songer à l'emprise du nombre, à la pression et à l'endoctrinement éducatifs comme à la pres sion sociale sur l'adulte, exerce sa force sans violence mais d'une manière rusée, insidieuse. Le résultat est une aliénation du jugement personnel au jugement collectif. La voie commune est la voie des « mortels », et l'on a le pluriel, brotoi. La voie de la Déesse, voie de la vérité, est celle du « jeune homme », et l'on a le singulier, kouros. Ce que l'on a, chez Parménide, ce n'est pas la « méfiance à l'égard des sens » - qui ne jugent pas -, mais, comme chez Héraclite, à l'égard du nombre et des jugements tout faits des mortels, qui manient sans précaution et sans critique le langage de l'être, attribuant, notamment, aux don nées sensorielles et au monde des sens une consistance ontologique que les sens eux-mêmes ne réclament pas . Car les sens ne montrent rien de plus que ce qu'ils montrent : des qualités et non pas des « êtres ». « Cela est » n'est pas une donnée sensorielle, mais le produit d'un jugement téméraire. 5-6. xpi'VIXL . . . pY)6Év-rix. Contrairement au v6oc;, qui peut errer (cf. 6 . 6) , le Myoc; ne s'écarte j amais de la vérité. Le fragment 6 a diagnostiqué, chez les mortels, la faille mentale, l 'errance intellectuelle. De quel point de vue ? La Déesse a jugé selon le logos. C'est à la mesure fixée par le Myoc; que le v6oc; a été reconnu « errant ». La Déesse dit maintenant : « J uge par le /ogorn. Cela signifie : « J uge comme moi - par le logos », fais tien mon jugement. Que signifie ËÀsyx_ov ? Argument ? preuve ? réfutation ? En tout état de cause, il ne s'agit pas de ce que la Déesse, au présent, « pro pose » (Riaux) ou « révèle » (Beaufret) , mais - le participe pY)6Év-rix se conjuguant comme un aoriste - de ce qu'elle vient de dire (de « for muler », Cl. Ramnoux ; de « prononcer », Burnet ; d' « énoncer », Cordera, C. Collobert) . Verdenius, qui a mis l'accent sur le sens de l'aoriste, conclut que l' ëÀsyz.oc; peut seulement se référer « to the pas sage immediately preceding » (p . 64) , à savoir, selon nous, aux frag ments 6 et 7.
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Que trouve-t-on dans ces fragments ? S'agit-il de « preuves » ou d'une « preuve » ? Verdenius (ibid.) traduit : « the proof which I have uttered ». Mais , observe Mourelatos , Ë P.. qx_oc, ne peut pas signifier « preuve » : « Strictly speaking, there are no "proofs" before B 8 » (The route, p. 9 1 , n. 46) . Kirk-Raven traduisaient : « the proof that I have spoken » en 1 957 ; tenant compte de la remarque de Mourelatos , Kirk Raven-Schofield traduisent en 1 983 : « the refutation spoken by me ». Cordero - pour qui, dans le Sophiste, 239 b 2, -ràv -rou µ� ov-roc, Ëf...e.yx_ov signifie la « réfutation du non-être » - choisit le terme « réfutation » (p. 1 57) ; de même O 'Brien-Frère, Dumont, C. Collobert, Piclin. Nous traduisons, comme Cordera, 7toÀÛÔ1JpLv Ë"Ae.yx_ov par « réfuta tion polémique », car, dans 7toÀÛÔ1J pLc,, il y a l'idée de « lutte », de « combat » (ô-Yjpic,) : il y a une force à opposer à la force de l'habitude. Cette force est celle de la raison, et « juge par la raison la réfutation que j 'ai énoncée » signifie : « que la raison reconnaisse que l' élenchos que je viens de formuler est, contre la force de l'habitude, fort de toute la force de la raison » .
F RA G M E N T 8
1 -5 1 a S IMPL . , Phys., 1 45 . 1 - 1 46 . 24 1 - 1 4 SIMPL . , Phys., 78 . 8-23 1 -3 S IMPL. , Phys., 1 42 . 34-36 1 -2 a SEXT. , Adv. math., VII, 1 1 1 3 b-5 SIMPL . , Phys., 30 . 1 -3 3-4 CLEM . , Strom., V, 1 1 2 (Il, 402 . 8-9 St.) ; Eus . , Pr. Evang., XIII, 1 3 . 39 (citant Clément) 4 SIMPL . , Phys., 1 20 . 23, De Cael., 557 . 1 8 ; PLUT. , A dv. Colot. 1 3, 1 1 1 4 c ; THEOD. , Gr. ajf. cur., Il, 1 08 (65 . 7 Raeder) , IV, 7 (1 02 . 1 2- 1 3 Raeder) ; PHILOP. , Phys., 65 . 7 Vitelli ; PROCL. , in Parm., 1 1 52 . 25 Cousin ; Ps. PLUT . , Strom. 5 (580 . 24 Diels, Dox.) 5-6 A scL. , Meta., 42 . 30-3 1 Hayduck 5 S IMPL. , Phys., 1 43 . 1 3 ; A SCL . , Meta., 38 . 1 7-1 8 ; 202 . 1 6- 1 7 H. ; PROCL. , in Parm., 665 . 26 ; AMMON . , De interp., 1 36 . 24-25 Busse ; ÜLYMP. , in Phaed., XIII, 2 (1 67 . 1 2 Westerink) ; 6 bPHILOP. , Phys., 65 . 9 V. 6 b - 9 a S IMPL . , De cael., 1 37 . 3-6 1 0 SIMPL. , Phys., 1 62 . 1 8-22 21 SIMPL. , De cael., 559 . 1 7 24 DAMASC. , De pr. princ. 276 (Il, 1 46 22 SIMPL . , Phys., 86 . 24 ; 1 43 . 3 . 5 Ruelle) 25 S IMPL. , Phys., 86 . 22 ; 87 . 23 ; PLOT. , Enn., VI, 4, 4 ; PROCL. , in Parm., 665 . 24 ; 708 . 1 3 ; 1 080 . 1 -2 ; DAMASC. , De pr. princ. 60 (1, 1 3 1 . 7 R.) ; PHILOP. , Phys., 65 . 1 1 V. 26-28 S IMPL . , Phys., 39 . 27-40 . 1 ; 79 . 32-80 . 2 26 PROCL. , in Parm., 1 1 52 . 27 29-33 S IMPL . , Phys., 30 . 6- 1 0 29-32 PROCL . , in Parm., 1 1 34 . 22-25 2 9 S IMPL . , 30Phys., 1 43 . 1 5 ; PROCL . , in Parm., 639 . 29-30 ; 1 1 52 . 29 ; 1 1 77 . 5 33 SIMPL . , Phys., 40 . 3-6 30 PROCL. , in Parm., 1 1 52 . 31 3436 a SIMPL. , Phys., 87 . 1 4- 1 6 ; 1 43 . 22-25 35-36 a PROCL. , in Parm., 38 PLAT . , 1 1 52 . 35-36 36 b-38 SIMPL. , Phys., 86 . 3 1 -87 . 1 Theaet., 1 80 e ; S IMPL. , Phys., 29 . 1 8 ; 1 43 . 1 0 ; Eu s . , Pr. Evang., XIV, 4 . 6 ; THEOD. , Gr. ajf. cur., Il, 1 5 (40 . 1 5 R.) 43-45 PLAT. , Soph., 244 e ; S IMPL. , Phys., 52 . 26-28 ; 89 . 22-24 (citant Platon) ; Ps. ARIST . , De Mel., 976 a 8- 1 0 ; PROCL. , Theo/. plat., III, 20 (70 . 6- 1 0 Saffrey-Westerink) ; STO-
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BÉE, Ecl., 1, 1 4, 2 (1, 1 44 . 1 2- 1 4 Wachsmuth) 43-44 Ps. ARIST . , De Mel., 978 b 8- 1 0 ; SIMPL. , Phys., 1 26 . 22-23 ; 1 37 . 1 6- 1 7 ; PROCL. , in Parm., 1 084 . 28-29 ; 1 1 29 . 3 1 -32 ; in Tim., Il, 69 . 20-21 Diehl 43 S IMPL . , Phys., 52 . 23 ; 1 27 . 31 ; 1 43 . 6 ; 1 46 . 30 ; BüETH. , Consol., III, 1 2, 99 44 ARIST. , Phys., III, 6, 207 a 1 7 ; SIMPL. , Phys., 1 07 . 26 ; 1 33 . 27 ; 502 . 6-7 ; PROCL. , in Parm., 708 . 20 ; ASCL. , Meta., 202 . 1 8 H. ; PHILOP. , Phys., 475 . 350-51 a S IMPL . , Phys., 4 V. 44 b-45 PROCL. , in Parm., 665 . 28-29 30 . 1 7-1 8 ; 38 . 31 -32 ; 41 . 8-9 ; De cael., 558 . 5-6.
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µ6voç S'en µü6oç àSo'Lo Àd7te:TIXL wç fonv· -rixÛ-r7J S' È7tL cr�µix-r'ËotcrL 7toÀM µaÀ' , wç à:yÉv'Y)-rov èàv xott à:vwÀe:6p6v fo-rLv oÙÀov µouvoye:vÉç -re: xotl à:-rpe:µèç �S' à:-rÉÀe:cr-rov· oÙSÉ 7to-r' �v oùS'fo-rotL, È7tEL vüv Ècr-rLV o µoü 7ta_v, Ëv, cruve:xÉç -rlvix yàp yÉvvotv SL��cre:otL otÙ-roü ; 'TI 7t66e:v otÙf;'Y) 6Év ; oih' Èx µ� t6v-roç Mcrw cp&cr6otL cr' oùSè voe:"Lv· où yàp cpot-ràv oùSè VO'YJTOV EcrTLV 07tWÇ oùx fon. TL S' &v µLv XIXL xpfoç c':ipcre:v 6cr-re:pov � 7tp6cr6e:v, -roü µ'Y)Se:vàç &pE;&µe:vov, cpüv ; 06-rwç � 7taµ7totv 7tÉÀe:votL xpi:: w v fonv � oùxL oùSÉ 7to-r' Èx -roü è6v-roç Ècp�cre:L 7tlcr-rwç 1crxùç ylyve:cr6otl n 7totp' otù-r6· -roü e:rve:xe:v 06-re: ye:vfo6otL oih' oÀÀucr6m à:vijxe: lilx'Y] XotÀ&crotcrot 7tÉS7JcrLv, &:n'ëxe:r � Sè xplmç 7te:pt -roû-rwv Èv -r�S' fonv Ëcrnv � oùx Ëcr-rLv· xÉxpLTIXL S' oi:iv, wcr7te:p à:v&yx'Y), �v µèv tav à:v6'Y)-rov, à:vwvuµov ( où yàp à:À'YJ6�ç fonv oabç), T�V S' wcr-re: 7tÉÀe:LV XIXL h�-ruµov e:IvotL. 7tWÇ S' &v Ë7te:L-rot 7tÉÀoL -rà è6v ; 7tWÇ S' &v xe: yÉvo L-ro ; d yàp Ëye:v-r' oùx fo-r'oùS'e:l 7t0TE: µÉÀÀe:L foe:cr6otL. TWÇ yÉve:crLÇ µèv &:7tfo�e:O"TIXL XIXL &7tucr-roç oÀe:6poç, oùSè SLotLpe:-r6v fonv, È7tEL 7tav fonv o µo'fov· oùSÉ TL 'TI µaÀÀov, -r6 xe:v e:rpyoL µLv cruvÉxe:cr6otL, oùSÉ TL xe:Lp6-re:pov, 7tav S'˵7tÀe:6v ÈcrTLV t6v-roç . -r � E;uve:xèç 7tav Ècr-rLv· è à v yàp è6vn 7te:Àa�e:L. ixù-ràp à:xlv'Y)-rov µe:yaÀwv Èv 7tdpixcrL Se:crµwv fonv &votpxov, &7totucr-rov, È7td yÉve:crLç xixt oÀe:6poç -r'ij'Àe: µaÀ'è7tMYXe'YJcrotv, hwcre: Sè 7tlcr-rLç à:À'YJe�ç. TIXÙ-r6v -r' Èv TIXÙT� TE µÉvov xot6' Éotu-r6 TE XE:LTIXL
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS xou•wç ˵.m:Ôov odi! h µ.ÉveL· x.pcx•ep� yàp 'AvcX.yx.11 7tdpcx't"OÇ Èv Ôecrµ.ofoLV ËXEL, .6 µ.LV &.µ.c:ptç ÈÉpyeL, oüvex.ev oùx. heÀEU'l"1J'l"OV •à làv 8ɵ.Lç eivcxL· fon yàp oùx. ÈmÔeuÉç· làv ô' &v 7tcxv•àç ÈÔÛ•o, 't"CXÙTàv ô'fo,t voe'Lv TE x.cxt o5vex.ev fon v611µ.cx· où yàp &veu •ou È6v•oç, Èv é!> 7tec:pcxncrµ.Évov fo•lv, eupÎ)crELÇ 't"à voeî:v· oÙÔÈ xp6voç Ècr't"LV � Ëcr't"CXL otÀÀO mxpef; 'l"OU l6v't"OÇ, È7td .6 ye Mo'Lp'È7tÉ01JŒEV oi5Àov &.x.lv11•6v 'l"'˵.evm· •0 7tcX.v'l"'ovoµ.'fo•m Ocrcrcx �pO't"OL X.CX't"É8EV'l"O, 7tE7tot86't"EÇ etVCXL à.À1J8YJ, ylyvecr8cxL 'l"E X.CXL OÀÀucr8cxL, etVCXL 'l"E X.CXL OÙXL. x.cxt 't"67tOV àÀÀfocrELV OLcX. 'l"E xp6cx c:pcxvàv &.µ.d�ELV. CXÙ't"àp È7td 7tELpcxç 7tUµ.CX'l"OV, 'l"E'l"EÀEcrµ.Évov fo.t 7tcf.V't"08EV, EÙX.UX.ÀOU crc:pcxlp1JÇ ÈvcxÀlyx.wv oyx.<p, µ.ecrcr68ev 1cro7tcxÀÈç 7tcX.v"YI· •à yàp OU'l"E TL µ.eU:ov OU'l"E 'l"L �cxt6't"epov 7tÉÀEVCXL xpe6v fon •Yi � -Yi · OU'l"E yàp oùx. làv fon, •6 x.ev 7tCXUOL µ.Lv lx.vefo8cxL e:lç 0 µ6v. oÜT'Èàv ËcrTLV 07twç e:Lîj xe:v ÈÔvToç •Yi µ.iiÀÀov •Yi ô'�crcrov. È7td 7tiiv ÈŒ'l"LV &cruÀoV' ol yàp 7tcX.v.o8ev foov, ôµ.wç Èv 7tdpcxcrL x.upet. Èv •0 crOL 7tcxuw mcr•àv Myov �ÔÈ v611µ.cx &.µ.c:ptç &.À1J8d1Jç.
1 µu!loç Simpl. : !luµàç Sext. 4 oÙÀov µouvoyEvÉç Simpl. Clem. Philop. Theod. IV, 7 ace. Karsten Diels Tarin Cordero Coxon Heitsch : µoüvov µouvoyEvÉç Ps. Plut. Theod. II, 1 08 : fon yiXp oÙÀoµEÀÉç Plut. ace. Kranz ( Vors., I, p. 235) Bur net (p. 20 1 , n. 4) Kirk-Raven Untersteiner Reale : oÙÀoµEÀÉç Procl. �ll'ihÉÀEcr -rov Simpl. Phys., 30, 78, 1 45 : �ll'&:yÉv>J-rov Simpl. Phys., 1 20 De cael. Clem. Theod. Eus. Plut. Ps. Plut. Philop. Procl. : oùll' ihÉÀEcr-rov corr. Brandis (1 8 1 3) ace. Kranz (1 9 1 6) : �llè: TEÀEcr-r6v corr. Covotti (1 908 ; c f. Karsten, p. 89) ace. Tarin Cordero : �ll'&:-rciÀotv-rov corr. Preller (1 838) ace. Schofield (1 970, p. 1 1 5, n. 1 6) [Prel ler renvoie à Empédocle B 1 7 . 1 9] : �llè: -rÉÀELOV Owen (1 960 ; c f. Allen-Furley II, p. 76-77) ace. Mourelatos (p. 281 ; c f. p . 96, n. 6) Kirk-Rav.-Sch. 5-6 oùllÉ . . . crUVEXÉÇ Simpl. : o ù yiXp Ë>]v, oùx ÉcrTIXL oµoü 7tiiv, ÉcrTL ll è: µoüvov oÙÀocpuÉç Ase!. ace. Untersteiner 12 è:x -roü è:6v-roç corr. Karsten ace. Mullach Reinhardt Tarin Pasquinelli (p. 402, n. 44) Kahn (1 968, p. 7 1 7, n. 22) Stokes (p. 1 3 1) Bormann West (p. 231) Gallop O'Brien-Frère Reale : è:x µ� è:6v-roç ( ov-roç) libri Diels DK Untersteiner Kirk-Rav. -Sch. Coxon Cordero, etc. : è:x Il� è:6v-roç Holscher : è:x YE 7tÉÀov-roç Stein : è:x rrfl è6v-roç Heidegger (cf. Beaufret, p. 83, n. 2) Collobert
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1 5 fo·nv Diels : fo·n Sim pl. D : ËvEcrTL EF : ÈcrTÎv Karsten 1 9 ËrmT<X 7tÉÀo L TO f.6v Simpl. DEW Karsten Mullach Diels Tanin Mansfeld Cordero O'Brien-Frère Collo bert : ËnELT' &7t6ÀOLTO 7tÉÀov Stein : ËnELT'&7t6ÀoLTO f.6v Kranz (in DK) Hi:ilscher Caser tano Reale (mais c f. Karsten, p. 94) : ËnELT<X 7tÉÀoLTo f.6v Simpl. F Coxon 20 d yàp ËyEvT' Simpl. ms Venet. Marc. Cl. IV, 1 5 Preller ( 1 837 ; cf. Cordero, Études, II, p. 2 1 ) Bergk Diels : d yàp ÈyÉvET' Sim pl. EF : d yàp ËyET' Sim pl. D : er YE yÉvOLT' Ald. Karsten 21 &7tucrToç Simpl. Phys. F (&7tTucrToç DE) De cael. A Diels edd. : &7t<XUO"Toç Simpl. De cael. DE : &mcrToç Simpl. Ald. Karsten 28 TîjÀE Simpl. EW Karsten (cf. p. 98) Diels : TîjOE Simpl. DF 29 T<XÙT6v T'Èv Simpl. Phys. 1 46 ; 30 E' Diels : T<XÙTov ôv Èv Simpl. Phys. 1 43 : T<XUT6v TE ôv Èv Simpl. Phys. 30 DF Ald. : T<XUT6v TE ôv X<Xl Èv Simpl. Phys. 30 E : T<XÙTOV o'f.v Procl. : TWÙTOV o'Èv TWÙTé;i Karsten : TWÙT6v T'Èv TWÙTé;i Coxon µÉvov Simpl. : µlµvEL Procl. 1 1 34, 1 1 77 33 ÈmowÉç Sim pl. Phys. 30 et 40 E'F ; 1 46 EF Diels : ÈmÔEÉç Sim pl. Phys. 30 et 40 DE ; 1 46 D Hi:ilscher Coxon µ� Èov (vel µ� ôv) libri Karsten Stein (post lacunam) Untersteiner Hi:ilscher Coxon : (µ�] del. Bergk Diels 35 Èv c";i 7tE<p<XTLcrµÉvov Simpl. Phys. 87 F : 1 43 EF ; 1 46 DEF : Simpl. : Ècp'c";i Procl. 7tE<pwncrµÉvov Phys. 87 DE ; 1 43 D 36 oùôè: xp6voç Coxon : o ù o 'd xp6voç Sim p l . Phys. 1 46 : oùôè:v y à p Phys. 86 (Simpl. paraphr.) : oùo'�v y à p Bergk (KI. philo/. Schr. , II, p. 8 1 ) Heidegger (cf. Beaufret, p. 87, n. 1 ) Valentin (p. 1 60, n. 4) 38 oi:iÀov Simpl. Phys. 1 46 ; 87 EF : ilÀov Phys. 87 D : ofov ( « seul » ) Anony. in Theaet. col. 70 . 41 : oiov ( « comme » ) Phys. 29 ; 1 43 Plat. Eus. Theod. T'˵Ev<XL Simpl. Phys. 1 46 Ald. : T'éµµEv<XL Phys. 87 ; 1 46 EF (T'˵µEvE D) : TEÀÉBEL Phys. 29 ; 1 43 Plat. Eus. Theod. : TE BÉÀEL Anony. 7t<XVT ovoµ EO"T<XL Simpl. Phys. 87 Ald. (mxvT' ovoµ<X ËcrT<XL F) : mxvT' ov6µ<XO"T<XL Phys. 87 E : 7tOCVT' wv6µ<XO"T<XL Phys. 1 46 DEF : 7tocvT'ovoµ<X dv<XL Phys. 29 DEF ; 1 43 E Plat. Eus. Theod. Karsten (ÈcrTÎv Stein) 40 oùzl libri : oùx( Karsten Stein Coxon 43 7tocvToBEv : µEcrcr6BEv Simpl. Phys. 1 27 EF (µEcroBEv D) 45 X P E6v Plat. BT Simpl. Phys. 1 46 E Procl. in Parm. Diels : X P EWV Plat. YW ( Simpl. Phys. 52 ; 89 ) Phys. 1 46 DF Procl. Theo/. Karsten Coxon Heitsch 46 oùx È6v Simpl. Phys. 1 46 Ald. : oihE Èov 1 46 D : oÜTE ov 1 46 EF 7t<XUOL Sim pl. Phys. 1 46 DEF : 7t<XU1J 1 46 Ald. : 7t<XU7J Karsten 47 oih'f.ov Karsten : OUTE av libri XEV Karsten (p. 1 1 1 ) : x<Xt �V Phys. 1 46 DEF : xEvov 1 46 Ald. 49 o! Diels : o[ Simpl. 1 46 DEF : � 1 46 Ald. Karsten xupEL Stein : xupEL Sim pl. Phys. 1 46 EF Ald. : xupoi: 1 46 D 50 7t<XUW Sim pl. Phys. 30 ; 1 46 ; 38 Ald. ; 41 F Ald. : 7t<Xucrw Phys. 38 DEE'F ; 41 DEE' De cael. 558. =
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De voie pour la parole, Ne reste que il y a. Sur cette voie, les signes sont nombreux : qu'étant inengendré, il est aussi impérissable, entier, unique, inébranlable et sans terme. Ni il n 'était une fois, ni il ne sera, puisqu'il est maintenant, tout entier ensemble, un, continu. Quelle naissance, en effet, lui rechercherais-tu ? Comment, d'où se serait-il accru ? Du non-être ? Je ne te laisserai ni le dire ni le penser; car ceci n 'est ni dicible ni pensable : il n'y a pas .
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Quelle nécessité, d'ailleurs, l'eûtfait venir aujour ou plus tôt ou plus tard, partant du rien ? Aussi faut-il qu 'il soit ou tout à fait ou pas du tout. Jamais non plus la force de la conviction n 'admettra que, de l'être, puisse naître quelque chose à côté de lui. C'est pourquoi Justice, n '�ant point relâché ses liens, n'a permis ni de naître ni de périr, mais elle maintient. La décision, à l'égard de tout cela, porte sur: il y a ou il n 'y a pas. Or dijà a été décidé, comme c'est nécessaire, de laisser de côté l'une des voies, impensable, innommable (car ce n 'est pas une vraie voie), en sorte que c'est l'autre qui subsiste et qui est authentique. Comment pou"ait-il être par la suite, l'être ? Et comment seraitil venu à être ? Car, s'il est venu à être, il n 'est pas ; il n 'est pas non plus s'il doit être un jour. Ainsi est éteinte la genèse, et, de destruction, on ne doit pas entendre parler. Il n'est pas non plus divisible, puisque tout entier pareil Et aucun plus ne peut se trouver ici, ni là aucun moins, qui l'empê cherait de se tenir uni, mais, tout entier, il est plein d'être. Aussi est-il tout entier continu, car être touche à être. Immobile aussi dans les limites de liens puissants, il est sans commencement nifin, puisque genèse et destruction ont été bannies au loin et que la conviction vraie les a chassées. Restant le même et dans le même état, il repose en lui-même, et reste ainsi fermement ici même fixé. Car la puissante Nécessité le tient dans les liens d'une limite qui tout autour l'enclôt, puisqu'il n 'est pas permis que l'être soit non achevé. Car il est sans manque ; alors que, manquant, il manquerait de tout. C'est le même penser et la pensée qu'il y a. Car, sans l'être dans lequel il est devenu parole, tu ne trouverais pas le penser. Et le Temps n 'est ni ne sera une autre chose en plus de l'être, puisque, celui-ci, le Destin l'a enchatné de manière qu 'il soit entier et immobile. C'est pourquoi sera nom tout ce que les mortels ont posé, crqyant que c'était vrai: naître et mourir, être et ne pas être, changer de lieu et changer de couleur. De plus, puisqu'ily a une limite extrême, il est partout achevé, semblable au corps d'une sphère bien ronde, du milieu en tout sens pareil. Car il est nécessaire qu'il n'ait ni quelque degré <d'être > en plus, ni quelque degré <d'être > en moins, ici ou là. Il n'y a pas, en effet,
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de non-être qui l'empêcherait d'arriver à l'égalité à soi-même, ni il n'y a d'être tel qu 'ily aurait plus d'être ici, moins là, puisqu ' il est tout entier inviolable. Car, étant partout égal à soi, il se trouve pareillement dans ses limites. Ici, je mets fin au discours digne de foi que je t'adresse et à la pensée qui cerne la Vérité.
1 -2. Dans le Timée (22 c) . Platon parle du µutloc; de Phaéton, fils d'Hélios, comme d'une « légende » à laquelle il oppose la « vérité » ('ro &:J.."Y) ElÉc;) . Dans le poème de Parménide, au contraire, µutloc; est employé pour désigner la parole même de la Vérité, celle de la Déesse (cf. 2 . 1 ) . E t i l faut entendre par « parole d e l a Vérité » ou « parole d e vérité », celle qui dit le vrai, et, par « vrai », ce qui ne cesse j amais d'être tel, qui est donc éternel. « Il ne reste plus qu'une seule parole, celle de la voie <disant> : il y a ». Est-ce à dire que le ily a sera, désormais, le seul objet du discours ? Mais la Déesse va bientôt (v. 5 1 s.) exposer les « opinions des mortels ». Il y aura un discours cosmologique. Mais ce discours n'aura que la semblance du vrai, car, lorsque son obj et, le monde, aura disparu, sa vérité aus si se sera évanouie. La voie du il n'y a pas a été écartée. Des deux voies, il n'en reste qu'une : il y a. Et, disant « il y a », on dit ce qui ne passe point, ne vieillit point, car il y aura toujours la Présence. 2-4. TIXÛT"Y) . . . ihÉÀEO"TO'V. Selon Dumont, les sèmata sont les « repères » sur le chemin ; enten dons qu'ils constituent la signalisation permettant de ne pas s 'écarter de la voie, ou, en d'autres termes, permettant à la pensée de ne pas dériver vers la non-pensée. Pour Zafiropulo, les sèmata sont des « indices » ; mais ils sont plus que cela, car un simple « indice » n'est pas, par lui-même, un signe suffisant. Tannery traduit cr�µix-rix par « preuves ». Mais, outre que cr-Yjµix ne semble pas encore avoir le sens de « preuve » au temps de Parménide, ni être l'équivalent de cr"Y)µÛov, des « signes » comme « inengendré », « impérissable », « indivi sible », etc., sont-ils des « preuves » ? Nullement : ils sont, au contraire, ce qui est prouvé, ce qui ressort dès lors que l'on pense l'être, le ily a et, corrélativement, l'impensabilité du il n'y a pas. Cordera (p. 1 85)
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traduit, indifféremment, par « témoignages » ou par « preuves ». Mais, comme un témoignage n'est pas nécessairement probant, le mot « preuve », pourrait-on penser, ne doit sans doute pas être entendu ici au sens de « preuve démonstrative » mais de « signe » : dès lors, autant traduire par « signes ». Cordera, toutefois, ne l'entend pas ainsi : les cr�µ1x:rix sont bien pour lui des « preuves ». Il tombe alors sous la même critique que Tannery. « Signes », ou « preuves », de quoi ? De l' « être vrai » (Tou xuplwc; OVToc;) selon Simplicius (Phys., 78 . 1 1) ; de la thèse wc; ËcrTLV (de son bien fondé) selon Cordera : les sèmata « sont, dit-il, des indices comme quoi, réellement, ily a de l'être » (p . 1 86) . Signes du ily a ? ou signes qu'ily a ? Mais lorsque Cordera écrit : « Le fait d'être n'a pas de commencement ni de fin temporels, car toute limitation dans le temps reviendrait à recon naître, avant ou après l'être, l'existence d'une entité différente de l'être, donc, du non-être » (p. 1 87) , établit-il l'idée d'être ou la présuppose-t-il ? Il établit que « le fait d'être » - le fait qu'ily ait - est « inengendré » et « impérissable », car, le non-être n'étant rien, il ne peut rien y avoir d'autre que l'être, donc rien « avant » ni « après ». En cela, il présuppose l'idée d'être comme exclusive du non-être et d'une quelconque réalité du non-être, bref comme ne laissant aucune place au non-être dans la réalité. Ainsi la pensée de l'être, du il y a, commande l'analyse et la déduction des signes bien loin de se déduire de ceux-ci. Les sèmata ne sont pas des « preuves » qu'ily a : cela n'a pas à être prouvé et ne saurait l'être, car il s 'agit d'une évidence fondatrice. Les cr�µixTix sont bien les signes distinctifs de l'être, du ily a, par dif férence avec l'étant, avec ce qu'il y a. Car les étants connaissent la généra tion et la destruction, la divisibilité, la discontinuité, la mobilité, etc., alors qu'au fait même d'être sont attachés les signes contraires . Ces signes, toutefois, n'établissent pas qu'ily a : au contraire, ils présuppo sent l'entente de l'être. D 'un autre côté, ils ne laissent pas aux étants leur étance, mais, en les dissociant du fait d'être, lequel n'appartient d'une manière nécessaire à aucun, ils en font des non-étants . &yévY)TOv xixl &vwÀe6pov : : « inengendré et impérissable ». Ce couple n'a rien que de classique dans la philosophie antésocratique. Selon Diogène Laërce, Xénophane aurait été « le premier à dire que tout ce
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qui e s t engendré e s t corruptible » (IX, 1 9) . Mais c'est là, déjà, la conviction des Milésiens, de sorte qu'au contraire ce qui est « inengen dré », ainsi l' apeiron (l' « infini ») pour Anaximandre, leur semble « impérissable » (le terme &:vwÀe8pov est anaximandrien 1 ) . L' apeiron, chez Anaximandre, est l' « origine » (&:px�) des choses, et toute chose ou est l'origine ou vient de l'origine. Pas de place, donc, chez le Milé sien, pour quelque chose comme l'éon, lequel, en effet, n'est ni origine ou principe (comment l'être « fonderait »-il ou engendrerait-il le non être ?) , ni ne vient de l'origine. Parménide a vu un aspect des choses qui, de par sa simplicité et son immédiateté mêmes, avait, jusque-là, échappé aux penseurs. Quelle est, au regard des êtres divins, la signification de ce couple ? Les dieux de la religion populaire sont nés un jour et ne meurent pas : ce sont les « Immortels » ( o[ A.Mvix-roi) . Mais ce qui est né est péris sable. Les « dieux » ne sont donc que des créations humaines. Il n'y a rien de tel dans la réalité. Comme le couple du vers 3, le mot oÙÀov, au vers 4, porte la marque de Xénophane, qui, parlant, selon Sextus (Adv. math., IX, 1 44) , du dieu (-ro 8ei'ov) , nous dit : « Tout entier (oÙÀoç) il voit, tout entier il pense, tout entier il entend » (2 1 B 24) . Que signifie, pour l'être, ce caractère d' « entièreté », de complétude ? Quelque chose comme ce que l'on nomme, en chimie et dans d'autres domaines, la « saturation » . « Saturé » : qui ne peut recevoir davantage. A l'être, on ne peut rien ajouter : quand on a dit « être », on a tout dit. oÙÀov µouvoyevÉç est la leçon de Simplicius, le meilleur témoin (P1!Js., 30 . 2 ; 7 8 . 1 3 ; 1 45 . 4) . Burnet (p. 201 , n. 4) , Kranz ( Vors. , I, p. 235) , Untersteiner (p. XXVIII) rej ettent, toutefois, µouvoyevÉç, comme signi fiant, étymologiquement, « engendré seul », alors que, nous le savons, l'être est « inengendré » : « gegen µouvoyevÉç spricht &:yÉv'Y)-rov im vor. Verse » (Kranz, I. e.) . Burnet, Kranz, Untersteiner retiennent la leçon de Plutarque : fo-ri yiXp oÙÀoµEÀÉç, « car il est complet ». Mais yiXp est i mpos sible et oÙÀoµeÀÉç, difficile. 1 ) L'être est « inengendré et i mpé ri s s a b l e car
1 . Cf. notre Anaximandre, Paris, PUF, 1 9 9 1 , p. 58, 62, 82, 84.
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il est complet » : les sèmata &:yÉvrrro v et &:vwÀe:6 pov seraient déduits de oÙÀoµe:ÀÉc;. Mais, dans la démonstration de ces signes (8 . 5-8 . 2 1 ) , on ne voit rien de tel (cf. Tarin, p. 89-90) . Comme l'observe S. Tugwell, « yiX.p makes good sense in Plutarch, but nonsense in Parmenides » ( Class. Quart., 1 964, p. 38, n. 1 ) . fo·n yèlp doit être laissé au citateur, Plutarque 1 • 2) oÙÀoµe:À�c; (oi'JÀoc;, µÉÀoc;} signifie : « qui a tous ses membres entiers, intacts » ; mais l'être n'a pas de « membres », car, en lui, aucune division (cf. 8 . 22) ne peut se penser. La leçon de Simplicius doit être préférée. Le L.S .J . (s.v. µouvo ye:v�c;, 2) retient la signification « unique », qu'il appuie sur Timée, 3 1 b, où le Ciel ( oùpotvôc;) est dit µovoye:v�c;, « seul de son espèce » (Rivaud) , « seul en son genre » (Robin) . J . Wilson obj ecte que, µovo ye:v�c; supposé traduit par « unique », cela ne supprime pas la diffi culté pour Parménide : « In Timaeus, Plata is talking of the world of yÉve:mc;, so that, however we interpret µovoye:v�c;, the suffix -ye:v"Y)c; does not contradict the underlying thought. But at 8 . 4 Parmenides is talking about a reality which is specifically &:yÉv"Y)-rov (8 . 3) , so that, however we interpret µovoye:v�c;, the suffix -ye:v"Y)c; must clash with his basic argument » (Class. Quart., 1 970, p. 33) . Mais n'oublions pas que la genèse, dans le Timée, a un caractère métaphorique, puisque le cosmos est, en réalité, éternel 2 . L'objection ne semble donc pas déci sive. Dire que l'éon est « seul de son espèce » n'est que l'affirmation de son unicité. Que signifie l'unicité de l'être ? Le fait d'être, le fait qu'il y ait, n'est rien qui puisse se comparer à autre chose. Le blanc peut se com parer au noir : ce sont des couleurs ; l'homme peut se comparer à l'ani mal : ce sont des vivants ; la lune peut se comparer à la fourmi : ce sont des êtres ; mais l'être lui-même ne peut se comparer à rien. Ce que cela signifie, « être », cela s 'entend sans médiation : il le faut car aucune signification ne pourrait nous y conduire. 1 . Ainsi font B. Einarson et Ph. H. De Lacy dans leur édition de l'Adversus Colotem (Plutarch 's Moralia, XIV, LCL, 1 967) . 2. Selon l'interprétation que l'ancienne Académie donnait du yéyovev de 28 b. Cf. A . J . Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, II : Le Dieu cosmique, rééd. Les Belles Lettres, 1 983, p. 1 04, n. 3.
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hpEµÉç : « qui ne tremble pas » - comme on tremble de peur, de froid, etc. Ce mot signifie la quiétude de l'être, le repos sans déclin de ce que les vicissitudes de la vie du monde n'atteignent pas. Les étants paraissent/disparaissent, et, au long de la vie, ils sont en agitation et tremblement perpétuels, mais, qu'il y ait ceci ou cela, que tel événe ment ait lieu ou tel autre, cela n'importe pas au ily a. A l'inquiétude des étants s 'oppose le calme du ily a. �ô' &-rÉÀEcr-rov, « et sans terme » . Certains interprètes, prenant &-rÉÀEcr-rov a u sens d ' « inachevé », y ont vu un désaccord avec le oùx. &-rEÀEUTYJ-rov, « non inachevé », de 8 . 32, et le TETEÀEcrµévov, « achevé », de 8 . 42, et ont donc voulu corriger �ô'héÀEcr-rov. Brandis (1 8 1 3, Comm. Eleat., I, p. 1 09- 1 1 0) a proposé de lire oùô' &-rÉÀEcr-rov, mais, outre que la correction « ne peut entrer dans le vers » (Riaux, p. 7 5) , on ne s 'explique pas comment un oùô', sup posé original, a pu devenir un �ô'. La suggestion de Karsten (p. 89) , qu'il n'avait pas retenue, �ôè: -rEÀEcr-r6v, « et achevé », après que A. Covotti l'eut adoptée (Riv. fi/of. e istru z. class., 1 908, p. 427) , a eu les faveurs de Tarin et de Cordera. G. E. L. Owen a proposé �ôè: -rÉÀEwv, « et parfait » ( Class. Quart., 1 960, p. 1 02) , correction adoptée par Mourelatos et Kirk-Rav.-Sch., mais sans nécessité. Ces corrections sont, en effet, inutiles, si l'on entend par &-rÉÀEcr-rov non pas « inachevé » mais « sans terme ». Encore convient-il de ne pas introduire ici, avec Untersteiner (« priva di fine temporale », p. 1 45) , arbitrairement, une nuance temporelle, ce qui pourrait impliquer que l'être dure indéfiniment dans le temps, alors qu'il ressort de 8 . 5 qu'il n'est aucunement dans le temps . Que faut-il entendre ici par « terme » ( -rÉÀoç) ? Le « terme » signifie qu'un étant est au « bout » : pour lui, c'est « terminé ». On parle du -rÉÀoç -rou �lou, de la « fin de la vie » : la mort. Les étants sont des.fin is : pour eux, il y a un terme. Mais au-delà d'eux, la vie continue, alors que l'être, étant sans terme, est sans au-delà. Il n'y a pas de bord où il cesserait : il est tout, et, en ce sens, « non i na chevé » (8 . 32) . Résumons : l'être e s t inengendré e t impérissable, a u contraire des étants, engendrés et périssables : il est entier : les ét a n ts sont divisibles ; il est unique : les étants sont multiples ; il est en repos : les étants sont
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dans le non-repos ; il est sans terme, donc sans extérieur : les étants ont un terme, donc un extérieur. Les signes de l'être le désignent par dif férence avec l'étant et les étants. Or, les étants sont dans le temps. Qu'en est-il de l'être ? La question est posée. On peut s'attendre à ce que l'être ne soit pas sous la loi du temps ; et c'est, en effet, ce que nous enseigne, immédiatement, le vers 8 . 5. 5-6. oÙÔÉ 7tO'r'�v . (JUVEX.ÉC,. oÙÔÉ 7tO't"E signifie « jamais » (cf. les traductions de Beaufret, Battis tini, Dumont, C. Collobert : « J amais il n'était ni ne sera . . . ») , mais « j amais » peut être pris en un sens affirmatif : « en un temps quelconque, une fois, un j our » ( « si j amais vous le rencontrez » ) , ou négatif ( « j e ne l'ai j amais vu » ) . Toutefois, cela ne fait pas de différence : si, en un temps quelconque du passé, on ne peut dire que l'être « était », ni, en un temps quelconque de l' avenir, qu'il « sera », cela signifie que « j amais » il n'était et « j amais » ne sera. Ce qu'entend Parménide, c'est donc bien : « (Il) n'a pas été, (Il) ne sera pas » (Cl. Ramnoux) . Imaginons que l'on dise du soleil : « Il n'était pas, il ne sera pas, puisqu'il est maintenant. » Cela étonnerait grandement, paraîtrait même absurde. Voici le soleil qui se lève : en quoi cela exclut-il qu'il se soit levé hier et doive se lever demain ? Or, l'être ni n'était dans le passé ni ne sera dans l'avenir, puisqu"il est maintenant. Cela creuse un abîme entre l'être et l'étant ; cela montre que l'être ne peut aucune ment être compris à partir de l'étant. Je fais une promenade. Je puis dire, de temps en temps : « mainte nant, je marche » ; mais c'est, chaque fois, un autre maintenant. La promenade est faite de passé, de présent et d'avenir ; et il en va ainsi pour tous les étants . Il y a, pour cette maison, ce qu'elle est, ce qu'elle a été et ce qu'elle deviendra. Mais ce que je puis dire des étants, je ne puis le dire de l'être. Le fait d'être a été pour ce qui a été, par exemple, pour une maison maintenant détruite, mais non pour le fait même d'être - le fait qu'ily ait. Un étant a été d'une certaine façon, qui n'est plus maintenant la sienne, ou a été et maintenant n'est plus . Mais l'être ne peut avoir été ou ne pas être encore, car ce qui a été ou n'est pas encore, n'est pas . Le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore. Parler . .
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de l'être au passé ou au futur serait parler de l'être comme n'étant pas, du ily a comme d'un il ny a pas. « Maintenant, il pleut. » Le temps change : « maintenant, il fait beau ». Qu'est devenu le « maintenant » de la pluie ? Qu'est-ce qu'un « maintenant » au passé, un maintenant qui n'est plus là maintenant ? Il n'y a, on le voit, qu'un seul maintenant à la fois . Mais les maintenant(s) qui ont été ou seront ne sont pas. Le maintenant est donc unique. Mais, dira-t-on, le maintenant de maintenant n'est pas le maintenant de tout à l'heure. Le maintenant est multiple. L'un vient après l'autre. Toutefois, à chaque moment, il n'y a que le moment qu'il y a. Sans la pensée du passé et la pensée de l'avenir, les autres moments ne viendraient pas hanter le moment présent. Ils ne sont qu'en pensée, donc irréellement. Le mainte nant réel, c'est-à-dire indépendant de la pensée, autrement dit pensé par la pensée comme indépendant d'elle, est donc unique. Le temps, comme suite des maintenant(s) , est une vue de l'esprit. « Il y a » : cela ne peut se dire qu'au présent, car dire « il y avait », « il y aura », c'est dire : « il n'y a pas ». « Il y a » : quoi donc ? ce qu'il y a, qui bientôt sera autre ou ne sera plus . Maintenant, il y a ceci ; et puis, il y aura cela : un maintenant, un autre maintenant, parce que ce qu'il y a est autre ou est un autre. La pluralité des maintenant(s) procède de la plura lité des étants, ou des aspects ou variations de l'étant. Tout (panta) passe ; mais l'être ne passe pas : le maintenant de l'être est unique ; la plu ralité des maintenant(s) n'existe qu'en pensée - par la pensée des étants considérés dans leur devenir, leur diversité, leurs variations. « Ni il n'était une fois, ni il ne sera, puisqu'il est maintenant » : ce « maintenant » est-il temporel ? Évidemment non, puisque le temps est une vue de l'esprit. É ternellement ily a dans un maintenant éternel. L'Ouvert de la Présence n'a pas eu de commencement, n'aura pas de fin. Ce qui est présent change sans cesse, mais le fait même de la Pré sence ne connaît aucune variation. Selon C. Collobert, comme il y a , toutefois, une permanence de la Présence, si l'être n'est pas temporel, puisque n'existe pour lui ni avant ni après, il n'est pas pour autant sans durée. L'être dure, et le maintenant est la « marque » de ce « caractère » de l'être, de durer (p. 1 92) . Lisant Plutarque (De E delphico, c. 1 9-20) , Montaigne parle -
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d'un être « realement estant », duquel on ne peut dire : « Il a esté, ou : Il sera », « sans commencement et sans fin », et qui, « par un seul main tenant emplit le touj ours » (II , XII, p. 603, Villey) . Tel est, selon C. Collobert, le maintenant parménidien ; l'être, dans « ce moment éternel qu'est le maintenant », dure touj ours : « le toujours est la marque d'une durée éternelle » (p. 1 92) . L'interprétation de C . Collobert semble juste. Ê tre il y a, « mainte nant ». Qu'en est-il de ce « maintenant » ? Il ne peut se réduire à un ins tant sans durée. Mais ce n'est pas une durée temporelle, impliquant la succession d'un avant et d'un après, !'advenue des moments l'un après l'autre. C'est une durée sans succession. Ainsi, selon saint Thomas, la durée de Dieu ; car « l'éternité est une espèce de durée » (aeternitas dura tionel quamdam significat), mais sans succession : « l'éternité elle-même n'offre pas de succession » (ipsa aeternitas successione caret) 1 • A. Arnauld, dans ses Oijections aux Méditations métapl!Jsiques de Descartes, préfère s 'appuyer sur l'autorité de saint Augustin pour dire la même chos e : la « durée » (duratio) de dieu est « indivisible, permanente et subsistante tout à la fois » (indivisibilis, permanens, tota simul) ; « en Dieu il n'y a point de passé ni de futur, mais un continuel présent » 2 • Du reste, Descartes parle également de la « durée de Dieu » (duratio Dei), fort différente de la nôtre, « pour ce que nous connaissons manifestement de la succession (successio) dans nos pensées, ce que l'on ne peut admettre dans les pen sées de Dieu » : la « durée de Dieu » est « tout à la fois tout entière » (to ta simul), au contraire de la « durée successive » (duratio successiva) 3 • Lequier écrira : « Dieu est immuable. Mais, dites-moi, vous est-il pos sible de vous représenter Dieu comme immobile, sans dire en même temps qu'il persiste dans cette immobilité, c'est-à-dire qu'il dure ? », et cela sans « aucune succession » 4 •
1 . Sum. theol., I, qu. 1 0, art. 1 . Pour saint Thomas, la création même exclut l'idée de succession : << omnis creatio absque successione est 1> (Contr. Gent., II, XIX). 2 . Quatrièmes objections, éd. Adam-Tannery, t. VII, p . 2 1 1 (texte latin) et t. IX, p . 1 64. 3. Lettres à A rnauld du 4 juin et du 29 juillet 1 648. cf. éd. Adam et Milhaud de la Cor respondance de Descartes, t. VIII, p . 47 et 78. 4 . Œuvres complètes, publiées par Jean Grenier, Neuchâtel, É d. de La Baconnière, 1 952, p. 421 .
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Ainsi la notion de « durée sans succession » a été admise par de bons auteurs 1 • Est-elle aussi difficile à penser qu'on a pu le dire ? 2 1 ) D 'une part, lorsqu'on dit « maintenant », on n'entend pas parler d'un instant sans durée, mais d'une certaine durée, certes divisible, mais que l'on pense indivisée, donc ne comportant, pour l'heure, dans notre perception, ni avant ni après, donc aucune succession. Le vuv parménidien ne diffère d'un tel maintenant que parce qu'il est indivi sible en soi, ne s e trouvant plus sur la ligne du temps . 2) D 'autre part, que comporte, en elle-même, la notion de « durée » ? Littré distingue la durée et le temps, et écrit : « La durée ne présente d'autre idée que celle d'une persistance » (s.v. « durée ») . La durée successive n'est donc que la forme temporelle de la durée. oµou Tiiiv, « tout entier à la fois ». L'expression s e retrouvera, latini sée, chez Boèce, pour qui l'éternité signifie une « vie sans terme » possé dée Iota simul, « toute entière à la fois » 3 • Saint Thomas l'adoptera, l'ap pliquant, comme Boèce, à l' aeternitas - indirectement à la duratio4 ; tandis que, chez Arnauld, elle s 'applique immédiatement à la duratio, comme on vient de le voir. C'est aussi la même expression qui se trouve sans doute à l'origine de la notion, chez D amascius, d'un « temps substantiel existant tout entier à la fois » , -ro Elvix� &µix -rov oÀov x.p6vov Èv u7tocr-r&cn:�5 •
1 . Chez saint Thomas, la notion de duratio tota simul (durée sans succession) s'applique, sous le nom d' aevum, même à des êtres particuliers (tels les anges). 2. « Il nous semble tout aussi impossible de concevoir une durée sans succession (conception de la vie éternelle selon Lequier) qu'une vie éternelle sans durée. Il ne suffit pas, en effet, que la durée soit sans changement pour qu'elle soit sans succession (... ] Nous pensons, comme Lequier, que l'idée d'un être immuable implique l'idée de durée, et, inver sement, que l'idée d'un être qui dure n'est pas nécessairement l'idée d'un être qui change (il peut rester le même), mais, contrairement cette fois à Lequier, nous pensons que l'idée d'un être qui dure (en persistant à rester le même) implique l'idée d'un être en lui-même succes sif» (Alain Vinson, « L'idée d'éternité chez J ules Lequiern, in Études philosophiques, n° 2/1 992, p. 1 87-1 88) . On peut se souvenir de la difficulté qu'eut Simplicius à accepter la notion damascienne de chronos en hypostasei - temps qui ne s 'écoule pas -, jusqu'au moment où il put déclarer : « Cet enseignement ne me semble plus difficile à admettre » (Phys., p. 784) . 3 . Consolation de la philosophie, livre V, prose 6. 4 . Loc. cit. 5 . Dans Simplicius, In Aristotelis Physicorum libros quattuor priores commentaria, edidit H. Diels, Berolini, 1 882, p. 775.
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Au contraire de l'étant, qui se divise entre ce qu'il a été, ce qu'il est et ce qu'il sera, l'être est « tout entier à la fois », dans le maintenant éternel. Il y a est toujours au présent, j amais au passé ou au futur. Certes, on peut dire : « il y a eu », « il y aura », mais pour ce qu'il y a eu, ce qu'il y aura, non pour le fait qu'il y ait, pour l'étant, non pour l'être. « Ê tre » et être-au-présent sont la même chose. L'être ne fait qu'un avec la Présence. Les étants sont présents lorsque, étant venus à l'être, avant de cesser d'être, ils participent de la Présence. La Présence est le lieu éternel et immuable de l'accueil. La Présence est là toute entière, et l'être est là tout entier à la fois . Cela signifie que l'être, qui n ' a pas d e parties - s 'il est « entier », c'est en ce sens que rien ne lui manque -, n 'est que Présence. �v, « un ». L'être n'est pas un être. Il est un sans être un être. Com ment entendre cela ? L' « un » est dit, dans la langue scolastique, un « transcendantal » , comme convenant à tout être. « Ce qui n'est p a s véritablement un être n'est pas non plus véritablement un être », écrit Leibniz, soulignant que « l'un et l'être sont des choses réciproques » 1 • Une telle doctrine est considérée, en général, comme venant directement d'Aristote : ne nous dit-il pas que « l'être et l'un sont les plus universels de tous les prédicats » (Méta., I, 2, 1 053 b 20-2 1 ) , et qu'il y a « identité entre homme un, homme étant et homme » (ibid., r, 2, 1 003 b 26-27) ? Or, il ne s 'agit pas de cela ici : non pas de dire qu'un étant ne mérite d'être dit « être » que s 'il est un, mais de dire « un » l'être lui même. A la leçon de Simplicius, �v, cruvi::z Éç, « un, continu », Unterstei ner préfère la leçon d'Asclépius, oÙÀocpuÉç, « un tout naturel », et consacre le premier chapitre de son livre à « togliere a Parmenide la predicazione �v per il sua l6v » (p. 1 44) . Mais il est difficile de passer outre à la leçon de Simplicius : Untersteiner n'a pas été suivi. Qu'en est-il donc de cette unité de l'être ? L'être est « un » ; il n'est pas l'Un. On voit, dans le Parménide de Platon, Parménide, commençant « par [sa] propre hypothèse », poser, « à propos de l'U n en soi, ou qu'il est
1 . Lettre à Arnauld du 30 avril 1 687.
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un ou qu'i l n'est pas un » ( 1 3 7 b) . Ce n'est pas là le Parménide du Poème - mais celui, on peut le supposer, d'une certaine tradition éléate. Pour parler le langage aristotélicien - et non sans une suspen sion de jugement quant à sa pertinence -, l'un n'est qu'attribut de l'être. L'être est un ; les étants aussi sont uns. De la même manière ? Cela ne se peut, puisque l'être n'est pas un étant (mais l'être de l'étant) . Qu'en est-il de l'unité d'un étant ? Elle ne lui vient pas seule ment par une considération externe, car, en ce cas, il s'agit d'un agré gat et non pas d'un être. Elle lui est interne, et signifie la non-indépen dance des parties à l'égard du tout, comme, par exemple, dans un organisme ou un geste. Mais l'être n'a pas de parties et n'est pas un tout, si un « tout » s'entend de ce qui a des parties. Toutefois, pour être dit « indivisible », il n'est pas nécessaire d'être susceptible d'avoir des parties . Or, comme l'observe Aristote, « d'une manière générale, tout ce qui est indivisible, en tant qu'il est indivisible, par cela même est dit un » (Méta., Ll, 6, 1 0 1 6 b 4-5) . L'être ne sera dit « indivisible » qu'en 8 . 22. Mais il peut déjà être pensé comme « un », puisqu'il le sera bientôt comme « indivisible ». Il n'y a donc aucune raison de refuser, avec Untersteiner, à l'être ce caractère. Il est clair, au contraire, qu'il lui appartient d'une manière nécessaire. cruve:xéç, « continu » . Que c e caractère vienne après l' « un » n'est pas surprenant : dire que l'être est « continu » ( « tient ensemble » ) signifie, en somme, qu'il ne fait qu'un avec lui-même. D 'ordinaire, on considère, à la suite d'Aristote, le temps comme continu. Or, ce qui est ici considéré comme « continu », c'est l'être, dont nous savons qu'il n'est pas dans le temps, de sorte que le temps, lui, doit être discontinu et non continu. Selon Aristote, il y a continuité « quand les limites par où deux choses se touchent ne sont qu'une seule et même chose » (Phys., V, 3, 227 a 1 1 - 1 2) . Ainsi l'instant (vuv) , fin du passé (fin en puissance, sinon . il y aurait arrêt, et le temps ne « coulerait » plus) , commencement (en puissance) de l'avenir, relie le passé au futur et fait la continuité d u temps (Phys., IV, 1 3, 222 a 1 0- 1 2) . I l e n v a comme du point sur l a ligne, si ce n'est que le point, immobile, divise en acte.
