intégration paysagère et avancées technologiques
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intégration paysagère et avancées technologiques entre
LES REFUGES SE MODERNISENT LE
CAS
DU
REFUGE
DU
GOUTER
sous la direction de L O P E Z F a n n y MOROVICH Barbara
GRO SLEV IN Jo ha n na E N S A S _ 2 0 1 6
Merci, à Fanny Lopez pour m’avoir encadrée, suivie et tenue tout au long de ce travail ; à Barbara Morovich qui a été présente dans les premiers pas de ce mémoire ; à Luc, Christophe, Audrey, son père, Vincent et leurs amis, tous alpinistes amateurs ou professionnels pour leur disponibilité, leur écoute et leur participation à mon questionnaire ; à Jean-François Lyon-Caen pour sa disponibilité, ses conseils ; à ma famille, mes amis pour leur aide, leur relecture, leur soutien.
02
Avant-propos
04
Introduction
12
Le XVIIIè, les débuts d’une conquête de l’Homme
14
Découverte de la haute altitude
21
Le Club Alpin Français
23
Ouverture de la Voie Normale
28
De 1900 à 1995, définition d’une architecture des refuges
29
Les origines de cette architecture
29
Un soucis d’intégration et économie de moyens
35
Inspiration du mouvement moderne
37
Les différents types de refuges témoins de ces principes
46
Le cas du refuge du Goûter
50
Les années 2000, une nouvelle modernité de l’architecture des refuges
51
Affranchissement des traditions
59
Le cas de la Voie Normale
60
Refuge de la Tête Rousse
62
Refuge du Nid d’Aigle
65
Le cas de la Voie Normale : Refuge du Goûter
74
Limites de cette modernité
77
Conclusion
80
Bibliographie
83
Webbliographie
83
Iconographie
86
Annexes
1
Avant-propos
Peu à peu mon intérêt et ma sensibilité se sont tournés vers une architecture soucieuse du contexte dans lequel elle s’implante. Certains avanceront surement l’inverse, pensant qu’une architecture doit se détacher de son lieu et de son contexte, qu’elle doit se suffire à elle même. Il me semble, et ce n’est qu’un avis personnel, qu’une architecture fonctionne mieux si elle est en accord avec son lieu d’implantation, le contexte et l’histoire de ce lieu. Ceci est encore plus vrai dans un territoire naturel tel que la montagne qui exige, que nous le voulions ou pas, certaines interrogations sur l’attitude à adopter en matière d’implantation, de volumétrie, de matérialité, notamment. Et d’autant plus qu’une inscription d’un quelconque édifice en montagne est une inscription dans le temps, dans la durée.
Familiarisée avec la montagne depuis mon enfance grâce à mes parents qui nous ont emmenés très tôt dans ce milieu, elle est rapidement devenue un endroit indispensable à notre épanouissement ; et continue aujourd’hui d’être mon lieu d’évasion. Lorsqu’il a fallu rédiger l’an passé un rapport d’étude, j’ai tout de suite voulu faire un travail touchant à ces territoires. Mes connaissances en architecture en milieu alpin étaient alors assez vagues. Cela a donc été une sorte de révélation en travaillant sur la station de Flaine en Haute-Savoie car je me suis 2
aperçue de ce qu’une architecture en montagne nécessite et de tout ce qu’il est possible de faire. Comme le dit Laurent Chappis, « peu de territoires ouvrent la voie à l’inspiration, à la fantaisie, voire à la hardiesse comme la montagne, dont la variété, notamment de ces paysages, offre une infinité de prises de positions architecturales. »1 En effet, les choix architecturaux sont infinis. Du village vernaculaire, à la station de ski en passant par le refuge ou les belvédères, différents types de constructions résultent d’une imagination et de possibilités illimitées dès lors que sont respectés les impératifs techniques qu’imposent un tel site tels que la nécessitée de l’économie de moyens ou l’obligation de modestie face à un site particulièrement exigeant. Nous pouvons ainsi affirmer aujourd’hui qu’il existe non pas une architecture en montagne, mais bel et bien une architecture de montagne. Dans cette architecture de montagne se distingue celles des refuges. Découlant de l’évolution de la pratique de l’alpinisme, la construction des refuges s’est développée au fil des siècles interprétant de plus près l’évolution à la fois des besoins de l’Homme, de la montagne et des résultats architecturaux. Ce mémoire abordera donc ces notions.
Préface de CHAPPIS Laurent, dans LYON-CAEN Jean-François, Montagnes, Territoires d’inventions, ENSAG, 2003, p.5 1
3
Introduction Dans ce contexte d'architecture de montagne se distingue celle des refuges. Édifice naissant de la pratique de l'alpinisme, son architecture suit l'évolution de la société tentant à la fois de répondre aux nouvelles attentes de ces usagers et de s'inscrire dans un mouvement de respect environnemental, d’inscription paysagère et témoigne d'un nouvel art d'habiter la montagne. Le terme habiter reste à prendre ici avec précaution, les refuges n’étant pas des lieux d’habitations mais des lieux de passages, de traversées, de séjour à la rigueur. Les refuges ont en effet vocation à abriter, à protéger ponctuellement.
D’un côté se dresse les Alpes, la chaine du Mont-Blanc et plus précisément l’aiguille du Goûter au Nord de la vallée du Bionnassay, milieu d’élévation fascinant au caractère physique si particulier, de l’autre, l’architecture transformatrice du réel, témoin de l’évolution de l’Homme tentant de trouver une place dans son environnement. Un à un les refuges de la Voie Normale2 , ou encore Voie Royale se dessinent et se figent pour mener le téméraire qui l’emprunte au sommet du Mont-Blanc. Les refuges du Nid d’Aigle à 2372 mètres d’altitude et de la Tête Rousse à 3167 mètres précèdent le nouveau refuge du Goûter situé lui à 3835 mètres et qui sera 2
Voie d’accès principale de l’ascension du Mont-Blanc, cf partie I.
4
plus précisément l’objet de notre étude. Ce majestueux parcours architectural se termine ensuite avec l’abri-refuge Vallot à plus de 4300 mètres d’altitude.3
Ainsi se lit, ici, l’architecture à travers le refuge du Gouter niché à quelques centaines de mètres du sommet de l’Europe. Edifié une première fois en tant que cabane en 1854, puis reconstruit, puis rénové. Il sera le premier refuge gardé.4 En 2013 naitra finalement un tout nouveau refuge à l’architecture novatrice, aux
qualités environnementales nouvelles permettant de répondre
d’une autre façon à l’évolution des moeurs, des besoins et pensées. De plus, les refuges se voient aussi subir les lois de la promotion touristique et semblent aussi devenir des témoins d’investissements, des objets lucratifs5. Ces évolutions ont suivi les nouvelles demandes en adoptant une position architecturale qui se veut de plus en plus respectueuse de son environnement. Le refuge du Goûter aspire ainsi à être un modèle en matière d’autonomie, de construction passive et de développement durable qui plus est dans un endroit isolé et naturel. Il révèle une sensibilité nouvelle des architectes et non plus que des alpinistes, des locaux ou usagers, devant un site exceptionnel tel que la montagne.
Avec la notion de montagne apparait implicitement et logiquement celle du paysage. Il est commun de dire que la montagne offre de magnifiques paysages. Là se cache la subtilité que le paysage n’existe pas, il est intouchable. Il correspond à une partie figée d’un pays que la Nature présente à un observateur. Le paysage s’observe. Le paysage vit et existe grâce à notre perception des choses. Si nous n’étions pas là pour le voir, le paysage ne serait rien contrairement à la montagne qui n’a jamais eu besoin de nous pour être.
L'architecture intégrée à son environnement dépend de différentes caractéristiques et nait de l'interaction du lieu, des usagers, des bâtisseurs, des besoins. De par ses caractéristiques naturelles, la montagne nous soumet à des 3
Carte à retrouver en page 59
4
Les refuges importants et fréquentés sont gardés par des gardiens durant la saison d’alpinisme. cf partie I.
5
« Dossier Refuge », La Montagne et Alpinisme, Revue du Club Alpin Français, 2015, p.38-48
5
considérations singulières sur la question de l’altitude, du climat, de l’isolement. Associées aux notions qui définissent le paysage, tente de s’inscrire l’architecture des refuges et notamment celle du refuge du Gouter.
Au fil des années, l'Aiguille du Goûter a subi, ou permis, l'installation de l'Homme à travers ,entre autre, la construction du refuge du Gouter. Appartenant à l’Histoire de l’Alpinisme, un premier abri fut construit en 1854 par un alpiniste au sommet de l’Aiguille du Goûter. Le premier refuge fut bâti à la suite en 1906 par le Club Alpin Français, s’en est suivi sa rénovation en 1962 suite à une augmentation de sa fréquentation. L’ancien refuge vétuste et inconfortable nécessitait d’être remplacé. Aujourd'hui considéré comme un "refuge-logement" incontournable pour atteindre le "Toit de l'Europe", le refuge du Goûter confronte sa nouvelle architecture traductrice des nouveaux besoins (constructions, environnement, usagers) au paysage de la montagne. Toujours plus imposant, voyant et performant, cet édifice se veut être le reflet des volontés humaines d'architecture de montagne respectueuse de l'environnement (HQE etc). Cependant, les caractéristiques originels de refuge sont largement remise en question où la qualité de survie, d'abri du refuge ainsi que l’architecture traditionnelle intégrée à son environnement est abandonnée au profit du « refuge-logement » enfant de la sur-technologie.
Comment interroger le rapport entre l’architecture du refuge du Goûter et son intégration dans le paysage lorsque toute son identité est basée sur une technologie de pointe dite respectueuse de l’environnement ?
La haute-montagne a connu un afflux fulgurant durant ces trois derniers siècles à l’origine d’une nouvelle architecture des refuges. Quels en sont alors les principes ? Comment le refuge du Goûter s’inscrit dans cette évolution et dans cette architecture ? Naissant d’une volonté d’alpinistes bricoleurs, les refuges semblent dès leur début montrer une sensibilité devant leur site. En effet, ils sont à l’origine de 6
simples abris servant pour protéger les rares aventuriers prêt à défier la montagne, ils sont construits sur des replats qui ne demandent pas de toucher au sol et proviennent de matériaux locaux : pierres et bois principalement. Inspiré par le mouvement moderne à ses débuts, l’architecture des refuges a toujours été une architecture sensible devant son environnement portant ainsi une grande importance au contexte dans lequel elle s’inscrit. En effet, il semble que les refuges aient réussi à associer des nouvelles exigences techniques et écologiques à leur implantation globale dans le site et ce sur différents niveaux permettant de laisser penser qu'une pensée sincère existe au regard de l'environnement et qu'une volonté certaine d'intégrer l'édifice au paysage persiste faisant ainsi naitre une réelle relation entre architecture et paysage. L’évolution du sport suivant l’évolution de la société demande aux concepteurs de prendre en compte de nouvelles notions pour faire grandir l’architecture des refuges. Ceux-ci sont traduits logiquement par une nécessité de constructions plus grandes pouvant accueillir plus de personnes. Ces nouveaux aménagements sont accompagnés d’une recherche nouvelle en terme d’architecture à travers de nouvelles technologies. L’attention principale est alors portée sur le respect de l’environnement via une « sur-technologie » visant à répondre à ses attentes. Il semble ainsi que le refuge du Gouter à travers ses nouvelles qualités d’autonomie et de développement durable, soit certes une prouesse architecturale mais ait contourné les caractéristiques de base importantes aux yeux des habitants, des usagers, et de la Nature. Les documentations sur l’architecture en montagne à travers les refuges sont tout aussi nombreuses que les écrits sur les notions de paysage, ou de site et d’environnement. Néanmoins aucune d’entre elles n’interrogent le rapport entre l’évolution de l’architecture du refuge du Gouter inscrit dans l’évolution de la construction des refuges au regard d’une intégration dans le paysage et du respect de l’environnement. Ainsi en rassemblant ces deux thèmes, nous pourrons apporter une nouvelle analyse de l’architecture en montagne.
7
Les ouvrages parus sont principalement des ouvrages qui définissent des notions complexes comme l’origine et la décomposition d’un ou des paysages, ou qui abordent des interrogations sociologiques et anthropologiques sur le montagnard qui a habité au fur et à mesure la montagne. D’autres décrivent ou racontent l’histoire des refuges existants tel celui de Jean Collet à Belledonne en Isère6 ; ou encore de l’avancée de l’architecture en montagne. Certains7 développent l’évolution des activités d’hiver et de la société comme nature de l’évolution de l’architecture montagnarde. Cependant, nous remarquerons que même si certains articles regrettent de nombreuses constructions qu’ils jugent irrespectueuses de l’environnement, rares sont les ouvrages spécifiques à une dénonciation de l’architecture en montagne. Au contraire, la montagne est pour bon nombre source d’inspiration et les constructions qui y sont faites sont souvent désignées comme des modèles et des prouesses techniques.
Au regard de la notion de paysage, de nombreuses définitions sont données à travers différents théoriciens à différentes époques. Chacune d'elles relayent l'idée que le paysage est une partie figée d'un espace qui existe grâce à différentes caractéristiques et au travers de l'oeil humain.
