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Bien choisir son traceur pour tester la capacité de son mélangeur Un industriel mélangeant des poudres se pose de manière récurrente deux questions : Mon mélangeur ou mon installation de mélange est-il (ou est-elle) capable de mélanger ? Mon mélange final est-il homogène ? Ces deux questions n’ont clairement pas la même réponse. Une réponse positive à la première est indispensable à l’obtention d’une positive à la seconde. En d’autres termes, le mélangeur doit être en capacité de mélanger si l’on veut espérer fabriquer un mélange homogène. Une problématique claire mais complexe La définition de l’homogénéité donnée par Pierre Gy : « État d’un lot de matière dont tous les éléments sont rigoureusement identiques entre eux » conduit à avoir besoin de 4 éléments pour tester l’homogénéité : un lot, des éléments, un critère d’identité et une échelle de rigueur. Pour un mélangeur par charge, une charge peut constituer le lot, mais pour un mélangeur en continu, il convient de définir les moments qui constitueront le début et la fin du lot. Les éléments correspondent aux échantillons qui seront collectés et pour lesquels on mesurera le critère d’identité, mais dans le cas d’une mesure en continu, le problème serait différent. L’opérateur du test d’homogénéité doit prêter attention à ce que la taille de cet élément « échantillon » corresponde à son espérance d’homogénéité et au trajet qui sera suivi entre la prise des éléments et la mesure qui sera faite sur ceux-ci. Il existe toujours une taille d’élément pour laquelle chacun des produits tracés sont répartis de manière hétérogène. Le critère d’identité est la substance analysée, le produit tracé dont on souhaite connaître la distribution. Enfin, la rigueur correspond au niveau de tolérance des variations entre les valeurs du critère d’identité. Il s’agit dans de nombreux cas d’une valeur de coefficient de variation ciblée, même si d’autres indices de mélange existent. Cette définition de l’homogénéité conduit donc à l’absence de réponse univoque à la seconde question. L’homogénéité d’un mélange ne peut être appréciée que composant par composant. Encore faut-il que chaque composant puisse être abordé par un critère d’identité mesurable avec précision ! En industrie de l’alimentation animale, les professionnels se sont donc orientés vers une méthode commune dès le milieu des années 90, car l’homogénéité des aliments et les perfor34
Le Journal du VRAC - N°77
mances d’homogénéisation des mélangeurs ont fait l’objet d’une attention particulière lors de la parution de plusieurs directives européennes. Ainsi, pour répondre aux directives demandant la démonstration de la maîtrise de l’homogénéité, l’orientation choisie a été celle de la démonstration de la capabilité des mélangeurs à homogénéiser un aliment. Dans ce cadre, le choix du produit tracé prend une importance stratégique. Pour tester le mélangeur, il convient de choisir, au minimum, un produit en capacité de se distribuer sans quoi le mélangeur n’a aucune chance d’y réussir. Pour l’industrie de la nutrition animale, la sélection d’un produit en tant que traceur doit donc respecter des règles : • Il doit être incorporé à faible concentration à l’identique de l’ensemble des additifs dont il se veut l’image • Il doit être analysable par une méthode exacte, répétable, sensible, simple et d’un coût raisonnable en raison du nombre important d’analyses nécessaires • Il doit être apporté au mieux exclusivement par une seule origine pour être le reflet de son seul comportement au mélange. Ainsi, des constituants des formules du type protéines, matières grasses, cendres, ou chlorures de part leurs origines multiples, ne peuvent composer la base d’un test de performance d’homogénéisation, car ils sont par essence déjà répartis de façon assez homogène dans les composants des aliments. • L’origine du traceur doit être constituée par un nombre important de particules qui a été fixé à un million par gramme. Ce chiffre conduit à la présence d’au moins 1 000 particules dans chaque échantillon quand le produit est introduit à 100 g/t et que les échantillons sont de 100 g. Toutefois, il reste possible de choisir un traceur constitué d’un plus faible nombre de particules par gramme, mais il faut savoir que toute diminution de ce nombre de particules engendrera potentiellement une augmentation de l’hétérogénéité potentielle. • Il ne doit pas être détruit ou modifié par les opérations réalisées entre le point d’incorporation et le point de prélèvement, car toute perte de traceurs se traduit potentiellement par une perturbation de la distribution ou de sa mesure. Le non-respect de ces critères peut conduire à ce qu’un produit, dont on aurait espéré mesurer la dispersion dans le mélange, ne puisse être utilisé au titre de traceur pour qualifier la performance du mélangeur. Parmi ces critères, outre le nombre de particules présent dans l’échantillon, la qualité de la méthode d’analyse paraît essentielle. En effet, de la capacité de l’analyse à distinguer des différences significatives de concentrations entre deux échantillons dépend l’étude des variations et donc de l’homogénéité. Or, il arrive toujours un moment où la méthode d’analyse n’est plus capable de distinguer des différences entre échantillons, même si celles-ci existent. Il est
donc essentiel de faire le choix d’un traceur sur cette capacité de distinction de la méthode d’analyse pour tester une aptitude à la dispersion d’un mélangeur. Pour illustrer l’ensemble de ce propos, Tecaliman a été amené à démontrer aux autorités de tutelle que certains produits autorisés comme additifs ne pouvaient pas être tous considérés comme des traceurs acceptables pour tester la capabilité des mélangeurs. L’élaboration de ces essais et leurs résultats sont, à ce titre, édifiants. Ainsi, cette étude a été élaborée dans l’objectif de tester le comportement au mélange, dans des conditions strictement identiques, de 12 produits susceptibles d’être employés comme traceur en alimentation animale.