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De quel point de vue le temps , continu pour Aristote, peut-il sem bler discontinu ? On ne pense pas le temps à moins de penser l'avant après. Or, l'avant n'est plus quand vient l'après. Un maintenant puis un autre : mais il faut que l'un ne soit plus pour que l'autre soit. Or, ce qui n'est plus n'est pas, et le non-être, n'étant rien, ne peut - si l'on suit la ligne parménidienne - « tenir ensemble » avec l'être. Le mainte nant actuel, le maintenant qui est, ne peut aucunement assurer la continuité avec ces deux non-êtres que sont le passé et l'avenir. La dis continuité du temps tient à ce qu'il y a continuelle substitution de l'être au non-être, du non-être à l'être. Au contraire, l'être est continu puisqu'il dure dans un maintenant qui ne passe pas. 6-9. -rlwx yiXp yÉvwxv . . . IS7twç oùx fon. « Quelle naissance, en effet, lui rechercherais-tu ? Comment, d'où se serait-il accru ? Du non-être ? J e ne te laisserai ni le dire ni le pen ser ; car ceci n'est ni dicible ni pensable : il n'y a pas. » Parménide fait la supposition, qu'il va montrer absurde, que l'être serait dans la condition d'un étant, plus précisément d'un vivant. Car ce sont les vivants qui naissent et croissent. Le blé suppos e la semence : le grain de blé. Ainsi le blé vient du blé. « C'est l'homme qui engendre l'homme », dira Aristote (Méta., Z, 7 1 032 a 25) . Mais où Aristote découvre la pérennité de l'espèce, Parménide découvre la pérennité de l'être. Car l'être du blé vient de l'être du blé, l'être de l'homme vient de l'être de l'homme ; mais d'où vient l'être lui-même ? Si Aristote eût admis que les espèces sont nées - et sans doute est-ce là, à la suite d'Anaximandre, l'avis de Parménide -, le blé fût venu du non-blé, l'homme du non-homme. Ainsi pour Parménide, supposer une naissance de l'être, c'est le supposer venir du non-être. Mais, par là même, on suppose le non-être être quelque chose, et n'être plus « non-être ». Car le non-être n'est rien, et l'on ne peut ni dire ni penser le rien (cf. 2. 7-8) . L e vivant e s t susceptible d e croissance : alors j e peux dire qu'il y a plus qu'il n'y avait. Mais cela concerne ce qu'il y a, non le il y a lui-même. L'être n'est pas susceptible d'un supplément d'être. L'être ne peut pas être plus que cela : être. Du reste, d'où viendrait son
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accroissement ? L e vivant croît grâce à l a nourriture. Or, l'être n'a pas de dehors : rien ne peut lui venir du rien, lequel n'a même pas, dans le langage, la réalité du dicible, dans la pensée, la réalité du pensable. Pourtant, ne suis-je pas en train de dire le rien comme non dicible ? de penser le rien comme non pensable ? Soit ! mais si le non-dicible est encore dit, si le non-pensable est encore, comme tel, pensé, c'est bien la preuve que le rien, le il n'y a pas absolu, est en dehors du dicible et du pensable, puisque, le disant in-dicible et le pensant im-pensable, on lui donne la réalité du dicible et du pensable, et l'on manque son absolue non-réalité. 9-1 O. -rl ô' &v µ.lv . . . &:pÇ&µ.Evov, cpuv. « Quelle nécessité, d'ailleurs, l'eût fait venir au j our ou plus tôt ou plus tard, partant du rien ? » Si un vivant naît plus tôt ou plus tard qu'un autre, ce n'est pas par hasard. Il y a à cela une nécessité qui tient à la spécificité de la cause : c'est une semence de blé ou une semence d'homme. Qu'en serait-il maintenant de la naissance non plus d'un étant, mais de l'être ? Il naî trait du non-être. Mais le non-être n' « est » en aucune façon quelque chose ; le non-être n'est rien. L'être naîtrait donc sans cause. Il n'y aurait, dès lors, aucune raison pour qu'il naisse à tel moment plutôt qu'à tel autre. Ainsi il ne naîtrait j amais. L'être qui aurait à naître serait néant. Le principe de raison suffisante montre ici, comme chez Anaximandre, son efficacité ; il gouverne la pensée de l'être. Penser l'être, cela ne peut signifier que ceci : le penser en raison. La particule � signifie ici « ou » (aut) et non « que » (q u am) , et l'on traduira non pas « plus tôt de préférence à plus tard » (Cl. Ramnoux) , ou « plus tard de préférence à plus tôt » (Burnet, O'Brien-Frère) , mais « ou plus tôt ou plus tard » (Tannery) ; car on peut bien demander quelle nécessité eût fait venir au j our l'être (le ily a) à tel moment « de préférence » à tel autre, mais à la condition de ne pas déterminer les moments . Car, si l'on demande quelle nécessité eût fait venir l'être au j our « de préférence plus tard que plus tôt », on ne peut en rester là, et il faut ajouter, sous peine de suggérer une inégalité entre les moments ,
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« ou, de préférence plus tôt que plus tard », et ainsi on en vient à la tra duction : « ou plus tôt ou plus tard » . 1 1 . o(hwc; � 7t&.µmxv . . . � oùx_l. « Aussi faut-il qu'il soit ou tout à fait ou pas du tout. » « Il y a » ne peut se dire à demi : s 'il y a quelque chose, ce n'est pas seulement un peu ou à moitié (à moins que l'on ne songe à ce qu'il y a) : c'est forcément tout à fait que le il n'y a pas est vaincu. « Il y a », « il n'y a pas » : c'est l'un ou l'autre, une troisième solution est exclue. « Il y a », « il n'y a par n : la négation signifie la contradiction, et la contra diction entre deux termes signifie l'exclusion d'un troisième. Dès lors, la voie de l'être exclut non seulement la voie du non-être, mais aussi la voie d'un mixte d'être et de non-être, même si une telle voie peut être suivie par les mortels , quoique illégitime : aussi sont-ils les « mor tels qui ne savent rien » . Aristote admet, nous l'avons rappelé, l a réciprocité de l'être et de l'un, ce qui signifie, souligne Leibniz, qu' « un être est un être ». Or, les êtres sont plus ou moins unifiés, depuis les agrégats et les êtres maté riels j usqu'aux organismes et aux âmes . L'être admet des degrés . Leib niz parle de ce qui est « véritablement un être ». Ainsi, l'on est plus ou moins « véritablement » ; l'on est plus ou moins. Le tout ou rien par ménidien exclut, au contraire, qu'il y ait des degrés ou des niveaux de l'être. Ily a a la même signification, qu'il s 'agisse d'un homme ou d'un caillou. Le plus ou moins d'unité regarde l'étant, non l'être. Si l'être est un en tant qu'indivisible, l'un comme principe d'unification ne le concerne pas. De quelle façon le vers 1 1 se rattache-t-il aux vers 6- 1 0 ? Les mots o6't"wc; . X.PEWV fo't"LV indiquent un lien de nécessité que l'on peut mar quer plus ou moins fortement : « Ainsi il faut . . . », « Aussi faut-il. . . » , « Nécessairement donc . . . », . . . Pourquoi, à partir de ce qui précède, faut-il que l'être soit « ou tout à fait ou pas du tout » ? Il a été montré que l'être ne saurait venir du non-être, qui n'est rien. Supposons le contraire, et que l'être soit venu du non-être comme d'une cause. En ce cas, le non-être ne serait pas rien : il serait réel non-être, car il faut être quelque chose pour être cause. Dès lors, l'être qui en résulterait .
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serait, lui aussi, un mixte d'être et de non-être : il ne serait pas mxµmxv, « complètement ». Mais on a vu qu'une génération de l'être à partir du non-être est impossible, et même impensable. Dès lors, il n'est pas pensable que l'être ne soit pas pleinement être, sans trace aucune de non-être. 1 2- 1 3 . oùôé 7to-r' Èx -roü È6v-roç . . . 't'l mxp'ocù-rô. « J amais non plus la force de la conviction n'admettra que, de l'être, puisse naître quelque chose à côté de lui. » Si l'on conserve la leçon des manuscrits, Èx µ � ÈÔv-roç, et si l'on donne à 7tocp& un sens comparatif (7tocp'ocù-rô : « autre chose que lui même ») , on comprendra que « rien si ce n'est ce qui n'est pas ne peut naître de ce qui n'est pas » (Burnet, p. 202, n. 1 ) . Mais c'est là prêter une réalité au non-être, soit comme cause, soit comme effet, ce qui ne se peut, selon Parménide, sans absurdité. Si, touj ours en gardant la leçon de Simplicius, on donne à 7tocp& un sens local ( « à côté de » ) , on comprendra que ce qui ici est exclu, c'est que « du non-être puisse j amais naître quelque chose à côté de l'être » (ainsi Cornford, p. 37 ; Zafiropulo, p. 301 ; K.irk-Raven, p. 273 ; Unterstei ner, p. CXLI ; Mourelatos, p. 1 0 1 , n. 1 1) . Mais, en ce cas, puisqu'il est absurde de penser que l'être puisse être quelque chose à côté de lui-même, le mot « être » aurait changé de signification : il faudrait entendre par « être » un étant, et ce que Parménide voudrait exclure, c'est que, du non-être, un étant puisse j amais naître à côté d'un étant 1 . Mais alors, à quoi bon le 7tocp'ocù-rô (il suffit de dire qu'un étant, quel qu'il soit, ne naît j amais de rien) ? Du reste, Parménide se garde de confondre l'être et l'étant. La raison qu'ont certains interprètes de s 'en tenir à la leçon µ� ÈÔv-roç est que Parménide leur semble viser la conception du non-être de ses prédécesseurs milésiens et pythagoriciens. D'après Unterstei ner (p. CXLI) , il faut songer à l' « englobant » ( m:pléxov) u niversel d'Anaximandre, à savoir l' « infini » ( iXm:lpov) , qui n'est pas u n éta n t , 1 . « Now i t is suggested that the idea of growth a s accretion t o an a l rcady c x i s t i n g thing is equally objectionable » (Mourelatos, p. 1 02) .
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puisqu'il est l' « ong10e » ou le « principe » (&.px.�) des étants, et, en ce sens, est non-étant ou non-être 1 • Mais l' apeiron, dès lors précisé ment qu'il est « origine » ou « principe », n'est pas rien. Si donc le non-être du vers 1 2 devait concerner l' apeiron cl'Anaximandre, le mot ne serait plus entendu dans le sens qu'il avait jusque-là, puisque le non-être ne serait plus égal à rien ; il serait quelque chose. Et cela est exclu. Selon Aristote (Phys., IV, 6, 2 1 3 b 22) , les Pythagoriciens « affir maient l'existence du vide (xe:vôv) », lequel serait comme « aspiré » par le ciel (oupavôc;) . Il nous dit, d'autre part, que, pour les É léates, « le vide n'est pas » (De gen. et corr., I, 8, 325 a 4) , et il s emble songer parti culièrement à Parménide (ibid., 1. 1 7, avec l'allusion au chemin « de la Vérité ») . Dès lors, Cornford (p. 40) , Raven (Kirk-Raven, p. 274) , Untersteiner (I. e.) ont p u penser que Parménide s 'attaquait, dans notre passage, au concept pythagoricien de « vide ». Mais cela est évi demment exclu, puisque le vide n'est pas rien (il est dicible et pen sable ; c'est de l'espace - vide ; il est comme « aspiré » par le ciel, etc.) . Il faudrait donc, pour que fût visé le vide pythagoricien, que le sens du mot « non-être », au vers 1 2, eût changé. Dès lors qu'une émendation semble nécessaire, peut-on admettre celle que Diels avait, un temps (dans son édition de Simplicius , Phys., p. 78) , envisagée, èx 7tTI ÈÔvToc;, « de ce qui est en quelque façon » (7tfl entendu comme 07twcrô�) ? Beaufret la retient, et en attribue, du reste, le mérite à Heidegger (p. 83, n. 2) . Mais (et c'est ce dont Diels s'est probablement rendu compte, puisqu'il ne mentionne plus cette correc tion dans son édition de 1 897) , l'être ne peut être « en quelque façon », puisque ËCJTLV � oux ËCJTLv, « il y a ou il n'y a par n (8 . 1 6) , sans tertium quid H. Gomperz, il est vrai, pare à cette objection en construisant 7tTI avec ylyve:cr6aL (Imago, 1 924, p. 1 0, n. 34) . Mais une telle construction n'a guère de vraisemblance. A partir de la correction de Brandis, ouÔÉ 7tO'l'' Ëx ye: '!'OU OV'l'OÇ, Karsten (p. 92) a proposé la correction améliorée ouÔÉ 7t0'l''Èx '!'OU
1 . Cf. notre Anaximandre, p. 1 28, 235.
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e:ov-roc;, et celle-ci, à la suite de Reinhardt (p. 40 s.), a été générale ment adoptée par les éditeurs qui jugent une correction nécessaire, tels Tarân, Mansfeld, Bormann, Gallop, O'Brien-Frère, Reale ; elle a été défendue par Stokes ( One and maf!)', p. 1 3 1 ; cf. p. 3 1 0) , Kahn (Rev. of Meta., 1 968/9, p. 7 1 7, n. 22) , Solmsen (Phronesis, 1 977, p. 1 01 2) , Couloubaritsis (p. 378, n. 8) . Comme le remarque G. Reale, entre autres , la leçon è:x µ� è:6v-roc; « ripeterebbe senza senso oùô'è:x µ� È6v-roc; del v. 7 » (p. 1 0 1 , n. 30) . Parménide démontre par l'absurde que l'être est inengendré. On ne pourrait, en effet, le faire naître que du non-être ou de l'être. Qu'une genesis à partir du non-être soit absurde, cela vient d'être prouvé (v. 7 - 1 1 ) . On prouve maintenant qu'une genesis à partir de l'être est également absurde (v. 1 2- 1 6) . Une telle interprétation dilemmatique se trouve confirmée, comme l'a observé Solmsen (1. c. ) , par le passage suivant d'Aristote, où il s 'agit de l' « aporie » dans laquelle s 'engagent « les premiers philosophes » ( o1 xomx q:nÀocrocplixv 7tpw-rot) : « Ce qui est engendré doit l'être néces sairement ou de l'être ou du non-être, ce qui est, dans les deux cas, impossible : l'être, en effet, ne peut être engendré, car il était déjà, et du non-être rien ne peut être engendré, car il faut quelque chose comme sujet » (Pl!Js., I , 8, 1 9 1 a 28-3 1 ) . Que ces « premiers philoso phes » ne soient autres que les Éléates résulte de ce qui suit immé diatement, où il est dit qu' « ils vont jusqu'à prétendre que la multi plicité n'est pas, mais seulement l'être lui-même » (1. 3 1 -33) . Même si le pluriel donne à croire qu'Aristote n'a pas dans l'esprit le s eul Par ménide (cf. Mélissos, B 1 ) , il est permis de penser que c'est à lui qu'il songe avant tout. Reste à expliquer le -rt. Pourquoi Parménide ne dit-il pas, simplement, que « de l'être ne saurait naître de l'être [plutôt que -rt, « quelque chose »] à côté de lui » ? La raison en est, semble-t-il, que par -rt, il faut entendre non seulement l'être, mais l'étant : de l'être ne peut être engendré ni l'être - il est déjà (ou, pour parler plus justement, ily a déjà) -, ni un étant quelconque, car un étant ne peut être engendré que par un étant, par exemple un homme par un autre homme - un autre être -, et non par I ' « être » . E n d'autres termes, d u il y a rien n e peut naître : n i il y a (on l ' a déjà) , ni ce qu'il y a (qui ne peut naître que de ce q u ' i l y a) . A i n s i , Io
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éon, contrairement à l'apeiron d'Anaximandre, n'est point une archè : il n'est ni « principe », ni « origine », ni « source » de quoi que ce soit. L'interprétation n'est pas modifiée si l'on adopte, avec Tzavaras (cf. Couloubaritsis, p. 379) , la correction de Hôlscher, È:x ô� è:611Toç. 1 3- 1 5. Tou e:t11e:xe:11 . . . à.ÀÀ'Ëxe:L. « C'est pourquoi Justice, n'ayant point relâché ses liens, n'a permis ni de naître ni de périr, mais elle tient ferme. » On ne traduira pas Tou e:t11e:xe:11 par « c'est que » (Couloubaritsis) , mais par « c'est pourquoi » : la préposition d11e:xe:11, « à cause de » (causa), avec le Tou démonstratif, introduit ce qui suit comme résul tant de ce qui précède. L'être ne peut naître ni du non-être (8 . 7- 1 0) , ni de l'être (v. 1 2- 1 3) . De plus, le ily a exclut le il n'y a pas (v. 1 1 ) , l'ê tre exclut le non-être ; donc l'être ne saurait périr, ce qui serait se résoudre en non-être. La loi de l'être (« Justice » n'a aucune réalité mythique, et n'est ici que la métaphore de cette loi) ne lui donne licence « ni de naître ni de périr ». L'objet du verbe &11bJµL est l'être : 1XÙT6 = TO è:611. La métaphore des liens, dans lesquels l'être est enserré, se retrouve en 8 . 26-27, 30-3 1 , 37-38. Quelle est la signification de ce passage ? « Il n'y a pas de devenir » (Robin, p. 1 05) ; « il n'y a ni naissance ni corruption » (Bréhier, I, p. 63) ; le vers 8. 1 4 « exclut le devenir » (Zafiropulo, p. 1 07) . Autant d'interprétations aberrantes. Parménide dit simplement ceci : « Dikè tient l'être par ses chaînes et ne l'autorise pas à devenir en desserrant ses liens » (Couloubaritsis, p. 2 1 7) . Ce qui est nié est seulement le devenir de l'être. Mais l'être n'est pas l'étant, n'est pas un être : le ily a n'est pas ce qu'il y a. 1 5- 1 8. � ÔÈ xp lcnç . . . È:T�Tuµo11 e:I111XL. « La décision, à l'égard de tout cela, porte sur : ily a ou il n'y a pas. Or, déjà a été décidé, comme c'est nécessaire, de laisser de côté l'une des voies, impensable, innommable (car ce n'est pas une vraie voie) , en sorte que c'est l'autre qui subsiste et qui est authentique. » Si l'être ne peut naître ni du non-être ni de l'être, et donc ne peut naître, si l'être ne peut pas ne pas être, et donc ne peut périr, cela tient
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à ce que l'on met, entre l'être et le n'être pas, une opposition exclu sive, de sorte que, choisissant de dire : « il y a », on exclut de dire : « il n'y a pas ». Telle est la décision rationnelle (cf. 7 . 5, xp�VIXt oè Myc.p) qui relègue le il n'y a pas dans l' « indicible » et l' « impensable » (8 . 8) . Une telle décision a, du reste (cf. xéxpt"t'ixt) , déjà été prise. Elle sous-tend le fragment 2. Et il a été décidé, comme d'ailleurs il ne peut en être autrement (cf. wcrm:p &.viX.yx'Y)) , si l'on en juge « par la raison » (Myc.p) , de « laisser de côté » (cf. tav, 8 . 1 7) l'une des voies, comme un « sentier dont on ne peut rien apprendre » (2 . 6) , et dont il faut se « détour ner » (6 . 3) . Pourquoi la « laisser de côté » ? Ce n'est pas une « vraie voie ». Que faut-il entendre par là ? A la différence de la voie des mortels, qu'ils suivent mais qu'il ne faut pas suivre (si l'on a en vue la vérité) , et qui les voue à l'errance, ce n'est pas même une voie. Mais ce n'est pas à cela qu'il faut songer. Il n'y a pas à tenir compte ici de la voie des mortels . La voie du non-être n'est pas une « vraie » voie, non pas tant parce qu'elle ne mérite même pas le nom de « voie », que parce que ce n'est pas la voie de la Vérité. Car la décision, la krisis fondamentale, est celle par laquelle le phi losophe s'est instauré philosophe en faisant le choix de la vérité, et ainsi s'est séparé des mortels. Dès lors s e définit, pour lui, comme seule « authentique » (cf. È"t'�"t'uµov) , la voie qui le conduit à la Vérité. Cette voie a l'authenticité et l' « être » (néÀe:tv) . Cl. Ramnoux (p. 1 25) traduit : « L'autre route, elle est, et elle est la vraie » (v. 1 8) . Mais l e mot néÀe:tv convient-il pour l a voie ? Pour Tannery (p. 252) , l' « autre route » était la route « que l'être e s t véritablement ( wcr"t'e: néÀe:tv xix� È�"t'uµov e:Ivixt) ». Calogero (p. 34, n. 2) suit Tannery pour wcr"t'e: néÀe:tv : il suggère ou d'entendre wcr"t'e: néÀe:tv absolument ( « la via, onde risulta l'essere » ) , ou, prenant WO'"t'E dans le sens wc; = lht, de cor riger le texte en wcr"t'e: néÀe:t ( « l'altra via, che dice è » ) . Ces auteurs ne voient pas que la xplcrtc;, qui vaut pour l'être, vaut aussi pour la voie. A p riori, il y avait deux voies. Par l'effet de la xplcrtc;, il n'y en a pl u s qu'une. Cette voie « est », l'autre n'est pas. Mais n'est-ce pas de l 'être seul qu'il convient de dire qu'il « est » ? Nullement : l'être n ' est pas ce qui est (comment pourrait-il être à la fois ce qui est et le fait même
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d'être pour ce qui est ?) ; le ily a, répétons-le, n'est pas ce qu'il y a. Ce qu'il y a, ce sont les « étants », à savoir non pas seulement les « êtres », comme un homme ou un cheval, mais tout ce qui n'est pas rien ; et un chemin qui, si on le suit, mène à la Vérité, n'est pas rien (alors qu'un chemin qui ne mène à rien n'est rien) . 1 9-2 1 . 7tWÇ ô' &v Ë7t€Vt"IX . . . XIXL &nucrr o c; oÀe8poc;. « Comment pourrait-il être ensuite, l'être ? Et comment serait-il venu à être ? Car, s 'il est venu à être, il n'est pas ; il n'est pas non plus s 'il doit être un j our. Ainsi est éteinte la genèse, et, de destruction, on ne doit pas entendre parler. » Comment l'épi de blé pourrait-il être, c'est-à-dire venir à l'être, dans l'avenir ? Ou comment a-t-il pu venir à l'être dans le passé ? Quelles questions ! Il est tout à fait naturel qu'à l'avenir du blé germe et mûrisse, comme il a fait bien des fois dans le passé. Mais l'être n'est pas l'étant, et ce qui est naturel pour les étants, dont l' « être » se résout en événements - naître, croître, etc. - qui ont lieu dans le temps, ne saurait advenir à l'être lui-même. Qu'on le suppose devant être engendré dans l'avenir, ou l'ayant été dans le passé, à partir de quoi serait-ce ? De l'être ? L'être n'est donc pas venu à l'être. Du non être ? Mais le non-être n'est rien, et, de rien, rien ne peut naître. Bref, on retrouve ici l'absence de genesis de l'être - soit à partir du non-être, soit à partir de l'être - déjà établie (v. 7- 1 6) . Certes , c e qui doit être un j our, pour l e moment n'est pas ; e t c e qui est devenu, maintenant n'est peut-être plus. Ainsi parle-t-on, s'agissant de l'étant. S'agissant de l'être, où est la différence ? Ce qui doit être un j our, ou ce qui est venu à l'être, tout simplement n 'estpas : la connotation temporelle « pour le moment » disparaît. Le fait d'avoir eu à être ou d'avoir à être, qui vaut pour les étants, est incompatible avec l'être : il l'abolit non pour un moment, mais pour toujours, et, selon la dichoto mie être-n'être pas, substitue à l'être le non-être. On a vu que l'être « ni n'était ni ne sera, puisqu'il est maintenant » (8 . 5) . On a la confirmation, avec les vers 1 9-20, que ce « maintenant » équivaut au « toujours » . I l ressort d e cela que l e mot « être » a une signification bien diffé rente dans le cas des étants et dans le cas de l'être. « Ê tre », pour les
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étants, signifie venir à être et cesser d'être, devenir et périr. Les étants sont sous la loi du Temps, et le temps, pour tous les êtres, signifie le non-être. Nous disons : la maison « est ». elle n'était pas, puis elle a été ; elle est maintenant puis ne sera plus . Si nous disons : l' « être est » , o ù e s t l a différence ? Nous méconnaissons l'être, en faisons u n étant qui est. « " Ê tre" est alors posé comme un objet consistant, observe Heidegger. Le substantif "être" suppose que cela même qui est ainsi nommé "soit". "L'être" devient maintenant lui-même quelque chose qui "est", alors que, manifestement, il n'y a que l'étant qui soit, et que l'être n'est pas en plus à son tour » (Introduction à la métapf?ysique, trad. cit., p . 79) . L'être n' « est » pas. Voilà qui est étrange. Parménide ne dit-il pas : « Ni il n'était une fois, ni il ne sera, puisqu'il est (fo·nv) maintenant » (8 . 5) ? Et de dire : « S'il est venu à être, il n'est pas ( oùx fo-n) » (8 . 20) , cela n'implique-t-il pas, puisqu'il n'est pas venu à être, qu'il est ? En fait, la forme grammaticale est trompeuse, puisque, disant de l'être qu'il « est », si l'on ne veut pas à tort parler ainsi, il faut penser « est » tout autrement que d'ordinaire, comme lorsqu'on dit : « la maison est ». Pour marquer cela, on pourrait convenir d'écrire, par exemple : « Ni il n'était une fois, ni il ne sera, puisqu'il este mainte nant. » Pourquoi « este » ? Le mot « ester », du latin stare (qui a donné certaines formes du verbe « être » : le participe présent estant, le parti cipe passé este) signifie, dans la Chanson de Roland, comme d'ailleurs le verbe latin lui-même, « se tenir debout ». Or « être », observe Heideg ger, signifie, pour les Grecs, stabilité, au double sens de « se tenir en soi » et de « rester en soi », demeurer (I. e., p. 74) . Toutefois, la forme « este » ne serait pas destinée à suggérer immédiatement cette interpré tation (sans l'exclure) , mais seulement, par son étrangeté, à éveiller la pensée pour une entente de l'être comme estre - forme ancienne du mot « être », où s 'est maintenue visible la racine es -, signifiant, dans l'indo-européen, le fait d'être. Car, penser l'être comme tel, ce n'est pas penser l' « être » qu'il y a, mais le fait qu'il y ait. Dans le frag ment 2, fonv a été traduit, sans suj et, par « il y a ». Il est vrai qu'en 8 . 5, même si l'on traduit par « il este maintenant », il paraît bien y avoir un sujet ; mais « il » n'est qu'un simple signe grammatical, comme dans « il y a ». « Il este » : « il » ? L'être. Donc l' « être este » ? Oui, mais tout
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comme J ean Wahl, traduisant un poème anglais , écrit : « Le ciel se ci elle /les nuages bleus / nuagent et bleuent » 1 • Évitons, en tout cas, de dire ou d'écrire « l'être est », puisqu'il est à peu près impossible, entendant ou lisant : « l'être est », de ne pas penser l'être comme un étant, comme ce qui est. « L'être, c'est ce qui est », écrit E. Gilson (L 'être et l'essence, éd. cit., p. 7) . En ce cas, l'être vrai se confond avec l'étant suprême, Dieu. Mais alors la merveille même de l' estre est aban donnée à la théologie. 22-25. oùSÈ Sicxipe:T6v ècrnv . . . Èov yiXp è6vTi 7te:M�e:i. « Il n'est pas non plus divisible, puisque tout entier pareil. Et aucun plus ne peut se trouver ici, ni là aucun moins, qui l'empêcherait de se tenir uni, mais, tout entier, il est plein d'être. Aussi est-il tout entier continu, car être touche à être. » Si, à l'opposé de la non-division et de la non-divisibilité de l'être, on songe à la divisibilité des étants, il ne faut pas songer seulement aux corps, divisibles comme l'espace qu'ils occupent, ou aux orga nismes et aux organes qui les composent (l'être n'est pas « articu lable », note Cl. Ramnoux, p. 1 25) , mais à tout ce qui peut être compté au nombre des « étants », c'est-à-dire à tout ce qu'il y a - la langue, par exemple. « La langue, les Grecs la conçoivent comme quelque chose <l'étant », observe Heidegger (o. c., p. 74) . La division se traduit par la séparation des mots, des syllabes, des phonèmes, ou des signes de l'écriture, des lettres - des ypliµµcxTcx. Les étants sont divisibles et divi sés par le fait d'être assujettis à exister dans l'espace et le temps. L'es pace sépare le corps de lui-même ; le temps sépare, dans les processus, l'avant de l'après, le début du milieu et de la fin, etc. Et le discours qui traite de la non-divisibilité de l'être, est lui-même un discours divisé. Si l'on pouvait dire de l'être, « il était, il s era », il serait divisé d'avec lui-même, mais il est atemporel (8 . 5) ; si l'on pouvait dire qu'il occupe de l'espace à la manière d'une figure ou d'un corps, il serait, là encore, divisé, mais il est hors de toute spatialité divisante. 1 . « L'emprise du donné », par Lionel Abel, traduit par J ean Wahl, Deucalion, 1, É di tions de la Revue Fontaine, 1 946, p. 251 .
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Ainsi lorsque, e n 8 . 22 b, Parménide donne la raison de la non-divisi bilité de l'être, du ily a, celle-ci est déjà inscrite dans la pensée que l'on a de lui comme atemporel, « un », etc. Qu'ajoute la notion de « ressem blance » (oµ.oLÔTîJÇ) incluse dans oµ.o�ov ? L'être est (( tout entier sem blable » (ou « pareil ») . Qu'est-ce à dire ? De l'eau pure n'est-elle pas tout aus si homogène, semblable à elle-même, etc. ? Sans doute, mais elle dif fère de l'eau impure. Or, l'être ne diffère de rien. Mais ne peut-on pas dire qu'il diffère de son opposé, le non-être ? Ce serait introduire le non être dans un discours, alors qu'il n'est ni « dicible » ni « pensable ». Quant à différer de lui-même, l'être ne le peut, puisqu'il n'est qu' « être » et rien de plus. Peut-il maintenant ressembler à autre chose que lui même, comme, par exemple, un corps pur ressemble à un autre corps pur ? On peut dire : « il y a de l'eau », ou : « l'eau est ». L'être ne res semble-t-il pas à l'eau en tant qu'elle « est » ? Non : ce n'est pas à l'eau qu'alors il ressemble, mais à lui-même. Dire que l'être est « tout entier semblable » signifie : 1) qu'il est toute similitude sans dissemblance, et 2) qu'il n'a de similitude qu'avec lui-même. L'être, étant toute s emblance à soi, est égal à lui-même : il n'y a pas plus d'être ici que là. L'augmentation ou diminution de l'être impli querait, en e ffet, division. Mais l'être, qui, en vertu de la krisis, n'est qu' « être », ni plus ni moins, n'est susceptible de rien de tel, et donc d'aucune quantification. L'être est « hors » de la sphère de la quantité - comme il est « hors » de l'espace/temps. « Il y a ceci », « il y a cela » : quoi qu'il y ait, le ily a reste égal à lui même. L'air, par raréfaction ou condensation, donne le monde, selon Anaximène. Parménide, ici, ne le contredit pas (malgré Covotti, p. 1 39, pour qui · n -r-fî µ.cxÀÀov . . n x_eipô-repov fait allusion à la condensation et à la raréfaction du Milésien) : son problème est tout autre. Qu'il y ait là plus de ce que l'on appelle « air », ou moins, cela ne change rien au fait qu'il y ait. Burnet pense que Parménide, critiquant sur ce point les Pythagor i ciens (qui, selon Aristote, Phys., IV, 6, 2 1 3 b 22-23, « affirmaient l'exis tence du vide ») , niait la réalité du vide : « car l'espace vide n'est rien ; u n rien n e saurait être pensé, e t par conséquent existe r » (p. 209) . Cela est mal vu : « rien », ne pouvant être pensé, ne pourrait être dit « spatial » . L'espace vide n'est p a s rien : c'est de l'espace. Parménide ad met-il ou .
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non l'existence du vide ? A s'en tenir à notre passage 8 . 22-25, cela est indifférent. Supposons un espace vide de corps. Il n'y a pas plus d'être, ici, où sont les corps, que là, où est le vide, et celui-ci ne saurait empê cher l'être de « se tenir uni ». Car le vide « est » tout aussi bien que les corps, ni plus ni moins. Mais Burnet croit que l'être parménidien est un «plenum corporel fini » (p. 2 1 0) , ce qui est un non-sens. Au reste, il est possible qu'en 8. 24, Parménide songe effectivement au vide, non pour en nier la réalité empirique, mais pour en nier la réalité ontologique (il n'y a pas de trous dans l'être) , possible aussi que cette distinction essen tielle ait échappé à quelques-uns. Le propos de Parménide a, de toute façon, une portée générale. Le contraste du vide et du plein, l'opposition du plus et du moins se retrouvent dans le monde environnant (la Umwelt) de toutes les cultures (les caves, les silos sont vides ou pleins ; j 'ai plus ou moins de blé que l'an passé ou que mon voisin, etc.) . Or, ces différences anti ques (qui concernent les onta - les étants) sont ontologiquement indif férentes. « Les silos sont vides. » Sans doute, mais ily a les silos vides. Le verbe « être » ne sert pas seulement à qualifier les silos (c'est son rôle comme copule) , mais à dire qu'ils « sont ». Or, en tant que tel, il s 'applique aussi bien à n'importe quoi de tout ce qu' « il y a ». Un étant, tel un silo, peut être vide ou plein, mais l'être est, dans toute son « extension » (ce mot ne devant pas être entendu comme si l'être était spatial) , plein de lui-même. Rien de ce qui sépare les étants les uns des autres - le vide, par exemple - ne peut le séparer de lui-même. Il est, en ce sens (non spatial mais ontologique) , « continu ». Je touche du bois : c'est là le contact de deux étants différents. Mais l'être ne touche j amais que lui-même : ainsi les frontières , les limites qui séparent les étants, ne le concernent pas. 26-28. ixÙ't"�p &:x.tV"Y)'t"OV . . . &:n&icre ôè: nlcr't"�c; OCÀîJ8�c;. « Immobile aussi dans les limites de liens puissants, il est sans com mencement ni fin, puisque genèse et destruction ont été bannies au loin et que la conviction vraie les a chassées . » Dans un oracle, il était annoncé : « J 'ébranlerai Délos même, encore qu'inébranlable (&:x.lv"Y)'t"ov) » (Hérodote, VI, 98) . « Inébran-
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Jable » est le mot par lequel nous avons traduit (hpe:µÉç (8 . 4) . Ce que l'on peut voir, en 8 . 26-28, c'est une justification de ce « signe » de l'être (cf. Tarân, p. 1 09 , qui pose &.xlv"Y)Tov = &:-rpe:µÉç) . Il faut se garder d'entendre ici le mot xlv"Y)mç au sens d'Aristote, puisque, si l'on s 'en tient à la doctrine habituelle du Stagirite, le non-« mouvement » signifie l'absence de croissance ou de décroissance, d'altération et de transla tion, alors que, si l'être parménidien est &.xlv"Y)TOv, cela tient au fait qu'ont été « bannies » loin de lui la génération et la corruption, c'est-à dire ce qui constitue pour Aristote le « changement » (µe:Tœ�o/..�) pro prement dit, à savoir le changement xœT' oùcrlœv. Que l'être ne soit pas susceptible de « mouvement », au sens tech nique d'Aristote, nous le savons déjà. L'être n'est susceptible ni de croissance ou de décroissance, puisqu'à lui rien ne peut s 'ajouter (8 . 1 2 1 3) , et qu'il ne peut être moins qu'il n'est (en vertu de la xp lmç) , ni d'altération, puisque toujours « tout entier pareil » (8 . 22) , sans varia tion, ni de translation, puisque non divisible et donc non spatial. Mais, en cela, l'être n'est immobile qu'ontiquement, c'est-à-dire comme pourrait l'être un étant. Or, ce dont il s 'agit en 8 . 26-28, c'est d'une immobilité ontologique. Cette immobilité est celle qui ne peut appartenir à un étant, car tout étant est venu à l'être et cessera d'être : ce passage du non-être à l'être et de l'être au non-être est le devenir. Mais un tel passage est impossible, on l'a vu, pour l'être lui-même : il ne peut venir ni du non être (absolu) , lequel n'est rien, ni de l'être, puisque l'être serait déjà là. L'être, ne pouvant être ni engendré ni détruit, est toujours là, à demeure : « il est sans commencement ni fin, puisque genèse et destruc tion en ont été bannies ». Comment entendre cela ? - nous souvenant que, de l'être, on ne peut dire ni qu'il « était » ni qu'il « sera », et sachant, d'autre part, que le cosmos héraclitéen est sans commence ment ni fin, alors que « genèse et destruction » n'en ont certes pas été bannies (cf. fr. B 30, et l'analyse de Catherine Collobert, p. 1 7 1 - 1 7 5) . Ce qui e s t « sans commencement ni fin » n'est pas nécessairement &.xlv"Y)TOV ; il peut être touj ours mouvant (cf. le &.dÇwov, le « to u j ours vivant » d'Héraclite) . Que suit-il de là ? L'absence de genèse et de des truction fait que l'être de Parménide est « sans commencement ni fin » -
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en un tout autre sens que le cosmos héraclitéen. Celui-ci est éternel au sens où le sera le monde d'Aristote, lequel est sans commencement ni fin = « éternel », en ce sens qu'il a toujours été et sera toujours, dans l'infinité du temps . Si l'on entend par « éternité », non une « durée indéfinie » (Lalande, sens A) , mais le « caractère de ce qui est en dehors du temps » (Lalande, sens B) , une telle existence infinie dans le temps est plutôt la « sempiternité ». On se souvient des définitions de Boèce : « La sempiternité et l'éternité diffèrent : le maintenant (nunc = vuv) immobile et permanent (stans et permanens) constitue l'éter nité ; le maintenant qui court dans le temps (currens in tempore) cons titue la sempiternité » (De consolatione, 5) . Dès lors, si l'être parméni dien est « sans commencement ni fin », ce n'est pas au sens où ce qu'il y a, a, par rapport au moment présent, existé depuis un temps « infini » a parte ante, et existera durant un temps « infini » a parte post. Rien de tel. Toute infinité est bannie : elle n'a sa place qu'au plan du devenir ; et, ici, Parménide ne contredit pas Héraclite : son point de vue est sim plement tout autre (il sera même plus héraclitéen qu'Héraclite, puisque, pour lui, le cosmos lui-même est soumis à la génération et à la destruction) . Si l'être est « sans commencement ni fin », c'est que ces notions, qui concernent les étants en devenir et le devenir lui-même, sont, par rapport à lui, dénuées de sens, comme elles le seraient, par exemple, pour une figure géométrique ou un nombre. L'être est « maintenant » (8 . 5) , dans un maintenant qui n'est pas le maintenant temporel, mais le maintenant éternel, « immobile », et, toutefois, « per manent ». Qui dit « permanence » dit « durée constante » (Littré) . L'être dure, quoique en dehors du temps, du changement et de la succession. Qu'en est-il des « limites » de l'être ? Ces limites ne peuvent être ni internes puisque l'être est continu, ni externes puisque l'être est sans extérieur (il n'y a pas autre chose que lui, qui s erait au-delà) . Les étants, eux, s 'entre-limitent, et ces limites sont muables. Les limites de l'être sont immuables. Chez Héraclite, le Temps éternel (cdwv) est porteur du destin, c'est-à-dire de la limite pour les vies mortelles . La génération et la destruction signifient le constant renouvellement des limites . Mais les limites de l'être sont fixées par des liens sur lesquels le devenir et le
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Temps n'ont pas de prise. L'être est à l'abri de la puissance du Temps. De quelle « limitation » s 'agit-il ? Non plus de limites empiriques ou antiques, mais d'une limitation ontologique. L'être est, de part en part, refus du non-être (qui ne lui est pas « extérieur », n'étant rien) : sa limite tient à ce qu'il n'est qu' « être », ni plus ni moins. Entre l'être et le non être, il n'y a pas de tertium quid : une nécessité ontologique fixe l'être comme une borne pour lui-même. Cette nécessité est celle de l'identité, de l'impossibilité de devenir autre. TCtcrnç &:À"YJ8�ç. La conviction « vraie », à la différence des convic tions des mortels (cf. 8 . 39) , se fonde sur la vue de la Vérité, c'est-à dire de ce qui ne cesse j amais d'être tel, de l'immobile (&:xtV"Y)Tov) . La vérité existe comme apparence pour les mortels, mais c'est une pseudo-vérité, car ce que l'on a cru stable se révèle instable, et les convictions des mortels sont flottantes comme leurs obj ets (cf. aussi 1 30, commentaire) . .
29-30. TIXÙTOV T'èv TIXÙTcf> . . ixi'ifü µÉvE�. « Restant le même et dans le même état, il repose en lui-même, et reste ainsi fermement ici même fixé. » Cette insistance sur l'identité est destinée à marquer l'abîme qui sépare l'être de l'étant. Les étants - Epicharme y avait insisté dans l'es prit d'Héraclite, mais aussi dans l'esprit de la comédie (cf. 23 B 2) - ne restent j amais les mêmes (celui qui, hier, a été invité à dîner, n'est plus invité auj ourd'hui puisqu'il est devenu un autre homme, etc.) . A l'op posé du mobilisme, Parménide affirme l'identité de l'être : l'être est « le même », à savoir le même que lui-même, puisqu'il n'y a rien d'autre à quoi il puisse être comparé. Pourquoi ajoute-t-il : T'èv TIXÙTcfl, « et dans le même < . . . > » ? Le mobilisme extrême d'Epicharme ne corres pond pas à l'évidence ordinaire des mortels . Chacun dira : « J e suis l e même homme qu'hier, quoique (par exemple] hier e n b o n n e santé, aujourd'hui malade, hier espérant le succès, aujourd'hui déçu, etc. » L'être ne pourrait-il être le même que lui-même, tout en ne restant pas dans le même état, et étant, à cet égard, différent ? Mais l 'être (c f. oµo i"ov, 8. 22) ne saurait différer de lui-même. Contrairement aux étants, il reste toujours dans le même état (« in the same state », Coxon) . B u rnet .
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(p. 202) voudrait qu'il s 'agisse du « même lieu » (cf. aussi O'Brien, Études, I, p . 53) . Mais, en ce sens, la possibilité resterait que l'identité affirmée ne soit qu'une identité dans la différence. Toutefois, de quel « état » s'agit-il ? L' « état » est la manière d'être. Or, l'être n'a pas de manière d'être autre que d'être. Il se trouve simplement « dans le fait d'être » , Èv -rcj) elvaL (dans le i/y a) , dont il « ne pourrait sortir sans tom ber du même coup dans le non-être » (A. Stevens , p. 29) . Alors que le même et l'autre se conjuguent dans le cas des étants, l'être se trouve figé dans une identité sans différence : toute altérité est exclue. L'être « repose en lui-même » , x.a6'Éau-r6 -re: x.e:i"-raL, à la différence des étants qui, eux, reposent en autre chose, et sont, par là même, dépendants, alors que l'être est indépendant. Cela vaut même pour les étants primordiaux. La Terre, par exemple, est dite, par Thélès croit on, « reposer sur l'eau » (Ècp'ü(i)a-roç x.e:i"cr6aL, Arist., De cae/o, II, 1 3, 294 a 2) . L'expression « reposer en soi-même » paraît impliquer un dédoublement de l'être - qui n'a pas de parties. Comment entendre cela ? Il y a la Terre ; il y a l'eau. La Terre repos e sur l'eau, dit-on. Mais sur quoi repose le ily a ? Sur lui-même. ai'ifü = ai'i-r6fü, « ici même ». Couloubaritsis traduit : « et persiste aus sitôt stable » (expression confuse - « aussitôt » ? - et qui n'aj oute stric tement rien) pour éviter la notion de « lieu ». Mais ai'ifü est incontour nable. Le « ici » est le pendant inévitable du « maintenant ». Il y a . . . ce qu'il y a. Quand et où ? Ni hier, ni j adis, ni ailleurs, mais ici et main tenant. Et pas plus que le maintenant n'est un maintenant temporel, le ici n'est un ici spatial - comme s 'il s'agissait d'un endroit de l'espace autour duquel il y en aurait d'autres. Pas plus que le maintenant n'est précédé ou suivi d'autres maintenant(s) , le ici n'est environné d'autres lieux (malgré Zafiropulo, p. 1 09) . De même qu'en disant « il y a », on implique « maintenant », en disant « il y a », on implique « ici ». Il y a le monde au-dedans duquel les choses se répartissent ici ou là. Mais ces lieux, ces ici relatifs supposent le ici absolu, fondateur de l'espace. Que signifie cela sinon l'immanence absolue de l'être ? L'être n'est pas à chercher loin : il est là, au plus près. Si l'on entend par « monde » l'ensemble amovible des étants, être au monde, c'est être maintenant et ici, dans un maintenant et un ici éternels . Il est vrai que, dans
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cette assise éternelle de toutes choses, les étants et les mondes ne font que passer. On rapproche quelquefois 8. 29-30 a de Xénophane B 26 : 11.ld ô' èv -r11.ù-r(i> µlµve:i x.ivouµe:voc; oùôév / oùôè µe:-répxe:cr611.l µiv htmpbm ocÀÀo-re: &nY/, « Toujours il [Dieu] reste à la même place, sans du tout se mou v oir, /et il ne lui convient pas d'aller tantôt ici, tantôt là. » Selon Rein hardt (p. 1 1 2 s.), cette conception d'un dieu qui « reste toujours à la même place » rompt avec les représentations traditionnelles, et ne peut s'expliquer que par l'influence de la doctrine parménidienne de l'être ocx.lV1JTOV : Xénophane viendrait donc après Parménide. Mais, comme le souligne Reinhardt lui-même, B 26 ne doit pas être interprété sépa rément de B 25. Or, que nous dit B 25 ? Dieu, « sans effort, par l'im pulsion de sa pensée, ébranle toutes choses » : ocn&:ve:uSe: n6vow v6ou rppe:vt n&:v-r11. x.p11.ô11.lve:t. Dieu, pour agir à distance, n'a pas à se déplacer : telle est la raison de son immobilité. Ce Dieu n'est qu'un étant qui exerce diverses actions dans le monde. Il pourrait sans doute se dépla cer, mais, outre que cela n'est pas nécessaire, cela ne lui convient pas : cela en ferait un dieu trop humain (cf. D . Bahut, Rev. philos., 1 974 p. 432) . L'être de Parménide est tout autre : ce n'est pas un étant, il n'est principe de rien, et, qu'il se meuve, est une impossibilité logique - c'est, simplement, inconcevable. ,
30 b-33. x.p11.-re:p� yiXp Av&:yx.1) . . . èov ô' &v n11.v-ràc; èôe:L-ro. « Car la puissante Nécessité le tient dans les liens d'une limite qui tout autour l'enclôt, puisqu'il n'est pas permis que l'être soit non achevé. Car il est sans manque ; alors que, manquant, il manquerait de tout. » Anankè, la « Nécessité » ou la « Fatalité », n'eut j amais le statut d'une divinité objet d'un culte. La présence, ici, de cette figure mythique signifie-t-elle l'interférence du mythe avec le logos ? Nulle ment. « Le mythique marque l'être de sa trace », écrit Couloubaritsis (p. 23 7) . Mais il est impossible de « marquer » l'être d'une « trace » quelconque. Anankè est « puissante » , x.p11.-re:p� ; Homère (Il., 6 . 458) , Hésiode ( Théog., 5 1 7) l e disent : cela e s t de convention. Anankè n'in tervient pas ici comme figure mythique mais comme figure de style.
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Comme l'a reconnu L. Tarin, Dikè, Anankè, Moira ne sont que de pures métaphores. Le philosophe poète, ou qui se veut poète, use de fictions et d'images. Anankè tient l'être dans les liens de la limite, l'en lace. L'image est forte. Le développement sémantique d'&:vocyx'Y) a fait apparaître la notion de « parenté ». Les &:votyxoti:'o � sont, à l'époque clas sique, les parents par le sang ; � &:votyxotl'Y) signifie un « lien de parenté » chez Hérodote (I, 74) . « Contrainte », « nécessite », d'une part, « parenté », de l'autre : dans les deux cas, on a l'idée de lien. Selon Chantraine, et plus précisément, « l'idée que &:v-ocyx'Y) (avec &:v- de &:vot-) exprimerait l'idée de "prendre dans les bras'', d'où "étreinte, contrainte", trouverait quelques appuis » (s .v. &:vocyx'Y)) : pourquoi pas ici, dans ce vers 8 . 31 de Parménide ? Anankè étreint l'être et lui impose la limite, le 7tÛpotc;, à la fois pour lui interdire l' &:m:lpu.iv1 , le « sans fin », et l'en protéger. L'être ne saurait s'accommoder de l'infi nité qu'Anaximandre reconnaît au principe, à l' archè, qui est précisé ment, selon lui, l'&m:�pov. L'insistance de Parménide sur l'idée de limite (cf. 8. 1 3- 1 5, 26-27, 37-38, 42-43, 49) amène à se demander quelle est la signification pro fonde de cette notion. Limitation non pas empirique ou physique, avons-nous dit (ad 8 . 26-28) , mais ontologique. Soit ! mais comment entendre cela d'une manière concrète ? Ni le passé, ni le futur, ni l'ail leurs ne conviennent au il y a : il y a ici et maintenant. Qu'il n'y ait d'être qu'ici et maintenant, telle est l'étroitesse du ily a ; et qu'il ne puisse en être autrement, cela ressort avec nécessité de ce que « il y a » est au présent. On peut dire : « il y avait », « il y aura », mais cela signi fie : il n'y a pas. Seul le monde, avec ce qui est au monde, est ici et maintenant, quoique pas pour touj ours . On ne peut être qu'en étant au-monde. Tout ce qui ne peut remplir la condition de présence ici, bref, tout ce qui ne peut se montrer, relève de la fiction. ovve:xe:v a été entendu par certains comme signifiant la conséquence ( « c'est pourquoi » : ainsi Karsten et Mullach, quocirca ; Diels, 1 897, « darum » ; Tannery, Burnet, Beaufret, C. Collobert ; Cl. Ramnoux, « en
1 . Cf. notre Anaximandre, p. 70
s.
