ESSAI (PROJET) - RÉSERVE CULTURELLE DE PATRIMOINE RÉGIONAL

Page 1

RÉSERVE CULTURELLE DE PATRIMOINE RÉGIONAL Revitalisation du noyau institutionnel moderne de Saint-Marc de Bagotville, Saguenay

Essai (projet) soumis en vue de l’obtention du grade M. Arch

JONATHAN LEVESQUE

Supervisé par Tania Martin, professeure titulaire École d’architecture de l’Université Laval 2017


ii


RÉSUMÉ

Cet essai (projet) s’intéresse à la requalification des bâtiments d’architecture moderne comme moyen de favoriser leur sauvegarde et la reconnaissance de leurs valeurs patrimoniales nouvellement acquises. Par la revitalisation du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville, il vise à mettre en place une « réserve culturelle », définie comme lieu de diffusion et d’histoire au sujet du patrimoine identitaire de la région, ou plus concrètement, d’un centre d’archives et d’une bibliothèque. Le projet investit les bâtiments existants du site dans le but d’éveiller l’intérêt de la population pour certains bâtiments dont la survie est en péril : les bâtiments d’architecture moderne. Afin de consolider l’existant, de nouvelles constructions prennent place sur le site afin de restaurer l’utilisation du lieu, notamment par l’ajout d’un programme permettant une fréquentation accrue des lieux. L’essai (projet) questionne de quelles manières le rationalisme des espaces de l’architecture moderne permet d’en faire des lieux contemporains et malléables en contact avec la culture et le patrimoine. L’hypothèse de recherchecréation est que l’intégration de nouvelles fonctions compatibles avec l’aspect formel des bâtiments permettra une appréciation du lieu améliorée, davantage qu’avec les usages « opportunistes » actuels, c’est-à-dire qui occupent les bâtiments seulement parce qu’ils ont été disponibles à un moment où ces usages avaient besoin de locaux, mais qui ne tirent pas profit des qualités architecturales des bâtiments modernes, ni même de leur agglomération en un ensemble dans le cas présent. Ainsi, l’essai (projet) a pour mission de démontrer le potentiel d’adaptabilité de l’architecture moderne à des vocations contemporaines permettant la reconnaissance des qualités des bâtiments modernes grâce à de nouveaux usages en adéquation avec leur forme.

i


ENCADREMENT

Superviseure de l’essai (projet) TANIA MARTIN Professeure titulaire, École d’architecture de l’Université Laval

Membres du Jury TANIA MARTIN Superviseure de l’essai (projet) Professeure titulaire, École d’architecture de l’Université Laval

PIERRE CÔTÉ Professeur titulaire, École d’architecture de l’Université Laval

CLAUDE FUGÈRE Architecte, Fugère Architectes

GUILLAUME FAFARD Architecte, Quinzhee Architecture

ii


REMERCIEMENTS

Je tiens d’abord à remercier mes parents, Marie-Hélène et Éric, pour leur support absolu tout au long de mes études. Vous êtes pour moi de véritables modèles, tant du point de vue humain que professionnel. Merci à ma sœur Valérie et ma cousine Mélissa pour votre force et votre persévérance. Nous formons un trio même si nous nous épanouissons dans des domaines professionnels diamétralement opposés. Merci à mon parrain et ma marraine pour les encouragements et la motivation. Merci à mes grands-parents pour votre curiosité et votre générosité. Un merci tout spécial à Simon, notamment pour ta présence au quotidien, tes précieux conseils et ta patience colossale. Merci à Maude, pour le duo solide que nous avons formé pendant ces cinq années à l’École d’architecture. Merci à Éden, pour ta complicité et tous nos fous rires. Merci à Marie Élie pour ta confiance et ta générosité. Merci à Florence et Grégory pour l’année à l’étranger et les grandes amitiés qui s’y sont formées. Également, merci aux membres du Comité des finissants pour votre collaboration aux projets entourant la fin de nos études à l’École d’architecture. Merci au magazine Continuité qui m’a permis de partager un article sur mon lieu d’études dans le cadre de son numéro sur les églises modernes du printemps 2017. Merci à Christian et Charles qui, en comité d’apprentissage, ont su m’apporter de précieux conseils pour peaufiner cet essai (projet). Merci aux membres du jury pour les commentaires constructifs et le regard critique sur mon travail. Merci à Pierre Côté, premièrement pour m’avoir permis de faire mes premiers pas en recherche, et deuxièmement pour le temps consacré à mon parcours académique au cours de l’année. Merci à François Dufaux pour son regard externe sur mon sujet d’étude et pour son appui. Finalement, un énorme merci à Tania Martin qui a supervisé ce travail de recherche-création avec beaucoup de rigueur. Merci pour les bonnes références, les conseils judicieux, les discussions enrichissantes et par-dessus tout pour la confiance envers mon cheminement et mon sujet d’étude – la conservation de l’architecture moderne.

iii


TABLE DES MATIÈRES Résumé ............................................................................................................................................. i Encadrement .................................................................................................................................... ii Remerciements ............................................................................................................................... iii Table des matières .......................................................................................................................... iv Liste des figures ................................................................................................................................ v 1. Introduction La Mise en valeur du patrimoine régional ................................................................. 1 2. Cadre contextuel de l’essai (projet) l’architecture moderne et ses défis de conservation .............. 3 2.1 La mise en valeur de l’architecture moderne .......................................................................... 3 2.2 Le noyau institutionnel moderne de Saint-Marc de Bagotville ................................................ 5 3. La réserve culturelle regards sur le patrimoine régional .............................................................. 13 3.1 Le noyau paroissial comme structure urbaine ....................................................................... 13 3.2 Le Choix d’un programme en appui à la démocratisation du patrimoine ............................... 14 3.3 Le geste architectural : Hommage à l’architecte Paul-Marie Côté .......................................... 20 3.4 La conservation du patrimoine moderne en action ............................................................... 26 3.4.1 Les nouveaux paradigmes en conservation applicable à l’architecture moderne. ............... 26 3.4.2 Les vocations compatibles et usages adaptatifs ................................................................... 27 3.4.3 La flexibilité des espaces : le « loose fit » ............................................................................. 28 3.5 L’éducation et la sensibilisation de la population .................................................................. 31 3.6 La diffusion des expériences de conservation ....................................................................... 32 4. Conclusion .................................................................................................................................. 35 5. Retour critique sur le projet d’architecture ................................................................................. 37 Bibliographie .................................................................................................................................. 39 Annexe 1. Planches telles que présentées à la critique finale ......................................................... 43 Annexe 2. Schéma conceptuel ........................................................................................................ 49 Annexe 3 Analyse de précédents architecturaux ............................................................................ 51

iv


LISTE DES FIGURES Figure 1 « Mies en valeur ». Westmount Square, Montréal ...................................................................................... 3 Figure 2 Démolition de l'église Notre-Dame-de-Fatima ............................................................................................ 6 Figure 3 Vue de l’église Saint-Marc et de son presbytère ........................................................................................ 6 Figure 4 Carte de de Bagotville, banlieue d’après guerre au pied d’une falaise. ...................................................... 8 Figure 5 Projet de situation de l'église Saint-Marc .................................................................................................... 9 Figure 6 - Étude structurale de l'école Georges-Vanier .......................................................................................... 10 Figure 7 Façade de l'école Georges-Vanier Photo : Jonathan Levesque (2016) .................................................... 11 Figure 8 Carte du noyau institutionnel de Saint-Marc-de-Bagotville, délimité par les lignes pointillées.) ................ 12 Figure 9 Panorama du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville ................................................................ 13 Figure 10 Vue aérienne du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville en 1962 ........................................... 14 Figure 11 Schéma fonctionnel du noyau institutionnel Jonathan Lévesque (2017) ................................................ 15 Figure 12 - Schéma de réaménagement et de zonage du noyau institutionnel ...................................................... 15 Figure 13 Rez-de-Chaussée du centre communautaire Paul-Marie-Côté .............................................................. 16 Figure 14 Plan de l'étage du Centre Communautaire Paul-Marie Côté .................................................................. 17 Figure 15 Plan du rez-de-chaussée de la réserve culturelle ................................................................................... 17 Figure 16 Plan du niveau 1 de la réserve culturelle ................................................................................................ 18 Figure 17 Plan du niveau 2 de la réserve culturelle ............................................................................................... 18 Figure 18 Coupe longitudinale de la réserve culturelle .......................................................................................... 19 Figure 19 Coupe transversale de la succursale de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec .................. 19 Figure 20 Axonométrie du réaménagement du noyau institutionnel en campus..................................................... 20 Figure 21 Perspective de la réserve culturelle ........................................................................................................ 21 Figure 22 Jonction entre l'existant et le nouveau bâtiment ..................................................................................... 22 Figure 23 Perspective du centre communautaire Paul-Marie Côté ......................................................................... 23 Figure 24 Presbytère de l'église Saint-Marc ............................................................................................................ 23 Figure 25 Les matériaux utilisés .............................................................................................................................. 25 Figure 26 Intérieur de l’école Georges-Vanier, 1962............................................................................................... 28 Figure 27 Conversion de l’école en bibliothèque d’arrondissement, salle de lecture. ............................................. 28 Figure 28 Plan de l'école primaire avant conversion ............................................................................................... 30 Figure 29 Plan de la salle de lecture, nouvel aménagement................................................................................... 30 Figure 30 Vue intérieure de la salle d'exposition ..................................................................................................... 33

v



1. INTRODUCTION LA MISE EN VALEUR DU PATRIMOINE RÉGIONAL Cet essai (projet) se veut une réflexion sur la requalification des bâtiments d’architecture moderne comme moyen de favoriser leur sauvegarde et la reconnaissance de leurs valeurs patrimoniales nouvellement acquises. Par la revitalisation du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville, situé dans l’arrondissement La Baie de la ville de Saguenay et dont la valeur patrimoniale a été reconnue par la province de Québec, il vise à mettre en place une « réserve de savoirs », c’est-à-dire un lieu de diffusion et d’histoire au sujet du patrimoine régional. Le projet investit les bâtiments existants du site dans le but d’éveiller l’intérêt de la population pour certains d’entre eux dont la survie est en péril : les bâtiments d’architecture moderne. Afin de consolider l’existant, de nouvelles constructions prennent place sur le site afin de restaurer l’utilisation du lieu, notamment par l’ajout d’un programme permettant une fréquentation accrue des lieux. Pour ce faire, l’essai (projet) questionne de quelles manières le rationalisme des espaces de l’architecture moderne permet d’en faire des lieux contemporains et malléables en contact avec la culture et le patrimoine, notamment grâce à la réutilisation des bâtiments anciens et l’insertion de nouveaux bâtiments dans leur contexte immédiat. L’hypothèse de recherche-création est que l’intégration de nouvelles fonctions compatibles avec l’aspect formel des bâtiments permettra une appréciation du lieu améliorée, davantage qu’avec les usages « opportunistes » actuels, c’està-dire qui occupent les bâtiments seulement parce qu’ils ont été disponibles à un moment où ces activités avaient besoin de locaux, mais qui ne tirent pas profit des qualités architecturales des bâtiments modernes, ni même de leur agglomération en un ensemble dans le cas présent. Ainsi, l’essai (projet) a pour mission de démontrer le potentiel d’adaptabilité de l’architecture moderne à des vocations contemporaines permettant la reconnaissance des qualités des bâtiments modernes grâce à de nouveaux usages en adéquation avec leur forme, dont le « contenu » justifie et exalte l’importance de la conservation du « contenant ». Les fondements de l’essai (projet) prennent racine dans l’urgence de sensibiliser la population à la sauvegarde de ce patrimoine mal considéré et le bien-fondé de la conservation de l’architecture moderne. Les ouvrages sur lesquels l’essai (projet) se base démontrent de façon théorique et factuelle de nouvelles avenues prometteuses d’appui à la reconnaissance de ce jeune patrimoine. En effet, de nouveaux paradigmes en conservation cherchent davantage à gérer le changement qu’à figer les bâtiments dans leur état d’origine. Cela passe par de nouvelles attitudes plus permissives, lesquelles sont nécessaires pour intervenir sur les bâtiments modernes édifiés en rupture avec les traditions. Deux démolitions marquantes au cours de l’année 2016 ont appuyé le choix du site : celles de l’église Saint-David-deFalardeau et de Notre-Dame de Fatima, toutes deux situées au Saguenay. Considérée comme un monument phare

