Université de Genève / Faculté des Lettres / Département d’histoire générale / Mémoire de licence Pr. Jean-Claude Favez (Dir.), avec M. Daniel Jeannet (Centre culturel suisse de Paris)
Du Théâtre prolétarien au groupe L’Effort 1930-1940 (En quête d’un théâtre ouvrier genevois)
Jorge GAJARDO MUÑOZ Genève, octobre 2001
Introduction En quête d’un théâtre ouvrier (Méthode et sources) Un théâtre genevois de “ gauche ” Les sources internationales Les sources suisses Les sources théâtrales
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Plan du mémoire
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Première partie Le Théâtre d’art prolétarien (1930 – 1936) 1. De l’Union pour l’art social à l’art prolétarien
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2. De la littérature prolétarienne au réalisme socialiste (1930-1934)
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1.1. Vers un art de classe
2.1. Kharkov 1930. La stratégie littéraire du mouvement communiste 2.2. Les “ compagnons de route ” et les deux fronts 2.3. Les thèmes, les formes et le langage 2.4. 1932-1934 : le tournant du réalisme socialiste
3. L’Union internationale du théâtre révolutionnaire (UITR) (1930-1937) 3.1. L’internationalisation du théâtre d’agit-prop 3.2. La section suisse de l’UITO 3.3. De l’agit-prop au théâtre révolutionnaire 3.4. Du théâtre révolutionnaire à la “ défense de la culture ”
4. La Fédération du théâtre ouvrier de France (FTOF) (1931-1936) 4.1. L’implantation de l’agit-prop en France 4.2. De l’organisation sectaire au tournant vers la “ qualifcation ” 4.3. La section genevoise de la FTOF
5. Une “ organisation de masse ” du Parti communiste (1930-1936) 5.1. La situation du Parti communiste en Suisse et à Genève 5.2. “ Orienter et contrôler ” 5.3. “ Si le Théâtre prolétarien comprend son rôle... ”
6. Le Parti socialiste genevois
6.1. Le PSG et le Cartel des sociétés ouvrières 6.2. L’affaire de La Forge (1932) 6.3. Une affaire “ empoisonnée ” 6.4. Le groupe “ Plans ” et son projet théâtral
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7. Culture prolétarienne. Organe du Théâtre prolétarien (1933-1935) 7.1. La formation intellectuelle du Théâtre prolétarien 7.2. La lutte contre la culture bourgeoise
8. Six ans au service de l’“ art prolétarien ”
8.1. Le groupe. Action militante et passion du théâtre 8.2. Les drames révolutionnaires 8.3. La période agit-prop du Théâtre prolétarien (1931-1936) 8.4. Les chœurs parlés, de la rue au théâtre 8.5. Une indigestion d’agit-prop 8.6. Vers la “ culture populaire ”
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Deuxième partie. L’Effort. Section genevoise de la Fédération romande des théâtres d’art populaire (1936 – 1940) 9. L’unité retrouvée de la gauche genevoise (1936-1939)
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10. Ramener la culture au peuple. L’Union des Théâtres indépendants de France (Paris, 1936)
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11. L’Effort. Le nouveau visage du Théâtre prolétarien
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10.1. Vers la liquidation de l’agit-prop et l’amateurisme
11.1. Amateurs ou professionnels ? 11.2. La label des intellectuels 11.3. Une pièce de transition 11.4. Un cabaret à Cité 19
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12. Le temps des spectacles de masse
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13. Madame Carrar. Une pièce de combat au moment de la défaite
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12.1. Le Festspiel et la vocation progressiste 12.2. L’Effort populaire. La masse affrmée et la masse niée 12.3. Europe 1937 et Genève libre. De l’appel aux armes au repli dans la cité
13.1. Motril. Une petite ville sur la ligne de Front 13.2. Le retour des fls prodigues
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En guise de conclusion
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Principales abréviations
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Annexes
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I. Naissance d’un théâtre ouvrier (1930) II. La culture prolétarienne et le Front unique (1932) III. “ La tribune littéraire du prolétariat ” (1933) IV. A nos amis [bien intentionnés] (1934) V. Le congrès de la FTOF (1934) VI. Le déf de la “ qualifcation ”. “ The right man at the right place ” (1935) VII. Théâtre prolétarien ou théâtre populaire ? (1935) VIII. Le groupe L’Effort [1936] IX. La Fédération romande des théâtres d’art populaire (1936) X. Où “ s’affrment nos volontés et se défnit notre idéologie ” (1937) XI. Tableau synoptique
Bibliographie
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Introduction
Vivre à Genève dans les années trente c’est connaître la misère, le chômage, l’angoisse de la survie jour après jour 1. Il peut sembler futile de vouloir parler de théâtre ouvrier à Genève à une époque où, comme l’exprimait Marie-Madeleine Grounauer, le spectre qui hantait Genève, c’était moins les grandes espérances que la peur de se retrouver chômeur du jour au lendemain. Le fait est que, de même qu’on allait chanter après le travail pour exprimer ses convictions (selon l’expression de Charles-F. Pochon)2, malgré la misère ou à cause d’elle, il en fut pour croire à un monde différent et l’exprimer par le moyen du théâtre. En 1930, un groupe de militants et sympathisants de gauche, qui avaient aussi en commun l’amour du théâtre, forme la troupe du Théâtre d’art prolétarien, plus connu comme Théâtre prolétarien (TP). C’est le départ d’une carrière inédite dans l’histoire du théâtre à Genève, qui se prolongea pendant près de dix ans, dont six au côté du Parti communiste. Au cours de cette période, le groupe accompagna depuis la scène les luttes des partis du mouvement ouvrier genevois. Les traces du groupe, qui entre temps s’était rebaptisé L’Effort, se perdent au seuil de la Deuxième Guerre mondiale. Sous le coup traumatisant d’une nouvelle scission de la gauche genevoise et de la Mobilisation générale, c’est une autre histoire qui commençait à ce moment-là, pour les anciens du TP. A quoi ressemble donc cette troupe ? Qui sont ces acteurs dont le Journal de Genève se gaussa de leur français des steppes3, ou qui furent accusés (suprême honneur) par le journal de droite, Le Citoyen, d’être plus redoutables que tous les appels révolutionnaires de Léon Nicole ? Que signifent ces allusions ? Quelles pièces jouaient-ils ? Voilà des questions simples, en apparence, auxquelles nous souhaitons répondre ici. Notre travail veut être un début de portrait du Théâtre prolétarien et de L’Effort, ainsi qu’une tentative pour comprendre dans quel environnement politique et esthétique ce groupe s’inscrivait4.
1 GROUNAUER Marie-Madeleine ; La Genève rouge de Léon Nicole. 1933-1936 ; [Genève] : Adversaires ; 1975 ; p. 7 2 POCHON Charles-F. ; “ Chanter pour exprimer ses convictions ” ; Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier ; N° 6 ; Lausanne : AEHMO ; novembre 1989 ; pp. 85-102 3 CHAPONNIERE Paul ; JdG, 20.02.1934 ; p. 4 4 Dans la suite de notre travail, nous utiliserons la forme “ TP/L’Effort ” pour désigner le groupe dans l’ensemble de son histoire (1930-1940). \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
En quête d’un théâtre ouvrier (Méthode et sources) La recherche de traces du TP/L’Effort aurait pu se révéler décourageante. Ce groupe est en effet pratiquement ignoré du monde du théâtre et des lettres romandes. Il ne se distingue guère en ceci de l’isolement dans lequel sont maintenues les manifestations culturelles de la classe ouvrière. Par exemple, l’hebdomadaire La Semaine ou la revue Connaître, sont absents des bibliographies littéraires produites à partir des années 19305. Les choses ne s’arrangent pas avec les travaux plus tardifs : par exemple, la Voix Ouvrière (aujourd’hui Gauchebdo), qui tient une rubrique culturelle régulière, a été oubliée jusqu’à présent, des publications dépouillées pour la Bibliographie annuelle des lettres romandes, qui couvre pourtant toute la période contemporaine depuis 1941. Le TP/L’Effort est également absent des ouvrages de synthèse sur le théâtre. C’est en vain qu’on y chercherait une trace dans les travaux de Gaston Bridel (1937) ou Henri Mugnier (1940) 6. Plus généralement, c’est le théâtre dans le monde ouvrier qui est négligé, même dans les travaux plus récents7. La “ culture ouvrière ”8 de l’entre-deux-guerres fut et reste résolument marginale en Suisse Romande. C’est dans l’historiographie du mouvement ouvrier qu’on peut avoir quelque chance de trouver des passages sur le TP/L’Effort, qui témoignent d’un intérêt diffus pour son histoire. A quelques exceptions près, l’historiographie dramatique est donc un vrai désert9..Comme il n’existe tout simplement pas d’étude consacrée au groupe, notre approche sera d’abord factuelle. Nous nous sommes donc attaché à rendre les faits aussi précisément que possible. Notre premier pas a consisté dans le dépouillement systématique des pages internes de la presse locale communiste, socialiste, anarchiste et ouvrière. Ce travail nous a permis d’établir une chronologie et un répertoire d’auteurs et d’œuvres, et de noter les comptes-rendus des spectacles présentés par le TP/L’Effort, entre 1930 et 1940. Nous n’excluons pas que des données éparses aient pu échapper à notre vigilance, mais nous 5 Cf. RENFER Marie-Louise ; Bibliographie générale de la littérature romande de 1930 à 1940 ; Genève : Ecole de bibliothécaires ; 1942. HAYOZ Chantal ; Bibliographie analytique des revues littéraires de la Suisse Romande. 1900-1981 ; Lausanne : Le Front Littéraire ; 1984. Bibliothèque nationale suisse ; Bibliographie des lettres romandes ; XII vols ; [1979-1991] ; Lausanne : Le Front Littéraire (1982-1985) ; Lausanne : L’Aire ; (1985-1999) 6 Cf. BRIDEL Gaston ; Le Théâtre en Suisse Romande ; Lucerne : Theaterkultur-Verlag ; 1937. MUGNIER Henri ; “ Du Théâtre moderne et du théâtre en Suisse ” ; Vie, art, Société ; Lausanne ; septembre-octobre 1940 7 Cf. par exemple, SCHLAEPFER Beat ; Le Théâtre en Suisse ; Zurich : Pro helvetia ; 1994 8 Pierre JEANNERET, dans un article des Cahiers de l’AEHMO, laisse cette notion entre guillemets. Son inventaire d’activités qui ont pour acteur ou objet, la classe ouvrière offre un très large panorama qui est de nature à éclater la défnition en divers ensembles et sous-ensembles (un tout complexe). Cf. “ Aspects de la culture ouvrière en Suisse ” ; Cahiers d’Histoire du Mouvement ouvrier ; N° 10 ; Lausanne : AEHMO ; 1994 ; pp. 27-50. De son côté, Marc VUILLEUMIER restreint sa réfexion à partir de la notion de “ mouvement ouvrier ”, lequel oppose son système de valeurs propre à celui de la bourgeoisie. Cf. “ Mouvement ouvrier, formation et culture : le cas de Genève (1890-1939) ” ; Revue syndicale suisse ; N°1 (1989) ; Berne : Union syndicale suisse ; 1989 ; pp. 1-19 9 On peut trouver quelques témoignages et une photo de membres du TP en train de répéter un chœur parlé, In TORRACINTA Claude ; Genève 1930-1939. Le temps des passions ; Genève : Tribune Éditions ; 1978 ; p. 193. On trouve un passage sur le TP, In VUILLEUMIER Marc ; “ Mouvement ouvrier, formation et culture… ” ; pp. 16-17. Pierre JEANNERET lui consacre quelques lignes, In “ Aspects de la culture ouvrière en Suisse ”…, pp. 34-37. Cf. aussi “ Bouffées de liberté ” ; In “ C’était pas tous les jours dimanche... ”. Vie quotidienne du monde ouvrier. Genève, 1890-1950 ; Genève : Musée d’ethnographie ; Fondation du Collège du Travail ; [S. d. : 1992] ; pp. 117-135. Julia CHAMOREL mentionne à de nombreuses reprises le TP dans ses mémoires de militante de la Jeunesse Communiste : cf. La Cellule des écoliers ; Lausanne : L’Age d’homme ; 1983. Le TP est aussi mentionné, In BENGLOAN Bernard ; La Muette. Le théâtre en Suisse Romande (1960-1992) ; Lausanne : L’Age d’homme ; 1994 ; “ Genève ” ; pp. 125-194. In JEANNET Daniel ; Histoire de Poche : Théâtre de Poche 1948, Théâtre Le poche - Genève 1998 ; Genève-Carouge : Zoé ; 1998. In JEANNET Daniel ; “ Le Théâtre ” ; In Encyclopédie de Genève ; t. 10 : “ Les plaisirs et les arts ” ; Genève : Association de l’Encyclopédie de Genève ; 1994 ; p. 45 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
pensons avoir constitué un corpus assez complet pour nous faire une idée de la vie du groupe. En revanche, nous n’avons consulté que très rarement les autres organes de presse genevois. En réalité, ce travail ne pourrait commencer que dès maintenant, en ciblant au plus près la recherche à partir des données déjà recueillies. Cette reconstitution de l’histoire factuelle du groupe nous a ensuite dirigé vers d’autres lieux de recherche, que nous détaillerons plus avant10.
Un théâtre genevois de “ gauche ” Mais les faits ne suffsent pas par eux-mêmes. Il nous fallait encore choisir un point de vue afn de leur donner un sens, et les intégrer dans un cadre d’analyse cohérent. A cet égard, notre souci permanent a été de faire correspondre au plus près les thèmes de notre étude aux motivations du groupe lui-même, dont nous avons pris connaissance au fur et à mesure de l’avancement de la recherche. Notre intérêt pour la période que Claude Torracinta a appelé le “ Temps des passions ” et notre participation au séminaire de dramaturgie de Béatrice Perregaux nous avaient déjà amené à explorer les possibilités d’un mémoire sur l’activité théâtrale à Genève dans l’entredeux-guerres. Par la suite, nos entretiens avec Daniel Jeannet, directeur du Centre culturel suisse de Paris, qui avait déjà eu la possibilité d’écrire sur le TP, nous avaient mis sur la voie du théâtre genevois “ de gauche ”. Mais qu’est-ce qu’un théâtre “ de gauche ” ? Nous nous demandions si les partis “ de la classe ouvrière ”, qui prétendaient renverser le capitalisme et modifer radicalement la société, avaient élargi leur activisme à des domaines, tels que les arts de la scène, la littérature, les arts visuels, etc. Cette question nous invitait à aller au delà du constat de l’existence d’organisations récréatives ouvrières (chorales, sociétés musicales, sociétés sportives) et à en chercher l’originalité, le langage, le projet, en marge ou contre la culture bourgeoise dominante. Le Théâtre d’art prolétarien, par sa durée – près de dix ans – et les trois mots de son titre, nous est apparu comme un moyen d’observer à Genève, les conditions de développement d’une culture artistique originale, intégrée aux luttes politiques et syndicales du mouvement ouvrier. Dès le départ, nous avons choisi d’intégrer notre exploration du théâtre ouvrier dans le contexte européen plus large, de l’entre-deux-guerres. Nous nous demandions alors, avec une certaine naïveté, si les expériences de théâtre politique en Allemagne et en Union Soviétique avaient pu, d’une façon ou d’une autre, pénétrer à Genève, à ce moment particulier où les couleurs politiques s’étaient exprimées avec une force inhabituelle. Pourtant, cette intuition est vite devenue une condition, au fur et à mesure que se confrmaient les liens entre la section genevoise du Parti communiste et le Théâtre prolétarien. La jonction entre le théâtre et l’action politique constitue l’une des caractéristiques majeures du théâtre après la Première Guerre mondiale, mais pour en prendre pleinement la mesure au niveau local, il semble impossible d’en ignorer les dimensions internationales, notamment celles qui correspondent aux stratégies du mouvement communiste. Le TP est partie prenante d’une interférence révolutionnaire dans la culture dominante qui a pour ambition de renverser la bourgeoisie (Première partie). En mettant en évidence ses rapports privilégiés avec le PC, nous défnissons le TP comme une extension artistique locale 10 Pour la liste complète des sources, nous renvoyons à la bibliographie. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
d’une stratégie politique mondiale qui utilise à ses fns une multitude de domaines d’activités humaines (l’Internationale communiste), parmi lesquelles, le théâtre. Une “ esquisse ” pionnière à cet égard est celle de Marc Vuilleumier qui avait déjà remarqué cette originalité du TP comme théâtre d’action politique11. La forme révolutionnaire du TP disparaîtra dans la deuxième moitié des années trente (Deuxième partie), mais le travail théâtral de L’Effort ne restera pas moins attaché aux grands enjeux politiques de la gauche (Front populaire, défense de la démocratie et de la culture, antifascisme). La situation politique particulière de Genève dans l’entre-deux-guerres, nous amènera à nous interroger sur les relations du groupe avec le Parti socialiste genevois, le parti dominant de la gauche, qui pèse de tout son poids dans la vie de la majorité des sociétés ouvrières, “ récréatives ” ou éducatives, du canton.
Les sources internationales Faire l’histoire du TP/L’Effort implique donc de fxer notre attention sur un large et complexe éventail de sujets et d’institutions sans lesquels il ne serait pas possible de rendre compte de sa carrière, mais qui posent d’inévitables problèmes de compétence dans le cadre d’un mémoire de licence. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’écarter de notre étude l’histoire de l’agitation et de la propagande de l’Internationale communiste (IC), de même que celle de sa politique de masse (ces tactiques par lesquelles le mouvement communiste cherche à accroître son infuence). Cependant, ces aspects nous parviendront en écho, lorsque nous traiterons du Parti communiste suisse (cf. chapitre 5). Par contre, l’approche communiste des questions esthétiques, telles que la “ littérature prolétarienne ”, nous semble incontournable, d’autant que, dès son émergence, le TP manifeste son engagement pour le développement de l’“ art prolétarien ”. Une recherche dans les dossiers de l’Union internationale du théâtre révolutionnaire (UITO/UITR) et de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires (UIER), aux archives de l’IC à Moscou, n’aurait certainement pas été infructueuse pour mieux cerner les rapports du groupe avec ces organisations, mais cela aurait nécessité un investissement fnancier et de temps inopportuns à ce stade. Pour contourner provisoirement le problème, nous avons essayé d’utiliser au mieux les sources disponibles dans les bibliothèques occidentales. Par exemple, nous nous sommes procuré divers numéros de l’organe de l’UITR, Le Théâtre international, à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam. Leur lecture devait nous permettre de confrmer au moins un lien idéologique entre les pôles genevois et moscovite de notre sujet (cf. chapitres 2 et 3). Ce lien devient plus clair avec l’adhésion du TP à la Fédération du théâtre ouvrier de France (FTOF), qui est la section française de l’UITO/UITR. A notre connaissance, il n’existe pas d’archives de la FTOF, ce qui, entre autres, laisse dans l’ombre les conditions d’adhésion du TP à cet organisme et, par son intermédiaire, à l’UITO. En revanche, nous avons mis à proft deux séjours en France pour consulter des numéros de son organe de presse, La Scène ouvrière, déposés à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, à Nanterre (BDIC). Nous avons aussi travaillé dans les archives du Parti communiste français (PCF), conservés à la Bibliothèque Marxiste de Paris. Ces deux sources différentes, nous ont permis de comprendre les rapports entre le PCF et la FTOF et les tensions qui apparaissent quant aux fonctions que l’un attribue à l’autre (cf. chapitre 4.2). Ces observations ne seront pas inutiles pour comprendre la situation du TP par rapport au PC, à un certain moment de son histoire (cf. chapitres 5.2 et 5.3). 11 VUILLEUMIER Marc ; “ Mouvement ouvrier, formation et culture… ” ; p. 16 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Les sources suisses La recherche de sources primaires pour reconstituer l’histoire du TP/L’Effort nous a occupé de longs mois, et le plus souvent la récolte a été maigre. Toutefois, les rares documents qui correspondaient à nos attentes se sont révélés utiles pour confrmer ou corriger des hypothèses avancées au cours de la recherche12. Par exemple, nous pensions que le TP faisait partie du dispositif d’agitation et propagande du PC, mais c’est sa fonction comme organisation de masse du PC genevois qui s’est révélée plus clairement (cf. chapitre 5). En ce qui concerne les sources du Parti communiste, nous avons consulté les archives du Ministère public de la Confédération et les papiers du secrétariat du PCS, saisis en 1932 par la police zurichoise et déposés aux Archives fédérales. Le fameux fonds E 21 (Police politique) exigeait une connaissance et un temps qui dépassaient nos possibilités. Dans les inventaires nominaux du fonds, nous n’avons trouvé aucun des membres du TP/L’Effort que nous connaissions à ce moment-là, mais il ne nous a pas été possible de poursuivre la recherche dans des dossiers corrélatifs. Or, récemment, Marc Vuilleumier a mis la main, avec une toute autre intention, sur le dossier d’un membre du TP dont nous mentionnerons le cas plus avant (cf. chapitre 6.4). Si cette recherche devait se poursuivre, le fonds E 21 devrait donc faire l’objet d’une exploration détaillée. Il en va de même pour le fonds de la Fédération Patriotique Suisse, que nous n’avons pu consulter qu’en partie. Nous avons aussi trouvé quelques pièces isolées aux Archives de Jules Humbert-Droz (La Chaux-de-Fonds) et à la Bibliothèque Cantonale et Universitaire vaudoise (Lausanne-Dorigny), où sont conservées (et apparemment oubliées) les archives du PCS, microflmées à Moscou13. Par contre, nous n’avons pas trouvé d’archives pour le Parti socialiste genevois (PSG), ce qui nous a rendu diffcile la tâche de déterminer les liens précis du TP/L’Effort, et d’autres organisations ouvrières spécialisées, avec le plus important parti de gauche à Genève. Les études les plus connues sur l’époque qui nous occupe sont davantage centrées sur les idées et les faits de leurs dirigeants, principalement Léon Nicole et Charles Rosselet, que sur le Parti, son organisation et son fonctionnement. Il est vrai que nous n’avons pas eu la possibilité de consulter le fonds du Parti socialiste suisse, au Schweizerisches Sozialarchiv (Zurich), où on ne peut exclure de trouver des pièces isolées utiles à notre sujet. En revanche, certains documents du PSG, qui nous ont servi, ont été glanés dans le fonds Louis Piguet (Collège du travail, Genève) et André Ehrler (Archives de l’Etat de Genève). Par ailleurs, nos informations sur Ehrler ont été complétées grâce à Monsieur Joël Aguet qui a mis à notre disposition quelques documents de sa bibliothèque. La recherche a été fructueuse dans les fonds du Collège du travail, où se trouvent les archives du syndicaliste Lucien Tronchet, dont nous avons découvert un penchant pour le théâtre, qui s’inscrit dans son intérêt pour les questions d’éducation ouvrière. Nous y avons aussi consulté des documents de la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB), qui nous ont amené par la suite, à l’Union des syndicats du canton de Genève (USCG). Ces archives se sont révélées utiles pour en savoir plus sur l’affaire du Théâtre de La Forge dont nous parlerons abondamment (cf. chapitres 6.2 à 6.4). Les fonds syndicaux nous ont permis de compléter nos informations sur les Fêtes de Mai, en 1938 et 1939, qui occuperont une bonne place dans la deuxième partie de notre recherche. Quant aux archives de l’Université ouvrière (UOG), elles nous ont fait découvrir tardivement l’affliation de L’Effort au Centre genevois 12 Je profte de cette occasion pour remercier de leur aide à la traduction des documents en langue allemande, Diane Bacher, Alexandra Felder, Anabel Pestaña, Anne Pictet, Daniela Sebeledi et Abigail Zoppetti. 13 Ce fonds attend encore d’être classé. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
d’éducation ouvrière (CEO). Si cette recherche avait un prolongement, il faudrait s’intéresser de près aux conditions de cette opération, car elle pourrait apporter des compléments au sujet de l’évolution politique du groupe. Les archives de l’USCG n’apportent pas de lumière à ce sujet. Enfn, nos demandes visant à consulter des dossiers du Département de justice et police, déposés aux Archives d’Etat de Genève (AEG), n’ont pas abouti. Parmi les dossiers qui nous intéresseraient nous mentionnerons, entre autres, la série Nn (surveillance des établissements publics, salles de spectacle, manifestations, expositions etc.), et la série Gd a (rapports de police, 1930-1933)14.
Les sources théâtrales Nous abordons ici l’un des points faibles de ce mémoire. Nous étant concentré longtemps sur les sources d’ordre politique et ouvrier, nous n’avons pas pu approfondir nos recherches dans les archives des institutions théâtrales. Une première exploration dans les archives de la Fondation Johnny Aubert-Tournier (Vandoeuvres, Genève) s’était révélée infructueuse, mais nous n’avons pas eu la possibilité de la poursuivre. De même, le temps nous a manqué pour consulter les fonds d’archives déposés à la Collection suisse du théâtre, à Berne. Une recherche devrait aussi être entreprise dans les archives de la famille Fradel, à Genève. En effet, le directeur du Casino-Théâtre, dirigeait le Syndicat des entreprises de spectacles, dont la piste pourrait se révéler intéressante pour la période où L’Effort s’engage vers le professionnalisme, à la fn des années trente. Il en va de même pour les archives de la Société des amis de l’instruction (SAI), qui ne sont pas actuellement en état d’être consultées, et ceux de la Fédération suisse des sociétés théâtrales d’amateurs (FSSTA), que nous avons contacté en vain à plusieurs reprises15. Une source de première valeur, ce sont les souvenirs de l’acteur William Jacques, qui avait fait dans le TP ses premiers pas dans l’art dramatique. Ses propos avaient été enregistrés au cours d’un débat à la Comédie de Genève, en 1991. Grâce à son épouse, Raymonde Vaëna, nous avons pu en prendre connaissance et nous en reproduisons quelques extraits dans ce mémoire. Si les souvenirs de William Jacques ne concordent pas toujours avec nos informations, son témoignage reste un document indispensable. Par ailleurs, en janvier 2001, nous avons eu la chance de rencontrer Joseph Marbacher, ancien combattant des Brigades Internationales et membre éphémère du TP, autour de l’année 1931. Les souvenirs de son passage dans le groupe sont très partiels. Toutefois, certains de ses propos, les plus précis, seront repris à différents endroits de ce travail et mentionnés expressément. Au sujet du débat de la Comédie, il faut dire qu’il s’agissait de la première incursion du monde du théâtre dans l’histoire du TP16. Notre travail s’inscrit dans la suite de cette 14 A titre indicatif, on trouvera ici la liste des fonds que nous avons consulté sans succès : – BPU (Manuscrits) : Henri de Ziegler (Société suisse des écrivains) ; Georges Oltramare ; André Oltramare (président de l’Association des amis de l’Espagne républicaine) ; Union Civique (membre de l’Union des sociétés patriotiques de Genève) ; Union Nationale. – AVG : Loyers et redevances ; Spectacles et concerts ; Sécheron. – AEG : MaxMarc Thomas ; Pierre Nicole. – AFS : Jean Vincent ; CIRA : Lucien Tronchet. – Stiftung Arbeiterbewegung (Zurich) : Léon Nicole ; Otto Volkart. 15 Nous avons aussi rendu visite à la Comédie de Genève. Malgré un fonds impressionnant de richesse, il n’y a pas d’archives antérieures à 1935. Pour la période qui nous intéresse, celle de la direction d’Ernest Fournier, nous n’avons trouvé que deux classeurs et une boîte sur les accueils de spectacles extérieurs. 16 Les autres participants au débat étaient Philippe Ivernel, membre de l’équipe de recherche “ Théâtre années \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
“ première esquisse ”, en suggérant des réponses à certaines questions qui avaient été posées à cette occasion : les rapports du TP avec le monde politique, et le statut du TP dans le mouvement du théâtre d’agit-prop. Comme on l’aura deviné, il ne semble pas exister d’archives organisées du TP/L’Effort. Du moins, tel semblait être le cas, récemment encore. A cet égard, des démarches pourraient être faites en vue de réaliser un inventaire exhaustif des archives privées de William Jacques (1917-2000). Outre l’intérêt que représente sa carrière pour l’histoire du théâtre à Genève, il n’est pas impossible que des documents utiles sur le théâtre de l’entre-deux-guerres puissent s’y trouver. Enfn, récemment, alors que nous étions déjà dans la phase de rédaction de notre mémoire, nous avons fait la connaissance de Monsieur Marc Roth, fls de Théo Roth (1894-1987), qui fut l’un des membres les plus actifs du groupe. A la suite d’un premier sondage, nous avons pu nous rendre compte que Théo Roth avait pris soin de garder un matériel d’inestimable valeur pour notre sujet. Le domicile de la famille n’a pas changé depuis les années 1940, ce qui pourrait expliquer que ce fonds ait été préservé jusqu’ici, dans d’assez bonnes conditions, bien que des traces de détérioration dues à l’humidité et au temps soient déjà visibles. Il serait recommandable de faire des démarches en vue d’en faire un inventaire complet. L’une des questions restées en suspens à la Comédie pourrait trouver un début de réponse dans ces archives et ouvrir des perspectives de recherche intéressantes : les réseaux d’échanges intellectuels et artistiques internationaux dans lesquels s’inscrivait le TP/L’Effort. Quant à nous, nous avons essayé d’exploiter au mieux de nos possibilités certains documents qu’il s’est agi d’intégrer à ce travail à un stade avancé de la recherche. Nous avions espéré que l’analyse des spectacles du groupe serait facilitée par la découverte des archives de Théo Roth. Cela n’a pas toujours été le cas. Non seulement, il n’existe que quelques images éparses du groupe, mais nous n’avons pas (encore ?) retrouvé les textes les plus originaux de sa carrière, des chœurs parlés écrits à l’occasion de certains événements locaux. D’autres textes, comme La Rupture o u Le Merveilleux Alliage, dont des traductions françaises sont disponibles, ont pu nous aider à nous faire une idée de leur contenu mais seule la lecture des chroniques dans la presse a pu nous donner une idée approximative de leur mise en scène. Dans la plupart des cas, notre approche des œuvres interprétées par le TP/L’Effort a moins pour but de les présenter pour elles-mêmes que de faire un premier portrait général de la carrière artistique du groupe dans son contexte politique. Nous nous sommes tout de même risqué à une analyse sommaire de l’adaptation signée par Théo Roth de la pièce de Brecht, Die Gewehre der Frau Carrar, dans le but de savoir comment elle avait été appréhendée par le groupe, à un moment sans doute unique de l’histoire. Si elle a été jouée maintes fois après la fn du confit espagnol, qui est le sujet central de la pièce, elle le fut bien plus rarement dans les années mêmes de la guerre. Pour cela nous avons disposé de la traduction de Théo Roth, que nous avons pu comparer à la première édition de l’œuvre (Malik-Verlag, Londres, 1937) et à la traduction française offcielle, aux éditions de l’Arche (cf. Chapitre 13). Enfn, l’une des sources principales de l’histoire du TP/L’Effort, sa revue Culture prolétarienne, dont sept numéros avaient été publiés entre 1933 et 1935, provient des archives de Théo Roth. Le chapitre que nous lui consacrons (chapitre 7) donne également une idée du contenu de ce fonds. Il reste que cette revue pourrait encore être mieux exploitée, à l’avenir. vingt ” (CNRS, Paris) et Philippe Schwed, historien genevois. Il était animé par Philippe Macasdar, conseiller artistique de La Comédie. La rencontre avait également fait l’objet d’un compte-rendu : cf. CHALUT C. ; “ Le Théâtre prolétarien à Genève et en Europe ” ; Voix ouvrière/Réalités. Organe du Parti suisse du travail – POP ; Genève ; 14 février 1991 ; p. 11 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
C’est dans ce but que nous en avons extrait quelques articles pour les joindre à ce travail (Annexes III à VII).
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Plan du mémoire Dans la première partie de notre travail, après une très brève incursion dans l’univers du théâtre ouvrier genevois avant 1930, nous ferons un détour par l’Union Soviétique où, entre temps, avait triomphé une révolution dite “ prolétarienne ” et où un mouvement culturel du même nom avait commencé de naître. La conférence littéraire de Kharkov de 1930, qui en représente le sommet, est une tentative de codifer et diffuser dans le monde une littérature révolutionnaire. C’est à l’occasion de la réunion de Kharkov que les organisations du “ Front culturel ” de l’Internationale communiste prennent véritablement leur envol. Parmi elles, nous nous intéresserons à l’Union internationale du théâtre révolutionnaire (UITR) et à la Fédération du théâtre ouvrier de France (FTOF), auxquelles le Théâtre prolétarien adhère à partir de 1931. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’exposer en détail ce qui a déjà été écrit par ailleurs, mais nous ferons une large place à ce qui était susceptible d’être connu, d’intéresser et d’infuencer la vie politique et artistique du Théâtre prolétarien. Les traits du groupe genevois commenceront à apparaître dès notre exposé sur la FTOF, l’organisation qui sera chargée d’implanter le théâtre d’agitation et de propagande (agit-prop) en France (Chapitres 2 à 4). Ces traits deviendront de plus en plus précis lorsque nous reviendrons en Suisse. Nous chercherons à retrouver la place qu’occupe le TP dans les organisations du mouvement ouvrier, en particulier le Parti communiste suisse et sa section genevoise, et à comprendre sa situation par rapport au Parti socialiste genevois. Ces chapitres préliminaires ont pour but de planter le décor politique dans lequel s’inscrit l’action du Théâtre prolétarien. Le groupe doit s’imposer à Genève, comme représentant d’une conception particulière de l’art et d’une stratégie politique internationale et leur trouver une légitimité dans le local, tout en navigant dans les eaux troubles des rapports de force de la gauche genevoise (Chapitres 5 à 7). C’est alors que nous entrerons dans l’histoire spécifquement artistique du Théâtre prolétarien. Après une brève présentation des membres du groupe, nous chercherons à suivre le parcours du TP dans l’“ art prolétarien ”. Nous y découvrirons un registre scénique d’une étonnante richesse, oscillant entre tradition et innovation : le poème, la pièce courte, la saynète, le chœur parlé, mimé ou chanté, la comédie, la satire, le drame... Le TP se présentera à nous comme une manifestation tardive du théâtre révolutionnaire, faisant cohabiter des formes traditionnelles du théâtre ouvrier (comme le drame) avec les techniques de l’agit-prop (principalement le chœur parlé). L’exposé de la première partie prendra fn avec un bref bilan de l’activité du TP, de 1930 à 1936 (Chapitre 8). La partie du mémoire consacrée à L’Effort couvre la période 1936-1939, marquée par un changement radical dans la situation politique. Ces années sont à la fois euphoriques (le Front populaire, la Guerre d’Espagne) et rongées par le doute et la crainte de voir le fascisme déferler sur l’Europe. Les spectacles présentés dans cette phase en sont un refet. Le rire fait une entrée en force dans le répertoire de L’Effort, mais les spectacles de masse auxquels le groupe participe refètent tout autant l’esprit de fête que le besoin de se convaincre de la réalité d’une unité du mouvement ouvrier qui n’est peut-être qu’apparente. Dans ce contexte, nous avons perçu ces spectacles comme une appropriation d’un patrimoine détenu jusqu’alors par la bourgeoisie (la forme du festspiel), et une refonte de celui-ci dans les attentes insatisfaites de la classe ouvrière (Chapitres 9, 10 et 12). A partir de 1936, le travail de L’Effort s’inscrit sous le signe du théâtre “ populaire ”, avec une attitude moins méfante à l’égard des artistes professionnels et des intellectuels démocrates. Au même temps, le groupe lui-même cherche à trouver son chemin entre l’amateurisme et le professionnalisme, mettant plus facilement en avant certaines individualités, et apparaissant \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
moins souvent en tant que collectif. A la suite de l’entrée des communistes dans le PSG, mais aussi sous l’effet des réformes du théâtre révolutionnaire au milieu des années trente, le rouge du groupe semble perdre de sa vigueur. En revanche, le travail spécifquement artistique de L’Effort paraît gagner en relief. Dans une certaine mesure, son travail dramaturgique prend une direction autonome, plus spécifque à l’art théâtral qui, étonnamment, nous a semblé faire renouer L’Effort avec le théâtre d’agitation de la période TP (Chapitres 11 et 13). Cette quête d’un théâtre sans précédent à Genève, se terminera par quelques conclusions où nous nous attacherons à proposer des pistes de recherche ultérieures.
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Première partie Le Théâtre d’art prolétarien (1930 – 1936) Les écrivains révolutionnaires de tous pays, nous formons un tout indissociable [...] nous sommes les soldats de la grande armée rouge internationale Johannes R. Becher (1930)
Au mois d’avril 1930, la naissance d’un nouveau groupe de théâtre, nommé Théâtre d’art prolétarien, est annoncée à la presse ouvrière genevoise. Il vient de se fonder un groupe de théâtre ouvrier. Son but est de répandre dans la classe ouvrière la littérature prolétarienne. Son étiquette : rouge. Ses moyens fnanciers : nuls17
Un nouveau groupe de théâtre, ce n’était pas, en soi, une nouveauté. A la fn des années vingt, l e Groupement littéraire et musical socialiste Les Phalènes avait animé certaines soirées ouvrières. Avant encore, le Groupe ouvrier artistique et littéraire “ L’Etincelle ”18, s’était constitué en 1927. Des pièces de Courteline, de Rictus, des farces diverses avaient parfois été interprétées dans les soirées de la Jeunesse communiste (JC)19. Pour une période encore plus ancienne, Charles Heimberg, a présenté des exemples de spectacles de théâtre, présentés dans le cadre des premières soirées ouvrières du début du siècle20. La plupart de ces initiatives avaient une fonction de délassement, parfois d’éducation artistique ; d’autres fois, comme avec La Lutte, de Marcel Saulnier, elles s’inscrivaient dans une démarche de pédagogie sociale plus affrmée21.
17 ALT : Lettre du Théâtre d’art prolétarien : P/a Jean-Jacques Piguet, à [Louis] Bertoni : rédacteur du Réveil ; 01.04.1930 18 Tr ; 20.03.1927 ; p. 5 19 DR ; 01.05.1924 ; p. 3 20 HEIMBERG Charles ; “ L’œuvre des travailleurs eux-mêmes ”. Valeurs et espoirs dans le mouvement ouvrier genevois au tournant du siècle (1885-1914) ; Genève : Slatkine ; 1996 ; p. 139 21 Ibidem \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
1. De l’Union pour l’art social à l’art prolétarien Jusqu’au Théâtre prolétarien, la plupart des expériences artistiques issues du monde ouvrier avaient un caractère éphémère. Des groupes se formaient à l’occasion de manifestations ponctuelles et se défaisaient tout aussi rapidement. La seule institution artistique destinée aux ouvriers qui se soit donné les moyens de la durée, fut l’Union pour l’art social (AS). Depuis ses débuts en 1902, pendant plus de trente ans, cette société genevoise s’est efforcée de répandre parmi la population ouvrière le goût pour l’Art sous toutes ses formes22. A la fn du 19ème siècle, l’“ art social ” – à l’instar de ses notions cousines “ l’art pour tous ”, “ l’art pour le peuple ” “ l’art nouveau ” ou “ l’art déco ” – est une notion en vogue dans les milieux socialisants européens. Déjà Condorcet en avait défni le contenu : l’art social, c’est l’instruction bien dirigée et les bonnes lois, qui devaient corriger les inégalités naturelles23. Par la suite, les journées de Juillet 1831, la Révolution de 1848 ou la Commune de Paris, en 1871, avaient contribué à mettre la question de la signifcation sociale du Beau à l’ordre du jour des milieux littéraires. La correspondance de George Sand avec Gustave Flaubert témoigne de ce bouillonnement24. Flaubert, qui avait qualifé de “ pignoufferie socialiste ”, l’ouvrage que Proudhon avait consacré à la question25. Fermement opposé à l’école de “ l’art pour l’art ”, celui-ci affrmait que toute création artistique a nécessairement une destination, un but : il est absurde de supposer que quelque chose se produise dans la société – pourquoi ne dirions-nous pas dans l’univers ? – à seule fn de se produire. L’artiste a donc deux alternatives : soit il exprime la vie humaine et vise son perfectionnement, soit il refuse cette mission et s’en donne une autre, parfaitement irrationnelle, chimérique et immorale, risquant de se couper de la vie réelle et, surtout, risquant de voir la société se séparer de lui. Sur la base de ses réfexions, il met les artistes au déf de prendre place dans le débat : Quant à nous socialistes révolutionnaires nous disons aux artistes comme aux littérateurs : notre idéal, c’est le droit et la vérité. Si vous ne savez pas avec cela faire de l’art et du style, arrière ! nous n’avons pas besoin de vous. Si vous êtes au service des corrompus, des luxueux, des fainéants, arrière ! nous ne voulons pas de votre art 26. L’Art social genevois est loin d’être aussi engagé dans la controverse sur le rôle de l’art, auquel il refuse cependant toute fonction spécifque. L’“ art social ”, affrment les dirigeants de l’AS, ne désigne pas un art spécialement adapté aux masses, un art de qualité inférieure, mais l’art véritable, qui ne connaît pas de distinctions de classes. L’“ art social ”, version genevoise, se résume en fait à une démarche éducative par le haut : fournir à tous les occasions de se trouver en présence du Beau sous ses diverses formes, contribuer à développer et à former [le] goût des travailleurs pour l’art. Si le peuple a semblé jusque-là peu accessible à ces jouissances supérieures, c’est qu’il lui a manqué les loisirs et les ressources et 22 Union pour l’art social ; Genève : Bureau de l’Union pour l’art social ; N° 1 ; 1902-1903. Outre l’art dramatique, qui nous intéresse plus particulièrement ici, l’AS organise des séances de lecture d’œuvres littéraires, des conférences et des projections lumineuses sur la peinture et la sculpture, des concerts... 23 CONDORCET ; Esquisse d’un tableau historique des progrès humains [1795] ; Hildesheim, New-York : Georg Olms Verlag ; 1981 ; “ Neuvième époque. Depuis Descartes jusqu’à la formation de la République française ” ; p. 227 ; “ Dixième époque. Des progrès futurs de l’esprit humain ” ; pp. 311, et 329 24 Cf. notam. Lettre de Sand à Flaubert, le 12.01.1876 ; In FLAUBERT Gustave, SAND George ; Correspondance ; Paris : Flammarion ; 1981 ; pp. 515-516 25 PROUDHON Pierre-Joseph, Du principe de l’art et de sa destination sociale ; Paris : Garnier Frères ; 1865. Cf. ANGENOT Marc ; “ Proudhon et l’art social. Sur l’essai de P.-J. Proudhon, Du principe de l’art et de sa destination sociale, Paris: Lacroix, 1875 ” ; [Texte sur la toile :]
http://communities.msn.com/PAGEDEMARCANGENOT&naventryid=100
26 PROUDHON ; Du principe de l’art... ; p. 373
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que son éducation artistique a été délaissée27. Ce programme n’est certes pas en soi une défnition de la “ beauté ” mais il en renferme une, qui la conçoit comme une donnée déjà existante, qu’une partie de la société n’est pas en mesure d’appréhender. Pour son programme théâtral, l’AS puise essentiellement dans le répertoire des sociétés d’amateurs existantes. La qualité des représentations a parfois suscité des controverses, surtout d’ordre moral. Certaines pièces à contenu social critique, parviennent tout de même à se frayer un chemin : Maeterlinck, Intérieur (1904) ; Rolland, Les Loups (1909) ; Mirbeau, Les affaires sont les affaires (1911) ; Tolstoï, La Puissance des Ténèbres (1917). Parmi les grandes réalisations de l’AS, trouvant leur origine dans son ouvriérisme, il en est d’originales et durables : prix modiques, spectacles dans les communes rurales, aménagement de salles dans les quartiers populaires, sont autant de mesures qui favorisent l’émergence d’un public nouveau et constituent autant de précédents d’une future politique publique de diffusion culturelle qui ne se soupçonne pas encore comme telle. Il convient toutefois de ne pas ignorer la dimension idéologique de l’AS. Le credo de “ l’art véritable ”, qui ignore les différences de classes, méconnaît le décalage entre cet art et le fait qu’une minuscule élite en ait monopolisé la défnition, le statut et le marché. Pour l’AS le problème réside seulement en ce que la classe ouvrière n’a pas (encore) été initiée à en apprécier le goût. L’acquisition de la culture artistique a donc implicitement pour fonction de combler le fossé entre les classes sociales par la normalisation de la perception du Beau et, par ce moyen, de réunir la société autour de la culture dominante. Tant que le mouvement ouvrier naissant aspirait à la même chose, faire monter le peuple au niveau de la classe supérieure, sans espérer en reverser l’ordre28, ce décalage n’était pas forcément évident, d’autant que des représentants des ouvriers font partie du comité de l’AS (Jean Sigg, secrétaire ouvrier, et H. Schaefer, secrétaire de la Chambre de travail) et lui garantissent la représentativité nécessaire dans la classe populaire.
1.1. Vers un art de classe Le problème devient concret à partir du moment où à l’idée de l’ascension sociale vient s’opposer celle de la perspective révolutionnaire et du renversement social. Au cours des années vingt, le débat sur l’art de classe commence à être posé dans la presse ouvrière : existe-t-il vraiment un art prolétaire ? Telle est la question que posait l’autre jour une revue socialiste assez répandue. Elle concluait ainsi. S’il existe, l’art prolétaire doit avoir un caractère nettement révolutionnaire ; autrement, il n’est qu’une imitation, libre ou servile, bonne ou mauvaise, de l’art bourgeois 29. Dans la presse ouvrière, notamment communiste, de plus en plus d’articles passent la vie artistique au tamis politique : la pièce “ Les Mauvais Bergers ” (Mirbeau) rend sublime la lutte révolutionnaire. Pourquoi chercher à adoucir cette grande œuvre ?, s’interroge le Drapeau rouge après une représentation de la pièce, à la Comédie de Genève30. A la fn des années vingt, dans le même organe, divers articles s’insurgent contre le répertoire du Casino-Théâtre, où les bolchéviques sont représentés sous des traits peu amènes, avec le couteau à la main 31. C’est notamment l’un des auteurs maison, 27 Union pour l’art social ; Genève : Bureau de l’Union pour l’art social ; N° 2 ; 1903-1904 ; p. 1 28 Otto Lang, président du Comité directeur de la Fédération ouvrière, In XIXème rapport annuel de la Fédération ouvrière suisse, pour l’année 1905 [...] Le Congrès ouvrier suisse à Olten, le 24 avril [1906] ; Genève-Plainpalais : Imprimerie ouvrière ; 1906 ; p. 5 29 Tr ; 22.06.1927 ; p. 4 30 DR ; 01.12.1923 31 DR ; 10.04.1927 ; p. 3 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Ruy Blag, qui est visé par la critique communiste : Faire de Lounatscharsky, qui est le meilleur des hommes, le plus simple et le plus affable, un parvenu arrogant, bottant le derrière d’un laquais, c’est sous couleur de divertissement comique une attaque directe contre un pays, la Russie soviétique, contre un parti, le Parti communiste32. Critique de la lecture du répertoire, critique des institutions établies, critique des auteurs, critique du contenu. Dans les milieux de gauche, donc, l’idée fait son chemin que l’art n’est pas neutre, et commence à s’imposer la perspective d’un art prolétarien, représentatif des aspirations de la classe ouvrière. C’est dans cette perspective-là qu’apparaît à Genève, le Théâtre prolétarien. L’initiative n’a rien de commun avec les sociétés d’amateurs qui foisonnent à Genève à cette époque, dont l’amour du théâtre et l’amitié mutuelle constituent les principales raisons d’être33. L’inscription du TP dans les luttes ouvrières oblige le nouveau groupe à gagner son public en l’arrachant à une culture dominante, en investissant une terrain déjà occupé par les théâtres professionnels ou amateurs existants. Par ailleurs, ce qui distingue le groupe naissant des anciennes initiatives d’origine ouvrière, c’est son projet d’un art de classe, sa volonté d’intégrer le théâtre dans la vie politique de la mouvance de gauche et son insertion dans un système de l’art révolutionnaire aux contours géographiques plus larges, qui commence à se codifer en Union Soviétique et dans les instances du “ Front culturel ” de l’Internationale communiste.
