Revue L’ESPACE CULTUREL
Vol. 2 no 1 MARS 2018
ARM NIE ARMÉ É Célèbre Son Centenaire
ÉDITEUR EN CHEF: MARIA BELEN ALONSO
Revue V O L .
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N O .
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M A R S
«En créant le monde,
À travers un immense tamis, La terre molle est tombée d’un côté Et les pierres de l’autre, Exactement là où se situe l’Arménie d’aujourd’hui. » -Légende arménienne
SOMMAIRE Éditorial
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Ararat
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Diaspora
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Génocide
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Erevan
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Architecture
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Photographie
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Bibliographie
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ÉDITORIAL Maria Belen Alonso
Dieu a déversé de la terre et des pierres,
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our les Arméniens, 1918 fut une année d’espoir. Une année où ils ont entraperçut un avenir où leur civilisation serait reconnue, forte, indépendante, et plus que toute autre chose, en paix, après tant d’années vécues sous les empires qui se sont relayés pour son contrôle. Nous autres, occidentaux, à l’aube du Krash, avons pris pour acquis la situation au Caucase. Nous avons fermé les yeux, sous la pression du jazz, du glam des flappers, du champagne fruité de qualité. Nous avons fermé les yeux sur cette petite république, qui ne voulait que la paix. Ce n'est qu'en 1995 que la république actuelle vit le jour, une simple continuité de celle établie au début du centenaire. Mais pour les Arméniens, elle marque une victoire. Une victoire pour un peuple qui, depuis le Royaume d'Urartu, celui d’avant la naissance du Messie, fût bafoué par les grandes puissances limitrophes. Principalement par leur singularité, à ces chers habitants arméniens. Ils
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étaient le grain de sable dans la collectivité de l'Asie mineure, et ils étaient les seuls à parler leur langue, l'arménien (elle est encore aujourd'hui la langue d'usage) et les seuls à être catholiques, dans le temps où les chrétiens étaient plus persécutés qu'autre chose. Et sans oublier le génocide encore ancré dans la mémoire collective, où 1.5 millions d'arméniens sont morts, dans un nettoyage racial sans scrupules. Aujourd’hui, la République d’Arménie se souvient. Ses enfants portent la mémoire de cette horreur. Par contre, ils ne laissent pas ceci les démolir. L'Arménie prend de cet évènement une nouvelle raison pour honorer les citoyens d'antan. Et elle rêve d’un l'avenir proche, où elle retrouvera l'importance historique de leur société. Et maintenant, plus que jamais, l'Arménie célèbre. Elle célèbre ses 100 ans d'histoire de la république, entrecoupés d'occupation soviétique et ottomane, mais toujours présente, toujours une société distincte dans la région du Caucase. Et nous, citoyens de la Terre, célébrons avec elle. C'est pour cela que la société REVUE GÉO dédie le numéro 679 de sa collection au pays des mille et un rêves, des mille et un espoirs. Rendez-vous dans une civilisation où le passé est présent, où tout les regards pointent vers le futur, avec l'étincelle de l'intelligence de jadis.
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L’ARARAT, LE MÉLANCOLIQUE PAR WILLIAM S. ELIIS
Jean-Baptiste Tavernier sillonne l’Orient au XVIIe siècle. Lors d’un voyage en Perse, il dépeint, tel un géographe, la masse monumentale de l’Ararat, si imposante que dit-il, “elle passe en hauteur toutes les montagnes voisines, et en mon premier voyage, je la vis de cinq journées […]. Elle est comme détachée des autres montagnes de l’Arménie qui font une longue chaîne, et depuis le milieu jusqu’au sommet elle est continuellement couverte de neige. Aussitôt que les Arméniens la découvrent, ils baisent la terre puis, levant les yeux au ciel, ils font un signe de croix et dissent quelques prières.” Encore aujourd’hui, le mont Ararat ne cesse de laisser béat les visiteurs, par sa splendeur et magnificence mélancolique, manifestation de la tristesse nationale arménienne.
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OH MON CHER ARARAT!
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EN 8: 1Et Dieu se souvint de Noé, de tous les animaux et de tout le bétail qui étaient avec lui dans l’arche; et Dieu fit passer un vent sur la terre, et les eaux s’apaisèrent. 2Les sources de l’abîme et les écluses des cieux furent fermées, et la pluie ne tomba plus du ciel. 3Les eaux se retirèrent de dessus la terre, s’en allant et s’éloignant, et les eaux diminuèrent au bout de cent cinCaption describing quante jours. 4Le septième mois, le picture or graphic. dix-septième jour, l’arche s’arrêta sur les montagnes d’Ararat. Nous connaissons tous la suite de cette histoire. Noé lâcha une colombe, et elle revint avec un rameau d’olivier. Et Dieu s’adressa alors à Noé, lui demanda de descendre de l’arche tous les animaux, puis forma l’Alliance avec celui-ci, que l’on voit toujours dans le ciel, chaque fois que le Soleil se pointe après la pluie. Et l’arche? Où est passé un tel vais-
seau? Selon le récit, elle repose encore aujourd’hui au sommet de la contrée d’Ararat, en Arménie. Pour les fervents chrétiens, elle est enfoncée plus précisément dans le flanc du mont sud, en attente d’un quelconque intrépide explorateur. Du moins, c’est ce que raconte le livre de la Genèse. Malgré les difficultés qu’éprouvent qui veut atteindre le sommet, l’Ararat reste avant tout « la montagne d’Arménie où s’arrêta l’Arche ». Mythiques, ces volcans ont étés cités pour la première fois dans la Genèse. Voltaire, dans une œuvre de 1764, évoque le mythe biblique. Il ne cache pas son incrédulité face aux récits de la Bible: « Il y a trente opinion sur cette montagne. Comment démêler le vrai? » Mais en revenant sur les descriptions bibliques, il confirme la tradition qui s’attache à ce sommet où, selon les Écrits sacrés, se situait le paradis terrestre, et ajoute: «Celle