Ainsi, dans son article « Paysage et géographie physique globale »8 , le géographe Georges Bertrand explique que le paysage est « une certaine portion de l'espace, le résultat de la combinaison dynamique, donc instable, d'éléments physiques, biologiques et anthropiques qui, en réagissant dialectiquement les uns sur les autres, font du paysage un ensemble unique et indissociable en perpétuelle évolution. » Il exprime que l'évolution dudit paysage est une résultante de facteurs naturels et humains interprétable grâce à la perception visuelle et idéologique.
6
http://www.refuge-jeancollet.fr
7
« Dossier Refuge », La Montagne et Alpinisme, Revue du Club Alpin Français, 2015, p.38
G.Bertrand « Paysage et géographie physique globale », Revue de géographie des Pyrénées et du SudOuest, 1968 8
8
Dans son livre « L’invention du paysage »9 sorti en 1989 et re-publié en 2000, Anne CAUQUELIN, philosophe, romancière, essayiste et plasticienne française, construit la notion de paysage mais précise que « personne ne dit le vrai de cet art ». Selon elle, celui-ci se construit autour de la Nature et se développe autour de nouvelles structures de perceptions. Elle remonte au temps des grecs, des romains ou définir le paysage passait à travers une observation picturale réalisé grâce deux figures de l’artificialité : le cadrage et les quatre éléments constitutifs de la Nature qu’elle définit comme figure de transport nécessaire à son existence. Elle parle aussi du sentiment de satisfaction et perfection que nous ressentons lorsque nous nous trouvons devant un paysage qui se reporte selon notre perception parfaitement à son origine naturel. La définition de paysage selon Anne Cauquelin est précise mais laisse place à différentes interprétations permettant ainsi d’analyser cette notion dans un cadre comme la montagne.
D’autre part, de nombreux ouvrages racontent l’histoire des refuges, leur construction, leur évolution ainsi que leur qualité en tant que refuge de HauteMontagne . Jean-François Lyon-Caen, architecte, Maitre-assistant à l'ENSA Grenoble dans l'équipe de recherche architecture-paysage-montagne a écrit de nombreux livres, articles au sujet des architectures de montagne parmi lesquels un article10 il définit l'architecture des refuges comme une architecture de l'extrême de part sa situation et les obstacles naturels auxquels elle fait face : "la pluie, le froid, la neige, l'altitude, la pente, la glace, le roc, le brouillard, l'obscurité". Il développe rapidement les trois périodes "historiques" à l'origine de l'évolution architecturale des refuges et nous démontrent que celle-ci est liée à l'évolution de la pratique de l'alpinisme et des techniques de construction. D'autre part, il justifie ce qualitatif "d'architecture extrême" disant que la montagne est un lieu où l'Homme n'a pas vocation d'habiter et démontrant la manière dont au fil du temps, l'Homme a tenté d'investir ponctuellement ces lieux. En effet, dans un
9
CAUQUELIN Anne, L’invention du paysage, Quadrige, 2000, 160p.
LYON-CAEN Jean-Francois, « Refuge d'altitude, des architectures de l'extrême ? », La montagne exploitée, p.42 10
9
autre article, il "suggère la singularité de ce lieu de vie dans lequel l'Homme, de passage, trouve pour un temps, protection et abri."11 Dans Le refuge du Goûter12, les textes sont écrits par Eliane Patriarca se consacrent à la construction du nouveau refuge du Goûter. Cet ouvrage est descriptif et raconte l’évolution du chantier sans entrer dans une analyse argumentaire des conséquences de cette nouvelle architecture. Dans une revue de géographie de 1996, De Rossi Antonio architecte italien tente de définir l'architecture des montagnes à travers différentes analyses d'habitat, chalet, refuge, stations en Italie.13 De Rossi appuie alors que la "conceptualisation de la montagne" dépend de périodes culturelles et historiques passées et présentes et qu'il existe ainsi plusieurs "architectures alpines" toutes fondées sur les caractéristiques du paysage, l'idéologie de l'Homme, le patrimoine montagnard et prétend que cette architecture passe par une réflexion qui "oscille" entre "appartenance et dépaysement".
Ce mémoire fera un retour sur la découverte de la haute-montagne qui a ainsi engendré la naissance d’abri puis de refuge. Nous retracerons alors l’évolution des refuges et les principes architecturaux qui se sont au fur et à mesure dégagés. Dans cette généalogie historique et constructive s’inscrira celle du refuge du Goûter. Nous nous appuierons ainsi dessus pour analyser cette nouvelle architecture au regard de l’insertion paysagère et du respect de l’environnement.
L’analyse se veut sur un rapport entre l’architecture du refuge du Gouter et le site à travers le paysage demandent donc une rédaction basée sur différentes parties définissant et expliquant les notions importantes et indispensables pour une bonne démonstration du sujet qui arrivera elle pour finir comme résultat découlant de ce qui a été vu précédemment. LYON-CAEN Jean-François, « Le refuge en altitude, lieu étrange pour étrangers ? », Ouvrage collectif Habiter, sous la direction de Jean-Claude Duclos, Musée dauphinois, Grenoble, 2009 11
12
PATRIARCA Eliane, Le refuge du Goûter, éd. atelier ésope, 2012
DE ROSSI Antonio, « Existe-t-il une architecture alpine ? », Revue de géographie alpine, Tome 84 n°3, 1996, p. 71 à 83. 13
10
Ce mémoire sera réalisé grâce à différents outils et approches complémentaires pour tenter de mener au mieux l’enquête. Ainsi les recherches historiques, techniques et constructives se feront grâce à la lecture de livres, de revues, d’écrits universitaires. Ceux-ci tirés de spécialistes, de passionnés ou d’étudiants. Les définitions de notions comme paysage, site, langage proviendront de dictionnaires, d’études spécifiques mais aussi de ma propre opinion. Des témoignages recueillis chez différents usagers comme des alpinistes professionnels ou amateurs appuieront certains arguments et permettront d’apporter une analyse la plus réelle et complète qui soit.
Le point de vue que j’adopte dans toute cette étude sera celui d’un usager et observateur quelconque et tenterai d’apporter mon avis de la façon la plus objective possible.
Cette étude est traitée en trois temps correspondant aux trois grandes périodes de la construction des refuges dans lesquelles s’insèrent celle du refuge du Goûter. La première partie développe ainsi le contexte général du début du XVIIIè siècle jusque début XXè retraçant la découverte des hauts-monts, la naissance des premiers abris et de l’évolution de l’alpinisme. La seconde partie analyse et définie les principes qui se dégage de l’architecture des refuges durant le XXè siècle. Enfin, la troisième partie explique les caractéristiques de la nouvelle architecture des refuges apparue dès le début du XXIè siècle et insistera sur les nouvelles technologies développées dans la construction du refuge du Goûter et les limites de celles-ci. Ainsi, les refuges de la Voie Normale et notamment le refuge du Goûter s’inscrivent chronologiquement dans ces parties.
11
Le XVIIIè, les débuts d’une conquête de l’Homme
Les hommes dont les noms remplissent la période héroïque de l’histoire alpine étaient, pour la plupart, d’intrépides marcheurs. Les distances, les hauteurs semblaient fondre sous leurs pas (...). Si tout le monde était à même de procéder ainsi, les hôtels alpins installés dans les villages constitueraient des bases d’opérations suffisantes. Ils sont légions ceux qui ne se sentent pas la force de mener pareil train et qui sont cependant capables de jouir vivement de la haute montagne si l’on veut bien aménager des étapes intermédiaires. D’ailleurs, un peu d’expérience le montre bientôt, les splendeurs des grandes altitudes ne sont pas pour les sportsmen qui les traversent d’un pas rapide. Elles se prodiguent, au contraire, au touriste qui s’y attarde, qui voit les aurores naître et le couchant s’y éteindre. (...) Viennent la pluie, la mauvaise saison, ou simplement le déclin de l’âge, et le montagnard le plus épris de poésie et de liberté se convaincra vite que rien ne remplace l’abri d’un toit.14 14
Pierre PUISEUX, Président de la Commission Centrale des Refuges du Club Alpin Français, en 1899
12
Montagne sacrée ... Elle a été considérée comme un lieu sacré depuis l’Antiquité. Preuve en est la multiplicité de chapelles, croix et oratoires qui parsèment son territoire. La montagne est un lieu à part, un « ailleurs » qui propose un cadre idéal aux pratiques de contemplation, de méditation ainsi que de communion avec la nature.
Montagne menaçante ... Personnage principal de nombreux contes, impétueuse et imprévisible, elle peut se déchaîner à tout moment. Elle demeure un milieu géographique extrême de part son relief tourmenté et son climat des plus rudes.
Montagne apprivoisée ... L’homme a déployé des trésors de savoir faire et d’imagination pour survivre dans ce milieu hostile. Habiter la montagne ressemblait à une périlleuse entreprise même si celle-ci pouvait se montrer clémente et proposait des terrains pour l’agriculture et l’élevage. Montagne conquise ... Autrefois crainte et respectée, ses plus hauts sommets furent ensuite conquis pour le plaisir des hommes dès le XIXe siècle. Elle fut dès lors le terrain d’exploits sportifs et scientifiques. 15
15
MAY Muriel, Enoncé théorique de master, sous la direction de MARCHAND Bruno, EPFL, 2008
13
Découverte de la haute altitude
Révélée au monde grâce aux pionniers de l’or blanc16 tels Horace-Bénédict de Saussure, naturaliste et géologue Suisse, la montagne s’ouvre aux enfants curieux fin du XVIIIè siècles. Ils y découvrent alors des paysages, des points de vue, des sites exotiques, froids, magnifiques. Les monts affreux17 ne sont plus, le chaos et la peur ont laissé place à l’admiration et au sublime. Petit à petit, on dépasse les Alpes vertes et boisées pour s’attaquer aux Alpes blanches, les anciennes angoisses sont remplacées par la fascination et la science. La montagne alimente dorénavant l’imaginaire et les productions des explorateurs qui transmettent leur voyage au travers de représentations alpestres, littéraires ou picturales. Architectes, écrivains, philosophes, les grands noms qui ont laissé un patrimoine admiré et enseigné encore aujourd’hui ont chacun leur tour exploré ces montagnes mythiques. A l’image par exemple de Jean-Jacques Rousseau qui laissa derrière lui de nobles traces de son passage en montagne qui invitèrent bon nombre de nouveaux scientifiques à la découverte.18 Tantôt d’immenses roches pendaient au-dessus de ma tête. Tantôt de hautes et bruyantes cascades m’inondaient de leur épais brouillard. Tantôt un torrent éternel ouvrait à mes cotés un abîme dont les yeux n’osaient sonder la profondeur. (…) Un mélange étonnant de nature sauvage et de nature cultivée montrait partout la main des hommes où l’on cru qu’ils n’avaient jamais pénétré. (…)19
Puis certains savants comme Eugène Viollet-le-Duc s’emparent à l’aide de baromètre, de cartes, à leur tour aussi de ces monts et tentent de rationaliser et d’expliquer les raisons qui autrefois s’apparentaient au chaos . C’est ainsi début XIXè que tout est inventé, les vues de détails, d’ensemble, panoramiques ou autre ainsi que des cartographies plus précises. 16
REVIL Philippe, HELLE Raphaël, Les pionniers de l’or blanc, Italie, Glénat, 2004
17
LYON-CAEN Jean-François, Montagnes, Territoires d’Invention, ENSAG, 2003, p.87
18
LYON-CAEN, Op. cit. p.14, p.11
19
ROUSSEAU Jean-Jacques (1712 - 1778), La Nouvelle Heloïse, Paris, 1761
14
La science donne alors l’impulsion définitive à l’excursion en montagne et donc à l’apparition en tant que tel de l’alpinisme. En effet, la science pousse l’Homme chercheur et avide de nouveautés à gravir les monts afin de réaliser de nouvelles recherches et découvertes. On dit que cette discipline nait en 1786 à la suite de la première ascension du Mont-Blanc par deux savoyards : Michel Gabriel Paccard et Jacques Balmat.20 Ce dernier accompagnera l’année suivante H.-B. de Saussure pour la même ascension au sommet où il fit de nombreuses expériences permettant par exemple de déterminer l’altitude exacte du mont. Les motivations scientifiques sont ainsi à l’origine de l’exploration de la montagne et ne feront que s’accroitre et s’achèveront sur des réalisations de triangulation des régions montagneuses dans le but d’établir des cartes.
Durant des siècles, la montagne était donc un monde vide de toute trace humaine, ni parcourue, ni traversée, ni habitée. De rares téméraires s'y risquaient cependant et trouvaient dans la roche des abris naturels ou de sommaires cabanes en pierre sèche par exemple.
A l'antiquité, seuls les axes d'accès traversant les Alpes et les Pyrénées étaient pourvus d'abri de secours. A partir de la Renaissance différents cols de moyenne altitude accueillirent des hôtels, des hospices et des monastères qu'installèrent les moines. L'abri du col du Grand Saint-Bernard, situé dans les alpes pennines en Suisse, construit vers 1050 par Saint-Bernard Aoste est le plus connu d'entre eux21 .
Les abris ont alors pour fonction de permettre de franchir la haute-montagne dans les conditions les plus favorables. Ils sont là pour abriter, protéger, et pour parvenir à la survie de celui qui s’y reposera. Le boom de constructions en altitude se fit au milieu du XVIIIè siècle dans le massif du Mont-Blanc. Pour les raisons expliquées précédemment, les deux 20
REVIL Philippe, HELLE Raphaël, Les pionniers de l’or blanc, Italie, Glénat, 2004
21
LYON-CAEN Jean-François, Montagnes, Territoires d’Invention, ENSAG, 2003, 87p.