32 DR ; 26.05.1928 ; p. 4 33 L’une des plus anciennes sociétés théâtrales genevoises, la Société des amis de l’instruction (SAI) a pour but de resserrer les liens d’affection entre ses membres et faire aimer toujours davantage la langue et la littérature françaises. Quant à la société la Veillée, ses raisons d’être sont la diffusion de l’art dramatique et la bonne et franche camaraderie. Des intentions semblables sont mises en avant par la Jeunesse littéraire et chorale du PetitSaconnex, et la Section littéraire de l’Association des commis de Genève. Cf. les notices des sociétés membres de la Fédération des sociétés théâtrales d’amateurs, In XIIme Congrès et VIIme Concours international d’art dramatique et lyrique. Organisé par la Société genevoise des amis de l’instruction. Genève 7, 8, 9 et 10 juin 1924. Programme offciel ; Genève : Société genevoise d’édition et d’impressions ; [1924] \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
2. De la littérature prolétarienne au réalisme socialiste Moins d’une année après sa naissance, en mai 1930, le Théâtre prolétarien adhère à la Fédération du théâtre ouvrier de France (FTOF) ; par son intermédiaire, le groupe devient membre de l’Union internationale du théâtre ouvrier (UITO) et inscrit, dès lors, son action dans le cadre du “ Front culturel ” de l’Internationale communiste (IC). A ces instances, qui marquent l’intégration internationale du groupe, seront consacrés les trois chapitres suivants de notre recherche. Comme elles-mêmes sont intimement liées aux politiques culturelle et étrangère de l’URSS, les débats et les ruptures qui animent la vie culturelle soviétique ont aussi des effets sur la petite troupe genevoise. Nous en évoquerons donc les principales étapes. Les événements qui nous intéressent d’abord se déroulent autour de la Deuxième Conférence internationale des écrivains révolutionnaires et prolétariens, qui se tient à Kharkov, en 1930, et du Premier Congrès de l’Union des écrivains soviétiques, en 1934. La vie artistique en URSS, à cette époque, est marquée par le renforcement du pouvoir stalinien sur l’Etat soviétique, sur le Parti communiste et sur l’Internationale communiste. Depuis la mort de Lénine, en 1924, les disputes entre les chefs historiques de la Révolution bolchévique s’étalent au rythme d’exclusions, de procès pour complots et de déportations. Tour à tour, Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Trotsky et leurs alliés respectifs en font les frais au proft de Staline. Les disputes portent notamment sur la question de savoir si la priorité absolue est d’exporter le modèle insurrectionnel russe ou si le mouvement communiste doit concentrer ses efforts sur la défense de l’URSS. Un facteur important, qui détermine que la deuxième option fnit par dominer, est que, depuis 1927, l’Union Soviétique s’est lancée dans une marche forcée vers la collectivisation des terres et l’industrie lourde. Dans l’Internationale communiste, des tendances dites de gauche et de droite s’opposent sur la stratégie à suivre à l’égard de la social-démocratie. Si, dans l’ensemble, les socialistes sont traités de “ social-fascistes ”, accusés d’avoir trahi les aspirations révolutionnaires du prolétariat en pactisant avec la bourgeoisie, des différences se dessinent sur la tactique à adopter à leur égard. Certains sont plutôt favorables au maintien des relations, d’autres y sont farouchement opposés. Pendant, la phase dite du Front unique prolétarien, la ligne offcielle de l’IC sera de s’efforcer de séparer les militants socialistes de base de leurs dirigeants et de les gagner aux thèses communistes.
2.1. Kharkov 1930. La stratégie littéraire du mouvement communiste Les contours de la “ littérature prolétarienne ” sont pour le moins élastiques. Michel Ragon en a cherché les prémices jusque dans le Moyen-Age, dans les “ mystères ”, les chansons compagnonniques puis, dans les almanachs et les récits d’ouvriers artisans, au 18ème et 19ème siècles34. Celle qui intéresse le Théâtre prolétarien – la littérature qui non seulement est écrite par des ouvriers mais se dit révolutionnaire et engagée au côté de l’Union Soviétique 35 – remonte aux premières années de la Révolution d’Octobre. Sous l’administration d’Anatole Lounatcharsky, Commissaire du peuple à l’Instruction publique, la Révolution vit une sorte d’âge d’or des avant-gardes esthétiques. Des notions nouvelles y émergent dans un climat politique et artistique foisonnant : Proletkult, “ littérature prolétarienne ”, “ compagnons de route ” (aussi désignés par l’expression “ spécialistes de la littérature ”), ou encore 34 RAGON Michel ; Histoire de la littérature prolétarienne de langue française ; Paris : Albin Michel ; 1986 35 Cf. Annexe III \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
“ révolution culturelle ” . Parmi les mouvements artistiques issus de la Révolution, le Proletkult proposait de créer un art et une science dits prolétariens. Comme d’autres mouvements, il cherchait à s’imposer comme le représentant de la juste ligne culturelle. Au même temps, le Proletkult souhaitait garder son autonomie vis-à-vis des institutions soviétiques gouvernementales. Au début des années trente, le mouvement a acquis une grande importance dans la littérature et la culture révolutionnaire. C’est sous l’infuence de ce mouvement que les règles de la littérature prolétarienne sont codifées à Kharkov, en novembre 1930, au cours de la Deuxième Conférence internationale des écrivains révolutionnaires et prolétariens, une réunion qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie de l’Internationale communiste, dont les conclusions infuenceront l’ensemble des organisations culturelles auxiliaires de l’IC36. A partir de ce moment, la littérature prolétarienne relève moins, ou autant, d’une poétique du témoignage de la condition ouvrière que du soutien à l’Union Soviétique. Ainsi, par exemple, Louis Aragon, qui n’était certainement pas un prolétaire, a pu se déclarer “ écrivain prolétarien ”, en raison de cet engagement37. La conférence de Kharkov se déroule dans un optimisme survolté. On croit que la crise économique du capitalisme s’accompagne aussi d’une crise de sa civilisation, qui n’offrirait pas d’autre issue que la “ réaction ”. L’artiste “ bourgeois ” y serait privé des grandes idées, des grands projets nécessaires à la création. Cet état d’esprit se traduit dans un discours offensif, nourri de métaphores guerrières : la plume à la main, nous sommes les soldats de la grande et invincible armée du prolétariat (Bela Iles) ; la littérature est une arme afflée (Alfred Kurella), ou encore, de la dynamite pour faire sauter le capitalisme (Alexandre Tarassov Radionov). Convoquée par le Bureau international de la littérature révolutionnaire (BILR) 38, la conférence se donne pour but de poser les règles de la littérature prolétarienne, qu’il faut entendre d’abord comme une forme spécifque de la lutte des classes. On y discute de la place dans le mouvement des intellectuels bourgeois “ compagnons de route ”, de méthodes de création, de contenus, de genres littéraires et des rapports de la littérature prolétarienne avec les beaux-arts et le théâtre.
2.2. Les “ compagnons de route ” et les deux fronts L’intitulé de la conférence fait ressortir deux types d’écrivains : les “ révolutionnaires ” et les “ prolétariens ”. Les premiers sont souvent des auteurs confrmés, certains assez connus, issus de la petite bourgeoisie, parfois membres des Partis communistes : les “ compagnons de 36 Les documents de la conférence ont été publiés In “ Deuxième Conférence internationale des écrivains révolutionnaires. Rapports, résolutions, débats ” ; La Littérature de la révolution mondiale. Organe central de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires ; Moscou : Editions d’Etat ; 1931. Les citations des chapitres 2.1 à 2.3 sont extraites de ce document. 37 Sur la trajectoire d’Aragon dans le communisme, cf. “ Les Engagements d’Aragon ” ; Paris : Université Paris 13 - Centre d’études littéraires francophones et comparées : L’Harmattan ; 1997 (Itinéraires & contacts de cultures, vol. 24) ; spéc. MOREL Jean-Pierre ; “ ˝Le monstrueux tissu d’équivoques˝ : A propos d’Aragon et de l’Internationale des écrivains révolutionnaires (1928-1932) ” ; pp. 47-58 ; RACINE Nicole ; “ Aragon, militant du mouvement communiste international (1930-1939) ” ; pp. 77-85 38 Fondé en 1927, lors d’une rencontre d’écrivains “ révolutionnaires ”, réunis sous la direction de Lounatcharsky. A l’issue de la conférence de Kharkov, le BILR deviendra l’Union internationale des écrivains révolutionnaires (UIER). \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
route ”. Tout l’enjeu est de les convaincre de mettre leur talent au service de la nouvelle littérature prolétarienne. Quant aux écrivains dits “ prolétariens ”, ils représentent la classe littéraire montante, de jeunes plumes, pour la plupart, formées au cours des années vingt, dans les premières années de la Révolution russe. L’alliance entre écrivains petit-bourgeois et prolétariens est l’un des objectifs de la conférence. Cette question renvoie à la lutte sur deux fronts, contre “ l’opportunisme ” dit de droite et celui dit de gauche, qui déchire l’Internationale communiste. Sur le plan littéraire, la droite élitiste sous-estimerait la capacité de la classe ouvrière à prendre la direction de la nouvelle culture. De son côté, la gauche, qualifée de “ sectaire ”, voudrait en écarter les écrivains bourgeois et croit à la pureté d’une esthétique qui reposerait uniquement sur une nouvelle génération d’auteurs, issus du prolétariat, généralement les correspondants d’usine de la presse communiste d’agitation (les rabcors). Ces positions sont défendues par des groupes assez bien défnis. L’Association russe des écrivains prolétariens (RAPP) et le BILR, sont largement dominés par la gauche. Au sein de la délégation allemande on trouve les deux positions, mais leurs dirigeants sont souvent pris à partie par les Soviétiques, qui leur reprochent de ne pas faire assez de place aux écrivains ouvriers. La délégation allemande est en effet, parmi les occidentaux, celle qui compte le plus d’écrivains chevronnés (Ludwig Renn, Johannes Robert Becher, Ernst Glaeser, Anna Seghers, Alfred Kurella). Dans cette controverse, il convient de noter la relative “ modération ” de la déléguée de l’IC à la conférence. Serafma I. Gopner, qui dirige depuis peu l’agit-prop au secrétariat de l’Internationale, se veut conciliante à l’égard des “ compagnons de route ”. Le front littéraire, dit-elle, est un front de masse. Il ne réunit pas seulement des militants mais aussi des amis de l’IC. C’est pourquoi, il faut faire preuve de tolérance à l’égard des tâtonnements idéologiques, du moins dans un premier temps. Elle se prononce tout de même pour une commune mesure de la littérature révolutionnaire, qui serait centrée sur l’engagement des intellectuels en faveur de la défense de l’URSS.
2.3. Les thèmes, les formes et le langage La guerre et l’URSS sont les thèmes dominants de la conférence de Kharkov. C’est ce qui ressort du rapport que présente l’écrivain allemand Johannes R. Becher : Les mots d’ordre généraux : défense de l’Union Soviétique, soutien de la lutte révolutionnaire des colonies et des peuples opprimés, lutte contre la guerre impérialiste, doivent être modifés dans leur forme et leur contenu, doivent être revêtus d’une forme artistique. Becher commence par faire la critique de la littérature nationaliste, qui magnife la guerre en tant qu’épreuve décisive et lieu de réalisation du héros, mais il vise aussi la littérature pacifste, qui se désintéresse des causes de la guerre et n’en dénonce que la cruauté. A l’inverse, la littérature révolutionnaire devrait dénoncer la guerre comme menace contre l’URSS, donc contre le prolétariat ; et dénoncer aussi la guerre impérialiste, comme indissociable du capitalisme. Dès lors, les écrivains qui adhèrent au mouvement de la littérature prolétarienne devraient soutenir la préparation militaire de l’URSS et les offensives anti-coloniales. Si l’écrivain prolétarien dénonce la guerre contre l’URSS, il doit aussi défendre cette dernière. Dans son rapport, Becher affrme que les succès de l’édifcation du socialisme sont le meilleur des instruments de propagande. Joignant les actes à la parole, Becher est l’auteur de Der große Plan. Epos des sozialistischen Aufbaus (1931), une épopée à la gloire du plan quinquennal soviétique, que le Théâtre prolétarien interprètera, à Genève, en avril 1933. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
La culture soviétique pèse de tout son poids, non seulement sur les thèmes mais aussi sur les formes que cette littérature doit adopter. En théorie, elle devrait reféter la réalité avec un maximum de fdélité, pour la transformer ensuite dans un sens révolutionnaire. La méthode du matérialisme dialectique devrait diriger les écrivains, en mettant à nu dans leurs œuvres la réalité dans toutes ses contradictions. Le véritable sujet de la littérature prolétarienne n’est plus le personnage, mais l’action dynamique, le heurt des classes, le confit (Mateyka). A l’inverse, un mauvais roman prolétarien serait Boston, de l’Américain Upton Sinclair. Il est dénoncé comme un tableau fgé de la bourgeoisie et de la classe ouvrière, oubliant de mettre en exergue le mouvement, la lutte des uns contre les autres. Quant au personnage, ce n’est plus l’individu, mais le collectif, le prolétariat dans son processus de maturation de classe. La question du langage est également abordée à la conférence, dans le sens où la littérature prolétarienne doit avant tout être effcace. Le délégué de l’Internationale syndicale rouge (ISR), Giovanni Germanetto, réclame une littérature prolétarienne capable de s’adresser au plus grand nombre et d’éveiller la conscience sociale des masses. Pour Becher, il ne servirait à rien que l’écrivain prolétarien se mesure aux grands écrivains. La littérature prolétarienne devrait surtout viser à rivaliser avec la littérature de masse. Il faudrait, entre autres, désapprendre la langue du parti et adopter un langage populaire. Kharkov représente le sommet de l’infuence du mouvement de la littérature prolétarienne en Union Soviétique. Mais la double prétention de ce mouvement à l’hégémonie et à l’autonomie dérange visiblement un pouvoir de plus en plus monolithique. Pendant la conférence, les écrivains “ compagnons de route ” paraissent nettement isolés, alors même que le PC soviétique prône la tolérance à leur égard, cherchant à ménager des relations attentives et pleines de tact, dans le but d’assurer le soutien des couches “ petites-bourgeoises ” au nouveau pouvoir39. Dès 1932, la direction soviétique entreprendra une reprise en main des arts, aboutissant au sacre du réalisme socialiste, censé unifer les uns et les autres. Kharkov montre aussi que la littérature prolétarienne ne se développe pas au même rythme en URSS et dans les pays capitalistes. Dans ces derniers, au cours de la deuxième moitié des années trente, alors que les mouvements d’écrivains prolétariens commencent seulement à se consolider, les partis communistes vont chercher à s’allier aux écrivains d’origine bourgeoise. Les “ compagnons de route ”, notamment les Français, vont être un soutien non négligeable à l’Union Soviétique et contribuer à fermer en Occident la phase de la littérature prolétarienne, où elle ne sera en fn de compte qu’une “ parenthèse ”40.
2.4. 1932-1934 : Le tournant du réalisme socialiste Le congrès fondateur de l’Union des écrivains soviétiques (août 1934) représente l’achèvement de la mise au pas de l’art et des artistes soviétiques, entamée en 1932. Le Parti communiste reprochait aux organisations artistiques prolétariennes – qu’il avait soutenues jusque-là – de freiner l‘essor de la création artistique et de cultiver l’esprit de chapelle par rapport aux écrivains sympathisants (ainsi qu’on qualifait aussi les “ compagnons de route ”). Le Parti entendait désormais avoir sous son contrôle direct tous les écrivains favorables à la plate-forme du pouvoir soviétique et les réunir en une seule Union des écrivains. Des mesures 39 “ Sur la politique du Parti dans le domaine des belles-lettres. Résolution du Comité central du PCUS. 1 er juillet 1925 ; In CHAMPARNAUD François ; Révolution et contre-révolution culturelles en URSS. De Lénine à Jdanov… ; Paris : Anthropos ; 1975 ; pp. 178-183 40 L’expression est de Jean-Pierre Morel, In “ ˝Le monstrueux tissu d’équivoques˝… ” \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
semblables devaient être adoptées dans tous les autres domaines artistiques41. C’est à Andreï Jdanov, qui occupait alors le poste de secrétaire du Comité central du PCUS, qu’il revient de tenir le discours inaugural du congrès de 1934, et d’énoncer le programme du réalisme socialiste42. Il y brosse le portrait d’un pays, qui sous la direction de Staline, aurait achevé la construction des fondations de l’économie socialiste et doit s’atteler désormais à l’achèvement de la construction de la société socialiste sans classes. L’URSS vient pourtant de vivre une famine de masse dont le bilan varie entre trois et six millions de morts. Ce fait, qui a longtemps été dissimulé par le pouvoir, rend ce discours parfaitement incantatoire. Or l’incantation est bien le rôle que devra tenir l’art du réalisme socialiste. A l’image du pays qu’il dépeint, pour Jdanov la littérature soviétique est “ jeune ”, “ avancée ”, “ riche ”, “ révolutionnaire ”, “ enthousiaste ”, alors que les mots qu’il choisit pour défnir la littérature des pays capitalistes sont : “ déclin ”, “ corruption ”, “ dépression ”. Le littérature du réalisme socialiste est censée fondre les diffcultés et les sacrifces qu’impliquent les plans quinquennaux dans l’héroïsme et la promesse des perspectives grandioses (ce que Jdanov et Staline appellent le romantisme révolutionnaire). Les diffcultés qu’il faut surmonter ne sont pas seulement d’ordre naturel, ce sont aussi des survivances du capitalisme dans la conscience (le relâchement, la frivolité, la fainéantise, l’indiscipline, l’individualisme, la cupidité...). Jdanov leur oppose l’exemple des bâtisseurs du Dnieprostroï43, les ouvriers de Magnitogorsk44, des fermes collectives (les kolkhozes), les administrateurs, les ingénieurs, les jeunes communistes, les pionniers..., des héros exemplaires et positifs. A l’inverse, les héros romanesques du capitalisme seraient les “ voleurs ”, les “ mouchards ”, les “ prostituées ”, les “ voyous ”. Le réalisme socialiste consacre également le retour en force de l’héritage littéraire, représenté par les “ compagnons de route ”. Il suppose de maîtriser les genres, les styles, les formes, les procédés de création. A cet égard, Maxime Gorki, le “ compagnon de route ” type, incarne une sorte de perfection et devient le porte-drapeau de l’esthétique offcielle. En effet, le congrès de 1934 marque la réhabilitation défnitive des écrivains soviétiques formés avant la Révolution, soupçonnés jusqu’à alors de ne pas faire une littérature prolétarienne “ authentique ”, en raison de leur origine petite-bourgeoise. Or ces écrivains, par leur renommée et leur œuvre – de même que les classiques d’autres origines – devaient permettre de rattacher la Révolution bolchévique à une sorte de fl révolutionnaire, enraciné dans la tradition russe. L’autre souci de l’Etat soviétique était de consolider son pouvoir dans les républiques de l’Union. Grâce au réalisme socialiste, celui-ci se diffusera à grande échelle par une savante mise en valeur des diverses langues et folklores du pays. En mettant fn au mouvement de la littérature prolétarienne, le réalisme socialiste met en évidence deux niveaux de communication de l’art révolutionnaire, selon que celui-ci s’adresse au public soviétique ou au public des pays capitalistes. En URSS, le Parti s’apprêterait a décréter l’achèvement de la société socialiste sans classes, ce qui – pour autant qu’on accepte la prémisse – est loin d’être encore le cas dans les cinq autres sixièmes du monde. En URSS, glorifer l’édifcation socialiste revient à aligner la pratique artistique sur une propagande d’Etat, qui n’est plus régie par l’agitation révolutionnaire. Le réalisme socialiste est appelé à 41 “ Résolution sur la refonte des organisations littéraires et artistiques (1932) ” ; In CHAMPARNAUD François ; Révolution et contre-révolution culturelles… ; pp. 245-246 42 “ Discours d’Andreï Jdanov au premier congrès des écrivains soviétiques ” ; In LOUNATCHARSKY Anatole ; Théâtre et révolution ; Paris : François Maspero ; 1971 ; pp. 295-302 43 Important barrage d’URSS, édifé sur le Dniepr, près de Zaporojié, en Ukraine, mis en service en 1932. 44 Ville de Russie, grand centre sidérurgique, dans la région de Tchéliabinsk, fondée en 1929. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
agir comme un paravent ou un philtre de la réalité, dans un pays où la révolution est remplacée par la raison d’Etat socialiste, en tant que nouveau facteur homogénéisant. Simultanément, cet art offciel doit participer à la promotion extérieure de l’Etat stalinien. Dans ce but, l’Union Soviétique se servira des canaux établis pendant la période “ prolétarienne ”, tels que l’Union internationale des écrivains révolutionnaires (UIER) et l’Union internationale du théâtre révolutionnaire (UITR), en recyclant leurs outils, au besoin45. Si l’institution du réalisme socialiste est d’abord à usage interne, les sections des auxiliaires artistiques de l’IC seront également chargées de relayer la nouvelle esthétique, miroir offciel de l’URSS. C’est ainsi, qu’une pièce issue de la nouvelle tendance, Le Merveilleux Alliage, sera représentée à Genève, en 1936, par le groupe L’Effort (cf. chapitre 11.3).
45 Le cas de la revue Littérature internationale est exemplaire. Organe l’Union internationale des écrivains révolutionnaires, elle deviendra progressivement un organe consacré à l’art et à la littérature soviétiques et aux questions de la culture socialiste en URSS. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
3. L’Union internationale du théâtre révolutionnaire (1930-1937) La conférence de Kharkov donne le véritable départ de l’internationale des arts au service de la stratégie communiste46. Elle avait toutefois été précédée, en juin 1930, de la Première Conférence de l’Union internationale du théâtre ouvrier (UITO). Or, les conclusions de Kharkov sur les aspects formels de la littérature prolétarienne doivent beaucoup aux “ petites formes ”, développées à partir des années vingt par les troupes d’agitation et de propagande (agit-prop), en Union Soviétique, et offcialisées dans le cadre de l’UITO. Par “ petites formes ” on entend des chansons d’agitation, des récits brefs sur la vie ouvrière, des petites pièces de propagande, des chœurs parlés. Pour certains délégués à Kharkov, les “ petites formes ” devaient être imposées comme la forme privilégiée de la littérature prolétarienne. Le représentant de l’Association panrusse des dramaturges (Ravitch) faisait remarquer que c’est dans ce cadre-là que se développait le mieux le théâtre révolutionnaire et le théâtre d’agit-prop, représentés notamment par les célèbres Blouses bleues47. Contrairement au roman, distancé des événements et pas toujours facile d’accès pour les ouvriers, les “ petites formes ” sont vives et souples, permettent de réagir rapidement aux événements et se révéleraient particulièrement effcaces en cas de guerre ou en situation d’illégalité. Parmi elles, les journaux oraux, constituent un genre particulièrement original, développé par les brigades de choc soviétiques. Ils sont le pendant scénique des journaux muraux, alimentés en informations ou en textes par les rabcors (correspondants ouvriers), auxquels les participants soviétiques à la conférence de Kharkov attribuent la plus haute importance, en tant que réserve d’écrivains prolétariens.
3.1. L’internationalisation du théâtre d’agit-prop Lors du congrès fondateur de l’UITO, la résolution consacrée au théâtre ouvrier dans les pays capitalistes, préconisait la technique des troupes d’agit-prop comme la meilleure et la plus effcace : elle offre la possibilité d’amener de larges couches de travailleurs à collaborer à la rédaction, à l’élaboration artistique et à la représentation de pièces politico-révolutionnaires . Les troupes d’agit-prop, composées essentiellement d’ouvriers militants, bénéfcient en effet d’une liberté absolue quant aux conventions du théâtre, dans le seul but de transposer en un langage simple, clair et percutant, le propos politique ou éducatif. En outre, l’UITO soulignait leur élasticité (structures facilement démontables et peu coûteuses, groupes pouvant se produire dans les usines, dans les rues, surgir de la foule dans une manifestation sportive ou politique), ce qui devait leur permettre de s’adapter facilement aux conditions de vie et de travail des pays capitalistes48. 46 Un appel est lancé, pendant la conférence de Kharkov, en faveur d’une internationale révolutionnaire des beaux-arts. Au même titre que les lettres et le théâtre, la peinture, la sculpture et le graphisme sont appelés à donner une forme artistique propre à l’agitation et la propagande politiques. Les internationales de la musique et du cinéma sont lancées entre 1932 et 1933, dans le cadre de l’UITR. A partir de 1934, la revue de l’UITR est sous-titrée “ Revue du théâtre, de la musique, du cinéma et de la danse ”. 47 Ravitch annonce pour 1930, le nombre de 10'000 troupes amateurs de Blouses bleues en URSS, contre douze troupes d’Etat. Il y en aurait 2’000 en occident, majoritairement en Allemagne et 1000 aux Etats-Unis. 48 Résolution sur “ Les voies et les formes de l’évolution du théâtre ouvrier dans les pays capitalistes ” , cité par Philippe IVERNEL, In Le Théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932 ; t. 1 ; Lausanne : La Cité-L’Age d’homme ; 1977 ; pp. 14-15 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
L’UITO assignait aux nouvelles troupes d’agit-prop la tâche de s’occuper de problèmes politiques actuels dans une perspective révolutionnaire. En d’autres termes, le contenu et la forme artistiques doivent se subordonner aux impératifs de la lutte. Il ne sufft pas dès lors à l’artiste de proclamer son amour pour les ouvriers. Il doit devenir un détachement d’assaut contre les ennemis du prolétariat, être capable de les désigner – le capitalisme, le fascisme, la social-démocratie, l’Eglise – et de dénoncer les menaces qu’ils font peser sur l’Union Soviétique49.
3.2. La section suisse de l’UITO Peu de documents témoignent d’un intérêt réel du Parti communiste suisse pour le théâtre d’agit-prop. Une recherche complémentaire devrait toutefois être réalisée dans les archives des organisations culturelles de l’Internationale communiste, à Moscou. Cela permettrait d’en savoir plus sur les rapports entre la Suisse et les directions de ces organes 50. Nous savons qu’un délégué suisse est présent à la fondation de l’UITO. Le nom de K. A. Tschudi est en effet mentionné à côté de Frantisek Spitzer (Tchécoslovaquie), Arthur Pieck et Margarete Lode (Allemagne), Tom Thomas (Royaume Uni), Marcel Thoreux (France), ou Kunio Ito (Japon)51. Une circulaire non datée de la centrale agit-prop du PCS, que nous estimons à une période proche de la formation du Théâtre prolétarien genevois, demande aux sections du Parti de mettre en place des troupes d’agitation, inspirées des expériences allemandes, où elles constitueraient une arme d’agitation et de propagande puissante. Ces troupes auraient pour tâche de monter des petites scènes secouées basées sur l’actualité politique dans le but de mobiliser les masses à la lutte des classes. La circulaire mentionne au passage l’existence de troupes d’agit-prop (Agitproptruppen) en Suisse allemande, dont certaines sont animées par les jeunesses communistes : In der Schweiz existieren schon einige Agitproptruppen : Die “ Rote Buhne ” Basel, welche schon agitatorisch und propagandistisch grosse Erfolge zu verzeichnen hat, ferner das “ Rote Sprachohr ” Zürich, eine Agitproptruppe des KJV, und neuerdings seit dem Parteitag die “ Roten Signale ” Basel, eine Agitproptruppe des KJV und die “ Rote Front ”, eine Agitproptruppe des RFMB Basel.52
Cet élan volontariste ne semble toutefois pas suffre. Des réunions de la section suisse de l’UITO sont organisées à Zurich, en décembre 1931, à Bâle, en janvier 1932 et à Zurich, en décembre 1933, mais le théâtre d’agit-prop semble avoir de la peine à se faire une place parmi les outils traditionnels de la propagande du Parti. L’un des responsables de la section suisse, l’écrivain Otto Volkart, se plaint dans une lettre que le Parti sous-estime l’importance des troupes d’agit-prop et que la presse du Parti et les organisations satellites se désintéressent de leur action. Cette lettre se termine par un acte de foi et un pressant appel au Parti à les 49 “ Extrait du discours de Lozovsky prononcé au meeting de l’UITO à Moscou le 15 février 1931 ” ; La Scène ouvrière (SO) ; N° 4-5 ; avril-mai 1931 ; p. 67 50 Il s’agit notamment des fonds N° 540 : Union internationale du théâtre révolutionnaire (1927-1936) et N° 541 : Union internationale des écrivains révolutionnaires (1925-1935), déposés au Centre russe de conservation et d’études des documents d’histoire contemporaine (CRCEDHC). Merci à Madame Brigitte Studer pour ces renseignements. 51 Cf. DIEZEL Peter (Dir.) ; “ Wenn wir zu spielen – Scheinen ”. Studien und Dukumente zum Internationalen Revolutionären Theaterbund ; Berne : Peter Lang ; 1993 ; p. 16 52 PCS BCU : ZK der KPS, Agit-prop, An alle K. L. Ortsgruppen- und Zellenleitungen : An die Agit-propLeitungen der Parteisektionen ; [S. d.]. Le document ne mentionne pas le Théâtre prolétarien parmi les troupes existantes, mais il fait référence à un congrès qui se serait tenu peu de temps avant, probablement le Cinquième Congrès du PCS, du 7 au 9 juin 1930. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
soutenir. Wir sind uns aber bewusst, dass heute die Agitproptruppen nicht mehr Unterhaltungstruppen sind, sondern immer mehr, mit der Verschärfung des Klassenkampfes, zu einer der aktuellsten Kampfwaffen des revolutionären Proletariats werden (Spielverbote für fast sämtliche Truppen in Deutschland). Wir fordern deshalb die Kommunistische Partei aif, uns inkünftig bei unserem Auftreten besser zu unterstützen um uns so die Möglichkeit zu erleichtern, agitatorisch, propagandistisch und erzieherisch für Partei, Presse, und die Hilfeorganisationen zu wirken. Die Unterstützung ist umso notwendiger, weil unsere Organisation in einzelnen Teilen der Schweiz noch sehr schwach ist oder überhaupt noch nicht existiert 53.
Nous ignorons si cet appel au secours a été entendu et si la direction du PC a pris des mesures pour soutenir ce mouvement. Quant aux raisons du bilan morose dressé par cette lettre, nous nous permettons de proposer une hypothèse de travail. Le théâtre d’agit-prop, tel qu’il était pratiqué en Allemagne et qui semble être la référence des auteurs de ces deux documents, non seulement bénéfciait d’un soutien massif du Parti communiste allemand, mais les troupes elles-mêmes sont composées de militants rompus aux techniques spécifques du genre. Sans la tradition, l’encadrement et le soutien technique dont bénéfciaient leurs camarades allemands, et connaissant la faiblesse générale du Parti communiste en Suisse, vouloir faire aussi bien qu’en Allemagne a dû être un lourd déf. Quant à la Suisse Romande, elle n’est pas mentionnée dans les documents que nous avons pu examiner. Le nombre des documents disponibles ne nous permet pas d’avancer de grandes hypothèses sur les raisons de cette absence étonnante. Toutefois, comme nous le verrons plus avant, les techniques d’agit-prop et le théâtre révolutionnaire, ont vraisemblablement pénétré dans la région plus tardivement qu’en Suisse allemande, à partir de la France, où ils constituaient aussi des nouveautés, ce qui laisse penser que le Théâtre prolétarien genevois avait des rapports plus étroits avec la section française qu’avec la section suisse de l’internationale du théâtre ouvrier (cf. Chapitre 4.1).
53 AJHD : Landesleitung der Internationalen Agitproptruppenbewegung [IATB] Sektion Schweiz : An das ZK der KP Schweiz ; Zurich ; 11.01.1932 (Doc. N° 1850). Le titre peut prêter à confusion. En effet, dans les publications offcielles de l’Union internationale du théâtre ouvrier, le sigle IATB désigne en fait l’Internationaler Arbeitertheater-Bund. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
3.3. De l’agit-prop au théâtre révolutionnaire La phase agit-prop est toutefois de courte durée. Malgré un certain succès dans son expansion54, en novembre 1932, l’Union internationale du théâtre ouvrier subit une réorganisation de fond semblable à celle des organisations prolétariennes soviétiques, et devient l’Union internationale du théâtre “ révolutionnaire ” (UITR). Son analyse politique du moment indique une radicalisation de la lutte des classes. L’esprit réactionnaire et du fascisme dans le théâtre, de même que l’infuence du social-fascisme parmi les intellectuels, imposent au mouvement communiste d’élargir son infuence dans la petite-bourgeoisie, ce qui signife pour le théâtre révolutionnaire, de revoir, en fonction de cet objectif, ses formes, ses méthodes, et son éventail social. Mais il ne faut pas oublier que nous avons affaire à des travailleurs intellectuels de l’art. Nous devons trouver les moyens d’arriver jusqu’à eux par leur art, par leurs intérêts. Pour atteindre ce but il ne sufft pas d’une action politique générale. Il faut encore savoir leur parler dans leur langue. Les voies suivies par le développement des travailleurs intellectuels de l’art au pays des soviets, doivent être popularisées largement parmi ceux des pays capitalistes. Il faut aussi leur démontrer que l’art véritable ne peut s’épanouir que dans les conditions de l‘hégémonie du prolétariat dans tous les domaines de la vie. Or, tout ceci exige un travail de propagande et d’agitation patient, systématique, approfondi, adapté à leur niveau et à leurs intérêts55.
L’UITR cherche à séduire les intellectuels, en particulier ceux qui doutent, touchés par la crise et le chômage, ceux qui n’ont pas encore trouvé défnitivement leur place dans la lutte des classess. Les attirer et travailler avec eux est la tâche des sections, dont on attend un degré supérieur de qualité artistique et technique. C’est ce qu’on appellera l’objectif de la “ qualifcation ”, qui occupera le mouvement jusqu’à sa disparition (pour le Théâtre prolétarien, cf. chapitre 8.6). Dès lors, l’agit-prop – “ canonisée ” auparavant comme la meilleure forme pour attirer les ouvriers à la lutte – est condamnée, jugée inadaptée aux nouveaux enjeux. La simplifcation à outrance de trop nombreuses pièces d’agitation produites dans les pays capitalistes, laisserait dans l’ombre les éléments instables du prolétariat et la petite-bourgeoisie, que le mouvement communiste aspire à séduire. On reproche au théâtre d’agit-prop de manquer de nuance, de négliger le contenu et les formes des pièces, de surévaluer la forme scénique (la mise en scène, les effets, les trucs de régisseurs), de se contenter de représenter des extraits de journaux ou de tracts, de mépriser les auteurs chevronnés56.
54 Lors de son Deuxième Plénum élargi, de novembre 1932, l’UITO recensait en Allemagne, 300 groupes et 3'500 membres ; en Tchécoslovaquie, 419 groupes et 10'000 membres ; en France, 42 groupes ; en Angleterre, 27 ; aux Etats-Unis, 250 ; au Japon 250 cercles dramatiques et 30 théâtres non professionnels, ainsi que des collectifs théâtraux dans divers pays, dont la Suisse. Cf. DIAMENT Henri ; “ La lutte pour le théâtre révolutionnaire ” ; Le Théâtre international ; N° 4-5 (1933) ; Moscou : UITR ; 1933 ; p. 4 55 “ De la propagande parmi les représentants des milieux intellectuels et artistiques ” ; Le Théâtre international ; N° 4-5 (1933) ; Moscou : UITR ; 1933 ; pp-1-3 56 WANDOURSKY V. ; “ L’auteur dramatique et le théâtre de masse ” ; Le Théâtre international ; N° 2-3 (1933) ; Moscou : UITR ; 1933 ; pp. 5-7 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
3. 4. Du théâtre révolutionnaire à la “ défense de la culture ” En 1934, la nomination à la présidence de l’UITR d’Erwin Piscator, un metteur en scène largement reconnu dans les milieux de l’avant-garde esthétique, a pour but d’accroître encore l’infuence de l’organisation parmi les professionnels du théâtre. Si Henri Diament avait représenté l’offensive contre la social-démocratie, Piscator doit permettre à l’UITR de contribuer à la constitution d’un front artistique beaucoup plus large, en insistant sur la lutte contre le fascisme. Toutes les tendances de l’art “ progressiste ” doivent y être rassemblées, à l’exclusion des tendances fascistes et proimpérialistes. Le plan de travail de Piscator prévoyait notamment de décentraliser l’Internationale, en établissant un siège administratif à Zurich57, et des bureaux à Paris, Prague et New-York. De même, on envisageait de changer le nom de l’UITR en Ligue internationale des arts de la représentation (Internationale Liga für Darstellungskunst) ou Ligue mondiale pour l’art populaire (Weltliga für Volkskunst) 58. Parallèlement, les sections nationales de l’UITR étaient invitées à se réformer. L’une des priorités, était d’améliorer la “ qualifcation ” artistique des théâtres d’ouvriers, en s’assurant la collaboration d’artistes professionnels. Ce pas, qui impliquait pour les théâtres d’ouvriers de renverser les priorités (de groupes d’action politique, ils devaient aspirer à l’action artistique), constituait l’étape préalable devant permettre aux sections de l’UITR de se défaire de l’étiquette communiste et de s’intégrer à la tactique du Front populaire. Comme nous venons de le voir, ce tournant avait été entamé en novembre 1932, mais sa mise en œuvre semble s’être révélée plus diffcile que prévu, notamment en raison du sectarisme des communistes. Il devenait à présent urgent d’accélérer le processus. Dans certains pays, où les groupes étaient isolés entre eux, comme en Suisse, il fallait s’efforcer de créer une organisation nationale, au besoin, en laissant la direction offcielle à la social-démocratie, les communistes devant y exercer une infuence de l’intérieur par le moyen des cellules 59. Une dernière réunion des sections de l’UITR se tint à Prague, du 23 au 25 août 1936, pour approuver les réformes, qui avaient été, entre temps, agréées par le Comité exécutif de l’IC. Lors de cette réunion, la section tchèque, où le théâtre d’agit-prop s’était le plus développé après l’Allemagne, voulut éviter de mêler les professionnels et les amateurs, de crainte de voir ces derniers privés de leur esprit de lutte. Quant à la section française, elle préconisait la fusion des théâtres professionnel et amateur, au nom d’une notion plus large, celle de la “ défense de la culture ”, qui avait constitué le slogan du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, à Paris, l’année précédente60. Au fnal, c’est une solution en demi-teintes qui fut adoptée, laissant les sections s’organiser selon leurs situations “ spécifques ”61.
57 Les noms de Kurt Hirschfeld, Julius Hay et Charles-Ferdinand Vaucher sont pressentis pour cette tâche. 58 DIEZEL Peter ; “ Internationaler Arbeitertheater-Bund/Internationaler Revolutionärer Theaterbund ” ; In “ Wenn wir zu spielen – Scheinen ” ... ; pp. 35-37 et 512 59 “ (Erwin Piscator) Arbeitsplan des IRTB für das Jahr 1936, Moskau – November 1935 ” ; In “ Wenn wir zu spielen... ; pp. 491-510 60 Pour une approche de cette réunion, cf. PALMIER Jean-Michel ; Weimar en exil ; t. 1 ; Paris : Payot ; 1988 ; pp. 485-492 61 “ Arthur Pieck : Bericht über die Reorganisation des internationalen Revolutionären Theaterbundes (IRTB MORT) ; In “ Wenn wir zu spielen... ; p. 512-513 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Les dernières années de l’UITR sont marquées par une concentration du travail vers les pays occidentaux et la défnitive dispersion de la section allemande dans l’exil, la clandestinité ou la mort. Entre temps, le rôle de la France s’était accru, jusqu’à hériter du rôle de tremplin occidental de l’IC et de capitale du mouvement des intellectuels antifascistes. Son importance dans le mouvement du théâtre révolutionnaire s’est révélée dans toute son ampleur au cours de la réunion de Prague. Quant à la reconnaissance des situations nationales spécifques, elle signife, pour l’UITR, renoncer à son rôle central, celui-là même qui avait permis l’implantation du théâtre révolutionnaire dans de nombreux pays. Lorsque l’IC décide de dissoudre l’UITR, en janvier 1937, aucun des plans prévus par la réforme de Piscator n’avait fnalement été réalisé, hormis – mais ce n’est pas rien – les mues œcuméniques des sections en théâtres “ populaires ”. Sous l’infuence combinée du réalisme socialiste, qui tourne son action vers ses propres frontières (l’“ achèvement ” de la lutte des classes en URSS), et de l’affaiblissement du rôle central de l’Internationale communiste et ses organes auxiliaires (politique du Front populaire), la deuxième moitié des années trente voit les artistes prolétariens occidentaux renoncer à poursuivre le projet d’une culture révolutionnaire à vocation internationaliste et se tourner vers l’art populaire, redécouvrant au passage les sources d’inspiration nationales (en ce qui concerne les effets de ces réformes à Genève, cf. chapitre 8.6).
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4. La Fédération du théâtre ouvrier de France (FTOF) (1931 - 1936) C’est en France, bien plus que dans la section suisse de l’Internationale du théâtre, qu’il faut chercher le chemin qui mène le Théâtre prolétarien genevois à adopter l’agit-prop. Cela se fait tardivement, entre la fn de l’année 1931 et le printemps 1932, au même temps que l’agit-prop s’impose en France comme la technique maîtresse du théâtre révolutionnaire, et peu de temps avant qu’il commence d’être condamné pour schématisme par la direction de l’UITO et la direction du PCF. Le “ retard ” de la France dans l’implantation de la littérature prolétarienne avait été au centre d’un débat spécifque à la conférence de Kharkov, dont Henri Barbusse et les participants français à la conférence avaient fait les frais. Comme une confrmation de cette situation, alors que la gestation de l’UITO avait commencé en 1929, il faut attendre janvier 1931 pour que soit fondée la Fédération du théâtre ouvrier de France (FTOF).
4.1. L’implantation de l’agit-prop en France Le théâtre ouvrier allemand d’agit-prop sert de référence à la France, plus encore peut-être que le précédent soviétique62. En 1930, en Allemagne, le théâtre d’agit-prop a déjà une expérience d’une dizaine d’années, lorsque les communistes imposent leurs points de vue à la direction de l’Union du théâtre ouvrier allemand (ATBD), qui était dominée depuis le début du siècle par les social-démocrates. Ils se résument à trois points : premièrement, le théâtre vise à l’éducation artistique des masses, mais surtout à leur éducation politique. Deuxièmement, les sujets deviennent concrets. Jusqu’alors les pièces étaient construites sur des concepts généraux, comme l’Etat, la religion, etc. Ils sont désormais matérialisés par des personnages représentatifs. Ce n’est plus la social-démocratie, par exemple, qui sera visée, mais le social-démocrate. Le théâtre ouvrier s’efforcera donc de traiter des grands problèmes (l’impérialisme, le capitalisme, le prolétariat), à partir de ses implications quotidiennes. Troisièmement, le public participera à l’action, en l’interpellant, lui posant des questions de sorte à l’intéresser directement au traitement du sujet scénarisé63. Si en Allemagne, les communistes parviennent à imposer le principe du théâtre comme “ arme ” révolutionnaire, opposé à celui de “ l’art pour le peuple ”, gravé dans la pierre à l’entrée de la Volksbühne de Berlin, il ne s’agit pas pour autant d’une implantation brutale, mais d’un long aboutissement. Par contre, les méthodes et les formes du théâtre d’agit-prop sont entièrement nouvelles pour les yeux et les oreilles françaises. Pour les imposer, la FTOF fait preuve d’un activisme impressionnant, en publiant à un rythme soutenu sa revue, La Scène ouvrière (SO) (presque chaque mois, de 1931 à 1932), où elle s’emploie à convaincre ses adhérents de rompre avec les traditions théâtrales, solidement ancrées dans la culture française, même dans la classe ouvrière : 62 Les premières expériences allemandes de théâtres prolétariens remontent aux années 1919-1920. Cf. Le Théâtre d’agit-prop... ; t. 3 ; spéc LORANG Jeanne ; “ Préludes à l’agit-prop ” ; pp. 13-33. La carte du théâtre d’agit-prop évolue comme un cercle concentrique. De l’URSS, il s’est diffusé en Allemagne et en Tchécoslovaquie. D’Allemagne, il a commencé à arriver en Suisse allemande et en France. De la France il s’est propagé en Suisse Romande et, surtout, en Espagne, où il vécut un second souffe, pendant la guerre civile. Cf. ALBERTI Rafael ; “ Teatro de urgencia [1937] ” ; In BERTRAND de MUÑOZ Maryse (Prés.) ; Literatura sobre la Guerra civil. Poesía, narrativa, teatro, documentación. La expresión estética de una ideología antagonista ; Barcelona : Anthropos ; 1993 ; pp. 109-110. Entre temps, l’agit-pop avait défnitivement disparu en URSS et en Allemagne, il commençait d’être abandonné en France, en Suisse Romande et en Tchécoslovaquie. 63 Cf. PRIACEL Stephan ; “ Le théâtre ouvrier en Allemagne ” ; Monde ; Paris ; N° 141 ; 14.02.1931 ; p. 5 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Finissons-en au plus vite avec la formule du “ théâtre ” où il nous faut étudier longuement des rôles qui nous conviennent plus ou moins ; mais prenons les scènes courtes de la Scène ouvrière et parlons ainsi directement aux travailleurs en y mettant toute notre conviction. Remplaçons le cabotinage par l’expression de notre conscience de classe64
Une rubrique régulière de la SO est d’ailleurs intitulée “ Chez les autres ”, dans laquelle les spectateurs sont invités à donner un avis critique sur les spectacles présentés dans les théâtres “ bourgeois ”, tout en essayant de récupérer ce qui peut être utile. En outre, La Scène ouvrière diffuse parmi les groupes un répertoire de petites pièces, de saynètes, de chœurs parlés, dans le but de les faire interpréter quasi simultanément dans divers endroits du pays ; on peut aussi y trouver des conseils pour en écrire de nouvelles, en fonction de l’actualité de la lutte, des recommandations techniques pour la diction, la construction de décors et de costumes, et des informations de l’Internationale du théâtre ouvrier et de ses sections. Les photos de chœurs en action servent d’exemples à d’autres groupes. Des articles de fond, posent des questions sur la stylisation du jeu et du costume (par exemple, le bleu de travail, d’où le nom de “ Blouses bleues ”, que choisissent de nombreux groupes), sur l’art collectif ou l’individualisme de l’acteur. La marche un peu forcée vers l’“ agitpropisation ”65 du théâtre ouvrier français, ne va pas sans diffcultés, en raison de l’hétérogénéité de la FTOF, qui regroupe à ses débuts des théâtres ouvriers préexistants66, comme le groupe genevois, qui a déjà un an à la naissance de la fédération. Si les premiers chiffres d’adhésion à la FTOF, sont encourageants – 28 groupes sur 40 existants dans la Région parisienne, au printemps 1931 – à la fn de l’année 1931, seuls quatre groupes supplémentaires y avaient adhéré. La province constituait le point faible, avec neuf groupes seulement, auxquels il faut ajouter le Théâtre prolétarien67.
