L'odeur et l'architecte, Potentiels olfactifs dans l'exercice du projet architectural. Jules BERGÉ

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L’ODEUR ET L’ARCHITECTE POTENTIELS OLFACTIFS DANS L’EXERCICE DU PROJET ARCHITECTURAL

Jules BERGÉ - encadrant Jörn GARLEFF Mémoire de fin d’études M2 / 2019-2020 École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne

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Couverture : KLEIN Yves , Peinture de feu sans titre, 1962. CAMINADA Gion A., Maison forestière, Domat, 2013.

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Merci à Jörn GARLEFF, encadrant de ce mémoire, sans qui je n’aurais pas persévéré dans un sujet délicat. Merci pour son soutien, sa patience, et surtout sa confiance. Merci à Boris RAUX, artiste plasticien, pour son avis critique, ses conseils et sa disponibilité. Merci à Camille COUTIÈRE pour le temps consacré aux relectures et aux encouragements. Merci à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l’aboutissement de ce mémoire.

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AVANT-PROPOS

Si les odeurs ont toujours été importantes dans mon appréhension d'un lieu, il a été délicat d'en faire un sujet de recherche architecturale. Décridibilisées par leur caractère impalpable, les odeurs ont cependant fait échos à une approche de l'architecture qui m'était chère. Je tiens à souligner que cette vision de la discipline, développée dans les lignes qui suivront, m’est propre et ne relève en aucun cas d’une vérité générale. C’est une base théorique, issue de mes années d’études, présentant un parti-pris mais nécessaire au développement de ce mémoire. Avant d’entamer cet écrit, j’aimerais répondre à deux questions totalement légitimes à propos de ce sujet. Premièrement, pourquoi aborder la question des odeurs à travers le processus de projet d’architecture ? Depuis les débuts de la philosophie gréco-latine, l’odorat est considéré comme un entre-deux dans la hiérarchie sensorielle. Pour Aristote, Platon et leurs contemporains, l’odorat peut tendre vers une élévation de l’âme à travers des jouissances pures, indépendantes de tout besoin comme la vue et l’ouïe. Cependant, il amène aussi à des notions de désirs salissant son potentiel intellectuel, comme le toucher et le goût. L’influence de l’affectivité sur l’appréhension du monde des odeurs a ainsi contribué à cette retenue émise par les philosophes antiques sur l’intellectualisation de l’olfaction.1 Cette hiérarchie sensorielle, plaçant la vue et l’ouïe comme sens nobles, car objectivables, a influencé l’ensemble de la philosophie occidentale, et elle est la raison de cet écrit. Le 1

LE GUÉRER Annick, Les pouvoirs de l’odeur, Édition François Bourin, 1988, Paris. Cette genèse de l’hégémonie de la vue dans l’appréhension du monde est développée dans le chapitre 1 « Ambivalence de l’odorat et de l’odeur dans la philosophie grécolatine », de la partie 4 « le nez des philosophes ».

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AVANT-PROPOS

projet d’architecture est, à mes yeux, totalement soumis à cette objectivation. La réflexion de cette discipline est fondée sur la vue, sa communication aussi. Cette distance entre l’objet d’architecture et l’Homme a permis à l’architecture de se développer comme science autonome, intellectualisée et théorisée. De ce fait, elle s’est détachée du « commun des mortels » en instaurant un cadre de compréhension et de pratique propre à la culture architecturale. Certaines pratiques contemporaines, collaboratives notamment, tentent aujourd’hui de rétablir le lien entre l’acte architectural et la compréhension commune en intégrant les futurs usagers au processus de projet. C’est dans une démarche similaire, tentant de rendre l’architecture de nouveau abordable par tous, que nous nous inscrirons en traitant des odeurs. L’odorat est un sens non-théorisé, et le plus proche du peu qu’il reste d’instinct chez l’homme. De ce fait, penser l’architecture en intégrant ce sens, c’est donner la possibilité à n’importe qui d’avoir une relation à l’espace, court-circuitant la raison et la culture architecturale. Je pense que l’architecture n’est pas là pour transmettre, mais pour questionner. Ainsi, les odeurs ne tendront pas vers une compréhension universelle (puisqu’il n’y a rien à comprendre), mais vers une possibilité de réaction émotionnelle universelle, et ainsi de questionnement. La seconde question est pourquoi, dans le cadre bâtit, ne pas se contenter d’utiliser des diffuseurs d’odeur et artifices pour apporter une dimension olfactive à un espace ? Il est vrai que l’architecture et le processus de projet semblent présenter des problématiques bien plus urgentes que la maîtrise des odeurs. Premièrement, parce que j’accorde une importance particulière à la « vérité » du projet d’architecture, c’est-à-dire à la compréhension totale de ce que l’architecte dessine. Avec l’ajout de diffuseurs, certes une partie des odeurs sera maîtrisée, mais la construction en elle-même n’en sera pas pour autant non-odorante, et dans ce cas le maquillage olfactif ne sera que

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AVANT-PROPOS

ridicule face aux odeurs non-maîtrisées du projet. De plus, cette « ornementation olfactive » est, à mes yeux, une solution de facilité pour repousser la question de l’odorat dans la qualité d’un espace. Le « petit diffuseur » que l’architecte prévoit en fin de chantier peut, à la moindre tempête économique, être totalement mis de côté. Si en revanche la qualité olfactive est pensée par l’implantation, l’organisation et l’édification même du projet, il sera plus facile d’en garder la maîtrise au cours des aléas de conception du projet. Enfin, je suis persuadé que l’olfaction, comme la vue, peut amener à de nouvelles questions formelles, matérielles et plastiques du projet d’architecture. Par la question de l’olfaction, les odeurs sont une clé d’entrée pour se confronter à tout un processus de mise en forme de la pensée architecturale.

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INTRODUCTION

Ce mémoire traitera donc du phénomène d’odeur dans le cadre architectural, et plus précisément dans l’exercice du projet. Ces travaux ont pour origine deux constats. Premièrement, comme énoncé précédemment, celui d’une pratique de l’architecture technocrate et déconnectée des non-initiés. Deuxièmement, le constat que tout lieu a une identité olfactive, que cette dernière joue un rôle émotionnel non-négligeable et qu’elle est rarement pensée et anticipée dans la conception du lieu en question. L’olfaction, après avoir été écartée des attentions philosophiques, scientifiques et sociales, revient aujourd’hui au centre des recherches suite à l’avancée de neurosciences des années 60. Plusieurs domaines placent ainsi beaucoup d’espoir dans ce sens peu exploité, comme l’agriculture, la médecine ou la psychanalyse.2 Les sciences humaines se sont également penchées sur les pouvoirs identitaires des odeurs, notamment autour de la notion « d’étranger »3, mais aussi sur des questions d’appartenances spatiales.4 Ces études placent l’odorat comme sérieux outil d’analyse urbaine et sociale, voire architecturale. 2

LE GUÉRER Annick, SALESSE Roland, L’odorat, sens du futur ?, Production Universcience, 2012.

https://leblob.fr/sante/odorat-sens-du-futur 3

HATT Hanns, DEE Regine, La chimie de l’amour, quand les sentiments ont une odeur (2008), CNRS Édition, Paris, 2013, p 86-90.

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DULEAU Robert, PITTE Jean-Robert, Géographie des odeurs, entre économie et culture, Édition l’Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, 1998. Ces études proposent une esquisse des potentielles causes olfactives d’un site, des conditions spatiales propices à la répartition des odeurs ou du rôle sociales que ces dernières peuvent jouer. Cependant, elles restent dans le constat du « cas-par-cas », concluant implicitement sur un potentiel de l’olfaction, mais pas sur une objectivation permettant la réutilisation des études.

