Le capitalisme, c’est autant l’exploitation de l’Homme que de la nature.
l’éco socialiste faire le socialisme du 21e siècle
Numéro 1 - Novembre 2012
DOSSIER
L’ÉCOLOGIE ESTELLE SOLUBLE DANS LE CAPITALISME ? RENCONTRE AVEC SUSAN GEORGE Susan George est politologue, essayiste, présidente d’honneur et membre du conseil scientifique d’ATTAC, (Association pour la Taxation des Transactions financières et l’Aide aux Citoyens), présidente-fondatrice du conseil du Transnational Institute à Amsterdam. Cette figure de l’altermondialisme nous a accordé un entretien, avec pour fer de lance un message offensif : A leur logique, opposons la nôtre. Page 8
CAPITALISME, MARCHÉS ET ÉCOLOGIE, LES LIAISONS DANGEREUSES Le libéralisme économique semble avoir vaincu et consacré l’emprise des marchés et de la finance sur l’écologie politique. Quelques points historiques et théoriques sur ces liaisons dangereuses entre marchés et écologie. Page 5
LES PRÉCAIRES DU NUCLÉAIRE
Enquête sur ces travailleurs de l’ombre. Page 4
Elsa Peinturier
EDITO
UN CHIFFRE À RETENIR
L’écosocialisme pour en finir avec la schizophrénie du militant de gauche
Depuis dix ans d’engagement militant combien de week-ends de formation, d’universités d’été où je n’ai pas assisté à la schizophrénie qui guette le militant de gauche ? Prenons un exemple simple. D’abord une table ronde « Mais pourquoi ont-ils tué Keynes ? » pour évoquer la nécessité de relancer l’économie par la consommation et l’investissement public afin de lutter contre le chômage qui touche 5 millions de personnes en France. Ensuite une autre table ronde « Un autre modèle de développement : sortir du dogme de la croissance » qui aborde l’incongruité du PIB comme mesure de toute chose, le dérèglement climatique, la part de plus en plus importante des dépenses énergétiques dans le budget des ménages, tout comme la progression des maladies chroniques. Là est la schizophrénie du militant de gauche, socialiste en particulier. Il a pleinement compris que le capitalisme exploite la terre et les humains dans un même élan. Nous savons pleinement que la question écologique est une question sociale. Nous savons que ce sont ceux de notre camp qui sont en première ligne
devant les pollutions, la malbouffe, la cherté de l’énergie et l’augmentation des maladies dues à nos modes de vies et de consommation. Et pourtant, quand vient le temps des propositions, il est toujours plus simple d’en revenir aux anciennes recettes : celui de la lutte contre le chômage par la relance de la croissance, oubliant trop rapidement l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini ; et l’impossibilité de retourner à une croissance supérieure à 2% vu la dépendance de notre économie au pétrole, dont les prix ne font qu’exploser à chaque hausse de la demande, tuant dans l’œuf toute reprise de l’économie. C’est pour répondre à cette contradiction que nous souhaitons lancer cette revue de l’écosocialisme. Il ne s’agit pas de faire du vert teinté de rouge ou du rouge teinté de vert mais bien de mélanger les deux jusqu’à ce que ces deux couleurs soient indissociables. Cette revue est donc l’espace d’expression, d’inventions, de controverses idéologiques pour tous ceux qui souhaitent faire le socialisme du 21e siècle. Thierry Marchal-Beck
SOMMAIRE EDITO 2 SANTÉ - LE MONOXYDE DE CARBONE RÉVÉLATEUR DE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE DU NORD-PAS-DE-CALAIS
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SOCIÉTÉ EN MOUVEMENT - GAZ DE SCHISTE : FAUSSE BONNE IDÉE ? 3 TROIS QUESTIONS À - CATHERINE QUIGNON-LE TYRANT
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TRAVAIL - LES PRÉCAIRES DU NUCLÉAIRE 4
LE DOSSIER - L’ÉCOLOGIE EST-ELLE SOLUBLE DANS LE CAPITALISME ? CAPITALISME, MARCHÉS ET ÉCOLOGIE, LES LIAISONS DANGEREUSES
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ZOOM SUR - LES MARCHÉS DE DROITS À ÉMISSIONS DE GAZ CARBONIQUE
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RISE UP - POUR UNE ÉCONOMIE FAIBLEMENT ÉMETTRICE EN CARBONE, FORTEMENT ÉMETTRICE EN EMPLOIS
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ENTRETIEN - SUSAN GEORGE, PRÉSIDENTE D’HONNEUR D’ATTAC
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ALLER PLUS LOIN - MARX ÉCOLOGISTE, JOHN BELLAMY FOSTER
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UNIVERSITÉS POPULAIRES DE L’ÉCOSOCIALISME - RENCONTRE AVEC NÉGAWATT 10 PETITE HISTOIRE DES SOMMETS DE LA TERRE
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millions Surproduction, assèchement de la demande, carnets de commandes désespérément vides… L’industriel doit-il nécessairement vendre plus pour gagner plus ? Demandez à Mittal : vous seriez surpris. A l’arrêt depuis octobre 2011, le site de Florange rapporte finalement plus d’argent à Mittal fermé qu’ouvert. Jusqu’à 230 millions d’euros de droits d’émissions de gaz à effet de serre vendus l’an passé, sur un marché qui a rapporté plus d’un milliard à Mittal depuis 2009. Mittal revend ainsi le CO2 qu’il n’émet pas en fermant ses usines. Dommage, le marché ne dépasse plus les 7 euros depuis un moment. Pas suffisant pour dissuader les émissions, mais bien assez pour faire des affaires. Comme quoi se payer la tête du système, ça n’a pas de prix.