1


de la modernité au Québec, l’église Saint-Marc de Bagotville a été conçue par le même architecte, Paul-Marie Côté, qui a construit les deux églises modernes mentionnées précédemment. Ensuite, l’essai (projet) trace le portrait du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville sous l’angle historique puis architectural. Particulièrement bien conservés, les bâtiments du lieu, conçus entre 1955 et 1962 par l’architecte Paul-Marie Côté, sont sous-utilisés par les fonctions actuelles et par les occupants. Un détail important est que l’endroit est considéré « site patrimonial » en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel depuis 2012 en raison de l’intérêt architectural des bâtiments qui le composent et de leur agglomération en un ensemble en faisant un lieu typique et représentatif de son époque d’édification. Afin d’éviter le même sort à Saint-Marc que celui des deux églises modernes démolies en 2016, la requalification nécessaire du lieu et de ses bâtiments se base sur un programme mixte et dynamique, comportant notamment une bibliothèque d’arrondissement, une réserve d’archives, c’est-à-dire une succursale de la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BAnQ), et ses laboratoires de conservation, une salle de lecture et de consultation, un auditorium partagé, des locaux d’organismes communautaires et culturels, en plus d’un centre d’interprétation. Le projet de recherche-création aborde la conservation de l’architecture moderne en action, c’est-à-dire comme processus de réalisation. Tout d’abord, une première partie met la table en ce qui a trait à la manière d’intervenir avec l’existant tel qu’il le sera fait dans le projet. Si plusieurs auteurs au sujet du patrimoine basent presqu’exclusivement leurs raisonnements sur les écrits d’Aloïs Riegl (1903), de nouveaux paradigmes de conservation font toutefois leur apparition. L’essai (projet) s’intéresse aux manières de faire nouvelles comme moyen d’intervention sur le patrimoine moderne, lesquelles enrichissent sans défigurer le cadre bâti pour mettre en valeur l’existant. Ensuite, les parties suivantes traitent de la compatibilité des vocations entre elles-mêmes ainsi qu’avec le cadre bâti qu’elles occupent, ainsi qu’à la flexibilité des espaces et à leur adaptabilité à diverses fonctions comme moyen d’assurer leur pérennité. S’enchaine une dernière partie qui quant à elle s’intéresse à la transmission des connaissances des experts vers le public comme moyen d’engager la communauté dans la conservation ainsi que pour changer l’appréciation de cette dernière face à un courant architectural dont l’image est à redorer. Pour y arriver, le projet restructure le noyau institutionnel afin de rétablir des vocations variées, mais dont le cadre bâti permet le partage des espaces, afin que la communauté réalise les qualités du lieu par de nouvelles expériences. Également, faire appel à la médiation culturelle pour mettre en valeur l’architecture est un moyen de promotion qui permet d’inculquer les notions de la conservation de l’architecture moderne au public par des expériences de diffusion. Qu’elles soient historiques, critiques ou touristiques, les publications attirent l’attention du public sur les bâtiments ainsi que leur contexte. Cela facilite la reconnaissance des bâtiments modernes comme patrimoniaux permettant d’en faire des monuments identitaires, induisant un intérêt pour ceux-ci à une échelle plus grande et ainsi attirer des visiteurs, locaux et étrangers, comme ressources de soutien économique.

2


2. CADRE CONTEXTUEL DE L’ESSAI (PROJET) L’ARCHITECTURE MODERNE ET SES DÉFIS DE CONSERVATION 2.1 LA MISE EN VALEUR DE L’ARCHITECTURE MODERNE Au Québec, fort nombreux sont les bâtiments construits après 1945. Au cours des années d’après-guerre, les réformes sociales et politiques de l’époque auxquelles réfère la Révolution tranquille ont commandé de nouvelles constructions en grand nombre pour absorber le boom démographique. Parvenus à un point critique de leur règne, la pérennité de ces bâtiments représente aujourd’hui un défi de taille en matière de conservation. Afin de garder des traces de cette époque qui a métamorphosé les paysages culturels, les mouvements de conservation en architecture admettent peu à peu les bâtiments modernistes. Chez nous, la figure de proue de la conservation de l’architecture moderne est Docomomo Québec1, un groupe de mobilisation en faveur de la reconnaissance patrimoniale de l’architecture moderne. Né en 1988 d’une action citoyenne visant à empêcher la rénovation peu respectueuse du Westmount Square (figure 1), conçu dans les années 1960 par l’architecte Ludwig Mies Van der Rohe, le groupe a rejoint les rangs de Docomomo International en 1993. Plus d’un quart de siècle plus tard, l’organisation mobilise de plus en plus de membres afin de faire (re)découvrir et apprécier2 l’architecture des bâtiments construits entre 1945 et 1975. Depuis 2008, Docomomo est reconnu officiellement comme organisation entretenant des relations officielles avec l’UNESCO.3

Figure 1 « Mies en valeur ». Westmount Square, Montréal, L. Mies Van Der Rohe, 1964-1967 Photo : Olivo Barbieri, CCA. (2004), À [ https://www.canadianarchitect.com/features/mies-en-valeur/ ].

1. DoCoMoMo signifie Documentation et Conservation du Mouvement Moderne. 2. France Vanlaethem et Marie-Josée Therrien, La sauvegarde de l’architecture moderne (Montréal : Presses de l’université du Québec, 2014), 11. 3. Maristella Casciato et Émilie d’Orgeix, Architectures modernes : l’émergence d’un patrimoine (Wavre, BE : Mardaga, 2012), 8.

3


Cela témoigne des avancées quant à l’instrumentalisation des démarches vers la patrimonialisation de l’architecture moderne. À l’échelle internationale, plusieurs projets de conservation et de restauration de bâtiments modernes ont été entrepris, expériences desquelles attestent abondamment la littérature sur le sujet. Jusqu’à maintenant, les projets de recherche fondamentale et de recherche-action permettent d’affirmer qu’il n’y a pas de recette toute faite pour envisager la conservation du patrimoine moderne. Voilà l’un des nombreux défis que présente le sujet. Puisqu’existants, les bâtiments modernes exigent qu’architectes et autres praticiens les abordent au cas par cas, comme c’est pourtant le cas pour toute autre famille patrimoniale que la moderne. Trop jeunes pour être reconnus par l’universellement admise valeur d’ancienneté et trop anciens pour plaire grâce à leur effet de nouveauté, mentionnons que l’aspect esthétique de ces bâtiments compte pour beaucoup dans leur appréciation du grand public. Conçues de nouveaux matériaux pas toujours au point à leur époque de mise en œuvre, notamment le béton armé, le verre et l’acier, ces structures présentent souvent des traces de vieillissement prématuré qui nuisent à leur réception.4 En plus de cela, le Getty Conservation Institute (GCI) de Los Angeles a identifié d’autres enjeux sur lesquels les recherches doivent se pencher en matière de protection de l’architecture moderne. Ceux-ci concernent l’absence de reconnaissance et de protection, les divergences d’approches méthodologiques, les défis techniques et de longévité, de même que l’obsolescence, tant fonctionnelle que matérielle.5 C’est ce même institut, le GCI, à qui l’on doit l’initiative du programme Conserving Modern Architecture Initiative en place depuis 2012. De nombreux chercheurs y travaillent à établir de nouveaux paradigmes en conservation pour être mis à profit pour la sauvegarde de l’architecture moderne. Le Québec n’est pas en reste puisque l’Université du Québec à Montréal a mis sur pied le Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées (DESS) en connaissance et sauvegarde de l’architecture moderne. En parallèle, plusieurs chercheurs comme France Vanlaethem et Marie-Josée Therrien travaillent à situer le sujet parmi les savoirs universitaires afin d’établir et de transmette de nouvelles méthodes d’analyse et d’évaluation applicables spécifiquement au patrimoine moderne. Déjà en 2001, La commémoration du patrimoine bâti canadien de l’ère moderne, projet du Réseau des Lieux historiques nationaux du Canada, démontrait un vif intérêt des professionnels du milieu de la conservation et de la commémoration patrimoniale. Les acteurs du milieu recevaient positivement cette initiative puisque selon eux, ce patrimoine était menacé en raison du manque de sensibilisation de la part de la population. Les experts ont alors convenu de la pertinence de s’intéresser au sujet, et ce malgré la mauvaise presse de ce courant architectural aux yeux du public.

4. Vanlaethem et Therrien, La sauvegarde de l’architecture moderne, 97-98. 5. Susan MacDonald, « La conservation de l’architecture moderne au XXIe siècle : Approches existantes, dialogues changeants et nouveaux paradigmes,» dans Architectures modernes : l’émergence d’un patrimoine, dir. Maristella Casciato et Émilie d’Orgeix, (Wavre, BE : Mardaga, 2012) , 149.

4


Heureusement, le perfectionnement des technologies comme la photographie a permis de laisser plusieurs traces archivistiques, au même titre que les publications de l’époque et les monographies d’architecture. En plus des technologies digitales, collections et archives, l’époque moderne peut toujours être transmise grâce à l’histoire orale véhiculée par certaines personnes contemporaines du mid-century modern.6 Si cette époque connaît une tendance grandissante, celle-ci bénéficie d’une multitude de sources documentaires afin d’être restituée fidèlement. L’abondance de ce courant architectural dans la région du Saguenay a justifié le choix du site de cet essai (projet). Au début des années 50, on estime que la population de la région va quintupler au cours des quarante prochaines années.7 À la lumière de cela, il n’est pas étonnant de constater que Saguenay a été le lieu d’un véritable laboratoire d’exploration formelle expliquant la richesse de son inventaire de bâtiments modernes, tant résidentiel qu’institutionnel. Près de 70 ans plus tard, plusieurs de ces bâtiments nécessitent des travaux de rénovation afin d’être maintenus en état. Documentés par les historiens d’architecture Luc Noppen et Lucie K. Morisset, ces bâtiments identitaires sont au cœur du patrimoine régional du Saguenay – Lac-Saint-Jean et méritent d’être mis en valeur.

2.2 LE NOYAU INSTITUTIONNEL MODERNE DE SAINT-MARC DE BAGOTVILLE8 Les années 2016 et 2017 ont été rudes pour l’œuvre de l’architecte Paul-Marie Côté. Inscrits dans le paysage saguenéen depuis le milieu des années 1950, certains bâtiments qui la composent ont récemment été la cible d’un fâcheux massacre. Tout d’abord, l’église Saint-David-de-Falardeau, située dans la municipalité du même nom, a été détruite au printemps 2016. En janvier 2017, le pic des démolisseurs ravageait la robuste coque blanche de béton armé de l’église Notre-Dame-de-Fatima (figure 2), dans le but de faire place à des résidences. Signal visuel remarquable du secteur Jonquière de la ville de Saguenay, ce bâtiment était pourtant protégé en vertu des lois provinciales et des règlements municipaux il y a de cela quelques années à peine, jusqu’en 2015. Ces deux églises, respectivement construites en 1967 et en 1962, s’inscrivaient dans la lignée des « églises blanches », un courant mineur de l’architecture moderne dont les constructions se concentrent essentiellement dans la région du Saguenay. Elles étaient sœurs de l’église Saint-Marc de Bagotville, dans l’arrondissement de La Baie, sans doute la plus illustre de toutes.