15
siècles qui suivirent furent l'époque du grand changement dans le développement de la vie en montagne et ainsi des constructions. La vallée de Chamonix fut une des premières vallées découvertes et conquises après le passage des anglais Windham et Pococke en Juin 174122. Elle fut ainsi le premier terrain de développement des refuges. Suite à la visite de ce qui deviendra « la Mer de Glace », la curiosité attisée entraine ainsi les voyageurs dans la vallée et sur ses glaciers qui se verront accueillir des auberges aux passages obligés pour les accès au col de Balme, à la Pierre Pointue, ou encore au col de Voza ... pour au fur et à mesure pouvoir accueillir les nombreux visiteurs.
La "Mer de Glace" située au dessus du Montenvers fut à cette époque l'un des spectacles les plus admiré et se vit construire en 1776 par Charles Blair "la cabane de Blair" qui deviendra en 1795 le "temple de la Nature »23 . Seul un abri surplombant la roche permettait d'apprécier cette dernière. A cet époque s'y trouvait alors des hamacs, de quoi cuisiner, du matériel de secours ainsi que de rares outils de détente comme des livres. ses tentatives d'ascension ont eu lieu au cours des siècles qui suivirent.
Dix ans plus tard, Horace-Bénédict de Saussure, considéré comme l'un des protagonistes de l’alpinisme à l’origine de la conquête du Mont-Blanc24 est le premier à mettre en place des cabanes sommaires au pied de différents sommets comme l'Aiguille du Goûter dès 1785 puis aux Grand Mulets en 1786.
Le premier refuge sur la route du Mont-Blanc est ainsi inauguré en 1853, il s'agit de la cabane des Grands Mulets. Il définira cette voie appelée « Chemin du prieuré » comme celle qui mène au Mont-Blanc pendant les dix prochaines années.
22
REVIL Philippe, HELLE Raphël, Les pionniers de l’or blanc, Italie, Glenat, 2004
23
JOUTY Sylvain, Refuges de montagne, Hoëbeke, 2013, p.6
24
cf excursion avec Jacques Balmat
16
Vue du Montenvers sur la « Mer de Glace », du Grand Jorace, du Géant, de l’Aiguille des Charmaux et de l’Hospice Marc-Théodore Bourrit
17
Coupe longitudinale passant par Chamonix, Les Houches, Le Pavillon de Bellevue, L’Argentière, et Le Col de la Balme, Haute-Savoie Eugène VIOLLET-LE-DUC
18
19
20
Le Club Alpin Français
Nous voulons rendre accessible au plus grand nombre une pratique autonome de la montagne. C’est ce projet qui guide notre politique des refuges à travers l’accueil de nouveau public et la promotion d’une culture de responsabilité.25
La fin du XIXème siècle correspond à une forte évolution de l'institutionnalisation et de la diffusion du sport en France. On y retrouve la création des premières fédérations uni-sport et multisports ainsi que l'arrivée de jeux et rencontres scolaires comme notamment les lendits au début du XXème. Le sport intéresse de plus en plus de monde, on peut relever 9 associations scolaires et 3 associations civiles en 1890 contre 70 scolaires et 138 civiles en 189726. On peut qualifier cette période de fin XIXème et début XXème siècle de grand air ou encore de période utilitaire. En effet le sport intervient dans la cause hygiénique, avec deux types d’environnement (mer et montagne), dans la culture scientifique et le loisir, où les sports d'hiver sont réservés à une élite sociale et il intervient enfin dans la formation militaire. Invention d'une distinction sociale par le tourisme, le sport et les loisirs. Tout d'abord la naissance et le développement du tourisme concernent une minorité privilégiée comme les rentiers, les magistrats et les officiers. On part pour se distinguer mais aussi pour des raisons de santé, un retour à la nature ou encore un souci d'éducation. Au cours du XIXème siècle les activités furent d'abord la randonnée, l'escalade et l'alpinisme.
Le tourisme est ensuite saisi par l'éducation car des groupements politiques, partis et église, y voit le moyen de regrouper des adhérents autour d'un projet de formation, d'éducation aux valeurs d'initiative, de responsabilité, d'autonomie, de liberté et de solidarité.
25
ELZIERE Georges, Président de la FFCAM, Editorial, Lettre du Patrimoine Bati, Club Alpin Francçais, n°4, 2014
26
Club Alpin Français, Bulletin de la section de Savoie, archives départementales de Savoie, Chambéry
21
L’élan de l’alpinisme s’inscrit dans ce contexte de développement du sport et ainsi s’inscrit le nouvel intérêt, et même besoin de construire des refuges.
Dans ce contexte nait le Club Alpin Français le 2 Avril 1874. Il s'agit d'une association qui a adopté le statut type loi 1901.27 Elle fût créée à Paris par un groupe de passionnés du milieu montagnard. Edouard de Billy, inspecteur général des mines, fût le premier président de la structure. Elle a pour devise "pour la patrie, par la montagne"28 . Les 7 premières sections ont été installées d’abord à Paris puis en Auvergne, à Gap, en Isère, dans les Vosges, en Savoie ainsi qu’à Lyon. Ils sont alors 137 membres et finiront cette première année à 607. Ils publient alors leur première édition, «L'annuaire du C.A.F.29 ». En 1875 l'association compte près de 1700 membres et 14 sections. C'est alors le début de l'expansion du Club Alpin Français qui a fêté ses 140 ans en 2014. En 1882, il fut reconnu d'utilité publique pour ses actions destinées à « faciliter et propager la connaissance exacte des montagnes ». En 1996 le C.A.F devient la Fédération des Clubs Alpins Français, les statuts évoluent et l’association devient en 2004 la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne. A partir de là, la fédération s’ouvre à l'ensemble des clubs de montagne. Aujourd'hui le Club Alpin Français se donne pour mission de facilité l'accès à une pratique responsable de la montagne. De la sorte, il contribue à la formation de ses adhérents dans la plus grande sécurité, mais également à l'aménagement et à la protection du territoire. Les valeurs du club alpin français sont ancrées au plus profond d’elle-même, on y échange ses idées, débat sur ses convictions et partage ses différentes expériences en montagne. C'est notamment grâce à cette idéologie que le C.A.F. de Chambéry peut aujourd'hui compter sur ses 200 membres bénévoles et ses 2200 adhérents.
27
Association à but non lucratif relevant de la loi du 1er Juillet 1901
28
Club Alpin Français, Bulletin de la section de Savoie, archives départementales de Savoie, Chambéry
29
Club Alpin Français
22
Emile Levasseur (1828-1911) est un historien, économiste, statisticien et géographe français qui réalisé une carte topographique du système des alpes.30 Egalement membre du CAF, il a incité le club a porté son intérêt sur la topographie des alpes (Françaises, Suisses, Allemandes, Italiennes, et Autrichiennes). L’engouement mène à la création d’une commission topographique de la haute montagne en 1902. La volonté est d’établir une « nomenclature aussi complète que peuvent le souhaiter les alpinistes, tout en étant respectueuse des dénominations locales. » Pour répondre à cette demande le Club Alpin Français organise donc de nombreuses excursions montagnardes avec des alpinistes, des géographes ou encore des historiens. Pour cela, de nombreuses expéditions furent organisées de durées plus ou moins longues. Par conséquent le C.A.F. se trouvait parfois dans l'obligation de construire des refuges afin d’héberger ses pratiquants sur leur quête scientifique. Commença alors la conquête des monts par le CAF qui petit à petit fit construire de nombreux refuges et devint ainsi propriétaire, gestionnaire et constructeur avisé et reconnu des 127 refuges français. Aujourd’hui encore, la FFCAM défend ces deux rôles principaux : le premier dans la mise en valeur et le développement de la pratiques de toutes activités de nature liée à la montagne. (Ski, alpin, de fond, de randonnée ; alpinisme, escalade ... ). Le second dans la gestion des 127 refuges dont elle est propriétaire. Répartis dans tous les massifs français, la FFCAM tient ainsi à préserver et entretenir le milieu montagnard afin de donner une place centrale aux refuges dans une stratégie de promotion de l’expérience de la montagne.
Ouverture de la Voie Normale
L’ouverture intégrale31 de l’actuelle voie empruntée pour l’ascension, appelée « Voie Normale » ou encore « Voie Royale » date du 18 Juillet 1861. 30
Club Alpin Français, Bulletin de la section de Savoie, archives départementales de Savoie, Chambéry
31
C’est-à-dire, réalisée entièrement de sa base au sommet
23
Ouverte la première fois mais pas jusqu’en son sommet en août 1855 par les britanniques Hudson, Kennedy et Smythe au départ de la ville de Saint-Gervais, elle dessine la montagne passant ensuite par les Rognes, le glacier Tête-Rousse, le Couloir, l’Aiguille et le Dôme du Goûter, l’arête des Bosses et enfin le sommet.32
La première construction sur l’arête du Goûter est un abri datant de 1854 construit par Charles Loiseau. Persuadé que la réussite de l’ascension jusqu’au sommet demande de passer une nuit sur l’Aiguille du Goûter. Il s’agit alors d’une hutte en pierres qui sera remplacée quatre ans plus tard par une cabane en bois montée par les guides de Saint-Gervais pouvant accueillir 5 personnes maximum. Un peu moins de 70 voyages seront nécessaire à l’acheminement des matériaux pour la réalisations de cette petite cabane. Edifié en 1858 et situé à quelques 3800 mètres d’altitude, elle sera le premier refuge de l'Aiguille du Goûter. Détériorée par les conditions climatiques très difficile du lieu (neige, glace, vent), elle sera restaurée en 1882. Son aménagement sera légèrement amélioré : petit poêle en fonte, planche en guise de table et toit en bardeaux la constitueront.
En Juillet 1861 notamment, une épaisseur de 0,80m de glace vive coiffant le rocher à l’emplacement des assises de la maçonnerie et à l’intérieur de l’ancien refuge en parti démoli a demandé l’emploi de la dynamite. Après chaque chute de neige, le sel rouge
a dû être employé pour activer la fonte autour des
scellements. Parfois les températures atteignants -15° à -20° interdisaient tout bétonnage. Le montage à sec devait être extrêmement rapide et peu sujet aux intempéries.33
Rapidement jugé trop petit et inadapté, cet abri sera remplacé par le premier refuge construit par le Club Alpin Français34. Les guides de Chamonix et de 32
Retrouver carte en page 59
33
Conditions décrites par un des ouvriers, PATRIARCA Eliane, Le refuge du Goûter, éd. atelier ésope, 2012.
34
cf sous-partie suivante
24
Saint-Gervais l’inaugurèrent le 4 Septembre 1906. Bâti à 3817m d’altitude, l’architecture du refuge ne porte aucune prétention : 4,2m sur 3,2 sur 1,8 de hauteur et n’offre qu’un lit de camp pour sept personnes.
Ce refuge qui deviendra officiellement le refuge du Goûter n’est cependant pas le seul à habiter les pentes de la Voie Normale. Situé à 4362m et construit en 1893, l’abri-refuge Vallot est un refuge-observatoire, dernière halte possible avant le Mont-Blanc. Joseph Vallot le construit à proximité de son observatoire à destination des touristes pour ne pas perturber les scientifiques. Il sera intégralement re-bâti en alliage d’aluminium en 1838.
Vue sur l’abri refuge Vallot
25
La photo du dessus La cabane du Go没ter de 1858, photographe inconnu, 1900 La photo du dessous Le refuge du Go没ter de 1906, photo O. Ang, 1930 26
27
De 1900 à 1995, définition d’une architecture des refuges
Tout ceci nous conduit à penser que l’attitude envers la nature et le site est un aspect important dans la création de la forme de la maison ou dans les modifications engendrées par le site, et que la relation existante entre l’homme et le paysage est le premier aspect que nous devons considérer.
Cette attitude générale de respect et de vénération pour le site signifie qu’on ne rudoie ni ne violente le site (ou la nature en générale) mais qu’on travaille avec lui. Les constructions se confondent et expriment l’attitude de respect par le choix de l’emplacement, des matériaux et des formes.35 BRUSSON Jean-Paul, Architecture et qualité des lieux en montagne Cordon, Mégève, Flaine, Contribution de l’architecture à la définition de montagnité, Grenoble, Ed. Cent pages, 1996 35
28
Les origines de cette architecture Un soucis d’intégration et une économie de moyens
Le paysage se définit par son appartenance à une partie figée d’un pays que la nature présente à un observateur. Physiquement le paysage n’existe pas, il est intouchable, inquantifiable.
La notion de paysage a une dimension esthétique forte, parfois picturale ou littéraire en tant que représentation. Lorsqu’on observe un paysage, nous ne percevons pas les éléments distincts de ce dernier, mais la lumière reflétée par chacun d’entre-eux. Les rayons lumineux nous transmettent les indications nécessaires à une bonne interprétation de ce que nous regardons. L’oeil perçoit les volumes comme des surfaces planes et seules les lignes de perspectives et la perception du relief permettent de se faire une idée du volume. On perçoit donc un objet en perspective et le déplacement de l’observateur permet par une succession de vues de percevoir plusieurs images perspectives de l’objet et de mieux en appréhender sa forme. Ce jeu de regard correspond exactement au premier pas de l’élaboration d’un projet. Observer, examiner, explorer un site. Les yeux de l’architecte, du constructeur quelqu’il soit, sont mis à l’épreuve et perçoivent des qualités particulières et propres que d’autres ne voient pas. Leur capacité pousse leur réflexion à reconnaitre et valoriser le site dans leur future construction.