ILS ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO Anthony Aly Hugo Baillet Romain Bossis Hadrien Chneiweiss Pierre Doubovetzky Timothée Duverger Stéphane Gonzalez Floréale Mangin Mathilde Maulat Alizée Ostrowsky Rama Sall Laura Slimani Lucas Trotouin Directeur de la publication : Thierry Marchal-Beck Redactrice en chef : Juliette Perchepied Maquette : Richard Chesneau Imprimé par nos soins Vous souhaitez participer à la création du prochain numéro de la revue écosocialiste ? Envoyez vos contributions par mail à l’adresse revue@ecosocialiste.fr
SANTÉ
LE MONOXYDE DE CARBONE, RÉVÉLATEUR DE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE DU NORD-PAS DE CALAIS L’intoxication au monoxyde de carbone est la première cause de mortalité par intoxication en France. La majorité des cas est d’origine domestique et accidentelle due à un mode de chauffage défectueux. Si le nombre de décès est en diminution régulière depuis les années 1980 pour atteindre 98 décès en 2008, la situation reste alarmante avec 5000 cas d’hospitalisation par an. En plus de cela, toutes les régions ne sont pas touchées de la même manière, 16% des intoxications surviennent en effet dans la région Nord-Pas-de-Calais, dues à la part importante de logement individuels privés et la prégnance de chauffages au charbon. Les épisodes d’intoxication corres-
pondent à la période de chauffe entre octobre et mars. L’utilisation d’un mode de chauffage à combustion est un facteur de risque, mais les conditions climatiques peuvent augmenter les risques. L’intoxication au monoxyde de carbone peut être un symptôme de précarité énergétique qui est la difficulté, voire l’incapacité à pouvoir chauffer correctement son logement à un coût acceptable. En 2006, on estimait qu’un peu plus de 260 000 ménages du Nord-Pas-de-Calais dépensaient plus de 10% de leur revenu dans la consommation d’énergie. Or, de la combustion de charbon, source de chaleur peu chère, émane beaucoup de gaz carbonique. Cependant, toutes les catégories sociales de la région Nord-Pasde-Calais sont concernées, touchant également les ménages ayant procédé
SOCIÉTÉ EN MOUVEMENT
à des travaux d’isolation thermique non adaptés, provoquant ainsi l’accumulation de monoxyde de carbone dans l’air de leur intérieur[i]. Le charbon est impliqué dans 55% des foyers d’intoxication, contre moins de 10% en France métropolitaine, et 40 % des cas surviennent dans le bassin minier où l’utilisation de ce mode de chauffage est la plus importante. La lutte contre ces intoxications, symptômes de précarité énergétique, reste un enjeu d’équipement, d’information, de maîtrise de l’énergie et d’assainissement thermique des logements. Une réponse politique doit émerger afin de rendre ces mesures accessibles à tous les ménages, et ne pas faire payer aux plus pauvres le poids de la transition énergétique.
TROIS QUESTIONS À
GAZ DE SCHISTE : FAUSSE BONNE IDÉE ?
CATHERINE QUIGNON-LE TYRANT, MAIRE DE MONTDIDIER
Issus de roches poreuses d’origine sédimentaires et argileuses, les gaz de schiste sont aujourd’hui au cœur du débat sur la transition énergétique. En 10 ans, leur exploitation grandissante a bouleversé l’équilibre énergétique de certains pays comme les Etats-Unis, devenus premier producteur mondial. Avec des ressources mondiales équivalentes à 140 ans de consommation en gaz naturel, les enjeux financiers, politiques et économiques sont énormes.
est diminuée. C’est aussi contribuer à la préservation de l’environnement grâce à la diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Le principal problème de cette ressource fossile réside dans sa technique d’extraction par hydro-fracturation. Elle nécessite des millions de mètre-cubes d’eau et de nombreux additifs chimiques ; menaçant ainsi de polluer les nappes phréatiques. Outre les risques sismiques avérés, la fracturation des roches libère des substances toxiques fortement cancérigènes, tels que les métaux lourds ou la radioactivité naturelle. Enfin, une partie du gaz extrait, du méthane, s’échapperait dans l’atmosphère et son potentiel d’effet de serre est bien supérieur à celui C02. La tentation d’une énergie fossile bon marché et créatrice d’emplois est grande, mais le gaz de schiste n’est pas une énergie d’avenir et ne doit pas nous retarder dans la voie de la transition énergétique.
Catherine Quignon-Le Tyrant est maire de Montdidier dans la Somme, une commune pilote dans le domaine des énergies renouvelables (électricité éolienne et solaire, réduction de l’éclairage public, isolation thermique des bâtiments publics, réseau de chaleur alimenté par une chaufferie bois…) et qui gère ces énergies grâce à une régie communale d’électricité. En 2011, la commune a inauguré le premier parc public éolien de France équipé de quatre éoliennes. Pourquoi s’intéresser aux questions énergétiques dans une ville comme Montdidier, touchée par le chômage et la précarité ? Nous avons commencé par diagnostiquer nos bilans énergétiques sur tout le patrimoine, pour mettre en œuvre de nouvelles pratiques afin d’économiser de l’énergie et diversifier les sources de production. Il s’agit d’un intérêt économique pour mes concitoyens puisque la facture
Le contexte économique et social de Montdidier était en 2004 peu favorable à un vaste investissement. A-t-il joué le rôle de plan de relance en dynamisant la demande et donc l’activité locale? Effectivement, cela nous a permis d’accueillir de nouvelles entreprises, une pour la géothermie, une autre pour le recyclage des matériaux de bâtiments, etc. Les commerçants locaux envisagent peu à peu leur reconversion écologique, épaulés par des aides communales à hauteur de 40%. Tout cela contribue soit à une dynamique de maintien de l’emploi, soit au développement des activités. Les résultats sont là et nous avons pour objectif en 2015 l’autonomie énergétique ! Cette politique énergétique est-elle applicable à une autre échelle ? Nous étions un projet pilote. Nous avons pu arriver à la conclusion suivante, il est plus utile de se concentrer sur l’isolation d’un bâtiment plutôt que d’investir sur une petite chaufferie bois. Par contre un réseau de chaleur bois qui alimente plusieurs équipements devient intéressant, car avec les économies réalisées on peut investir dans les opérations de maîtrise de l’énergie. Cette vision là devrait être démultipliée.
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TRAVAIL
LES PRÉCAIRES DU NUCLÉAIRE : SOUS-TRAITANCE ET RADIATION
Vincent Desjardins
Ils seraient 22 000, devenus le secret honteux d’une filière censée être le fleuron de l’industrie française, le nucléaire. Ce sont des ouvriers, intérimaires, soustraitants, qui vont de chantiers en chantiers pour maintenir en état les 19 centrales et 58 réacteurs du parc nucléaire français. Témoins de l’externalisation mise en place par l’industrie nucléaire. La préservation du mythe d’une énergie à bas prix entraîne un bouleversement dans la structure salariale. 80% des travailleurs sur site sont des sous-traitants, il y a 20 ans, ils étaient 20%. Un statut qui est constamment en danger et synonyme de précarité : multiples déplacements, travail fragmenté, rémunération à la journée, incertitude quant à l’emploi. La pression se fait sentir sur le lieu de travail. Un jour d’arrêt d’un réacteur coûte un million d’euros à EDF, il faut donc agir vite. Dans ce laps de temps, les ouvriers prestataires doivent contrôler, changer des pièces dans le réacteur et nettoyer les filtres de la cheminée. Appelés jumpers, ils descendent dans la partie centrale du réacteur et ne peuvent y rester que 2 minutes tant l’exposition aux radia-
tions y est forte. Quels dangers pour leur santé ? On estime qu’ils reçoivent 80% des doses totales de radiations reçues. Et ces ouvriers ne disposent pas d’un suivi médical continu. Seuls leurs badges enregistrent les taux de radiations auxquels ils ont été soumis. Quand ce taux est trop élevé, ils bénéficient de congés mais perdent une partie de leurs revenus, ce qui contraint certains travailleurs, qui l’avouent, à cacher leur badge pour éviter le seuil critique. Aujourd’hui ignorés des pouvoirs publics, ces travailleurs pour-
raient représenter une bombe à retardement sanitaire selon certains, comparable à celle créée par l’amiante. Penser la fin du nucléaire civil, c’est aussi leur assurer une reconversion professionnelle, un statut et un suivi médical. Une étude réalisée par l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) concluait que 82% d’entre eux souhaiteraient quitter la filière s’ils en avaient la possibilité. Quitter le nucléaire pour eux ce serait quitter la précarité, ne plus être le secret honteux de l’énergie française.