6. Hannah Neate et Ruth Craggs, dir., Modern Futures (Axminster, RU : Uniformbook, 2016), 9. 7. Lucie K. Morisset, Luc Noppen, et Patrick Dieudonné, Patrimoines modernes : l’architecture du vingtième siècle à Chicoutimi (Québec : Presses de l'Université du Québec, 2004), 16. 8. Les sections qui suivent sur l’église et l’architecte reprennent en majeure partie, et avec l’autorisation du magazine Continuité, l’article suivant : Jonathan Lévesque, « Église Saint-Marc de Bagotville : Aux sources de l'innovation, » Continuité, no 152 (Printemps 2017), sous « Églises modernes. Oeuvres de pionniers ». Consulté le 24 mars 2017, http://www.magazinecontinuite.com/numero-152/eglise-saint-marc-de-bagotville-aux-sources-de-innovation-288/.

5


Figure 2 Démolition de l'église Notre-Dame-de-Fatima Photo : TC-Média, Audrey-Anne Maltais (2017)

C’est vers Saint-Marc de Bagotville (figure 3) que les regards se tournent aujourd’hui. Pionnière des églises blanches, elle a été construite de 1955 à 1956, près d’une demi-décennie avant la deuxième du lot, soit l’église Saint-Raphaël, érigée à Jonquière en 1960 selon les plans de l’architecte Evans St-Gelais. Afin d’éviter qu’elles soient décimées une à une, l’heure de la reconnaissance patrimoniale par le public a sonné pour ces modernes, qui ont parfois perdu leur vocation initiale et qui auront tôt ou tard besoin d’une cure de rajeunissement. À ce sujet, rappelons au passage les actions récentes du ministère de la Culture et des Communications quant à la reconnaissance de l’intérêt architectural des églises construites entre 1945 et 19759. Bien que Saint-Marc soit dans un excellent état de conservation, la nouvelle est bonne tant pour ses sœurs de béton que pour ses cousines aux structures élancées de bois lamellé-collé et pour les autres membres de la famille des modernes.

Figure 3 Vue de l’église Saint-Marc et de son presbytère Photo : Jonathan Lévesque (2017)

9. Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Conservation du patrimoine à caractère religieux – Le ministre Fortin annonce la création d'un comité de travail sur la mise en valeur du patrimoine religieux moderne du Québec, » communiqué, 3 novembre 2016, consulté le 2 décembre 2016, https://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=2328&no_cache=1&tx_ttnews%5Btt_news%5D =7654&cHash=495321e3302f44af163adf78fe7fce29.

6


L’architecte, Paul-Marie Côté C’est à Paul-Marie Côté, né en 1921 à Chicoutimi, que les Baieriverains doivent la construction de forme expressive qu’est Saint-Marc dans le paysage du secteur Bagotville. Diplômé de l’École des beaux-arts de Montréal en 1950, l’architecte entreprend en 1954 une courte, mais prolifique carrière, qui s’arrêtera avec sa mort prématurée en 1969. C’est après un stage pour la firme chicoutimienne aux idéaux modernistes de Léonce Desgagné et Paul Boileau, suivi d’un voyage en Europe, que Paul-Marie Côté, l’imaginaire plein d’idées novatrices, conçoit son premier projet d’envergure : l’église Saint-Marc de Bagotville. Cette œuvre est celle qui a valu à l’architecte, alors âgé de 34 ans seulement, d’être reconnu pour son avant-gardisme bien au-delà de sa région natale. Essor de Bagotville et genèse du projet Au début des années 1950, le secteur de Bagotville (figure 4) est en plein essor en raison des industries de l’aluminium, du port en eaux profondes, de la base militaire ainsi que de l’aéroport récemment ouvert à proximité. Trop entassés dans l’église Saint-Alphonse, les résidents de la paroisse réclament alors une église au cœur du nouveau noyau résidentiel, s’étendant vers l’ouest. Le curé Charles-Auguste Boily, reconnu pour son avant-gardisme, choisit le jeune Paul-Marie Côté comme architecte du projet. Réalisée en un temps record de huit mois, la construction de l’église a permis un renouveau dans les pratiques de l’architecture. Véritable laboratoire, le chantier a nécessité dès la conception une étroite collaboration entre l’architecte, qui voulait donner à son église une forme inédite, les ingénieurs Dauphinais et Bélanger et l’entrepreneur Xavier Néron et Fils. La dalle de béton plissée d’une épaisseur de 10 cm formant à la fois le toit et les murs de l’église constitue le plus grand exploit de ce chantier et démontre le bien-fondé de l’association des différents champs d’expertise. Cette dalle a d’ailleurs été mise en place en seulement trois jours, en une coulée ininterrompue. À ce propos, Côté a dû, afin d’éviter la mise en péril de la réalisation du bâtiment, obtenir l’autorisation du curé Boily pour poursuivre le travail le dimanche !10 Dans une région où l’industrie était florissante et la main-d’œuvre, expérimentée dans la construction des bâtiments robustes nécessaires à son essor, le béton était le matériau tout indiqué pour innover en matière d’architecture religieuse.

10. Lucie K. Morisset et Luc Noppen, L’Église Saint-Marc-L’Évangéliste de Bagotville (Ville de La Baie) : analyse historique et architecturale (Saguenay : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, Direction régionale du Saguenay–LacSaint-Jean et de la Côte-Nord, 1999), 6.

7


Figure 4 Carte de de Bagotville, banlieue d’après guerre au pied d’une falaise. Infographie par l’auteur, sur fond de carte Google Maps (2016)

Noyau paroissial et valeur urbanistique de Saint-Marc de Bagotville Paul-Marie Côté a le mandat de concevoir, en plus de l’église Saint-Marc, le presbytère adjacent, qu’il dispose en « L », perpendiculairement au volume de l’édifice de culte. Dès lors, l’architecte imagine plusieurs possibilités quant à l’implantation des bâtiments sur la parcelle de terrain. Le Répertoire du patrimoine culturel du Québec mentionne que Côté se soucie de doter le site d’une valeur urbanistique (figure 5), c’est-à-dire d’un aménagement urbain constituant l’extension de sa vision de concepteur pour les bâtiments. Il planifie ainsi un grand parc devant l’église afin de dégager la vue sur celle-ci et d’offrir un lieu de loisir aux résidents du quartier. Deux écoles primaires apparaissent déjà sur ses plans, l’une pour filles et l’autre pour garçons. En 1960, Côté verra sa proposition se concrétiser quant au parc. Pour ce qui est des écoles, une première, l’école Saint-Marc, sera construite sur le terrain au nord du parc selon des plans standardisés communs dans le paysage québécois. Ouverte en 1955 par les Sœurs du Bon-Conseil, elle sera rapidement surpeuplée. On fera alors à nouveau appel à Paul-Marie Côté pour concevoir les plans d’une deuxième école pour 336 élèves en 1962, sur le terrain au sud du parc cette fois-ci. Il en naîtra l’école Georges-Vanier, un bâtiment de béton armé aux traits modernes caractéristiques de l’architecture de Côté, balbutiement miniature de ce que sera l’aile Huard du cégep de Chicoutimi l’année suivante. Le Répertoire du patrimoine culturel du Québec indique que l’unité architecturale de ses bâtiments modernes fait de ce site un témoignage exemplaire des noyaux institutionnels des années 1950 au Québec. Le site du patrimoine du Noyau-Institutionnel-de-Saint-Marc-de-Bagotville est d’ailleurs constitué en 1991. Cité « site patrimonial » depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le patrimoine culturel en 2012, il comprend l’église Saint-Marc (immeuble classé patrimonial en 2009), l’école Georges-Vanier, le presbytère ainsi que

8


l’îlot végétalisé devant l’église. Il incluait également l’école Saint-Marc (devenue l’Atelier des Arts en 1973), jusqu’à ce que celle-ci soit la proie des flammes le samedi 14 janvier 2017.

Figure 5 Projet de situation de l'église Saint-Marc On remarque la symétrie de l’aménagement et le souci du détail de l’architecte quant à l’aménagement urbain et aux espaces verts. On peut également remarquer, à droite, une rue commerciale planifiée là où des résidences ont finalement été construites. Source : Paul-Marie Côté, architecte. 1954. BAnQ Saguenay, Cote P219, S1, P448

Caractéristiques architecturales Pour ce qui est plus précisément de l’architecture de l’église Saint-Marc, son volume se profile par une silhouette qui n’est pas sans rappeler celle d’une tente. En plan, l’église prend la forme d’une croix latine, c’est-à-dire que le transept et la nef se croisent là où se trouve le chœur. Cela résulte davantage du besoin d’éclairer le chœur par les parties supérieures vitrées des transepts que de l’héritage de la tradition. Mis à part la façade principale triangulaire entièrement vitrée par un mur-rideau composé de rectangles de verre tantôt clair, tantôt bleu, tantôt jaune, les ouvertures du transept sont les seules fenêtres du bâtiment. En effet, la dalle de béton autoportante en forme d’accordéon s’élance du sol jusqu’au faîte. Sa hauteur, de 21,34 m (70 pieds) en façade, diminue à chacune des arêtes, jusqu’à atteindre13,72 m (45 pieds) au chevet. Les confessionnaux sont logés dans les bas-côtés, au creux des arêtes, ce qui évite l’encombrement de l’espace de la nef. Les arêtes se subdivisent ensuite en demi-arêtes afin de solidifier la structure, selon les conseils des ingénieurs. Le nombre d’arêtes passe ainsi de 7 au niveau du sol à 13 au sommet. Jusqu’à ce que l’on doive la recouvrir d’un revêtement métallique dans les années 1970, par souci d’étanchéité, la dalle de béton nu était visible tant à l’intérieur de l’église qu’à l’extérieur. Selon l’analyse de Morisset et Noppen, les efforts conjugués de conception structurale et esthétique témoignent de la pureté souhaitée par Côté pour son bâtiment. Cette épuration

9


traduit également sa vision de l’usage du lieu : un endroit de prière où l’ornementation ne serait qu’objet de distraction. Précurseur du Concile Vatican II, tenu de 1962 à 1965, le lieu de culte conçu par l’architecte devance les prescriptions du renouveau liturgique par son volume modeste. En effet, le Répertoire du patrimoine culturel du Québec indique que réduire l’espace permet d’induire la convivialité entre célébrant et fidèles lors des célébrations, ce qui s’ajoute au fait que la messe est désormais dite face à l’assistance, dans la langue locale. Par son avant-gardisme, l’église Saint-Marc attirera l’attention des publications de l’époque, à travers le Canada et même à l’international. Sa valeur d’exemple marquera le renouveau de l’architecture religieuse des années 1950 et 1960. Pour sa part, l’école Georges-Vanier (figure 6) témoigne également de la modernité architecturale de la région. Sise sur deux basilaires de part et d’autre, dont l’un comportant une vaste salle de récréation, la dalle du volume principal de 57 mètres (190 pieds) sur 18 mètres (60 pieds) repose sur des pilotis, élément corbuséen d’architecture le dégageant du sol. Affranchie d’éléments structuraux, cette dalle sur pilotis, rappelant un pont de béton, réfère une fois de plus à Le Corbusier par la possibilité du plan libre qu’elle offre, et ce malgré les cloisons nécessaires à la séparation de l’espace pour les classes de l’époque. Une dalle de béton armé autoportante en accordéon recouvre cet espace, demeurant toutefois indépendante structuralement et reposant sur ses propres pilotis. De grandes parois de verre enclosent ce lieu, le baignant de lumière. La superposition des deux structures crée un langage architectural qui est propre à ce bâtiment, menant vers une piste de design avec laquelle le projet d’architecture compose pour intervenir sur l’existant, tel qu’il le sera abordé plus loin.