Pouvoir reconnaître le meilleur de ses traceurs L’aliment utilisé était un aliment pour porc charcutier (570 µm, 640 g/l). Les 12 produits qui ont été testés ont été choisis sur la base de la liste positive des additifs de l’époque (10 d’entre eux) complétés par un produit médicamenteux et un traceur externe. Ce dernier est un produit appelé microtraceur qui est constitué de
T T
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Tableau 2 : Produits tracés contenus dans chacun des mélanges Mélange 1
Mélange 2
Mélange 3
Manganèse
Manganèse
Manganèse
Meticlorpindol
Meticlorpindol
Meticlorpindol
Microtraceur RF
Microtraceur RF
Microtraceur RF
Cuivre
Sélénium
Oxytétracycline
Avilamycine
Flavophospholipol
Salinomycine
Monensin
Maduramycine
Lasalocide
limaille de fer (78 µm) sur laquelle est collé un colorant alimentaire bleu avec de la gomme arabique. Leurs caractéristiques physiques montrent la variété des produits (Tableau 1). À partir du spectre granulométrique et d’un calcul de la masse volumique particulaire, le nombre de particules par gramme d’additif commercial est estimé. Le mélangeur employé de marque Gondard d’une capacité de 224 litres est pourvu d’un double ruban tournant à 32 tr/mn soit une vitesse périphérique de 0,82 m/s. La vidange est réalisée au travers d’une trappe située à une extrémité du mélangeur et par inversion du sens de rotation du mobile. Pour des
raisons de compatibilité analytique entre certains produits, leur dispersion dans l’aliment a été testée par la fabrication de 3 mélanges de 100 kg. Chaque mélange comporte 6 traceurs. Trois sont récurrents, ce qui permet de tester la répétabilité des essais et les 9 autres sont répartis par groupe de 3 dans chacun des mélanges (Tableau 2). Ces tests sont réalisés aux concentrations maximales prévues par la liste positive à l’exception du flavophospholipol qui suite à une erreur sur la valeur de la concentration initiale a été introduit à seulement 10 % de la dose normale (Tableau 3). Afin de donner les meilleures chances
Tableau 1 : Caractéristiques physiques et comportementales des additifs tracés * ces produits sont commercialisés sous forme de prémélange – La granulométrie obtenue est celle du prémélange Produits
Angle de talus par Masse volumique éboulement (°) Apparente (g/m3)
Indice d’Hausner
Diamètre médian laser (µm)
Estimation du nombre de particules par gramme d’additif
Avilamycine *
49.6
0.58
1.06
617.8
9.2 104
Flavophospholipol *
68.9
0.65
1.27
54.7
1.2 1010
Salinomycine *
41.0
0.59
1.05
224.0
6.1 106
Oxytétracycline
61.1
0.43
1.37
5.5
1.7 1012
Lasalocide
52.8
0.54
1.06
459.3
2.8 106
Maduramycine *
46.9
0.55
1.03
658.6
1.0 104
Meticlorpindol *
75.9
0.41
1.18
335.6
4.9 107
Monensin *
51.6
0.70
1.03
528.0
3.3 105
Cuivre
41.8
1.41
1.03
455.1
2.1 105
Manganèse
72.4
1.09
1.38
20.4
4.1 1010
Sélénium
47.6
1.52
1.04
703.5
3.2 103
Microtraceur RF
35.5
3.02
1.04
78.0
2.4 106
Le Journal du VRAC - N°77
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Tableau 3 : Taux d’incorporation et techniques d’analyses des produits testés Produits Avilamycine Flavophospholipol Salinomycine Oxytétracycline Lasalocide Maduramycine Meticlorpindol Monensin Cuivre Manganèse
Taux d’incorporation (ppm)
Technique d’analyse
Taille de la prise d’essai (g)
40 2.5 (Normalement 25) 60 500 125 5 200 125 175 250
Microbiologie
5
Microbiologie
5
HPLC HPLC HPLC HPLC HPLC HPLC Torche à Plasma Torche à Plasma Absorption atomique
25 5 10 50 10 25 5 5
Colorimétrie
150
Sélénium
0.5
Microtraceur RF
250
2
Tableau 4 : Résultats des analyses de variance effectuées sur tous les traceurs utilisés dans les trois mélanges Coefficients de variation
Mélange 3
Mélange 2
Mélange 1
Traceurs
36
Signif.
