MORPHOLOGIE ET URBANITÉ - Exemple d’un grand ensemble - Le Mont-Mesly à Créteil

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MORPHOLOGIE ET URBANITÉ Exemple d’un grand ensemble: le Mont-Mesly, à Créteil

© DRU Jérémie - ENSAPVS - Master 2 - 2010/2011



Mont-Mesly vu de L’Hôtel de Ville de Créteil,©Jérémie Dru


introduction

4

8

I.

Mont-Mesly

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I.

INtégration dans la ville

14

A.

Histoire d’une cité

14

B.

Les années 70 à Créteil

14

C.

La place du Mont-Mesly

17

II.

Morphologie de la cité

18

A.

Morphologie du terrain

18

B.

Composition

18

C.

Maillage

18

D.

Espaces verts

20

III.

qualité d’urbanité

20

A. l’avis des habitants en 1960

20

B. l’avis des habitants en 2010

22

C. relation entre les habitants et leur quartier

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II. morphologie et urbanité

31

I. morphologie de la VILLE TRADITIONNNELLE

33

A. les outils de fabrication de la ville traditionnelle

33

1.

Le système parcellaire

33

2.

La séparation public/privé: la délimitation de l’espace public

33

3.

La parcelle et le bâti

34

4.

La forme de l’espace public

34

5.

Diversité d’activité, la vie collective

34

B. rapport entre les habitants et l’espace urbain

36

1.

Concentration des habitants

36

2.

L’importance du bâti

36

3.

La représentation de l’espace

36

II. morphologie de la ville moderne

39

A. transformation des outils de fabrication de la ville

39

1.

39

Un contexte particulier pour la conception de la ville


2.

Rejet de la ville traditionnnelle qui amène à de nouvelles formes urbaines 39

3.

Répartition spatiale des fonctions de la ville

40

4.

L’éclatement de l’espace visuel

40

5.

L’architecture standardisée

43

6.

L’ espace libre

43

B. rapport entre les habitants et l’espace urbain

44

1.

Construction rapide dans le temps

44

2.

Un espace uniformisé et monofonctionnel

44

3.

La place du bâtiment

47

4.

Dilution de l’espace public

47

III. Enjeux de l’espace public dans le Mont-Mesly

50

A.

Place des habitants

50

1.

La sensibilisation à l’environnement

50

2.

Processus de renouvellement

50

3.

La collectivité issue de l’habitat

53

B. la morphologie des lieux

53

1.

Espace public

53

2.

Patrimoine

54

3.

Accueillir les usages

54

C.

lisibilité de la ville

55

1.

Repères

55

2.

Structuration

55

3.

Nouveaux Parcours

55

SYNTHÈSE DES OUTILS DE CONCEPTION DE LA VILLE et enjeux des interventions

56

III. différentes alternatives au Mont-mesly

65

I. la parcellisation

66

a.

Principes

66

1.

Acteurs et démarche

66

2.

Intentions

68 5


II.

6

LEs interventions localisées

76

a. principes

76

1.

Acteurs et Démarche

76

2.

Intentions

79

B. réponses aux enjeux

80

C. limites

85

III. comparaison des démarches

88

A.

Outils d’intervention

88

B.

ÉCHELLEs DE PROJET

88

C. rapport au lieu

88

comparaison des alternatives

91

conclusion

99

projet

105

I.

106

Problématique

II. la rue casalis

108

III. exploration des possibles

108

TABLEAU DES TRANSFORMATIONS MORPHOLOGIQUES

110

Iv.

112

RECONNEXION DES ÉLÉMENTS URBAINS

RÉPONDRE AUX SITUATIONS

112

densité

114

signal urbain

116

pôle

118

liaision entre coeur d’ilôts

120

liaision entre un coeur d’ilôt et la rue

122

annexes

125

À Créteil, la cité des habitants heureux

126

LA CITÉ, UN TERRITOIRE D’ANTIVOYAGE

129

un bâtiment monument, une construction collective, sao paulo

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bibliographie

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Bas-Mesly, Bd John Kennedy,©Jérémie Dru


introduction

Le grand ensemble est au coeur des politiques urbaines actuelles, quant à son renouvellement et son intégration dans la métropole. Ces formes urbaines sont synonymes d’échec urbanistique, du fait de l’exclusion des «quartiers», de leur enclavement, du manque d’équipements, de leur dégradation.... La plupart des élus et des architectes pensent à la rémolition1 des cités de banlieue pendant qu’une minorité fait l’éloge de certains grands ensembles emblématiques de la période d’après-guerre. Ces architectes cherchent à ce qu’on reconnaisse les grands ensembles, à leur donner une valeur patrimoniale et à préserver certains ensembles. Ils prônent les qualités techniques de certains grands ensembles, les prouesses de l’époque, la taille généreuse des appartements, la qualité des espaces verts... En Île-de-France, des équipes d’urbanistes, accompagnées de chercheurs, de sociologues cherchent à intégrer ces ensembles dans le tissu environnant et à posteriori dans la métropole (le Grand Paris), et cherchent ainsi à les désenclaver pour leur donner une ouverture sur la ville, et ses qualités culturelles, son activité etc... et développer une mixité, tout en leur donnant une valeur de patrimoine (censée donner une nouvelle image de la cité aux habitants). Dans la ville de Créteil, on trouve un exemple de grand ensemble qui ne souffre pas de l’exclusion. La cité du Mont-Mesly est intégrée dans un tissu vivant et actif. La ville est hétérogène, se compose de différentes architectures qui marquent l’Histoire de l’architecture du XXème siècle. Ancien village, Créteil s’agrandit dans les années 50 avec la construction de cités dortoirs (dont le Mont-Mesly). Dans les années 70, devenue la Préfecture du Val-de-Marne, cette ville devient le lieu d’une expérience urbaine unique, par la construction de «petits ensembles», d’équipements régionaux et l’amélioration de sa connexion avec Paris, et devient ainsi une ville administrative, active dès sa construction. Ainsi la cité du Mont-Mesly s’inscrit dans la ville et participe à son activité. De ce fait, l’étude de cette cité soulève d’autres problèmes. Dans un premier temps, les problèmes sociaux souvent liés aux cités, à savoir la ségrégation et le chômage, qui est un problème d’ordre socio-politique, et qui ne peut être géré par l’architecte. L’étude se base sur les problèmes liés à la morphologie de la ville et à la vie urbaine. La cité du Mont-Mesly est reconnue comme exemple de réussite de mixité des cultures2. Les habitants, pour la plupart, ont de bons rapports entre eux et ne quitteraient leur quartier pour rien au monde, celui-ci étant plutôt calme, les espaces verts étant bien entretenus par la ville... Cependant, le voyage dans la cité révèle des problèmes liés à la morphologie du grand ensemble3, qui semblent affecter la vie locale. Les espaces initialement desti1 Terme utilisé par Lucien Kroll désignant la démolition-reconstruction des barres HLM 2  Krémer Pascale, le Monde Magazine: «La cité des habitants heureux», publié le 2 août 2010 (voir annexe) 3  Cornut Cyrus, La cité, un territoire d’antivoyage, (voir annexe)

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nés à la collectivité et à la rencontre ne remplissent pas forcément leur rôle (espaces vides, et uniformes, peu de rapport entre les éléments qui composent le paysage), et mettent à distance les habitants des espaces publics de leur quartier. Ainsi, le parcours à travers la cité trahit un manque d’appropriation1 de la ville par les habitants. La notion d’appropriation de l’espace est perçue différement selon les architectes et les élus. Pour ces derniers, l’appropriation désigne l’occupation d’un espace par une seule catégorie de personnes, et l’exclusion des autres. Mais pour l’architecte, l’appropriation a une valeur positive, elle est synonyme de vie urbaine, de rencontre et donc de développement d’une forme de collectivité. On cherche donc à favoriser l’appropriation du quartier par les habitants. La notion d’appropriation suppose un rapport entre l’espace, l’homme et son activité, entre le quartier, les habitants et leurs usages. Ceci est le fondement de l’urbanité. «L’urbanité est la qualité proprement urbaine de la vie collective qui se développe imprévisiblement toujours dans les espaces ouverts.»2 Analyser les caractéristiques de l’urbanité suppose que la morphologie de l’espace influence (sans la déterminer) la qualité de la vie collective qu’il accueille, la morphologie de l’espace représentant sa forme, sa structure et le rapport entre les éléments qui le constituent (rapport physique, rapport programmatique...) Comment renforcer l’urbanité du Mont-Mesly? Cette étude suggère donc différents outils d’étude, et donc plusieurs approches. La première est sociologique. Il s’agit de se rendre au Mont-Mesly, et de mener des entretiens auprès des habitants, pour comprendre quels sont leurs rapports avec leur quartier et leur ville, et de soulever leurs manques. La deuxième est historique et urbanistique. Pour cela, nous étudierons le contexte historique, l’urbanisme de l’époque, et l’Histoire de Créteil, ce qui implique la participation des archives de la ville. Il s’agit de comprendre quelles sont les conditions d’émergence de l’urbanité dans les «espaces ouverts» de la ville traditionnelle, et les rapports entre la morphologie de l’espace de la ville et la vie collective. L’étude des outils de fabrication de la ville traditionnelle semble essentielle. On analysera par la suite comment ces outils se sont transformés dans la ville moderne pour comprendre comment la qualité de la vie collective s’est transformée, et enfin révéler les enjeux des interventions dans l’espace public du Mont-Mesly. La dernière est méthodologique. Il s’agit d’étudier deux alternatives aux grands ensembles et analyser leurs réponses aux enjeux des espaces publics.

1  Perla Serfaty Grason: «La notion d’appropriation véhicule deux idées dominantes. D’une part, celle d’adaptation de quelque chose à un usage défini, d’autre part à rendre propre quelque chose. L’adaptation traduit un objectif d’harmonie entre une chose et l’usage auquel on la destine.» 2  Gruet Stéphane, L’oeuvre et le temps (tome IV), analytique, l’architecture, le temps, la ville, Paris, éditions Poiesis-AERA, 2005 p.117

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10


PARIS

CRÉTEIL

Mont-Mesly

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12


I.

Mont-Mesly

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I.

INtégration dans la ville

A.

Histoire d’une cité

En 1956, Créteil est une ville de la banlieue parisienne de 16 000 habitants. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, et face au modernisme, un nouveau quartier se construit sur le Mont-Mesly, au sud de la ville (voir Fig. 1). Gustave Stoskopf dessine un ensemble de 6494 logements selon les principes de la Charte d’Athènes, c’est-à-dire l’ensoleillement, l’espace et la verdure. Elle s’organise autour de la rue Juliette Savar, qui la traverse du nord au sud. On différencie le Haut-Mesly du Bas-Mesly (voir Fig. 2). Le Haut-Mesly est structuré autour d’un axe central nord-sud. Celui-ci traverse la place centrale à l’instar d’une ville traditionnelle. Cet axe est séquencé par des rues qui irriguent les quartiers adjacents, qui permettent de circuler et de se garer. Ces quartiers forment une multitude de « petites places de village» ouvertes et aérées. Le Bas-Mesly est un quartier entièremment voué au logement. Une boucle dessert les habitations. Au nord, la composition est pointilliste, tandis qu’au sud, elle est plus linéaire. Comme dans le Haut Mesly, des axes est-ouest irriguent les habitations du Bas Mesly. Ces quartiers sont équipés de groupes scolaires, et un centre commercial, au coeur de la cité, en bordure de la rue René Arcos. Celle-ci sert de centralité à cette composition. À l’est, elle traverse la place de l’Abbaye en son centre, et à l’ouest, la boucle qui dessert le quartier (voir Fig. 3). Ainsi, les quartiers se différencient par la volonté de composition du plan masse. Cependant, l’architecture homogène et linéaire des bâtiments crée une confusion dans la lecture des quartiers, qui finissent par se ressembler. C’est ce qui fera l’impopularité de cette cité. «Le Mont-Mesly a été un exemple de ce qu’il ne faut plus faire»1.

B. Les années 70 à Créteil En 1960, Paris et sa banlieue sont différenciés. Deux couronnes sont dessinées autour de Paris, divisées en départements dont le Val de Marne. Le Schéma Directeur de la Banlieue Parisienne veut créer des pôles structurateurs en banlieue, afin de l’affranchir de Paris, et lui donner une identité propre. L’Autoroute 86 qui fait le tour de Paris et traverse le Val de Marne en passant par Bonneuil, Maisons-Alfort et Créteil doit accélerer la naissance d’un pôle de restructuration important. C’est ainsi que 1  Dufau Pierre, architecte en chef du Nouveau Créteil, «Comment a été conçue la nouvelle cité» supplément à Grand Paris Dimanche, 14 janvier 1973, p.2

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Fig. 1: Terrain vierge au sud de Créteil en 1950.

Fig. 2: La cité se compose de part et d’autre de la rue Juliette Savar.

Fig. 3: Des axes est/ouest desservent les quartiers.

Fig. 4: La cité à la fin de sa construction, en 1960

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Fig. 1: Conception de la ville nouvelle

Hôpital Henri Mondor Pôle Régional

«Rue Piétonne» Rue commerçante

Cité Universitaire Pôle Régional

Palais de Justice de Créteil Pôle Régional

Préfecture du Val-de-Marne Pôle Régional

Centre Commercial Créteil Soleil Pôle Régional

Hôtel de Ville de Créteil

Base de Loisir de Créteil Pôle Régional

Fig. 2: Place du Mont-Mesly dans Créteil

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Créteil est désigné pour devenir la Préfecture du Val de Marne. Initialement, le terrain vierge de 600 hectares au sud de Créteil devait être une «extension du grand ensemble». Mais en1965, le général Billotte, maire de Créteil à l’époque, a pour objectif de faire un exemple de ville nouvelle. Il désigne Jean Fayeton en charge d’un plan d’urbanisme qui doit rompre avec ce modèle urbain. Ce dernier dessine un réseau de voirie qui découpe le terrain en quartiers à aménager qui amèneront une diversité architecturale dans la ville. Il meurt prématurément en 1968, et d’autres urbanistes lui succèderont, dont Fernand Pouillon qui propose la création d’un lac artificiel. Pierre Dufau terminera le plan de la ville, en donnant chacun des quartiers à des architectes différents, qui ont une totale liberté de création du point de vue de la forme, et qui doivent équiper les quartiers de commerces et d’équipements pour que le quartier soit autonome, équipé et fonctionnel. Le plan définitif inclut aussi des équipements régionaux, affirmant sa position de préfecture du Val de Marne, tel que l’Hôpital Henri Mondor, la Cité Universitaire, le Centre Commercial Régional Créteil Soleil (le CCR), qui sont chacun desservis par une station de métro qui mène à Paris. Il inclut aussi un nouveau centre-ville qui fait la transition entre le CCR et la base de loisir, qui accueille l’Hôtel de Ville et la Maison des Arts de Créteil (MAC). Il inclut enfin un grand nombre de bâtiments administratif, comme la Préfecure du Val de Marne, le Palais de Justice, les Archives Départementales... La ville devient un parc d’exposition d’architecture moderne, avec des ensembles aux formes symboliques (les Choux, le Collisée..), des bâtiments administratifs emblématiques et des quartiers singuliers (zone universitaire, quartiers des affaires). (voir fig. 1).