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INTRODUCTION

fig. 1 Cartographie ciblée de l'appétence à Saint-Étienne.

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INTRODUCTION

Le monde de l’art s’est aussi approprié ce sens peu exploité en dehors de la parfumerie. Des artistes comme Boris Raux questionnent l’odeur comme témoin, comme identité, et par ce médium, ils cristallisent certains rapports au monde, plus intimes, moins évidents. Au-delà de ces questions, l’appropriation artistique du monde des odeurs pose la problématique de la représentation de ces dernières, de leur évocation et de la communication d’un sujet invisible. Du côté de l’architecture en revanche, les odeurs semblent toujours à l’écart des pensées de projet, loin des « vrais » enjeux architecturaux. Certains architectes ont cependant abordé le sujet, comme Peter Zumthor lorsqu’il évoque ses souvenirs d’expériences architecturales : « Aujourd’hui encore, cette poignée-là m’apparaît comme un signe particulier de l’entrée dans un monde fait d’atmosphères et d’odeurs diverses. Je me rappelle le gravier sous mes pas, le doux éclat du chêne ciré dans l’escalier, j’entends encore le bruit de la serrure au moment où la lourde porte se refermait derrière moi, je me revois longer le couloir obscur et entrer dans la cuisine, l’unique pièce véritablement lumineuse de la maison. ».5 Toujours de l’ordre du constat, mais concrétisant ce dernier à travers un médium inattendu, les architectes suisses Jacques Herzog et Pierre De Meuron présentent en 2005 un parfum intitulé Rotterdam, composé des odeurs singulières de la ville néerlandaise.6 Des tentatives d’utilisation des odeurs ont 5

ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Édition Birkhäuser, Allemagne, 2006, p 7.

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https://www.archined.nl/2005/02/an-architecture-of-the-senses/ https://nstperfume.com/2007/05/25/rotterdam-the-fragrance/#comments https://www.ivarhagendoorn.com/blog/2005/01/30/beauty-and-waste-in-the-architecture-ofherzog-and-de-meuron/

Cette démarche a le mérite d’accorder aux odeurs une importance capitale dans l’identité d’un lieu. Cependant, à travers la création de ce parfum, Herzog et De Meuron décrédibilisent la capacité de l’architecte à maitriser la dimension olfactive de son projet en déplaçant l’acte de création à une autre discipline. Dans une tentative de compréhension des odeurs d’un lieu, cette démarche ne s’éloigne alors que peut du constat et reste anecdotique.

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INTRODUCTION

fig. 2 Cartographie curieuse et structures olfactives urbaines à Saint-Étienne.

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INTRODUCTION

aussi été menées, tentant de sortir du constat et de l’analyse, et d’expérimenter cette dimension à travers le projet d’architecture. L’agence BCDE Architecture dessine en 1987 les Maison des sens, où sont expérimentés des modes d’habitat convoquant les cinq sens. La maison de l’odorat se voit ainsi équipée de diffuseurs d’odeur rythmant les temps de la journée.7 Pour résumé, le monde de l’architecture est conscient de l’importance des odeurs dans la qualité d’une atmosphère ; mais les timides tentatives d’appropriation de la question sont restées de l’ordre du constat, se tournant vers d’autres médiums ou faisant appel à des gadgets qualifiables d’ornementation olfactive, et n’ont finalement pas posé de vraies questions d’architecture. Cet état de la question sous-entend alors deux échelles de recherche : l’échelle urbaine, et celle du projet d’architecture dit « construit ». Un travail de cartographie olfactive sur la ville de Saint-Étienne a été mené en amont de cet écrit pour jauger le potentiel des recherches à l’échelle urbaine. Ces travaux, pour sortir du constat, ont tenté de mettre en place deux protocoles d’arpentage menant à deux types de cartographies : « ciblée » et « curieuse ». La première tentait d’illustrer la dilatation de l’espace-temps par l’expérience olfactive, et d’analyser la répartition d’une odeur particulière sur un trajet donné. (fig. 1) La cartographie curieuse quant à elle, présentait, après un parcours aléatoire, une proposition de structures urbaines olfactives. (fig. 2 & 3) Dans les deux cas, ces travaux se sont montrés délicats car convoquant des facteurs difficilement abordables par la pratique de l’architecture (conditions météorologiques, activités commerciales, flux de circulation). Il semblait alors plus judicieux de se concentrer sur l’olfaction dans la conception spatiale du projet. Ainsi l’enjeu de ce mémoire, en s’appuyant sur l’ensemble des travaux déjà menés sur l’olfaction, sera de sortir du constat et de l’analyse, et 7

http://www.autourdu1ermai.fr/bdf_fiche-film-940.html

Mettre en place des diffuseurs et certes un moyen efficace de questionner l’odorat dans l’appropriation d’un lieu, mais n’est en aucun cas de l’architecture.

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INTRODUCTION

fig. 3 Cartographie curieuse et structures olfactives urbaines à Saint-Étienne.

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INTRODUCTION

d’amener la problématique olfactive dans le processus du projet à travers des questions d’architecture. Nous en arrivons donc à nous demander de quelle manière l’architecte peut-il convoquer les odeurs dans un processus de projet ? Pour cela, nous devrons d’abord comprendre la chimie des odeurs, à laquelle se grefferont des expériences et une connaissance de l’exercice de projet. Les propositions établies dans cet écrit resteront malheureusement théoriques. Il serait enrichissant de pouvoir expérimenter nos conclusions à l’échelle 1, chose délicate dans le cadre d’un travail de mémoire. De plus, nous ne disposerons pas de tout le matériel et connaissances scientifiques nécessaires à une compréhension totale de la chimie olfactive. Ces travaux n’aborderont donc que les principes scientifiques susceptibles d’être ensuite intégrés au processus de projet. Ce mémoire se déroulera donc en trois temps distincts. Le premier portera sur une compréhension détaillée du phénomène d’odeur. Cette approche purement scientifique aura pour but d’isoler les caractéristiques des sources odorantes, mais aussi du système olfactif, pouvant être abordés à travers les questions de l’espace, de la construction, en bref de l’architecture. Le reste de ce mémoire sera de l’ordre de la proposition, en aucun cas de l’affirmation. Ainsi, c’est une réflexion personnelle qui sera développée, menant à une approche expérimentale du processus de projet. Le second temps sera une proposition de classification des outils olfactifs de l’architecte, croisant les données scientifiques vues précédemment, mais aussi les expériences olfactives de différents espaces, ainsi qu’une appréhension personnelle du processus de projet. Une fois cette liste d'outils mise au jour, nous réfléchirons, dans un troisième temps, à la façon dont l’architecte peut convoquer ces outils et choix architecturaux olfactifs.