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que les moines arméniens appellent aujourd’hui Ararat était, selon eux, une des bornes du paradis terrestre, paradis dont il reste peu de traces. » Réaliste, Voltaire ne laisse que peu d’espoir à ceux qui se méprendraient de chercher quelque chose de cet espace mythique. Il dit, et je cite: « C’est un amas de rochers et de précipices couverts d’une neige éternelle.» Descente de Noé du Mont Ararat, aquarelle sur toile. Oeuvre du peintre russe Ivan Aivazovsky, ceci démontre à quel point le mont mythique est associé au début de l’Humanité. Pour plusieurs, l’Ararat est le mont où repose l’Arche biblique. (Cidessus)
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PHYSIQUEMENT
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’est pourquoi, à l’aube du centenaire de la République d’Arménie, en cette édition spéciale de GEO, j’ai décidé de vous faire connaître l’emblème du pays, le Mont Ararat. Et cela, accompagné tous les mystères qui y habitent, dont le plus perpétuel, celui de l’arche de 137 mètres de long, qui a abrité le monde tel qu’on le connaît. Porte 22, Aéroport Zvartnots, Erevan, capitale arménienne. Celui-ci est l’aéroport le plus fréquenté du Caucase entier, ayant atteint les 1 638 000 passagers dans la dernière année seulement. Dans cette masse humaine, il est difficile de s’y reconnaître, mais mon guide, engagé pour une expédition en région aux monts Ararat, a de la pratique, bien visiblement. Il faut savoir que dès l’an 100, l’historien romain Flavius Josèphe accrédite le lieu du repos de l’arche au royaume d’Ararat, principauté jadis occupant le territoire actuel arménien. Il va donc de soi que l’économie locale est fortement développée pour la randonnée au sommet du mont mythique. Les monts Ararat, localisés à la limite entre la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Iran et l’Arménie, culminent à 5165 mètres (Grand Ararat) et 3925 mètres (Petit Ararat). Ils sont reliés par un plateau de lave, étant tout deux des volcans inactifs, dont la dernière explosion remonte au 2 juillet 1840. Seulement à 65 km d’Erevan en direction SW, il est facilement visible par son sommet où trône une calotte de neige éternelle.
NATIONALEMENT
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our les Arméniens, les monts Ararat sont à la fois un symbole nationaliste et mythique. En effet, ceux-ci sont affichés sur l’emblème arménien, et composent une partie importante de la vie quotidienne. On le dénote aussi sur la façade de la majorité des bâtiments officiels. Dès ma sortie de l’aéroport, il est impossible
de ne pas remarquer la masse imposante des montagnes. Ils représentent la nation arménienne, et est souvent dépeint par les artistes du pays. En effet, pour les habitants du pays, le massif, bien que partagé entre la frontière turque et arménienne, symbolise la perte du temps et d’espace. Comme expliqué par mon guide, Ararat est le témoin de la place que ceux-ci ont perdu suite au génocide arménien du début du XXe siècle, et de l’exil d’une énorme partie de la population chrétienne. Et encore aujourd’hui, 80 ans plus tard, le souvenir est encore vif dans la mémoire des descendants des victimes. Et la rancune aussi. À le regarder parler, je peux vous affirmer que mon guide, Hayk Chevsyan, ne tient pas les Turcs dans son cœur. Mais il m’en parle quand même, peu importe. Il faut comprendre que le mont Ararat est séparé du territoire de l’Arménie après le génocide des années 192 0. C e pe ndant , avant, la montagne était en leur territoire, et ce, depuis des millénaires. Elle représentait la foi chrétienne en Caucasie, étant donné que non seulement c’est le lieu où supposément
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Hors des frontières de l'Arménie, mais au coeur de l'arménité, la masse formidable de l'Ararat s’élève majestueusement, dominant la vallée de l'Araxe. En dépit des frontières, le sommet mythique veille depuis 1700 ans, du haut de ses 5 165 m, sur le monastère de Khor Virap, haut lieu de la chrétienté arménienne. (Cidessus) Carte de l’emplacement de la montagne selon le contexte géopolitique d’aujourd’hui. (Ci-dessous)
l’Arche s’échoua, mais aussi, étant l’emblème de l’Arménie, elle représente le phare qui a illuminé la civilisation arménienne à travers les âges.
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Et le fait que l’Ararat soit du côté turc, ne fait qu’empourprer les esprits déjà assez livides de chaque pays. De plus, ce qui embrouille encore le débat entourant la montagne est le fait que pour les turcs, ce n’est qu’une montagne. Ce n’est qu’une montagne. Mais pas pour les Arméniens. L’Ararat représente le passé perdu, ce qui aurait pu être, et ce qui n’est pas. Et ce qu’ils rêvent d’être.
Vue du coucher du soleil à Erevan, capitale de l’Arménie. Au lointain, on peut apercevoir les deux sommet de l’Ararat, Massis et Sis, le grand et le petit, si gigantesques que même à des dizaines de kilometres ils coupent le souffle rien quand les regardant. (Ci-dessus)
AU VIEUX DÔME DE L'ARARAT Au vieux dôme de l’Ararat, Un siècle est venu, comme une minute, Puis est passé. L’épée d’innombrables éclairs, S’est brisée contre le diamant, Puis est passée. Le regard des générations paniquées devant la mort S’est posé sur le sommet lumineux Puis est passé. C’est maintenant ton tour, un moment ; Toi aussi regarde le front altier Et passe… -Avetik Isahakian (1875 - 1957), poète arménien
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LA DIASPORA ARMÉNIENNE Seul un Arménien sur trois habite le territoire du pays en Caucasie, le reste sont éparpillés à travers le monde, principalement dans les pays occidentaux. Témoignages des persécutions subies pendant les cents dernières années, la diaspora arménienne est le fruit de vagues successives, la dernière datant d’il y a dix ans. Regard sur cette population qui accumule les prouesses et autres mérites loin de leur terre d’origine.