4.2. De l’organisation sectaire au tournant vers la “ qualifcation ” Au départ, la plate-forme de la FTOF se disait ouverte, affrmant sa volonté de ne pas s’enfermer exclusivement [dans] certaines formes littéraires ou artistiques. Sa seule exigence étant qu’elles contribuent à la propagande révolutionnaire68. Mais rapidement, de toute la palette de l’agit-prop, la FTOF oriente ses groupes quasi exclusivement en direction des chœurs parlés (nous reviendrons plus avant, exemples à l’appui, sur cette technique d’agitation ; cf. chapitre 8.4), se limitant à une fonction d’auxiliaire au service exclusif de la diffusion des idées du Parti communiste ce qui, en réalité, contrarie la direction du PC, surtout préoccupée d’accroître son infuence dans les masses et, donc, favorable à ce que la FTOF travaille sur une base beaucoup plus large qu’elle ne le fait. La direction de la FTOF est étroite, sectaire et le travail s’en ressent. La FTOF ne s’efforce ni de recruter (elle prétend au contraire que ce serait nuisible) ni d’élargir son programme d’action artistique. 64 “ Avec les événements ” ; SO ; N° 4-5 ; avril-mai 1931 ; p. 1 65 L’expression est de Claude AMEY : “ L’expérience française du théâtre d’agit-prop ” ; In Le Théâtre d’agitprop... ; t. 3 ; p. 135-143 66 Le cas de L’Aube balbynienne, dont le nom évoquait un peu trop la petite fête familiale (SO ; N° 6 ; juin 1931), est exemplaire de l’évolution d’un groupe pre-ftofste. En adoptant le nom de Blouses bleues de Bobigny, la troupe passait du stade d’inoffensive société récréative au statut de troupe d’agit-prop. Cf. FOURCAUT Annie ; Bobigny, banlieue rouge ; Paris : les Editions Ouvrières ; Fondation nationale des sciences politiques ; 1986 ; p. 158-159 67 Cf. AMEY Claude ; “ L’expérience française du théâtre d’agit-prop ”... ; p. 135. Quant aux membres effectifs de la FTOF, les statistiques du PCF recensent 500 personnes en 1933, et 1729 en 1934. Cf. PCF BMP : bobine N ° 698 ; Correspondances, effectifs, rapports (1934) 68 Cf. Monde ; Paris ; N° 140 ; 07.02.31 ; p. 7 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Elle s’est fgée dans le chœur parlé, négligeant en fait le théâtre, la musique, la diction, comme moyen d’expression. Conception fausse sur l’art, avec la tendance idéaliste marquée à en faire quelque chose de “ pur ”, en dehors de la vie et des rapports de classe. La FTOF se considérant seulement comme une troupe d’agitation au service des organisations révolutionnaires, ne voit pas son rôle d’organisation “ autonome ” et ne comprend pas qu’elle doit être autre chose qu’un appendice artistique des organisations ouvrières c’est-à-dire travaillant sur le front culturel en tant que telle [sic.]. La FTOF devrait adhérer à l’AEAR (sa direction est contre) afn de pouvoir utiliser les capacités intellectuelles des adhérants de l’AEAR (pièces, saynètes, chants, etc…), leurs capacités techniques et afn, en même temps, d’orienter les adhérents de l’AEAR vers notre mouvement prolétarien et révolutionnaire69.
On reconnaîtra dans la critique du PC, les orientations de l’UITR de novembre 1932 favorables à une semi-professionnalisation (“ qualifcation ”) des troupes d’agit-prop : élargissement artistique, meilleure préparation politique, développement des relations avec les écrivains… L’intérêt de ce texte est qu’il nous fait connaître l’avis des principaux concernés : il serait “ nuisible ” d’élargir la base de la FTOF, qui préfère rester un organe d’agitation révolutionnaire plutôt que se disperser dans les tâches des organisations de masse (sousentendu : élargir son champ d’action pourrait amener la FTOF à devoir atténuer son contenu révolutionnaire). De plus, la direction de la fédération semble se méfer de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), qui regroupe les intellectuels proches du PC. Nous y voyons l’expression d’une tendance au rejet des intellectuels, caractéristique de la base ouvrière du communisme, qui se retrouve en porte-à-faux avec la direction du Parti, à un moment où celui-ci cherche à multiplier ses points d’ancrage dans la société. Cette résistance de la FTOF à la politique du Parti ressort dans un compte-rendu du Deuxième Congrès de la FTOF paru dans Le Travail de Genève, qui fait état de réticences sérieuses à l’égard de la mentalité bourgeoise des intellectuels et des artistes professionnels70. C’est pourtant à cette époque (1932-1933) que naît le groupe Octobre. Il réunit des ouvriers et des artistes d’origine petite-bourgeoise (comme Jacques Prévert), et deviendra rapidement le phare de la FTOF. Certains historiens font démarrer à ce moment le saut qualitatif de la FTOF, vers la clôture de la parenthèse agit-prop71. Le processus nous semble être toutefois de plus longue durée car, en 1934, le PCF stigmatise encore la FTOF des mêmes tares que deux ans auparavant : la FTOF s’est enfoncée profondément dans le sectarisme à la fois quantitatif et qualitatif allant jusqu’à exiger le principe (thèses 1933) de la négation de la technique et la nécessité de rester assemblés en groupes restreints tout en se cantonnant dans une seule expression de l’art révolutionnaire : le chœur parlé.72 Il est vrai que le Parti précise aussi qu’un redressement aurait commencé. En effet, en 1934, c’est Jean-Paul le Chanois (JeanPaul Dreyfus), du groupe Octobre justement, qui accède au secrétariat général de la fédération. Les conclusions du congrès de la FTOF cette année-là, refètent largement l’exigence de “ qualifcation ”, réclamée par l’UITR. L’engouement dont bénéfcie le groupe Octobre dans les milieux de l’avant-garde artistique parisienne est montré en exemple à suivre. A cette fn, le congrès décide d’organiser des cours de diction et de rythmique, et d’instituer une commission du répertoire, chargée de veiller à la qualité des pièces73. 69 PCF BMP : bobine N° 533 ; Organisation : effectifs du PCF. Effectifs de la CGTU. Effectifs d’organisations diverses (1932) 70 M. A. ; “ Au congrès du théâtre ouvrier ” ; Tr ; 31.1.33 ; p. 3 71 Cf. ORY Pascal ; La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire. 1935-1938 ; Paris : Plon ; 1994 ; pp. 350-353. AMEY Claude ; “ L’expérience française du théâtre d’agit-prop ”… ; p. 133-134 72 PCF BMP : bobine N° 613 ; Organisation (1929-1933) 73 Les conclusions du congrès avaient été publiées dans l’organe du Théâtre prolétarien genevois, Culture prolétarienne. Cf. Annexe V \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
4.3. La section genevoise de la FTOF Si le Théâtre prolétarien n’était pas parmi les fondateurs de la FTOF, il n’en fut pas moins l’un des premiers à y adhérer, autour de février 1931 74. Nous ne savons rien des conditions qui amenèrent le groupe genevois, fondé quelques mois auparavant à adhérer à la fédération. Le fait est qu’en adoptant sa plate-forme, le TP s’inscrit dès lors dans la stratégie de la propagande révolutionnaire et fait son entrée dans le réseau international de l’UITO. Le TP se fait vite remarquer comme la seule section étrangère de la FTOF, devenant au cours des années l’une de ses troupes parmi les plus actives. Le groupe est cité en exemple pour son zèle à diffuser La Scène ouvrière, son organe de presse75. Lors du Deuxième Congrès de la fédération, en janvier 1933, une résolution, sans doute inspirée par le TP, préconisait la création de pièces ou des chœurs parlés pour dénoncer la fusillade de novembre 1932, à Plainpalais76. A l’approche du milieu des années trente, le TP était devenu une véritable locomotive du théâtre ouvrier autour de Genève, suscitant ou encourageant des groupes semblables, notamment à Lausanne (le Théâtre prolétarien et la Muse Rouge), à Vevey ou à Annemasse. Suivant une pratique courante de la FTOF, dite du “ groupe remorqueur ”, qui renvoie à la diffusion de l’agit-prop en cercles concentriques (cf. note N° 62), le TP avait luimême bénéfcié de l’aide d’une troupe plus expérimentée. En 1935, Gaston Clamamus (Jascheck), qui dirigeait les Blouses bleues de Bobigny depuis 1929, était venu à Genève pour aider les Genevois dans l’adaptation de sa pièce d’agit-prop, Qui veut la guerre ? (cf. chapitre 8.5)77.
74 SO ; N° 3 ; mars 1931 ; p. 23 75 SO ; N° 4-5 ; avril-mai 1931 ; p. 65. SO ; N° 8-9 ; août-septembre 1931 ; p. 13 76 M. A. ; “ Au congrès du théâtre ouvrier ”... 77 Les Blouses bleues de Bobigny fut parmi les premiers groupes remorqueurs de la FTOF. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
5. Une “ organisation de masse ” du Parti communiste (1930-1936) Afn de ne pas nous détourner excessivement de notre objectif, nous ne reviendrons pas sur l’histoire du Parti communiste suisse, sauf sur les aspects susceptibles d’éclairer notre sujet, en particulier ceux relatifs à la politique de masse et à l’agitation et la propagande. Nos limites linguistiques nous ont empêché de consulter une bonne partie des travaux historiques consacrés au PCS. Des ouvrages que nous avons pu consulter, deux directions de recherche se sont révélées particulièrement pertinentes pour notre travail. L’une observe le PCS du point de vue local78 ; l’autre choisit l’angle international79. En étudiant les stratégies d’alliance du Parti socialiste genevois (PSG) et de la section genevoise du PC, Neria Monetti soulignait en 1976, les origines avant tout locales du processus qui aboutit, au milieu des années 1930, au rapprochement des deux formations, accordant un poids déterminant à la base socialiste, qui s’en était montrée favorable avant même les instances dirigeantes du PSG80. Près de vingt ans après, Brigitte Studer met en évidence l’emprise de l’Internationale [Communiste] sur le Parti, qui apparaît dès lors surtout comme un relais de la stratégie mondiale de l’IC. Si nous accordons une telle importance à ces deux approches c’est que toutes deux nous semblent utiles, sinon indispensables, pour appréhender l’histoire du Théâtre prolétarien : ses références extérieures et internationales, que nous avons décrit dans les chapitres 2 à 4, et son action locale, dont nous allons nous occuper dans les prochains chapitres. D’autant que le TP est une organisation de masse du PC et non le Parti lui-même. Ses modes de fonctionnement ne sauraient correspondre à la discipline à laquelle s’engagent les militants dans les organes internes. L’hétérogénéité relative que suppose sa composition, la place que le TP doit se faire parmi les autres organisations ouvrières locales devraient nous inciter à suivre la vie et l’évolution de TP, à la fois comme une organisation liée à la stratégie mondiale du communisme, et comme partie intégrante de la vie politique ouvrière genevoise. Nous insistons ici sur le conditionnel. Cette tâche gigantesque ne saurait être accomplie entièrement dans le cadre d’un mémoire de licence, mais nous ne pouvons pas non plus l’écarter d’un revers de main. On pourrait s’étonner de l’activité foisonnante du Théâtre prolétarien dans une ville canton comme Genève, où les membres du PC sont si peu nombreux. On a estimé que leur nombre ne dépasse jamais la centaine, alors que le poids du Parti socialiste était infniment plus important81. Notre dépouillement de la presse genevoise communiste et socialiste montre que les manifestations auxquelles participe le groupe ne sont pas toutes organisées par le Parti communiste. D’un total de 77 manifestations, entre 1930 et 1936, treize sont organisées par le TP lui-même, un peu moins de trente sont mises sur pied par le PC ou des organisations proches. Pour le reste, le groupe est invité à sept manifestations convoquées par le PS, deux soirées du Réveil Anarchiste, deux cortèges du 1er mai – contrôlé par le PS et l’Union des syndicats – d’où le PC est le plus souvent exclu. En outre, le TP prête son concours à d’autres 78 MONETTI Neria ; Le sort du Front unique à Genève pendant les années ’30 ; Mémoire de licence ; Fribourg : Université de Fribourg ; Faculté des Lettres ; 1976 79 STUDER Brigitte ; Un parti sous infuence : le Parti communiste suisse, une section du Komintern, 19311939 ; Lausanne : L’Age d’homme ; 1994 80 Monetti n’ignore pas l’importance de l’infuence extérieure sur les stratégies politiques locales, mais, préciset-elle, il ne faut pas non plus oublier que les différentes façons dont ces faits furent assimilés et utilisés dans les différentes régions politiques dépendaient principalement des conditions objectives locales et non de la rapidité avec laquelle les partis socialistes et communistes avaient jugé bon d’imiter leurs camarades français et espagnols ou d’appliquer les directives du congrès de Moscou [l’auteure fait allusion aux fronts populaires et au Septième Congrès de l’IC]. Cf. MONETTI Neria ; Le sort du Front unique… ; p. 282 81 Cf. MONETTI Neria ; Le sort du Front unique… ; pp. 73-77 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
sociétés ouvrières, notamment sportives, et ses membres se produisent dans des rassemblements unitaires, comme les fêtes annuelles du Cartel des sociétés ouvrières, lors d’un concert au bénéfce des victimes du 9 novembre 1932, et pour le 10 ème anniversaire de la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB). Comme nous le voyons, le TP semble bénéfcier d’une aura qui dépasse les limites du PC. Dès lors, la question se pose des rapports qu’entretiennent les deux instances. Pour tenter d’y répondre nous nous pencherons sur quelques documents internes du Parti afn d’identifer les tâches que celui-ci lui attribue et chercherons à comprendre comment le groupe s’y conforme. Auparavant, Il n’est pas inutile de rappeler à grands traits la situation du PC à l’époque qui nous occupe.
5.1 La situation du Parti communiste en Suisse et à Genève Les grandes lignes de la politique de masse du Parti sont dictées par le Cinquième Congrès du PCS, dit de la “ Lettre ouverte ” (Bâle, juin 1930), qui marque le renforcement de l’emprise de l’IC sur le PCS. Une lettre avait en effet été adressée en avril aux communistes suisses, dans laquelle l’Internationale communiste stigmatisait violemment la passivité du PC à l’égard des sociaux-démocrates – en particulier à Genève, où la gauche du Parti socialiste suisse (PSS) lui faisait une forte concurrence sur le terrain de la direction de la classe ouvrière. D’après l’IC cette attitude expliquait que le PC fût resté jusque-là en arrière des événements et enjoignait le congrès à réaménager la direction du Parti afn de trouver une solution au problème de la lutte de masses. Parmi les mesures pour lutter contre l’infuence du PS – dont il fallait se distinguer en dénonçant son caractère “ social-fasciste ” – l’IC préconisait de renforcer systématiquement et développer [le] travail dans les organisations sportives ouvrières, dans les organisations culturelles ouvrières et dans les autres organisations prolétariennes de masses 82. Le PCS devait tenter par ce moyen de réaliser le Front unique (FU) par la base, c’est à dire essayer de séduire les militants et les sympathisants socialistes tout en assimilant leurs dirigeants et les chefs syndicalistes à des ennemis de la classe ouvrière. On sait que, dans l’ensemble, cette politique ambiguë et paradoxale ne réussit guère au PCS qui, avec les changements successifs de ses dirigeants et autant de tactiques, s’installa dans la crise et perdit au cours de la première moitié des années trente une grande partie de ses sympathisants. Une brève tentative de limiter les dégâts provoqués par la tactique anti-socialiste, en l’équilibrant par un renforcement de la lutte contre les partis de la bourgeoisie, fut préconisée en 1932 par Jules Humbert Droz, alors secrétaire du PCS, mais fut aussitôt condamnée par le Comité exécutif de l’IC83. Les particularismes cantonaux et linguistiques contrariaient aussi constamment le PC, qui aurait préféré les ignorer, au nom de l’internationalisme. La Suisse Romande a longtemps été délaissée, privée de contacts réguliers avec la direction bâloise ou zurichoise du Parti. En 1931, un projet de plan de travail soumis à la discussion interne laissait même entendre que les communistes romands semblaient former un parti indépendant du Parti suisse84. A Genève, plus qu’ailleurs, réaliser le Front unique, tout en combattant la direction du PS, était une tâche particulièrement compliquée. En effet, le Parti socialiste local représentait un 82 “ Lettre ouverte du Secrétariat politique de l’Internationale Communiste au Parti communiste suisse ” ; DR ; 24.05.1930 ; pp. 3-4. Au sujet des répercussions de cette lettre, cf. Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 3 ; Dordrecht (NL) : Kluwer Academic Publishers ; 1988 ; pp.LIII-LVIII. STUDER Brigitte ; Un parti sous infuence... ; p. 53 83 A ce sujet, cf. spéc. Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 3 ; Docs Ns : 471 à 476, 713, 716-718. Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 ; Zurich : Chronos Verlag ; 1996 ; Doc. N° 680 84 PCS AFS : [HUMBERT-DROZ Jules] ; Projet de plan de travail pour l’hiver 1931-32 en Suisse Romande (Doc. N° 990) \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
courant de gauche dont le discours rejoignait sur des points sensibles celui des communistes et s’opposait à l’opinion offcielle du PSS, principalement sur les thèmes de l’Union Soviétique, du fascisme et la guerre. Dans ces conditions, dénoncer les “ social-traîtres ” n’était guère aisé pour le PC et plongeait les militants eux-mêmes dans la perplexité. A plusieurs reprises, la direction du Parti communiste eut à rappeler à l’ordre les Genevois, qui sur ce point avaient du mal à se plier aux résolutions du Cinquième Congrès. Le Parti et la Jeunesse communiste étaient régulièrement critiqués par les instances dirigeantes pour leur tentation à conclure des alliances, même ponctuelles, avec la direction du PSG, tout en négligeant d’accroître leur infuence dans les organisations de masse – principalement l’Opposition syndicale révolutionnaire (OSR), mais aussi le Sport Rouge, les Secours ouvrier (SOI), le Secours rouge (SRI), le Comité contre la guerre... – considérés par la direction comme la clé du FU “ par le bas ”. A cette époque, la direction du PCS préconisait la formation de fractions communistes qui avaient pour tâche d’assurer au Parti la direction politique des organisations de masse, allant jusqu’à faire une concession à la démocratie pour y parvenir : Au lieu d’une tutelle bureaucratique, il est nécessaire d’appliquer une large méthode démocratique qui fasse de tous les membres de l’organisation de masse correspondante un agitateur et un organisateur enthousiaste pour son organisation et pour ses actions parmi les ouvriers85. L’importance de ces organisations auxiliaires du PC, dites de masse, est diversement appréciée, selon qu’on mesure leur audience à l’aune des exigences de leurs instances supérieures, nationales et internationales, ou qu’on se concentre sur le domaine local. Studer et Monetti ont consacré une partie de leurs études respectives à ces organes “ annexes ”, ou “ auxiliaires ”, grâce auxquels le PC espère étendre son infuence. Brigitte Studer en cite quelques uns, les plus importants, parmi lesquels le Secours rouge, le Secours ouvrier, la Garde ouvrière et l’OSR. Pour cette auteure, ces structures démontrent l’activisme du PC – activisme un peu forcé, en raison de la faiblesse numérique de ce parti, souvent surchargé de directives de l’IC – tout en jugeant leur audience assez limitée86. Par contre, d’après Neria Monetti, les organisations qui gravitaient dans l’orbite des partis ouvriers genevois sont les endroits privilégiés où s’établissait un lien non-offciel entre les socialistes et les communistes qui ne fut pas sans importance pour préparer le rapprochement politique des deux partis, dans les années 1935-193687. Il faut noter que Monetti donnait ici un sens politique non négligeable à des organisations telles que les clubs d’Echecs, les chorales ou le Théâtre prolétarien, souvent sous-estimés parce que trop éphémères ou lacales. A notre connaissance, aucune de ces organisations de la mouvance ouvrière n’a fait l’objet d’une étude fouillée. Ce n’est sans doute pas un hasard. La rareté voire, l’inexistence des sources, leur dispersion, la diffculté de mesurer leur audience constituent autant d’obstacles à une telle recherche, mais les ignorer revient à négliger un aspect qui nous semble important de la vie politique, celle des militants de la base et du travail de fourmi qu’ils accomplissent au service de leur Parti, communiste ou autre.
5.2. “ Orienter et contrôler ” 85 “ Le Septième Plénum élargi du Comité central du Parti communiste suisse : Résolution sur les tâches d’organisation ; [Zurich ; 14-15.01.1933] ” ; In Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 ; pp. 215-222 86 STUDER Brigitte ; Un parti sous infuence… ; pp. 418-434 87 MONETTI Neria ; Le sort du Front unique… ; p. 98. Dans une étude plus récente, Pierre Jeanneret a également souligné l’importance de ces contacts étroits de longue date dans l’évolution de la gauche genevoise du milieu des années trente. Cf. JEANNERET Pierre ; Léon Nicole et la scission de 1939. Contribution à l’histoire du Parti socialiste suisse ; [S. l.] : Fonds national de la recherche scientifque ; 1986/1987 ; p. 110 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Notre intention ici est de déterminer quelle infuence le PC exerce dans le Théâtre prolétarien et quelles tâches lui sont attribuées dans le cadre de la politique communiste. Le nom du groupe apparaît rarement dans les documents internes du PC. Une première petite phrase à relever est celle de Jean Vincent, l’un des dirigeants du PC à Genève, faisant le compte-rendu d’une commémoration de la Révolution russe, tenue au Cercle ouvrier international, le 8 novembre 1930 : le local du cercle ouvrier était archi-plein le samedi 8 novembre (200 personnes). Bonne stimmung. Allocutions d’un camarade italien, de Gasser de Lausanne, de Scherrer et d’un camarade de la Jeunesse. Récitations du théâtre prolétarien en partie socialdémocrate ! Fr 241.30 de bénéfce pour le journal 88. On retrouve encore le TP dans une lettre adressée par le PCS à l’Internationale communiste, au printemps 1932. La section suisse y expose les pas en avant accomplis en vue de la constitution du Front unique : Le fait qu’à Genève, de plus en plus les ouvriers social-démocrates travaillent et luttent avec nous dans le Secours rouge, le Sport ouvrier rouge, le Théâtre prolétarien et, dernièrement, prennent part à la constitution et au travail de l’Opposition syndicale révolutionnaire est une preuve que notre politique de Front unique commence à porter ses fruits89. Deux documents, espacés de dix-sept mois, c’est peu pour tirer des conclusions. Toutefois, on notera que dans les deux cas le TP y apparaît comme un lieu privilégié pour garder le lien entre communistes et socialistes. Le TP est donc considéré comme une valeur sûre de la politique de masse de la section locale du Parti qui, ainsi que nous l’avons vu, se déploie dans des conditions guère propices. D’autres informations nous sont données par une résolution du rayon de Genève des jeunesses communistes (JC), du 2 mars 1932 : Nous pouvons, suivant les possibilités, intéresser les camarades dans les cellules, au mouvement artistique. Une grosse faute serait de faire participer tous les jeunes communistes au théâtre ouvrier. Nous devons seulement prêter attention à ce mouvement pour en orienter et contrôler les programmes et pour l’utiliser pour notre travail de masse (meetings, fêtes, chœurs parlés)90.
Les JC se proposent ici de jouer un rôle majeur dans le TP. En effet, le théâtre est considéré à la fois dans son aspect artistique et dans son rôle d’outil politique, avec une nette priorité à ce dernier. En effet, il ne s’agirait pas tant de réunir des amateurs de théâtre que d’en faire, en gardant une distance prudente, les vecteurs d’un programme dûment contrôlé et orienté. Le Théâtre prolétarien est encore mentionné en 1935, dans un projet de réorganisation interne du Parti à Genève. Les auteurs y déplorent que le travail de masse soit en général détaché de l’ensemble du travail du Parti, parce que pris en charge par des militants isolés, et proposent que les principaux secteurs concernés (TP, SRI, SOI, Comité contre la guerre, fractions syndicales, Jeunesse...) soient suivis régulièrement par le Comité Cantonal du Parti à Genève91. 88 MPC : Lettre du PC (Genève) au Secrétariat du PCS (E 4320 (B) -/1 ; vol. 28). De tous les documents que nous avons pu consulter, il s’agit ici de la mention au TP la plus ancienne que nous avons trouvée dans un document interne du PC. 89 “ Le Bureau politique du Parti communiste suisse (Jules Humbert-Droz) au Secrétariat politique du Comité exécutif de l’Internationale Communiste ” ; [Suisse ; printemps 1932] ; In Archives Jules Humbert-Droz... ; t. 3 ; Doc. N° 470 90 MPC : Résolution du Comité du rayon de Genève sur les tâches des Jeunesses communistes de Suisse Romande jusqu’au 1er Mai 1932 (E 4320 (B) -/1 ; vol. 13) 91 ALT : classeur Y24 ; Projet de réorganisation du Parti de Genève ; Genève ; 18.06.1935. Malgré l’intérêt de ce document pour connaître l’organisation du PC genevois au milieu de la décennie, il faut signaler qu’il ne se trouve pas dans les autres fonds de documents du Parti communiste suisse que nous avons consulté (Archives JHD à la Chaux-de-Fonds ; BCU Lausanne ; AFS Berne), mais dans des archives extérieures. Neria Monetti, qui cite ce document dans son mémoire (Le sort du Front unique... ; p. 284), l’avait trouvé aux archives de l’Union syndicale suisse (Dossier G 120/5). C’est ce même exemplaire qui a été repris dans les annexes aux Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 (Doc. A 3. ; pp. 546-552). Pour notre part, nous l’avons trouvé dans les archives du \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Les trois premiers documents mettent en avant deux fonctions essentielles que le PC attribue au TP : celle de la sociabilité, au service d’une tactique d’alliance (le Front unique par le bas) et celle de la propagande parmi les masses, au service du recrutement de nouveaux militants et de l’élargissement de la base de sympathisants. Quant au dernier document, il montre l’encadrement défaillant du TP et des autres organisations de masse du PC ; les militants chargés de porter la ligne communiste travaillent souvent en dehors de son contrôle. Malgré la petitesse du territoire couvert et de l’unité de la langue, on constate que les mêmes diffcultés rencontrées au niveau national se retrouvent au niveau local. Un autre moyen de tenter de mesurer l’infuence du PC sur le Théâtre prolétarien est de s’intéresser à ses effectifs. Une analyse sommaire montre que si les communistes sont majoritaires, des militants d’autres mouvances s’y retrouvent également. Jacques Vaëna (William Jacques)92, Lisa Luscher93, Blanche Meyer94, Marcelle Taralle95, Anne-Marie Frey Zufferey et Edouard Zufferey96, “ Ficelle ”97, la “ grande ” Louise98, Roland Maquelin99, “ Willy ” (Daniel Fillon)100, “ Bouby ” (Javier Bueno)101 sont bien des militants ou des sympathisants communistes. Par contre, Marc Alban (Mark Schalks) est proche du groupe anarchiste du Réveil102, Jean-Jacques Piguet préside au début des années 1930 la Jeunesse socialiste103. Quant à Théo[phile] Roth, un rapport de police de mars 1937 (peu avant l’interdiction du PC à Genève) l’identife comme socialiste104. Germaine Sigot était certes l’épouse d’un militant communiste105, mais avait aussi été membre, avec Piguet, d’une éphémère société liée au Parti socialiste, le Groupement littéraire et musical socialiste Les Phalènes. Elle a aussi représenté le groupe au Cartel des sociétés ouvrières, un organe de coordination à vocation unitaire (cf. chapitre 6.1). En revanche, nous ne sommes pas en mesure d’attribuer un parti à Robert Maeder 106 ni à Ami Bellot qui, semble-t-il, avait eu un rôle moteur dans le groupe au milieu des années trente 107. Au cours d’un entretien récent, Joseph Marbacher108 nous expliquait que tous les militants communistes étaient membres du Théâtre prolétarien, soit parce qu’ils disposaient d’une carte d’ami ou parce qu’ils participaient de temps en temps aux productions du groupe, avec de petits rôles. Lui-même ne se souvient d’avoir joué qu’une fois dans une production ou d’avoir collé des affches pour un syndicaliste genevois Lucien Tronchet. A priori, rien dans sa forme ni dans son contenu ne devrait nous faire douter de son authenticité, mais à l’évidence, il s’agissait d’un document à usage interne des cellules du PC qui a circulé entre d’autres mains. Nous ne savons pas dans quelles circonstances cela a eu lieu, en particulier, s’il a volontairement été distribué par le PC, s’il a circulé avant ou après sa discussion dans les instances du Parti, ni si ce fait a eu une incidence sur cette discussion et, fnalement, sur la mise en œuvre des mesures proposées. 92 MPC : E 4320 (B) 1974/47 ; vol. 131 93 CHAMOREL Julia ; La Cellule des écoliers ; pp.149, 162, 241 94 STUDER Brigitte ; Un parti sous infuence... ; pp. 681-682 95 Ibidem 96 Entretien avec Georgette Gauthey ; Genève ; 24.05.2000 97 CHAMOREL Julia ; Op. cit. ; pp.223-225 98 Ibidem ; p. 69 99 Un rapport de la police vaudoise le mentionne comme possible participant d’une réunion communiste à Lausanne, en mai 1933 (MPC : E 4320 (B) -/1 ; vol. 13) 100 CHAMOREL Julia ; Op. cit. ; p. 144. Information complémentaire : Raymonde Vaëna (15.10.2001) 101 Information complémentaire : Raymonde Vaëna (15.10.2001) 102 ALT : Déclaration du groupe Le Réveil sur Marc Alban [Mark Schalks] ; Genève ; 10.09.1933 (“ Correspondance ” ; boîte i) 103 Tr ; 14.12.1931 ; p. 4 104 MPC : E 4320 (B) 1974/47 ; vol. 103 105 STUDER Brigitte ; Un parti sous infuence... ; p. 701 106 TORRACINTA Claude ; Genève 1930-1939... ; p. 193 107 AAE : Lettre de Roland Maquelin ; 07.09.1937 (“ Privé / essais littéraires ”) 108 Entretien avec Joseph Marbacher ; St.-Antoni (FR) ; 27.01.2001. Cf. aussi BAVAUD Pierre, BEGUIN JeanMarc ; Les Oubliés : trois Suisses de la Guerre d’Espagne ; Yens-sur-Morges, St.-Gingolph : Cabedita ; 1998 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
spectacle. Quant aux infuences artistiques, Marbacher se souvient encore que Blanche Meyer était la plus fervente partisane de la technique des chœurs parlés qui furent, à un moment donné, la marque de fabrique du groupe. Par contre, c’est Théo Roth qui assure l’adaptation en français de plusieurs pièces allemandes interprétées par le groupe109 ; c’est encore lui qui sera chargé de théoriser la conversion du Théâtre prolétarien à la tactique du Front populaire (cf. Annexes VI et VII,). Nous savons peu de choses sur la hiérarchie interne du TP, mais nous relevons qu’en 1933-1934, Lisa Luscher y est chargée de la cellule communiste 110 et que Roland Maquelin est le responsable du TP à partir de 1933, et en gardera la présidence entre 1936 et 1939, lorsque le groupe prit le nom de L’Effort. Le TP apparaît donc comme une organisation numériquement communiste, mais où d’autres voix se font entendre et y exercent une infuence, du moins tant que le groupe n’est pas “ trop ” aligné sur le Parti communiste, comme nous allons le voir ci-après.
109 Témoignage de William Jacques ; La Comédie ; Genève ; 6 février 1991 110 Cf. CHAMOREL Julia ; La Cellule des écoliers ; p. 162 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
5.3. “ Si le Théâtre prolétarien comprend son rôle... ” En l’absence de documents internes au groupe (procès-verbaux des assemblées, lettres etc.), il est moins simple de savoir comment le Théâtre prolétarien se conforme à la ligne du Parti communiste. Des indications peuvent toutefois être extrapolées, en essayant de suivre son évolution en fonction des opinions exprimées dans la presse du Parti. Certaines crises peuvent aussi révéler des indices sur son orientation politique (cf. chapitres 6.2 à 6.4). D’autres informations peuvent être extraites des manifestes du groupe, insérés dans la presse ouvrière. Il y a lieu de noter que le groupe se présente au départ comme un “ théâtre ouvrier ”. Nulle trace d’agitation ou de propagande dans ses objectifs initiaux. Le TP préfère centrer son action sur le terrain de “ l’art prolétarien ”111. La nuance est importante. Il est vrai que le TP n’adhère aux plates-formes du “ front culturel ” de l’IC qu’au cours de sa deuxième année d’existence. Mais même par la suite, à aucun moment, dans la presse du PC, le TP n’y sera présenté comme une troupe d’agit-prop (Agitproptruppe), selon les critères de l’Internationale et les circulaires de la direction suisse du PC (cf. chapitre 3.2). Le Théâtre prolétarien apparaît plutôt sous des traits hybrides – combinant des fonctions de porte-voix du Parti et des ambitions artistiques plus consensuelles. La participation du groupe à une soirée destinée à fnancer les costumes de la Garde ouvrière112, ou les lectures de poèmes au meeting du SRI d’avril 1931113, relèvent strictement du Parti, même si pour cette manifestation le répertoire n’avait rien de typé : Verhaeren précédait “ Mir ”, un poète prolétarien soviétique. Par contre, les productions du groupe lors des soirées de sociétés sportives relèvent plutôt d’une démarche “ récréative ”, même si le PC a pu les considérer comme des refets indirects de sa politique de Front unique. En revanche, les deux participations du TP aux soirées “ familières ” du groupe Le Réveil, en 1930 et 1931, suggèrent que le TP n’apparaissait pas encore aux yeux des anarchistes comme un organe trop lié au PC114. Les rapports amicaux avec les anarchistes prennent fn défnitivement en 1932, lorsque le TP adopte une position politique plus radicale. Par contre, les rapports se poursuivent avec le PSG, malgré une brève éclipse entre les printemps 1932 et 1933. Certains “ mauvais ” choix artistiques du Théâtre prolétarien, que le PC condamne dans sa presse, ont une infuence certaine sur l’évolution du groupe et ses rapports avec les autres forces de gauche. Tel est le cas d’une pièce de Jules Renard, La Bigote, que le TP présente à plusieurs reprises, en décembre 1930, recueillant les éloges du Travail115, et deux fois, en avril 1931. C’était deux représentations de trop pour le rédacteur du Drapeau rouge qui, sous la signature de Gaspard, renvoya le TP au rang d’inoffensive amicale d’acteurs, qui avait oublié que son répertoire doit être en accord avec son rôle : faire de la propagande scénique. Gaspard en profta pour dénoncer dans la représentation les tares du théâtre bourgeois, qui étaient la cible du théâtre révolutionnaire. Outre la pièce elle-même – qui sous couvert d’anticléricalisme reste une histoire de petit-bourgeois – il désignait le cabotinage, le grimage excessif, les faux-crânes mal raccordés, l’imitation ridicule des gestes du travail, des décors d’un poncif abominable116. Gaspard est d’autant mieux inspiré, qu’il peut comparer La Bigote à d’autres pièces interprétées à la même période, alors que le TP s’aligne sur la plate-forme du théâtre ouvrier 111 Cf. Annexe I 112 25.12.1931. MPC : Garde ouvrière ; 1931 (E 4320 B -/1 ; vol. 12). 113 O3.04.1931 : ScP. Cf. MPC : SRI ; 1931 (E 4320 B -/1 ; vol. 11) 114 01.05.1930 : ScP. 01.05.1931 : ScP. 115 Tr ; 16.12.1930 ; p. 4 116 Gaspard ; “ A propos du Théâtre prolétarien ” ; DR ; 09.05.1931 ; p. 3. “ Gaspard ” est probablement un pseudonyme de Jean Vincent. Merci au professeur Pierre Dubois pour cette suggestion. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
de la FTOF. D’après Gaspard, le groupe y était plus à l’aise et, surtout, plus concerné par le sujet. Il s’agissait de deux courtes pièces d’agit-prop, diffusées par La Scène ouvrière, Le Ver rongeur (Walter Troppenz), qui traite d’un journal d’usine, et Démocratie, tu n’es qu’un mot ! (Jean Dorval), où les principes de la liberté et de l’égalité sont confrontés à la misère, le chômage et la répression policière. La Bigote, “ erreur ” de jeunesse dont le Théâtre prolétarien porta longtemps les stigmates117, représente incontestablement un tournant, qui semble avoir été dirigé directement par le PC et, qui plus est, à travers ses organes de presse, obligeant le groupe à assumer publiquement ses “ fautes ”. Si dans un premier temps, le TP interprétait encore des auteurs comme Octave Mirbeau (Le Portefeuille, 1930), Jehan Rictus (1930), Jules Renard, ou Tristan Bernard (Franche lippée, 1932), ceux-ci disparaissent entièrement par la suite, laissant la place à des auteurs représentatifs de la littérature révolutionnaire (cf. chapitre 2). Après une première immersion dans cette tendance, avec Boris Lavréniev (La Rupture, novembre 1931), le tournant est défnitif avec Friedrich Wolf (Poison, avril 1932), Johannes Robert Becher (Le Grand Plan, avril 1933), Upton Sinclair (Le Cambrioleur, février 1934), Paul VaillantCouturier (Asie, février 1934), Henry Sachs (50 millions, avril 1934), ou encore, Jascheck (Qui veut la guerre ?, février 1935). Les décisions du printemps 1932 ont des conséquences politiques importantes sur la vie du Théâtre prolétarien qui, dès ce moment, affchera pleinement son engagement au côté des communistes, provoquant un bref débat local sur l’art prolétarien, qui aboutit à l’affaire de La Forge, dont nous traiterons dans le chapitre suivant.
117 Le Drapeau rouge s’en souvenait encore, plus de deux ans après. Cf. DR ; 07.10.1933 ; p. 3 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
6. Le Parti socialiste genevois Nous avons vu précédemment, que des militants socialistes et un sympathisant anarchiste participaient au Théâtre prolétarien, vraisemblablement à une période initiale où le groupe ratissait large. Le TP est même invité parfois à se produire dans des manifestations du Parti et de la Jeunesse socialiste (sections de Plainpalais, Vernier, Châtelaine, Petit-Saconnex, CitéRive Gauche, Carouge, le Groupe tessinois). Il faut dire que dans les années trente, le PS genevois n’était pas un PS comme les autres. Les convictions de ses dirigeants, notamment ceux de l’aile gauche, rapprochaient, à certains égards, le PSG des communistes. Entre 1933 et 1935, lorsqu’il sera majoritaire au gouvernement cantonal, le PSG restera fdèle au réformisme offciel. Mais sur le plan international, le parti dirigé par Léon Nicole, tient un discours antifasciste et affche sans complexe son admiration pour l’Union Soviétique. En 1932, Nicole se rend au congrès d’Amsterdam contre la guerre ; en 1933, le Parti envisage même de permettre aux communistes de participer aux célébrations du Premier Mai118. Pour ces raisons, le comité directeur du PSS menaça d’interrompre ses relations avec le PSG aussi longtemps que celui-ci n’aurait pas pris ses distances avec le PC et aussi longtemps que ses dirigeants n’auraient pas sanctionné certains socialistes qui collaboraient avec des organisations comme les Amis de l’URSS ou le SRI119. On comprend dès lors que pour contourner les obstacles opposés par les centrales du PC et du PS, les deux formations locales se soient parfois tournées vers leurs sociétés auxiliaires respectives, comme le Comité des Chômeurs du socialiste Louis Piguet, pour constituer une sorte d’entre-deux où les contacts pouvaient être maintenus. Quant au Théâtre prolétarien, tant que le groupe n’adopte pas un profl “ trop ” communiste, c’est-à-dire, tant qu’il ne participe pas à l’offensive contre les chefs “ social-fascistes ”, son engagement sur des sujets tels que la défense de l’URSS (La Rupture, 1931 ; Le Grand Plan, 1933), peut sans diffculté être partagé par le PSG. C’est pourquoi on n’est guère étonné de voir des socialistes participer à l’aventure. Jean-Jacques Piguet, alors président de la JS, était d’ailleurs parmi les membres fondateurs du Théâtre prolétarien. C’est même lui qui se charge d’annoncer à la presse la naissance du groupe. Quant à André Ehrler, intellectuel reconnu et dirigeant socialiste, il soutient ouvertement le nouveau théâtre : En face des spectacles déliquescents que la bourgeoisie propose à la masse, comme le furent jadis les jeux du cirque à la plèbe, il était nécessaire de dresser de nouveaux tréteaux où puissent s’exprimer la grandeur et la misère du prolétariat 120. Une autre raison pourrait expliquer les bonnes relations du TP avec le PS. Pour atteindre effcacement son public, le groupe a besoin d’une caisse de résonance, susceptible de constituer un auditoire et de l’élargir. Celle-ci existe ; c’est le Cartel des sociétés ouvrières, qui regroupe la plupart des sociétés récréatives ouvrières genevoises, qui sont activement courtisées par le PS.
118 Finalement, le PC n’y participa pas, mais le Théâtre prolétarien y défla dans les rangs du Cartel des Sociétés ouvrières. 119 “ Lettre du Comité directeur du PSS au PS genevois ” ; Berne ; 19.04.1933 ; In MONETTI Neria ; Le sort du Front unique… ; Annexe 5c ; pp. 294-296 120 E. [André Ehrler] ; “ Un bel effort - Le Théâtre d’art prolétarien ” ; Tr ; 02.05.1930 ; p. 4 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
6.1. Le PSG et le Cartel des sociétés ouvrières Le PSG est un parti fort. Il est bien représenté dans les institutions cantonales, communales et syndicales, ce qui lui donne un avantage certain pour se constituer une clientèle, parmi lesquelles une galaxie de sociétés ouvrières diverses, qui lui assurent en retour un vivier électoral. Dans son étude sur le PSG dans les années vingt, Flavio Brocco avait bien montré comment à partir de la scission communiste de 1921, ce parti s’efforce de toucher et sensibiliser par une politique réformiste et modérée le plus grand nombre d’électeurs afn d’occuper l’espace politique le plus vaste possible121. Avec ses mandats communaux et un groupe de députés en croissance (29 en 1924, 37 en 1930, 45 en 1933) 122, les socialistes ont des moyens considérables, dont ne disposent pas les autres formations de gauche, qui peuvent se révéler fort utiles aux sociétés ouvrières. Dès la fn des années 1920, le PSG est la force dominante dans le Cartel des sociétés ouvrières123. A sa création, en octobre 1926, le Cartel a pour ambition de grouper tout ce que Genève compte de formations diverses, groupes d’étude et sociétés récréatives, en allant de l’Université ouvrière aux sociétés de chant, de musique et de sports . En outre, le Cartel se propose de donner aux sociétés ouvrières le moyen de faire entendre une voix plus forte au sein des partis ouvriers et organisations syndicales 124. En 1935, le Cartel affrmait représenter près de 2'500 personnes, membres de cinquante sociétés ouvrières genevoises. Celles-ci n’étaient que 31 à l’approche des élections genevoises, près de deux ans auparavant 125. Cette croissance impressionnante pourrait bien être l’un des actifs de la présence du PSG au gouvernement au cours de ces années-là. Le Cartel ne pouvait qu’intéresser les partis ouvriers, qui voyaient en lui l’endroit où retrouver l’unité perdue lors de la scission de 1921126, mais seul le Parti socialiste pouvait y avoir une infuence réelle. Bien entendu, le PSG se défend de l’exercer, mais il est un fait que les sociétés ouvrières ont beaucoup à gagner de leurs relations cordiales avec les socialistes, car en échange elles peuvent espérer décrocher une subvention, toujours bienvenue. Le PSG ne se prive d’ailleurs pas de le faire savoir. Il n’est pas inutile de rappeler que si notre Parti soutient les sociétés récréatives ouvrières comme toutes les institutions destinées à relever le niveau culturel de la classe qui travaille, il est bien entendu que lesdites sociétés récréatives ont leur vie propre et conservent leur entière autonomie. Les interventions des organes de notre Parti en faveur des sociétés récréatives se manifestent uniquement dans le but de favoriser leur développement. Il s’agit en particulier d’obtenir qu’elles soient mises sur pied d’égalité 121 BROCCO Flavio ; Le Parti socialiste genevois depuis la scission communiste jusqu’à l’alliance avec les radicaux ; mémoire de licence ; Université de Genève : Faculté des Lettres ; 1978 ; pp. 56-62. 122 GROUNAUER Marie-Madeleine ; La Genève rouge de Léon Nicole… ; p. 198 123 Cet organe a été créé, entre octobre 1926 et mars 1927, sous le nom de Cartel des sociétés ouvrières de délassement. En l’absence de document offciel, nous adoptons la dénomination en usage dans les pages du quotidien socialiste, Le Travail, qui publiait régulièrement ses informations et communiqués. 124 Tr ; 26.10.1926 ; p. 4 125 Cf. Tr ; Ma 17.12.1935 ; p. 4. Liste des membres du Cartel des sociétés ouvrières, en 1933. Musiques : Musique La Lyre, Amicale Syndicat CGTE, Fanfare ouvrière Châtelaine, Ecole sociale de musique [l’ancêtre du Conservatoire populaire de musique - NdR]. Chorales : Männerchor Freiheit, Sängerbund Fröhsinn, Union chorale du travail, Frauenchor Vorwärts, La Persévérante dames. Sections de gymnastique : UST Ville gymnastique, Section gym Grütli, UST Plainpalais, Amis gyms de Versoix, SOG Fémina-Genève, Fémina gym Plainpalais. Football : Prieuré- Grottes FCO, UST Ville football, UST Petit-Saconnex, Châtelaine FCO, US Carouge, Gervaisia Sport, CGTE FC, US Chêne, Pâquis FCO. Cyclistes-motocyclistes : Union Touring Solidarité, Etoile rouge, Motocyclistes ouvriers Solidarité ; Divers : Amis de la nature, Théâtre prolétarien, Club ouvrier d’échecs, Alpen Jodler Club. Cf. Tr ; 29.04.1933 ; p. 12 126 Sera-t-il possible à Genève de réaliser dans le domaine récréatif, cette unité si désirable et si diffcile a obtenir par ailleurs ? ; Cf. Tr ; 01.03.1927 ; p. 5 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
avec les sociétés bourgeoises en ce qui concerne les subventions de l’Etat et des communes. Pour la première fois, en décembre 1930, le groupe socialiste au Grand Conseil a obtenu un subside de cinq mille francs en faveur de la musique ouvrière la “ Lyre ”. Pour la première fois également, il a été décidé au Grand Conseil de Genève que les sociétés de gymnastique et sport participeront à une subvention cantonale de 15'000 francs accordée par le canton de Genève pour la gymnastique. et le sport en général127.
