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LE LIBERALISME DOIT PROMOUVOIR LE SECTEUR ASSOCIATIF COMME LEVIER EMANCIPATEUR
Observateur et acteur important de la vie politique bruxelloise, le député David Leisterh est, depuis le mois d’août 2021, le nouveau président de l’Institut Libéral de Formation et d’Animation Culturelle (ILFAC).
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JEUNES & LIBRES : DAVID LEISTERH, POURRIEZ-VOUS VOUS PRÉSENTER AINSI QUE VOS DIFFÉRENTS ENGAGEMENTS AUPRÈS DE NOS LECTEURS ?
David Leisterh : En premier lieu, je vous remercie de me recevoir dans votre semestriel. Je suis originaire de Watermael-Boitsfort. J’ai eu un parcours politique passif et puis actif. J’ai donc été collaborateur parlementaire à la Chambre et au Sénat, à l’époque où le Sénat avait un poids politique plus important que maintenant, pendant quelques années. Puis, j’ai travaillé pendant 8 ans pour Didier Reynders, comme son conseiller affaires sociales et enfin, j’ai été élu député bruxellois en 2019. J’ai également été élu président du MR de la Région bruxelloise et j’enseigne à l’heure actuelle à l’Université Saint-Louis.
J&L : QUELLE EST VOTRE VISION STRATÉGIQUE POUR L’AVENIR DE L’ILFAC ?
D. L. : J’ai pour habitude de reprendre une recette qui a fonctionné pas loin d’ici, à Malines, et qui se compose de 3 ingrédients. Le but est très clair. À Bruxelles, il y a une série de quartiers où la précarité se transmet de de génération en génération, si vous me permettez l’expression. Le taux de chômage y oscille entre 25 et 40% dans les mêmes quartiers depuis 15, 20 ou 30 ans.
Il faut pouvoir casser ce constat-là et il faut en plus qu’à Bruxelles, on puisse retenir une classe moyenne qui s’en va. Le cœur de l’action libérale, je crois, est de « créer » de la classe moyenne et de s’assurer que les personnes qui sont issues d’un milieu socio-économique défavorisé, précarisé, plus compliqué, puissent s’en sortir. Et pour ce faire, je veux m’inspirer de ce qu’il se fait depuis maintenant 20 ans à Malines où ils avaient le même type de quartiers, avec le même type de problèmes, et où ils ont appliqué cette recette en 3 ingrédients.
Il y en a 2 où on a très peu à dire via l’ILFAC. Le premier, c’est un ingrédient sécuritaire, grâce à un investissement assez important en personnel policier, en caméras, en tolérance proche du 0. Le tout permet de s’assurer qu’on remet de la sécurité à ces quartiers et un sentiment de sécurité.
La rénovation du bâti est le second ingrédient. Cela signifie qu’un quartier pauvre se présente comme tels, avec des rues « pauvres », des trottoirs « pauvres », l’école doit être pauvre. Au contraire, c’est là où justement, il faut pouvoir y mettre de l’excellence et de la qualité. Et enfin, le 3e ingrédient, et c’est là où l’ILFAC peut vraiment avoir un rôle à jouer, c’est qu’ils ont créé un réel biotope ou écosystème autour du noyau du quartier, c’est-à-dire l’école. Ils ont pris l’école et autour de l’école, ils ont créé tout cet écosystème, composé de plusieurs branches.
Il y a à la fois :
des centres de formation ;
l’antenne locale d’Actiris - sur le même principe que les vacci-bus qu’on amène dans le quartier ;
des crèches pour que les parents puissent déposer leurs enfants pendant qu’eux mêmes suivent la formation à côté, des centres pour apprendre une langue (souvent la langue même du pays ou parfois une autre langue) ;
des associations. Par exemple une association qui me tient à cœur qui est Tadam, qui va chercher des jeunes des quartiers qui veulent en sortir des quartiers, mais ne savent pas comment. Tadam leur montre comment acquérir les codes, qui sont parfois d’application dans tel ou tel milieu, que ce soit l’université, que ce soit l’industrie ou l’entreprise.
L’ILFAC doit, pour moi, être un des acteurs de ce biotope autour de l’école, un acteur qui puisse s’assurer d’apporter un apprentissage des langues si c’est nécessaire, une collaboration avec Tadam par exemple, pour pouvoir aller chercher ces personnes, une collaboration aussi avec des associations, par exemple Job Yourself, qui aide quelqu’un qui est en demandeur d’emploi non pas à chercher un emploi, mais à créer son propre job.
Il y a comme ça une série d’acteurs sur Bruxelles ou en Wallonie qui sont trop dispersés et qui doivent être regroupés là où on sait qu’il y a une difficulté de génération en génération. L’ILFAC, en partenariat - parce que tout seul l’ILFAC n’a pas vocation à tout faire - veut jouer ce rôle de centralisateur et de porteur de projets émancipateurs dans les quartiers à Bruxelles et en Wallonie où on peut tenter de copier-coller, de dupliquer ce qui a été fait à Malines. On ne pourra pas le faire partout, tout le temps, parce qu’on a des moyens limités, mais la vision, c’est celle-là.
