Regards sur la droite

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Regards sur la droite 13 février 2013 - n° 13 Lettre éditée par la cellule Veille et Riposte du Parti socialiste

Édito Quelle stratégie face à l’extrémisme ? L’actualité est tellement forte qu’un événement chasse rapidement l’autre et que les informations succèdent aux informations. Il vaut la peine, cependant, de revenir sur une étude parue dans Le Monde du 7 février, l’édition de janvier du baromètre SOFRES sur l’image du Front national. (Cette lettre présente les principaux résultats sous forme d’un encadré). Je voudrais insister sur un paradoxe apparent de cette étude. Elle montre, d’abord et ce n’est pas une surprise - une porosité plus affirmée entre les électorats de l’UMP et du Front national. Celle-ci ne se fait pas, cependant, sur les solutions politiques que propose le Front national mais sur des attitudes identitaires, l’attachement aux valeurs traditionnelles de la France, le rejet de l’Islam, une demande de sévérité en matière de sécurité et de justice. On mesure là, l’effet des déclarations de Nicolas Sarkozy, d’abord, et des dirigeants de l’UMP, récemment, au premier rang desquels Jean-François Copé - oh, le « petit pain au chocolat » ! -, qui ont légitimé ces idées. Cela est évidemment dangereux et nourrira la tentation d’alliances électorales. Mais il faut revenir sur la faible adhésion dans l’opinion aux propositions concrètes du Front national. L’idée qu’il faudrait sortir de l’euro - affirmation phare de Marine Le Pen - recule, alors que la situation de l’Europe n’incite pas à l’optimisme, c’est le moins que l’on puisse dire. Tout aussi significatif est la faible approbation que recueille le principe de la préférence nationale. 73 % des personnes sondées considèrent ainsi qu’il n’y a pas de raison de faire de différence entre un Français et un immigré en situation régulière. Il faut donc utiliser la notion de « banalisation » avec prudence. Le Front national demeure, pour une large majorité de français, un parti protestataire qui a pas vocation à gouverner. Mais son effet le plus dangereux, pour l’heure, est d’exercer un pouvoir d’influence sur une part importante de la droite et, au-delà, dans l’opinion. Cela ne peut pas être ignoré par la gauche. Une stratégie de l’isolement risque de ne pas être suffisante. Le sondage suggère une attitude qui peut être la nôtre. La faiblesse de l’adhésion sur les politiques proposées montre que les socialistes doivent mettre l’accent sur les réalités concrètes de la politique, avec les conséquences des choix faits et à faire. Ce n’est pas en mettant son drapeau dans sa poche - tout particulièrement sur la question européenne en 2014… - que l’on entraîne la conviction. Il faut affronter le débat avec force et détermination. L’acte de gouverner crée évidemment des interrogations et des mécontentements, mais cela peut-être également un argument quand il est pleinement assumé. Alain BERGOUNIOUX NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE LʼEXTRÊME-DROITE

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L’UDI dans les pas de l’UDF Créée de toute pièce par Jean-Louis Borloo, l’Union des démocrates indépendants (UDI) s’est fixée pour objectif de capter, au centredroit, les voix que l’UMP a laissé filer, sans pour autant parvenir à ses fins. La crise qui oppose copéistes et fillonistes n’a pas apporté le flot de ralliements escomptés. Et, en dépit de l’énergie déployée par son président, ce parti n’a pas réussi, jusqu’ici, à élargir son influence au-delà du cercle très fermé des orphelins du bayrouisme et… de l’aile modérée de l’UMP. ……… L’union des droites et du centre a vécu. Le 18 septembre dernier, Jean-Louis Borloo officialisait le lancement de l’UDI, avec l’ambition de refonder la famille centriste, en évitant de reproduire les erreurs du passé. Et de ressouder ainsi une famille divisée, depuis l’éclatement de l’UDF. Sous couvert de peser face à l’UMP et au Parti socialiste, l’ex-ministre du gouvernement Fillon a tôt fait d’afficher son positionnement au centre-droit. Manière, pour l’intéressé, de faire contrepoids à la stratégie du « ni gauche, ni droite » de François Bayrou, en ralliant des déçus de l’UMP, des indépendants et des divers droite, avec l’ambition de devenir, à terme, le premier parti de France. La formule choisie - une confédération de partis centristes - n’incite pourtant guère à l’optimisme. Pas sûr, en effet, que le virus de la division, inoculé en 2007, ne produise à nouveau des effets ravageurs sur un mouvement dont les états-majors des formations qui le composent sont tentés de tirer la couverture à eux, une fois les élections venues. Borloo et sa suite ne font, ici, que reproduire l’idée défendue, hier, par Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber de créer un parti à même de prendre la prédominance à droite, qui s’est concrétisée en 1978, avec l’Union pour la démocratie française (UDF), sous l’égide de Michel Poniatowski, un fidèle de Valérie Giscard d’Estaing. Absence de notoriété. L’apparition de l’UDI dans le paysage politique français marque