Le livre de caisse du Parti montre que celui-ci se montrait généreux, soutenant parfois directement certaines sociétés. L’Union chorale du travail, les Gymnastes ouvriers suisses, l’Union sportive du travail (UST), l’harmonie La Lyre ont bénéfcié de ses largesses. Le Théâtre prolétarien lui-même reçoit une allocation de 50 francs à la veille de sa première représentation, en 1930128. Dans le quotidien Le Travail, les sociétés adhérentes au Cartel peuvent y publier leurs annonces et le bureau du Cartel y dispose d’un espace quotidien129. Alors qu’il est au Conseil d’Etat, Léon Nicole sera même nommé président d’honneur du Cartel. Comme on s’en doutera, le soutien aux sociétés ouvrières n’est pas sans contrepartie politique. Ce sont les organisations récréatives, sportives, syndicales, culturelles que le PS appelle a manifester, le 9 novembre 1932, contre un parti d’extrême droite qui mettait sur pied un procès contre le chefs socialistes. En 1933, l’appel que le président du Cartel, le socialiste André Favez, adresse aux ouvriers embrigadés dans les sociétés récréatives bourgeoises, pour qu’ils rallient les sociétés de leur classe, a beau se parer d’antifascisme, il ne s’inscrit pas moins dans la campagne électorale socialiste 130, tout autant d’actualité que lorsque Léon Nicole se prononce, lors d’une assemblée du Cartel, contre la neutralité de l’art et du sport : les artistes, dit-il, doivent fortifer l’âme ouvrière pour la défense de la liberté des travailleurs, et les sportifs, fortifer et viriliser les corps pour en faire un rempart contre le fascisme131. Le Théâtre prolétarien s’intègre rapidement dans le Cartel des sociétés ouvrières. Il devient l’une de ses composantes les plus actives et le seul groupe théâtral de langue française. De 1932 à 1935, le TP participe régulièrement à la fête sportive que le Cartel organise au mois de juin, le plus souvent au Stade de Frontenex, et se produit également dans les manifestations d’autres sociétés membres : l’UST, le Football Club Ouvrier (FCO), la Musique ouvrière de Châtelaine, l’harmonie la Lyre, l’Ecole sociale de musique (ESM)... Le cartel ayant une vocation unitaire, lorsque le Théâtre prolétarien entamera son tournant révolutionnaire, le groupe restera dans son sein et continuera de participer aux manifestations organisées par lui. Par contre, au même temps, le Parti socialiste, notamment sa tendance syndicale, s’engagera activement dans la formation d’un groupe de théâtre “ alternatif ”, appelé La Forge.
6.2. L’affaire de La Forge (1932) Tout semblait donc sourire à la carrière du TP, dans un ciel unitaire des plus azurs. Mais le milieu des sociétés récréatives ouvrières ne saurait échapper aux luttes de pouvoir qui font rage par ailleurs. Celles-ci, comme on vient de le voir en sont même un enjeu politique non 127 AAE : PSG ; Rapport d’activité en 1930 présenté par le Comité directeur ; “ Relations avec d’autres organisations […] Sociétés récréatives ouvrières ” ; p. 22 (“ Politique : Parti socialiste ; Fraction socialiste de Carouge ; Fédération socialiste 1932-1956 ”) 128 ALP : Caisse du PSG ; [décembre 1921 – janvier 1931] 129 A partir de septembre 1936, le Cartel disposera d’une demi-page hebdomadaire, en plus de son espace quotidien traditionnel. 130 Tr ; 29.04.1933 ; p. 12 131 Tr ; 24.04.1933 ; p. 3 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
négligeable, et le TP est trop proche du PC pour baisser la garde. Le ciel s’assombrit en novembre 1932 : le Théâtre prolétarien n’a rien de commun avec le Théâtre de La Forge, en formation actuellement à Genève, fait-il savoir dans la presse ouvrière locale. Le théâtre de La Forge se présente comme un projet de professionnels qui ambitionne de monter des spectacles d’avant-garde à caractère révolutionnaire. – Or, lit-on dans Le Travail, le Théâtre prolétarien ne croit pas à la réussite d’une telle tentative et craint que pour attirer un public aussi large que possible, le Théâtre La Forge soit contraint — pour vivre — d’abandonner une ligne de conduite nettement révolutionnaire132. Pour en savoir un peu plus quant aux raisons de ce rejet, il faut se reporter au Drapeau rouge, qui reproduit le communiqué du TP dans son intégralité : Le Théâtre prolétarien avise toutes les organisations ouvrières qu’il n’a rien de commun avec le Théâtre de LA FORGE qui se crée en ce moment à Genève. Qu’il est un groupement d’ouvriers indépendants révolutionnaires qui ne peut pas participer à un théâtre professionnel constitué en SA, conforme au titre XVII du Code fédéral des obligations (voir article premier des statuts du théâtre de La Forge). Qu’à Genève un théâtre professionnel quel qu’il soit sombrera fatalement, soit matériellement que moralement. Qu’il sera impossible au Théâtre de La Forge de suivre une ligne réellement révolutionnaire, étant donné que la censure interviendra certainement et qu’il sera obligé pour vivre de donner n’importe quel spectacle, dit d’“ avant-garde ”. Que ce théâtre professionnel ne sera pas un théâtre ouvrier par les prix élevés des places qui ne sont pas en rapport avec le taux actuel des salaires. Pour toutes ces raisons, le Théâtre prolétarien se fait un devoir de mettre en garde les ouvriers et les organisations ouvrières contre un théâtre professionnel quel qu’il soit qui se base sur l’argent des syndicats et des ouvriers pour vivre. Le vrai théâtre révolutionnaire seul, est celui qui est indépendant et qui n’a qu’un contrôle, celui de sa conscience de classe. (Pour renseignements ou explications complémentaires s’adresser chez Meyer, rue de la Colline 20). Théâtre prolétarien133
Visiblement, du point de vue du TP, le professionnalisme et l’art révolutionnaire sont incompatibles. A l’inverse, le TP allègue avoir fait ses preuves en préservant sa pureté, loin des tentations du proft134, et fait appel à la solidarité et la conscience de classe des sociétés sœurs du Cartel. L’avenir montrera que dans d’autres circonstances les animateurs du TP ne sont pas si fermés au professionnalisme, mais dans l’immédiat, la carte de l’amateurisme prolétarien ne devrait pas laisser insensible la majorité des sociétés ouvrières. Si on en juge à d’autres sources, le problème pourrait toutefois être d’une autre nature, révélé par l‘argent des syndicats, que le TP mentionne dans son communiqué.
132 Tr ; 05.11.1932 ; p. 4 133 DR ; 05.11.32 ; p. 3 134 Cf. Annexe I \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
6.3. Une affaire “ empoisonnée ” L’origine de l’affaire de La Forge remonte au mois de mai 1932. Le dernier spectacle du Théâtre prolétarien, Poison, n’avait pas fait l’unanimité. Il faut dire que le thème était explosif. En premier lieu, il était favorable à la légalisation de l’avortement ; deuxièmement, le spectacle vantait l’Union Soviétique, qui l’avait légalisé. Le problème quitta rapidement le terrain de la morale pour occuper l’espace politique. Dans le Réveil Anarchiste, Marcel Maillard, dénonça violemment que sous prétexte d’art le TP avait livré un condensé de propagande bolchéviste et de démagogie moscoutaire135. Quant au Travail, il attendit plus de deux mois ( !) pour donner son avis. Son chroniqueur littéraire, “ Mirator ” (Serge Radine), reprochait aux productions du TP de mépriser l’impérieux besoin pour les ouvriers de se distraire. En apparence anodine, la critique de Radine visait en fait la raison d’être même du TP : le titre de “ Théâtre prolétarien ” est-il d’autre part très bien choisi? Il est permis d’en douter. L’évolution des arts devant résulter spontanément de l’évolution sociale elle-même, écrivait Radine, le théâtre n’est ni “ bourgeois ” ni “ prolétarien ” et n’a pas à se subordonner à la politique et devenir un simple outil de propagande136. Evolution naturelle ou volontarisme ? La question du sens historique de l’art est décidément inépuisable, et le scandale de Poison contribue à sa manière à en raviver la famme sur la scène locale. Ce débat est d’autant plus actuel qu’à Genève le Théâtre prolétarien est en train d’adopter un profl politique plus marqué. L’art est une arme pour la révolution, scandait le groupe à la veille des représentations de Poison. Certes, Friedrich Wolf, l’auteur de la pièce, est aussi l’inventeur de cette formule devenue célèbre, mais il n’y là aucune coïncidence. C’est l’indice d’un tournant signifcatif du TP, qui choisit de s’engager désormais dans une logique plus offensive, celle du Front unique. Au cours du mois de juin 1932, le TP adresse une lettre à différentes organisations, dont des extraits sont publiés dans la presse. Conformément à la stratégie communiste de lutte contre le “ social-fascisme ”, il y est question de Front unique des ouvriers. D’autres passages, montrent l’alignement du Théâtre prolétarien sur le volontarisme esthétique de la conférence de Kharkov : le groupe reconnaît, d’une part, que la culture prolétarienne proprement dite ne peut pas exister dans la société capitaliste mais, ajoute aussitôt que dans les théâtres et cinémas bourgeois la vie ouvrière est décrite d’une manière si [indigne] que nous devons créer nos propres théâtres, avec un répertoire de circonstance : révolutionnaire, et avec un genre spécifque : le chœur parlé. Et le TP de passer à l’acte, en annonçant à l’Union des syndicats (USCG) sa décision de participer à l’un de ses meetings avec un chœur parlé contre la baisse des salaires, spécialement écrit pour l’occasion137. Farouchement allergique aux slogans communistes, l’USCG décline la “ proposition ”, ce qui n’avait sans doute pas dû surprendre les dirigeants du TP.
135 M. M. [MAILLARD Marcel] ; “ Poison ” ; RA ; 14.05.1932 136 Mirator ; “ La Comédie du bonheur et le théâtre d’avant-garde ” ; Tr ; 25.07.1932 ; p. 3 137 AUSCG : Lettre circulaire du TP (“ Correspondance 1932 ”). Cf. Annexe II. Cf. aussi Tr ; 24.06.1932 ; p. 3 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
6.4. Le groupe “ Plans ” et son projet théâtral Ce bref échange de lettres, ces formules enfammées, ces articles passionnés, indiquent qu’une agitation inhabituelle anime, dès le printemps 1932, le petit monde du théâtre ouvrier genevois. Elle coïncide avec un projet de “ théâtre social ”, que vient de lancer un nouveau venu du paysage politique local, le groupe “ Plans ” de la région du Léman, qui fait également des appels du pied aux milieux syndicaux138. Dès le mois de mai 1932, le groupe “Plans” charge Mark Schalks, un proche du groupe libertaire du Réveil qui avait collaboré avec le Théâtre prolétarien, de chercher des soutiens à son projet du théâtre de La Forge. Les premiers résultats sont maigres, les sociétés ouvrières existantes ayant refusé de s’engager fnancièrement dans le projet. Schalks se tourne alors vers l’USCG, dont le comité l’assure de son appui et s’engage en août à acquérir pour 100 Frs de parts sociales (10 Frs l’unité). Les statuts sont discutés fn octobre par les sections de l’USCG, mais les consultations n’ont pas le temps de s’achever. En effet, à la suite des événements du 9 novembre 1932, Schalks, qui portait le projet sur ses épaules, est forcé de quitter Genève et le démarrage de La Forge, renvoyé indéfniment par les dirigeants de “Plans”139. Le projet de La Forge, pour le moins optimiste, visait à établir, à la Salle communale de Plainpalais (700 places), un théâtre d’avant-garde professionnel spécialement destiné aux ouvriers. Il espérait accorder des prix populaires (1 franc) et, aux chômeurs, la gratuité des représentations. Pour les autres catégories de spectateurs, il était prévu de vendre des billets de 1.50 à 3 francs. Le public dit “ anonyme ” devait constituer la moitié des spectateurs. Pour l’autre moitié, La Forge avait prévu de s’entourer d’un noyau d’abonnés ainsi que d’un “ Groupe des amis du théâtre social ”. Quatre représentations hebdomadaires avaient été prévues et l’affche devait être renouvelée toutes les deux semaines ; les autres jours, le spectacle au programme devait partir en tournée. Son budget était estimé à 6'600 francs par mois. Huit artistes professionnels et un metteur en scène rémunérés à 300 francs devaient constituer la troupe régulière de La Forge. En pariant sur une fréquentation moyenne de 250 spectateurs par représentation et un petit apport de publicité dans le programme, les recettes mensuelles avaient été estimées à 8'100 francs. La Forge comptait donc dégager un bénéfce 138 Il y aurait beaucoup à dire sur l’histoire de “Plans”, mais cela dépasserait largement le cadre de ce mémoire. En l’absence d’une étude préalable, nous nous permettons de livrer ici quelques éléments d’information dont nous disposons, qui se limitent à la période 1932-1933. Lié à la revue française Plans, ce groupe d’études, proche de la mouvance socialiste de la “ révolution constructive ”, voudrait substituer le capitalisme par un système dirigiste d’économie collective. “ Plans ” est favorable au fédéralisme, basé sur les frontières naturelles de l’économie et de la géographie, en dehors des cadres historiques et des nationalismes. Le groupe s’est implanté à Genève en février 1932. Les noms qui reviennent le plus souvent parmi ses membres en Suisse Romande sont : le Dr A. Miéville (Vevey) ; Knud Stouman ; l’instituteur Arnold Kohler ; André Ehrler. Le secrétariat genevois de “ Plans ” est assuré successivement par J.-J. Honegger et le Pr. Richard Meili. Parmi ses activités, le groupe genevois a eu des discussions animées autour du Comité de lutte contre la guerre d’Amsterdam, lancé par Henri Barbusse. Le groupe s’intéresse également à l’éducation ouvrière et à l’éducation des adultes, mais la plupart des sujets traités par ses animateurs touchent à des questions économiques : “ Le problème économique et le cinéma ” (Ehrler), “ L’économie Genevoise ” (Stouman), “ L’économie syndicale et coopérative planifée ” (Georges Valois). On comprend que “ Plans ” soit proche des milieux syndicaux. Au cours des années trente, l’économie dirigée et l’économie collective sont les deux pierres de touche du programme de l’Union syndicale suisse. Outre le dossier “ Correspondance 1932 ” de l’USCG, on trouvera des documents sur le groupe genevois de “ Plans ” aux AEG, dans le fonds du Département de l’instruction publique : DIP/SG/1933/Organisation générale 3/XV : “ Fonctionnaires et communisme ” (cote : 1985 va 5.3.305 ; emplacement : T2 62.6) ; cf. aussi AAE : “ Privé/Dossier ‘Plans’ Groupe d’études collectivistes [...] 1932-1937 ”. En outre, une collection du bulletin des groupes “ Plans ”, publié à Paris, repose à la bibliothèque de l’Institut des Hautes Etudes Internationales, à Genève. 139 AUSCG : Lettre de Arnold Kohler à Charles Rosselet ; (“ Correspondance 1932 ”) \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
mensuel de 1'500 francs140.
Le projet proprement artistique de La Forge était de propager une culture des masses, contre l’art pour l’art, l’esthétisme pur et l’art d’élite. Ses initiateurs se disaient partisans de l’art collectif (adjectif cher au groupe “ Plans ”), fruit de la collaboration entre les artistes et la foule des travailleurs. Le rôle concret de cette dernière n’était pas spécifé, mais les initiateurs de La Forge disaient souhaiter s’y appuyer pour l’aider et la servir à son tour. A l’intérieur, le collectif devait être le résultat de l’abolition de la hiérarchie dans la division du travail : les acteurs, le metteur en scène, l’administrateur se reconnaissent avant tout comme “ travailleurs ” et leur sala qualifé141. Quant au répertoire, les ouvrages présentés devaient exposer les problèmes de la vie sociale moderne tout en démontrant la nécessité des transformations de la société actuelle142. Parmi les idées les plus originales, “ Plans ” envisageait la création d’une école rattachée au Théâtre, dans le but de former les nouvelles générations d’acteurs “ collectivistes ”143. On notera des atermoiements signifcatifs quant à l’horizon idéologique de l’entreprise. En été, le groupe “ Plans ” affrme s’inspirer de l’école nouvelle des écrivains révolutionnaires internationaux144. Le groupe entreprend une correspondance avec les organisations du mouvement de Kharkov, l’UIER et l’UITO145. On parle alors de culture révolutionnaire et de masses ouvrières. Trois mois plus tard, la fèvre a nettement baissé : il est question de fonder une nouvelle culture, de combattre un monde vieilli, de préparer l’avènement d’un monde nouveau, mais les contours politiques de ces notions sont laissés dans le vague146. On conviendra, qu’entre ces termes et ceux en vogue à Kharkov – “ écrivains soldats ” de l’armée du prolétariat, “ plumes afflées ”, littérature “ dynamite ” – il y avait un vrai gouffre (cf. chapitre 2.1). Les raisons de l’USCG, qui habituellement rechignait à relâcher sa bourse, pour adhérer au projet de La Forge sont simples à comprendre. La culture pour la masse proposée par “ Plans ” était bien moins militante et radicale que la culture pour le Front unique voulu par le Théâtre prolétarien. Certes, La Forge était tentée par les écrivains révolutionnaires internationaux et souhaitait s’inspirer des nouvelles tendances culturelles venues de l’Union Soviétique, mais cela relevait d’un intérêt partiel. Contrairement au TP et au mouvement de Kharkov, il ne s’agissait certainement pas pour eux de donner une forme artistique à la politique de l’Internationale communiste (cf. chapitre 2.3). L’historien Marc Vuilleumier s’est récemment penché sur le dossier de police de Mark Schalks147, riche d’éléments nouveaux qui confrment cette hypothèse. Dans une lettre adressée au dirigeant socialiste André Oltramare, Schalks semble vouloir garantir à son correspondant que le nouveau théâtre sera en de bonnes mains qui veilleront à son “ indépendance ”, entendez, qu’il ne sera pas communiste : Ehrler André, Kohler Arnold, Ruff Edmond, Stouman Knud (tous socialistes), Mme Honegger Soravia, le Professeur Meili Richard et le soussigné148. On notera que dans les contacts directs du groupe “ Plans ” avec les organisations de la plate-forme de Kharkov, Schalks feint 140 AUSCG : Projet de création d’un théâtre social à Genève [15.07.1932] ; (Ibidem) 141 AUSCG : Théâtre de La Forge. Appel en faveur d’un théâtre nouveau [15.10.1932] ; (Ibidem) 142 AUSCG : Projet de création d’un théâtre social à Genève [15.07.1932] ; (Ibidem) 143 Ibidem 144 AEG : Résolution de l’Assemblée Générale de “ Plans ” Genève, du 29 juillet 1932 ; 05.08.1932 (DIP/SG/1933/Organisation générale 3/XV) 145 VUILLEUMIER Marc ; “ La Surveillance politique à Genève : quelques cas (1920-1934) ” ; Etudes et sources. Revue des Archives fédérales suisses ; N° 26 ; Vienne : Verlag Paul Haupt ; 2000 ; p. 262 146 Théâtre de La Forge. Appel... 147 VUILLEUMIER Marc ; “ La Surveillance... ” 148 Ibidem ; p. 261 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
d’ignorer que le Théâtre prolétarien y est déjà afflié, par son appartenance à la FTOF. D’après Marc Vuilleumier, il s’agit là d’une pratique systématique du PSG de Léon Nicole, consistant à ignorer systématiquement ses adversaires communistes pour les réduire à l’insignifance149. On ajoutera à ces arguments, que La Forge proposait une image de l’artiste proche de l’ouvrier, travailleur, souffrant aussi du chômage. Cela peut être dû à la proximité naturelle qui liait les membres de “ Plans ” au milieu du syndicalisme. Ces informations montrent la portée politique immédiate de La Forge. Né peut-être d’une crise à l’intérieur du Théâtre prolétarien, le nouveau projet est très rapidement adopté par les dirigeants socialistes et syndicalistes, de gauche et de droite, qui y trouvent respectivement leur compte : contrer et neutraliser un organe perçu comme communiste, et occuper le terrain corporatif des milieux intellectuels et artistiques locaux. D’un point de vue technique strict, le projet de La Forge aurait peut-être pu trouver sa place parmi les organisations ouvrières, à l’image d’autres d’institutions professionnelles ou semi-professionnelles, telles que l’harmonie la Lyre ou l’Ecole sociale de musique. La Forge présentait des caractéristiques originales qui la différenciaient du TP : le professionnalisme, la formation, un intérêt pour les techniques d’avant-garde, un théâtre permanent... Outre les hasards du calendrier qui ont empêché le projet de prendre une forme réelle, le projet avait surgi, comme nous l’avons vu, dans un contexte de forte polarisation de la gauche genevoise. On comprend que le Théâtre prolétarien s’y soit opposé, ayant perçu dès le début dans les implications politiques du projet de La Forge une entreprise qui représentait un danger pour lui150.
149 Ibidem ; p. 262 150 En avril 1934, le TP fut confronté à une nouvelle tentative de créer un théâtre. Il s’agissait du Théâtre des Idées nouvelles, qui disait vouloir régénérer le théâtre dans le fond [et] dans la forme. Toutefois, ce groupe ne survécut guère à son premier spectacle, intitulé On a tué l’honneur national. Cette pièce satirique, en 7 tableaux, visait à montrer comment, pourquoi et au proft de qui on fait les guerres. L’auteur de la pièce était l’écrivain espagnol Javier Bueno. Dans La Cellule des écoliers, Julia Chamorel mentionne à plusieurs reprises Javier Bueno, père, et ses deux enfants, Javier et Antonio, tous, proches de la mouvance communiste. Cela pourrait expliquer la bienveillance relative avec laquelle le Drapeau rouge accueillit la nouvelle : Nous suivrons avec intérêt l’effort de cette nouvelle scène bien que nous ayons préféré nettement que cet effort s’exerce dans le cadre du Théâtre prolétarien qui a besoin de nouveaux concours. Le DR terminait en appelant de ses vœux une fusion ultérieure des deux groupes. Cf. notam. DR ; 21.04.1934 ; p. 3. Tr ; 12.04.1934 ; p. 4 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
7. Culture prolétarienne, organe du Théâtre prolétarien (1933-1935) Est-ce l’échec de La Forge ou l’impression que la lutte des classess s’est radicalisée à la suite des événements du 9 novembre 1932 ? Toujours est-il que le Théâtre prolétarien se sent véritablement investi d’une mission pour imposer la culture prolétarienne à Genève et en Suisse Romande. On en voit un indice dans le fait que le TP publie en 1933 le premier numéro de son propre organe de presse, Culture prolétarienne (CP), qui paraîtra par la suite à l’occasion de ses principaux rendez-vous avec le public. Jusqu’à il y a peu, cette revue était inconnue151. Quelques numéros se trouvent dans les archives privées d’un des membres du TP, Théo Roth. Leur lecture permet de se faire une idée de l’univers politique et intellectuel du groupe entre 1933 et 1935152. Outre l’éditorial, Culture prolétarienne publie des articles théoriques sur le théâtre, la danse, le cinéma, la radio, la littérature, des poèmes inédits, des chansons, des informations et des prises de position du groupe sur des sujets d’actualité, des chroniques littéraires, des comptes-rendus de conférences, de flms...153 Quelques contributions sont reprises d’autres publications mais la plupart des articles sont originaux. En 1935, le TP assurait avoir écoulé plus de cinq cents exemplaires d’une des livraisons de sa revue et s’engageait à en vendre deux cents de plus lors de la prochaine parution154.
7.1. La formation intellectuelle du Théâtre prolétarien Depuis la tribune de CP, le Théâtre prolétarien encourage la formation de groupes d’artistes prolétariens dans d’autres villes romandes ; lance des appels aux écrivains prolétariens pour qu’ils écrivent des pièces, des sketches, des chœurs parlés afn d’être joués par le TP. De même, il conseille la lecture d’écrivains comme Henri Barbusse, Paul Vaillant-Couturier ou Théodore Balk, ainsi que des revues suivantes : Monde (Paris), Commune (Paris), Regards (Paris), Journal de Moscou (Moscou), Littérature internationale (Moscou), Théâtre international (Moscou). Les membres du TP se chargent d’ailleurs de la diffusion de certaines de ces publications. Certains de ces titres sont signifcatifs, car ils font le lien entre le Théâtre prolétarien et son univers politique et intellectuel, que nous avons décrit plus haut (Cf. chapitres 2 et 3). Littérature internationale était l’organe de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires, fondée à la suite de la Deuxième Conférence internationale des écrivains prolétariens et révolutionnaires (Kharkov, 1930). Théâtre international, était celui 151 La revue du TP n’apparaît pas dans la liste des publications communistes en Suisse, établie par Brigitte Studer. Cf. Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 ; pp. 827-866 152 Il s’agit des Ns 1 : septembre-octobre 1933 ; 2 : février-mars [1934] ; 5 : février 1935 ; 6 : mai 1935 [cet exemplaire provient d’un petit lot de documents appartenant à la famille de William Jacques] ; 7 : septembre 1935. Les Ns 3 et 4 sont, pour l’instant, introuvables. Nous ignorons si d’autres numéros ont été diffusés après le N° 7. La revue a d’abord été diffusée sous le nom de Culture prolétarienne. Revue d’art et de littérature révolutionnaire pour la Suisse Romande ; elle adopte ensuite le titre Culture prolétarienne. Organe du Théâtre prolétarien – Genève – (FTOF - UITR). On trouvera en annexe une sélection d’articles qui nous paraissent reféter le mieux son contenu (Annexes III à VII) 153 Parmi les signatures, dont de nombreuses se réduisent à de simples initiales ou pseudonymes, parfois un prénom (A. M., G, Georges-André, Harold, H. B., H. G., L. A., M., MER, P., R., Ralph., U. D., Victor, Xylo, Z.), on reconnaît celles de Théo Roth (T., T. H.[ ?], Théo, T. O., T. R., ) ; Roland Maquelin (Rol.) ; Germaine Sigot (Germaine, G. M. [ ?]) ; William Jacques (Jack) ; Javier Bueno (Bouby [information complémentaire : Raymonde Vaëna (15.10.2001)]) et Jean Vincent (Jean, J. V., V., Vincent). Même André Ehrler y a contribué avec un article sur le cinéma soviétique. 154 CP ; N° 6 ; mai 1935 ; p. 5. Bien entendu, cette information est invérifable. Toutefois, si on tient compte de la parution espacée de la revue, le nombre indiqué ne paraît pas excessif. En 1935, CP était vendu à 20 centimes, l’exemplaire. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
de l’Union internationale du théâtre révolutionnaire (UITR), auquel était afflié le TP. L’hebdomadaire Monde était dirigé par Henri Barbusse, qui l’avait fondé à la suite de la Première Conférence internationale des écrivains révolutionnaires (Moscou, 1927), dans le but de lancer en France la littérature prolétarienne d’inspiration soviétique155. Quant à Commune, fondée en 1933 et dirigée par Louis Aragon, elle était éditée par l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), jusqu’à la fusion de celle-ci dans l’Association des intellectuels pour la défense de la culture (1935). Une lettre envoyée par le TP à cette revue, dont nous reproduisons ci-dessous un extrait, témoigne de son importance, et par extension, de celle des autres titres, dans la formation intellectuelle du groupe. [...] Chaque camarade a pris beaucoup d’intérêt à la lecture de votre revue et quelques articles ont suscité un véritable enthousiasme parmi nous ; tel le compte-rendu du congrès des écrivains soviétiques. Maxime Gorki, que nous aimions tous, nous est devenu encore plus cher. Nous sommes tous des ouvriers, sans grande culture, et consacrons nos loisirs à l’activité absorbante de notre théâtre ouvrier ; le temps qui nous reste pour étendre nos connaissances est extrêmement restreint et Commune nous devient de plus en plus nécessaire et précieuse ; les articles sur la littérature : fasciste, bourgeoise, prolétarienne, les conclusions qui en sont tirées nous intéressent et clarifent toujours plus en nous ce qui est le sens d’une littérature prolétarienne ; la revue des livres nous est précieuse également pour jeter un coup d’œil sur les productions bourgeoises ; les enquêtes sont intéressantes et utiles ; les articles scientifques et politiques sont déjà pour nous, plus ardus, mais ne sont pas laissés de côtés, petit à petit, nous nous familiariserons et assimilerons bientôt plus facilement ces articles qui sont le cœur même de la cause que nous défendons ; nous pensons qu’ils ont leur place dans Commune et que leur lecture nous est indispensable. Les pages consacrées aux luttes et souffrances des peuples éloignés (en tant que territoire) de nous ont bien leur place dans Commune. Nous aimerions lire une rubrique “ Théâtre ”. Persévérez à mettre de bons poèmes ; nous en sommes ravis et les meilleurs de nos camarades les travaillent pour les présenter dans nos soirées ouvrières. [...] G. S... [Germaine Sigot], Genève (Suisse)156
7.2. La lutte contre la culture bourgeoise Comme dans l’ensemble de la gauche, la lutte contre le fascisme est au centre des préoccupations du Théâtre prolétarien. Dans un premier temps, Culture prolétarienne, voit dans la littérature révolutionnaire du prolétariat, la meilleure arme pour contrer le fascisme dans la culture. Le constat de base réside dans la décadence dans laquelle est plongée la littérature bourgeoise, devenue un soutien du capitalisme fnissant. Face à cela, l’alternative est que les travailleurs fassent eux-mêmes leur littérature. C’est la première raison du lancement de Culture prolétarienne : devenir la tribune littéraire du prolétariat, faire connaître les réalisations culturelles de l’URSS et l’art révolutionnaire, et stimuler la création artistique parmi les travailleurs en Suisse Romande157. Le TP fait alors la chasse aux amours fanés, les mélodies sentimentales, les vieux airs qui chantent la nature fgée, les amoureux transis : d’autres sujets nous absorbent, le travail des ouvriers à l’usine, aux champs, les foules innombrables qui marchent, les nerfs tendus, le front haut, renversant inexorablement 155 Au sujet de l’engagement de Monde dans la littérature prolétarienne, on se reportera à GOULEMOT JeanMarie, GREENSPAN Arthur (Dir.) ; “ Des poissardes au réalisme socialiste ” [N° spéc.] ; Revue des sciences humaines ; N° 190 ; Lille ; avril-juin 1983 ; spéc. : MOREL Jean-Pierre ; “ Portrait de groupe avec Monde (Moscou, 1927) ” ; pp. 77-88 ; GOULEMOT Jean-Marie ; “ Quand Monde enquêtait sur la littérature prolétarienne ” ; pp. 89-99 156 Commune ; N° 17 ; Paris : AEAR ; janvier 1935 ; p. 539. Le TP, particulièrement, Germaine Sigot, envisageait de lancer à Genève un “ groupe d’amis ” de cette revue. 157 “ Appel de la rédaction ” ; CP ; N° 1 ; septembre-octobre 1933 ; p. 1. Annexe III \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
ce qui leur barre la route158. On se moque de la piété et du sentimentalisme d’un notable littéraire qui s’émerveille du tableau d’honneur des grands noms, des réussites, des carrières, des réputations de la bourgeoisie genevoise159. On traque le chauvinisme et la cocarde jusque chez le voisin, faisant remarquer aux musiciens de La Lyre, l’orchestre ouvrier local, qu’ils ont joué Gloire et honneur et Salut à la France lors d’une manifestation pacifste160. Le TP fait aussi un sort à ses propres références des débuts, tel Jehan Rictus (1867-1933), poète du pauvre, du déclassé, dont les vers ne sont plus en accord avec l’optimisme prolétarien des nouveaux temps : Rictus est mort. Le prolétaire conscient de nos jours ne peut éviter un certain sentiment de dégoût et de honte en approchant l’œuvre pleine de résignation, de celui qu’on a appelé le poète des gueux et de la misère161. Au cours de cette période, le TP aimait affcher son amateurisme qui, à ses yeux, était le garant de son indépendance, qu’avaient perdue, en revanche, les vedettes de la scène professionnelle, vendues à l’argent. Il semblait suffsant, pour devenir un artiste prolétarien, de n’avoir pour bagage que sa virginité d’âme, libre des préjugés d’un monde fnissant, chargée de vérités prochaines162. Dans CP, la moisson d’œuvres originales est pourtant maigre. Quelques poèmes témoignent néanmoins de l’effort accompli pour s’affranchir de la culture honnie, d’écrire une littérature de l’urgence, rebelle, violente même. L’extrait suivant, d’un poème écrit peu avant la fn du mandat du Conseil d’Etat à majorité socialiste, règle leur compte à “ ceux ” qui avaient accepté de participer au pouvoir bourgeois : Un délire candide avait suivi la victoire Les bulletins voltigeants en chiffres éblouissants dans le ciel démocratique avaient fait pâlir notre fer Drapeau rouge. Il y avait bien quelques primaires qui s’obstinaient à crier casse-cou qui rappelaient les exemples cinglants des générations qui martelaient les paroles des vieux lutteurs : On ne retape pas la vieille machine. A quoi bon revernir la carcasse quand le moteur se détraque Quand il s’agit de préparer les cœurs au modèle de luxe du prolétariat vainqueur et de ne pas se boucher les oreilles au gar[d]e à vous tragique de camarades d’Allemagne et d’Autriche : Partager le pouvoir, collaborer avec l’injustice c’est l’ôter de sa chaise branlante pour l’asseoir sur un fauteuil fait de nos souffrances et de nos deuils. C’est dur parfois, de voir si clair et d’oser le dire. Ils font mal, les mots qu’on essuie comme des coups, qui font retomber la main qu’on a tendue “ traître, vendu, faux-frère ” Qu’importe, le drapeau, s’il est caché parfois Flotte quand même. C’est le vent de l’Histoire qui le remue et si obstinément, de façon si continue que toutes les offenses, toutes les [vilenies] sont couvertes par son claquement. Et les mains, un instant désunies se retrouvent mieux qu’avant. 158 Xylo ; “ Vers un meilleur répertoire ” ; ibidem ; p. 2 159 T. ; “ Le Collège de Genève. par Henri de Ziegler ” ; Ibidem ; p. 9 160 Bouby ; “ Question aux camarades de La Lyre ” ; Ibidem ; p. 7 161 T. H. ; “ Jehan Rictus ” ; CP ; N° 2 ; février-mars 1934 ; pp. 2-3. Cf. RAGON Michel ; Histoire de la littérature prolétarienne de langue française... ; pp. 140-141 162 G. M. ; “ A nos amis ” ; CP ; N° 2 ; février-mars [1934] ; p. 2. Annexe IV \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Le pouvoir, ça vous grise... nous aussi Mais pas celui qu’on achète avec des reniements qu’on trouve tout prêt qu’on n’a qu’à reprendre, comme un bail avec le même vautour comme on change de chapeau pour saluer le même tyran. Non, le nôtre, total, intransigeant et, ma foi, cruel, oui, aux bourrelets de graisse aux abcès puants de ce vieux moribond qui n’a plus que l’habit de bon, L’habit : la légalité bourgeoise ! Le monstre sans cœur et sans entrailles que ceux auxquels tu as donné ta voix font marcher contre toi le pouvoir bourgeois ! [...]163
On verra dans cet extrait l’une des dernières piques directes lancées aux socialistes. Car à mesure que l’on approche du milieu de la décennie le Théâtre prolétarien tend à modérer son propos, annonçant une évolution majeure dans la vie de la petite troupe. Les membres du TP se rendent compte que, malgré quelques succès et leur activité débordante en tant que groupe, ils n’ont pas réussi à grouper les forces éparses d’amateurs et de professionnels dans le mouvement d’art prolétarien qu’ils avaient rêvé. Leurs appels fervents, leur volontarisme n’est fnalement pas si éloigné du sentimentalisme bourgeois dont ils aimaient se moquer. A ce constat d’échec, on ajoutera que les réalisations du socialisme dont ils chantaient les louanges n’avaient pas suff à contrer l’ascension du fascisme, qui était au centre de leurs préoccupations.
163 R. ; La Prise du pouvoir ; CP ; N° 5 ; février 1935 ; pp. 11-12 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
8. Six ans au service de l’“ art prolétarien ” Dans les sections précédentes de notre recherche, nous avons exposé le cadre politique et esthétique, et le rapport de forces local dans lequel s’insère le Théâtre prolétarien. Quant au présent chapitre, il est entièrement consacré à son histoire artistique propre. Le groupe est fondé en mai 1930, alors que la littérature prolétarienne révolutionnaire et le “ Front culturel ” de l’Internationale communiste n’ont pas encore véritablement pris leur envol. Son panthéon initial met en avant une liste d’écrivains, qui déborde largement sur la fn du 19 ème siècle, dont la plupart sont d’origine bourgeoise, mais reconnus pour leurs préoccupations sociales : Romain Rolland, Henri Barbusse, Upton Sinclair, Ernst Toller, Charles Vildrac, Jehan Rictus, Emile Verhaeren164. Avant son adhésion à la FTOF, en 1931, le Théâtre prolétarien n’en est pas encore à faire son théâtre soi-même165, encore moins à s’en servir comme une arme. Il souhaite simplement faire connaître des œuvres qui mettent au premier plan la condition ouvrière. Hormis le prix des places populaires, lors de son premier spectacle, le TP reproduit sans complexe, les séparations sociales traditionnelles, dont le théâtre bourgeois était le condensé : 75 centimes au parterre, 50 centimes à la galerie. Par la suite, l’histoire sera celle de la conversion volontaire aux thèses du théâtre révolutionnaire, où le groupe s’efforce d’adapter son ambition artistique aux rythmes et aux contraintes de la lutte, avec les résistances et/ou incompréhensions qui peuvent surgir, aussi bien que la volonté de les surmonter. Le TP doit parfois composer entre l’attraction des habitudes et des contraintes locales et l’ivresse d’être partie à une utopie mondiale.
8.1. Le groupe. Action militante et passion du théâtre Les membres les plus actifs du Théâtre prolétarien sont à la fois des militants politiques et un groupe animé par la famme du théâtre. Certains y ont déjà touché, comme Germaine Sigot ou Jean-Jacques Piguet – qui viennent de l’éphémère groupe socialiste des Phalènes –, ou Marc Alban (Mark Schalks) qui, parmi d’autres activités, a été acteur au Casino-Théâtre, au Théâtre du Parc et au Studio d’art dramatique 166. Certains, comme Théo Roth qui, dans les années vingt avait fréquenté la Société d’Instruction mutuelle, trouvent au TP l’endroit où exercer leur talent pour l’écriture et concrétiser leur intérêt pour la littérature. Ses archives et sa bibliothèque en témoignent. Sa maîtrise parfaite de la langue allemande permet au groupe d’interpréter des œuvres d’auteurs comme Johannes Robert Becher (Le Grand Plan, 1933), Friedrich Wolf (Poison, 1932 ; Professeur Mannheim, 1935), et plus tard, sous le nom de L’Effort, Bertolt Brecht (Les Fils de Madame Carrar, 1938). C’est sans doute Roth qui a le plus contribué à affrmer la qualité “ artistique ” du TP, alors que Blanche Meyer a, semble-til, encouragé le groupe à se développer comme troupe d’agit-prop167. Théo Roth a largement dépassé la trentaine lorsque Jacques Vaëna (William Jacques, dit Jack) fait ses premiers pas dans le Théâtre prolétarien, vers l’âge de quinze ans, après avoir assisté à
164 On peut encore ajouter à cette liste Octave Mirbeau, mis au programme d’une soirée familière du Réveil anarchiste, au lendemain de la première soirée du groupe. 165 Selon une formule de Jacques Prévert. Cf. “ Chez les autres ” ; SO ; N° 1 ; 1932 ; p. 9 166 VUILLEUMIER Marc ; “ La Surveillance... ” ; p. 262 167 Entretien avec Joseph Marbacher ; St.-Antoni (FR) ; 27.01.2001 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
une représentation du groupe, en 1932168. Amateur de chanson et de poésie, William Jacques crée avec Hermann Leiffel, en prolongement du TP, le duo Jack et Hermann, qui accompagnera la carrière du groupe jusqu’à la fn des années trente. Pour ma part, j’étais souvent envoyé pour lire des poèmes de poètes révolutionnaires peu connus à l’époque, comme Rafael Alberti, Nazim Hikmet, ou un Français dont j’ai perdu la trace, Luc Decaunes, qui écrivait de très belles choses. Et même au TP, il y avait Roth, qui écrivait des poèmes que je disais dans les soirées. A part ça, je faisais encore un tour de chant avec un camarade où on donnait des chansons dites engagées 169.
L’encadrement politique du groupe est pris en charge par Lisa Luscher et Roland Maquelin, tous deux communistes. La plupart des membres les plus connus du groupe, exercent des professions spécialisées. Mark Schalks est bijoutier, Jacques Vaëna (Jack) est apprenti de bureau, Théo Roth est horloger, Robert Maeder est mécanicien aux chemins de fer, Javier Bueno (Bouby) est artiste peintre, Piguet sera rédacteur au Travail. Dans la deuxième moitié des années trente, Ami Bellot écrira dans le même journal des articles sur la vie théâtrale en France ; dans les années quarante, Daniel Fillon (“ Willy ”) fera partie de l’aventure du théâtre de L’Equipage170. En dehors du noyau central, le TP accueille parfois des collaborations ponctuelles, comme celle de Joseph Marbacher, qui joua un matelot dans La Rupture. Parmi celles-ci, nous mentionnerons également les noms qui apparaissent ici ou là, au détour d’une coupure de presse, d’un récit ou d’un témoignage171 : Marcelle Taralle, Anne-Marie Frey Zufferey, Edouard Zufferey, “ Ficelle ”, la “ grande ” Louise, Noret, Mme Schaerer [Scherrer ?], Mlle Thomas, Harold. A partir de quand peut-on parler de rupture ? Dès le premier jour, le Théâtre prolétarien veut croire à un “ avenir ” d’une littérature dont le prolétariat lui-même serait le créateur. Il ne s’agit encore que d’une rupture de pamphlet, mais déjà à cent lieues de la pratique de l’Art social qui ne vit jusqu’à très tard dans l’ouvrier qu’un spectateur, extérieur au processus créatif. Par la suite, comme nous l’avons vu, le TP s’efforcera de tenir ce programme en stimulant la créativité ouvrière dans ses propres rangs et à l’extérieur, en se servant de son bulletin, Culture prolétarienne. Quant aux ruptures esthétiques, la plupart du temps elles ne sont pas prioritaires dans une mouvance qui s’intéresse avant tout au message ; ou alors, elles apparaissent dans la mesure où elles sont au service de celui-là, ou parce que la représentation de la lutte des classes le commande. Le registre scénique du Théâtre prolétarien comporte une large palette de genres, oscillant entre tradition et innovation : le poème, la pièce courte, la saynète, le chœur parlé ou mimé, la comédie, la satire, le drame, le chant172, plus rarement la danse173. Il n’y a guère que 168 Témoignage de William Jacques ; Comédie de Genève ; 06.02.1991 169 Ibidem 170 Après la disparition de L’Effort, en 1940, L’Equipage semble lui succéder, dans ses anciens locaux du 19 Rue de la Cité. 171 Entretiens avec Joseph Marbacher et Georgette Gauthey ; Le Drapeau rouge et La Lutte ; CHAMOREL Julia ; La Cellule des écoliers 172 Au sujet de la chorale du TP on relèvera cette information parue dans la revue de l’UITR : The chorus and orchestra attached to the Proletarian Theatre in Geneva are very active in spreading revolutionary songs wich they receive from the International Music Bureau. At the end of january 1934, the chorus will make a tour through some of the villages on the French border. Cf. The International Theatre… ; N° 1 ; 1934 ; p. 61 173 On sait peu de choses des Danseurs rouges du TP. Une représentation est annoncée à l’occasion d’une soirée récréative de l’UST Football, le 27.01.1934, à la Salle du Môle, mais l’activité de ce groupe reste sporadique, voire inexistante. En février 1935, Culture prolétarienne rend compte d’une tentative de le faire renaître. Il préparait, en collaboration avec la section féminine de l’UST-Ville, un tableau rythmé de la vie à l’usine, la rationalisation et les conséquences logiques de l’exploitation. Cf. CP ; N° 5 ; février 1935 ; p. 3 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
l’art de la marionnette qui manque à leur arc 174. En tant que manifestation tardive du théâtre révolutionnaire, le TP fait cohabiter son attachement aux formes traditionnelles du théâtre ouvrier (comme celle du drame) avec les techniques de l’agit-prop (principalement le chœur parlé), qui témoignent surtout de ses efforts pour coller au programme de la FTOF.
