Mma

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magain marc


“ Si je ne reviens pas physiquement, n’oublie pas que chaque fois que tu sentiras la brise sur ton visage, ce sera moi qui serai revenu t’embrasser. ”


marc

magain vendredi 5 juin 1959

mardi 21 mai 2013




Il était journaliste, écrivain, critique musical, médiatique, historique et critique tout court. Il était photographe, poète, humoriste, jardinier, vététiste et globe-trotter. Il était dénicheur de pépites musicales, découvreur d’aurores et créateur de moments magiques qu’il aimait tant faire partager à ceux qui avaient son amour et sa confiance. Il était papa-poule, mari, fils, frère, ami plus attentif aux besoins d’autrui qu’aux siens. Il fut sacré expert en bolognaise et champion universel au Pictionary. Mais il na jamais recherché les vains honneurs car il était un homme entier, un homme fondamentalement honnête et soucieux d’être juste, un homme soucieux surtout d’être fidèle à ses idées comme à ceux qu’il a aimés. Un homme libre ! Vivre avec simplicité et justesse fut pour lui un art pratiqué à chaque instant, et jusqu’au bout de la maladie. L’art de vivre est celui de faire des choix. Marc Magain nous a quittés, ce 21 mai 2013 à 18 heures, dans une sérénité aussi limpide que son âme, et entouré de sa maman, de son épouse, de son fils et sa belle-fille, de ses frères et belles-sœurs, et de tant d’amis aussi fidèles qu’aimants. Nous qui vivons, prendrons exemple sur sa curiosité. Il nous a condamnés à vivre heureux.



10 février 1971. Quand il y a de la place pour trois, il y en a pour quatre : me voilà donc… Mes parents ont la géniale idée de te désigner comme parrain de moi. Tu auras été un exemple pour moi (éducation de tout type, découverte de pays étrangers, aide dans la maîtrise de la conduite d’une voiture et j’en passe…). Merci parrain... 17 juillet 2008. Notre fils Romain arrive. Ses parents ont la géniale idée de te prendre comme parrain. Tu lui auras beaucoup appris (qu’est ce qu’il était fier de voir son parrain !) : le vélo, le cinéma, et j’en passe... Tu ne comptais pas en rester là d’ailleurs. Compte sur moi pour lui donner de gros bisous comme tu me l’as demandé, à ton mini filleul. Et aussi à ta nièce et tes neveux, toi qui aimais la jeunesse. 14 février 2011. Je suis à Maastricht avec Natacha. Mon gsm sonne : ainsi donc, ces maux dont tu nous avais parlés étaient malheureusement dûs à cette satanée maladie. Pendant ta maladie, tu restes plus actif que moi, toujours à la découverte de musiques inconnues (j’ai pu en profiter...), de voyages lointains remplis de photos superbes. Tu donnes un discours toujours tourné vers le confort de l’autre plutôt que vers le tien. Merci parrain, tu es un exemple pour nous tous. Remets le bonjour à papa quand tu le verras, et réserve-moi une place au café du coin. Qu’il me soit ici permis de remercier Fabienne pour sa présence remplie d’amour tout au long de la maladie de Marc, sans oublier François et Suzanne, ni tout ceux qui lui ont permis de parcourir tout ce chemin dans la sérénité. Au revoir parrain… Un dernier mot pour maman. J’étais avec toi pour ton dernier au revoir à ton fils. Tu lui as dit de si beaux mots d’amour. Courage maman, on est tous là pour toi.



Marc, mon frère Tu es passionné de photo mais je n’ai gardé qu’un polaroïd. 7 mai 1958, c’est moi. 5 juin 1959, c’est toi. Les Magain, des gamins ! Ils ne sont jamais arrivés, nos parents, à trouver qui avait commencé. Jamais d’allumettes, mais toujours de quoi mettre le feu. Avec nous, les hôpitaux ont failli faire fortune. Crins, fractures, sutures, nous sommes passés par tout. Je me souviens de ce premier disque que nous avons acheté ensemble. J’y suis encore au rayon disques de l’Inno avec en mains le Led Zeppelin III. Je thésaurisais. Je t’ai fait découvrir moult groupes de l’époque. Jusqu’au jour où c’est toi qui m’as fait découvrir. Boulots et femmes nous ont éloignés sans jamais nous séparer. Tu as étudié à l’IHECS. J’y travaille. Ils m’ont changé de local. J’ai demandé une nouvelle peinture. Ils ont choisi gris funérarium. J’ai tout changé. Du blanc et pour toi, du jaune pompon. Après autant d’années d’entraînement, je pense que, chacun à sa manière, c’est en défense que nous sommes les plus forts.