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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

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1 - L'ODEUR : PHÉNOMÈNE

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1.1- LE TANDEM SOURCE / RÉCEPTEUR 1.2- PHÉNOMÈNE TRIDIMENSIONNEL

2 - L'ODORANT : ÉMETTEUR

2.1- CARACTÉRISTIQUES DES MOLÉCULES ODORANTES 2.1.1 - volatilité 2.1.2 - concentration molaire 2.1.3 - solubilité et polarité 2.1.4 - structure moléculaire 2.2- INFLUENTS ENVIRONNEMENTAUX 2.2.1 - température 2.2.2 - humidité

3 - L'APPAREIL OLFACTIF : RÉCEPTEUR 3.1- LE SYSTÈME OLFACTIF 3.1.1 - de la molécule au signal électrique neuronal 3.1.2 - les bulbes olfactifs 3.1.3 - traîtement cérébral 3.2- LE SYSTÈME TRIGÉMINAL 3.3- LE SYSTÈME VOMÉRONASAL

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TABLE DES MATIÈRES

4 - LIMITES DE LA PERCEPTION OLFACTIVE 4.1- SEUILS DE PERCEPTION 4.2- ADAPTATION OLFACTIVE

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5 - CONCLUSION

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DEUXIÈME PARTIE - OUTILS ARCHITECTURAUX OFACTIFS

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1 - CLASSIFICATION OLFACTIVE ARCHITECTURALE

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1.1- ODORANTS ET INFLUENCEURS OLFACTIFS 1.2- RÉTROSPECTIVE SUR LES CLASSIFICATIONS OLFACTIVES 1.2.1 - échelles de l'odeur 1.2.2 - objectifs de classification 1.2.3 - critères de classification 1.3- PROPOSITION D'UNE NOUVELLE CLASSIFICATION ARCHITECTURALE

2 - OUTILS ET CHOIX ARCHITECTURAUX OLFACTIFS

2.1- ODEURS TERTIAIRES : S'MPLANTER 2.1.1 - contexte artificiel 2.1.2 - contexte naturel 2.2- ODEURS SECONDAIRES : ORGANISER 2.2.1 - usages 2.2.2 - relation intérieur / extérieur 2.3- ODEURS PRIMAIRES : ÉDIFIER 2.3.1 - réguler 2.3.2 - la matière

3 - CONCLUSION

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66 66 68 72

77 79 79 83 87 87 97 99 99 101 107


TABLE DES MATIÈRES

TROISIÈME PARTIE - APPROCHE EXPÉRIMENTALE DU PROJET ARCHITECTURAL OFACTIF

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1 - LA PARFUMERIE COMME MODÈLE ARCHITECTURAL

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1.1- LA PYRAMIDE OLFACTIVE 1.2- LES SOLIFLORES

2 - L'ODEUR ET L'ARCHITECTURE AU SERVICE DE... 2.1- LA SANTÉ 2.2- L'APPRENTISSAGE

3 - CODIFICATION DES ODEURS D'ARCHITECTURE 3.1- L'ART OLFACTIF "CONSCIENT" 3.2- L'ART OLFACTIF "INCONSCIENT" 3.3- VERS UNE CODIFICATION PLASTIQUE OLFACTIVE

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CONCLUSION

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TABLES DES ILLUSTRATIONS

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BIBLIOGRAPHIE

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PREMIÈRE PARTIE L'ODEUR

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

1 - L’ODEUR : PHÉNOMÈNE

1.1 - LE TANDEM SOURCE / RÉCEPTEUR Avant toute tentative d’expérimentation ou d’analyse olfactive du monde architectural, il est nécessaire de comprendre précisément ce qu’est une odeur. Tantôt souvenirs, tantôt désirs, l’odeur est avant tout un phénomène physico-chimique convoquant un tandem inséparable : une source et un récepteur ; c’est cette rencontre entre une émanation volatile (molécules odorantes) et un sens de l’odorat (appareil olfactif) qui va donner la « sensation d’odeur ». Sans l’un de ces deux éléments, l’odeur n’existe pas. L’Homme ayant la fâcheuse manie de se détacher de son environnement, les recherches et questionnements sur l’odeur se sont historiquement portés sur la source et ce caractère volatil, et non sur la dualité source/récepteur. C’est depuis les années 60 et l’essor des neurosciences que l’appareil olfactif est devenu source d’étude. Quoi qu’il en soit, les odeurs ont toujours été associées à l’air. L’air, c’est le fluide vital par excellence, il pénètre notre corps par les voies respiratoires, mais aussi par les pores de l’épiderme. En somme, les odeurs nous transcendent et entretiennent des échanges privilégiés avec notre organisme. Cette « vulnérabilité » a poussé l’Homme à se méfier des odeurs, et la médecine à s’en emparer comme témoins des maux : « […] les émanations, les miasmes infectent l’air, couvent les épidémies ».8 Cette diffusion par l’air est une aubaine pour nous, accordant à la potentielle dimension olfactive du projet une accessibilité et une appréciation gratuite.

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CORBIN Alain, Le miasme et la jonquille, Édition Aubier Montaigne, collection historique, Paris, 1982, p 13.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

1.2 - PHÉNOMÈNE TRIDIMENSIONNEL Une odeur présente trois dimensions : une intensité, une qualité (identité) et une tonalité hédonique.9 Ces deux premières caractéristiques dépendent de données quantifiables. L’intensité va au gré de la concentration de l’air en molécules odorantes ainsi que de la volatilité et de la solubilité de ces dernières. La qualité dépend des molécules odorantes en elles-mêmes, de leur composition, de leur structure spatiale ou encore de leur organisation que nous verrons plus tard. La tonalité hédonique quant à elle ne dépend pas uniquement de données quantifiables. Bien qu’il semblerait y avoir une part d’inné dans la reconnaissance des odeurs et que notre système nerveux autonome soit prompte à réagir à certaines molécules olfactives, l'appréciation vient également d’une éducation, nous parlons alors d’acquis.10 La culture du sujet tient ainsi un rôle important dans l’appréciation d’un effluve et en diversifie les interprétations. L’objectif de ces travaux étant de distinguer les outils architecturaux applicables par tous, la notion de goût doit être impérativement exclue.

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L’olfaction, Université Joseph Fourier Grenoble 1, 2010 2011, consulté le 14 Mai 2019. https://www.youtube.com/watch?v=JTWuklNktyA 10

Deux écoles se distinguent sur la question du jugement hédonique. La première, défendue par STEINER (1979) défend un jugement affectif de l’odeur suivant un mode inné. Ainsi, certaines odeurs, notamment de moisissure nous seraient désagréable, instinctivement, dans un but de survie empêchant ainsi l’intoxication alimentaire. La seconde école, défendu par ENGEN (1997), propose un mode de représentations affectives olfactives provenant d’un apprentissage et donc de l’acquis. Ainsi, chaque culture, chaque éducation mènerait à un jugement différent d’une odeur. Aujourd’hui, nous savons que le fœtus reçoit un grand nombre d’informations sensorielles, notamment olfactives, in-utero, se confectionnant ainsi un véritable répertoire olfactif avent même de naître. La limite de l’innée et de l’acquis se floute et l’exclusivité d’un parti pris quant à l’affection olfactive n’est plus si évident. Ainsi, les prédispositions innées du jugement hédonique de l’odeur sont restructurées par l’éducation, l’apprentissage, post mais aussi prénatal. Bien que plus exclusif à l’affection d’une odeur, l’apprentissage garde un rôle important dans le jugement olfactif.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

2 - L’ODORANT : ÉMETTEUR

Le premier acteur responsable du phénomène de l’odeur est sa source. Nous qualifierons cette dernière d’odorant,11 par son émanation de molécules volatiles ensuite traitées par le système olfactif. Ces molécules, aussi appelées molécules odorantes et parfois associées aux COV,12 doivent présenter certaines caractéristiques physico-chimiques pour déclencher l’odeur. L’environnement de ces molécules joue aussi un rôle sur la lecture de ces dernières ; c’est ce que nous allons voir maintenant. Toutes les caractéristiques chimiques énoncées par la suite seront présentées telles quelles, ce sera lors de la conclusion de ce premier point que nous déterminerons quelles caractéristiques moléculaires nous pourrons prendre en compte à notre échelle de travail.