PAR DON BELT ET CATHY NEWMAN
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LA DIASPORA ARMÉNIENNE
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ombien de fois ai-je entendu mon interlocuteur s’exclamer : « Mais, Mademoiselle, il y a un monde entre les Arméniens de Turquie et les Arméniens de Russie ! » Et le geste, se joignant à la parole, mime dans l’espace du salon ce qui pourrait bien être un gouffre : sur chaque versant se tiendraient lesdits Arméniens, originaires d’empires distincts, mais dont l’existence se déroule aujourd’hui en diaspora loin de leur partie ancestrale. L’histoire précoce de la partition de l’Arménie s’est écrite sur le terrain militaire. Théâtre d’affrontements entre les puissances voisines, le pays a connu un morcellement régional ancien et complexe, taillant et retaillant des ensembles aux appellations diverses. La société arménienne, éclatée de part et d’autre de frontières politiques, a continué cepen-
dant de partager une religion, une écriture, une langue. Elle a maintenu, en situation d’altérité, la conscience de sa singularité. Mais l’histoire ne se vivait plus à un rythme commun. C’est ainsi que, à l’aube du XXe siècle, la présence arménienne se concentre à la lisière des trois empires orientaux – l’ottoman à l’ouest, le perse au sud-est et le russe au nord. Les débris de la nation arménienne commencent à se disperser de par le monde. Parmi les réfugiés qui échouent sur le sol français au début des années 1920, les Arméniens ottomans rescapés du génocide de 1915 représentent l’élément majoritaire de la « Grande Diaspora». En marge de leur exode, parviennent en France quelques centaines d’Arméniens originaires du Caucase russe.
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PAR DON BELT ET CATHY NEWMAN
Dès l’origine, la communauté arménienne présente des visages et expériences multiples. Elle est décrite par plusieurs experts comme étant une culture foisonnante, pleine de ressources et qui démontre un réel intérêt pour la patrie d’accueil, contribuant ainsi au bon développement de celle-ci.
LES FAITS
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éplions une carte. Dès les premiers moments de l’exil, des éditeurs arméniens prirent soin de la faire imprimer. Elle porte le titre d’Arménie historique et trace les contours d’un pays de référence dont Concentration de la diaspora arménienne par pays, en date de janvier 2009. (Ci-dessous)
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l’extension géographique surprend, car elle englobe des territoires qui cependant n’entrèrent dans son unité qu’à des périodes différentes. Patrie rêvée, patrie perdue, il s’agit d’une Arménie emblématique dont la permanence défie les fluctuations politiques rencontrées. Elle participe de l’élaboration d’une iconographie collective, qui serait cet outil symbolique permettant à un groupe d’assurer sa propre cohésion. Le risque de dilution au sein des empires a très tôt incité les Arméniens à véhiculer une vision unifiant de leurs destinées. Aujourd’hui, alors que les régions représentées demeurent quasiment vides de présence arménienne, la carte orne encore les murs de certains foyers, associations ou écoles, piquée parfois d’un petit drapeau. Qu’ils viennent de l’Empire ottoman ou tsariste, les réfugiés portent le souvenir de leur patrie perdue ; leur fuite constitue un épisode saillant des récits. Les Arméniens du Caucase et de Turquie arrivent en France dans une distribution sociale inversée : gens de plume et de pouvoir, membres de professions libérales, artistes et gros négociants, les premiers composent une élite urbaine et souvent russifiée; ils ont survécu aux persécutions quand la déportation des notables constitua le premier acte d’anéantissement des Arméniens ottomans. Les rescapés du génocide, dépouillés, endeuillés et le plus souvent originaires du monde rural anatolien, peinent à se familiariser avec la langue française et doivent déployer des stratégies d’adaptation à la ville. D’abord impulsée d’Istanbul en 1915, une extrême violence a détruit la société arménienne de l’Empire ottoman ; près de cinq ans plus tard, le communisme de guerre s’est abattu de Moscou sur la Transcaucasie, entraînant d’autres morts, d’autres fuites. Et, s’ils partent brisés de tristesse, sans bien savoir où, ils ont généralement pu se procurer de faux passeports et vendre à vil prix leurs derniers meubles. Plus au sud, sur les décombres de l’Empire ottoman, les réfugiés sont en majorité des
Royaume Ararat historique, tel que représenté par les experts arméniens. (Ci-haut) Témoignage de la présence arménienne en Russie, le bilinguisme. (Ci-contre) femmes et des enfants ayant survécu à une entreprise d’extermination de leur peuple. Ils ont perdu tout espoir de rapatriement dans leurs terres natales, attribuées à la jeune République turque. Dès lors, les puissances européennes en quête d’une main-d’œuvre peu coûteuse (au premier rang desquelles la France) organisent le départ des Arméniens en fonction des besoins quantifiés par les entreprises. Beaucoup s’embarquent collectivement pour l’Europe, munis d’un contrat de travail.