Marc ou plutôt Magain, c’était alors ton prénom, nous avions abandonné nos culottes courtes pour entrer au collège. Eclats de rire. Rigolades. Doux chahuts joyeux et insolents. D’une répartie, d’une réplique, d’une mimique, tu faisais exploser la classe et tu désarçonnais tous les profs, enfin presque tous… Délégué de classe, tu tiens à cœur d’être de suite sur les listes noires, avec plus grande distinction en cinquième et en rhéto. Nous avions même établi le record de 80 heures de retenue pour bavardage. Au cours de français, tu oses préférer l’humour de Cavanna à celui de Molière. Dans ta dissert de religion, tu cites Marx et Comte plutôt que Jésus et Saint Paul. Au cours de math, tu renonces, comme nous tous, à cerner l’utilité des dérivées et des intégrales, la pertinence des théorèmes de Lagrange et de Pythagore. Au fond de la classe, nous avions décidé de ne pas passer l’examen d’entrée d’ingénieur et de laisser à d’autres les honneurs du tableau noir. Tu lances le journal des Rhétos. “Tout mais pas ça !” : c’est son titre ! Tout un programme socio-économico-politico-littéraire. Le choc des idées sur papier stencyl Pas bien vu de la direction… Musicalement, tu avais une longueur d’avance. Quand on disait Pink Floyd, tu répondais Sex Pistols. Si on avançait Bowie, tu répliquais Talking Heads. Aux arguments Rolling Stones, tu contrecarrais : Invaders. Si on osait Patti Smith, tu nous clouais avec Gruppo Sportivo Tout cela avant que ces groupes ne deviennent mythiques…


Marc Magain ou plutôt “Sanglier Délicat”, c’était alors ton totem, nous avions remis nos culottes courtes pour les camps louveteaux. Tu as cuisiné pendant des années. Tu as conquis toutes les nanas de l’intendance. Tu bossais sans râler. Tu assumais sans te défiler. En T-shirt noir et short de couleur indéfinissable, la clope au bec et le tuyau d’arrosage en main, tu évacuais les remugles de la nuit. Et après le couvre-feu : éclats de rire et rigolades, discussions et controverses… nous refaisions le monde ! Nous assurions l’avenir de la société (celle qui s’appelait Piedbœuf et pas encore Interbrew).




Lundi, Fabienne, Daniel, Michel et moi nous sommes retrouvés autour de Marc, dans sa chambre à la Citadelle. Comme nous nous retrouvions, il y a 30 ans, pour une de ces bouillonnantes réunions de rédaction qui nous menaient bien souvent au bout de la nuit. Le labeur ne nous rebutait pas. Nous faisions nos premiers pas de journalistes dans un hebdomadaire liégeois plutôt confidentiel. Notre premier boulot. Le début d’une longue et joyeuse aventure commune qui nous verrait même créer notre agence de presse. Au cœur de cette équipe joviale et un peu foutraque, Marc est devenu naturellement non pas le chef ou le leader, -ça n’aurait eu aucun sensmais le point de référence ou plutôt le roc de référence. Un sujet ardu, rébarbatif, style : “Est-ce la fin de la sidérurgie à Liège ?” (oui, on en parlait déjà), c’était naturellement pour sa pomme.

Un jour, notre feuille de chou décroche une interview exclusive d’André Cools. Cools, le boss. Des décennies de combats et de débats politiques. L’homme, murmurait-on, pouvait vous terrasser, vous anéantir d’un seul mot. Et naturellement, c’est Marc qui s’y colle. Et le voilà parti affronter le croquemitaine au guidon de sa légendaire mobylette zigzagante ou peut-être au volant de sa non moins légendaire R4 jaune, une ancienne voiture de Touring Secours, qui semblait avoir gardé la nostalgie des dépannages.

Deux ou trois jours plus tard, le journal paraît. En Une, une belle photo de l’interviewé, surmontée d’un titre inspiré : “Cools toujours, tu m’intéresses”. Nous avons bu un verre pour fêter ça. Et nous en avions probablement bu un aussi avant de trouver le titre. A l’intérieur, 3 pages d’interview. Le texte est bien torché, dense, précis, clair, rigoureux, les questions font mouche, sans complaisance ni flagornerie, mais courtoises, bien loin de cette irrévérence ou impertinence de pacotille, ces piètres cache-misère du journalisme communicationnel qui sévit aujourd’hui. Du MMa, du Marc Magain ! Le même, déjà, que celui à qui La Libre a rendu un bel hommage avant-hier, elle n’a pas oublié ce qu’elle lui doit, alors qu’il y a plus de 10 ans qu’il n’y a plus écrit une ligne. Mais, mon cher Marc, c’est évidemment impossible de t’oublier.