8.2. Les drames révolutionnaires
La première rupture dont s’enorgueillit le groupe s’appelle, justement, La Rupture175. Formellement, la pièce en question ne s’écarte que peu des canons du drame traditionnel : découpages en actes, personnages exemplaires : un héros, une jeune flle, son père et un traître. Ce qui est en partie nouveau, c’est son sujet historique. La pièce montre des offciers de la marine russe, qui se convertissent à la Révolution dans les jours précédant la Révolution d’Octobre. Mais le véritable intérêt de la pièce réside dans l’ajout d’un acte en forme de fresque, consacré à un personnage collectif, des matelots qui ont pris le commandement de leur navire et s’apprêtent à quitter Cronstadt pour Pétrograd. Or, c’est justement cette nouveauté que les chroniqueurs ont remarquée. Dans le Drapeau rouge, la masse des matelots est largement préférée aux d’Artagnan de la Révolution que sont les personnages principaux176. Même avis Le Travail, qui a relevé la vive impression laissée dans le public par les mouvements de foule, et les scènes collectives177. Le Théâtre prolétarien a monté deux autres pièces de facture classique écrites par l’Allemand Friedrich Wolf, un écrivain qui aime faire vibrer la corde politico-sentimentale. L’actualité brûlante et les thèses engagées de ces pièces font toutefois s’approcher le Théâtre prolétarien des exigences d’un théâtre d’agitation révolutionnaire. Poison178, c’est l’histoire d’une jeune femme tombée enceinte, vivant dans un milieu ouvrier et misérable, confrontée au marché des avortements clandestins. L’auteur de la pièce, médecin lui-même, avait été condamné par la justice pour avoir autorisé des interruptions de grossesse qui lui étaient demandées pour raisons médicales ou professionnelles. En Allemagne, il assortissait les représentations d’un prologue, d’articles de presse ou de conférences, dénonçant les mauvaises conditions sanitaires dans lesquelles se pratiquaient les avortements dans les banlieues allemandes. Son propos était d’autant plus explosif qu’il touchait au même temps à la morale et à la politique, soutenant qu’il n’y aurait pas eu de joie à donner la vie tant que l’Allemagne ne serait pas devenue soviétique (in einem freien, sozialistischen Sowjetdeutschland) 179. A Genève, la pièce ft scandale. Pour le journal de droite, Le Citoyen, le spectacle avait été plus redoutable que toute la littérature dite immorale et que tous les appels révolutionnaires de Léon Nicole 180. Mais la réaction qui mit le feu aux poudres vint du Réveil Anarchiste. Son chroniqueur reprocha au TP de glorifer béatement l’avortement et dénonça dans le spectacle un prétexte à 174 A noter, le Théâtre du Guignol de la Cité ouvrière, qui opérait dans le quartier de Vieusseux. Cf. Tr ; 23.11.35 ; p. 5 175 LAVRENIEV Boris ; La Rupture ; Paris : Bureau d’éditionss ; 1931. Première, dimanche 08.11.1931 : ScP (14ème anniversaire de la Révolution bolchévique). Autre représentation, 15.11.1931 : ScP 176 Jac ; “ A propos de La Rupture ” ; DR ; 21.11.1931 ; p. 2 177 L’Indépendant ; “ Au Théâtre prolétarien. La Rupture ” ; Tr ; 11.11.1931 ; p. 3 178 WOLF Friedrich ; Cyankali [1929] ; In Gesammelte Werke... Dramen ; Berlin : Aufbau-Verlag ; 1960 ; vol. 2. Première, samedi 30.04.1932 : ScP. Autre représentation, 12.05.1932 : ScP. (Création, Berlin, 1929 : Théâtre des jeunes acteurs) 179 WOLF Friedrich ; “ Kampf gegen den § 218 ” ; Die Linkskurve ; 3/5 ; mai 1931 ; pp. 7-10 ; In Bund Proletarisch-Revolutionäre Schriftsteller Deutschland, Die Linkskurve ; 3 ; 1931 : Francfort : Druck-VerlagsVertriebs-Kooperative ; vol. 3 180 Le Citoyen. Organe de l’Union de Défense Economique. Journal d’action nationale, politique, économique et sociale ; Genève ; 13.05.1932 ; p. 4 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
la propagande communiste, lui refusant l’étiquette d’art prolétarien181 (cf. aussi chapitre 6.3). L’action de Professeur Mannheim182 se déroule dans une ville allemande pendant la montée du nazisme, entre mars 1932 et avril 1933. Le Professeur Mannheim est un chirurgien juif et un notable allemand prestigieux, admiré pour son professionnalisme et son héroïsme lors de la Grande Guerre. Après la répression qui suit l’incendie du Reichstag, il découvre que les nazis au pouvoir représentent la ruine de son prestige social et la fn de ses idéaux libéraux. Renvoyé de son hôpital et abandonné par ses amis et la plupart de ses collaborateurs, il clame son refus de se soumettre avant de se donner la mort. Agonisant, il réalise que son fls Rolf, qu’il avait chassé de la maison en raison de son engagement communiste, représente l’autre chemin à suivre pour continuer la lutte. Lors de sa création à Zurich, en 1934 (de nombreux intellectuels allemands avaient pris le chemin de l’exil), la pièce avait provoqué des manifestations de frontistes d’extrême droite. A Genève, en 1935, la représentation se passe sans incident, et rencontre même avec un certain succès, car le Théâtre prolétarien la reprend ensuite, à Carouge et à Lausanne. Ici, comme dans Poison, ce sont des personnages exemplaires qui assument la représentation des classes et des idéologies. Le groupe genevois choisit de mettre en exergue, la fgure du jeune ouvrier communiste, Karl, un rôle secondaire, qui illustre de façon simple et poignante le travail illégal et la volonté de lutte du prolétariat 183. Mais ce parti pris est aussi risqué qu’il est un signe du temps. En effet, au milieu des années trente, l’ouvrier est le nouveau héros positif. Produit intermédiaire d’un processus qui va du joug à la libération de la classe ouvrière, il n’est plus seulement représentatif du prolétariat ; il est aussi investi de la mission de préserver la démocratie, en incarnant la lutte contre le fascisme184. Or, focaliser l’attention sur l’ouvrier Karl, dans une démarche inverse à celle qui mettait en évidence la masse de matelots de La Rupture, revient à renvoyer au public, majoritairement ouvrier, une image idéale de lui-même, qui sera jugée – ainsi qu’il convient pour un groupe comme le TP – en fonction de son adéquation aux besoins du moment. Le spectacle passe inaperçu dans Le Travail, mais La Lutte lui consacre un long article où l’ouvrier est au centre de l’analyse. Conception de l’auteur, manière du traducteur ou tenue de l’acteur, nous ne savons, peut-être un peu de tout, mais la présentation de l’ouvrier communiste est en dessous de tout. Il est pourtant censé conquérir la salle comme le communisme en fn de compte conquiert Mannheim. Voyons donc. L’ouvrier en question vit la pire des terreurs, il se présente dans une famille qu’il sait bourgeoise, il doit en obtenir sinon la sympathie du moins la neutralité. Et nous le voyons arriver sur la scène traînant ses savates et gazouillant l’argot à la manière de l’escarpe des fortifs. Sa tenue sera ainsi tout au long de l’action et, pour un peu, il irait d’une tape sans gêne à l’adresse de la flle de la maison. Ca fait prolo évidemment, mais du plus mauvais, de celui que personne ne veut, ni ne peut admettre. Ce n’est en tout cas pas l’ouvrier communiste qui a les manières rudes de son milieu, mais pas celles du milieu [sic.]. Il y a là une nuance d’importance185.
En inversant les propositions, on se rend compte que le modèle attendu est celui de l’ “ honnête homme ” : démarche correcte, langage soigné, séduisant, sans jouer les séducteurs. Ouvrier, oui, mais pas “ prolo ”. Malheureusement, il n’y pas eu d’autres comptes-rendus du 181 M. M. [MAILLARD Marcel] ; “ Poison ” ; RA ; 14.05.1932 182 WOLF Friedrich ; Professeur Mamlock. Pièce en 4 actes [1934]. Précédé de Un Mamlock ? Douze millions de Mamlock ! ; Paris : Les Editeurs français réunis ; 1977.– Première, samedi 28.09.1935 : ScP. Autres représentations, 23.11.1935 : Carouge (soirée de la section carougeoise du PSG) ; 13.12.1935 : Lausanne (Maison du Peuple). (Création, Zurich, 1934 : Zürcher Schauspielhaus) 183 “ Analyse du Professeur Mannheim de F. Wolf ” ; CP ; N° 7 ; septembre 1935 ; p. 9 184 Nous ne sommes pas loin du modèle d’ouvrier, que décrit Gérard Noiriel : gars en casquette, sympathique, courageux, tendre, coléreux, un peu brutal personnifé par Jean Gabin dans La Belle équipe, de Julien Duvivier (1936). Cf. Les ouvriers dans la société française. XIXe – XXe siècle ; Paris : Seuil ; 1986 ; p. 193 185 Tillet [Etienne Lentillon] ; “ Professeur Mannheim ” ; Lt ; 12.10.1935 ; p. 4 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
spectacle. Il aurait été intéressant de savoir si le personnage avait évolué dans le “ bon ” sens, dans les représentations suivantes.
8.3. La période agit-prop du Théâtre prolétarien (1931-1936) Cinq ans séparent La Rupture du Professeur Mannheim. Dans l’intervalle, le Théâtre prolétarien avait annoncé sa volonté de se convertir à l’agit-prop, et notamment à la pratique des chœurs parlés. La FTOF, qui avait fait de cette forme son cheval de bataille dans sa croisade pour l’“ agitpropisation ”, s’était empressée de s’en réjouir, y voyant un pas vers l’évolution politique du groupe186. Il s’avère que le TP a combiné, pendant ces années, formes dramatiques traditionnelles et agit-prop187. Cela est probablement dû au fait que ce dernier ne doit d’avoir été implanté en France que par une volonté politique expresse (cf. chapitre 4.1). Le Théâtre prolétarien ne s’y rallie donc que progressivement, à travers une phase d’apprentissage qui ne s’achèvera qu’avec l’abandon pur et simple de ses expressions par ceux-là même qui l’avaient importé en France. Mais, comme nous le verrons, il se pourrait aussi que l’apprentissage de l’agit-prop ait commencé dans la pratique de ses formes en dehors de l’activité théâtrale du groupe, dans les manifestations de rue. Comme nous l’avons précisé dans un chapitre précédent, l’agit-prop est un genre scénique qui sacrife la forme au message (cf. chapitre 3.1). Les troupes d’agit-prop font feu de tout bois, mélangeant les techniques, passant de l’une à l’autre, sans s’embarrasser de conventions. Seul importe que le message soit reçu clairement par le public visé, dans une perspective d’action politique. D’où le recours à des formes d’expressions populaires, telles que le cirque, la pantomime ou le cabaret. Devant être souples et mobiles, pour des raisons pratiques et de sécurité, les troupes d’agit-prop ont souvent préféré les genres brefs, tels que les pièces en un acte ou, plus bref encore, les saynètes. Dans son apprentissage de l’agit-prop, le TP s’est servi le plus souvent dans le répertoire de la FTOF, diffusé par La Scène ouvrière : Jean Dorval, Démocratie, tu n’es qu’un mot ! 188 ; Walter Troppenz, Le Ver rongeur (1931) ; L’Appareil photographique (1934)189. A propos de cette petite pièce comique, William Jacques se souvenait, en février 1991 : Il y avait une pièce qui s’appelait L’Appareil photographique et qui servait dans toutes les fêtes ouvrières, que ce soit chez des gymnastes, des chorales, des footballeurs. On jouait cette petite pièce, qui changeait constamment de thème. C’est-à-dire qu’on mettait dans l’appareil... On disait qu’on allait photographier untel, qui était un leader de la droite et on sortait un poisson pourri, des choses comme ça. Ca n’allait pas très loin, mais ça amusait beaucoup les gens de voir les leaders qui n’étaient pas de la gauche, être représentés de manière un peu insultante, il faut le dire 190.
Mais l’agit-prop surgit parfois spontanément, en dehors du théâtre, comme une expression liée aux exigences de la lutte politique et sociale. Tel est le cas d’une action d’agitation sans précédent qui, à notre connaissance, ne fut pas reprise par la suite. Au cours de l’Escalade de 186 SO ; N° 12 ; 1931 ; p. 22 187 Ce statut hétérogène du Théâtre prolétarien avait déjà été relevé par Béatrice Perregaux, lors du débat sur le TP à la Comédie de Genève (06.02.1991). 188 Cette pièce est reproduite In Le Théâtre d’agit-prop... ; t. 4 ; pp. 165-171. Jouée à la fn d’avril 1931 par le TP, elle avait été publiée dans le numéro de février 1931 de la SO. 189 A cette liste il faut encore ajouter Asie, de Paul Vaillant-Couturier. Cf. VAILLANT-COUTURIER Paul ; Trois Conscrits. Le Monstre. Asie ; Paris : Bureau d’éditionss ; 1929 ; pp. 36-45 (série “ Théâtre prolétarien ”). Ces trois pièces d’agitation étaient précédées d’une préface avec de brefs conseils pour leur montage. 190 Témoignage de William Jacques ; La Comédie ; Genève ; 06.02.1991 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
décembre 1931, une trentaine de jeunes anarchistes, socialistes et communistes organisent un cortège antimilitariste. Proftant de l’autorisation exceptionnelle donnée ce jour-là à Genève pour se déguiser, ils parcourent les rues du centre-ville affublés de masques à gaz et distribuent aux passants un tract sur les gaz asphyxiants (Les gazés vous parlent...), qui vante les mérites d’une société où la question de la beauté ou de la laideur ne se poserait plus car tout le monde porterait un masque sur le visage. L’initiative de cette action provenait du militant anarchiste Lucien Tronchet et à ses amis du groupe Le Réveil. Si le Théâtre prolétarien n’était pas à l’origine de la manifestation, certains de ses membres, comme JeanJacques Piguet, y jouèrent un rôle central. Voici un extrait du compte-rendu de cette manifestation, parue dans le journal socialiste Le Travail Un cortège d’une trentaine de masqués, suivis d’une centaine de manifestants s’est donc formé. En tête on lisait cette pancarte : Tanks, canons, mitrailleuses, cuirassés, etc. ne sont que des antiquités. Voici la suite : Là s’intercalaient cinq porteurs de lance-gaz (appareils à sulfater aimablement confés par nos camarades vignerons). Puis, sous la pancarte l’Ordre (sous-entendu capitaliste), un couple de mariés portant le masque à gaz ; puis une mère et son nourrisson portant eux aussi le masque. Derrière suivait le pouvoir politique avec ses recommandations sur l’hygiène, la justice, la paix sociale, etc. Un banquier voleur (il y en a de nos jours), la presse prostituée (parlez-en à Fabre191), la protection des animaux et enfn cette nouvelle devise lancée par notre grand ministre de la guerre, M. Minger : Un masque pour tous, Tous pour un masque ! Egalité ! Fraternité ! Le résultat de cette magnifque civilisation était indiqué par une tête de mort. Le cortège à déflé sans encombre dans les rues basses. Au Molard192, le discours de circonstance à été prononcé par J.[ean]-J.[acques] Piguet, président de la JS. Une centaine d’auditeurs l’entendirent, malgré la bise, avec un certain plaisir. Ca nous changeait des ordinaires “ fadaises ” de l’Escalade193.
Ce genre d’action, qui consiste à détourner sur un ton carnavalesque l’esprit d’une commémoration patriotique offcielle est, avec le journal scénique et la technique du chœur parlé, l’une des manifestations les plus courantes de l’agit-prop.
8.4. Les chœurs parlés, de la rue au théâtre Il semble que le TP ne fasse ses premiers pas dans la forme du chœur parlé qu’en avril 1932, pendant l’entracte de Poison. Le Réveil anarchiste, qui avait des raisons d’en vouloir à cette soirée strictement communiste n’apprécia guère la nouveauté : l’entr’acte fut agrémenté, si j’ose m’exprimer ainsi, de la déblatération impressionnante et machinale d’un credo communiste assez mal scandé et qui nous rappela furieusement, par son automatisme ennuyeux et son manque d’originalité, la cérémonie du “ renouvellement des promesses du baptême ” que nous imposait l’église catholique lors de notre première communion194.
Si le TP inaugure les chœurs parlés sur la scène théâtrale genevoise, ce n’était pas vraiment une première. Le Parti communiste avait déjà introduit cette forme d’agitation pour ses propres manifestations. Le PC s’est parfois efforcé de compenser sa faiblesse numérique en 191 Eugène Fabre, directeur du journal genevois de droite, La Suisse 192 Le discours à été lu par la suite au bas de la rue de la Cité (devant la fontaine) et au pied du Sacré-Cœur. 193 Tr. ; 14.12.31 ; p. 4 ; cf. aussi RA ; 26.12.31 ; p. 4 et DR ; 19.12.1931 ; p. 3 194 M. M. : [MAILLARD Marcel] ; “ Poison ” ; RA ; 14.05.1932 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
cherchant à rendre plus effcaces et vivantes ses actions de propagande. En témoignent les nombreux journaux d’usine et publications éphémères, de même que la propagande de porte à porte dans les quartiers. Parmi les techniques nouvelles, celle des chœurs parlés est vraisemblablement introduite à l’occasion de la Journée internationale contre la guerre, autour du Premier Août 1931195, dans des conditions particulièrement ardues. En effet, cette journée, lancée par l’Internationale communiste, coïncidait avec la fête nationale suisse et elle a été perçue par la bourgeoisie comme une provocation insupportable. Pour exécuter les chœurs parlés, les militants devaient former des groupes compacts et scander en chœur des slogans de circonstance, à des endroits névralgiques196. Si la plupart du temps, le but de ces chœurs parlés est d’appeler les passants à se rassembler en de petits meetings autour du groupe, il semblerait qu’on les scandait parfois tout en se déplaçant, ainsi qu’en témoigne un rapport de surveillance de la police197. Il est vrai que certaines des ces manifestations n’avaient pas d’autre ambition que d’annoncer un événement à venir, à la manière d’une affche vivante : 1) Contre l’exploitation des jeunes travailleurs 2) Contre le chômage et la baisse des salaires 1) Pour la défense de l’Union Soviétique E) Manifestez le 5 septembre 2) Journée internationale des jeunes E) Place St Gervaix [sic] à 21 heures E) Travailleurs alerte ou debout 1) L’Union Soviétique est en danger 2) Vos salaires sont menacés 1) Journée internationale des jeunes E) Place St Gervaix à 21 heures 1) Les voleurs sont en liberté 2) Les jeunes travailleurs ou ouvriers sont en prison pour avoir lutté contre la guerre E) Manifestez le 5 septembre E) Journée internationale des jeunes E) Place St Gervaix à 21 heures198
Que ce soit au théâtre ou dans la rue, le chœur parlé a ceci de spécifque qu’il interpelle directement le public, sans intermédiaire d’aucune sorte, attendant de lui une action concrète. C’est ce qui en fait l’une des formes d’agitation préférées. Au théâtre, il facilite la rupture spatiale, permettant d’abolir la séparation entre l’acteur et le spectateur, l’une des clés de l’illusion théâtrale. Dans un souci d’effcacité maximale, le message du chœur parlé et sa structure doivent être simples à saisir. Contrairement au théâtre conventionnel, il n’y a pas de personnage. Sa fonction est plus proche du manifeste stylisé que d’une narration mise en dialogue. Il implique de ses participants qu’ils énoncent de manière “ uniphonique ” le sujet, 195 MPC : Lettre du PC, Genève, au Comité central du PCS ; 29.07.1931 (E 4320 (B) -/1 ; vol. 28) 196 Lors d’une journée d’action, le 13 février 1932, les endroits suivants avaient été retenus : Carouge (Place d’Armes), Pâquis (Place Dorcière), St-Gervais (Place St-Gervais), Jonction (Pont-sous-Terre), Plainpalais (Rond-Point de Plainpalais). Cf. AJHD : Plan de travail pour la préparation de la manifestation du 13 II 32 (Doc. N° 1835) 197 MPC : [Rapport du] DJP [Genève], Service de la Sûreté ; 21.07.1932 : [...] certifons et signalons que les communistes ont commencé la propagande pour le Premier Août. Mercredi et Jeudi des groupes ont parcouru les quartiers de la Jonction et des Grottes en manifestant (chœurs parlés) (E 4320 (B) -/1 ; vol. 10) 198 MPC : [Rapport du] DJP [Genève], Service de la Sûreté ; 25.08.1931 (E 4320 (B) -/1 ; vol. 12). Il s’agit d’un chœur parlé répété par vingt-cinq membres de la Garde ouvrière. Les chiffres 1) et 2) renvoient à deux groupes de voix ; la lettre E indique les passages qui doivent être dits en simultané par les deux groupes. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
l’argumentation et le programme qui en découle199. Toutefois, le texte et le groupe peuvent être scindés pour créer des effets et souligner certains passages, comme l’indique notre exemple ci-dessus. Il est certes diffcile d’apprécier l’effcacité réelle que les chœurs parlés ont pu avoir dans les manifestations de rue ; les quelques rapports de police qui en font état témoignent qu’ils ont au moins dû susciter la curiosité. Joseph Marbacher se souvient d’avoir participé à des chœurs parlés dans les rues de Genève, en compagnie de Blanche Meyer et sa flle, Marcelle Taralle : Des gens nous jetaient des sous, d’autres des pierres 200. Pour le Théâtre prolétarien, adopter la ligne agit-prop de la FTOF, c’est aussi se lancer dans la création de pièces en prise directe avec les luttes locales. Nous ignorons si le groupe se produisait en tant que tel à la sortie des usines, pendant les grèves ou les manifestations de rue ; en revanche, il a créé un chœur parlé en hommage aux victimes de la fusillade de Plainpalais201, et deux autres, en solidarité avec les ouvriers du bâtiment en grève202 (Coups de pioche203 et Les Gars du bâtiment204). Certains chœurs parlés de théâtre peuvent atteindre une grande complexité dramatique. Celui dont nous présentons ci-dessous un extrait, comporte des parties qui affnent considérablement le schéma de base ; par exemple, l’apparition sur scène d’un personnage de capitaliste qui fait face au chœur, ou encore des inserts ironiques, qui ont pu être traités par de brefs sketchs, des scènes mimées ou illustrées, commentées par une voix soliste. Ch
50 millions – 50 millions de sans travail.
Un camarade s’avance
Les avez-vous, Messieurs les entrepreneurs ! Larges et gros comme des tourelles. Ils s’assoient à table les mâchoires pleines : et nous mangent nos salaires et boivent comme des trous. A la vôtre, Monsieur le directeur !
Ch
Ils laissent vivre notre mort205
8.5. Une indigestion d’agit-prop
199 Par opposition à “ polyphonique ”, qui implique la solidarité du singulier dans la construction plurielle de la
représentation. Dans l’uniphonie, le pluriel joue le singulier. Cf. BURGER Marcel ; Reconstruction d'une identité collective : jeux et enjeux des manifestes ; 18.05.2000 ; Louvain-la-Neuve ; UCL : Action de recherche concertée (ARC) "Langue(s) et identité(s) collective(s)" (Compte rendu par Aude Bretegnier). [Texte sur la toile :] http://valibel.ftr.ucl.ac.be/arc/seminairesarc4.htm 200 Entretien avec Joseph Marbacher ; St-Antoni (FR) ; 27.01.2001 201 Création, vendredi 17.02.1933 : Victoria-Hall (“ Concert au bénéfce intégral des victimes de la fusillade du 9 novembre ”). Autre représentation, dimanche 18.06.1933 : Stade de Frontenex (Fête du Cartel des sociétés ouvrières) 202 Entre 1934 et 1935, plusieurs grèves importantes sont organisées par les syndicalistes de la FOBB, dirigée par Lucien Tronchet. Cf. GROUNAUER Madeleine ; La Genève rouge... ; p. 205 203 Création, mardi 20.02.1934 : ScP 204 Création, dimanche 05.04.1936 : ScP (Festival de La Lutte). Nous n’avons pas encore retrouvé les textes de ces chœurs parlés. A cette liste, il faut encore ajouter une saynète, écrite à partir d’un texte de Friedrich Engels, consacré à la Suisse (création, dimanche 02.04.1933 : ScP). Sous toute réserve, nous mettons également à l’actif du TP, la revue satyrique Monsieur Dufour sent que ça ne va plus (dimanche 30.04.1933 : ScP) 205 BECHER Johannes Robert ; 50 millions ; SO ; N° 6 ; juin 1931 ; pp. 27-29. Le TP a joué un chœur parlé du même titre, écrit par Henry Sachs. Première, samedi 28.04.1934 : ScP. Autres représentations 29 et 30.04.1934 : ScP ; 26-28.10.1934 : ScP (Festival de La Lyre et de l’Ecole sociale de musique). \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Le spectacle Qui veut la guerre ? 206 a tout de la synthèse de genre. Tous les éléments de l’agitprop semblent réunis en un seul ensemble. Le spectacle avait d’ailleurs été annoncé comme un moment important, près d’un mois avant les premières représentations. Il se présentait comme un montage de tableaux courts, enchaînés à une grande vitesse, comme dans les journaux scéniques des années vingt en URSS. Les chroniqueurs de l’époque le comparèrent, en bien ou en mal, au cinéma. Les acteurs descendaient dans la salle, interpellant le public sur les thèmes développés sur la scène ; ils interrompaient la représentation pour en commenter le cours et en discuter avec des spectateurs. Des projections d’actualités, des écriteaux informatifs, des statistiques sur les bénéfces de l’industrie des canons, sur le chômage, des jeux de lumières, qui parfois balayaient la salle. Des ombres chinoises faisaient le lien entre les sketchs et les nombreux chœurs parlés et chantés. De simples objets caractéristiques transportaient l’action à la Société des Nations, en Allemagne, en Italie, en Chine, en Espagne ou encore, dans le passé, à la veille de la Grande Guerre et pendant la Révolution d’Octobre, résumant en un temps record les grands enjeux des vingt années écoulées. Cette fresque impressionnante était à double tranchant. Cela ressemble à un feu d’artifce d’agit-prop qui paraît se suffre à lui-même, ce qui inverse les priorités : la forme devait se soumettre au message et non l’inverse. De plus, nous sommes déjà en 1935 et, en Occident, l’agit-prop est en nette perte de vitesse. Si le spectacle semble avoir conquis le public, les commentaires de la presse furent plus réservés. Dans La Lutte, Jean Vincent trouva le propos trop orthodoxe et sentencieux, alors que Jean-Jacques Piguet ft remarquer, dans Le Travail, que si les militants avaient dû être comblés, il n’en avait certainement pas été de même pour le profane, celui qu’il faut convaincre207. Piguet en profta pour manifester sa lassitude des chœurs parlés : on me semble avoir un penchant trop marqué pour le chœur parlé, qui reste, en dépit de la perfection atteinte dans ce genre par le Théâtre prolétarien, quelque chose de peu agréable à nos oreilles latines. D’ailleurs, l’insistance de l’article de La Lutte sur certaines caractéristiques scéniques propres de l’agit-prop, cache mal une sorte d’indigestion : on devrait veiller avec plus de soin à éliminer tout détail superfu [...] tout manque de mesure dans la satire208. Sans s’accorder, les critiques socialiste et communiste prennent leurs distances avec un genre d’agitation politique offensif, qui avait fait de l’outrance sa force, mais qui n’est plus en phase avec une étape de la lutte politique où l’on cherche à sortir des schémas manichéens pour favoriser le compromis. Il y a une certaine similitude entre la critique de Qui veut la guerre ? et celle de l’ouvrier Karl, mentionné plus haut. On reproche au TP de surcharger, de forcer le trait ; en deux mots, de manquer de réalisme. Pour le Théâtre prolétarien, le temps est venu de se poser la question de sa raison d’être dans un nouveau temps.
8.6. Vers la “ culture populaire ” L’année 1935 est celle des remises en questions. Le Théâtre prolétarien cherche à élargir au front artistique les grandes manœuvres qui ont lieu par ailleurs en vue d’aboutir à un front populaire. Cette évolution implique des concessions d’ordre esthétique et politique. Le motclé de cette période, répété inlassablement depuis le congrès de la FTOF de 1934, est 206 ARMA Paul (mus.), JASCHECK (texte) ; Qui veut la guerre ? Première, samedi 16.02.1935 : ScP. Autres représentations, 17.02.1935 : ScP ; 23.02.1935 : ScP ; 12-14.04.1935 : ScP (Festival des chômeurs) 207 V. [Jean Vincent] ; “ Au Théâtre prolétarien Qui veut la guerre ” ; Lt ; 16.02.1935 ; p. 6. j.-j. p. [Jean-Jacques Piguet] ; “ Une représentation du Théâtre prolétarien. Qui veut la guerre ? ” ; Tr ; 19.02.35 ; p. 4 208 Qui veut la guerre ? valut au TP l’ouverture d’une instruction auprès de la justice militaire, en raison de l’utilisation indue de casques en dehors du service de l’armée. Nous n’avons pas trouvé de trace de cette affaire. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
“ qualifcation ”. A l’artiste révolutionnaire, armé de sa seule conviction, succède l’artiste tout court, soucieux d’expression, d’élocution, de mise en scène. Au sein du TP, le collectif cède la place au “ right man in the right place ”, avec des responsabilités distribuées dans le groupe en fonction d’une hiérarchie des connaissances et de la maîtrise de l’art dramatique. Le propos est clairement de céder du terrain au théâtre d’art et de divertissement pour gagner les professionnels au front antifasciste, mais aussi pour élargir son public : comme chez l’artiste, le même état d’hésitation pour ne pas dire d’hostilité se prolongera aussi chez le spectateur tant que nous continuerons à lui parler un langage inférieur à son degré de culture, tant que nous ne l’aurons pas au moins neutralisé par la forme 209. Dernier baroud ironique des partisans du contenu, avant de déposer les armes au pied de l’illusion théâtrale ? On devine que les nouveaux enjeux de la lutte exigent des choix douloureux, dont celui du passage au professionnalisme ne sera pas le plus simple à engager. Il reste pourtant à faire le pas politique qui confrmera le changement de cap du groupe : Nous sommes prêts à renoncer à ce qu’il peut y avoir de restrictif dans le titre de “ prolétarien ” qui est encore le nôtre. Le pas attendu est en réalité un bond, dont on peut mesurer la diffculté de l’assumer au fait qu’il s’entoure, comme pour en atténuer la brutalité, de la réaffrmation fervente des vieilles litanies de Kharkov (le théâtre, instrument aiguisé aux mains du prolétariat militant). Faut-il y voir un dernier exorcisme, avant de tourner la page ? En acceptant la formule du théâtre populaire, le Théâtre prolétarien se prépare à abandonner, non seulement l’étiquette, mais aussi le contenu qui avait distingué le groupe pendant près de six ans210.
209 T. O. [Théo Roth ?] ; “ Décade de l’UITR – 15 au 25 février 1935 ” ; CP ; N° 5 ; février 1935 ; pp. 1-2. Annexe VI 210 T. R. [Théo Roth ?] ; “ Théâtre prolétarien ou théâtre populaire ? ” ; CP ; N° 7 ; septembre 1935 ; pp. 1-2. Annexe VII \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Retracer les grandes étapes de la vie du Théâtre prolétarien implique le choix diffcile de la sélection. Les informations que nous ramassons ici montrent que l’échantillon qui a servi à notre analyse est loin de faire le tour de son histoire et incite à la modestie. Le dépouillement de la presse genevoise a permis d’identifer, de 1930 à 1936, 77 manifestations ouvrières auxquelles le Théâtre prolétarien a prêté son concours, soit, environ, un événement chaque mois, faisant du groupe l’une des principales sociétés ouvrières genevoises. Ce palmarès nous incite à croire que le TP fait partie, à la veille du Front populaire, de la quarantaine de troupes parmi les plus actives de la FTOF 211. Son rayonnement dépasse les frontières genevoises. Outre Lausanne, Bienne, et d’autres villes romandes, on peut voir les comédiens du TP à Annemasse, Thonon ou Lyon212. A Lausanne, Vevey et Annemasse, le TP suscite ou soutient l’émergence d’expériences semblables (notamment à Lausanne, le Théâtre prolétarien et la Muse Rouge). Il faut aussi rappeler l’importance de la revue Culture prolétarienne, dont au moins sept numéros furent publiés de 1933 à 1935. Rien qu’à Genève, l’activité du Théâtre prolétarien fut telle que se constituèrent à partir de ses propres rangs, le plus souvent ponctuellement, un orchestre, une chorale, ou une troupe de Danseurs rouges. Parmi les extensions du TP, une histoire à part devrait retracer la carrière des duettistes Jack et Hermann (William Jacques et Hermann Leiffel). Avec leur répertoire de chansons révolutionnaires, ils accompagnent l’expérience du groupe jusqu’à la fn des années trente, devenant une valeur sûre des soirées ouvrières. Le milieu des années trente est une époque de remise en question pour la galaxie de gauche. Du point de vue des dirigeants communistes, le Front populaire est sans doute une tactique de plus dans la stratégie de l’Internationale. Mais il représente bien plus que cela pour les militants qui avaient construit leur idéal dans la croyance en la lutte frontale des classes irréconciliables. Le Théâtre prolétarien, dont l’identité s’était forgée dans ce contexte de radicalité politique, aurait pu en rester là. Pourtant, il ne fuit pas l’examen de passage et semble même le réussir. Le groupe réapparaît en scène, en mai 1936, sous un autre nom, sous d’autres traits, dans une autre histoire.
211 Cf. ORY Pascal ; La Belle Illusion... ; p. 349 212 Témoignage de William Jacques ; La Comédie ; Genève ; 06.02.1991 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Deuxième partie. L’Effort. Section genevoise de la Fédération romande des théâtres d’art populaire (1936 – 1940) la défense de la culture, l’indivisibilité de ses défenseurs et l’indivisibilité de la culture Louis Aragon (1936)
Près de huit mois seront nécessaires pour que les remises en question de septembre 1935 se réalisent dans les faits, mais le tournant sera radical, dans le propos, comme dans le langage. Le caractère révolutionnaire du Théâtre prolétarien disparaît totalement de l’activité publique du nouveau groupe L’Effort. Sous sa nouvelle identité, le désormais ex TP se propose de poser à Genève les fondements d’un Théâtre du Peuple, qui se nourrira aussi bien de l’héritage du passé que des courants agissants de la pensée contemporaine. La mission du théâtre – nous dit L’Effort – c’est d’être un instrument de progrès vers une société plus équitable et plus harmonieuse. Il préconise la collaboration entre amateurs et professionnels, écrivains, musiciens, peintres et metteurs en scène sensibles aux problèmes urgents et [aux] aspirations profondes des masses213. Ces préoccupations se concrétisent, dans les efforts du groupe pour gagner à sa cause les intellectuels genevois proches de la mouvance socialiste, et dans la participation du groupe à des spectacles de masse, dont la fonction première est de cristalliser dans l’opinion l’identité encore fraîche de la gauche réunifée. Dans les prochains chapitres, nous nous intéresserons à certains spectacles de L’Effort et à ceux auxquels il a apporté une contribution active. Les spectacles de masse retiendront particulièrement notre attention. Notre but est de les éclairer à la lumière des questions dominantes du mouvement ouvrier de la fn des années trente. Enfn, la représentation par L’Effort de la pièce Les Fils de Madame Carrar fera l’objet d’une analyse à part. Elle représente la fn d’un parcours atypique sur les scènes genevoises, mais aussi le sommet d’un travail théâtral qui s’est affrmé au cours des dernières années de l’existence du groupe. Nous avons cru reconnaître dans l’adaptation de la pièce, des signes d’un engagement de L’Effort dans une direction autonome, spécifque à l’art théâtral, qui met également à proft les acquis de son ancienne période prolétarienne.
213 ATR : Lettre circulaire de L’Effort. Section genevoise de la Fédération romande des théâtres d’art Populaire ; s. d. [avril-mai 1936]. Annexe VIII \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
9. L’unité retrouvée de la gauche genevoise (1936-1939) Quelques événements politiques et culturels ont lieu autour de l’année 1936, qui aident à comprendre le nouveau visage de la petite troupe genevoise. Le Sixième Congrès du Parti communiste suisse, qui se tient à Zurich les 30 mai et Premier juin 1936, représente un tournant. Premier congrès depuis six ans, il ratife les conclusions du Septième Congrès mondial de l’Internationale communiste, principalement l’adoption de la tactique dite du “ Front populaire ” (FP). Les communistes s’efforcent de tirer les leçons de l’échec des ruptures passées et espèrent réunir les ouvriers, les intellectuels et la classe moyenne dans un vaste front antifasciste, autour de revendications plus œcuméniques que dans la première moitié des années trente (un exemple parmi d’autres, la protection des petits épargnants). Des mots nouveaux, empreints de patriotisme et de démocratie, font leur entrée dans la rhétorique du parti : “ peuple suisse ”, “ indépendance ” et “ unité du pays ”, “ autonomie cantonale ”, “ défense du pain et des libertés du peuple ”, “ libertés démocratiques ”. Faisant une entorse au centralisme, le PC semble prêt à reconnaître l’importance de la diversité des circonstances locales dans l’application de la politique communiste214. Le congrès se tient dans un climat optimiste. De nouvelles sections avaient été créées entre temps ; le PCS avait enregistré quelques succès électoraux, et des actions en commun avec les socialistes avaient déjà pu être réalisées. Par la suite, les efforts du PCS en vue de s’intégrer à la démocratie suisse (par exemple, la tentative de se joindre au Mouvement des Lignes directrices), vont se heurter à l’intransigeance socialiste. Les dirigeants du PSS réclameront la dissolution pure et simple du Parti communiste et le retour de ses militants dans leur giron215. La position du PSS est d’autant plus confortable que le FP contraint les communistes à renoncer à une grande partie de leur spécifcité, qu’elle soit politique216 ou formelle, comme nous l’avons vu pour le langage. Quant aux communistes genevois, ils peuvent enfn souffer. Accusés dans le passé de manquer d’entrain dans la croisade contre les “ social-traîtres ”, ils avaient longtemps été parmi les principaux visés par la chasse aux déviations que menait la direction du Parti217. Ils sont désormais la section du PC la plus avancée sur le terrain de l’unité avec les socialistes. Depuis le début 1935, le PSG et le PC se montraient ensemble, de plus en plus souvent 218 et, dans cette phase de rapprochement, le Théâtre prolétarien n’était jamais vraiment loin, jouant son rôle d’organisation de masse, dans la mise en œuvre de la tactique du FP. En février, le spectacle Qui veut la Guerre ? avait coïncidé avec la formation d’un comité de soutien socialiste au référendum communiste contre la révision des lois militaires. A l’occasion d’un rassemblement contre la guerre en Abyssinie, le Théâtre prolétarien fgurait sur l’affche parmi les organisateurs. Après l’interdiction du PC à Genève, en juin 1937, l’entrée des communistes dans le Parti socialiste genevois se fait sans encombre, à la suite d’une brève phase de clandestinité. Le retour des communistes apparaît à la majorité des socialistes comme l’achèvement d’un processus d’unité et de fusion, commencé dès le congrès 214 “ Le Sixième Congrès du Parti communiste suisse (J. Humbert-Droz) : Deuxième projet de résolution politique ” ; Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 ; Doc. N° 729. Le champion de ce nouveau langage du peuple, est le PC français, montré en exemple par la direction de l’IC. Cf. FISCHER E. ; “ Plus d’agitation, plus de propagande encore ! ” ; L’Internationale Communiste. Organe mensuel du Comité exécutif de l’Internationale Communiste ; N° 5 ; mai 1936 ; Paris : Bureau d’éditionss ; 1936 ; pp. 618-627. 215 Cf. STUDER Brigitte ; Un parti sous infuence... ; pp. 115-116 216 Ibidem ; cf. aussi Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 ; p. 23 217 “ Le Parti communiste de Genève : Procès-verbal d’une réunion de section [Genève, début 1936] ” ; Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 ; Doc. N° 728 218 Le 8 septembre 1935, au cours d’une assemblée commune, Jean Vincent promet au nom de l’unité antifasciste, l’appui total du PC au gouvernement de Nicole. Le pacte d’unité des Jeunesses, en septembre 1935, est le premier pas offciel vers l’unité jusqu’à la liste commune, sous l’étiquette “ socialiste ”, aux élections cantonales de l’automne 1936. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
d’Amsterdam, en été 1932 219. La poursuite d’un éventuel travail communiste clandestin, dans les rangs du PSG, ne peut malheureusement pas faire ici l’objet d’une analyse exhaustive, bien qu’elle nous paraisse essentielle pour mesurer les conditions de l’évolution ultérieure des organisations de masses communistes et, en particulier, de l’ancien TP.
219 JEANNERET Pierre ; Léon Nicole et la scission... ; p. 132 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
10. Ramener la culture au peuple. L’Union des Théâtres indépendants de France (Paris, 1936) Davantage que les événements qui avaient abouti au réalisme socialiste (cf. chapitre 2.4), le Théâtre prolétarien genevois est directement concerné par la réforme de son organisation faîtière, la Fédération du théâtre ouvrier de France (FTOF), qui devient en 1936, l’Union des Théâtres indépendants de France (UTIF). Le congrès de fondation de cette organisation, tenu à Paris, du 11 au 13 avril 1936, fut en effet le quatrième et dernier de la Fédération des Théâtres ouvriers220. La liste des dirigeants de l’UTIF est symptomatique de la réconciliation des intellectuels autour du Front populaire. On y trouve, aux côtés des personnalités engagées dans le théâtre révolutionnaire (Léon Moussinac et René Moulaert, Jean-Paul Dreyfus, Tony Gregory), les fgures du théâtre professionnel d’avant-garde (Ludmilla Pitoëff, Gaston Baty, Charles Dullin, Louis Jouvet)221. La défense de la culture222, en tant que synthèse de la lutte pour la défense de la paix et l’humanisme, est le thème dominant du congrès de l’UTIF. L’avancée du fascisme, le souvenir du bûcher des livres en Allemagne suscitent dans les milieux proches du Front populaire un élan démocratique, patriotique, quasi providentiel, quant au rôle de la France face à la menace brune. De la tribune du congrès, Louis Aragon en appelle à la jonction du peuple et des artistes, lesquels ne séparent plus leur cause, celle de la culture, de celle du peuple où la culture plonge ses racines maîtresses. Cette alliance implique à son tour, pour le théâtre ouvrier, d’abandonner l’esthétique de la table rase, cette négation superbe d’hier, qui caractérisait la culture prolétarienne, et de revenir au fameux héritage du passé, compris ici dans son sens de culture “ savante ” et de culture “ populaire ”. Eschyle, Shakespeare, Calderon, Molière, Goldoni, Beaumarchais côtoient désormais les foires populaires, le Guignol des canuts lyonnais, les traditions populaires des provinces et des métiers. Et Aragon de stigmatiser par la même occasion les pièces rénéotypées et passe-partout de la période agit-prop : Souvent un répertoire traduit de l’allemand ou du russe, plus ou moins adapté. Un répertoire émondé, dépouillé de toute chair vivante, désexué, sans lien avec la réalité de ceux à qui il s’adresse. Un répertoire mécanisé, standardisé 223. Le propos peut paraître un peu abrupt, voire méprisant, à l’égard du travail réalisé par les troupes d’ouvriers de la FTOF depuis plus de cinq ans. Ce n’est, en réalité, que le coup de grâce.
220 En 1935, La FTOF annonce près de 170 troupes adhérentes. Pascal Ory estime leur nombre à environ 150, dont une quarantaine de groupes permanents et une dizaine dont la renommée dépasse la cadre restreint des manifestations du PCF et de la centrale syndicale communiste, la CGTU. Cf. ORY Pascal ; La Belle Illusion... ; p. 349. 221 Le bureau de l’UTIF : Charles Vildrac (président), Jean-Paul Dreyfus (secrétaire). Jean-Richard Bloch, H. R. Lenormand, Henri Jeanson, Léon Moussinac, Aragon, André Berley, Vidalin, Gaston Modot, Harry Baur, Colona Romano, Georges Colin, Pierre Renoir, Bürger, Ludmilla Pitoëff, Gaston Baty, Charles Dullin, Louis Jouvet, Marcel Herrand, Jean-Louis Barrault, Barlatier, Georges Sadoul, Paraf, Anita Estève, Paul Gsell, Pierre Abraham, Goyard, Moulaert, Mathos, Paul Colin, Fernand Léger, Nadine Landowsky, Castanyer, Furst, Désormière, Sauvaplane, Jean Wiéner, Daniel Lazarus, Tony Gregory, Lisa Duncan, Jean Renoir, Spaak 222 Cette formule avait été mise à l’ordre du jour, une année auparavant, lors de la fondation de l’Association des écrivains pour la défense de la culture. 223 Discours de Louis Aragon au Quatrième Congrès de la FTOF, 11 avril 1936 ; Commune ; N° 33 ; Paris : Editions sociales internationales ; mai 1936 ; pp. 1150-1152 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
10.1. Vers la liquidation de l’agit-prop et de l’amateurisme Le “ style agit-prop ” était depuis plusieurs années l’objet de débats animés. Les chœurs parlés, hérités de la période prolétarienne du théâtre soviétique, dont certains groupes de la FTOF avaient fait leur genre dramatique exclusif, avaient commencé à lasser les critiques de gauche et la direction du Parti communiste lui-même, qui leur reprochaient leur schématisme. C’est pourquoi, dès 1935, la FTOF avait fait appel à des professionnels pour améliorer le répertoire des troupes ouvrières et avait organisé un concours d’écriture dramatique. La FTOF avait aussi lancé deux enquêtes, “ Destin du Théâtre 1935 ” et “ La parole aux spectateurs ”, dans les colonnes de l’hebdomadaire Monde, qui dépassaient largement le cadre des préoccupations habituelles de la fédération (crise générale du théâtre : fermetures, faillites, baisse de la fréquentation, concurrence du cinéma, prix des entrées, situation des travailleurs du spectacle, distance entre les théâtres et les préoccupations du public, décentralisation dans les banlieues, la province et les campagnes...)224. Ces initiatives montrent qu’à la veille de sa mutation de 1936, la direction de la FTOF avait déjà préparé le terrain en élargissant ses centres d’intérêts à ceux du théâtre français dans son ensemble. La question se pose encore du sort de la majorité des troupes d’ouvriers amateurs, les anonymes du congrès de fondation de l’UTIF. En acceptant le virage du professionnalisme et du réalisme, et en consacrant le retour aux classiques ces groupes sabordent la FTOF et se privent ainsi d’une formidable caisse de résonance qu’ils ne retrouveront guère dans l’UTIF. Face aux poids lourds qui composent la direction de la nouvelle organisation, leur voix se retrouve considérablement affaiblie225.