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Pour des questions de simplicité de langage, nous emploierons ce mot non plus comme adjectif mais comme nom. Ainsi un élément odorant sera un odorant en luimême. 12

COV : composés organiques volatils. Tous les COV ne sont pas odorants, et inversement toutes les molécules odorantes ne sont pas des COV. Ces derniers, souvent nocifs et responsables de corrosions ou autres impacts environnementaux (comme le réchauffement climatique par la formation d’ozone dans la basse atmosphère), sont composés comme leur nom l’indique d’atome de carbone. Ils ont aussi la particularité de s’évaporer ou de se sublimer facilement en air ambiant, leur attribuant une volatilité conséquente et une diffusion massive. Ils sont généralement étudiés dans des cadres environnementaux et associés à l’odorat dans un souci d’identification. Dans notre étude, nous les retrouverons sur la composition de certains matériaux comme les solvants des peintures, mais leur rôle dans notre ambition de construction olfactive de l’espace restera minime. https://www.geo.fr/environnement/cov-que-sont-les-composes-organiques-volatils-193404 https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/compose_ organique_volatil_cov.php4 https://fr.wikipedia.org/wiki/compos%c3%a9_organique_ volatil#g%c3%a9n%c3%a9ralit%c3%a9s

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

2.1 - CARACTÉRISTIQUES DES MOLÉCULES VOLATILES Il faut savoir que pour composer une odeur, sont nécessaires des centaines de molécules odorantes différentes. Il est rare qu’une odeur, du moins à l’état naturel, soit déclenchée par un corps pur. L’odeur du café, par exemple, est l’œuvre de plus de 800 composés.13 Certaines molécules sont cependant assimilables à une odeur précise. Par exemple, l’odeur de banane peut être déclenchée par une seule molécule : l’acétate d’isoamyle. Corps pur ou mélange moléculaire, il est dans tous les cas demandé aux corps volatils de répondre à quelques caractéristiques pour espérer déclencher le phénomène d’odeur.

2.1.1 - VOLATILITÉ - La première caractéristique d’une molécule olfactive est sa volatilité. La volatilité c’est « [la] propriété d’un corps qui peut passer facilement à l’état de gaz, de vapeur. »14 Comme énoncé précédemment, les odeurs se diffusent par voies aériennes, sous-entendant une matière à l’état gazeux. Ainsi, la capacité de la source à se sublimer ou s’évaporer va être primordiale pour les propriétés olfactives de la matière. A l’échelle macroscopique, cette volatilité dépend de facteurs environnementaux (température, contact, pression)15 que nous 13

RICHARD Hubert, Nature des composants odorants, Futurascience, publié le 6 avril 2004, modifié le 7 novembre 2015, consulté le 1er décembre 2019. https://www.futura-sciences.com/sciences/dossiers/chimie-aromes-alimentaires-384/page/2/ 14

CNRTL (Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales), dictionnaire TLFI (le Trésor de la Langue Française Informatisé), 2012, consulté le 1er décembre 2019.

https://www.cnrtl.fr/definition/ 15

Les molécules odorantes ont une température et une pression d’évaporation … par rapport aux conditions atmosphériques ambiantes, leur conférant cette capacité à passer à l’état gazeux sans changement climatique notable. Cependant, il est logique qu’une altération de ces facteurs environnementaux joue un rôle sur cette volatilité, chose que nous verrons par la suite.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

traiterons en partie par la suite. A l’échelle microscopique, ce sont les liens intermoléculaires et les propriétés propres à certaines molécules qui vont influencer ces capacités d’évaporation et sublimation.16 La masse de ces molécules joue un rôle dans leur capacité à passer à l’état gazeux. Il est nécessaire que la molécule ne soit ni trop lourde, dans ce cas incapable de se volatiliser, ni trop légère, ce qui la rendrait intraitable par le système olfactif. Pour avoir un ordre d’idée, la molécule, pour être odorante, doit avoir une masse molaire comprise entre 30 et 300 g/mol.17

Cette volatilité ne garantit cependant pas à une molécule une identité olfactive. Toutes les molécules olfactives sont volatiles, mais toutes les molécules volatiles ne sont pas odorantes.

2.1.2 - CONCENTRATION MOLAIRE - La deuxième condition pour qu’une molécule soit responsable d’un phénomène d’odeur, c’est qu’elle soit présente en assez grande quantité dans le flux d’air inspiré, nous parlons alors de concentration molaire atmosphérique, exprimée en mol/L. Nous le verrons par la suite, l’appareil olfactif humain à un seuil de détection au-dessous duquel les odeurs ne sont pas assimilées. Indépendamment de ce seuil général, chaque molécule possède un seuil de détection différent. Ces seuils sont parfois exprimés en fonction de la concentration molaire C en mol/L, parfois en fonction de la concentration massique T en ppm (Partie par Million) où 1ppm est égal à 1mg/kg, équivalent à 0.001g/L. Il nous est possible de 16

MAHJOUB Sirine, VILLETTE Louis, BOUTARD Henri, TPE l’olfaction, 2015, consulté le 1er décembre 2019. https://tpe2015janson.wordpress.com/les-molecules-odorantes/ 17

MAHJOUB Sirine, VILLETTE Louis, BOUTARD Henri, TPE l’olfaction, 2015, consulté le 1er décembre 2019. https://tpe2015janson.wordpress.com/les-molecules-odorantes/

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

CH3 Limonène C10H16 concentration massique T au seuil de détection = 0, 038 ppm = 0, 000 0038 g/L masse molaire M = 136, 24 g/mol

H2C

C

H2C

concentration molaire C =T/M = 0, 000 0038 / 136, 24 = 2, 789 195-7 = 0, 000 761 = 7, 61 . 10-4 mol/L

CH

CH2 CH

C H3C

CH2

fig. 4 Formule développée du Limonène et conversion de sa concentration massique en sa concentration molaire à son seuil de détection olfactive.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

passer de la concentration massique à la concentration molaire avec la formule suivante : C = T/M, où M représente la masse molaire des molécules concernées (fig. 4). Des travaux ont déjà été effectués sur ces seuils, mettant à notre disposition une base de données potentiellement utilisable par la suite, qui nous permettra peut-être d’avoir une idée de la quantité de matière nécessaire pour atteindre l’odeur d’un matériau donné.18 Ces concentrations molaires et massiques sont naturellement en lien avec l’intensité de l’odeur, il est tout à fait logique de penser que plus la concentration est haute, plus l’odeur est intense et distincte. Cependant, ce lien n’est pas si simple. Premièrement, « l’intensité de l’odeur n’est pas une fonction linéaire de la concentration atmosphérique du produit, mais évolue en suivant une fonction logarithmique de cette concentration. En pratique, pour doubler d’intensité odorante, il faut amener à la muqueuse olfactive une concentration dix fois plus forte, selon une formule générale P = k log S, où P est l’intensité odorante, k une constante et S la concentration en odorant. »19 Cette première particularité nous prévient que toute tentative de maîtrise de l’intensité ne 18

NAGATA Yoshio, Measurement of odor threshold by triangle odor bag method.

https://www.env.go.jp/en/air/odor/measure/02_3_2.pdf

Dans la logique des choses, il nous serait possible, en identifiant les molécules responsables de l’odeur de différents matériaux, de trouver les seuils de perceptions, d’avoir une idée de la concentration atmosphérique et donc de la quantité de matière à mettre en œuvre pour atteindre une intensité d’odeur voulu. Mathématiquement c’est possible, cependant, comme vue précédemment, excepté en parfumerie, les odeurs sont rarement dues à une seule molécule. Le travail d’identification de chaque molécule responsable de l’odeur d’un matériau nous semble alors bien trop conséquent pour les potentiels résultats. C’est pourquoi, nous nous concentrerons par la suite plutôt sur les caractéristiques macroscopiques de la matière en admettant que les seuils de perception des molécules concernées sont au-dessus du seuil minimum humain et que les variantes vis-à-vis d’un autre matériau seront définit sensoriellement et non mathématiquement. 19

FALCY Michel, MALARD Stéphane, Comparaison des seuils olfactifs de substances chimiques avec des indicateurs de sécurité utilisés en milieu professionnel, INRS (institut national de recherche et de sécurité), hygiène et sécurité du travail, mars 2005, pp 8-9. http://www.inrs.fr/media.html?refinrs=nd%202221

29


PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

sera pas aisée, d’autant plus à des échelles de constructions et non de mélanges moléculaires. Deuxièmement, une substance peut, à des concentrations différentes, déclencher des odeurs totalement différentes. Ce phénomène est dû au fait « qu’à concentration supérieure, le nombre de récepteurs olfactifs impliqués dans la perception odorante est plus important. Par conséquent, la variation de la concentration d’un odorant peut changer son code récepteur. »20 « C’est le cas du thioterpinéol qui est décrit comme ayant une odeur de fruit tropical à faible concentration, une odeur de raisin à concentration plus élevée, alors qu’il devient même nauséabond à forte concentration. »21 Tenter d’intensifier une odeur par la hausse de la concentration en molécules concernées peut donc donner un résultat nonprévisible.