Je me souviens toujours -et me souviendrai toujoursd’un des reportages les plus marquants que j’ai eu l’honneur, la chance, de réaliser avec toi, Marc. C’était pour Le Matin, à l’occasion de la vente aux enchères des équipements de l’usine d’ascenseurs Kone, démantelée à Awans. Tu avais aperçu un avis annonçant cette vente publique, auquel bien peu auraient prêté attention. “C’est un super sujet, ça, tu vas voir !” m’avais-tu dit. Bien que dubitatif, je t’ai suivi, sûr de ton intuition (et de ton expérience)… et puis, t’étais quand même mon chef, hein ! “Mais on va y aller bien plus tôt qu’à l’heure de la vente” avais-tu précisé. T’avais raison : l’intéressant, c’est ce qui se passait avant. Nous avons déambulé pendant deux heures dans le vaste hall industriel désaffecté où était entreposé tout le matériel, des machines-outils à de la mitraille (boulons, etc.). Et, surtout, nous avons rencontré des ouvriers, parfois venus en famille. “Regarde ça, c’est ma machine !” répétaient-ils avec une tendresse semblable à celle qu’on pourrait avoir d’une maîtresse perdue. Avec parfois la larme à l’œil. Impossible pour eux de la ramener à la maison, cette foutaise fraiseuse, ce tour, ce clark… Trop cher. Mais combien n’ont pas pioché dans leurs indemnités de licenciement pour repartir avec une boîte à outils ou que sais-je encore, comme ultime souvenir d’années de labeur et de bonheur. La vente aux enchères n’était plus qu’une formalité. Intéressante certes et tu t’étais proposé de rédiger tout cet aspect-là, me laissant le cadeau de retranscrire tous ces souvenirs d’ouvriers mêlés de rancœur (la fermeture de Kone s’apparentait à une délocalisation). Tu m’as offert là une belle leçon de journalisme mais surtout de vie et d’humanité, en me permettant non pas de savoir (je le savais quand même un peu) mais de vivre concrètement ce qui, sinon, aurait pu s’oublier, surtout dans l’information économique : l’économie, ce sont des chiffres, mais qui, en-dehors de la spéculation, ne peuvent être que le fruit du travail, de la vie d’hommes et de femmes. L’avais-tu fait exprès de me confier cet angle-là ? Je n’en sais rien mais j’espère avoir retenu la leçon. En fait, je pense que non. Marc, tu étais alors, comme toujours, toi-même, attachant toujours la priorité à l’humain, au boulot comme dans la vie. Désolé pour la longueur de cette bafouille, Marc (au moins, ici, tu ne devras pas tailler dans mon papier). Merci pour tout et pour mille choses encore.



“ Marc, Nul ne sait s’il y a une vie après la mort. Mais ce que je peux te dire Marc, c’est que ta vie continuera après ta mort. Car tu as fait de ta vie une éternité, dans tous tes petits actes du quotidien. Sans t’en rendre compte. C’est cette éternité de tes actes qui va perdurer. Pour mettre autant d’éternité dans ses actes, en ayant la modeste impression que cela n’apporte finalement pas grand-chose, il faut être un grand homme… Tu en es un Marc et tu le resteras. Tu peux partir avec cette idée, crois-moi ! Tu m’as fait, sans le savoir, de merveilleux cadeaux. Tu m’as montré comment il était possible de vivre pour les autres avant de vivre pour soi… comment il était possible de s’oublier au point d’oublier que tu souffrais. Ta vie va maintenant continuer au travers de la mienne. Je me fais, je te fais la promesse d’essayer d’être toujours heureux en toutes circonstances. C’est le plus bel hommage que je puisse rendre à un ami qui s’est accroché à ce point à la vie. Je te fais la promesse d’essayer de vivre dans tes valeurs de générosité et de simplicité. Elles ont longtemps fait défaut chez moi. Je te fais, enfin, la promesse d’essayer d’éviter la tension interne. Cette tension qui mine. Qui s’alimente de cette contradiction entre ce que nous sommes parfois amenés à dire ou écrire dans certaines circonstances, et ce qui nous semble juste et bon. Je t’aime mon ami. Tu vas me manquer terriblement. Je n’ai plus pleuré autant depuis le décès de mon autre meilleur ami, qui a décidé il y 20 ans de quitter la vie. Toi, c’est la vie qui a décidé de te quitter. Une injustice de plus. Tu peux aller heureux et rassuré. Nous veillons à quelques-uns à ce que ton passage trace une voie définitive dans la vie de ceux qui restent. Cela ne te rendra pas la vie, mais nous la donnera. Ton messager, pour toujours. ”