224 Cf. Monde ; Paris ; Ns 327 ;15.03.1935 ; à 343 ; 04.07.1935 225 Il faut mentionner ici l’hypothèse intéressante de Valérie Battaglia, pour qui l’abandon de l’amateurisme et des petites formes scéniques par la FTOF correspond à un refux de la classe ouvrière de l’espace public de la scène vers l’espace silencieux et obscur de la salle. Les ouvriers retournent alors à l’anonymat après une brève période où ils avaient pu s’approprier un domaine artistique longtemps inaccessible. Certains groupes de la FTOF, qui refusent ce retour à la normale, se sabordent peu après la fondation de l’UTIF. La question n’est toutefois pas entièrement résolue, à savoir, quelle proportion de troupes de la FTOF ont poursuivi leur carrière par la suite et quelles raisons ont poussé certaines d’entre elles à abandonner la pratique du théâtre, après la fondation de l’UTIF. Cf. BATTAGLIA Valérie ; Socialisme et théâtre en France durant l’entre-deux-guerres ; Mémoire de DEA ; Université de Paris III Sorbonne nouvelle : Institut d’études théâtrales ; 1981 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
11. L’Effort. Le nouveau visage du Théâtre prolétarien
11.1. Amateurs ou professionnels ? Tous les débats des années trente autour du thème de la “ qualifcation ” portent en eux la question de l’avenir des artistes prolétariens. Le schéma de l’amateurisme par choix politique, farouchement opposé à l’art “ prostitué ” des professionnels, n’est plus de mise ; c’est le triomphe de l’art “ tout court ”, sans adjectif. Dans le nouveau paysage de la culture populaire, les artistes sont des alliés de la classe ouvrière, sans que leur liberté artistique soit pour autant remise en question. Le “ compagnon de route ” n’est plus sommé de se déchirer entre la trahison et la conversion. A cet égard, la fgure du peintre Alexandre Mairet constitue une sorte d’exemple, à Genève. En 1939, les photos le montrant en compagnie des ouvriers qui préparaient la Fête de Mai, contribuent à cristalliser l’image de l’artiste, non plus supérieur ni étranger à la classe ouvrière, mais complémentaire et proche de ses préoccupations226. L’évolution personnelle de William Jacques refète cette situation nouvelle, où l’artiste s’épanouit dans son domaine, accédant par son art à un statut d’entre-deux, porteur d’un savoir spécifque dont il fait aussi profter l’ouvrier : Pendant la guerre, en 1940, je suis devenu professionnel. Tout d’un coup, sans m’y attendre. Je voulais imposer la “ culture ”. J’ai donc demandé à mes camarades, qui étaient libres de service militaire pendant deux mois, de jouer La Jalousie du Barbouillé, de Molière, pour une fête - je m’en souviens très bien - du Club sportif football ouvrier Prieuré-Grottes. Alors que je me promenais dans les couloirs, avant la représentation, un ouvrier qui se [plaignait] : “ ils vont nous jouer du Molière. Ah, merde alors ! ” Alors, je me suis présenté ; j’avais un certain impact alors, parce qu’on me voyait partout : “ Écoutez, je vous ai entendu. Je ne suis pas d’accord avec vous : Molière, pas “ merde ” ! Parce que la pièce qu’on va vous jouer, on ne la jouait pas dans les théâtres, mais sur les places publiques. ” Alors, imaginez-vous sur une place publique, [en l’occurrence] la Salle du Môle, au Pâquis. On y a joué La Jalousie du barbouillé, avec un succès considérable, pour des ouvriers qui n’avaient jamais vu de pièce comme ça 227.
Mais au début de la nouvelle carrière de L’Effort, le choix de rester des amateurs ou de s’engager vers le professionnalisme ne se fait pas sans diffculté. On conçoit sans peine quelles diffcultés, quels débats internes le groupe a dû affronter pour renoncer à son identité fondatrice. Nous n’en connaissons pas les détails, mais le fait est que le groupe n’en sort pas indemne. Une baisse d’effectifs se fera sentir au cours de l’année 1937. Le départ, au cours de l’été, de l’un des membres, Ami Bellot, semble affaiblir considérablement le groupe228. Si on en juge aux articles qui paraissent peu après sous sa signature, dans Le Travail, il semble fréquenter les milieux du théâtre populaire à Paris. Quant à Lisa Luscher, l’ancienne responsable de la cellule, on la retrouvera à la Chorale populaire L’Avenir, dès la fn de l’année229. Est-ce parce que ce groupe de chanteurs anonymes correspond mieux à sa vocation de militante désintéressée ? Un certain personnalisme, qui tranche sur la période prolétarienne précédente, est très clairement perceptible dès les premiers spectacles de L’Effort. Quelques fgures de l’ancien Théâtre prolétarien apparaissent maintenant au grand jour, jusque sur les affches. En tant qu’acteurs, ils assurent les récitatifs (Germaine Sigot, dans Nous ! ; Jack, dans Genève libre). En tant qu’auteurs, ils collaborent activement à l’écriture des spectacles 226 Cf. R. S. ; “ Fête de mai ” ; Sm ; 28.04.1939 227 Témoignage de William Jacques ; La Comédie ; Genève ; 06.02.1991 228 AAE : Lettre de Roland Maquelin ; 07.09.1937 (“ Privé / essais littéraires ”) 229 AVG : “ Procès-verbaux des assemblées générales et du comité ” (Fonds “ Chorale Populaire L’Avenir ”) \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
(Théo Roth, dans Genève libre ; en collaboration avec Robert Jaquet230). Ils sont chargés de la mise en scène des grands spectacles de masse, si caractéristiques de la fn des années trente (Robert Maeder, dans L’Effort Populaire). L’hémorragie de 1937 ne semble toutefois affecter que brièvement l’existence de L’Effort, qui reste un groupe très actif jusqu’à avril 1940, date de sa dernière ( ?) assemblée. L’Effort intègre le Centre genevois d’éducation ouvrière231 et collabore – fait inimaginable encore peu de temps auparavant – avec l’Union des syndicats. Il entreprend aussi de réunir les théâtres ouvriers dans une Fédération romande des théâtres d’art populaire. Une première tentative de les coordonner, remontait à septembre 1935. Des délégués de Bienne, Lausanne, Renens, Yverdon et de la Savoie, s’étaient donné rendez-vous à Genève, sur l’invitation du TP232. En juin 1936, un congrès de la fédération tente d’offcialiser en Suisse Romande, les thèses de l’UTIF et celles d’un congrès suisse qui s’était tenu à Olten. Mais il semble que cette instance ne soit pas parvenue à déployer une grande activité. Un ancien dirigeant de l’UITR l’avait, en effet, qualifée de très faible (Sehr schwache laientheaterorganisation) 233.
11.2. Le label des intellectuels Parmi les grandes caractéristiques du nouveau visage du groupe, on remarquera la collaboration qui s’établit avec des artistes professionnels proches du socialisme, tels que les actrices Greta Prozor et Iris Avichay, le peintre Alexandre Mairet, le violoniste et chef d’orchestre Fernand Closset. Les journalistes Serge Radine et André Ehrler introduisent certaines productions de L’Effort par des conférences. Une collaboration à l’écriture des textes s’instaure avec l’instituteur Robert Jaquet et l’ancien responsable de la Jeunesse socialiste, Daniel Anet. Commencé à la veille du dernier congrès de la FTOF, le programme d’approche des intellectuels, s’accélère au lendemain de la constitution de l’UTIF. Longtemps soupçonnés de contaminer la culture révolutionnaire de clichés petits-bourgeois poussiéreux, les intellectuels socialisants apparaissent comme une garantie de la qualité des productions de L’Effort. Les comptes-rendus des représentations de Vive Boulbasse, de Régis Gignoux, et du Merveilleux Alliage, de Kirchon (1936) en témoignent. Les intellectuels sont d’autant plus importants dans cette phase, qu’ils ont pour mission de réconcilier le peuple avec l’héritage culturel, en apportant les clés de relecture qui s’imposent234. 230 Robert Jaquet. Collonge 1903 – Genève 1976. Instituteur, licencié en Lettres à Genève. Activités humanitaires pour le compte de la Croix-Rouge en Espagne et pendant la Deuxième Guerre Mondiale (19391945). Enseignant de français, sous-directeur du Collège de Genève (1960-1968) 231 AUOG : Lettre du Centre genevois d’éducation ouvrière à Charles Jeanneret, président de la Théâtrale ouvrière Le Locle ; 13.10.1936 232 Tr. ; 27.09.1935. Cf. aussi Annexe IX 233 “ Aus Chronologischer Bericht und Dokumente <Arthur Pieck vom 25.12.1937> ; In DIEZEL Peter (Dir.) ; Wenn wie zu spielen... ; p. 519. 234 Cette tendance à chercher le soutien des intellectuels au front antifasciste est également perceptible dans les manifestations organisées, dans des endroits soigneusement choisis, par la section genevoise de l’Association des intellectuels pour la défense de la culture, créée à cette époque. On retiendra, notamment, le 70e anniversaire de Romain Rolland, (23.04.1936 : Victoria-Hall) ; la conférence de l’acteur Jean Bard, sur “ le théâtre russe en 1936 ” (27.10.1936 : Salle Centrale) ; celle de Jean Guéhenno, sur l’humanisme (03.03.1938 : Société des amis de l’instruction (SAI)) ; et d’Edmond Gilliard, sur l’actualité des classiques (23.05.1938 : SAI) ; ou encore cette assemblée contre les barbaries commises contre les Juifs allemands, chahutée par des extrémistes de l’Union Nationale, à laquelle participaient entre autres Pierre Bovet, Ernest Ansermet, Edouard Claparède et le théologien Franz Leenhardt (24.11.1938 : Salle Centrale). A cette période, se rattachent deux périodiques qui joignaient l’autorité de la parole intellectuelle à la stratégie du rassemblement antifasciste : la revue Connaître, publiée à Genève en 1937, dirigée par Jean Vincent et André Ehrler, et La Semaine, hebdomadaire romand, publié à Genève de 1938 à 1939, dirigé par André Muret. Au sujet de cette publication, cf. JEANNERET Pierre ; \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
La rencontre avec l’Espagnol Cipriano Rivas Cherif235 représente une sorte de sommet de la transfguration du groupe. En 1937, sous les auspices de l’Association des amis de l’Espagne républicaine, les acteurs de L’Effort, épaulés par Iris Avichay, présentent une soirée consacrée au théâtre espagnol. Dans le plus pur esprit du socialisme “ défenseur ” de la culture, il s’agissait d’une anthologie qui assemblait sous l’étiquette de la République le meilleur du Siècle d’Or et des auteurs espagnols contemporains, sélectionnés et, bien sûr, commentés, par Rivas Cherif lui-même (Tirso de Molina, Lope de Vega, Garcia Lorca et Azaña)236. Ainsi, Ehrler voit dans Font-aux-Cabres (Fuente Ovejuna), une préfguration de la dramaturgie socialiste années trente, et ne snobe pas son plaisir en retrouvant le Don Juan “ original ”, que tant de sales pattes – même à Genève – ont souillé 237.
“ La Semaine. Un hebdomadaire antifasciste politique et culturel ” ; Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier ; N° 7 ; Lausanne : AEHMO ; 1990-1991 ; pp. 7-21 235 Avant d’être nommé Consul général d’Espagne à Genève, Cipriano Rivas Cherif (Madrid 1891 – Mexico 1967) était une personnalité reconnue dans les milieux d’avant-garde, notamment en tant que codirecteur de la revue littéraire La Pluma (1920-1923), qu’il avait fondée avec Manuel Azaña. Dans le domaine du théâtre, il est surtout connu comme mentor de la grande actrice Margarita Xirgu. Ses mises en scènes d’auteurs contemporains (Ramon de Valle-Inclan) et du Siècle d’or (Calderon de la Barca, Lope de Vega) ne sont pas moins remarquées. Dans les années trente, il crée plusieurs pièces de Federico Garcia Lorca : La Zapatera Prodigiosa (1930), Yerma (1934), Doña Rosita la Soltera o El Lenguage de las Flores (1935). Dans les années vingt, il avait tenté de lancer un “ Théâtre du peuple ”, inspiré de Romain Rolland. Entre 1926 et 1929, il dirige un théâtre expérimental avec Valle-Inclan. Rivas Cherif est également l’auteur d’un ouvrage théorique, Cómo Hacer Teatro..., qui synthétise ses idées en faveur d’une rénovation du théâtre espagnol de son temps. Cf. CORVIN Michel ; Dictionnaire encyclopédique du théâtre ; Paris : Bordas ; 1995. PASELLI Luigi ; “ Il Diritto e le muse. Uno spagnolo a Bologna ” ; In Immagini nemiche. La Guerra civile spagnola e le sue rappresentazioni (19361939) ; Bologne : Istituto per i Beni Artistici Culturali e Naturali della Regione Emilia-Romagna ; Editrice Compositori ; 1999 ; pp. 168-174 236 27.04.1937 : ScP 237 L’envoi vise probablement Georges Oltramare, auteur de Don Juan, ou la solitude [1937].- E. ; “ La conférence de M. Rivas-Chérif – Le Théâtre espagnol ” ; Tr ; 04.05.1937 ; p.4 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
11.3. Une pièce de transition Le Merveilleux Alliage238, de Vladimir Kirchon, est l’une des premières comédies jouée par L’Effort et la première pièce du réalisme socialiste interprétée à Genève. Dans un laboratoire de l’Institut scientifque d’aviation, la brigade de Gocha cherche en vain à réaliser l’alliage de deux métaux. L’arrivée de la jeune chimiste Natacha, venue de Sibérie, sème le trouble dans l’équipe, mais Gocha, qui abandonne rarement son laboratoire, semble insensible à son charme. Un premier rendez-vous maladroit avec la jeune femme lui fait pourtant entrevoir la clé de la “ fusion ” tant recherchée. De retour dans le laboratoire, l’alliage impossible fnit alors par se réaliser. La brigade reçoit les félicitations du régime, représenté par une délégation d’enfants en habit de pionnier. L’accueil de la critique avait été encourageant. La qualité de la troupe semblait avoir pris l’ascenseur, sans doute sous l’effet des premiers cours de diction et de mise en scène que le groupe avait entamé avec Greta Prozor : Il est de fait que les représentations du Merveilleux Alliage marquent un immense progrès sur les anciennes réalisations. Méthodes plus strictes de travail, accord plus complet des collaborateurs, discipline mieux consentie ont fait de notre jeune troupe d’amateurs un ensemble remarquable, écrit le Travail239. On devine toutefois une nuance d’importance : le journal nota que la pièce était très spécifquement soviétique, ce qui, à l’inverse, mais pour la même raison, inspira à La Lutte, des louanges sans réserves pour cette représentation qui montrait si bien la vie pleine de courage, d’avenir et de travail qui existe en URSS240. Ce premier grand spectacle de L’Effort devait, à l’origine, être représenté par le Théâtre prolétarien. Et il est vrai que Le Merveilleux Alliage a quelque chose de la pièce de transition. Le genre de la “ comédie ” était particulièrement en vogue au début du réalisme socialiste, en tant que meilleur représentant de la “ vaillance ” et de l’“ enthousiasme ” induits par l’édifcation socialiste241. Or, si la pièce est soviétique, elle n’a pas la famme révolutionnaire des pièces de la période précédente. Elle présente le tableau d’une société qui se dit stabilisée sur ses bases. Si elle a l’étiquette communiste, il lui manque cette urgence revendicative qui faisait, malgré tout, l’intérêt des drames de Wolf. S’il n’y eut pas d’autre pièce soviétique au répertoire de L’Effort c’est peut-être que leur propos très spécifquement soviétique les éloignait des enjeux quotidiens des travailleurs genevois et leur faisait perdre leur potentiel politique immédiat.
11.4. Un cabaret à Cité 19 S’il faut tout de même retenir quelque chose du Merveilleux Alliage, c’est la confrmation que le genre comique fait une entrée durable dans la vie artistique de L’Effort. C’est là, un des principaux aspects retenus à l’issue des représentations de la pièce satyrique Vive Boulbasse242 : le groupe avait enfn compris que le travailleur après une journée de labeur ou le chômeur, rongé de soucis, ont besoin de se distraire, de rire et que de vouloir distraire et faire rire, 238 Première, samedi 10.11.10.1936 : ScP. Autre représentation, 11.10.1936 : ScP (Création française, Paris, janvier 1936 : Théâtre des Mathurins ; par Lenormand/Pitoëff) 239 Criticus ; “ Une belle réussite - Le Merveilleux Alliage au théâtre L’Effort ” ; Tr ; 13.10.36 ; p. 3 240 DAVIN R. ; “ Le Merveilleux Alliage ” ; Lt ; 17.10.36 ; p. 6 241 “ Le répertoire du théâtre révolutionnaire augmente ” ; Le Théâtre international ; N° 3-4 (1934) ; Moscou : UITR ; 1934 ; pp. 15-16 242 GIGNOUX Régis ; Vive Boulbasse. Comédie en un acte ; In La Petite Illustration. Théâtre ; N° 40 ; Paris : L’Illustration ; 1921. Représentation, vendredi 01.05.1936 :ScP \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
n’enlève pas la possibilité d’éduquer. Le talent de William Jacques est particulièrement remarqué à cette occasion. Au détour d’un compliment, certains semblent deviner chez cet artiste les prémices d’une carrière: Il a un je ne sais quoi, une certaine candeur, un petit sérieux pour nous dire des boutades, qu’il devrait absolument développer243. Cultiver un certain esprit de la fête – si bienvenue en temps de doutes et d’incertitudes, mais aussi de grandes espérances, où l’on s’attache à profter pleinement des rares interstices de légèreté – se révéla fructueux. A partir de décembre 1937, L’Effort prend ses quartiers dans un local aménagé en petit théâtre permanent, au 19 de la rue de la Cité, qui se voulait aussi un point de ralliement des artistes et intellectuels de gauche244. Grâce à l’hebdomadaire La Semaine, il nous reste aujourd’hui une trace de l’endroit. De St-Pierre, neuf coup ont roulé sur les toits de la ville. La rue de la Cité tend l’échine sous le ciel évanoui où les étoiles cinglent vers les antipodes. La pente fort raide hâte mon pas ; dans le désert nocturne des vieux murs, cela sonne à grand fracas. Une porte en plein centre, au No 21, grince quand je la pousse et me voici dans un sombre couloir embarrassé de futailles. Au bout, la lampe auréole un écriteau et une fèche : “ l’Effort ”. Suivons la fèche. Elle conduit, au haut d’un bref escalier, dans les locaux du très sympathique groupe d’amateurs de théâtre. Des jeunes, des milieux populaires. Des enthousiastes. Au soir, ils tombent, qui la veste, la blouse, le “ bleu ” ou les manches de lustrine, et, hardi ! les voici “ sur les planches ”. Ils s’amusent ? Ah ! Je vous crois ! Et comment ! Mais leur but est, tout de même plus haut. Il veulent retrouver l’ambiance d’un public fatigué [sic.] – et endormi – par le cinéma, éloigné de scènes offcielles par ce manque de contact vivant, d’harmonie spontanée que de vrais acteurs doivent créer. L’Effort, tente ici – bravo, mille fois - de ressusciter, par un travail acharné et dans l’allégresse, cet enthousiasme qui jetait les foules vers les tréteaux du moyen âge, sur les parvis des cathédrales, et leur faisait crier : “ Nöel ! ” Ils ont la foi, du talent, ce dévouement inlassable tissé d’incessants sacrifces. Au 21 de la Cité, l’Effort a créé, dans des salles basses, un cabaret artistique du meilleur aloi. Des pochades aux murs, des tentures ocrées, une scène où naît le rire et l’émotion, voilà ce qu’il faut pour qu’une atmosphère légère et vive règne où le spectateur, - l’ami, le copain, - s’épanouit. Les soirées du cabaret de l’“ Effort ” seront bientôt fameuses, elles manquaient à notre cité volontiers mesurée jusqu’à la froideur – même dans ses yeux 245.
C’est dans ces lieux que L’Effort remet l’Escalade au goût du jour de la gauche, organise des réveillons de fn d’année, ou des soirées de “ cabaret ”. On y rencontre pèle mêle, une “ diseuse réaliste ”, un “ fantaisiste ”, ou un “ chanteur de jazz ”. L’Effort y représentera notamment, La Nuit des Dupes, une farce politique et satirique de Daniel Anet246.
243 B. D. ; Lt, 16.05.1936 ; p. 4 244 ATR : Lettre circulaire de L’Effort [1936]. Annexe VIII 245 M. François ; “ Au Groupe de l’Effort ” ; Sm ; 09.12.1938 ; p. 3 246 Représentation, 10.12.1938 : Salle communale des Eaux-Vives (soirée de l’Escalade, organisée par L’Effort et le PSG Cité Rive Gauche). Autres représentations, samedi 28.01.1939 : Cité 19 ; 25.03.1939 : Salle de réunions de Versoix (Soirée de la Musique ouvrière de Versoix). \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
12. Le temps des spectacles de masse Parmi les initiatives marquées du sceau du “ Front populaire ”, on retiendra cette idée des communistes genevois d’organiser une fête populaire, le Premier Août 1936. Cette fois-ci, le sujet n’était plus la Journée internationale contre la “ guerre impérialiste ” (cf. chapitre 8.4), mais bien la fête nationale suisse. Le but était de montrer au peuple de Genève qui étaient les véritables continuateurs de l’œuvre de libération du pays, les meilleurs défenseurs des libertés démocratiques et de l’indépendance nationale 247. Venant du PC, qui s’empresse de mettre à l’épreuve des faits l’étonnant revirement “ patriotique ” du Sixième Congrès, ce genre d’initiative a pu susciter l’irritation248, particulièrement dans les milieux “ patriotiques ” traditionnels. Elle ne se situe pas moins dans la ligne de la “ décentralisation ” voulue par le Septième Congrès de l’IC. Et la manifestation eut effectivement lieu – sous le titre “ 12911936 : Contre toutes les oppressions ” – à l’appel du PC, du PS et du Cartel des sociétés ouvrières. Une gigantesque landsgemeinde populaire249 devait se tenir sur la Plaine de Plainpalais, dont on aima rappeler à l’occasion qu’elle avait été le théâtre de grandes luttes passées, de victoires sur l’oppresseur. C’était, à n’en pas douter, l’endroit idéal pour renouveler le serment révolutionnaire du Grütli250. Un grand feu de joie devait être allumé par les jeunes communistes et socialistes, les Pionniers et les Faucons rouges, et alimenté grâce aux bûches apportées par les citoyens. L’Harmonie La Lyre devait y interpréter l’Internationale, un chœur d’ensemble composé de cinq chorales ouvrières – dont les chanteurs de L’Effort – des sportifs, des sociétés ouvrières de gymnastique, devaient se produire sur un grand podium installé au milieu de la Plaine, éclairé par de puissants projecteurs. En outre, les organisateurs avaient invité les habitants des abords de la Plaine à décorer leurs fenêtres et balcons. Un drapeau rouge, encadré des drapeaux suisse et genevois devait décorer l’estrade offcielle, où Jean Vincent et Léon Nicole, devaient tenir leurs discours respectifs251. Si nous nous intéressons à cette manifestation, c’est qu’elle représente la première esquisse d’une série de grandes messes, qui réuniront sur la scène des dizaines, parfois des centaines d’artistes et fgurants, autour des thèmes dominants de la gauche dans les années trente fnissantes (l’antifascisme, l’Espagne, les contrats collectifs, la défense de la liberté). Loin de tomber dans le ridicule, ces grands spectacles, ainsi que les symboles dont on fait usage à ces occasions (par exemple, les armoiries, les emblèmes ou les drapeaux des différents corps de métiers), s’insèrent, nous semble-t-il, dans un contexte où on estime urgent que l’unité politique, formellement acquise, se cristallise défnitivement dans l’opinion. De plus, ces spectacles répondent à un besoin de retrouver une identité commune à la classe ouvrière et à ses dirigeants, cherchant dans un monde en rapide évolution à trouver leurs marques face à de nouveaux enjeux, dont certains montrent avec quelle rapidité la distance s’est creusée avec le temps des révolutions (la Défense nationale, la Paix du travail…)
12.1. Le festspiel et la vocation progressiste 247 “ Lettre du PC au PS ” ; in MONETTI Neria ; Le Sort du Front unique... ; annexe 5u ; pp. 324-325 248 A ce sujet, cf. STUDER Brigitte ; “ Le Parti communiste suisse ” ; Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier ; N° 9 ; Lausanne : AEHMO ; 1993 ; pp. 36-37 ; Un parti sous infuence... ; pp. 120-121. Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 ; Doc. N° 735 (note N° 8) 249 Cf. Tr ; 28.07.1936 ; p. 3 250 Cf. Tr ; 22.07.1936 ; p. 4 251 La pluie contraria les espoirs des organisateurs, qui durent se rabattre sur le Palais des Expositions. La presse socialiste estima tout de même à dix mille personnes le public de la soirée. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
L’unité de la classe ouvrière est donc l’enjeu de ces spectacles de masse dont la fonction primaire est d’affrmer l’identité d’un groupe rassemblé autour de ses symboles communs. Par le phénomène de (con)fusion qui se produit à cette époque entre les valeurs nationales et les intérêts de la classe ouvrière, on a parfois comparé ces spectacles à la forme du festspiel suisse traditionnel. Si sur certains points, en effet, ils s’en approchent (dimensions massives, mélange des genres scéniques, convocation de personnages historiques…), ils s’en éloignent radicalement sur d’autres. Par exemple, les décors naturels (Alpes, cascades, prairies…) sont remplacés ici par de très grandes salles (le Bâtiment électoral), plus conformes à cette classe urbaine qu’est le prolétariat. En outre, ces spectacles de masse rappellent, certes, des événements historiques plus ou moins lointains (plutôt moins, d’ailleurs), mais le plus souvent avec la perspective de changer pour le mieux une situation présente inconfortable. Cela donne des œuvres originales, qui participent d’une démarche d’appropriation et de relecture d’un genre spectaculaire, considéré comme un patrimoine national, mais détenu depuis le milieu du 19ème siècle par la société bourgeoise dominante. Une fois vidés de leurs contenus réactionnaires, la fonction qu’on attribuera à ces spectacles sera de synthétiser un état d’esprit de la pensée socialiste, réactualisée au contact des attentes insatisfaites de la classe ouvrière. Ou pour le dire comme André Ehrler, c’est le lieu où s’affrment nos volontés et se défnit notre idéologie252. Europe 1937 est le premier d’une série de spectacles de masse qui en comprendra deux autres : L’Effort Populaire (1938) et Genève libre (1939), présentés à l’occasion des Fêtes syndicales du Premier Mai. Le schéma de base du Festspiel Europe 1937 est simple : des centaines de personnes sur la scène (500 exécutants), membres de sociétés ouvrières diverses : sportifs, musiciens, jodleurs, chorales..., tous bénévoles, familiers du public populaire, et de ce fait, créant les conditions d’une communion avec la classe ouvrière. La presse socialiste se mobilise pour insister sur le caractère collectif du travail artistique, jusque dans la participation des spectateurs, invités à découper dans le journal les paroles du chant fnal 253. A quelques détails près, le même schéma est repris dans les spectacles suivants. On notera aussi que le système du montage en tableaux autonomes est très largement utilisé, et certaines parties de l’un se retrouvent facilement dans les spectacles des années suivantes. Quant aux thèmes, si en 1937 et 1939 les tensions extérieures constituent le point de départ, le spectacle “ intermédiaire ” , L’Effort populaire (1938), est concentré sur des questions sociales nationales. Tous trois se différencient, par leur extraversion, du festival socialiste Nous ! (Wir ! Ein sozialistisches festspiel), dont des extraits furent présentés à la Salle communale de Plainpalais, à la veille des élections de novembre 1936254. Comparé aux précédentes productions de rupture, ce spectacle de consensus est une vraie première pour L’Effort. L’humanisme est placé au centre de la revendication socialiste, symbolisée par l’aspiration du prolétariat au “ bonheur ” et à la “ vie ”. La misère y est séparée de la logique de la lutte des classess, pour en chercher les causes dans la dénaturation de l’homme. Henri de Man, qui en était l’auteur, souhaitait mettre en évidence une hiérarchie essentielle entre le projet social et matériel, d’une part, et l’idéal socialiste, d’autre part. Ce dernier étant avant tout le fruit d’une lutte “ héroïque ” de l’esprit contre les tentations du capitalisme (Kampf zwischen den 252 E. [André EHRLER] ; Tr ; 14.10.1937. Annexe X 253 Tr ; 27.10.1937 ; p.4 254 GERSTER Ottmar (mus.), MAN Henri de ; Wir ! Ein sozialistisches Festspiel ; Berlin : ArbeiterjugendVerlag ; 1932. – Première, vendredi 30.10.1936 : ScP (Festival du Travail). Autres représentations, 31.10.1936 et 01/02.11.1936. Directeur musical : Fernand Closset ; Chef des chœurs : Walter Hänel. Récitante : Germaine Sigot (L’Effort). Exécutants : sociétés de chant Vorwärts, Freiheit, Union chorale du Travail ; Harmonie La Lyre ; les Faucons rouges ; sociétés ouvrières de gymnastique (SATUS), dames, hommes, pupilles ; enfants socialistes. \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Kapitalistischen und dem sozialistischen Meschen in ihm) 255. Le spectacle avait dû laisser l’impression d’un socialisme tourné sur lui-même, ce qui correspondait, somme toutes, assez bien à une étape du socialisme genevois où il cherche à affrmer son unité de l’intérieur, au lendemain de la réconciliation avec les communistes.
12.2. L’Effort populaire256. La masse affrmée et la masse niée Les célébrations syndicalistes des Fêtes de Mai peuvent être assimilées à des spectacles totaux. La Fête du travail est un ensemble symbolique de l’unité et la force de la classe ouvrière, l’ouverture des portes du Bâtiment électoral genevois n’étant que l’aboutissement d’un effort collectif de plusieurs jours, pour aménager l’énorme salle. Les ouvriers prennent sur leur maigre temps libre, viennent sur les lieux avec leurs outils et les transforment de fond en comble : un grand podium est monté pour le spectacle, le rideau de scène est cousu sur place (par les femmes des ouvriers !), les stands des différentes organisations ouvrières sont aménagés et décorés.... La presse socialiste n’a pas assez de mots pour décrire cette ruche, choisissant les plus feuris pour vanter la vertu merveilleuse du travail qui doit être fait et que l’on fait dans la joie, pour que la fête soit belle. La main habile, la main savante, la main forte, la main du bon ouvrier, collaborent si on ose dire, main dans la main, pour que tout soit prêt le premier jour257. On travaille gratuitement, avec d’autant plus de désintéressement que les bénéfces iront aux œuvres philanthropiques des syndicats (fonds de chômage, œuvres d’éducation ouvrière…). Pourtant, la classe ouvrière aurait eu des raisons de douter de sa force. La convention de la Paix du travail, de 1937, avait suscité la consternation générale dans ses rangs. L’accord passé entre les ouvriers et les patrons de la métallurgie pour régler les confits par l’arbitrage, impliquait en effet pour les travailleurs d’abandonner purement et simplement toute grève ou mise à l’interdit, enfn, de renoncer à cet arsenal que les travailleurs s’étaient donnés au cours de l’histoire de leur mouvement pour obtenir des améliorations de leur sort. La Paix du travail vient remettre en question une certaine capacité de négocier en position de force face au patronat. C’est, notamment, la masse de travailleurs de la base qui est dévaluée dans son rôle dans la lutte et le mouvement social. Au moment de la première Fête de Mai, en 1938, une certaine confusion est encore perceptible258. Les auteurs de L’Effort populaire ont apparemment hésité sur plusieurs versions, qui mettent en évidence une rupture de sens entre la représentation de la masse sur la scène et une réalité de la négociation sociale d’où celle-ci est offciellement écartée. Les textes disponibles permettent de se faire une idée de ce que ce spectacle affrme et ce qu’il n’affrme pas, ce qui y est explicite et ce qui ne l’est pas. Après le lancement d’une grève, une délégation d’ouvriers se rend chez les patrons pour présenter des revendications. Dans une version, les patrons acceptent les contrats collectifs : 1er délégué
Doucement, les gars. Procédons dans l’ordre. D’abord, ça a été dur, vous savez. Un contrat collectif, ça ne se décroche pas si facilement … Les
255 GERSTER Ottmar (mus.), MAN, Henri de, Wir !… ; p. 5 256 L’Effort populaire. Travail, luttes, loisirs. Spectacle collectif. 300 exécutants [Mise en scène : Robert Maeder] Première, vendredi 29.04.1938 : Bâtiment électoral, Fête de Mai 1938. 2 ème représentation, 01.05.1938 257 Cf. notam., un véritable modèle du genre : R. S. ; “ Fête de mai ” ; Sm ; 28.04.1939 258 Il faudra plus de vingt ans pour que la nouveauté entre défnitivement dans les mœurs. Cf. GARBANI Philippe, SCHMID Jean ; Le syndicalisme suisse. Histoire politique de l’Union syndicale. 1880-1980 ; Lausanne : Editions d’en bas ; 1980 ; p. 131 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Un ouvrier Délégué
Un ouvrier Délégué
patrons ne voulaient pas en entendre parler. Ils voulaient garder leur liberté. Ce n’est pas tous les jours que les patrons sont pour la liberté. Nous avons tenu bon. Nous avons expliqué que le contrat collectif était une garantie, non seulement pour les ouvriers, mais aussi pour les patrons, car il le[s] garantit contre une concurrence déloyale, il freine la lutte des prix. Et comme c’est le seul moyen de mettre de l’ordre dans le métier, que nous représentons la majorité des ouvriers de notre corporation, nous avons fni par obtenir satisfaction sur ce point. Et les salaires ? Pour les salaires, le principe de l’échelle mobile est refusé. Mais les patrons acceptent une augmentation de 5 centimes sur le tarif actuel 259.
Dans une autre version, les patrons refusent : 1er délégué
doucement, camarades, on va vous expliquer. Nous demandions la signature d’un contrat collectif, l’augmentation du prix de l’heure, des vacances et le payement des jours de service militaire. Après discussion, les patrons sont d’accord pour accorder une augmentation d’un sou de l’heure, quatre jours de vacances et les jours de service. Ils refusent de signer le contrat collectif. 1er ouvrier Le contrat collectif, pourquoi est-ce qu’ils le refusent ? 2e délégué Parce que nous ne représentons pas la totalité de la corporation. Et les patrons veulent garder leur liberté. 1er ouvrier C’est la première fois que j’entends dire que les patrons sont pour la liberté . Délégué Enfn, camarades, acceptez-vous, oui ou non ? Les ouvriers Oui, oui. Au travail, au travail260.
Quelle qu’ait été l’option fnale, il est probable que le passage en question ait été purement et simplement supprimé. D’autres versions annotées du texte laissent penser que le spectacle s’est enchaîné de la scène de la grève à une scène fnale, appelant les travailleurs à se rassembler autour des syndicats dans la revendication des huit heures, avec un rappel historique intermédiaire des luttes sanglantes du passé 261. Outre les diffcultés qu’aurait pu poser l’insertion d’une scène “ problématique ” dans un type de spectacle qui préfère les grands schémas, ce qui nous frappe, c’est l’apparition de la fgure du délégué ([…] ceux qui parlent pour nous […] Qui s’en vont vers l’âpre discussion / face à face avec les patrons). Le délégué, ce pont jeté entre les ouvriers et les patrons, qui marque la fn de la confrontation et inaugure une époque de concertation, où les classes s’unissent dans l’intérêt commun du proft. Par les délégués, les ouvriers reçoivent une nouvelle image du patron : celui qui écoute, et qui, éventuellement, accède à quelques revendications. Que la partie des délégués ait été supprimée, donnant au spectacle un caractère plus offensif, révèle une représentation du confit social déjà décalée de son temps. La masse de trois cents exécutants contredit, sur la scène du spectacle, le transfert, qui s’opère au même moment, de la lutte ouverte dans la rue à la scène fermée de la salle d’arbitrage. C’est peut-être à cet instant, plus que jamais, que les martyrs du Premier Mai de Chicago, invoqués dans le spectacle, quittent la mémoire vivante pour s’éloigner dans l’univers du mythe. Des spectacles de masse qui nous occupent ici, L’Effort populaire est sans doute celui qui se rapproche le plus des festspiels suisses traditionnels262. 259 AUSCG : Fête de Mai (Document non classé) 260 AUSCG : ibidem 261 ATR : Fête de Mai 38 262 Nous devons beaucoup, pour cette partie, à la lecture de PIDOUX Jean-Yves ; “ Le Festspiel, ou l’art de la prétérition ” ; In Das Festspiel : Formen, Funktionen, Perspektiven. Société suisse du théâtre. Annuaire du \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
12.3. Europe 1937 et Genève libre. De l’appel aux armes au repli dans la cité La Guerre d’Espagne est le sujet principal, nommé ou sous-jacent, des deux autres grands spectacles de masse genevois. Rarement, dit Pierre Jeanneret, un événement avait autant ému, enthousiasmé, rassemblé 263. Les deux spectacles montrent l’évolution du sentiment populaire sur ce confit. Si la haine du fascisme est constante, le moyen de s’y opposer est variable. Dans un premier temps, la cause espagnole est l’occasion d’un sursaut d’optimisme internationaliste (Europe 1937). Dans un deuxième temps, le constat de la défaite républicaine est l’occasion de réaffrmer, dans un réfexe de repli, l’attachement de la classe ouvrière à la tradition de liberté de leur ville (Genève libre, 1939). Europe 1937264 a pour ambition d’attirer l’attention du public sur le danger du fascisme qui a déjà contaminé l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche. Le thème de la première partie, qui intègre des passages ironiques sur le genre du festspiel, c’est la Suisse insouciante : des jodleurs à l’alpage représentent les beautés du pays, des exercices de gymnastique représentent l’insouciance. Des images sont projetées montrant une Suisse pour touristes : Chillon, Interlaken, la chapelle de Tell, la chute du Rhin…, mais la dernière image annonce déjà la couleur, montrant des enfants espagnols morts à la guerre. La deuxième partie représente les mêmes images d’ Epinal, mais dans les pays qui ont été asservis entre temps : par exemple, le chant Funiculi Funicula, pour l’Italie, ou une valse, pour l’Autriche. Dans la troisième partie, la France et l’Espagne représentent la résistance au fascisme, au côté de l’URSS. Le spectacle se termine en apothéose. Toutes les nations démocratiques se joignent à l’URSS pour prêter main forte à l’Espagne et, ensemble, font s’effondrer le fascisme265. La conclusion peut paraître naïve ; elle est en tous cas cohérente avec l’opinion du directeur du Travail, chef de fle de l’aile gauche du PSS, dont le journal organise la représentation. De plus, ainsi que l’expliquait l’auteur, André Ehrler, le but d’Europe 1937 était de schématiser l’état de l’Europe et de recenser [les] chances de victoire du camp antifasciste266. C’était donc bien un festspiel de combat. C’est ce qui explique, peut-être, qu’on ait ressorti pour l’occasion la technique des chœurs parlés, intercalés entre les scènes d’exposition mimées, dans le but, non seulement de les commenter, mais d’inciter les spectateurs à l’action. Ils alternaient avec des récitatifs d’autant plus solennels qu’il faisaient des combats en Espagne un tout avec l’émotion des participants et l’assistance du spectacle. S. 1 2 3
Aux armes ! Aux armes ! Paysans, ouvriers Dans les champs dans la ville Pour votre République
Théâtre suisse ; N° 49 ; Willisau : Theaterkultur-Verlag ; 1988 ; pp. 254-269 263 JEANNERET Pierre ; Léon Nicole et la scission de 1939... ; p. 125 – L’une des pages de l’histoire de L’Effort, encore dans l’ombre, est la participation avortée du groupe à l’Olympiade populaire de Barcelone, de juillet 1936. – Merci à Nic Ulmi pour ses compléments d’information. 264 Europe 1937. Textes : André Ehrler et Robert Jaquet. Musique : Fernand Closset. Direction des choeurs : Walter Haenel. Exécutants : Chorale populaire L’Avenir ; Chorale ouvrière tessinoise ; Chorale Freiheit ; Frauenchör Vorwärts ; Jodler Alpen Club ; Sängerbund Frohsinn ; Union chorale du travail ; Groupe théâtral L’Effort ; La Fauvette accordéoniste ; Harmonie La Lyre ; Club pédestre de Genève ; Club des lutteurs ouvriers ; Faucons rouges genevois ; Sociétés féminine et masculine de gymnastique du Grütli ; SOG fémina-Ville ; Tambours ouvriers de Carouge ; UST Ville gymnastique ; UST Carouge ; UST Plainpalais, dames et messieurs ; fgurants bénévoles. Première, jeudi 28.10.1937 : ScP (Festival du Travail). Autre représentation, 29.10.1937. 265 AAE : Plan provisoire de Europe 1937 (“ Privé/Essais littéraires ”) 266 E. [André EHRLER] ; Tr ; 14.10.1937. Annexe X \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
4 5 " " Ch. Ch. 5 5 Ch.
Aux armes ! Cerner les casernes Protéger les ponts, les réservoirs, les usines. Occuper les gares Camarades la nation vous appelle. Dressez-vous contre les rebelles. pour sauver votre sol pour sauver votre vie Ouvriers paysans aux armes.
Espagne, Espagne. Aujourd’hui c’est toi qui nous enseignes. Jusqu’où peut nous hausser la foi de notre cause et dans un monde pourri où la bassesse, les sordides intrigues, la peur, règnent en maîtresses Tu nous rend par ton courage et ta ferté, le sentiment perdu de notre dignité. Espagne, Espagne ! Murailles de poitrines où se brisèrent les balles du fascisme Ta devise a sonné dans l’Europe entière. Et désormais unis, face au même ennemi Nous crions de toute notre voix Ils ne passeront pas ! […]267
Lorsque s’ouvre le rideau de Genève libre268 (Fête de Mai, 1939), le climat est bien différent de celui d’octobre 1937. La Guerre d’Espagne est terminée depuis un mois. Le prologue du récitant donne le ton. L’Europe est asservie, l’avenir incertain. On convoquera sur scène quelques fgures emblématiques du passé pour retracer une histoire de Genève qui sera restituée sous la forme d’un combat permanent pour la liberté. Camarades, Dans la tempête qui souffe sur le monde Des régimes s’écroulent, Des nations disparaissent. L’angoisse et l’inquiétude se mêlent Dans notre sang Aux révoltes libératrices. Où se tourner Pour trouver des raisons d’espérer ? Camarades, Quand l’avenir muet se dresse comme un mur, Et quand les mains tâtonnent dans la nuit C’est vers le passé que nous tournons alors nos regards Qu’il nous rappelle ce que nous étions Et ce que nous sommes devenus Demandons-lui Quelle est sa leçon, son message. […] Ici dans la ville où nous sommes, La liberté fut toujours la grande espérance. Heures douces et légères 267 AAE : Appel aux armes (“ Privé/Essais littéraires ”) 268 Genève libre. Grand spectacle populaire en un acte. Livret : Robert Jaquet et Théo Roth. Arrangement musical : Fernand Closset, avec grand orchestre, récitants, chœur, chœurs parlés, groupes plastiques, groupes d’enfants etc. [Récitant : Jack]. – Première, samedi 29.04.1939 : Bâtiment électoral, Fête de Mai 1939. Autre représentation, 30.04.1939 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Où l’avenir semblait riant ; Heures sombres Des désastres et des désespoirs ; Heures de doute, Heures de lutte, Toutes, au cours des temps révolus Forgèrent lentement L’esprit de la cité […] 269
Après avoir évoqué les symboles de la liberté : Philibert Berthelier et Pierre Fatio ; et les emblèmes du progrès : Rousseau et Pestalozzi, le spectacle se poursuit sur un résumé de l’exploitation des hommes et leur lutte pour la libération, symbolisée par Owen, Fourrier, Lafargue, Marx et Engels, Lénine. Mais le fascisme se répand. On interroge les démocraties : qu’as-tu fait contre ça démocrate d’occident ? Le spectacle se termine par un serment de fdélité à Genève (refuge durable des rêves anciens et nouveaux). En 1937, l’esprit était à l’offensive. La muraille de poitrines espagnole engageait à combattre et le monde paraissait encore grand ; deux ans plus tard, les remparts de Genève semblent constituer le dernier carré de résistance.
269 ATR : Fête du 1er Mai \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
13. Madame Carrar. Une pièce de combat au moment de la défaite Une autre lecture de l’évolution du confit espagnol est proposée par L’Effort dans l’adaptation d’une pièce qui, au moment de son écriture, avait une fonction d’agitation qu’elle n’a plus, lorsque le groupe s’apprête à la représenter. En novembre 1938, L’Effort se lance dans une mini tournée des fêtes du samedi soir, pour représenter une pièce intitulée, Les Fils de Madame Carrar, une adaptation de Die Gewehre der Frau Carrar, de l’auteur allemand Bertolt Brecht. La représentation de cette pièce suscite la curiosité. Il serait tentant de comparer ce premier essai genevois de monter une pièce de Brecht avec ce qui s’est fait par la suite, y compris dans les traductions. A notre connaissance, en effet, la traduction qu’en a fait Théo Roth est parmi les premières en langue française. Une étude lexicale et dramaturgique du texte pourrait être entreprise, en la comparant avec le texte original de Brecht et les traductions françaises ultérieures, qui pourraient constituer les premiers éléments d’une histoire des adaptations de l’œuvre. Une autre question, déjà posée en 1991, lors du débat sur le Théâtre prolétarien à la Comédie, est celle du chemin qu’a dû suivre la pièce avant d’aboutir à Genève. Une telle recherche ouvrirait des perspectives pour une étude des réseaux d’échanges artistiques et intellectuels, à un moment où les structures de Moscou du théâtre et de la littérature révolutionnaires ont été démantelés, et alors que les structures “ sœurs ” allemandes ont été détruites ou forcées à l’exil (comme la maison MalikVerlag, qui publie les pièces de Brecht dans les années trente). Nous n’avons pas trouvé d’images, ni de schéma de mise en scène de l’adaptation genevoise de la pièce. En outre, le spectacle ne semble pas avoir fait l’objet de comptes-rendus critiques. Pourtant, en comparant la traduction française et annotée, proposée par L’Effort, et la première édition de Die Gewehre...270 – que nous avons trouvées dans les archives de Théo Roth – nous chercherons, au moins, à comprendre dans quel but et dans quel esprit cette pièce avait été montée. Nous avons cru observer, d’un texte à l’autre, un déplacement de sens, qui suggère une intention de L’Effort de détourner la pièce de Brecht de sa fonction initiale. Nous rappellerons brièvement l’histoire et les circonstances de l’écriture de Die Gewehre… et nous tenterons ensuite d’expliquer le sens de l’adaptation genevoise de la pièce. Avant cela, il nous faut situer avec précision le moment de l’histoire genevoise où cette pièce a été représentée. Sur la base des souvenirs de William Jacques on a cru longtemps que Die Gewehre… avait été jouée en 1937 : Je reviens à 1937, parce que j’oublie, que [Théo] Roth, que j’ai cité tout à l’heure, a trouvé Les Fusils de la Mère Carrar et les a traduits de l’allemand. Nous avons joué cette pièce en pleine guerre d’Espagne, ce qui étonne toujours les gens parce que pour eux, Brecht, ça a commencé après la guerre. Et quand on dit qu’on a joué, en 1937, une pièce qui s’appelle les Fusils de la Mère Carrar... [D’accord,] elle a été rejouée depuis, mais [la jouer] en plein dans le moment des faits, qui nous troublaient beaucoup... 271
En fait, la première représentation des Fils de Madame Carrar remonte au 26 novembre 1938, un peu plus d’une année après sa première représentation, à Paris 272. Le confit espagnol 270 BRECHT Bertolt, Die Gewehre der Frau Carrar ; Londres : Malik Verlag ; 1937 271 Témoignage de William Jacques, La Comédie ; Genève ; 06.02.1991 272 Représentations genevoises de Les Fils de Madame Carrar : samedi 26.11.1938 : Salle du Môle (Fête de la Chorale populaire L’Avenir). Autres représentations, 03.12.1938 : Salle communale de Châtelaine (Soirée de la Fanfare de Châtelaine) ; 21.01.1939 : Salle communale des Eaux-Vives (Soirée des Jardins ouvriers de la Praille) ; 25.02.1939 : Salle du Môle (Soirée du FCO Prieuré-Grottes) ; 25.03.1939 : Salle de réunions de Versoix (Soirée de la Musique ouvrière de Versoix). Les Fils… est sans doute l’une des premières versions \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
approchait alors de son terme. Le pessimisme quant à son issue était en train de gagner le camp des partisans des républicains. Tout au long de l’année 1938, les franquistes n’avaient cessé de gagner du terrain : le 25 décembre ils lanceront une offensive décisive sur la Catalogne ; Barcelone sera prise un mois plus tard. Le 28 février 1939, Paris et Londres ne reconnaîtront plus la République et le 26 mars, les franquistes seront à Madrid. Dans le laps de temps où la pièce est représentée à Genève, entre fn novembre 1938 et fn mars 1939, ce sont ces nouvelles-là que les spectateurs ont lu, entendu et commenté. Rejoindre les Brigades internationales n’était plus à l’ordre du jour. La démobilisation des Brigades internationales, annoncée en septembre 1938, est achevée depuis un mois lorsque la pièce est présentée pour la première fois au public genevois. A ce moment-là, la priorité de la gauche est d’obtenir l’amnistie des brigadistes suisse, qui déjà sont de retour, et d’assurer leur réinsertion273. Certes, la guerre était encore d’actualité, mais les enjeux avaient évolué. Les accords de Munich, entre la Grande Bretagne, la France et l’Allemagne détournaient déjà les yeux du public vers la Tchécoslovaquie. Pour bien comprendre l’importance de ces faits, il nous semble utile de rappeler l’histoire et les circonstances de l’écriture de la pièce.