Il est possible de prendre différents critères de classifications d’un milieu en montagne comme les qualités paysagères du lieu, l’ensoleillement et le climat, les voies de communication, la proximité de localités touristiques. Le paysage subit les lois de la Nature, donc du temps qui passe, de la météo, du climat, un même milieu peut alors se décrypter d’un nombre infini de paysage. Il est évident que malgré les interventions de l’Homme qui parfois vont à l’encontre de la préservation des paysages, la Nature aura toujours le dernier mot. Cette incapacité pour l’Homme de la contrôler traduit l’importance du
29
respect que nous devons avoir à l’égard de l’environnement dans lequel nous voulons implanter une architecture.
Notion complexe et constamment ouverte, le paysage est un concept qui relève de nombreux facteurs et déterminants socio-culturels. Comme le précise Christian Norberg-Schulz, « notre société tend à mélanger instruments et réalités, aboutissant à des phénomènes complexes et contradictoires. »36 Le paysage en fait partie. Il est important que les personnes qui sont susceptibles de construire dans ces paysages fragiles soient attentifs aux risques que leur aménagement peuvent causer. Risques qui peuvent être des modifications du territoire, un surplus d’addition d’intervention de l’Homme ou encore une réelle destruction du site. Les interactions entre l’organisme et le milieu sont variables suivant que le milieu s’impose à l’organisme et le façonne, ou bien que l’organisme impose au milieu ses propres structures.
Il est primordiale que les constructions, quelque soit leur altitude, leur fonction, leur échelle, entre dans des détails de procédure d’inscription de leur architecture dans le lieu dans lequel elles s’implantent. L’inscription d’un quelconque édifice en montagne, est une inscription dans le temps, dans la durée. Les différents aménagement de stations, refuges, belvédères, ou autre ne sont pas des architectures ni éphémère, ni temporaire, ni vraiment modifiable une fois qu’elles sont mises en place. En effet, l’environnement dans lequel elles s’implantent est fragile et précieux et on ne peut ni construire partout, ni construire n’importe comment. Il faut, pour bâtir raisonnablement et en qualité, se servir des essences, des substances matérielles, formelles. Cependant, on pourrait penser que leur intégration paysagère se cache justement dans le fait d’être des architectures si légères qu’elles pourraient être déplacées et donc intervenir encore moins sur le sol. Ici réside une des complexité de cette architecture car il est absolument impossible de construire éphémères dans ce
36
NORBERG-SHULZ Christian, Genius Loci, Mardaga, 1981, p.13
30
sens, les conditions naturelles l’imposent. Construire éphémère renvoie aussi à l’économie de moyen dont les constructeurs font preuve en haute-montagne.
Evoluer en haute-montagne, c’est se référer constamment à l’espace : parcourir, monter, descendre, fréquenter des endroits, établir des repères, mesurer des distances, respecter des limites …
Conceptualiser un nouveau projet en haute-montagne, et donc un refuge, c’est s’inscrire dans une nouvelle situation historique, naturelle et culturelle à un moment donné.
La haute-montagne est ainsi un territoire dans lequel on retrouve des conditions qui exigent une intelligence constructive singulière imposée par la nécessité de l’économie des moyens et l’obligation de modestie face à un site particulièrement exigeant.
Se croisent : pratique de l’alpinisme, évolution des techniques et des matériaux, culture architecturale et constructive.
Le bâtiment qui découlera de cette réflexion restera, et ce dans la durée, le lien fort et indestructible qui relie la Nature à l’Homme. Et c’est encore plus vrai dans un lieu tel que la haute-montagne, où la Nature est partout et où chaque portion rapportée, ajoutée, modifiée, par l’Homme se remarque.
Ainsi, le paysage prend une place primordiale dans l’élaboration d’un refuge car il est parti de lui. En effet, la subtilité dans la conception de ce dernier est qu’un refuge doit être vu mais caché. Implanté dans les plus beaux endroits offrant de magnifiques paysages, il se doit d’être visible pour celui qui en aura besoin mais l’être trop signifierait que son emprise sur le paysage est trop importante. Le refuge doit être un repère, pas une destination, nous devons le voir à un moment donné pour qu’il réponde à sa fonction première d’abriter, de protéger, de servir à la survie des alpinistes. A contrario, nous devons aussitôt l’oublier ce qui 31
témoignerait de sa bonne intégration dans le paysage, puisqu’il ferait ainsi parti de lui.
Le montagnard construit sa maison avec une ténacité et un amour émouvant : il sait que quand il commence les travaux, il commence une lutte exténuante avec les éléments négatifs de la nature ; sa victoire est le fruit d’une grande passion et d’un respect muet des traditions.37 L’architecture des refuges repose ainsi sur deux problématiques principales : un soucis d’intégration et une maîtrise par une économie de moyens. On pourrait parler de principes constructifs. Et ces principes seraient définis par deux caractéristiques principales : une bonne implantation, et un bon emploi des matériaux.
L’une des caractéristiques la plus importante à prendre en compte lorsqu’il est question de construire en montagne est l’implantation du futur bâti. La situation existante nous soumet au respect devant certaines règles et observations faites au fur et à mesure de la montagne. Cela ne signifie pas s’empêcher d’intervenir, mais il s’agit de réaliser avec les choses que le site nous offre. L’action humaine révèle les possibilités d’un territoire. S’y implanter, c’est porter un regard nouveau sur ce qui est présent afin d’y intégrer un élément nouveau.
Qui dit montagne, dit pente. Les constructions sont alors obligées de s’adapter au relief du terrain très fragmenté. Néanmoins, on remarque une hiérarchie de l’édification et donc de l’implantation en fonction du terrain et des différentes activités.
Les zones où la pente est la moins raide et/ou le sol est de meilleure qualité est ainsi dédié aux cultures.
37
M. Cereghini, Costruire in Montagna, Milano, Edizioni del Milione, 1950, p.18
32
A chaque altitude sa propre implantation et sa propre activité. En basse altitude, lorsqu’il s’agit alors de villages traversés par les routes, les habitations sont alignées à celle-ci. Lorsque l’on gagne en altitude, les pentes augmentent et le climat change, on cherche alors à se protéger des vents et des intempéries. On retrouve alors souvent les façades pignons orientées face à la pente. Lorsque l’altitude et la pente sont très importants, les habitations se retrouvent alors souvent à même la pente, où le meilleur moyen de s’y ancrer est généralement de s’y adosser. Ainsi les contraintes du sol servent à la portée du bâtiment et limitent l’effort de l’Homme. C’est ce qu’il se passe dans la construction et donc dans l’implantation des refuges.
Les refuges sont alors construits sur des terrains extrêmes mais choisis comme étant des zones stables, abritées. Le refuge devant se situer sur la voie d’accès au sommet, le choix du terrain exact est limité mais se porte toute fois sur des critères non négligeables. Les contraintes climatiques et géo-morphologiques sont étudiées et permettent d’établir des sites de constructions où les vents, la déclivité, les risques d’avalanches, de glissement sont moindres.
Cette approche permet deux choses : d’un point de vue fonctionnel, elle permet de gérer les accès à différent niveaux et d’un point de vue de l’intégration elle affecte le moins possible le relief. En effet, bouleversant le moins possible la roche et le sol contre lesquels ces bâtiments viennent s’appuyer, ils répondent à l’attitude d’économie de moyen voulue au départ de ces constructions.
33
Je considère que je suis libre de choisir n’importe quel matériau. Tout dépend de la Nature de l’ouvrage, comme des exigences climatiques et du contact que l’homme aura avec le matériau. Je n’ai pas de préférence particulière, mais j’exige une chose : que le matériau soit adapté aux besoin de la construction.38
Un des premiers témoins de cette volonté d’architecture « traditionaliste et respectueuse » devant son site est l’utilisation de deux matériaux de construction. Leur emploi marque d’ailleurs différents tournants dans la construction de refuge que nous verrons ci-dessous.
D’une part, on retrouve dans les Alpes du Nord, en Haute-Savoie mais aussi en Suisse, en Autriche ou en Italie, due à sa présence à portée de main, le bois. Facilement transportable, et exploitable il est abondamment utilisé. Apprécié car il durcit et prend une teinte plus foncée en vieillissant, le mélèze est ainsi la matière première la plus utilisée dans ces constructions. Comme pour la pierre, différentes techniques d’emplois existent. La plus simple mais la plus présente en bois constitue en un empilage de madriers horizontaux assemblés aux angles de la bâtisse. Plus élaborée, une autre technique consiste à réaliser une charpente grâce à des poutres et poteaux contre lesquels viennent s’accoler des planches. On retrouve cette façon de faire essentiellement dans les granges car ce système permettait une bonne ventilation pour le foin grâce à leurs joints imparfaits.
D’autre part, lorsque la forêt se montre absente, la pierre prend alors le relai. Plus qu’une remplaçante, la montagne en regorge et les bâtisseurs relatent ses qualités d’application : débitée en ardoise, transformée en chaux ou en ciment, ou encore simplement empilée. Présente depuis le Moyen-Âge le long des grands axes39 de communication, elle est généralement ramassée sur place et assemblée comme pour les murs de soutènement. (Dans les constructions type
38
Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, éditions parenthèses, 2012, p.248
39
La route du Grand-St-Bernard qui a accueilli le premier refuge est l’ancienne route de Napoléon
34
chalet, cet empilement peut être consolidé à l’aide de mortier au niveau de la partie habitée.)
La toiture n’est alors plus la roche naturelle mais est remplacée par l’ardoise. Matériau très pur et provenant des mines naturelles dans la roche elle-même, l’ardoise répond bien aux besoins techniques, thermiques imposés par les conditions climatiques extrêmes. L’érosion ou le gel n’ont par exemple aucun impact sur elle.
Lorsque les forêts se font rares en haute altitude ou dans les alpages, la pierre est la plus utilisée. De même, lorsque cette dernière est rare ou en mauvais état, c’est le bois qui prédomine. Autrement, les choix techniques se font selon les préférences et exigences fonctionnelles et/ou culturelles. Cependant, il est commun et même recommandé d’associer les deux matériaux. En effet, les édifices tirent à profit d’être constitués au niveau inférieur ainsi que pour les fondations en pierre, tandis que le bois sert pour la charpente et la partie supérieure.
Inspiration du mouvement moderne
Au fur et à mesure, l’architecture alpine des refuges se démarque. On remarque alors que ni les ornements, ni une quelconque décorations superflues ne la compose. Sa qualité réside dans une simplicité et une sincérité de l’emploi des matériaux. Nul doute que l’architecture des premiers Hommes du métier datant du début XXè fut influencée par le mouvement moderne. En effet, la relation entre la construction et le paysage est très forte dans l’architecture moderne. Celle-ci reconnaît les qualités des sites de montagne et souhaite les épargner et les respecter. Certains points vus dans les exemples précédents permettent ainsi d’apercevoir l’inspiration du mouvement moderne sur l’architecture des refuges. En effet, le système structurel et les techniques de construction rappellent ceux simples, fonctionnels et rationnels du mouvement. Ici, comme chez les
35
modernes, « la simplicité indique le but »40 . Néanmoins sans pour avoir comme objectif de progresser, les refuges proposent une grande diversité d’approches techniques, formelles ou idéologiques en revenant toute fois à des lignes pures. Certaines figurent de ce mouvement se sont d’ailleurs démarquées pour leur intérêt prononcé de l’architecture alpine comme Adolf Loos qui écrit en 1913 Les règles pour celui qui construit en montagne41. Il tiendra d’ailleurs compte dans ses réalisations à la montagne des caractéristiques du site et tentera lui aussi de s’insérer dans ce milieu si singulier. De plus, pour les modernes comme pour les constructeurs montagnards, la topographie, le climat, les conditions géographiques, la nature et le paysage, sont des données importantes à prendre en considération pour la conception du projet en milieu alpin. La forme doit s’adapter au terrain et chercher une orientation solaire optimale afin de pouvoir exploiter et tirer parti au maximum de cette situation exceptionnelle.
L’histoire des refuges est toutefois complexe. Le refuge constitue une des constructions typiques et propres à la montagne au milieu des villages, villes de vallées, des stations de ski ou encore des belvédères. Il a une place singulière dans l'imaginaire de la montagne car il n'est pas originel ou obligatoire pour la vie et l'habitat de l'Homme. En effet, le refuge n'a pas vocation à habiter puisqu'il est installé à des altitudes élevées dans des sites hostiles, extrêmes aux caractéristiques naturelles que l'Homme ne pourrait subir tous les jours.