2.1.3 - SOLUBILITÉ ET POLARITÉ - Une autre caractéristique d’une molécule odorante est sa solubilité, et par conséquent sa polarité.22 Pour être odorante, une molécule doit être lipophile,

20

SEVKAN, VELINGS, JERKOVIC, Approche scientifique de l’univers des odeurs par la caractérisation de molécules odorantes, Revue scientifique des ingénieurs industriels, n°27, 2013, p 135. http://www.isilf.be/articles/isilf13p129isicht.pdf 21

MEIERHENRICH Uwe, GOLEBIOWSKI Jérôme, FERNANDEZ Xavier, CABROL-BASS Daniel, De la molécule à l’odeur, les bases moléculaires des premières étapes de l’olfaction, L’actualité chimique n°289, août-septembre 2005, p38. http://sagascience.cnrs.fr/doschim/decouv/parfums/mol_odeur.pdf

Ainsi, la fonction logarithmique vue précédemment permettant la multiplicité de l’intensité d’une odeur peut rapidement devenir obsolète. 22 Une molécule est dite polaire lorsqu’elle présente une répartition asymétrique des charges électriques au sein de sa structure. Si les charges sont réparties équitablement, la molécule est dite apolaire. Les molécules polaires se lient plus facilement avec les autres molécules polaires, et inversement, les apolaires avec les apolaires. Ainsi une molécule apolaire aura plus de facilité à se dissoudre dans un solvant apolaire, et inversement pour une molécule polaire.

30


PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

c’est-à-dire qu’elle doit être capable de se lier aux corps gras. Cette caractéristique lui permettra de pénétrer l’épithélium (que nous verrons dans le chapitre sur l’appareil olfactif) et ainsi de déclencher le phénomène d’odeur, mais aussi d’être extraite de sa source par les techniques d’enfleurage et ainsi d’être réutilisée en parfumerie comme matière première odorante.23 Cette caractéristique est directement liée à la polarité des molécules dans la mesure où les corps gras sont généralement apolaires, favorisant ainsi la solubilité des molécules apolaires.

2.1.4 - STRUCTURE MOLÉCULAIRE - En chimie, il a longtemps été considéré que la composition moléculaire d’une substance déterminerait les propriétés de cette dernière. Ainsi, bon nombre de travaux ont tenté de déterminer le lien entre structure moléculaire et odeur. Il s’avère que certaines molécules proches structurellement présentent des odeurs similaires (fig. 5) mais, qu’inversement, des molécules presque similaires déclenchent des odeurs totalement différentes (fig. 6) ; ou encore qu’une odeur peut être déclenchée par des molécules totalement différentes (fig. 7). Cette non-logique entre structure moléculaire et propriété olfactive interroge. Si ce n’est la structure en ellemême, de quelle manière la nature de la molécule influence-telle l’odeur déclenchée ? Le concept d’olfactophore, qui décrit la disposition spatiale des groupes pouvant interagir avec des récepteurs olfactifs, amène à l’hypothèse que ce sont certains groupements d’atomes dans les structures moléculaires qui sont responsables d’une odeur ou famille d’odeur en particulier.

23 Il existe plusieurs méthodes d’extraction dont certaines faisant appel à cet aspect lipophile des molécules odorantes. L’enfleurage à chaud consiste à extraire les molécules odorantes d’une source par infusion et macération des corps odorants dans un corps gras. L’enfleurage à froid, permettant d’extraire les senteurs trop fragiles pour être chauffées, consiste à étaler sur une pellicule de graisse inodore les sources odorantes responsables des odeurs à extraire.

31


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N

N

O

O

fig. 5 molécules aux structures proches et odeurs proches (pain cuit). O

O

O

O

fig. 6 molécules aux structures proches et odeurs différentes (épicée et herbacée).

NO2

O2N

O O

fig. 7 molécules aux structures différentes et odeurs proches (musquée).

32


PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

En d’autres termes, ce sont les possibilités d’assemblage avec les différents récepteurs olfactifs qui définissent la nature de l’odeur, et non la structure moléculaire générale.24 Tant que nous traitons de l’échelle moléculaire de l’odeur, il est notable que certaines molécules dites antagonistes sont capables d’inhiber certains récepteurs olfactifs, faisant ainsi « disparaître » les odeurs normalement déclenchées par ces derniers. Cette nature « bloquante » de certaines molécules offre des possibilités de désodorisation non plus par la disparition des molécules responsables de l’odeur, mais par neutralisation de leur récepteur.25

24 MEIERHENRICH Uwe, GOLEBIOWSKI Jérôme, FERNANDEZ Xavier, CABROL-BASS Daniel, De la molécule à l’odeur, les bases moléculaires des premières étapes de l’olfaction, L’actualité chimique n°289, août-septembre 2005, p38.

http://sagascience.cnrs.fr/doschim/decouv/parfums/mol_odeur.pdf

25 HATT Hans, DEE Regine, La chimie de l’amour, quand les sentiments ont une odeur (2008), Édition CNRS, collection Biblis, Paris, 2013, pp61-64.

33


PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

2.2 - INFLUENTS ENVIRONNEMENTAUX 2.2.1 - TEMPÉRATURE - « Phénomène physique se présentant comme une manifestation de l’énergie cinétique qui traduit le degré d’agitation calorifique des molécules d’un corps ou d’une substance (…) ».26 La température de l’air est un des facteurs environnementaux influençant le phénomène d’odeur. Nous avons tous fait (involontairement en général) l’expérience de la poubelle publique en été. Les odeurs de déchets nous semblent démultipliées sous le soleil. A contrario en hiver, l’environnement olfactif nous semble figé sauf lorsque nous croisons une source olfactive « chaude » comme un restaurant ou un pot d’échappement. Ceci s’explique par le caractère gazeux des molécules volatiles. En effet, la stabilité entre deux phases (gazeux-liquide-solide) étant un équilibre thermodynamique,27 l’augmentation (ou la baisse) de température va venir perturber cet équilibre et permettre à une plus grande (ou plus faible) quantité de molécules de s’évaporer de la source (d’origine liquide ou solide). Ainsi, la température joue un rôle sur l’émanation des molécules volatiles impactant directement l’énergie cinétique des molécules de la source.

26

CNRTL, TLFi, 2012, consulté le 24 Octobre 2019.