surtout, aujourd’hui, l’échec de l’UMP à fédérer l’union des droites. « Cette tentative de faire vivre un système moniste d’organisation de la droite française n’a, au fond, été qu’une parenthèse dans l’histoire longue des droites et du centre », constate Pascal Perrineau, directeur du Centre de recherches politiques de sciences-po (CEVIPOF). (1)

Jean-Louis Borloo devra trouver ses marques face à des « troupes diverses et souvent rétives », où les jeunes et les femmes ne lui sont, a priori, guère favorables. La faiblesse du nouveau parti centriste est également patente chez les plus défavorisés… La principale difficulté, pour les dirigeants du parti centriste, sera toutefois d’acquérir cette notoriété qui a tant manqué à leurs prédécesseurs. Ce, d’autant plus que les partis se réclamant de la droite républicaine et du centre n’ont plus le vent en poupe depuis un an, à en croire les sondages. Sur le papier, Borloo peut se prévaloir d’une popularité grandissante face à François Bayrou et Hervé Morin, ses principaux concurrents, et compte parmi ceux auxquels les Français prédisent un avenir. « Dans le baromètre Figaro Magazine-Sofres de février, le nouveau patron de l’UDI fait partie du quintette des leaders de droite qui ont à la fois une grande visibilité et un soutien significatif en termes d’opinion », note le directeur du CEVIPOF (2). Mais, Jean-Louis Borloo devra trouver ses marques face à des « troupes diverses et souvent rétives », où les jeunes et les femmes ne lui sont, a priori, guère favorables. La faiblesse

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du nouveau parti centriste est également patente chez les plus défavorisés… « L’enracinement populaire et la capacité d’une clientèle d’électeurs de centre gauche déçus par le nouveau pouvoir sont (…) les principaux défis que cet héritier lointain de la défunte UDF aura à relever dans les mois qui viennent avant les premiers affrontements de l’année 2014 où le baptême du feu électoral décidera du destin de l’UDI », résume Pascal Perrineau. (3)

Le retrait brutal de Borloo de la course de 2012 laisse planer un doute sur ses intentions réelles. Plusieurs cadres de l’UDI y ont d’ailleurs vu un signe, convaincus de l’incapacité chronique de leur mentor à aller jusqu’au bout. Curseur à droite. À l’UDI, le tropisme UMPéiste l’emporte par-dessus tout. Au point que la volonté d’alliance entre les deux partis, en prévision des élections locales, est clairement affichée. Pas question, en revanche, de se rapprocher des socialistes, même si la dialectique de l’union a ses limites. En témoignent les positions affichées par les deux partis de droite vis-à-vis du Front national. Le rassemblement unitaire fait ainsi débat à l’UMP, quand l’UDI semble exclure toute idée d’alliance avec le parti frontiste. « L’UMP est partagée entre deux visions. D’un côté, un avenir protectionniste, national, antieuropéen, de l’autre, un avenir ouvert pro-européen, résume l’eurodéputé Jean-Louis Bourlanges. Ses dirigeants, Fillon et Copé, sont en réalité acquis à la première hypothèse. Ce parti aura donc du mal à dégager une ligne claire. Nous, nous serons capables de dégager une ligne claire. » (4) Si l’UDI est dans une coalition de droite avec l’UMP, elle n’en rassemble pas moins quatre