QUAND IL Y A DE L’ANTI-ÉCOLOGIE « Alors que la France court à sa ruine...en chantant, elle continue à faire comme les autruches tandis qu’elle a sous ses pieds un véritable pactole que géologues et foreurs sont parfaitement capables d’explorer et de produire sans polluer la moindre nappe phréatique ni tuer le moindre individu, quand bien même ne serait-ce qu’un animal » Amicale des foreurs et métiers du pétrole, aout 2012
QUAND IL Y A DU GREENWASHING POURQUOI ADOPTER UN AGROCARBURANT* ?
Saturn â TM
Envie de rouler militant ? Vous voulez sauver de la misère les pays émergents ? Roulez aux biocarburants ! Leur production, aimablement organisée par quelques multinationales agroalimentaires, remplacera celle des denrées alimentaires peu rentables et permettra d’étendre la civilisation par delà les jungles les plus reculées…
Vous aussi, aidez les agriculteurs, en remplaçant la culture alimentaire peu rentable par la fabrication d’un nouveau gasoil.
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Vous pensez que l’obésité est le fléau du monde moderne ? Choisissez les agrocarburants, vous pourrez ainsi réduire sensiblement la production alimentaire mondiale tout en faisant augmenter le prix des pâtes ! Enfin une bonne raison de tenter un régime pour l’été. *Les agrocarburants ont été élus produit anti-écologique de l’année 2012 !
DOSSIER
L’ÉCOLOGIE EST-ELLE SOLUBLE DANS LE CAPITALISME ? Découvertes scientifiques, génomes, pollution, déchets industriels, tout peut-il se vendre ? Voilà ce que semblent croire les tenants de l’écologie libérale depuis des années, encouragés en cela par les forces économiques capitalistes. Intégrant les G8 et autres Sommets de la Terre, ils ont échoué à nous sortir de la crise écologique tout en nous endettant pour demain. La nature est devenue marchande et les inégalités sociales, renforcées par la crise écologique, demeurent la règle. Ce sont les maux d’un système qui exploite, détruit et exclue. Mais quelle place pour les citoyens dans tout ça ? Démocratie, libéralisme et écologie sont-ils compatibles ? Peut-on finalement résoudre la crise écologique sans dépasser le capitalisme ? Voilà les questions auxquelles nous avons cherché à répondre en rencontrant Susan George, en revenant sur les marchés carbone, en se plongeant dans l’histoire des sommets de la Terre et en relisant Marx pour mieux comprendre l’écologie.
CAPITALISME, MARCHÉS ET ÉCOLOGIE ; LES LIAISONS DANGEREUSES L’actuelle crise marque l’impasse d’un modèle d’accumulation et de développement qui ne produit qu’instabilité, inégalités et dégradations souvent irréversibles. Multidimensionnelle, elle sévit avec gravité tout d’abord dans le domaine économique mais aussi social, à cause de l’extrême concentration des richesses entre les mains de quelques-uns, et écologique du fait de l’épuisement des ressources naturelles, notamment fossiles. Voici la définition même du capitalisme, à savoir l’appropriation privée des moyens de production par quelques-uns, un système économique motivé par la notion de croissance constante et intenable. L’obsolescence programmée des produits conditionne la société dans une consommation permanente, sans cesse renouvelée. L’hégémonie du capitalisme fait de la surconsommation le seul comportement prôné, exacerbant les inégalités. On assiste à la montée en puissance du néolibéralisme avec l’extension
du marché à des domaines de plus en plus nombreux. La crise systémique que traverse le monde exprime finalement l’arrivée aux limites écologiques d’un modèle, qui en se globalisant, soutire de la planète plus qu’elle ne peut reproduire. L’absence de questionnement sur la notion de croissance basée sur l’exploitation de ressources énergétiques et naturelles finies reste caractéristique de cette pensée. Ces limites, non négociables accentuent la concurrence internationale, la pression sur les sociétés et sur le travail et amplifient les inégalités. L’écologie américaine d’obédience libérale promeut le capitalisme vert et son économie verte. La transition écologique implique au contraire de prendre acte dès maintenant de ces limites et d’en faire un levier pour une transformation de notre modèle de développement.
La victoire du libéralisme à l’origine d’une écologie culpabilisatrice L’émergence politique de la thématique écologiste a coïncidé avec la victoire politique du modèle libéral sur le keynésianisme. Le libéralisme privilégie en effet l’action de l’individu à l’intervention de l’Etat, vue comme un frein aux libertés individuelles. Dans cette vision de l’écologie, le consommateur joue un rôle central dans la crise écologique.
« La stratégie libérale consiste en un éloignement organisé des citoyens des questions écologiques »
Premièrement, la stratégie libérale consiste en un éloignement organisé des citoyens des questions écologiques. Le vocabulaire pour désigner la crise écologique en est un bon exemple : les termes de « désastre », de « catastrophe », donnent à sa résolution une dimension divine, inatteignable, et nourrissent
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le doute, voire le rejet. Cette vision présente les solutions à la crise comme hors de la portée du politique et donc laissées au marché. Le second volet de cette stratégie d’éloignement réside dans ce qu’Aurélien Bernier qualifie de « dictature de l’expertise et de la gouvernance ». Débats d’experts et controverses scientifiques mises sur un piédestal organisent la désinformation citoyenne et excluent les profanes des décisions. Enfin, la stratégie libérale ne serait pas complète si elle ne désignait pas des coupables : les consommateurs. Consommateurs coupables d’une part, industries exemptes de responsabilités d’autre part. Voilà la stratégie libérale qui consiste en l’attente perpétuelle d’un nouveau progrès technique pour sortir de la crise écologique, nous résignant à l’attendre, oubliant que le premier pilier de notre transition énergétique sera de miser sur le kw/h non consommé, et donc sur la sobriété et l’efficacité énergétique. Le marché comme fausse bonne idée Le marché et sa main invisible sont présentés comme des réponses écologistes par la théorie libérale, relayée par de nombreux lobbies, elle s’exporte en Europe depuis les Etats-Unis. Dès 1989, la Global Climate Coalition est créée par un grand nombre de firmes multinatio-
Know Malta by Peter Grima
ZOOM SUR : Les marchés de droits à émissions de gaz carbonique: ma pollution contre ton argent ?
