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l ’ humeur d ’ antoine

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CAPRICES DE STARS

CAPRICES DE STARS

Vincent

& La sOLitude des pierres

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Par antoine bertram

Vincent observe, ressent, exprime, libère, Vincent exulte et se frustre, il est en quête d’absolu, la voie du salut pour les âmes libres. Devant sa toile, avec sous les yeux une estampe japonaise, il veut réussir ce geste, cette touche, un mouvement travaillé mais instinctif, représenter l’âme de la réalité. Van Gogh pense que l’art est un cri sublime dans le silence. L’art doit saisir l’essence de l’objet, transmettre une émotion. Sa carrière de galeriste lui a prouvée une chose : la société ne comprend pas ce qu’elle regarde, l’ignorance lui brûle les yeux. Vincent l’exècre et s’est marginalisé. Souvent il s’emporte et se met en colère, ses interlocuteurs s’imaginant sensibles là où lui ne constate qu’aveuglement grossier et jugement trop prompt. Vincent ne transige plus, il se voue à la peinture tel un possédé. Il sait que nous ne serons jamais rassasié de beauté, et que la beauté isolée est définitivement vide. Il veut allier l’impression et le sens afin de révéler une nouvelle splendeur, il veut redéfinir les codes de l’esthétique en les immergeant dans le sentiment pur, montrer la raison des choses dans la sincérité de leur essence. Pour le prouver, il peint des objets simples avec des couleurs simples. Son estampe sous les yeux, il observe encore la maîtrise

‘‘ du geste de ces japonais, cette capacité à dessiner un arbre en 3 mouvements, un arbre vivant dans un geste vivant couché là. Il doit réussir cela, quitte à en mourir. Mais comment mettre en œuvre une peinture capable d’allier tout ce que le monde a d’esthétique, de censé et d’émouvant, dans un seul aplat de couleur ? Le voici dans son atelier, avec ces odeurs de solvants, ses meubles râpés et sa misère antisociale. Le voici dans cette Arles millénaire sentant la pierre exténuée, ses paysages du midi écrasés par le soleil, les chants d’oiseaux et les reflets des insectes volants dans la lumière crépusculaire. Il est debout devant ses pinceaux, voulant exprimer l’éternité en un geste humain, surhumain. Il cherche, il lutte, il se concentre pour dépecer le monde de ses guenilles afin de trouver : …il ne trouve pas ! Il ne trouve PAS ! Submergé de troubles, il sent le gouffre et l’intuition du cri, les viscères et le fil, la mue et le décès, l’immensité, rageant devant l’absence de sacré, il veut ouvrir la Porte, tel un scientifique prenant la peinture comme laboratoire, il veut trouver la meilleure façon d’hurler l’existence des choses face à une réalité s’ignorant elle-même. Il crie, il pleure, il s’effondre sur son plancher, désespéré. C’est un artiste, un homme n’ayant d’autre choix que l’art sinon il s’ouvre les veines, un artiste.

Il arrive quelques fois, au travers de l’histoire des hommes, qu’un observateur ressente la solitude des pierres, la mélancolie des montagnes, la rage de la vie (…).

Quelques jours plus tard il se promène dans un champ de blé, le soleil est voilé, l’air lourd, les nuages bas, il ressent le mouvement éternel du temps sur ce paysage, il aime cette osmose simple de la terre et du ciel adossée à son malheur, il ressent littéralement la coloration blanche puis jaune de la brise glissant sur les épis, il doit peindre cela, la sensation des reflets verts des nuages, cette simplicité, cette pureté. Enfin il entrevoit une clé. Vient alors sa période de jubilation, dans la courbe d’un ciel de nuit, geste tortueux et maladif, dans la lumière d’un soleil irradiant, geste vif tournoyant, dans la vérité d’un œil, geste immensément humble et précis face à la fragilité temporelle de la chair. Il peint la couleur franche, il peint tout ce qu’il peut, il peint les sentiments, l’urgence du temps, il en fige l’émotion, il peint son malheur dans une chaise, il peint ses espoirs dans les étoiles, il peint le sommeil, il peint l’agonie des fleurs coupées, il peint un langage qui ne se prononce pas. Traversé par des crises d’hyper-lucidité, il passe par la dépression puis l’euphorie, doutant de lui-même, vociférant son génie, l’absinthe lui lamine le cerveau autant qu’elle le maintient en vie. Plus tard il sera interné, aliéné, puis viendra le psychiatre (cet enfoiré de Gachet selon Artaud), il se découragera.

Dans la nature chaque chose a un usage, seul l’art légitime l’inutile. Vincent est fou de ne pas savoir transmettre la vision de sa passion, abattu de ne pas savoir réussir plus, incompris, renié, pour lui ce monde ne représente plus qu’une absence d’éveil, il est effroyablement seul. Dans sa quête de perfection il est allé trop loin, il a vu l’envers des choses et cette observation a levé le voile de la sensation, car l’analyse dissèque l’émotion. Il ne ressent plus rien, c’est l’abandon. Lentement il approche le fusil, posant une dernière fois ses yeux sur son œuvre, il regrette mais tire. Vincent est mort, son art est né, sa Porte hurlante grande ouverte devant nous, nous les aveugles.

Il arrive quelques fois, au travers de l’histoire des hommes, qu’un observateur ressente la solitude des pierres, la mélancolie des montagnes, la rage de la vie, et par le travail de ses mains se tue pour leur offrir une tribune, une matérialisation émotionnelle et la mystique d’une existence, voilà. ‘‘

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