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conséquence » ; Untersteiner, « di conseguenza » ; Kirk-Rav.-Sch., « the refore » ) , par d'autres comme signifiant la cause, la raison (« parce que », « puisque » : ainsi Kirk-Raven, 1 9 5 7 , Tarin, « because » ; Casertano. Reale, « poiché » ; Holscher, Heitsch, « weil » ; Cordera, Stevens, « parce que », etc.) . Il semble que l'on ait, en 8 . 32, la raison de la limite en laquelle Anankè étreint l'être, et non le contraire : 1) « "Because" is the more usual meaning in epic usage » (Kirk-Rav.-Sch., p. 252 : ces auteurs préfèrent néanmoins traduire ouve:xe:v par « therefore », d'après -rou dve: xe:v en 8 . 1 3) ; 2) ce que l'on a, en 8 . 30-3 1 , avec la « puissante Nécessité » qui enlace l'être, c'est une métaphore, laquelle ne peut avoir la valeur d'un argument permettant d'enchaîner une conséquence ; 3) la raison pour laquelle « il n'est pas permis que l'être soit non achevé », ne se trouve pas dans la phrase qui précède 8 . 32, puisqu'elle se trouve dans le vers qui suit, où l'on a un authentique argument spéculatif, lequel a toute la force d'une raison. ihe:f.. e: u-r'Y)-roç signifie, chez Aristote (Phys., III, 4, 204 a 5) , « sans fin », « interminable », et certains , tels Tannery, Burnet, ont voulu tra duire : « illimité », « infini ». Mais il convient de préférer le sens homé rique d' « inachevé » (Il., 4, 1 75) . L'être est enclos dans les liens de la « limite ». La longueur d'un voyage est limitée = finie : il serait possible de voyager plus longtemps et d'aller plus loin. Ce n'est pas en ce sens que l'être est « limité », car, nous le savons, aucun plus n'est pour lui possible. Il est che:f..e: u't"'Y)'t"OÇ (de -rÉÀoç, achèvement) , c'est-à-dire qu'il n'est pas « à achever », l'étant déj à : il est déjà « complet », « parfait » ; oùx 1he:f.. e:U -r'Y)-rov est synonyme de -rÉÀe:wv. Certes, l'être est cX7towcr-rov (8 . 27) , mais cela ne signifie pas qu'il soit « sans fin » au sens d' « intermi nable », de ce qui continue « à l'infini » (entendue en ce sens, la notion ne convient qu'au devenir) , mais de ce qui « ne cesse pas » . S i l'être est « achevé » ou « complet », il n e mangue d e rien (ÈmÔe:uÉc;) . C'est ce caractère gui est explicité par le vers 8 . 33 a, car c ' est s u r l u i q u e s'appuiera la démonstration : « manqu ant, i l manquerait de to u t » . N o u s lisons Èov, e n admettant (avec Zeller, p. 4 8 , M u l l a c h , D i e l s , 1 897, B u r net, Kranz, etc.) la correction de Bergk : [µÎ)] Èov. Karste n , U nters t ei n e r, Holscher, Coxon, entre autres, gardent le µÎ) Èov (ou µÎ) ov) des m a n u s crits ; Stein, p. 805, suppose une lacune après ÈmÔe:uÉc;. Le vers 8 . 33 ne
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satis fait pas la métrique, étant trop long d'une syllabe. Karsten, p. 1 0 1 , suppose une synizèse ( cruvl�î)cnç) , deux syllabes d e ÈmilEuÉç s e pronon çant en une seule syllabe, ou une synalèphe (cruv1XÀ0Lcp�) , les deux syllabes de µ� Èov se contractant en une par la prononciation (cf. aussi Unterstei ner, p. 1 49) - mais cela « seems to be unparalleled », note Tanin (p. 1 1 5) . D'autres adoptent le ÈmilEÉç d e quelques manuscrits ; mais il est bizarre de préférer la forme attique à la forme ionienne bnilwÉç. Karsten, p. 37, traduit : non ens contra omnibus eget (cf. Beaufret, p. 85, Couloubaritsis, p. 3 7 1 : « n'étant pas, il manquerait de tout ») . Mais que l'être ne soit pas, c'est là une supposition absurde ; et, d'ailleurs, le n 'êtrepas ne se laisse ni dire ni penser. Si l'on garde le vers (malgré Stein) , µ� supprimé, comment entendre l6v ? Zeller (p. 48) comprend : Èov (se. hEÀEÛTî)Tov) , et Bur net, p. 203, traduit en ce sens : « s'il était infini, il manquerait de tout » . Remplaçons « infini » p a r « inachevé » : « il ne lui manque rien ; s 'il était inachevé, il manquerait de tout ». Cela donne un assez bon sens : si l'être était inachevé, il ne serait pas tout à fait l'être ; or l'être ne peut être l'être que tout à fait ou pas du tout. Inachevé, il manquerait « de tout » parce qu'il ne se divise pas : il est un tout indivisible pour lui même. On objecte à cette lecture qu'il est plus naturel de rapporter Èov à lmilEuÉç, plus près, qu'à hEÀEÛTîJTOv : « s'il était manquant, il man querait de tout ». Il ne peut manquer de quelque chose tout en ne manquant pas d'autre chose : ce serait le diviser. Manquant de quelque chose, il manque nécessairement « de tout » : il n'est plus l'être. Autre ment dit, on ne peut faire au non-être sa part : l'être ne peut, en aucune façon, se mêler au non-être. Ce qui se mêle au non-être n'est pas l'être mais l'étant - et, de ce fait, il est non-être (un non-être non absolu) . Ce qui est « inachevé » , « sujet au manque », etc. : non l'être mais l'étant, non le ily a mais ce qu'il y a. 34-36 a. TIXÙ-rov i)'fo-rt voE'i:v . . . . d.ip�crELÇ -rà voE'i:v . « C'est le même penser et la pensée qu'ily a. Car, sans l'être dans lequel il est devenu parole, tu ne trouverais pas le penser. » La difficulté du vers 34 réside surtout dans le sens à donner à o6vE xEv : 1) -rà oi'i ËvEXIX, au sens de « ce en vue de quoi » : « c'est le même
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penser et ce à quoi tend la pensée » (sens « finalistico », Reale, p . 1 03, n. 34) ; 2) o0 Ëvsxœ, au sens de « ce à cause de quoi » (s 'agissant, cette fois, non de la « cause finale », mais de la « cause efficiente », comme dit Untersteiner, p. CXX, n. 47, ou du « fondement », comme dit Reale, I. e.) ; 3) i) n au sens de « que » (non de « parce que ») . Significatives du sens 1 sont les traductions de Diels, 1 897 : « Den ken und des Gedankens Ziel ist eins » (p . 39 ; cf. p. 85 : « Das Object und Ziel des Denkens ist das Seiende ») , de Beaufret, 1 955 : « Or c'est le même, penser et ce à dessein de quoi il y a pensée » (cf. Beaufret, 1 984 : « Le même est penser et au regard de quoi éclôt une pensée ») . Significatives du sens 2 sont, par exemple, les traductions de Coulou baritsis : « Le même est à la fois penser et ce à cause de quoi il y a pen sée », de Reale : « Lo stesso è il pensare e cio a causa del quale è il pen siera » (Reale, p. 1 03, n. 34, propose également « in funzione del qual e », en donnant à l'expression une valeur à la fois causale et finale) . Respectant le sens de Simplicius (Pf!ys., 87 . 1 7- 1 8) , que Diels avait fait sien, A. Stevens (p . 1 1 4) traduit : « C'est la même chose que penser et ce pour quoi la pensée est. » C'est aussi le sens que retient Cordera (cf. p. 1 1 5) , mais il écrit « pourquoi », en un seul mot : « Penser et ce pourquoi la pensée est, sont la même chose. » Or, « pour quoi » signi fie « en vue de quoi », et « pourquoi », « à cause (ou en raison) de quoi ». Dans un cas (sens 1 ) , l'être est plutôt un « objet » (« Object », Diels) du penser, dans l'autre (sens 2) sa cause ou sa condition 1 • Ces lectures (et beaucoup d'autres semblables : cf. Untersteiner, p. CXX , n. 47 ; Zeller-Reale, p. 224 s.) ont un point commun : le pen ser serait identique à ce qui en est la fin, l'obj et, la cause ou la condi tion, à savoir l'être. Riaux traduit d'ailleurs 8 . 34 ainsi : « Or, la pensée est identique à son objet. » Mais l'identité de l'être et du penser est ce à quoi Parménide n'a j amais songé. Les interprètes sont souvent influencés par leur lecture du fragment 3, où ils ont v u , souvent, une telle identité (Riaux : « La pensée est la même chose que l 'être » ; Cor dera : « Penser et être sont la même chose ») . M a i s « l e même e st à l a ..
or
1 . C f. Kurt von Fritz : « What Parmenides means seems t o b e t h a t voEL'v a n d t h e cause condition of voEL'v are the same » (Cfass. Philo/., 1 945, p. 238) .
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fois penser et être » (fr. 3) , signifie que « le même » - soit le penser, soit l'être - est à la fois les deux, ce gui maintient leur distinction. D'autre part, se représenter l'être de Parménide comme une cause finale est en faire quelque chose comme le Dieu d'Aristote. L'être n'est pas un té/os. Le concevoir comme l' « objet » du penser est anachronique, le penseur n'étant pas un « sujet ». Le voir, enfin, comme une cause suffisante est faux, car l'être est ici même touj ours, alors qu'il n'y a eu le penser qu'avec la philosophie ; et le voir comme une cause non suffisante ou condition, est faire du penser un simple pos sible (cf. Covotti, p. 1 03 : « è la stessa cosa : pensare e (affermare) cià per cui il pensiero è possibile ») : or, en 8 . 35-36 a, Parménide n'entend pas signifier une simple possibilité de « trouver le penser » . Comme l e note J . Croissant, l e sens d e 8 . 3 4 « avait déjà été éclairci, en dehors de toute interprétation systématique, par Heidel gui avait vu, dès 1 9 1 3 1 , que le mot oüve:xe:v doit être entendu dans son emploi homérique, au sens de o n » ( Cahiers, n° 4, p. 76-77) - « que ». Heidel fut suivi, entre autres, par H. Frankel (1 930, p. 1 90 : « Dasselbe ist Erkennen, und Erkennen des Ist ») , Calogero (1 932, p. 1 0) , Alber telli (1 939, p. 1 45, n. 3 1 ) , Cornford (1 939, p. 34 : « Thinking and the thought that " it is" are one and the same ») , Verdenius (1 942, p. 39) , Pasguinelli (1 9 58, p. 324 e t n . 48) , Guthrie (1 965, p. 39) , Tarin (1 965, p. 1 22) . Malgré la rétractation de K. von Fritz2 et les réserves de Cor dera, pour gui « il est très peu probable que oüve:xe:v possède en 8 . 34 la valeur d'un o-n complétif» (1 984, p. 1 1 4) , c'est aussi la solution retenue par O'Brien (Études, I, p. 54) et par P. Aubengue (Études, II, p. 1 23) , suivis par C. Collobert. ] . Wiesner donne à -rcxù-rov le sens de
1 . « lt seems clear that Parmenides meant, Thinking and the thought that the object of thought exists, are one and the same » (Proceedings of the Amer. Acad., n° 1 9 , p. 722) . Mais, comme le note Guthrie (p. 39) . Zeller (cf. p. 48) prenait déjà oüvoxov comme équivalent de on. 2. Qui, après avoir accepté l'interprétation de Heidel-Calogero dans son compte rendu des Studi sufl'E/eatismo de ce dernier (Gnomon 1 4, 1 938, p. 99), revient, dans son article de 1 945 sur « Nous, noein . . . in Pre-Socratic philosophy », à l'équivalence oüvrn•v o1i ovoxtX. (Class. Philo/. 40, p. 237-238) . =
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« identique » : Parménide voudrait dire que « c'est seulement parce qu'il est identique que l' Ê tre peut être conçu » (Études, II, p. 1 9 1 ) . Mais il n e nous semble pas que l'on puisse ainsi réduire l e vers 8 . 34 aux limites d'une théorie de la connaissance. Tenant compte de sa por tée ontologique, nous nous rallions à la solution o\Jve:xe:v = o·n, comme donnant, de ce point de vue, le meilleur Sens . Les traductions propo sées reprennent celle de Calogero : « La stessa cosa è il pensare e il pen siero che è » (p. 1 1 ) . Ainsi Cl. Ramnoux : « C'est même chose que pen ser, et la pensée : (Il) est » (p. 1 26) ; P. Aubenque (!. c.) : « C'est une même chose que penser et la pensée que c'est » ; C. Collobert : « C'est une même chose de penser et la pensée que "est" » (p . 1 9) . On voit ici l 'avantage de traduire fo·n par « il y a ». De là la traduction : « C'est le même penser et la pensée qu'il y a », où l'expression est, semble-t-il, plus naturelle. De quelle pensée (vô-riµcx) s'agit-il ? La Déesse le précise aux vers 8 . 50-51 a : de la pensée qui « cerne la Vérité » (v61)µcx iiµqi lc; iiÀ1)8d1Ji:;) , c'est-à-dire qui dit le fait d'être (le fait qu'il y ait) , comme fait immuable et éternel (« inengendré, impérissable, entier, unique, inébranlable et sans terme » (8 . 3-4) . En 6 . 1 , il a été dit : « Il faut dire et penser l'étant être. » 8 . 34 ne répète pas qu'il faut penser l'être, mais prec1se : penser l'être (non pas simplement l'étant) , c'est là, proprement, penser (voe:î'v) . Calogero écrit : « Pensare una cosa è iden tico a pensare che essa sia » (p. 1 1 ) . Non : penser « une chose », c'est penser qu'elle a existé, existera, peut exister ou existe, car qui dit « une chose » di t quelque chose de contingent, et penser que cette maison existe, qui, bientôt, n'existera plus, ce n'est pas véritablement penser, mais opiner - et les mortels n'ont que des « opinions » (doxai) . On peut voir en 8 . 34 une définmon de ce que c'est que penser : a u t ra vers, en dépit ou en faisant abstraction de ce qui passe, voir ce q u i demeure toujours - l e fait même d e l'être, l e fait ontologique. èv � 7tECflCXTtcrµÉvov. La difficulté, dit-on, est de voir c o m m e n t la pensée peut être exprimée « dans l'être » (èv �) . On a t te n d ra i t p l u t ô t que l'être trouve son expression dans la pensée. Fran kel a v a i t p roposé (1 930, p. 1 90) , avant de se corriger l ui-même (c f. Dichtunj!,, p. 407) , de référer � à TO voe:î'v, TO è6v étant le sujet de 7te:tpcxncrµÉvov ÈcrTLV : exem p le ··
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même des « complications artificielles » 1 de construction (et de traduc tion) qu'il convient d'écarter. Le texte, en effet, est clair : « Car sans l'être dans lequel il est exprimé, tu ne trouverais pas le penser. » Com ment interpréter cela ? Cordera (p. 1 1 6 s .) tourne la difficulté en pré férant la leçon de Proclus, Ècp' 4i, « grâce auquel », à celle de Simplicius, Èv 4i, « dans lequel » ; il est suivi par Couloubaritsis (p . 238, n. 82) . D . Babut (Rev. phi/os., 1 985, p. 302) pense que la leçon de Simplicius, « notre meilleur témoin », est à conserver : elle donne un bon sens (« rien n'empêche de comprendre que la pensée est exprimée "dans" l' Ê tre, parce qu'elle ne peut prendre appui ou racine qu'en lui » - ce qui ne nous paraît pas tout à fait clair) . Comment entendre : « sans l'être, grâce auquel ( Ècp' 4i) il est énoncé, tu ne trouveras pas le pen ser » ? Cordera explique : « Le penser n'existe que lorsqu'on exprime (m:cpœncrµ.Évov) une pensée à propos de l'être » (p. 1 1 9) . Autrement dit : sans la pensée de l'être, le penser n'existe pas . Ou : c'est même chose, penser et penser l'être. Le vers 8. 35, avec 8. 36 a, ne dirait rien de plus que ce que dit déj à le vers 8 . 34. Or, la phrase où y<Xp . . TÔ voE�v dit manifestement quelque chose de nouveau. Penser et penser qu'ily a ne font qu'un. Mais à quoi recon naîtra-t-on la pensée de l'être si elle ne s'exprime pas ? En ce cas, où « touvera »-t-on le penser ? La pensée de l'être resterait non avérée s 'il n'y avait le langage. Il faut que l'être soit proféré, que l'on dise « il y a » : le ily a, tel est l' « être » dans lequel la pensée de /'être devient « ce qu'on dit » ( cpiX.nç) . Certes, les mortels peuvent dire « il y a ceci », « il y a cela » : « il y a du pain sur la table », etc. Mais ce n'est pas de cela qu'il s 'agit, mais du ily a pur et simple. Disant « il y a du pain sur la table », on ne pense pas au ily a, mais au pain sur la table. Les mortels n'ont pas la pensée du ily a comme tel. L' « être » n'est certainement pas le problème des mortels. Le penser ne se trouve donc pas exprimé dans le langage des mortels. Il ne se trouve que dans le. mot « il y a », où la pensée du ily a vient à l'expression. Que signifie « il y a » ? Il signifie qu'ily a. Le « il y a » proféré (car ce qui est proféré étant la pensée de /'être, c'est l'être aussi qui se .
1 . L'expression e s t de P. Aubenque (Études, I I , p. 1 22) .
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trouve, avec la pensée, proféré) renvoie au ily a immuable et éternel, en soi totalement indépendant du penser. Ce qui est pensé dans le « il y a », c'est l'être comme indépendant de la pensée. Car, ce n'est pas la pensée qu'il y a qui peut faire qu'il y ait, puisque, nous le savons, l'être est « sans commencement » (rlwxpxov, 8 . 27) : il ne saurait donc avoir son commencement (&px�) dans la pensée, ce qui exclut l'idéalisme. 36 b - 38 a. oÙÔÈ: xp6voç Ècr'dV . . . tXXlVY)'r6V -r' ˵EV1n. « Et le temps n'est ni ne sera une autre chose en plus de l'être, puisque, celui-ci, le Destin l'a enchaîné de manière qu'il soit entier et immobile . » Aux pages 86 . 3 1 -87 . 1 de son commentaire de la Pf?ysique. Simpli cius, citant Parménide à l'appui de son propre développement, écrit oùôè:v y<Xp Ëcr-rLv, et cette leçon a été très généralement préférée au oùô' d xp6voç lcr-rtv de Phys., 1 46 . 9 . A tort, croyons-nous . La métrique du vers est rétablie, il est vrai, par l'adjonction <�> due à Preller, accep tée par Diels, Untersteiner, Tarân et la plupart des éditeurs. L'on tra duit : « Rien d'autre, en effet, n'est ni ne sera à côté de l'être même » (Cl. Ramnoux, p. 1 26) , ou, plus exactement (car mxpEÇ + gén. signifie « en outre », non « à côté ») : « Rien n'est ni ne sera d'autre outre ce qui est » (Tannery) , ou : « Il n'y a rien, il n'y aura rien, d'autre et de plus que l'être. » Il faut avouer que cela s 'accorde parfaitement avec ce qui précède. « C'est le même penser et la pensée qu'il y a » (8 . 34) , et le penser ne peut se trouver ailleurs que dans le dit « il y a », le dit de l'être, car, en dehors de l'être, il n'y a rien qui mérite d'être dit « être », donc il n'y a rien à penser. Pourquoi, en ce cas, préférer le oùô'd xp6voç de Phys., 1 46, quitte à le corriger ? C'est qu'en cet endroit (1 45 . 1 - 1 46 . 25) se trouvent cités d'un seul jet les cinquante-deux vers du fragment ontol o g i q u e Dès lors, « It seems certain that what Simplicius had in his man uscri p t of Parmenides is what he copied in his careful transcription o f t h e w h o l c text of fr . 8, 1 -52 » (Coxon, p. 2 1 0) . I l n e paraît pas d e b o n n e méthode de choisir le texte qui j oue un rôle défini dans la propre s t ra tégi e du citateur. Diels a défendu la leçon oùô'd xp6voç : o utre q u e l e vers 36 est alors métriquement correct, « wenn man d im Sin n e v o n EÏTCEp o d e r d .
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&pœ nahme, die Erklarung "wenn es überhaupt Zeit gibt", philoso phisch nicht unrichtig, da das hÉ/.. e: cr-rov des Parmenides zeitlos ist und die Leugnung des Werdens die Zeit aufhebt » (p. 85-86) . La leçon « pas même si le temps existe » est correcte, parce que l' &:-rÉÀe:cr-rov du vers 8 . 4 est atemporel et que la négation du devenir élimine le temps. La critique de Tarin (p. 1 28) est sans valeur. Il ne distingue pas le temps et la durée O'être est, certes, atemporel, mais il dure) . Il pense que Parménide, qui, selon lui, niait le devenir sans nier le temps , n'avait p a s saisi l e lien entre le temps et le devenir ! Diels et Tarân sont, toutefois, d'accord sur un point : la leçon oùil'd xp6voc; « does not make sense in the context » (Tarân, ibid ) . Or, c'est tout le contraire si nous écrivons oùilè: xp6voc;, avec Coxon (qui, p. 2 1 1 , cite Aristote, De caelo, I, 9, 279 a 1 2 : oùilè: xp6voc; ÈO"TlV è:!;w TOU où pœvou) , et lisons : (( Et le temps n'est ni ne sera une autre chose en plus de l'être, puisque le Destin a enchaîné celui-ci de façon qu'il soit entier et immobile (1h<.Îv'Y)-rov) ». L'être est « entier » (o\'i/.. o v ; cf. 8 . 4) . Cela signifie : saturé. On ne peut rien lui aj outer : le temps et le devenir, qui ne sont pas rien, ne sauraient se situer au plan de l'être, s 'aj outant à lui. L'être est « immobile » : il exclut le devenir. Il ne devient ni ne deviendra : c'est pourquoi il est dit que le temps n'est ni ne sera quelque chose faisant nombre avec lui, s'y adj oignant. L' « être » n'est que le ily a. Certes, il y a le temps et le devenir, mais, pour autant, temps et devenir ne sont aucunement ce qui est signifié par le mot « il y a ». Il se trouve qu'il y a le temps et le devenir, mais cela ne correspond à aucune nécessité inhérente au ily a. Moî'pœ est encore, au temps de Parménide, le nom du « Destin ». Il sera, plus tard, supplanté par le mot e:iµœpµÉv'Y). La Moira a « enchaîné » l'être. Mais Anankè aussi (8 . 30) . En quoi l'étreinte de Moira diffère+ elle de l'étreinte d'Anankè ? Dans « Anankè », on l'a vu, domine l'idée de « lien » ; dans « Moira » domine l'idée de « part » - comme part fixée pour touj ours . L'être est « entier » , ou/on : son destin est scellé ; il n'est susceptible de rien de plus . Il est figé, « immobile ». Héraclite, dit-on, « ôta de l'univers le repos et la stabilité, car cet état est celui des morts » (Aétius, I, 23, 7, p. 96, Lachenaud) . Moira étant une déesse funeste, l'idée de mort, liée à l'immobilité, est, ici aussi, sous-j acente.
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Toutefois, cette mort n'est pas le contraire de la vie. L'être ne meurt pas car il n'a j amais vécu. Il dure, certes, mais hors du temps, de sorte qu'en lui et pour lui rien ne se passe. Il n'est touj ours que le même il y a. La Moira n'est que la métaphore du scellement de l'être, analogue, sans plus, au scellement de la mort. 38 b-41 . 'îé{l niXv'ovoµ' fowt . . . iX.µd�e:tv. « C'est pourquoi sera nom tout ce que les mortels ont posé, croyant que c'était vrai : naître et mourir, être et ne pas être, changer de lieu et changer de couleur. » La séparation de 'îé{l d'avec 'î' ˵e:vcx:t se fait par un point en haut (Diels) ou un point (Stein) . Reinhardt (p . 255, n. 1) place une virgule, tandis qu'au vers 37, après 'îou Èov'îoc;, il substitue à la virgule un point en haut. Mais la phrase « puisque le Destin . . . » doit être rattachée à ce qui précède, non à ce qui suit. Dans le Théétète, Platon observe qu'aux arguments des mobilistes, les Mélissos et les Parménide ont opposé « des déclarations contraires, par exemple ( o'fov) : àxlVîJ'îOV 'îE:ÀÉEJe:t 'îé{l 7tCX:V'îl ovoµ' e:Ivcx:t )) (1 80 d-e) , que Diès traduit ainsi : « Immobile est le nom où se parfait le Tout. » Kar sten intègre oiov à la citation (sans doute avec raison, puisqu'alors « le vers se scande régulièrement », note M. Dixsaut, Études, II, p. 247) , l e change en oiov, « seul », « unique » (en s'appuyant, p. 1 06, sur Phys., 29 . 1 6-1 7, où Simplicius, paraphrasant la même citation, dit que Par ménide proclame l'être « immobile et seul » , µ6vov) , et obtient ainsi son vers 97, oiov iX.xlvîJ'îOV 'îe:ÀÉEle:tv 'îé{l ncx:v'îl ovoµ'e:Ivcx:t, qui correspond à notre vers 38. Riaux suit Karsten et traduit : le Destin « a voulu que l 'être fût le nom (ovoµcx:) unique et immobile du tout ». Mais l'être, qu i est, certes, maintenant, « tout entier à la fois » (8 . 5) , n'est ni tout n i l e Tout ; e t l'opération d'onoma zein, touj ours négative, n e saurait s ' appl i quer à lui. Riaux continue : « quelles que fussent à ce sujet les opi n i o n s d e s mortels » (p. 2 1 9) . Or l e s mortels n'ont d'opinion n i s u r l 'ê t re, n i sur tout, ni sur l e Tout, ni sur l e nom d u Tout. C e l a étan t , D i c l s (p. 86) rejette l'authenticité d e l a « citation » p l aton i c i e n n e . l i e s t s u i v i par A . Diès : « Platon cite u n texte acco m m odé déjà o u b i e n l 'accom mode en citant vaguement de mémoire » (éd . d u T héétète, C U I ', p . 2 1 4,
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n. 3) . Cornford (Class. Rev., 1 935, p. 1 22-1 23) a essayé de « sauver » la citation en en faisant un fragment séparé (avec ofov Karsten) , dont la place viendrait après le fragment 1 9 . Il tire argument de ce qu'on la retrouve en deux endroits chez Simplicius (Phys., 29 . 1 8 et 1 43 . 1 0) , attribuée à Parménide sans référence à Platon - mais « since bath cimes Simplicius uses the line in the midst of a characteristic Neopla tonic interpretation of Parmenides, he may have found it used in a Neoplatonic source which had got it ultimately from the Theaetetur n (Tarin, p. 1 36) . Cornford est suivi par Woodbury (Harvard St., 1 958, p. 1 53 s.), Loenen (1 959, p. 75-76) , Guthrie (1 965, p. 40) ; mais les éditeurs ont été réticents à admettre ce « new fragment ». Platon « cite » le vers en question comme exemple de « déclarations où les Mélissos et les Parménide [ . . . ] protestent que toutes choses sont une (<De; lf.v Te: mxnix ÈcHt) [ . . . ] » (1 80 e) . Or, que « toutes choses sont une », ou que « tout est un », Parménide ne dit rien de tel. L'être est « un » en tant qu'indivisible (cf. ad 8 . 5-6) , mais il n'est pas un « tout », et, en aucune façon, ne peut envelopper la pluralité signifiée par panta. Le vers « parménidien » du Théétète : sans doute une paraphrase de 8 . 38, bref un effet de mémoire chez Platon. D'après le texte de 8 . 38 tel qu'il est admis par Diels, l'être, lit-on d'abord, est enchaîné « de manière à être entier et immobile » - 38 a ; puis : « aussi sera-ce [pur] nom tout ce que [ . . . ] » - 38 b. Le choix par Diels de la leçon 'l"é}l mxvT' 6voµ(ix) Ëcr'!"IXt (Phys., 87 . 1 F) fit négliger, j us qu'en 19 58, la leçon 'l"é}l 7tcXV'l"' ov6µixcr1"1Xt (87 . 1 E ; cf. 7tcXV'l"' wv6 µixcr1"1Xt, 1 46 . 1 1 DEF) gui n'est pourtant pas d'une valeur moindre. De là, j us qu'à cette date, des traductions fort peu dissemblables . Ainsi celles de Hamelin : « C'est pourquoi il n'y a qu'un pur nom dans toutes ces choses que les mortels ont admises et crues vraies [ . . .) » (p. 1 20) ; de Robin : « C'est pourquoi il n'y aura [Robin traduit ËcrTixt, le futur de conséquence] rien de plus qu'un nom dans toutes ces expressions que les mortels ont posées, convaincus qu'elles correspondent à une réa lité [ . . . ] » ( Œuvres de Platon, La Pléiade, t. II, 1 942, p. 1 430, n. 1 49) , où la paraphrase éclaire le sens. Traduire 6voµix par «pur nom » était déj à paraphrase. Aussi le mot « pur » disparaît-il dans les traductions récentes, telles celles de Couloubaritsis : « Seront nom toutes ces
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choses que proposèrent les mortels, convaincus qu'elles sont vraies [ . . . ] » ; d'O'Brien-Frère : « Seront donc un nom, toutes les choses que les mortels, convaincus qu'elles étaient vraies, ont sup posé [ . . . ] » ; de C. Collobert : « Seront donc noms toutes les choses que les mortels ont établies [ . . .] » (où le pluriel « noms » paraît, à la traduc trice, justifié par la syntaxe française, en dépit du singulier ovoµ()() . Toutefois, en 1 95 8 (in Harvard St. 63) , L. Woodbury a réhabilité la leçon àv6µ0(c;TO(L, qui, certes, est celle que l'on trouve, à une variante près (cf. cüv6µ0(crTO(L) dans la longue citation du fragment ontologique (Phys., 1 46 . 1 1 ) . Woodbury construit àvoµ&�e:Lv [bd] T<{i, et traduit : « With reference to it [T<{i = "the real world"] are all names given that mortal men have instituted, in the belief that they were true [ . . . ] » (p. 1 49) ; il commente : « The names that mortal men give must be given to that-which-is, because there is nothing else to which they can refer. » Mais l'être ne saurait être identifié avec le « monde réel », puis que le monde n'est pas vraiment réel. Quant à adopter la leçon àv6µ0(c;TO(L, Woodbury est suivi, entre autres, par Long (Phronesis 8, 1 963, p. 97 ; in Allen-Furley, II, p. 88) , Hë>lscher, Mourelatos (discussion, p. 1 8 1 s.), Furley (Phronesis, Suppl . , vol. I, 1 973, p. 7 , n. 22) , Bollack Wismann (Rev. Sc. Hum., 1 974, p. 204) , J antzen (p. 1 02) , Casertano, Burnyeat (Philos. Rev. 9 1 , 1 982, p. 1 9, n. 22) , Mansfeld, Kirk-Rav. Sch., Gallop, Austin, Brague (Études, II, p. 65) . Mais tous ne s 'accor dent pas sur le sens de T<{i. Burnyeat, Mans feld, Kirk-Rav.-Sch., Gal lop, Austin, prenant le démonstratif en un sens adverbial (« darum », « therefore ») , se séparent, sur ce point, de Woodbury (Gallop, p. 71 : « wherefore it has been named all things that mortals have established, trusting them to be true ») . Long, au contraire, Mourelatos, Caser tano, Bollack-Wismann suivis par Brague, s'en tiennent à la lecture de Woodbury, avec T<{i se référant à TO è6v. Bollack-Wismann paraph ra sent : « C'est par Ce [= to éon] , qui est immobile, que sont nommées les réalités mouvantes pour lesquelles les "mo r t e l s ont fi x é des noms » (/. c.), et commentent : « car ils Qes n o m s ] s'appl i q u e n t tous, en dépit des apparences, au même suj et, l e s e u l qui " s oi t " » (ihid. ) . R . Brague, insistant sur l e datif d e moyen, trad u i t : « c'es t a u moyen d e celui-ci (l' éon) qu'est nommé tout c e que l e s mortels o n t po sé 1 - - · l », e t "
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commente (dans le langage d'Aristote, qui, ici, est plutôt une gêne) : « Le véritable et unique sujet de tous les attributs dont les mortels cons tatent la présence dans le monde est l' éon, qui seul "est" » (p. 65) . Ces interprètes ne nous expliquent malheureusement pas de façon claire comment les noms fixés par les mortels « s 'appliquent » exclusivement à l'être. Ils paraissent d'ailleurs confondre l'être - le fait d'être - et ce qui est. Bollack-Wismann écrivent : « Ce-qui-est (to éon) » (p. 204) , et Brague parle de l'éon « qui seul est ». Woodbury avait bien vu que, pour donner sens à une interprétation pour laquelle les noms des mortels s'appliquent, en droit, à to éon, il fallait entendre, par to éon, « le monde réel ». Mais le monde est l'ensemble des étants ; il est en devenir, tout au contraire de l'éon. La phrase, « c'est au moyen de l'éon qu'est nommé tout ce que les mortels ont posé [ . . .] », peut, il est vrai, s'entendre ainsi : c'est grâce au « il y a » que les mortels peuvent parler de ce qu'il y a. Pen . ser, c'est penser le « il y a » comme tel, ce que ne font pas les mortels. Mais c'est tout de même « grâce » au « il y a » (impensé) qu'ils peuvent dire : « il y a ceci », « il y a cela ». C'est grâce au ily a éternel qu'ils peu vent nommer les réalités en devenir. Mais alors, on le voit, les noms fixés par les mortels ne « s 'appliquent » pas à l'éon ; c'est, au contraire, le ily a qui rend possible la parole des mortels. Plaçons le vers 38 b, ainsi entendu, dans son contexte, le vers 36 b étant compris de la façon habituelle (qui n'a pas été la nôtre) : « Rien d'autre, en effet, n'est ni ne sera en plus de l'être, puisque le Destin l'a enchaîné de manière qu'il soit entier et immobile. C'est par lui qu'est nommé tout ce que les mortels ont établi, convaincus que c'était vrai : naître et mourir, être et ne pas être, changer de lieu et changer de cou leur. » La difficulté est que la parole des mortels ne correspond pas à ce qui est ici énuméré. Les mortels disent : « il y a du brouillard » , « il y a du pain sur la table » . . . ; ils ne disent pas : « il y a » le naître et le mourir, l'être et le n'être pas, etc. Leur parole ne leur sert qu'à se reconnaître, s'orienter et se déterminer parmi les réalités intramon daines, non à décrire et analyser le monde phénoménal lui-même. Ce serait là philosopher, ce dont ils ne se soucient pas. Il semble donc préférable de laisser de CÔté la leçon OVÔµcrn't"O:L, et de revenir au texte de Diels, 1 897 ( = Diels-Kranz) , -r 9 7t&v-r' ovo µ(o:) fo-ro:L.
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Ainsi font Cordera, Couloubaritsis, Coxon, O'Brien-Frère, Heitsch, Reale, C. Collobert. On souligne d'ailleurs (Ruggiu, p. 306) que -réfi . . . ovoµ' fo-rLV est une expression homérique (cf. -réfi o" Üoucre:Ùç ovoµ'fo-rw ÈTiwvuµov, Od., 1 9 . 409 ; pour d'autres références, cf. Heitsch, p. 31 ) . Cependant, tout dépend encore d e l'interprétation d e -r éfi . Ruggiu l e lit à la façon de Brague et comprend : « Per lui [to éon] sarà nome tutte quelle cose che . . . » ; il commente : « Il vero e unico soggetto di tutti gli attributi dei quali i mortali costatano la presenza è -ro Èov » (p. 306) mais il est désastreux d'imposer à Parménide le langage d'Aristote : on n'avance pas . Comme dans Vivre etphilosopher, p. 1 62, entendons -réfi au sens de quamobrem, et lisons 8. 36 b-41 avec oÙÔÈ:v ycXp ( �) en 36 b : « Rien d'autre, en effet, il n'y a ni il n'y aura en plus du ily a, puisque le Destin l'a enchaîné de façon qu'il soit entier et immobile. C'est pour quoi sera nom tout ce que les mortels ont posé, croyant que c'était vrai : naître et mourir, être et ne pas être, changer de lieu et changer de couleur. » Au-dessous de la vraie réalité - qui se ramène au il y a, saturé, immobile et éternel -, et ne pouvant faire nombre avec elle, se situe ce que les mortels croient être la vraie réalité : le monde du deve nir. Ce monde n'est pas rien : même si tout ce que les mortels ont cru être réel n'est que « nom », un nom n'est pas rien. Cette lecture donne un sens, à première vue, acceptable. Toutefois, le -réfi s'explique mieux avec la leçon oÙÔÈ: x.p6voç (corr. Coxon) , que nous avons retenue en 36 b : « Et le temps n'est ni ne sera une autre chose en plus de l'être, puisque le Destin a enchaîné celui-ci de façon qu'il soit entier et immo bile. C'est pourquoi s era nom [ . . .] ». Le devenir s 'annonce en 36 b sous la forme de sa condition universelle, le temps. La réalité qui est celle de l'être ne saurait, en aucune façon, appartenir au temps. Le temps n ' a qu'une moindre réalité ; c'est pourquoi (-réfi) le devenir aussi n 'a qu'une moindre réalité : tout ce qui constitue le monde du deven i r n'est que « nom » . Comment entendre cela ? « Sera nom tout ce que les mortels ont posé (xa.-rÉ0e:n(J) j . . . 1 » . -rleYJfLL signifie « poser quelque chose destiné à d u re r » (Ch a n t ra i n e , s .v.) , et xa.-riX, proprement « d e haut e n bas », accen tue l 'i d é e . l , c s m o r tels ont posé ce monde dans l'être, convaincus que l e s réa l i tés m o u -
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vantes de ce monde sont « vraies », c'est-à-dire vraiment réelles, sont le réel. Ce monde où ce qui naît meurt, où ce qui « est » cesse d'être, où ce qui est ici va ailleurs , où les couleurs varient, est le monde réel, ou plutôt ce monde est le Réel. Ce que les mortels ont « posé », ce n'est pas qu'il y ait le naître et le mourir, l'être et le non-être des étants, les déplacements et les altérations : cela a existé avant eux et ne dépend pas d'eux ; mais ils ont posé tout cela comme la réalité même. Ils croient au monde, ont foi (nlcrT�c;, cf. m:no �8ô-re:c;) dans les valeurs du monde ; ils se fondent, ils fondent leur vie dans le périssable, et ils s'instituent eux-mêmes comme des « mortels ». Pour eux, ce monde est ou ily a ce monde, et cela n'est pas faux : il est bien vrai que, pour eux, ily a ce monde. Mais, cependant, « être » ou « il y a » ne sont ici que des mots privés de leur vraie signification. L'intention des mortels ne porte pas, en effet, sur l' « être » ou le « il y a » comme tels, mais sur ce qu'il y a, dont l'affirmation « cela est » doit affirmer la consistance, alors que seul le ily a comme tel est pérenne, donc consistant. Lorsque les mortels parlent de ce qui les entoure, les mots disent bien ce qu'ils signifient : s 'ils parlent de « cerises », ils parlent bien de cerises. Mais à cela s 'aj oute un indice de réalité : les cerises sont quelque chose de réel. De ce fait, les mortels prennent le manque, l'absence, la mort, bref le non-être de ce qui « est » ou « était », tout à fait au sérieux. Ils ne saisissent pas le non-être, le néant, la vanité finale de leurs non êtres. Les mortels meurent et ne parviennent pas à s'accommoder de la mort. Pourtant, qu'ont-ils perdu ? En quoi leur vie a-t-elle été une vie vraiment réelle ? Ce qui est cesse d'être : ainsi il y a, apparemment, le naître et le mourir, l'être et le non-être, mais, parce que ce qui meurt, qui cesse d'être, n'a, par là même, j amais vraiment été, un non être plus radical que les non-êtres partiels s'étend sur toutes choses, qu'elles soient dites par les mortels « être » ou « ne pas être » - non-être non absolu, puisque tout cela, qui constitue le monde des mortels, n'est pas rien. Les choses sont nommées : voilà des cerises, des moineaux, une rose. Ces noms sont-ils des « noms vides » (« empty names », Tarin, _ p. 1 32) ? Nullement. Le mot onoma ne peut signifier, au temps de Par ménide, un « pur flatus vocirn (cf. R. Brague, I. e., n. 54) . Parménide
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n'était, semble-t-il, ni un Roscelin pour qui les genres et les espèces ne sont que des mots, de simples « souffles de la voix », ainsi que le lui reprochera saint Anselme, ni un Hobbes pour qui « un nom est un son de la voix employé arbitrairement » (Logica, I, 2, 4) . Ne parlons donc pas de « nominalisme ». L'énumération des vers 40-41 montre assez que le problème du Parménide n'est pas celui de la réalité des idées générales, mais du statut ontologique du monde du devenir. Le sem blant d'être du monde des mortels suppose une ontologie naïve, qui revient à accorder faus sement une valeur de réalité à ce monde - non qu'il ne soit absolument rien, mais il n'est pas aussi réel que les mor tels se le figurent. « Il y a des cerises » ; « il y a » n'est pas vide de signi fication : il y a bien des cerises, mais ce qu'il y a, c'est ce que bientôt il n'y aura plus. Le temps, qui les rejette au non-être, déréalise toutes les prétendues réalités. Lorsqu'il n'y a plus de cerises, que reste-t-il ? Le mot « cerise ». Et que reste-t-il lorsqu'il n'y a plus rien de ce qu'il y avait ? Les noms de tout ce qu'il y a eu. Or, tout ce qu'il y a dans le monde est voué à ne plus être. Ainsi, de toutes les réalités mouvantes de ce monde, ne restent que les noms . Mais les noms ainsi vidés de leur référence substantielle, ne sont pas vides de signification. Qu'en est-il des significations ? La pensée de Parménide, loin de nous tourner vers le nominalisme, semble nous orienter vers la théorie platoni cienne des Idées. Mais Parménide ne s'oriente pas en ce sens . Que lit-on, dans un cimetière ? Des noms, rien que des noms . Qui ces noms nomment-ils ? Pour beaucoup, on ne le sait plus . Tout s 'oublie peu à peu. Qu'en est-il du monde que les hommes tiennent pour « réel » ? Toutes les choses qui le composent sont dans le cas de ne laisser après elles que leurs noms - les noms que leur ont donnés les mortels . Dès lors, dire que « sera nom tout ce que les mortels ont posé [ . . .] », revient à dire que les s i g n i fi c a tions mêmes sont mortelles - non, cependant, le « il y a », tel q u ' i l e s t entendu e t prononcé non par les mortels, mais par la Dée s s e . 42-49. a:ù-riXp btd m:Lpa:ç . . . Èv 7tdpa:cn xupe:t. « De plus, puisqu'il y a une limite extrême, il est p a r t o u t: a c h e v é , semblable au corps d'une sphère bien ron d e , d u m i l i e u e n t o u s s e n s
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pareil. Car il est nécessaire qu'il n'ait ni quelque degré <d'être> en plus, ni quelque degré <d'être> en moins, ici ou là. Il n'y a pas, en effet, de non-être qui l'empêcherait d'arriver à l'égalité à soi-même, ni il n'y a d'être tel qu'il y aurait plus d'être ici, moins là, puisqu'il est tout entier inviolable. Car, étant partout égal à soi, il se trouve pareil lement dans ses limites. » Au vers 46, on lit dans Simplicius, Phys., 1 46 . 1 9 D : ou'îE yiXp ou'îE è6v ( ov EF) . La correction oùx è6v de l'édition aldine a été généralement adoptée (oùx è6v ècr'îL Karsten, Ritter-Preller, suivis par Holscher et Coxon ; oùx èàv Écr'îL, Mullach, Zeller, Stein, et la plupart des éditions modernes dont Diels-Kranz, De Vogel, Mansfeld, Cordera, Gallop, Kirk-Rav.-Sch., O'Brien-Frère, Reale-Ruggiu, C. Collobert) . Diels, 1 897, écrit : ou'îi:: o v Écr'îL ( ou 'îEov Diels, Vors. 1 903) . Parménide (cf. p. 9 1 ) aurait adopté cette forme rare d'indéfini (ou-ri::o v = ou TL) pour jouer sur des ressemblances de sons ( ou-ri:: o v et ou-r' è6v du vers 47) , usant de ces figures de rhétorique que sont la mxpovoµcx:crlcx: et la ncx:p�x_"Y]mc; (voy. dans Littré, s .v. « paronomase » et « paréchème ») . Diels traduit (p. 39) : « Denn da gibt es weder ein Nichts, das seine Vereinigung aufhebe [ . . . ] » ; il est suivi par Liddell-Scott-] ones (s.v. -rfoc;) : « ou-ri:: yiXp ou -ri:: o v fo-rL, nor is there a Nothing ». Mais, outre qu'il n'est pas vraisemblable que Parménide se soit amusé à des j eux de mots (il est tout sauf puéril) , on ne voit pas comment il aurait pu parler d' « un » Rien (d' « un » Néant !) . Untersteiner adopte la lec ture de Diels, mais voit dans OU'îE . . . ou deux négations « che si rinfor zano » (p . CLXIII, n. 1 75) ; il traduit : « poiché non esiste, no, qualche cosa che possa arrestare il suo adeguarsi all' eguaglianza » (p. 1 5 1 ) . Que peut bien être ce « quelque chose » ? C e n e peut être n i l'être, n i le non-être : ce ne peut être qu'un étant. L'être interviendrait dans la deuxième partie de la disj onction (v. 47-48) , et, dans la première par tie, l'étant. En ce sens peut être aussi comprise la traduction de Bol lack-Wismann - sur la base du texte de Simplicius : « Car il n'est vrai ni qu'il existe un étant qui l'empêcherait de parvenir au pareil, ni que [ . . . ] » (1 97 4, p. 205) . Mais encore faudrait-il que ces auteurs aient une idée nette de la distinction de l'être et de l'étant, ce qui n'est pas le cas . Et il est, de toute façon, plus vraisemblable que, dans la pre-
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m i ère partie de la disj onction, par opposition à l'être, doive figurer le non-être. C'est pourquoi, il convient de retenir le oùx f.ôv de l'édition
aldine. Au vers 49, les manuscrits de Simplicius (Phys., 1 46 . 22 DEF) don nent o[ y&p. La correction de l'édition aldine, � y&p (l'expression � y&p « certes », « en effet », est fréquente dans l'Iliade) a été adoptée par Kar sten, Mullach, Stein, et d'autres. Riaux traduit ainsi le vers 49 : « Car il l l 'être] demeure égal de tous côtés dans ses limites. » Le dernier vers de la suite 42-49 n'est pas la conclusion de l 'argumentation, mais sa prémisse. La correction � cessa d'apparaître chez les éditeurs après que Diels (p. 9 1 ) eut proposé oI y&p. Toutefois, la propre analyse de O i e l s , q ui faisait d e o I u n relatif, « vers quoi » (wohin), rendait d i ffici l e l ' i n t er prétation du vers (il fallait faire de l'être une sphère et co n s i dérer l e centre, « vers quoi », etc.) . Cela donna quelque temps sa chance à l 'émendation Tmy&p, « c'est pourquoi », de Zeller (cf. Zeller-N estle, p. 695, n. 1 ) , acceptée par Patin (p. 5 8 1 ) et d'autres, qui fai sa i t d u vers 4 9 une conclusion. Mais, e n 1 930, Friinkel (Parmenides, p. 1 87) montra, par l'exemple de son emploi dans Homère (Od., 1 1 , 433) , q ue oI devait être pris comme le datif du pronom personnel réfléchi de l a troisième personne, « à lui » . A l a fi n d u vers 4 9 , les manuscrits donnent xupe:î.' (aEF : xupo'i:' 0) , accepté par Karsten, Mullach, entre autres . Stein a corrigé en xupe:� ; il a été suivi par Diels et les éditeurs. Cette correction, qui s'appuie notamment sur Timon, fr. 48 . 5, Diels Di Marco 1 , a été jugée « inu t i l e » par Bollack-Wismann (1 974, p. 2 1 1 ) , « très utile » par Cordera ( Études, II, p. 1 7) . Il semble, en vérité, qu'elle ne s'impose pas - pas plus, par exemple, que de corriger xu pe:'i:' dans un vers d'Euripide (Phén., 1 067) . Rappelons, du reste, que les accents ne sont apparus qu'à l'époque hellénistique. Revenons au vers 42. Que l'être soit étreint par la limite, nous le savons déj à. Ce qui est dit ici est que la limite est « extrême » (ou « ultime » , pumaton) . Comment entendre cela ? n:uµ.()(TOÇ signifie, dans
1 . C f. notre ouvrage Pyrrhon ou l'apparence,
PUF,
1 994, p. 8 7 .
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
l'Iliade, l'extrême bord d'un bouclier (àévTu� � nuµ.&TYJ &.crnlôoc:;, 6 . 1 1 8) . J usqu'à l'extrême bord, i l y a l e bouclier bombé ; au-delà, i l n'y a plus de bouclier. De même, j usqu'à la limite extrême de l'être, il y a l'être ; au-delà, il n'y a rien. Parler ainsi n'implique pas (malgré Tarin, p. 1 52) que le non-être existe, au contraire : dire qu'il n'y a rien, ce n'est pas dire qu'il y a le Rien. Ou, si l'on préfère : il n'y a pas d'au-delà de la limite. Un tel « au-delà » n'est même pas pensable, puisque la limite de l'être est aussi la limite de la pensée. Nous avons vu que l'être ne pouvait être « non achevé » (8 . 32) . que l a limite « achève » l'être, c'est c e qui e s t confirmé e n 8 . 42, mais le mot nâvTo8e:v, « de toutes parts », « partout », en 8 . 43, fait problème puisque l'être n'a pas de parties . Selon Tarin, l'expression de « limite » ou « limites » de l'être, n'est qu'une expression métaphorique « to emphasize the fact that is is logical necessity that forces Being to be identical with itself» (p. 1 51 ) . La limite signifie que l'être est complet : « Being is complete everywhere because everywhere Being is just Being » (p . 1 59) . Mais pourquoi « everywhere » ? pourquoi « partout » ? nâvTo8e:v n'est pas expliqué. Selon Calogero (p. 25) , on aurait, à la ligne 42, le passage de la limite logique à la limite spatiale. Certes, l'être ne peut être « limité » comme s 'il occupait une partie d'un espace plus grand. Cela est absurde. On ne peut nier, cependant, avec les mots nâvTo8e:v, µ.e:crcr68e:v en début de vers (43 et 44) et l'image de la sphère, la présence d'une connotation spatiale. La question est de savoir ce qu'elle signifie, alors que l 'être comme tel, n'ayant pas de parties, ne peut être en rien spatial. Ce dernier point ne souffre guère contestation aujourd'hui, alors que l'opinion contraire, avec l'appui de Zeller et de Burnet, a été longtemps classique. Les vers 42-49 sont sans ambiguïté selon Zel ler : « Loin d'écarter les déterminations relatives à l'espace comme inadmissibles, Parménide décrit expressément l'être comme une masse continue et homogène, se prolongeant uniformément dans tous les sens à partir de son point central, occupant toujours un seul et même lieu dans son enceinte limitée, ne comportant aucune lacune produite par le non-être, et ne contenant en aucun point une quantité d'être plus grande qu'en un autre point. Nous ne s erions
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autorisés à prendre ces expressions au figuré, que si Parménide lui même indiquait en quelque endroit qu'il conçoit son être comme i ncorporel [ . . .] ; mais c'est précisément ce qui n'a lieu nulle part » (p. 5 1 ) . Il suffit de citer le développement de Zeller pour faire res sortir son absurdité. Il n'aurait de sens, en effet, que si l'être était un étant, de l'eau par exemple. On peut parler, si l'on veut, de l'Océan originel comme d'une « masse continue et homogène », etc. Mais une masse d' « être », c'est une masse de quoi ? Si l'on vous dit : « c'est de l'être », vous dites : « mais encore, de quoi parlez-vous ? » Il est clair que les expressions parménidiennes ne peuvent avoir de sens que figuré. Et certes, si l'être ne peut être corporel, il ne peut davantage être « incorporel » : cela ne peut se dire que d'un étant. Dans la ligne de Zeller, Burnet se représente l'être comme « un plenum corporel fini, sphérique et immobile » (p. 2 1 1 ) . Mais que veut dire : plein d' « être » ? Ici encore, la mésinterprétation est totale. L' « être » ? « Entendez l'espace étendu », écrit Baccou (p. 1 69) . Mais alors, l' « être » disparaît : il ne reste plus que l' « espace étendu ». A la suite de Hamelin (p. 1 20) , Robin (p. 1 06) précise qu'il s'agit d'une « étendue intelligible et sans parties » : on remplace l'idée d'être par une autre (qui n'a de sens que dans un tout autre système) . A la suite de Diels, Bréhier (I, p. 63) discerne l'influence du pytha gorisme : qu'est cette « sphère parfaite et limitée, également pesante à partir du centre dans toutes les directions », qu'une « image géomé trique née au contact de la science pythagoricienne » ? Mais pourquoi voir, dans la sphère du vers 43, une « image géométrique » ? S 'il s 'agis sait de la sphère des géomètres, pourquoi préciser qu'elle est « bien arrondie » ? Qu'est-ce qu'une sphère géométrique qui ne serait pas « bien ronde » ? La précision semble indiquer que Parménide songe à une sphère qui peut n'être pas « bien arrondie », telle, par exemple, que le ballon, crcpœlp?J, avec lequel j ouent Nausicaa et ses servantes ( Od, 6 . 1 00) , et qui peut être plus ou moins gonflé. Bréhier parle d 'ail leurs d'une sphère « pesante ». Une sphère géométrique es t-elle « pesante » ? L'image est physique. Cela demeure, même si oyxoc;, plu tôt que par « masse » (la « masse » d'un ballon !) , doit être t rad u i t par « grosseur » ou « corps » .
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On connaît la célèbre comparaison pascalienne de l'univers et d'une sphère infinie : « C'est une sphère infinie dont le centre est par tout, la circonférence nulle part » (fr. 72 Br.) . Selon A. Fouillée - et c'est ce que signifierait la comparaison avec la sphère -, l'être de Par ménide est précisément « la sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part » (Histoire de fa philosophie, Paris, D elagrave, 1 90 1 , p. 53) . Une telle interprétation est naturellement à rejeter. La comparaison, chez Pascal, lui sert, en effet, à montrer l'inintelligibilité de la nature. Auparavant, chez Mlle de Gournay (Préface à son édition des Essais de 1 635), comme, déjà, chez Rabelais ( Tiers Livre, ch. 1 3 ; Livre V, ch. 47) et au Moyen Age 1 , elle servait à montrer l'inintelligi bilité de Dieu. Elle ne peut donc s'appliquer à l'être de Parménide, qui est l'intelligible même. Toutefois, qu'on la trouve associée au nom de Parménide n'est pas trop étonnant, si l'on songe que Vincent de Beau vais (XIIIe siècle) la fait remonter à Empédocle, qui aurait défini Dieu ainsi : Deus est sphaera, C!fjus centrum ubique, circumferentia nusquam (Specu fum historiafe, ch. 1 ) . Au reste, elle sert à Fouillée à identifier l'être de Parménide avec Dieu (I. e., p. 53) identification à laquelle il serait vain de chercher un fondement quelconque. L'être est « semblable à une sphère entièrement ronde », traduit Riaux (p. 22 1 ) , qui escamote ici le mot oyxoi:;. L'être n'est pas « sem blable » (Èv<XÀÎyxwi:;, adj ectif homérique) à une sphère bien arrondie, mais à l' onkos d'une telle sphère. Et il n'est pas « de toutes parts sem blable à [ . . . ] », comme le veut Platon, qui, omettant le vers 42, ne rap porte pas Tiav-ro6e:v à la limitation et à l'achèvement de l'être, mais à sa similitude avec . . . (Sophiste, 244 e) . Comment entendre oyxoi:; ? On traduit volontiers par « masse », à la suite de Mullach (moles) et de Diels (« masse ») . Hamelin (p. 1 20) , Calogero (p. 25) , Coxon, préfèrent tra duire par « volume » (c'est aussi le mot que choisit Diès pour oyxoi:; dans son édition du Théétète, 1 55 a) . Mais une sphère n'a pas nécessairement une masse : on parle de la masse d'une boule pleine, non d'une sphère vide ou gonflée d'air. Une bulle de savon dans un air calme donne -
1 . Cf.
Ernest Havet,
Pensées de Pascal, 3' éd.,
Paris , Delagrave,
1 880,
t.
I, p. 1 7- 1 9.