Figure 6 - Étude structurale de l'école Georges-Vanier. Axonométrie explosée, vue en contre-plongée, Jonathan Levesque, 2017.

10


Legs et pérennité L’église Saint-Marc a maintenu sa fonction de lieu de culte catholique pendant 50 années, jusqu’à la fusion des paroisses Saint-Marc et Saint-Alphonse en 2006. C’est alors que la communauté évangélique La Bible Parle – Saguenay a acquis l’église et le presbytère pour y installer ses activités religieuses et ses bureaux. Malgré quelques adaptations du lieu aux besoins de la pratique cultuelle évangélique, notamment en matière de mobilier, le lieu a gardé son essence et est toujours maintenu dans un état remarquable. Le culte y est célébré hebdomadairement et plusieurs organismes communautaires utilisent de temps à autre la salle paroissiale située au sous-sol. Quant à l’école Georges-Vanier (figure 7), son usage est maintenu en tant qu’école primaire jusqu’à la fin des années 2000. En 2010, disponibles pour un nouvel usage, ses locaux ont été investis par le Centre de Réadaptation en Déficience Intellectuelle et en Troubles Envahissants du Développement (CRDITED), accueillant une centaine de bénéficiaires et une dizaine d’employés. C’est depuis la fusion des CRDITED et des Centres Intégrés Universitaires de Santé et de Services Sociaux (CIUSSS) en 2015 que la vocation prochaine du bâtiment est incertaine.

Figure 7 Façade de l'école Georges-Vanier Photo : Jonathan Levesque (2016)

Pour assurer la pérennité des bâtiments modernes, particulièrement les églises, les occuper est primordial. Véritables monuments témoins d’histoire, les églises modernes offrent des espaces épurés et flexibles jouissant d’un grand potentiel d’adaptabilité en vue de conversions ou d’usages partagés. Il faut tirer profit de l’originalité de leur architecture et miser sur la mémoire de ces lieux pour qu’ils continuent à s’affirmer, avec leur noyau (figure 8), comme le cœur de la vie communautaire, sociale et culturelle de quartiers et de villages. À ce titre, l’église Saint-Marc de Bagotville rayonne une fois de plus par sa valeur d’exemple, et ce, plus de 60 ans après sa construction.

11


Figure 8 Carte du noyau institutionnel de Saint-Marc-de-Bagotville, délimité par les lignes pointillées. Infographie Jonathan Lévesque, fond de carte Google Maps (2016)

12


3. LA RÉSERVE CULTURELLE REGARDS SUR LE PATRIMOINE RÉGIONAL 3.1 LE NOYAU PAROISSIAL COMME STRUCTURE URBAINE En raison de l’état de conservation remarquable de l’église Saint-Marc et de son affectation au culte maintenue, le parti pris pour le projet est celui de revitaliser l’ensemble du noyau paroissial (figure 9) dans lequel il se trouve. La requalification des équipements voisins de l’église pourra ainsi raviver l’intérêt pour le lieu et supporter l’église SaintMarc11. Pour ce faire, les affectations nouvelles des bâtiments voisins pourront tirer profit de l’espace de la nef de l’église pour y tenir des évènements sporadiques. Ainsi, l’église sera utilisée tantôt pour la pratique du culte, tantôt pour la tenue de représentations culturelles ou activités citoyennes. Ce mode d’occupation partagé permet tant à la collectivité qu’aux fidèles de profiter du lieu.12 De plus, cela créera de nouvelles occasions pour la population de s’approprier le lieu et de se remémorer d’autres visites à l’endroit, amplifiant son lien d’attachement pour celui-ci. Il n’y a pas si longtemps, l’église et son parvis symbolisaient trois grandes étapes de la vie; à savoir le baptême, le mariage, et le décès13. Pour soutenir l’utilisation et l’importance du bâtiment-église, il faut donc que son contexte soit dynamique et prétexte à la fréquentation du lieu.

Figure 9 Panorama du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville À gauche, l’école Georges-Vanier, au centre, le presbytère, et à droite, l’Église Saint-Marc. Photo : Jonathan Lévesque (2017)

L’église est à la fois un symbole culturel et un élément signal occupant souvent un espace central dans les quartiers, villages ou villes dans laquelle elle se situe. Ainsi, l’église constitue un symbole du lieu qui justifie sa sauvegarde.14 Sa

11. Tania Martin, « Les cadres du culte : Le noyau paroissial et l’église, » dans Quel avenir pour quelles églises ? = What Future for Which Churches?, dir. Lucie K. Morisset, Luc Noppen, et Thomas Coomans (Québec : Presses de l'Université du Québec, 2006), 351-370. 12. Tania Martin et Sandy Lalancette, « Un espace à partager, » dans Nos églises : un patrimoine à convertir (Québec : Conseil du patrimoine religieux du Québec, 2012), 4-6. Consulté le 12 décembre 2016. http://www.patrimoinereligieux.qc.ca/fr/telechargement/Patrimoine_a_convertir_Continuite_CPRQ2.pdf 13. Claude Reny, Principes et critères de restauration et d’insertion : le patrimoine architectural d’intérêt public au Québec (Québec : Ministère des affaires culturelles, 1991), 82. 14. Luc Noppen et Lucie K. Morisset, Les églises du Québec : Un patrimoine à réinventer Patrimoine urbain (Québec : Presses de l’Université du Québec, 2005), 306.

13


position centrale appuie également la nécessité que le bâtiment doit être utilisé pour être perçu positivement. D’affecter les autres bâtiments du noyau à des vocations communautaires et culturelles et donc un moyen d’assurer sa fréquentation et ainsi combler les satisfactions individuelles et collectives de la population vivant à proximité.15 Par son opération à l’échelle urbaine, le projet s’appuie sur la tendance des années 1950 de faire du noyau paroissial un pôle d’attrait dans la banlieue (figure 10).16 En laissant l’église intacte, et en s’attardant principalement au bâtiment de l’école primaire, le projet s’appuie sur la tendance populaire stipulant qu’il est plus facile de convertir les composantes périphériques à l’église en raison de leur appartenance à l’architecture institutionnelle plus commune.17 Puisque le but du projet de maintenir l’église dans son état, de requalifier son contexte est un moyen de s’assurer qu’elle demeure au centre de son noyau et le symbole d’appel de celui-ci.

Figure 10 Vue aérienne du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville en 1962 Si une certaine symétrie, souhaitée par l’architecte, est lisible quant à l’aménagement des rues, seule l’une des deux écoles primaires a été construite selon les plans de Paul-Marie Côté. Le parc urbain commence à l’époque a prendre forme. Source : Société historique du Saguenay, P2-S7-P08622-5, [en ligne] http://www.shistoriquesaguenay.com/DetailPhoto.asp?TxtPhoto=l&offset=18070&id=23919 (consulté le 13 novembre 2016)

3.2 LE CHOIX D’UN PROGRAMME EN APPUI À LA DÉMOCRATISATION DU PATRIMOINE Le choix du programme s’appuie sur l’intention de rétablir la vocation communautaire du site et de rendre l’offre plus complète en améliorant la diversité culturelle du lieu (figures 11 et 12), tant à l’échelle du noyau institutionnel qu’à celle du secteur de Bagotville. Comme c’est la fréquentation des bâtiments moderne qui justifie la conservation, l’aspect

15. Xavier Greffe, « La réutilisation des églises – Valeurs d’existence et valeurs d’usage, » dans Quel avenir pour quelles églises ? = What Future for Which Churches?, dir. Lucie K. Morisset, Luc Noppen, et Thomas Coomans (Québec : Presses de l'Université du Québec, 2006), 170. 16. Martin, « Les cadres du culte », 361. 17. Martin, « Les cadres du culte », 363.

14


social a été central quant aux considérations programmatiques afin d’offrir un cadre de vie diversifié et flexible ramenant des fonctions génératrices d’activité dans le noyau paroissial.18

Figure 11 Schéma fonctionnel du noyau institutionnel Jonathan Lévesque (2017)

Figure 12 - Schéma de réaménagement et de zonage du noyau institutionnel Le centre communautaire Paul-Marie Côté reprend l’implantation de l’Atelier des Arts incendié et réfère également aux intentions de symétrie de Paul-Marie Côté pour l’aménagement de l’îlot. Infographie Jonathan Lévesque (2017) sur fond de carte Google Maps (2016).

Pour commencer, la reconstruction d’un centre communautaire visant à loger les organismes communautaires qui se trouvaient à la rue depuis l’incendie de l’Atelier des Arts s’est avérée la solution pour redonner un lieu de rencontre à la communauté (Figures 13 et 14). Les espaces flexibles de ce bâtiment permettent diverses occupations, advenant le

18. Reny, Principes et critères de restauration et d’insertion, 83.

15


cas où un organisme communautaire déménagerait et devait laisser place à un autre. La forme du bâtiment reprend essentiellement l’empreinte au sol de l’Atelier des Arts, hormis l’aile de l’atelier de récupération de meubles qui occupe une partie de la parcelle jusque-là inoccupée dans le but de structurer l’espace périphérique au parc urbain. De plus, cela permet aux organismes communautaires d’être visibles à partir de l’espace public et ainsi être plus ancrés à la vie de quartier. Par son implantation, le bâtiment rappelle les intentions de Paul-Marie Côté qui avait dessiné, en 1954, un aménagement symétrique de part et d’autre du parc devant l’église ( figure 5). De plus, un passage piétonnier à travers même ce bâtiment permet de reconnecter le quartier de banlieue derrière au noyau institutionnel. Un ajout au programme initial du centre communautaire est une cuisine communautaire, jusque-là absente à proximité. En plus de pouvoir être utilisée par les organismes communautaires pour des ateliers, celle-ci peut servir à préparer les repas lors de la tenue d’évènements comme un congrès, par exemple, dans la réserve culturelle.

Figure 13 Rez-de-Chaussée du centre communautaire Paul-Marie-Côté Les locaux d’organismes communautaires (AFÉAS et la cuisine communautaire) sont séparées par un hall de circulations par lequel on accède soit par le stationnement à gauche, ou par le passage piéton à droite, lequel relie la rue Duberger au noyau institutionnel. L’atelier de récupération de meubles de la Société Saint-Vincent-de-Paul occupe les locaux à la droite du bâtiment, bénéficiant d’un garage pour faciliter la livraison et la manutention. Jonathan Lévesque (2017)

16


Figure 14 Plan de l'étage du Centre Communautaire Paul-Marie Côté Comme au rez-de-chaussée, les locaux sont répartis de part et d’autre d’un espace central en mezzanine et dotés de plafonds cathédrale qui amplifient la hauteur des espaces. Une terrasse permet d’étendre les activités à l’extérieur par beau temps et de donner une vue panoramique sur le parc urbain, sur la ville et la baie en arrière-plan. Jonathan Lévesque (2017)

Le corps principal du projet réside dans le recyclage de l’école George-Vanier en bibliothèque d’arrondissement et dans son extension pour accueillir un centre d’archives régional (figures 15, 16 et 17). Outre la vétusté et le côté peu invitant des structures en places, le choix de rapatrier une succursale de la bibliothèque municipale et de la BAnQ dans le noyau paroissial est basé sur l’aspect culturel de ces vocations, absent sur le site, mais nécessaire à offrir un noyau institutionnel complet.