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nales pour contrer le GIEC et délégitimer le discours sur les causes humaines du dérèglement climatique. Entre 1990 et 2007 s’étend l’économie de la connaissance qui donne lieu à un dépôt massif de brevets « dormants » ou « bloquants » empêchant la circulation des connaissances. Les accords ADPIC (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle relatifs au Commerce) renforcent la protection et les sanctions prévues des brevets et donnent le pouvoir d’exploiter la biodiversité. La tentation de se tourner vers l’autorégulation des marchés par la soi-disant « main invisible » est forte. Les externalités négatives du marché ne sont pas prises en compte dans les coûts de production. Pour rétablir l’exactitude du marché, les libéraux préconisent donc d’appliquer un prix à la pollution. Mais ces marchés négligent le fait que l’entreprise risque de répercuter le coût supplémentaire sur le prix de vente du bien, plus cher pour les consommateurs. Ce faisant, il évacue la question des inégalités. Dans cette stratégie, l’appropriation des richesses naturelles est l’unique option envisageable pour les « préserver », en attribuant un prix reflétant la rencontre
de l’offre et de la demande. En faisant de l’eau, de la biodiversité et des ressources naturelles des marchandises, les libéraux consacrent l’inégal accès à ces ressources devenues privées. L’Europe n’est pas exempte de cette stratégie commerciale lorsqu’elle privatise les services publics et renonce aux régies pour l’eau, le gaz, l’électricité et au contrôle par la puissance publique de leur accès pour tous. L’échec des théories libérales à contrer la crise écologique est révélé par l’exemple des marchés de droits à émissions de carbone (voir encadré ci-contre), qui cautionnent la pollution sans remettre en question les comportements, incitent à la délocalisation des émissions et instaurent la primauté de la finance et du profit sur les intérêts écologiques. Tant que le producteur paie, on accepte que la planète soit polluée.
« Les libéraux affirment que s’approprier des richesses naturelles est l’unique option envisageable pour les préserver »
Sur le papier le système est séduisant : 2 entreprises polluantes A et B ont pour ambition de ne pas dépasser 20 tonnes d’émissions de gaz carbonique (CO2) dans l’année. On autorise alors chaque entreprise à émettre 10 tonnes. Si l’entreprise A n’utilise « que » 8 tonnes, et que l’entreprise B a besoin de 12 tonnes, alors l’entreprise A peut vendre 2 tonnes à l’entreprise B. A mesure que le nombre de tonnes de CO2 autorisé diminue, le prix de la tonne de CO2 augmente assez pour que les entreprises aient intérêt à investir pour devenir moins polluantes. Outre l’aspect archaïque de cette méthode vendue par les libéraux et basée sur une hypothétique main invisible du marché, il s’agit pour une entreprise de s’enrichir sans pour autant modifier ses comportements. Alors que le prix du CO2 est théoriquement censé s’élever afin de dissuader les émissions, il est en réalité très variable. Depuis 2008 et le ralentissement de
Dépasser le système capitaliste pour résoudre la crise écologique Barry Commoner, économiste américain, fut l’un des premiers à alerter sur l’incompatibilité du libre échange et du système capitaliste avec la préservation de l’environnement. Dans son ouvrage
l’activité des entreprises émettent moins de CO2. Cela a eu pour conséquence de faire baisser le prix de la tonne de CO2, la rendant beaucoup moins chère qu’un lourd investissement en matière de sobriété et d’efficacité énergétique. Pis encore, le dogme libéral des politiques européennes comme nationales a empêché toute intervention politique régulatrice sur le marché. Aucun prix minimal de la tonne carbone ni de pénalités dissuasives n’ont été imposés pour les entreprises dépassant leurs quotas. Une fois encore la puissance des lobbys combinée à l’opacité des débats démocratiques au niveau européen a empêché toute remontée par la supposée « loi » du marché, du prix de la tonne de carbone. Mais le système ne s’arrête pas là. Une entreprise peut également être payée en tonne de CO2 si elle investit dans des projets de dépollution. En 20 ans, ce mécanisme a offert 1 milliard de tonnes de CO2. Poursuivant l’entreprise capitalistique de destruction de l’homme comme
La relance économique par les investissements dans la transition écologique doit faire figure de porte de sortie. Redistribuer et réduire les inégalités constitue un volet à part entière de la réponse à la crise écologique. Mais c’est le modèle entier qui doit être repensé, y compris en résolvant les contradictions internes au socialisme. Remettre en cause la centralité de la croissance est essentiel. Sortir de la logique du profit, suppose d’amener un nouveau modèle basé sur une économie relocalisée, coopérative et sociale, où l’égalité des conditions d’existence et la préservation des équilibres écologiques sont le point d’arrivée.
de la nature. Le libre-échange a ainsi permis la délocalisation des émissions. La plupart des projets ont été réalisés en Chine où le coût d’une tonne de CO2 évitée est moins cher. Pour ne rien gâcher la finance a finalement créé de nouveaux hybrides, profitant des processus de titrisation pour faire de ces quotas d’émissions de véritables produits financiers. La saviez-vous ? Il existe déjà des junks carbone (« crédits carbone pourris ») sur le même modèle que les subprimes du marché immobilier américain. La finance carbone est aujourd’hui une nouvelle bulle spéculative où la logique du profit prédomine largement sur des impératifs écologiques. Les marchés ne permettent pas de répondre à l’urgence climatique et à celle de la transition énergétique. La réponse sera politique et passera par la sortie de ce système libéral. Elle passera par l’écosocialisme.
DOSSIER
ENTRETIEN AVEC
SUSAN GEORGE Susan George est politologue, essayiste, présidente d’honneur et membre du conseil scientifique d’ATTAC, (Association pour la Taxation des Transactions financières et l’Aide aux Citoyens), présidente-fondatrice du conseil du Transnational Institute à Amsterdam. Cette figure de l’altermondialisme nous a accordé un entretien, avec pour fer de lance un message offensif : A leur logique, opposons la nôtre. ATTAC a-t-elle eu dès le départ une dimension écologique ? Nous sommes une association d’éducation populaire tournée vers l’action car l’on demande de plus en plus aux citoyens de se prononcer sur des sujets extrêmement complexes. Créée en 1998 autour de questions financières Attac n’avait pas au début une sensibilité écologique particulière à l’exception de quelques personnes, mais depuis sept ans, nous avons une commission « écologie et société » animée, entre autres, par Geneviève Azam et Jean-Marie Harribey. Nous sommes représentés comme beaucoup d’autres Organisations Non Gouvernementales aux grandes conférences des Nations Unies telles que les «COP» (Conférence des Parties) ou Rio + 20 et nous essayons d’intégrer la dimension écologique dans l’ensemble de notre travail. Festivals de films, conférences, site web alimenté par le conseil scientifique, activités de nos très nombreux comités locaux, voilà nos outils pour produire et diffuser nos connaissances.