Le
refuge est bâti en site isolé, c'est-â-dire qu'il est sans voie d'accès carrossable. Les fonctions primaires des refuges liées à la pratique de l'alpinisme sont simples : "se mettre en sureté", "servir d'abri pour échapper à un danger » et leur architecture a à travers différents principes tenté d’y parvenir sans bousculer cet environnement et ces paysages. Le refuge renvoie ainsi à l’origine même de l’architecture et de la cabane primitive42 définie par Vitruve en l’an I avant J.-C.. Il considère alors que cet oeuvre née des mains de l’Homme reflète la maitrise du 40
41
42
LYON-CAEN Jean-François, Montagnes, Territoires d’Invention, ENSAG, 2003, p.87 In A. Loos, Ornement et crime, Paris, Ed. Payot et Rivages, 2003 DOUANGMANIIVAH Alain, La cabane primitive ou les origines de l’architecture, 2004
36
feu, le rassemblement en société et l’habitat en un même lieu. Fabriquée grâce à des troncs en bois posés sur les arbres, il définit la charpente comme élément essentiel qui crée l’espace unique. Le mythe de la cabane symbolise le dehors et le dedans comme le refuge au sein de l’immensité de la montagne. Le refuge ainsi tient une place unique dans l’identité de la montagne entre science, sport et culture.
Les différents types de refuges témoins de ces principes
A travers ces notions d’implantation et l’utilisation différente de deux matériaux, quatre types de refuge se distinguent durant une première période de construction s’étendant jusqu’en 1995. Celle-ci marque ainsi des découvertes techniques et aussi thermiques qu’on tente d’améliorer dès la fin du XIXè siècle. Le nombre limité de matériaux offre aux bâtisseurs une connaissance des lieux et des matériaux extrêmement précise qui leur permet de développer une architecture pérenne dans un environnement pourtant très complexe. Les abris sont au départ, le plus simple, le plus économique et compact possible. Le but principal est alors d’isoler du froid, le confort n’est pas une priorité.
S’agissant ici de s’insérer à la montagne et non pas de la dompter ou encore de la conquérir, ils réussissent à s’intégrer en optant pour des matériaux et des techniques constructives saines, locales, et adaptées à de telles conditions. Il est important d’adopter une attitude d’économie de moyen pour parvenir à de tels résultats. Ces constructions ont la particularité d’être réalisées par leur propre utilisateur, le montagnard quel qu’il soit. Ces réalisations sont effectivement le sujet d’architecture sans architecte. Ainsi le constructeur possède un rapport unique avec le lieu où il habite. La montagne puissante et imposante représente une partie à part entière de sa vie. Ce n’est donc pas par devoir mais par envie qu’il désire s’y insérer en harmonie, sans la déranger ou la corrompre. Il réussit alors à s’installer en partageant ses connaissances, son savoir-faire, son humilité aux ressources que lui offre la montagne.
37
La construction des premiers abris appelés communément « abri sous roche »43 reflète cette utilisation. Datant du milieu XVIIIè siècle, ils sont aménagés sur un replat naturel, prêt des éboulis rocheux, au pied des cirques glaciaires, ils sont souvent encastrés à même la roche qui devient alors la toiture. Un simple auvent fait d’un mur de pierres, ou d’une paroi en bois le closent. Ces abris hébergent les bergers et offrent un toit à toute personne qui en aurait besoin lors de sa traversée.
A quelques centaines de mètres plus bas apparaissent les refuges dits « maisons d’alpages reconverties »44 . L’abri s’aménage. Constituée d’une pièce unique, celle-ci se sépare permettant de distinguer l’espace pour cuisiner, de celui pour manger ou encore pour dormir. Celle-ci peut-être qualifiée de réplique de la maison de vallée car sa fonction est plus d’accueillir les récoltes que d’être un lieu de passage pour excurseurs. Elle associe très souvent le bois et la pierre.
Sont édifiés par le CAF45 mi XIXè, les refuges dits « tout-en-un »46 . Situé sur les axes des courses de montagne et sur les voies d’accès au sommet, ils sont construits en maçonnerie de pierres prises sur place ou en ossature bois enveloppées alors de bardage en planches de bois également. Pré-charpenté en atelier et apporté à dos d’Homme ou de bête en altitude, le bois demande plus de travail et d’énergie mais est plus apprécié pour ses qualités thermiques. Sa faible inertie permet de chauffer rapidement la pièce, tandis que la pierre reste humide et fraiche.
Situés à une altitude plus élevée et à proximité d’une
ressource en eau, le rôle de ces refuges est de protéger les usagers des conditions climatiques comme les avalanches, mais aussi de leur permettre de se restaurer, et de se reposer.
43
LYON-CAEN Jean-Francois, Refuge d'altitude, des architectures de l'extrême ?, La montagne exploitée, p.42
44
LYON-CAEN, Op .cit, p.38
45
cf Club Alpin Français
46
LYON-CAEN, Op .cit, p.38
38
Leur architecture répond à un plan simple mais toute fois systématique. Un plan rectangulaire de 5 mètres par 7 dessine une pièce. Chacun des quatre coins de celle-ci dessert une des fonctions nécessaires à la survie dans ces cas-là : manger, cuisiner, ranger et dormir. L’agencement traduit l’ambition de persévérer l’état d’esprit de vie collective. Ces refuges encore non gardés proposent en général entre dix et vingts couchages.
Fin XIXè siècle, la création de station villégiature ainsi que la construction d’hôtel en vallée entraine en altitude la conception de petits hôtels dans les lieux de passages tels que les cols ou les belvédères appelés les « Chalets-hôtel47 ». Ces refuges sont les premiers refuges gardés, et sont les premiers à être pourvus de plusieurs pièces. En effet, s’étalant sur plus de 100m2 répartis sur deux niveaux, ils disposent d’une entrée-sas, d’une vraie salle-à-manger et de dortoirs séparés. Ces refuges ont la particularité d’être les premiers à être conçue par les « hommes de l’art48 » : architectes, ingénieurs, et entrepreneurs. En effet, jusqu’à présent, les alpinistes, les bergers, ou encore les habitants réalisaient eux-mêmes ces constructions. Les premiers chantiers de ces édifices étaient réalisés à base de pierre maçonnée et couverts de matériaux industriels comme de la tôle ondulée. Néanmoins, l’abondance d’usagers se faisant sentir, on eut recours à une construction en charpente en bois jugée plus performante techniquement et des essais d’étanchéité en isolants industriels pour la toiture et les parois apparurent comme les rouleaux de bitume, les plaques d’isorel ou encore les feuilles d’aluminium.
47
LYON-CAEN, Op .cit, p.38
48
LYON-CAEN, Op .cit, p.38
39
exemple d’abri sous roche, Grotte Belleve du Comte Henry Russell, Vigemale, Hautes-Pyrénées, photo. Gérard Cayez
exemple de refuge d’alpage reconverti, Refuge de Furfande, Arvieux, Hautes-Alpes photo. inconnu 40
exemple refuge tout-en-un, Refuge Habert de la Pierre, 2050 mètres d’altitude, massif de Belledonne photo. inconnu
exemple de refuge chalet-hôtel, Refuge Robert Blanc, Beaufortain, Haute-Savoie, G.REY-MILLET, architecte AAM, 1978 41
Après la seconde Guerre Mondiale, l’attrait de la montagne ne fait que s’accroitre encore, et encore. Les alpinistes sont de plus en plus nombreux. Cet afflux associé aux évolutions techniques, matérielles et constructives entraine deux nouvelles façons de concevoir le refuge de haute altitude. En effet, il faut concevoir des refuges de plus grande capacité. Les plans acquièrent en rationalité alliant compacité et économie. Cette période sonne réellement le début des réalisations de refuges par des architectes et des ingénieurs et non plus par l’habitant montagnard.
Ainsi deux nouveaux types de refuges font leur apparition. Les refuges « héliportés »49 d’une part. Ils sont les premiers à introduire le béton dans leur construction. Parfois encore en pierre, les murs, les dalles, et les toitures sont quoiqu’il arrive coulés sur place. On achemine par câble les matériaux locaux comme les graviers, la pierre ou le sable. Les parois sont pourvues d’un bardage en appareillage de pierres. Une des grandes nouveautés est l’apparition d’ouvertures en façades. Comme si la fonction de refuge n’était plus seulement celle d’abriter mais qu’il fallait dorénavant aussi qu’il propose un certain confort, à commencer par le confort visuel. Les ouvertures appellent à contempler. Les charpentes sont fabriquées en ossature bois mais aussi en ossature métallique voire les deux. Préfabriquées en vallée, elles sont alors apportés par hélicoptère sur le site afin d’être montées sur place. C’est la première fois que l’on fait recours à ce type de moyens pour fabriquer des refuges.
49
LYON-CAEN, Op .cit, p.38
42
exemple de refuge hĂŠliporte, Refuge des Grands-Mulets, Mont-Blanc, Haute-Savoie, photographe inconnu, 1958
43
Les refuges « laboratoires »50 d’autre part. Ils apparaissent dans les années 1970 suite à la crise énergétique.51 Une prise de conscience « écologique » se fait alors sentir, et une nouvelle recherche en autonomie d’énergie prime dorénavant sur la conception. Les premiers installations se mettent en place : des panneaux solaires pour produire l’électricité qui permettra d’éclairer le refuge, de récupérer l’eau de la fonte des neiges et dans quelques cas aussi d’approvisionner en eau chaude et de chauffer l’ensemble. La recherche en confort amorcée par les types de refuges précédents devient alors une priorité. Il ne s’agit plus de survie mais de vie. Les refuges s’étendent sur plusieurs dizaines de m2, les espaces sont différenciés et partagés par chacun. Les refuges ne sont alors plus seulement des passeurs mais deviennent des rassembleurs. Ces refuges sont les témoins d’une nouvelle architecture « bioclimatique »52. Ils deviennent alors le terrain d’expérimentation à grande échelle tentant d’explorer de nouveaux dispositifs en matière d’énergie, d’écologie, notamment. Les constructions sont plus légères, les matériaux naturels et locaux comme le bois sont associés à des matériaux industriels et technologiques comme les panneaux métalliques par exemple. L’autonomie en énergie devient alors un élément de programme à part entière.
50
LYON-CAEN, Op .cit, p.38
51
Expliquer rapidement la crise
52
LYON-CAEN Jean-Francois, Refuge d'altitude, des architectures de l'extrême ?, La montagne exploitée, p.44
44
exemple de refuge paysage, Refuge des Conscrits, Mont-Blanc, Haute-Savoie, MULLER Gaston, 1997
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Le cas du refuge du Gouter
L’histoire du refuge du Goûter est intimement liée à l’histoire de l’alpinisme et du Mont-Blanc. Dernière halte possible avant le « Toit de l’Europe ».53
Comme raconté ci-dessus, les visionnaires et prétendants au « Toit de l’Europe » se multiplient. En 1913 sont recensés pas moins de 150 montées annuelles au départ de Chamonix via le refuge des Grands Mulets. Néanmoins, cette voie sera au fur et à mesure délaissée pour la Voie Normale. A tel point que cette dernière s’aménage et voit la naissance du premier tramway sur la massif. Construit de 1907 à 1914 le tramway du Mont-Blanc démarre de Saint-Gervais à 580 mètres d’altitudes et amène les passionnés jusqu’au glacier du Bionnassay à 2372 mètres d’altitude.
En 1936, la nouvelle affluence sur la voie convainc un guide de Saint-Gervais, Georges Orset, d’édifier un refuge en bois pour 30 personnes à l’emplacement de l’ancienne cabane de 1858. Nait alors le premier refuge pouvant accueillir plus d’une dizaine de personnes. Installé confortablement à raz de falaise, le refuge du Goûter est racheté puis réaménagé en 1942 par le Club Alpin Français. Une extension du refuge sera engagée 15 ans plus tard afin d’augmenter la capacité d’accueil du refuge. On passe alors à un total de 76 places. Cette extension sera la première intervention sur le refuge du Goûter par un architecte, Lederlin.
Les conditions climatiques et donc de chantier sont délicates, on compte au moins 15 jours de mauvais temps sur les deux mois et demi de travaux et ça sur les trois saisons qu’ont demandé la rénovation. Chacune d’entre-elles est précédée par une période de déneigement.
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Textes écrits par PATRIARCA Eliane, Le refuge du Goûter, éd. atelier ésope, 2012
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Répondant à l’évolution de l’architecture des refuges, l’agrandissement du refuge du Goûter s’inscrit dans les nouveaux refuges dits « refuges héliportés ». En effet, les conditions et le savoir-faire actuel entraine le choix d’un bâtiment en préfabriqué. Les matériaux sont légers, compact pour une faible prise au vent et héliportés. Implantée sur une plate-forme exiguë au bord du vide, sa forme s’intègre par sa petite taille, ses volumes modestes et simples. Ses lignes filantes rappellent les perspectives offertes par le site. L’extension débute quelques années avant la crise de 70, la priorité n’est alors pas encore dans l’autonomie énergétique. L’éclairage se fait au propane, le chauffage par circulation d’air chaud fourni par deux calorifères54 à fuel domestique. Ce système a pour avantage d’avoir un cout assez bas et de permettre l’assainissement de l’air, celui ci rentrant par un système de filtrage. La structure est entièrement doublée de bois. Cependant, le bardage en appareillage de pierre est abandonné au profit d’un bardage en inox. Apparaissent les premiers témoins d’un tournant dans l’architecture des refuges.