sensibilités qui font sa singularité, à en croire Yves Jégo, son délégué général : « nous sommes plus européens, écologistes, républicains tolérants et pour une véritable liberté d’entreprendre », se plait à répéter le député de Seine-et-Marne. (5) Manière, pour l’intéressé et ses troupes, de peser autant que possible dans les prochains scrutins. Voire. Desseins politiques. Passé le cap de 2014, la présidentielle sera dans toutes les têtes. Et, ne doutons pas qu’à ce jeu, les prétendants seront nombreux. Le retrait brutal de Borloo de la course de 2012 laisse, en effet, planer un doute sur ses intentions réelles. Plusieurs cadres de l’UDI y ont d’ailleurs vu un signe, convaincus de l’incapacité chronique de leur mentor à aller jusqu’au bout. Chantal Jouanno, Rama Yade, Jean-Christophe Lagarde, Jean-Christophe Fromantin et même Hervé Morin sont en embuscade. Jusqu’à Christine Largarde, aujourd’hui au FMI. Prudent, Borloo s’est constitué son « shadow cabinet ». En qualité de Premier ministre, Yves Jégo joue un rôle de sentinelle, tandis que Rama Yade planchera sur l’éducation, Jean-Christophe Lagarde sur les affaires étrangères et Nassimah Dindar, présidente du Conseil général de la Réunion, sur les affaires sociales. (8) De quoi occuper ce petit monde en attendant…

NOTES (1) Pascal Perrineau, L’UDI peut-elle rivaliser avec l’UMP ?, Le Figaro, 5 février 2013. (2) Pascal Perrineau, op. cit. (3) Pascal Perrineau, op. cit. (4) Le Télégramme, 25 octobre 2012. (5) Les centristes élaborent leur projet, in Les Échos, 28 janvier 2013. (6) Libération, 28 janvier 2013.

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DÉCRYPTAGE & DÉBATS

« La France n’est pas ce manteau de clochers que Buisson tente de nous vendre, depuis des années. Elle est une terre d’accueil et d’égalité qui s’enracine dans la Révolution française » Thierry Marchal-Beck est président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). Désigné par François Hollande comme responsable du pôle de la mobilisation des jeunes dans le cadre de la campagne présidentielle de 2012, il revient sur le travail entrepris, de longue date, par le MJS pour combattre la droite et l’extrême-droite. futures entre le principal parti de l’opposition et le FN.

Le MJS a entrepris un important travail de caractérisation et d’analyse critique sur la droite et l’extrême-droite. Comment cette entreprise se décline-t-elle ? L’essentiel de notre réflexion porte sur la droite, l’extrême-droite et la radicalisation de certaines franges de la droite républicaine. Nous nous e orçons d’analyser et de disséquer les propositions et l’idéologie des partis qui forment l’opposition, en mettant l’accent sur les politiques libérales et conservatrices dont ils se font les promoteurs. Ceci vaut, en particulier, pour le mariage pour tous auquel ils sont naturellement hostiles, la fin du CDI, la remise en cause de notre modèle de retraites, ou bien encore le salaire minimum… Ce travail critique est complété par une entreprise de veille systématique, menée depuis deux ou trois ans, sur les questions identitaires. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007,

la droite ne se positionne plus uniquement sur les sujets économiques et sociaux, mais sur des aspects citoyens et sociétaux. Avec l’ambition de définir un nouveau périmètre national. L’exemple vaut également pour les questions migratoires et l’identité, avec la remise en cause du droit du sol. Et, à la clé, une stigmatisation de plus en plus pressante des personnes de confession musulmanes, que d’aucuns assimilent à tort au radicalisme et à l’islamisme. Ce positionnement radical d’une partie de l’UMP et de la droite forte s’est opéré sous le mandat de Nicolas Sarkozy, au prix d’une véritable emprise idéologique de l’extrême-droite sur la droite. Oui. L’organisation, par le Bloc identitaire, d’« apéros saucisson et pinard » ou de la « soupe au cochon » en est d’ailleurs la parfaite illustration. Elle se poursuit par une véritable réappropriation du vocabulaire frontiste par l’UMP,