Ludwig Van Standard Lamp
« The Closing Circle » de 1971, il invoque le socialisme pour atteindre cet objectif tout en permettant la satisfaction des besoins sociaux. En effet, la transition écologique requiert un changement complet de paradigme et non un aménagement du capitalisme. Seul le pouvoir politique peut établir des normes élaborées démocratiquement, qui contraignent le privé à changer de modes de production et de distribution et rompre avec la pensée dominante et la centralité de la propriété. Contrairement aux tenants de l’économie verte qui étendent la sphère du marché pour lui permettre de gérer les biens communs et environnementaux, c’est le champ d’intervention du marché qui doit être réduit.
meilleur rendement financier ailleurs. On privilégie la finance à l’investissement dans la transition écologique (rénovation thermique du bâtiment, énergies alternatives, transports collectifs innovants, etc.). L’économie réelle locale, les PME, disposent aussi de moins en moins de financements. Le capitalisme libéré de la sphère financière pourrait-il être compatible avec l’écologie ? J’estime que le « Welfare state » d’aprèsguerre, système capitaliste mais régulé, bridé, a été une grande réalisation, notamment en Europe. Nous aurions pu l’adopter et l’adapter pour en faire un « Green New Deal », combinant action de l’Etat, des entreprises et des citoyens, car tout système sans régulation mène au désastre. Mais pour entreprendre une telle transition, il aurait fallu mettre toutes les banques sauvées depuis le début de la crise par l’argent public sous tutelle, socialiser les crédits, investir dans l’innovation écologique, prêter aux PME et aux ménages avec un projet « vert », créer des eurobonds pour permettre la réalisation de grands projets européens d’énergie et de transport. Je n’adhère pas à tout le programme des « décroissants » mais notre obsession de la croissance à tout prix est auto-déstructrice, cela est certain.
« Notre obsession de la croissance à tout prix est autodéstructrice, cela est certain. »
Le capitalisme est un système qui exploite l’homme et la nature dans un monde à bout de souffle. Comment en est-on arrivé là ? Mettre la « croissance » au centre de l’économie entraîne une prédation inévitable. Nous sommes dans un système d’accaparement, d’exploitation et d’expulsion. C’est ainsi que des paysans d’Afrique ou d’Amérique latine sont expulsés de leurs terres par les grands groupes d’agrobusiness et que les travailleurs Européens sont licenciés de leurs usines quand on peut trouver un
Que pensez-vous du capitalisme vert, solution souvent présentée pour résoudre la crise écologique et sociale ? Ce que l’on n’a pas encore suffisamment saisi, c’est que tout ce qui est vivant est considéré comme un produit potentiel.
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La nouvelle frontière est celle de la biocertains comme la Norvège ouvrent de logie synthétique qui devient capable de nouveaux terrains à l’exploitation, autour fabriquer tout et n’importe quoi avec des du pôle nord. Même Total a avoué que composants pris dans la nature. C’est cela pourrait être catastrophique. Mais l’économie verte telle qu’elle a été céléencore une fois, il faut réguler : quand la brée à Rio, c’est la marchandisation de France prend la bonne décision de ne pas la nature avec zéro dimension sociale. Il exploiter le gaz de schiste, l’industrie s’y s’agit d’une stratégie vieille de trente ans, oppose. mise en œuvre par de grandes entreprises « On ne sortira pas de Que préconisez-vous regroupées au sein contraindre les la consommation, mais pour du World Business Etats à investir dans Council for Sustai- il faut savoir quels sec- la transition écolonable Development, teurs doivent croître ou gique ? ou du Global Comdécroître. » pact, espace de l’ONU Imaginez qu’au lieu de laissé aux multinalicencier le personnel tionales sans contrepartie ni contrôle. PSA et de lui payer des allocations chôMais voilà, si personne d’autre n’accepte mage, on lui disait “Mettez-vous autour d’investir dans la réduction des émisde la table, on vous paie pour inventer sions de gaz à effet de serre, je préfère de nouvelles méthodes de production, que les entreprises le fassent, car après pour convertir à l’écologie votre usine, les faillites successives de Copenhague, créer des produits socialement utiles et Cancun et Durban, il est évident que les acquérir une nouvelle formation.” On néEtats ne feront rien. Bien au contraire, glige complètement la créativité des tra-
vailleurs et même des ingénieurs. Cela a été essayé il y a 35 ans en Angleterre, puis le gouvernement et les syndicats ont mis fin a l’expérience pourtant réussie des salariés de la Lucas Aérospace; craignant sans doute d’en perdre le contrôle. Le progrès technique, la science, n’ont-ils pas tendance à être présentés comme des solutions miracle au dérèglement climatique ? Le progrès technique ne nous sauvera pas tout seul, mais sera nécessaire si nous voulons continuer à vivre dans l’environnement complexe des vieux pays industrialisés et pas dans quelqu’utopie rurale et imaginaire. Le choix politique est primordial. Il faut une gestion publique et citoyenne des ressources naturelles, des réseaux publics, des transports, etc. Bertrand Delanoë a remunicipalisé l’eau à Paris; c’est un très bon début.
