Maroc épuré Préface de Tahar Ben Jelloun
SENSO UNICO ÉDITIONS
Préface
Ce qui reste est inexplicable. Telle l'illusion de dire un pays, de montrer une ombre, de couvrir un bruit par une mince feuille de papier. Image d'une durée sèche qui fond devant l'émotion. Le regard se couche sur la ligne juste sans prétention, une prière pour que le souvenir bref soit restitué. L'œil a fait le choix de la lenteur sur la route d'un chant enveloppé dans le brouillard. Derrière l'invisible, ce qui reste. Un monde qui n'appartient qu'à celui qui cherche à capter quelque chose que nous ne voyons pas ou qui nous est si proche que nous la négligeons. Ainsi le travail de Jean-Michel André se situe entre la magie de la vie quotidienne, c'est-à-dire modeste et même pauvre, et la quête de l'infini. Il parvient à contourner la trappe du malentendu inhérent à l'art de la photographie, la transforme et en joue afin que la photo ne soit pas l'ombre de la vie mais la vie même telle que nous ne savons pas la voir. Comme le romancier, le photographe est un cambrioleur du réel. Vol à l'étalage, vol à la tire, vol par effraction, vol par inadvertance. Mais ce qu'il prend, il sait le restituer, soit isolé et embelli, soit réintroduit dans la vie au point de redevenir un objet parmi tant d'autres objets. L'artiste est celui qui marche, l'évidence dans les yeux. Mais il est habité par le doute, étreinte pudique du crime et de la passion qui le blesse. Ce rapport au réel est forcément miné par l'exercice de la photographie qui va au-delà d'une transmission d'images. Les photographies de Jean-Michel André qu'il rassemble dans cet ouvrage sont faites au Maroc, à Rabat, Tanger, Azemmour, Tafraoute, Marrakech, Tiznit et Casablanca. C'est un Maroc intérieur, intime, invisible. L'image s'érige en mystique de ce qu'on ne voit pas, de ce qu'on ne sait plus voir. Le regard maintient l'énigme au sommet puisque le pays est là mais dans une nudité qui nous fait baisser les yeux. La blessure n'a pas de refuge. Elle est là dans cet amas de caisses en bois ou dans ces objets utilitaires oubliés ici ou là. La lucidité est à la mesure du renoncement de celui qui a réalisé que l'âme souffre quand le corps s'égare. Paysages taciturnes, pierres trompeuses, silhouettes dans la brume, dans la faille du vent et de l'oubli. Jean-Michel André avance sans déranger la poussière, sans que l'irrationnel merveilleux ou inquiétant ne s'érige en vérité.
2
Le poète est celui qui perçoit la vérité là où personne ne se préoccupe de son existence. Il ne la célèbre pas avec tapage, mais s'y soumet avec élégance et joie. Les photographies de Jean-Michel André ont quelque chose de cette joie subtile et discrète. Dépouillement, discrétion, pudeur, là sont les chemins par lesquels il passe et ne s'en vante pas. Ce Maroc qu'il nous présente est à la frontière du réel tant sa vérité est puissante mais recouverte d'images qui se superposent comme des mots qui s'entrechoquent et finissent par composer une phrase longue et incompréhensible, car « l'intelligence est l'incompréhension du monde » (Henri Bergson). Tahar Ben Jelloun Tanger 5 août 2009
3
Apparitions magiques et bienveillantes, les silhouettes de deux femmes et de deux hommes ouvrent ma série : elles s’effacent, pour nous inviter à découvrir leur vie quotidienne. Celle d’un pays qui résonne en moi depuis l’enfance, le pays de ma mère et de ma grand-mère : le Maroc, Al-Maghrib. Au cours de ces quatre dernières années, je n’ai eu de cesse de parcourir ce territoire pour proposer une vision contemporaine d’une des réalités profondes du pays, celle de son peuple le plus modeste. Respectueux de leur pudeur, délaissant le reportage, j’ai éloigné mon objectif des habitants qui m’ont ouvert leur porte et celle de ce Royaume. Au-delà des clichés mille fois imprimés, j’ai photographié un Maroc où le blanc déchire les couleurs, éblouissant l’esprit. Chaque prise de vue de ma série évoque un symbole significatif de la société marocaine actuelle. J’évoque la débrouille et la pudeur de ses habitants les plus humbles. J’aborde la religion et la patrie, devise de ce pays. J’éveille l’attention sur l’outrageante spéculation immobilière qui y sévit. Je témoigne également de l’emprisonnement dont souffrent les populations tentées par l’exil ou vivant par procuration, sous les paraboles. Je mets l’accent enfin sur la beauté lumineuse et ensorcelante de ce Royaume. Mon travail d’artiste photographe repose sur l’évocation, la poésie des mots imaginaires. Ma série se situe dans une recherche plastique épurée, invitant au questionnement et à la rêverie. Je m’appuie sur la simplicité des lignes pour donner force aux images en révélant la complexité et les difficultés du quotidien. A chacun d’y lire une histoire...
