Le Verdict | numéro spécial de la rentrée 2020

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RÉFLEXION

31 61 29 par Shawn Foster

Introduction La conception de la justice à laquelle souscrivent les positivistes juridiques définit cette justice comme étant «contradictoire, formelle, procédurale et repos[ant] sur l’autorité» (1). Ainsi le jugement rendu est-il considéré juste s’il est conforme aux critériums de validité et de légitimité du système juridique, tout en revêtant l’apparence que justice a été rendue (2). Or, l’époque contemporaine, dominée par le courant postmoderniste qu’elle est, pose un obstacle à la légitimité de la justice qui est rendue de cette façon. D’ailleurs, il y a une complète désillusion par rapport au système judiciaire, qui est notamment causée par le sentiment d’aliénation ressenti par les individus y faisant face (3). Dans cette veine, nous voulons montrer comment le postmodernisme influe sur la conception contemporaine de la justice civile et, surtout, comment la justice participative, qui passe par les modes privés de prévention et de règlement des différends (les «PRD»), instituée par le Code de procédure civile (4) (le «C.p.c.»), s’avère une philosophie juridique remédiatrice, parfaitement ancrée dans notre époque.

(1) Jean-François ROBERGE, La justice participative. Changer le milieu juridique par une culture intégrative de règlement des différends, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 12. (2) Id., p. 12.. (3) Julien PELLETIER-DAVID, «Le citoyen en mal d’accès à la justice», dans PierreClaude LAFOND, Régler autrement les différends, 2e éd., Montréal, LexisNexis Canada inc., 2015, p. 52-53.

Le postmodernisme et la conception de la justice Si les siècles précédents nous ont légué un bagage culturel et philosophique hors pair, en nous ouvrant la voie d’accès aux grands idéaux par l’usage de la raison humaine, entre autres, cela est bien derrière nous. En effet, le postmodernisme domine désormais notre époque. Ce courant est né du rejet, de la rupture avec tous les grands métarécits antérieurs (5); c’est une coupure abrupte avec l’usage de la raison comme moyen d’atteindre une vérité apodictique, faisant ainsi place au relativisme absolu. En ce sens, d’autres auteurs s’entendent pour affirmer que «la postmodernité n’est rien d’autre qu’un scepticisme radical à l’égard de toute forme de “connaissance” métaphysique» (6), le postulat des postmodernes étant que la réalité elle-même n’est qu’interprétation continuelle par un sujet. Les grands idéaux se voyant remis en question, il va de soi que l’idée de la justice civile ne fasse pas exception. Effectivement, alors que les tribunaux représentaient le lieu par excellence où devait être réalisée la

justice, ceux-ci ont perdu leur attrait aux yeux de nombre d’individus, ces derniers ne se sentant pas informés quant au fonctionnement du système judiciaire, ne connaissant pas les lois et ne comprenant pas ce qui se passe en Cour (7). S’ajoute à cela l’érosion de la confiance envers l’institution judiciaire, qui applique un droit en vigueur ne représentant plus nécessairement les valeurs de chacun (8), voire la manifestation supposée de ce qu’est la justice à l’époque postmoderne. En effet, les

(4) Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01 (ci-après «C.p.c.»).

(7) J. PELLETIER-DAVID, supra, note 3, p. 53.

(5) François ROCHON, «Notes pour une archéologie du postmodernisme», dans Horizons philosophiques, 5 (1), p. 56 à 73, p. 56.

(8) Pauline MAISANI et Florence WIENER, «Réflexions autour de la conception post-moderne du droit», dans Droit et société, n°27, Production de la norme juridique, 1994, p. 443-464, p. 441.

(6) Gary B. MADISON, «Visages de la postmodernité», dans Études littéraires, 27 (1), 1994, p. 113-137, p. 114-115.

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