27

FANLO, CARRE, pollution olfactive, sources d’odeurs, cadre réglementaire, techniques de mesure et procédés de traitement, chap.2-1-1, 2006.

https://www.record-net.org/storage/etudes/03-0808-0809-1A/rapport/Rapport_record030808-0809_1A.pdf

Il est évident que ces changements d’état sont minimes, nous ne verrons jamais une bûche de bois s’évaporer littéralement suite à une augmentation de la température. Cependant, ces petites variations étatiques de la matière suffisent à faire augmenter la concentration molaire de molécules volatile odorantes de manière significative pour l’appareil olfactif humain.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

2.2.2 - HUMIDITÉ - « Vapeur, eau imprégnant un objet ou un lieu ».28 L’humidité tient aussi un rôle dans la diffusion des odeurs. Contrairement à la température, ce facteur n’agit pas sur la source, mais sur la volatilité ainsi que la captation par le système olfactif des molécules odorantes. Nous le verrons plus précisément par la suite, mais une molécule odorante doit, pour être assimilée comme odeur par le cerveau, traverser un mucus nasal protecteur. Ce dernier est composé à 95% d’eau. Ainsi, l’hygrométrie, qui dénote la concentration d’eau à l’état gazeux dans l’air, va faciliter la captation des molécules volatiles odorantes par l’appareil olfactif en associant les molécules volatiles à des molécules d’eau avant même de se dissoudre dans le mucus. Ainsi, après une forte pluie, il n’est pas étranger de sentir les effluves végétales plus intensément que d’ordinaire. Cette notion d’humidité est étroitement liée à la température vue précédemment. En effet, l’H2O est, comme toute matière, soumise aux changements d’état propre à l’énergie cinétique des molécules. Un changement de température affectera donc aussi cette stabilité étatique de l’eau, impactant ainsi la quantité d’H2O à l’état gazeux dans l’air, et donc l’humidité.

28

CNRTL, TLFi, 2012, consulté le 24 Octobre 2019.

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3 - L’APPAREIL OLFACTIF : RÉCEPTEUR

Maintenant que nous connaissons les caractéristiques des odorants de manière générale, il nous faut comprendre le récepteur, à savoir notre appareil olfactif. Pour cela, nous nous intéresseront à trois systèmes neuronaux distincts responsables de la lecture olfactive d’un milieu : le système olfactif, le système trigéminal et le système voméronasal.29 29

L’intégralité du chapitre 3 - l’appareil olfactif / récepteur est scientifiquement fondé sur les sources suivantes : - FALCY Michel, MALARD Stéphane, Comparaison des seuils olfactifs de substances chimiques avec des indicateurs de sécurité utilisés en milieu professionnel, INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité), Hygiène et sécurité du travail, mars 2005, pp 8-9. http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ND%202221 - L’olfaction, Université Joseph Fourier Grenoble 1, 2010 2011, consulté le 14 mai 2019. https://www.youtube.com/watch?v=JTWuklNktyA

- PLAILLY Jane, Université Lumière - Lyon 2, La mémoire olfactive humaine : Neuroanatomie fonctionnelle de la discrimination et du jugement de la familiarité, thèse soutenue et présentée le 16 septembre 2005. http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2005/plailly_j#p=0&a=top

- BONFILS Pierre, Odorat : de l’aéroportage au cortex, Bull. Acad. Natle Méd., 2014, 198, no 6. http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2016/02/pages-de-1109-1122.pdf

- Dr. MATARAZZO Valéry, Les mécanismes moléculaires de la perception olfactive. http://www.123bio.net/revues/vmatarazzo/index.html

- CARLETON Alan, Odorat : le nez et le cerveau forment une équipe de choc… En déconnexion, communiqué de presse du 9 août 2013, Genève. https://www.unige.ch/communication/communiques/2013/cdp130809/

- MOURET Aurélie, LLEDO Pierre-Marie, Comment le nez se connecte au cerveau, publié en ligne le 15 mars 2007. http://ipubli-inserm.inist.fr/bitstream/handle/10608/6115/MS_2007_3_252.html

- HOLLEY André, Système olfactif et neurobiologie, Terrain n°47, septembre 2006, pp 107-122. https://journals.openedition.org/terrain/4271 - MEIERHENRICH Uwe, GOLEBIOWSKI Jérôme, FERNANDEZ Xavier, CABROL-BASS Daniel, De la molécule à l’odeur, les bases moléculaires des premières étapes de l’olfaction, L’actualité chimique n°289, août-septembre 2005, p38. http://sagascience.cnrs.fr/doschim/decouv/parfums/mol_odeur.pdf

- GARVANESE Guillaume, De la molécule à l’odeur, CNRS Le journal, publié le 2 novembre 2017. https://lejournal.cnrs.fr/articles/de-la-molecule-a-lodeur

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

arrivée des molécules volatiles odorantes

cils olfactifs

mucus

cellule de soutien

neurone récepteur olfactif

cellule basale

nerf olfactif départ de l'information éléctrique vers la lame criblée et les bulbes olfactifs

fig. 8 L'épithélium olfactif, conversion de l'information chimique en information électrique.

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3.1 - LE SYSTÈME OLFACTIF 3.1.1 - DE LA MOLÉCULE AU SIGNAL ÉLECTRIQUE NEURONAL Comme nous l’avons vue précédemment, les molécules odorantes sont volatiles et en conséquent véhiculées par les flux aériens. Ces molécules peuvent ainsi naturellement pénétrer les narines, truffes ou tout autre orifice nasal sans problème. Dans l’analyse quotidienne de notre perception, c’est à ce moment-là que l’odeur prend « forme ». Or, le cheminement jusqu’à l’image mentale ou la réaction instinctive est complexe. Cette rapidité de « mise en forme » d’une odeur est, nous allons le voir, due aux liens extrêmement minces qu’entretient l’appareil olfactif avec les aires cérébrales. Une fois les narines passées, les molécules odorantes sont captées dans le haut de la cavité nasale, au niveau de la muqueuse olfactive. C’est dans cette dernière, plaquée contre la lame criblée de l’os ethmoïde, qu’aura lieu la conversion de l’information chimique en signal nerveux. (fig. 8) La lame criblée, comme son nom l’indique, est perforée afin de laisser passer les filets nerveux olfactifs vers les bulbes olfactifs et les zones cérébrales. Mais revenons à la muqueuse olfactive. Dans un souci de gain de place et d’efficacité, cette dernière est repliée en accordéon sur elle-même afin de maximiser les surfaces d’exposition au courant respiratoire, ce sont les cornets.30 Cette muqueuse se caractérise en surface par une couche de protection : le mucus. L’objectif des molécules est donc de traverser ce mucus et pour ce, de se dissoudre dedans. Comme vu précédemment, ce dernier se compose à 95% d’eau. L’eau étant un solvant polaire, les molécules également polaires seraient logiquement plus solubles que les molécules apolaires, écartant ainsi la possibilité à un bon nombre de molécules d’être 30

Chez l’Homme, la surface totale de cette muqueuse atteint 5 cm², chez le chien elle est de 200 cm². Ceci explique l’excellence de ce dernier pour les tâches de reconnaissance olfactive.

