Marie Élie Gagné Jonathan Lévesque
Reg a r d sur l es
Cités-Jardins
d e s t h é or i e s h ow a r d i en n es a ux ca s q uéb éco i s
Firme Desgagné & Boileau,architectes, Esquisse du monument Notre-Dame, entre 1940 et 1950. BAnQ, Centre d’archives du Saguenay–Lac-Saint-Jean, fonds du Foyer coopératif de Chicoutimi ( S o c i é t é h i s t o r i q u e d u S a g u e n a y, F P H - 1 3 9 / 1 3 ) .
Marie Élie Gagné Jonathan Lévesque
Reg a r d sur l es
Cités-Jardins
d e s t h é or i e s h ow a r d i en n es a ux ca s q uéb éco i s
ARC-6059 Nature et culture Esthétiques du paysage et théories du site
École d’Architecture Faculté d’aménagement, d’architecture, et d’art et de design Université Laval, Québec Automne 2016
Table des ma tiè r es RÉ S U M É
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La Vil le Radieu se – Le Corbus i e r ( 1922- 1935) B r o adacr e Cit y – Fran k Lloyd Wri gh t ( 1931- 1935)
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LA CI T É - J A R D IN SELON EBENEZER H OWAR D
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DU
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É T U D E D E CAS : LA C ITÉ-JARDIN DU FOYER CO O P É RAT I F DE C HICOUTIMI
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PE R S P ECT I V ES
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B I BL I O G RA P HIE
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I N T RO D U CT I O N - UTOP IES U RBAINES D É S U R B A N I S ME
ET
Co nt ex t e d’élaborati on d e la th é ori e As pect s fo r mels d e la ci té -jard i n d ’ How ar d Ma n ifest at io ns d e l’ i d é e d e ci té -jard i n
LA CI T É- J A R D I N SUR L E TERRITOIRE AMÉR ICAIN La La La La
cit é-jar din cit é-jar din cit é-jar din cit é-jar din
au Can ad a au Qué be c d’e n tre pri s e coopé rati ve can ad i e n n e - f r a nçai s e
É T U D E D E CAS : LA C ITÉ-JAR DIN T RI CEN T EN A I R E DE MONTRÉAL
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RÉSUM É À la fois considérée comme une utopie d’aménagement urbain ou bien comme modèle d’urbanisation de la ville industrielle, la cité-jardin est un véritable manifeste de la révolution urbaine du XXe siècle. Cette recherche s’intéresse à la matérialisation des cités-jardins sur le territoire québécois à partir d’une analyse des théories et de l’histoire du phénomène dont la genèse prend racine dans les idées du Britannique Ebenezer Howard, figure tutélaire de l’aménagement et de l’urbanisme en Europe. La recherche s’amorcera par une analyse contextuelle de l’élaboration de la théorie d’Howard, laquelle sera comparée à d’autres utopies d’aménagement du XXe siècle : celles de la Ville Radieuse de Le Corbusier et de la Broadacre City de Frank Lloyd Wright sur le continent américain. Il sera ensuite question des fondements et des principes des citésjardins, le tout appuyé par la description des aspects formels largement étayés dans la littérature sur le sujet. La partie suivante traitera des applications de la théorie d’Howard en banlieue de Londres. La partie suivante portera d’abord un regard général sur la question du côté
américain de l’Atlantique. Par la suite, elle élaborera sur les balbutiements de la théorie des cités-jardins au Canada et les apports de Thomas Adams, pionnier en matière de planification de l’aménagement urbain au pays. L’ h i s t o i r e d e s c i t é s - j a r d i n s a u Q u é b e c sera démontrée selon les principes d’édification de ce type d’aménagement, parfois cités ouvrières, sinon coopératives d’habitation. La recherche comportera également un inventaire de manifestations de cités-jardins épars sur le territoire québécois pour démontrer l’importance de la théorie dans l’histoire de l’urbanisme local. À ce sujet, deux études de cas seront présentées, sélectionnées pour leurs liens avec les théories d’Howard. Il s’agit de la Citéjardin du tricentenaire à Montréal et du Foyer Coopératif à Chicoutimi. Pour conclure, l’état actuel des citésjardins sera comparé avec l’esprit initial de leur édification. Il sera également question de ce type d’aménagement urbain moderne comme perspective pour l’aménagement urbain contemporain par l’entremise d’un regard critique sur l’aménagement des banlieues qui tentent tant bien que mal de recréer des cités-jardins.
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INTROD U CT I O N – U TO P I E S UR BAI N E S ET D É S U R B A N IS ME Étonnamment, l’urbanisme du début du XXe siècle peut être qualifié paradoxalement de désurbaniste. En effet, les centres urbains sont grandement transformés par la révolution industrielle, de même que par l’explosion démographique qui les rend plus densément peuplées que jamais (Ragon : 1986, p.13). Pour résumer la situation succinctement, mentionnons qu’à l’époque la banlieue européenne était perçue comme un asile champêtre pour les gens aisés. À l’époque de l’industrialisation, la ville eut besoin de se doter de chemins de fer pour acheminer les produits manufacturés aux lieux de commerce. Cela eut pour effet de défigurer les banlieues, rendant la périphérie des villes moins intéressantes pour les riches qui la délaissèrent pour réintégrer les villes, notamment à la suite de l’assainissement par les travaux d’Haussmann à Paris. Cela induit donc un embourgeoisement de la ville, forçant les pauvres à la quitter pour investir la campagne.
de la campagne. C’est notamment le cas du Vésinet, en banlieue de Paris, conçue par l’architecte Olive et construite entre 1856 et 1875.