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l 'i mage d'une sphère parfaite. Parlera-t-on de la « masse » d'une bulle de savon ? Sans doute a-t-elle un « volume » ; mais la notion est par trop géométrique. oyx6w-w signifie « enfler » ou « gonfler ». On pourrait son ger au gonflement, à la rondeur de la sphère, parfaitement uniformes autour du centre. Mais le contexte montre que Parménide songe à tout le corps de la sphère. La plénitude, la perfection de l'être, liées à son « achèvement », font songer à une autre plénitude et une autre perfec t i o n : celles d'une sphère supposée accomplie dans sa globalité. Nous traduisons oyxoc; par (( corps », le mot (( corps )) signifiant, précisément, que la sphère est prise dans sa globalité. L'être est semblable à l' onkos de la sphère, c'est-à-dire pas seulement à sa « courbure », comme le veut Beaufret, mais à toute cette façon qu'elle est de remplir l'espace, depuis le milieu jusqu'aux bords. Et cette globalité d'une présence sphérique se voit aussi bien sur une bulle de savon que sur un ballon, ce qui n'est pas le cas de la « masse ». Et autant l'on comprend la similitude de l' être, qui, partout achevé, occupe, d'une certaine façon, le tout de la réalité, avec l 'englobement d'une sphère, autant l'on comprend mal une telle simili tude avec un caractère contingent tel que la « masse ». Les commenta teurs, ici, « enrichissent » le texte. Il en va de même dans le cas du mot lcromxÀÉc;, au vers 44. Karsten traduisait sobrement µc:: cr cr6fü:v lcromxÀÈ:c; 7taVTY), undique a medio aequale. Mullach introduit la notion de « distance » : a medio aequaliter ubique dis tans ; il est suivi par Tannery et d'autres. Diels introduit la notion de « force » (« von der Mitte nach allen Seiten hin gleichstark », p. 39) . Il est suivi, entre autres , par Tarin : « from the middle everywhere of equal strength ». Le mot lcromxÀÉc; signifierait d' « égale force » : « the original meaning of 1cro7taÀÉc; is "equal strength" [ . . . ] » (p. 1 45) . 0 . Furley maintient cela : « it is a word that means equality of force » (in Boudouris, Ionian philosophy, 1 989, p. 1 1 6) . Mais 7taÀ'Y) e s t l a l u t t e d'athlète, exercice gymnastique dont toutes les phases et tous l e s m o u vements sont réglés et qui n'est pas une simple que s ti o n d e « f o rce » . 1cro7taÀ�c; signifie « égal à l a lutte », d'où, tout s i m p l e m e n t , « éga l » , « pareil ». On invoque telle occurrence d u m o t c h e z H érod o t e ( 1 , 8 2 . 4 ; V, 49 . 8) . Mais, en V, 49 . 8, par ex e mp l e 1cro7taÀÉac; n e s i gn i fi e pas « égaux en force », comme traduit Legra n d (C U I ') , e s c a m o t a n t l 'idée de ,
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« lutte », mais « égaux au combat ». Pour 1cronixÀ�ç, dans son occur rence parménidienne, Chantraine (s.v. nixÀixlw) propose le mot « équi valent », et L. S. J . les mots « equivalent, equal ». A la notion de force, Burnet préfère la notion de poids : l'être est « également pesant à partir du centre dans toutes les directions » (p. 203) . Zafiropulo pense que le terme 1cronixÀéç signifie peut-être : « également pesant » (p . 1 1 3) . Mais qui voudra, à l'instar de Zafiropulo, concevoir d'être comme un « fluide » ? Bollack-Wismann peut-être, qui, pour traduire 44 a, se représentent, « à partir du centre, une poussée égale en tous sens » (1 74, p. 205) . On songe à la poussée d'Archimède ! Aux notions dyna miques de « force », d' « énergie » (« energia », Calogero, p. 27) , de « poussée », d'autres préfèrent la notion statique d' « équilibre » : ainsi Kranz (« von der Mitte her überall gleichgewichtig », in Vors.) , Cl. Ramnoux qui conçoit la sphère, d'après 44 a, comme « du centre en tous sens également équilibrée » (p. 1 26) . Naturellement, les notions de « poids » et d' « équilibre » sont souvent associées. On observera que si les notions de « force », de « poids », de « poussée », d' « équilibre », peuvent être aisément laissées aux com mentateurs, il n'en va pas de même, au premier abord, pour la notion de « distance ». Que peut signifier la « force » d'une sphère ? la « force » de l'être ? le « poids » de l'être ? la « poussée » d'une sphère ? la « pous sée » de l'être ? En revanche, µe;crcr66e;v ne doit-il pas faire songer au centre de la sphère, dont tous les points de la surface courbe sont éga lement distants ? Mais Parménide écrit 1cronixÀéç, et non 1cronixÀouç : ce n'est pas la sphère qui est isopales, et µe;crcr66e;v lcronixÀÈ:ç niXv-rri ne doit pas se traduire : « du centre, en tous sens, également distante ». L'être est isopales : partout pareil (ou égal à lui-même) à partir du milieu. Mais l'être, étant indifférencié, n'a pas de « milieu ». Le « milieu » dont il s 'agit ne peut être que le milieu de l'étant, non pas de tel étant, mais de l'étant dans son ensemble, de tout ce qù'il y a, à savoir le monde. Du centre du monde jusqu'aux extrémités de ce qu'il y a (et qui sont sans au-delà) , l'être est partout le même, quelles que soient les diffé rences des étants . Est-ce à dire qu'il y ait une spatialité de l'être ? Nous avons vu que l'être « reste fermement ici même fixé » (8 . 30) . Cet « ici » n'est, cependant, pas plus spatial que le « maintenant » de l'être n'est
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t emporel (bien que n'étant pas sans durée) . Le ici spatial serait un lieu parmi d'autres ; mais le « ici » de l'être est plutôt le fait même du lieu. En d'autres termes, l'être se dit de ce qu'il y a, et ce qu'il y a se déploie dans la spatio-temporalité. Hamelin (p. 1 20) traduit µe:crcr6fü:v 1cro1t1xÀÈc; 1t1XvT{l : « partout égale ment existant à partir du milieu ». Que l'être soit égal à lui-même, signi fie, en effet, qu'il est partout également « être ». Mais cette précision apparaît seulement dans la phrase suivante (44 b-45) , avec la justification i ntroduite par yap. Il ne faut pas traduire les deux comparatifs par l'op position « grand-petit » (Burnet, Untersteiner, Coxon, O'Brien-Frère, Reale, Stevens, etc.) , ou par l'opposition « fort-faible » (Riaux, Bollack Wismann) . « Grand », « petit », « fort », « faible » : ces termes ne convien nent pas à l'être. Cordera (p. 39) , suivi par C. Collobert (p. 21 ), introduit justement la notion de « degré » : il n'y a pas de degrés d'être. Le verbe rcÉÀe:votL, synonyme ici de e:Ivcu, met l'accent sur l'acte d'être. L'être est partout égal à lui-même, car il y a nécessité, en vertu de la notion même d' « être », qu'il ne soit pas plus ou moins « être » selon que ce qu'il y a se t rouve ici et là. Cet événement qu'est le ily a est indifférent aux varia tions et aux inégalités qui affectent ce qu'il y a. Comme nous l'avons vu (ad 8 . 22-25) , rien de ce qui sépare les étants les uns des autres - le vide, par exemple - ne concerne l'être lui-même. Qu'est-ce, en effet, qui pourrait entraver l'égalité à soi-même de l 'être ? Le non-être (8 . 46) ? Il n'y a rien de tel ; certes, les étants ces sent d'être, mais le non-étant, qui se manifeste, notamment, par la mort, n'est que le non-être de ceci ou de cela, non le non-être absolu, de sorte que l'être comme tel reste non atteint (&cruÀov) . Serait-ce l'être qui créerait dans l'être une inégalité ? Mais comme l'être n'est que I ' « être », sans plus, il n'est pas susceptible de plus ou de moins . Certes, l'étant peut être en plus grande quantité, ou compacité, ou densité, ici plutôt que là ; mais les diversifications del' étant ne concer n en t pas l'être, et Covotti (p. 1 40) , Untersteiner (p. CLXIII), et au tres, s e trompent en croyant que Parménide polémique i c i contre l a doc trine de la condensation et de la raréfaction d ' Anaximène : i l ne se si tue pas au même plan. Les variations antiques n ' ont pas de s i g n i fi c a tion ontologique. Il y a du clair comme il y a d u s o m b r e , d u l ége r
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comme il y a du lourd, du rare comme il y a du dense, etc. On a, en 8 . 48, la première occurrence connue du mot &crvÀov, « inviolable ». Rien ne permet de lui attribuer la signification religieuse qu'il aura plus tard (cf. le:pàv &crvÀov, « temple inviolable ») . Il signifie simplement que l'être ne prête le flanc à aucune atteinte. Le vers 49 relève ce qui était la prémisse de l'argumentation : l'éga lité à soi-même de l'être considérée dans son extension au tout de l'étant. En quelques vers, le phonème mxv revient avec insistance quatre fois . L'être est « tout entier » (7tiiv) inviolable ; il est « partout » (miv·rn8e:v) égal à soi. L'être a affaire avec le Tout, avec l'ensemble de ce qu'il y a, qui, à partir du milieu (µe:crcr68e:v) , s 'étend jusqu'à la limite - dite « extrême » pour refuser le mouvement à l'infini. Si le monde est l'ensemble de ce qu'il y a, on peut dire que le ily a, l'être, s'étend au monde, et l'on peut parler, en ce sens, d'une « extension » du ily a. Pour qu'il y ait ce qu'il y a, pour qu'il y ait le monde (certes non éter nel : cf. fr. 1 9) , il faut un lieu, le « ici même » de l'être. Les étants sont étendus, sont dans l'espace. Il n'en va pas ainsi de l'être. Mais l'être est l'être de ce qui est étendu (et temporel) . Il faut donc qu'il ait un rap port avec la spatialité, et c'est pourquoi il est ici : c'est ici qu'ily a - un ici dont la limite est extrême, comme celle de l'être. Le ici est le ici du monde, comme l'être est l'être du monde. De là la précarité de l'être même du monde : car l'être n'est pas conféré au monde comme tel, mais pour autant qu'il est ici et maintenant. De sorte que, ne parve nant pas à se maintenir ici et maintenant, il perd son être. Au vers 49 b, Bollack-Wismann, après Frankel (Parmenides, p. 1 88) , donnent à ÈyxvpÉw le sens de « rencontrer » : l'être « rencontre pareille ment les limites ». Ils entendent par « limites » les « confins de la sphère » (I. e., p. 2 1 1 ) . En ce cas, le premier hémistiche (49 a) et le second s 'accordent mal, car le premier s'entend de l'extension de l'être au tout de l'étant, alors que le second s 'en tiendrait à la considération de la courbure. Encore faut-il expliquer le passage du singulier 7te:i'p(Xç (v. 42) au pluriel 7t d p(X m (v. 49) . Il est dit, au vers 44 a : « du milieu en tous sens égal ». Dès que l'on dit « à partir du milieu », le milieu est considéré comme une limite. Comme le dira Aristote, "t"à ô'fox.(X't'OV X(XL "t"à µfoov 7tÉp(Xç, « l'extrémité et le centre sont des limites » (De caelo, II,
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1 3, 293 a 32-33) . Partout égal à soi dans une uniformité sans défaut, l 'être se trouve à l'abri (&cruÀov) dans ses limites. Il est vrai que l'être, du fait même qu'il est sans différences, n'a pas de milieu. Mais ce qui est « milieu » pour l'étant dans son ensemble, est, pour lui, « limite », car il n'y a d'être que de ce qu'il y a, et ce qu'il y a a un milieu - le centre du monde. Parménide « a les yeux fixés sur la voûte céleste », dit Abel Rey (La jeunesse, p. 1 48) . Les vers 42-49 suggèrent la sphéricité du monde. Qu'est l'être pour le monde ? Ce qui fait qu'ily a le monde, non certes pour toujours - et c'est pourquoi le monde n'est pas vraiment -, mais pour le temps où l'être lui donne asile (&cruÀov) dans son « maintenant » et son « ici », lesquels, invariables et éternels, sont disponibles touj ours pour accueillir à l'infini d'autres mondes fugitifs .
50-51 a. È: v T cfl cr m . . . &:µqitç &:À"f) fü: l"f) c;. « Ici, j e mets fin au discours digne de foi que je t'adresse <:!t à la pensée qui cerne la Vérité. » Si la Déesse met fin au discours vrai, ce n'est pas parce que l'heure de la leçon s'est écoulée, mais parce que le discours était, comme tel, essen tiellement fini et qu'il est arrivé à son terme. Il n'y a rien à aj outer. La préposition &:µqi lç ( &:µqil affecté du sigma adverbial) , qui, avec le génitif, signifie habituellement « au sujet de », a ici une valeur plus précise : « autour » (cf. Il., 2, 384 : &pµixToç &:µqitç 10wv, « examinant le char tout autour ») . La vérité est, dans le discours, cernée par la pensée de manière que rien n'échappe. De même que l'être est achevé, la vérité et le dis cours sont susceptibles d'achèvement, et de cette clôture marquée par le verbe 7tixuw. La cessation est la limite extrême (pumatos), qui achève parce que tout ce qu'il y avait à dire est dit : « tout », à savoir la vérité qui se suffit à elle-même, à laquelle il n'y a rien à ajouter ni à retrancher, comme à l'être. Que signifie mcrT6ç ? Le discours « digne de foi » est le discours qui, parce qu'il retient en lui la Vérité, est digne de fonder la conviction (7t1crT�ç) qu'en saisissant ce qu'il dit dans l'écoute attentive, on saisit la Vérité. Le j eune homme peut avoir maintenant la conviction fondée que ce qui a été dit tel ou tel ne cessera jamais d'être ainsi que c'est. Le discours peut cesser, ayant levé le voile sur ce qui ne cesse pas .
III
L E M Y THE
FRA G M E NT 8 (suite)
5 1 b- 52 S IMPL. ,
51 b- 6 1 S IMPL. , Phys., 3 8 . 3 1 -39 . 9 P01s., 1 46 . 24-25 Phys., 30 . 1 8- 1 9 ; De cael., 5 5 8 . 6- 7 53-59 S IMPL. ,
5 1 b-52 SIMPL. ,
Phys.,
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30 . 23-31 . 2 ; 1 80 . 1 - 7 .
ô6f;cxç ô' ho Touôe: �po•e:lcxç µ&v8cxve:, x6crµov ȵwv ÈTcÉwv &7tcxT"Y)ÀÜV &xouwv. µoprp ,Xç y,Xp X<XTÉ8e:VTO OVO yvÙJµcxç ovo µa�E:LV, TWV µlcxv où xpe:wv Ècrnv, Èv <li 7tE:7tÀ<XV"Y) µÉvoL e:lcrlV' &vTLCX o'Èxp LVIXVTO Ôɵcxç xcxl cr�µcxT'ËSe:VTO xwplç <ht' & n�Àwv, •ri µè:v rpÀoyoç cx18Épwv 7tup, �mov ov. µÉy' &pcxL6v, Éw1néji 7tlXVTocre: TWÙT6v, Téji ô'hÉpcp µ-Y) TWÙT6v· &.<Xp x&xe:"Lvo xcxT' cxùT6 T&vTL<X vuxT' &ôcxYj, 7tUxLvov Ôɵcxç ȵ�pL8Éç Te:. T6v croL Èyw ÔLaxocrµov Èo Lx6w 7t&vw cpcx•l�w, wç où µ� 7tOTÉ TLÇ cre: �POTWV yvwµ"Y) 7t<Xpe:Mcrcrn. 51 �poTEÎotç Simpl. Phys., 1 46 De cael. : �poTEÎouç Phys., 30 ; 38 (et 1 47 . 29)
53 yvwµotç Phys., 39 DEE'F ; 1 80 F1 Ald. : yvwµotLÇ Phys., 30 DEF ; 1 80 DEF' ; 39 Ald. 55 à.nlot Phys., 39 DEE'F ; 1 80 DEF ; 30 F Karsten Diels : Èvotnlot 30 57 µéy' à.potL6v Kars ten De D E : Tà.vTlot Kranz in Vors. Untersteiner De Vogel V ogel : µéy' à.potLOV ÈÀot<pp6v Phys., 30 ; 39 F : à.potLOV ÈÀot<pp6v 39 DEE' ; 1 80 : f ÈÀot<ppôvl sec!. Karsten : (à.potLov] sec!. Diels 5 9 Tà.vTlot Phys., 31 F ; 39 F ; 1 80 E : TcivotvTlot 3 1 DE ; 39 DE ; 1 80 DF : à.vTlot 1 80 Ald. Karsten Mullach Stein 6 1 yv,.>µ1) l i h r i :
yvwµ71 (datif) Stein.
Les opinions des mortels, à partir de maintenant, apprends-les, en écoutant le trompeur arrangement-e11-111 0 11de Les mortels, en effet, ont jugé bon de nommer de11x .fo r111 e.r, dont il ne faut pas faire une - en quoi ils se sont trompés.
de
111e.r pamlr'.r.
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Ils les ont séparées defafOn opposée selon le corps, et en ont établi les signes à part les uns des autres : d'une part, le feu éthéré de la flamme, qui est doux, très clair, le même partout que lui-même, mais non le même que f'autre ; d'autre part, cet autre en lui-même en ses aspects contraires : nuit sans clarté, corps épais et lourd. Quant à moi, je t'expose cet arrangement-en-monde, vrai-semblable en tous points, afin qu'aucune sagesse de mortel ne l'emporte jamais sur toi.
La Déesse a mis fin (cf. mxûw, 8 . 50) au discours qui recèle en lui la Vérité : ce discours, portant sur l'être même, immuable et éternel, est vrai pour toujours . Au contraire, le discours sur la doxa, qui vient après, ainsi appelé parce qu'il porte sur les doxai des mortels (v. 51 b) , peut cesser un j our d'être vrai : ce sera le cas lorsque son objet, le monde, cessera d'être - cédant la place non certes au non-être, mais à un autre monde. Ce qui n'est que pour un temps, quoique n'étant pas absolument rien - auquel cas, il serait innommable et impensable n'est pas vraiment. Par rapport au Réel, il est irréel ; et il n'a que la réalité de l'irréel. La Déesse s 'adresse au j eune homme, au disciple : « Les opinions des mortels [ . . . ] , apprends-les [ . . .] ». Or, le j eune homme est un mortel. Que signifie le fait que la Déesse ait à lui apprendre ce à quoi il croit ? Les mortels croient au monde, à la réalité du monde. Ce que leur enseigne la Déesse, c'est ce qu'est réellement ce à quoi ils croient, à savoir que le monde n'a pas la réalité qu'ils lui attribuent : il est réellement irréel, parce que fait de choses évanouissantes, et lui-même évanouissant. Le prétendu « être » des choses mondaines ne fait que passer, et le discours sur les choses mondaines ne fait, lui aussi, que passer. Le j eune homme, par le discours de la Déesse, se trouvera détrompé, et ainsi se trouvera justifié ce dédain du monde qui l'en a, initialement, détaché, et l'a fait suivre une voie qui soit « en dehors du sentier battu » ( 1 . 27) . Pourquoi, en ce cas, le discours de la Déesse, qui va détromper le j eune homme, dans la mesure où il adhère encore à la croyance qui réifie le monde en être, est-il dit « trompeur », &7tixTYJMi; (cf. Il., 1 . 526) ? Que dit la Déesse ? « A partir de mainte nant (ho ·rnüôe:) [ . . . ] apprends [ . . .] , en écoutant [ . . .] ». J . Frère traduit
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LE MYTHE. FRAGMENT 8 (SU ITE)
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&7to TolîÔE par « en fonction de ceci » (Études, II, p. 1 99) , marquant
ainsi entre les deux parties du fragment 8 une continuité que le verbe mxûw, « ici j 'achève . . . », contredit (cf. J. Brunschwig, 1 990, p. 260) . Car la pseudo-réalité des dokounta ne se « fonde » pas « dans l' Ê tre » (malgré J . Frère, p. 1 9 8) , ni la cosmologie de Parménide dans son ontologie (malgré J. Bollack, 1 990, p. 52) . Le Réel ne saurait « fon der » l'irréel. L'être, qui n'est pas un principe, ne « fonde » rien. Autre ment dit, du fait qu' il y a ne peut en aucune façon se déduire qu'il devait y avoir ce qu'il y a. La Déesse invite à une nouvelle écoute. Le j eune homme écoutait pourtant. Mais il doit modifier son écoute, puisque ce qu'il va entendre est maintenant un discours où il y a non pas la seule &À7J8d7J, mais où il y a de la tromperie, &mx'l""Y) . Où situer cette tromperie ? La Déesse ne peut ni mentir, ni se tromper, ni vouloir tromper. Elle ne peut que dire la vérité. La tromperie ne peut donc se trouver que dans ce dont elle parle, à savoir le monde. La tromperie fait partie de l'essence même du monde, en tant que paraissant nécessairement réel aux mortels, en tant que monde-des mortels. C'est bien le x6crµoc; qui est &7tiX'!""Y)À6c;, comme le veut J. Frère (I. e., p. 20 1 ) , mais il faut entendre par là non pas une tromperie sim plement possible, mais une tromperie dans laquelle les mortels s 'en gl uent nécessairement. Si l'on garde la traduction habituelle du vers 52 - la plus naturelle -, « en écoutant l'ordre [ou l' "arrange ment" ou l' "ordonnance"] trompeur de mes dires », ce ne peut être qu'en entendant en elle plus qu'elle ne dit, puisque « ordre » ou « arrangement » traduisent aussi bien TaÇLc;. Or, Parménide a préféré x6crµoc;, un mot qui, de son temps déjà, signifie « monde » , à TaÇLc;, le mot d'Anaximandre. Cela signifie que l' « arrangement » des mots de la Déesse est aussi un arrangement en monde, et que l'on écoute un discours « trompeur » parce qu'en lui on est à l'écoute d'un monde trompeur, d'un cosmos apatèlos. Un propos est dit « répugnant », q u i n e fa i t qu'évoquer d e s choses répugnantes . D e même, s i le discou rs, ici, est « trompeur », c'est qu'il est plein de cette tromperie, de c e t t e fau s seté ontologique qui gît dans son obj et, le monde. Les mortels ont décidé, « en leurs jugements » (yvwµ.ixc;, acc u s a t i f de relation, o u yvwµixLc;, datif), d e « nommer deux formes », o u « on t
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
pris la décision (xa·rÉ8e:v't"o yvwµaç) de nommer deux formes », ou « ont admis deux notions [ou deux "jugements" ou deux "points de vue"] pour nommer [ou pour "exprimer verbalement"] les formes » : ces diverses constructions sont possibles, le sens n'étant modifié que par l'analyse de QUo . �ûo est généralement rapporté à µopcpaç, mais sa place dans la phrase, entre le verbe rincipal, et, dit-on, le complément yvwµaç, a incité certains interprètes à faire porter QUO sur yvwµaç (ainsi Rita d'Avino, Helikon, 1 965, p. 301 ; Bollack, rec. Deichgraber, Gnomon, 1 966, p. 323 ; Cordera ; A. Stevens . . . ). En réalité, il s 'agit bien de deux morphai, mais Parménide écrit ôûo yvwµaç, avec yvwµ'Y) au pluriel, pour exprimer le caractère duel de la décision de nomination des mortels. Le mot porte ainsi à la fois sur les deux accusatifs . Qui sont ces « mortels » ? S 'agit-il des mortels e n général o u de « certains » mortels, comme le veulent ceux qui identifient en eux des philosophes, et les philosophes de telle ou telle école ? Les doxai sont les opinions de qui ? Suivant la tradition péripatéticienne, Parménide rapporte ici l' « opinion des nombreux » (ô6E;a 't"&v noÀÀ&v, Alexandre d'Aphrodise, in Metaphys., p. 3 1 . 7 Hayduck = 28 A 7) : la séparation de la lumière et de l'obscurité, du jour et de la nuit, du chaud et du froid, est l'opposition primordiale qui s'impose à tous les hommes, et en fonction de laquelle leur vie se trouve réglée. Les « mortels » qui se sont trompés en séparant les formes, et en mettant entre elles une opposition exclusive, seraient-ils des philosophes, tels les Pythagori ciens (Tannery, p . 234 ; Burnet, p. 2 1 4) ou Héraclite (Patin, p. 589 s .) ? En aucune façon, car Héraclite ou les Pythagoriciens, comme d'ailleurs les Milésiens (avec l'opposition du chaud et du froid chez Anaximandre, du dense et du subtil chez Anaximène) , loin de mettre entre les contraires une opposition exclusive, pensent les oppo sés en un. Décisive, d'abord, est l'interprétation du premier hémistiche du vers 54, 't"WV µlav où x_pe:wv È<Hiv. Signifie-t-il que, des deux formes, « de l'une d'elles, il n'y a pas besoin », c'est-à-dire que l'une est « de trop » (Tannery, p . 253) ? De ces deux formes, « la lumière et l'obscu rité» (cpwç xat crx6't"oç, Simpl . , Phys., 25 . 1 6) , la seconde, sous le nom de « Froid » (�ux_p6v) , est assimilée par Aristote au non-être ('t"o µ� èîv,
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LE MYTHE. FRAGMENT 8 (SU ITE)
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Méta., A, 5, 987 a 2) . C'est donc elle qui serait « de trop ». L'on sous cn tend ovoµ&Çe:iv et l'on traduit : (( l'une d'entre elles, il ne fallait pas la nommer » (ainsi Zeller, p . 5 5 ; Burnet, p. 203 et n. 4 ; Diels, Vors. , 2 c éd., entre autres) . Mais c'est à tort qu'Aristote assimile l e « feu » (7tup, 986 b 34) [= la lumière] à l'être, et la nuit au non-être : le feu, qui est un étant, ne saurait être confondu avec le ily a, ni la nuit, qui n'est pas rien, avec le il ny a pas. De plus, comme le souligne J. Croissant, « le mot µlotv ne peut désigner "l'une des deux formes" de façon à équi valoir à ÉTÉp1Jv » ( Cahiers, n° 4, p. 5 5) . Parménide eût pu (cf. 8'hÉp<;> au vers 58) écrire ÉTÉp1Jv, et non µlotv. Diès (éd. du Parménide, p. 1 4) , suivi par Zafiropulo (p . 1 1 9) , tra d u i t -rwv µlotv où xpe:wv Ècr-riv ainsi : « dont aucune n'est permise seule » . L e s mortels se seraient trompés en n e permettant pas qu'il y a i t une forme sans qu'il y ait aussi l'autre, donc en voyant le lien et l'unité des deux. Or cette unité, c'est, au contraire, ce que Parménide, dès lors qu'ils ont « établi les signes à part les uns des autres » (v. 56) , leur reproche de n'avoir pas vu. Ce qu'entend dire Parménide, observe Simplicius, c'est que « se sont trompés ceux qui ne voient pas l'unité dans l'opposition des éléments provoquant la génération » (-roùc; -r�v O:v-rlEle:ow -rwv -r�v yÉve:criv cruvicr-rwv-rwv cr-roixdwv µ� cruvopwv-rotc;, Phys., 3 1 . 8-9) . De là la traduction-interprétation du vers 54 par Hans Schwabl : « von denen eine Eine (d.h. eine einheitliche, die beiden zusammen erfassende Gestalt) nicht notwendig ist ; in diesem Punkte sind sie in die Irre Gegangen » ( Wiener Studien, 1 953, p. 54) , traduction que l'on a , avec d e s variantes, généralement adoptée ( v . 54 a : « sans qu'il soit nécessaire de faire une avec les deux », Cl. Ramnoux, p . 1 3 1 ; « dont l'unité des deux n'est pas obligatoire », Couloubaritsis , C. Collobert ; « l'unità delle quali per loro non è neces saria », Reale ; « dont il ne faut pas faire un », A. Stevens, p. 93) . Les mortels ont nommé deux formes - et, en cela, on ne peut leur donner tort : ce sont le feu et la lumière d'une part, d'autre part, la nuit. Il y a le feu et la lumière ; il y a la nuit. Mais ce que les mortels ont séparé, les deux formes qu'ils ont distinguées « de façon opposée selon le corps », ils n'ont pas su l'unir. Or, sans union, pas de génération : l e s mortels, d u moins les mortels non philosophes, sont i ncapabl e s de
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comprendre la genèse du monde. La lumière et la nuit sont là, c'est tout. Or, tout ce qu'il y a - mais non le ily a lui-même - est le résultat d'un devenir. Qu'il en soit ainsi, c'est ce que les philosophes ont montré. Ils séparent d'abord les contraires , mais ne les laissent pas dans leur séparation. Ils voient « l'unité dans l'opposition », et ainsi, à partir des contraires, engendrent les réalités . A l'origine du monde, l'on a, chez Anaximandre, l'opposition du chaud et du froid (réglée par ce générateur qu'est le gonimon - le « capable d'engendrer ») , chez Anaximène, celle du « dense », qui correspond au « froid », et du « rare » ou du « relâché » (X(J..À (J.. p 6v) , qui est le chaud (1 3 B 1 ) , chez les Pythagoriciens, pour qui tout est nombre, celle du « fini » et de l ' « illimité », éléments du nombre : de sorte que, pour eux, comme pour les Milésiens, « les contraires sont les principes des êtres » ('t"&.v(J.. v 't"l(J.. &.px(J.. t 't"WV ov't"ûlv, Arist., Méta., A, 5, 986 b 3) . Comme l'explique Héraclite, la nature, la cpucriç, opère en unissant les contraires , non, toutefois, sans règle, mais « en respectant chaque fois une loi de proportion, de mesure et d'équilibre » 1 • De la sorte, comme le dit Philolaos, après Héraclite, de l'opposition des Contraires (( naÎt une harmonie )) ( &pfLOVl(J.. aÈ 7tcXV't"ûlÇ È/; ÈV(J.. V 't"lûlV ylve:'t"(J.. � , 44 B 1 0) - harmonie sans laquelle il n'y aurait pas de stabi lité pour le monde. Une telle harmonie, ajoute-t-il, se définit comme l' « unité », ou plutôt l' « unification » (�vûlcriç) d'un « mélange de divers éléments ». C'est une telle unité que le commun des mortels manque à percevoir, se bornant à voir l'un à côté de l'autre les contraires qu'il faudrait penser en un pour saisir le monde dans son engendrement, et non simplement comme un résultat. La contrariété fondamentale, à partir de laquelle il faudra engen drer le monde, est celle du feu (nup) et de la nuit (vu!;) . Comme la « nuit » signifie l'obscurité, le feu, qui lui est opposé, doit signifier la lumière plutôt que la chaleur. Le « feu éthéré de la flamme » est le feu lumineux plutôt que le feu calorique. C'est le feu qui éclaire.
1 . Notre Héraclite, p. 254.
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�mov, « doux », doit cependant s 'entendre de la chaleur, mais d'une chaleur douce. L'éther, qui est bien présent chez Homère, n'y donne jamais une épithète déterminant le feu. Le feu, Tà 7tup, est cx166 µe:vov, « ardent » , ch&.µcxTov, « infatigable », etc., non cxl6Épwv. Il est cepen dant important d'avoir présente à l'esprit la signification de l'cx16� p chez Homère : « L' "éther" se présente dans Homère comme l'au-delà de l' "air" (&:� p) , c'est-à-dire de l'atmosphère telle que l'homme l 'éprouve immédiatement (comme brouillard en particulier) et en même temps comme l'en-deçà du "ciel" (oùpcxv6c;) , de cette voûte "large" et "étoilée", qui limite vers le haut le champ de perception humain et où demeurent les dieux. Mais lui-même n'est pas "quelque chose" : il n'est rien si ce n'est l'intervalle, l'espace intermé diaire entre la terre et l'air ambiant d'une part et la voûte céles te d'autre part. Il apparaît le plus souvent comme l'espace transparent où se déploie la lumière [ . . . ] Ainsi, ce mot cx16�p, qui est le nom des régions supérieures du ciel, désigne à proprement parler un espace de rcryonnement [ . . . ] . » 1 Si par « éther », il faut entendre un espace de lumière, cela confirme que le feu « éthéré » de la flamme n'est autre que le feu lumineux de la flamme. Il faut donc songer à la flamme comme rayonnant de la lumière plus que de la chaleur, sans que celle-ci, toutefois, soit exclue. Les manuscrits donnent, pour le vers 57, trois épithètes du feu. Ainsi Phys., 30 . 27 : �mov Tà µÉy' &:pcxLàv ÈÀmpp6v. La métrique requiert que l'on supprime l'un des trois qualificatifs . Karsten, suivi par Riaux, écrivait : µÉy' &:pcxLàv [ÈÀmp p6v] . Zeller, Mullach, Ritter-Preller, Stein conservaient également &:pcxL6v. Mais Diels, en 1 897, écrivit : µÉy' [ &:pcxLàv] ÈÀcxqip6v, déterminant le choix des interprètes qui ont suivi, à l 'exception notable de C. ] . de Vogel. Considérant que si l'un des termes est une glose, « ÉÀcxqipàv could better be a gloss than &:pcxL6v, which is an especial presocratic term » (I, p . 40) , elle s 'en tient au c hoix de Karsten. Avec raison : &:pcxL6v, « rare », est le terme d ' A n a x i mène (1 3 B 1) ; on le trouve dans la doxograph ie d ' A n a x i m a n d re
1 . Louis Graz, Le feu dans l'Iliade et l'Odyssée,
Paris, K l i ncksicck,
1 % 5 , p. 8 2 .
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
pour dire le caractère « raréfié » de la lumière (1 2 A 22) , et il est confirmé, à propos de Parménide, par le témoignage d'Aétius (A 37) . ÈÀoccpp6v, « léger », au contraire, n'appartient pas au langage physique des Présocratiques . Il a dû être ajouté par un copiste, comme suggéré par le mot ȵ�pL6éç, « lourd », dont Parménide use pour la nuit. Quelle importance attribuer à la scholie des vers 56-59 ? Simplicius l'a sous les yeux : c'est « un petit discours (p'Y)cre:Œwv) en prose, ajouté entre les mots, comme s'il était de Parménide lui-même » (Phys., 3 1 . 3-4) , et qui dit ceci : « Ici [du côté du "feu éthéré de la flamme"] , on a le rare, le chaud, la lumière, le mou et le léger, et, dans le dense, on nomme le froid, l'obscurité, le dur et le lourd » (bd -rcj>3é Ècr-rL -ro &pocLov xoct -ro 6e:pµov xocl -ro cpaoç xoct -ro µocÀ6ocxov xoct -ro xoucpov, bd 3È -rcj> 7tuxvcj> wv6µMTl)(L 't"O �ux.pov xoct 0 �6cpoç xocl O"XÀ'Y)pov xoct �ocpu, 3 1 . 3-4) . On remarque que ce texte confirme le terme &pocL6v, mais non le terme ÈÀoccpp6v, le « léger » étant dit xoucpov. Il est certain que sont associés au feu la lumière, le rare (le « clair » 1 - ne disons pas l' « aéré », qui risque rait de faire songer à l'air) , le chaud, le léger, à la nuit ou au dense, l'obscurité, le froid, le lourd. Mais que le mou soit apparenté au feu et à la lumière, le dur à la nuit, est douteux. D'après le témoignage d'Aétius (A 37) , il semble que Parménide parlait du « rare » (&pocL6v) , du « dense » (7tuxv6v) , mais aussi du « solide » (cr-re:pe:6v) . Dès lors que l'opposition était entre les deux seuls contraires que sont le feu et la nuit, ou la lumière et l'obscurité, l'auteur de la scholie a dû penser que le solide devait être identifié à la nuit, le « dur » se trouvant ainsi appa renté au « dense » . Les contraires - feu e t nuit, lumière e t obscurité - sont séparés « de façon opposée selon le corps » (55) . Comment entendre 3éµocç ? Le mot ne peut signifier, comme chez Homère, la forme corporelle, la stature, par exemple la « taille » ou le « corps » de la déesse Calypso ( Od, 5 . 2 1 2, 2 1 3) . Dire que le feu-lumière et la nuit s'opposent « selon le corps », c'est les opposer par leur consistance. Si l'on songe au sens de 3éµw, qui désigne une certaine façon de construire (par super1 . « Qui a peu de consistance, par opposition à épais. Cette purée est trop claire » (Lit tré, s.v. « clair ») .
III
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LE MYTHE. FRAGMENT 8 (SU ITE)
position de rangées égales) , il apparaît que le sens dominant, dans la forme nominale, est celui de « structure » : le corps de la déesse a une belle structure, le feu et la nuit diffèrent par leur structure. Mais ils ne diffèrent pas seulement, ils s'opposent, ce qui signifie que l'on consi dère, d'un côté et de l'autre, les mêmes caractères, les mêmes « signes » , cr�µ.ix·m, mais avec le renversement qui met d'un côté le rare, de l'autre le dense ; d'un côté le chaud, de l'autre le froid ; d'un côté le léger, de l'autre le lourd - sans que soit nommé le même dont chacun des opposés participe (densité, chaleur, pesanteur) , pour que seule soit présente l'opposition, non l'unité. É tant donné que chacun des contraires est posé dans sa pureté exclusive, n'y a-t-il pas lieu de douter que l'on ait eu raison d'entendre par les « mortels » du vers 51 b, avant tout les « nombreux » ? Car, pour l'homme ordinaire - et le philosophe est, lui aussi, d'abord un homme ordinaire -, entre la lumière et l'obscurité, il y a le clair-obscur 1 , entre le j our et la nuit le crépuscule, entre le froid et le chaud le tiède, entre le léger et le lourd bien des degrés . Le « feu éthéré de la flamme » est dit « le même partout que lui-même » (v. 5 7) et la nuit est « sans clarté » : la lumière n'est que lumière et la nuit n'est que nuit. Or, dans l'expérience sensible, une flamme est plus ou moins lumineuse, ce qui implique, au sein de la clarté, la présence de son contraire ; et la nuit n'est jamais tout à fait noire, cette noirceur ne fût-elle tempérée que par I ' « obscure clarté qui tombe des étoiles ». D'où vient donc que cha cun des contraires soit posé comme exclusif de l'autre, alors que l 'expérience sensible est celle d'un passage par degrés de l'un à l'autre ? Une telle logicisation serait-elle l'œuvre du philosophe, qui isole les entités avant de les penser ensemble dans une union maîtrisée ? Nulle ment. Une telle opération est inhérente à la nomination des form e s par les mortels : car, dès que j e dis « lumière », je ne dis pas « obscurité » ; et si j e dis « nuit », j e ne dis pas « clarté » - toute nuance a d i s p a r u . La nuit sensible n'est j amais sans quelque « obscure cl arté », m a i s l a nuit nommée, réduite à son concept, n'est q u e « n u i t », s a n s p l u � . 1 . A u sens d e « lumière faible » (Dictionnaire de obscur ») .
110/re
ln11ps.
l la c h c l l c , s . v .
« cl a i r
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
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Si l'on veut façonner et dépeindre le monde des mortels, il faut partir des mots dont usent les mortels. Mais les mots posent à part ce qui, dans le monde sensible, n'existe pas à part. Le mot « lumière » pose la lumière à part de la « nuit » ; de même, les mots posent le « rare » à part du « dense », le « froid » à part du « chaud », le « léger » à part du « lourd ». Mais, dans le sensible, la lumière ne va pas sans l'ombre, la raréfaction sans la concentration et donc le rare sans le dense, la chaleur sans le réchauffement ou le refroidissement et donc le chaud sans le froid, etc. Bref, le devenir sensible mêle et combine les entités que les mots avaient posées à part les unes des autres . Pen ser la genèse du monde sensible sera donc penser l'union des contraires , et cela sous la forme physique du mélange. Cela ne se peut qu'à partir du feu et de la nuit « sans mélange » (fr. 1 2) , qui donc sont ainsi à l'origine du monde, mais ne restent pas tels puisque leur destin est de s'unir. Parménide entend montrer aux mortels la genèse de ce qu'ils ont sous les yeux. C'est aussi ce qu'ont fait les Milésiens . Mais Parmé nide entend faire mieux que ses rivaux, les philosophes qui l'ont pré cédé. « J e t'expose l'arrangement en monde [des entités initiales] , afin qu'aucune sagesse de mortel ne l'emporte j amais sur toi » (v. 6061) : ainsi s'exprime la Déesse. On reconnaît là l'esprit de l'&yw11 (concours, compétition, émulation) , essentiel à la civilisation grecque. L'homme grec veut lutter pour « être le meilleur, surpasser les autres » (li., 6. 208) ; telle est la « bonne erir n (lutte, rivalité) d'Hé siode ( Tr. , 24) : le chanteur « jalouse le chanteur » (v. 26) , l'artiste l'artiste - et le philosophe le philosophe 1 • Le vers 6 1 s 'explique par la ��Àwcnc;, le zèle pour imiter et dépasser qui anime Parménide. Le mot y11Û>µî) signifie ici une s agesse qui enveloppe un grand savoir. Il ne saurait s'appliquer au commun des mortels, et montre que Par ménide a dans l'esprit les philosophes : ce qu'il veut, après avoir fait autrement qu'eux dans la partie du Poème rrpoc; &ÀîJ8d0t11, c'est faire comme eux, mais mieux.
1 . Cf. notre Héraclite, p. 1 1 6-1 1 9.
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LE MYTHE. FRAGMENT 8 (SU ITE)
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Se proposant d'expliquer « comment le monde est né », Platon dira de même : « J e m'appliquerai dès le début à ce que mes discours ne le èdent en vraisemblance (dx6c;) à ceux d'aucun autre et même les dépassent » ( Timée, 48 a). Est-il possible d'aller au-delà de la vraisem blance ? Il ne le semble pas. Comme l'indique le rapport ousia/gene s i s = alètheia/pistis ( Timée, 29 c) , la vérité ne peut appartenir qu'au dis cours sur l'être. Or, la vraisemblance est susceptible de degrés : un d i s cours peut être plus vraisemblable qu'un autre ; de là, entre les cos mologues , l' « imitation dans la rivalité », pour parler comme l'auteur (inconnu) du traité Du Sublime (µlµ'Y)cnc; n: xa.t ��Àwcnc;, 1 3 . 2) . Tout cela se trouve déjà chez Parménide. Bien que le discours cosmolo gique soit tenu par la Déesse, qui ne peut dire que la vérité, ce dis cours ne peut aller au-delà de la vrai-semblance, de la semblance du v rai. La Déesse ne peut, en effet, contredire à la nature du discours possible touchant les choses en devenir. Or, le discours sur le monde ne peut être que vraisemblable pour deux raisons . 1) Le fait qu'une hypothèse sur la formation du monde (hypothèse cosmogonique) et sa structure (« cosmologie » au sens strict) soit meilleure que d'autres n'implique pas - c'est ce qui sera particulièrement souligné par les É" picuriens - que celles-ci ne soient pas possibles. Il y a seulement des degrés de probabilité et de vraisemblance. Or, l'explication qui paraî tra aux mortels la plus vraisemblable sera celle construite à partir des deux formes qu'ils ont eux-mêmes nommées : le feu-lumière et la nuit. 2) Le discours de la Déesse, dans la partie du Poème 7tpoc; a6�a.v porte s u r la genèse du monde et le système qu'il forme actuellement. Mais ce monde passera (fr. 1 9) . Dès lors, la « vérité » au sujet de ce monde, fût-elle atteinte (ce que l'on ne peut exclure, mais comment en être s û r ?) , étant éphémère comme son objet (car, avec le temps, les signi fications s'effacent) , n'aurait pas le caractère de la vérité d'être pérenne, et donc n'aurait que la semblance du vrai.
F RA G M E N T 9
1 -4 SIMPL. ,
Phys., 1 80 . 9-12.
l)(ÙT0tp È7mÔ� 7tliVTI)( cpiioç XI)(( vÙÇ ov6µ1)(0"Tl)(L Xl)(t -rdt Xl)(TOt crqie:-rÉpl)(ç ôuviXµe:Lç È7tt -roî:crl -re: X.l)(t -roï:ç, 7t�V 7tÀÉov fo-rtv oµou qi&e:oç )(.l)(t VUXTOÇ &.qiiXv-rou, LO"WV àµcpo-rÉpwv, È7td oÙÔe:-rÉpcp µÉTI)( µ'Y)OÉV. 1 àv6µotcrTotL F1 Ald. : wv6µotcr't"otL DEF2
2 TIX (post xotl) om. E.
Mais puisque toutes choses ont été nommées lumière et nuit, lesquelles selon leurs pouvoirs propres ont été données comme noms à telles choses ou à telles autres, tout est plein en même temps de lumière et de nuit sans lumière, les deux à égalité, puisqu'il n 'est rien qui n 'ait part ni à l'une ni à l'autre.
Puisque le fragment 9 vient, dans le Poème, selon Simplicius, « peu après » (µe:-r' oÀiyix, 1 80 . 8) le fragment 8, on se gardera de le reje ter après les fr. 1 1 et 10 (O'Brien, Études, l, p. 247, n. 33) , ou 10 et 1 1 (Coxon, C. Collobert) , ou à la fin, juste avant le fr. 1 9 (Mansfeld) . Nous savions que les mortels avaient « j ugé bon de nommer deux formes » (8 . 53) - le « feu éthéré de la flamme » et la « nuit » . La flamme répand la clarté. Le feu de la flamme est le feu-lumière = la lumière, qiâoç (terme poétique) . Nous apprenons que ces deux formes servent à nommer toutes choses, cela en fonction des « pouvoirs » (dunameis) qui sont, d'une part, ceux de la lumière, d'autre part, ceux de la nuit. -r& : celles-ci (« these », Tarin, p. 1 6 1 ) - la lumière et la
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nuit. Les ôuvcX:µe:tc; de la lumière et de la nuit sont les qualités qui leur sont associées : « Parménide construit le monde au moyen des ôuvcX:µe:tc; qui composent la lumière ou la nuit, les deux grands facteurs du cosmos. Et ces ôuvcX:µe:tc; ne sont autres que les qualités opposées : le chaud et le froid, le dur et le mou, le léger et le dense » 1 - disons plu tôt (en laissant de côté le dur et le mou : voy. ci-dessus, p. 1 94) : le chaud et le froid, le rare et le dense, le léger et le lourd. Ce qui est léger, peu dense et chaud, a part au lumineux ; ce qui est lourd, dense et froid est plus chargé de nuit. Il y a une unification des forces natu relles, ramenées à deux grands principes antagonistes . Les qualités ne doivent pas être confondues avec les principes . Si j e dis : « la bulle d e savon est légère », j e ne dis p a s e n même temps qu'elle est « lourde », si je dis : « il fait chaud », je ne dis pas en même temps : « il fait froid », etc. Mais la bulle de savon ne tient pas sa légèreté d'un seul des deux principes, le feu-lumière, car, en ce cas, sa légèreté ne serait pas une légèreté relative, entre une plus grande et une moindre, mais une l égèreté absolue. La légèreté de la bulle de savon suppose l'intervention aussi du principe « nuit » qui tempère l'action du premier. Ces deux prin cipes se mêlent dans toutes les qualités relatives, qui sont celles des choses du monde sensible. Eux-mêmes restent chacun dans sa parfaite identité à soi. Ainsi, chacun « se retrouve le même sous toutes les trans formations qu'il subit ; et j amais il ne s 'identifie avec l'autre, bien qu'il s'y mêle sans cesse. Le rôle que ces deux principes j ouent dans le monde est donc perpétuel et universel : la lumière produit le chaud, le léger, le rare ; et la nuit le froid, le lourd et l'épais. Où l'un domine, l'autre, sans disparaître entièrement, ne tient qu'une place secondaire » (Riaux, p . 87 d'après Karsten) . Comme l'écrit J ackson, « the two elements upon which Parmenides builds his physical system resemble, not the elements of the Ionians, which are capable of intrinsic modification (ii:ÀÀo1wmc;) , but those of Empedocles, Anaxagoras, and the Atomists, which, them selves eternal and immutable, produce the variety of sensible things by µ'LÇ,1c; -re: ôtcX:ÀÀix�1c; n » (1 896, p. 9) . Il convient, toutefois, d'introduire -
1 . Joseph Souilhé, Étude sur le terme l'i YNAMI� dans les dialogues de Platon, 1 9 1 9, p. 26.
Paris, A l c a n ,
200
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
une réserve : les principes parménidiens sont-ils, eux aussi, « éternels et immuables » ? Il ne le semble pas. Le feu-lumière et la nuit ne sont que les deux « formes » nommées par les mortels, et avec lesquelles la Déesse s e fait fort d'expliquer le monde mieux que n'importe quel mortel. Mais le fait que les mortels soient seuls responsables de cette nomination signifie qu'il faut se garder d'ontologiser les morphai. La Déesse garde ses distances : simplement de ces « formes », elle fait des principes, mais qui sont des principes ad hoc pour l'explication de ce monde-ci, et que rien ne permet d'absolutiser en dehors de ce monde. Y aura-t-il toujours la lumière et toujours la nuit ? Les mortels le croient. Mais c'est que, pour eux, le monde est là pour toujours . Or, cela est faux (fr. 1 9) . Est-ce à dire que le feu pur (la lumière sans la nuit) et la nuit sans lumière soient périssables ? Les deux principes ne sont ni périssables ni impérissables : ils sont mélangeables . « Tout e s t plein e n même temps d e lumière e t d e nuit obscure » (9 . 3) . Comment entendre Tiiiv ? « Tout » n'est pas le « Tout » : il s'agit de toutes choses. Taran explique : « Not in the sense "each thing" but in the sense "the totality of things". So this does not imply that each thing individually is full of Light and Night, but that the whole (of things) is full of Light and Night » (p. 1 62) . Cette façon de voir nous semble erronée. Comment la totalité des choses peut-elle être pleine « en même temps », ou « à la fois » (simul, Mullach) , de lumière et de nuit, si cela n'est pas vrai de chacune ? Tarin s 'appuie sur le frag ment 1 2 . 1 : « Car les [couronnes] plus étroites sont remplies d'un feu sans mélange, celles qui suivent de nuit ». Il admet donc que ces cou ronnes font partie du monde tel qu'il est, alors qu'il s'agit, bien plus vraisemblablement, du monde tel qu'il se fait mais non encore fait. Parménide ne décrit pas le monde tel que les mortels l'ont sous les yeux : à quoi cela servirait-il ? Mais il nous fait assister à la genèse de ce monde, c'est-à-dire au « mélange » ou à l'union des contraires , dont il est le résultat. Toutes les choses de ce monde, donc, se composent à la fois de lumière et de nuit dans des proportions diverses, et, sans doute, au long du devenir du monde, dans toutes les proportions pos sibles, jusqu'au moment où le monde, faute de pouvoir se renouveler, comme il ne peut se maintenir égal à lui-même, se dissout.
I II
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LE MYTHE . FRAGMENT 9
fo-wv &:µcpo't"Épwv, « les deux à égalité » (« étant égales toutes deux ») . De quelle « égalité » est-il ici question ? S'agit-il d'une égalité quantita tive, comme l'ont admis Diels (p. 41) ou Reinhardt (p. 3 1 , n. 1 ) ? Tarin (p. 1 63) songe plutôt à une égalité de « fonction ». Mais dire que lumière et nuit contribuent toutes deux à « the same fonction of filling the universe » n'est pas dire qu'elles sont « égales toutes deux ». Reale parle d'une égalité qualitative : « luce e notte sono uguali qualita tivamente (non quantitativamente) , perché se l'una e l'altra sono ; conse guentemente, con nessuna delle due c'è il nulla » (p. 1 1 1 , n. 41) ; on ne voit pas en quoi cela justifie le terme << égalité ». Pour Coxon, « rcrwv means "equal in status or power" » (p. 233) . Il est certain qu'il y a, pour la lumière comme pour la nuit, le statut de l'identité à soi. Mais ici, comme l'a vu Tarân, il s 'agit de la composition du monde, et il faut expliquer en quoi elles sont « égales » à composer le monde. Or, quelle est la pensée de Parménide ? La complicité dans l'opposition des principes contraires assure la stabilité du monde. La lumière dans le monde est égale à la nuit. L'une équilibre l'autre (lumière et nuit « qui s 'équilibrent », traduit Zafiropulo, p. 1 42, suivi par Casertano, p. 27) . Cela suppose une interprétation quantitative : il y a autant de l umière que de nuit. Ainsi l'entend Guthrie (p. 5 7) , qui cite Hésiode : « Terre d'abord enfanta, égal à elle-même, foov é:wu'l"jj (il fallait qu'il pût la couvrir tout entière) , Ouranos, Ciel étoilé » (Théog., 1 26-1 27) , et surtout un texte pythagoricien disant qu' « il y a, dans le monde, des parts égales de lumière et d'obscurité » (1cr6µoipiX ... ' dvoci Èv 'l"CÏJ x6crµcp cpwç xoct cr x 6 ... oç, D . L . , 8 . 26) . Èm:l oÙÔe:'t"Épcp µÉ'l"oc µî)ÔÉv. Il y a diverses interprétations de cette phrase. 1) Riaux traduit, d'après Karsten (quoniam neutri inane inest, p. 43) : « puisqu'il n'y a aucun vide dans aucune des deux » (p. 223) . l i est suivi par Lortzing (Berl. Philo/. Woch. 1 7, 1 897, p . 1 574) , H . Gom perz (Imago, 1 924, p. 1 8 et n. 66) ; et Coxon écrit : « I n a p h y s i c a l context fLîJÔÉv signifies void or empty space » (p. 2 3 4) M a i s s i P a r ménide avait voulu parler du vide, il eût écrit x e:v 6 v ou xe:ve:6v, t e r m e bien connu des Présocratiques . Au vrai, chez P a r m é n i d e , i l n 'e s t pas question du vide, soit pour l'affirmer, s o i t pour l e n i e r. 2) J ac k s o n (1 896, p. 9 ) propose : « since N o th i ng (or N oth i ngn e s s) c n t crs i n t o .
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
neither », ou « since neither has Nothing (or Nothingness) in it ». Il est suivi par Kirk-Raven (« since neither has any share of nothingness » , p. 282) , Beaufret, Hôlscher, Kirk-Rav.-Sch., Austin, Reale (« perché con nessuna delle due c'è il nulla », cité supra) , etc. Parménide voudrait signifier que le « rien », le « néant » est absent de chacun des principes. « Rien » est entendu comme « le » rien. Mais outre que Parménide écrit µ'Y)Ôév et non -ro µ'Y)Ôév, il est certain que µ'Y)Ôév ne peut, ici, signifier le néant, puisque « ceci n'est ni dicible ni pensable : il n'y a pas » (8 . 8-9) . 3) Après Diels (p. 4 1 ) , Burnet comprend : « puisqu'aucune n'a rien à faire avec l'autre » (p. 204) , et Cornford : « neither has any part in the other » (p. 48) ; de même Bollack : « parce que ni l'une ni l'autre ne contient rien de l'autre » (1 990, p. 26) . Diels explique : « Da es nur zwei Principien gibt und keins der beiden oÙÔE-répou µE-rÉXEL » (p. 1 0 1 ) . Tarin objecte que « aucun des deux » supposerait µ'Y)ÔÉ-rEpov plutôt que µ'Y)Ôév (p. 1 63) . Cette lecture, qui était celle de Mullach (quoniam neutri quidquam cum altero commune est), avait été rej etée par J ackson (/. c.) . - Parménide ne ferait que répéter ce que les vers 8 . 56-59 nous ont déjà fait parfaitement comprendre. Du reste Bollack y renvoie (comme déjà Zeller, p. 54, n. 1 ) : « ni l'un ni l'autre principe ne participe à rien, c'est-à-dire à rien d'autre que lui-même » (I. e., p. 27-28) . Autrement dit, le feu, par exemple, est « le même par tout que lui-même, non le même que l'autre » (8 . 57) . Mais ce qui était, sa place lorsqu'il s'agissait de la pure analyse des principes, ne le serait plus, s'agissant maintenant du monde et des principes comme constituants du monde. 4) Zafiropulo traduit : « parce que rien n'existe qui ne dépende et de l'une et de l'autre » (p. 1 42) . Il est suivi par Casertano (p. 27) et Piclin (« puisqu'il n'y a rien qui ne relève de ces deux formes », p. 25) . Mais outre qu'il faudrait &µqio-répcp et non oÙÔE-répcp, c'est là, on l'a vu, le sens du vers 9 . 3 : toute chose du monde a sa part, à la fois, de lumière et de nuit. 5) Calogero, après Frankel (Parmenides, p. 1 76) , traduit : « non c'è nulla che non appartenga all'uno o all' altro dei due principi » (p. 43, n. 1 ) . Il est suivi, entre autres , par V erdenius, dont la traduction, « since there is nothing that does not belong to either » (1 942, p. 77) , est reprise par Tarin (p . 1 6 1 ) . Mais dire qu' « il n'y a rien qui n'appartienne à
III
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l 'un ou à l'autre », c'est impliquer qu'une chose du monde « appar rjent » soit à l'un des principes, soit à l'autre, alors qu'elle a part aux deux - et oùSÉ-repoç signifie « ni l'un ni l'autre ». 6) On traduira donc, avec Guthrie : « since there is nothing that shares in neither n (p. 57) . La traduction d e Cl. Ramnoux, « il n'y a rien e n plus qui n'appartienne n i à l'une ni à l'autre » (p. 1 34) peut être retenue ; celles de Cordera ( « car hors d'elles , il n'y a rien » ) , de C. Collobert ( « car rien n'est en dehors d'elles » ) respectent le sens . Il n'y a rien qui ne relève pas du couple lumière-obscurité. Il n'y a donc rien qui risque de rompre l 'équilibre indiqué par fowv &µqio-rÉpwv. Ainsi se trouve expliquée la particule causale btd, « puisque » .