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sous l’égide de Patrick Buisson, et ce parmi les plus hautes fonctions de l’Etat. Tout cela, nous l’analysons. Et, nous constatons qu’il existe une véritable tentation unitaire, à droite, autour de la question de l’Islam. L’interdiction du port du voile ou de la burqa, aussi légitime soit-elle, s’opère ainsi dans un climat permanent de stigmatisation vis-à-vis de la communauté musulmane. Et, il ne fait aucun doute, à cet égard, que l’alignement que vous évoquez sur les thèses du Front national a été manifeste au cours de la dernière campagne présidentielle. Il s’est traduit, entre 2007 et 2012, par un niveau d’expulsion des populations issues de l’immigration jamais atteint jusqu’alors. Avec des contrôles d’identité systématiques et une politique de stigmatisation qui donnent une nouvelle définition de ce qu’est le « nous ».

le Front national, vise à véhiculer l’idée que certaines populations seraient culturellement inassimilables. On peut y ajouter l’inflation sécuritaire et la thématique migratoire. Ce sont d’ailleurs souvent les jeunes issus des quartiers populaires qui sont la cible de ces attaques, dont Nadine Morano s’est fait une spécialité. À droite, il est écrit que la peur doit changer de camp et que l’inflation des lois sécuritaires est la norme. L’empreinte idéologique et culturelle de l’extrême-droite est ici très prégnante. Le plus surprenant, c’est que le nombre de policiers n’a cessé de diminuer entre 2002 et 2012. Ce qui tend à démontrer qu’au-delà de l’interpénétration entre la droite et l’extrême-droite, nous sommes bien dans le discours et l’idéologie.

Pour qu’un ouvrier ou un employé puisse voter Sarkozy au À droite, il est écrit que la peur doit changer de camp et second tour, c’est-à-dire que l’inflation des lois sécuri- contre ses intérêts matériels, il doit passer par un « sas » taires est la norme. L’emqu’est le vote Front national. preinte idéologique et culturelle de l’extrême-droite La structure de l’électorat FN et UMP est pourtant loin d’être homogène… est ici très prégnante. Absolument. L’entre-deux tours de la campagne Tout cela est à mettre en lien avec le rôle prétendument positif de la colonisation, l’absence de repentance, après les actes de tortures perpétrés durant la guerre d’Algérie, ou bien encore le drame lié à l’abandon des Harkis par la République. Oui. Il est important de mesurer le poids de l’héritage colonial dans le discours aujourd’hui entretenu par la droite extrême et l’extrême-droite. Le terme « d’assimilation », par exemple, est issu de l’administration militaire lors de la colonisation en Algérie. Le colonisateur distingue dès lors les populations juives et Kabyle qui seraient semblables aux « musulmans », à qui on ne reconnaît d’ailleurs pas la qualité d’Algériens, qui seraient eux-mêmes culturellement inassimilables, comme le démontrent les travaux de Patricia Lorcin. Nous constatons à quel point la rhétorique sur l’assimilation, qu’il faudrait, par ailleurs, distinguer de l’intégration souhaitée par

présidentielle l’a d’ailleurs parfaitement démontré. Nicolas Sarkozy a certes réussi, en 2007, à capter dès le premier tour de la présidentielle une partie des voix du FN. La mise en place d’une politique favorable aux plus riches a toutefois changé la donne, au fil du quinquennat. Parallèlement, les ouvriers et employés, issus des territoires périurbains, se sont rapprochés peu à peu de l’extrême-droite, au détriment de la gauche et de la droite républicaine. Sarkozy l’a parfaitement saisi. Pour qu’un ouvrier ou un employé puisse voter Sarkozy au second tour, c’està-dire contre ses intérêts matériels, il doit passer par un « sas » qu’est le vote Front national. Nous constatons à quel point la droite a besoin de substituer la question raciale à la question sociale pour obtenir une majorité politique. D’où sa stratégie d’empiètement sur l’idéologie frontiste dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2012. Mal lui en a pris.