C. La place du Mont-Mesly Ainsi, le Mont-Mesly est intégré dans un tissu particulier. Bordé de pavillonaire à l’est, il est à proximité du nouveau centre-ville. La voie express représente cependant une barrière entre ces deux quartiers. Ils sont liés par 3 axes: au nord la rue Henri Matisse, la Rue du Dr Casalis qui relie Bonneuil à la voie express, et dont le parcours piéton se prolonge par la passerelle du Métro, puis un axe piéton qui traverse le CCR pour déboucher sur le lac, et la rue René Arcos, qui lie la place de l’Abbaye au nouveau centre-ville. Malgré la voie express qui constitue une barrière qui nuit au parcours piéton, le Mont-Mesly est au coeur d’une ville active. Il est raccordé aux pôles de Créteil (quartier universitaire, CCR, base de loisir, Hôpital...) par la voie express et les nationales. Il est relié à Paris par le métro ligne 8 et l’autoroute A86. (voir fig. 2)

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II. Morphologie de la cité A. Morphologie du terrain La cité est construite sur la butte du Mont-Mesly, le seul relief de Créteil, de 35m de dénivelé. Ce dernier offre une position particulière à la cité dans la ville. La topologie du site contraint le tracé des voies et devient un vecteur de la composition de la cité.

B. Composition La cité se construit en 2 temps. On différencie le Haut-Mesly (à l’est) du Bas-Mesly (à l’ouest). Le Haut-Mesly se compose autour de la place de l’Abbaye, pensée comme un «Forum Antique». L’architecte décline une forme générique et compose des îlots de logements groupés autour de «petites places de village». Les bâtiments étant quasiment identiques, il y a une certaine monotonie dans le parcours entre ces places. Seuls les proportions de ces espaces les différencient. Le Bas-Mesly voit une boucle innerver les différents quartiers d’habitation. Au centre de la composition, des centres commerciaux séparés par la rue René Arcos, qui lie la place de l’Abbaye au nouveau centre ville de Créteil. Le tracé des voies suit la topologie du site, et amène à une composition originale. Ces deux opérations sont dessinées sur l’axe nord-sud. Aujourd’hui, la cité ne se lit plus dans ce sens, mais d’est en ouest, du fait de l’attraction de Créteil Soleil, et de la base de loisir. La cité est divisée en 7 quartiers équipés d’école, chacun ayant une composition différente. Celle-ci respecte une certaine densité, qui limite les vides et les espaces verts, contrairement à d’autres ensembles. Il y a donc une diversité des espaces au niveau de la composition, seulement certains ne trouvent pas d’usage. Sans être abandonnés, ils sont vides. Les places de villages ne remplissent pas forcément leur rôle, étant sans activités.

C. Maillage Le réseau viaire diffère entre le Haut Mesly et le Bas Mesly. Sur la butte, il est orthogonal, et devient labyrinthique autour de la place de l’Abbaye. Dans la côte, la trame viaire suit les courbes de niveau, et le tracé se complexifie au sud de la cité. Cela donne lieu à des routes en courbe. On retrouve les problèmes liés aux grands ensembles, des voies qui débouchent sur des parkings, sans véritable connexion. Ceux-ci prennent une place importante dans le paysage. 18


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D. Espaces verts Issue de la volonté humaniste et hygiéniste du mouvement moderne, la cité prone la nécessité et la qualité apportée par des espaces végétalisés dans la ville. Ainsi, il y a des espaces verts de qualité au sein de l’ensemble. Les arbres ont poussé, et on trouve une qualité d’espace vert qui diffère de celle de la ville traditionnelle. Ces espaces sont bien entretenus, et deviennent la fierté des habitants.

III. qualité d’urbanité A. l’avis des habitants en 1960 Cette interview menée par L’INA en 1964 marque un témoignage des premiers habitants du Mont-Mesly. À une femme d’une quarantaine d’année. Vous venez d ‘un quartier ancien de Toulouse, ici tout est neuf, où préférez vous habiter? Moi je préfère une ville nouvelle, c’est-à-dire une ville neuve. Votre mari travaille. N’est-ce pas un inconvénient d’habiter si loin du lieu de travail? Si, il doit se lever de bonne heure. Je ne le vois plus le midi pour déjeuner, je ne le vois que le soir à l’heure du diner. À une femme d’une quarantaine d’année. Pour vous une ville moderne présente des avantages ou des inconvénients? Des avantages. il y a plus de distraction, c’est beaucoup plus gai, il y a plein de monde. Et les petites villes traditionnelles avec leur places et leurs cafés, ca ne vous manque pas? Non, non non. Votre mari travaille? Oui, à Maisons-Alfort. Il n’y a pas de problèmes de distance ou trajet. À des enfants Vous habitiez où avant? Paris

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Et vous préférez quoi? Paris, là bas, il y avait la famille, les petits cousins, on pouvait jouer avec eux. Ici c’est trop loin pour aller les voir. À un groupe de jeune. Pourquoi vous venez au centre des jeunes? Bah ça, vous savez il y a plusieurs raisons. D’abord, dans une cité comme ça, on est loin des grandes villes, et il n’y a aucun plaisir. Aucun cinéma, les stades sont fermés ou réservés. Alors on va au centre des jeunes quoi. Il y a un baby-foot, du ping pong. On peut s’amuser et ne pas trainer dans la cité. À un jeune. Vous vous plaisez ici? Vous préfereriez habiter à Paris? Non non, moi je suis bien ici. C’est calme.

Cette interview montre 2 façons d’appréhender la ville nouvelle. Les parents qui sont très enthousiastes à l’idée de vivre dans une ville moderne, enthousiasme qui frôle l’adoration, et la population jeune qui n’est pas du tout réceptive à ce modèle, qui souligne l’ennui dû au manque d’activité. À l’époque, le nouveau Créteil n’existait pas, c’est donc une enquête qui n’est basée que sur le Mont-Mesly.

B. l’avis des habitants en 2010 Je suis allé au Mont-Mesly en août 2010 pour mener une enquête auprès des habitants que je croisais dans les rues afin de savoir quels étaient leurs rapports avec leur quartier, la ville et Paris. Je les ai abordé en leur expliquant ma démarche concernant le Mont-Mesly, et que ces entretiens serviraient dans le cadre de mon mémoire. À une femme de 23 ans, que je vois assise sur une barrière, essayant de joindre son mari. Je lui propose d’utiliser mon portable, et lui demande si je peux l’interviewer. Quelle est votre activité dans la cité? Je vis dans la cité, avec mon mari et notre fille depuis 4 ans maintenant. Où travaillez-vous? Je travaille en tant qu’auxiliaire de vie, donc je travaille dans des endroits différents. Je vais à Créteil l’Échat, à Créteil Université, et dans le IIème arrondissement. C’est pratique j’ai la ligne 8. Que pensez-vous de votre quartier? 22


Avant je vivais dans le XVIIIème. Là-bas, tout est sur place, il y a des commerces, des discothèques. Ici la vie est plus chère. Les produits du Lidl© sont deux fois plus chers. Le commerce de proximité est en danger. Tout le monde va au Centre Commercial Kennedy. Il y a une épicerie ici qui est au bord de la faillite. Si tous les habitants de cette barre et de celle là achetaient ne serait-ce qu’un produit ici par jour ou tous les 2 jours, l’épicière ne serait pas obligée de fermer. Qu’attendez-vous de votre quartier? Qu’est-ce qu’il vous manque? J’aimerais bien qu’il y ait plus de sport féminin. Il manque des structures pour sensibiliser au sport. Par contre, ils organisent des fêtes culturelles, comme le carnaval ou autre, et je trouve ça bien. Que pensez-vous des espaces libres? Je ne peux pas me plaindre parce que ici les places de parking sont gratuites, alors qu’à Paris c’était très difficile de se garer. Même si tous les espaces du quartier sont sensiblement les mêmes, chacun aménage son appartement comme il le veut, c’est ça qui est important, c’est qu’on se sente bien chez soi. Allez-vous dans d’autres quartiers à Créteil? Je vais à Créteil Soleil, je vais à la Fnac. Je vais aussi au lac de Créteil quand il fait beau. Sinon, je traverse les autres quartiers quand je prend le bus. La ville est bien desservie, on peut accéder partout. Allez-vous sur Paris? Pour quoi faire? Je vais à Paris pour faire du shopping et des courses. Les produits africains sont moins chers à Château Rouge. À un jeune homme de 19 ans, assis avec ses amis sur un muret, en train de jouer aux cartes. Quelle est votre activité dans la cité? J’ai grandi ici. Où travaillez-vous? Je fais un BTS à Champigny. Que pensez-vous de votre quartier? Je trouve ça bien, il y a un bon rapport entre les gens. Qu’attendez-vous de votre quartier? Qu’est-ce qu’il vous manque? Il n’y a pas assez de structure de sport. Il y a aussi un terrain qui est toujours fermé. (Un de ses amis ) Il n’y a pas de resto, ça manque d’un grec ou d’un fast food. Mais c’est aux habitants de l’ouvrir. Que pensez-vous des espaces libres? Bah regarde par toi même. C’est «cheum»1 ici. Il y a des parkings, et des blocs. C’est vide. 1  «Moche» en «verlan»

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Allez-vous dans d’autres quartiers à Créteil? Je reste le plus souvent ici. Parfois je vais aux Bleuets (au nord de Créteil), ou aux Côteaux et à la Habette (au sud du Mont-Mesly) pour voir des potes. Aux Bleuets c’est frais, il y a une épicerie ouverte toute la nuit. Allez-vous sur Paris? Pour quoi faire? Ouais, je vais sur les «Champs» pour aller en boîte ou je vais à Châtelet pour acheter des vêtements. À un homme de 38 ans, qui marche dans la rue. Quelle est votre activité dans la cité? Je vis ici depuis 3 ans, avant je vivais à Saint-Lazare et je suis venu m’installer avec ma femme. Où travaillez-vous? Je travaille à Bobigny, donc c’est un peu loin. Que pensez-vous de votre quartier? C’est bien, les habitants sont sympas, il y a un respect des gens. Moi je ne manque de rien. Allez-vous dans d’autres quartiers à Créteil? Non moi soit je reste ici, soit je vais à Paris pour voir des amis et sortir. À un homme de 42 ans qui attendait en bas de son bâtiment. Quelle est votre activité dans la cité? Je vis ici depuis 4 ans, j’habitais à Saint-Denis, et j’ai emménagé avec ma femme. Où travaillez-vous? Je travaille à Paris, j’y vais en métro, c’est pas loin. Que pensez-vous de votre quartier? Moi je suis très content, il n’y a pas de voyou dans le quartier, ça se passe très bien. Par contre à l’Abbaye il y a des jeunes casseurs. Moi quand je passe, ils ne me font rien parce qu’ils me connaissent mais parfois ils embêtent des passants. Qu’attendez-vous de votre quartier? Qu’est-ce qu’il vous manque? Moi, si j’ai un reproche à faire, c’est qu’il y a des gens qui ne se garent pas chez eux, et qui laissent leur voiture pendant très longtemps dans le parking des autres. C’est très embêtant parce que parfois il est plein et je dois me garer plus loin. Que pensez-vous des espaces libres? Ici, il y a trop de parkings, et les barres sont trop présentes, et toutes les mêmes. Il y a des beaux espaces verts. Il y a le CCR mais il manque des commerces. L’ideal serait les 24


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Mont-Mesly, Habitant de la cité,©Jérémie Dru


commerces de Paris et les espaces verts du Mont-Mesly. Allez-vous dans d’autres quartiers à Créteil? Non, je vais à Paris pour travailler, ou je vais dans d’autres cités, comme à Bonneuil, pour comparer. Et je trouve ca parfois plus propre ici. Les parkings sont séparés des trottoirs. À un homme de 55 ans, assis sur un banc en buvant une bière. Quelle est votre activité dans la cité? J’ai toujours vécu ici, j’ai grandi ici, et je suis encore là. J’ai déménagé plusieurs fois, mais j’ai jamais changé de quartier. Tu vois cette fontaine avec des fleurs là-bas. Quand j’étais petit c’était des fontaines avec de l’eau!. C’était sympa! Maintenant, c’est rempli de plantes. Où travaillez-vous? Moi je travaille sur des chantiers un peu partout, dans le 94, sur Paris... Alors c’est bien on à le métro ou la voie express. C’est sur, on peut se déplacer vite. Par contre, c’est vraiment gênant pour le parcours piéton. C’est pas terrible d’aller au lac en passant par le parking du centre commercial. Qu’attendez-vous de votre quartier? Qu’est-ce qu’il vous manque? Moi j’ai toujours vécu dans ce quartier, je l’aime. Il est ce qu’il est et ça m’plait. À un jeune homme de 16 ans, assis avec ses amis sur la place de l’Abbaye. Quelle est votre activité dans la cité? Nous, on a grandi ici, on est allé dans les écoles du quartier. Où travaillez-vous? On est au lycée Saint-Exupéry (au nord du Mont Mesly) Que pensez-vous de votre quartier? Bah c’est frais. Mais ca manque d’activité. C’est-à-dire? Bah il manque une maison des jeunes. Un endroit où on peut se détendre. Mais il y en a une sur la rue René Arcos... Ouais mais elle est toute pourrie. Il manque aussi un endroit pour les petits frères, pour pas qu’ils fassent de bêtises, pour pas qu’ils galèrent comme nous. Que pensez-vous des espaces libres? Bah c’est vide. Ca manque d’un bar ici, d’un endroit où se poser. Il y a un vieux bistrot dans le quartier de la Parisienne, mais pas de bar pour les jeunes. Il n’y a rien sur cette place. Et puis moi, j’aimerai bien vivre en hauteur, dans des tours. Je trouve que ça manque de tour. Pour pouvoir voir tout Créteil de chez soi, avec le lac. Allez-vous dans d’autres quartiers à Créteil? 26


Non, pas trop, au CCR ou au lac, mais sinon, on reste là. Allez-vous sur Paris? Pour quoi faire? Pour s’amuser, pour acheter des trucs, des vêtements...