Peut-être par nostalgie, les premiers exemples d’aménagement associés ultérieurement aux principes de la citéjardin ont été fondés par une population aisée, dans le but de retrouver le rêve
Bien que la notion de cité-jardin dont il sera question dans cette recherche, soit celle définie par Ebenezer Howard d a n s To - M o r r o w : a P e a c e f u l P a t h t o Real Reform (Londres, 1898), notons
V i c t o r C l é r o t , N o u v e l l e C a r t e To p o g r a p h i q u e d e s environs de Paris (Le Vésinet), 100,33 x 71,12 cm, F r a n c e , 1 8 8 0 . D a n s w w w. h i s t o i r e - v e s i n e t . o r g
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tout de même au passage deux autres approches d’aménagement urbain ayant marqué le début du XXe siècle; celle de la Ville Radieuse de Le Corbusier (19221935) en France, de même que la théorie usoniène de la Broadacre City de Frank Lloyd Wright (1931-1935). Différentes à bien des égards, ces utopies avaient tout de même en commun l’idée socialiste de vouloir vaincre la séparation villecampagne en regroupant la communauté dans de vastes structures familiales, tout en tirant profit des innovations technologiques à portée de main.
e t l a l i b e r t é . L’ u n i f o r m i t é d e s s t r u c t u r e s d’habitation (les Unités) permet d’y éliminer les classes sociales et d’assurer la coopération au travail. Construites sur seulement 15 % du terrain sur lequel elles sont sises, les unités d’habitation libèrent l’espace nécessaire au jeu, aux j a r d i n s e t a u x p a r c s . S e l o n L e C o r b u s i e r, tant l’homme que la femme occupent un emploi dans la société égalitaire choisie par l’architecte comme résidante de la Ville Radieuse.
La Vil l e Ra d ie use – Le Corbusier ( 192 2 - 1 9 3 5 ) Véritable manifeste de révolution urbaine, la théorie élaborée par Le Corbusier prône une ville dense dans laquelle la population est logée dans des gratte-ciel, de véritables rues verticales, réformes de la rue inanimée de la ville ancienne détestée de l’architecte. Implantés dans de grands parcs, ces constructions de verre et d’acier offrent un cadre bâti efficace et esthétique assurant un cadre bureaucratique et administratif exprimant à la fois l’ordre
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L e C o r b u s i e r, l a V i l l e R a d i e u s e , 1933.
plan pour Anvers,
B r o a da cre Ci ty ( 193 1 - 1 9 3 5 )
– Fra nk
L loyd
Wr ight
De son côté, la Broadacre City imaginée par Frank Lloyd Wright est dominée par la valeur d’individualisme. Ainsi, son plan articule des propriétés individuelles sur des terrains d’un hectare et généralement distribués en damier dans une ville sans centre urbain. Afin d’exprimer la décentralisation, il prône l’utilisation de l’automobile dans des réseaux complexes. Pour éviter que les gens s’agglomèrent, les services et commerces sont de petite taille et dispersés dans le territoire. Les bâtiments publics semblent émerger du sol, dans le milieu d’un champ. Si les plans d’Howard sont élaborés en f o n c t i o n d u c h e m i n d e f e r, c e u x d e W r i g h t sont bien de leur temps en considérant que l’automobile a un nouveau pouvoir de maîtrise individuelle du temps et de l’espace à laquelle une nouvelle ville doit répondre. Ces deux visions ont en commun de revaloriser le travail en réconciliant l’homme et la nature. Le domaine collectif et le domaine individuel y sont en juxtaposition et les valeurs familiales préservées dans ces formes urbaines à l’industrialisation repensée.
F r a n k L l o y d Wr i g h t , Vu e a é r i e n n e d e B r o a d a c r e C i t y , 1958.
LA C I TÉ -JARDI N SE LO N E BENEZER HOWARD Contexte d’é labor at ion de la thé o r i e Militant socialiste, Ebenezer Howard est considéré comme la première figure scientifique de l’urbanisme moderne. De nationalité britannique, Howard passe six années aux États-Unis jusqu’à son retour en Angleterre en 1876, alors âgé de 26 ans. La théorie qu’il compose e t p u b l i e e n 1 8 9 8 d a n s To - M o r r o w : a Peaceful Path to Real Reform est
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novatrice parce qu’elle amalgame pour la première fois nature et culture pour réfléchir sur la vie urbaine, le tout teinté de valeurs socialistes dans ses propositions urbanistiques.
Ebenezer Howard, Three Magnets Diagram, 1898. D a n s To - M o r r o w : A P e a c e f u l P a t h t o R e a l R e f o r m , 1898.