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Une étude de la Fondation Jean-Jaurès et du CEVIPOF pour le journal Le Monde en date du 25 janvier, met en exergue les crispations alarmantes de la société française. Elle pointe également la très forte demande d’autorité et la tentation du repli national. Comment analysez-vous ce phénomène ? Ce constat, nous le faisons également. Il n’y pas de fatalité, à l’heure où 20 % des jeunes optent pour le Front national. Ils ne votent d’ailleurs pas différemment de leurs parents. Lorsque le FN est faible, il l’est tout autant chez ces publics, et inversement. Je constate, par ailleurs, que ce parti jouit d’une très faible audience dans le milieu universitaire, tandis qu’il peut recueillir 30 à 35 % des suffrages chez les personnes peu qualifiées, issues, pour la plupart, des territoires périurbains. Les zones urbaines et rurales, votent en revanche clairement à droite ou à gauche. Le FN y enregistre ses plus faibles audiences. Au-delà de ce constat, le travail de déconstruction que nous avons entrepris doit être accompagné par l’affirmation d’un projet de société. Existe-t-il ou non une dimension xénophobe dans le vote FN ? Bien-sûr. Y a-t-il une demande d’ordre et d’autorité dans cette offre politique ? Clairement, oui. La crainte et la peur d’être confronté à des cultures différentes de la nôtre ? Cela va de soi. De tout cela, nous tirons des conséquences. Avec la volonté d’apporter des réponses à celles et ceux qui vivent quotidiennement sur ces territoires. Et qui sont touchés de plein fouet par la crise, l’absence de services publics de proximité, la difficulté d’accéder à la culture, la santé ou à une école de qualité, la peur du déclassement, et qui seraient tentés par le repli sur soi. La question du pouvoir d’achat occupe naturellement une place centrale dans leurs préoccupations. Ce que Marine Le Pen a compris de longue date.

Il y a nécessité, pour nous, de créer du lien avec les acteurs des quartiers populaires, plus sensibles que d’autres au discours frontiste sur l’immigration et la préfé-

rence nationale. Ceux-là mêmes qui voient dans Marine Le Pen quelqu’un d’attentif à leurs préoccupations. Leur vote ne fonctionne pas tant sur des items que sur des considérations liées au pouvoir d’achat. Dans chacune de ses interventions, la présidente du FN insiste, effectivement, sur la peur de la mondialisation et ses effets sur la crise du multiculturalisme et du pouvoir d’achat, en reléguant au second plan les questions sociétales, qui figurent pourtant au cœur des préoccupations citoyennes. J’ai grandi entre le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine. Deux territoires aux prises à d’importantes difficultés industrielles, dont les habitants ont des préoccupations souvent éloignées de celles et ceux qui vivent dans des grands centres urbains. Ces disparités nourrissent la thèse frontiste d’une France « invisible » et de l’idée savamment entretenue par la droite selon laquelle la gauche ne s’adresserait qu’aux populations issues des grandes métropoles. S’ensuit la nécessité, pour nous, d’entretenir des liens avec les acteurs des quartiers populaires, plus sensibles que d’autres au discours frontiste sur l’immigration et la priorité nationale. Ceux-là mêmes qui voient dans Marine Le Pen quelqu’un d’attentif à leurs préoccupations. Leur vote ne fonctionne pas tant sur des items que sur des considérations liées au pouvoir d’achat. Mais, qu’on ne se méprenne pas : le programme du FN repose sur le principe de la préférence nationale qui transite par un changement constitutionnel et une remise en cause radicale de la déclaration universelle des droits de l’homme et des citoyens. Au FN, la modernité n’est que de façade. Seule la communication prime. Il nous faut donc impérativement réarmer les jeunes militants contre l’extrême-droite, son programme et sa conception du pouvoir, en ciblant, plus particulièrement, les zones géogra-

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phiques où elle enregistre ses résultats les plus flatteurs.