Figure 15 Plan du rez-de-chaussée de la réserve culturelle En bleu, la légende concernant la bibliothèque municipale, et en rose, celle de la BAnQ. Jonathan Lévesque (2017)

17


Figure 16 Plan du niveau 1 de la réserve culturelle Jonathan Lévesque (2017)

Figure 17 Plan du niveau 2 de la réserve culturelle Jonathan Lévesque (2017)

Plusieurs améliorations ont été apportées dans les bibliothèques québécoises au cours des dernières années. À Québec, les projets de la Maison de la littérature par Chevalier Morales inauguré en 2016 et la bibliothèque MoniqueCorriveau par Dan Hanganu et CLC Architectes de 2014 sont deux exemples de bibliothèques contemporaines alliant les traditionnels rayonnages de livres à une offre numérique actualisée et un programme culturel de conférences et divers ateliers. La bibliothèque envisagée par le présent projet comprend de vastes espaces malléables et fractionnables en fonctions des besoins (figures 15 (d) et 18 (a) ), que ce soit pour la tenue d’un colloque le temps d’un week-end ou bien de l’horaire régulier de ses activités.

18


Figure 18 Coupe longitudinale de la réserve culturelle Jonathan Lévesque (2017)

Quant au centre d’archives, l’actualisation de l’offre s’opère lentement mais sûrement du côté de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec. De ce fait, le centre d’archive proposé dans le projet vise d’être une porte ouverte sur le patrimoine en démocratisant l’accès aux archives. Inspiré par le Centre Canadien d’Architecture (annexe 3.1) dans l’aménagement de ses espaces et de sa mission, le centre d’archives comprend entres autres une salle d’exposition visant à présenter certains éléments de sa collection afin de les faire apprécier à ses visiteurs19. Cet endroit et sa mezzanine se prêtent également à la tenue d’évènements culturels, tels que vernissages d’expositions, conférences et projections de films et documentaires. Sa salle de consultation est abondamment éclairée et donne à voir tant le paysage environnant que le laboratoire de restauration et conservation d’archives ainsi que de curation d’exposition (figure 19).

Figure 19 Coupe transversale de la succursale de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Les espaces en mezzanine donnent des vues en plongée sur le laboratoire (à gauche) et sur la salle d’exposition (à droite). Jonathan Lévesque (2017)

Finalement, la nef de l’église Saint-Marc est considérée comme un espace partagé entre les diverses fonctions du noyau institutionnel tel que restauré. La célébration du culte est maintenue de façon hebdomadaire, tandis que des représentations culturelles sporadiques, comme des pièces de théâtre, spectacles de musique ou conférences occupent les lieux lorsqu’il est disponible. Cela est un bon moyen de générer des revenus en plus de démocratiser et maximiser l’occupation du bâtiment. De plus, ces décisions visent à renforcer la polyvalence de chacun des espaces et ainsi faire vivre le lieu par différents groupes, tant citoyens que touristes. De son côté, le presbytère maintient sa fonction de centre administratif pour la communauté religieuse.

19. Phyllis Lambert, « Introduction, » dans Centre Canadien d’Architecture/Canadian Centre for Architecture : architectures et paysage, dir. Larry Richards (Montréal : Centre Canadien d’Architecture/Canadian Centre for Architecture, 1989), 17-18.

19


Les vocations établies par le programme du projet de réserve culturelle permettent d’envisager le lieu comme un campus (figure 20) aux activités variées qui, par leur revitalisation du noyau institutionnel moderne de Saint-Marc de Bagotville, font la diffusion d’une expérience de conservation d’architecture moderne. De ce fait, le réaménagement du parc, dont l’extension du parvis de l’église, permet de mieux apprécier celle-ci grâce au recul qu’il offre et ainsi de lui redonner son importance à l’échelle de quartier.

Figure 20 Axonométrie du réaménagement du noyau institutionnel en campus. De gauche à droite, la figure montre l’ajout à l’école existante, la fermeture d’une portion de la rue Sirois et l’aménagement d’une terrasse, la création de nouveaux sentiers, le rétrécissement des voies et leur verdissement, l’extension du parvis dans le parc, la construction du nouveau centre communautaire, la connexion piétonne vers la rue Duberger ainsi que le réaménagement du parc de planches à roulettes. Jonathan Lévesque (2017)

3.3 LE GESTE ARCHITECTURAL : HOMMAGE À L’ARCHITECTE PAUL-MARIE CÔTÉ Afin de rendre hommage à l’architecte qui a imaginé les bâtiments du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville, Paul-Marie Côté, le processus conceptuel s’est basé sur son œuvre pour en faire la synthèse. Afin d’adjoindre un bâtiment à celui de l’école Georges-Vanier, les procédés théoriques employés visitent ceux de Viollet-le-Duc par l’approche de « reconstitution déductive »20 ainsi que de l’invention à l’intérieur d’un style21 circonscrit : celui de l’architecture moderne. Ces deux moyens de concevoir se basent sur une analyse large du style à l’étude, laquelle

20. Reny, Principes et critères de restauration et d’insertion, 5. 21. Steven W. Semes, The Future of the Past: A Conservation Ethic for Architecture, Urbanism, and Historic Preservation (New York : W.W. Norton & Company, 2009), 187-207.

20


donne amplement de latitude au concepteur pour créer un objet architectural qui réinterprète les codes de l’époque. Ainsi, les ajouts envisagés par le projet sont en extension des bâtiments voisins, dans une continuité stylistique qui recrée une unité théorique au sens architectural. En revisitant l’œuvre de Côté, le bâtiment de l’aile Huard du Cégep de Chicoutimi (annexe 3.2) a présenté plusieurs similitudes avec celui de l’école Georges-Vanier, dont notamment le toit en accordéon et la structure de béton apparente. Dans le prolongement de ce bâtiment, le pavillon des résidences étudiantes a été la réponse formelle à la facture architecturale recherchée. Par cette analogie, il a été possible de concevoir un bâtiment (figure 21) dont les formes s’inspiraient de ce que Côté a fait dans la ville voisine pour recréer ce qu’aurait théoriquement pu être le bâtiment du centre d’archives s’il avait été construit au même moment que l’école Georges-Vanier. Pour composer la façade de l’ajout, une analyse des pleins et des vides de celle du bâtiment existant a été nécessaire. Celle-ci a finalement démontré que sa façade principale était une composition vide sur vide en raison des pilotis et des grandes parois vitrées. Ainsi, le parti de concevoir une façade avec nettement moins d’ouvertures a été pris pour l’extension, dans le but de distinguer les deux volumes. Toutefois, si les codes esthétiques propres à Côté et à l’architecture moderne ont été réinterprétés pour la facture visuelle extérieure du bâtiment, les aspects techniques, dont ceux nécessaires à la conservation d’archives22, et l’aménagement intérieur de ce bâtiment font qu’il est « compatible avec le passé et en accord avec son présent »23, pour reprendre les propos du rapport annuel 1989-1990 de la Commission des biens culturels.

Figure 21 Perspective de la Réserve culturelle Jonathan Lévesque (2017)

22. Helen Malkin, « Édifice et jardins : participants, chronologie et spécifications, » dans Centre Canadien d’Architecture/Canadian Centre for Architecture : architectures et paysage, dir. Larry Richards (Montréal : Centre Canadien d’Architecture/Canadian Centre for Architecture, 1989), 153-160. 23. Reny, Principes et critères de restauration et d’insertion, 91.

21


L’appel vers l’ajout fait appel à la curiosité des visiteurs. Tout d’abord, la masse de béton s’allège vers le sol afin de créer une dentelle qui donne l’impression que le matériau flotte malgré sa masse. L’aménagement d’une terrasse peut également faire office d’élément d’appel. De plus près, la paroi de granit rose derrière celle de béton attire le regard par le miroitement de cette pierre au soleil. Désolidarisée du sol grâce à un bandeau de fenêtres à l’horizontale, ce mur minéral donne une fois de plus l’impression de flotter, laquelle est renforcée en soirée lorsque la lumière de l’intérieur émane vers l’extérieur. Une fois les marches franchies, un passage extérieur (figure 22) entre l’existant et l’ajout mène le visiteur à l’entrée de la BAnQ. Deux expériences s’offrent à lui, d’abord celle de longer le mur de granit lisse en passant sous les arches, ou bien d’apprécier la texture du béton brut de décoffrage de l’école Georges-Vanier de l’autre côté.

Figure 22 Jonction entre l'existant et le nouveau bâtiment Jonathan Lévesque (2017)

22


Le même procédé a été utilisé pour le nouveau centre communautaire (figure 23), en explorant les œuvres du début de la carrière de Côté, auxquelles ressemble davantage le presbytère de l’église Saint-Marc (figure 24).

Figure 23 Perspective du centre communautaire Paul-Marie Côté Jonathan Lévesque (2017)

Figure 24 Presbytère de l'église Saint-Marc Les lignes horizontales de ce bâtiment sont accentuées par les larges débords de son toit à faible pente, de même qu’à ses généreuses galeries qui amplifient les espaces intérieurs. Photo : Jonathan Lévesque (2017)

23


En ce qui a trait au bâtiment de l’école Georges-Vanier, le processus s’inspire de ces paroles de Rem Koolhaas, citées par Hubert-Jan Henket et Hilde Heynen dans l’article Life in the Metropolis : « Exteriors and interiors […] belong to two different kinds of architectures. The first – external – is only concerned with the apparence of the building as a more or less sculptural object, while the interior is in a constant state of flux […] ».24 Puisque celui-ci accueille une nouvelle vocation en ses murs grâce au projet, l’extérieur du bâtiment n’est simplement qu’entretenu tandis que l’intérieur est réaménagé pour répondre à la nouvelle fonction prévue, soit celle de la bibliothèque d’arrondissement. À l’époque, Côté, comme bien d’autres architectes, s’est inspiré des images dans les magazines d’architecture, nouveau média qui a fortement influencé la tendance internationale de l’architecture moderne25. Au niveau des matériaux utilisés pour ces bâtiment, Côté amalgame le béton brut de décoffrage corbuséen à la brique jaune commune dont la présence est marquée dans l’architecture de l’époque. C’est d’ailleurs cette brique qu’Ernest Cormier a choisie pour habiller le pavillon principal de l’Université de Montréal. Celle-ci est d’ailleurs à l’honneur un peu partout sur la rue Racine de Chicoutimi, voie principale de cet arrondissement. À ces matériaux (figure 25), Côté jouxte la pierre de granite rose et noire de la région, affublant ainsi ses bâtiments de parements bien typiques à la région dans laquelle se concentre son œuvre. Dans le projet, l’utilisation de ces matériaux a été un paramètre de conception à respecter afin, premièrement, de bien intégrer les bâtiments au site, et deuxièmement, d’utiliser des matériaux que Paul-Marie Côté aurait pu choisir à l’époque, par un processus de sélection semblable.

24. Hubert-Jan Henket et Hilde Heynen, dir., Back From Utopia : the Challenge of the Modern Movement (Rotterdam : 010 Publishers, 2002), 12. 25. Cohen, « International Rhetoric, Local Response, » dans Back From Utopia : the Challenge of the Modern Movement, dir. Hubert-Jan Henket et Hilde Heynen (Rotterdam : 010 Publishers, 2002), 84.