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traitées comme odeur. Heureusement, le mucus nasal est aussi composé de protéines de transport : les OBP (olfactory-binding protein). Le rôle de ces OBP consiste à se lier aux molécules hydrophobes afin de leur permettre de traverser le mucus. La muqueuse olfactive se compose ensuite de l’épithélium. Le rôle de ce dernier est de capter les molécules odorantes et d’envoyer les informations concordantes aux bulbes olfactifs sous forme de signaux électriques. Pour ce, l’épithélium olfactif se caractérise par quatre types de cellules : les cellules glandulaires, les cellules de soutien, les cellules basales et les cellules neuroréceptrices ou « cillées ». Il est notable que ces neurorécepteurs sont remplacés tout au long de la vie de l’organisme. Les cellules basales se transforment en effet en neurones olfactifs immatures puis en neurones opérationnels. Les cellules de soutien servent quant à elles à séparer les neurones et participent donc à la régulation de leur environnement tandis que les cellules glandulaires sont responsables de la production du mucus nasal. Ce sont ici les cellules neuroréceptrices qui vont avoir un rôle majeur dans le traitement des odeurs. Ces cellules neurones sont dotées sur une première extrémité d’une vésicule arborée de cils olfactifs baignant dans le mucus. C’est sur ces cils que sont positionnées les protéines qualifiées de capteurs olfactifs. C’est lors de la rencontre entre une de ces protéines et une molécule odorante qu’est produit un potentiel d’action envoyé vers l’autre extrémité du neurone, connecté à un nerf olfactif, lui-même traversant la lame criblée et délivrant l’information aux bulbes olfactifs. Il existe une « forme » de chimiorecepteur pour une « forme » de molécule olfactive. Ainsi, si la protéine ne rencontre pas la molécule à laquelle elle est destinée, aucun influx nerveux n’est émis. L’être humain possède environ 400 types de récepteurs olfactifs pouvant s’activer différemment en fonction de l’odeur sentie. C’est donc au niveau de ces cellules neuroréceptrices qu’a lieu la conversion de l’information chimique en information nerveuse.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

3.1.2 - LES BULBES OLFACTIFS - Les bulbes olfactifs représentent la première étape cérébrale du parcours des odeurs. (fig. 9) Ils sont situés sur la lame criblée, reliés à l’épithélium olfactif par les nerfs olfactifs. C’est dans ces organes ovoïdales que vont se coder les influx nerveux des cellules neuroréceptrices en odeurs spécifiques. Les bulbes olfactifs se divisent en plusieurs couches (de l’extérieur à l’intérieur) : la couche des nerfs, la couche glomérulaire, la couche plexiforme externe, la couche des cellules mitrales, la couche plexiforme interne et la couche des cellules granulaires. Dans le processus de codage d’une odeur, quatre de ces couches présentent une importance particulière. La couche des nerfs, en périphérie des bulbes, est la couche où arrivent les axones des nerfs olfactifs. Ces derniers véhiculent les informations chimiques moléculaires converties en influx nerveux par la muqueuse olfactive. Les axones se prolongent ensuite dans la couche glomérulaire jusqu’aux glomérules. Ces dernières abritent les synapses entre les axones des nerfs olfactifs et les dendrites des cellules mitrales. Chaque glomérule est le point de rassemblement de neurones sensoriels de même nature, c’est-à-dire sensible à la même molécule odorante. La périphérie de ces glomérules est constituée de cellules interneurones, dites « périglomérulaires », servant à moduler la transmission des informations nerveuses aux cellules mitrales. La couche des cellules mitrales est sûrement le lieu le plus important du bulbe olfactif. C’est ici que naît l’identité d’une odeur. Les cellules mitrales, recevant l’influx nerveux des neurones sensoriels, vont s’exciter et ainsi définir le code de l’odeur. Cette codification ne dépend pas de l’excitation d’une seule cellule, mais bien de la carte spatio-temporelle de toutes les cellules mitrales. Ainsi, l’intensité et les évolutions de ces excitations vont aussi participer à la carte du code olfactif. La couche plexiforme interne regroupe les prolongements des cellules mitrales pour ensuite former le tractus olfactif. Les codes olfactifs déterminés par la cartographie mitrale se traduisent par de nouveaux influx nerveux véhiculés

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nerf olfactif arrivée de l'information éléctrique de la muqueuse olfactive

couche du nerf olfactif - 1 couche glomérulaire - 2 couche plexiforme externe - 3 couche des cellules mitrales - 4 couche plexiforme interne - 5 couche granulaire - 6 1

glomérules

2

3

cellules mitrales

4 5

départ de l'information olfactive codée vers les aires cérébrales

6

tractus olfactif

fig. 9 Le bulbe olfactif, codage de l'odeur.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

par le tractus jusqu’au différentes aires cérébrales concernées dans le traitement comportemental des odeurs.

3.1.3 - TRAITEMENT CÉRÉBRAL - Une fois l’odeur codée, le signal nerveux part donc vers les différentes aires cérébrales concernées dans la lecture olfactive d’un environnement : c’est le cortex olfactif primaire. (fig. 10) Le message nerveux prend alors deux voix distinctes : une voie dite « consciente » et une dite « inconsciente ».31 La voie consciente est la voie généralement commune à tous les influx sensoriels traités par le système cérébral. Les informations nerveuses en provenance des bulbes olfactifs sont dirigées vers une sous-partie du cortex olfactif primaire appelé cortex piriforme. De ce dernier, l’information olfactive et redirigée vers le thalamus32 puis projeté dans une partie du cortex dite orbitofrontale. C’est ici que l’odeur devient une image consciente, une représentation mentale permettant une identification et une reconnaissance de la source. La voie inconsciente est quant à elle propre à l’olfaction. Aucun autre sens ne bénéficie d’un lien si direct, sans passer par le centre de tri du thalamus, avec le reste du cerveau. Le message olfactif arrivant des bulbes est redistribué dans d’autres corps cérébraux du système olfactif primaire comme le tubercule olfactif, le cortex péri amygdalien, le cortex entorhinal ou encore le noyau antérieur de l’amygdale. Ce sont ces deux derniers qui 31

LLEDO Pierre-Marie, Odeurs et représentations mentales, Colloque La chimie et les sens, 22 février 2017.

https://www.mediachimie.org/ressource/odeurs-et-repr%C3%A9sentations-mentales 32

Le thalamus est une partie centrale du cerveau, il est le point de convergence des stimuli sensoriels avant toute représentation consciente de ces derniers. C’est lui qui va redistribuer l’information dans les zones du cortex appropriées. Par exemple, les influx nerveux propres à des stimuli auditifs vont être orientés dans le cortex auditif, les stimuli olfactifs dans le cortex orbitofrontal. Ces zones du cortex sont évidemment en lien avec l’hippocampe, partie cérébrale responsable de la mémoire et permettent ainsi la mémorisation consciente des projections cérébrales sensorielles.

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réaction réfléchie

cortex orbitofrontal

thalamus

arrivée de l'information olfactive

cheminement cérébral conscient de l'odeur traitement conscient de l'information et mémorisation consciente

centre de tri des influxes sensoriels et redistribution des informations dans les paties du cortex appropriées

cortex piriforme

hippocampe

siège de la mémoire

système limbique amygdale

hyppothalamus

réaction autonome

siège émotionnel

centre du système nerveux autonome et de déclenchement des réactions instinctives cheminement cérébral inconscient de l'odeur

fig. 10 Schéma simplifié des traitements cérébraux de l'information olfactive.

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PREMIÈRE PARTIE - L'ODEUR

vont nous intéresser dans la lecture inconsciente des odeurs. Le cortex entorhinal est directement lié à l’hippocampe, siège de la mémoire. Ici, les stimuli olfactifs sont inconsciemment confrontés au « catalogue olfactif » de l’individu. C’est à la détection d’une odeur nouvelle que les notions de danger et de méfiance instinctive vont apparaître. Le noyau cortical antérieur de l’amygdale est étroitement lié à l’hippocampe et à la mémoire inconsciente. En effet, l’amygdale est connue comme le « siège des émotions ». C’est dans cette partie du cerveau que vont naître les réactions émotives. De là, des informations sont transmises à l'hypothalamus déclenchant ainsi certaines réactions nerveuses autonomes.33 Ainsi, avant toute image mentale consciente d’un message olfactif, notre système cérébral peut déclencher une réaction physique autonome à un environnement potentiellement dangereux. C’est ici la preuve que l’olfaction convoque encore, bien plus directement que les autres sens, des notions d’instinct et de survie. Ce parcours du nez au cerveau des molécules olfactives nous a éclairé sur le codage de la qualité de l’odeur dans le bulbe olfactive, ainsi que sur la définition de la tonalité hédonique au niveau de l’amygdale et de l’hippocampe. Il est donc nécessaire de préciser la détermination de la troisième dimension de l’odeur, à savoir son intensité. Cette dernière est définie par la fréquence des messages neuronaux électriques communiqués au cerveau. Ainsi, plus la concentration en molécules odorante est élevée, plus les neurorécepteur vont réagir à leur environnement, plus les signaux électriques seront nombreux, plus l’odeur sera

33

L'hypothalamus est le point central du système nerveux autonome. C’est ici qu’arrivent une partie des informations sensorielles d’un environnement. En lien étroit avec la mémoire, il déclenche si besoin toute sorte de réactions physiques autonomes (par exemple les frissons, vestige du hérissement capillaire animal). L’hypothalamus est aussi responsable de la production de certaines hormones. Cela porte à croire que les odeurs ont leur rôle à jouer dans la reproduction en déclenchant certains flux hormonaux internes mais aussi externes (phéromones).