13.1. Motril. Une petite ville sur la ligne de Front Avril 1937. Teresa Carrar a deux fls : Juan, 21 ans, et José, 15 ans. Ils habitent une petite maison de pêcheurs, située à Motril, en Andalousie, très près de la ligne de front. José et sa mère attendent à la maison le retour de l’aîné, qui est à la pêche. Ils peuvent le voir à travers la fenêtre, grâce à la lampe allumée de son bateau. Ayant perdu son mari au cours des premiers mois de la guerre, Teresa Carrar craint de perdre ses deux fls, tentés eux aussi de partir au combat. Elle s’est enfermée à la maison, choisissant la neutralité et le pacifsme. Tout comme elle refuse de laisser partir Juan, Teresa refuse aussi de remettre des fusils, que son mari avait caché dans la maison, à Pedro Jaqueras, son frère, venu spécialement du front. Mais lorsque des pêcheurs ramènent le corps de son fls aîné, tué en mer par des soldats franquistes, Teresa décide de s’engager dans la guerre, au côté de son jeune fls.
françaises de la pièce de Brecht. Elle avait été créée à Paris, le 16 octobre 1937, au cabaret allemand Die Lanterne (mise en scène : Slatan Dudow, avec Hélène Weigel dans le rôle titre). Elle est ensuite représentée à Copenhague, le 19 décembre 1937 (mise en scène : Ruth Berlau) et reprise dans cette même ville, le 14 février 1938 (mise en scène : Ruth Berlau et Bertolt Brecht). Cf. RICHARD Lionel (Dir.) ; “ Brecht ” ; Obliques ; Ns 20-21 ; Nyons : Editions Borderie ; [1979] ; p. 235. 273 Cf. Léon Nicole ; “ Les combattants suisses en Espagne républicaine. Nous réclamons l’amnistie ! ” ; Tr ; 03.11.1938 ; p. 1 ; cf. aussi Tr ; 12.11.1938 ; p. 1 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Die Gewehre… est né d’une commande du metteur en scène allemand, Slatan Dudow, qui avait demandé à Brecht une petite pièce d’agitation antifasciste, pour sa troupe de comédiens exilés à Paris274. Conformément aux conventions du théâtre occidental, l’intrigue de Die Gewehre… est strictement linéaire, orientée vers l’évolution exclusive du personnage de Teresa Carrar. Le lieu unique, c’est sa maison. Quant au temps, il est d’un réalisme parfait, car l’histoire et la représentation durent le temps de la cuisson d’un pain, que Carrar enfourne au début de la pièce. Ecrite au début de l’année 1937, le titre initial de la pièce devait être Generale über Bilbao, mais sous la pression des événements militaires (Bilbao est prise par les franquistes le 19 juin 1937), Brecht fut amené à déplacer l’arrière-plan géographique de sa pièce vers Motril, localité andalouse située entre Malaga et Almeria. Le souci évident de l’auteur était donc de coller au plus près à l’actualité de la Guerre d’Espagne. Tout concourt à ce que la pièce soit le plus effcace possible auprès du public de 1937, qui suit les événements au jour le jour. Pour tous ceux qui, de près ou de loin, ont été concernés par le confit, la Guerre d’Espagne a été un formidable accélérateur de l’histoire, le théâtre des opérations étant très mouvant. Or, en novembre 1938, la pièce de Brecht avait perdu une bonne part de sa charge d’agitation initiale. La jouer à ce moment-là, c’était risquer de représenter une pièce de combat au moment de la défaite. Les spectateurs auraient eu l’étrange impression que la Mère Carrar arrivait à Genève à la fois trop tard et trop tôt : trop tard pour exalter effcacement les esprits ; trop tôt pour ne pas laisser un arrière-goût d’amertume. Pour régénérer la valeur de la pièce, il fallait donc tenir compte de l’évolution de la guerre et de sa perception 275.
13.2. Le retour des fls prodigues Dans sa traduction, L’Effort a supprimé un passage de la pièce de Brecht qui renvoie à la situation du front au moment où elle était créée à Paris, en octobre 1937, mais qui n’était plus d’actualité, à fn novembre 1938 : L’ouvrier - Thérèse, as-tu regardé un peu notre pays sur la carte ? Nous vivons comme sur une assiette cassée. Sur la ligne de cassure il y a l’eau, et au bord de l’assiette il y a les canons. Et au-dessus de nous il y a les bombardiers. Où veux-tu t’en aller si ce n’est dans la gueule des canons ? 276
Entre mars 1937 et juillet 1938, Motril se trouvait en effet pratiquement à cheval sur la ligne de front et, jusqu’à la Bataille sur l’Ebre, la petite ville a été successivement perdue et reprise, avant de tomber défnitivement. C’était un enjeu symbolique non négligeable de la guerre. Quant aux enjeux de la pièce elle-même, il convient de s’attarder sur quelques expressions 274 Les informations de cette partie sont extraites, notam. de PLARD Henri ; “ Les Ecrivains allemands ” ; In Les Ecrivains et la Guerre d’Espagne, Paris : Pantheon Press France ; [1975] ; pp. 21-35. RICHARD Lionel ; “ De Synge à Brecht ” ; In “ Brecht ” ; Oblique ; pp. 39-44. VANHELLEPUTTE Michel ; “ Bertolt Brecht et la Guerre d’Espagne ” ; Revue belge de philologie et d’histoire ; t. 65/3 ; Bruxelles : Société pour le progrès des études philologiques et historiques ; 1987 ; pp. 515-521 275 Pour les représentations de la pièce à Copenhague (cf. note N° 272), Ruth Berlau, mesurant l’accélération des événements depuis la mise en scène de Dudow, avait inséré des projections d’images de la première représentation, et faisait projeter un flm d’actualité sur la guerre, cherchant de cette manière à réactualiser le propos. 276 ATR : Les Fils de Madame Carrar ; [1938] ; p. 18 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
utilisées par L’Effort, qui à notre avis sont utiles pour avoir une idée du parti pris du spectacle. Voici comment la pièce est présentée à l’automne 1938, par l’équipe genevoise. Une famille de pêcheurs andalous, en avril 1937. Le confit poignant du fascisme et de la république. L’amour maternel se cramponnant aux attaches impossibles du passé, refondu et rejeté vers l’héroïsme nécessaire du monde nouveau277.
Comme nous l’avons exposé, à l’automne 1938, non seulement Motril est probablement aux mains des franquistes, mais l’abattement gagne progressivement les esprits des partisans de la République. Les spectateurs savent que la guerre est en train de tourner en faveur des franquistes. C’est ce qui explique, probablement, que L’Effort ait choisi de résumer la pièce par des expressions comme “ confit poignant ”, “ amour maternel ” ou encore, “ héroïsme nécessaire du monde nouveau ”, qui ont pour effet de séparer considérablement la pièce de son actualité d’origine en accentuant ce qu’elle contenait déjà de tragique. Le confit poignant du fascisme et de la république est une formule résolument décalée par rapport au point de vue engagé qu’avait pu être celui de la défense par les armes du sol et de la démocratie espagnols, ainsi que Brecht lui-même voyait le confit, alors qu’il écrivait son œuvre 278. Quant au thème prépondérant de l’amour maternel, concrétisé dans le changement du titre de Les Fusils (Die Gewehre) en Les Fils, il confrme ce déplacement des enjeux de la pièce, correspondant à l’évolution du confit. Dans l’actualité de la guerre, Les Fusils renvoyaient à l’un des problèmes les plus importants de la politique de “ non intervention ”, préconisée par les grandes puissances, c’est-à-dire, la fourniture d’armes aux républicains. Dans la pièce, ces fusils sont la raison principale de la présence de Pedro Jaqueras chez sa sœur ; le fusil est aussi l’objet qui symbolise l’engagement de Teresa dans la guerre. Pourtant, dans l’adaptation genevoise, les enjeux politiques initiaux ont été écartés dès le titre, au proft de Les Fils, un terme qui ne peut qu’évoquer le rapport maternel. Ce parti pris est confrmé par la traduction proposée par Théo Roth d’une comptine d’enfants : Der Juan ist nicht Soldat Weil er nicht Courage hat Der Juan, der feige Tropf Zieht sich die Decke über den Kopf279
Le grand Juan n’est pas soldat Il aime bien trop sa mama Plutôt qu’d’aller au front I s’ cache dans ses jupons280
Comme on le voit, le mot Courage et l’expression feige Tropf ont été éludés dans la traduction, qui insiste davantage sur la mère et son rôle protecteur. Le texte original mettait en évidence la pression sociale qui s’exerçait sur le fls aîné de Teresa Carrar. Par contre, la version de L’Effort tend à souligner celle qu’exerce la mère “ abusive ” pour le retenir à la maison. Reste le thème de la neutralité, qui est bien un enjeu majeur de Die Gewehre... et, au moment où le spectacle était présenté à Genève, il avait une portée politique qui dépassait le confit espagnol. Mentionnée au moins à quatre reprises dans la pièce de Brecht, Théo Roth n’a pas escamoté la question. Toutefois, le texte de présentation, cité plus haut, montre que L’Effort a choisi d’en parler sous une forme adjectivante : l’héroïsme nécessaire du monde nouveau. Or, 277 Tr ; 23.11.1938 ; p. 3 278 Exposé de Bertolt Brecht au Deuxième Congrès international des Ecrivains pour la Défense de la Culture (Paris, 17 juillet 1937) ; In II Congreso internacional des Escritores para la Defensa de la Cultura (Valencia – Madrid – Barcelona – París, 1937) ; vol. 3 ; Valence : Generalitat Valenciana. Conseilleria de Cultura, Educació i Ciència ; 1987 ; p. 284 279 BRECHT Bertolt ; Die Gewehre… ; p. 11 280 ATR : Les Fils… ; p. 6 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
le “ héros ” ne peut être véritablement qualifé ainsi qu’une fois son exploit accompli. Si L’Effort avait utilisé ce terme, en 1937, pour désigner la décision éminemment politique de Carrar de rompre sa neutralité, cela aurait suggéré que la pièce était rejetée dans le registre tragique avant même que sa charge agitatoire commence à faiblir. Or, montrée tardivement, la question que posait l’attitude de Carrar n’était plus “ vaut-il la peine de se battre ? ” mais, “ valait-il la peine de se battre ? ”. Quel était alors le sens de la présentation de cette pièce par L’Effort ? A la fn de l’année 1938, la conscience croissante de la prochaine défaite, risquait de provoquer une démobilisation parmi les partisans de la République, à un moment où leur engagement d’arrière-garde devenait encore plus important. En effet, les brigadistes suisses (Les Fils de Carrar) allaient bientôt débarquer à la Gare de Genève et devaient s’attendre à être jugés, emprisonnés, bannis de leurs cantons de résidence, pour avoir violé la neutralité de la Suisse offcielle (Carrar) dans le confit. De ce point de vue, la véritable tournée des soirées du samedi, qu’entreprend L’Effort pour présenter cette pièce, a toutes les apparences d’une campagne d’agitation contre le “ défaitisme ”, qui fut combattu jusque très tard dans les rangs de la solidarité. Si la pièce de Brecht ne s’imposait plus alors en tant que telle pour encourager la défense par les armes de l’Espagne, le déplacement sémantique proposé par L’Effort lui a rendu une actualité dans une nouvelle phase du confit espagnol. L’Effort pouvait ainsi dire au public que le brigadistes avaient eu raison d’y être allés, et qu’il était juste qu’ils soient amnistiés à leur retour. Les Fils de Madame Carrar nous montre un visage du groupe L’Effort qu’on croyait révolu depuis sa période prolétarienne. Surtout, le groupe fait preuve dans ce spectacle d’une grande maturité du travail dramaturgique. Par une démarche étonnante, le groupe a déplacé le sens de la pièce en accentuant ses aspects tragiques (mythifcation du confit et héroïsation des combattants) tout en réactualisant ses enjeux (le retour de la guerre, et non le départ) afn de régénérer sa fonction agitatoire, assumée pleinement par des représentations dans des endroits inhabituels (les fêtes du samedi). L’Effort démontre qu’il avait gardé sa spécifcité et sa vocation d’activiste parmi les groupements récréatifs ouvriers. On croyait le groupe noyé dans la masse fgurante des festspiels syndicalistes et, cependant, il réapparaît sous des traits familiers, face aux ouvriers, dans des représentations de dimension plus réduite, peut-être, mais plus communicatives que les grandes messes de masse.
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Les traces du groupe L’Effort se perdent en avril 1940. Entre temps, le Pacte germanosoviétique était venu ébranler profondément l’unité de la gauche genevoise. L’Effort avait prévu une “ sortie familière ” pour le 27 août 1939. Eut-elle lieu, fnalement ? Quant à la Mobilisation générale, décrétée le 28 août, elle avait obligé plusieurs sociétés ouvrières à suspendre leurs activités, pour manque d’effectifs. Certaines d’entre elles n’y survivraient pas. Le Front populaire genevois ? Un “ état d’esprit ”, une “ atmosphère ”, une “ mystique ”, bien plus que des réalisations concrètes, suggère Pierre Jeanneret281. Nous ne pouvons que partager cet avis. Le théâtre ouvrier de masse de la fn des années trente n’aspire pas à autre chose qu’à la communion des sens, que ce soit par le rire ou par les larmes. Nous sommes loin des spectacles de rupture révolutionnaire qui avaient caractérisé le Théâtre prolétarien et, encore plus loin de l’Escalade de 1931, où un groupe de jeunes avait pris la rue pour détourner le sens de la fête offcielle. Mais certains sujets, comme la Guerre d’Espagne et le péril fasciste, ont parfois suscité des spectacles que nous qualiferons d’“ urgence ”. Ils synthétisent sur la scène un état du monde et poussent le public à la vigilance et à l’action. En revanche, d’autres thèmes, comme les contrats collectifs, en pleine émergence de la Paix du travail, montrent les limites de ces spectacles. Non seulement, ils se prêtent mal au traitement problématique de questions en débat mais, quand ils quittent le terrain de l’opposition pour entrer dans celui de l’allégeance à un état de fait ou à un pouvoir, ces spectacles peuvent tendre à l’engourdissement. De ce point de vue, les spectacles de masse ouvriers peuvent se rapprocher du festpiel traditionnel, où la communauté se rassemble volontairement dans des célébrations autour de symboles consensuels, la plupart du temps mythifés. Nous y voyons encore une similitude avec ces spectacles œcuméniques qui furent courants en France, où le peuple se rassemblait pour célébrer le Front populaire mais aussi, implicitement, pour marginaliser un certain esprit de la lutte, dans une pédagogie de la soumission à l’Etat, une fois que la gauche avait accédé à son sommet. Il reste, pour L’Effort, un bilan de trois ans, dans une période chargée d’émotions. De l’unité retrouvée à la nouvelle division dans les rangs socialistes, en passant par la Guerre d’Espagne, les extrêmes du registre dramatique auront été explorés par le groupe : de la comédie à la tragédie ; tous les sentiments, tous les états d’âme : de l’espoir à l’abattement, de la confance au doute. En grande partie affranchi de ses liens de parti des premiers temps, le groupe a su mettre à proft cet espace de liberté pour se développer dans une direction autonome, comme groupe de théâtre. A cet égard, la représentation des Fils de Madame Carrar est exemplaire d’une démarche théâtrale affrmée, où le texte devient une matière vivante, susceptible d’être remodelé pour lui faire retrouver une pertinence de propos. Le groupe recueille ici les fruits du tournant diffcile vers la “ qualifcation ”, qui lui a permis d’acquérir les armes du théâtre, tout en retrouvant les acquis de son expérience prolétarienne.
281 JEANNERET Pierre ; Léon Nicole et la scission de 1939... ; p. 131 \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
En guise de conclusion Arrivé au terme de ce travail, il nous reste à signaler certaines questions qui restent posées sur l’histoire du TP/L’Effort. Si nous avons eu à cœur de mettre en évidence les liens du Théâtre prolétarien avec la section genevoise du Parti communiste, certains aspects de ces rapports sont toutefois restés assez fous. Le Théâtre prolétarien nous est apparu plus lié à la Fédération du théâtre ouvrier de France qu’aux relais suisses du théâtre révolutionnaire. L’exemple de la pénétration du théâtre d’agit-prop en Suisse Romande par la France, plutôt que par des troupes d’agit-prop opérant en Suisse allemande nous semble en être l’indice le plus visible. Il serait cependant précipité de conclure à une totale absence de liens entre la section suisse de l’UITO/UITR et le groupe genevois, ne serait-ce que parce que les deux organes entretiennent des liens étroits avec le PCS. Il faudrait donc continuer d’envisager, en attendant d’élucider la question par la suite, que le Théâtre prolétarien entretenait des relations croisées avec la Suisse et la France. En particulier, la question reste posée des conditions dans lesquelles le Théâtre prolétarien a répondu à la fois, aux exigences de la FTOF – être un organe auxiliaire de propagande du Parti –, et à celles du Parti – être une organisation au service de sa politique de masse. Le problème a dû se poser concrètement autour du printemps 1932, lorsque le groupe s’est fermé sur lui-même, pour s’engager ouvertement dans la politique du Front unique prolétarien, et lorsqu’il s’est rouvert au milieu de la décennie, à l’orée du Front populaire. Ce fou relationnel semble reféter une situation périphérique du Théâtre prolétarien vis-à-vis des organes centraux du PC en Suisse (agit-prop et organisation), des instances internationales du théâtre révolutionnaire, et vis-à-vis de la FTOF ; ce qui pourrait suggérer une dépendance moins nette qu’elle ne paraît du groupe à l’égard de ces instances, sensées lui être hiérarchiquement supérieures. Cela a pu jouer un rôle dans le rythme, relativement lent, et la trajectoire, légèrement décalée, suivis par le TP dans l’adoption et l’abandon de la plate-forme du théâtre révolutionnaire. C’est, peut-être, cette situation particulière qui a contribué à faire du TP un groupe au statut esthétique hétérogène, à cheval entre les formes traditionnelles du théâtre et les techniques d’agit-prop. Toutefois, avant d’en faire une véritable particularité, ces hypothèses devraient encore être comparées à l’itinéraire de groupes au profl semblable, notamment dans les villes françaises de province, moins attachés à la direction de la FTOF, de l’AEAR et du PCF que les théâtres ouvriers de la Région parisienne. A notre connaissance, une étude de ce type, qui nous permettrait d’avancer rapidement, n’a pas encore été entreprise. Une enquête dans les archives de l’UITR, à Moscou, visant à déterminer d’où étaient envoyées les informations relatives à la Suisse pourrait confrmer ou infrmer, ou du moins préciser, la situation spécifque du Théâtre prolétarien dans le mouvement du théâtre révolutionnaire. La même enquête pourrait nous dire si les liens étaient réguliers ou irréguliers et pourrait nous renseigner sur les diffcultés, les échecs et les réussites du groupe par rapport aux exigences de cette organisation. De même, nous serions mieux renseignés sur l’opinion que se faisait l’UITO/UITR du groupe genevois. Nous avons déjà signalé certaines caractéristiques de l’historiographie du Parti socialiste genevois qui empêchent jusqu’à présent de développer une approche dépersonnalisée de ce parti. Une étude de la politique du PSG à l’égard de ses organisations satellites serait d’une grande aide. Ces organisations, et notamment le Cartel des sociétés ouvrières genevoises, ont vraisemblablement constitué un lieu d’“ entre-deux ”, ayant permis de garder le contact, au cours d’une période de tension entre les partis ouvriers rivaux. Une étude de la place du \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
TP/L’Effort dans le Cartel nous permettrait de mieux préciser les contours et le fonctionnement de cet “ entre-deux ”, à travers l’une des sociétés parmi les plus ouvertement politisées de la mouvance du “ délassement ” ouvrier. Il semble bien que l’une des seules sources disponibles pour une étude de cet important organisme soit la presse ouvrière, mais ce serait déjà un pas vers l’ouverture de nouvelles recherches sur l’histoire politique du mouvement ouvrier. Il faudrait aussi s’interroger sur l’infuence de la spécifcité politique genevoise de l’entredeux-guerres, qui a pu faciliter la longévité exceptionnelle d’un groupe comme le TP/L’Effort. Les organisations “ auxiliaires ” communistes les plus importantes ont été formellement interdites en 1937. Si nous ignorons en grande partie quel fut leur destin dans la clandestinité, en revanche, nous savons que le Théâtre prolétarien a trouvé, au PSG et dans la mouvance syndicaliste, un appui bienveillant qui lui a permis de poursuivre sa carrière publique sous un autre nom et sur d’autres bases. Par contre, la question reste posée sur ce qui s’est passé dans les coulisses, entre septembre 1935 et mai 1936, ce temps qu’il fallut au groupe pour s’adapter aux nouveaux enjeux politiques du milieu de la décennie. Une raison qui a pu permettre au groupe de rebondir, c’est sa structure interne et les motivations de ses membres. Il s’agissait en effet, avant tout d’un groupe d’amis du théâtre. Contrairement aux troupes d’agit-prop proprement dites, la motivation première du Théâtre prolétarien était d’abord l’amour du théâtre et de la littérature, l’agitation politique n’ayant surgi que dans un deuxième temps. Un élargissement géographique de notre recherche permettrait de prendre toute la mesure de l’activité du Théâtre prolétarien en tant que “ groupe remorqueur ”. Nous savons que le groupe genevois a donné tardivement l’élan à d’autres groupes de théâtre ouvrier en Suisse Romande et dans les localités voisines de la frontière franco-suisse. Cet aspect de la recherche nous donnerait une idée des conditions d’implantation de ce type de théâtre dans la région, à un moment charnière de l’histoire du TP, lorsque lui-même s’interrogeait sur son propre avenir en tant que théâtre révolutionnaire. En ce qui concerne la question générale des canaux de pénétration à Genève de l’esthétique révolutionnaire, l’histoire même du TP contribue à comprendre son rôle de relais local de cette mouvance. En revanche, pour la deuxième partie de la décennie, la question reste en grande partie irrésolue. Nous avons appris peu de choses sur le travail réalisé par l’UTIF après sa fondation, et nous ignorons tout des rapports de L’Effort avec cette organisation. De même, cette recherche devrait s’intéresser aux réseaux d’échanges artistiques et intellectuels à un moment où les structures du théâtre et la littérature révolutionnaires de Moscou avaient été démantelés. En nous centrant sur L’Effort, comme relais fnal, on pourrait dépasser l’étude des réseaux d’intellectuels (dont le rôle dans la stratégie de l’IC est largement reconnu) et on s’interrogerait plus loin, sur les conditions de réception de cette matière culturelle auprès de la base de la mouvance antifasciste. Que Brecht ait remis un manuscrit de Die Gewehre der Frau Carrar au théologien bâlois Fritz Lieb, pourrait aider à retrouver le chemin qu’a suivi cette pièce avant d’être jouée à Genève ; quoiqu’il ne faudrait pas négliger d’étudier les réseaux ouvriers de librairie, qui ont tout aussi bien pu constituer une voie possible. Les rapports entre L’Effort et la scène antifasciste en Suisse allemande restent également à explorer. Que L’Effort ait voulu en 1937, monter une pièce du directeur du Cabaret Cornichon, Walter Lesch, devrait nous interroger sur les contacts entre les Genevois et la mouvance culturelle zurichoise à un moment particulier de son développement, quand elle bénéfciait de la présence des exilés allemands. Enfn, nous n’oublions pas qu’au début de notre recherche, notre idée était de nous consacrer \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
aux rapports entre le théâtre et la politique au Temps des passions. Certains spectacles, que nous qualiferons “ de droite ”, tels que Coriolan de Shakespeare, traduit par René-Louis Piachaud ; La Suisse retrouvée, de Claude St-Gall (Georges Oltramare) ou des manifestations patriotiques, comme Genève chante (dans sa version de 1937) ou encore, les interventions des Petits-fls de Toepffer, destinées à ridiculiser le gouvernement de Léon Nicole et la SDN, auraient leur place dans une recherche plus large. Il faudrait, bien sûr, tenir compte du fond antidémocratique, réactionnaire voire, fasciste – diamétralement opposé à celui qui nous a occupé dans cette enquête – de certains de ces artistes. Le fait que Piachaud, comme Oltramare, n’assumaient pas volontiers la dimension politique de leur travail théâtral ne devrait pas intimider le chercheur. La séparation du politique, du pamphlétaire et de l’art est un discours constant et, en soi, porteur de sens, qui devrait mériter une attention soutenue. En dépit des protestations outragées de Piachaud, “ l’affaire Coriolan ”, en février 1934, fut un cas d’école des rapports incendiaires entre un moment politique et certaine lecture des classiques. De même, peu après le retour de la droite genevoise aux affaires, en 1937, le quotidien socialiste Le Travail, avait dénoncé le détournement “ antipopulaire ” et “ fasciste ” de Genève chante, une œuvre d’Emile Jaques-Dalcroze, remise au goût du jour par Piachaud. Quant aux Petits-fls de Toepffer, nous ignorons s’ils avaient conscience que leurs interventions de rue étaient proches des formes du théâtre d’agitation. Elles en ont toutefois toutes les caractéristiques. En premier lieu, elles pourraient être considérées comme une extension vivante des dessins satiriques de Noël Fontanet, dans la presse locale ; deuxièmement, elles s’inscrivaient dans l’actualité de la stratégie anti-socialiste et antiesdéniste de l’extrême-droite genevoise. Que ces manifestations politiques se soient ou non présentées comme des formes théâtrales est, fnalement, secondaire, car l’important est ici l’histoire d’une rencontre. Les communistes qui couraient les rues de la Jonction, en scandant des chœurs parlés, ou les jeunes masqués du déflé antimilitariste de 1931, n’avaient pas le souci de faire du théâtre, mais de l’agitation. Ces formes n’en frent pas moins leur entrée sur les scènes, comme le montre le TP, qui s’en saisit pour les intégrer à son univers de l’art prolétarien. Plus tard, ces formes nées, en quelque sorte, d’une dramaturgie non théâtrale, furent intégrées durablement dans la catégorie du théâtre politique et, même, retrouvèrent un nouveau souffe dans le théâtre d’intervention de la fn des années soixante. Cela relève, bien sûr, d’un autre temps, mais démontre que l’histoire de l’action politique et celle du théâtre sont proches, croisées souvent, intimes parfois.
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Principales abréviations AAE Archives André Ehrler (Archives de l’Etat, Genève) AEAR Association des écrivains et artistes révolutionnaires AEG Archives de l’Etat de Genève AEHMO Association pour l’étude et l’histoire du mouvement ouvrier AFS Archives fédérales suisses, Berne AJHD Archives Jules Humbert-Droz, (Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds) ALP Archives Louis Piguet (Collège du travail, Genève) ALT Archives Lucien Tronchet (Collège du travail, Genève) AS Union pour l’art social ATBD Arbeiter-Theater-Bund Deutschlands ATR Archives de Théo Roth AUOG Archives de l’Université ouvrière de Genève
AUSCG Archives de l’Union des syndicats du canton de Genève AVG Archives de la Ville de Genève
BILR Bureau international de la littérature révolutionnaire CIRA Centre international de recherche sur l’anarchisme
CP Culture prolétarienne DR Drapeau rouge FOBB Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment FTOF Fédération du théâtre ouvrier de France (1931-1936) FU Front unique IC Internationale communiste JC Jeunesse communiste JdG Journal de Genève JS Jeunesse socialiste Lt La Lutte MPC Archives du Ministère public de la Confédération (Archives fédérales Suisses, Berne) OSR Opposition syndicale révolutionnaire PCF Parti communiste français PCF BMP Archives du Parti communiste français (Bibliothèque marxiste de Paris) PCS Parti communiste suisse PCS AFS Archives du secrétariat du PCS (Archives fédérales Suisses, Berne) PCS BCU Archives du Parti communiste suisse (Bibliothèque cantonale universitaire, Lausanne Dorigny) PCUS Parti communiste de l’Union Soviétique PSG Parti socialiste genevois PSS Parti socialiste suisse RA Le Réveil anarchiste RAPP Association russe des écrivains prolétariens SAI Société genevoise des amis de l’instruction ScP Salle communale de Plainpalais Sm La Semaine SO La Scène ouvrière SOI Secours ouvrier international SRI Secours rouge international TP Théâtre d’art prolétarien (Théâtre prolétarien) Tr Le Travail UIER Union internationale des écrivains révolutionnaires UITO Union internationale du théâtre ouvrier (1930-1932) UITR Union internationale du théâtre révolutionnaire (1932-1937) USCG Union des syndicats du canton de Genève UST Union sportive du travail UTIF Union des théâtres indépendants de France (1936- ?) \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Annexe I Le Drapeau rouge ; 01.05.1930
Naissance d’un théâtre ouvrier Si le XXe siècle voit la décadence de l’art bourgeois, il assiste aussi au développement de l’art prolétarien. Ce nouveau-né d’hier est déjà plein de vigueur. Avec R. Rolland, H. Barbusse, U. Sinclair, E. Toller etc., nous sommes confants de son présent. Quant à l’avenir, il appartient au prolétariat de le créer. La réaction bourgeoise toujours plus opprimante, empêche de jeunes écrivains prolétariens de vivre de leur art s’ils ne le dévouent à Mammon ou Moloch. C’est pour cela que partout dans le monde se créent des théâtres ouvriers. - A Genève, de jeunes ouvriers et ouvrières ont fondé un théâtre analogue. Son titre est : Théâtre d’art prolétarien. Depuis plusieurs mois ils travaillent et la veille du Premier Mai ils donneront leur premier spectacle à la Salle communale de Plainpalais. Ils présenteront dans le première partie de leur programme des œuvres de Charles Vildrac, J. Rictus, E. Verhaeren, Toller, etc. Dans la seconde, une farce en un acte : Superjustice, de Ramen. - Vu les prix populaires des places (parterre 50 centimes, galeries 25 centimes) tous se feront un devoir de soutenir ces jeunes. Comme tous les groupements ouvriers le Théâtre d’art prolétarien a des diffcultés. C’est pour cela qu’il fait un appel à tous les jeunes camarades que le mouvement intéresse. Qu’ils se trouvent à la Maison du Faubourg, au troisième étage, le mardi qui suivra la parution de cet article
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Annexe II AUSCG : Lettre circulaire de Théâtre prolétarien [juin 1932]
La culture prolétarienne et le Front unique Le Théâtre prolétarien a décidé d’intensifer ses efforts pour répandre dans les masses ouvrières la pensée révolutionnaire et l’idée de la culture ouvrière. En face du fascisme politique et en face du fascisme dans la culture, doit se dresser le front unique des ouvriers. La culture actuelle – ne l’oublions pas, camarades – est la culture de la classe dominante. Le prolétariat – tenu dans les conditions de la misère est exclu de cette culture. Nous le savons que la culture prolétarienne proprement dite ne peut pas exister dans la société capitaliste. Mais nous voulons porter dans les masses, sous forme de théâtre prolétarien, la connaissance de la vie et de la lutte ouvrières. Dans tous les théâtres et les cinémas bourgeois la vie ouvrière est décrite d’une manière si [indigne], que nous devons créer nos propres théâtres. Les exigences politiques de l’heure actuelle, le chômage, la misère et la menace d’une guerre impérialiste, demande l’intensifcation du travail de toutes les organisations révolutionnaires. Nous vous demandons, camarades, de venir parmi nous et de prendre part au travail du théâtre. Nous voulons créer des chœurs parlés, nous voulons représenter des pièces révolutionnaires, nous voulons prendre part à chaque manifestation et à chaque fête ouvrière. Nous vous demandons de nous informer d’avance, sur la date de vos fêtes et nous vous assurons notre collaboration la plus large. C’est également l’adhésion des grandes masses d’ouvriers qui rendra possible la réalisation de nos buts.
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Annexe III Culture prolétarienne. Organe du Théâtre prolétarien ; N°1 ; septembre-octobre 1933 ; “ Appel de la rédaction ”
“ La tribune littéraire du prolétariat ” Camarade
lecteur,
Tu sais comme nous que la littérature bourgeoise comme la société capitaliste ne peuvent plus vivre. La littérature bourgeoise, l’art bourgeois qui ont connu jadis un grand développement se trouvent en pleine décadence. To u t ce qui est resté de ce développement, c’est le fascisme dans la culture, la manifestation la plus hideuse de la société capitaliste. Pe n d a n t que se déroule la plus grande lutte que l’histoire ait jamais connu, la lutte pour l’émancipation de l’humanité travailleuse, la littérature bourgeoise poursuit son rôle de soutien de la société capitaliste. Le grand idéal de la liberté, la lutte contre les privilèges féodaux et pour le développement social, qui avaient été les prérogatives de la bourgeoisie dans sa période d’ascension, ont fait place à la réaction et par cela à la décadence de la culture. Le prolétariat du monde entier a opposé à cette décadence sa \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Annexe III l i t t é r a t u r e e t s o n a r t r é v o l u t i o n n a i r e s. A G e n è v e, d a n s d e n o m b r e u s e s m a n i f e s t a t i o n s, l e s t r a v a i l l e u r s o n t c o l l a b o r é , a v e c enthousiasme, au développement d’un tel art. Dans le domaine du théâtre, nous avons réussi, malgré les plus grandes diffcultés et sans l’aide de professionnels ni de vedettes, à faire connaître l’art r é v o l u t i o n n a i r e. L e s t r a v a i l l e u r s, l e s o u v r i e r s i n t e l l e c t u e l s, l e s forces non corrompues de la classe moyenne ont soutenu l’art révolutionnaire. Avec l’accentuation de notre lutte il faut que n o t r e a c t i v i t é s ’ é l a r g i s s e. D a n s c e b u t l e b u l l e t i n d ev r a , e n collaboration étroite avec vous, contribuer à faire connaître l’art et la littérature révolutionnaires. Il n’est plus permis d’ignorer les grandes réalisations culturelles de l’U.R.S.S. ainsi que l’apport artistique des ouvriers révolutionnaires des autres pays. Chaque foyer d’ouvrier manuel meilleures œuvres du prolétariat.
et
intellectuel
devra
Mais la littérature prolétarienne ne peut pas vivre les travailleurs créent eux-mêmes de la littérature.
sans
posséder que
les
partout
Camarades lecteurs, en Suisse Romande comme dans le monde entier, notre bulletin de culture révolutionnaire devra devenir la tribune littéraire du prolétariat. Vous ne pouvez pas rester seulement lecteurs, vous devez devenir collaborateurs. Votre collaboration forgera notre arme qui est la littérature prolétarienne. C’est une arme contre la fascisme et contre la décadence, une arme contre l’ignorance et une arme pour la révolution, pour le plus grand développement de l’humanité.
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Annexe IV Culture prolétarienne. Revue d’art et de littérature révolutionnaire pour la Suisse Romande ; N° 2 ; février-mars [1934] ; G. M. [Germaine Sigot ?]
A nos amis [bien intentionnés] Certes, nous en avons beaucoup, mais encore, de quoi est faite leur amitié ? Nous avons un grand nombre, un très grand nombre d’amis dans la population genevoise. Ils se recrutent au milieu de ces cercles très étendus de personnes sensées qui vont disent : “ Nous vivons un tournant de l’histoire ; un monde se meurt ; nous assistons à la naissance d’un monde nouveau ; voyez l’U.R.S.S. Ils ne nous oublient pas. Ils disent encore : Voyez le Théâtre prolétarien de Genève. Malgré toutes ses imperfections, il est un signe des temps. Pensez donc, dans une ville aussi peu industrielle que Genève, recruter des acteurs prolétaires, surmonter les obstacles matériels et surtout jouer un répertoire annonciateur des temps nouveaux. Je vous le dis, mon cher, le monde actuel, son théâtre individualiste et psycho-pathologique son cinéma a tant pour cent, tout cela est fni, condamné ” Ouais ! Voilà une catégorie d’amis bien intentionnés. Mais, il y a un mais, l’enfer dans lequel nous nous débattons est pavé de ces bonnes intentions. Sans doute nous sommes bien aises de ces encouragements et de ces bonnes paroles. Nous en apprécions le juste prix et nous disons à notre tour : “ Les nombreuses sympathies manifestées au Théâtre prolétarien démontrent que le sort en est jeté : le monde capitaliste est fni, condamné ” Et puis après ? Après ce double enterrement verbal, le monde “ fni et condamné ” continue à se bien - plutôt mal - porter, bref, à vivre. Les maquignons du théâtre “ spiritualiste ” poursuivent leur besogne ; les businesmann [sic.] du cinéma contaminent les consciences à qui mieux mieux. Les forbans du “ sex appeal ” et du cheveu coupé en quatre restent armés de leurs millions, de leur publicité, de leur presse. Et, durant ce temps, le Théâtre prolétarien languit. Il reste à l’état “ glorieux ”, mais impuissant, de “ signe des temps ” Allons, amis sincères du Théâtre prolétarien, souvenez-vous que selon la morale prolétarienne l’amitié “ en soi ” est du domaine céleste, mais n’a pas cours sur cette terre. L’amitié terrestre consiste à mettre d’accord ses paroles et ses actes. Sans activité correspondante vos bonnes paroles n’ont pour but que de vous disculper, à vos propres yeux, de votre inactivité. Plus vous vous tenez à l’écart d’une aide effcace, plus vous vous étourdissez de louanges à notre égard. Grâce ! vous allez nous noyer sous le fot de vos encouragements… verbaux. Eh bien voilà ! Ce que nous vous demandons amis du Théâtre prolétarien, c’est justement le contraire. Des critiques, des critiques, encore des critiques ! Parce que, nous le savons bien, vos critiques seront constructives, et surtout parce que vous ne vous sentirez jamais le courage de nous critiquer si vous ne nous apportez pas un appui correspondant. Quel appui ? Oh là ! Mais songez-y, le monde prétendument “ fni et achevé ”, il s’agit justement de le fnir et de l’achever. Il faut au Théâtre prolétarien : \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003
Annexe IV des acteurs nouveaux ; des décorateurs nouveaux ; des machinistes nouveaux ; Et surtout - y avez-vous pensé - des auteurs nouveaux. Oui ! des auteurs. Quoi, votre modestie souffrirait de passer pour un “ auteur dramatique ” ? Mais non ! Avouez plutôt que c’est votre vanité bourgeoise qui vous retient de faire un premier essai, sans doute raté. Quoi, vous n’êtes pas “ écrivain ” ? Sans doute, mais n’avez-vous pas des idées nouvelles ? une pensée libre, c’est-à-dire libérée des préjugés d’un monde fnissant et gros des vérités prochaines ? Allons, amis sincères ! Le Théâtre prolétarien est une porte entre-ouverte sur le monde culturel de demain. Les autres disposent de millions et de toutes les forces matérielles pour la refermer sur notre nez et nous ensevelir dans leurs prisons fascistes et moyen-âgeuses. Aidez-nous ! Aidez-nous à ouvrir plus grande la porte qui donne sur le monde nouveau.
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Annexe V Culture prolétarienne. Revue d’art et de littérature révolutionnaire pour la Suisse Romande ; N° 2 ; février-mars [1934]
Le congrès de la FTOF Depuis longtemps déjà le Théâtre prolétarien de Genève est resté en étroite relation avec la F.T.O.F. qui groupe tous les Théâtres ouvriers de langue française et qui a vu dans le courant de 1933, tripler le nombre de ses membres et de ses sections. Cette collaboration active se trouvera encore approfondie ensuite de ce congrès que, vu le manque de place, nous ne pouvons relater que très brièvement. Le congrès de la Fédération du théâtre ouvrier français - janvier 1934 - a donné la bonne impression d’une organisation qui, bien que très jeune et encore à l’état embryonnaire, ait de grandes possibilités d’avenir et qui, en travaillant sur les bases qu’elle s’est donnée, atteindra son but qui est celui de devenir une organisation de masse pour les masses. Il faut pour cela : 1 - Que le Théâtre bourgeois sente fortement la concurrence du Théâtre prolétarien. 2 - Que le fascisme trouve constamment en cette organisation un adversaire invincible. 3 - Que les ouvriers trouvent dans leurs luttes et leurs plaisirs quotidiens l’appui effcace de leur organisation théâtrale. Il faut pour cela que les groupes soient nombreux et qualifés (notons en passant que certains groupes particulièrement “ Octobre ”, attirent à leurs spectacles, très bons, un public petit bourgeois qui discute ardemment sur ce théâtre d’avant-garde et les idées qu’il défend) La commission exécutive de la F.T.O.F. a prévu comme moyen pratique pour ses réalisations : la création d’une école où sera donné : 1 - Un cours de diction 2 - Un cours de construction, décor et matériel technique 3 - Un cours de gymnastique rythmique 4 - Un cours de comédie spontanée pour exercer l’imagination et les possibilités de composition des camarades qui doivent s’habituer à créer leur répertoire. 5 - Une commission de répertoire qui doit sélectionner ce qui convient à un répertoire ouvrier et ainsi alimenter les groupes 6 - Une commission de qualifcation chargée de la représentation artistique du répertoire. La bonne participation des groupes de province fut un des meilleurs points du congrès ; ils affrmèrent leur entrain et leur volonté d’arriver bien que placés devant de grandes diffcultés. Tous : mineurs, employés de bureau, cheminots, coiffeurs, ouvriers des usines de munitions (pyrotechnique), travailleurs du textile (malheureusement pas de paysan), intellectuels, tous unis dans les mêmes luttes, dans la même cause à défendre. On peut se rendre compte de la foi révolutionnaire qui existe réellement quand on voit les diffcultés innombrables que rencontrent la majorité des copains et qu’il faut surmonter pour arriver quelquefois à un petit résultat. Lorsque l’on voit des camarades mineurs, malgré leurs vies si dures et leur manque de possibilités, vouloir et persister à faire vivre leur groupe de Théâtre révolutionnaire, quand on voit quelques acteurs professionnels, comme dans le Théâtre populaire belge, abandonner défnitivement le théâtre bourgeois où, malgré tout, \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Annexe V toujours un morceau de pain leur était assuré, venir travailler, sans être sûr de manger chaque jour, avec le théâtre ouvrier et répandre ainsi, de village en village et de ville en ville la pensée révolutionnaire. Ce théâtre est très qualifé et suscite des discussions dans la presse. Un fait à signaler : la solidarité du groupe “ Octobre ” lors de la grève de Citroën : de midi à deux heures, un chœur parlé sur Citröen fut composé et exécuté le soir devant l’usine Citröen pour soutenir les camarades grévistes. Tout cela ne peut qu’affrmer la volonté de lutte du prolétariat. Le congrès s’est terminé sur l’enthousiasme des groupes à continuer leur travail et la promesse de la Commission exécutive de la F.T.O.F. de remplir au maximum ses tâches.
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Annexe VI Culture prolétarienne. Organe du Théâtre prolétarien – Genève – (FTOF - UITR) ; N° 5 ; février 1935 ; T. O. [Théo Roth ?] ; “ Décade de l’U.I.T.R. - 15 AU 25 février 1935 ”
Le déf de la “ qualifcation ”. “ The right man at the right place ” La 5ème décade de l’Union internationale des théâtres révolutionnaires qui vient de s’ouvrir, a pour tâche de grouper dans les pays capitalistes et en URSS tous les théâtres révolutionnaires professionnels et non professionnels, toutes les forces actives du front artistique en vue de leur cohésion et de leur pénétration toujours plus grande dans les rangs des artistes et amateurs restés sous l’infuence de l’art bourgeois. A la différence des précédentes, consacrées uniquement au théâtre, la décade actuelle mobilisera toutes les forces de l’art révolutionnaire : théâtre, cinéma, musique, chant, danse, littérature, peinture etc. sous les mots d’ordre de la lutte contre le fascisme et de la solidarité envers tous les artistes révolutionnaires émigrés ou emprisonnés. Le fait que pour notre part nous remplissions faiblement ce programme dont nous sentons cependant toute l’urgence, nous oblige à examiner de plus près les différents postulats de la décade et auxquels d’autres groupes plus avancés sont en train de donner une réalisation effective. Pourquoi n’avons-nous pas encore réussi à attirer à nous les forces éparses des amateurs et professionnels de l’art et comment faire pour y parvenir ? Nos appels d’ordre purement sentimental sont nécessairement restés sans réponse. Seul un état de fait nouveau, convainquant, peut ébranler des individualités attachées encore à un ordre ancien. Or, chez nous, contrairement à ce qui se passe dans certains pays capitalistes où le processus révolutionnaire plus avancé a déjà détaché du théâtre bourgeois des éléments professionnels, le bloc du théâtre offciel a été jusqu’ici, à peine effrité. C’est toujours ce complexe invétéré du théâtre d’art et de divertissement exprimant et idéalisant le terrain bourgeois sur lequel il vit qui reste la plateforme insuffsante si l’on veut, mais la seule possible pour ses éléments isolés dont nous avons le droit de préconiser la bonne volonté et une compréhension suffsamment critique de la situation. Notre tâche est donc surtout pour l’instant de créer en face du bloc bourgeois un bloc de théâtre révolutionnaire qui par sa haute qualifcation aussi bien artistique qu’idéologique représente pour ces éléments hésitants un pôle suffsamment puissant pour les détacher de leur routine et leur faire sentir la grandeur et les perspectives immenses de notre art de masses. Ce n’est qu’alors que nous aurons le droit d’intensifer notre propagande et de faire appel avec quelque chance de succès au sentiment de logique et de dignité qui doit tôt ou tard les libérer de l’ancien courant. Ceci nous amène à considérer de plus près les tâches de notre développement interne, tâches artistiques et politiques. L’artiste révolutionnaire idéal est celui qui réunit à la fois une forte culture artistique et un niveau politique élevé. Notre erreur a été de faire trop confance en un mélange médiocre de ces deux éléments, de négliger les sources même où ils se forment, de ne pas nous emparer de ces régions plus reculées de la formation personnelle de nos membres comme point de départ de toute notre activité. Des tentatives bien intentionnées se sont déjà fait jour. Elles doivent être poursuivies avec méthode et dans le plus large esprit de véritable émulation. S’il nous faut une formation marxiste suffsante pour la compréhension juste des rapports sociaux que nous sommes appelés à exprimer, il nous faut aussi notre école artistique d’expression, d’élocution et de mise en scène pour les traduire dans le langage de l’art. Et nous ne pensons pas
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Annexe VI nécessairement à des organismes nouveaux car les tâches de notre activité pratique contiennent elles-mêmes déjà tous les éléments utiles pour ce travail d’écolier. Donc, pas de nouveaux programmes ni proclamations de foi d’ordre général mais une discipline plus consciente, une politique juste du “ right man at the right place ” et une défnition précise des responsabilités. Il n’y a pas là de situation inextricable où il soit permis de se décourager ou de faire de tout le mal une question de personnalités ce qui est une autre forme de découragement. Pensons à nos camarades russes. Ce sont les douleurs d’enfantement de la révolution qui forcent le maître à retourner à l’école et l’élève à prendre des bouchées doubles pour acquérir la maîtrise. Nous servirons mieux notre propagande en faisant du bon théâtre avec une conception politique moyenne qu’en interprétant de façon médiocre des aspirations révolutionnaires plus hautes. Car nous l’avons déjà vu, les deux facteurs art et niveau politique se conditionnent mutuellement et pour réaliser les objectifs d’un niveau politique plus élevé, il faut une qualifcation artistique d’autant plus haute. Et ceci est vrai non seulement sous le rapport du recrutement mais aussi au point de vue du public toujours plus étendu que nous devons toucher. Comme chez l’artiste, le même état d’hésitation pour ne pas dire d’hostilité se prolongera aussi chez le spectateur tant que nous continuerons à lui parler un langage inférieur à son degré de culture, tant que nous ne l’aurons pas au moins neutralisé par la forme. A partir de cet instant, notre art qui par le fond est nettement supérieur et seul regarde vers l’avenir, aura tôt fait de le conquérir.