Là où nos militants se sentent les plus forts, le FN se retrouve souvent en position de faiblesse. Justement, quelles actions le MJS met-il en œuvre pour combattre l’extrême-droite et le Front national sur le terrain ? Là où nos militants se sentent les plus forts, le FN se retrouve souvent en position de faiblesse. En Ile-de-France, à Lyon, Toulouse, Marseille, Lille, Nantes et dans les villes universitaires. À l’inverse, les bassins éloignés rendent le militantisme plus ardu. Ce qui pose clairement le problème des moyens. Comment fait-on pour toucher ces populations ? À l’occasion des campagnes présidentielle, législatives et cantonales, les Jeunes Socialistes ont organisé de nombreuses caravanes militantes, dès que la situation l’exigeait. Il nous faut poursuivre cet effort, en procédant à un véritable travail de caractérisation du Front national. Ce qu’a fait Laurianne Deniaud, en 2011, en interpellant Marine Le Pen, à plusieurs reprises. Il nous faut expliquer clairement ce qu’est ce parti, en insistant sur les liens qu’il tisse avec des groupes d’extrême-droite et identitaires, son racisme antimusulman, le fait qu’il n’a jamais été du côté des ouvriers, ou les attaques ciblées qu’il mène contre le droit des femmes. C’est notre priorité. Parallèlement, nous devons former les militants pour argumenter et répondre aux interrogations légitimes de nos concitoyens. Enfin, il nous faut créer du lien et faire connaître notre projet de société. Et ce, en mettant l’accent sur les questions liées au pouvoir d’achat, la santé, le logement et la mobilité dans les territoires périurbains. L’attente est forte et il nous appartient de rappeler avec force que la gauche est du côté des services publics car c’est le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas. Les valeurs qui fondent le pacte républicain sont, de ce point de vue, essentielles. À charge pour nous de les défendre avec la même détermination que celle qui a valu à Nicolas Sarkozy et ses troupes d’en saper les fondements. Notre rôle est d’affirmer les valeurs dans lesquelles

nous nous reconnaissons. Il n’est pas question de s’excuser au motif qu’on est de gauche ! Nous sommes pour la justice, la fin des peines plancher, la lutte contre les inégalités, l’intégration, la hausse du pouvoir d’achat. Montrons-le ! Nous sommes le parti de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Nous sommes persuadés qu’à périmètre culturel constant, nous perdrons dans les urnes. C’est donc une reconquête des têtes et des cœurs qu’il s’agit d’entreprendre. La gauche a besoin d’un discours fort et clair sur ces sujets. Nous ne possédons pas les médias, ne faisons par le 20 h de TF1. Notre force, ce sont nos militants sur tous les territoires, qui convaincront leurs amis, leur famille, leurs voisins.

Il nous faut expliquer clairement ce qu’est ce parti, en insistant sur les liens qu’il tisse avec des groupes d’extrêmedroite et identitaires, son racisme antimusulman ou les attaques ciblées qu’il mène contre le droit des femmes. La gauche éprouve souvent des difficultés à s’adresser, de manière homogène, aux populations issues des zones urbaines, périurbaines et rurales. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Les militants doivent occuper le terrain, rassembler, être présents dans le tissu associatif. Ce n’est pas facile. Il nous faut donc des moyens. Tout est affaire de volonté politique. Mais, j’insiste sur une dimension essentielle : lorsque le déterminant du vote est à dominante économique et social, nous l’emportons. Employés et ouvriers doivent donc figurer au cœur de nos préoccupations. La bataille idéologique et frontale avec la droite est en cela indispensable, d’autant qu’elle se réfère à un récit différent du nôtre. Non, la France n’est pas ce manteau de clochers que Buisson tente de nous vendre, depuis des années. Elle est une terre d’accueil et d’égalité qui s’enracine dans la Révolution française. Assumons pleinement ce positionnement. Il est tout aussi important de s’adresser aux

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habitants des quartiers populaires abandonnés à leur sort par les amis de l’ex-président de la République et qui subissent de nombreuses stigmatisations, qu’à ceux qui vivent sur des territoires plus favorisés. Il y a un vrai danger à opposer plusieurs éléments issus de la classe populaire, au risque de trahir l’idéal d’égalité porté par la gauche. Chacun doit pouvoir accéder à l’école de la République, aux services publics ou aux soins les plus élémentaires…

Toute stratégie visant à opposer des catégories de personnes est dangereuse, parce qu’elle ne fait que diviser et fractionner la société. Ceci n’apporte rien de positif à la gauche. Interrogeons-nous plutôt sur l’encadrement des loyers, l’aide aux transports ou l’accès à la santé. François Hollande n’aurait jamais été élu s’il n’était pas parvenu à accumuler entre 6 et 8 millions de voix dans les quartiers populaires.