C. relation entre les habitants et leur quartier

Comme il est dit dans l’article, les habitants du Mont-Mesly reconnaissent les qualités sociales du quartier. Ils se connaissent, partagent l’histoire du quartier, et s’entendent bien. Cependant, on dénote un problème dans le rapport entre les habitants et la morphologie de leur quartier (et ce dès les premiers habitants), c’est-à-dire au niveau du paysage urbain monotone et du manque d’activité. Quand les habitants ne vont pas à Paris, ou au centre commercial, ils restent dans un quartier qu’ils qualifient d’ «inactif». Les commerces de proximité ferment, il n’y a pas d’activité ludique1, d’espace attractif pour les jeunes, qui s’ennuient. Hormis l’entretien des espaces verts, il y a eu une déterioration des qualités des espaces publics depuis sa création. Les parkings se sont de plus en plus remplis de voiture, les fontaines sont des bacs à fleur surdimmensionnés... ce qui nuit à la qualité de l’espace public et à l’image du quartier. La morphologie du Mont-Mesly nuit à la qualité de l’urbanité qu’on y trouve. L’ étude porte sur les méthodes pour la renforcer. Nous allons donc étudier la qualité d’urbanité de la ville tradionnelle. Nous allons étudier les outils de fabrication de la ville traditionnelle afin de comprendre comment la collectivité émerge dedans. Ensuite, nous allons étudier la transformation de ces outils dans la ville moderne pour comprendre comment la collectivité s’est transformée elle aussi. Nous allons proposer enfin les enjeux quant à l’intervention sur la morphologie de la cité.

1 Lefebvre Henri, Du rural à l’urbain, La vie sociale dans la ville, Paris, éditions Anthropos, 1970, p.150 «Le fonctionnnalisme a oublié que dans la vie urbaine, il y a un jeu perpétuel, non seulement le jeu de l’information, mais les jeux de toute espèce, jeux de rencontre, de hasard, jeux tout court qu’on joue dans les bistrots, puis le grand jeu du spectacle dramatique. Il y avait dans les villes des fonctions ludiques qui étaient d’ailleurs assumées par des édifices précis comme le stade de la cité antique, noyau de la vie sociale avec le temple, l’agora.[...] La fonction ludique en tant que fonction active doit être reconsidérée.»

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Haut-Mesly, Rue Henri Cardinaux,©Jérémie Dru


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II. morphologie et urbanitĂŠ

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Fig.1: Axonométrie de la rue piétonne, à Créteil Village

Fig.2: Espace Privé/ Espace Public 16

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Fig.3: Forme de l’espace public 6m

Fig.4: Voie de circulation

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I. morphologie de la VILLE TRADITIONNNELLE

Afin de renforcer l’urbanité dans le grand ensemble, nous prenons pour référence la ville traditionnelle (voir Fig. 1), pour étudier les éléments qui permettent à l’urbanité d’émerger. Ainsi, nous allons étudier les outils de création de la ville traditionnelle, qui sont par extension les outils d’émergence de la vie collective urbaine.

A. les outils de fabrication de la ville traditionnelle 1.

Le système parcellaire

À l’origine, la parcelle est un outil agraire. Elle désigne la part de terrain possédée ou cultivée par une personne ou une famille, la «partie d’un terrain d’un seul tenant de même culture ou de même utilisation, constituant une idée cadastrale»1. Par extension, en ville, la parcelle est la part de terrain, occupée par un bâtiment ou non, appartenant à un propriétaire privé ou public. Le répertoire des parcelles sur un territoire (le cadastre foncier) a essentiellement un but fiscal. Mais loin d’être seulement un outil administratif, la parcelle sert aussi à la gestion de l’urbanisme, l’économie des services publics, l’aménagement des zones rurales. En effet, la parcelle est l’élément de base de la structure d’un territoire agricole ou urbain. La ville est donc un ensemble parcellaire, un système combiné de parcelles différentes.

2.

La séparation public/privé: la délimitation de l’espace public

Ainsi, dans la ville traditionnelle, tous les espaces ont un statut clair (public, ou privé), et laissent place à des sous espaces (place, trottoir, voie). Les espaces ouverts sont délimités par la parcelle. Tout ce qui est compris dedans est privé (bâti, jardin, cour...), le reste est public (la rue, le trottoir, la place). (voir Fig. 2) Ainsi, les parcelles donnent des limites à l’espace public (barrière, bâti). (voir Fig. 3) Celui-ci s’organise autour de la voie de circulation (voir Fig. 4). Les bordures de parcelle sont des espaces de transition, l’articulation entre le public et le privé. Le bâti influe sur l’espace qu’il limite, les commerces animent les rues, les équipements rassemblent les habitants... Le fait que l’espace public est délimité a des effets spatiaux sur la sociabilité du quartier (rencontre des habitants...). Les flux sont canalisés et interagissent avec les bâtiments qui les encadrent. 1  Grand Larousse en 5 volumes, 1989

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3.

La parcelle et le bâti

La parcelle structure le bâti en l’orientant à partir de la rue (pas de choix d’orientation du bâtiment). Dans la ville traditionnelle, la bordure de la parcelle assure la limite entre l’espace public et l’espace privé. Elle fait l’objet de différents traitements, une clôture, un muret, une construction. Il y a donc une différenciation des espaces qui influera sur le traitement architectural du bâti. Celui ci diffère selon que la façade est sur rue ou sur le fond de la parcelle. La parcelle, par sa forme, prégéométrise le bâti. Ainsi, la juxtaposition de parcelles de différentes tailles donne naissance à différentes architectures, qui trament et composent la ville. Les parcelles rendent chaque élément indépendant l’un de l’autre. On peut intervenir sur des entités, les transformer, les reconstruire sans nuire au reste de la composition de la ville, cela assure la permanence du renouvellement de la structure urbaine, et entraîne une diversité des constructions, qui laissent l’empreinte d’une époque dans le paysage. (voir Fig. 5) Dans Créteil Village, le bâtiment est à la limite de la parcelle, et sert d’articulation entre le public et le privé. Il influe sur la morphologie de l’espace public, de par ses dimensions (sa hauteur offre plus ou moins de soleil à la rue, sa taille donne un rapport particulier entre l’espace public et le bâtiment) et sa programmation au niveau de la rue, qui participe à l’activité et aux usages de l’espace public.

4.

La forme de l’espace public

Ainsi, l’espace est limité et défini, par la parcelle. Le bâti structure donc l’espace public, en lui donnant une forme (voir Fig. 6). C’est dans cette enceinte, bordée de bâti, que se déroule la vie en collectivité. Les différentes activités et les moments de la vie urbaine se côtoient et s’additionnent, l’urbanité émerge dans cet espace limité.

5.

Diversité d’activité, la vie collective

La ville traditionnelle se lit simplement, grâce à la clarté des espaces dûe au système parcellaire. Elle se compose de rues, bordées d’îlots qui se divisent en parcelles. Cellesci peuvent accueillir une variété d’architectures et d’activités dans le respect du PLU. Ainsi, un îlot, une parcelle, ou un bâtiment peut accueillir plusieurs fonctions. L’espace public étant assujetti à l’installation d’activités (temporaire, ou pas), cela offre une diversité d’activités possibles (voir Fig. 7). La proximité entre les bâtiments de part et d’autre de la rue assure un dialogue, qui se fait à travers l’espace public. Ainsi les parcelles cadrent l’espace public, les activités urbaines et les usages de l’espace, et donc la vie collective.

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9m 3m

Fig. 5: La parcelle donne lieu à une diversité des constructions

Fig. 6: Rapport entre la forme des espaces ouverts et l’espace public

Fig. 7: Fonctions

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B. rapport entre les habitants et l’espace urbain 1.

Concentration des habitants

La collectivité se développe dans un espace délimité: la rue. Ces limites ont pour effet de canaliser le flux des personnes (voir Fig. 8), ce qui amène les individus à se rencontrer, se mélanger, et à échanger. Éric Charmes souligne le rapport entre l’espace délimité de la ville traditionnelle, et la reconnaissance visuelle qui y émerge. «Dans l’espace proche, la reconnaissance visuelle peut être un préalable à un échange plus approfondi: à force de se croiser, on finit parfois par échanger un signe de main puis se dire bonjour»1. Ainsi, une forme de mixité se développe dans l’espace public, et de cette manière, la morphologie de l’espace influe sur la collectivité du quartier (voir Fig. 9).

2.

L’importance du bâti

Le bâti a donc un double rôle dans l’espace public. D’abord la programmation du bâtiment influe sur les usages qu’on trouve au pied de celui-ci (selon que ce soit du logement, un commerce, un bureau, un équipement). Ainsi, le bâti influe directement sur les usages de l’espace public et donc sur la qualité de l’urbanité du quartier. Ensuite, la forme des bâtis qui constituent le cadre de l’espace public va influer sur les qualités spatiales de l’espace. La hauteur des bâtiment définira la quantité de ciel et de lumière que reçoit l’espace public, leurs dimensions et leur écriture architecturale leur donnera plus ou moins d’importance par rapport à l’espace et leur confèrera différentes atmosphères (on ne perçoit pas une rue bordée de vieilles bâtisses de la même façon qu’une rue bordée de boîtes en verre).

3.

La représentation de l’espace

Ainsi, l’espace public est un lieu de vie, un espace dans lequel émerge une collectivité. Il accueille des usages auxquels il apporte un confort.L’individu, dans sa singularité, a différentes perceptions de l’ espace en fonction de sa morphologie ( c’est-à-dire de sa forme et des usages qu’il y trouve) et de son état de mobilité dans celui-ci. Il n’appréhendera pas de la même façon l’ espace selon qu’il le traverse, qu’il déambule ou qu’il s’y arrête. Suivant ces degrés de mobilité, il recherchera différentes qualités de confort: le voyageur peut traverser l’espace en restant sur le trottoir, celui qui circule à travers le quartier utilise sa voiture, celui qui veut se poser s’arrête à une terrasse de café ou sur un banc, ou sur des éléments architecturaux qui donnent une assise. De même, en parcourant la ville et les espaces publics qui la composent, l’individu trouvent des éléments qui servent de repère. Ceux-ci sont en relation direct avec l’histoire de la ville. La ville traditionnelle, de son renouvellement constant ou autres bizar1  Charmes Éric, La rue, village ou décor ? : parcours dans deux rues de Belleville, Paris, éditions Créaphis, 2006 p. 116

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reries en construction, accueille des éléments qui surprennent le regard, un bâtiment légèrement avancé, une bâtisse déformée par le temps, qui deviennent des repères dans la ville. À ceux-ci s’ajoutent les équipements de la ville, comme la mairie, la bibliothèque, la grande place... qui deviennent des polarités structurantes de la ville. Ainsi, l’espace public a aussi une fonction de représentation, à la fois au niveau de la ville (espace symbolique qui tend à devenir une identité de la ville), et de l’habitant, qui trouve différents repères (personnels, de l’ordre du ressenti) à travers les pratiques qu’il a dans l’espace et son parcours. C’est la structuration de ces espaces et leur hiérarchisation qui apportent une lecture claire de la ville.

Fig. 8: Circulations

Fig. 9: Polarité

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Bas-Mesly, Rue du Dr Pinel,©Jérémie Dru


II. morphologie de la ville moderne

A. transformation des outils de fabrication de la ville

1.

Un contexte particulier pour la conception de la ville

En abordant le mouvement moderne, il est primordial de rappeller le contexte de la conception de la ville. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, on compte 74 départements touchés par les bombardements, 460 000 immeubles détruits, 1 900 000 endommagés. Il faut rétablir les voies de communications ( routes, chemins de fer...), et reconstruire les habitations détruites. En plus de cela, la population urbaine augmente. Avec le développement de l’ère industrielle, les populations des campagnes vont en ville. Il faut loger d’urgence les travailleurs, qui participent au redressement économique, les réfugiés et les victimes de la guerre. Ces grands flux vers la ville transforment son échelle, et son mode de conception. On ne parle plus d’habitant à accueillir, mais de population à loger. Pour cela, le MRU (Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme) est créé fin 1944 et a pour objectif la construction de logements en masse. Il veut rationaliser la construction du logement, pour accelérer la reconstruction de la ville. La construction de la ville entre alors dans une nouvelle temporalité, plus rapide. On décide de planifier la ville pour qu’elle devienne rapidement opérationnelle.

2. Rejet de la ville traditionnnelle qui amène à de nouvelles formes urbaines En 1945, les architectes, les urbanistes et les élus remettent en cause la ville traditionnelle. Les villes sont trop denses, les logements sont des taudis dont la misère se prolonge dans l‘étroitesse des rues sombres, dépourvues d’espaces verts. Les habitations souffrent des nuisances de la route (ancienne rue) du bruit et du danger des voitures. Les réseaux de circulation ne sont pas adaptés à la vitesse des voitures. On se tourne alors vers les théories du CIAM (Congrès International de l’Architecture Moderne) pour adopter le modèle de la ville moderne, la ville fonctionnelle. Le CIAM promet un avenir radieux, il y a alors une volonté morale et humaniste de sortir le pays de la pénurie, d’abolir les classes sociales. Le CIAM est fondé en 1928, et regroupe les grands architectes de l’époque, Le Corbusier, Walter Gropius, Richard Meyer... Ils concentrent leurs recherches sur l’habitation en

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tant qu’élément constitutif de la ville. Les différents congrès1 donnent lieu à la Charte d’Athènes (publiée en 1941), un manifeste qui a pour but de formuler le problème architectural contemporain, et de présenter une idée d’architecture moderne, en rendant la ville fonctionnelle. À partir de ce manifeste, on construit la ville moderne.

3.