24


Figure 25 Les matériaux utilisés Source : CG Textures

La démarche conceptuelle s’inscrit donc dans la façon de considérer l’architecture moderne de Docomomo, qui la considère comme un impératif culturel qui exprimes des idées innovantes26. L’organisme considère donc aussi importante le processus créatif que l’objet conçu comme digne d’importance et d’intérêt. En explorant les avenues de conceptions qui auraient guidé Côté dans une intervention semblable, le processus permet de considérer l’architecture des bâtiments en place non seulement comme objets construits, mais comme documents d’histoire témoignant à la fois de l’époque et du langage architecturale de l’architecte derrière le projet initial.

26. Henket et Heynen, Back from Utopia, 15-16.

25


3.4 LA CONSERVATION DU PATRIMOINE MODERNE EN ACTION 3.4.1 Les nouveaux paradigmes en conservation applicable à l’architecture moderne. Les ouvrages sur lesquels l’essai (projet) se base démontrent de façon théorique et factuelle de nouvelles avenues prometteuses d’appui à la reconnaissance de ce jeune patrimoine. En effet, le courant de pensée dans lequel des auteurs comme France Vanlaethem et Marie-Josée Therrien, Maristella Casciato et Émilie d’Orgeix ou bien HubertJan Henket et Hilde Heynen s’inscrivent démontre qu’une nouvelle attitude plus permissive est nécessaire pour intervenir sur ces bâtiments édifiés en rupture avec les traditions. Si des cures de restauration sont essentielles à l’esthétique des bâtiments modernes, les usages qui s’y insèrent doivent le faire en tirant profit des espaces ouverts créés par les nouveaux matériaux structurels de l’époque et le faire en fonction de ne pas laisser de traces pour permettre d’éventuelles utilisations subséquentes. Si plusieurs auteurs au sujet du patrimoine basent leurs raisonnements sur les écrits d’Aloïs Riegl (1903), de nouveaux paradigmes de conservation font leur apparition chez les chercheurs du Getty Conservation Institute (GCI). Ceux-ci se s’intéressent entre autres à comprendre le rôle de la conservation dans la société, à participer à l’éducation de la communauté pour ultimement renforcer la capacité des acteurs du milieu à enrichir la vie culturelle27. Les recherches des chercheurs ont également révélé le manque de méthodologies reconnues pour l’évaluation de valeurs culturelles, de même que des difficultés à comparer les évaluations entre les valeurs culturelles et économiques28. D’ailleurs, Tania Martin travaille également depuis quelques années à inclure ces nouveaux paradigmes à une méthodologie d’évaluation patrimoniale. Un élément central est l’ouverture au grand public de la question patrimoniale. La démocratisation permet de mieux articuler et comprendre comment les valeurs ont de l’importance quant aux décisions de quoi conserver, comment le faire, comment établir les priorités et gérer les conflits d’intérêts. Selon Marta de la Torre, les deux principaux défis pour les professionnels de la conservation sont le partage des pouvoirs et les défis de la collaboration. En effet, trop de démocratisation rendrait inutiles les professionnels de la conservation. Le rôle du spécialiste en conservation doit être renouvelé pour qu’il agisse à la fois expert et orchestrateur, en modérant les discussions par ses connaissances en filtrant le débat. Le principal défi est de continuer de chercher des moyens de servir le bien du public et de préserver le matériel du passé, sans oublier la question environnementale de plus en plus ancrée dans l’évaluation des valeurs.

27. Erica C. Avrami, Randall Mason, et Marta de la Torre, Values and Heritage Conservation: Research Report (Los Angeles : Getty Conservation Institute, 2000), 1. Consulté le 12 décembre 2016. http://hdl.handle.net/10020/gci_pubs/values_heritage_research_report. 28. Marta de la Torre, Assessing the Values of Cultural Heritage: Research Report (Los Angeles : Getty Conservation Institute, 2002), 3-4. Consulté le 12 décembre 2016. http://hdl.handle.net/10020/gci_pubs/values_cultural_heritage.

26


Enfin, les considérations économiques prennent de plus en plus de place dans la question de l’évaluation patrimoniale, devant les valeurs culturelles, sociales, politiques et esthétiques. Leur rôle permet de donner à la conservation un rôle productif dans la société29.

3.4.2 Les vocations compatibles et usages adaptatifs Si la meilleure solution pour favoriser la conservation est le maintien ou le retour de la vocation d’origine, cela n’est pas toujours possible. Pour un affecter une nouvelle fonction dans un bâtiment, il est primordial que celle-ci soit compatible avec celui-ci afin de favoriser la conservation de ses qualités architecturales.30 Une façon d’envisager le recyclage des bâtiments réside dans les usages adaptatifs. Ceux-ci permettent d’augmenter la valeur d’usage d’un bâtiment puisqu’il devient alors plus attrayant.31 En effet, cette façon d’insérer une nouvelle fonction dans un édifice existant admet que celui-ci peut accueillir sa nouvelle fonction autrement qu’un bâtiment neuf le ferait, c’est-à-dire avec un léger inconfort, lequel donne par contre de l’originalité au projet. De plus, ce type d’opération permet l’ouverture d’esprit, menant à des possibilités hors du commun. Lorsque bien réalisés et dotés d’un minimum de fonctionnalité, ces projets seront attrayants et piqueront la curiosité des visiteurs. Pour en revenir avec les nouveaux paradigmes en conservation, le degré d’intégrité souhaité peut être un frein et nuire à la réussite des réutilisations, ce pour quoi un certain degré d’équilibre doit être maintenu par l’intervention quant au degré de conservation32. En effet, vouloir tout conserver ou remettre dans on état d’origine revient à espérer empêcher l’horloge de tourner, ou à vouloir la faire tourner à l’envers. L’insertion d’une nouvelle fonction, même compatible, peut exiger certaines modifications à la structure originale du bâtiment. En ce sens, l’authenticité peut être à la fois physique et spirituelle33, ce qui exige parfois de se rappeler que ce sont la vitalité et le maintien en activités qui sont à la base de la conservation des bâtiments. Si les bâtiments modernes ont vu le jour dans leur forme pour convenir à leur fonction, dans le cas d’usages adaptatifs c’est l’usage qui doit s’adapter à la forme du bâtiment. De quoi renverser les idées préconçues !

29. Randal Mason, Economics and Heritage Conservation: A Meeting Organized by the Getty Conservation Institute, December 1998 (Los Angeles : Getty Conservation Institute, 1999), 1. Consulté le 12 décembre 2016. http://hdl.handle.net/10020/gci_pubs/economics_and_heritage. 30. Reny, Principes et critères de restauration et d’insertion, 41-42.; Stewart Brand, How buildings learn : what happens after they’re built (New York : Viking, 1994), 97. 31. Brand, How buildings learn, 104. 32. Susan MacDonald, « La conservation de l’architecture moderne au XXIe siècle, » 154. 33. John Allan, « A Challenge of Values, » dans Back From Utopia : the Challenge of the Modern Movement, dir. Hubert-Jan Henket et Hilde Heynen (Rotterdam : 010 Publishers, 2002), 21.

27


D’un autre côté, les extended uses (ou usages étendus) permettent la cohabitation de plusieurs fonctions dans un lieu, selon un horaire qui permet le partage du lieu et des coûts d’utilisation de celui-ci.34 À la lumière de ces nouveaux paradigmes, le projet d’architecture tente d’inclure ces nouveaux regards tout d’abord en ne figeant pas les bâtiments dans le temps. En ouvrant leurs portes à de nouvelles vocations (figures 26 - avant et 27 - après), soit par le partage d’espace ou par la conversion, ceux-ci maximisent leur utilisation en fonction de plusieurs occupations qui peuvent se relayer chronologiquement, et ainsi rentabiliser leurs coûts d’exploitation. Par contre, une vision strictement fonctionnaliste pourrait affaiblir la mise en patrimoine, gage de pérennité, et ainsi rendre incertaine la survie du bâtiment.35

Figure 26 Intérieur de l’école Georges-Vanier, 1962 Pour revenir à un espace tel que représenté sur cette photo, le projet prescrit de retirer les plafonds suspendus qui ont été ajoutés au cours des années, nécessitant l’obturation de la partie supérieure de fenêtres, lesquelles seront remises à neuf, conformément aux bonnes pratiques en conservation. Photo : Fonds Gil Lemieux

Figure 27 Conversion de l’école en bibliothèque d’arrondissement, salle de lecture. En décloisonnant l’espace de la salle de lecture, les qualités du plan-libre permis par la structure du bâtiment sont exacerbées. Afin de maximiser la flexibilité des lieux, le mobilier ainsi que les salles de travailles sont mobiles grâce à un système de roulettes de caoutchouc. Jonathan Lévesque (2017)

3.4.3 La flexibilité des espaces : le « loose fit » À la fin des années 1960 et au début des années 1970, plusieurs professeurs des départements d’architecture du MIT, de Berkeley et de la London’s Architectural Association ont commencé à esquisser un moyen de répondre à certains échecs de matérialisation des idéologies modernistes. C’est ainsi que le « loose fit » a fait son apparition. En définition, il s’agit d’un moyen de pouvoir accommoder des usages inattendus au cours de la vie des bâtiments, notamment pour prolonger la durée de vie de ceux-ci.36 Les bâtiments adaptatifs que crée le « loose fit » prévoient entre autres de généreuses dimensions, tant dans les espaces occupés que dans ceux destinés aux services, comme ceux des

34. Crispin Truman, « New Uses and New Ownership in English Historic Churches, » dans Quel avenir pour quelles églises ? = What Future for Which Churches?, dir. Lucie K. Morisset, Luc Noppen, et Thomas Coomans (Québec : Presses de l'Université du Québec, 2006), 218. 35. Luc Noppen, « La conversion des églises au Québec : Enjeux et défis, » dans Quel avenir pour quelles églises ? = What Future for Which Churches?, dir. Lucie K. Morisset, Luc Noppen, et Thomas Coomans (Québec : Presses de l'Université du Québec, 2006), 279. 36. Brand, How buildings learn, 56.

28


communications. La structure de ces bâtiments doit être robuste afin de pouvoir accommoder des usages plus exigeants au niveau des charges.37 La clé du succès de ce concept réside donc dans l’anticipation. Ainsi, à la fin d’un cycle d’utilisation, le bâtiment aura la possibilité de relever de nouveaux défis d’adaptation sans trop de difficultés.38 Une autre clé conceptuelle se matérialise dans le surdimensionnement, tant des espaces que de la structure. Les coûts engendrés par de telles opérations sont absorbés par le fait que selon le « loose fit », il est admissible de laisser certaines parties des bâtiments non finies en quelque sorte, en laissant les structures apparentes notamment. Brand, à la fois auteur, biologiste, inventeur et designer, illustre cela par l’opposition cuit/cru : le cuit représente les espaces occupés par des usages, tandis que le cru quant à lui réfère aux espaces en réserve, permettant d’optimiser l’adaptation en cas de conversion. L’architecture inspirée du « loose fit » est également rationnelle par la flexibilité de ses espaces. Contrairement à un espace fonctionnel, qui réfèrerait à un vêtement fait sur mesure pour un corps en particulier, les espaces « loose fit » se prêtent à plusieurs scénarios d’aménagement possibles.39 Le potentiel transitoire de l’architecture est ainsi exacerbé, les solutions envisagées permettant l’adaptation à de nouvelles vocations après la vie utile de l’usage initial. Un certain esthétisme minimaliste découle de ce type d’aménagement. En effet, l’espace doit être dépersonnalisé, le plus neutre possible. Pour l’intervention dans l’existant, l’aménagement de la bibliothèque à même l’école Georges-Vanier, inspiré de celui du Dream Industries Telegraph (Annexe 3.3), tire profit des caractéristiques « loose fit » de l’étage du bâtiment (figure 28 – avant et 29 - après). Cela est rendu possible notamment par son espace ayant la possibilité d’être dépourvu de tout mur ou colonne en raison de sa structure. Plusieurs scénarios d’aménagement y sont possibles, et si la vocation de bibliothèque venait qu’à s’essouffler, l’espace pourrait être converti à d’autres fins aisément.