Inauguré en 1962, l’extension ne suffira pas, en 1990 sera ajoutée une annexe à l’emplacement de l’ancienne cabane de 1906. Le refuge compte alors 120 places. Son architecture ressemble en tout point à celle précédente. Préfabriqués en vallée, les éléments sont ensuite acheminés par hélicoptère.
Le massif du Mont-Blanc, prestigieux indépendant et indomptable laisse, au fil du temps, l’Homme s’installer. Environnement extrême, ses conditions climatiques, géographiques, topographiques imposent un respect, un engagement total. Le bâtisseur montagnard, quel qu’il soit, prétend alors construire en considérant son site de la meilleure façon qu’il soit. Visionnaire, et observateur, il bâtit au départ à l’instinct. Petit à petit, les gestes, les connaissances nécessaires sont approuvés ; l’instinct devient alors tradition. Elle appelle alors à construire de manière performante, rapide, simple, et pérenne. L’objectif dans ce type de conditions étant de réussir à allier une architecture
54
C’est-à-dire que les chaudières sont traversés par un courant électrique
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stable, solide, durable à un environnement changeant, imprévisible ; le résultat idéal devant mener à une architecture intégrée en tout point à son site.
Le refuge du Goûter de 1990, Mont-Blanc, Haute-Savoie, crédits photo : office de tourisme de Chamonix
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Les années 2000, une nouvelle modernité de l’architecture des refuges
Si il n’est plus un simple abri pour alpiniste, à quoi peut donc bien servir un refuge au XXIè siècle ? Quelle place nouvelle peut-il prendre dans la pratique et l’imaginaire montagnard ?55
Nous voulons rendre accessible au plus grand nombre une pratique autonome de la montagne. C’est ce projet qui guide notre politique des refuges à travers l’accueil de nouveau public et la promotion d’une culture de responsabilité.56
Nous n’irons pas chercher de nouveaux publics à n’importe quel prix et il n’est pas question de banaliser cet hébergement porteur de formes et de sociabilité différente.(…) 57
55
« Dossier Refuge », La Montagne et Alpinisme, Revue du Club Alpin Français, 2015, p.38-48
56
Georges Elzière, Président de la FFCAM
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« Dossier Refuge », La Montagne et Alpinisme, Revue du Club Alpin Français, 2015, p.38-48
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Affranchissement des traditions
Les sociétés évoluent et les années contemporaines correspondent à une société du tourisme où l’intérêt pour le milieu alpin connait un essor important. Cette évolution qui a engendré un développement des pratiques sportives hivernales et notamment de l'alpinisme mène la montagne à devoir accueillir de plus en en plus de personnes. Le milieu alpin n’est alors plus un monde caché de toute « la mondialisation » où cohabitent locaux et passionnés mais devient une production sociale, économique à la merci des promoteurs, des agences touristiques. Bon gré, mal gré, à tort ou à raison, le milieu alpin perd petit à petit son identité.
Les refuges deviennent une nouvelle conquête du milieu alpin. Les 8 millions d’euros débloqués58 du Plan tourisme 2006-2015 par le conseil général de HauteSavoie pour 19 rénovations de refuges, 2 créations en sont la preuve. Aujourd’hui, alors que les lois de la montagne n’ont pas changé, on observe que certaines attitudes contemporaines semblent rompre de plus en plus avec les principes ancestraux au profit d’une nouvelle technologie. Pourtant, les caractéristiques, les conditions quelles qu’elles soient, climatiques, géomorphologiques sont toujours les mêmes. La montagne reste un milieu hostile, fragile, et même dangereux pour l’Homme qu’il faut continuer de préserver.
L’arrivée des nouvelles technologies, à commencer par le pétrole, a donné son indépendance à l’Homme au regard de ses besoins en nourriture et en énergie. Le déplacement est alors plus simple, les moyens de transport se développent et les constructions s’étendent au détriment, malheureusement, trop souvent, de l’existant. Cette modernité en relation directe avec le développement du tourisme est une des causes principales de la nouvelle attitude adoptée dans l’architecture des refuges. Cette attitude est aussi intimement liée au fait que la conception d’un nouveau refuge n’est plus l’oeuvre d’un voire quelques habitants alpinistes, guides ou passionnés mais celle de l’association d’agences
58
Ibid.
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d’architectes, d’ingénieurs, de promoteurs et de la contribution de l’Etat. A eux maintenant de faire durer les traditions et le regard porté à cette architecture.
Il semblerait alors que les concepteurs des nouveaux refuges aient pour volonté principale d’intégrer cette nouvelle modernité au savoir-faire existant. Et ce à travers le respect de l’implantation, de l’utilisation des matériaux et la recherche en autonomie afin de répondre à des nouvelles interrogations sur le développement durable synonyme de respect de l’environnement.
Certes la qualité des prestations est importante. Mais le sens et l’authenticité de ce qui est vécu est primordial. Le refuge ne répond pas à une demande standard, mais à des besoins fondamentaux. Et l’âme du refuge découle certainement de trois caractéristiques : un hébergement collectif, un bâtiment minimaliste, un confort élémentaire. Il participe directement de l’acceptation d’une identité de la montagne en tant que milieu sauvage, exigeant du montagnard une démarche basée sur « la recherche d’autonomie dans une dynamique communautaire »59 . Ainsi le refuge est outil d’éducation à l’environnement.
Dans cette nouvelle image de promotion des refuges, les « concepteurs, propriétaires » se défendent de vouloir garder l’esprit du « vivre ensemble ».60 Pas de table de 2 ou 4, mais des repas collectif où tout le monde se retrouve autour d’une même table. De même, les chambres individuelles n’existent pas, seulement des dortoirs d’une dizaine de personnes. Cependant, il ne doit pas y avoir de « modèle » de refuges, chacun doit s’adapter à sa situation, son altitude, aux usagers qui le fréquentent. Construire un refuge c'est réinterpréter la relation entre l'Homme et la montagne.
L'hypothèse est lancée, le refuge serait devenu « un produit à promouvoir auprès d'une clientèle qui n'est pas exclusivement montagnarde ou alpiniste.»61 Il 59
Dossier Refuge, La Montagne et Alpinisme, Revue du Club Alpin Français, 2015, p.38-48
60
Ibidem.
61
Ibid.
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devient alors complexe de situer la fonction du refuge que les promoteurs aspirent à ouvrir à une clientèle touristique aisée. Vendant les mérites d’un cadre naturel exceptionnel, à l’ensoleillement maximal, ils sont soucieux de les placer dans un cadre prestigieux. Le refuge et son accès n'est plus réservé simplement aux alpinistes professionnels ou aguerris mais devient un lieu d'initiation, d'apprentissage, de découverte pour les nouveaux découvreurs de la montagne.
Cependant, certains spécialistes de l’architecture en montagne comme JeanFrançois LYON-CAEN restent prudents devant cette nouvelle attitude.62 Selon lui rien ne doit réduire les valeurs fondamentales des refuges qui sont « autonomie, réconfort et solidarité ».63 Il juge les refuges type « tout-en-un » constitué d’une seule pièce plus représentatifs de cet état d’esprit contrairement au nouveau refuge développant des plans plus complexes aux nombreux espaces. Il pense d’ailleurs nécessaire de qualifier les refuges comme lieu de réconfort et non pas de confort. En effet, la recherche de réconfort interroge l’ambiance et le ressenti au sein du refuge quand le confort est matériel et quantifiable.
Le refuge perd au fur et à mesure sa fonction première. Il n’est plus abri, il devient destination. Quand le montagnard tenait une attitude humble et modeste face à la montagne et ses paysages ; l’architecte des refuges modernes se vante d’adopter un parti pris se référant au paysage, suggérant l’imaginaire et s’intégrant aux représentations culturelles, au site, ainsi qu’aux constructions environnantes. Ces changements se traduisent dans l’architecture des nouveaux refuges. De cette prise de position découle deux nouveaux types de refuges.
62
« Dossier Refuge », La Montagne et Alpinisme, Revue du Club Alpin Français, 2015, p.38-48
63
Ibidem.
53
Les « refuges existants »64 d’une part. Il s’agit tout simplement de refuge existant qui doivent être rénovés pour répondre aux nouvelles normes d’hygiène, de sécurité, de confort. Les édifices devenant de réels équipements collectifs, ils subissent quelques règlementations les obligeant à procéder à une réhabilitation. Deux moyens sont observés : le premier est un projet de surélévation ou d’extension par mimétisme architectural et constructif, le seconde au contraire via une totale rupture de ce qu’il y a été fait précédemment. Ceci aboutissant à un résultat d’une volumétrie éclatée, dissociée souvent aménagés autour d’une terrasse ou d’une cour. Dans certains cas extrêmes, on démolit pour reconstruire selon les nouveaux critères d’exigences.
64
LYON-CAEN, Op .cit, p.38
54
Le refuge du Go没ter de 1990, Mont-Blanc, Haute-Savoie, photographe inconnu
55
Les « refuges paysage » d’autre part. Cette catégorie de refuges est la plus récente et décrit les refuges « derniers cris ». De gros moyens sont mis en place pour parvenir à leur réalisation. De nombreuses équipes d’architectes et d’ingénieur s’emparent alors des lieux et s’y installent. Prônant un parti architectural en rapport avec le site, les concepteurs et leur réponse architecturale se disent sensible aux exigences d’implantation, culturelles, fonctionnelles, imposées par la montagne et son histoire. La recherche conceptuelle propose différentes attitudes. Certains opteront pour une architecture du mimétisme quand d’autre privilégieront un édifice en tant que repère, signal. Se côtoient alors intégration et contraste.
56
Le refuge du Presset, Beaufortain, Haute-Savoie, photographe inconnu, 2013
57
58
Le cas de la Voie Normale : le refuge de la Tête Rousse et du Nid d’Aigle
Les années 2000 marquent une grande évolution sur la Voie Normale. En plus du refuge du Goûter, deux autres refuges sont construits. Ils tracent dorénavant la Voie Royale au départ de Saint-Gervais. Ensuite, on monte par le TMB (Tramway du Mont-Blanc) pour rejoindre le refuge du Nid d’Aigle. L’ascension débute alors en direction du refuge de Tête Rousse, puis passe par le dangereux couloir du Goûter afin de rejoindre le refuge du Goûter. Le parcours suit ensuite le Dôme du Goûter où l’on atteint le refuge Vallot et l’arête des Bosses.Chacun d’entre eux est bâti selon des considérations architecturales sincères répondant aux principes constructifs propres et adaptés.
Vue sur le Mont-Blanc, la Voie Normale, les quatre refuges, photographe inconnu, annotations personnelles
59
Refuge de la Tête Rousse _ 3167m d’altitude _ 2002-2004
La construction de ce refuge s’inscrit également dans un contexte où le site impose ses lois et où les concepteurs se doivent de respecter certaines conditions strictes. Le nom du refuge provient d’ailleurs de la couleur « rouille » des pierres du site qui s’y accumulent. Les concepteurs ont voulu faire preuve d’une sensibilité singulière que l’on remarque en observant la vulnérabilité du refuge par rapport au paysage qui l’entoure.
Son architecture est guidée par la nécessaire association de la maitrise des contraintes techniques et économiques avec une recherche d’expression qui soit propre à ce milieu. Ainsi la forme du bâtiment est imposée par la recherche d’une installation optimale tout en tenant compte de l’aptitude du sol à le recevoir. Les constructeurs ont ici pris le parti de construire en bois car il dispose deux avantages non négligeable : facile pour l’hélitreuillage, pour le montage ainsi que pour les retouches manuelles sur place d’une part, offre un meilleur confort thermique d’autre part. Des capteurs solaires alimentent le refuge, l’inox est utilisé ici aussi comme enveloppe dans les zones couvertes par la neige. Ce refuge se veut construit pour répondre à un soucis d’intégration et de maitrise des moyens.
60
Le refuge de la TĂŞte Rousse, Mont-Blanc, Haute-Savoie, ALKEMA Olly, 2015
61
Refuge du Nid d’Aigle _ 2372m d’altitude _ 2005-2006
Situé aux portes de la Haute-Montagne, aux abords du glacier de Bionnassay, ce refuge est le plus facile d’accès et le dernier lieu proche de la civilisation avant de s’avancer dans l’immensité et le vide montagnard. Le programme du refuge du Nid d’Aigle est celui d’un lieu destiné aux alpinistes qui se lancent à la conquête du Mont-Blanc. Son accès facile n’enlève en rien sa définition de construction de haute-montagne. Son installation dans le site est guidée par la recherche du meilleur compromis entre sécurité, discrétion et agrément.
Pour décrire rapidement son architecture, le Nid d’Aigle a sa face arrière ancré dans la pierre. Le long mur courbe est destiné à protéger la construction des avalanches. Il s’agit de la seule partie construite en maçonnerie. Le reste de l’édifice est essentiellement en structure bois. Le bois a été choisi en structure et en parement pour deux raisons : facilité de construction et d’hélitreuillage, et intégration paysagère de qualité. D’autre part, on retrouve dès cet altitude une recherche innovatrice dans la volonté de consommer le moins d’énergie possible et de répondre aux exigences du développement durable. Ainsi on mise sur un confort thermique le plus économe possible grâce à l’installation de capteurs solaires, de panneaux photovoltaïques. Le refuge possède aussi sa propre gestion des déchets ainsi qu’un récupérateur des eaux de pluie.