Avant tout politique, l’expérience d’Howard vise à transposer un projet
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social dans un univers spatial. Son projet est basé sur une critique du système capitaliste anglais et cible la désintégration des grandes villes qui, selon lui, centralisent l’économie et dirigent la population vers l’anéantissement social en plus d’avoir une productivité inefficace. Sa vision prône le fractionnement des grandes villes en de petites unités autogérées en réseau. Le postulat de sa théorie est que l’aspect capitaliste des mécanismes socioéconomiques de la ville doit être davantage orienté vers des objectifs de natures sociales et spatiales, selon des critères de coopération et de liberté qui amélioreraient la société. Sa théorie améliore vraisemblablement la société capitaliste en place en préservant ses qualités comme l’initiative privée, la dynamique économique libérale et la liberté individuelle (Chamber : 2001, p.14). Le but de la cité-jardin d’Howard est d’offrir de meilleures conditions de vie aux habitants des milieux urbains touchés par l’industrialisation à la fois selon un nouveau modèle social, une forme urbaine renouvelée et mieux adaptée de même que par un discours démontrant la possibilité d’amélioration des milieux urbains. Pour ce faire, leur
densité doit être contrôlée, le foncier doit être géré publiquement, et elles doivent être peuplées d’une variété de catégories sociales. La théorie d’Howard décrit la cité-jardin comme une synthèse de la ville et de la campagne appuyée par la nostalgie de la nature et de nouvelles considérations pour la liberté individuelle. Howard décrit luimême son projet comme une ville dans un jardin ou bien une ville de jardins. (Ragon : 1986, p.19). La commune socialiste imaginée par le théoricien s’inspire des idées de naturalisation du sol d’Henry Georges ainsi que des idées coopératives d’Edward Bellamy dans le roman Looking Backward (1889). Quelques projets précurseurs à la théorie élaborée par Ebenezer Howard présentent des similitudes en conjuguant à la fois un projet d’aménagement urbain et un projet social. Dans son ouvrage, l’auteur Michel Ragon présente Le Vésinet, en banlieue de Paris, comme la plus réussie de toutes les cités-jardins. Bien que la théorie d’Howard considère l’autonomie et l’autarcie des cités-jardins comme des facteurs d’importance, les c i t é s - s a t e l l i t e s d é c r i t e s p a r G . R . Ta y l o r ont quelques similitudes avec celles-ci. Situées en banlieues de grandes villes, celles-ci sont liées en certains points
au grand centre, mais ont toutefois une part d’autonomie due à l’implantation d’industries, en plus de ne pas être des banlieues-dortoirs. Également, Frédéric Le Play (1806-1882), ingénieur et économiste, propose avant Howard l’idée de jardins ouvriers. Il s’agit non pas de cités-jardins proprement dites, mais plutôt de cités ouvrières dotées de jardins potagers (Ragon : 1986, p.17). D’autres cités ouvrières bien connues comportent des aménagements considérant l’aspect paysager de même que des jardins potagers dans les cours arrières de leurs résidences. Mentionnons au passage Port Sunlight, construite en 1887 près de Liverpool p o u r l a c o m p a g n i e L e v e r, e t B o u r n v i l l e , créée en 1889 près de Birmingham pour un fabricant de chocolat. D’autre part, les cités de Westend à Essen (1863), Kronenberg (1873), Alfredshof (1894) et Margaretenhohe (1906) présentent certains attributs associés aux citésjardins.
Aspe ct s for mels de la cité -jar din d ’H owar d Selon sa conception, la cité-jardin d’Howard doit réduire la ville à une échelle maîtrisable, c’est-à-dire à environ 30 000 habitants. Ces noyaux
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Stephen Chambers (auteur), La Social City, The G a r d e n a n d t h e C i t y, 2 0 0 1 . D a n s G i n e t t e B a t y To r n i k i a n , C i t é s - j a r d i n s : g e n è s e e t a c t u a l i t é d ’ u n e utopie, 2001.
E b e n e z e r H o w a r d , S o c i a l C i t y , 1 8 9 8 . D a n s To - M o r r o w : A Peaceful Path to Real Reform, 1898. Hertfordshire County Archive.
urbains sont l’unité première d’un réseau de cités-jardins fédérées en réseaux formant un maillage s’étendant partout autour du globe. Le principe de la Social City illustre bien les connexions entre les pôles urbains à l’aide de voies ferroviaires. Avant toute chose, les cités-jardins doivent investir les banlieues et se les réapproprier en exaltant leurs qualités esthétiques et leur substance dans un environnement naturel favorisant la socialisation.
D’ailleurs, sur une cité de 30 000 résidants, 2 000 sont agriculteurs, illustrant l’idéologie que voit Howard en ce qui a trait au retour à la terre. Les usines sont également disposées en périphéries afin que les travailleurs puissent s’y rendre à pied. Howard prévoit l’utilisation de l’électricité pour l’industrie en prévoyant des infrastructures comme des barrages hydroélectriques accessibles pour permettre les vues panoramiques sur les réservoirs majestueux ainsi créés. Des machines décorent la campagne afin de démontrer la maîtrise des forces de la nature par l’homme ainsi que produire
De forme radioconcentrique, les citésjardins sont bordées d’une large ceinture agricole en empêchant l’extension.
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l’électricité. Cela permet également d’éviter la pollution au centre de ces cités-jardins, où se trouve un grand parc bordé des édifices et des monuments civiques. Derrière ceux-ci se retrouve un vaste parc circulaire de 58 hectares offrant un dégagement visuel sur le centre ainsi qu’un lieu pour la pratique sportive, le Central Park, autour duquel une galerie commerçante se déploie. Jusqu’à la périphérie, les habitations se retrouvent de part et d’autre de 5 avenues concentriques, dont celle du centre, la Grand Avenue, mesure 70 mètres de large. Ces avenues vertes et fleuries sont le lieu de socialisation des résidants. Six boulevards de 36 mètres séparent les cercles en îlots du centre vers la périphérie, donnant à la citéjardin une image de ville traditionnelle, modèle bien connu des résidants. Les voies situées à l’interface périphérique permettent de libérer le centre de la circulation lourde. L’ i n t r o d u c t i o n d e m a t é r i a u x v i v a n t s e t verts est un aspect innovateur de la cité-jardin. En effet, la végétalisation des sols ainsi que la plantation d’arbres démontreront de nouvelles considérations pour l’intégration de la nature au cadre habité. Par un excellent équilibre entre espaces de socialisation
et espaces privatifs, les citésjardins rendent acceptables certaines contraintes comme la proximité des voisins. De plus, les espaces extérieurs doivent être conçus en extension de l’intérieur des habitations et le jardin privatif doit permettre l’aménagement d’un potager selon la volonté de ses occupants.