FICHE DE LECTURE
MARX ÉCOLOGISTE, JOHN BELLAMY FOSTER L’écologie en tant que discipline scientifique et politique est-elle incompatible avec le marxisme ? Le socialisme de manière général, fortement imprégné de logiques productivistes, est-il compatible avec une pensée écologiste ? C’est la question qu’a décidé de se poser John Bellamy Foster en retraçant le rapport de Marx à la nature, de ses textes de jeunesse jusqu’aux écrits postmarxistes en passant par l’écriture du Capital pour finalement démontrer que Marx n’a cessé de penser la nature et ses interactions avec l’Homme et la société. Marx et l’écologie, une histoire ancienne L’influence de Darwin sur les travaux de Marx et d’Engels est fondamentale pour mieux comprendre leur conception du rôle du travail dans l’évolution humaine. Ils chercheront en effet à comprendre la façon dont la nature et la société interagissent, puis pensent l’autonomisation des processus sociaux vis-à-vis du monde naturel. Il développent l’idée que la société humaine est indépendante de son environnement. Cette logique apparaîtra donc anti-écologique pour certains, alors que pour d’autres son ana-
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lyse de la dégradation écologique serait séparée de son analyse sociale. L’accaparement des écrits de Marx par l’Union Soviétique ultraproductiviste au 20ème siècle achèvera de purger toute dimension écologiste de la doctrine marxiste répandue et enseignée lors du siècle dernier. Pourtant, la critique que Marx fait de l’agriculture moderne du point de vue des sciences naturelles apparaît très tôt dans ses écrits. Pour lui, l’agriculture intensive ne respecte pas la «loi de la restitution» des nutriments à la terre dans le processus de production, amenant à la crise des sols du 19ème siècle qui toucha notamment la Grande-Bretagne. Des colonies entières voyaient leurs ressources volées pour soutenir l’industrialisation des pays colonisateurs. L’homme a donc rompu avec « l’interaction métabolique entre l’homme et la nature », avec pour conséquences la fracture villes-campagnes ou l’arrachement des peuples à la terre. Pour l’auteur, le travail de Marx constitue le départ d’une sociologie complète de l’environnement qui amènera à repenser les révolutions agricoles et la croyance absolue des marxistes classiques et d’Engels en la science comme moteur du progrès humain. Pour Marx, un problème de production
subsiste. Cependant, la transition nécessaire vers le socialisme ne sera pas automatique. Une planification est nécessaire afin de mieux répartir les populations entre villes et campagnes, assurer la restitution des sols et gérer les déchets industriels. Poursuivant l’analyse de l’exploitation de la nature par le capitalisme dans son ouvrage « Introduction générale à la critique de l’économie politique », Marx attaque l’analyse de Bacon et les lois autonomes de la nature qui la subordonnent aux volontés humaines. Il les qualifie de ruse libérale permettant de mieux assujettir la nature comme objet de consommation et comme moyen de production. La nature selon Marx contribue donc à la production de richesses au même titre que le travail, critiquant par la même occasion les conceptions socialistes trop réductrices de la production de richesses uniquement basées sur la valeur du travail. Capitalisme, écologie et organisation du travail selon Marx Marx explique que dans le système capitaliste la recherche du profit et la dépendance des produits agricoles aux fluctuations du marché entraînent un perpétuel changement de ces cultures. Ceci est en contradiction avec l’agriculture rationnelle qui doit se développer en tenant
Comment réviser consommation ?
nos
modes
de
Réduire les emballages, augmenter la durée de vie des produits. On ne sortira pas de la consommation, mais il faut savoir quels secteurs doivent croître et quels secteurs doivent décroître. Tout cela est une question d’impulsion par la puissance publique. Je suis pour une croissance de l’éducation, de la santé. L’obsolescence des produits est souvent programmée et on fait trop peu d’efforts sur le recyclage. Il faut développer l’économie circulaire, contraindre les entreprises à reprendre le produit en fin de cycle pour lui donner une nouvelle vie. Pour résoudre les inégalités de la mondialisation, on parle aujourd’hui de protectionnisme européen et de juste échange. Pensez-vous que c’est une solution ? La stratégie nationale doit rechercher la compte des conditions d’existence des générations qui se succèdent. Il saisissait là l’idée contemporaine de développement soutenable. Selon lui si la Terre peut jouer un rôle dans la production de la valeur d’usage d’une marchandise, c’est le travail qui lui donne sa valeur marchande. Marx développe son concept de « première contradiction » entre les rapports de production et les forces productives en termes d’inégalités. James O’Connor, fondateur de la revue Capitalism, nature, socialism, décrira quant à lui plus tard une «seconde contradiction» du capitalisme, écologique celle-ci. Ce qui intéressait Marx c’est la durabilité et la régulation des sociétés humaines et de la nature à travers l’organisation du travail. La force de son analyse n’a jamais résidé principalement dans sa théorie des crises économiques, ni dans ses analyses de la lutte des classes elles-mêmes. Elle repose davantage sur sa conception matérialiste de l’histoire, tant humaine que naturelle. C’est finalement un Marx sorti de toute logique productiviste que l’auteur nous décrit dans cet ouvrage, un Karl Marx que l’on a envie de relire pour mieux appréhender les enjeux écologiques contemporains.
John Bellamy Foster, Marx écologiste Editions Amsterdam, 2011, 133 pages, 12€
DOSSIER
souveraineté en alimentation, en eau, en énergie et protéger les économies loComment remettre plus de démocratie cales. L’Organisation mondiale du Comdans tout cela ? merce décourage une telle politique. De plus, les exportations agricoles des Encore une fois, en s’organisant avec pays développés comme les Etats-unis d’autres pour que toute la société puisse ou la France ruinent les paysans du Sud. s’approprier telle ou telle innovation et Je suis pour interdire de telles pratiques pas seulement les catégories sociales mais aussi pour un protectionnisme écoplus aisées et plus éduquées. Les « tranlogique aux frontières de l’Europe qui sition towns », très répandues en Anglerécompense les pays qui respectent des terre et en Irlande, offrent à chacun un normes sociales et environnementales mode d’implication de son choix à son du mieux qu’ils peuvent, à leur niveau échelle. Il faut fournir une structure léde développement. Autrement dit, on gère et démocratique que chacun puisse ne demande pas au Burkina Faso de faire rejoindre selon ses aussi bien que l’Australie, mais chacun « Seule la mobilisation moyens et centres à son niveau devrait collective fera entendre d’intérêts comme les AMAP. être reconnu pour que la transition écoses efforts. Il faudrait créer des cercles ver- logique est un vivier Qu’est-ce qui pourtueux incitant tous les d’emplois et qu’il faut rait déclencher un déclic citoyen et en pays à améliorer leur engagement massif aller chercher là où il se comportement social dans la transition et écologique. On en trouve. » écologique ? est loin ! Que répondre à ceux qui agitent l’épouvantail de la hausse du coût du travail en cas de protectionnisme ou de fiscalité écologique ? Il faut moins taxer le travail et taxer le capital et la pollution. Arthur Cecil Pigou, économiste contemporain de Keynes à Cambridge, préconisait une taxation sélective en fonction des objectifs visés. Par exemple : taxer davantage la pollution, les emballages, les pesticides, etc. La tendance actuelle à la désignation des comportements individuels, du consommateur comme coupables, ne nous fait-elle pas passer à côté des vrais coupables de la crise écologique ? J’essaie de ne jamais décourager les changements de comportements individuels, mais en meme temps j’essaie de faire comprendre que la remarque courante « Mais si nous faisions tous….. » ne marche pas. D’abord parce qu’on ne le fera jamais tous sans contrainte ; ensuite parce qu’il est beaucoup plus efficace de rejoindre une organisation et de travailler ensemble pour le changement. Il faut des scientifiques citoyens. L’étude récente sur les OGM produite par l’équipe du Professeur Séralini a montré non seulement les effets sur les rats mais aussi le poids des critiques orchestrées par Monsanto pour brouiller le débat public et l’information citoyenne. Aider les gens à distinguer le vrai du faux dans le débat, c’est le sens de l’éducation populaire.