Ce refuge allie architecture technique et technologique s’inscrivant dans la période desdits « refuge laboratoire » de haute montagne et architecture domestique : volume simple, habillage en pierres issues du site, bardage en bois non traité, couverture en cuivre et offre un magnifique panorama sur la chaine de montagnes. 62
Le refuge du Nid d’Aigle, Saint-Gervais, Haute-Savoie, photographe inconnu
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Vue sur le refuge du Go没ter, P..Tournaire, 2014
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Le cas de la Voie Normale : le nouveau refuge du Goûter, un Lego XXL65
Réaliser tout là-haut un bâtiment en bois, une vitrine des technologies de construction les plus en pointe mais aussi les plus « vertes ». Un modèle en terme d’empreintes technologiques.66
Les réels changements s’effectuent néanmoins avec la construction du nouveau refuge du Goûter. En effet, l’ancien refuge est jugé « trop étroit », les normes de sécurité et d’hygiène sont dépassées : certains dorment allongés sur le sol, d’autres plantent des tentes et laissent les déchets sur le glacier … L’ensemble est sur-fréquenté et trop vétuste. Le hall est trop obscur, pas aéré, le refuge est devenu une usine. A la suite de ces constations sont lancées en 2004 des discussions sur la rénovation du refuge. Finalement le site jugé trop instable ne sera pas réutilisé et on y préfèrera un autre situé 200 mètres plus haut au sud-est. L’aile du refuge datant de 1962 est alors démontée, et chaque élément est rapatrié par hélicoptère dans la vallée. L’annexe de 1990 sera conservée en tant que refuge d’hiver non gardé et pourra ainsi servir d’abri de sécurité.
Situé à 3835m2 d’altitude, sur l’itinéraire le plus fréquenté par les alpinistes, la légendaire Voie Royale, le nouveau refuge du Goûter est construit par la FFCAM67 en 2012 par l’association du cabinet d’architectes Christophe de Laage et le groupe H et de nombreuses autres entreprises de constructions, passionnées de la montagne.
65
PATRIARCA Eliane, Le refuge du Goûter, éd. atelier ésope, 2012
66
Ibidem.
67
Pour rappel, il s’agit de la nouvelle appellation du Club Alpin Français, propriétaire du refuge
65
Il aura fallu 6 années d’études pour la conception du projet avant le début des travaux Les travaux débutent en 2010 et dureront deux années entières. 3 saisons, 5 mois par an. La saison estivale permet la pose et l’avancée du montage quand la saison hivernale rend l’accès au chantier impossible mais durant laquelle seront préfabriquées toutes les pièces. L’hiver, le chantier est alors recouvert d’une nappe de goudron pour le protéger des intempéries et des températures destructrices.
Construit en remplacement de l’ancien refuge, son évolution est incontestablement marquée par l’évolution de son fonctionnement technique, technologique qui entraine logiquement une évolution formelle et fonctionnelle. Le refuge du Goûter est un des plus récents et représente l’exemple type du refuge dernier cri.
Les volontés de cette nouvelle construction sont, selon les concepteurs, de s’insérer encore plus dans un respect de l’environnement en réduisant l’impact environnemental du bâtiment à toutes les étapes du projet. L’objectif est la naissance d’un havre écologique sur le modèle de la cabane du Mont-Rose en Suisse.68 Cependant, les contraintes ne sont pas les mêmes et la réalisation du refuge du Goûter se révèle encore plus délicate. Se situant 1000 mètres plus haut, les températures diffèrent en moyenne de presque 10 degrés, et obligeront les concepteurs à user de nouvelles méthodes. Et ce grâce à un ensemble de dispositifs répondant aux exigences d’une construction passive et intégrant le développement durable. Le refuge se veut conçu pour fonctionner en totale autonomie grâce à la gestion maximale des ressources et des énergies disponibles. L’équation est la suivante : réunir une fréquentation intensive, au respect de l’environnement et à la construction d’un bâtiment à 3835 mètres d’altitude.
Situé à Zermatt en Suisse, la cabane du Mont-Rose est le premier refuge à prendre en considération les nouvelles technologies pour faire du refuge un lieu de respect environnemental. 68
66
Son implantation
Le refuge est exactement situé à 1000 mètres au-dessous du sommet du MontBlanc, 200 mètres en amont sur la face Ouest de l’Aiguille du Goûter, en contrebas de la crête neigeuse. Sa position extrême en bord de falaise préméditait d’ors et déjà la difficulté d’implantation dans le site. Pour enfouir les fondations, deux plates-formes ont du être dégagées pour lesquelles il a fallu casser une partie de la roche. Ainsi construites sous une épaisseur de 8 mètres de sol instable où se trouve le permafrost. Cette roche a une température se maintenant en dessous de 0° permettant d’envisager un ancrage stable et durable. 69 pieux composent ces fondations. Il s’agit de tubes métalliques autour desquels est coulé du ciment. Le béton injecté autour sert à consolider le tout et boucher les éventuels trous laissés par l’eau qui aurait pu geler ou stagner.
Vue sur les fondations du refuge, Mont-Blanc, Haute-Savoie, photographe inconnu
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Sa forme
Les concepteurs ont opté pour une forme innovatrice unique et millimétrée. Il s’agit d’une forme ovoïde évoquant un vaisseau futuriste. Le refuge du Vélan, dans le Valais en Suisse avait 60 ans plus tôt proposé une forme similaire en « lentille » épousant le fil de l’arête permettant ainsi une meilleure intégration et offrant une grande compacité, et une bonne résistance aux pressions du vent.
Les températures peuvent atteindre -40°, les vents une vitesse de 240 km/h, cette géométrie aérodynamique est la plus adaptée pour y faire face. Ainsi, elle offre une résistance moindre aux vents contrairement aux formes parallélépipédiques antérieures. La neige virevolte autour et la forme évite que celle-ci s’accumule sur l’ensemble du bâtiment mais seulement sur la partie arrière.
L’édifice est construit sur quatre étages d’environ 180m2 chacun. Niveau 0 : Entrée, vestiaires, locaux techniques Niveau 1 : Salle de restaurant panoramique + cuisines Niveau 2 et 3 : Dortoirs plus logements pour gardiens au 2ème niveau 120 couchages au total.
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Plans, et coupe tirés, Deca-Laage architectes, Groupe H, Textes écrits par PATRIARCA
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Sa matérialité
La structure est entièrement en bois lamellé-collé. Le bois choisi est du mélèze et de l’épicéa de la vallée de Saint-Gervais, donc du bois local, plus du pin douglas, très résistant aux intempéries, servant ainsi de dalle de base au-dessus des fondations. Faute de disponibilité sur place, ce bois a été récupéré dans les Vosges. La charpente, accrochée au plancher de base est constituée d’une structure porteuse à poteaux, poutres et contreventements. Une structure secondaire périphérique ceinture chaque dalle d’étage et est composée de poutres cintrées. Les poutres faitières et intermédiaires, également cintrées, constituent la structure du toit. Des panneaux de bois fins encerclent le tout, prêt à accueillir l’enveloppe.
L’enveloppe extérieure est composée de pièces en inox : Le plan en ellipse de bâtiment a permis un découpage de l’enveloppe en 32 facettes égales par niveaux, soit 128 au total. Délimitées par des joints creux, elles génèrent une façade continue, sans aspérité, ne formant aucun obstacle au vent. Les différents panneaux sont posés étage par étage simultanément en plusieurs points afin d’avoir le moins d’erreurs ou décalages dus à la forme, possible.
L’isolation des façades et de la toiture est en panneaux de fibre de bois recyclée permettant d’accumuler de la chaleur la journée pour la restituer la nuit.
A l'intérieur, une atmosphère apaisante : tout le mobilier est en bois clair non verni et le sol en parquet stratifié. L'éclairage est minutieusement organisé et dosé pour favoriser une ambiance chaleureuse.
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Ses dispositifs techniques, énergétiques, thermiques
Les dispositifs mis en place pour la fonctionnement de l’édifice sont nombreux ont donc été pensé pour répondre aux hautes qualités environnementales. Inspirantes, innovatrices, à la pointe de la technologie, leur installation à une telle altitude relève d’une extrême maitrise.
• Capteurs solaires en toiture L’alimentation en énergie du bâtiment est assurée par des capteurs solaires. Ils produisent ainsi l’électricité, le chauffage, l’eau chaude sanitaire et font fonctionner le fondoir. Ils assurent le bâtiment en électricité, chauffage et eau.
Une alimentation de secours est garantie par appoint énergétique par cogénération biomasse, les jours sans soleil. Elle est fournie en huile de colza plus fuel, et via le gaz pour la cuisine. Elle est d’ailleurs la seule pièce utilisant de l’énergie fossile.
• Fondoir à neige La neige accumulée sur la partie arrière de l’oeuf est réceptionnée dans un réceptacle en feuille d’inox chauffées grâce aux capteurs solaires en toiture. La plaque fait 60m2, l’eau récupérée est stockée dans de grands réservoirs. Celle-ci est ensuite transférée au moyen d’une pompe et d’un système antigel dans un circuit relié à l’édifice.
• Panneaux photovoltaïques posés en façade et 70m2 sur la falaise
• Centrale de ventilation à double flux à haut rendement Elle récupère les calories de l’air intérieur pour chauffer l’air neuf, tout en éliminant les odeurs.
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• Toilettes humides à aspiration sous vide Les WC répondent ainsi à un système avec une centrale d'épuration interne qui assure la gestion des effluents sans impact polluant sur le milieu. Ce principe est le même que celui employé dans les sous-marins. Le système d’aspiration divise par 5 la quantité d’eau utilisée, qui sera recyclée dans les chasses. Les autres eaux usées provenant des lavabos et éviers subiront un traitement biologique et une filtration membranaire avant d’être rejetées dans la nature.
Enfin, un tri sélectif de l'ensemble des déchets et leur réduction sont mis en place pour limiter l'encombrement et le nombre d'évacuations héliportées.
L’autonomie énergétique est alors quasi-totale. Un bilan carbone calculé par la société Aldebo Energie, installée au Bourget-du-Lac, a montré que jusqu’en 2062 le bâtiment devrait rejeter 527 tonnes équivalent carbone seulement. A titre de comparaison cela représente moins qu’une famille de 4 personnes qui rejette environ 17 tonnes de carbone par an, soit 850 tonnes carbone en 50 ans.
Un tel projet demande une très bonne organisation mais ne laisse pas beaucoup de marges de choix dans la manière de procéder. Ainsi la seule manière viable est de préfabriqué les éléments en vallées et de les acheminés au moyen d’héliportage. Ainsi sur le site, il ne reste seulement qu’à assembler, visser, boulonner les différents éléments entre eux comme un mécano géant. Par exemple : la charpente, prémontée à Annecy, sont ensuite véhiculés jusqu’à Bionnassay et héliportés jusqu’au chantier.
La construction du refuge cache ainsi une stratégie de légèreté employée à différents niveaux. On utilise des tiges encollées, scellées à la résine de bois pour limiter vis, écrous et réduire le poids. On constitue des planches bois en caissons creux auto-portants diminuant de 30% le poids par rapport à des madriers pleins. Etc. Ces « astuces » constructives ont permis de réduire de 30% les rotations d’hélicoptères et ainsi les émissions de gaz à effets de serre.
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La complexité d’un tel projet réside en différents points. Les contraintes climatiques par exemple imposent le rythme des travaux et gèlent parfois leur avancée, au sens propre comme au sens figuré. Elles empêchent par exemple le bon emploi de certains matériaux qui glacent sous les 10 degrés comme les plaques métalliques de l’enveloppe.
Les constructeurs en sont conscients et reconnaissent sans mal qu’il faut adopter une attitude très modeste face à ce lieu qu’ils sont en train d’aménager. Il faut apprendre à être humble : ne pas courir, aller plus lentement, résister au froid, au vent, à la neige qui oblige à travailler sous bâche.69 Tous passionnés, curieux, l’expérience de ce chantier est une grande première pour la plus part d’entre eux et restera à jamais un très beau souvenir.
Ce refuge du Goûter représente ainsi mieux que n’importe lequel les nouveaux désirs en matière de construction de refuges. A la pointe de la technologie, il tente de répondre aux attentes en matière de développement durable, d’autonomie énergétique et haute qualité environnementale. Le challenge semble réussi, sur le chantier l’efficacité des différents systèmes est remarqué : l’isolation par fibre de bois fonctionne, inutile de chauffer l’édifice durant les travaux, l’isolement phonique également, les bruits extérieurs comme les frottements des vents violents ne pénètrent pas à l’intérieur.
En reprenant les principes constructifs initiaux des refuges, à savoir « construire dans un soucis d’intégration et une maitrise des moyens », le résultat est discutable. L’enveloppe extérieure, miroitante laissent les facettes s’éclairer alternativement, au rythme de l’avancée du soleil. La bâtiment entier reflète alors la montagne, ses horizons lui permettant de s’immiscer dans ce paysage exceptionnel. Qualifié par certains « d’immeuble de quatre étages »70 , il reste tout de même difficile d’imaginer qu’il s’intègre si bien répondant au « caché mais oublié » du rôle d’un refuge. 69
Bernard Bottelier, Chef de chantier, guide du Grand Massif
70
GERMAIN Bernard, Le nouveau refuge du Goûter, TF1 Antennes, Rhône-Alpes, Haute-Savoie, 2013
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Néanmoins, on retrouve dans les volontés constructives des respects et des rappels à la tradition comme l’emploi de matériaux locaux.