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1 -7 CLEM. , Strom., V, xiv, 1 38, 1 (Il, 41 9 . 1 4-20 Stahlin)
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<Jcrn i)' cx1fü:plcxv TE cpumv TcX. T'<:v cx16€pL 7tcX.vTcx cr�µcxTcx xcxl xcx8cxpiiç EÙcxyfoç �û.. lo w /...cx µ7tcX.iloç Épy' &lilî)ÀIX xcxl 07t7t68Ev &Çq€vono, Ëpycx TE xuxÀW7tOÇ 7tEucrn 7tEpl<pmTcx crEÀ�Vî)Ç xcxl cpucrLv, dil�cmç i)È xcxl oùpcxvov &µcplç ëxoncx, ëv8Ev ëcpu TE xcxl wç fl.LV &youcr' &7t€31)crEv AvcX.yxî) 7tdpcxT'EXELV &crTpwv.
3 07t7t66ev Sylburg : oTt66ev L 4 7tEpl<poLTIX Scaliger : 7tEpl <poL-rà L Ëv6ev [µÈv yàp] Scaliger Sylburg : Ëv6ev µÈv yàp L É<pu -re Sylburg : É<puye L.
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Tu sauras la naissance de l'éther et tous les signes dans l'éther, et les œuvres destructrices du purflambeau du brillant soleil, et d'où elles proviennent. Tu apprendras les œuvres périodiques de la lune à l'œil rond et sa naissance. Tu connaîtras aussi le ciel qui se tient tout autour, d'où il est né, et comment, le conduisant, la Nécessité l'a enchaîné pour contenir les limites des astres.
D 'après l'étymologie (cpuw, pousser, croître) , cpucrn; contient l'idée de devenir, de croissance. C'est le cas ici, comme l'ont vu, entre autres, P. Aubenque (Études, II, p . 1 02, n. 1 ) et J . Bollack (1 990, p . 49) . Si l'on traduit cpucrn:; par « nature », on manque le sens de ce fragment. Que signifient, en effet, les expressions « nature de l'éther » , « nature de la lune » ? « Constitution » (cf. Od, 1 0, 303) ou « essence » de l'éther
Ill
- LE
MYTHE . FRAGMENT 1 0
211 .
ou de la lune. Or, le contexte est suffisamment clair : Parménide ne s e propose nullement d'exposer la « constitution » (d'analyser les compo sants) , encore moins de définir l' « essence », de l'éther ou de la lune. l i s 'agit de leur venir à être. Dans le cadre de s a cosmogonie, Parménide explique, ou plutôt expliquera, la génération des constituants du monde, et la genèse des phénomènes qui en découlent (effets du soleil et de la lune sur la génération) . Le texte est au futur. Il s'agit, comme le dit Clément (1 38 . 1 ) , de la « promesse » (ùnôcrxi:: cr �c;) de Parménide d' É lée. Le fragment doit donc être placé avant ceux qui expliquent effectivement la génération des choses (sans qu'il soit nécessaire, comme le voudrait Bicknell, Hermes, 1 968, p. 63 1 , d'aller jusqu'à le replacer dans le prologue, après le vers 32) . Sachant que, d'après Simplicius, le fragment 9 vient, dans le Poème, « peu après » le fragment 8, et puisque ce même fragment 9 contient seulement les principes de l'explication que l'on promet de donner, il semble raisonnable de laisser le fragment 10 à la place que Diels lui a assignée. Les « signes » , cr� µ()(·rix, sont les constellations. Mais que sont les « œuvres », Ëpy()(, du soleil ? Comment entendre &.lôYJÀOc; ? L'expression Ëpy'&.lôY)À()( est homérique 1 et signifie « actions odieuses » , « détes tables », « destructrices ». Arès est dit &.lôYJÀoc;(//., 5 . 897) : Mazon, Lasserre traduisent par « destructeur » - Leconte de Lisle par « méchant », M. Meunier par « désastreux ». Athéna, elle, est « des tructrice » (Il., 5 . 880, trad. Mazon) - ou « funeste » (Leconte de Lisle) . Le feu, nüp, est dit à trois reprises, dans l' lliade, &.ŒY)Àov, « destructeur » (2 . 455 ; 9 . 436 ; 1 1 . 1 55 - trad. Mazon, Lasserre) . Ainsi y a-t-il, dans Homère, une série de passages « où l'idée de dévo rant, destructeur, funeste s'impose manifestement ; et comme c'est là la seule qui convienne à tous les passages et qu'elle leur convient fort bien, c'est la seule qui résiste à l'examen pour notre Homère » 2 • Chantraine conclut ainsi son analyse d' &.lôY)Àoc; : « Le sens premier
1 . Il., 5. 757 et 872, où il faut lire Ëpy'<ilô>)Àot et non xocp-rEpdt Ëpyoc (L. Graz, op. cil. ,
p. 1 1 3, n. 2) .
2.
P.
Buttmann, Lexilogus, t. I, Berlin, 1 8 1 8, p. 247 ; cité par L. Graz, op. cit. , p. 1 1 4
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
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semble être "insupportable à la vue", mais dans certains contextes le terme a été entendu comme "qui fait disparaître, destructeur" ». D e l à notre traduction d e l'expression Ëpy'<XŒ'Y)ÀIX par « œuvres destruc trices » (« actions destructrices », Cordera, Couloubaritsis ; « effets de consomption », Cl. Ramnoux ; « destructive works », Kirk-Rav.-Sch., Gallop) . A la suite de Karsten (labores occultos), certains interprètes ont préféré et préfèrent traduire par « œuvres cachées » (O'Brien Frère, C. Collobert ; « effets cachés », Riaux, Tannery ; « invisibili azioni », Calogero, p. 52, n. 2, suivi par Reale et Coxon, entre autres) . Et il est vrai que le sens d' « invisible » est attesté (//., 2 . 3 1 8) . Mais « rendre invisible » signifie couramment « détruire » (ainsi en Il., 2 . 3 1 8, précisément, le dieu qui « avait fait paraître » le serpent « le déroba à nos yeux », c'est-à-dire le détruisit, le changeant en pierre) . Il ne fait donc pas de doute que Parménide entend parler des effets destructeurs (« consumants », Zafiropulo) du feu solaire. Les effets du soleil sont bienfaisants (cf. le fragment 1 00 d'Héraclite, sur « les saisons qui apportent tout », la légende de la merveil leuse fécondité du pays des É thiopiens, comme habitant les uns vers le couchant, les autres vers l'aurore, mais au plus près du soleil, Od, 1 . 22-24, etc.) ou malfaisants . La mythologie personnifie l'action malfaisante du soleil dans Phaéthon, qui, s'approchant de la terre, en dessèche les fleuves et en brûle le sol. « Le soleil ne dépassera pas ses mesures », nous dit Héraclite (fr. 94 DK) : il n'y a pas à craindre, selon lui, « que quelque excès solaire ne vienne dessécher la terre, et mettre un terme aux choses humaines par le feu » 1 • Est-ce aussi l'avis de Parménide ? Ce n'est pas certain puisque, pour lui, le monde est périssable (fr. 1 9) : pourquoi pas par le feu ? Mais, en tout état de cause, l'action destructrice du soleil doit être expliquée. Le frag ment 1 0 contient la promesse d'une telle explication. Que pourrait bien être celle-ci ? La destruction est l'œuvre du « pur (xix6ixp6ç) flambeau du brillant soleil ». Qui dit « pur » dit « sans mélange ». Or, il résulte du témoignage d'Aétius (II, 7, 1 = A 3 7 I) et du frag-
1 . Notre Héraclite, p. 1 93.
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ment 1 2, commentés ci-après, que le monde n'existe que par l e mélange des principes contraires du Feu et de la Nuit. Leur union signifie la génération du monde, leur dissociation signifie la destruc t ion du monde. Dans la mesure où le feu solaire se purifie au point de se dégager de toute composante nocturne, il devient funeste aux mixtes qui composent le monde, et donc dissociateur des mélanges et destructeur des réalités. Que sont les ëpyix Tie:plrpwrix de la lune « à l' œil rond » (le terme xuxÀw� signifie : « qui a un gros œil rond », Chantraine, s. v .) ? On tra duit souvent par « œuvres vagabondes » de la lune (ainsi Tannery, Burnet, O'Brien-Frère, Bollack, I. e., p. 49, C. Collobert ; cf. « wande ring works », Kirk-Rav.-Sch.) , cela inexactement, car vagabonder, c'est « errer çà et là », d'une manière « déréglée et sans ordre » (Littré, s.v.) . Or, les effets de la lune sont fonction de ses phases : cela est clair lorsqu'on parle d'une correspondance entre les phases de la lune et les crues du Nil (Plut., De Iside, 43, 368 b) , ou les phases de la vie fémi nine 1 (de là le caractère de déesse lunaire d'Artémis) , ou le mouvement des marées ; mais il en va de même pour des effets tels que « la crois sance des plantes, l'attendrissement des viandes, l'altération des vins qui tournent ou s'affadissent, la pourriture des bois, les enfantements faciles » (Plut. , De facie, 25, 939 ./). Cela dit, les phases de la lune sont réglées. D'après les Pythagoriciens, elles n'échappent pas au nombre : en l'occurrence, le nombre 7 détermine la lunaison en quatre périodes de sept jours . Qu'il accepte ou non cette arithmétique, Parménide ne peut, en tout cas, en rester à l'idée que les œuvres de la lune seraient purement « vagabondes » ; si l'on entend par « périodique » : « qui revient à des temps marqués » (Littré) , il faut les dire « périodiques » . Au reste, J . Taillardat, dans le Dictionnaire étymologique d e Chantraine, note la notion de périodicité lorsque le suj et de rpoi-d.w est une chose. A une époque tardive, É lien le polygraphe attribue l'épilepsie à l'influence de la lune (De fa nature des animaux, 1 4 . 27) . Dans les Magiciennes, un eidu//ion ( « idylle » ) de Théocrite, Simaitha, qui veut
1 . W. K. C. Guthrie, Les Grecs et leurs dieux, trad. fr., Paris, Payot, 1 956, p. 1 22.
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
reconquérir l'amour de Delphis, adresse des incantations à la lune. A. Bernand rappelle à ce sujet que Séléné compte au nombre des « divinités qu'affectionnent les sorcières » 1 • Il n'était pas besoin que Parménide crût à la magie pour admettre que l'influence de la lune pouvait être bienfaisante ou malfaisante (pour ne pas dire « malé fique ») . Mais alors que le fragment 1 0 promet de dire « d'où provien nent » les actions destructrices du soleil, concernant la lune, ce qui, d'après ce fragment, sera expliqué, est seulement sa naissance, rpucriç, non l'origine et la cause des influences, bonnes ou mauvaises, que peut exercer le disque lunaire - bien qu'il soit probable que Parmé nide comptait les expliquer aussi. Qu'en est-il de l'éther et du ciel ? Chez Homère, l'éther est un « espace de rayonnement » situé au-dessous du ciel 2 . Lorsque « du haut du ciel l'immense éther s'est déchiré, toutes les étoiles parais sent » (li., 8 . 558-559) du moins toutes celles qui forment les constel lations . Le fragment 1 0 situe les sèmata « dans l'éther » (Èv œ10Épi) . Cela signifie que les constellations paraissent dans l'éther, non qu'elles ne puissent être plus loin. Lorsque Homère parle du « vaste ciel dans l'éther et les nuées » (oùpœvàv e:ùpùv Èv œ10Épi xœl ve:rpÉÀ'Y)m, Il., 1 5 1 92) , cela ne signifie p a s que l e ciel soit, littéralement, dans l e s nuages . I l est au-delà de l'air et de l'éther, et les constellations sont « au ciel », lequel est dit « étoilé » , iXcrTe:p6e:iç (li., 4 . 44 ; 5 . 769) . D'après le fragment 1 0, le ciel « se tient tout autour » : il convient, en effet, de donner à iXµrplç lf.x_e:iv le sens homérique de se tenir tout autour (cf. iXµrplç È6ne:ç, « ceux qui sont tout autour » , Il., 24 . 4 88) . Nous avons vu (ad 8 . 30-3 1) qu'Anankè tient l'être dans les liens de la limite, l'enlace. Mais alors il s'agissait d'une figure de style. Ici il s 'agit d'une figure mythique, puisque « Anankè » est l'un des noms de la divinité (Sœlµwv) qui pré side à la génération des êtres (cf. A 37 I) , dans le cadre d'un mythe cosmogonique. Par le mélange des principes contraires, le Feu-lumière et la Nuit, est né le monde, et, en particulier, l'englobant de tout ce qui est au monde, le ciel, oùpœv6ç. Le ciel ne saurait être infini, car, -
.
1 . Sorciers grecs, Paris, Fayard, 1 9 9 1 , p. 1 79. 2 . Cf. ci-dessus, p. 1 93.
111
-
LE MYTHE. FRAGMENT 1 0
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en ce cas, les astres, n'étant plus retenus, se disperseraient, et il n'y aurait plus de « signes ». Mais les étoiles paraissent, dans leur mouve ment d'ensemble, garder des places fixes les unes par rapport aux autres, de sorte que l'on a toujours Orion ou les Pléiades. La contem plation du ciel donne à Parménide, comme à Héraclite, la notion de « mesures » (µÉTpix, Héraclite, fr. 94, que certains ont traduit par « limites ») que les astres ne sauraient dépasser. Héraclite ajoute : sous peine d'avoir affaire à la Justice, ÔLx�. Or, selon Parménide, ÔLx� est, avec Avixyx�, l'un des noms de la « divinité qui gouverne tout » (A 37 I 8 et fr. 1 2 . 3) . « Qui gouverne tout » : la Nécessité ne se mani feste pas seulement dans ce que le firmament paraît avoir d'immuable, comme si une chaîne retenait les astres, mais aussi dans la régularité des mouvements du soleil et de la lune. Toutefois, ce n'est pas cette considération qui est ici au premier plan. On note l'insistance sur l'idée de genèse ( rpucrn; = yÉvEcrn; ; cf. Empé docle, 31 B 8) : tout s era expliqué à partir de l'origine. On expliquera comment, à partir du mélange du Feu-lumière et de la Nuit, s'est formé le monde, et, plus précisément, comment se sont formés , « ont poussé » (cf. Ëv(b Ërpu, 1 0 . 6, « d'où il a poussé ») , le firmament, l'éther, le soleil, la lune, et, pour ces derniers notamment, d'où viennent leurs effets .
F RA G M E N T 1 1
1 -4 SIMPL. ,
De caeL, 559 . 22-25.
7tWÇ ya"La xal �ÀLOÇ �ÔÈ: crû�VTJ aW� p Te: i;uvoç yrl..À a T'oup&vwv xal '' 0Àuµ7toç fox_lXTOÇ �0' acrTpWV 6e:pµov µÉVOÇ wpµ�6TjcrlXV ylyve:cr6m. 3 (kpµov AF : 6Epµwv DE
4 y(yvEcr60tt DE : y(vEcr60tt AF .
. . . comment la Terre, le soleil et la lune, l'éther commun, le lait ouranien et l'O!Jmpe extrême, ainsi que la force ardente des astres, s'élancèrent à naître.
II ixpµe:vlôY)ç ÔÈ 7te:pt Twv ixlcr6Y)TWv iXpÇixcr6ixl cpY)at ÀÉye:iv (De caelo., 559 . 20-21 ), « Au sujet des sensibles, Parménide dit qu'il entreprend de dire » comment (7twç) , etc. Il ne semble pas, malgré Stein (Mye:iv 7twç, p. 805) , qu'il y ait lieu de rattacher ÀÉye:iv au texte même de la citation. Parménide a entrepris, dit-il lui-même, d'expliquer comment nais sent la Terre, le ciel, les astres, bref, continue Simplicius (559 . 26-27) , i l a fait connaître - avec Mélissos - « la naissance d e s choses qui nais sent et périssent », et cela « jusqu'aux parties des êtres vivants » (Twv yivoµÉvwv x.ixt cp6e:ipoµÉvwv µÉ;{pL Twv µoplwv Twv �c;iwv T�v yÉve:criv) . On reconnaît là les titres de deux ouvrages d'Aristote (7te:pt ye:vfoe:wç x.ixt cp6opiXç, De la génération et de la corruption ; 7te:pt �cii w v µoplwv, Sur les parties des animaux) . Simplicius semble indiquer que Parménide
III LE MYTHE. FRAGMENT 1 1 -
21 1
aurait déjà abordé l'ensemble des sujets que traitera Aristote (cf. Dumont, p. 267, n. 1 ) . Que Parménide ait eu une visée encyclopé dique nous est confirmé par Plutarque : Parménide « a composé un ordre cosmique (ôt&.xocrµov, cf. 8 . 60) : mélangeant comme éléments la lumière et l'obscurité, il produit, à partir d'eux et par eux, l'ensemble des phénomènes ('riX cp1Xtv6 µEv1X 7t&.v-r1X) . Car il a beaucoup parlé au sujet de la Terre, du ciel, du soleil, de la lune et des astres, et raconté la génération des hommes ; et, en tant qu'ancien philosophe de la nature - qui a composé un livre de son cru sans emprunter à d'autres -, il n'a l aissé rien d'une réelle importance sans en parler» (Adv. Col., 1 3, 1 1 1 4 b-c) . Simplicius précise que de la « naissance des sensibles », Par ménide, tout comme d'ailleurs Mélissos, a parlé « clairement » (cr1Xcpwç, 559 . 1 8) . Entendons que la cosmogenèse de Parménide, en dépit de son caractère mythique, lié au rôle de la Ô1Xlµwv, ne fait intervenir, dans l'explication des êtres et des phénomènes, que des processus naturels. Car le monde est l'œuvre de la nature. Parménide « entreprend de dire » : ce fragment est, comme le pré cédent, sous le signe de la promesse. L'explication ne vient pas encore. Ce que l'on sait est qu'il sera montré comment (7twç) tous les consti tuants du cosmos sont venus à naître et à être, y compris la Terre, laquelle n'est plus l' « assise sûre à jamais offerte à tous les vivants » d'Hésiode (Théog., 1 1 7, trad. Mazon) : elle aussi est née. Rien n'échappe à l'universelle fragilité, pas plus le Ciel et la Terre que l 'entre-deux. Les Anciens placent dans l'Olympe le séjour des dieux (//., 5 . 360, etc.) . D 'autre part, l'ouranos, le ciel, est dit également être la demeure des dieux (//., 1 , 497, etc.) . Dès lors, '' O/..u µ7toç est un nom du ciel en tant que demeure des dieux (Eschyle, Pr., 1 49 ; Sophoce, O. R. , 867, O. C, 1 65 5) . L' « Olympe extrême » (et non « extérieur », B o l l a c k , I. e. , p. 45) n'est donc p a s autre chose, dans le fragment 1 1 , que l e fi r mament, c'est-à-dire le « ciel » du fragment 1 0 . 5 . La Voie l a c tée e s t dite « ouranienne » parce qu'elle es t dans l e « ciel », ce q u i s u ppose qu'elle est composée d'étoiles. Certes, la bande l a i t e u s e n e po u v a i t , pour les Grecs, qui ne disposaient pas d u té l e s c o p e , s e réso u d re e n étoiles . Mais ils pouvaient, à l'œ i l n u, o b s e r v e r u n e p l u s g rn n d c
212
PARMÉNIDE - L E POÈME : FRAGMENTS
concentration d'étoiles autour de la Voie lactée. De là l'explication de Démocrite, pour qui la Voie lactée est « un amas lumineux de nom breuses étoiles, petites et contiguës, qui s'éclairent les unes les autres par suite de leur groupement compact » (Aétius , III, 1 , 6) , explication qui a pu, déjà, être celle d'Anaximandre 1 • Or, comment Parménide eût-il pu ne pas voir dans la Voie lactée un effet lumineux résultant du grand nombre des étoiles, s 'il est vrai que, pour lui, d'innombrables étoiles sont imperceptibles ? Citons l'Ano tryme de Byzance : « Parmi les étoiles fixes en rotation avec le Tout, les unes sont sans nom et innombrables (&:m:plÀ1J7t"t"oc, que Dumont traduit par « impercepti bles ») , comme l'a dit le philosophe de la nature Parménide, les autres , qui ont u n nom jusqu'à l a sixième grandeur, sont a u nombre de mille selon Aratos » (éd. Treu, p. 5 2 . 1 9 = A 40) . Il semble donc que Parmé nide, à l'encontre de l'opinion commune des Anciens, qui considé raient généralement la Voie lactée comme un météore, ait reconnu la véritable nature de la Voie lactée. Selon Parménide, dit Aétius (III, 1 , 4) , « c'est l e mélange du rare e t du dense qui produit la couleur lai teuse ». Si la Voie lactée est composée d'étoiles, en elle se juxtaposent, en effet, le Feu-lumière - puisque les étoiles sont des « concentrations de feu » (Aétius, II, 1 3, 8 = A 39) -, c'est-à-dire le rare (cf. A 37 I) , et la Nuit, c'est-à-dire le dense. Car les étoiles , dès lors qu'elles ne for ment pas un astre unique, sont, chacune, environnées de nuit. Toute fois, la séparation, entre elles , des étoiles, n'apparaît pas au regard. De là un effet de mélange et la couleur laiteuse, la brillance des astres étant tempérée par une part de nuit. Qu'en est-il du ménos des astres ? De quelle « force » s'agit-il ? Chez Homère, "t"Ô µÉ11oç est l' « âme », en particulier l'âme comme principe de vie. Chez Empédocle, ocl6Épw11 µÉ11oç (B 1 1 5 . 9) , la « force de l'éther », est une manière de dire : l' « éther ». De même ici, àécr"t"pw11 µÉ11oç, la « force des astres », est une manière de dire : les « astres » . Reste que la notion de « force » e s t présente, jointe à l'idée d e « vie » : il s'agit de la force de vivre. Expliquer la naissance des astres, c'est
1 . Cf. notre Anaximandre, p. 209.
Ill
-
LE MYTHE. FRAGMENT 1 1
21 3
expliquer l'existence d'êtres qui durent beaucoup plus longtemps q u e ceux qui « respirent e t rampent sur la terre » (//., 1 7 . 447) . A quoi cela tient-il ? Le mot 0e:pµov l'explique : les astres sont des flammes, sont faits de feu presque sans mélange. Le 0e:pµov µÉvoc;, la « force ardente », est la force que donne le feu. �uv6 c; : « qui est en commun, qui appartient à tous » (Bailly) . Dire de l 'éther qu'il est �uv6c; signifie qu'il est, au-delà de l'air circumterrestre, et au-dessous du firmament, l'élément dans lequel se trouvent des astres (autres que les étoiles fixes) . Il « s'étend tout autour dans la région la plus haute de toutes » (Aétius, II, 7, 1 ; texte ci-après) : cela ne signifie pas qu'il soit ce qu'il y a de plus extrême. Il est au-dessous de la voûte du ciel ( « Olympe » ) . Quels astres rayonnent dans l'espace éthéré ? « Parménide place au premier rang, dans l'éther, É os, l'étoile du matin, identique selon lui à Hesperos, l'étoile du soir [Vénus] . Après elle se place le soleil [ . . .] » (Aétius , II, 1 5, 7 = A 40 a) . Puisque la planète Vénus est, dans l'éther, « au premier rang », il y a un second rang dans l'éther, et, puisque, après Vénus, vient le soleil, c'est donc que le soleil est lui aussi dans l'éther. C'est, du reste, ce qui ressort du fragment 1 1 : lorsque Parménide, ayant énuméré « [ . . . ] le soleil et la lune », ajoute « l'éther commun », qu'est-ce à dire sinon que le soleil et la lune sont tous deux dans l'éther ? Il y a lieu, toutefois, de distinguer deux niveaux ou zones dans l'éther : 1) l'éther qui, immédiatement au-dessous du firmament, s'étend « tout autour » du cosmos, libre d'astres ; 2) l'éther peuplé d'astres, lesquels sont des « condensations de feu » (Aétius, II, 1 3, 8) , de sorte que cette partie de l'éther est dite la « zone de feu ». C'est ainsi que nous comprenons le témoignage A 37 III (Aétius, II, 7, 1 , in Dox., 335 . 22-336 . 3) : « L'éther s'étend tout autour dans la région l a plus haute d e toutes ; au-dessous d e lui e s t placée l a zone d e feu q u e nous avons appelée "ciel", et au-dessous d'elle, immédiatement, les régions circumterrestres » (7te:pLcr't<Xv't"oc; il' &.vc.rnhw 7til.vTwv Tou tXWÉpoc; U7t' tXÙTéj} TO 7tupwile:c; U7tO'l"tXy-YjvtXL 't"Ouô' 07te:p xe:xÀ� XtXfLEV oÙ ptXv6v, u qi ' Zij Y) ()Y) Tà 7te:plye:LtX) . Citons aussi, en son entier, A 40 a ( A é t i u s , I l , 1 5, 7 , i n Dox., 345 . 1 4- 1 8) : « Parménide place au p r e m i e r ra ng, c l a n s l 'é t h e r, É os, l'étoile du matin, identique selon l u i à H e s p c ro s , l 'é t o i le d u s o i r.
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PARMÉNIDE - L E POÈME : FRAGMENTS
Après elle, il place le soleil, et, sous lui, les astres contenus dans la zone de feu qu'il appelle "ciel" (uqi'c'j) 't"oùc; èv Téj> 7tup6iôe:t iicHÉpcxc;, il7te:p oùpcxvov xcxÀe:i) ». Puisque la zone de feu ('t"o 7tupwôe:c;) contient les astres que contient l'éther, elle n'est autre elle-même qu'une partie de l'éther. u7t' cxù't"éj>, « au-dessous de lui », signifie : au-dessous de l'éther qui s'étend dans la région la plus haute se trouve l'éther de la zone moyenne où sont les planètes, le soleil, la lune. Qu'Aétius, qui suit Théophraste, nomme cette zone moyenne « ciel » (ouranos), n'a rien d'étonnant. Aristote distingue, en effet, trois acceptions du mot « ciel » (De cae/o, I, 9, 278 b 1 1 -21) : 1) la sphère des étoiles fixes, le firmament, « où nous disons que réside toute divi nité » : c'est l' « Olympe » de Parménide ; 2) le « siège de la lune, du soleil et de quelques astres Ues planètes] » ; 3) l'univers entier. Il est clair que le mot oùpcxv6c; est pris par Aétius dans la s econde acception. Il attribue cette acception à Parménide (xcxÀe:i) , mais par erreur, comme le montre le mot xe:xÀ�xcxµe:v, « que nous avons appelée « ciel » . « Nous » représente l e doxographe - et, à travers lui, Théophraste. Si Aétius a été formé à l'école péripatéticienne, comme le voulait Diels, il n'y a pas à s'étonner que « les définitions et le vocabulaire du Stagi rite apparaissent en bonne place » (Lachenaud, p. 34) . C'est le cas ici, où Aétius use du mot « ciel » dans l'une des acceptions distinguées par Aristote.
TÉMOIGNAGE A 3 7 I
AÉTIUS, I l , 7,
5
1 (Diels, Dox.,
p.
335 . 4- 1 6) .
I1 0tpµe:vlS'Y)ç cr-re:qi&v0tç e:Iv0tL 7te:pme:7tÀe:yµÉv0tç ÈmxÀÀ�Àouç, -r� v µè:v bt TOÜ &p0twü T�V i)è: bt TOÜ 7tUXVOÜ, µLx-riXç i)è: &f..f..0t ç bt <:pWTOÇ )(()(L crx6-rouç µe:-r0t1;ù TOUTWV" )(()(L TO 7tEpLÉ)'.OV i)è; 7tacr0tç -re:lxouç 1'1X'Y)V cr-re:pe:àv umxpxe:LV, u<:p' <fi 7tUpW1''Y)Ç cr-re:<:paV'Y)" xcxl TO µe:cr0tlT0tTOV 7tr:t.O"WV 7te:pl a mxÀLV 7tUpW1''Y)ç TWV /)È; cruµµLywv T�V µe:crOtLTaT'Y)V omacrOtLÇ TOXÉOt 7taO"'Y)Ç XLV�O"EWÇ xcxl ye:vfoe:wç umxp)'.ELV, �VTLVOt XOtL 1'0tlµov0t XU�e:pvîjTLV XOtL XÀrJ/)OÜ)'.OV È7tovoµ&�e:L 1'1X'Y)V TE )(()(L &viiyx'Y)V.
4 7tEpl & Boeckh : 7tEpl & F : 7tEpl 6.iv C 5 dcmxcrotLÇ ,.roxéoc Davisius : dcniXcroctç TE xocl A : &noccr L Toxéoc Stein, p. 800 : dcniXcroctç <ocpx�v> TE xocl <octTLotv> Di el s , Vors. 6 XÀî)poüxov A : corr. Fülleborn.
05
Parménide dit qu'ily a des couronnes enroulées l'une autour de l'autre qui se suivent sans interruption, l'une formée du rare, !'autre du dense ; d'autres, mélangées, faites de lumière et d'obscurité, sont au milieu d'elles. Et ce qui les entoure toutes comme un rempart, est solide, avec, au-dessous, une couronne de Jeu. Et ce qui est le plus au centre de toutes, de nouveau, une couronne de Jeu l'entoure. Parmi les couronnes mixtes, celle qui estjuste au milieu est, pour toutes, la mère de tout mouvement et de toute génération. 11 l'appelle << divinité qui gouverne)>, qui « détient les clefs», «Justice » et << Nécessité;> .
Indiquons d'abord quelques erreurs
à
éviter :
1 ) Traduire cr-re:cp&.vocL par « sphères », comme Zeller qui parlait d e « sphères creuses » (p. 58, n. 3) , et encore Bollack (1 990, p. 29) . « O n
216
PARMÉNIDE - L E POÈME : FRAGMENTS
est tout à fait injustifié à tenir ces "couronnes"pour des sphères » , observe Burnet (p. 2 1 8) , qui manque pourtant à observer ceci : les dites « sphères >>, d'après le fragment 1 2 (où il s'agit bien des stepha naz) , ne sont pas « creuses » mais « remplies ». Dès lors, les sphères étant pleines et « concentriques » (Bollack, l. c.) , le volume serait (cf. fr. 1 2 . 1 -2) occupé à la fois par le « feu sans mélange » et la « nuit » , ce qui e s t impossible. 2) Considérer la solidité comme une « propriété de la nuit » (Bol lack, p. 36) . Ce qui entoure toutes les couronnes à la manière d'un rempart est solide, cr-re:pe:6v. Si les couronnes de nuit étaient solides , il faudrait se figurer, à l'origine du monde, des remparts ou des murs circulaires séparés par des fossés emplis de feu. Comment alors se ferait le mélange ? Il faudrait que les murs se brisent en particules solides, en atomes de nuit. Parménide serait l'inventeur de l'atomisme. Rien de tout cela n'est vraisemblable. En précisant que l'enveloppe des couronnes est solide, Aétius ne veut pas dire que l'enveloppe exté rieure est une couronne de nuit, comme le croit Bollack, mais que ce qui est solide est seulement -rà rre:ptéxov, « ce qui enveloppe » - concep tion qui rappelle celle d'Anaximène, lequel parle de « l'orbite la plus extérieure » comme d'une « voûte cristalline » (Aétius, II, 1 1 , 1 et II, 1 4, 3 : p. 1 09 et 1 1 2 Lachenaud) . 3) Prendre comme texte de base le texte actuel des Fragmente der Vorsokratiker. On y lit, en effet : -rà µe:mxl-r1x-rov mxcrwv cr-re:pe:6v (t. I , p. 224 . 6) . cr-re:pe:6v n'étant p a s entre crochets obliques, on prend comme un terme des manuscrits ce qui n'est qu'une conjecture de Diels 1 • Bollack écrit de même cr-re:pe:6v et « solide » sans crochets obli ques (p. 36) . Le texte des Doxographi Graeci, où cr-re:pe:6v n'apparaît pas, est donc préférable. Il y a un centre de toutes les couronnes, et la cou ronne qui l'entoure est de feu. Pourquoi ce centre serait-il solide ? Et que serait ce solide ? Une conjecture qui ne simplifie pas mais com plique doit être laissée de côté. - On lit dans les Frag. d. Vors. : -r�v 1 . Lequel, dans les premières éditions des Fragmente der Vorsokratiker, écrivait : [scil. cr-repeàv ùmxpxe,v] .
µemxl-rcx-rov 7tcxcrwv
-rà
1 1 1 - LE MYTHE. TÉMOIGNAGE A
37
l
217
fLEO"()(LT&TIJv &7t&cr()(Lc; < &:px� v> TE X()(l <()(1-rl()(v>, mais dans les Dox. Cr. : -r�v fLEO"()(LT&TYJV &7t&cr()(LÇ -r o xfo , Diels acceptant alors la conjecture -roxfo. � -roxEuc; est « celle qui enfante », la « mère » (cf. Esch., Eum., 659) . Le sens concret de ce terme convient mieux : celle qui engendre va être identifiée comme la daimôn, la « divinité » ; et les termes abstraits « principe » , « cause », s'ils sont parfaitement exacts, s'accor dent mal avec le caractère général du passage, où domine la représen t ation imagée. « Il y a des couronnes enroulées l'une autour de l'autre [ . . .] » : telle est la supposition initiale de Parménide. Ces couronnes sont : 1 ) les unes formées de rare (= de lumière) ; 2) d'autres formées de dense (= d'obscu ri té) ; 3) d'autres encore, mélangées, sises « au milieu » (fLET()(�u) des pré cédentes. Selon Finkelberg (Am. ]. of Philo/., 1 986, p. 305) , il y aurait une couronne de feu-lumière à la périphérie, une de nuit au centre ; entre elles seraient les couronnes mixtes . Ce schéma est inexact : 1) Il résulte, sinon peut-être de A 37 I, en tout cas du fragment 1 2 . 1 -2, que les cou ronnes remplies de « feu sans mélange » sont plusieurs, tout comme les couronnes de nuit. 2) Les couronnes mixtes ne peuvent se trouver « entre » ( « between » ) une couronne ignée et une couronne obscure, puisque celles-ci se suivent « sans interruption », comme l'indique le terme È7t()(ÀÀ�Àouc;, dont Finkelberg ne tient pas compte. 3) Supposons qu'une couronne de feu ceigne immédiatement une couronne de nuit, laquelle ceint à son tour une couronne de feu, etc. : « I do not see how, on this interpretation, Aëtius' report can purport to provide a picture which somehow agrees with cosmological reality » (/. c.) . Finkelberg présuppose que le monde sensible tel qu'il se montre est le référent du modèle, ce qui est inexact. Le système des couronnes ne décrit pas une structure, mais les étapes d'une genèse. Précisons cela, en nous limitant, pour le moment, aux indicati o n s qui res sortent d u témoignage d'Aétius . L e doxographe n e con s i d è re pas à la fois la périphérie et le centre, mais d'abord s e u l e m e n t l a périphérie. Au-dessous d e l'enveloppe solide e s t u n e co u ro n n e d e feu qui entoure une couronne de nuit. Q u e ce co u p l e s o i t s u i v i a u moins d'un autre ressort, disons-nous, d u fra g m e n t 1 2 . 1 -2, n o n d e A 37 I. Dans l'espace cerné par les c o u ro n n es p é ri p h é r i q u e s son t " l es
21 8
PARMÉN IDE LE POÈME : FRAGMENTS -
Feu Couronne mixte m itoyenne
Couronnes mixtes
couronnes mixtes . Au centre est une couronne de feu (qui mérite le nom de « sphère », que certains voudraient être celui de toutes les couronnes) , qui est sans doute entourée par une couronne de nuit mais cela n'est pas indiqué. La couronne qui tient le milieu entre les couronnes mixtes est la couronne active. Tout le mouvement des couronnes, qu'elles soient pures ou mélangées, en provient. Que faut-il entendre par ce « mouve ment des couronnes » ? 1) Quant aux couronnes de feu ou de nuit sans mélange, elles ne sauraient rester figées dans leur pureté exclusive : elles ne sont là que pour être mélangées, puisque les couronnes mixtes n'existent que si les couronnes pures se sont mélangées. 2) Quant aux couronnes mixtes, leur rôle est de générer le monde. Les couronnes pures ne participent à la genèse du monde que par l'étape intermé diaire du mélange. Mais les couronnes mélangées produisent les phé nomènes et les êtres. Le mélange de lumière et d'obscurité, donc de rare ou de dense, de léger ou de lourd, de chaud ou de froid, peut se faire selon toutes sortes de proportions . De là la diversité des phéno mènes et des êtres qui composent le monde. La couronne active et génitrice, d'où vient tout enfantement, est appelée 8alµwv. L'introduction ici d'une « divinité » nous situe dans le mythe. Ce que nous présente Parménide est un mythe cosmo-
1 1 l LE MYTHE. TÉMOIGNAGE A 37 I
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gonique, ancêtre du mythe du Timée. D e même que le Démiurge d u T imée produit des formes nouvelles par le mélange en proportions réglées d'éléments préexistants, de même la daimôn parménidienne, à partir de couronnes de Feu et de Nuit supposées données, procède par mélanges à la génération des êtres. Il s'agit, dans les deux cas, d'une sorte de fable, d'une fiction, mais vraisemblable : en voyant les choses de cette façon, on comprend que le monde soit ce qu'il est. La déesse « gouverne ». L'image du pilotage se retrouve dans la doxographie d'Anaximandre (1 2 A 1 5) , dans les fragments d'Héraclite (B 41 ; B 64) , de Diogène d'Apollonie (B 5) , et elle est présente dans le fragment 1 2 de Parménide. Dans le système d' É picure, où ce qui gouverne, c'est le hasard, Lucrèce parlera de fortuna gubernans (V, 1 07) . Mais, ici, où ce qui gouverne est une « divinité », supposée être un être sensé, on est plus près d'Héraclite, pour qui « une sage raison (yvbiµ'Y)) gouverne tout à travers tout » (B 4 1 ) , et pilote de manière à assurer toujours la stabilité de l'esquif du monde. La lhlµwv parménidienne préside aux mélanges de manière que, dans l'ensemble, le Feu et la Nuit fassent j eu égal et que le système soit en équilibre. Elle est appe lée « J ustice », car elle n'avantage pas l'un des contraires aux dépens de l 'autre, et « Nécessité », car elle proportionne les parts de l'un et de l 'autre comme l'exige la nature des phénomènes ou des êtres. La « nature » d'un phénomène ou d'un être signifie, en effet, sa limi tation : il n'est que ce qu'il est. Or, nous avons vu, à propos du vers 8 . 3 1 , qu'Anankè, qui étreint l'être, lui impose le mipou;, est en soi un principe de limitation, ou du moins une métaphore de ce principe. Pourquoi dire que la daimôn « détient les clefs » ? XÀ7JÔoüx.ov résulte d'une correction. Bollack garde XÀ'Y) poüx.ov et traduit : « qui tient les parts » (I. e., p. 37) . Mais le « clérouque » est celui qui possède une part assignée par le sort. Or, la décision par le hasard, o xÀ-Yjpoc; est quelque chose qui ne concerne en rien la divinité, soit qu'elle en d é p e nd e s o i t que, par elle, les choses en dépendent. Il est donc préférabl e d 'accep t e r la correction. L a divinité détient les « clefs » d u rée l e n d e v e n i r, d è s lors qu'elle gouverne la proportion des parts de l u m i è re e t d e n u i t . Ainsi s 'explique qu'il y ait ceci plutôt que cela, q u e le m o n d e s o i t a i n s i plutôt qu'autrement, qu'il y ait c e monde et n o n u n a u t re . ,
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PARMÉN IDE LE POÈME : FRAGMENTS -
On peut joindre au témoignage d'Aétius celui de Cicéron dans le De natura deorum (I, 1 1 , 28) , que Diels a placé dans le même article A 37, et que nous désignerons comme A 37 IV : Nam Parmenides commenticium quiddam coronae simile efficit ( crTEcp&vlJV appel /a!), continentem ardore lucis orbem, qui cingit caelum, quem appel/a! deum. ln quo neque figuram divinam, neque sensum quisquam suspicari potes! ; mu/taque efusdem < modi> monstra : quippe qui bellum, qui discordiam, qui cupiditatem ceteraque generis efusdem ad deum revocat, quae vel morbo, vel somno, vel oblivione, vel vetustate delentur; eademque de sideribus, quae reprehensa jam in alio, in hoc omittantur. 4 <modi> Heindorf
« Parménide forge je ne sais quoi d'imaginaire, semblable à une cou ronne (il l'appelle crT<:Cf>lxYYJ) : un orbe de feu-lumière qui ceint le ciel et qu'il nomme "dieu". En lui, on ne peut cependant supposer ni figure divine ni sensibilité. < Il y a de ce philosophe> de nombreux monstres de cette sorte : le fait est qu'il rapporte à dieu la guerre, la discorde, le désir et d'autres choses du même genre, dont pourtant viennent à bout la maladie, le sommeil, l'oubli, le temps. Il dit les mêmes choses des astres ; les ayant déjà réprouvées chez un autre philosophe [Alcméon : cf. De nat. deor., I, 1 1 , 27] , j e ne me répéterai pas ici. » Cicéron ne distingue pas entre couronnes pures et couronnes mixtes , de sorte que c'est une couronne de fe u sans mélange qui se trouve appe lée « dieu ». Le témoignage d'Aétius est à préférer, comme émanant plus directement de Théophraste, plus précis et plus objectif : c'est la cou ronne mixte mitoyenne qui est appelée ocx.lµwv. Dans ladite stephanè, on ne peut cependant trouver ni figure divine, ni sensibilité, observe Cicéron. Certes ! Cicéron, souvent gêné par sa romanité lorsqu'il s'agit de saisir les subtilités de l'esprit grec, ne voit pas que nous sommes ici dans l'élément du mythe. Il cherche à la couronne divine une correspondance empirique, alors qu'il s'agit du res sort prin cipal d'une cosmogonie mythique. Il objecte qu'une telle couronne est « imaginaire », comme si elle avait à ne pas l'être - alors qu'il lui est seu lement demandé, toute fictive qu'elle soit, de rester dans les bornes de la vraisemblance.
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LE MYTHE. TÉMOIGNAGE A 37
I
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La daimôn est au principe de tout ce gui devient, c'est-à-dire de tout ce que la maladie, le sommeil, l'oubli, l'âge et le temps , à la longue abo l i ssent et effacent. Il est donc naturel que la « guerre » (n6J.. e: µoç) , la « dis corde » (Ëp�ç) , le « désir » (Ëpwç) lui soient rapportés. Au reste, le passage porte si bien la marque d'Héraclite que - si du moins il n'y a pas eu, chez Cicéron, une confusion entre les deux penseurs présocratiques - l'on peut y voir la trace d'une influence héraclitéenne sur Parménide. Lisons le fragment 22 B 67 : « Dieu (Ele:6ç) est j our nuit, hiver été, guerre (n6J..e: µoç) paix, satiété faim [ . . .] », avec le fragment B 80 : « Il faut savoir que la guerre (n6J..e: µoç) est universelle, la discorde (Ëp�ç) justice [ . . .] ». C'est la couronne mixte entre les couronnes mixtes gui est dite « divinité », ôoclµwv. É tant mixte de feu-lumière et d'obscurité, elle est littéralement « j our nuit », comme le Ele:6ç du fragment 67 d'Héraclite, et également « hiver été » (= « froid chaud », qualités associées l'une à la lumière, l 'autre à la nuit) . La daimôn de Parménide paraît bien être la fille du théos d ' Héraclite.
F RA G M E N T 1 2
1 -3 S IMPL. ,
Phys.,
39 . 1 4- 1 6
2-6 S IMPL. ,
Phys.,
3 1 . 1 3- 1 7
cx t yiXp cr·n:Lv6-re:pcxL 7tÀYiv-ro 7tupoç &:xp�-rmo, ex[ 3'È7tL -rcxL'ç wx-r6ç, µe:-riX 3è cpÀoyoç te:-rm cxicrcx. Èv 3è µfocp -roo-rwv 3cxlµwv � mxv-rcx xu�e:pv� 7t&:v-rwv yiXp cr-ruye:poL'o -r6xou xcxt µl!;wç &pxe:L, 7tɵ7toucr' &pcre:vL 6-YiÀu µLyYiv -r6 -r' Èvcxnlov cxùnç &pcre:v 67)ÀU-rÉpcp. ·
5
1 nÀîjv-ro Bergk 1 842 Diels : mo1v-ro (sine ace.) E• : noc'Y)v-ro D' : nvYjvi:o D'E : JtO lYjVTO Ald. Karsten : JtÀîjvTotL Bergk 1 864 ocxp�'t"OLO Bergk : ocxp�'t"O LÇ DE· : ocnpli:OLÇ EF : ocxpl-roLO Ald. Karsten 4 JtOCV't"WV w : JtOCV't"I)( DEF Karsten : Jtl)(V't"OÇ Brandis Bergk : notv'rf) Mullach : niimv Stein &pXEL DE Diels : ocpx� Ald. F Karsten 5 µLyîjv Bergk Stein : µLyÉv libri otO-rLç F Diels 1 897 : oti'.ifüç DE Diels 1 882.
05
Car les unes, plus étroites, sont remplies d'un feu sans mélange, celles qui suivent de nuit; après jaillit un lot de flamme. Au milieu d'elles est la divinité qui gouverne tout : car c'est elle qui est à l'origine de l'odieux enfantement de toutes choses et de l'union, poussant la femelle à s'unir au mâle, et, à l'inverse, le mâle, de nouveau, à s'unir à la femelle.
ex[ yàp cr-re:iv6-re:pm [ . . . ] cxt S'bd -rcxi'c; . . . Les féminins se rapportent aux couronnes, cr-re:cpiivcxi. Le comparatif « plus étroites » ne peut évidem ment s'appliquer qu'à la largeur des couronnes. Si les couronnes de feu pur sont « plus étroites » que celles de nuit qui les « suivent » lors qu'on va de la périphérie vers le centre, c'est probablement parce que,
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LE MYTHE. FRAGMENT 1 2
22'.\
sans cela, il n'y aurait pas autant de feu-lumière que de nuit mais davantage, puisqu'une couronne qui en ceint une autre est plus longue gue celle-ci. La moindre largeur compense la plus grande longueur. Il est entendu que, tout comme d'après le témoignage A 37 I, la cou ronne la plus extérieure est une couronne de feu. Comme le notait déjà H. Ritter (Histoire de la philosophie, t. I, p. 408, n. 4) , le sens de µe-riX n'est pas clair. « On peut le prendre pour µe-rÉ7tei-rœ », suggérait-il. Oui. Encore µe-rénei-rœ a-t-il un sens trop purement temporel. Si, une fois posées des couronnes de feu avec à côté des couronnes de nuit, « après » j aillit un lot de flamme, cela ne peut pas être sans lien avec elles. Or, que peut-il s 'être produit ? Que peut-il être advenu au feu sans mélange que de se mêler de nuit, à la nuit obscure que de se mêler de lumière ? La flamme jaillissante est l 'effet du mélange, de l'union des contraires . Car la flamme (qiME,) de 1 2 . 2, à la différence du « feu éthéré de la flamme » de 8 . 56, qui i sole le côté lumineux, est un produit, non un principe. Une flamme, en effet, étant plus ou moins intense, plus ou moins vive, chaude ou lumineuse, est touj ours mêlée de nuit. Le feu sans mélange, au contraire, ne peut être moins feu qu'il n'est (8 . 57) . Cependant, ce qui est produit n'est pas simplement une flamme, mais un « lot », une « portion », c'est-à-dire une certaine quantité de flamme. Nous avons reconnu en 9 . 4 une notion d'équivalence quantitative. Nous avons vu aussi que la daimôn gouverne, en vue de la génération des choses, les proportions diverses de feu-lumière et de nuit qui entrent dans les mélanges. La notion de « portion » ou de « part » en 1 2 . 2 a de même une implication quantitative. Mais pourquoi le terme œfoœ, rare chez les Présocratiques , plutôt que µépoç ? Le sens originel de œfoœ est « part » (part de butin, etc. : cf. Chantraine, s .v.) . Liiàç œfoœ est la part accordée par Zeus . Or, au vers 1 2 . 3, intervient la « divinité qui gou verne tout ». Comment gouverne-t-elle ? en composant et réglant les parts, en distribuant les lots . Le mot archaïque œfoœ, fréquent chez Homère, convient à la poésie et au mythe ; et c'est bien d'une cosmo genèse mythique qu'il s'agit. Au milieu (Èv µfocp) des couronnes est la divinité. Le témoi gnage A 37 I la plaçait « juste au milieu » des couronnes mixtes. Les
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
deux textes s 'accordent, car le fragment 1 2 n'exclut pas que, dans l'es pace cerné par les couronnes de feu et de nuit sans mélange, se trou vent les couronnes mixtes . On s 'est interrogé sur le « siège » de la divi nité. Selon Zeller (p. 6 1 ) , elle correspond au Feu central des Pythagoriciens. Mais, outre que le Feu central de Philolaos n'est pas déjà attribuable aux Pythagoriciens au temps de Parménide, c'est là une impossibilité puisque le Feu n'est pas posé par Parménide à part de son contraire, la Nuit. Selon Tannery (p. 242) , Parménide place la divinité « au centre du monde ». Non, car au moment de l'enfantement de toutes choses, c'est-à-dire à l'origine du monde, il n'y a pas encore de « monde ». Tannery se réfère . au témoignage de Simplicius (Phys., 34 . 1 5) , pour qui la daimôn parménidienne est « au centre de tout » , È:.v µfocp mxv'l'wv, mais, comme le note Bollack (1 990, p. 3 8) , Simplicius ne fait là que reprendre les termes de Parménide, È:.v µfocp 'l'OU'l'WV : « au centre de tout » signifie donc « au centre des couronnes » (du « whole complex of rings », Coxon, p. 239) . Comme l'observe Bollack, aucune localisation du siège de la divinité n'est recevable, qui suppose que le mélange ait été fait « avant qu'il n'ait eu lieu » (p. 39) . La déesse n'est ni avant le mélange (comme si elle pouvait être mère, 'l'OxÉIX, A 37 I, avant d'enfanter) , ni après (car, en ce cas, qui aurait été à l'origine de l' « odieux enfantement de toutes choses » ?) , mais « où le Feu et la Nuit se mélangent » (Holscher, Parmenides, p. 1 08) , puisque c'est par elle, précisément, qu'ils se mélangent, et que sa fonction s 'épuise à faire qu'un tel mélange ait lieu. Au vers 1 2 . 4, 7ttXV'l'Wv, que donne le manuscrit W (Musée histo rique d' É tat de Moscou, n° 3649, XIII° s .) - manuscrit que Diels ne connaissait pas -, doit être retenu (ainsi font Mansfeld, Kirk-Rav. Sch . , Gallop) : « 7ttXV'l'WV (se. 'l'WV onwv) gives excellent sense », observe D. Sider, « and is without question correct » (Phoenix, 1 979, p. 68) ; et Sider de rendre justice à Stein qui avait proposé de corriger le mXv'l'Ot des manuscrits DEF (admis par Karsten) en Tiiicm - correction qui, si faible soit-elle paléographiquement, était excellente pour le sens. Alors que l'intérêt du manuscrit de Moscou, et spécialement ici de la leçon 7ttXV'l'wv, a été reconnu, il est étonnant qu'après , notamment, l'article de Sider, les interprètes en restent souvent, soit à la correction de Mul-
Ill
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LE MYTHE. FRAGMENT 1 2
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l ach, 7tlXVTrJ (ainsi O 'Brien-Frère, 1 987 ; Bollack, 1 990, p. 37 ; C. Collo bert, 1 993 - sans parler, en des temps plus anciens, de Tarin, de Hol scher, de Mourelatos, etc.) - correction que Bergk avait j adis judicieu sement écartée au profit de 7tlXvT6c; (« 7tlXvT6c;, quod Brandisius commendavit, multo est aptius quam quod Mullachius scripsit mxvTYJ, idque plane firmat Stob. [in Dox., 335 . 1 2-1 6 = A 37 I in fine] » , KI. Schr. , II, p. 8 1 ) , soit à celle de Diels 1 897, mxvTIX yiXp<�> (ainsi Casertano, 1 978 ; Cordero, 1 984 ; Reale, 1 99 1 ) , quand ils ne s 'en tien nent pas au n<kvTIX des manuscrits DEF marqué d'une crux (ainsi Heitsch, 1 99 1 , dont l'apparat ignore la leçon n<kvTc..iv) . La divinité « gouverne tout ». Comment entendre cela ? Le vers suivant l'explique (yiXp) : c'est elle qui est « à l'origine » (ou « est prin cipe » , &pxeL, ou est « principe » , &.px�) de l'enfantement, T6xoc;, de toutes choses (« of all things », Kirk-Rav.-Sch .) . Cela signifie qu'il n'y a l ieu de chercher, chez Parménide, rien de tel qu'un monde intelligible causal dont le monde sensible serait l'émanation (Simplicius) , ou qu'un monde tel que le monde supralunaire d'Aristote, où ne sont que des êtres soustraits à la génération, séparé du monde sublunaire dont les vivants naissent et meurent : le cosmos de Parménide est tout entier produit de la génération et soumis au devenir. Pourquoi « odieux » (« hateful » , Coxon, Kirk-Rav.-Sch.) enfantement ? Le mot tHvyep6c; vient de crTvyÉw, « haïr, avoir en horreur », où l'on reconnaît le nom-racine :l:Tu�, la Styx étant le nom homérique du « fleuve ter rible du serment » (//., 2 . 755) . Faut-il voir en Parménide un pessimiste radical : Parménide contempteur de la vie universelle, haïsseur de la v i e ? Le mot stugeros est tellement fort ( « odieux comme la Styx » ) qu'on a voulu en banaliser ou en édulcorer le sens : « redoutable » (Beaufret) , « terrible » 01 oilquin) , « dur » (Battistini) , « douloureux » (Tannery, CL Ramnoux, Couloubaritsis, Reale) . Ne voir dans l'expres sion crTvyepoî:'o T6xov qu'une allusion aux « douleurs » de l'enfantement, que les femmes « redoutent », rassure et évite de soulever le problème du pessimisme. On n'aime pas penser que Parménide a pu avoir un point de vue radicalement négatif sur la vie. Si tel était le cas, pour tant, ne serait-il pas en accord avec la Stimmung de son époque ? La mélancolie d'Homère est passée dans la poésie archaïque. Le poème -
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
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« Sur la brièveté de la vie », qu'il soit de Sémonide d'Amorgos , comme i l semble 1 , o u d e Simonide de Céos, reprend l e vers fameux d e l'Iliade (6 . 1 46) : « Telle l a race d e s feuilles, telle celle d e s hommes » (Semonides, fr. 29 Diehl) . C'est une réflexion sur ce même vers qui nourrit la plus intéressante des élégies de Mimnerme (fr. 2 Diehl) , même si le poète de Colophon met l'accent plus sur la vieillesse que sur la mort. Le bonheur est possible dans la j eunesse, bien qu'il ne puisse être guère apprécié que dans la vieillesse, lorsqu'on ne l'a plus. Mais, en tout cas, « dès qu'est passé le terme de la j eunesse, alors la mort sans délai vaut mieux que la vie » (2 . 9-1 0) . Théognis, on le sait, est plus radical : « Le plus enviable de tous les biens sur terre est de n'être point né, de n'avoir j amais vu les rayons ardents du soleil ; si l'on naît, de franchir au plus tôt les portes de l'Hadès, et de reposer sous un épais manteau de terre » (v. 425-428, tr. Carrière) . N'est-ce pas là le thème de l' « odieux enfantement », que simplement Parménide étend de la vie humaine à la totalité des choses, portant condamnation sur tout ce qui devient ? Et ce que dit Pindare, que l'homme n'est que « le rêve d'une ombre » (VIII° Pythique, 1 36) , Parménide ne peut-il le dire de tout ce qui est au monde, qui n'y est que pour un moment, de sorte que bientôt tout se passe comme s 'il n'avait j amais été ? Bref, le mot cr-ruye:p6c; signifie ce qu'il signifie, et l'on ne voit pas comment il serait possible de douter du pessimisme de Parménide. On dira qu'aux yeux des poètes, le négatif ne tient pas à la vie elle même, mais à la brièveté et à la précarité de la vie et du bonheur. Comme le montrent les paroles d'Achille au pays des ombres, rêvant de revenir « au manoir de son père, ne fût-ce qu'un instant » ( Od., 1 1 , 501) , le Grec goûte passionnément le charme de la vie. Parménide était grec, et il n'y a aucune raison de penser qu'il était un esprit cha grin. Son j ugement sur la vie s 'inscrit sur le fond de la même Stim mung, à tonalité homérique, que le jugement des poètes. Mais il ne limite pas son regard à la considération de la vie humaine : il l'étend à l'ensemble des étants - ou prétendus tels. Certes les humains sont 1 . Daniel Ba but, « Sémonide et Mimnerme » , Revue des études grecques, janvier-juin 1 97 1 ,
p . 23.
l II LE MYTHE. FRAGMENT 1 2 -
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pour lui, avant tout, des « mortels » (�poTo0 ; et sans doute les enfants à venir sont-ils pour lui, comme pour Héraclite, des « destins de mort à naître » (fr. 20 DK) . Mais c'est toutes choses qui sont « odieusement » enfantées, et, la mort étant inséparable de la naissance, le domaine de la mort s'étend à l'ensemble des étants. Ce qui est « odieux » ou « haïs sable » ou « horrible » dans la vie, c'est la mort. Or, tout ce qui est en devenir est voué à la dissolution. C'est donc sur le devenir comme tel que porte la condamnation du philosophe. Pourquoi y a-t-il ce qu'il y a ? Pourquoi y a-t-il le monde ? Platon l'explique par la bonté du Ôl)µwupyôc;, du dieu ordonnateur : « Celui qui a formé le devenir et le monde était bon (ocyœOôc; �v) » ( Tïmée, 29 e) . Mais qu'en est-il de la daimôn ? On ne peut parler de « bo n té » : c e l l e q u i enfante dans l'odieux n'est pas « bonne ». O . G i l b e r t demandait s ' i l fa u t l'identifier à l a Déesse d u prologue (A rchiv j Gesch. der Philos. , 1 9061 907, p. 25-45) . Évidemment non : la daimôn est l'objet du discours de l a Déesse ; mais surtout la Déesse, qui accueille le j eune homme « avec bienveillance » (1 . 22) , veut qu'il soit « instruit de tout » (1 . 28) , l'élève jusqu'à la vision de la vérité et de l'être, est nécessairement toute diffé rente d'une démone qui est au principe du devenir. Du côté de la vérité et de l' être sont aussi le bien et la bonté, ce qui est aimable ; reste, du côté du devenir, ce qui est haïssable. La théa du prologue et la daimôn du dis cours doxique sont comme le J our et la Nuit. Du reste, il n'y a pas lieu de chercher, pour la démone, une quel conque identification dans le panthéon grec. « Homère applique le terme daimôn [. . .] le plus souvent à une puissance divine indéterminée, sans individualité propre. » 1 La démone parménidienne n'a d'autre détermination que celle indiquée dans le discours . Le mythe cosmogé nétique requiert simplement la personnification du principe du devenir. Le terme crTuyspôc; est porteur d'une appréciation philosophique et morale de la valeur du devenir et de la vie ; il ne signifie pas que la ôœl µ wv qui préside à l' « odieux enfantement » des choses, serait une s o rt e de dieu mauvais . Elle n'a pas assez de realité, de consistance, pour cela. 1 . Martin P. Nilsson, Les crl!Ja!lces religieuses de la Grèce a11tiq11e, t ra d . M a t i l a C h y k a , Paris, Payot, 1 955, p. 72.