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Annexe VII Culture
prolétarienne ; N° 7 ; septembre 1935 ; T. R. [Théo Roth ? ]
Théâtre prolétarien ou théâtre populaire ? Les événements politiques que nous vivons, c’est-à-dire d’un côté les attaques répétées du fascisme, de l’autre, le redressement vigoureux comme c’est le cas particulièrement en France de larges couches intellectuelles et petites-bourgeoises, leur union de plus en plus effective avec le front prolétarien afn de résister au fascisme, nous font un devoir de réviser au sein de notre groupement, les bases mêmes de notre activité, de veiller à ce que ces bases ne se révèlent pas trop étroites et fragiles pour l’action intense et accrue qui doit être la nôtre dans l’avenir le plus proche. En tant que modeste théâtre d’amateurs, nous avons conscience, et ceci malgré nos faiblesses et nos erreurs, d’avoir apporté à la classe ouvrière de Genève une aide utile, un complément culturel appréciable à ses dures luttes politiques. Notre espoir que notre tentative en ferait naître d’autres qui, toutes ensemble, viendraient contrebalancer ou supplanter le théâtre bourgeois ne s’est pas réalisée. La Genève des travailleurs, celle qui a subi le 9 novembre et qui demain devra se dresser en un vaste front populaire contre les attaques imminentes du fascisme n’a pas encore son théâtre. Nous avons relevé ici même, les causes de cet état de choses pour ce qui nous concerne et souligné sans cesse notre effort vers la qualifcation. Nous sommes fermement décidés de poursuivre cet effort. A ceux qui nous jettent la pierre parce que nous n’avons pas réalisé le théâtre de leur désir, nous disons : A vous maintenant de nous aider : Nous ne pourrons nous développer artistiquement que lorsque nous serons secondés par les professionnels - dans un sens élargi par tous ceux qui possèdent des aptitudes ou des bases techniques - et qui, pour l’instant, se tiennent encore à l’écart. Nous ne pourrons nous développer que si tous les camarades qui aiment le théâtre et qui désirent en faire, viennent à nous. Qu’attendent ces camarades pour venir nous aider ? Nous sommes prêts à les accueillir fraternellement et à envisager toutes les conditions nouvelles que comporterait pour nous une telle collaboration. Nous sommes prêts à renoncer à ce qu’il peut y avoir de restrictif dans le titre de “ prolétarien ” qui est encore le nôtre. Nous ne le renions pas parce que nous savons que seul le prolétariat révolutionnaire mènera les peuples vers la libération mais nous savons aussi que pour en arriver là, ce prolétariat ne doit pas rester isolé, doit se sentir entouré, soutenu, compris par ces larges couches populaires, par ces milliers de travailleurs qui, si nous n’y prenons garde, risquent de céder aux avances du fascisme. Si les masses doivent échapper au fascisme, le théâtre de masses doit être nôtre, ce théâtre qui n’est pas “ apolitique ” qui ne distrait pas, mais qui attire vers la lutte des classes, vers une compréhension plus claire des rapports de classe. Qui n’est pas un jeu inoffensif mais “ un instrument aiguisé aux mains du prolétariat militant ”, un instrument servant à la reconstruction consciente de la vie au moyen de l’art. Voilà quel a toujours été notre but. Notre attitude n’a pas changé, simplement les événements ayant rendu conscientes de larges couches hésitantes, créant autour de nous une zone de résonance plus vaste, multipliant et compliquant de ce fait les moyens de communiquer avec elles, nous obligent à affrmer notre idéal avec des moyens accrus et plus affnés. C’est dans ce sens que nous disons que la classe ouvrière de Genève qui, dans les questions politiques les plus urgentes, a déjà pris les décisions d’union et de cohésion qui s’imposaient, doit créer son théâtre populaire, doit s’emparer résolument du domaine de la culture et ne pas laisser échapper les possibilités immenses qui, une fois réalisées, feront de Genève un \\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
Annexe VII véritable foyer de culture socialiste.
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Annexe VIII ATR : Lettre circulaire de L’Effort [1936]
Le groupe L’Effort Un groupe de jeunes, animés de courage et de foi vient de constituer à Genève L’EFFORT Section Genevoise de la Fédération Romande des Théâtres Populaires et adresse aujourd’hui un vibrant appel à tous les vrais amis du théâtre. Devant l’insuffsance du théâtre contemporain et pour combler une lacune particulièrement ressentie dans notre ville, l’EFFORT se propose de poser à Genève les fondements d’un théâtre vivant et actuel, riche aussi bien de l’héritage du passé que des courants agissants de la pensée contemporaine et de rendre ainsi l’art théâtral à sa véritable mission qui est d’être un instrument de progrès vers une société plus équitable et plus harmonieuse. Des tentatives diverses se sont déjà fait jour dans ce sens ; elles ont prouvé avec évidence que seule l’union de toutes les forces intéressées à une rénovation du Théâtre, une large collaboration entre amateurs et professionnels, une orientation moderne des écrivains, compositeurs, peintres et metteurs en scène vers les problèmes urgents et les aspirations profondes des masses nous permettront de réaliser un véritable Théâtre du Peuple. C’est la raison pour laquelle notre Fédération Romande est affliée à l’Union des théâtres indépendants de France. Dès la constitution de notre groupe, nous nous sommes assurés le concours de professionnels du théâtre qui ont senti l’immense tâche qui les attend aux côtés de forces jeunes et pleines d’ardeur mais qui manquaient jusqu’ici d’une direction artistique sûre. Nous avons institué sous la direction de Madame Greta PROZOR un cours de diction et de mise en scène qui d’ores et déjà a rencontré un chaleureux accueil. Enfn nous nous proposons d’aménager notre local en un foyer qui puisse être le point de ralliement de tous les amis de l’art et de la culture. Dans le courant de la saison prochaine, l’EFFORT montera une série de spectacles, intéressants tant par leur valeur d’actualité que par leur tenue artistique. Pour mener à chef ce programme dont vous reconnaîtrez avec nous l’urgence et l’utilité, nous avons besoin d’un fonds de départ qui nous permette de faire face aux dépenses les plus immédiates, et vous demandons dans ce but de gagner à notre cause toutes les personnes susceptibles de nous apporter une aide effcace. [...]
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Annexe IX La Lutte ; 13.06.1936 ; p. 6
La Fédération romande des théâtres d’art populaire Le dimanche 21 juin [1936] se tiendra à Lausanne, le Troisième Congrès de la fédération. Les récents et importants événements, sur le plan politique, qui démontrent que dans un avenir proche la classe ouvrière sera unie en un vaste front populaire victorieux, nous font un devoir d’accorder une attention soutenue aux problèmes d’ordre culturel. Dans le domaine du théâtre se fait sentir de plus en plus la nécessité d’une union des forces éparses qui, sous une forme ou sous une autre, travaillent dans le sens d’un théâtre indépendant, franchement tourné vers l’avenir et trouvant sa raison d’être dans les souffrances, les luttes et les aspirations des larges masses populaires. Seule une collaboration étroite de toutes les capacités, qui trop souvent s’ignorent, acteurs, décorateurs, metteurs en scène, compositeurs, nous permettra de poser les bases du Théâtre du Peuple, de cette scène libre où notre conscience politique trouvera son expression artistique. Venant au lendemain du congrès de l’Union des théâtres indépendants de France (UTIF), à Paris, et du congrès suisse des théâtres ouvriers, à Olten, dont les résultats seront largement discutés à l’échelle romande, le congrès de Lausanne du 21 juin revêt une importance particulière. Tous les groupes ne faisant pas encore partie de la fédération sont cordialement invités à envoyer leurs délégués, tous les artistes, professionnels ou amateurs, partisans d’une scène indépendante et progressiste, doivent participer aux travaux du congrès de Lausanne du 21 juin.
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Annexe X Le Travail ; 14.10.1937 ; E. [André Ehrler]
Où “ s’affrment nos volontés et se défnit notre idéologie ” Il est toujours gênant de parler d’un ouvrage auquel on collabore. D’abord, parce qu’on se rend compte des imperfections et qu’on s’exagère certaines malfaçons. Ensuite, parce que tout le monde n’a pas la glorieuse impudence de chanter son propre los, ni de préjuger des critiques d’autrui. Cependant, il me faut bien expliquer aux lecteurs de notre journal le sens de notre essai. Selon les résultats que nous obtiendrons, nous verrons à parfaire notre travail pour les prochains festivals, ou à orienter autrement notre effort. Nous avons décidé de rompre avec la formule traditionnelle de spectacle telle qu’elle était jusqu’ici proposée à nos amis. Nous avons pensé qu’on pouvait utiliser les savoirs et les talents divers de nos sociétés et de nos camarades autrement que dans un salmigondis de productions incohérentes, qui sont certes propres à mettre en valeur les acquis de chaque groupement, mais qui n’ont aucune valeur de propagande ou de démonstration. Le Festival du Travail peut être l’occasion d’une manifestation dans laquelle s’affrment nos volontés et se défnit notre idéologie. On a trop négligé de coordonner les activités de nos sociétés ouvrières et de leur donner un prétexte qui ressortît à notre vie politique. L’année dernière déjà, une tentative a été faite de grouper, dans un dessein déterminé, les différentes associations membres du Cartel et de présenter une sorte de festspiel dont l’argument avait été pris dans une œuvre de notre camarade de Man. Cette année, nous avons essayé de faire mieux encore. Un travail collectif Nous avons appliqué des méthodes nouvelles de travail collectif. Quelques camarades, au cours de plusieurs réunions, ont cherché, puis précisé un thème. Celui qui a été choisi correspond à nos préoccupations actuelles. Il s’agit de schématiser l’état présent de l’Europe – d’où notre titre Europe 1937 – et de recenser nos chances de victoire. Ce résumé n’a pas été facile à établir. Le choix des épisodes était conditionné par d’impérieuses nécessités. La parole, le dialogue n’ont aucune valeur dans un spectacle de ce genre. Nous avons voulu recourir, dans toute la mesure du possible, à une argumentation visuelle, presque cinématographique. Europe 1937 doit se voir et non s’entendre. C’est la seule formule valable du théâtre collectif. Aussi avons-nous confé le bref commentaire verbal au chœur parlé, dont toutes les variantes sonores ont été utilisées. L’essentiel est mis en valeur par une plastique animée qui traite les développements successifs du thème. La lumière joue un rôle considérable dans nos effets, et elle sert à modeler nos tableaux. Ces quelques indications permettront déjà de comprendre qu’un tel ouvrage nécessite des collaborations nombreuses. Ces collaborations, nous les avons voulues aussi intéressantes que possible. Près de trente sociétés ouvrières, gymnastes, chanteurs, musiciens, etc., ont reçu un programme précis de travail et, sous leur propre responsabilité, doivent l’exécuter au
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Annexe X mieux. Depuis plusieurs semaines, les groupes répètent sous la direction de moniteurs et de chefs éprouvés. Toutes les sociétés qui ont à jouer un rôle important savent que de la perfection de ce rôle dépend la réussite de l’ensemble. Il n’y a donc pas, pour la préparation de notre spectacle, de direction unique et dictatoriale qui impose une volonté souvent irréalisable. Cette méthode laisse le champ libre aux initiatives individuelles et permet de tirer le meilleur parti des acquis de chacun des groupements. En outre, elle répartit les responsabilités et chaque président, chaque moniteur, chaque directeur, on pourrait même dire chaque exécutant sent que son effort n’est plus anonyme ni mécanique. Il est évident que l’unité du dessin original ne peut pas être ainsi assurée. Mais nous ne voulons pas faire œuvre d’art. Nous voulons fortifer le lien qui unit nos sociétés et, du même coup, apporter un témoignage de notre force. Le travail de coordination, de mise en place, si ingrat qu’il soit, est facilité par cette répartition des tâches. L’ordonnateur du spectacle n’aura plus qu’à imbriquer les diverses pièces de l’ouvrage et à polir l’ensemble. Ce que sera cet ensemble, il ne m’appartient pas de le dire. Mais je puis esquisser ici le thème lui-même. Le thème d’Europe 1937 Le peuple ne s’occupe pas assez de la direction des affaires publiques. Il se laisse distraire par les habiles manœuvres de la bourgeoisie. Il s’amuse à des bagatelles pendant que ses maîtres préparent son destin. Les lieux communs patriotiques servent de stupéfants. En Suisse, nous vivons de traditions périmées. Nous voulons fermer nos frontières aux grands courants sociaux qui bouleversent le monde et nous croyons leur échapper. Nous nous contemplons le nombril. Europe 1937 montre cet état de stagnation et de facile satisfaction. Mais d’autres peuples ont vécu des mêmes illusions. Pendant qu’ils se livraient à des jeux puérils, leur bourgeoisie s’armait pour les écraser. Il est utile d’évoquer en parallèle le destin des trois pays qui, à nos frontières, gémissent sous le joug fasciste. Italie, Autriche, Allemagne sont successivement écrasées par la vague réactionnaire. Mais la France du Front populaire résiste à l’assaut. Elle veut s’organiser dans la paix. Avec elle, l’Espagne républicaine prépare son émancipation. Cependant, le banditisme fasciste s’abat sur ce malheureux pays. La guerre civile espagnole se transforme bien vite en confit entre la liberté et l’oppression. Tous les peuples démocratiques sont appelés au secours de la liberté menacée en Espagne. La victoire ne peut se terminer que par la victoire du prolétariat international et l’effondrement du fascisme. Les scènes d’Europe 1937 symbolisent et exaltent cette volonté de libération. Elles sont conçues de telle sorte que le drame social soit compris par tous les spectateurs. Dans une circonstance au sujet de laquelle on me permettra de garder le silence, nous entraînons même les spectateurs à participer à l’action. Une musique écrite spécialement pour l’ouvrage soutient constamment cette action ; on lui a attribué un rôle émotif de tout premier plan. Un travail collectif de cette envergure doit autant que possible rester anonyme. Aussi me garderai-je de dresser une liste des collaborateurs. Tous ont une part égale à la réussite ou à l’échec. Tous sont convaincus de la réussite. Tous travaillent dans l’enthousiasme. Nos amis jugeront Europe 1937. Ils nous diront si la bonne formule a été trouvée. Ce spectacle qui dure environ une heure et demie, sans pause, sans entracte, qui forme un bloc compact, qui doit être accepté en bloc ou refusé en bloc, sera donné en tout cas deux fois, le jeudi et le vendredi
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Annexe X [28/29.10.1937]. On ne peut que diffcilement demander un effort plus grand aux camarades qui y participent. Et puis, nous mobilisons tant de place et de personnel que nous devons aussi penser aux résultats fnanciers du Festival du Travail et ne pas transformer celui-ci en festspiel. Je répète que le festival est l’occasion de notre essai. Nous ne pouvons donc que remercier les organisateurs de cette grande fête populaire, si impatiemment attendue par la classe ouvrière genevoise, de nous avoir permis d’expérimenter une nouvelle formule.
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Annexe XI
Tableau synoptique TP/L’Effort 1930
Evénements politiques
Avril : Superjustice (Ramen) ; Juin : Bâle – 5ème Congr. du PCS : Vildrac ; Rictus ; Verhaeren ; Toller ; “ Front unique prolétarien ” Rivet
Juin : 1ere Conf. de l’Union internationale du Théâtre ouvrier (UITO)
Mai : Le Portefeuille (Mirbeau) ; Le Père (Conti)
Novembre : Kharkov – 2ème Conf. internat. des Ecrivains prolétariens et révolutionnaires
Décembre : Pouchkine ; Vildrac ; André ; Maïakovsky ; Bedny ; Masson ; Artus ; La Bigote (Renard)
1931
Février : Adhésion à la FTOF
Janvier : Fond. de la Féd. des Th. ouvriers de France (FTOF) ; lancement de la revue La Scène ouvrière
Avril : La Bigote (Renard) ; Démocratie, tu n’es qu’un mot (Dorval) ; Le Ver rongeur (Troppenz)
Décembre : Genève – Reynold : La Gloire qui chante ; Zurich – Réun. de la section suisse de l’UITO
Novembre : La Rupture (Lavréniev)
1932
Théâtre et littérature
Avril/Mai : Poison (Wolf) Juin : Politique du Front unique prolétarien Juin-Novembre : Affaire de La Forge (Groupe “ Plans ”)
Août : Amsterdam – Léon Nicole au Janvier : Bâle – Réun. de la section congrès contre la guerre suisse de l’UITO Novembre : Genève – Fusillade de Plainpalais
Avril : URSS – Dissolution des organisations culturelles prolétariennes Octobre : Genève (UOG) – Conf. d’Alexandre Mairet sur “ L’art et le bolchévisme ” ; Paris – Ouverture du Théâtre d’Action international Novembre : L’UITO devient l’Un. Internat. du Théâtre révolutionnaire (UITR) Décembre : France – Fond. de l’Assoc. des Ecrivains et Artistes révolutionnaires (AEAR)
1933
Février + Juin : Chœur parlé sur la fusillade du 9 novembre 1932 (TP)
Janvier-Mai : Allemagne – Hitler chancelier. Incendie du Reichstag ; bûchers des livres
Avril : Saynète, d’après un texte de Engels sur la Suisse (TP) ; Monsieur Avril : Bienne – Congr. du PSS. Dufour sent que ça ne va plus (TP) ; Refus du “ Front unique ” avec le PC Le Grand plan (Becher) ; Aveux spontanés (Jeanson) Novembre : Genève - Victoire du PSG aux élections cantonales. Septembre : Hune Deusse (Piat). 1er num. de la rev. Culture prolétarienne
Janvier : Paris - 2ème Congr. de la FTOF : condamnation du “ schématisme ” et ouverture aux artistes professionnels Juillet : L’AEAR lance la revue Commune Décembre : Zurich – Réun. de la section suisse de l’UITR
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Annexe XI
1934
Janvier : Assassinat à Wedding ( ?)
Février : Paris – Emeutes des ligues Janvier : 3ème Congr. de la FTOF : d’extrême-droite Tournant vers la “ qualifcation ”
Février : Coups de pioche (TP) ; Le Cambrioleur (Sinclair) ; Clara Zetkin Septembre : L’URSS adhère à la (Becher) ;Asie (Vaillant-Couturier) ; SdN L’Appareil photographique (FTOF) Septembre-décembre : Le PC contre Avril-octobre : 50 millions (Sachs) la prolongation de l’école de recrues (référendum : févr. 1935) Juin : Vienne la rouge ( ?)
1935
Février : Qui veut la guerre ? (Jascheck/Arma) ; CP : le déf de la “ qualifcation ” Avril : Femmes de Florisdorff ( ?) Mai : Le Héros dans la cave (Huss/Houska) Septembre : CP : “ Théâtre prolétarien ou Théâtre populaire ? ”
Mai : Genève (Comédie) – Th. Ohel : Jacob et Rachel ( ?) ; Les Basfonds (Gorki) Août 1er Congr. de l’Un. des écrivains soviétiques Novembre : Zurich (Schauspielhaus) – Professor Mannheim (Wolf) ; Genève (Comédie) – Les Races (Bruckner)
Janvier : Lucerne – Congr. du PSS. Adhésion à la “ Défense nationale ”
Mars : Genève – Coriolan (Shakespeare/Piachaud)
Juillet-Août : 7ème Congr. de l’IC
Juin : Paris - 1er Congr. internat. des Ecrivains pour la Défense de la Culture
Septembre : Genève – Le PC soutient le gouvernement de Léon Nicole
Septembre : Genève – 1ère Conf. romande des théâtres ouvriers
Septembre-décembre : Professeur Mannheim (Wolf)
1936
Avril : Les Gars du bâtiment (TP) Mai : Le TP devient L’Effort : Vive Boulbasse (Gignoux) Octobre : Le Merveilleux Alliage (Kirchon) Octobre/novembre : Nous ! (Man/Gerster)
Février-Octobre : Espagne – Frente Avril : Paris – Dissolution de la Popular. Soulèvement nationaliste. FTOF. Fond. de l’Un. des Th. Création des Brigades internationales indépendants de France (UTIF) ; Genève (Victoria-Hall) – 70ème anniv. Mai/Juin : Zurich - 6ème Congr. du de R. Rolland, org. : Assoc. des PCS : “ Front populaire ” intellectuels pour la défense de la culture Mai-Juin : France – Victoire du Front populaire [ ? ] : Olten – Congr. suisse du Th. ouvrier Novembre : Genève – Echec de la gauche aux élections cantonales Juin : Lausanne – Congr. de la Féd. romande des Th. d’art populaire Décembre : L’Italie adhère au Pacte antikomintern Octobre : Genève (Salle Centrale)Conf. de Jean Bard sur “ Le théâtre russe en 1936 ”, org. : Assoc. des intellectuels pour la défense de la culture
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Annexe XI
1937
Avril : Le Séducteur de Séville (Tirso Juin : Genève – Interdiction du PC. de Molina) ; Font-aux-Cabres (Lope Entrée des communistes au PSG. de Vega) ;Noces de sang (Garcia Lorca) ; Pouvoir (Azaña) Juillet : Convention de la Paix du travail Octobre : Europe 1937 (Ehrler/ Jaquet/Closset) Décembre… Cabaret de L’Effort à Cité 19
Janvier : L’IC décide la dissolution de l’UITR Juin : Genève (Perle du Lac) – Genève chante (Jaques-Dalcroze Piachaud) Juillet : Valence/Barcelone/ Madrid/ Paris – 2ème Congr. internat. des Ecrivains pour la Défense de la Culture [ ? ] : Genève - 1er num. du mens. Connaître
1938
Mars-Avril : Une Demande en mariage (Tchékhov)
Mars : L’Allemagne annexe l’Autriche
Septembre : Genève – 1er num. de l’hebdom. La Semaine
Avril/Mai : L’Effort populaire (Fête Mai : Retour de la Suisse à la de Mai) neutralité “ intégrale ” Octobre-Décembre : Piguet/ Le Bon Septembre : Accords de Munich entendeur : Tout en suspens ! Septembre : Espagne – Novembre-Décembre : Les Fils de Démobilisation des Brigades Madame Carrar (Brecht/Roth) internationales Décembre : La Nuit des dupes (Anet)
1939
Novembre : Campagne pour l’amnistie des brigadistes suisses
Janvier-Mars : Les Fils de Madame Mars : Espagne – Fin de la Guerre Carrar (Brecht/Roth) d’Espagne Mars : La Nuit des dupes (Anet) Avril/Mai : Genève libre (Fête de Mai) (Jaquet/ Roth/Closset)
Août : Moscou - Pacte germanosoviétique Août : Suisse - Mobilisation générale Septembre : Le PSG exclu du PSS.
1940
Avril : Dernière assemblée de L’Effort
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Bibliographie Généralités BANHAM Martin (dir.) ; The Cambridge Guide to World Theatre ; Cambridge, New York, etc. : Cambridge University Press ; 1988 Bibliothèque nationale suisse ; Bibliographie des lettres romandes ; XII vols ; [1979 - 1991] ; Lausanne : Le Front littéraire (1982-1985) ; Lausanne : L’Aire (1985 - 1999) BRIDEL Gaston ; Le Théâtre en Suisse Romande ; XI. Jahrbuch de Gesellschaft für Schweizerische Theaterkultur ; Lucerne : Theaterkultur-Verlag ; 1937 CORVIN Michel ; Dictionnaire encyclopédique du théâtre ; Paris : Bordas ; 1995 DORT Bernard ; Théâtres. Essais ; Paris : Seuil ; 1986 ; “ Monde et théâtre ” : “ La vocation politique ” [1965] ; pp. 233 - 248 ; “ Un reversement copernicien ” [1969] ; pp. 249 - 274 ; “ Une propédeutique de la réalité ” [1968] ; pp. 275 - 296. HELBO André [et al.] ; Théâtre. Modes d’approche ; Bruxelles : Labor ; 1987 (“ Archives du futur ”) ; spéc. UBERSFELD Anne ; “ Pédagogie du fait théâtral ” ; pp. 169 - 201 ; MARINIS Marco de ; “ Sociologie ” ; In “ Quatre approches ” ; pp. 77 - 90 HAYOZ Chantal ; Bibliographie analytique des revues littéraires de la Suisse Romande. 1900 - 1981 ; Lausanne : Le Front littéraire ; 1984 JOSEPH Roger ; L’Union National. 1932 - 1939. Un fascisme en Suisse Romande ; Thèse de doctorat ; Lausanne : Université de Lausanne ; Boudry : La Baconnière ; 1975 MAITRON Jean (Dir.) ; Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français ; “ Quatrième partie : 1914 - 1939. De la Première à la Seconde Guerre mondiale ” ; tomes XVI à XLIII ; Paris : Les Editions ouvrières ; 1981 - 1993 MARICOURT Thierry ; Dictionnaire des auteurs prolétariens de langue française de la Révolution à nos jours ; Amiens : Encrage ; 1994 MUGNIER Henri ; “ Du Théâtre moderne et du théâtre en Suisse ” ; Vie, art, Société ; Lausanne ; septembre - octobre 1940 PAVIS Patrice ; Dictionnaire du théâtre ; Paris : Dunod ; 1996 POUJOL Geneviève, ROMER Madeleine ; Dictionnaire biographique des militants. XIXe – XXe siècles : de l’éducation populaire à l’action culturelle ; Paris : L’Harmattan ; 1996
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RAGON Michel ; Histoire de la littérature prolétarienne de langue française ; Paris : Albin Michel ; nouv. éd. : 1986 (1ère éd. : 1974) RENFER Marie-Louise ; Bibliographie générale de la littérature romande de 1930 à 1940 ; Travail de diplôme ; Genève : Ecole de bibliothécaires ; 1942 SCHLAEPFER Beat ; “ Le théâtre en Suisse – Panorama historique ” ; In Le Théâtre en Suisse ; Zurich : Pro helvetia ; 1994 ; pp. 9 - 89 “ Théâtre et politique de la fn du Moyen-Age à nos jours ” ; Revue Française d’Histoire des Idées Politiques ; N° 8 ; Paris : Picard ; 1998
Le Théâtre d’art prolétarien (1930 – 1936) 1. Sources 1.1 Sources publiées Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 3 : “ Les Partis communistes et l’Internationale communiste dans les années 1928 - 1932 ” ; sous la dir. de Siegfried BAHNE ; édité par Casto Del Amo et Bernhard H. Bayerlein ; Dordrecht (NL) : Kluwer Academic Publishers ; 1988 Archives de Jules Humbert-Droz ; t. 5 : “ Sous l’œil de Moscou. Le Parti communiste suisse et l’Internationale. 1931 - 1943 ” ; sous la dir. de André Lasserre ; édité par Brigitte Studer ; Zürich : Chronos Verlag ; 1996 CHAMOREL Julia ; La Cellule des écoliers ; Lausanne : L’Age d’homme ; 1983 (“ Contemporains ”) CONDORCET Marie Jean Antoine Nicolas Caritat de ; Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain [1795] ; Hildesheim, New-York : Georg Olms Verlag ; 1981 “ Deuxième Conférence internationale des écrivains révolutionnaires. Rapports, résolutions, débats ” ; La Littérature de la révolution mondiale. Organe central de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires ; Moscou : Editions d’Etat ; 1931 DIEZEL Peter (Dir.) ; “ Wenn wir zu spielen – Scheinen ”. Studien und Dukumente zum Internationalen Revolutionären Theaterbund ; Berne : Peter Lang ; 1993 Fédération des sociétés théâtrales d’amateurs ; XIIme Congrès et VIIme Concours international d’art dramatique et lyrique. Organisé par la Société genevoise des amis de l’instruction. Genève 7, 8, 9 et 10 juin 1924. Programme offciel ; Genève : Société genevoise d’édition et d’impressions ; [1924]
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FLAUBERT Gustave, SAND George ; Correspondance ; ed., préf. et notes de Alphonse Jacobs ; Paris : Flammarion ; 1981 IVERNEL Philippe [et al. : Equipe “ Théâtre moderne ” du GR 27 du CNRS] ; Le Théâtre d’agit-prop de 1917 à 1932 ; Lausanne : La Cité - L’Age d’homme ; 1977 - 1978 ; 4 vols. ; (Collection Théâtre années vingt) LOUNATCHARSKY Anatoli Vassilievitch ; Théâtre et révolution ; préface et notes d’Emile Copfermann ; Paris : Maspero ; 1971 ; spec. : II. “ Théâtre et révolution ”, pp. 85 - 164 ; Annexes [...] 2. “ Rapport sur les fêtes du peuple ”, présenté par Kergentsev au premier congrès du Théâtre ouvrier et paysan ; novembre 1919 ; pp. 274 - 275 : Annexes [...] 6. “ Discours d’Andreï Jdanov au premier congrès des écrivains soviétiques [1934] ”, pp. 295 302 PROUDHON Pierre-Joseph ; Du principe de l’art et de sa destination sociale ; Paris : Garnier Frères ; 1865 (“ Œuvres posthumes de P.-J. Proudhon) 1.2. Pièces publiées DORVAL Jean ; Démocratie, tu n’es qu’un mot ! ; [1931] ; In Le Théâtre d’agit prop… ; vol. 4 ; Lausanne : La Cité - L’Age d’homme ; 1977 LAVRÉNIEV Boris ; La Rupture. Pièce en 4 actes ; traduit du russe par A. Roudnikov et A. Oranovskaïa ; préface de Marcel Martinet ; Paris : Bureau d’éditionss ; 1931 VAILLANT-COUTURIER Paul ; Trois Conscrits. Le Monstre. Asie ; Paris : Bureau d’éditions ; 1929 (“ Le Théâtre prolétarien, N° 4) WOLF Friedrich ; Cyankali [1929] ; In Gesammelte Werke... Dramen ; Berlin : AufbauVerlag ; 1960 ; vol. 2 Friedrich WOLF ; Professeur Mamlock. Pièce en 4 actes [1934]. Précédé de Un Mamlock ? Douze millions de Mamlock ! ; textes traduits de l’allemand [Professor Mamlock] par Françoise Marin ; Paris : Les Editeurs français réunis ; 1977 1.3. Principales publications périodiques Commune. Revue de l’Association des écrivains et des artistes révolutionnaires (AEAR) [Ensuite : Association des écrivains et des artistes pour la défense de la culture] ; Paris : Editions sociales internationales ; 1933 - 1939 Culture prolétarienne. Revue d’art et de littérature révolutionnaire pour la Suisse Romande [Ensuite : Organe du Théâtre d’art prolétarien] ; Genève ; 1933 - 1935 Le Drapeau rouge. Organe communiste ; Genève ; 1923 - 1934 La Lutte. Organe communiste ; Genève ; 1934 – 1937
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Monde. Hebdomadaire d’information littéraire, artistique, scientifque, économique et sociale [Ensuite : hebdomadaire international] ; Dir. Henri Barbusse ; Paris ; 1928 – 1935 Le Réveil anarchiste ; Genève ; 1930 - 1939 La Scène ouvrière. Organe mensuel de la Fédération du théâtre ouvrier de France ; Paris ; 1931 - 1932 Le Théâtre international. Organe de l’Union internationale du théâtre révolutionnaire ; Moscou ; 1931 - 1934 Le Travail. Quotidien socialiste ; Genève ; 1930 - 1940 1.4. Sources inédites Archives du Département de l’instruction publique (AEG ; Genève) Archives André Ehrler (AEG ; Genève) Archives de la Fédération des travailleurs du bois et du bâtiment (FOBB) (Collège du travail ; Genève) Archives de Jules Humbert-Droz (Bibliothèque de la Ville ; La Chaux-de-Fonds) Archives du Ministère public de la Confédération (AFS ; Berne) Archives du Parti communiste français [CRCEDHC ; Moscou] (BMP ; Paris) Archives du Parti communiste suisse [CRCEDHC ; Moscou] (BCU ; Lausanne) Archives de Théo Roth (Privé ; Genève) Archives de l’Union des syndicats du canton de Genève (USCG) (USCG ; Genève) Archives de Lucien Tronchet (Collège du travail ; Genève) Débat “ Le Théâtre prolétarien de Genève ”. Enregistrement sonore. Avec William Jacques, Philippe Ivernel, Philippe Schwed ; Philippe Macasdar (modér.) ; Comédie de Genève ; 06.02.1991 (Compte-rendu In VO Réalités. Organe du Parti suisse du Travail – POP ; Genève ; N° 7 ; 14 – 20 février 1991 ; p. 11) Documents du Parti communiste suisse (-1932) (AFS, Fonds Police de Zurich ; Berne) Entretien avec Joseph Marbacher ; St. Antoni (FR) ; 27.01.2001
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2. Etudes “ 1890 - 1950. Jalons pour une histoire du mouvement ouvrier à Genève ” ; Confrontations ; N° 1 ; Genève : Collège du travail ; octobre 1992 (“ Cahiers du Collège du travail ”) ANGENOT Marc ; “ Proudhon et l’art social. Sur l’essai de P.-J. Proudhon, Du principe de l’art et de sa destination sociale, Paris: Lacroix, 1875 ” ; [Texte sur la toile] http://communities.msn.com/PAGEDEMARCANGENOT&naventryid=100 BAVAUD Pierre ; BEGUIN Jean-Marc ; Les Oubliés : trois Suisses de la Guerre d’Espagne ; Yens-sur-Morges, St.-Gingolph : Cabedita ; 1998 BENGLOAN Bernard ; La Muette. Le théâtre en Suisse Romande (1960-1992) ; Lausanne : L’Age d’homme ; 1994 ; spéc. “ Genève ” ; pp. 125-194 BERTRAND de MUÑOZ Maryse (Prés.) ; Literatura sobre la Guerra civil. Poesía, narrativa, teatro, documentación. La expresión estética de una ideología antagonista ; Barcelona : Anthropos ; 1993 BROCCO Flavio ; Le Parti socialiste genevois depuis la scission communiste jusqu’à l’alliance avec les radicaux ; Mémoire de licence ; Genève : Université de Genève ; Faculté des Lettres ; 1978 BURGER Marcel ; Reconstruction d'une identité collective : jeux et enjeux des manifestes, 18.05.2000, Louvain-la-Neuve, UCL : Action de recherche concertée (ARC) "Langue(s) et identité(s) collective(s)" (Compte-rendu par Aude Bretegnier). [Site sur la toile :] http://valibel.ftr.ucl.ac.be/arc/seminairesarc4.htm CHAMPARNAUD François ; Révolution et contre-révolution culturelles en URSS. De Lénine à Jdanov. Textes de Bogdanov, Boukharine, Lounatcharsky, Kollontai ; Paris : Anthropos ; 1975 DETRAZ Christine [et al.] ; “ C’était pas tous les jours dimanche... ”. Vie quotidienne du monde ouvrier. Genève, 1890 - 1950. Catalogue publié à l’occasion de l’exposition organisée par le Département Europe du Musée d’ethnographie et la Fondation du Collège du travail. [Genève] 14 octobre 1992 – 4 avril 1993 ; Genève : Musée d’ethnographie, Fondation du Collège du travail ; [S. d.] (“ Itinéraires Amoudruz ” ; 9) DREYFUSS Michel ; GROPPO Bruno [et al.] ; Le Siècle des communismes ; Paris : Les Editions de l’atelier / Editions ouvrières ; 2000 “ Les Engagements d’Aragon ”. Ouvrage réalisé à l’initiative du Conseil général de la SeineSaint-Denis, dans le cadre des manifestations “ Le siècle d’Aragon ” ; Paris ; Université Paris 13 : Centre d’études littéraires francophones et comparées, L’Harmattan ; 1997 (“ Itinéraires & contacts de cultures ” ; vol. 24)
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FAUVET Jacques ; Histoire du Parti communiste français ; t. 1 : “ De la guerre à la guerre (1917 - 1939) ” ; Paris : Fayard ; 1964 (“ Les Grandes études contemporaines ”) GARBANI Philippe, SCHMID Jean ; Le Syndicalisme suisse. Histoire politique de l’Union syndicale 1800 – 1980 ; Lausanne : Editions d’en bas ; 1980 (Coll. “ Histoire populaire ”) ; 3e partie : “ De la grève générale de 1918 à la ‘’Paix du travail’’ ” ; p. 85 - 135 GROUNAUER Marie-Madeleine ; La Genève rouge de Léon Nicole. 1933 - 1936 ; [Genève] : Adversaires ; 1975 GOULEMOT Jean-Marie, GREENSPAN Arthur (Dir.) ; “ Des poissardes au réalisme socialiste ” ; Revue des sciences humaines ; N° 190 [N° spéc.] ; Lille ; avril - juin 1983 HEIMBERG Charles ; “ L’œuvre des travailleurs eux-mêmes ”. Valeurs et espoirs dans le mouvement ouvrier genevois au tournant du siècle (1885 - 1914) ; Thèse de doctorat ; Genève : Université de Genève ; Faculté des lettres ; Genève : Slatkine ; 1996 JEANNERET Pierre ; “ Aspects de la culture ouvrière en Suisse ” ; Cahiers d’histoire du Mouvement ouvrier ; N°10 ; Lausanne : AEHMO ; 1994 ; pp. 27 - 50 JEANNET Daniel ; Histoire de Poche : Théâtre de Poche 1948, Théâtre Le poche - Genève 1998 ; Genève - Carouge : Zoé ; 1998 JEANNET Daniel ; “ Le Théâtre ” ; In Encyclopédie de Genève ; t. 10 ; “ Les plaisirs et les arts ” ; Genève : Association de l’Encyclopédie de Genève ; 1994 ; pp. 33 - 59 MONETTI Neria ; Le sort du Front unique à Genève pendant les années ’30 ; Mémoire de licence ; Fribourg : Université de Fribourg ; Faculté des Lettres ; 1976 NOIRIEL Gérard ; Les ouvriers dans la société. XIXe – Xxe siècle ; Paris : Seuil ; 1986 ODERMATT Karl [et al.] ; Histoire et politique. Sur le mouvement ouvrier à Genève ; Genève : Parti du travail ; 1977 PALMIER Jean-Michel ; Weimar en exil. Le destin de l’émigration intellectuelle allemande antinazie en Europe et aux Etats-Unis, 1. Exil en Europe, 1933 - 1940 : de l’incendie du Reichstag à la guerre d’Espagne ; Paris : Payot ; 1988 ; spéc. “ Exil en Suisse ” ; pp. 230 241 ; “ Les congrès d’écrivains pour la défense de la culture ” ; pp. 484 - 494 STUDER Brigitte ; “ Les communistes genevois, Léon Nicole et le Komintern dans les années trente ” ; Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève ; t. 22 ; Genève ; 1992 ; pp. 65 – 85
\\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
STUDER Brigitte ; Un parti sous infuence : le Parti communiste suisse, une section du Komintern, 1931 – 1939 ; Lausanne : L’Age d’homme ; 1994 TORRACINTA Claude ; Genève 1930-1939. Le Temps des passions ; Genève : Tribune Editions ; 1978 VUILLEUMIER Marc ; “ Mouvement ouvrier, formation et culture : le cas de Genève (18901939) ” ; Revue syndicale suisse ; N°1 (1989) ; Berne : USS ; 1989 ; pp. 1 - 19 VUILLEUMIER Marc ; “ La Surveillance politique à Genève : quelques cas (1920 - 1934) ” ; Etudes et sources. Revue des Archives fédérales suisses ; N° 26 ; Vienne : Verlag Paul Haupt ; 2000 ; pp. 238 - 269
Le groupe L’Effort (1936 – 1940) 1. Sources publiées (non mentionnées plus haut) AZNAR SOLER Manuel, SCHNEIDER Luis Mario (Ed.) ; II Congreso internacional des Escritores para la Defensa de la Cultura (Valencia – Madrid – Barcelona – París, 1937) ; Vol. 3 : “ Actas, ponencias, documentos y testimonios ” ; Valence : Generalitat Valenciana. Conseilleria de Cultura, Educació i Ciència ; 1987 BRECHT Bertolt ; Ecrits sur le théâtre ; 2 vol. ; Paris : L’Arche ; 1963 - 1979 (Apud Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp Verlag ; 1967) BRECHT Bertolt ; Journal de Travail 1938 – 1955 ; texte français de IVERNEL Philippe ; Paris : L’Arche ; 1976 [titre orig. Arbeitsjournal ; ed. établie par Werner Hecht ; New York : Stefan S. Brecht ; Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp Verlag ; 1973] 1.2. Pièces publiées BRECHT Bertolt ; Die Gewehre der Frau Carrar ; Londres : Malik Verlag ; 1937 BRECHT Bertolt ; Les Fusils de la mère Carrar ; trad. Gilbert Badia ; Paris : L’Arche ; 1955 ; In Théâtre Complet ; vol. 4 ; Paris : L’Arche ; 1975 ; pp. 7 - 37 GERSTER Ottmar (mus.), MAN Henri de ; Wir ! Ein sozialistisches Festspiel ; Berlin : Arbeiterjugend-Verlag ; 1932 1.3. Publication périodique (non mentionnée plus haut) La Semaine. Hebdomadaire romand ; Genève ; 1938 – 1939
\\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
1.4. Sources inédites (non mentionnées plus haut) Archives de l’Université ouvrière de Genève (UOG) (UOG ; Genève) Archives de la Chorale populaire L’Avenir (AVG ; Genève) 2. Etudes ALESSANDRINI Luca [et al.] ; Immagini nemiche. La Guerra civile spagnola e le sue rappresentazioni (1936-1939) ; Bologne : IBC Istituto per i Beni Artistici Culturali e Naturali della Regione Emilia-Romagna, Editrice Compositori ; 1999 BATTAGLIA Valérie ; Socialisme et théâtre en France durant l’entre-deux-guerres ; Mémoire de DEA ; Paris : Université de Paris III Sorbonne nouvelle ; Institut d’études théâtrales ; 1988 PIDOUX Jean Yves ; “ Le Festspiel ou l’art de la prétérition ” ; In ENGLER Balz et KREIS Georg (Dir.) ; Das Festspiel : Formen, Funktionen, Perspektiven, Société suisse du théâtre. Annuaire du Théâtre suisse ; N° 49 ; Willisau : Theaterkultur-Verlag ; 1988 ; pp. 254 - 269 KREIS Georg ; La Suisse chemin faisant. Rapport de synthèse du Programme national de recherche 21 : “ Pluralisme culturel et identité nationale ” ; Lausanne : L’Age d’homme ; 1994 JEANNERET Pierre ; Léon Nicole et la scission de 1939. Contribution à l’histoire du Parti socialiste suisse ; [S. l.] : Fonds national de la recherche scientifque ; 1986/1987 JEANNERET Pierre ; “ La Semaine. Un hebdomadaire antifasciste politique et culturel ” ; Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier ; N° 7 ; Lausanne : AEHMO ; 1990 – 1991 ; pp. 7 21 LAZAR Marc ; “ Damné de la terre et homme de marbre. L’ouvrier dans l’imaginaire du PCF du milieu des années trente à la fn des années cinquante ” ; Annales ESC ; N° 5 (1990) ; Paris : Ecole des Hautes études en sciences sociales ; septembre - octobre 1990 ; pp. 1071 1096 ORY Pascal ; La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire. 1935 – 1938 ; Paris : Plon ; 1994 ; partie II ; chap. 7 ; “ Théâtre ” : “ Les théâtres du Rassemblement ” ; pp. 349 - 368 PLARD Henri ; “ Les Ecrivains allemands ” ; In HENREZ Marc ; Les Ecrivains et la Guerre d’Espagne ; Paris : Pantheon Press France ; [1975] ; pp. 21 - 35 (Cahiers de l’Herne ; “ Les dossiers H ”) RICHARD Lionel (Dir.) ; “ Brecht ” ; Obliques ; Ns 20 – 21 ; Nyons : Editions Borderie ; [1979] ; spéc. RICHARD Lionel ; “ De Synge à Brecht ” ; pp. 39 - 44 ; EURLI Brunella ; “ Les intellectuels et le fascisme ” ; pp. 89 - 94
\\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008
TUÑON de LARA Manuel (Dir.) ; Historia de España ; t. IX : La Crisis del Estado : Dictadura, Républica, Guerra (1923 - 1939) ; Barcelone : Labor ; 1981 VANHELLEPUTTE Michel ; “ Bertolt Brecht et la Guerre d’Espagne ” ; Revue belge de philologie et d’histoire ; t. 65/3 ; Bruxelles : Société pour le progrès des études philologiques et historiques ; 1987 ; pp. 515 - 521 [Actes du Colloque “ La Guerre civile d’Espagne – Histoire et culture ” (Université Libre de Bruxelles, 23-25.10.1986)]
\\BASTION1\DATAETU\LETTRES\HOME\GAJARDO1\PRIVE\mémoire\Mémoire.doc Texte 17.09.2001 + Corrections et amendements au 15.10.2001 (soutenance). Corrections formelles au 5.3.2003, puis au 22.10.2008