Seule la mobilisation collective fera entendre que la transition écologique est un vivier d’emplois. Il faut aller chercher l’argent pour la réaliser là où il se trouve. Le gouvernement français paraît trop préoccupé par son budget pour agir et il reste figé dans le modèle d’un autre âge. Voyez le projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes. Il faut réajuster la fiscalité, notamment celle des entreprises, pour réduire la pression sur les ressources naturelles et pour que ça coûte plus cher de produire de manière socialement et écologiquement irresponsable. Tout un programme !
POUR ALLER PLUS LOIN
Susan George, Cette Fois, en Finir avec la Democratie : Le Rapport Lugano II, Editions Du Seuil, 2012
Susan George, Leurs crises, nos solutions, Editions Albin Michel, 2010
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UNIVERSITÉS POPULAIRES DE L’ÉCOSOCIALISME
RENCONTRE AVEC NÉGAWATT
L’écosocialisme est un sujet d’actualité, au cœur des débats, amené par la volonté de réduire nos émissions de gaz à effet de serre tout en relançant l’économie en créant de l’emploi. L’Ecosocialisme est une question vaste qui ne tient pas seulement compte du réchauffement climatique. Elle est aussi sociale, démocratique et économique. Il s’agit de comprendre les enjeux actuels et pour ce faire de mettre à la portée de tous les citoyens les connaissances scientifiques acquises jusqu’à aujourd’hui. Le premier cycle des Universités populaires a pour thématique la transition énergétique. La première étape a été accueillie par les Jeunes Socialistes du Rhône au Château Sans Souci dans le 3e arrondissement de Lyon. Elle s’est déroulée en présence de Thierry MarchalBeck, président des Jeunes Socialistes, et de Marc Jedliczka, porte-parole de l’association NégaWatt. En 2011 était publié leur livre Scenario Manifeste NegaWatt, qui s’est retrouvé sur le devant de la scène médiatique suite aux évènements de Fukushima. C’est un scénario de transition énergétique réaliste et soutenable car il s’agit de penser la trajectoire et pas seulement le point d’arrivée. Marc Jedliczka dénonce un déficit d’information et une confiscation de la thématique de l’énergie par quelques grands ingénieurs, et nous présente les énergies en crise dans un monde en difficulté avec le pic pétrolier, et les dérèglements climatiques avec l’apparition de phénomènes que les prévisions des climatologues annonçaient pour 2030. Le scénario NégaWatt se résume en trois mots : sobriété, réduire à la source les besoins de services énergétiques par des pratiques aux niveaux collectif et individuel ; efficacité, constructive, adaptative, fonctionnelle et productive ; et renouvelable avec des énergies inépuisables et donc des impacts environnementaux moindres. Les Universités Populaires de l’Ecosocialisme ont donc pour but d’informer les citoyens des nouvelles énergies alternatives, mais c’est aussi un lieu de débat, d’échange d’idées, et de réflexion. Un lancement réussi !
Le mercredi 19 septembre 2012 ont été lancées à Lyon les Universités Populaires de l’Ecosocialisme. Organisées par cycles thématiques, ouvertes à tous ceux qui souhaitent y assister, elles réuniront des citoyens engagés, des associations, des femmes et hommes politiques et des scientifiques lors de conférences thématiques.
ENTRETIEN AVEC
Marc Jedliczka, du scénario Négawatt
Fondée en France en 2001, l’Association NégaWatt promeut et développe le concept et la sobriété énergétique dans la société française. L’association souhaite contribuer à une dépendance moindre aux énergies fossiles et nucléaire pour diminuer l’impact négatif de l’économie sur la biosphère et le climat tout en permettant (puis préservant) un partage équitable des ressources naturelles. Elle promeut en outre la solidarité et la paix en passant par un développement harmonieux des territoires, sans pour autant diminuer la qualité de vie et tout en répondant à tous les besoins humains et sociaux. La « démarche NégaWatt » s’appuie sur la sobriété et l’efficacité énergétique passant par un recours aux énergies propres et par une sortie du nucléaire civil. Le pic maximal de production d’énergie a été atteint en août, cela veut dire que notre consommation est à crédit jusqu’à fin 2012. L’année dernière, il avait été atteint en septembre, nous reculons donc d’un mois chaque année. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir, en terme de coûts et de disponibilité des ressources ? Je suppose que vous faites référence à « l’empreinte écologique » qui englobe non seulement la consommation d’énergie, mais aussi de manière plus large celle des ressources non-renouvelables (matières premières, eau, sols, etc.) Il est clair que l’humanité dans son en-
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semble, et plus encore les pays riches dont la France fait partie, a déjà largement dépassé le niveau de prédation des ressources naturelles que la planète est capable de supporter sans que la vie de ses habitants devienne proprement invivable. Ceci n’est pas une simple question de coûts : même les plus riches d’entre nous ne pourront échapper au désastre si nous n’empruntons pas de toute urgence la voie de la raison et de la sobriété. Mais on sait aujourd’hui qu’en matière d’énergie le problème principal n’est pas la raréfaction des ressources non-renouvelables : le sous-sol contient largement assez de matières premières fossiles et nucléaire pour que nous soyons plusieurs fois capables de modifier définitivement le climat ou de rendre définitivement inhabitables des régions entières autour de nos centrales nucléaires. Là est le problème ! Comme des enfants qui ont bougrement envie de faire une grosse bêtise, il nous faut renoncer à la tentation de faire comme si nous ne savions pas et de nous dire que tout cela n’est pas si grave et qu’on peut continuer comme avant. C’est la responsabilité historique directe des dirigeants actuels de faire prendre conscience à tout un chacun que les changements dont il est question ne sont pas simplement esthétiques ni même moraux : ils sont tout simplement vitaux. Si nous ne faisons rien ou pas assez, ce qui revient au même, il sera trop tard dans cinq ans ou dix ans. Pour être honnête, on a eu la démonstration depuis une bonne décennie qu’on ne risquait pas de pouvoir compter sur le retour de la droite au pouvoir pour faire le boulot !