FRANCE, HÔTE
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l paraît important de ne pas dissocier l’analyse des questions identitaires de l’examen des scènes sociales – quartier ou travail – où elles trouvent à s’exprimer. Les Arméniens du Caucase, se hâtent de gagner Paris : la ville-lumière exerce une forte attraction sur ces réfugiés politiques, qu’ils soient artistes en quête d’un public ou bien de journalistes gravitant autour de la
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BILIGUISME ARMÉNIENRUSSE EN SSR
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Yerevan
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36.5%
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34.2%
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conférence de la Paix. En outre, Paris apparaît comme un vaste bassin d’emplois, où les salaires sont réputés plus élevés qu’en province. De nos jours, les descendants de la première émigration vivent encore dans les arrondissements d’origine. Mais ce n’est qu’à partir de la deuxième génération qu’ils ont accédé à la propriété. Longtemps les Blancs conservèrent la certitude que le régime bolchevique était promis à un effondrement rapide, et qu’ils rentreraient aussitôt au pays. Après la Seconde Guerre mondiale, l’espoir s’est éteint. Interdits de retour, les Arméniens de Turquie ont d’autres obsessions : ils manifestent rapidement le désir d’ancrer la famille dans une maison, aussi modeste soit-elle. Bâtie sur des terrains de banlieue boueux et dé-
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laissés, qu’il a fallu s’approprier au prix d’un dur labeur, la maison retrouvée apparaît comme une conquête. Elle marque le point de départ d’une renaissance, que l’enracinement en un sol-refuge rend possible.
ET MAINTENANT?
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l faut comprendre que de nos jours, la diaspora arménienne n’est plus simplement qu’une question de temps, quant ’à savoir jusqu’où remontent les ancêtres des arméniens, qui se sont souvent exilés par les menaces ethniques et religieuses des pays limitrophes à l’Arménie. Dans le monde d’aujourd’hui, les Arméniens d’origine expatriés et exilés dessinent le témoignage de la bataille identitaire du peuple. Les Arméniens dispersés dans la diaspora ont su s’adapter et prendre part à la nouvelle société qui les entoure, la rendant encore plus loquace, vivace et tout simplement foisonnante. Vous ne me croyez pas? Il n’est pas plus simple que de prendre exemple après exemple d’artistes, politiciens, diplomates, scientifiques pour découvrir à quel point la culture arménienne à contribué à sa terre d’accueil. Vous n’avez qu’à demander à M. Aznavour. Il vous en racontera des belles.
“ Foie est la Tête du Coq” (Coin droit), huile sur toile d’ Arshile Gorky (En bas, à gauche), peintre arménien du début du XXe siècle, né en Arménie ottomane. Il émigre aux États-Unis vers 1920. Une autre acclamée de lui est “La Mécanique du Vol”, peinte en 1936, démontre une tendance pour le cubisme, un art inspiré de Pablo Picasso.
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LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN “Reconnaître la réalité du génocide, ce n’est pas seulement rendre justice aux victimes, c’est permettre aux descendants des coupables de retrouver la paix.” -La Libre Belgique de Pierre Mertens, écrivain belge de langue française, docteur en droit international.
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PAR BRUNO BARBEY
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ÉCORCHE ENCORE, 100 ANS APRÈS
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a flamme brûle toujours, après tant de temps. Ils sont nombreux à s'amasser, le regard mélancolique, devant le vestige de ce qu'ils ont tous perdus. Chaque année, des millions d'entre eux visitent le site, se recueillent puis continuent leurs vies, toujours chargés du lourd poids du sacrifice de leurs aïeux.
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victimes. Ils se rappellent la cause de cette affreuse réalité: leur religion. En effet, en tant que premier État à adopter le christianisme, en l'an 301. L'Église Apostolique Arménienne, de
LES SURVIVANTS
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Plus de 100 ans plus tard, le souvenir écorche encore cette nation qui de nos jours, n'a toujours pas obtenu ce qu'elle voulait: la liberté. Les Arméniens ne cessent de soupirer en pensant à leur maigre république, bien peu comparée à ce qui était jadis leur. Le génocide arménien de 1915, massacrant la plupart du peuple, ne permit qu'à une poignée de survivants de rester dans la région du Caucase, car pour le reste, ils ont dû trouver refuge dans les pays occidentaux.
LES COUPABLES?
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erpétré par l'Empire Ottoman au début du XXe siècle, le génocide fit 1.5 millions de morts. Il est considéré comme le premier génocide moderne par la majorité des experts. Néanmoins, il n'est pas reconnu en Turquie, fille du défunt coupable. Ils évitent le sujet, et s'ils le mentionnent, citent que la majorité de la population arménienne fut déplacée pour sa sécurité, et que les longues "marches de la mort" furent causées par la mauvaise nutrition des sujets, et non par les famines perpétuelles orchestrées par l'État même. En Arménie, ils savent la vérité, et le scandent haut sur les toits de leurs églises chrétiennes. Ils savent, savent que leur liberté d'aujourd'hui a été acquise après les longues souffrances de leurs ancêtres. C'est pour cela que nuit et jour, la flamme commémorative brûle sur le site d'hommage aux
cients de leurs actes, et que le reste du monde accorde au peuple la sympathie et la reconnaissance, pour que leurs ancêtres ne soient pas oubliés. La majorité des États en ce monde ne reconnaissent toujours pas le massacre.