37. Ibid., 177. 38. Ibid., 196. 39. Wessel de Jonge, « The Technology of Change : The Van Nelle Factories in Transition, » dans Back From Utopia : the Challenge of the Modern Movement, dir. Hubert-Jan Henket et Hilde Heynen (Rotterdam : 010 Publishers, 2002), 46.

29


Figure 28 Plan de l'école primaire avant conversion Dans le cadre du projet, les cloisons sont démolies afin de rendre le plan de l’étage ouvert et d’améliorer sa flexibilité / adaptabilité. Source : Paul-Marie Côté, architecte, 1962. BAnQ Saguenay, Cote P219, S1, P466.

Figure 29 Plan de la salle de lecture, nouvel aménagement. Jonathan Lévesque (2017)

Les formes pures de l’architecture moderne bravent le temps, lui conférant des qualités d’adaptabilité et de longévité. Ces caractéristiques permettent d’en assurer la pérennité en lui offrant la possibilité à plusieurs cycles de réutilisation de se succéder au cours de la vie des constructions, notamment si ces édifices sont entretenus régulièrement.40 De plus, il faut garder en tête que le recyclage d’un bâtiment est beaucoup plus économique que la construction d’un nouveau, tant en termes monétaires qu’énergétiques. C’est pourquoi il est primordial de veiller sur bon nombre d’édifices modernes afin de s’assurer, par exemple, du bon état de l’armature d’un bâtiment de béton armé avant qu’il ne soit trop tard et qu’elle ne se corrode.

40. Harry Seidler, « Progress or Fashion in Architecture, » dans Back From Utopia : the Challenge of the Modern Movement, dir. Hubert-Jan Henket et Hilde Heynen (Rotterdam : 010 Publishers, 2002), 64.

30


3.5 L’ÉDUCATION ET LA SENSIBILISATION DE LA POPULATION L’implication citoyenne au processus de patrimonialisation de l’architecture moderne implique bien entendu son éducation et sa sensibilisation au sujet. À l’échelle du projet, il s’agit notamment de mettre en place un lieu axé sur les valeurs sociales et communautaires afin d’améliorer le cadre vie de la population pour que celle-ci puisse s’approprier l’objet architectural à l’usage restauré. Une certaine appréhension de la population existe face à l’architecture moderne. Malgré ce paradoxe, il est nécessaire d’éveiller son intérêt pour la conservation de son milieu bâti et de la sensibiliser à la pertinence de le faire.41 Ce rôle est celui des acteurs de la conservation de même que des institutions culturelles dont la mission est de communiquer l’histoire architecturale à la communauté. Au Saguenay, c’est entre autres le rôle de la Société d’Histoire du Saguenay. En plus de communications électroniques et via les médias journalistiques, d’offrir un espace de visibilité à de tels organismes au cœur de la vie citoyenne est un pas vers la transmission de l’intérêt pour l’histoire. En ce sens, la réhabilitation du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville permet de faire revivre son quartier, revitalisant un secteur un peu oublié. En plus de l’intérêt croissant des chercheurs et professionnels, le patrimoine moderne possède l’avantage d’être relativement récent, ce qui fait que l’essentiel de son paysage appartient encore à la mémoire vivante42, facilitant sa communication tant orale qu’à partir de sources archivistiques. Pour aborder l’intervention architecturale et le changement de vocation, il faut considérer que les bâtiments du noyau institutionnel ont déjà une vie, et que l’intervention que l’on propose ne fait qu’ajouter un chapitre à son histoire.43 Cette façon de concevoir le projet est plus libératrice pour le concepteur et permet un geste répondant aux besoins de la nouvelle fonction, davantage que de vouloir figer un bâtiment dans le temps. De plus, cela permet à la nouvelle fonction de créer une nouvelle identité au lieu. Avec de nouveaux usages, les bâtiments deviennent des lieux dynamiques avec leurs propres caractères plutôt que des espaces à rentabiliser. Ces nouvelles fonctions induisent un dialogue certain entre l’ancien bâtiment et sa nouvelle vocation.44 Pour qu’une opération de conservation soit réussie, elle doit nécessairement avoir une réception positive au niveau local, pas seulement dans l’œil des experts, lesquels prônent souvent la valeur symbolique malgré eux. C’est donc la valeur d’usage qui doit révéler la valeur symbolique par la sensibilisation et l’éducation de la population quant à la conservation.45

41. Parcs Canada, Plan du réseau des lieux historiques nationaux du Canada – La commémoration du Patrimoine bâti canadien de l’ère moderne (Ottawa : Patrimoine canadien / Parcs Canada, 2001) : 6, 9. 42. Susan MacDonald, « La conservation de l’architecture moderne au XXIe siècle, » 150. 43. Brand, How buildings learn, 105. 44. Wessel de Jonge, « The Technology of Change, » 58. 45. Henket et Heynen, Back from Utopia, 396.

31


Dans le cas du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville, un point qui permet de présumer une réception positive de la population réside dans l’attachement de celle-ci à « son » église46, que le projet vise à protéger d’un éventuel abandon en enrichissant le contexte. Grâce à une ouverture à de nouvelles activités, l’église peut susciter un renforcement du sentiment d’appartenance et de cohésion socioculturelle.47 De plus, le tourisme, par sa vocation culturelle et d’éducation, permet d’impliquer la population grâce à sa connaissance du lieu, lui conférant un sentiment de responsabilité et d’implication face au monument.48 Des évènements comme des journées portes ouvertes sont des moyens intéressants pour faire connaître les bâtiments à la population locale et en visite. Il est entre autres primordial d’éduquer et de sensibiliser les jeunes à l’histoire du patrimoine religieux méconnu pour eux. Des églises comme SaintMarc leur apparaissent comme des curiosités, des endroits de dépaysement qu’ils apprécient.49 Dans le projet en appui à cet essai, l’utilisation de la nef de l’église par une troupe de théâtre, en cohabitation avec la congrégation pour ses services religieux, est un moyen parmi tant d’autres pour mettre ces idées en pratique.

3.6 LA DIFFUSION DES EXPÉRIENCES DE CONSERVATION L’ouverture au tourisme est un moyen économique de soutenir l’utilisation qui a le potentiel de faire rayonner les expériences de conservation de l’architecture moderne. L’apparition des bâtiments restaurés dans les publications régionales permet de renforcer leur apport à l’identité du lieu ainsi que de générer un flux d’usagers supplémentaire.50 Si des bâtiments d’architecture moderne se sont parsemés un peu partout, c’est entre autres en raison de la forte diffusion des écrits et photographies des bâtiments des grandes figures tutélaires du Modernisme à l’ère des médias écrits. Ces sources permettent un accès à des archives inédites pour les conservateurs. Les revues et manifestes d’architecture ont permis l’émergence de l’architecture moderne à l’international en raison de la grande portée de leur diffusion51. Aujourd’hui, la communication numérique a le potentiel de faire connaître les expériences de sauvegarde de bâtiments modernes à un public international, mettant à l’avant-plan la valeur d’exemple de ces opérations. Par sa réalisation, le projet de conservation du noyau institutionnel fait la médiation de la sauvegarde de l’architecture moderne. En premier lieu, la restauration et le recyclage de l’école Georges-Vanier est un exemple concret des possibilités offertes pour réinvestir ce type de bâtiment. Une fois à l’intérieur, diverses bornes d’information appuient la

46. Lucie K. Morisset, Luc Noppen, et Thomas Coomans, dir., Quel avenir pour quelles églises ? = What Future for Which Churches? Patrimoine urbain (Québec : Presses de l’Université du Québec, 2006), 1. 47. Xavier Greffe, « La réutilisation des églises – Valeurs d’existence et valeurs d’usage, » dans Quel avenir pour quelles églises ? = What Future for Which Churches?, dir. Lucie K. Morisset, Luc Noppen, et Thomas Coomans (Québec : Presses de l'Université du Québec, 2006), 172. 48. Crispin Truman, « New Uses and New Ownership in English Historic Churches, » 218. 49. Luc Noppen, « La conversion des églises au Québec,» 295. 50. Gérard Monnier, « The Reception of Modernism by Users : Practical Value and Symbolic Value, » dans Back From Utopia : the Challenge of the Modern Movement, dir. Hubert-Jan Henket et Hilde Heynen (Rotterdam : 010 Publishers, 2002), 358. 51. Casciato et d’Orgeix, Architectures modernes, 10.

32


démarche en faisant l’interprétation du projet afin d’en informer les visiteurs. Ces espaces consacrés à la diffusion sensibilisent les visiteurs à l’échelle locale, tandis que de d’anticiper que le projet fasse faire l’objet de publications dans divers types de médias est un moyen d’envisager la diffusion de l’expérience de conservation à une plus grande échelle. Également, grâce à son centre d’interprétation et à la possibilité d’y tenir des congrès, le noyau institutionnel rayonnerait davantage dans les publications touristiques qu’actuellement, l’église Saint-Marc étant le seul monument que l’on puisse y retrouver. Les publications comme les monographies d’architecture sont un moyen de faire connaître les bâtiments qui comptent parmi les stratégies émergentes de la réhabilitation52. Pensons notamment au livre Building Seagram de Phyllis Lambert53 qui constitue un bon exemple du potentiel de la médiation culturelle par l’entremise d’une publication permet. La mission du centre d’archives prévue dans le projet est double : elle commence par la mise en valeur du contenu des collections d’archives, et dans un deuxième temps se manifeste par l’ouverture du site patrimonial du noyau institutionnel de Saint-Marc de Bagotville à une grande variété d’usagers. Par l’accueil d’expositions (figure 19) dans le bâtiment d’archives prévu dans le projet, de la tenue de colloques et de manifestations culturelles, le site ouvre ses portes à de nouveaux visiteurs qui feront à la fois l’expérience des bâtiments en plus des buts premiers de leur visite. Autrement que par les mots et les images, les bâtiments anciens permettent en effet une immersion dans l’histoire54, et, en même temps, projette les utilisateurs de ces espaces dans le présent ainsi que dans le futur.

Figure 30 Vue intérieure de la salle d'exposition De l’extérieur (figure 21), la salle d’expositions se présente comme une double coquille, tout d’abord de granit rose habillée d’une dentelle de béton. De l’intérieur, la parcimonie des ouvertures, en majorité orientées au nord, permet un éclairage diffus, de mise pour la fonction de l’espace. Le bandeau horizontal au ras du sol permet de projeter l’espace vers l’extérieur grâce à la continuité du béton du sol. La fenêtre en hauteur quant à elle cadre la vue le faîte de toiture de l’église. Jonathan Lévesque (2017)

52. Ibid., 14. 53. Phyllis Lambert, Seagram Building (Yale University Press, 2013), 320p. 54 Brand, How buildings learn, 90.