Retrouvez la suite de l’entretien sur www. ecosocialiste.fr
UN PEU D’HISTOIRE
CGIAR Climate
PETITE HISTOIRE DES SOMMETS DE LA TERRE
Quelques mois après le Sommet de Rio+20, Timothée Duverger revient pour nous sur l’histoire des Sommets de la Terre de Stockholm à nos jours Les années 1970, la croissance pour la première fois interrogée Alors que l’euphorie des Trente Glorieuses atteint son paroxysme, la science se fait réflexive et interroge le progrès. C’est le choc du rapport The Limits to Growth paru en 1972 qui constate l’épuisement des ressources naturelles et l’explosion démographique et conclut à la nécessité d’une « croissance zéro ». Parallèlement l’ONU organise une conférence des Nations unies sur l’environnement humain (CNUED). Ce premier Sommet de la Terre se tient à Stockholm du 5 au 16 juin 1972 avec pour slogan : « Une seule Terre ». Le Président de la Commission européenne Sicco Mansholty appelle à une « croissance en dessous de zéro ». Mais il est miné par les tensions Est-Ouest autour de la guerre du Vietnam et les réticences des pays du Sud à voir remettre en cause leur développement. Une Déclaration et un « Plan d’action » porteur de 109 recommandations sont quand même adoptés, qui s’accompagnent de deux créations institutionnelles: un Fonds volontaire pour financer les programmes et la recherche et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Trois conférences mondiales suivent le sommet pour le prolonger : une en 1976 à Vancouver sur les établissements humains et deux en 1977 à Nairobi sur la désertification et à Mar del Plata sur l’eau. Le rapport Brundtland et l’invention du concept de développement durable En 1983, le secrétaire général de l’ONU nomme une Commission mondiale sur l’environnement et le développement
dont il confie la présidence à Gro Harlem Brundtland, Premier ministre de la Norvège. Le document final procède à l’inventaire des problèmes environnementaux de la planète et systématise le développement durable : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». L’ONU organise une Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement (CNUED), qui se tient du 3 au 14 juin 1992 à Rio de Janeiro. Le développement durable, redéfini à partir des trois piliers du progrès économique, de la justice sociale et de la préservation de l’environnement, est ici popularisé : 172 Etats (dont 108 chefs d’Etat), 1 400 ONG, 30 000 personnes et 8 000 journalistes sont présents. La Déclaration de Rio reprend celle de Stockholm et l’approfondit, mais c’est l’Agenda 21 qui occupe le plus les délégations. Catalogue de mesures de près de 800 pages, c’est un plan d’action détaillé pour le XXIème siècle. Trois autres textes sont signés pour compléter l’accord : deux conventions cadres négociées, l’une sur le changement climatique (CCCC) et l’autre sur la diversité biologique (CDB), et une déclaration de principes sur les forêts. Les grands-messes se succèdent sans succès L’échec de Rio+5 censé évaluer les progrès accomplis témoigne de l’essoufflement, même si le Protocole de Kyoto est adopté en 1997 qui impose une réduction des gaz à effet de serre (GES) aux pays industrialisés à l’aide d’un commerce de permis d’émissions. Plusieurs Conventions enrichissent le droit international de l’environnement sur la lutte contre la désertification, les stocks de poissons chevauchants, l’accord préalable en connaissance de cause pour certaines
substances chimiques et pesticides et sur les polluants organiques persistants. Après les grands-messes de Stockholm et Rio, l’ONU organise le Sommet mondial du développement durable (SMDD) dont les ambitions sont plus réduites puisqu’il ne rassemble « que » 107 États, 9 000 délégués gouvernementaux, 8 000 observateurs et 4 000 journalistes. Si son Plan de mise en œuvre adopte des cibles qui donnent un agenda aux engagements, celles-ci sont souvent floues, simplement réaffirmées et parfois réduites voire abandonnées. L’environnement est relégué au second plan et les initiatives « de type 2 » n’y changent rien. Jacques Chirac dit vrai : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». À quand le changement de voie ? Le rebond de 2006, avec le film-documentaire d’Al Gore Une Vérité qui dérange sur le réchauffement climatique et le rapport de Nicholas Stern sur ses conséquences et ses coûts, crée une mobilisation exceptionnelle fin 2009 pour la conférence de Copenhague sur le climat mais elle aboutit finalement à une régression puisqu’elle ne fixe que deux objectifs sans processus contraignant ni engagement chiffré de réduction des GES. Arrive enfin le Sommet de la Terre de Rio+20. Le cinquième rapport sur L’Avenir de l’environnement mondial montre que plusieurs seuils critiques sont dépassés. Mais l’échec est une nouvelle fois patent : le renforcement du PNUE masque mal l’abandon d’une Organisation mondiale de l’environnement et l’économie verte tant vantée est rejetée par les pays émergents qui y voient un frein à leur développement. Seul l’accord sur la création d’Objectifs du développement durable sauve les apparences, mais reste à trouver les financements et à s’entendre sur la répartition des efforts. La gouvernance internationale continue d’éprouver ses limites. À quand le changement de voie ?
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RISE UP, POUR UNE TRANSITION ÉCOLOGIQUE EUROPÉENNE
VISITEZ LE SITE ecosocialiste.fr Rendez-vous sur le site ecosocialiste.fr et retrouvez les vidéos des Universités Populaires de l’Écosocialisme, d’autres articles et bien plus encore.
Le jeudi 8 novembre, les Jeunes Socialistes se sont mobilisés partout en Europe pour que les Etats investissent massivement dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables sur 5 ans, créant ainsi des millions d’emplois dans la transition énergétique. L’activité économique européenne est en effet fortement émettrice en carbone et génératrice d’inégalités abyssales. Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par l’Union Européenne, déjà insuffisants, sont loin d’être atteints. L’échec du marché des émissions de Gaz à Effet de Serre, en place depuis 2007 en Europe, doit nous pousser vers une politique volontariste qui ne peut plus attendre. Résorber les inégalités et réduire drastiquement nos émissions en carbone, tel est le défi posé à notre génération. Le premier principe de cette politique doit être la réduction de notre consommation énergétique globale. Il tient donc aux Etats d’investir massivement dans la rénovation du bâti, la construction de logements basse consommation, qui réduira consommation d’énergie et créera des milliers d’emplois. Le second consiste en la diversification et la décentralisation de nos sources en énergie. Nous avons besoin d’une véritable politique européenne de l’énergie pour développer les énergies renouvelables et la production locale d’énergie et mettre en réseau nos sources d’électricité à l’échelle européenne, mais aussi les transports doux. La transition énergétique, en plus d’une nécessité pour notre planète, sera également un formidable outil de création d’emploi : dans l’agriculture en subventionnant les productions respectueuses de l’environnement, en accompagnant la reconversion écologique des industries et leur relocalisation grâce au protectionnisme européen sur critères sociaux et environnementaux, et par la création d’emplois verts d’avenir. Une ambition réalisable seulement si la Banque Centrale Européenne prête directement aux Etats et les libère ainsi de la pression des marchés sur leurs dépenses pour qu’ils puissent investir dans de grands projets. Nous pouvons vivre sur Terre avec un déficit de 4%, mais pas avec trois degrés de plus. RISE UP !
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ALLER PLUS LOIN Aurélien Bernier, Comment la mondialisation a tué l’écologie, Editions Mille et Une Nuits, 2012
Timothée Duverger, La Décroissance une idée pour demain, Editions Le Sang de la Terre, 2011
André Gorz, Capitalisme, socialisme, écologie Editions Galilée, 1991
Hervé Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme Editions du Seuil, 2009
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