par son histoire, est une des branches les plus influentes de l'Église chrétienne dans l'Asie Mineure. C'est pour cela, selon les experts, que l'Empire Ottoman a frappé. Il existait déjà une animosité religieuse entre les musulmans turcs et les arméniens turcs chrétiens, et alors que la Première Guerre Mondiale battait son plein, la déportation commença, le 24 avril 1915, alors que les autorités arrêtent quelques 250 diplomates et intellectuels. Considéré comme le premier génocide des temps modernes, il sera par la suite, comparé à l'Holocauste juif, par son efficacité dans la manière d'éliminer les vies et par la manière que cela fut caché, jusqu'au tout dernier moment. Cependant, alors que le génocide juif est reconnu et documenté mondialement, les Arméniens peinent encore aujourd'hui à ce que les principaux coupables soient cons-
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e rencontrai alors Koko Davidian, lors de mon séjour dans la capitale arménienne. Comme tant d'autres, sa famille s'est exilée après les débuts des agissements ottomans, et ils ont fui vers le Nouveau Continent, espérant avoir un meilleur sort que celui réservé à ses compatriotes pendant la première moitié du XXe siècle. Assis autour d'une table dans un café proche du mémorial, il me narre son histoire familiale, histoire semblable à tous ceux qui ont fui leur terre. Il m'explique que son grand-père, arménien turc de naissance, était un grand propriétaire terrien vivant en campagne, sur les terres appartenant à ses ancêtres depuis des lustres. Non seulement cela, il était noble! Son titre de noblesse, passé de fils à fils, remonte, selon certains, à un Construite pour commémorer les victimes du massacre turc, le mémorial en plein Erevan est l’objet de plusieurs milliers de visites par an, étant devenu un endroit de choix pour les pélerins arméniens de la nation. La flamme brûle 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans relâche. Et lors de la journée commemorative nationale du genocide, tous se rencontrent ici. (Ci-contre)
Un jeune arménien en 1922, victime des famines occasionnées par l’Empire ottoman. (Au centre)
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Carte des pays qui reconnaissent le genocide arménien, où l’on peut remarquer la Turquie en rouge, signifiant qu’elle dénie les événements. (Ci-contre)
apôtre de Jésus, qui est dit d'avoir convertit la région au temps où le Royaume d'Arménie était encore proie de crimes contre les chrétiens. C'est pour cela qu'il revient à la terre arménienne dès qu'il peut se le permettre, si ce n'est que pour admirer la flamme, se recueillir, puis repartir vers le Canada. -Quitter a tué mon grand-père, me dit-il. Mais il l'a fait. Malgré lui, malgré ma grand-mère, malgré sa famille, qu'il a laissée derrière lui. Et c'est comme ça, avec le peu de fortune qu'il pouvait emmener, qu'il a arrangé un voyage vers l'Amérique pour sa petite famille. Et il a tout laissé. Koko Davidian me raconte cela, la gorge nouée, le regard lointain, mais dur, comme si l'exode de sa famille ne l'a rendu que plus fort, encore plus fier de sa culture. Soudain, ses yeux revinrent au moment présent, et scintillants, il me fait part alors de la vraie raison pour laquelle il est ici: -Je vais y aller, murmure-t-il. Je vais aller chercher le dû de mon grandpère, le dû de mon père, le mien et celui de mes enfants. Je vais aller chercher le titre ancestral de comte, ce titre même que mon grand-père a dû abandonner pour venir ici. Il me raconte comment il a accompli la paperasse nécessaire pour l’extraction de ce titre, si difficile pour cause du faite que cela fait plusieurs années que son grand-père est mort,
et comme il n’avait pas passé son L’homme en question était un génétitre à son fils avant de mourir, lui, ral de l’armée arménienne, neveu du comme descendant ne pouvait réclapère de son grand-père. Donc, de par mer son dû sans une quelconque cela, cet homme avait lui aussi hérité forme de preuve que celui-ci était du titre de noblesse de la famille. vraiment le titulaire du titre. Mais Koko me raconta alors comment, compte tenu que son grand-père grâce à la magie de Facebook, il put avait fuit l’Arménie ottomane en retrouver les descendants de cet laissant tout derrière, il n’avait pas homme, qui après des explications, pu localiser quelque chose prouvant acceptèrent de l’accueillir à Erevan son héritage, jusqu’à il y a cinq ans, (car ceux-ci habitaient encore la padate où il trouva, enfoui dans une trie d’origine) pour l’aider dans sa vieille malle, alors qu’il rangeait les quête, et se prêtèrent même volondécorations de Noël dans son gretaires pour un test d’ADN, pour ainsi nier, une photo tachée et de piètre prouver que la famille de Koko a un qualité, mais qui contenait ce qu’il lien de parenté avec celle d’Arménie. cherchait il y a longtemps: la preuve Cela, permit donc, conclut-il avec un que sont grand-père existait au sein large sourire, la mise en marche de de la noblesse arménienne. En effet, l’extradition du titre de noblesse, Koko m’explique que dans cette phoqu’il vient chercher aujourd’hui, 90 tographie se trouvait son grand-père ans plus tard après que son grandet sa grand-mère à leur mariage. père eut fui la mère patrie. L’image n’aurait rien eu d’intéressant si ne le fait que ils posaient, souriants, aux côtés d’un homme Carte des déportations et dans la mi-quarantaine, vêtu d’un autres mouvements du uniforme militaire de haut-grade. génocide. (Ci-dessous)
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Ils sont tombés… Ils sont tombés, sans trop savoir pourquoi Hommes, femmes, et enfants qui ne voulaient que vivre Avec des gestes lourds comme des hommes ivres Mutilés, massacrés, les yeux ouverts d’effroi. Ils sont tombés en invoquant leur Dieu Au seuil de leur église ou au pas de leur porte En troupeau de désert, titubant, en cohorte Terrassés par la soif, la faim, le fer, le feu. Nul n’éleva la voix dans un monde euphorique Tandis que croupissait un peuple dans son sang L’Europe découvrait le jazz et sa musique Les plaintes des trompettes couvraient les cris d’enfants. Ils sont tombés pudiquement, sans bruit, Par milliers, par millions, sans que le monde bouge, Devenant un instant, minuscules fleurs rouges Recouverts par un vent de sable et puis d’oubli. Ils sont tombés, les yeux pleins de soleil, Comme un oiseau qu’en vol une balle fracasse Pour mourir n’importe où et sans laisser de traces, Ignorés, oubliés dans leur dernier sommeil. Ils sont tombés en croyant, ingénus, Que leurs enfants pourraient continuer leur enfance, Qu’un jour ils fouleraient des terres d’espérance Dans des pays ouverts d’hommes aux mains tendues. Moi je suis de ce peuple qui dort sans sépulture Qui choisit de mourir sans abdiquer sa foi, Qui n’a jamais baissé la tête sous l’injure, Qui survit malgré tout et qui ne se plaint pas. Ils sont tombés pour entrer dans la nuit Éternelle des temps, au bout de leur courage La mort les a frappés sans demander leur âge Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie.