Répartition spatiale des fonctions de la ville

Le mouvement moderne ne conçoit pas la ville pour l’habitant, mais pour une population d’habitants. Ainsi, on ne réfléchit pas la ville et le logement pour des êtres singuliers, mais pour un habitant modèle, «type», qui répond à certaines fonctions: «Les clefs de l’urbanisme sont dans les quatre fonctions: habiter, travailler, se récréer (dans les heures libres), circuler. Les plans détermineront la structure de chacun des secteurs attribués aux quatre fonctions clefs, et ils fixeront leur emplacement respectif dans l’ensemble.»2 Les théories du CIAM ont donc pour but de construire une structure de ville qui puisse répondre à ces fonctions. Dans la ville traditionnelle, la juxtaposition de ces fonctions réduit la lisibilité de la ville. Ainsi, les fonctions de la ville se trouvent séparées dans l’espace, pour clarifier les secteurs urbains. Le CIAM développe l’idée du zoning, qui consiste à donner une zone à chacune des fonctions, et les relier par des infrastructures, qui permettent une circulation rapide. Ainsi, les grands ensembles répondent à la fonction de loger les habitants, et deviennent de grands quartier de logements.

4.

L’éclatement de l’espace visuel

Lors de la reconstruction des villes en France, le CIAM et l’État critiquent le modèle de la ville traditionnnelle. Les habitations s’entassent et la densité des centres-ville créent des rues corridors, sans lumière et sans espace vert. L’espace public est limité et fermé. Les théories du CIAM s’opposent à la délimitation de l’espace et donc au système parcellaire. Elles réfutent ce modèle de la rue à la recherche d’un horizon infini et d’un espace public illimité (voir Fig. 1). «Rarement nous aimons à porter nos yeux sur la découpure que font les maisons sur le ciel; ce spectacle nous affecte trop péniblement. Cette découpure est d’un bout à l’autre de la ville, et presque en toutes les rues, une déchirure - ligne cassée, brutale, heurté, hérissée d’obstacles [...] Brisant la rue corridor, il faut, à proprement parler, créer l’étendue du paysage urbain. Étendue et non pas toujours cette unique profondeur étriquée du corridor. En dessinant des «lotissements à redents», j’étale cette horizon loin à droite et loin à gauche et, par des retours sur l’axe longitudinal, je compose architecturalement: la ligne autrefois sèche du corridor enferme maintenant des prismes, accuse des enfoncements et des saillies; la paroi aride et énervante du corridor est remplacée par des volumes qui se juxtaposent, 1  1929, Congrès à Francfort sur l’Existenzminimum 1930, Congrès à Bruxelles sur la Construction rationnelle de la ville 1933, Congrès à Athènes sur la Ville fonctionnelle 2  Le Corbusier, La charte d’Athènes, Paris, éditions de Minuit, 1957, points de doctrines 77 et 78

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Fig.1: Axonométrie de la rue Casalis, dans le Bas Mesly

Fig.2: Espace privé = Espace bâti

30m

Fig.3: Forme de l’espace public

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8m

Fig. 4: Morphologie du b창ti

27m

Fig. 5: Morphologie du b창ti

Fig. 6: Espaces verts

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s’éloignent, se rapprochent, créent un vivant et monumental paysage urbain.»1 Ainsi, tout ce qui n’est pas bâti est public (voir Fig. 2 et 3). L’espace public ne s’organise plus seulement autour des voies de circulation. Les grands ensembles se conçoivent en plan de masse. On ne réfléchit plus en terme de rue, mais de lignes horizontales et de points verticaux qui composent l’espace vide. L’espace est divisé en zones, entre lesquelles les voies permettent une circulation facile. Ainsi, dans la ville moderne, les voies ne sont plus en relation avec les bâtiments, elles ne concentrent plus la collectivité. Elles ne servent qu’à circuler. Les constructions ne bordent plus la rue, elles sont en retrait pour ne pas souffrir des pollutions de la rue et ne donnent plus la forme de l’espace public. Le bâti est en relation avec des zones libres, qui peuvent être vastes dans certains grands ensembles. Dans le Mont-Mesly, l’architecte apporte une réponse à ce point urbanistique qui commençait à être critiqué au moment où il a dessiné le plan. Il découpe alors de grands îlots public, qu’il compose avec le bâti.(voir Fig. 4)

5.

L’architecture standardisée

L’urgence de la construction des grands ensembles ne laisse pas place à l’artisanat et amène à de nouveaux principes constructifs des logements qui optimisent la construction dans le temps: la standardisation du logement, la préfabrication en béton et la construction sur chemin de grue. L’architecture n’est plus réfléchie comme une entité dans un terrain défini, le conditionnement de la parcelle est rejetté. Les logements sont construits dans des espaces vides, afin de profiter de l’ensoleillement, loin de la rue, au calme. On réfléchit alors le logement comme une cellule que l’on reproduit pour avoir une barre de logement. On ne laisse pas de place à l’artisanat et la variété des méthodes, la construction des barres est rapide et industrielle, par assemblage d’éléments préfabriqués. Les batiments étant implantés dans des espaces libres, il n’y a plus de distinction entre les façades. Ainsi l’architecture des grands ensembles devient linéaire, des parallèlepipèdes posés dans un espace libre (voir Fig. 5).

6.

L’ espace libre

Le mouvement moderne veut développer une nouvelle égalité sociale, en supprimant la propriété privée des espaces non bâtis, et en les mettant à disposition. Le but est que les pouvoirs publics puissent aisément décider des aménagements et intervervenir sur les espaces, sans être gênés par des privés, et ce au nom de l’intérêt général. Le mouvement moderne refuse donc la limitation physique et juridique de l’espace public par l’espace privé, ainsi, l’espace libre se dilue dans l’espace privé, qui devient entièremment public. De par la composition des îlots, l’espace public tel qu’on le concevait dans la ville traditionnelle se décline en différents sous-espaces. Dans le MontMesly, on trouve un espace symbolique (la place de l’Abbaye), des espaces collectifs 1  Le Corbusier, La rue, village ou décor ? : parcours dans deux rues de Belleville, Paris, éditions Créaphis, 2006

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(les coeurs d’îlot), et des espaces libres (ce sont des espaces résiduels qui entourent le bâti et se mêlent aux trottoirs et aux coeurs d’îlots). Dans le Mont-Mesly, Gustave Stoskopf compose les coeurs d’îlot comme des «petites places de village» dont les dimensions ne dépassent pas les 80X80m, pour créer une intimité. Ils font l’objet d’un traitement paysager, qui apporte une qualité hygiénique à la ville (voir Fig. 6).

B. rapport entre les habitants et l’espace urbain 1.

Construction rapide dans le temps

Le mouvement moderne a donc révolutionné la construction de la ville. La conception de la ville a changé, à commencer par les conditions de la conception. La ville qui se développait dans le temps est maintenant réfléchie d’un geste de l’urbaniste. Le dessin de l’espace urbain devient un acte créatif, l’artiste est devant sa toile de terrain vierge, et compose des espaces, qui deviendront la ville (comme on peut le voir dans les oeuvres abstraites des mouvements du début du XXème siècle, De Stilj, ou le cubisme). L’habitant n’est plus concerné dans le développement de la ville. «Les grands projets, les slogans de l’architecture pour le peuple, pour les masses, pour le bien être de l’humanité, ont en fait pour conséquences d’éloigner le travail de l’architecture des conditions concrètes de la vie des gens».1 Il y a une fracture entre la ville construite et les habitants qui viennent l’habiter. La ville moderne est construite pour accueillir l’habitant, tandis que la ville traditionnelle s’agrandissait avec les habitants et leurs besoins. Dès le début, des habitants sont réticents au modèle de la ville moderne. Il y a un refus à considérer cet habitat comme définitif. Les habitants étant des inconnus pendant la mise en place du quartier, l’ensemble, le paysage, les usages du quartier ne leur correspondent pas, et ils se lient difficilement avec le quartier et leur logement. «C’est en effet parce que l’architecture a cessé de partager avec les Hommes un même destin temporel qu’elle est si souvent devenue étrangère aux paysages, et aux Hommes qui l’habitent»2

2.

Un espace uniformisé et monofonctionnel

Le modernisme a prôné les techniques industrielles de construction, sur chemin de grue, ce qui n’a pas donné de chance à d’autres savoir-faire en construction. Ainsi, le patrimoine architectural est homogène, d’un point de vue des volumes architecturaux et des matériaux employés. Le paysage se compose donc de barres en béton horizon1 Queysanne Bruno, Construire en participation, 1985 2  Gruet Stéphane, L’oeuvre et le temps (tome IV), analytique, l’architecture, le temps, la ville, p.79

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Fig. 7: Fonctions

Fig. 8: Circulations

Fig. 9: PolaritĂŠs

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tales et de tours sensiblement identiques. La composition du plan masse est orthogonale, les barres sont parallèles. Cela donne des espaces très similaires dans le parcours de la cité, notamment lors du passage d’une place à l’autre. L’espace devient isotrope. Ainsi, le voyageur n’a plus de repère, l’espace manque d’identités qui facilitent sa lecture.

3.

La place du bâtiment

Le bâti perd son rôle structurateur et ainsi ses rapports avec l’espace public. La variété des architectures (techniques de construction, traitement des façades, ornementations) amène une richesse de diversité dans les espaces publics de la ville traditionnelle (qui permet d’avoir des repères, différents usages, différentes appréhensions). L’architecture répétitive des grands ensembles amène à un espace uniforme. Elle ne sert plus de repère dans la ville et uniformise la représentation des différents espaces du Mont-Mesly. Le zoning de la ville a amené à construire des quartiers qui répondent à la fonction de loger. Ainsi, les bâtiments n’a qu’une seule fonction: loger. Les commerces ne sont plus au pied des immeubles, ils sont regroupés dans des centres commerciaux (voir Fig.7). Le quartier devient monofonctionnel et l’espace public n’est plus animé par les commerces de proximité et les équipements de quartier qui favorisaient la rencontre.

4.

Dilution de l’espace public

Dans la ville traditionnelle, les usages de l’espace public dépendent de sa structure, des activités qu’on trouve dans le bâti qui le limite. La délimitation de l’espace public entraine la canalisation de l’espace public, qui lui permet de voir émerger une activité collective. Dans la ville moderne, l’espace public n’a plus de limite. L’éclatement visuel de la ville et la composition en plan de masse à la recherche d’un horizon laissent place à une nouvelle qualité d’espace public: l’espace libre. Celui ci n’est plus encadré et fermé par le bâti, il est infini et se dilue dans l’espace privé. Ainsi, l’espace public pénètre dans les îlots, et entoure le bâti. Ainsi, le flux des individus se transforme, puisqu’il n’est plus enfermé entre les bâtiments de la ville. Il se dilue dans l’espace et offre une liberté totale des parcours (voir Fig. 8). Mais cela a aussi pour effet de diluer la collectivité. La rue et ses fonctions s’éclatent. La rue devient un espace de circulation, et l’espace public est rythmé de volumes d’habitation qui ne participent pas à la vie urbaine. Ainsi, la rencontre n’est pas favorisée (perte du commerce de proximité et de l’animation de la ville traditionnelle). L’espace libre entraîne la dilution de l’espace public et donc des espaces de rencontre. Ceux-ci ne sont pas connectés (dans la ville traditionnelle, ils étaient liés par la rue), et la collectivté est discontinue (voir Fig. 9). 47


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III. Enjeux de l’espace public dans le Mont-Mesly

A. Place des habitants

1.

La sensibilisation à l’environnement

Des études sociologiques relèvent que «dans la ville traditionnelle, l’espace public est la projection sur le terrain de la structure sociale de la ville existante, tandis que dans la ville moderne, c’est la projection de la structure technique (hiérarchique et professionnel) des entreprises intéressées»1. Cette remarque trahit le désamour des premiers habitants de la cité. Maintenant, il y a une vie qui existe, les habitants sont installés, certains ont grandi dans le quartier... mais l’espace urbain n’a pas évolué, ce qui marque une distance avec les habitants. Un des enjeux dans le processus de renouvellement est donc de faire participer l’habitant à la construction du projet, afin qu’il devienne à l’image de la collectivité qui l’habite, que l’espace soit adapté à celle-ci. Sans les habitants, la conception du projet serait de la même qualité que le modernisme: elle se voudrait humaniste, mais ne considérerait pas l’humain. Ainsi, le processus vise à sensibiliser les habitants à leur environnement, à les pousser à s’interroger dessus pour le concevoir, et donc plutôt que de s’y adapter, à les pousser individuellement et collectivement, à se demander comment leur quartier pourrait être adapté à leurs besoins.

2.

Processus de renouvellement

Au-delà d’une intervention, on parlera d’un processus de renouvellement, incluant les habitants. Un des enjeux de ce processus est la construction au sein de la ville. Comme dans la ville traditionnelle, la ville moderne devrait assurer un renouvellement en permanence afin que la ville soit adaptée aux besoins des habitants en permanence. Actuellement, les habitants évoluent dans un quartier figé qui n’a quasiment pas changé depuis sa création. Stéphane Gruet insiste sur l’importance du temps et des différentes époques dans le processus de création de la ville.« C’est par la confrontation des différents temps liés dans la ville aux styles architecturaux que son devenir prend tout son sens.»2 En effet, dans la ville traditionnelle, la diversité des architectures de la ville lui offre une richesse, et 1 Lefebvre Henri, Du rural à l’urbain, Propositions pour un nouvel urbanisme, 1970. 2 Gruet Stéphane, L’oeuvre et le temps (tome IV), analytique, l’architecture, le temps, la ville, p.134

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Fig. 1: Confrontation des différentes époques

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Fig. 2: 12 propositions de transformation d’un espace

Fig.3: 20 propositions de transformation d’une barre

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une lecture de son histoire. Ainsi, ce type d’intervention sur les espaces publics vise à y laisser une empreinte des habitants et de la collectivité.

3.

La collectivité issue de l’habitat

Dans les grands ensembles, l’habitat n’est pas individuel mais collectif. Dans la ville traditionnelle, les immeubles d’habitations collectifs comprennent moins de logements, ce qui facilite la rencontre entre les habitants (ils rencontrent souvent les mêmes personnes...). De plus, l’intégration dans un tissu actif, composé de commerces, d’activités permet aux habitants de se rencontrer, et de voir émerger une collectivité. Dans les grands ensembles, le contexte urbain diffère. Il est monofonctionnel, les activités sont délocalisées, de même que les espaces de rencontre. Du point de vue de la reconnaissance visuelle, les circulations au sein des bâtiments deviennent comparables aux rues qui desservent les zones résidentielles dans la ville traditionnelle. Dans ces espaces limités, les habitants se rencontrent, se saluent ou se reconnaissent. Ils sont donc les lieux de l’émergence d’une collectivité, à petite échelle. Seulement «les espaces collectifs des tours et des barres donnent moins aisément que la rue une valeur positive aux croisements répétés1» (rencontres forcées, espaces qui forcent à la proximité, ascenceurs contraignants, espaces fermés, sans lumière). Les immeubles d’habitation ne disposent pas d’espaces qui favorisent cette rencontre, la rendent agréable. Les centres commerciaux délocalisent les habitants qui se rencontraient dans les commerces de proximité, le pied des immeubles est dépourvu d’installations ou de mobilier urbain qui favorisent l’arrêt et la rencontre.