33


34


4. CONCLUSION

En conclusion, rappelons que l’intention première de la réserve de savoirs est de sensibiliser le public quant à la valeur patrimoniale de l’architecture moderne identitaire à la région afin d’en assurer la pérennité. À partir de l’adaptabilité des bâtiments modernes issue de leurs formes rationalistes, la pérennité de ceux-ci est assurée par un programme qui favorise le contact constant de la communauté avec le patrimoine comme moyen de sensibilisation. La flexibilité du lieu comme envisagé par le projet permet la cohabitation de plusieurs fonctions dans les bâtiments ainsi que la réutilisation de ceuxci cycliquement dans le temps long. Pour respecter les considérations conceptuelles de l’architecte à l’origine du lieu, Paul-Marie Côté, l’intervention architecturale prévue respecte l’intégrité formelle des bâtiments ainsi qu’être d’une facture visuelle modeste. Afin d’être attrayant et original, le projet inspire un certain dépaysement entre les fonctions initiales des bâtiments et celles proposées dans la réserve culturelle. En offrant une nouvelle identité au lieu, renforcée par l’unité architecturale de l’ensemble, le projet favorise une appréciation améliorée de son architecture et offre une porte ouverte sur le patrimoine, faisant du même coup la promotion de la conservation de l’architecture moderne. Même si beaucoup reste à faire quant à la reconnaissance patrimoniale de ce jeune patrimoine, la recherche en la matière démontre beaucoup d’intérêt pour le sujet, tant au Québec qu’ailleurs. Avec l’ouverture au public que suggèrent les nouveaux paradigmes de conservation, la population considèrera peut-être bien vite les bâtiments modernes comme ancrés dans l’urbanités de leur milieu de vie et comme témoins de leur histoire récente. Quant à la démolition de l’église Notre-Dame-de-Fatima, espérons que cette grande perte pour le patrimoine régional du Saguenay ait au moins servi de leçon pour l’éveil de la population, peut-être un pas de plus vers la nécessaire prise en main de la gestion de son identité architecturale.

35


36


5. RETOUR CRITIQUE SUR LE PROJET D’ARCHITECTURE

Dans son ensemble, le projet d’architecture a été bien reçu de la part du jury. Celui-ci a salué la présentation exhaustive du site de même que l’inventaire et la brève histoire de l’affectation des bâtiments qui le composent. À l’échelle du zonage les solutions préconisées pour la revitalisation et la requalification du secteur et des bâtiments n’ont pas soulevé de commentaires négatifs. Par contre, à l’échelle du design urbain, le jury a dénoté une forte présence de sol minéral par rapport aux ajouts de végétation. Le parti de conserver l’arrière de la bibliothèque et du centre d’archive en stationnement n’a pas fait l’unanimité. J’aurais eu avantage à préciser le remplacement du revêtement d’asphalte par de la pierre concassée à forte teneur en granite rose qui, en plus d’être perméable à l’eau de pluie, sied le bâtiment sur un revêtement qui rappelle la matérialité du nouveau bâtiment abritant le centre d’archive. En plus d’appuyer ce geste par l’importance de l’automobile à l’époque moderne, j’aurais peut-être dû évoquer l’inefficacité du transport public de la Ville de Saguenay qui nourrit le mythe de l’impossibilité de se déplacer sans voiture dans la région. Davantage d’efforts auraient été nécessaires en termes de représentation afin de mieux comprendre mon intention de faire un « campus » institutionnel du noyau. À ce sujet, peut-être la rue scindant le parvis de l’église Saint-Marc en deux aurait gagné à être obturée au lieu de la rue Sirois. La préservation des arbres matures au pourtour de l’église a cependant fait l’unanimité. Le bâtiment sur lequel j’ai mis la majorité de mes efforts a reçu d’élogieux commentaires en termes d’intégration. Le jury a salué la justesse avec laquelle j’ai réussi à rendre hommage à l’œuvre de Paul-Marie Côté par cette intervention de juxtaposition d’un nouveau pavillon à un bâtiment existant conçu par l’architecte. Éléments centraux de ma démarche, la lecture et l’interprétation de l’existant et des documents d’archives ont révélé ma sensibilité et ma capacité de reconstituer un tout à partir de fragments tant théoriques qu’existants d’une œuvre architecturale. Malgré cela, l’effort de rétablir l’unité architecturale à partir de l’analyse de précédents a été mieux reçu à l’avant du bâtiment qu’à l’arrière. En effet, si une autre itération du projet était à faire, les arches en double coque gagneraient à être prolongées sur l’ensemble des façades afin de créer l’unité. En ce qui a trait à l’aménagement intérieur, le jury a bien perçu mon intention de concevoir des espaces flexibles. Les défis relatifs à la lumière naturelle et aux conditions intérieures ont été résolus par la salle d’exposition, le laboratoire et les réserves d’archives. Grâce à l’analyse structurale du bâtiment de l’école Georges-Vanier, le jury a compris et apprécié l’aménagement malléable de la salle de lecture de la bibliothèque, entres autres les blocs de travail mobiles représentés. Quelques petits ajustements techniques ont été relevés, mais ont été jugés acceptables dans le cas d’un projet de revitalisation de l’existant. Le parti de reconstruire le centre communautaire incendié a été unanimement accepté par le jury. Par contre, ceux-ci ont mis en doute la manière de le faire. Plutôt que de restituer un bâtiment qui aurait pu avoir été construit

37


concomitamment aux autres bâtiments du noyau institutionnel présentant une synthèse conceptuelle des bâtiments du début de la carrière de Paul-Marie Côté, le jury aurait plutôt apprécié un bâtiment dont la facture architecturale reflète mon propre style et qui est à la fois plus contemporain. Plutôt que de le présenter dans le langage de Paul-Marie Côté, j’aurais dû l’évoquer par un « bloc blanc » et concentrer mes efforts sur l’aménagement urbain et les liens entre éléments du programme sur le site.

38


BIBLIOGRAPHIE Avrami, Erica C., Randall Mason, et Marta de la Torre. Values and Heritage Conservation: Research Report. Los Angeles : Getty Conservation Institute, 2000. Consulté le 12 décembre 2016. http://hdl.handle.net/10020/gci_pubs/values_heritage_research_report. Brand, Stewart. How buildings learn : what happens after they’re built. New York : Viking, 1994. Casciato, Maristella, et Émilie d'Orgeix. Architectures modernes : l’émergence d’un patrimoine. Wavre, BE : Mardaga, 2012. Centre Canadien d’Architecture. Centre Canadien d’Architecture/Canadian Centre for Architecture : architectures et paysage. Sous la direction de Larry Richards. Montréal : Centre Canadien d’Architecture/Canadian Centre for Architecture, 1989. De la Torre, Marta. Assessing the Values of Cultural Heritage: Research Report. Los Angeles : Getty Conservation Institute, 2002. Consulté le 12 décembre 2016. http://hdl.handle.net/10020/gci_pubs/values_cultural_heritage. Dubois, Martin. « La restauration du patrimoine architectural moderne : contexte théorique en Occident, applications et études de cas au Québec. » Mémoire de M.Arch., Université Laval, 1996. Henket, Hubert-Jan et Hilde Heynen, dir. Back From Utopia : the Challenge of the Modern Movement. Rotterdam : 010 Publishers, 2002. Kalman, Harold. Heritage Planning : Principles and Process. Londres : Routledge, 2014. Lévesque, Jonathan. « Église Saint-Marc de Bagotville : Aux sources de l'innovation. » Continuité, no 152 (Printemps 2017), sous « Églises modernes. Oeuvres de pionniers ». Consulté le 24 mars 2017. http://www.magazinecontinuite.com/numero-152/eglise-saint-marc-de-bagotville-aux-sources-de-innovation288/. Martin, Tania, et Andrew Johnston, dir. The adaptative reuse of historic religious structures = La réaffectation du patrimoine religieux bâti. Québec : Université Laval, 2006. Martin, Tania, et Sandy Lalancette. « Un espace à partager. » Dans Nos églises : un patrimoine à convertir, 4–6. Québec : Conseil du patrimoine religieux du Québec, 2012. Consulté le 12 décembre 2016. http://www.patrimoinereligieux.qc.ca/fr/telechargement/Patrimoine_a_convertir_Continuite_CPRQ2.pdf.Précédemment publié sous « Un espace à partager. » Continuité, no 131 (Hiver 2011-2012) : 28–31. Mason, Randall. Economics and Heritage Conservation: A Meeting Organized by the Getty Conservation Institute, December 1998. Los Angeles : Getty Conservation Institute, 1999. Consulté le 12 décembre 2016. http://hdl.handle.net/10020/gci_pubs/economics_and_heritage. Ministère de la Culture et des Communications du Québec. « Conservation du patrimoine à caractère religieux – Le ministre Fortin annonce la création d'un comité de travail sur la mise en valeur du patrimoine religieux moderne du Québec. » Communiqué, 3 novembre 2016. Consulté le 2 décembre 2016. https://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=2328&no_cache=1&tx_ttnews%5Btt_news%5D=7654&cHash=495 321e3302f44af163adf78fe7fce29. Ministère de la Culture et des Communications du Québec. « Église de Saint-Marc. » Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Consulté le 13 novembre 2016. http://www.patrimoineculturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=105554&type=bien.

39


Ministère de la Culture et des Communications du Québec. « Site du patrimoine du Noyau-Institutionnel-de-Saint-Marcde-Bagotville. » Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Consulté le 13 novembre 2016. http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode= consulter&id=93589&type=bien Morisset, Lucie K., et Luc Noppen. L’Église Saint-Marc-L’Évangéliste de Bagotville (Ville de La Baie) : analyse historique et architecturale. Saguenay : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, Direction régionale du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord, 1999. Morisset, Lucie K., Luc Noppen, et Patrick Dieudonné. Patrimoines modernes : l’architecture du vingtième siècle à Chicoutimi. Québec : Presses de l'Université du Québec, 2004. Morisset, Lucie K., Luc Noppen, et Thomas Coomans, dir. Quel avenir pour quelles églises ? = What Future for Which Churches? Patrimoine urbain. Québec : Presses de l'Université du Québec, 2006. Neate, Hannah et Ruth Craggs, dir. Modern Futures. Axminster, RU : Uniformbook, 2016. Noppen, Luc, et Lucie K. Morisset. Les églises du Québec : Un patrimoine à réinventer. Patrimoine urbain. Québec : Presses de l'Université du Québec, 2005. Parcs Canada. Plan du réseau des lieux historiques nationaux du Canada – La commémoration du Patrimoine bâti canadien de l’ère moderne. Ottawa : Patrimoine canadien / Parcs Canada, 2001. Reny, Claude. Principes et critères de restauration et d’insertion : le patrimoine architectural d’intérêt public au Québec. Québec : Ministère des affaires culturelles, 1991. Riegl, Aloïs. Le culte moderne des monuments : sa nature, son origine. Traduit par Jacques Boulet. Paris : L'Harmattan, 2003. Semes, Steven W. The Future of the Past: A Conservation Ethic for Architecture, Urbanism, and Historic Preservation. New York : W.W. Norton & Company, 2009. Siegel, Curt. Les formes structurales de l'architecture moderne. Paris : Éditions Eyrolles, 1960. Vanlaethem, France, et Marie-Josée Therrien, dir. La sauvegarde de l’architecture moderne. Montréal : Presses de l’université du Québec, 2014. Vanlaethem, France. Patrimoine en devenir : l’architecture moderne du Québec. Québec : Publications du Québec, 2012.

40


ANNEXE 1. PLANCHES TELLES QUE PRÉSENTÉES À LA CRITIQUE FINALE

41


42








ANNEXE 2. SCHÉMA CONCEPTUEL

49



ANNEXE 3 ANALYSE DE PRÉCÉDENTS ARCHITECTURAUX 3.1. CÉGEP DE CHICOUTIMI

51


3.2. CENTRE CANADIEN D’ARCHITECTURE

52


3.3 DREAM INDUSTRIES TELEGRAPH

53


54


55


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.