Ebenezer Howard, Garden-City and Grand Avenue, 1 9 0 2 . D a n s G a r d e n C i t i e s o f To - m o r r o w. A r c h i v e s d’Ebenezer Howard, Hertfordshire County Archive.
Manife st at ions de l’idée de cit é-jar d i n Croyant fermement en son projet, Howard lance en 1902 The First Garden-City
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Society à Letchworth, à 50 kilomètres de Londres, sur un terrain de 2 000 hectares. Les architectes Raymond Unwin et Barry Parker sont chargés de vérifier les plans et la construction de la cité-jardin dont le succès sera plutôt lent. D’une densité maximale de 60 maisons à l’hectare, l’architecture des maisons de la cité sera plutôt libre quoique ne devant pas dépasser deux étages. Quelques années plus tard, Howard répète l’expérience avec Welwyn (1904), une cité-jardin située également non loin de Londres, sur un terrain de dimensions réduites cette fois-ci. À Welwyn, l’architecte Louis de Soissons qui assure la construction est séduit par la théorie des rues sinueuses de Camillo Sitte, contraire aux plans d’Howard. De plus, son plan est scindé en deux par une voie ferrée. Corollaire à l’expansion de Londres, ce projet aura l’aspect d’une banlieuejardin en raison du manque d’autarcie de son économie dû à sa proximité du grand centre. Bien que vitrines des concepts établis par Howard, ces deux exemples démontrent également les considérations des architectes ayant pensé leur aménagement.
Ebenezer Howard, plan de Letchworth, Angleterre, 1904. Dans Barbara Julien, La cité-jardin au Québec: L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e p o u r X X e s i è c l e , 2 0 1 2 .
Louis de Soisson, plan de Welwyn Garden City, Angleterre, 1914. Dans Barbara Julien, La cité-jardin a u Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e p o u r X X e siècle, 2012.
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LA C I T É- J AR D I N S U R L E T E R R I TO I RE AM É R I CA I N Différentes manifestations de concepts semblables aux cités-jardins sont dispersées sur le territoire américain. To u t d ’ a b o r d , m e n t i o n n o n s l e s g a t e d communities telles que Lewellyn Park dans le New Jersey aux États-Unis. L’ a m é n a g e m e n t du lieu ressemble grandement à un grand parc avec des maisons déposées ça et là sur le sol ( Te y s s o t , 2 0 0 1 , p . 6 0 ) . À R i v e r s i d e , en banlieue de Chicago, le plan de Frederick Law Olmsted (1869) démontre l’importance de l’intégration de la nature au cadre bâti afin d’améliorer le milieu de vie de la population. Généralement, les maisons américaines sont implantées en recul de la voie publique, ce qui permet l’aménagement d’un jardin à l’avant des maisons. La cour arrière privée est également végétalisée et souvent circonscrite par une haie d’arbustes pour assurer l’intimité. De plus, la pelouse est ce qui lie les résidences à leur îlot et il est du devoir des résidants d’entretenir celle-ci puisqu’elle fait office de tapis r o u g e d e v a n t l e s r é s i d e n c e s . To u s c e s codes paysagers sont soutenus à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle par le mouvement City Beautiful, animé par la quête de l’esthétisme dans une visée sociale et civique. Un aspect de la théorie howardienne qui ne traversera pas l’Atlantique est celui de
la propriété collective du sol. Ainsi, il n’y a rien d’étonnant dans le fait que les premières cités-jardins américaines aient été des villes de compagnies. De la conception théorique d’Howard on ne retiendra qu’essentiellement les aspects esthétiques et organisationnels des cités-jardins.
O l m s t e d , Va u x e t c o . , L a n d s c a p e A r c h i t e c t s , G e n e r a l P l a n o f R i v e r s i d e , 1 8 6 9 . G r a v u r e e n c o u l e u r. (Brookline, Massachusetts, Frederick Law Olmsted National Historic Site.)
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La ci t é - j a rd in a u Ca na da En 1891, Lord Albert Henry George Grey préside la First Garden City Conference à Bournville Garden Village, près de Birmingham en Angleterre. Il sera nommé gouverneur général du Canada en 1904, ce qui fit que sa vision du British To w n Planning Movement, incluant la notion de cité-jardin, eut des échos au Canada. C’est donc d’abord le gouvernement qui introduit la notion de cité-jardin au pays. Pour ce faire, le gouvernement de Wilfrid Laurier crée la Commission de conservation en 1909. Puisque la terre est une des ressources parmi les plus importantes au Canada, c’est à la Commission que revient le rôle de gérer l’aménagement des ressources n a t i o n a l e s . L’ a p p r o c h e c h o i s i e p o u r administrer les terres ressemble donc en quelques points à la théorie d’Howard. En 1914, Thomas Adams est appelé à gérer la Commission de conservation du Canada. Fort de son expérience à la tête de la Garden City Association en GrandeBretagne, Adams crée l’Institut canadien d’urbanisme, toujours actif aujourd’hui. Son approche d’aménagement est davantage attribuable au town planning anglais qu’à la City Beautiful, en ce sens qu’elle vise à lutter contre la détérioration des milieux de vie en secteurs urbains industrialisés. Son approche, nommée
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comprehensive plan, vise la création de milieux de vie sains avec une attention toute particulière à l’esthétisme. Les principes fondamentaux de son approche rappellent ceux d’Howard ; allocation de la terre au meilleur usage, décentralisation urbaine pour la croissance de villes-satellites pour vaincre la pauvreté de même que l’utilisation de la planification urbaine c o m m e o u t i l o p é r a t i o n n e l . To u t e s c e s considérations scientifiques doivent également être couronnées d’un aspect esthétique propre à Adams. Ce dernier refuse la grille orthogonale et prône la valorisation de la topographie, concevant l’aménagement comme une mise en scène des attributs naturels des sites. Cela appuie l’idée que les cités-jardins sont de bons modèles pour Thomas quand vient le temps de développer la législation en la matière, tel qu’il le fit en 1916 lors de la conférence des Ligues du progrès civique à Ottawa. Après la Première Guerre mondiale, le premier m i n i s t r e W i l l i a m Ly o n M a c k e n z i e K i n g appuie les idées de Thomas comme quoi les cités-jardins seraient un modèle de développement urbain bénéfique pour le Canada. C’est sous le gouvernement Mackenzie King que la First Federal Housing Policy voit le jour en 1918.