FN : une « banalisation » à marche forcée ! Les idées du Front national ont-elles fini par imprégner l’opinion ? À moins que celle-ci ait imprimé durablement sa marque sur le parti frontiste ? L’interrogation bat son plein. D’après le baromètre TNS Sofres publié dans le journal Le Monde en date du 7 février, plus d’un tiers des Français adhèrent aujourd’hui aux idées frontistes. Les frontières sont poreuses et les sympathies affichées, à l’heure où un sympathisant UMP sur deux se déclare séduit par des alliances électorales avec le FN. L’emprise du discours lepéniste sur les catégories populaires et la normalisation de l’image du parti d’extrêmedroite, sur fond de crise économique et sociale, ne sont sans doute pas étrangères à cette adhésion. Si 67 % des sondés n’envisagent pas de voter pour ce parti à l’avenir, ils sont 47 % à estimer qu’il ne représente pas un danger pour la démocratie. Ce résultat sans précédent ne fait que confirmer l’image d’une « droite patriote attachée aux valeurs traditionnelles », dont Marine Le Pen fait son miel, alors que son père se reconnaissait plus volontiers dans la xénophobie, le poujadisme et le libéralisme économique. Tant et si bien que le curseur s’est inversé auprès des sympathisants UMP, dont 51 % déclarent adhérer aux constats exprimés par la fille du Menhir, sans pour autant se laisser séduire par ses solutions. Ces idées trouvent un écho particulier chez les

personnes peu ou pas diplômées. À commencer par les ouvriers (42 %) et employés (34 %) issus des zones rurales (41 %), rurbaines (36 %) et périurbaines (38 % d’adhésion). A contrario, les titulaires de diplômes supérieurs, issus, pour la plupart du tissu urbain, sont les plus hermétiques aux idées frontistes : 79 % se déclarent en désaccord avec Marine Le Pen et ses troupes. Acteur à part entière du jeu politique, le FN occupe désormais toute sa place, à droite. Cette banalisation, sur fond de dédiabolisation, conforte la crédibilité de sa présidente qui met aujourd’hui l’accent, dans ses discours, sur les effets de la mondialisation sur le portefeuille des Français, touchés de plein fouet par la crise. 35 % des sondés, contre 31 % en 2012, la croient ainsi capable de gouverner le pays. Plus étonnant, 53 % d’entre eux la jugent capable de rassembler au-delà de son camp, alors que 39 % souhaitent des alliances avec l’UMP, au gré des configurations locales et des opportunités politiques. Soit, une hausse de quatre points par rapport à l’an dernier. Le rejet de l’Islam chez 54 % des personnes interrogées (+ 11 % par rapport à 2010) est particulièrement prégnant au sein de l’électorat UMP (+ 10 % en un an). Au même titre que la stigmatisation grandissante de l’immigration qui contribue à rapprocher le premier parti de l’opposition et le FN. La responsabilité des dirigeants de l’UMP n’en est que plus engagée.

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Wauquiez : une mise en scène laborieuse Laurent Wauquiez, porteur de la motion dite « Droite sociale », faisait sa rentrée politique le 5 février, en réunissant l’essentiel de ses soutiens. Les quelque 21,7 % obtenus par la motion qu’il a présenté lors du congrès de l’UMP d’octobre 2012, lui offre une tribune médiatique, qu’il entend utiliser pour mettre en avant ses idées libérales et conservatrices .……… La Droite sociale fait sa rentrée. En présence de parlementaires et de militants ralliés à sa cause, Laurent Wauquiez a présenté, le 5 février, à Paris, les principaux axes de réflexion sur lesquels il entend construire son logiciel de pensée. Son crédo : les droits et les devoirs qu’il assigne, pour l’essentiel, aux « assistés » sociaux. Sa cible : les classes moyennes, prétendument ignorées de la classe politique et de la presse parisienne, qu’il croit acquise à la gauche. Ce qui lui vaut, à chacune de ses sorties, d’opposer la « solidarité juste » et l’assistanat « que nous refusons ».