- Charles Aznavour REVUE GEO, MARS 2018
Charles Aznavour, arménien français, chanteur et poète accompli. (Ci-dessus)
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EREVAN, UNE VIEILLE JEUNE PAR SUSAN WELCHMAN
“Tu es l’amour et la fierté De toute ma vie, Ma ville chérie. Tu es une fleur dans nos rochers, La chanson dans notre coeur, L’Ararat dans sa blancheur, Je veux te voir, oh, mon Erevan, Et te revoir, Erevan.” -S.Kapoutikyan, poète arménienne, née et morte à Erevan.
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LA VILLE SAVAMENT ÉRUDITE
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es origines de la ville remontent au Vie millénaire avant notre ère. La forteresse d’Erebouni était installée sur la colline d’Arinberd, au carrefour de voies commerciales du Caucase. Mais la ville d’Erevan n’a pas cessé d’être en position frontalière, surtout à partir du XVIe siècle, car celle-ci était à la frontière de l’Empire perse et ottoman. À la fin du XVIIe siècle, l’explorateur européen Chevalier Chardin écrit qu’ « Irivan est une grande ville, mais laide, sale et dont les jardins et les vignes font la plus grande partie, et qui n’a nuls beaux bâtiments.» En 1735, la ville devint le centre du khanat d’Erevan, province perse. Ce ne sera qu’en 1850 que la ville devint un véritable centre urbain, lorsqu’elle sera annexée au dominion russe.
PAR SUSAN WELCHMAN
On dénombre entre autres des installations de machinerie lourde, transformation de métaux et autres industries du secteur primaire et secondaire.
LA SAVANTE
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ors de mon séjour dans la capitale, je rencontrai Arpiné Tchevichyan, spécialiste en institutions du savoir et journaliste dans le quotidien
De nos jours, on peut encore voir cette influence dans la conception de la ville. En effet, elle fut, de par son explosion sous l’empire russe, une conception de l’architecte Alexandre Tamanian, arménien d’origine. Encore aujourd’hui, on peut retrouver la Place de la République au centre de la ville, où il avait situé une gargantuesque statue de Lénine, aujourd’hui détruite après que le pays acquis son autonomie politique dans les années 1980. À partir de cette place publique rayonnent les principales artères d’Erevan, qui relient les installations publiques, gouvernementales, et industrielles, témoins du passé de l’occupation de l’URSS.
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arménien Haiastan. Il m’explique, que le vrai boum intellectuel de la capitale eut lieu lorsqu’en 1943, l’Académie des Sciences d’Arménie fut créée, et dont les principales branches, étaient, à l’époque, l’astrophysique, l’astronomie, les mathéLa chanteuse Cher assise sur la statue de Lénine décapitée, à Erevan, en 1993. Cher est, comme plusieurs centaines de gens en Amérique, de descendance arménienne. (Ci-dessous)
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matiques et l’électronique. Bref, des disciplines appropriées pour un état russe en pleine expansion, vu le côté utilitariste de ceci. Il existait déjà douze établissements d’enseignement supérieur, mais aussi une soixantaine d’établissements scientifiques. C’est là que se trouvent aujourd’hui encore les musées les plus importants, dont celui d’histoire, et l’institut de recherches du Matenadaran, qui possède plus de 10 000 manuscrits arméniens, la plus grande sources de livres écrits de cette langue ancienne, encore parlée par la vaste majorité de la population, étant donné que celle-ci est la langue officielle, et comme langue secondaire, le russe. Dès les années 50’, on ne dénombrait pas moins de 2700 bibliothèques, et, fait assez cocasse que me rapporte Tchevichyan, il était publié plus de six livres par personne ayant
plus de huit ans en Arménie. Donc, cette province alors très vite une des capitales du savoir dans l’URSS, principalement dû à une population d’étudiants qui affluaient de toutes parts. Erevan est ainsi devenue un centre culturel et scientifique, accompagné par ses maintes opéras acclamés, tel que un des plus reconnus, celui de l’Opéra d’Erevan, ouvert en 1920 par Tamanian aussi.
L’ARTISTE
J
e suis justement allée, pendant mon séjour voir « La Revancha del Tango », œuvre de comédie à la fois un opéra, mais aussi du théâtre pur et simple, avec une intrigue basée sur de jeunes danseurs de tango arméniens qui rêvent de ce produire sous les néons, dans la vieille capitale sud-américaine. Ah! Néanmoins, cette appréciation
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sera pour une autre fois. Non, je voudrais vous raconter de la splendeur des monuments ici à Erevan, ainsi que du caractère incroyable des documents conservés dans les bibliothèques. En effet, la ville d’Erevan est reconnue pour la qualité de ces ressources. Et, principalement, ils ne sont point acclamés pour leur valeur savante, mais plutôt pour les incroyables œuvres qu’il conservent entre leurs pages Les manuscrits enluminés constituent une des plus grandes remarquables originalités de l’art arménien. Plus de 20 000 livres ont survécu et sont conservés dans des bibliothèques publiques ( le Matenadaran à Erevan) ou encore dans des collections privées. Le plus ancien de ceux-ci remonte au VIIe siècle. Le Matenadaran, bibliothèque nationale et entrepôt de manuscrits à Erevan. (Ci-dssous)
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On y distingue deux tendances contradictoires: une tendance à l’abstraction et un désir de montrer la matérialité du monde par des détails pittoresques: par exemple l’ange en train de piquer le diable avec sa lance, le serpent qui mord sa queue, un ânon derrière sa mère qui porte le Christ. Tout ceci est de nos jours conservé dans le Matenadaran, bibliothèque nationale arménienne. Encore un autre élément qui fait de Erevan une ville exquise, à visiter assurément.