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
x.od µlÇwc;. La µ'LÇ�c; est ici l'union s exuelle. Kcxt, en l'occurrence, s 'em ploie à la fois pour fixer l'attention sur une partie d'un tout et pour mar quer une conséquence de l'idée que l'on vient d'exprimer. La divinité est la « cause efficiente (no nrn x.àv cxrnov) , une et commune » de toutes choses, dit Simplicius (Phys., 34 . 1 4- 1 5) ; entendons qu'elle est au prin cipe de tout engendrement, donc de tout mélange. L'un de ces « mélanges » n'est autre que l'union sexuelle. Mais ici n'empiète-t-elle pas sur le domaine du dieu É ros ? ] . Frère craint qu'en s 'attribuant son pouvoir, elle ne le rende « inutile » (Études philos., 1 985, p. 46 1 ) . C'est oublier que la daimôn et É ros ne se situent pas au même niveau, ne sont pas des divinités comparables. Dès lors que la daimôn enfante toutes choses et, en particulier, les dieux (Simplicius , Phys., 39 . 1 7) , É ros n'est qu'un produit de l'activité génératrice de la daimôn. Celle-ci est au prin cipe de l'union des sexes comme de tout mélange et de toute union. Cela ne signifie pas qu'elle se mêle directement d'unir le mâle et la femelle. Rien n'empêche qu'elle n'y préside que par l'intermédiaire de l'un de ses rejetons, É ros . Tout dans le monde dépend de la divinité comme de son origine, mais dépend immédiatement de ce qu'il y a d'autre dans le monde : des dieux, des hommes, des causes subalternes. La mixis est un mélange, et le mélange est toujours celui des deux contraires, la lumière et la nuit, ou de mixtes de l'un et de l'autre. Le mâle d'un côté, la femelle de l'autre, étant des êtres parmi d'autres au sein du cosmos, où ni le feu-lumière ru la nuit ne sont sans mélange, sont déjà des mixtes . Toutefois l'un des deux a plus de part à la Lumière, l'autre à la Nuit. Lequel est le plus lumineux, lequel le plus obscur ? « Vraisemblablement chez Parménide, comme chez Pythagore et partout en Grèce, les femmes appartiennent au royaume de l'ombre, et les mâles au domaine de la lumière » (Cl. Ramnoux, Parménide, p. 1 42) . Il existe une affinité évidente entre la lumière et l'intelligence. Les Grecs, qui formaient une société « [dont le] caractère essentielle ment masculin s 'impose à l'analyse » \ « aimaient et admiraient l'intelli gence » 2, chez Ulysse, par exemple, et cela, dit Bowra, jusqu'au « culte 1 . C . M . Bowra, L 'expérience grecque, trad. Chevassus, Paris, Fayard, 1 969, p. 41 . 2 . Ibid., p. 46.
III
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LE MYTHE. FRAGMENT 1 2
229
de l'intelligence pure » 1 • Or, d'une manière générale, la femme, qui n'a aucun droit politique ou juridique à faire valoir, et pour qui l'agora n'est pas le lieu de la parole, la femme, disons-nous, ignore le logos, c'est-à-dire le langage parlé en vue de l 'argumentation, de la démons tration et de la vérité. Dès lors, elle est du côté de l'ombre. A la lumière de l'agora s 'oppose le clair-obscur du gynécée. Du côté mas culin, l'apollinien ; du côté féminin, le dionysiaque : « La femme est avant tout sensuelle pour les Grecs, et du côté de la nuit, des puis sances inquiétantes et désordonnées de la nature, dionysiaque en somme [ . . .] . » 2 Du reste, Dionysos est « toujour s e n touré de femmes », note W. Otto 3 • Il a « quelque chose de fém i n i n dans sa nature » 4 , et Eschyle le nomme « !'efféminé » (6 yûvvlç, fr. 61 N auck) . l i n 'a pas l a virilité forte d u dieu dont l a passion se satis fait de fugitives étre i n tes sans glisser dans la langueur amoureuse ; sa virilité faible s'exténue en amour électif et en attachement indéfectible pour la bien-aimée, Ariane. Si la femme n'est pas le premier souci de l'homme, alors que l 'homme (ou l'enfant) est le premier souci de la femme, l'approche sexuelle débute par la provocation silencieusement parlante de la femme. C'est pourquoi, en 1 2 . 5, Parménide présente la tendance de la femelle à s'unir au mâle avant celle du mâle à s 'unir à la femelle. Si le mâle est poussé à s 'unir à la femelle, c'est en réponse à l'appel de celle-ci. Si grande était la place de l'amitié d'homme chez les Grecs que la femme, privée du logos (ce qui ne signifie pas qu'elle se taisait) , devait j ouer dans un autre registre. Elle donne à l'homme le plaisir de la nuit, la paix du foyer, et surtout, épouse, ce pour quoi il l'a épousée : « des enfants légitimes » 5 •
1. 2. p . 48. 3. 4. S.
Ibid., p. 47. Gérard Lambin, La chanson grecque dans /'Antiquité, Paris, Dionysos. Le mythe et le culte, trad. P. Lévy, Paris, M e rc u re Ibid., p. 1 84. Ménandre, La femme aux cheveux coupés, v. 435.
CNRS
Rditions,
d e France,
1 992,
1 96 9 , p . 1 8 1 .
F RA G M E N T 1 3
PLAT. , Symp., 1 78 b ; ARIST . , Meta., A, 4, 984 b 27 ; PLUT . , Amat. , 1 3, 756j; SEXT . , Adv. math., IX, 9 ; STOB. , Ed. , I, 9, 6 (I, 1 1 3 . 4 Wachsmuth) ; S IMPL. , Phys., 39 . 1 8. 7tpWTLcrTov µÈv " Epww: !le:wv µri•lcrcxTo mx11Tw11.
Elfe a conçu Éros, le premier né de tous les dieux.
Après avoir cité le fragment 1 2 . 1 -3 (cxi yà.p crTe:Lv6Te:pcxL . . . � 7ta\/Tcx xu�e:pv� ), Simplicius aj oute : TCXUTY]\I xcxl 8e:wv cxl'rlcxv e:Ivcxl cp1Jm ÀÉywv, « et il [Parménide] dit que celle-ci Ua daimôn] est également la cause des dieux, énonçant : Elle a confU Éros [ . . . ] », xcx� -rà. é:Çîjc;, « et la suite ». De quelle « suite » s'agit-il ? Il faut construire ÀÉywv . . . -rà. é:Ç'ijc;. Parménide : 1 ) dit que la daimôn a conçu É ros ; 2) il dit aussi ce qui en découle, à savoir l'union des sexes (l'instinct qui pousse la femelle à s 'unir au mâle, etc.) . De ce fait, c'est à tort que, selon ] . Frère (1 985, p. 462) , la µîÇLc; du fragment 1 2 . 4 aurait été attribuée à la daimôn, et il faudrait insérer le fragment 1 3 entre les vers 3 et 4 du fragment 1 2 (p. 464465) . Mais cette conclusion, comme on l'a vu (ad fr. 1 2 . 4) , ne s 'im pose pas : la divinité est, de toute façon, la première responsable de l' « odieux enfantement de toutes choses », et, particulièrement, en cré ant É ros , de l' « union des sexes », et de tout ce que cette union signi fie pour les vivants . Il convient, du reste, de noter que, malgré J . Frère (p. 462) , É ros ne saurait être à l'origine de l' « odieux enfantement de toutes
III
-
LE MYTHE. FRAGMENT 1 3
23 1
choses » : 1 ) en ce cas, son activité se réciproquerait absolument avec celle de la daimôn, ce qui rendrait celle-ci inutile ; 2) il serait, étant principe « de tout » (mxVTwv, 1 2 . 4) , le créateur des autres dieux, ce qui est exclu. L' É ros parménidien n'est donc pas un É ros démiur gique, tel l' É ros de la triade primordiale d'Hésiode (Théog., 1 20) , « force attractive et génératrice toute-puissante »1 ; c'est un É ros éro tique : l'époç d'Homère, q u i e s t d é s i r (li., 1 . 469 ; 1 4 . 3 1 5) . Quant aux cosmogonies et aux généal ogi es dites « orphiques », celle, par exemple, où l'on voit, d 'après A ri s tophane (Oiseaux, v. 693-702) , É ros naître d e l a brisure d ' u n œ u f non fécondé produit par l a Nuit, s'unir au Chaos, etc., il est probable, si tan t e s t qu'elles av a ie n t déjà pris forme à son époque (car les témoignages que l 'on en a sont tous postérieurs� , que Parménide les considéra et les traita d'une façon dont l'ironie méprisante de Platon peut nous donner une idée ( Timée, 40 d-e) . Quel est le sujet de µ'Y)·tfool'ro (µ'Y)·tfoµ1n, songer, méditer, de µîjnç, sagesse, prudence : « . . . dans sa sagesse, elle a conçu É ros . . . ») ? Selon Simplicius , celle qui a « médité » et « machiné » É ros est la dai môn du fragment 1 2, et c'est l'indication que nous avons retenue. Platon (I. e.) et Aristote (I. e.) ignorent la démone. Ils mettent ensemble l"' Epwç parménidien et l"' Epoç de la triade d'Hésiode (Xaoç- rtx'i:'ot - '' Epoç) , faisant ainsi du premier un É ros démiurgique ou cosmique, et, par ignorance de la daimôn, lui attribuant le rôle de celle-ci. Citons Aristote : xotl yiXp oi'.i't'oç xot't'otcrxe:uiX�wv 't'�v 't'OÜ notv't'àç yÉVEO'LV (( 7tpW't'LO''t'OV µÉv )) <j)'Y)O'LV (( ÉpW't'O( Ele:wv f1.'Y)'t'lO'ot't'O 7taV't'WV )) (984 b 25-27, éd. Ross), « Celui-ci [Parménide] , en effet, construisant la genèse du Tout : Le premier de tous les dieux, dit-il, c'est Amour qu 'elle a confU ». « Il fallait, continue Aristote, que se trouvât dans les êtres une cause capable de donner le mouvement et l'ordre aux choses » (984 b 29-31) : cette cause est É ros pour Hésiode, Parménide et d'au tres (9 84 b 24) . Or, la cause productrice, Simplicius nous l 'apprend ('t'à 7tOL'Y)'t'LxÔv, Phys., 39 . 1 3) , n'est pas É ros mais « la divini té (�otlµ<üv) 1 . Reyna! Sorel, Les cosmogonies grecques, Pari s , 2 . Ibid., p. 64.
PUF,
1 994, p. 37.
232
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
qui gouverne tout » (fr. 1 2 . 3) . On voit la substitution opérée par les Platoniciens . Quel sera alors, dans le texte de Platon (Ilotpµi::v lô'Y)c; ÔÈ -r�v yÉvi:: crtv ÀÉyi:: � npwncr-rov µÈv [ . . . ] , Symp., I. e.) et d'Aristote, le sujet de µ'Y)-rlcrot-ro ? yÉvi:: crt i:; est un nom commun, et la « génération » n'a j amais été personnifiée. De là diverses suppositions . W. D . Ross retient celle qui fait d'Acppoôl-r'Y) le sujet de µ'Y)-rlcrot-ro comme la plus vraisemblable (Aristotle's Metaphysics, t. I, p. 1 36-1 37) , et Tricot écrit : « <Aphrodite> a créé l'Amour, le premier de tous les dieux » (tra duction de La Métaphysique, Vrin, 1 962, t. I, p. 36) . Ils adoptent en cela la solution de Plutarque : « Parménide présente l'Amour comme l'aîné des enfants d'Aphrodite ; il écrit dans sa Cosmogonie : Elle confut l'Amour avant tout autre dieu » (Amatorius, I. e., trad. Flacelière) . En quoi Ross et ceux qui le suivent ne se rendent pas compte que, si Plutarque fait d' É ros l'enfant d'Aphrodite, c'est pour séparer cet É ros parménidien de l' É ros d'Hésiode (lequel reste le principe « à qui toutes choses (mh-rot) doivent l'existence » , I. e., ibid. ) , alors que Pla ton et Aristote, précisément, ne les séparent pas. Au reste, Plutarque se garde d'insérer le mot AcppoÔlT'Y) dans le texte qu'il cite. Il accom mode Parménide et en est, semble-t-il, tout à fait conscient. Il est commun de faire d' É ros le fils d'Aphrodite, sinon depuis Sappho 1 , Ibycos ou Simonide2 , en tout cas « depuis la moitié du ve siècle avant J.-C. au moins » 3 • Mais É ros étant, pour Parménide, « le premier né de tous les dieux », Aphrodite ne peut être sa mère. Elle n'est qu'un dieu parmi d'autres - non que Parménide admette la réalité des dieux de la mythologie au sens où la mythologie admet cette réalité, mais, de toute façon, les dieux existent dans les corn·
1 . «Alcée dit qu'Éros est fils d'Iris et de Zéphyr; Sappho, d'Aphrodite et d'Ouranos» (Scholie de Théocrite 1 3, 1 -2 c, p. 258 . 1 3 s. Wendel). Cf. Claude Calame, «Éros initiatique et la cosmogonie orphique», in Ph. Borgeaud ( éd.), Orphisme et Orphée, en l'honneur de Jean Rudhardt, Genève, Droz, 1 9 9 1 , p. 242, n. 28. 2 . «Simonide fait d'Éros le fils d'Aphrodite et d'Arès [fr. 575 Page = 24 Diehl] ; Iby cos, < d'Aphrodite et d'Héphaistos> [fr. 324 Page, suppl. Wilamowitz] » (Scholie d'Apollo nios de Rhodes 3,26, p. 21 6 . 1 1 s. Wendel). Cf. ]. Rudhardt, Le rôle d'Eros et d'Aphrodite dans les cosmogonies grecques, Paris, PUF, 1 986, p. 1 9 . 3 . Vinciane Pirenne-Delforge, L 'Aphrodite grecque, Kernos, Suppl. n ° 4 , Athènes-Liège, 1 994, p. 72.
I l l LE MYTHE. FRAGMENT 1 3 -
233
portements humains qui les supposent. Les dieux ont une réalité humaine par les cultes, les offrandes, les sacrifices, les fêtes, etc. Lorsque Parménide parle des « dieux », le mot « dieux » doit s 'en tendre entre guillemets. Tout ce qui est au monde est engendré et périssable comme le monde lui-même. Les « dieux » (ce que les mor tels nomment ainsi) , qui sont, eux aussi, au monde, ne font pas exception.
F RA G M E N T 1 4
PLUT. , Adv. Colot., 1 5, 1 1 1 6 a .
. . . wxnqia€ç m:pt ya(av &.Àwµ.e:vov &.ÀÀ6Tpwv qicfiç. vuxTL<:paÈç Scaliger : vuxTl qi&oç libri .
. . . Brillant la nuit, errant autour de la Terre, lumière empruntée.
Untersteiner (p. 1 62) a adopté, comme fragment 1 3 a, un prétendu fragment de Parménide, proposé d'abord par W. J aeger (Rhein. Mus., 1 957, p. 42-47) et tiré d'Aristote, Méta., Z, 1 5, 1 040 a 3 1 . Le Stagirite énumère des caractères « dont la suppression n'empêcherait pas le soleil d'exister ». Ce sont m:pt y-Yjv lov, « allant autour de la Terre », et vux-nx pucpÉç, « qui se cache la nuit ». Mais Aristote cherchant des caractères du soleil qui soient des accidents, étrangers à sa définition, il était difficile que la pensée du mouvement du soleil et de sa lumière ne lui vienne pas à l'esprit. 7te:pt y-Yjv lov est banal ; vux·nxpucpÉc; ne l'est pas . S 'agit-il d'une citation ? Ross (op. cit., t. II, p. 2 1 7) voit dans vux'nxpucpÉc; un mot forgé par Aristote par analogie avec le vux'ncpaÈc; de Parménide. Nux-ncpaÈç est souvent traduit par « brillant dans la nuit » (Cor dera ; « claire dans la nuit », Beaufret, C. Collobert ; « claire dans l'ob scurité de la nuit », O'Brien-Frère, Piclin ; « shining in the night » , Tarin, etc.) . Coxon observe (p. 245) que Parménide « would hardly have coined a new epithet » pour ce lieu commun (on ne connaît qu'une seule autre occurrence du mot vux-ncpa�c;, ln Orphei
Ill
-
LE MYTHE. FRAGMENT 1 4
235
Hymni, 54 . 1 0) . Par analogie avec un mot tel que xpucrocpix�c;, « brillant comme l'or », il suggère que le sens est plutôt « shining like night ». Mais la nuit ne brille pas. Que veut dire Parménide ? Non pas que la lune brille « dans l'obscurité de la nuit », mais qu'elle brille « pendant la nuit » (Riaux, Tannery) , ou, tout simplement, « la nuit » (Burnet, Vuia) , c'est-à-dire seulement la nuit. Car elle brille d'une lumière étran gère, et non par simple contraste de sa lumière propre avec l'obscurité de la nuit. Parménide reprend la fin d'un vers homérique : l' « étranger » (&À/..6-r p wc; cpwc;, Il., 5 . 2 1 4 ; Od., 1 8 . 21 9) devient la « lumière empruntée » (de la lune) . La lumière de la lune lui vient de ce qu'elle est éclairée par le soleil. Tannery (p. 21 6) conteste ce point : que la lune reçoive sa lumière du soleil, c'est, selon Platon ( Craryle, 409 b) , la thèse d'Anaxagore. Mais &H6-rpwv cpwc; ne peut signifier autre chose que « lumière empruntée » (telle est déjà la traduction de J . F. Montucla, Histoire des mathématiques, Paris, an VII, t. I, p. 1 1 1) . Tannery est, dès lors, amené à contester l'au thenticité du vers ! En vérité, il est très possible que la thèse remonte à Thalès : « Thalès, le premier, a dit que la lune est illuminée par le soleil. Pythagore, Parménide, Empédocle, Anaxagore, Métrodore, de même » (Aétius, II, 28, 5 : Dox., 358 b) . Que la lune, outre celle qu'elle reçoit du soleil, ait une lumière propre, c'est ce qui semble vraisemblable. C'est la part de feu qu'ils contiennent qui rend les astres lumineux. Or la lune est « de feu » (7tuplv11v, Aétius , II, 25, 3 : Dox., 356 b) , comme le soleil (II, 20, 8 : Dox., 349 b) . Dès lors n'aurait-elle pas sa lumière ? Mais dire qu'elle est « de feu », par une « misleading abbreviation » (Coxon, p. 244) , ne signifie pas qu'elle soit faite de feu pur. En fait, elle est un « mélange d'air et de feu » (cruµµ�y-Yj [ . . . ] Elvm -r�v crEÀ�V"f)V -roü -r'&Époc; xixt -roü 7tup6c;, Aétius, II, 7, 1 : Dox., 335 b 20-22 = A 37 II) . Comme le soleil, elle s'est formée à partir de la Voie lactée, mais selon une proportion différente de Feu et de Nuit : « Le soleil et la lune se sont formés à par tir de la Voie lactée par séparation ( &7t6xp�crtc;) ; l'un est fait d'un mélange (µi'yµix) plus raréfié qui est chaud, l'autre d'un mélange plus dense qui est froid » (Aétius , II, 20, 8 : Dox., 349 b = A 43) . La lumière résultant d'un mélange que le feu ne réussit pas à rendre « chaud », ne
236
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
peut être que bien pâle. Or on sait que, lorsque la lune est en crois sant, le reste du globe lunaire ne laisse pas d'être visible (au moins dans certaines conditions) , éclairé par une pâle lumière. Cette lumière, dite « cendrée », la lune la reçoit de la Terre illuminée par le soleil. Par ménide pouvait-il, dans l'ignorance d'une telle cause, faire autrement que de la considérer comme une lumière propre ? Reste, dira-t-on, qu'il eût pu l'attribuer aux étoiles . Qu'il y ait vu l'effet du feu qui entre dans la consistance de la lune est néanmoins plus probable. La lune n'était donc pas pour lui, comme pour nous, un astre obscur. Le mouvement de la lune nEpt ycxî:'cxv donne lieu aux phases de la lune, d'où résulte la périodicité de ses effets (�pycx nEpl<poL-rcx, fr. 1 0 . 4) . Toutefois l a lune elle-même, s i l'on observe, nuit après nuit, son mouvement parmi les constellations zodiacales , peut être dite « errante » (&.MoµcxL, « errer çà et là ») , ou « vagabonde », épithète qui ne convient pas pour ses œuvres : Parménide a conscience que la lune est un « astre errant » - une planète (nÀcxv&oµcxL, « errer ») .
FRA G M E NT 1 5
PLUT. ,
cxtd
Quaest. rom.,
Ald. Scaliger :
76, 282 b ;
cxtd
De facie,
1 6 , 929 b.
libri.
Torgours regardant vers les r�ons du soleil.
On voit souvent représenter la lune par une face humaine. Les Anciens se demandaient à quoi était due « la face [To 7tp6crw7to'V] qui paraît sur le globe de la lune » - pour reprendre le titre de Plutarque. Il n'est pas exclu que l'image de la face lunaire ne soit pour quelque chose dans le choix, par Parménide, du verbe 7tcx7tTcxl'Vw, qui signifie, chez Homère, « chercher du regard ». Encore est-il probable qu'il faille plutôt songer à l' « œil rond » de la lune du fragment 1 0 . 4. La lune est comme un œil. Au clair de lune, nous devenons visibles . De là-haut, on dirait qu'elle nous regarde . Mais elle n'a d'yeux que pour le soleil. Au-delà de toute fantaisie ou métaphore, Parménide entend nous signifier un fait physique. Traduire « cherchant de ses regards . . . » (O'Brien-Frère) , voire « portant ses regards inquiets vers . . . » (Be a u fret ; cf. F. C. Babbitt : « gazing in awe » !) , suppose un glissement de sens qui ne semble pas nécessaire. Tannery ( « regardant vers . . . » ) , Burnet ( « regardant du côté de . . . » ) , H. Chernis s ( « fi x i ng h e r glance ... » ) , ainsi, entre autres, que Cordera o u Couloubari t s i s , choi sissent, avec raison, la sobriété. Puisque l a l u n e e s t éclai rée par le soleil, elle « regarde » nécessairement vers l e solei l , e t cela tou j o u rs ,
238
PARMÉN I D E - LE POÈME : FRAGMENTS
cxtd, c'est-à-dire quelle que soit la phase considérée, à l'exception de la « nouvelle lune », où la lune est « aveugle ». Qu'il s'agisse de la pleine lune, de la lune ovale, de l'un des quartiers ou du croissant, la partie lumineuse est toujours tournée vers le soleil. En particulier, la convexité du croissant est tournée du côté des rayons solaires, tandis que les cornes sont tournées à l'opposé du soleil : Parménide savait ce que beaucoup de peintres, qui ont orienté le croissant à l'envers, ont, semble-t-il, ignoré.
F RA G M E N T 1 5
a
Schol. in Basile de Césarée, Homiliae in Hexaifmeron, quali, GO'tt. Nachr., 1 9 1 0) .
25
(p.
201 . 2
éd. Pas
uih-r6p L�OV [se . T�V y-ijv] La Terre enracinée dans l'eau.
La scholie II ixpµevlôY)Ç èv -tjj cr·nxo7tOLlCf (( uôœr6 pi�ov )) efaev T�V yYjv, « Parménide, dans ses vers, a dit la Terre enracinée dans l'eau », est affé rente à la phrase suivante de Basile : « Si tu t'imagines que c'est l'eau qui se trouve sous la terre, tu devras chercher comment un corps lourd et dense ne s 'enfonce pas dans l'eau [ . . .] » . Thalès, nous dit Aristote, « soutenait que l a Terre flotte sur l'eau » (Méta., A , 3, 983 b 2 1 -22) . La Terre serait une sorte de disque plat flot tant sur l'eau « comme un bouchon de liège » (Tannery, p. 7 4 ; cf. le dessin de Baccou, p. 53) . Cela nous aide-t-il pour interpréter le terme uôix-r6pi�ov ? Il ne le semble pas : 1) ce qui « flotte » sur l'eau n'est pas « enraciné » en elle ; 2) pour Parménide, la Terre est « ronde » (cr-rpoy yuÀYJ, Théophraste, Phys. Opin., 1 7 : Dox., 492 . 8) , et, plus précisé ment\ « sphérique » (mpixipoeiô�ç, D . L., IX, 2 1 ) . Et surtout, Parmé nide a assimilé la grande découverte d'Anaximandre : la Terre, i solée de toutes parts, ne « repose » sur rien - « la Terre n'a pas besoin d'un 1 . Cf. notre Anaximandre, p. 200, n. 1 7 .
240
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
support. Elle se soutient par la nature même de sa situation au centre du monde, toutes choses étant égales tout autour d'elle, si bien que son équilibre n'a point de raison d'être j amais rompu » (Abel Rey, p. 363 ; cf. Aétius, III, 1 5, 7 : p. 1 38- 1 39 Lachenaud) . Dans Homère, le fleuve Okéanos entoure circulairement l'étendue des terres et des mers, les délimitant, tout en refluant constamment sur lui-même. N'est-il pas possible, demande Zafiropulo (p. 1 24) , que Par ménide « ait voulu faire allusion à la conception, classique alors, du monde habité entouré par le fleuve Océan » ? Cette idée a la faveur de plusieurs interprètes, tels O. Gigon (Der Ursprung, p. 284) , Untersteiner (p. 1 65, note) , Ruggiu (p. 3 5 3) . Sans exclure la représentation géogra phique, Bollack pense que l'épithète uaœr6 p l�OV pourrait (( viser l'origine aquatique de la terre en désignant la boue se solidifiant » (1 990, p. 45, n. 8 1 ) . Comprenons que la terre ne peut guère être dite « enracinée » dans l'Océan qui l'entoure, à moins d'y avoir son origine. Mais que l'Océan primordial ait été le générateur de la terre avant de l'enserrer, c'est ce que semble indiquer ce vers de l' lliade : 'Oxe:avou, iSc; 7te:p yÉve:cric; 7t&:v-re:cr<n -rÉ-rux-ral (1 4 . 246) , où les traducteurs analysent généralement 1 7ttXv-re:crcri comme le datif du neutre panta, non du masculin pantes (il s 'agi rait, en ce cas, des dieux) : Okéanos est le « père de tous les êtres » (Mazan) , la « source de toutes choses » (Leconte de Lisle) , la «genesis de toutes choses » CT aeger, La théologie, p. 28) , et non pas seulement le « père des dieux » (6e:wv yÉve:cric;, Il., 1 4 . 201 . 302) . Cette manière d'expliquer le terme uaa-r6pl�OV serait donc possible. Encore faudrait-il qu'elle soit compatible avec les témoignages , ce qui n'est pas le cas . 1 ) D 'une part, la terre est dite « s'être formée par la précipitation de l'air dense » , ÀÉye:l aè T�V yYiv TOU 7tUXVOU XQ(.TQ(.p puÉv-roc; &Époc; ye:yovÉval (Ps .-Plut., Strom. 5) : nous retenons ici le texte des Doxogra phi Graeci (p. 5 8 1 . 4) et des premières éditions des Frag. der Vorsok., de préférence à celui des éditions Diels-Kranz (A 22) , où &Époc; a été éli miné, à l'exemple de Patin ([&Époc;] , 1 899, p. 625) . Cette suppression
1 . Cf. toutefois Alexandre Lowit, « Heidegger et les Grecs » , Revue de métaphysique et de morale, janv.-mars 1 982, p. 1 07, n. 4.
I II LE MYTHE. FRAGMENT 1 5 -
241
a
(adoptée par Reinhardt, p. 1 4 ; Mans feld, p. 328 ; Reale, p. 1 34 mais non par Burnet, p. 2 1 5, n. 2 ; Untersteiner, p. 50 ; Coxon, p. 1 1 4) est le signe d'une incompréhension. La terre ne peut être engendrée par « la précipitation du dense » (« dell' elemento denso », Reale) . Le « dense » n'est pas autre chose, en effet, que la « nuit sans clarté » (8 . 59) , l'un des deux principes, susceptible de se mêler à l'autre, le feu lumière, mais lui-même sans mélange, donc non susceptible de plus ou de moins, et, en particulier, de ce « plus » que serait une densification. Le Feu et la Nuit, se mêlant, donnent l' « ai r » (l'air originaire, qui n'est pas l'air atmosphérique) , l equ e l peut se densifier en fonction d'une proportion plus grande de « n u i t » ou de « de n s e », et ainsi se précipiter en terre. Burnet, qui conserve &Époç, i d e n t i fi e I' « airn et le « dense » (p. 2 1 7, n. 1 ) ; mais si l'air des origines contient une certaine proportion de dense, il contient aussi une certaine part de rare et de léger. Quant à l'air atmosphérique, il se forme lorsque, la terre se trouvant, à son tour, comprimée, certains éléments de relative légèreté s'en séparent : « [Parménide dit que] l'air est une sécrétion qui monte en vapeur de la terre par suite du foulage plus violent de celle-ci (xat -rYjç µÈv yYjç &n6xpLcnv e:IvaL -rov &Épa IM. TI)v �Law-rÉpav aùtjç È i;, a-r µLcr6Év-ra ntÀî)mv) » (Aétius, II, 7, 1 : Dox., 335 b 1 6- 1 9 = A 37 II) . -
2) D'autre part, l a doxographie n e met pas l'eau à l'origine d e la terre, mais, s emble-t-il, la terre à l'origine de l'eau : « Ceux qui admet tent deux principes, comme Parménide le feu et la terre, font des élé ments intermédiaires, tels l'air et l'eau, des mélanges (µlyµa-ra) de ceux-ci » (Aristote, De gen. et corr., II, 3, 330 b 1 3- 1 5 = A 3 5) . Il est vrai aussi que, contrairement à Ps.-Plut., Strom. 5, la terre est ici à l'origine de l'air. Mais quelle « terre » ? Une « terre » qu'Aristote confond avec le froid, c'est-à-dire le dense et la nuit : Parménide, dit-il, « en vient à poser deux causes, deux principes (&px_al) , le chaud et le fro i d, a u t re ment dit le feu et la terre » (Méta., A, 5 , 986 b 33-34) . Q u ' i l y a i t l à u n e confusion, c'est ce dont Simplicius se rendait compte : « d a n s s e s v e rs relatifs à l'opinion », dit-il, Parménide admet deux p r i n c i p e s , « l e feu et la terre, ou plutôt la lumière et l'obscurité (nu p xat y-fîv � µii.ÀÀov cpw ç xat crx6-roç) » (Phys., 25 . 16 = A 34) . La terre n 'e s t pas l ' u n des p r i n c i pe s -
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
n'est pas le dense ni la nuit. Toutefois, elle est sans doute ce qu'il y a de plus dense dans le réel sensible, le cosmos (le dense comme tel n'est que l'un des présupposés du mythe cosmogonique - à partir duquel œuvre la daimôn) . De là, peut-être, la confusion. Reste que la terre ne tient pas de l'eau son origine, mais de l'air. En ce cas, comment com prendre qu'elle soit « enracinée dans l'eau » ? Que l'eau ne soit pas l'origine de la terre ne signifie pas qu'elle ne soit pas à l'origine de quelque chose. Les notions d' « origine », de « source », semblent bien liées à la notion de « racine ». Les auteurs anciens, dit Aristote, « inventent des sources (7t1)Ytx0 pour se donner les principes et les racines ( &:px.at xat pl�a�) qui sont à l'origine de la terre et de la mern (Météor., II, 1 , 353 a 35-36) . La tétrade, disent les Pythagoriciens, « constitue la source et la racine de la nature impéris sable ( 7tay1b &:e:vâ:ou ipucre:oc; pl�wµa) » (Aétius , I, 3, 8 : Dox., 282 a) . Euripide parle de la « racine des maux », c'est-à-dire de leur source ou origine (fr. 904 . 1 1 Nauck) . Dès lors, que veut dire Empédocle, par lant de l'éther qui « plonge ses longues racines sous la terre (µaxp7jm xa-riX x.fJôva oue:-ro p l�a�c;) » (Aristote, De gen. et corr., II, 6, 334 a 5) ? L'éther « nourrit par ses racines », explique J . Bollack (Empédocle, Ill, Les Origines, Tel Gallimard, p. 227) : « Il faut, en effet, de l'air dans la terre-mère pour que poussent les arbres et le reste » (p. 226) . Ainsi, analogiquement, pour Parménide : l'eau n'est pas ce qui engendre, mais ce qui, grâce aux racines , nourrit. La terre « enracinée dans l'eau » est la terre avec sa végétation, sa flore et sa faune, bref la terre vivante. Thalès , dit Aristote, avait observé que « l'humide est la nourriture ( -rpoip�) de toutes choses », et aussi que « les semences ( cr7tÉpµa-ra) de toutes choses ont une nature humide » (Méta., A, 3, 983 b 23 s .) . Ce rôle de l'humide dans l'origine et le maintien de la vie, Parménide le reconnaît aussi bien. L'eau n'est pas à l'origine de la terre comme telle, mais de la vie.
F RA G M E N T
1 -4 A RIST . , Meta., 499 . 1 8-21 .
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16
5, 1 009 b 22-25 ; THEOPH R . , De sensibus,
3
(Dox. ,
WÇ yckp hcXcrTOT'Ëze:L xpêicrLÇ µe:Mwv 7tOÀU7tÀcXYXTWV, Twç v6oi:; &.v6p w7toLcrL 7totpÉcrTI)xe:v· To yckp otÙT6 ÉcrTLV &7te:p cppovÉe:L µe:Mwv cpÛcrLÇ &.v6p w7tOLCfLV xotl 7têicrLV xotl 7totVTl· TO yckp 7tMov ÈcrTL v6î)µot. 1 ÈxoccrTo-r' Arist. E1 J Theophr. PF : é:xoccr-rcr Arist. A ' : Ëxoccr-roi:; Arist. E' Alex. : Ëxoccr-rov Ase!. (om. xpiicrLv) xpiimç Estienne : xpiimv Arist. Theophr. Alex. n:oÀun:Myx-rwv Theophr. : n:oÀuxocµn:-rwv Arist. 2 n:ocpfonixe:v Karsten Diels, Dox. : n:ocpÉcrTî)XE Theophr. : n:ocplcr-roc-rocL Arist. Alex. Ase!. : n:ocpLcrTiiTocL Diels, 1 897.
En effet, comme, chaquefois, se trouve le mélange constitutif du corps toujours chan geant, ainsi se dispose l'esprit chez les hommes. Car, chez les hommes, en tous et en chacun, la nature du corps est cela même quipense. Car ce quiprédominefait lapensée.
É:xoco"'t'aT' ( « chaque fois », « à chaque moment » ) est adopté, outre les éditeurs d'Aristote (Ross, J aeger) , par Diels 1 897, Reinhardt, p. 23, Calogero, p. 45, n. 1 , Untersteiner, Tanin, Holscher, Mans feld, Kirk-Rav.-Sch., Heitsch, O 'Brien-Frère, C. Collobert, comme étant la leçon « la mieux attestée » (ainsi que le reconnaît Bollack, 1 957, p . 66, n. 34 ; cf. apparat) , de préférence à É:xoccrTcp (« p o u r chacun » : Kars te n , Zeller, Mullach, Stein) o u à ËxixcrToc; (« chacun », nomi nati f : Fran k e l , Parmenides, p. 1 72, n. 1 , Kranz i n Vors. , G . Col l i , <l>ûmc;, p . 1 30, Zafi -
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ropulo, Beaufret, Bollack, I. e., Pasquinelli, p. 408, Vuia, Kirk-Raven, Casertano, Gallop, Cordera, Reale) . Frankel observait, en 1 930 (I. e. ) , que, d'après le Liddell-Scott-J ones, le mot é:x&a-ro-re: n'apparaissait pas avant Hérodote. On lui objectait (Calogero, 1. e. ; Verdenius, Parme nides, p. 6, n. 2) qu'il avait pu, en dépit du fameux Lexieon, être utilisé par Parménide. Apparemment convaincu, Frankel milita dès lors en faveur d' é:x&a-ro-r', j oignant ses arguments à ceux de V erdenius (cf. Allen-Furley, II, p. 1 6) . Retenons-en deux : 1 ) la corruption de é:x&a-ro-r' en é:x&a-rcp ou ëxa.a-roc; est plus vraisemblable que le change ment inverse (Verdenius, I. e., approuvé par Tar:in, p. 1 69) ; 2) é:x&a-ro-re: est suggéré par le parallèle de 1 6 . 1 -2 a avec Homère, Od., 1 8 . 1 36- 1 37 : « Tel est sur la terre l'esprit des hommes, semblable aux jours changeants qu'amène le Père des hommes et des dieux (-roi'oc; yiXp v6oc; Èa-rLv lmx.8ovlwv &:v8p w7twv,/ofov È7t'�µa.p &yyim Ifo-r�p &:vôpwv -re: 8e:wv -re:) » (trad. Leconte de Lisle, modifiée) , et Archiloque, fr. 68 Diehl : « Le cœur des hommes mortels a la couleur des jours que Zeus amène (-roi'oc; &:v8pw7tmm 8uµ.6c;,f(lve:-ra.� 8vîJToi'a'oxo lîJV Ze:ùc; lcp'�µÉpîJv &yyi) » (trad. A. Bonnard) . Il est clair que la différence d'individu à individu, indiquée par ëxa.a-roc;, n'est pas présente. Si, néanmoins, un certain nombre d'interprètes choisissent ha.a -roc;, c'est qu'avec é:x&a-ro-re:, adv . , ëx.e:� se trouve privé de sujet, ce qui conduit soit à prendre comme sujet v6oc; (Diels 1 897, Untersteiner) , mais alors « the content of lines 1 -2 becomes tautological » (Tarân, p. 1 69 ) , soit à adopter, à la suite de Karsten, la correction xpcimc; sug gérée par Estienne : ainsi font (après Zeller, Mullach, Stein) Verde nius, Frankel (in Allen-Furley, I. e. ) , Tarân, Mourelatos , Kirk-Rav. Sch., Austin, O'Brien-Frère, C. Collobert, et c'est ce dernier parti que nous choisissons. xpcia�c; signifie « mélange » et non « fusion » (« fusione », Colli, 1. e., p. 1 31 - 1 32) : la fusion de plusieurs choses ensemble se dit, en grec, auv-rîJl;�c;. Nous savons que la daimôn, en mêlant le Feu et la Nuit - la lumière et l'obscurité -, procède à la génération des êtres. Il n'est rien dans le monde qui ne soit un mixte de Feu-lumière et de Nuit, en pro portions variables selon les êtres. Les µÉÀe:a. sont des mélanges . Il est donc exclu que, par c � mot, il faille entendre les « éléments » de l'uni-
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vers, comme le soutiennent Bollack (1 957, p. 67) et A. Laks (1 988, p. 2 7 1 ) , après A. Rostagni (If verbo di Pitagora, Torino, 1 924, p. 1 09 n. 1 ) et Schwabl ( Wiener Studien, 1 953, p. 70) . Les « éléments » de l'uni vers sont, en effet, le Feu et la Nuit, qui, comme tels, sont exclusifs de tout mélange (cf. 8 . 57-59) . Au reste, comme le souligne Verdenius (p. 7) , il ne s'agit pas de l' « univers » mais des hommes. Chez Homère, le mot µÉÀe:ix (toujours au pluriel) désigne « les membres en tant qu'ils sont le siège de la force corporelle » (Chantraine, s. v. µÉÀoç) . Les vers 1 -2 a signifient-ils que l'esprit chez les hommes se présente de telle ou telle façon selon ce que se trouve être le mélange de lumière et d'obscurité qui constitue « les membres » ? Mais, par « membre », on entend, en français, la « partie extérieure du corps unie au reste du corps par des articulations » (Littré) . Ce sens étroit est-il celui d'Ho mère ? Il ne le semble pas : les bras et les j ambes ne sont pas le « siège de la force corporelle ». Par µÉÀe:ix, il faut plutôt entendre l'ensemble du corps - « the whole living body » (Tarân, p. 1 70) , « la "corporéité" du corps » (B . Snell, p. 23) . « Mon cœur crie à l'intérieur de mon corps (µe:ÀÉwv Ëv-rocr6e:) », lit-on dans Eschyle (Perses, 991 -992) . Diels (1 897, p. 1 1 2) traduit µÉÀe:ix par « organes des sens ». Une telle limitation à certains organes du corps semble arbitraire. Quant à traduire simple ment par « organes », une telle insistance sur la pluralité s 'accorderait mal avec l'unité corrélative du v6oç. C'est bien plutôt sur l'unité qu'il faut insister. Bref, « µe:ÀÉwv means simply "body" » (Coxon, p. 248) . D'un côté, le corps et sa composition variable, de l'autre, sous sa dépendance, l'esprit et ses états de pensée. La leçon 7toÀux&.µ7t-rwv, qui avait la préférence de Zeller, de Ritter Preller, de Mullach, comme étant donnée par les manuscrits d'Aris tote, n'est plus guère retenue aujourd'hui, malgré Untersteiner (p. CCI , n. 1 24) . On lui préfère la leçon 7toÀu7tÀ&yx-rwv, de Théophraste. Outre que du mot 7toÀÛxixµ7t-roç, ce serait la seule occurrence (dans Théo phraste, De sensibus, 66, auquel renvoie Bailly, on lit 7tOÀux.ixµ7twv, formé sur 7toÀuxixµrrfiç) , on ne voit pas bien ce que viendraient faire ici les notions de « flexibilité », de « souplesse » (« membres souples », Tri cot, op. cit., t. I, p. 22 1 ) . On peut présumer une erreur d ' A ri s tote, qui citait de mémoire, et avait en esprit le Timée, où il e s t question (44 e)
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de « membres longs et flexibles (x1XfL7tTa) ». noMnf..1XyxToc; est le mot dont use Eschyle pour désigner l' « errance » d'Io harcelée par un taon (Suppl., 572) . Mais, dans le fragment 1 6 . 1 , il convient, d'après le L.S.J . , de retenir le sens du mot chez Théognis, 1 257, « evermoving » (« qui est toujours en mouvement », Bailly) . C'est ce que nous faisons. Le mélange de Lumière et de Nuit constitutif du corps n'a pas une composition stable. Au vers 2, 7t1XpÉaTY)Xe:v « a l'avantage de débarrasser le texte de la forme difficile 7t1XplcrTIXTIXL » (Bollack, art. cit., p. 66, n. 34) - que l'on entende 7t1XplcrTiiTIXL ou que l'on écrive 7t1XpLcrTiiTIXL (avec Diels 1 897) . Bien qu'encore acceptée par Cordera e t Reale (après Calogero, p. 45 n. 1 , DK, U ntersteiner, Casertano), la leçon 7t1Xp lcrTIXTIXL apparaît, à tout le moins « bien problématique » (D . Bahut, Rev. philos., 1 985, p. 302) . Il est probable qu'elle a été induite par le 7t1XplcrT1XTo du vers d'Empé docle qu'Aristote avait encore dans l'esprit (1 009 b 2 1 ) . Comment entendre l a première phrase d u fragment 1 6 ? Parmé nide, dit Aristote, « s'exprime de la même manière (Tov IXÙTÔv TpÔnov) » qu'Empédocle écrivant : llcrcrov<ô' >&.f..f..o(oL µe:TÉ<puv, TÔcrov èfp cr<pLcrLv 1Xtd /x1Xt TO <ppove:(v &.f..f.. 0(1X 7t1XplcrTIXTO (1 009 b 20-21 ) , « Tant ils �es hommes] changent et varient, tant, chez eux, tous les j ours, leur esprit leur présente d'autres pensées » - ce qui « veut dire, sans doute, com mente G. Rodier, que la nature de la pensée correspond à l'état corpo rel et change avec lui » (Commentaire du Traité de l'âme, Paris, Leroux, 1 900 ; réimpr. Vrin, 1 985, p. 399) . « Pour Empédocle, explique Aris tote, changer notre état physique, c'est changer notre pensée (x1Xt yiXp ' E µne:Ôoxf..îj c; fLE:TIX�aÀÀOVTIXÇ T�V �;Lv fLE:TIX�aÀÀE:LV <p"Y)<>l T�V <p pÔV"Y)<>LV) )) (1 009 b 1 7- 1 8) , et de citer, à l'appui de cette explication, le vers sui vant : npoc; n1Xpe:ov yiXp µîjTLc; èv1Xu;e:T1XL &.v6pwnoLmv (1 009 b 1 81 9 = 3 1 B 1 06) , où npoc; 7t1Xpe:ov ne doit pas être traduit : « d'après ce qui se présente aux sens » (Tricot) , ou : « vers l' Ê tre qui est là » (Bol lack, fr. 536) , mais, pour suivre l'intention d'Aristote : « en raison de l'état actuel du corps » (Rodier, I. e.) : « L'intelligence croît, en effet, chez les hommes, d'une façon proportionnelle à l'état du corps. » Pour Parménide, l'état du corps est lui-même fonction des parts relatives de lumière et de nuit - ou de chaud et de froid - dans le
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mélange qui le constitue. Le v6oc;, au vers 1 6 . 2, n'est pas l' « intelli gence », comme dans les fragments 40, 1 04, 1 1 4 DK d'Héraclite, mais, en un sens plus large, l' « esprit », la « pensée », comme lorsqu'on dit « avoir l'esprit ailleurs » (cf. Soph., Tr. , 272 : iXnocr'o µµa., 8a.-rÉpa. ÔÈ vouv ÉXELv, « avoir l'œil d'un côté, l'esprit d'un autre ») , « dire ce qui vous vient à l'esprit » (« venir en l'esprit, se dit des pensées qui sur viennent », Littré, s. v. « Esprit ») , « à quoi penses-tu ? ». Il ne s'agit donc pas seulement de la représentation du monde que nous offre la perception sensorielle (la traduction étroite de µÉÀEa. par « organes des sens » a été écartée) , mais de tout ce qui vient à l'esprit par suite de l'état du corps, qu'il s 'agisse des humeurs et du tempérament, des états de besoin ou des habitudes. Comme c hange la « disposition des organes du corps » (pour parler comme Descartes, Discours de /a méthode, éd. A T , VI, 62) , ainsi varient le cours des pensées, la disposi tion de l'esprit. « The whole fragment is a unit » (Tanin, p. 258) . Oui, et les trois phrases qui composent ce fragment, reliées par la conj onction causale y&:p (nam), « car », qui annonce la raison de ce qui précède, doivent être pensées dans un étroit rapport l'une avec l'autre. A tout moment, telle est la composition du mélange de Feu-lumière et de Nuit qui constitue le corps - l'organisme comme un tout et non seulement comme ensemble d'organes -, telles sont la disposition de l'esprit, les variations de l'état mental, les fluctuations du cours des pensées . Pour quoi ? Les vers 2 b - 4 a en donnent la raison : ce qui pense ( (fl povÉEL) chez les hommes n'est autre que la (f>U<JLcr µEÀÉwv, la « nature du corps » . onEp est sujet de (flpovÉEi. Après, semble-t-il, Aristote et Théo phraste (cf. Tanin, p. 254, n. 70) , c'est ainsi que, traditionnellement, l'on construisait la phrase. Ainsi Riaux (p. 227) , d'après Karsten : « Car c'est la même chose, savoir la nature des membres, qui pense dans tous les hommes et dans chacun d'eux », ou Diels 1 897 : « Denn ein und dasselbe ist's was denkt bei den Menschen, allen und einzel nen », et, avec eux, Mullach, Burnet, G. Colli (<l>ucric;, p. 1 33 ; trad. fr. , p . 1 72) , Zafiropulo, Kirk-Raven, Vuia, Guthrie. H. Frankel a innové en 1 930 (Parmenides, p. 1 73) en faisant de onEp un accusati f, objet de (flpovfo. Il a été suivi par Verdenius (1 942, p. 1 5) , Vlastos ( TA PA ,
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1 946, p. 66) , Schwabl ( WS, 1 953, p. 70) , Bollack, pour qui « il est admis que om:p est un accusatif» (1 957, p. 68) , et qui traduit : « Car c'est la même chose que pense la nature des membres chez les hommes, en tous et en chacun » (p . 70) . Il y a désaccord entre les par tisans de om:p accusatif quant à la construction de la phrase. La plus simple est celle proposée, après Holscher (Hermes, 1 956, p. 397) , par Tarin : OTie:p est l'obj et de <ppovÉe:L dont <pucric; µe:ÀÉwv est le sujet, 't'O ixihà étant le sujet de Ecr'l'LV. De là la traduction : « For the same thing is that the nature of the body thinks in each and in all men » (p. 1 69) , c'est-à-dire : « In each and in all men, what the constitution of the body thinks is the same » (p. 258) . A la suite de Tarin (1 965) , et à son exemple, plusieurs interprètes ont fait leur l'option de Frankel, ainsi Hershbell (Apeiron, 1 970, p. 1 1 ) , Gallop, Heitsch, O 'Brien-Frère. Mais s 'il fut un temps où Frankel pouvait dire qu'elle « has been generally accepted » (Allen-Furley, II, p. 1 6) , il ne semble pas que ce soit encore le cas auj ourd'hui, où l'on voit bien des auteurs revenir à la construc tion de Karsten et de Diels, qui fait de OTie:p un nominatif, ainsi Kirk Rav.-Sch., Cordero, Austin, Couloubaritsis, C. Collobert. Celle-ci tra duit (p. 24) : « Car ce qui pense, la nature des membres, est le même chez les hommes pour tous et pour chacun. » Les raisons de repousser l'option Frankel-Tarin et l'interprétation que l'on peut dire « obj ectiviste », puisque tous les hommes auraient un même « objet » de pensée, sont les suivantes : 1) O 'Brien-Frère tra duisent ainsi : « Car l'objet qu'appréhende la nature de nos membres, c'est un seul et même objet pour tous les hommes et pour chacun » (Études, I, p. 74) . S'agissant de la pensée de Parménide, est-il notion moins pertinente que la notion d' « objet » ? « Pas d'objet sans sujet », disait Schopenhauer. En quoi la « nature de nos membres » serait-elle un « sujet » ? Tarin reconnaît, du reste, que « in fr. 1 6 there is no specific mention of the object of thought as such » (p. 26 1 ) . 2) Si l'on n'explicite pas la notion d' « obj et », si l'on dit simplement « c'est la même chose que ... », quelle est cette « chose » ? Selon Aubenque, ce serait la « nature » : « la nature des membres pense la nature en géné ral » (Études, II, p. 1 1 7, n. 48) , c'est-à-dire la <pucric;, mot, dit-il, qui en 1 0 . 5 ( « peut-être aussi en 1 0 . 1 » ) « suppose le sens de "devenir" »
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(p. 1 02, n. 1) sens dont on ne voit pas comment il ne serait pas connoté, s 'agissant de la qiucrlç « en général ». Mais pour Bollack, « les membres pensent [ ... ] ce qui est » , TO Èov (1 957, p. 70-7 1 ) . Pour Gal lop, de même, « what the human constitution thinks is the same for all men, ie, what-is » (p. 8 7) . Quant à Ruggiu, il n'hésite pas à dire : « cio che la qiumç µet.éwv pensa in tutti e in ciascuno è l'identico che costi tuisce la stessa unità ( Twv µl<Xv del fr. 8. 54) , cioè appunto l'Essere » (p. 3 6 1 ) . Ainsi les interprètes qui choisissent l'option « l57tep accusatif» so nt embarrassés pour nous dire quelle est la « chose » pensée par tous et par chacun : ils ne savent si c'est le devenir ou l' Ê tre. Cet embarras, Frankel l'avoue lorsqu'il aborde le vers 4 : « I cannot explain the final sentence (with the third y6:p) satis factorily » (in Allen- Furley, I. e.) ; mais la raison de son embarras tient à la lecture qu'il a donnée des vers 2-3. 3) Si c'est « la même chose que pense la nature des membres chez les hommes », si « cette chose ne fait défaut à personne » (Bollack, I. e., p. 69) , et si elle n'est autre que TO l6v, l' « Ê tre », l' « Essere », p ourquoi le j eune homme a-t-il, « à l'écart des hommes , en dehors du se ntier battu » (1 . 27) , suivi la voie qui conduit à la demeure de la D éesse ? Il a voulu accéder, par l'ascèse philosophique, à la vue de la vé rité. Mais à quoi bon la philosophie, s 'il suffit de rester homme p armi les hommes pour penser ce qui est vraiment ? On le voit : une in terprétation telle que celle de Bollack, Ruggiu ou autres , est impos sible. Pour Parménide, comme pour Héraclite (cf. fr. 2 DK) , les hommes en nombre, au lieu de se confier à la liberté de la pensée, s'ap proprient la pensée, l'assujettissent à leurs opinions particulières, c'est à -dire collectives , non universelles, et ainsi « pensent » et vivent dans une sorte de rêve et d'absence vis-à-vis du réel et de la vérité. 4) Puisque la première phrase dit que ce qui vient à l'esprit des hommes dépend de la composition variable du mélange qui constitue le ur corps, et donc n'est pas la même d'un individu à l'autre (l 'un é tant un homme et l'autre une femme, par exemple, ou l'un étant j eune, l'autre vieux, ou l'un étant en bonne santé, l'autre malade, etc.), ou, pour un même individu, selon les moments, la se c o n d e p h ra s e p eut expliquer cela e n donnant l a cause qui détermine l 'é c l o s i o n d e s p ensées, à savoir la qiucrlç du corps, mais ne peut certainement pas d i re -
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1 946, p. 66) , Schwabl ( WS, 1 953, p. 70) , Bollack, pour qui « il est admis que o7tEp est un accusatif» (1 957, p. 68) , et qui traduit : « Car c'est la même chose que pense la nature des membres chez les hommes, en tous et en chacun » (p . 70) . Il y a désaccord entre les par tisans de 07tEp accusatif quant à la construction de la phrase. La plus simple est celle proposée, après Holscher (Hermes, 1 956, p. 397) , par Tarin : 07tEp est l'obj et de cppovÉEL dont cpucnc; fl.EÀÉwv est le sujet, -ro °'ù-ro étant le suj et de Écr-rLv. De là la traduction : « For the same thing is that the nature of the body thinks in each and in all men » (p. 1 69) , c'est-à-dire : « In each and in all men, what the constitution of the body thinks is the same » (p. 258) . A la suite de Tarân (1 965) , et à son exemple, plusieurs interprètes ont fait leur l'option de Frankel, ainsi Hershbell (Apeiron, 1 970, p. 1 1) , Gallop, Heitsch, O 'Brien-Frère. Mais s 'il fut un temps où Frankel pouvait dire qu'elle « has been generally accepted » (Allen-Furley, II, p. 1 6) , il ne semble pas que ce soit encore le cas aujourd'hui, où l'on voit bien des auteurs revenir à la construc tion de Karsten et de Diels, qui fait de o7tEp un nominatif, ainsi Kirk Rav.-Sch., Cordera, Austin, Couloubaritsis, C. Collobert. Celle-ci tra duit (p. 24) : « Car ce qui pense, la nature des membres, est le même chez les hommes pour tous et pour chacun. » Les raisons de repousser l'option Frankel-Tarân et l'interprétation que l'on peut dire « obj ectiviste », puisque tous les hommes auraient un même « obj et » de pensée, sont les suivantes : 1 ) O 'Brien-Frère tra duisent ainsi : « Car l'objet qu'appréhende la nature de nos membres, c'est un seul et même objet pour tous les hommes et pour chacun » (Études, I, p. 74) . S'agissant de la pensée de Parménide, est-il notion moins pertinente que la notion d' « objet » ? « Pas d'objet sans sujet », disait Schopenhauer. En quoi la « nature de nos membres » serait-elle un « sujet » ? Tarân reconnaît, du reste, que « in fr. 1 6 there is no specific mention of the object of thought as such » (p. 26 1 ) . 2) Si l'on n'explicite pas la notion d' « objet », si l'on dit simplement « c'est la même chose que . . . », quelle est cette « chose » ? Selon Aubenque, ce serait la « nature » : « la nature des membres pense la nature en géné ral » (Études, II, p. 1 1 7, n. 48) , c'est-à-dire la cpucnc;, mot, dit-il, qui en 1 0 . 5 ( « peut-être aussi en 1 0 . 1 » ) « suppose le sens de "devenir" »
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(p. 1 02, n. 1) sens dont on ne voit pas comment il ne serait pas connoté, s'agissant de la q;iucnç « en général ». Mais pour Bollack, « les membres pensent [ ... ] ce qui est » , -ro Èov (1 957, p. 70-7 1 ) . Pour Gal lop, de même, « what the human constitution thinks is the same for all men, ie, what-is » (p. 8 7) . Quant à Ruggiu, il n'hésite pas à dire : « cio che la q;iucnç µeÀÉwv pensa in tutti e in ciascuno è l'identico che costi tuisce la stessa unità ( -rwv µlcxv del fr. 8 . 54) , cioè appunto l'Essere » (p. 3 6 1 ) . Ainsi les interprètes qui choisissent l'option « IS7tep accusatif» sont embarrassés pour nous dire quelle est la « chose » pensée par tous et par chacun : ils ne savent si c'est le devenir ou l' Ê tre. Cet embarras, Frankel l'avoue lorsqu'il aborde le vers 4 : « I cannot explain the final sentence (with the third y&:p) satisfactorily » (in Allen-Furley, I. e.) ; mais la raison de son embarras tient à la lecture qu'il a donnée des vers 2-3. 3) Si c'est « la même chose que pense la nature des membres chez les hommes », si « cette chose ne fait défaut à personne » (Bollack, I. e., p. 69) , et si elle n'est autre que -rà Èov, l' « Ê tre », l' « Essere », pourquoi le j eune homme a-t-il, « à l'écart des hommes, en dehors du sentier battu » (1 . 27) , suivi la voie qui conduit à la demeure de la Déesse ? Il a voulu accéder, par l'ascèse philosophique, à la vue de la vérité. Mais à quoi bon la philosophie, s 'il suffit de rester homme parmi les hommes pour penser ce qui est vraiment ? On le voit : une interprétation telle que celle de Bollack, Ruggiu ou autres , est impos sible. Pour Parménide, comme pour Héraclite (cf. fr. 2 DK) , les hommes en nombre, au lieu de se confier à la liberté de la pensée, s'ap proprient la pensée, l'assujettissent à leurs opinions particulières, c'est à-dire collectives, non universelles , et ainsi « pensent » et vivent dans une sorte de rêve et d'absence vis-à-vis du réel et de la vérité. 4) Puisque la première phrase dit que ce qui vient à l'esprit des hommes dépend de la composition variable du mélange qui constitue leur corps, et donc n'est pas la même d'un individu à l'autre (l ' u n étant u n homme e t l'autre une femme, par exemple, o u l ' u n éta n t j eune, l'autre vieux, o u l'un étant e n bonne santé, l'autre malade, etc.) , ou, pour un même individu, selon les moments , l a seconde p h ra s e peut expliquer cela en donnant la cause qui déterm i n e l 'éclos i o n des pensées, à savoir la q;iucnç du corps, mais n e p e u t ce r t a i n e m e n t pas d i re -
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que tous les hommes pensent la même chose. Austin le dit très bien : « The relativistic remark in 1 -2 is not justified (gar) unless 2-3 are also initially relativistic, i.e., unles s it is always the changing nature of the limbs which thinks (with Raven and others) » (p. 1 70, n. 3 5) . Bref, « <lare a -rà mi-r6 [et à 8m:p] il valore di accusativo significa far dire a Parmenide una cosa che non è in armonia col resto del frammento e con il suo senso generale » (Casertano, p. 1 79) . Le fragment 1 6 a donc bien sa place dans la partie du Poème m:pt ô6�cxv : « It appears in the Way of Opinion ; it represents Mortal Thoughts, not Eleatic doc trine » CT· Barnes , p. 486) . Comment entendre le mot cpucnç dans l'expression cpucnç µ.eMwv ? D 'après l'étymologie (cpuw, pous ser, croître) , cpucnç contient l'idée de croissance. Pas plus que dans le fragment 1 DK d'Héraclite, cette idée n'est ici au premier plan ; elle n'est pourtant pas absente si l'on réduit l'idée de « croissance » à l'idée de « devenir ». Dans l' Oc!Jssée, 1 0 . 303, le dieu aux rayons clairs, Hermès, montre à Ulysse la « nature » ( cpucriç) d'une herbe magique, en donnant sa composition : « sa racine était noire et sa fleur blanc de lait ». En 1 6 . 3, comme dans le fragment 1 d'Héraclite et dans ce passage de l' Oc!Jssée, le mot cpucnç signifie « constitution » : il signifie la constitution ou composition du corps, laquelle consiste en un mélange de Lumière et de Nuit. Mais l'idée de devenir n'est pas absente, puisque la proportion de Feu-lumière et de Nuit dans le mélange change sans cesse. Le mot cpucriç n'indique pas une constitution au sens de struc ture, une xcx-rcxcrxeu�, mais un rapport à la fois constituant et mouvant. Or, puisque les composants des µ.ÉÀecx sont les mêmes qui, par leurs pro portions diverses, composent toutes les productions de la nature dont l'ensemble est le monde, le devenir du corps humain individuel n'est qu'un mode du devenir universel. L'homme n'est pas un empire dans un empire : il est sous le règne de la nature universelle. Ici, le sens du mot cpucriç s 'élargit : « <l>ucnç désigne ce règne entier par lequel l'homme lui même est transi et dont il n'est pas maître, mais qui justement règne à travers lui et autour de lui. » 1 Le Feu et la Nuit composent toutes choses 1 Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde-finitude-solitude, trad. Daniel Panis, Paris, Gallimard, 1 992, p. 5 1 . .