5
7
8
10
11
12
13
17
18
19
21
22
23
25
26
27
28
29
30
33
34
35
36
37
38
39
40
41
43
44
45
46
47
48
Notice biographique
Né à Nantes en 1976, Jean-Michel André, photographe indépendant, est diplômé en photographie de l'Ecole de l'Image des Gobelins (Paris, promotion 2000). Résident au Maroc de 2004 à 2008, il a réalisé des reportages documentaires pour différents magazines, parmi lesquels Medina, périodique franco-marocain et Mixs-Magazine, revue hollandaise. Il répond également aux commandes de différentes institutions nationales et internationales (Service de Coopération et d'Action Culturelle de l'Ambassade de France au Maroc, Programme des Nations Unies pour le Développement, Conseil Consultatif des Droits de l'Homme, Banque mondiale). En 2009, il entame une collaboration avec l'Agence France Presse (AFP), en couvrant notamment les grèves générales antillaises de février à mars 2009. Ces photographies ont été publiées dans plusieurs quotidiens de la presse nationale (Le Monde, Libération, Figaro…).
Expositions : 1999 Exposition collective, Dash Gallery, Londres. 2001 Exposition collective, Ecole des Gobelins, Paris. 2002 Delhi, Galerie Sala Pro 40, Saragosse, Espagne. 2003 Contrastes parisiens, Institut Français de Barcelone. 2006 Scènes du quotidien marocain, galerie de l'Institut Français de Rabat. 2006 Traces d'histoires, galerie de la CDG, Rabat. 2007 Exposition collective, Banque mondiale. Casablanca. 2009 Maroc épuré, galerie Delacroix, Tanger.
50
Table des photographies
Page 7 Région de Tafraoute, 2007 Page 8 Oued Laou, 2005 Page 10 Rabat, 2008 Page 11 Région de Marrakech, 2007 Page 12 Azemmour, 2006 Page 13 Tanger, 2007 Pages 14-15 Province de Tiznit, 2007 Page 17 Marrakech, 2008 Page 18 Rabat, 2008 Page 19 Casablanca, 2008 Page 21 Tanger, 2008 Page 22 Casablanca, 2008 Page 23 Salé, 2008 Page 25 Bouznika, 2008 Page 26 Casablanca, 2008 Page 27 Rabat, 2008 Page 28 Rabat, 2008 Page 29 Casablanca, 2008 Page 30 Tanger, 2008 Page 33 Rabat, 2008 Page 34 Azemmour, 2006 Page 35 Tanger, 2008 Page 36 Rabat, 2008 Page 37 Rabat, 2008 Page 38 Casablanca, 2008 Page 39 Rabat, 2008 Page 40 Marrakech, 2008 Page 41 Marrakech, 2008 Page 43 Marrakech, 2008 Page 44 Casablanca, 2008 Page 45 Marrakech, 2008 Page 46 Marrakech, 2008 Page 47 Marrakech, 2008 Page 48 Rabat, 2008
C O O R D I N AT I O N Ileana Marchesani
C O N C E P T I O N e t R É A L I S AT I O N G R A P H I Q U E Simona Saponaro pour Senso Unico Éditions
PREPRESS et IMPRESSION Castelli Bolis Poligrafiche, Cenate Sotto (BG)
Le travail photographique de Jean-Michel André est consultable en ligne : www.jm-andre.com
Photographies ©Jean-Michel André Dépôt légal n° 2009/....... ISBN : ©Senso Unico, Mohammedia, Maroc, senso.unico@menara.ma To u s d r o i t s r é s e r v é s . C e t t e p u b l i c a t i o n n e p e u t ê t r e r e p r o d u i t e e n t i è r e m e n t o u e n p a r t i e , s o u s q u e l q u e fo r m e q u e c e s o i t , s a n s l’ a c c o rd p ré a l a b le d e S e n s o U n i c o É d i t i o n s .