B. la morphologie des lieux Il s’agit donc de travailler sur les éléments qui constituent le paysage urbain, à savoir les espaces libres et le bâti.

1.

Espace public

Ainsi le Mont-Mesly se compose de quartiers qui trouvent chacun une certaine singularité (un parc mis en valeur, une composition particulière...). Seulement ces éléments identifiables se trouvent au coeur d’espaces isotropes. Ces espaces initialement voués au loisir, à la collectivité locale forment une multitudes de petits espaces sans usage, car monofonctionnels, sans identité claire, prisés par la voiture, et structurés par une architecture répétitive. L’accumulation des ces espaces uniformes crée une désorientation, un ennui qui gênent les rapports entre l’habitant et son quartier. Cependant, les espaces libres du Mont-Mesly ne sont pas de vastes étendues illi1  Charmes Éric, La rue, village ou décor ? : parcours dans deux rues de Belleville, Paris, éditions Créaphis, 2006 p. 119

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mitées. Les espaces publics sont en majorité constitués de déclinaisons d’une forme générique. « Le problème des grands ensembles est la répétition. La répétition est un procédé musical, qui peut être un procédé architectural à condition que s’y ajoutent des variations, des harmoniques».1 Ainsi, un des enjeux est effectivement de trouver des harmoniques, en liant les éléments du paysage urbain (bâti, espace libre, espace vert, rue), afin de singulariser l’espace, de lui donner une cohérence spatiale qui permette une lecture claire. On peut ainsi trouver une grande diversité d’interventions (voir Fig. 2), d’un point de vue de la morphologie ou des programmes, dans cette forme générique.

2.

Patrimoine

L’enjeu quant à l’espace collectif est de permettre à sa morphologie de renforcer la vie collective, et ce en lui apportant des qualités qui lui font défaut. Ainsi, le procédé de construction des immeubles de logements est répétitif, tramé, et offre une grande diversité d’intervention (voir Fig. 3), qui auront un double effet. Dans un premier temps, celui de transformer le confort de l’habitant dans son habitat (intervention sur les appartements, les circulations verticales, les halls) puis d‘intervenir sur l’uniformité du paysage urbain en offrant une diversité architecturale aujourd’hui absente.«La morphologie des bâtiments se prête bien à l’enveloppement et à l’attribution de prothèses»2

3.

Accueillir les usages

Ainsi, ce travail sur la structure du lieu, et la qualification de ces espaces dans le MontMesly vise à favoriser l’arrêt et la rencontre dans le quartier. Elle vise à apporter une qualité à la fonction d’arrêt qui existe mais est rejetée (les habitants se rencontrent au pied de leur immeuble, mais il n’y a pas de mobilier urbain qui accompagne cet élan, de même pour les parkings, dont la voiture finit par servir de mobilier). La démarche vise à apporter des usages dans l’espace qui renforceront les fonctions liées à l’espace public: le ludique et le symbolique.

1 Chemetov Paul, Faut-il protéger les grands ensembles?, 2005 2 Perrault Dominique, Faut-il protéger les grands ensembles? 2005

54


C.

lisibilité de la ville

1.

Repères

L’intervention, en singularisant le lieu, a pour but de lui donner une identité, qui peut comme on l’a vu se manifester de différentes façons: une entité physique, un signal, un usage ou un programme particulier... Ainsi l’espace isotrope retrouve une place dans le quartier, il devient un repère dans la structure de la ville, il constitue un pôle urbain (à différentes échelles possibles) et participe à la vie du quartier. Par leurs enchaînements, ces espaces clarifient la vie de quartier.

2.

Structuration

Le renouvellement des espaces permet d’affirmer des repères urbains dans les espaces uniformes de la ville, qui par leur enchainement clarifient la lecture de la ville. Ainsi le quartier qui n’a qu’une centralité (la place de l’Abbaye) possède plusieurs pôles qui le structure.

3.

Nouveaux Parcours

Ainsi, on trouve des polarités dans le parcours de la cité. Celui-ci qui est aujourd’hui monotone se trouve séquencé et redynamisé.

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SYNTHÈSE DES OUTILS DE CONCEPTION DE LA VILLE


et enjeux des interventions


VILLE TRADITIONNELLE

VILLE MODERNE

CONST

ESPACE PU

ESPACE PUBLIC

Ville Traditionn

Ville Moderne

ESPACE B ESPACE BâTI

Ville Traditionne public dépen

Ville Moderne: Au entre le bâti et l'e

fORME DE L' ESP

fORME DE L'ESPACE PUBLIC

Ville Traditionnell voies

Ville Moderne: Tou ouver

VOIES DE CIRC

VOIES DE CIRCULATION

Ville Traditionnelle collectiv

Ville Moderne

ARCHITECT ARCHITECTURES

Ville Traditionnel

Ville Moderne: U

RÉPARTIT ACTIVIT RÉPARTITION ACTIVITÉS

Ville Traditionn

Ville Moderne

58


MODERNE

CONSTAT

INTENTIONS

ESPACE PUBLIC Ville Traditionnelle: fermé Ville Moderne: Ouvert

HIERARCHISER

ESPACE BâTI Ville Traditionnelle: L'espace public dépend du bâti Ville Moderne: Aucune relation entre le bâti et l'espace public METTRE EN RELATION

fORME DE L' ESPACE PUBLIC Ville Traditionnelle: Autour des voies Ville Moderne: Tous les espaces ouverts

ExPLOITER

VOIES DE CIRCULATION Ville Traditionnelle: Accueillir la collectivité Ville Moderne: Circuler

IDENTIfIER

ARCHITECTURES Ville Traditionnelle: Diversité Ville Moderne: Uniformité

TRANSfORMER

RÉPARTITION ACTIVITÉS Ville Traditionnelle: Mixité Ville Moderne: Zoning

59 RÉPARTIR


ESPACES

Ville Traditionne ESPACES VERTS

Ville Moderne: O

ZONES AC

ZONES ACTIVES

Ville Traditionnell

Ville Modern

PARCO

PARCOURS

Ville Traditionnel

Ville Moder

REGAR

REGARDS

Ville Traditionnelle

Ville Modern

SKyLIN SKyLINES

60

Ville Traditionn

Ville Modern


ESPACES VERTS Ville Traditionnelle: Ponctué Ville Moderne: Omniprésent

CONSERVER

ZONES ACTIVES Ville Traditionnelle: Structurées Ville Moderne: Isolées

METTRE EN DIALOGUE

PARCOURS Ville Traditionnelle: Concentré Ville Moderne: Libre

SÉqUENCER

REGARDS Ville Traditionnelle: Point de fuite Ville Moderne: Horizon

IDENTIfIER

SKyLINES Ville Traditionnelle: Rythme Ville Moderne: Linéaire

61 RyTHMER


62


63

Haut-Mesly, Rue Henri Cardinaux,©Jérémie Dru


64


III. diffĂŠrentes alternatives au Mont-mesly

65


I. la parcellisation Nous allons étudier une première alternative aux grands ensembles, une première démarche qui vise à revenir au modèle de la ville traditionnelle, afin de retrouver les qualités reconnues et appréciées de la collectivité qu’on trouve dans la rue, en se demandant dans quelles mesures on peut transposer les outils de la ville traditionnelle dans la ville moderne. C’est dans une démarche de délimitation de l’espace que le parcellaire apparait comme un outil utile à la clarification de l’espace. Nous allons donc étudier cette démarche et voir les limites de cette forme de remodelage de la ville.

a. Principes 1.

Acteurs et démarche

Cette démarche consiste à transférer les outils de la ville traditionnelle dans la ville moderne pour améliorer la lisibilité de la ville. Depuis la création de l’ANRU1, cette démarche est la plus utilisée pour le renouvellement des grands ensembles. L’ANRU coordonne le Programme National de Rénovation Urbaine, en simplifiant les procédures et en regroupant l’ensemble des financements. Le Programme National de Rénovation Urbaine, tel que défini par la loi du 1er août 2003, prévoit la conduite de Projets de Rénovation Urbaine sur les quartiers fragiles classés en ZUS (périphériques ou urbains), concentrant des difficultés sociales et économiques. Cela se traduit par l’amélioration des espaces urbains, le développement des équipements publics, la réhabilitation et la résidentialisation de logements locatifs sociaux, la démolition pour vétusté ou pour une meilleure organisation urbaine de logements, ou le développement d’une nouvelle offre de logements, aux formes et aux statuts diversifiés. Ainsi, l’ agence propose des logements neufs ou rénovés, diversifiés dans leur statut et leur densité, des rues remises à neuf ou modifiées, dotées d’éclairage et de mobilier urbain, des espaces et des équipements publics rénovés ou créés, des commerces de proximité redynamisés et multipliés, des actions concrètes en faveur du développement économique et de l’emploi local, de l’éducation et de la culture, des partenariats nationaux et locaux, publics et privés, qui permettent de financer au total plus de 40 milliards d’euros de travaux. Le processus de concertation peut réunir des services techniques, des associations, les habitants et les usagers du quartier, l’objectif étant d’optimiser le projet dans ses objectifs et dans la réponse qu’il apporte aux difficultés rencontrées. 1 Agence Nationale Pour la Rénovation Urbaine, créée en 2004, apporte son soutien financier aux collectivités locales, aux établissements publics et aux organismes privés ou publics qui conduisent des opérations de rénovation urbaine dans les Zones Urbaines Sensibles

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Fig. 1: Opération de résidentialisation de la ZUP Nord d’Amiens, menée par L’ANRU

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2.

Intentions

a.

Connexion avec la ville environnante

Ce type d’opération vise à connecter des ensembles isolés au reste de la ville, et ce par des opérations de remaniement de voiries et de couture urbaine. Cela implique un remaniement de la trame viaire, qui découpe de nouveaux espaces au sein de la cité. Les rues de la cité se prolongent, ou sont coupées pour désenclaver l’ensemble, comme on peut le voir dans l’opération à Amiens (voir Fig. 1). Cette opération amène à certaines transformations, comme des démolitions partielles, transformations d’espaces verts... (voir Fig. 2) qui accompagnent le nouveau maillage (voir Fig. 3). Celui-ci découpe des îlots plus clairs. b. Redéfinition de la propriété et clarification du statut des espaces: découpage de l’espace public Le premier pas de cette opération est de répartir les espaces non bâtis entre les organismes publics ou privés, d’établir leurs droits de propriété et donc leurs responsabilités de gestion et d’entretien. Ainsi, les îlots dessinés sont découpés foncièrement, attribuant une portion d’espace à chaque barre de logement, afin de l’inscrire dans son sol. Cette opération vise à délimiter les espaces libres et continus et à attribuer des portions aux bâtiments. On différencie ainsi la rue du jardin privatisé de l’immeuble, du jardin public (voir Fig. 4). Ces différents sous espaces offrent différentes possibilités d’évolutions, et sont donc assujettis à différents traitements. On peut les construire (équipement, logement, bureaux), ou les aménager (parc, jardins...). Ces aménagements peuvent définir une centralité ou simplement un espace de rencontre entre les habitants à proximité. c.

Traitements architecturaux

Les équipes en charges cherchent à construire de nouvelles typologies dans la cité, afin d’offrir une diversité d’architectures qu’on trouve dans la ville traditionnelle. Ainsi, on construit des nouvelles formes d’habitats collectifs ou individuels (voir Fig. 5). En plus de construire de nouveaux logements qui assurent une répartition diversifiée de l’offre de logements, la ville rénove ceux qui sont conservés, en les remettant aux normes, c’est-à-dire des opérations de peinture, de pose de carrelage, de rénovation des ascenceurs, rénovation des halls, isolation par l’extérieur... La ville déploie des dispositifs pour limiter l’insécurité, en mettant des digicodes dans les halls d’entrée ce qui amène à la résidentialisation des grands ensembles.

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Fig. 2: DĂŠmolitions

Fig. 3: Nouveau maillage

Fig. 4: RedĂŠcoupage des espaces publics

Fig.5: Nouvelles typologies

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Fig.6: Circulation

Fig.7: Contraste b창ti/espace public

Fig.8: Structuration de la ville

70


B. réponses aux enjeux

Cette opération vise à remanier la trame viaire, afin de désenclaver les voies qui débouchent sur des parkings. Cette couture urbaine tend à clarifier la lecture du quartier au niveau global, les rues mènent d’une entité à l’autre. ce qui rend la ville plus fonctionnelle (voir Fig. 6). Le but de la résidentialisation est de recréer un tissu urbain basé sur les rues et sur le système parcellaire. En donnant une portion de l’espace à l’immeuble, et en recréant cette interaction entre le bâti et l’espace public, celui-ci se clarifie (voir Fig. 7). Ce remaniement donne naissance à des ilôts, qui comprennent immeuble, parking et jardins. Ces ilôts facilitent le renouvellement localisé dans la ville car l’architecture s’inscrit dans une portion d’espace, un socle qui fait la transition entre le bâtiment et la ville. Cette démarche tend à définir des polarités dans le quartier (programme attractif, espace vert public...), et à les structurer dans la ville (voir Fig. 8) Le système parcellaire apporte ici une clarification de l’espace, qui offre une meilleure lisibilité du quartier, et une requalification architecturale, qui améliore le confort de l’habitant. Cette démarche influe donc sur les usages qu’on trouve dans le quartier, les usages préexistants (qui disparaissent ou sont déplacés) et les nouveaux usages qui apparaissent et accompagnent les nouveaux programmes implantés. Mais peut on parler d’un modèle de renouvellement des grands ensembles?