par Jean-Marc Ayrault, et le « démantèlement », par le gouvernement, des politiques familiales. De son point de vue, la gauche s’emploie ainsi à défaire, une à une, les pierres de l’édifice construit patiemment par la droite. Travail, famille, école… La critique va bon train, au prix de caricatures parfois surprenantes. L’État socialiste s’en prendrait, ainsi, indument aux fondements de la société que Sarkozy et Fillon auraient prétendument défendus. « Ils s’attaquent, par le biais des heures supplémentaires, à toutes les différences entre l’assistanat et le travail », martèle-t-il comme un mantra. Au détour d’une phrase, il tacle Vincent Peillon, qu’il accuse, mal-à-propos, de vouloir supprimer l’évaluation des élèves. « C’est le grand retour de l’idéologie de la gauche, raille-t-il. Nous croyons dans l’effort, elle défend le nivellement. »

En digne héritier du sarkozysme, Wauquiez se dit prêt à « briser les tabous », fustiCe proche de François Fillon geant au passage la « vraie fausse générosité » de la se verrait bien en chef de gauche, coupable, à ses meute pour fixer le cap, en yeux, d’emprisonner la se projetant sur 2017. droite sur le terrain social. Chef de meute. Fustigeant les « querelles d’égo », les « guerres fratricides » et les « affrontements de personnes », au sein même de sa famille politique, le député de la Haute-Loire entend se poser en rassembleur, tout en affichant sa ferme opposition au gouvernement. En fait, ce proche de François Fillon se verrait bien en chef de meute pour fixer le cap, en se projetant sur 2017. Pour cela, il commence - sans réelle surprise par fustiger les « mensonges de François Hollande », le « matraquage fiscal », mis en scène

Vraie fausse générosité. « Assistanat », promotion du travail, fin des 35 heures, dictat de la gauche et du Parti socialiste… En digne héritier du sarkozysme, Wauquiez se dit prêt à « briser les tabous », fustigeant au passage la « vraie fausse générosité » de la gauche, coupable, à ses yeux, d’emprisonner la droite sur le terrain social. « Cette voie, Nicolas Sarkozy l’a ouverte. Nous devons la poursuivre », insiste-t-il. Dès lors, l’occasion est trop belle de tirer à boulets rouges sur le pacte de compétitivité dans

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lequel il ne veut voir surtout que les effets pervers, en termes d’alourdissement de charges. Franchement curieux d’entendre cet ex-ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, qui ne s’est guère illustré par son audace durant le précédent quinquennat, distribuer les bons et les mauvais points ! À coup d’assertions et de contre-vérités récurrentes sur le « matraquage fiscal » auxquelles le gouvernement se livrerait depuis huit mois, et dont seraient victimes, au premier chef, les classes moyennes. « Chaque français doit acquitter l’impôt », constate-t-il, avant de conditionner la réduction du déficit à une baisse de deux-tiers de la dépense publique. Troisième chantier : la maîtrise des dépenses locales, par le biais d’un plafond fiscal et, là aussi, d’une compression de la dépense, dont les socialistes sont tenus responsables. Seul moyen, veut-il croire, de préserver les classes moyennes contre un choc fiscal.

Au détour d’une phrase, Wauquiez se prend à brocarder les « corporatismes » qui mettent le système en péril. Par là, il entend les me-

sures de solidarité sociale et l’aide médicale d’État, taxées d’ouvrir la voix à tous les abus et d’inciter les étrangers, entrant irrégulièrement sur le territoire, à profiter de notre système de santé… Poison. Déficit record du régime d’assurancechômage, système de protection sociale en faillite, « financé à crédit et payé par nos enfants … Au détour d’une phrase, Wauquiez se prend à brocarder les « corporatismes » qui mettent le système en péril. Par là, il entend surtout les mesures de solidarité sociale et l’aide médicale d’État, taxées d’ouvrir la voix à tous les abus et d’inciter les étrangers, entrant irrégulièrement sur le territoire, à profiter de notre système de santé… Derrière une prétendue modernité, le parlementaire UMP agite ainsi les peurs. Aujourd’hui, comme hier, on ne voit pas ce qu’a de sociale la droite de Laurent Wauquiez. « Droite sociale » ? Non, plutôt droite libérale et conservatrice.

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE LʼEXTRÊME-DROITE

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