économique et une zone résidentielle. Le réseau des rues présente cinq niveaux hiérarchisés pour desservir le lieu. Les places publiques prennent une place d’importance dans l’aménagement afin de démontrer l’idéal communautaire de la vie locale.
Thomas Adams, Lindenlea Housing Scheme,Ottawa, Canada, 1919. Dans Barbara Julien, La cité-jardin au Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e p o u r X X e s i è c l e , 2012.
À l’époque, Thomas Adams participe à l’élaboration de plusieurs développements urbains. C’est notamment le cas de la banlieuejardin de Lindenlea (1918-1924), près d’Ottawa, laquelle matérialise de façon concrète un projet-modèle de la First Federal Housing Policy. Dans le cas d’Hydrostone, près d’Halifax, le plan d’ensemble élaboré par Adams illustre fidèlement ses idéaux. Les principaux critères d’aménagement résident premièrement dans l’organisation s p a t i a l e d u s e c t e u r, a v e c s o n c œ u r
Au Québec, Thomas conçoit le plan de la ville de Témiscaming, surnommée « Flower City » et également « la citéjardin du Nord ». Pour cet exemple, Thomas reprend les principaux attributs de la théorie howardienne en plus de concevoir un prototype liant les villes industrielles planifiées et les citésjardins.
Blueprint de Hydrostone, Halifax, Canada,1918. Dans B a r b a r a J u l i e n , L a c i t é - j a r d i n a u Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e forme de ville pour XXe siècle, 2012.
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La ci t é - j a rd in a u Québec L’ a u t e u r e B a r b a r a J u l i e n d é f i n i t l a cité-jardin comme « Un aménagement résidentiel planifié plus ou moins autonome traduisant une conception communautaire de l’espace – caractérisé par une centralité clairement identifiée, la prédominance d’espaces verts et la forte présence d’équipements collectifs – dont l’organisation socioéconomique maîtrisée par le maître d’ouvrage est supportée par un discours particulier » (Julien : 2012, p.64). Dans le cas de celles du Québec, leur édification s’articule autour de deux principes, soit comme cités-jardins d’entreprises ou comme cité-jardin coopérative canadienne-française. La beauté du paysage joue un rôle structurant dans l’aménagement qui s’oriente vers les loisirs et la détente des résidants. Contrairement aux conceptions de la City Beautiful, la nature de la cité-jardin québécoise est plus pittoresque que monumentale. Bien qu’essentiellement représentatives des théories d’Howard en ce qui a trait à l’organisation spatiale et à l’esthétisme végétalisé des lieux, la littérature au sujet de la cité-jardin québécoise démontre tout de même le concept sous-jacent de l’aspect social de la cité-jardin. Notons au passage que contrairement aux cas européens, les cités-jardins québécoises sont beaucoup
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moins étudiées outre dans quelques monographies au sujet des villes qui en contiennent sur leur territoire.
La cité -jar din d’entr e pr ise Sur le territoire québécois, le premier exemple recensé de cité-jardin est celui de Bowling Green, à PointeClaire, dans l’ouest de l’île de Montréal. Reliée au grand centre par train, elle a été construite pour loger les employés d’une pépinière en 1905 et planifiée par F r é d é r i c k G . To d d . I l e n e s t é g a l e m e n t l e p r o m o t e u r, c e q u i l u i p e r m e t d e préserver l’intégrité du site et de son plan d’ensemble. Les rues y sont incurvées pour souligner des éléments paysagers d’importance, parfois en cul-de-sac, et densément végétalisées. Le plan est doté de nombreux parcs en réseaux (parkways) et les résidences, tout de même cossues, ont une architecture qui démontre un certain intérêt artistique. L’ é d i f i c a t i o n d e B o w l i n g G r e e n p o s e l e s jalons d’une nouvelle façon d’aménager les cités ouvrières, notamment celle de V i l l e M o n t - R o y a l ( 1 9 11 - 1 9 1 2 ) , r e l i é e p a r chemin de fer à Montréal par la compagnie qui la fit construire, la Canadian Northern Railway. Radioconcentrique, son plan rappelle celui proposé par Ebenezer
Howard. Malgré plusieurs attributs de la City Beautiful, Mont-Royal se réclame comme cité-jardin en raison de ses c o n s i d é r a t i o n s h y g i é n i s t e s . L’ o p é r a t i o n fit augmenter la valeur foncière du s e c t e u r, c e q u i m o t i v a s a n s d o u t e u n e entreprise de spéculation foncière à construire la ville d’Hampstead non loin de là, juste à côté de Westmount. Avant même sa construction, Hampstead se veut un lieu de luxe avec son golf privé et autres services visant à attirer une population privilégiée pour assurer la rentabilisation rapide du projet. Dans ce cas, la cité-jardin n’est plus un moyen de financement pour un projet d’entreprise mais une fin en soi, outil de production dans la ville industrielle.