J&L : EST-CE QUE CELA SIGNIFIE QUE L’ILFAC, QUI TRAVAILLE ACTUELLEMENT AVEC DES AINÉS, VA TOTALEMENT CHANGER SON OBJET SOCIAL ?
D. L. : Absolument pas ! L’ILFAC a 2 piliers qui se rejoignent à un moment donné. C’est l’organisation de voyages, de conférences, d’activités qui touche un public principalement âgé pour le moment. Ce que nous voulons, c’est pouvoir, à un moment donné, combiner les 2. Quand je vous disais que vous avez des jeunes qui n’étaient jamais sortis de leur quartier, au travers de l’autre pilier qui est celui d’organisation, d’évènements, de voyages, on veut justement les aider à sortir de ces quartiers. Les 2 piliers sont parfaitement cumulables, « conjugables », et c’est cette harmonie que nous voulons créer.
J&L : LE DÉVELOPPEMENT DE CE SECOND PILIER ET L’HARMONISATION PRENDRONT UN CERTAIN TEMPS À SE METTRE EN PLACE. DE COMBIEN DE TEMPS ESCOMPTEZ-VOUS AVOIR BESOIN ?
D. L. : Je pense qu’on doit se fixer des caps, nous n’avons pas le choix. Mais il y a une urgence dans toute une série de quartiers, nous ne pouvons pas perdre de temps. Nous avons toutefois des moyens limités et nous irons aussi vite que ce que les moyens dont nous disposons actuellement nous le permettent.
J&L : QU’EST-CE QUE LE SECTEUR ASSOCIATIF, EN GÉNÉRAL, REPRÉSENTE POUR VOUS ?
D. L. : Il est pour moi cet ingrédient principal parmi les 3 dont je vous ai parlé concernant Malines. Il est capital. Sans celui-là, les 2 autres ingrédients, le sécuritaire et la rénovation du bâti, ne fonctionnent pas. Il y a dès lors un grand défi, c’est de pouvoir isoler les quartiers où il faut pouvoir intervenir et isoler les actions qu’il faut pouvoir mener et celles qu’il faut arrêter de mener parce qu’on doit être dans une logique où on concentre son action sur ce qui fonctionne vraiment.
Il y a des exemples où l’on voit clairement que le secteur associatif a pu porter des résultats très concrets comme Tadam dont je vous ai parlé. On voit bien qu’ils ont pu aider chaque année un certain nombre de personnes.
J&L : LES ASSOCIATIONS QUI SONT SUBSIDIÉES LE SONT POUR REMPLIR DES MISSIONS QUI LEUR SONT DÉVOLUES PAR L’ÉTAT. SELON VOUS, EST-CE QUE CES MISSIONS DOIVENT CONTINUER À ÊTRE REMPLIES PAR DES OPÉRATEURS PRIVÉS OU ÊTRE REMPLIES PAR L’ÉTAT LUI-MÊME ?
D. L. : Pour moi, cette question est fondamentale. Je crois que le fait de privatiser certaines actions de l’État en passant par l’associatif a tout son sens parce que l’État n’a pas vocation à disposer, en son sein, de toutes les connaissances et de tout le savoir-faire. Là où, évidemment, il faut être extrêmement attentif, c’est que l’associatif ne devienne pas le bras armé d’actions politiques, militantes, activistes, qui dévoient profondément la noblesse de l’associatif. C’est là, évidemment, le rôle de toutes et tous que de s’assurer que l’on a bien un État qui a donné une mission au privé, à l’associatif avec, et il faudrait oser la question plus souvent, des indicateurs de résultat. Mais il ne faut pas que cela devienne une arme politique.
J&L : QUELLES SONT LES VALEURS QUI DOIVENT ÊTRE PORTÉES PAR LE SECTEUR ASSOCIATIF LIBÉRAL ?
D. L. : Pour moi, la philosophie libérale doit promouvoir le secteur associatif comme levier émancipateur. C’est profondément le rôle premier pour moi de l’associatif tel que je le vois dans les 3 ingrédients de ma ligne. En tant que président de CPAS, je me rends bien compte qu’on a une spécificité socio-économique tellement particulière que nous, représentants de État, nous ne sommes pas en capacité de faire une telle approche de niche, ciblée. Par contre, il existe des associations qui savent réaliser ces approches ciblées et qui le font très bien.
L’objectif qui sous-tend ce principe de levier n’est pas de ne faire que de l’accompagnement et de l’occupationnel, mais que ces activités soient réellement initiatrices de changement pour les bénéficiaires.
Propos recueillis par Adrien Pauly Jeunes & Libres