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et l'homme lui-même : son corps - dont il n'est pas maître -, et ses pen sées, qui sont un effet de son corps - étant entendu que par « corps », il ne faut pas comprendre seulement le corps biologique mais aussi le corps historique, aux habitudes et aux capacités qui marquent un héri tage, une inscription dans une collectivité donnée, une tradition. Cela étant, pour l'interprétation de TO nÀÉov, dans la troisième phrase, nous nous rangerons naturellement à l'avis de ceux qui com prennent ce mot à la façon de Théophraste comme signifiant non pas le « plein » (dérivé de nÀÉwc;) , comme en 9 . 3, mais le « plus » (dérivé de nÀdwv) : cela est nécessaire pour la cohérence de l'ensemble. Comme l'observe W. D. Ross, « the first line of the present fragment suggests that Theophrastus' interpretation of 't'O nÀÉov as 't'O um:p�cXÀÀOV is right » (A ristotle 's Metaphysics, I, p. 275) . Trompé par le mot nÀÉov Parménide ne dit-il pas que l'être, « tout entier, est plein d'être » (niiv a'è:µnÀe:Ôv È:O''t'LV È:Ôv·rnc;) ? -, et Sans trop Se SOUCier d'expliquer le ycX:p, Ritter traduit TO yiXp nÀÉov È:crTL vÔ'Y)fLIX par « la plénitude de l'être, c'est la pensée » (Histoire de la philosophie, trad. Tissot, Paris, 1 835, t. I, p. 399) . Il est suivi, entre autres, par Bollack, pour qui « le plein qui est la pensée » est la « plénitude de ce qui est » (1. c., p. 69) , et par Aubenque qui souligne l'identité : « La pensée [ . . .] est identique à la plénitude de l'être » (Études, II, p. 1 1 7, n. 48) . Mais Parménide n'est pas Hegel, et nous n'avons , jusqu'ici, rien vu qui autorise à recon naître dans une telle formulation la pensée de Parménide. Tout au contraire, il nous est apparu que le ily a est totalement indifférent au fait d'être pensé ou non. Hegel lui-même est moins hégélien que Rit ter, car, pour lui, TO nÀÉov È:crTL vÔ'Y)fLIX signifie simplement que « ce qui l'emporte est la pensée » 1 • Cette lecture, qui est celle de Théophraste, est la seule à retenir. Reste à bien l'entendre. La seconde phrase explique la pensée des hommes en nombre par la constitution du corps - constitution dynamique (O . Vuia traduit q:n)mc; par « force ») . Selon que c'est le Feu, le principe lumineux, qui l'emporte d a n s l a xpiimc;, ou, a u contraire, l e principe nocturne, l a pensée e s t a u re,
-
1 . Leçons sur l'histoire de la philosophie,
p. 1 3 1 .
tra d. P i e rre G a rn i ro n , P a r i s , V r i n , 1 .
1, 1 97 1 ,
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
« meilleure et plus pure », explique Théophraste (�i::h lw aè: xat xaElapw-rÉpav, Dox., 499 . 1 6) , dans le premier cas que dans le second. De là le sens de la troisième phrase : « Et ce qui l'emporte constitue la pensée » (Beaufret, 1 95 5) : « Ce qui prédomine fait la pensée » (Tan nery, p. 254) ; « Car c'est le plus qui fait la pensée » (Tannery, p. 349, traduction du De sensibus de Théophraste) . Cela est clair. Mais, en général, on préfère garder « est », imposé, semble-t-il, par le grec èa-rl, et traduire : « Car ce qui prédomine, c'est la pensée » (O'Brien-Frère ; de même Vuia, Voilquin, Piclin) , ou : « Car ce qui prédomine est la pensée » (C. Collobert ; de même M. Sauvage ; cf. aussi Diels-Kranz : « namlich das Mehr ist der Gedanke » ; Guthrie et Kirk-Rav.-Sch. : « for what preponderates is thought ») . Or, dans le premier cas, on ne reste pas fidèle à l'interprétation de Théophraste, lequel n'entend pas affirmer la prépondérance de la pensée (sur quoi ?) , mais la prépondé rance, dans le corps, de l'élément lumineux sur l'élément sombre, ou l'inverse, d'où résulte le caractère de la pensée : car « l'homme est sage quand l'élément lumineux prédomine et insensé quand le sombre prend le dessus » (Burnet, p. 204, n. 2) . Et, dans le second cas, le « est » est ambigu ; il signifie, en réalité, « fait » ou « constitue » acceptions, du reste, la plupart du temps, sous-jacentes dans l'esprit de ceux qui s 'en tiennent à un « est » littéral (cf. Diels-Kranz : « namlich das Mehr (vom Licht- oder Nacht-element) ist der Gedanke » ; Kirk Rav.-Sch., p. 262 : « Mortal thoughts are now reductively "explained" [ . . .] as fonctions of the proportions of light and night in the human body ») . TtX atc; 7tEVTE a€xa ècr-rlv (Xénophon, Memor., 4, 4, 7) se traduit : « deux fois cinqfont (litt. "sont") dix », dix étant le résultat de l'opéra tion. De même -ro 7tÀÉov ècr-rt v6'Y)µa peut se traduire : « ce qui prédo mine fait (litt. "est") la pensée » -, et, puisqu'il n'y a pas d'autre moyen d'éviter l'ambiguïté, non seulement peut mais doit se traduire ainsi. Selon que, dans le mélange constitutif du corps, c'est le Feu qui l'emporte ou la Nuit, la pensée est ainsi ou autrement. Ce qui est déterminé par le rpucnc; du corps, ce n'est pas seulement le fait de la pensée mais son caractère : claire ou confuse, juste ou erronée, sereine ou troublée, etc.
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Il nous reste à replacer le fragment 1 6 dans son contexte théo phrastien (De sensibus, 3-4 : Dox., p. 499 . 1 3-500 . 5) : « 3 . Parménide n'a, à vrai dire, rien déterminé précisément [quant à l'explication des sensations particulières] , mais, distinguant deux élé ments, il s'est borné à dire que la connaissance (yvwmc,) se conforme à celui qui l'emporte (-ro ûm:p�âMov) . Car, selon que c'est le chaud ou le froid qui a le dessus, la pensée caLâVOLO() est autre : elle est meilleure et plus pure par l'effet du chaud. Elle n'existe, toutefois, que par le res pect d'une certaine proportion (cruµµe-rplil() : Car, ainsi que se trouve, chaque fois, le mélange constitutif du corps toujours changeant, ainsi se dispose l'esprit chez les hommes. Car, chez les hommes, en tous et en chacun, la nature du corps est cela même qui pense. Car ce qui prédomine fait la pensée. 4. Car il dit que s e ntir et penser (-ro cp pove!:v) sont une même chose. Et, dès lors, il dérive la mémoire et l'oubli du chaud et du froid au moyen de leur mélange (xpiimc,) . Mais, si ces éléments sont à égalité dans le mélange, y aura-t-il pensée (cppove!:v) ou non ? Et, s 'il y a pensée, quelle en sera la disposition cai&8emc,) ? Il ne détermine plus rien. Que d'ailleurs, d'après lui, le contraire en lui-même produise la sensation est évident, quand il dit que le cadavre (vexp6c,) est privé de sentir lumière, chaleur et voix par suite du défaut de feu, mais non de sentir le froid, le silence et les contraires [de cette sorte] , et qu'en général tout ce qui est (niiv -ro ov) a une certaine connaissance (yvwcric,) » . Que faut-il entendre par cruµµe-rp lil( ? L e mot signifie, semble-t-il, une certaine « proportion » entre le froid et le chaud. Frii.nkel rejette toutefois cette interprétation. Chez Théophraste, cruµµe-rplil( signifie, dit-il, « that an organ of perception (e.g. eye, ear) is "commensurable" with that which is to be perceived (light, sound) and receptive to it to an adequate extent (cf. 28 A 47 ; 3 1 A 86, 1 2 and 1 5, and so constantly in Theophrastus ' Fragment De sensibus) » (in Allen-Furley, II, p. 1 7) . Effectivement, Empédocle explique, dans Théophraste, que la sensa tion a lieu si les effluves provenant de l'obj et sont reçus grâce à des pores ou « passages » appropriés, ni trop larges ni trop étroits : l ' adap tation l'un à l'autre de l'organe de perception et de l'objet per ç u est l a summetria. Il n'en reste pas moins que, dans le § 3 concernant Parmé nide, le même mot signifie « proportion ». En effet, la théor i e des
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
pores, qui fait intervenir la cruµµe:-rplix comme « adaptation mutuelle » , e s t destinée à expliquer l e s sensations particulières. O r , Empédocle est « seul à essayer de les ramener en détail à la similitude (oµol6-r'Y)c:;) » (§ 2, Dox., 499 . 1 2- 1 3) , alors que Parménide est de ceux qui « ne prêtent pour ainsi dire pas attention à chacun des sens en particulier » (ibid., 499 . 1 1 - 1 2) . Empédocle montre en détail que la sensation est « pro duite par le semblable », et il fait du mot cruµµe:-rplix un usage tech nique. S'agissant de Parménide, cet usage technique n'est pas requis, et le mot doit s'entendre dans le sens plus courant de « proportion », et, en l'occurrence, de « j uste proportion » . C'est ici seulement qu'intervient l a référence à l'objet extérieur. Il y a bien des rapports possibles entre les quantités de chaud et de froid qui entrent dans la composition du mélange corporel, d'où résultent bien des variations dans la disposition de l'esprit, le cours des pensées : autrement dit, toutes les pensées ne sont pas des connaissances. Pour qu'il y ait perception de la lumière et de la chaleur, par exemple, il faut que, dans le mélange, le Feu-lumière l'emporte sur la Nuit ; et pour que soit perçu tel objet lumineux et chaud comme il est en réalité, il faut que le rapport de la lumière à la nuit ou du chaud au froid dans le mélange corporel, corresponde à ce qu'il est dans l'objet. Cette « correspondance » peut être dite summetria, et ce second sens, sous jacent au premier, nous rapproche du sens technique du mot dans les passages touchant Empédocle. Une telle correspondance fonde la yvwmc:;, et, puisque la cruµµe:-rplix, entendue en ce sens, existe entre des êtres qui se ressemblent - dès lors que la composition du mélange qui les constitue est de l'un à l'autre la même -, il en résulte qu' « en géné ral tout ce qui est a une certaine connaissance » (yvwmc:;) : le semblable connaît le semblable. La pensée (ôl&vmix) « n'existe que par le respect d'une certaine pro portion (cruµµe:-rplix) » - entre le chaud et le froid dans le mélange. Ce qui est vrai de la pensée est vrai aussi de la connaissance, car la connaissance n'est que la pensée de l'objet tel qu'il est. La gnôsis sup pose : 1 ) la summetria-correspondance - que la seule pensée, elle, ne suppose pas (car l'esprit peut « battre la campagne » sans se soucier du réel) ; 2) la summetria-proportion. Or, cette notion de « proportion »
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n'a de sens que par la notion de « mélange » (xpiimc;) , laquelle n'a elle même de sens que s 'il y a touj ours deux éléments, avec prédominance de l'un ou de l'autre, ou égalité des deux, mais sans qu'il y ait j amais absence complète de l'un des deux. Ni le Feu pur ni la « Nuit sans mélange » ne peuvent nous donner une connaissance, ne fût-ce que parce que, avant qu'ils se soient mélangés , en proportions diverses, par l'opération de la ilalµwv, il n'y a encore aucun monde, donc rien à connaître. Si donc le « chaud » (le Feu-lumière) l'emporte dans le mélange, le « froid » (la Nuit) n'est pas pour autant supprimé. C'est pourquoi, si le lumineux est perçu grâce à un mélange où le chaud l'emporte, ce lumineux n'est pourtant qu'un lumineux d'une certaine intensité - susceptible d'être plus grande ou moindre -, qui donc compose avec l'obscur. Inversement, si le froid est perçu, cela grâce à un mélange où le froid l'emporte, cela ne signifie pas qu'il n'y ait, dans le mélange, plus aucune trace de feu : le froid, en effet, peut être plus ou moins vif qu'il n'est ; il compose donc avec le chaud. Le cadavre ne sent plus ni lumière, ni chaleur, ni son, par suite de l' écleip sis du feu. Que signifie ici le mot ËxÀw)n c; ? L'éclipse d'un astre n'est que sa disparition apparente. Le chaud (le feu) est « éclipsé » par le froid : cela signifie simplement la prédominance du froid. Dire que le cadavre n'est pas privé de « sentir le froid, le silence et les contraires [de cette sorte] » ne signifie pas que le corps mort aurait encore une obscure conscience de ce qui l'entoure. Qu'il « sente » le froid n'implique pas qu'il ait conscience de sentir. En effet, le cas du cadavre n'est que le cas particulier d'un étant comme d'autres parmi « tout ce qui est », et le a1cr6�ve:cr6a� qui appartient au cadavre n'est qu'un cas particulier de la yvwmc; qui appartient à tout ce qui est. Or, une telle gnôsis ne signifie rien d'autre qu'une corres pondance dans la composition des mélanges constitutifs des étants, d'où résulte que ce qui est en l'un se retrouve en l'autre. Dans l e voisinage d u mort, i l peut y avoir de l a lumière, d e l a chaleur, des voix, mais le cadavre n'a plus de sens pour ces phénomènes parce qu'il est trop pauvre en feu. Cela seul trouve en lui une ré sonance qui correspond à sa nature. Car la « nature du corps » e s t to u j o u rs « cela même qui pense » (1 6 . 3) .
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
En quel sens le cadavre « pense »-t-il ? Au sens courant, cartésien, du terme, la pensée enveloppe la conscience. On a pu parler, cepen dant, d'une « pensée sans conscience » (par exemple, Lachelier, in Vocabulaire de Lalande, s. v . « pensée ») . Dans le cas présent, si l'on suit Théophraste, la pensée consciente, celle du moins qui mérite le nom de « connaissance », n'est qu'un cas particulier du phénomène général de la relation entre semblables . On connaît, par le feu et la chaleur en soi-même, le feu et la chaleur qui sont dans les choses. Et, lorsqu'il y a feu et chaleur dans ce qui est en relation avec autre chose où il y a également feu et chaleur, si du moins le rapport dans le mélange est le même de part et d'autre, on a une summetria-correspondance et une gnôsis. Le mot « connaissance », il est vrai, s 'applique seulement, d'or dinaire, au cas d'une yvwcrLç consciente. Employé dans le cas d'une rela tion de similitude en général, le mot surprend. Mais il suffit, pour retrouver le sens courant, de distinguer la yvwmç-connaissance en puis sance (cas général) et la yviii cr Lç-connaissance en acte. « Tout ce qui est a une certaine connaissance » : entendons que tout ce qui est est en rela tion de similitude avec autre chose qui est, d'où résulte, comme une possibilité ou une virtualité, le dévoilement mutuel de toutes choses. Car un homme qui connaît le lever du soleil n'est qu'un étant qui explicite pour soi, sur le mode conscient, la relation au soleil. Non seulement la connaissance, mais toutes les formes ou modes de la pensée s'expliquent à partir du chaud et du froid « au moyen de leur mélange (ôLàt -rijç xpoc.crÉwç) ». Ainsi la mémoire et l'oubli : la pre mière, qui est quelque chose de positif, découle de la prédominance du chaud dans un rapport donné ; l'oubli, qui est quelque chose de néga tif, découle de la prédominance du froid. Puisque le chaud et le froid sont des contraires dont l'un est aussi réel que l'autre, les états néga tifs, qui s'expliquent par la prépondérance du principe négatif - la nuit, le froid -, ont leur positivité. Oublier n'est pas simplement ne pas avoir le souvenir de . . . : c'est l'avoir eu et l'avoir perdu. Cela sup pose une force : pour qu'il n'y ait plus la trace qu'il y avait, il a fallu qu'elle soit effacée. Le cadavre, privé de sentir la voix, n'est pas privé de « sentir » le silence. Le silence est donc une réalité en soi, quoique négative, comme la nuit. Il est senti : il s 'entend. Dans le cas du
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cadavre, qui n'a pas de sensibilité consciente, cela signifie seulement que, de même qu'au corps vivant, parlant et entendant des sons, cor respond le phénomène de la voix, de même le silence correspond au mutisme du mort. Dans le développement que nous étudions, il est un passage qui traduit l'embarras de Théophraste : « Si les éléments sont à égalité dans le mélange, y aura-t-il pensée ou non ? Et, s'il y a pensée, quelle en sera la disposition ? Il [Parménide] ne détermine plus rien. » Cet embarras résulte de ce qui vient d'être dit : « Ce qui prédomine fait la pensée » (1 6 . 4) . La question de Théophraste est naturelle : si, pour qu'il y ait pensée, il faut qu'un élément l'emporte sur l'autre, qu'en est-il lorsqu'ils sont à égalité ? Y a-t-il encore pensée ? Et s 'il y a pen sée, laquelle ? Positive ou négative ? Pour Empédocle, selon Théo phraste, dans le cas de la vision, « le meilleur tempérament consiste dans une composition à parties égales : c'est ce qui donne des yeux excellents » (De sens., 8 : Dox., 501 . 1 0- 1 1 ) . Il semble que Parménide n'eût pas eu plus de peine à forger une explication. Mais l'intérêt de la question de Théophraste est de venir à l'appui de l'interprétation de 7tÀÉov, en 1 6 . 4, comme signifiant « plus » et non « plein ». Nous venons de replacer le fragment 16 dans le contexte du De sensibus. Que conclure ? Nous avons pu commenter ce fragment sans faire intervenir la notion de « connaissance » ; le mot yvwcnc, ne s'y trouve pas. Théophraste nous donne une théorie de la connaissance qu'il dit être celle de Parménide. Parménide, tel qu'il le cite, nous donne seulement une théorie de la pensée. Ce n'est pas dire que la cita tion n'est pas à sa place, car la connaissance n'est qu'un mode de la pensée. Mais les notions de cruµµe:-rp lix, de yvwmc,, notamment, aj outent quelque chose qui n'est pas dans le fragment. De celui-ci résulte seu lement que les pensées des humains dépendent de leur corps, de la composition de celui-ci et de ses vicissitudes .
F RA G M E N T 1 7
GALIEN, in Hippocratis libros Epidemiarum, in librum VI, commenta rius 2 ; éd. Kühn, C/audii Galeni Opera omnia, vol. XVII , Pars I, p. 1 002 ; éd. Wenkebach-Pfaff, Corpus medicorum graecorum, vol. V, 1 0, 2, 2, p. 1 1 9 .
i)e:f;LTE:poî°o'LV µÈ:v XOUpOUÇ, ÀCXLOtC:H Î)È; XOUpCXÇ. l>È
Scaliger (ms.) Karsten : Il' or.li libri.
Dans les parties droites, les garrons ; dans les parties gauches, les filles.
Wenkebach et Pfaff ont proposé la reconstitution suivante, adoptée par Gallop (p. 88) , le sujet de la phrase étant la Salµuiv du fragment 1 2 . 3 : Se:/;L'TEpo'i'cn [µè:v] x6pouç, Àaw'i'mv 8' a\'J <x'Tlcre:> xoûpaç, « [Elle mit] dans les parties droites , les garçons ; dans les parties gauches, les filles » . Ce fragment a trait à l a différenciation des sexes, alors que l e frag ment 1 8 concerne l'hérédité des caractères (somatiques et psychiques) . Galien cite ici Parménide à l'appui de sa propre conception d'après laquelle les mâles se forment dans la partie droite de la matrice (cf. Lloyd, JHS, 1 972, p. 1 78-1 79) . Mais Galien n'est guère fiable : 1 ) rien n'indique qu'il ait tiré le texte cité du Poème lui-même et qu'il en connaisse la vraie signification ; 2) il considére que la constitution des mâles est plus chaude que celle des femelles . Or, pour Parménide, d'après Aristote (Part. an., II, 2, 648 a 29) , c'est le contraire. Le témoignage suivant nous invite à ne pas entendre par « parties droites » ou « gauches » seulement la partie droite ou gauche de l'uté-
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rus . Il faut songer aux parties droites ou gauches des organes gém taux, aussi bien masculins que féminins . Voici ce témoignage : « Selon Anaxagore et Parménide, le sperme en ·provenance du testi cule droit est proj eté dans la partie droite de l'utérus, celui en prove nance du testicule gauche dans la partie gauche ; s 'il y a interversion dans la proj ection, ce sont des femelles qui naissent » (Aétius, V, 7, 4 : p. 1 7 1 Lachenaud) . Normalement, le sperme issu des parties droites est proj eté dans les parties droites, celui issu des parties gauches dans les parties gau ches ; mais il peut arriver qu'il soit projeté de la droite vers la gauche ou de la gauche vers la droite. Puisque les parties droites donnent des mâles et les parties gauches des femelles, on a, d'après c e témoignage, des mâles dans un seul cas et des femelles dans les trois autres cas étant entendu que, dans le cas où le sperme issu des parties droites aboutit dans les parties gauches, ladite « femelle » n'est qu'un mâle efféminé (cf. ci-après, ad fr. 1 8, le texte de Lactance) : de de de de
parties parties parties parties
mâles droites à parties droites . . . gauches à parties droites . . . c1emeli es gauches à parties gauches droites à parties gauches . . . « femelles » (mâles efféminés)
}
Comme Parménide est ici associé à Anaxagore, on peut penser que, lorsque Aristote nous parle d'Anaxagore et d' « autres naturalistes », pour qui « le mâle vient des parties droites , la femelle des parties gau ches, comme dans l'utérus les mâles sont à droite, les femelles à gauche » ( Gen. an., IV, 1 , 763 b 33 s.) , Parménide fait partie de ces « autres natura listes ». Le texte confirme que, lorsque le sperme est issu du testicule gauche, on a, en tout état de cause, une femelle. Dans quelles conditions le sperme issu des parties droites (du tes ticule droit) est-il proj eté dans les parties droites (de l'utérus) , auquel cas on a des mâles vrais ? D'après un témoignage d'Aétius, un tel pro cessus se produit plutôt dans les régions d u Nord, régions froides : « Selon Empédocle, c'est la chaleur qui fait naître des mâles et le froid des femelles [ . . .] Selon Parménide, c'est l'inverse : l e s régi ons septentrionales, parce qu'elles participent davantage a u d e n se produi ,
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LE POÈME : FRAGMENTS
sent des mâles, et les régions méridionales, en raison de leur moindre densité, des femelles » (Aétius, V, 7, 1 -2 : p. 1 70 Lachenaud) . Si l'on se souvient des deux principes contraires à partir desquels s e construit toute l'explication d u monde sensible, l e « feu . éthéré de la flamme » (8 . 56) et la « nuit sans lumière » (8 . 59) , on sait que, du côté du Feu, on a, outre la lumière, le rare, le chaud, le léger, du côté de la Nuit, outre l'obscurité, le dense, le froid, le lourd. Dès lors, s 'il est vrai que, chez Parménide, les femmes, comme le dit Cl. Ramnoux (p. 1 42 ; cf. ci dessus, p. 228) , « appartiennent au royaume de l'ombre » et les mâles au « domaine de la lumière », il semblerait que l'affinité avec le dense et le froid, liés au principe nocturne, devrait être le fait des femmes, non des hommes . Or, d'après le témoignage d'Aétius, c'est le contraire, ce que paraît confirmer Aristote : « Certains affirment [ . . .] que les femelles sont plus chaudes que les mâles. Ainsi Parménide et quelques autres affirment que les femmes sont plus chaudes que les hommes pour la raison que les menstrues sont dues à la chaleur et à l'abondance du sang, alors qu'Empédocle soutient le contraire » (Part. an., II, 2, 648 a 28 s.) . Mais, à la vérité, que les femmes soient physiologiquement plus chaudes que les hommes, ou qu'elles aient davantage besoin de chaleur pour leur conception, est compatible avec le fait d'avoir plus de part à la nuit qu'à la lumi ère et avec leur appartenance au royaume de l'ombre. Nous avons vu, en effet, que tous les étants qui composent le cosmos sont des mixtes : ils ont part à la fois au Feu-lumière et à la Nuit. Dès lors, les femmes peuvent être, selon les fonctions considérées, plus chaudes et plus en affinité avec le Feu que les hommes, ou, au contraire, plus froides et plus en affinité avec le dense, la silence et la nuit. Si le froid favorise la naissance des mâles et la chaleur celle des femelles, les premières de ces fonctions sont celles en liaison avec le sexe, les secondes celles en rapport avec la raison et le langage. Les femmes peuvent être plus chaudes sexuellement, plus froides intellectuellement, alors que, pour les hommes, c'est le contraire. Or, ce qui est essentiel, pour un Grec, est la pensée logique : de là l'appartenance des mâles au « domaine de la lumière ».
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Caelius Aurelianus, Tardarum vel chronicarum passionum, IV, 9, 1 34 (p. 902 Drabkin) .
jemina virque simul veneris cum germina miscent venis, informans diverso ex sanguine virtus temperiem servans bene condita corpora ftngit. nam si virtutes permixto semine pugnent, nec faciant unam permixto in corpore, dirae nascentem gemino vexabunt semine sexum. « Quand la femme et l'homme ensemble mêlent les semences de l'amour issues de leurs veines, une puissance formatrice façonne, à partir de sangs contraires, des corps bien constitués , si du moins elle garde la proportion. Si, en effet, lorsque les semences se mêlent, les puissances qui leur sont propres entrent en lutte et ne forment pas, dans le corps résul tant du mélange, une puissance unique, alors, cruelles, elles mettront le trouble, avec leur double semence, dans le sexe à naître. »
Caelius Aurelianus, médecin, probablement, du ve siècle apr. J .-C., a traduit en latin un ouvrage perdu de Soranos d' É phèse, médecin grec de la première moitié du second siècle apr. J .-C., qui citait Par ménide. Caelius nous avertit qu'il donne à ses vers latins le plus de res semblance possible avec le grec : « Parménide dit, dans les livres qu 'il a écrits sur la nature, que, selon la façon dont se produit la concep tion, il arrive que naissent des hommes mous, c ' est-à-d i re s ou m i s Puisque ce que l'on a de lui, c'est une pièce de vers en grec, j e le ferai .
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
connaître aussi en vers . J 'ai donc composé des vers latins de semblable tournure, autant que je l'ai pu, pour que le caractère propre des lan gues ne crée pas de confusion. » Le texte cité a donc une teneur parménidienne. Il en ressort ce qui suit : 1 . Alors qu' Al cm éon dérive la semence du cerveau (24 A 1 3) et Hippon de la moelle (3 8 A 1 2) , on voit ici que, pour Parménide, elle provient du sang. Cette opinion sera également celle de Diogène d'Apollonie (la semence, « écume du sang », d'où le nom d' aphrodisia, de &:qi p6c;, « écume », donné aux plaisirs d'Aphrodite : 64 A 24 et B 6 = T 1 5 a et b Laks) , avant d'être développée par Aristote, tandis que, pour Démocrite (68 A 1 4 1 ) , suivi par É picure (A Hérodote, 66, scholie) , la semence provient de tout le corps. 2. Il existe deux semences, l'une masculine, l'autre féminine, et cha cune joue un rôle dans la procréation. Telle est aussi, selon Censorinus (5,4) , l'opinion d'Alcméon, d'Anaxagore, d'Empédocle et d' É picure, alors que, pour Diogène d'Apollonie (64 A 27 = T 1 6 Laks) , Hippon (38 A 1 3) et les Stoïciens (D.L., VII, 1 59) , la semence féminine, par suite, semble-t-il, de la conformation des organes (pour Hippon, elle tombe en dehors de l'utérus) , est sans pouvoir générateur. Il n'y a donc pas de raison de penser que, lorsque Censorinus nous dit que, pour Parménide, la semence « provient tantôt des parties droites, tantôt des parties gauches (P. enim tum ex destris tum ex laevis par tibus oririputavit) » (5,2) , il faille entendre par « parties droites » ou « gau ches » seulement le « testicule droit » et le « testicule· gauche » (comme font O. Kember,JHS, 1 97 1 , p. 70 ; G. Rocca-Serra, traduction du De die natali, Paris, Vrin, 1 9 80, p. 8 ; Dumont, p. 254, etc.) . 3. Les semences de l'homme et de la femme sont contraires l'une à l'autre comme les sangs dont elles proviennent (diversus ne signifie pas « divers », « différent » - O'Brien-Frère, Cordera, Dumont, etc. -, mais « contraire », « opposé ») . Le résultat de l'union contient l'opposition à soi-même. Mais, selon la loi héraclitéenne de l'unité des contraires, « ce qui s'oppose à soi-même s'accorde avec soi » (fr. 5 1 DK) si l'on respecte la mesure. Le corps résultant de l'union sera « bien constitué » si les qua-
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lités propres à chaque semence (virtutes a ici la signification de ôuvcX.µeic; en 9 . 2) réalisent, dans leur opposition même, une complémentarité : alors le mélange constitutif du corps sera équilibré et harmonieux. Mais si la juste proportion des éléments du mélange n'est pas respectée, de façon que les qualités opposées se résolvent en une et que « l'adverse [soit] bénéfique » (-ro &v-rl�ouv cruµq>Épov, Héraclite, fr. 8 DK) , le trouble, la désharmonie s'installent dans le corps, le sexe, et de là dans le tempéra ment, le caractère, le cours des désirs et des pensées. Selon Parménide, dit Censorinus (6 . 5) , « entre le principe mâle et le principe femelle il y a lutte, et celui des deux qui l'emporte déter mine la constitution de l'enfant (at inter se certare feminas et mares et penes utrum victoria sit o/us habitum referri) ». Mais, s 'il est normal que, chez un garçon, le côté mâle, masculin, viril, l'emporte sur le côté féminin, il n'est pas normal que ce soit l'inverse. De même, s'il est normal que, chez une fille, la féminité l 'emporte sur le côté masculin, dans le cas contraire, on a une virago, comme, dans le premier cas, un garçon efféminé. Ce sont là des « disparités de la nature » (dispares natu rae, Lactance, 28 A 54) . La règle générale qui gouverne l'hérédité est donnée par Censori nus : « Anaxagore estimait que les enfants ressemblaient à celui des deux parents qui avait fourni le plus de semence. Quant à Parménide, son avis est que, lorsque les semences proviennent des parties droites, les enfants ressemblent au père, des parties gauches, à la mère (ceterum Parmenidis sententia est cum dexterae partes semina dederint tune filios esse patri consimiles, cum laevae tune matri » ( 6 . 8) . Lactance donne deux exemples : « C'est de cette façon, pensent-ils, que se produisent les disparités de la nature (dispares naturae) : lorsque par hasard la semence du mâle vient tomber dans la partie gauche de la matrice, c'est, à les en croire, un mâle qui naît, mais, parce que conçu dans la partie proprement féminine, il a en lui quelque chose de féminin, au-delà de ce q u e la dignité virile peut supporter : ou bien une beauté qui attire les re ga rd s , o u une excessive blancheur, o u une faiblesse d u corps, o u u n e fi n e s s e des membres, ou une taille petite, ou une voix grêle, ou u n fa i b l e c o u rage, ou plusieurs de ces caractères à la fois : de m ê m e , s i l a s e m e n ce
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de genre féminin vient à se j eter dans la partie droite, une femme naît, mais, conçue dans la partie masculine, elle a, en elle, quelque chose de viril, au-delà de la proportion que son sexe permet : ou des membres robustes, ou une taille excessive, ou un teint foncé, ou des traits gros siers, ou un visage disgracieux, ou une voix forte, ou un cœur auda cieux, ou plusieurs de ces caractères ensemble » (De opificio Dei, 1 2, 1 2 : Dox., 1 94 ; Vors. , 28 A 54) . Lorsque l a semence e n provenance d u testicule droit est projetée dans la partie gauche de la matrice, c'est une « femelle » qui naît d'après Aétius 0f, 7, 4 : A 5 3) , mais on a vu (ad fr. 1 7) , et Lactance le confirme, qu'il faut entendre par « femelle » un mâle efféminé - lequel peut être dit « femelle » par dérision, mais c'est bien d'un mâle qu'il s'agit, puisque issu des parties droites : or, « à droite les garçons, à gauche les filles » (fr. 1 7) Si la semence issue du testicule droit aboutit dans la partie droite masculine - de la matrice, on a un mâle vrai. La composante féminine existe car la partie droite de la matrice est la partie droite de l'organe féminin, mais le masculin et le féminin sont complémentaires et forment une unité harmonieuse. Si, au contraire, le féminin l'emporte sur le mas culin chez l'homme ou le masculin sur le féminin chez la femme, le conflit des contraires n'étant pas résolu, le trouble, la zizanie s 'installent dans le sexe même de l'être humain, et de là, comme nous le disions, dans le tempérament (par défaut d'équilibre des humeurs) , le caractère, les désirs, etc. Le développement harmonieux de la personnalité dépend, s emble-t-il - selon Parménide -, de l'harmonie des contraires dans la constitution sexuelle de l'être humain. .
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1 -3
S IMPL. ,
De cael., 558 . 9-1 1 Heiberg
o(hw TOt XOmX SôE;oi:v Ëcpu Tâi)e: xoi:( VUV Éoi:crt xoi:l µETÉm:tT' 1bto TOÜOE TEÀEuTijcroucrt Tpoi:cpÉvToi:· TO(Ç o' ovoµ' &v6pw7tot XOl:TÉ6EVT' È7t(cr"Y)µOV ÉJ<âcrT<p. 1 xixl vuv
Gaisford (Poetae minores graeci, III, 1 823,
p. 287)
:
xixl vliv
libri.
C'est donc ainsi que, selon ce qui semble, ces choses-ci sont nées, et sont maintenant, et, dans la suite du temps, à partir de maintenant, après avoir crû <en âge >, mourront. A chacune d'entre elles, les hommes ont imposé un nom qui la distingue.
Ces vers se situent dans le Poème, nous dit Simplicius, après que Parménide a décrit « l'arrangement en monde des choses sensibles (T�v Twv 1XlcrEhyrwv Ôt1Xx6crµ1Jmv) » (5 58 . 8) , donc à la fin de la partie 7tpoç ô6/;1Xv (mais s 'ils terminent assez naturellement la partie cosmogo nique, il semble difficile d'y voir la conclusion du poème entier) . La particule -rol s 'emploie « pour résumer ce qui vient d'être dit » (Bailly) . Ainsi, dans l' Irjylle XI, vers 80, de Théocrite, oü-rw -rot (que Legrand, CUF, traduit par « Voilà ») , après le chant d'amour du Cyclope Poly phème, introduit le résumé et la leçon. De même, ici, oü-rw -ro t intro duit la récapitulation et la leçon de métaphysique - si l'on entend par « métaphysique » un discours sur les choses « physiques » (q u i d o i v e n t leur existence à la ipumç) considérées dans leur ensemble ( s u r l 'éta n t dans-son-ensemble) .
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PARMÉN IDE
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LE
P OÈM E : FRAGMENTS
"t"6:oi:: , « ces choses », sont « ces choses-ci », de même que, chez Héra clite, x.6crµov "t"6voi:: (fr. 30 DK) est « ce monde-ci». Il s'agit de ce que les mortels ont sous les yeux : le ciel et les étoiles, la Voie lactée, la lune et le soleil, la Terre et les vivants, les humains (c f. fr. 1 0, 1 1 , etc.) , qui, pour eux, sont simplement là, et dont le discours cosmogonique a expliqué l'origine, la nature et la destinée. Car tout ce qui est au monde, étant venu à être, doit un j our cesser d'être après avoir séjourné un moment dans la Présence ; et comme il n'y a rien de plus dans le monde que ce qui est au monde, c'est le monde lui-même qui, comme il a commencé, est voué à finir. Le discours qui fait voir, à partir du Feu et de la Nuit, les ressorts du monde, est un discours kata doxan, car, n'ayant affaire qu'à des choses mortelles, il est lui-même mortel, et, en cela, n'est pas d'une autre nature que les opinions mêmes des mortels . Lorsqu'un mortel dit : « il y a du brouillard », cela n'est pas faux, s 'il y a du brouillard, mais ce le sera dès qu'il n'y aura plus de brouillard : ce jugement n'est qu'une doxa, car il ne « tient » pas, comme devrait « tenir » un j ugement vrai. Il ne résiste pas au temps : il est évanouissant comme son objet. Or, le dis cours cosmogonique a été élaboré à partir des deux « formes », le « feu éthéré de la flamme » et la « nuit », que les mortels ont « j ugé bon de nommer » (8 . 53) : c'est donc un discours doxique. Son objet n'est que le monde tel qu'il est maintenant : ce monde. Lorsque ce monde se sera évanoui, le discours qui parle de ce monde n'aura plus d'objet. Le mot o6�ix signifie : « ce qui semble ». Ce que les mortels ont sous les yeux s emble être, a l'apparence du réel, mais n'a ni vrai être, ni vraie réalité. Ce que l'on dit au sujet de ce que les sens offrent au regard, du monde sensible, semble vrai, mais n'a que la semblance du vrai ; et le discours cosmogonique lui-même ne va pas au-delà du vrai-semblable. vuv focr�. Du ily a, de l' Ê tre, on peut dire : « Ni il n'était, ni il ne sera, puisqu'il est maintenant » (8 . 5) - un maintenant non pas temporel mais éternel, quoique n'étant pas sans durée. En 1 9 . 1 , nous avons le mainte nant temporel, qui, lui, n'est pas unique, mais n'est qu'un dans une foule - la foule des maintenant(s) , qui, sur la ligne du temps, le précèdent et le suivent. Le maintenant actuel, à la différence de l'instant, n'est pas sans durée, car il implique une persistance. Et il n'est pas sans succession, car
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LE MYTHE. FRAGMENT 1 9
il est divisible, pour l'analyse conceptuelle, e n maintenant(s) dont l e s uns sont déjà passés et les autres à venir ; mais il est sans succession perçue ou perceptible. A la différence du ily a, de ce qu'il y a maintenant, on peut dire, le cas échéant, que cela « a été » ou que cela « sera ». La Terre, le soleil, le ciel ne viennent pas, à l'instant, de surgir du néant : ils sont nés, ils ont déjà une durée d'existence, ils durent encore, et, à la dif férence des vivants, leur terme est lointain - même si une telle diffé rence, dans le temps infini, compte peu. &:no -rouae:. C'est « dès maintenant », dès l'heure présente, que les choses de ce monde sont vouées à périr, après avoir crû - en durée, en âge - un temps plus ou moins bref ou long. C'est même dès leur com mencement qu'elles sont allées vers leur terme. Inexorable est le cours du temps, qui, alors que toutes choses, en lui, leur heure venue, cessent d'être (de paraître) , lui, ne cesse jamais. On peut les dire, avec Cl. Ram noux (p. 1 45) , « destinées à croître et à périr ». Le temps signifie la mort pour tout ce qui est dans le temps. Ou : le temps signifie le destin, moira (car le mot µo"i'pa, de µdpoµa�, obtenir en partage, signifie « part » : une part de temps) . Pourtant le temps, la puissance destinale universelle, n'a lui-même de sens que par ce qui est dans le temps : il n'a aucune réalité séparée. Il faut qu'il y ait la suite des choses qui viennent séj ourner un temps au j our de la Présence pour qu'il y ait la succession; et il faut qu'il y ait la succession pour qu'il y ait le temps. Le temps ne cesse pas parce que l'être - le fait qu'ily ait - ne cesse pas. Et l'être ne cesse pas parce que le non-être d'un être n'est pas le néant, mais l'apparition, la venue au j our, d'un autre être. Les choses qui meurent font retour à la nature ; elles deviennent autre chose : elles ne deviennent pas rien (cf. É pi charme, 23 B 9 : « Cela s'est rassemblé, cela s'est dissocié, et s 'en est retourné d'où il était venu : la terre à la terre, le souffle en haut ») . Dans l'ordre des choses, il n'y a aucune place, nulle part, pour le néant.
La ô6�a est la semblance - comme on dirait dans le fran ç ais de Montaigne 1 : semblance d'être pour ce qu'il y a maintenant, car s e u l l e 1 . Mais l e mot se trouve aussi chez Descartes e t est adm i s p a r l . i n ré , C < 1 rn r r n ; vieilli » .
«
t erme
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ily a va persister, ce qu'il y a va périr, et le maintenant de l'un va s e dissocier d u maintenant de l'autre ; et semblance de vérité pour le dis cours au sujet de ce qu'il y a, car, disant « il y a », on parle en éternité, et, dis ant ce qu'il y a, on parle en fugitivité : le discours n'a que la sem blance du vrai, qui n'en a pas la demeurance. Mais à chaque chose, les mortels ont donné un nom qui « la signale en propre » (Beaufret) . Les noms sont les marques , les empreintes ('ro brlcr'Y)µov est l'empreinte d'une monnaie) , dans la mémoire, des choses disparues. « Il y a du brouillard » : le nom désigne ce qu'il y a, qui se dit « brouillard », non « pluie » ou « neige » . Le brouillard se dissipe : cela signifie qu'il ne reste plus qu'un nom vide. Mais grâce aux noms, la mémoire est possible : on peut parler de ce qui n'est plus. Ainsi ce qui n'est plus a une sorte d'existence, aussi longtemps du moins que les mots gardent encore un sens. Toujours est-il que penser ce qui a été comme ayant été mais n'est plus rien (ou n'est plus qu'en image - en « nom ») , n'est pas penser le rien - lequel est « indicible et impensable » .