Total
Résiduel
Homogénéité
Microtraceur
Oui
4.4
2.4
3.7
Manganèse
Non
3.2
2.4
2.2
Meticlorpindol
Non
2.2
2.1
0.5
Avilamycine
Oui
15.1
7.5
13.1
Monensin
Non
8.8
10.4
0.0
Cuivre
Oui
6.1
3.4
5.1
Microtraceur
Oui
2.7
1.7
2.1
Manganèse
Non
2.0
2.3
0.0
Meticlorpindol
Non
5.2
5.7
0.0
Flavophospholipol
Non
29.0
30.0
0.0
Maduramycine
Non
9.3
9.3
1.0
Sélénium
Non
15.5
11.0
10.9
Microtraceur
Oui
3.4
2.2
2.6
Manganèse
Oui
3.2
2.0
2.4
Meticlorpindol
Non
3.3
3.2
0.3
Oxytétracycline
Oui
7.6
3.8
6.6
Salinomycine
Non
4.7
3.9
2.8
Lasalocide
Non
5.4
4.6
2.9
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de répartition aux produits, ils sont d’abord prémélangés dans un support organique. Ce prémélange est ensuite introduit à 1 % dans l’aliment au milieu du remplissage du mélangeur. Avant et entre chaque mélange, le mélangeur est systématiquement rincé par 50 kg d’aliment, puis nettoyé. Après 5 minutes de mélange, le sens de rotation du mobile est inversé et la trappe ouverte, afin d’extraire le mélange dans un bigbag. Celui-ci est ensuite découpé à une hauteur d’environ 20 cm dégageant le mélange sous la forme d’un tapis rectangulaire d’une dizaine de centimètres d’épaisseur qui est fractionné en 40 zones. Un échantillon aléatoire d’environ 300 g est prélevé dans chacune en surface et/ou en profondeur. Chacun des échantillons est conditionné en pot numéroté. Un tirage au sort de 10 échantillons est ensuite réalisé pour leur expédition au laboratoire. Vingt autres échantillons sont tirés au sort pour l’analyse du microtraceur. Les dix derniers échantillons sont gardés en réserve. Aucun traitement particulier n’est appliqué aux échantillons avant leur expédition au laboratoire. Sur chaque échantillon et pour chaque traceur, les analyses sont effectuées en double. Ainsi, le laboratoire réalise un broyage intégral de chacun des échantillons, suivi d’un remélange avant leur division pour fournir 2 prises d’essai issues de chaque échantillon. Pour l’analyse des microtraceurs, chaque échantillon est divisé en 2 sans broyage avec un diviseur à rifle, puis les microtraceurs sont extraits magnétiquement avant une analyse colorimétrique. Les résultats des analyses sont traités par analyses de variance à un facteur (échantillon) selon le modèle aléatoire. L’avantage de ce type d’analyse statistique est de pouvoir identifier la part jouée par la variation résiduelle (générée par les analyses faîtes sur un même échantillon) dans la variation totale mesurée. Selon le guide des bonnes pratiques des fabricants d’aliments du bétail, un coefficient de variation inférieur à 5 % est jugé comme conforme.