C. limites Bruno Voisin1 fait un diagnostic nuancé quant à la résidentialisation. « Dans un certain nombre de quartier, comme par exemple le Prainet à Décines, cette diversification des espaces a relativement bien joué et a permis de retrouver des équilibres. Mais cette diversification ne peut se décider a priori. Le risque serait qu’on retombe dans des systématismes ou des logiques de plans de masses comme ceux qui ont présidé aux ZUP, aux grands ensembles des années 70 ou aux villes nouvelles. C’est là que l’enquête, les entretiens auprès des usagers et des habitants sont extrêmement importants. La valorisation des différents lieux doit pouvoir s’appuyer sur les pratiques constituées et sur les représentations et attentes des habitants. On ne peut pas, seulement en considérant l’organisation du quartier décréter «tiens on va transformer; et puis voilà l’espace public je le mes là, l’espace de pied d’immeuble, je le constitue comme ça, les espaces communs, je les fais vivre comme ça...»2 On parle donc difficilement d’un modèle puisque chaque ensemble diffère, les habitants sont différents et trouvent des usages différents selon les quartiers. Dans 1  Bruno Voisin est sociologue à l’Agence d’urbanisme de Lyon, qui travaille sur l’aménagement de la ville. Il a notamment travaillé sur l’ensemble des Minguettes à Vénissieux, dans l’agglomération de Lyon. 2  Bruno Voisin, Les espaces libres, atouts des grands ensembles, p.70

71


le cas où on applique la parcellisation comme un théorème, sans prendre en compte les spécificités de l’ensemble (de la composition aux usages des habitants), les effets peuvent être néfastes. On détruit les atouts existants, comme le volume des espaces vides, les parcours piétons, les horizons... et on réduit les possibilités d’interventions architecturales ou paysagères ultérieures. En étudiant la composition des grands ensembles, on remarque que les cités les plus anciennes sont plus propices à un découpage parcellaire que les plus récentes, car le maillage est régulier et orthogonal. L’application d’une grille parcellaire est alors facilitée par le dessin de la cité. Dans le Mont-Mesly, l’opération est difficile à mettre en place à cause de la topographie du terrain. Celui-ci rend difficile la mise en place de liaison est-ouest, et engendre beaucoup de transformations. La réalisation d’un maillage lisible engendre la destruction de bâtiments, en pleine crise du logement, et la transformation d’espaces verts offerts à tous, en jardins privés, sans réelle qualité, fermés par des clôtures (voir Fig. 9). Il amène à une reconstitution formelle de la rue, sans qu’on y trouve les usages qui font la richesse de la rue et sa qualité d’urbanité. Les immeubles présents ne participent pas plus à la ville. Bien qu’ils soient rénovés, ils demeurent des immeubles de logements. Très peu sont les architectes qui remodèlent ces barres (comme Roland Castro au quartier du Luth, à Gennevilliers), utilisent les structures pour transformer l’aspect linéaire de la cité. Ce type de projet n’apporte pas en général de nouveaux équipements, ou de nouvelles fonctions dans la ville. Hormis de nouvelles formes d’habitats (intermédiaire, pavillonaire), ces opérations n’apportent pas d’activités locales comme des commerces de proximités, des ateliers, bien qu’on puisse imaginer le faire (voir Fig. 10). Ainsi, elle tend à restructurer des pôles actifs, en leur donnant une forme, un statut public dans la ville, sans particulièrement les renforcer (nouveaux programmes...). On se rend compte que le maillage apporte une certaine fonctionnalité à la ville, mais n’apporte pas plus d’urbanité au quartier. Bien qu’elle mette en place des outils pour pouvoir renouveller la ville facilement, ici, une opération de résidentialisation annihile certaines des qualités présentes, elle détruit les arbres qui ont mis du temps à pousser, scinde les espaces ouverts, entre lesquels on déambule sans croiser de routes. Cette opération rend la ville fonctionnelle sans se soucier de la localité. Elle travaille sur la forme de l’espace sans se soucier de son fond. Alice Coleman et Oscar Newman1 insistent d’ailleurs sur l’influence limitée de l’espace sur le social. L’espace ne peut pas déterminer un comportement en collectivité, mais il peut l’influencer. Ce n’est pas en imitant la rue de la ville traditionnelle qu’on retrouvera ses qualités d’urbanité.

On cherche d’autres outils afin de renforcer la qualité d’urbanité.

1  Auteurs de références de la résidentialisation

72


Fig.9: Espaces verts

Fig.10: Nouvelles fonctions

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74


75

Haut-Mesly, Rue Paul Casalis,©Jérémie Dru


II. LEs interventions localisées a. principes 1.

Acteurs et Démarche

Cette démarche naît autant d’un travail social qu’architectural et urbain. «La ville [de même que son renouvellement] ne peut être réalisée tout d’une pièce, dans un délai prévisible, et son développement dans le temps ne peut dépendre d’un plan unique et définitif, conçu à un instant donné de son histoire. La ville ne tient son unité que du processus continu de son développement dans le temps et la matière du monde.»1 C’est une démarche qui s’oppose au fonctionnalisme, issue des architectes qui s’opposaient à la Charte d’Athènes, et pronaient la diversité des méthodes. En réaction aux grands ensembles, un mouvement naît de la recherche de nouveaux outils de conception de l’habitat, puis de projet urbain. La création du Team X deviendra le symbole de ce mouvement. Le travail réside sur les structures tramées. «Il ne s’agit plus de suivre bêtement la trame pour en déduire des logements répétitifs, décalqués suivant la même logique formelle et élémentaire, mais d’explorer toutes les possibilités de variation géométrique que ce support utile à l’économie du projet plus qu’à sa conception, autorise pour éditer des créations originales, ou jamais un élément répète le précédant»2. Ainsi, ce mouvement rompt avec la Charte d’Athènes, et considère la mixité dans l’habitat dans la création de projet. Un autre mouvement nait en parallèle, le mouvement de création participative. Ce mouvement remet en question le processus de création architecturale, et les outils de conception de la ville. La sociologie prend une place importante dans le projet. Ce mouvement pose la question de la place de l’usager, ou de l’habitant dans la mise en place d’un projet Ainsi, Henri Lefebvre oppose deux modalités de création de projet: «L’être humain crée selon deux modalités distinctes: l’une spontanée, naturelle, aveugle, inconsciente, l’autre de façon intentionnelle, réfléchie, rationnelle. Le problème aujourd’hui, c’est de permettre au second mode de création de rattraper le premier et de le dépasser.»3 À l’inverse de la parcellisation, qui relève d’un travail top-down (en plan de masse), c’est une démarche bottom-up, qui comme elle l’indique émerge du sol, des espaces et de ses occupants. L’habitant et l’usager sont les moteurs du processus de création de projet, qui devient un mélange de culture et de savoirs, et favorise la collectivité. «N’est-il pas possible en étudiant comparativement ces ensembles de décrire les fonctions, de les classer, de les hiérarchiser tout en cherchant à atteindre par ce biais ce qui a disparu momentanément, la spontanéité vitale?»4. C’est dans cette démarche que s’inscrit l’intervention locale. Nous allons voir dans quel cadre elle apporte une réponse aux grands ensembles. 1  2  3  4

76

Gruet Stéphane, L’oeuvre et le temps (tome IV), analytique, l’architecture, le temps, la ville, p.114 Lefebvre Jean Pierre, Faut-il brûler les HLM? de l’urbanisation libérale à la ville solidaire, Paris, éditions L’Harmattan, 2007 p.70 Lefebvre Henri, Du rural à l’urbain, Proposition pour un nouvel urbanisme, p.184 Lefebvre Henri, Du rural à l’urbain, Proposition pour un nouvel urbanisme, p.188


Fig. 1: Transformation des usages de la ville

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Fig. 2: Arne Quinze, oeuvre urbaine à Bruxelles

Fig. 3: Projettation de la cité Breil-Malville au Nord-Est de Nantes, par le Bruit de Frigo et les habitants du quartier, liant les bâtis et leur toiture aux espaces aménagés au sol.

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2.

Intentions

Ce sont donc des projets de petite échelle que nous étudions. Il s’agit de renforcer un élément qui participe à la vie locale (un espace public, un bâtiment), et ainsi la collectivité qui en émerge. Cette démarche considère les habitants en tant qu’ acteurs principaux de la vie de quartier. Le processus vise à sensibiliser les habitants aux particularités et à l’évolution de leur environnement, afin de solliciter leurs connaissances et leur savoir-faire pour participer à son renouvellement. Ainsi l’oeuvre collective devient singulière, et «permet aux différences de s’exprimer, plutôt que de reproduire le même modèle1». La concertation avec les habitants sert alors d’analyse de site, elle révèle les enjeux de la localité. Le quartier devient alors l’expression de la collectivité, un espace de rencontre et de divertissement (voir Fig. 1), qui peut tendre à devenir une scène artistique (voir Fig. 2). Transformation de l’espace public: l’oeuvre collective Ainsi, ce processus vise à apporter une réponse à une situation qui manque de qualité, un espace public ou un bâtiment. Contrairement à la résidentialisation, ces interventions ne nécessitent pas d’outils urbains. Le projet émerge de la discussion entre les architectes et les usagers, sur le site, et non d’une étude en plan de masse. Ainsi, l’espace vide devient un terrain expérimental. Il devient le lieu de tous les possibles. Il peut être aménagé ou construit. (voir Fig. 3). Certains collectifs proposent des réponses paysagères, qui permettent aux habitants de réinterpréter les espaces vides et de leur apporter un confort. D’autres considèrent la productivité de l’espace au coeur de la collectivité. Il s’agit de donner de nouveaux usages à l’espace et de susciter un nouvel intérêt pour l’habitant. Suivant la situation de l’espace, il peut être construit de plusieurs façons, allant du petit projet local au remplissage du vide, en passant par de petites structures (éphémères ou pas). L’aménagement dépend donc de la concertation entre les différents acteurs. Participation du bâti Cette démarche vise à redonner un lien entre le bâtiment et les habitants, ainsi qu’à la vie collective. Ainsi, l’architecte considère le bâtiment comme une forme modelable évolutive, et non comme un linéaire fixe.Il perçoit l’architecture non pas comme une oeuvre terminée, mais comme une structure évolutive. La trame architecturale et les éléments préfabriqués deviennent les principaux outils quant à l’intervention sur les bâtiments. Celle-ci permet une grande diversité de morphologie des architectures, aujourd’hui excessivement linéaire. Elle permet d’intervenir sur chaque élément, chaque cellule 1  Bouchain Patrick, Construire ensemble le grand ensemble, Paris, éditions Actes Sud, 2010

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qui constitue la barre ou la tour, et ainsi, apporter des réponses singulières aux habitants de la barre amenant à différents traitements architecturaux des bâtiments. Ceci aura pour effet de transformer la qualité de l’espace environnant et de créer une identité dans un paysage urbain. Au-delà de sa morphologie, la tour ou la barre peut devenir un élément actif de la ville, c’est-à-dire un lieu attractif qui participe à la vie en collectivité. Dans un contexte qui diffère totalement du grand ensemble, les collectifs ColoCo et ExyZt décident de «réactiver» un immeuble de 25 étages abandonné au coeur de Sao Paulo1, c’est-à-dire de le réhabiliter et de le rénover avec les habitants, les usagers, des artistes afin que le bâtiment soit au coeur de la vie collective du quartier, et de la ville. La relation entre l’immeuble d’habitation et l’espace public se fait principalement au niveau du sol. C’est donc cette relation qui nous concerne dans le cadre de notre étude. Le collectif Bruit du frigo propose la transformation d’une cellule abandonnée au pied d’une barre en Bistrot du porche, afin de favoriser la proximité, et d’offrir aux habitants un espace de rencontre et de mélange. Cela transforme l’image de la barre, sa morphologie, et les usages que l’habitant trouve au pied de l’immeuble.

B. réponses aux enjeux Chaque espace fait l’objet d’ un diagnostic particulier, par rapport à sa géographie, aux usages, aux programmes, aux rapports et aux interactions des entités qui le composent (architectures, habitants, espaces publics...). Cette démarche vise à reconsidérer ces espaces, et à y répondre par des actes spontanés, et ce en renforcant les éléments qui constituent ces espaces (le vide, les bâtiments) pour leur redonner une place dans la collectivité. Il s’agit de révéler une faiblesse locale, de considérer son potentiel, et de répondre avec justesse aux attentes des usagers. Ainsi, plutôt que de transformer l’espace, ces interventions s’insèrent dedans afin de le révéler (voir Fig. 4). L’élément devient attractif et crée une certaine centralité (au niveau de l’îlot ou du quartier). Il devient alors une surprise dans le paysage uniforme de la cité, une identité qui tend à devenir un symbole. Ce processus cherche à renforcer les usages, et cela peut passer par l’apport de nouvelles activités dans le quartier (voir Fig. 5). Notons que celles-ci auront en général une utilité locale. L’accumulation de ces interventions localisées vise, a posteriori, une amélioration de l’ensemble de la cité. Ces différents projets développent des micro-centralités quipeuvent créer des polarités. Celles-ci donnent une structure au quartier (voir Fig. 6).

1  Voir annexe

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Fig. 4: Insertions dans le paysage

Fig.5: Nouvelles activitĂŠs

Fig. 6: PolaritĂŠs

81


Fig. 7: Un grand chantier collectif a réuni une trentaine de jardiniers de Coloco, dans le quartier de Lemasson (Montpellier) et des dizaines d’habitants, voisins ou passants venus donner un extraordinaire élan à cette initiative.

Fig. 8: Les saprophytes apportent une réflection sur l’appropriation des espaces vides par la culture du sol

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Fig. 9: Le Bruit de Frigo, un collectif bordelais, construit le Bistrot du porche, dans la cité de Breil-Malville, à Nantes, en greffant une structure à la façade de l’immeuble, afin de créer un espace de rencontre

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Fig. 10: La forme du bâti est globalement inchangée

Fig. 11: L’espace public reste globalement le même

Fig. 12: Isolement des projets

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C. limites Ces projets relèvent plus de la micro-intervention que du renouvellement de la cité. Ils tendent à résoudre une situation locale, sans répondre aux situations environnantes. Bien qu’un îlot soit revitalisé, ceux qui l’entourent restent linéaires, uniformes, sans usages, comblés de parkings. À l’échelle du quartier, les autres bâtis n’ont pas plus de lien avec l’espace public (voir Fig. 10), et celui-ci garde la même morphologie (voir Fig. 11). En tentant de résoudre des situations particulières, ces projets se trouvent isolés ce qui rend difficile la structuration du quartier. En effet, ces micro-interventions créent des micro-polarités qui peinent à dialoguer de par leur éloignement (voir Fig. 12). Ce type de projet pose aussi la question de la pérennité de l’intervention. Ceux-ci ont souvent une dimension festive, évènementielle,et peuvent de ce fait être temporaires. Cela dépend de l’implication des usagers dans le projet. Ces interventions ont du mal à se mettre en place. En général, il faut du temps pour voir les projets se succéder et reconstruire la cité. Ainsi, comme dans la ville traditionnelle, il faut du temps au quartier pour se construire, ce qui soulève beaucoup d’enjeux dans le temps qu’on accorde à la construction de la ville. Nous allons comparer ces deux démarches, pour mettre en exergue les qualités et les problèmes engendrés par les opérations. Il s’agit de tirer de nouvelles pistes de réflexions sur le renouvellement de la ville et de son paysage.