… Ceci, c’est le mot personnel que j’ai fait lire à Marc, une heure avant son départ. Cette dernière heure de sa vie, je l’ai vécue à ses côtés. Et je vais vous la raconter. Je vais vous raconter comment Marc est mort. Ce qu’il m’a dit dans ses derniers moments. Cette dernière heure a été un des plus beaux cadeaux que j’ai reçus. Que je ne peux pas ne pas vous transmettre. Il me faut rétablir la vérité des faits qui serait celle-ci. D’abord, il faut savoir que la veille au soir, dans sa dernière nuit, une fois le soleil couché, Marc a fait une fugue. Vers 22h30, il est allé prendre une chaise roulante et, avec sa complice, il a traversé l’hôpital dans le noir pour aller dehors aux abords du Parc de la Citadelle. Pourquoi ? Pour aller voir la lune ! … Aller voir la lune… Cette démarche de sa part m’a fait penser à une phrase de Messian qu’un ami m’a communiquée : “Lumière du soleil couchant, derrière laquelle on devine la naissance d’une autre lumière : l’éclairage intérieur de la grâce et l’attente presque affectueuse de la plus grande initiation qui soit. Celle de la mort”. Marc, sur sa toute fin, attendait la mort presque affectueusement, dans une sérénité et une bienveillance qui étaient un hymne à la vie. Durant cette heure, je lui ai demandé, à nouveau : “As-tu peur ? Que penses-tu qu’il se passera après ?” Il m’a répondu : “Non, je n’ai pas peur du tout. Je vais juste m’endormir. Je ne pense pas qu’il y ait une vie après la mort”. Je l’ai compris à ce moment là : comment aurait-il pu croire à une vie après la mort, lui qui croyait à ce point à la vie juste avant sa mort ? Car la dernière heure de Marc a été joyeuse. Devant Fabienne, son fils et sa belle-fille qui étaient là aussi. Il s’est remémoré ses pires concerts de musiques improbables en nous racontant les techniques de pogo. Ses repas entre amis où, dixit Marc, on se demandait finalement pourquoi on avait préparé à manger, on aurait dû passer directement à la grappa ! Et ses vacances à Marrakech et, cela ne vous étonnera pas, son incompréhension de voir des personnes tirer des charrettes à la main sur le bord d’une route où passent des Porsche.



… Cette dernière heure de sa vie, on l’a donc passée à rigoler. Et son dernier souffle, après que je ne l’ai quitté, il l’a eu en chantant. Marc est parti en fredonnant. Sans doute y avait-il là une forme de fuite. Mais il y avait aussi et surtout ce cadeau qu’il me transmettait, qu’il transmettait à Fabienne, à son fils et à sa belle-fille. Cadeau qu’il nous transmettait à toutes et tous : celui de ne pas pleurer, de ne pas avoir peur, d’aimer la vie jusqu’à sa fin. En me quittant, il m’a pris dans ses bras et, dans ce moment à la fois le plus tragique et le plus beau que je vivais, par la façon dont il nous le faisait vivre, je lui ai promis une chose : être toujours heureux. Il m’a donc piégé. Je suis maintenant condamné à être heureux. Et il n’y a pas de raison que je sois le seul condamné. Vous êtes toutes et tous condamnés à être heureux et à aimer la vie, même dans ses pires moments. Prenez ça comme un cadeau, le dernier cadeau que Marc vous a fait car il savait, au fond de lui, que je ne pouvais pas garder cela pour moi seul. Merci. Et n’oubliez jamais, jamais d’être heureux. Pour lui.



Mon amour, mon ange Tu as fait le saut. Et plongé. Je sais que tu voles. Moi qui voudrais te suivre, je ne supporte pas le vide, Je vais devoir atterrir parmi les pierres de la solitude Mais je suis intimement reliée à toi Par un fil invisible et connu de moi seule Un fil que je vais entretenir à jamais Au jour le jour Jusqu’à mon propre saut. Je ne suis donc pas seule, tu y as veillé. Mon bébé, mes enfants, mes frères, mes sœurs, mes amis, mes voisins, Il y a des cailloux pour vous comme pour moi Mais ce n’est pas un désert inculte Car nous sommes là, tapis comme les semences. Cultivons ensemble un jardin d’amour A notre façon Du mieux que nous le pouvons Et qu’il fleurisse pour toujours Au travers de ce que nous sommes Et de ce que nous en ferons Au jour le jour Jusqu’à notre propre saut. Tenons-nous la main Promettons-nous de nous aider les uns et les autres à grandir Dans cette sincérité qui, depuis toujours et pour toujours, Nous unit et nous relie à lui.




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