L’évaluation du mélangeur est soumise au traceur Les résultats obtenus pour tous les traceurs testés dans les trois mélanges sont précisés dans le Tableau 4. Les lignes de couleur claire indiquent une variation inter-échantillon significative et les violettes, l’absence de signification, car les différences entre 2 analyses pratiquées sur un même échantillon sont statistiquement supérieures à celles entre échantillons. Dans chacun des mélanges, 3 traceurs ont été systématiquement introduits dans les mêmes conditions et à des concentrations voisines. Ils ont été choisis à dessein dans trois catégories différentes : traceurs externes, oligo-éléments, traceur interne organique. Les résultats de répartition de ces 3 traceurs montrent que seul le microtraceur permet d’identifier des écarts significatifs entre échantillons, même s’ils sont faibles (Fond clair). Pour le manganèse, les écarts ne sont significatifs que pour le mélange 3. Par contre, les variations résiduelles du meticlorpindol sont toujours trop importantes (Fond violet). Les CV homogénéité obtenus dans le cas des 4 variations significatives se placent entre 2.1 et 3.7 % et les CV total dans les mêmes conditions, entre 2.7 et 4.4 %. S’il est fait abstraction de la signification, le mélangeur se verrait donc attribuer par ces 3 traceurs confondus des CV total allant de 2.0 à 5.2 %. Ceci met en évidence que la prise en compte de l’effet de la procédure analytique dans la variation résiduelle conduit à limiter la plage de variation des coefficients. L’étude de la répartition des résultats est intéressante car, dans 1 cas sur 9, le CV total dépasse la valeur limite de 5 %. Ainsi, l’obtention d’un seul résultat supérieur à 5 % ne peut être considérée comme un indice d’un dysfonctionnement radical du mélangeur. Parmi ces 9 autres produits traceurs, seuls 3 conduisent à des variations significatives entre échantillons : l’Avilamycine, le Cuivre, et l’Oxytétracycline. Toutefois, les CV homogénéité obtenus sont les plus élevés (de 5.1 à 13.1 %). Ces résultats paraissent démontrer que le mélangeur est moins capable de distribuer ces produits que d’autres. Globalement, ces essais ont été réalisés dans des conditions maîtrisées permettant une bonne interprétation des résultats. Le protocole appliqué peut être critiqué quant au nombre d’échantillons testés dans le cas des traceurs internes qui est limité à seulement 10, en raison des coûts analytiques, ce qui conduit à favoriser les risques de variations aléatoires des résultats. Toutefois, ce type de pratique correspond à ce qui est effectué le plus souvent sur des sites industriels. Si l’observation des résultats ne portait que sur les CV total, le mélangeur pourrait se voir attribuer des performances allant de 2.0 % à 29 % selon le traceur employé. Seule la réalisation d’analyses en double permet de voir que dans seulement 7 distributions sur 18, des variations significatives entre échantillons sont obtenues. En d’autres termes, dans 61 % des cas (11/18), la variation totale observée ne peut être attribuée, sans risque d’erreur, à des différences effectives entre échantillons, et donc, à une performance du mélangeur. Il est cer-
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tain qu’un CV de 29 % conduirait inéluctablement à la remise en cause de cet outil, alors qu’un CV de 2 % ne serait pas remarqué. Ceci illustre bien que le choix d’un bon traceur est une étape essentielle d’un contrôle des performances d’un mélangeur. Seul le microtraceur donne toutes les assurances de l’obtention d’une mesure valide sur les bases : • de son absence totale dans la matrice avant son incorporation et donc de la garantie du suivi de sa seule distribution • de l’obtention de variations significatives entre les échantillons, même si elles sont faibles et donc d’un véritable contrôle des performances du mélangeur concerné. • de l’obtention de CV homogénéité faibles. L’important pour la sécurité alimentaire est de pouvoir dire sans risque d’erreur que tel mélangeur ne fonctionne pas et que tel autre fonctionne correctement. Dans cet objectif, l’utilisation du microtraceur nous est apparue un bon compromis. Il est aujourd’hui employé dans près de 75 % des essais effectués en France en alimentation animale. Cette utilisation croissante a conduit à une diminution significative et assez régulière de la médiane des coefficients de variation de la population des tests de mélangeurs employés en alimentation animale, car les tests sont facilités et moins onéreux (Figure 1). Ainsi, le travail de sélection des traceurs effectué par Tecaliman à la fin des années 90 a permis d’établir une méthode de référence et une méthode de traçage admises par l’ensemble de la profession et son administration de tutelle. Elle donne à l’industriel, l’assurance de la détection d’un dysfonctionnement éventuel de son mélangeur avec un coût d’essai maîtrisé. F. Putier, Tecaliman
Figure 1 : Évolution de la médiane et de la répartition des populations de coefficients de variation des années 2000 à 2008 – Les chiffres en dessous des années correspondent au nombre de résultats de l’année correspondante – les barres verticales indiquent les valeurs des quartiles inférieurs et supérieurs : 50 % de la population est comprise entre les deux quartiles.
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