L’aréoport de Yerevan, est celui le plus achalandé de toute la Caucasie. Construit au temps soviétique puis complètement rénové au tournant des années 2000, il ne cesse d’accueillir de plus en plus de visiteurs. (Ci-dessous)
Tigrane II le Grand, né vers 140 et mort en 55 av. J.-C.) est un roi d'Arménie ayant régné de 95 à 55 av. J.-C. Sous son règne, l'Arménie connaît son expansion maximale et devient pendant quelques années l'État le plus puissant du Caucase. Ce monument, dans la capital, traduit l’attachement que les Arméniens portent vers leur passé en tant que civilisation ancienne. (Ci-contre)
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ARCHITECTURE ÉPISCOPALE
PAR JAMES STANFIELD
L’Arménie se convertit au christianisme au tout début du IVe siècle; le pays devenant donc la première nation à avoir officiellement adopté cette religion, à laquelle les Arméniens sont attachés et qui se confond littéralement avec l’identité arménienne. Toujours menaces d’être convertis pas l’intégration dans les grands empires voisins, ils restent fidèles à leur foi et à leur Église, dont le rite se rattache à l’Église d’Orient. C’est à Etchmiadzin que se situe le siège du patriarcat arménien.
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LA PREMIÈRE NATION CHRÉTIENNE
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’Église arménienne est un rameau des Églises orientales. Les Arméniens, évangélisés à la fin du IIIe siècle, adoptent d’abord les traditions grecques et syriennes, peuples qui ont joué un rôle dans leur conversion. Le christianisme pénètre en Arménie à partir de l’Empire romain, où a été élevé Saint Grégoire l’Illuminateur. Après la conversion du roi Tridate II, Grégoire est consacré évêque. Il sera alors considéré comme le père de l’Église Apostolique arménienne.
LES ÉDIFICES
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es édifices constituent un patrimoine architectural impressionnant par le nombre et la qualité. Hélas, une partie importante de cet ensemble a été malmenée par les destructions humaines et les tremblements de terre au cours des âges. La conservation de ce patrimoine sans cesse reconstruit ou restauré, y compris pendant la période soviétique, a fait l’objet d’efforts incessants. Églises et monastères, souvent de petite taille, sont partout présents dans le paysage. Ces édifices balisent le paysage arménien, rappelant au passant ou au voyageur, jusque dans les zones montagneuses les plus escarpées, la continuité de la foi des ancêtres inséparables de l’arménien. Autrefois, ils constituaient des lieux de culte ou les cérémonies étaient souvent l’occasion de grandes fêtes qui attiraient toutes sortes de populations. Le système de construction est presque toujours le même : les murs sont formes de blocs soigneusement appareillés, taillés dans des turfs volcaniques dont la couleur varie du noir à l’ocre et au vert. Deux pare-
RELIGION EN ARMÉNIE Église Apostolique
93%
Autres Chrétiens
2%
Yazidisme
1%
Athéisme ou autre
4%
ments de moellons entre lesquels on entasse de la pierraille et du mortier assurent une grande solidité à l’ensemble, ce qui a permis à bien des édifices de résister aux tremblements de terre. Des niches en dièdres dans les façades allègent la structure, sur laquelle repose un tambour supportant une coupole (symbole de la voute céleste) surmontée d’une coiffe en forme d’ombrelle ou de cristal de roche conique ou pyramidale, semblable à un petit Ararat. Les églises peuvent être isolées mais comportent le plus souvent un ensemble d’édifices dont un gavir (narthex) et un jamatoun (chapelle funéraire). L’organisation des espaces intérieurs est en forme de croix, avec une combinaison du cercle dans le carré (espace infini, espace fini) typique du noyau central de l’église chrétienne d’Orient. Le décor est sobre, avec une sculpture souvent figurative. À l’extérieur, les linteaux et les cadres de porte sont sculptés. Des arcs souvent outrepassés couronnent les fenêtres. La bordure du lamier est aussi discrètement sculptée. Des oiseaux, des cadrans solaires, tout un bestiaire plus ou moins fantastique et des scènes religieuses peuvent animer les façades. S’y ajoutent quelques très beaux tympans sculptés comme à AmaghouNoravank et des khatchkars encastrés dans les murs. À l’intérieur, les écoinçons, les corbeaux et les chapiteaux peuvent aussi être sculptés. Les ensembles monastiques se mul-
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Tableau des principales religions de l’Arménie. Parmi les pays de la Caucasie, elle est celui où l’on dénombre la plus grande majorité de chrétiens. (Ci-dessus) Monastère Noravank, situé dans une province au centre de l’Arménie. Il a été érigé au XXIIIe siècle. (Page précédente) tiplient à partir du XIe siècle. Ils jouent un rôle défensif, grâce à la présence d’enceintes, mais surtout culturel. Leurs scriptorias, très actifs, sont les gardiens de la culture arménienne et des passeurs de civilisation qui, en recopiant des ouvrages de l’Antiquité, les sauvent de l’oubli. La qualité des manuscrits, souvent magnifiquement enluminés, fait aujourd’hui le bonheur des visiteurs du Matenadaran.