CONCLUSION
Il n'y a et il n'y aura j amais la même chose, mais il y aura toujours quelque chose. Qu 'est-ce qu'il y a ? On ne peut le dire une fois pour toutes. Parménide radicalise la pensée d'Héraclite, pour qui il y a tou j ours eu, il y a et il y aura touj ours le monde. Certes, « tout s 'écoule », à savoir tout ce qui est au monde, tous les prétendus « étants », mais le monde lui-même demeure comme l'écrin où les étants brillent et scintil lent tour à tour. Le monde n'est pas un étant, car la puissance d'activité et de vie qu'il recèle, et qui s'exprime par la métaphore du Feu, ne dépend de rien d'autre pour se renouveler sans fin. Pour Anaximandre, au contraire, une telle puissance est essentiellement finie : porteuse de vie, elle est aussi porteuse de mort pour le monde lui-même. Le moment de l'épuisement et de la mort, qui advient inévitablement pour les êtres finis, advient aussi pour le monde. Même si Parménide n'a pu entendre Anaximandre, étant venu trop tard, c'est néanmoins, semble-t-il, sous son influence, qu'il a radicalisé le mobilisme d'Héraclite au point de concevoir pour le monde lui-même la condition précaire des étants finis. Dès lors, s'il est impossible de dire ce qui a toujours été et qui sera tou j ours, ce n'est pas par l'effet d'une impuissance quelconque de l a connaissance : c'est qu'il n'y a rien de tel. Tout c e qui e s t a u monde, et l e monde lui-même, sont à l a merci d e l a puissance universelle e t a n n i h i lante du temps . Toutefois, s i l e temps a raison, à l a longue, d e tout c e q u ' i l y a , y compris sans doute les éléments des choses, le « Fe u » et l a « N u i t » ,
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PARMÉN I DE
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LE
POÈME : FRAGMENTS
puisqu'ils n'ont été que nommés par les mortels, reste ce sur quoi le temps n'a aucune prise : non ce qu'il y a, mais l'être, le fait qu'il y ait (qu'il y ait touj ours quelque chose) . Car, dire l' « être » est simplement désigner le fait d'être pour ce qui est. Il n'est pas concevable que l'être, en ce sens-là - comme ce qui, pour ainsi dire, « fait » être les êtres - ne soit plus . Alors, ou il n'y aurait rien - mais le « rien », le « il n'y a pas », n'est « ni dicible ni pensable » (8 . 8) -, ou il y aurait le rien, c'est-à-dire non pas rien mais encore de l'être. On ne peut penser le rien sans le faire être de quelque façon comme rien. Le néant étant innommable et impensable, il ne se peut pas qu'il n'y ait pas toujours de l'être. Il est impossible pour l'être de n'être pas. Saisir une telle néces sité est le propre d'une pensée qui pense en raison, et, du reste, révèle une telle pensée à elle-même. Comme, chez Héraclite, le logos nous fait saisir l'éternelle vérité du devenir, chez Parménide le logos nous fait saisir l'éternelle vérité de l'être ; mais, nous l'avons vu, cette seconde vérité n'annule pas la première. « Manifestement il n'y a que l'étant qui soit, et l'être n'est pas en plus à son tour », dit Heidegger 1 • L'être n' « est » pas. Disant cela, on n'entend certes pas dire que l'être « n'est pas », au sens où un étant, par exemple, la pluie, n'est pas ou n'est plus, puisque, au contraire des étants qui non seulement peuvent ne pas être mais sont voués à cesser d'être, de sorte que, par leur être même, ils sont voués au non-être, l'être, le fait d'être comme tel, est, lui, pour touj ours à l'abri du néant. L'expression « l'être est » dit de l'être ce que l'on dit d'un étant, et ainsi invite à penser l'être comme un étant. Peut-être, avons-nous sug géré (ad 8 . 1 9-21 ), pourrait-on écrire : « l'être este » (cf. J ean Wahl, cité ibid. : « Le ciel se cielle /les nuages bleus nuagent et bleuent ») , où res sort la racine indo-européenne es- qui signifie le fait d'être. Et l'on dirait : il est impossible à l'estre de ne pas estre. Que signifie « être » pour un étant, pour le brouillard, par exemple ? Simplement qu'il y a du brouillard. Quand ? maintenant : il y a, maintenant, du brouillard. Tout à l'heure, il n'y en aura plus . Le ily a, pour ce qu'il y a, signifie
1 . lntrod11ction à la métaphysiq11e, trad. cit., p. 79.
CONCLUSION
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le il n'y a pas. Parménide suit, sur ce point, la leçon d'Héraclite. Certes , o n peut soutenir qu'un étant n'est p a s nécessairement voué à cesser d'ê t r e, que « il y a ceci » peut être pensé sans impliquer son contraire : « il n'y a pas ceci ». Mais Parménide, pas plus qu'Héraclite, n'admet la perdurance d'un étant fini. Il y a ceci - du brouillard - maintenant, dans un maintenant temporel, un parmi une infinité de maintenant(s) avant et après, où ce qu'il y a maintenant n'était pas encore et ne sera plus . Il y a ceci, puis cela et encore autre chose. Seul demeure le ily a comme tel, dans un maintenant éternel. Mais le il y a n'a aucune réalité à moins qu'il y ait . . . ce qu'il y a. L'être (l'estre) est ce qui fait que les étants sont, mais, sans les étants, l'être, n'étant l'être de rien, n'a aucune signification. Certes, aucun étant n'est nécessaire à l'être, mai s qu'il y ait des étants est nécessaire. Le fait qu'il y ait des étants est nécessaire. Que signifie « être » pour ce qui est ? être là maintenant, être présent. Mais rien n'est présent que sur le fond de la Présence, laquelle n'est pas nécessairement présence de ceci plutôt que de cela, mais est nécessairement présence de ceci ou de cela, d'une chose ou d'une autre. Il y a une indifférence de l'être aux particularités de l'étant. L'être requiert seulement l'étant comme tel. Que faut-il entendre par « l'étant comme tel» ? Ce qui ne séjourne dans la Présence que pour un temps, ce qui ne fait que passer, comme un voyageur qui « ne fait que passer ». Ce qui ne passe pas est seule ment la Présence même, comme une scène toujours prête à accueillir de nouveaux personnages et de nouveaux acteurs . Contingent est tout ce qui est au monde, contingent est le monde, nécessaire est seulement le fait même de l'être. Il n'est pas pos sible qu'il n'y ait pas touj ours la Présence, cette Ouverture et cet Accueil, et non pas dans un au-delà ou un ailleurs, mais au plus près de nous, dans un ici et un maintenant éternels . Les maintenant(s) fugitifs, avec leurs contenus variables, glis sent sur le fond du maintenant éternel. Le passé n'est plus, l'aven i r n'est pas encore, l e présent s'écoule rapidement, mais rien n'é b r a n l e l e il y a e n s o n éternité. I l y a , pour l e moment, celui que je s u i s , e t , certes, celui que j e suis e s t entraîné par l e fleuve ; mais l e il _ y r1 l u i même est plutôt ce sans quoi il n'y aurait même pas l e fl e u v e po u r m'entraîner : telle est à Héraclite, la réplique d e Parm é n i d e .
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On est tenté de donner des contours à la Présence, de la figurer comme un Séjour ou comme un Site. Ce sont là métaphores, mais qui laissent entendre la liberté de la Présence à l'égard de ce qui est pré sent. Ce qui a lieu en ce monde n'a j amais d'importance que relative ment à d'autres choses ou événements qui ont lieu en ce monde, mais, par rapport à la Présence, n'en a aucune. Car la Présence, comme telle, n'est j amais affectée par rien. Elle est sans mémoire, et comme tou j ours intacte pour un commencement des choses, bien qu'elle ne soit elle-même principe ou commencement de rien. Elle est là pour rappe ler que tout ce qui est advenu s'efface, qu'il n'en reste, à la longue, nulle trace, et que cela n'a d'ailleurs aucune importance (à la longue) . L'être est « inviolable » ( &crv/.. o v, 8 . 48) , dit Parménide : il est « à l'abri » . Cela signifie que rien d e c e qui a lieu n e l e concerne, n e l e touche. Tout ce qui est advenu est pour lui comme s 'il n'était pas. Et pour tant, il faut qu'il y ait des êtres, que quelque chose ait lieu, il faut qu'il y ait ce qui est présent pour que le ily a, pour que la Présence aient un sens. Mais ce qui a lieu est indifférent : s'il y a à ce qui est une raison d'être, elle n'est nullement à chercher du côté de l'être lui-même. L'être n'est la raison d'être de rien. Il est, simplement, ce qui me « fait » être là avec ce qui est là, mais alors que je suis, comme tout ce qui devient, embarqué sur le fleuve du temps et continuellement dis socié de moi-même, il est, lui, éternellement intact. Mais il faut qu'il y ait !' É ternité pour qu'il y ait le Temps , et il faut qu'il y ait le Temps pour qu'il y ait !' É ternité. Maintenant éternel ou maintenant temporel, c'est toujours « maintenant ». Qu'en est-il de « maintenant » pour pou voir être ou éternel ou temporel ? Comment concevoir l'identité avec une différence si extrême ? Comment se fait la j ointure, en un point, du Temps et de !' É ternité ? « Maintenant » , vüv (8 . 5) : ce petit mot, de r tout le Poème, est sans doute la clef.
.
Index des sources
On trouvera, dans l e s Études sur Parménide (sous la dir. de P. Aubenque) , Paris, Vrin, 1 987, t. I, p. 8 1 - 9 1 , l'énumération, due à Denis O'Brien des manuscrits signifiés dans l'apparat critique par des lettres (sigla codicum) .
A ÉTIUS (I� -II' siècles apr. J .-C.). Les Placita d'Aétius ont été restitués par H . Diels d'après l'Épitomè du Pseudo Plutarque (II) et les extraits de Stobée : v . Doxographi graeci, p. 267-444. L'A brégé du Ps.-Plutarque a été édité à nouveau par Guy Lachenaud, Opinions des philosophes, Paris, Les Belles Lettres , CUF, 1 993. A LEXANDRE D'APHRODISE (n'-m' siècles apr. J .-C.) . ln A ristotefis Metaphysica commentaria, éd. M. Hayduck, 1 89 1 . A MMONIUS (v'-VI' siècles apr. J . -C.) . In Aristotelis De interpretatione commentarius, éd. A. Busse, Berlin, 1 897. A RISTOTE (384-322 av. J . -C.) . Métaphysique, éd. W. D. Ross, 2 vol., Oxford, 1 924 ; éd. W. J aeger, Oxford, 1 95 7 . Physique, é d . W. D . Ross , Oxford, 1 936 ; é d . H. Carteron, Paris, L e s Belles Lettres, 1 926. Ps.-ARISTOTE. De Melisso Xenophane Gorgia, in Diels-Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, 21 A 28. A SCLÉPIUS (VI' siècle apr. J .-C.) . In Aristotelis Metaphysicorum libros A-Z commentaria, éd. M. Hayduck, Berli n, 1 8 8 8 . BASILE DE CÉSARÉE (330 env.-379) . Homiliae in Hexaiimeron, é d . J . Garnier, Paris, 1 72 1 (in Basilii opera omnia, t . 1 ) ; 2' éd., 1 839. Voir aussi J .-P. Migne, Patrologie grecque, t. 29. Scholies doxographiques à l'Hexaimeron i : éd. Pasquali, i n Gotti11,�er N(lchrichten, 1 9 1 0. C f. André Laks, Diogène d'Apoffonie, U niv. de Lille 1 1 1 , 1 9 8 ] , p . 1 87 .
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PARMÉNI D E - LE POÈME : FRAGMENTS
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INDEX DES SOURCES
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PARMÉN IDE - LE POÈME : FRAGMENTS
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Index des mots grecs
Il s'agit d'un index simplifié. On trouvera, d û à Denis O'Brien, un index plus complet dans les Études sur Parménide (sous la dir. de P. Aubenque) , Paris, Vrin, 1 987, tome I, p. 1 1 9- 1 34.
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278
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PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS Ècr-rr.v 5 . 1 ; 8 . 3 . 5 . 1 1 .22.24.25.48 . 5 4 ; Ècr-rlv 1 . 27 ; 3 ; 8 . 3 5 . 3 6 ; 9 . 3 ; dar. 1 . 1 1 ; 2 . 2 ; drm 8 . 5 4 ; licxrn 8 . 2 ; 1 9 . 1 ; dY) 8.47 ; ˵µrnn 6 . 1 ; ˵µEv 2 . 6 ; ɵEvm 8.38 ; EivcxL 1 . 32 ; 3 ; 6 . 1 ; 7 . 1 ; 8 . 1 8.32.39.40 ; µ� dvcxL 2 . 3 . 5 ; oùx dvcxL 6 . 8 ; È6v 4.2 ; 6 . 1 ; 8 . 3 . 1 9 . 2 5 . 32 . 3 3 . 47 ; µ� È6v 2. 7 ; oùx è-.6v 8.46 ; µ� i6v-.cx 7 . 1 ; i6v-., 8.25 ; F.6v wç 4.2 ; 8 . 1 2.24. 3 5 . 3 7 . 47 ; µ� È6V't"OÇ 8 . 7 ; ÉcrEcr0cxL 8.20 ; Écr't"CXL 8 . 5 . 3 6 . 3 8 ; �V 8 . 5 ; ov 8 . 5 7 EÏVEXEV 8 . 1 3 E Ïpyw, <E Ïpyw > 6 . 3 ; dpyE 7 . 2 ; E Ïpyo L 8.23 ; ÈÉpyEL 8 . 3 1 E Ïpw, ÈpÉw 2 . 1 ; p"Y)ÜÉV't"CX 8 . 1 dç, Ë v 8 . 6 ; µlcxv 8 . 5 4 è-.xylyvoµcxL, È�gyÉvov-.o 1 0. 3 F.x-.6ç 1 . 27 ÈÀcxq> p6ç, [ÈÀcxq>p6v] 8 . 5 7 ÉÀEYX_OÇ, ÉÀEYX_OV 7 . 5 ȵ�p ,O�ç, ȵ�pLÜÉç 8 . 5 9 è-.µ6ç, è-.µwv 8 . 5 2 ɵ7tEiloç, ɵ7td�ov 8 . 3 0 ɵ1t"Y)Ç 1 . 3 1 ɵ7tÀEOÇ, ɵ7tÀEOV 8 .24 ÈvcxÀlyxwç, ÈvcxÀlyxLov 8.43 Èvcx.v-rloç, -rO Èvcxv-rlov 1 2. 5 ÉVELµL, ÉVL (ËvEcrn) 1 . 30 ELxw, Ëo r.xcx, Èo r.x6-rcx. 8.60 È7tElyw, È7tElyETO 1 . 7 Èmllw�ç, ÈmllwÉç 8 . 3 3 folcr"Y)µoç, folcr"Y)µov 1 9 .3 Èmq>pcxll�ç, Èmq>pcxl>Éwç 1 . 1 6 fooç 1 .23 ; È7tÉwv 8 . 52 Épyov, Ëpycx 1 0. 3 . 4 Épwç, " Epw-.cx 1 3 foxcxwç 1 1 . 3 Ë't"EpOÇ, É't"Ép<jl 8 . 5 8 h�-.uµoç, h�-.uµov 8 . 1 8 EÙcxy�ç, EÙcxyÉoç 1 0 . 2 dlxuxÀoç, EÙXUXÀOU 8.43 EÙ7tELÜ�Ç, EÙ7tELÜÉoç 1 . 29 EupÉw, Eup�crELç 8 . 3 6 Èq>("Y)µL, È'f'�O"EL 8 . 1 2 i:xw, ÉXE' 1 . 1 2. 1 4 ; 8 . 1 5 . 3 1 ; 1 6 . 1 ; è!xm
279
1 0. 7 ; itxov-.cx 1 0 . 5 ; ëxov 1 . 2 1 ; i'xrnücxc 4.2
�yEµovEuw, �yEµ6vwov 1 . 5 ' H ).. L ciç, ' H ).. c cil>Eç 1 . 9 �ÀWÇ 1 1 . 1 ; �EÀfoLO 1 0. 2 ; 1 5 �µexp, �µcx-.oç 1 . 1 1 � µÉ't"Epoç, �µÉ-.Epov 1 . 25 �vloxoç, �VLOXOL<nV 1 .24 �moç, �mov 8 . 5 7 �crcrov 8.48 �-.op 1 . 29 -�x·�ELÇ, �X�EO"O"CXV 7 . 4 (kci 1 . 22 flitµcç 1 . 28 ; 8 . 3 2 0E6ç, 0Ewv 1 3 flEpµ6ç, flEpµ6v 1 1 . 3 8-Y)Àuç, BY)Àu 1 2. 5 ; B"Y)ÀU't"Ép<;> 1 2. 6 Buµ6ç 1 . 1 BupE'tpov, BupÉ-.poLç 1 . 1 3 ; BupÉ-.pwv 1 . 1 7 L"Y)µL, <fa,> 1 . 6 ; LE't"CXL 1 2 . 2 1Buvw, 1BuvEL 6 . 6 1Buç 1 .2 1 Lx&vw, È7tt - Lx&voL 1 . 1 ; Lx.&:vwv 1 . 25 lxvÉoµcxL, 1xvEi:crBcxL 8.46 ; l'Çoµcxc 5 . 2 L7t7tOÇ, L7t7t0L 1 . 1 .4 ; Ln7tO LÇ 1 . 25 ; Ln7tOUÇ 1 .2 1
Icroç, Icrov 8.49 ; Lcrwv 9 . 4 L()"07tCXÀ�Ç, L0"07tCXÀÉÇ 8.44 tcrxuç 8 . 1 2 xcx0cxp6ç, xcxBcxpiiç 1 0.2 xcxx6ç, xcxx� 1 .26 XCXÀÜ7t'tpcx, XCXÀU7t'tpcxç 1 . 1 0 XCXW'tlB"Y)µL, xcx-.ÉBEV't"O 8 . 3 9 . 5 3 ; 1 9 . 3 xû"µcxc, XEL'tcxc 8 . 2 9 xÉÀEuBoç 2.4 ; 6 . 9 ; xEÀEuBwv 1 . 1 1 xÀ"Y) lç, ><À"Y)tllcxç 1 . 1 4 xoµl�w, x6µccrcxc 2 . 1 x6crµoç, x6crµov 4.3 ; 8 . 5 2 XOUp"Y), xoupcxc 1 . 5 . 9 . 1 5 . 2 1 ; xoupcxç 1 7 xoupoç, i:i xoup' 1 . 24 ; xoupouç 1 7 xpciç, xpci-.wv 1 . 1 0
280
x.pocmç 1 6. 1 x.pot-rep6ç, x.pot-rep� 8.30 x.plvw, x.p"LvotL 7 . 5 ; Èx.plvotVTO 8 . 5 5 ; x.Éx.pLTotL 8. 1 6 x.plcnç 8. 1 5 x.u�epv<Xw, x.u�epv� 1 2. 3 x.ux.Àoç, X.UX.ÀOLÇ 1 . 8 x.ux.Àw<ji, X.UX.ÀW1tOÇ 1 0.4 x.upÉw, x.upe"L 8.49 x.wcp6ç, x.wcpol 6. 7 À<X"Lvoç 1 . 1 2 ÀotL6ç, ÀotLOLaL 1 7 ÀotfJ.1tcXÇ, ÀotfJ.1tcXÔoç 1 0.3 ÀÉyw, ÀÉyELV 6 . 1 ÀEL1tW, ÀEL1tETotL 8.2 Àeucrnw, ÀeÜm:re 4. 1 Myoç, À6ycp 7 . 5 ; Myov 8 . 50 ; À6yoLmv 1 . 1 5 µ&/..a 8.3.28 ; µocÀÀov 8.23.48 µotÀotx.6ç, µotÀotx.o°Lm 1 . 1 5 µav6<Xvw, µ&v6otve 8.52 ; µa6�crEotL 1 . 3 1 µÉyotç, µÉy' (µÉyot) 8 . 5 7 ; fJ.EYcXÀO LO"L 1 . 1 3 ; µey&/.. w v 8.26 ; µûl;; o v 8.44 !J.ÉÀÀW, µÉÀÀEL 8.20 µÉÀoç, µeÀÉwv 1 6 . 1 . 3 µÉvoç 1 1 . 3 µÉvw, µÉveL 8.30 ; µÉvov 8.29 µfooç, µfocp 1 2. 3 µecrcr66ev 8.44 µe-ràt ÔÈ 1 2. 2 µÉTEL!J.L, µÉ-rot (µÉ-recrn) 9.4 fJ.ETÉ1tELTot 19 . 2 µ l] Ôdç, µl]ÔÉv 6 . 2 ; 9 . 4 ; µl]ÔEv6ç 8 . 1 0 fJ.lJTLOfJ.otL, fJ."l)TLCl"otTO 1 3 µlyvuµL, µLyijv 1 2. 5 µl�LÇ, µl�LOÇ 1 2.4 µo"Lpot 1 . 26 ; Mo"Lp' 8.37 µ6voç 8 . 1 ; µoüvott 2 . 2 µopcp�, µopcp&ç 8 . 5 3 µouvoyev�ç, µouvoyevÉç 8 . 4 µü6oç 8 . 1 ; µü6ov 2 . 1 vfoµott, vÉecr6ott 1 . 26 voÉw, voe"Lv 3 ; 6 . 1 ; 8 . 8.34.36 ; vo-1jcrotL 2 . 2 ; VOl)T6V 8 . 8
v6l)µot 7 . 2 ; 8.34.50 ; 1 6 . 4 voµll;; w , vev6µtcrTotL 6 . 8 v6oç 1 6.2 ; v6cp 4. 1 ; v6ov 6 . 6 V\JX.TL<pot�Ç, V\JX.TL<potÉÇ 1 4 VÜV 8 . 5 ; V\JV 1 9 . 1 vu� 9 . 1 ; vux.-r6ç 1 . 9 . 1 1 ; 9 . 3 ; 1 2. 2 ; vux.-r' (vux.-ra) 8.59 vwµ<Xw, vwµocv 7.4 �\JVE)'.�Ç, �\JVE)'.ÉÇ 8.25 �uv6ç 1 1 .2 ; �uv6v 5 . 1 oyx.oç, oyx.cr 8.43 àô6ç 8 . 1 8 ; àôoü 6 . 3 ; 7 . 2 ; àôo"Lo 8 . 1 ; àô6v 1 . 2 . 5 . 2 7 ; 7 . 3 ; àôol 2.2 oÀe6poç 8 . 2 1 .27 onuµt, oÀÀucr6ott 8 . 1 4.40 " ÜÀUfJ.1tOÇ 1 1 . 2 oµµa 7 . 4 àµo"Loç, àµo"Lov 8.22 àµ6ç, àµ6v 8.47 ; àµwç 6 . 7 ; 8.49 ; oµwç 4. 1
àµoü 8 . 5 ; 9 . 3 ovoµ(ot) 8 . 3 8 ; 1 9 . 3 OVO!J.cXl;; W , OVO!J.cXl;; E LV 8 . 5 3 ; ov6µotcrTotL 9 . 1 01tl)ÔÉW, 01tl)OEL 2 . 4 à1t7t66ev 5 . 2 ; 1 0. 3 àpµ<Xw, wpµ�6"1)crotv 1 1 . 3 opvuµt, li pcrev 8. 9 ocroç, ocrcroç, ocrov 1 . 1 ; Q()"()"I)( 8.39 élcr1tep, 87tep 1 6 .3 ; otL1tEp 2.2 oùôelç, oÙÔÉv 6 . 4 ; 8 . 3 6 oÙÔÉ-repoç, oùôe-rÉpcp 9 . 4 oùô6ç 1 . 1 2 oÙÀoç, oÙÀov 8.4.38 oùp<Xvtoç, oÙpcXvLov 1 1 .2 oùpotv6ç, oùpotv6v 1 0. 5 O)'.EUÇ, 0)'."1jot 1 . 1 6 1tcXÀLV 5 . 2 ; 1totÀlv-rp01tOÇ 6 . 9 1tcXfJ.1totV 8 . 1 1 1totVot1tW6�ç, 1totVot1tW6Éot 2 . 6 1tcXVT71 4.3 ; 8.44 7tcXv-ro6ev 8.43 .49 1tcXVTOCl"E 8 . 5 7
28 1
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
rtiiVTWÇ 4.3 7tOC7tToclvw, 7tOC7t-rc.dvoumx 1 5 rtiipeLµL, mxpe6vw: 4. 1 mxpeÀ<XUVW, rt<XpEÀ<iO'O''Y) 8 . 6 1 rt<Xptcr't'Y)µL, rt<XpÉcr't'Y)lŒV 1 6. 2 rtiipcp'Y)µL, rt<Xpcpiiµev<XL 1 . 1 5 miç, rtiiv 1 . 3 ; 8 . 5 .22.24.25.48 ; 9 . 3 ; rtiivT<X 1 .28.32 ;
8.38.60 ;
9.1 ;
10.1 ;
1 2. 3 ;
1t<XVTL 1 6 .4 ; 1t<XV't0Ç 1 . 32 ; 8.33 ; rtiiVTWV 6 . 9 ; 1 2 . 4 ; 1 3 ; rtiiO'LV 1 6 .4 rtiiTOÇ, rtiiTOU 1 .27 rt<XUW 8.50 ; rt<XUOL 8.46 rtdliiw, ÈrtÉll'Y)O'EV 8.37 ; 1 0 . 6 rtÉll'Y), rtÉll?JO'LV 8. 1 4 rtd6w, 1t€Lcr<XV 1 . 1 6 ; 1t€1tOL6oTEÇ 8.39 rteL6w, rtd:loüç 2 . 4 1tELp<XÇ 8.42 ; rteLp<X'tOÇ 8 . 3 1 ; rteLp<X't<X 1 0. 7 ; rtdp<Xm 8.26.49 rtû&.Çw, rteMÇeL 8 . 2 5 rtÉÀW, rtÉÀELV 6 . 8 ; 8 . 1 8 ; rtEÀÉV<XL 8. 1 1 .45 ; rtÉÀOL 8 . 1 9 rtɵrtw, rtɵrteLv 1 . 8 ; rtɵrtov 1 .2 ; rtɵrtoucr<X 1 2. 5
rtepiiw, rtEpWVT<X 1 . 32 rteplcpo LTOÇ, rteplcpoLT<X 1 0. 4 rtEpOV'Y), rtEpOV?JO'LV 1 . 20 rttµrtÀ'Y)µL, rtÀ'ÎjVT<XL 1 . 1 3 ; rtÀ'ÎjVTO 1 2 . 1 rttcrnç 1 . 30 ; 8 . 2 8 ; rtLO'TLDÇ 8 . 1 2 mcrTOÇ, mcrTOV 8 . 5 0 rtÀ<iÇw, rtÀ<iÇovT<XL 6 . 5 ; rtÀ<XYXTOV 6 . 6 ; ÈrtÀ<iyz6'Y)O'<XV 8 . 2 8 rtÀ<Xviiw, rtErtÀ<Xv'Y)µÉvoL 8 . 5 4 rtÀÉoç, rtÀÉov 9 . 3 rtÀÉwv, rtÀÉov 1 6 .4 1tOLÉW, 1t0 t'Y)O'<XV 1 . 1 8 rtoMll'Y)pLç, rtoÀUll'Y)pLv 7 . 5 rtoMrteLpoç, rtOÀUrteLpov 7 .3 1tOÀU1tÀ<XYXTOÇ, 1tOÀUrtÀiiyXTWV 1 6 . 1 1tOÀU1tOLVOÇ 1 . 1 4 rtoÀucp'Y)µoç, rtoÀucp'Y)µov 1 . 2 rtOÀU<pp<XO'TOÇ, rtoÀUcpp<XO'TOL 1 . 4 rtOÀUX<XÀxoç, rtoÀuxiiÀxouç 1 . 1 8 1tOTÉ 8 . 5 . 1 2.20. 6 1 rtpoÀdrtw, rtpoÀmoÜcr<XL 1 . 9 rtportɵrtw, rtpoÜrteµrte 1 . 26
rtpocr<Xuaii w , rtpocr'Y)Ull<X 1 .23 rtp6cr6ev 8 . 1 0 rtp6cppwv 1 .22 rtpW'tOÇ, rtpw't'Y)Ç 6 . 3 ; rtpwncrTOV 1 3 1tUXLVOÇ, 1tUXLVOV 8 . 5 9 rtUÀ'Y), rtUÀ<XL 1 . 1 1 ; rtuÀÉwv 1 . 1 7 rtuµ<XTOÇ, rtuµ<XTOV 8 . 42 rtuv6iivoµ<XL, rtEUO'?J 1 0.4 ; rtu6fo6<XL 1 .28 rtÜp 8 . 5 6 ; rtup6ç 1 2 . 1 O'EÀ�V'Y) 1 1 . 1 ; O'EÀ�V'Y)Ç 1 0.4 cr'ijµ<X, cr�µ<XT<X 8 . 2 . 5 5 ; 1 0 . 2 crxŒv'Y)µL, crxLllviiµevov 2 . 3 crrtÉpx w, 0'1tE P XOL<XTO 1 . 8 O'TELVOÇ, O'TELVO'tEp<XL 1 2 . 1 crT1j6oç, O'T�6emv 6 . 6 O'Tuyep6ç, O'Tuyepoi:o 1 2.4 cruviiopoç 1 .24 O'UVEX�Ç, O'UVEXÉÇ 8 . 6 cruvixw, cruvixecr6<XL 8 . 2 3 Q'UVLO'T'Y)µL, O'UVLO'Tiiµevov 4 .4 O' Up LyÇ, O'UpLyyOÇ 1 . 6 ; O'UpLyÇLV 1 . 1 9 crcp<Xtp<X, crcp<Xtp'Y)Ç 8.43 TÉ6'Y)rt<X, TE6'Y)rtOTEÇ 6 . 7 TEÀWTiiW, TEÀEUT�O'OUO'L 1 9 . 2 TEÀÉW, TETEÀEcrµÉvov 8.42 T'ÎjÀE 8.28 Tle'Y)µL, É6EVTO 8.55 TLTcx.lvw, -rr:roclvouaocL 1 . 5 TOfü 5 . 2 TOXOÇ, TOXOU 1 2. 4 T01tOÇ, T01tOV 8 . 4 1 Tpiicpw, 'tp<XtpÉVT<X 1 9 .2 TU<pÀÛÇ, TUtpÀOL 6.7 ull<XTOpLÇoç, ull<XTOpLÇov 1 5A urtÉp6upov 1 . 1 2 urtollixoµ<XL, urtellÉÇ<XTO 1 . 22 lJO'TEpoç, lJO'TEpov 8 . 1 0 tp<XVOÇ, tp<Xvov 8 . 4 1 tp<XTlÇw 8.60 ; rtecp<XncrµÉvov 8 . 3 5 cpÉpw, cpÉpeL 1 . 3 ; cpÉpoumv 1 . 1 . 25 ; cpe'pov 1 .4 ; tpEpOµ'Y)V 1 . 4 tp'Y)µL, cpfo 6<XL 8 . 8 ; cpii'tt) J . 2 3 ; tp<XTÔV 8 . 8
282
q>À6�, q>Àoy6 ç 8 . 5 6 ; 1 2. 2 q>opÉw, q>opouv-r<XL 6 . 6 q>p&�w 2.6 ; q> ptXO"<XLÇ 2 . 8 ; q>p<i�Ecrfl<XL 6 . 2 q>povÉw, q> povÉEL 1 6 .3 q>uÀov, q>UÀ<X 6 . 7 q>ucrLç 1 6 . 3 ; q>umv 1 0. 1 . 5 q>uw, Ëq>u 1 0. 6 ; 1 9 . 1 ; q>uv 8 . 1 Ü q>WÇ 1 4 ; q>tXOÇ 1 . 1 Ü ; 9 . 1 ; 'f'tXEOÇ 9 . 3 q>wç, q>w-r<X 1 . 3
zdp, XELpL 1 . 22 ; XELp<X 1 . 22 ; XEpcrl 1 . 1 0 zdpwv, XELp6-rEpov 8.24 zvol11, XVOL7)0"LV 1 . 6 xpfoç 8 . 9 X P EW 1 . 28 X P EWV 2 . 5 ; 8. 1 1 . 54 ; X P E6v 8.45 X P � 6.1 ; zpîjv 1 . 32 zpwç, X P O<X 8.41 xwplç 8 . 5 6
X<XLpw, X<XÎ:pE 1 .26 X<XÀ<i�w, X<XÀ<icr<Xcr<X 8. 1 4 z&crµ"' 1 . 1 8
wflÉw, wcr<iµEV<XL 1 . 1 0 ; WO"ELE 1 . 1 7 W0"7tEp 8 . 1 6 WO"TE 8. 1 8
Index des pas sages d'auteurs anciens
A ÉTIUS I, 3, 8 (58 B 1 5) 25 n. 1 , 242 I, 23, 7 (22 A 6) 1 66 I, 24, 1 (28 A 29) 27 II, 7, 1 : 28 A 37 I 35, 206, 208, 209, 2 1 2, 21 5-221 , 223-225 A 37 II 1 94, 235, 241 A 37 III 213 II, 1 1 , 1 ; 1 4, 3 (1 3 A 1 3 ; 1 4) 216 II, 1 3, 8 (28 A 39) 2 1 2, 2 1 3 II, 1 5, 7 (28 A 40 a) 213 II, 20, 8 (28 A 43) 235 I I , 2 5 , 3 ; 2 8 , 5 (28 A 42) 235 212 III, 1, 4 (28 A 43 a) III, 1 , 6 (68 A 9 1 ) 212 III, 1 5, 7 (28 A 44) 240 V, 7, 2 (28 A 53) 260 V, 7, 4 (2 8 A 53) 259, 264 A LCÉE, fr. 23 Diehl 116 A LCMÉON (DK 24 A 1 3) 262 A LEXANDRE D'APHRODISE 1 90 In Meta., p . 3 1 . 7 Hayduck Ps.-ALEXANDRE 115 In Meta., p. 805 . 20 Hayduck AMMONIUS, ln De lnterpr. 1 24 p. 1 36 . 24-25 Busse A NAXIMANDRE : DK 1 2 A 1 5 219 A 22 1 94 A NAXIMÉME (DK 1 3 B 1 ) 1 92, 1 93 ANONYME DE BYZANCE, éd. Treu p. 52 . 1 9 (28 A 40) 24, 2 1 2
ARCHILOQUE, fr. 68 Diehl ARISTOPHANE Nuées, 285 Oiseaux, 693-702 ARISTOTE Métaphysique A, 3, 983 b 21 -23 A, 4, 9 8 4 b 26 A, 4, 9 8 4 b 24-31 A, 5 , 9 8 6 b 3 A, 5 , 9 8 6 b 34 A, 5 , 987 a 2 r, 1 003 a 21 r , 2, 1 003 b 26-27 r , 2, 1 004 b 27-28 r, 5, 1 009 b 1 7- 1 9, 2 1 r, 5, 1 009 b 22-25 11, 6, 1 0 1 6 b 4-5 E , 1 , 1 026 a 24, 30 3 1 Z, 7, 1 032 a 25 Z, 1 5, 1 040 a 31 I, 2, 1 053 b 20-21 K, 4, 1 06 1 b 1 9 A, 6 , 1 07 1 b 26-28 N, 2, 1 089 a 4 Physique I, 5, 1 88 a 2 0 I, 8, 1 9 1 a 28-33 III, 4, 204 a 5 III, 6, 207 a 9 (28 A 25) III, 6, 207 a 1 7
244 48 231
239, 242 28 230, 231 1 92 1 9 1 , 241 191 24 1 38 105 246 243 1 39 24 1 40 234 1 38 24 57 n . 1 115 29 1 45 1 59
27 1 24
PARMÉNIDE
284
IV, 6, 2 1 3 b 22-23 1 44, IV, 1 3, 222 a 1 0- 1 2 V , 1 , 2 2 5 a 1 3-b 3 V, 3, 227 a 1 1 - 1 2 Parties des animaux 258, II, 2, 648 a 28 s. Génération des animaux IV, 1 , 763 b 33 S . Génération et Col'Ttlption I, 8, 325 a 4, 1 7 I, 8, 325 a 1 3 (28 A 25) II, 3, 330 b 1 3- 1 5 (28 A 35) II, 6, 334 a 5 Météorologiques II, 1 , 353 a 35-36 Du Ciel I, 9, 278 b 1 1 -21 I, 9, 2 7 9 a 1 2 II, 1 3, 293 a 32-33 II, 1 3, 294 a 2 Éthique à Nicomaque VI, 9, 1 1 42 a 1 5 s. Ps.-ARISTOTE, De Melisso Xenophane Gorgia, éd. Bekker 976 a 8- 1 0 978 b 8 - 1 0 A SCLÉPIUS, In Méta., éd. Hayduck p . 38 . 1 7- 1 8 ; 42 . 30-3 1 p. 202 . 1 6- 1 8
151 1 39 1 07 1 39 260 259 1 44 27 241 242 242 214 1 66 1 83 1 56 58
1 25 1 24 1 24 1 25
BASILE DE CÉSARÉE, Scholie in Hom. in Hexaifmeron, 25 239 BOÉCE, De la consolation 1 25 III, prose 1 2 1 37 n. 3, 1 54 V , prose 6 CAELIUS A URELIANUS Tardae Passiones, IV, 9, 1 34 CENSORINUS, De die natali 5, 2 ; 5, 4 6, 5 ; 6, 8 CICÉRON A cad. Pr., II, 23, 74 De na!. deor. I, 1 1 , 27 (24 A 1 2) I, 1 1 , 28 (28 A 37 IV)
261 262 263 70 220 220
-
LE POÈME : FRAGMENTS
CLÉMENT D'A LEXANDRIE, Stroma/es V, 2, 1 5, 5 (II, 335 . 25-28 St.) 91 41 V , 9, 5 9 , 6 (II, 366 . 1 6- 1 7 St.) 1 24 V, 1 4, 1 1 2, 2 (II, 402 . 8-9 St.) V, 1 4, 1 38, 1 (II, 41 9 . 1 4-20 St.) 204 VI, 2, 23, 3 (II, 440 . 12 St.) 87 DAMASCJUS Des premiers principes, éd. Ruelle ch. 34 (I, 67 . 23 R.) ch. 60 (I, 1 3 1 . 7 R.) ch. 276 (II, 1 46 . 5 R.) DÉMOCRITE (DK 68 A 1 4 1) DIOGÈNE D'APOLLONIE (DK 64) A 24 ; A 27 ; B 6 B5 DIOGÈNE LAËRCE VII, 1 59 VIII, 26 IX, 1 9 5, 7, IX, 2 1 41, IX, 22 IX, 23 É LIEN De la nature des animaux, 1 4, 27 EMPÉDOCLE (DK 3 1 ) A 86 ( § 1 2 e t 1 5) B8 B 1 06 B 115. 9 É NÉE LE T ACTICIEN, c. 1 8 É PICHARME (DK 23) B2 B9 É PICURE A Hérédote, 66 scholie ESCHYLE fr. 61 Nauck Les Euménides, 659 Les Perses, 991 -992 Prométhée enchaîné, 9 1 1 49 Les Suppliantes, 572
91 1 24 1 24 262 262 219 262 201 131 239 115 6
207 253 209 246 212 53 1 53 267 262 229 21 7 245 48 21 1 246
285
INDEX DES PASSAGES D 'AUTEURS ANCIENS
EUDÈME DE RHODES fr. 1 50 Wehrli VIII EURIPIDE fr. 904 . 1 1 N auck Les Phéniciennes, 1 067 EUSÈBE, Prép. Évang. XIII, 1 3, 39 ; XIV, 4, 6 GALIEN In Épid. XVII, p. 1 002 Kühn
57 n. 1 242 1 75 1 24 258
H ÉRACLITE (DK 22) 28, 1 04, 1 09, 250 B 1 96, 249 B2 263 B 8 1 06 B 1 0 ; 53 ; 59 ; 1 02 ; 1 1 1 ; 1 26 108 B 14 a 1 07 B 1 7 ; 1 9 ; 34 ; 87 ; 1 07 227 B 20 50, 53 B 28 27, 35, 37, 1 53, 266 B 30 27 B 31 25 n. 1 B 35 1 1 1 , 247 B 40 28, 50, 2 1 9 B 41 1 05 B 49 a 29, 65 B 50 1 1 4, 262 B 51 1 06, 1 1 3, 1 1 4 B 60 37, 1 05 B 62 219 B 64 1 06, 221 B 67 29, 96, 221 B 80 38 B 84 a 1 06, 1 1 0 B 88 50, 53, 206, 209 B 94 206 B 1 00 96 B 1 03 ; 1 1 3 1 07, 247 B 1 04 50, 96, 247 B 1 14 HÉRODOTE, Histoires 1 58 I, 74 1 79 I, 82 ; V, 49 6 I, 1 66 5 I, 1 67 1 52 VI, 98
HÉSIODE 21 1 Théogonie, 1 1 7 231 1 20 201 1 26-1 27 55 1 3 5 ; 371 -372 ; 4 1 9 1 57 517 48 744 49 750 50 901 -902 Les Travaux et les jours 1 96 24 26 26 53 259-260 HIPPOLYTE, Refut. omnium haeresium 27 I, 11 (Dox., p. 564 28 A 23) 262 HIPPON (DK 38 A 1 2 ; 1 3) HOMÈRE 56 !liade, I, 69-70 231 I, 469 21 1 497 1 88 526 206 II, 3 1 8 1 83 384 205 455 225 755 44 III, 406 208 IV, 44 1 59 1 75 235 V, 214 21 1 360 54 425 47 n. 1 720-732 50 749 205 n. 1 757 ; 872 208 769 205 880 ; 897 50 VI, 89 1 76 118 226 1 46 1 96 208 1 57 458 70 VIII, 41 -46 43 392 S . 50 393 =
PARMÉNIDE
286
558-559 IX, 49 436 XI, 1 5 5 XIV, 201 ; 246 ; 302 315 XV, 1 92 XVII, 447 XIX, 3 1 7 400-424 XXIV, 446 488 Oc!Jssée, 1, 22-24 442 V, 2 1 2 218 VI, 1 00 X, 303 XI, 433 501 XII, 1 27 S . ; 323 XIII, 22 112 XVIII, 1 36-1 37 219 XIX, 409 XXI, 46 S . 1-lymnes homériques A Aphrodite I, 244-246 1-lymnes orphiques, 54, 1 0
208 56 205 205 240 231 49, 208 213 47 46 54 208 206 51 1 94 58 1 77 204, 250 1 75 226 48 47 44 244 235 171 51
IBYCOS, fr. 324 Page
232 n. 2
J AMBLIQUE Vie pythagorique, 1 66 (28 A 4)
59 234
24
LACTANCE 263-264 De l'œuvre de Dieu, 1 2, 1 2 (LONGIN] , Du Sublime 26 n. 1 , 1 97 XIII, 2 LUCRÈCE 35 I, 73 ; II, 1 1 44- 1 1 45 219 V, 1 07 MELISSOS (DK 30) B l B 8
1 45 1 20
-
LE POÉME : FRAGMENTS
M ÉNANDRE, La femme aux cheveux coupés, 435 MÉNANDRE DE LAODICÉE Rhétorique, I, 2, 2 (28 A 20) MIMNERME, fr. 2 Diehl ÜLYMP!ODORE ln Phaedonem, X I I I , 2
229 n. 5 70 226
1 24
1 92 PHILOLAOS (DK 44 B 1 0) PHILOPON In Physica, éd. Vitelli p. 65 . 7 ; 65 . 9 ; 65 . 1 1 ; 475 . 3-4 124/125 PINDARE 48 fr. 1 07 Schroeder 55 Isthmiques, 5 . 1 44 O!Jmpiques, 2. 77 70 6 . 22 S . 53 Pythiques, 9 . 43 226 8 . 1 36 PLATON 230 Banquet, 1 78 b 235 Cratyle, 409 b 6, 57 Parménide, 1 27 a-b 1 39 1 37 b 5 n. 1 République, 408 b 6, 8 Sophiste, 2 1 7 c 8, 1 1 5, 1 1 6, 1 1 9 n. 1 237 a 81 238 e 1 23 239 b 80, 1 1 6 241 d 1 24, 1 78 244 e 1 1 5, 1 1 6, 1 1 9 n. 1 258 d 1 78 Théétète, 1 55 a 1 67, 1 68 1 80 d-c 1 24 1 80 e 27 1 8 1 a (28 A 26) 6 1 83 e 1 29 Timée, 22 c 1 32 n. 2 28 b 1 97 29 c 227 29 e 1 32 31 b 231 40 d-e
I NDEX DES PASSAGES D 'AUTEURS ANCIENS
44 e 245 48 d 1 97 86 b - 87 e 5 n. 1 PLOTIN, Ennéades 87 V, 1 (1 0] , 8 ; V, 9 [5] , 5 1 24 VI, 4 [22] , 4 PLUTARQUE Moralia De audiendis poetis, 2, 1 6 c 69 237 Quaest. Rom., 76, 282 b 207 De Is. et Osir., 43, 368 b 135 De E, 1 9-20, 403 b - 404 b 230 Amatorius, 1 3, 756 j De facie in orbe Junae 1 6, 929 b 237 25, 939f 207 Adv. Colotem 1 24, 21 1 1 3, 1 1 1 4 b-c 1 3, 1 1 1 4 d-e 41 1 5, 1 1 1 6 a 234 Vitae Solon, 25, 92 a 47 n. 1 Publicola, 1 0, 3 ; 1 02 b 5 Ps.-PLUTARQUE Stroma/es, 5 (A 22)
27, 1 24, 240
PROCLUS In Plat. Parmenidem, éd. Cousin p . 61 9 . 4 (28 A 4) 24 639 . 29-30 1 24 665 . 24 . 26 . 28-29 124/125 96/124/125 708 . 1 3 . 1 6- 1 7 . 20 1 078 . 4-5 75 124/125 1 080 . 1 -2 ; 1 084 . 28-29 1 1 29 . 31 -32 ; 1 1 34 . 22-25 124/125 1 24 1 1 52 . 25 . 27 . 29 . 31 . 35-36 87 n. 1 1 1 52 . 33 1 1 52 . 37 91 1 24 1 1 77 . 5 In Plat. Timaeum, éd. Diehl 41 I, 345 . 1 5- 1 6 I, 345 . 1 8-27 75 II, 69 . 20-21 125 Theologia platonica 1 24 III, 20, p. 70 . 6- 1 0 Saffrey-West.
PTOLÉMÉE Geogr., III, 1 , 8
28 7
5
S ÉMONIDE o'AMORGos 226 fr. 29 Diehl S EXTUS EMPIRICUS Adversus Mathematicos 41 , 1 1 5, 1 24 VII, 1 1 1 50 VII, 1 1 3-1 1 4 230 IX, 9 131 IX, 1 44 24 X, 46 (28 A 26) S IMONIDE DE CÉOS 235 n. 2 fr. 575 Page (24 Diehl) S IMPLICIUS In A rist. De Caelo, éd. Heiberg 1 24 p. 1 37 . 3-6 24 556 . 25 1 24 557 . 1 8 ; 559 . 1 7 41 557 . 25-558 . 2 61 557 . 26 1 25 558 . 5-6 1 87 558 . 6-7 27 . 265 558 . 8 265 558 . 9- 1 1 210 559 . 20-21 . 22-25 . 26-27 In Physica, éd. H. Diels 1 90, 241 p . 25 . 16 (28 A 34) 1 67 29 . 1 6- 1 7 1 24, 1 68 29 . 1 8 1 24, 1 3 1 30 . 1 -3 124/125 30 . 6-1 0 . 1 7- 1 8 1 87 30 . 1 8- 1 9 ; 30 . 23-3 1 . 2 1 93 3 0 . 27 1 94 3 1 . 3-4 191 3 1 . 8-9 222 3 1 . 1 3- 1 7 ; 39 . 1 4- 1 6 224, 228 34 . 1 4- 1 5 1 25 38 . 31 -32 ; 41 . 8-9 1 87 38 . 31 -39 . 9 29 39 . 1 0 . 1 2 231 39 . 1 3 228 39 . 1 7 230 39 . 1 8 1 24 39 . 27-40 . 1 ; 40 . 3-6
288
124/125 52 . 23 . 26-28 1 44 78 apparat, 1. 1 1 1 00, 1 1 8 78 . 3-4 1 1 5, 1 1 8 78 . 6 1 1 8, 1 24, 1 3 1 78 . 8-1 0 . 1 2-23 1 30 78 . 1 1 1 24 79 . 32-80 . 2 ; 86 . 22 . 24 1 00 86 . 27-28 1 24, 1 65 86 . 3 1 - 87 . 1 1 68 87 . 1 1 24 87 . 1 4- 1 6 . 23 161 87 . 1 7- 1 8 1 24 89 . 22-24 ; 1 20 . 23 1 25 1 07 . 26 75, 1 04 1 1 6 . 28- 1 1 7 . 1 1 00, 1 04 1 1 7 . 4- 1 3 1 25 1 26 . 22-23 ; 1 27 . 3 1 ; 1 33 . 27 115 1 35 . 21 -22 1 25 1 37 . 1 6-1 7 ; 1 43 . 6 1 24 1 42 . 34-36 ; 1 43 . 3 1 24, 1 68 1 43 . 1 0 1 24 1 43 . 1 3 . 1 5 . 22-25 115 1 43 . 3 1 - 1 1 4 . 1 1 24, 1 3 1 , 1 45 . 1 - 1 46 . 24 1 65, 1 68, 1 69 1 65 1 46 . 9 1 74 1 46 . 1 9 1 75 1 46 . 22 1 87 1 46 . 24-25 ; 1 80 . 1 -7 1 24 1 46 . 30 ; 1 62 . 1 8-22 1 98 1 80 . 8 . 9-1 2 115 244 . 1 -2 ; 650 . 1 3 1 25 502 . 6-7 35 558 . 8 1 37 n. 5 775 1 37 n. 2 784 27 887 . 1 S OPHOCLE 65 Œdipe à Colone, 609 21 1 1 655 21 1 Œdipe Roi, 867
PARMÉNIDE - LE POÈME : FRAGMENTS
Les Trachiniennes, 272 STOBÉE, Eclogae I , 9 , 6 (I, 1 1 3 . 4 Wachsmuth) I , 1 4, 2 CI; 1 44 . 1 2- 1 4 W.) Suda, s.v. « Elée » s.v. « Parménide » T HÉOCRITE Idylle 2, Les Magiciennes Idylle 1 1 , Le Cyclope, v. 80 Idylle 1 3, Hylas, scholie THÉODORET DE CYR Thérapeutique des maladies helléniques, éd. Raeder I, 72 (22 . 1 7- 1 8 R.) II, 1 5 (40 . 1 5 R.) ; II, 1 08 (65 . 7 R.) ; IV, 7 ( 1 02 . 1 2- 1 3 R.) , T HÉOGNIS, Elégies V. 425-428 V. 1 257 T HÉOPHRASTE Opinion des Physiciens § 6 a (Dox. 482 . 1 4- 1 5) § 1 7 (Dox. 492 . 8) Sur les sensations § 2 (Dox. 499 . 1 2- 1 3) 3 (Dox. 499 . 1 6) 3 (Dox. 499 . 1 8-21) 3-4 (Dox. 499 . 1 3-500 . 5) 8 (Dox. 501 . 1 0- 1 1) 66 (Dox. 5 1 8 . 1 0) TIMON DE PHLIONTE Si/les, fr. 46 Diels X ÉNOPHANE (DK 2 1 ) B 2. 13 B 24 B 25 ; B 26 X ÉNOPHON Mémorables, 4, 4, 7
247 230 1 25 5 8
207 265 232 n. 1
91
1 24 226 246
7 239 254 252, 253 243 253 257 245 1 75
111 66, 1 3 1 1 57 252
Table des matières
INTRODUCTION, 5 Abréviations bibliographiques . Bibliographie, 9 PRÉSENTATION. Les deux gestes de Parménide, 23 1 - L'ALL É GORIE Fragment 1 Pourquoi le Proème ?
41 65 II - LA VÉRIT É
Fragment Fragment Fragment Fragment
2 3 4 5
75 87 91 96
Fragment 6 Fragment 7 Fragment 8
1 00 115 1 24
III - LE MYTHE Fragment 8 (suite) Fragment 9 Fragment 1 0 Fragment 1 1 Témoignage A 37 1 Fragment 1 2 Fragment 1 3
1 87 1 98 204 210 21 5 222 230
Fragment Fragment Fragment Fragment Fragment Fragment Fragment
CONCLUSION, 269 Index des sources, 273 Index des mots grecs, 277 Index des passages d'auteurs anciens, 283
14 15 1 5a 16 17 18 19
234 237 239 243 258 261 265
DU M Ê M E AUTEUR
Montaigne ou la conscie!zce heureuse, Éd. Seghers, 1 964 ; 4' é d . , Éd. de Mégare, 1 99 2 . Lucrèce e t l'expérience, E d . Seghers, 1 96 7 ; 4 ' é d . , E d . d e Mégare , 1 996. Pyrrhon ou l 'apparence, Éd. de Mégare, 1 9 7 3 ; rééd . , PUF, c o l l . « Perspectives criti ques » ,
1 994.
ques » ,
1 990 ;
La mort et la pensée, Éd. de Mégare, 1 9 7 3 ; 2' é d . , 1 9 7 5 . Orientation philosophique, É d . d e Mégare, 1 9 7 4 ; réé d . , P U F , coll. « Perspectives criti réimpr. ,
1 996.
Épicure : Lettres et maximes, texte gre c , t�aduction, introduction et n o t e s , É d . d e Mégare ,
1 992 ; y
1 9 7 7 ; 2' é d . , PUF, c o l l . 1 995 ; 6' é d . , 1 999.
« Epiméthée » ,
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1 990 ; 4'
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Octave Hamelin : Sur le « De Falo » , p u blié e t annoté par M a r c e l C o n c h e , É d . d e Mégare,
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Héraclite : Fragmen ts, texte établi, traduit et commenté, P U F , coll. « Épiméthée » ,
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Nietzsche et l e bouddhisme, E n c r e Marine, 1 99 7 . A n aximandre : Fragments e t témoignages, texte, traduction, introductio n , commentaires,
PU F ,
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V ivre et philosopher. Réponses aux questions de Lucile Laveggt� PUF, coll. « Perspectives critiques » ,
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A na!Jlse de l'amour et autres sujets, PUF, coll. « Perspectives critiques » , 1 99 7 ; 3'. é d . ,
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L 'aléatoire, Éd. de Mégare , 1 989 ; rééd. , PUF, coll. « Perspectives critiques » , 1 999. J\!la v i e an térieu re, Encre Marine, 1 998. L e sens d e l a philosophie, E n c re Marine, 1 999. L e destin d e l a solitude, Encre Marin e , 1 999.