Limites de cette modernité
Pour l’analyse de constructions de refuge dans ce territoire, il est judicieux de prendre en compte deux points de vues : celui du concepteur/exécuteur et celui de l’observateur/utilisateur. En effet, l’un ne va pas sans l’autre, il est primordial que la fonction de l’édifice que justifie les concepteurs, le soit au regard de ses utilisateurs. J’ai mené une enquête71 via un questionnaire adressé à des connaissances. Tous72 sont alpinistes, amateurs ou professionnels et ont au moins une fois gravis le Mont-Blanc..
L’enquête est basée sur un questionnaire interrogeant les rôles d’un refuge, l’inscription de l’ancien refuge et du nouveau dans ceux-ci ainsi que les attentes au regard du respect de l’environnement, de l’inscription dans le paysage a été posé à différents usagers, alpinistes amateurs et professionnels. Chacun porte une relation avec la haute-montagne propre, y exécutant des excursions à des fréquences différentes. Pourtant, leur attente en terme de fonctionnement ou d’intégration par exemple sont généralement les mêmes, l’enquête a donc été révélatrice de certaines limites de ce type de construction.
Reviennent alors pour les fonctions d’un refuge, unanimement « porter secours et assistance, offrir un toit, sécurité, hébergement, conseil, convivialité ». Lorsque la question de l’intégration d’un refuge dans le paysage est posée, Audrey73, alpiniste amatrice évoque l’importance qu’il doit être visible de loin
71
Le questionnaire est à retrouver en annexe.
N’ayant pas demandé l’autorisation de les citer par leur nom de famille, je les appèlerai par leur prénom par soucis d’anonymat. 72
73
Audrey, une amie alpiniste amatrice nous répond. cf questionnaire en annexe
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mais inséré dans le paysage. Luc74 , alpiniste professionnel est clair, le refuge doit répondre à des qualités au regard de « l’isolation, de la chaleur, de l’esthétique, de la sécurité et du respect de l’environnement ». On retrouve alors les attentes auxquelles ont tenté de répondre les concepteurs du refuge. Christophe75 , alpiniste amateur également, parle lui de durabilité et d’autonomie. Il est alors certain qu’une certaine sensibilité à l’égard du respect de la nature touche les principaux utilisateurs de ces habitats extrêmes. Audrey et son père qui se sont rendus tous deux dans l’ancien refuge jugent qu’il était « plus discret et mieux intégré dans la montagne » et regrette un peu l’esthétique du nouveau le qualifiant de « station spatiale ». Luc relate aussi l’empreinte visuelle très forte de ce dernier. Tous s’accordent pour dire que ce dernier est trop visible dans le paysage et ce même de loin.
En outre, quand certains sont ravis de la prouesse technologique réalisée par les concepteurs du projet, d’autres remettent en cause certains systèmes et dénoncent un manque d’isolation phonique dans les chambres, des toilettes trop souvent défectueuses, des espaces intérieurs victimes de la forme extérieure où la place se perd, et estiment l’espace dévolu au systèmes de retraitement des déchets trop importants.
A la question « cette ultra-technologie ne serait-elle pas défavorable au refuge ? » les réponses divergent. Certains estiment que non, cela est bénéfique car cela va dans le sens de la durabilité mais sous-mettent qu’au moindre dysfonctionnement, l’ensemble de l’édifice et les personnes présentes en seraient paralysés … Les alpinistes professionnels sont plus sévères et affirment que toute cette technologie est défavorable au bon fonctionnement et à l’âme du refuge citant par exemple le nombre trop important de rotation d’hélicoptère synonyme selon d’une trop grande complexité de systèmes. Comme le dit Luc
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Luc, guide et alpiniste professionnel de Chamonix nous répond. cf questionnaire
Christophe, responsable de l’Ecole de Ski du SUAPS à Strasbourg, alpiniste amateur nous répond. cf questionnaire. 75
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« Cela va dans le bon sens mais à trop vouloir bien faire parfois on se trompe … ».
Ces remises en question sur la relation entre architecture et environnement avaient déjà été posé au XXè siècle par Reyner Banham, historien, dans son livre L’architecture de l’environnement bien tempéré.76 Il ne considère alors pas l’environnement comme l’espace naturel qui nous entoure mais comme un « horizon artificialisé, domestiqué par la technologie (…). » Les technologies intérieures des édifices qui offrent à l’usager chauffage, confort thermique, éclairage électrique etc sont pour lui des techniques de régulation mécanisée de l’environnement. Il parle alors de « technologies environnementales » qui perturbent totalement la relation entre l’architecture et l’environnement selon la définition qu’on en a. Ces technologies visant à « tempérer » l’environnement renvoient à trois différents modes : conservatif, sélectif et régénératif. Les deux premiers sont compatibles et impliquent l’isolation de l’architecture dans son intérieure, la régulation de son climat grâce à différents dispositifs comme les volets. Les refuges jusqu’au XIXè siècle s’inscrivaient alors dans ces modes. Le troisième mode cependant concerne celui du refuge du Goûter et un fonctionnement qui ne se fait que plus qu’à travers une machinerie de pointe. C’est en cela qu’on se demande comment répondre aux interrogations originelles de Montagne naturelle, d’architecture intégrée. Les mises en garde de Banham contre l’artificialisation peuvent alors se mettre en rapport avec l’idée de montagne conquise et apprivoisé au regard de constructions comme celles des refuges.
Le refuge perd ainsi sa notion de repère au profit d’une nouvelle fonction en tant que destination. Les technologies et l’architecture qui le caractérisent en font un modèle que les personnes veulent observer. D’autant plus que ces espaces de vie lui confère une possibilité d’habitat qui n’existait justement pas auparavant et qui tend à émerger au profit d’une notion de survie et d’abri caractéristique du refuge originel.
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BANHAM Reyner, L’architecture de l’environnement bien tempéré, restitution, 2011
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Conclusion Il ne s’agit pas (…) de protéger la nature, mais plutôt de continuer à construire et de réparer ce qui existe en se laissant guider par un sens aigu du beau, de manière à ce que non seulement nos édifices eux-mêmes répondent à certaines normes esthétiques, mais aussi qu’ils s’intègrent naturellement dans le paysage et en fassent ressortir les lignes.77
Cette étude m’a permis de découvrir une architecture qui m’était inconnue, celle des refuges. Tout au long de ce travail, nous avons développé un intérêt pour la définition de cette architecture, son évolution, ainsi que son inscription dans le paysage. A la quête de la simplicité, cette architecture s’inscrit dans une attitude de respect de l’environnement, un soucis d’intégration et une économie de moyens. Différents dispositifs sont alors mis en place pour y répondre. L’Homme se sert alors des ressources offertes par la montagne pour édifier son refuge. Le bois, la pierre, l’ardoise. Il use de différents moyens pour implanter son édifice de la manière la plus légère et la moins envahissante qui soit. Ces connaissances du milieu, des matériaux lui permettent d’aboutir à un résultat de refuges intégrés dans leur paysage, fonctionnels et attentifs aux besoins primaires de ces usagers.
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Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, éditions parenthèses, 2012, p.21
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Le milieu alpin, et la haute-montagne notamment ont cependant été les premières « victimes » de l’évolution de la société et de l’essor du tourisme. Il a alors fallu s’adapter, et aménager de nouveaux refuges pour une nouvelle clientèle toujours plus nombreuse. Le refuge du Goûter marque en tout point ces évolutions. Construit sur la Voie Normale, voie principale d’accès au Mont-Blanc, il a d’abord été un simple abri, une petite cabane pour les premiers téméraires. Au fil des siècles, il s’est transformé, agrandi, déplacé pour devenir aujourd’hui un édifice moderne, innovant, hors-norme. En effet, nous avons montré que le nouveau refuge du Goûter a voulu répondre à une nouvelle architecture des refuge, abandonnant certaines traditions et simplicité constructives au profit d’une modernité pas toujours contrôlée. Cette attitude et ultra-technologie est alors justifiée pour garantir le respect des hautes qualités environnementales, répondre au développement durable en assurant une autonomie énergétique. Aujourd’hui on parle alors d’architecture bioclimatique ou encore de « technologies environnementales »78 . Les concepteurs l’ont affirmé, leur objectif était de réunir une grande capacité humaine à une haute altitude dans un respect de l’environnement certain. Cependant, cette construction tend à confondre respect de l’environnement et intégration dans le paysage, qui est le principe premier et irréfutable dans l’édification d’un refuge et ce depuis des siècles. Nous avons pu toute fois observer les attentions portées à cette insertion. En effet, de part sa volumétrie, son implantation et la recherche en ressources locales, le refuge du Goûter souhaite prospérer dans ce savoir-faire traditionnel. Mais l’association et l’apport d’une toute nouvelle modernité court-circuite ces principes originels.
Nous arrivons peut-être dans une période où il faut revoir certains principes et trouver un moyen de faire des concessions. Parce que « trop de technologies tue la technologie ». Il devient alors difficile de parler d’insertion paysagère ou de relation à la Nature quand tout le fonctionnement d’un bâtiment ne tient qu’à des dispositifs électriques, énergétiques, technologiques.
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BAHMAN Reyner, L’architecture de l’environnement bien tempéré, restitution, 2011
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Vue sur le refuge du Goûter et l’Aiguille du Bionnassay, Mont-Blanc, Haute-Savoie
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Refuge du Gouter entre modernité et respect de l'environnement
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Refuge du Gouter entre modernité et respect de l'environnement Pour m'aider à rédiger un mémoire sur le refuge du Gouter, voici un petit questionnaire qui ne vous prendra que quelques minutes de votre temps mais qui me sera d'une aide précieuse dans l'analyse de ce refuge que je n'ai pu visité moi même. Je vous remercie d'avance pour le temps que vous me consacrez. Bonne lecture !
1. Pour commencer, vous qualifieriez-vous : Mark only one oval. D'alpiniste professionel D'alpiniste amateur Touriste curieux et aventurier Architectes Other: 2. A quelle fréquence faites-vous des excursions en haute-altitude ? (En fonction des saisons bien entendu ... ) Mark only one oval. Une fois par an ou moins Une fois par trimestre Une fois par mois Plus d'une fois par mois 3. A quelle fréquence empruntez vous ou avez emprunté la voie normale qui mène au Mont-Blanc ? Mark only one oval. 10 fois ou plus Moins de 10 fois 4. Quand était-ce la dernière fois ?
https://docs.google.com/forms/d/1EsWkbxSgb_zY6s2bK36Ya8QtQRj4m54Bbm-k2cHdMWc/printform
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Refuge du Gouter entre modernit茅 et respect de l'environnement
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5. Lors de l'une de ces excursions, avez-vous log茅 au refuge du Gouter ? Si oui, lequel ? L'ancien, le nouveau ou les deux ?
6. Selon vous, quel est (quels sont) le(s) r么le(s) d'un refuge ? En terme d'usage et de fonctionnement pour les usagers.
7. Selon vous, quel est (quels sont) le(s) r么le(s) d'un refuge ? Au regard de son architecture, sa construction et donc son insertion dans la montagne.
8. Pensez-vous que l'ancien refuge du Gouter respectait cela ? Oui, non, pourquoi ?
https://docs.google.com/forms/d/1EsWkbxSgb_zY6s2bK36Ya8QtQRj4m54Bbm-k2cHdMWc/printform
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9. Pensez vous que le nouveau refuge respecte cela ? Oui, non, pourquoi ? (Si vous n'y êtes pas allés mais que vous avez quand même des choses à dire, votre avis m'intéresse aussi ! )
10. Pensez vous que le nouveau refuge du Gouter à travers sa nouvelle architecture et donc sa nouvelle technologie corresponde mieux à ce que l'on attend d'un refuge ? Oui, non, pourquoi ?
11. Pensez-vous qu'il s'intègre aussi bien au paysage et respecte aussi bien l'environnement qu'il le prétend ?
12. Cette ultra-technologie ne lui serait-elle pas défavorable ? Oui, non, pourquoi ?
https://docs.google.com/forms/d/1EsWkbxSgb_zY6s2bK36Ya8QtQRj4m54Bbm-k2cHdMWc/printform
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13. Tout simplement, pensez-vous que le nouveau refuge fonctionne aussi bien qu'il le suggère ? Oui, non, pourquoi ?
14. La pratique de l'alpinisme évolue et s'ouvre de plus en plus. Pensez-vous qu'une telle architecture est bénéfique à cet essor ?
15. Pensez-vous que les intentions originelles de la construction de refuge sont toujours présentes ou sont elles abandonnées au profit d'autres critères (touristiques, politiques, financiers par exemple) ?
16. En comparaison avec les refuges du Nid d'Aigle et de la Tête Rousse, trouvez-vous que ces refuges s'intègrent mieux ou moins bien à leur environnement ? Et au regard de leur fonction ?
Les réponses sont à lire à cette adresse : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1U-jViiYHgKkEoa-IR-H05s0Qi2lcL42tnpt110Ha3tE/ edit#gid=1960367747
https://docs.google.com/forms/d/1EsWkbxSgb_zY6s2bK36Ya8QtQRj4m54Bbm-k2cHdMWc/printform
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