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Haut-Mesly, Rue Camille Dartois,©Jérémie Dru


III. comparaison des démarches

A. Outils d’intervention La résidentialisation reconsidère les outils de fabrication de la ville traditionnelle, c’est-à-dire la voie, et l’îlot qui entoure le bâtiment. Ainsi, ce type de projet se conçoit en plan de masse. Bien que ces outils aient une grande importance dans l’analyse de l’espace, ils peuvent difficilement réguler les problèmes relevés. Ainsi, on «répare» la ville en la rendant fonctionnelle, mais sans se soucier des usages locaux présents et de l’urbanité présente. C’est un projet d’organisation de la ville. L’intervention localisée n’utilise pas véritablement d’outils, mais tend à résoudre des situations. Elle tend à réguler des problèmes locaux en utilisant les éléments présents. Elle est de l’ordre de la requalification. Ainsi, le bâtiment existant, l’espace non aménagé et les habitants sont les outils de fabrication de projet, ce processus cherchant l’amélioration d’une collectivité locale. Cependant ces outils ne permettent pas l’amélioration de toute la cité.

B. ÉCHELLEs DE PROJET La première démarche considère l’environnement de la cité, c’est-à-dire la ville à laquelle le quartier appartient, et la métropole à laquelle la ville est avoisinée. Cette approche prend en compte différentes échelles, et tend à répondre à un plus grand nombre de situations. On pourra alors considérer l’apport d’équipements ou de ressources à différentes échelles. Cependant, cette démarche finit par négliger les situations locales, dont le travail est mis en second plan. La deuxième démarche considère une situation, donc une localité. C’est une petite intervention, qui apportera une polarité dans la structure de la ville et un point de rencontre dans le parcours de la cité. Mais la démarche ne suffit pas à répondre au rapport avec la ville et la métropole. Il deviendra une polarité dans la cité, sans répondre au reste des espaces. Ce n’est pas une intervention générique qu’on développe dans tout le quartier.

C. rapport au lieu La première réflexion transforme le paysage de toute la cité. L’espace public devient limité, et se clarifie. Les rues ressemblent à des rues, les places publiques sont délimitées. Seulement, les habitants n’ont plus forcément accès aux terrains qu’ils connaissaient. Les étendues vertes qui leur permettaient de circuler dans toute la cité sont cloturées et se transforment en jardins privés. Les rues n’ont pas forcément plus de qualité, elles bordent toujours des immeubles d’habitations avec lesquelles elles n’in88


teragissent pas, les parcs et les places publics délimités non plus. La forme de l’espace public change mais pas sa qualité de vie collective. La deuxième réflexion cherche en revanche à transcender la qualité de vie collective, dans un espace particulier. Ainsi, le centre du projet réside dans le confort apporté aux usages dans l’espace, afin que l’arrêt et la rencontre soient favorisés. L’espace reçoit de nouveaux usages, voire de nouvelles fonctions, en gardant les qualités existantes (comme les espaces verts, la liberté de parcours...) autant que les défauts qu’on peut trouver (autres espaces vides, parkings omniprésents).

89


comparaison


des alternatives


CONSTAT

INTENTIONS

PARCELL

ESPACE PUBLIC Ville Traditionnelle: fermé Ville Moderne: Ouvert

ESPACE BâTI Ville Traditionnelle: L'espace public dépend du bâti Ville Moderne: Aucune relation entre le bâti et l'espace public METTRE EN RELATION

fORME DE L' ESPACE PUBLIC Ville Traditionnelle: Autour des voies Ville Moderne: Tous les espaces ouverts

ExPLOITER

VOIES DE CIRCULATION Ville Traditionnelle: Accueillir la collectivité Ville Moderne: Circuler

IDENTIfIER

ARCHITECTURES Ville Traditionnelle: Diversité Ville Moderne: Uniformité

TRANSfORMER

RÉPARTITION ACTIVITÉS Ville Traditionnelle: Mixité Ville Moderne: Zoning

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RÉPARTIR


TIONS

PARCELLISATION

INTERVENTIONS LOCALISÉES

METTRE EN RELATION

STRUCTURATION

RELATION à PETITE ÉCHELLE

ExPLOITER

MODELAGE

NON MODELAGE

IDENTIfIER

fONCTIONNALITÉ

MICRO IDENTITÉ

TRANSfORMER

RÉNOVATION

MICRO INTERVENTION

RÉPARTIR

APPORT D' ACTIVITÉS

PETITES ACTIVITÉS

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ESPACES VERTS Ville Traditionnelle: Ponctué Ville Moderne: Omniprésent

CONSERVER

ZONES ACTIVES Ville Traditionnelle: Structurées Ville Moderne: Isolées

METTRE EN DIALOGUE

PARCOURS Ville Traditionnelle: Concentré Ville Moderne: Libre

SÉqUENCER

94


CONSERVER

METTRE EN DIALOGUE

SÉqUENCER

PRIVATISATION

HIERARCHISATION

ORGANISATION

INSERTION

PARTICIPATION

INfLUENCE

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Bas-Mesly, Rue du Dr Pinel,©Jérémie Dru


98


conclusion

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Cette étude confronte deux méthodes de fabrication de la ville, la planification de la ville (top-down), c’est-à-dire une politique de la ville en plan de masse, et l’émergence de projets plus locaux (bottom-up), c’est-à-dire la construction spontanée avec les habitants. Nous avons vu les limites de ces interventions dans le cadre du Mont-Mesly. La parcellisation entraine une grande quantité de travaux et d’aménagement qui n’apportent pas forcément plus de qualité en terme d’urbanité. Les «interventions localisées» sont difficiles à mettre en oeuvre, car elles sont sources de conflits entre les habitants et les élus politiques et ne résolvent pas nécessairement les problèmes liés à cette cité. Seulement cette dernière méthode a la qualité de faire participer l’habitant dans le processus de création de la ville, et de lui offrir des projets à son échelle, de répondre à son quotiden, ses habitudes. Elle propose de construire l’espace selon la collectivité qui l’occupe, cela non pas dans un but de contrôler la qualité de la collectivité, mais dans celui d’apporter un confort à l’espace pour la favoriser afin que «la ville devienne l’expression de la vie même, l’expression d’une société oeuvrant selon ses besoins, une société où tous s’arrangeraient, obéissant aux necessités collectives»1 et que l’habitant en tant qu’individu se retrouve au coeur d’une oeuvre collective. A priori, c’est la démarche qui s’approche le plus de l’émergence d’une qualité d’urbanité dans un lieu. Le problème est qu’elle manque de structure et ne peut suffire au renouvellement du Mont-Mesly. L’étude de la parcellisation montre des outils d’analyse de site, qui ne sont pas utilisés dans la deuxième démarche. Elle considère différentes échelles de projet. En effet la qualité de la vie locale et du parcours à travers la cité dépend aussi de la relation entre le lieu et son environnement, c’est-à-dire l’intégration du lieu dans un quartier, dans une ville et dans une métropole. Ces outils permettent d’analyser un site et tend à structurer la mise en place de projets. En définitive, on ne peut pas se cantonner à une approche. Le renouvellement d’une cité doit prendre en considération plusieurs niveaux d’analyse du site, afin de répondre aux plus grands nombres de besoins, et elle doit placer les habitants au coeur du processus de projet, afin que la ville et l’espace urbain répondent à leurs besoins. Il s’agit d’utiliser un maximum d’outils afin de répondre aux situations. C’est la diversité des projets, des approches, des méthodes et des constructions dans le temps qui font la richesse de la ville. Le Mont-Mesly est un quartier jeune, il faut lui laisser le temps de se construire. Cette étude ne cherche donc pas à apporter une réponse au Mont-Mesly, mais à poser les enjeux de l’intervention sur la morphologie de l’espace. Elle montre donc les limites des démarches actuelles, qui opèrent dans les grands ensembles aujourd’hui. C’est une réflexion préalable à un éventuel projet dans un grand ensemble, qui établit les différents outils et enjeux pour la collectivité du «grand ensemble».

1  Gruet Stéphane, Architecture, ville et société humaine n°15: INVENTER LA VILLE: L’OEUVRE COLLECTIVE, Toulouse, éditions Poiesis AERA, 2003, en parlant de la ville historique.

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Haut-Mesly, Rue Henri Doucet vue d’une tour de L’Abbaye,©Jérémie Dru


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Bas-Mesly, Rue Paul Casalis,©Jérémie Dru


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projet

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I.

Problématique

Comme on l’a vu à travers l’étude de la morphologie des grands ensembles, le parcours à travers le quartier du Mont-Mesly révèle des faiblesses dans le paysage urbain. Le parcours le long de la rue n’est pas très adapté au piéton (voir Fig. 1), la rue est bordée d’espace sans véritable statut (voir Fig. 2), les coeurs d’ilôts sont principalement dédiés aux voitures (voir Fig. 3), les pieds d’immeuble aussi, et n’offrent pas de confort aux habitants (voir Fig. 4). Certains espaces ne profitent donc pas du potentiel qu’ils ont et ne répondent pas forcément aux usages qu’ils génèrent. À la suite de ces constats, on se rend compte que les problèmes liés à la morphologie sont l’absence de délimitation des espaces libres, du manque d’usage et d’identité des éléments qui composent la rue. Afin d’intervenir dans le quartier, on va se demander:

Comment faire participer les éléments qui composent la rue pour faire émerger des usages, leur donner une identité, et renforcer sa situation dans le MontMesly et son contexte?

Au terme de l’étude des différentes approches des grands ensembles, il paraît donc intéressant d’utiliser les outils d’analyse de la parcellisation et le processus de création de la ville des interventions localisées. Il s’agit donc dans un premier temps de déterminer un élément dans le Mont-Mesly sur lequel intervenir.

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Fig. 1: RUE CASALIS - BAS MESLY PARKING SANS TROTTOIR // SÉQUENCE DENSE // BÂTI AÉRÉ ET MONOFONCTIONNEL

Fig. 2: ESPACE LIBRE - HAUT MESLY espace indéfini // Sans usage // sans statut dans le lieu // sans limite

Fig. 3: COEUR D’ILÔT - BAS MESLY PARKING // BÂTI VERS L’EXTÉRIEUR

Fig. 4: PIED D’IMMEUBLE - BAS MESLY espace minéral DOMINANT // parking // espaces résiduels

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II. la rue casalis

La rue Casalis semble être un élément central dans le quartier nord du Mont-Mesly. En effet, elle relie 3 pôles, le Centre Commercial de Créteil Soleil, le centre historique de Créteil, et la place centrale de l’Abbaye (voir Fig. 1). Ainsi, la rue est séquencée par 3 noeuds (voir Fig. 2) ayant différentes échelles d’importance au sein du quartier, de la ville ou de la région. Le centre commercial est innervé par le métro ligne 8 qui mène à Paris en desservant certains quartiers de Créteil, et par un réseau de bus qui ouvre sur le reste du Val de Marne. Au niveau de l’intersection avec la rue Juliette Savar, le 217 relie le quartier à Créteil Village. À l’est, la rue Albert Doyen offre une ouverture sur la place de l’Abbaye. De part la forme urbaine qui régit le Mont-Mesly, c’est une rue qui offre une grande liberté dans le parcours à travers les «ilôts ouverts» qui composent la cité (voir Fig. 3). Cela offre un potentiel singulier quant au parcours dans le quartier et une lecture ouverte de la ville (voir Fig. 4). La rue est ponctuellement bordée d’activités de quartier, d’équipements scolaires et culturels, et de quelques commerces (voir Fig. 5), ce qui lui donne une valeur au sein de la cité. Cependant les éléments qui composent la rue se retrouvent déconnectés, soit du fait de leur espacement, soit de leur manque d’usages, soit à cause des limites bâties, et certains espaces révèlent un potentiel largement exploitable (voir page intérieure).

III. exploration des possibles À partir de ce constat, on développe une méthode de travail, qui consiste à extraire ces éléments qui composent la rue, et à explorer les possibles. Il s’agit de poser la question de la place de ces éléments dans la ville, dans le quartier et dans la vie des habitants et de s’interroger sur leur devenir. Ce sont des questions préalables aux interventions sur la voirie ou sur le bâti. Ainsi, on se pose la question des noeuds qui séquencent la rue. Va-t-on les travailler en rapport à une grande échelle (global) ou à une petite échelle (localité)? Cherchons nous à isoler un coeur d’ilôt ou à le faire participer à la rue? Quelle perméabilité confèret-on aux limites des espaces, ou espace de transition? Et quels sont les effets sur la rue? Cherche-t-on à l’ouvrir ou à la densifier? (voir tableau, page suivante) Il s’agit demettre en place des directions de projet, laissant place à l’expérimentation, ainsi, ces orientations de projet peuvent se traduire par une infinité de projets possibles.