Canadian Garden City Homes Limited, plan de Bowling Green, Montréal, Canada, 1920. Dans Barbara Julien, L a c i t é - j a r d i n a u Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e pour XXe siècle, 2012.
C a n a d i a n N o r t h e r n R a i l w a y, M o d e l C i t y , M o n t - R o y a l , Canada, 1912. Dans Barbara Julien, La cité-jardin au Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e p o u r X X e s i è c l e , 2012.
Autre cas marquant de la cité-jardin d’entreprise au Québec est celle de Riverbend (1924-1925), au lac SaintJean, imaginée par l’architecte paysagiste Howard Burlingham Dunington-Grubb. L’ i m a g e q u i e n d é c o u l e e s t a u s e r v i c e de la représentation de la compagnie. L’ a m é n a g e m e n t p a y s a g e r c o m p o r t a n t d’innombrables espèces florales et de nombreux parcs rivalise avec celui de Bowling Green et même d’Hampstead. Sa planification prend en considération les saisons et est appuyée par un ordre ornemental et un aspect plus sauvage qu’ailleurs, ce qui en fait la particularité. D’abord en soutien au financement des industries qui y sont rattachées, les citésjardins ouvrières supportent les principes howardiens. Leurs aménagements sont à la fois efficients et esthétiques, ce à quoi elles arrivent grâce au vocabulaire
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de la théorie d’Howard. Au Québec, les premières cités-jardins ont par contre été conçues avec des objectifs de rentabilisation propres à la vision américaine du concept, contrairement au projet social d’Howard. Après le krach boursier de 1929, une deuxième vague de construction de cités-jardins a v u l e j o u r, c e t t e f o i s - c i c o m m e n o u v e l l e s perspectives socialistes et coopératives.
Québec. Ces nouveaux projets de citésjardins redonnent une valeur sociale aux projets d’aménagement issus des objectifs économiques des entreprises précédemment présentés. Cette deuxième vague de cités-jardins québécoises a été la vitrine du coopératisme au Québec. Leur aménagement formalise toujours des considérations esthétiques et organisationnelles, mais aussi de nouveaux questionnements sur le mouvement coopératif et le logement, ce qui démontre une innovation sociale. Les deux études de cas subséquentes, soient la Cité-jardin du tricentenaire à Montréal et le Foyer Coopératif de Chicoutimi, présentent deux citésjardins québécoises qui renouent avec les principes sociaux d’Howard en maintenant toutefois de hauts standards q u a n t à l ’ a m é n a g e m e n t p a y s a g e r.
Mill Road, Alma, Canada,1926. Dans Barbara Julien, L a c i t é - j a r d i n a u Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e pour XXe siècle, 2012.
É TU DE DE CAS : LA C I TÉ -JARDIN DU TRI C E NTE NAI RE DE M O NTRÉAL
La cit é-jar din f r a nçaise
coopé rati ve
can adi enne-
Entre 1930 et 1950, la cité-jardin comme modèle d’aménagement urbain connaît à nouveau une phase de popularité au
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Le cas de la Cité-jardin du tricentenaire à Montréal se veut d’être une tentative de l’application des principes du mouvement des cités-jardins de Ebenezer Howard. Les initiateurs de cette cité-
jardin, Joseph-Auguste Gosselin et le père Jean-d’Auteuil Richard, ont tenté ainsi d’articuler une voie sociale et économique misant sur la coopération par le maintien de la propriété privée visant également le bien commun. Ils aspirent ainsi à développer un habitat ouvrier sain où le travailleur est propriétaire, et qui renforcera l’identité canadiennefrançaise et ses valeurs. Ainsi, ils édifient une cité modèle où la coopération est au cœur du concept, tout en conciliant les courants d’idées nostalgiques et les percées innovatrices, l’individualisme et l’entraide, l’autonomie et l’appui aux plus hauts niveaux.
L a C i t é - J a r d i n d u Tr i c e n t e n a i r e , P l a n d ’ e n s e m b l e , Montréal, Canada,1940. Dans Barbara Julien, La citéj a r d i n a u Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e p o u r XXe siècle, 2012.