L’ART KHATCHKAR
L
e katchkar est l’un des aspects les plus originaux et caractéristiques des coutumes architecturales arméniennes. Il s’agit, en fait, de dalles ou de stèles de pierre portant des croix sculptées, érigées pendant le Moyen Âge, et dont la tradition se perpétue encore aujourd’hui. Ces stèles ont un but votif, commémoratif ou funéraire. On peut les retrouver isolées, en groupes dans les cimetières (Noraduz), scellées dans les
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murs d’églises ou de monastères (Gueghart). Elles sont inspirées des menhirs de l’époque pré-chrétienne, avec l’exemple de ceux de la région de Sissian au IIe siècle avant J.-C. Dès la conversion de l’Arménie au christianisme, tout symbole païen est lentement remplacé par la croix. Les premiers khatchkars, venus de cette période, sont constitués de blocs de pierre locale éclatée. Irréguliers, ils sont ornés de croix simples; ensuite, la dalle de pierre est soigneusement taillée pour obtenir une forme aplanie avec un sommet en relief qui « protège » la croix sacrée. Mais dans sa forme classique, le khatckar est une dalle épaisse, rectangulaire ou évasée vers le haut, découpée dans le turf local et orné
de sculptures. La face principale est tournée traditionnellement vers le soleil couchant, laissant en évidence la croix centrale. En effet, cette croix, portant le nom de crux ansata, au branches allongées et plus larges aux extrémités, avec des bouclettes aux sommets. Généralement, l’intérieur est orné de feuillage, fruits, fleurs et autre vie végétale, ce qui, pour l’Église Arménienne, symbolise l’Arbre de la Vie. La base de cette croix, en autres, et souvent posée sur une rosette qui symbolise le bas du tronc, le haut de la croix symbolisant les branches du ledit arbre. Lors de mon voyage parmi ces vestiges du passé, la stèle que j’ai le plus appréciée est certainement la stèle de Gochavank, qui a tant de préci-
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sion qu’elle semble brodée, et non taillée. Stèle du monastère Gochavank, photo prise lors de ma visite dans les lieux. On peut remarquer la forme arboresque de la croix, très richement ornée. (Ci-dessous)
Monastère Norvank. Les gravures représentent trois moments décisifs dans la religion chrétienne: la Création, l’Icarnation, et la Crucifixition. Façade du jamatoun de l’église SaintJean-de-Dieu. (Page ci-contre)
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PHOTOGRAPHIE
PAR ALBERT ALLARD
Erevan est, selon plusieurs, la plus ancienne ville au monde, de par le fait que c’est celle à laquelle on attribue une date de fondation écrite extrêmement vieille, datant de 782 av. J-C, par le roi Argishti Ier. En effet, on peut voir l’écriture cunéiforme sur la tablette, la plus ancienne forme d’écriture. (Ci-contre)
L’église Saint-Grégory l’Illuminateur, bâtiment faisant partie de l’Église Apostolique Arménienne. Il est celui qui converti le Royaume Urartu en l’an 301. (Ci-dessous)
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Ici, un temple arménien du temps pré-christianisme, Garni. On note les colonnes du style influencé par les voisins grecs et romains. En effet, l’Arménie, avant 301, était de religion polythéiste, et possédait son propre panthéon, semblable à l ’ O ly mp e . (Cicontre)
Le Paradis terrestre, carte générale destinée à localiser les événements de la Bible. (Paris, 1783) Preuve, si l’on peut l’appeler de cette façon, on distingue l’Éden et les débuts de l’Humanité étendus sur le territoire de l’Arménie historique. On voit, au nord, l’étendue du Sevan , et au centre de l’Arménie, le sommet Massis. (Ci -contre)
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Les gardes accompagnent le géologue Pierre Bonnet en 1911, vigies sur un piton rocheux dominant la cuvette de Khatchik. (Ci-dessus) L’Ensemble monastique de Haghartsin (XII-XIIIe siècle) est niché dans les montagnesde Gougark, près de Delijane. (Page ci-contre)
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La délégation arménienne aux Jeux Olympiques de 2012, portant le drapeau tricolore lors de la cérémonie d’ouverture des JO. (Cicontre)
La maison du Parlement de la première République d’Arménie, de 1918-1920, république qui célèbre cette année 100 ans d’histoire. Le bâtiment se situe à Erevan, comme la majorité des constructions ministérielles. (Ci-contre )
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La danse, de même que la musique, sont un ciment de l’arménité. Dans les familles, ont chante, on danse de manière spontanée et naturelle. (Ci-contre)
Pain Choreg, spécialité de la cuisine arménienne. Il est souvent servi pour des occasions telles que pour Pâques. En effet, ce pain est enrichi avec des œufs, puis accumule les particularités de chaque région. C’est tout bonnement délicieux. (Ci -contre)
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Un remerciement spécial (fictif) à Koko Davidian, Arpiné Tchevichyan et Hayk Chevsyan, ainsi qu’à mes fabuleux (fictifs aussi) reporters : William S. Eliis, Don Belt, Cathy Newman,
Bruno
Barbey,
Susan
Welchman, Albert Allard et James Stanfield. Maintenant, un vrai remerciement à Gérard Derminasyan et Krikor Tersakian, deux formidables personnes sans qui ceci aurait été extrêmement embrouillé. Merci pour tout. - M. B. Alonso
BIBLIOGRAPHIE
ARDELLIER-CARRAS, Françoise. BALABANIAN, Olivier. L’Arménie, Avantposte chrétien dans le Caucase, Coll. «FONDÉE EN 1821, LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE PRÉSENTE», Turin, Glénat, 2003, 184 pages. KUNTH, Anouche. «La Diaspora Arménienne», ÉTUDES, vol. 3, n° 406, mars, p. 321-331. JEAN-POIRIER, Philippe. « Compte-rendu du film «Le Voyage en Arménie» de R. Guédiguian », SÉQUENCES : LA REVUE DE CINÉMA, n°247, 2007, p. 51.
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