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TABLEAU DES TRANSFORMATIONS MORPHOLOGIQUES

Localité

Globalité

NOEUD

Participation

Isolement

COEUR D’ÎLOT

Ouverture

Fermeture

LIMITE BÂTIE

Ouverture

Fermeture

LIMITE OUVERTE

110 Ouverture

RUE

Densification

CIRCULATION FONCTIONNELLE

RENCONTRE

Assumer hiérarchie des voies pour automobiles

Espace de représentation de la polyfonctionnalité des piétons

CONSTRUCTION SUR BÂTI

CONSTRUCTION

Réduit l’espace Activité liée à l’espace Lien bâti - espace

Réduit l’espace Activité liée à l’espace

AÉRATION

FRANCHISSEMENT

Liaison visuelle ouverte et forte Passages ouverts

Faible liaison visuelle Passage couvert

AMÉNAGEMENT

EXTENSION DE BÂTI

Limite ouverte

Extension de l’activité existante ou nouveau programme

OUVERTURE

RECONSTITUTION FORMELLE DES LIMITES DE LA RUE

Espace libre Pas de rue

Espaces visibles mais inaccessible Privatisation


REPRÉSENTATION PUBLIC

STRUCTURATION

représentation globale

Activité en valeur

Flux comme opportunité

Concentration des flux et des activités

PRIVATISATION

PARCELLISATION

FERMETURE

Espace visible mais inaccessible au public

Découpage foncier Espace visible mais inaccessible au public

Déconnexion visuelle entre public et commun

ACTIVITÉ PONCTUELLE

ACTIVITÉS LINÉAIRES

DENSIFICATION

Attrait ponctué sur la limite

Limite attractive

Plus d’activité

ACTIVITÉ PONCTUELLE

ACTIVITÉS LINÉAIRES

DENSIFICATION

Attrait ponctué sur la limite

Limite attractive

Plus d’activité

PETITES ACTIVITÉS

FERMETURE

DENSIFICATION

Structuration de la rue (pas formelle) Participation du bâti - Activités

Structuration la rue Espace public limité à la rue

Diminution de l’espace Concentration

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Iv. RECONNEXION DES ÉLÉMENTS URBAINS RÉPONDRE AUX SITUATIONS

DENSITÉ

112

AMÉNAGEMENT


Il ne s’agit pas de faire un projet terminé et arrêté, mais plutôt de présenter une démarche qui permette de renforcer les éléments qui constituent la ville moderne, afin de ne pas la rejetter et de ne pas la transformer en ville traditionnelle, mais plutôt de mettre en valeur le potentiel de cette ville, de renforcer les éléments qui la constituent et de générer une ville hybride.

PÔLE

LIAISON ENTRE COEURS D’ILÔT

LIAISON COEURS D’ILÔT/ RUE

SIGNAL URBAIN

PLAN D’INTERVENTION 1:1000

FACADE GABARIT 1:1000

113


densité

+

Il s’agit donc de densifier le noeud avec le centre commercial, afin qu’il réponde au rapport à la métropole, en proposant de construire à partir du bâti dans les espaces indéfinis. Le projet s’accompagneraient d’une réunification des éléments qui composent la rue, en délimitant des sous espaces dans le parcours piéton, et en leur donnant un statut. 114


115 densi

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signal urbain

+

Cet espace lié à la place de l’Abbaye peut faire l‘objet d’une intervention signale, qui s’accompagnerait d’interventions linéaires sur cet espace vide, suite à la démolition d’une barre jamais reconstruite. Ainsi, cet espace profiterait de sa situation centrale dans la composition de la cité, et créerait un repère depuis la place de l’Abbaye. Il s’agit aussi de trouver une cohérence dans les espaces. 116


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pôle

+

Cet espace de connexion entre le Mont-Mesly et Créteil Village fait l’objet d’une représentation du quartier dans la ville. On va donc chercher à implanter une activité ponctuelle à l’image du quartier. Cette intervention peut s’accompagner d’activités linéaires en bas de la barre, qui participera à ce noeud. On cherchera à aménager les trottoirs afin de mettre en valeur les activités qui se développent. 118


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liaision entre coeur d’ilôts

+

+

La connection entre les ilôts semblent être une question importante dans le parcours du quartier. il s’agissait donc de s’interroger sur la perméabilité de la barre d’habitation. On va chercher à aérer cette limite afin de trouver une connexion visuelle entre les espaces. On peut chercher à trouver une communication entre ces espaces par l’implantation de programmes qui se répondent. On proposera d’unifier ces ilôts par la définition d’un parcours structuré par un marquage au sol qui délimite les espaces sans les construire (barrières...). Il s’agit de renforcer ce parcours piéton existant afin de proposer une alternative au parcours au bord de rue. 120


121

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liaision entre un coeur d’ilôt et la rue

+

+

De même, la liaison entre les coeurs d’ilôt et la rue est un travail important quant à la mise en cohérence des éléments qui composent le quartier. On cherche ainsi àfranchir cette barre d’habitation en mettant en place un programme liant le coeur d’ilôt et la rue. Cette ouverture s’accompagne d’un réaménagement du terre plein, en l’adaptant d’avantage aux usages du marché qui s’y déroule. 122


123

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annexes

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À Créteil, la cité des habitants heureux

«Je me sens bien ici. A vrai dire, je ne me verrais pas ailleurs.» Elle le dit comme en s’excusant, consciente, et pas mécontente en fait, d’aller à l’encontre des idées reçues sur la banlieue. La malicieuse Marie-Antoinette Gilbert a 76 ans et vit depuis quarantecinq ans avec son octogénaire de mari au onzième étage d’une tour, entourée d’autres tours, dans l’un des quartiers que la politique de la ville désigne comme l’un des plus déshérités de France. Le Haut du Mont-Mesly, dans la partie sud-est de Créteil (Val-deMarne). Marie-Antoinette, petite dame à l’éternel sourire bienveillant et au pas pressé, y est connue de tous, sollicitée de toutes parts. Hier, elle a revu avec bonheur La Strada au cinéma d’art et essai du quartier. Ce matin, elle passe en coup de vent à la Maison de la solidarité s’enquérir du succès, ou non, des cours d’italien et de pizza qu’elle propose au sein du réseau d’échange de savoirs. Dans les années 1960, elle a accepté au Mont-Mesly l’appartement moderne que lui proposait son 1 % patronal. «Je pensais que ça ne me plairait pas mais je me suis attachée à ce quartier. J’y suis dans mon élément parce que les gens sont variés. L’épicier, monsieur Mohamed, me salue très respectueusement. Les jeunes m’aident à porter mes sacs. Et les dames du Maghreb, j’ai plaisir à parler avec elles, elles me rappellent ma mère, le sud de l’Italie. Ici, c’est un village, malgré les grandes tours.» «UN QUARTIER À FORTE IDENTITÉ» Marie-Antoinette n’est pas la seule à dire du bien de ce quartier que tout devrait inciter à fuir. Quartier d’habitat social, concentré de situations de pauvreté, bien proche, à vue d’œil et de statistiques, de la cité des Bosquets à Montfermeil (Seine-SaintDenis), avec sa monotone succession d’immeubles ceints d’espaces verts. Le Haut du Mont-Mesly figure dans la liste des 215 quartiers prioritaires définis en 2009 par la Délégation interministérielle à la ville. Et aussi dans les 416 zones de redynamisation urbaine. ZRU, ZUS, GPV, CUCS, bientôt ANRU… Toute la politique de la ville se penche au chevet de cette cité de 9 000 âmes construite à la fin des années 1950 pour accueillir les classes moyennes, notamment rapatriées d’Afrique du Nord, désormais lieu de résidence d’une population précarisée, à forte minorité étrangère (21 %), engluée dans le chômage (plus de 20 % en moyenne, 31 % pour les jeunes). «Et malgré ces difficultés, quand on discute avec les gens, pour rien au monde ils ne veulent quitter le Haut du Mont-Mesly !» Présent depuis quelques mois, Yannick Baylet, qui inaugure la fonction de délégué du préfet dans le quartier, dresse ce constat et s’en étonne. La situation lui semble différente de celle des autres grands ensembles de la région. «Il n’y a pas trop de soucis sur le plan de la sécurité. C’est un quartier à forte identité, où l’on ne se contente pas de loger mais où l’on se rencontre, se connaît. Une cité populaire où l’on vit plutôt bien.» Les années 1990 y ont été mouvementées. Mais 126


depuis, les choses se sont calmées, à l’exception d’une voiture qui brûle de temps à autre, d’épisodiques violences aux abords du collège et d’un trafic de cannabis à usage local. A l’endroit considéré comme le plus «chaud» du quartier, la place de l’Abbaye, vaste parvis parsemé de bassins à jets d’eau qu’encadrent quatre hauts immeubles d’allure peu reluisante, des petits jouent au foot, des mères attroupées devisent, les jeunes, assis sur leur scooter à l’arrêt, dévisagent placidement le passant. Qui ne se sent pas pour autant en insécurité. Dans l’allée commerciale toute proche, où se succèdent un Franprix, un bazar, un magasin de chaussures, la poste, un taxiphone, une boucherie halal, d’autres jeunes hommes savourent un Coca attablés au soleil. C’est l’un d’eux, revenu au Mont-Mesly après l’avoir un temps quitté, qui a ouvert ce petit débit de boissons. «Tous les gens se connaissent, parfois depuis trente ans, ils ont vu les enfants grandir, partir, revenir quelquefois, l’histoire les lie. Quand quelqu’un décède, tout le monde est là. Comparé à d’autres quartiers, c’est particulier. On se sent bien, même le soir, personne ne va venir vous agresser», assure un éducateur de rue du club de prévention Pluriel 94. CONVERSATIONS AUTOUR D’UN «AMITHÉ» Les immeubles accusent franchement leur âge mais ne comportent aucun des stigmates habituels du rejet haineux d’un lieu par ses habitants : ni tags ni odeur d’urine dans les cages d’escalier, ni boîtes aux lettres défoncées, ni portes d’entrée brisées. Attachés à leur quartier, les habitants se prennent en main, font le pied de grue jusqu’à 3 heures du matin en bas des immeubles pour calmer les esprits, les soirs de castagne dans les villes environnantes, et animent un réseau d’associations extrêmement dense. Tous secteurs confondus, social, sport, culture, «on en dénombre une centaine, dix fois plus que dans les autres ZUS, remarque le délégué du préfet. Cause ou conséquence de l’attachement au quartier ? En tout cas, un cercle vertueux s’est installé». Une flopée d’associations, donc, le plus souvent créées sur des bases communautaires (elles sont tamoule, sri-lankaise, comorienne, maghrébine, réunionnaise, rom…), organisent la solidarité au sein de cette communauté, mais pas seulement. Des repas et des fêtes aussi, à n’en plus finir. A la kermesse de la paroisse Saint-Michel, ce sont les femmes africaines qui ont cuisiné cette année. Et à la fête de l’Aïd, le rabbin et sa femme sont conviés. L’association tsigane Terné Roma fait danser les enfants du Mont-Mesly. «Les gens sont plus tolérants, ici, on se connaît, on n’est pas vus comme des voleurs de poules», apprécie Miroslav Gulyas, installé depuis seize ans «dans cet endroit magnifique grâce aux différentes cultures». Ici, il n’est pas rare d’entendre dire que l’immigration est une richesse.

Par Pascale Krémer pour le Monde Magazine, le 2 aoüt 2010

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LA CITÉ, UN TERRITOIRE D’ANTIVOYAGE

« L’important ça n’est pas la destination, mais la déambulation ». La photographie est pour moi une condition mentale. J’y suis arrivé par le voyage. Inversement, la nature fixe de l’image a le pouvoir de transporter son spectateur.

Dans la riche diversité des paysages français, les banlieues restent des territoires d’ « antivoyages ». Construites dans la hâte et dans une histoire courte, elles sont loin de véhiculer l’image consensuelle d’une France romantique. Elles sont souvent des dortoirs plutôt que des sites touristiques, des zones d’activités plutôt que les quartiers historiques. Les formes urbaines adoptées épousent la grande échelle. Les principes de la ville classique, ont été inversés. Le bâti n’est plus la résultante du dessin de l’espace public, il ne s’insère plus dans un tissu. Émergent alors des volumes platoniciens inspirés des préceptes de la charte d’Athènes où l’espace public devient lâche et résiduel. Le plan urbain s’adapte aux véhicules motorisés et le piéton n’a plus de raison d’être. Si le territoire a ses centres géographiques, économiques, politiques ou culturels, les banlieues en sont le centre névralgique. Fragiles comme toutes entités ayant grandi trop vite, elles nourrissent nos fantasmes et cristallisent bon nombre de questions de l’époque actuelle.

« Voyage en périphérie » est une extraspection. C’est l’histoire d’un voyage physique dans les banlieues de « ma ville » qui me semblaient hier plus lointaines que quelques grandes métropoles du monde. Cyrus Cornut

[Dans le cadre du projet F14 (France14) qui uni 14 photographes de la sélection Arles 2006 et qui porte sur la France et son territoire.]

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un bâtiment monument, une construction collective, sao paulo CoLoCo & Exyzt En activant à Sao Paulo un immeuble de 25 étages jamais utilisé depuis 40 ans, CoLoCo & Exyzt proposent une experience de construction culturelle entre la France et le Brésil. Une vingtaine d’artistes constructeurs de chaque pays vont collaborer durant les six mois de la saison sur cette création collective, un chantier évènement. en travaillant en équipes bilatérales, et en intégrant le public dans ces créations-constructions, c’est l’échange des savoirs faire, la rencontre des cultures émergentes, et la résonance des expériences qui sont à l’honneur. Momento Monumento est un manifeste de construit de l’architecture que nous défendons: participative, économique, écologique et festive. elle est difficile à représenter mais facile à vivre. C’est l’affirmation d’une conviction éthique, faire au mieux avec ce qu’il y a pour économiser les ressources et maximiser le plaisir. Inviter la diversité à s’installer et partager la ville entre tous les êtres vivants, hommes, plantes, animaux. Dépasser la vieille opposition de la nature et la ville pour optimiser notre milieu de vie. Imaginer un dispositif économique pour rendre cet espace de culture et de création accessible à tous. Offrir le plaisir et la richesse de la découverte. L’expérience de la différence et du nouveau. Momentomonumento se situe dans la tradition de la France d’offrir des monuments aux nations amies, comme la statue de la liberté à New York, inaugurée le 28 Octobre 1886. C’est aussi en France qu’a été développé le projet du Christ, rédempteur de Rio de Janeiro. Monumento est un bâtiment - manifeste. Il expérimente le faire-ensemble, donne une visibilité aux expressions culturelles émergentes, propose un espace de créations collectives. Cette création peut se pérenniser au travers d’une institution culturelle qui en devienne le gestionnaire. Une fois l’activation du squelette accomplie, deux perspectives s’offrent à nous: la disparition et la transmission. Dans la première, les installations sont démontées, il ne reste que des traces de l’intervention, des restitutions sous formes de films, récits ou autres. Dans la seconde, le fonctionnement du lieu en tant que laboratoire de création artistique se poursuit. Sous forme de fondation, de centre culturel, il est transmis à une institution culturelle qui en assure le fonctionnement. Les habitations peuvent devenir une résidence d’artistes, mais également des personnes impliquées dans le fonctionnement du lieu. Un évènement périodique viendrait alors à produire de nouveaux échanges et créations collectives entre artistes internationaux, mais aussi avec les forces vives de Sao Paulo qui seront investies dans le fonctionnement du lieu. 131


bibliographie

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133


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