Leur premier objectif était de mettre en évidence la valeur de l’épanouissement familial dans un milieu offrant toutes les garanties morales, sociales et matérielles. Il fallait un environnement propice à la verdure, au bon voisinage, à la vie associative et à la vie religieuse. Ils visaient la création d’un ensemble entre le capitalisme et le communisme, empreint de corporatisme et de coopératisme. Ainsi, l’accessibilité monétaire difficile à la Cité-jardin a davantage attiré la classe de la petite bourgeoisie. Ils ont supporté l’idée en justifiant qu’elle serait un support à la classe ouvrière, insufflant de ce fait un capitalisme moral. Le projet de la cité-jardin est mis sur pied en 1939. Les promoteurs fondent l’Union économique d’habitations, un organisme dont le but est de promouvoir la réalisation de cités-jardins ouvrières au Québec et la construction d’un premier modèle de cité-jardin, la Cité-jardin du tricentenaire. De son inauguration, le 17 août 1942, à 1947, la Cité-jardin s’agrandit avec un peu plus de 167 maisons réalisées en perspective de la création d’un nouveau mode d’habitation dans Rosemont. Ils amorcent le projet dans la perspective de construire une cité-jardin d’au moins 600 maisons,
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comprenant aussi une structure avec une église, une école, une piscine, un parc et un centre commercial. Dans l’élaboration des plans et des multiples propositions d’aménagement, les bâtiments communautaires et collectifs se mélangent aux circulations principales, aux culs-de-sac, aux espaces verts et aux parcs. Les terrains libres dans Rosemont offrent à l’Union un choix de localisation stratégique, en vue de l’étalement de leur cité-jardin modèle. La Cité-jardin du tricentenaire construite au centre d’un champ est planifiée et réalisée autour d ’ u n p l a n d ’ a m é n a g e m e n t p a y s a g e r. L e s concepts du jardin et du paysage sont au cœur de la planification du modèle. C’est le Jardin botanique de Montréal qui assure la plantation et l’entretien de différentes essences d’arbres, mais aussi qui participe à l’élaboration d’un suivi avec les citoyens pour la planification de leurs plantations. Le projet débute d’abord dans une perspective de société par actions, mais en 1943, elle se voit obligée de devenir une coopérative, dans l’absence d’investisseurs privés dans le projet. L’ U n i o n économique d’habitations décide à la suite de ses échecs de
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former la société de construction Les Cités-jardins du Québec inc. pour assurer la réalisation des maisons. C’est entre 1945 et 1946 qu’une hausse importante des prix des maisons vient ralentir les chantiers et rend instable le projet de la Cité-jardin. Ainsi, l’îlot devient une cité close et spatialement isolée, socialement homogène et ségrégative par le choix d’une clientèle chrétienne canadienne-française. C’est en 1947 qu’une entente des comités est confirmée pour l’annulation des ventes de lots pour le projet vu l’état précaire de la Cité-jardin du tricentenaire.
Jean Gagné, architecte, Projet de lotissement de la c i t é - j a r d i n d u Tr i c e n t e n a i r e , M o n t r é a l , C a n a d a , 1 9 4 2 . Dans Marc-Henri Choko, Une cité-jardin à Montréal : la Cité-jardin du tricentenaire, 1988.
Au moment de la planification de la Citéjardin, les modèles de maison privilégiés ont un caractère traditionnel canadienfrançais et sont issus de variantes de la maison de la Victoire par la Wartime Housing (SCHL). Les deux types retenus s’adaptent aux conditions climatiques de la région, sont faciles et rapides à construire et surtout abordables. Un autre modèle, le chalet suisse, sera adapté pour répondre à un besoin plus précis d’une clientèle pour des maisons plus spacieuses et cossues.
caractérisé par des terrains spacieux, par des maisons aujourd’hui enfouies sous des voûtes d’arbres et des rues en cul-de-sac. Les maisons unifamiliales à un étage et demi et leur toit à deux versants dominent dans le d é c o r, donnant un charme rustique qui évoque celui des maisons de villégiature.
Vu e a é r i e n n e d e l a c i t é - j a r d i n d u Tr i c e n t e n a i r e e t d e ses environs, Montréal, Canada, 1954. Dans MarcHenri Choko, Une cité-jardin à Montréal : la Citéjardin du tricentenaire, 1988.
Ce secteur est caractérisé par le m o u v e m e n t C i t y B e a u t i f u l . L’ e n s e m b l e de ses bâtiments résidentiels est
Vu e d ’ e n s e m b l e d e l a r u e d e s P l a i n e s , l a c i t é - j a r d i n d u Tr i c e n t e n a i r e , M o n t r é a l , C a n a d a , 1 9 4 7 e t 1 9 8 8 . Dans Marc-Henri Choko, Une cité-jardin à Montréal : la Cité-jardin du tricentenaire, 1988.
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ÉT U D E D E CA S : LA C IT É -J A R D IN DU F OYER COOP É RAT I F D E C H ICO U TI M I Le 23 mai 1944, 14 citoyens de Chicoutimi (Québec) se réunissent et décident de fonder une cité-jardin en mode coopératif en vertu de la Loi sur les syndicats coopératifs de la province de Québec. Leur but est d’accéder à la propriété d’une habitation unifamiliale, et de trouver une alternative à la pénurie de logements qui sévit dans la région en pleine croissance. Basée sur le modèle théorique des cités-jardins d’Ebenezer Howard, la cité-jardin qu’ils mettent en place écrit un nouveau chapitre de l’histoire tant des cités-jardins au Québec que sur celle de l’urbanisme de la province. La fondation de la cité-jardin de Chicoutimi, le Foyer Coopératif, est attribuée à Armand Demers, homme engagé dans les activités sociales de la région. Il est à la fois membre d’une association de citoyens et rédacteur pour la revue sur la coopération «Ensemble!». Lors d’une assemblée, il présente le modèle coopératif élaboré pour la Cité-jardin du tricentenaire de Montréal, lequel séduit bon nombre de membres de la société Saint-JeanBaptiste de Chicoutimi. L’ u n e d e s é t a p e s f o n d a m e n t a l e s d u projet est le choix d’un terrain. Celui-
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ci doit offrir la possibilité de lotir un minimum de 500 000 pieds carrés, de prévoir l’aménagement de places publiques, de parcs et de terrains de jeux. Il doit pouvoir permettre la réserve d’espace pour l’édification future d’édifices publics et commerciaux et être situé non loin d’un noyau paroissial et du centre-ville de Chicoutimi, cela dans le but de relier le secteur aux services d’eau et d’électricité municipaux. De plus, le site doit permettre l’expansion et posséder des qualités esthétiques et panoramiques. Le 1er décembre 1945, une portion de 27 hectares du terrain du Séminaire est acquise par les sociétaires. Une première version du plan d’ensemble est diffusée dans le journal régional en novembre 1946. Celui-ci démontre déjà des possibilités d’expansion, les 60 lots initialement prévus ayant déjà trouvé p r e n e u r. Plusieurs considérations paysagères figurent déjà sur ce plan, notamment l’intégration de parcs et d’espaces verts comme marqueurs territoriaux ainsi qu’une innovation p o u r l a r é g i o n ; d e s p o t e a u x é l e c t r i q u e s alignés à l’arrière des lots pour en libérer les perspectives de la rue. En 1948, une deuxième version du plan est publiée. Celle-ci, finalement jamais
réalisée, prévoit la construction d’un centre commercial près du parc au centre du projet ainsi qu’une abondance d’espaces verts, non sans rappeler la théorie d’Howard.
du lieu. En effet, les rues sinueuses épousent le relief et mettent en scènes les qualités naturelles du lieu, notamment la vue panoramique par l’aménagement d’une promenade au bord de la falaise. Pour favoriser l’adhésion de la population, le plan du quartier doit être inédit, sécuritaire et économique. En 1950, un plan d’embellissement intitulé «Cité-jardin Beautiful» est signé p a r l ’ i n g é n i e u r f o r e s t i e r J a c q u e s Te s s i e r. Son plan caractérise chaque espace et prescrit même le nom des végétaux à y p l a n t e r. L a S o c i é t é d ’ h o r t i c u l t u r e d e Chicoutimi soutient alors la réalisation des plantations et en assure l’entretien. La collaboration de l’urbaniste célèbre Jean Cimon témoigne du prestige de la cité-jardin. Conçue en 1959 par le s c u l p t e u r L a u r é a t Va l l i è r e , l a s t a t u e d e Notre-Dame-du-Saguenay est sise sur un socle signé par l’architecte PaulMarie Côté dont la précision des dessins témoigne de la notoriété du lieu.
Plan général du quartier Notre-Dame-du-Saguenay, Chicoutimi, Canada, 1953. Dans Barbara Julien, La c i t é - j a r d i n a u Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e pour XXe siècle, 2012.
Le tracé des rues n’est pas orthogonal en raison des fortes déclivités topographiques qui font la particularité
Depuis le début du projet, plusieurs comités techniques réfléchissent à la question des maisons qui doivent être construites dans la cité-jardin. Les propositions architecturales d’une multitude de jeunes architectes modernes sont novatrices à de nombreux égards.
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Les maisons proposées évoquent l’idéal social prôné par Wright dans la Broadacre C i t y. L e t y p e p o r t a n t e s t u n e m a i s o n d e plain-pied à toit plat, innovation formelle pour la région. Le Foyer coopératif est un lieu d’expérimentation intensive permettant aux architectes de renouer avec l’architecture résidentielle. Les maisons construites évoquent l’architecture internationale et sont affranchies des conventions du passé. En effet, la plupart des architectes de renom de la région y ont laissé leur trace, ce qui fait du quartier un véritable musée à ciel ouvert d’architecture moderne domestique.
mouvement. Même si la coopérative n’existe plus depuis 1965, l’état de conservation du lieu et l’ambiance chaleureuse qui y règne témoignent du sentiment d’appartenance de ces résidants. Aujourd’hui à l’heure de la protection de leur patrimoine, ceux-ci sollicitent la participation des instances municipales pour leur permettre de conserver l’authenticité de leur milieu de vie.
Paul-Marie Côté, architecte, Maison Pierre-Abraham, 11 7 0 rue Melançon, Chicoutimi, Québec,1958. Archives nationales du Québec (Chicoutimi), P219/38, Fonds Léonce Desgagné et Germain Laberge.
En plus de caractériser la région comme un lieu d’innovation, la cité-jardin du Foyer Coopératif est l’un des premiers exemples de coopérative d’habitation importante, ce qui a grandement contribué à l’institutionnalisation du
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Plan général du du quartier Notre-Dame-du-Saguenay, Chicoutimi, Canada, 1946. Dans Barbara Julien, La c i t é - j a r d i n a u Q u é b e c : L’ i d é e d ’ u n e f o r m e d e v i l l e pour XXe siècle, 2012.
PER S PE CT I VE S Aujourd’hui, le portrait que l’on dresse des cités-jardins au Québec datant de la première partie du début du XXe siècle est celui d’un milieu où les maisons y sont vendues à prix élevé et où les liens d’appartenance des résidants à leur quartier y sont grands. Les maisons ont souvent subi de grandes modifications et des agrandissements pour s’adapter aux nouveaux modes de vie contemporains. Leurs rues sont verdoyantes et hospitalières, leurs arbres sont à pleine maturité et les structures paysagères comme leurs promenades et leurs parcs s o n t t o u j o u r s e n p l a c e . L’ e s t h é t i q u e et l’aspect formel de la cité-jardin ont toujours été à l’avant-plan, davantage que l’aspect social du projet, lequel n’est de toute façon pas caractéristique des cités-jardins nord-américaines.
vertus qu’elles ne possèdent pas, ce qui démontre bien l’instrumentalisation du terme « cité-jardin ».
Résidence Cité Jardin, 60 rue de la Futaie, Gatineau, C a n a d a , 2 0 1 2 . w w w. r e s i d e n c e s - q u e b e c . c a
En comparant le concept initial de la citéjardin à la conception contemporaine de celle-ci au Québec, on s’aperçoit rapidement que les promoteurs immobiliers n’ont pas fait la lecture des ouvrages d’Ebenezer Howard. En effet, les nouveaux projets intitulés « Citéjardin » n’ont rien d’autre en commun que leur titre avec la théorie d’Howard, laquelle a perdu son essence dans les projets immobiliers. Par leurs plans teintés de vert, ces projets vendent des
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