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perçue comme intense.34 La physiologie de l’appareil olfactif et la distribution cérébrale des odeurs permettent donc de mieux comprendre pourquoi l’olfaction est associée à des souvenirs et des émotions, rendant ainsi la description scientifique d’une odeur délicate et souvent trop subjective. La lecture animale et instinctive d’un environnement est encore « physiquement » possible par l’olfaction, profitons-en.

34

RICHARD Hubert, Nature des composants odorants, FuturaScience, publié le 6 Avril 2004, modifié le 7 Novembre 2015, consulté le 1er Décembre 2019. https://www.futura-sciences.com/sciences/dossiers/chimie-aromes-alimentaires-384/page/2/

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3.2 - LE SYSTÈME TRIGÉMINAL L’appareil olfactif décrit ci-dessus est vu comme « le » mode de décodage des odeurs, cependant, il ne traite l’olfaction que sur une dimension. Le système trigéminal que nous allons découvrir maintenant incorpore une seconde dimension aux odeurs, celles des sensations somotosensorielles. Dans des termes plus simples, ce système nerveux indépendant du nerf olfactif va attribuer à l’odeur des caractéristiques secondaires comme une humidité, une douleur, une température, une irritation… Ainsi, nous ne parlons plus d’odeur, mais de sensation olfactive. Le système trigéminal, ou nerf trijumeau, est un nerf double (présent en deux exemplaires dans les hémisphères droits et gauches du crâne humain). Il est en charge de fonctions sensitives mais aussi motrices. Étant le cinquième nerf crânien, il est communément appelé V, et se décline ainsi : nerf ophtalmique V1, nerf maxillaire V2 et nerf mandibulaire V3. Ces trois déclinaisons innervent différentes parties du crâne sans forcément respecter la répartition fonctionnelle des organes (fig. 11) Dans notre analyse des systèmes olfactifs, c’est le nerf V2 qui va nous intéresser. Ce nerf maxillaire, décliné encore en plusieurs branches, va innerver les paupières inférieures, la joue supérieure, le nez, la lèvre supérieure, les dent et gencives maxillaires, la muqueuse du palais et notre muqueuse nasale responsable de la captation des molécules odorantes. C’est de là qu’il va relater au cerveau des informations nerveuses de l’ordre des sensations, fonction faisant partie d’un ensemble nerveux autonome dédié à la survie. Le V2 entretient en effet des liens avec l’hypothalamus et le système nerveux autonome permettant, en cas de dangers physiques dans la muqueuse nasale (température élevée, irritation etc.), de déclencher des réflexes autonomes comme la diminution du rythme respiratoire et cardiaque ou la fermeture de la glotte. Un exemple parlant suffit, après cette description, à

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V1

V2

V3

fig. 11 Schéma des zones du visage desservies par les trois branches du nerf trijumau.

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prouver l’importance du nerf maxillaire dans l’appréhension des odeurs. Imaginez de la menthe poivrée sans son aspect olfactif « froid », et bien ce n’est plus de la menthe poivrée. Ici, la fragrance tient son identité tant à son odeur à proprement parlé, qu’à la sensation olfactive qu’elle convoque, et ce grâce au système trigéminal.

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3.3 - LE SYSTÈME VOMÉRONASAL Il existe chez un bon nombre d’espèces animales mais aussi végétales un autre langage olfactif indépendant du système olfactif décrit précédemment : les phéromones. Ce sont des hormones qui ont la particularité d’être produites pour être envoyées à l’extérieur et influencer un corps de la même espèce. Chez les mammifères, les phéromones sont captées indépendamment des molécules olfactives dans la cavité nasale par l’organe voméronasal. Ce dernier composé de neurones sensoriels bipolaires va, au même titre que l’épithélium olfactif, convertir l’identité chimique de la phéromone en signal électrique. Cependant, les axones projetant ces informations n’iront pas dans la même région des bulbes olfactifs que les informations liées aux molécules olfactives. Ce sont les bulbes olfactifs accessoires qui réceptionneront ces informations et les dirigeront vers l’amygdale et l’hypothalamus. De là seront déclenchés comportements sociaux, sexuels ou de survie par sécrétions hormonales. Le circuit neuronal des phéromones est donc indépendant des zones cérébrales cognitives, écartant toute analyse consciente des effets produits. Il est important de noter que le rôle de l’organe voméronasal chez l’homme est controversé. Il a été pendant longtemps considéré inactif, comme vestige de l’évolution, et c’est depuis la fin du XXe siècle que des études ont prouvé que certains composés chimiques émis par la peau déclenchaient une activité électrique de l’organe voméronasal humain. Cependant, cette activité ne semble pas suffisante pour impacter le comportement humain, discréditant les phéromones dans l’étude des comportements humains.35

35

DULAC Catherine, Biologie moléculaire et perception des phéromones chez les mammifères, M/S vol 13, février 1997.

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Il existe plusieurs facteurs pouvant limiter la lecture olfactive d’un milieu. Ici, nous en traiterons seulement deux, susceptibles d’être en lien avec l'expérience spatio-temporelle architecturale : les seuils de perceptions et l’adaptation olfactive. L’objectif est de, par la suite, prendre en compte ces limites comme outil pour la construction olfactive d’un espace. Nous écarterons donc le degré d’attention du sujet que nous considérerons comme lambda, les encombrements nasaux (type rhume) ou les pathologies liées à l’odorat comme l’anosmie.36

36

L’anosmie correspond à la perte totale de l’odorat, lorsque cette perte est partielle nous parlons d’hyposmie. L’hyperosmie désigne quant à elle des performances olfactives surdéveloppées. Ces trois troubles de l’odorat désignent des altérations quantitatif, il existe aussi certains troubles dis qualitatifs. La parosmie par exemple désigne une perception erronée d’une odeur, la phantosmie des hallucinations olfactives.

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4 - LIMITES DE LA PERCEPTION OLFACTIVE

4.1 - SEUILS DE PERCEPTION Les seuils de perception olfactive nous sont utiles dans le cadre architectural, car ils mettent en jeu la concentration de molécules odorantes dans l’air et donc indirectement la source odorante et sa volatilité. La lecture olfactive n’a pas un, mais deux seuils croissants de perception, respectivement le seuil de détection et le seuil de reconnaissance. Le premier est atteint lorsque le sujet a une impression d’odeur, sans identité précise. Le second correspond à l’identification de la qualité de l’odeur. Il est important de souligner qu’il n’est pas nécessaire d’atteindre le seuil de reconnaissance afin d’avoir une mémorisation de l’odeur et un impact comportemental.37 Certes, ce seuil permet l’apprentissage et une analyse environnementale, mais aussi une analyse consciente puisque identifiée, soumise aux multiples filtres de la raison, de la morale, de la culture et du goût. Le seuil de détection quant à lui, permet une mémorisation implicite, sans raisonnement, proche d’un traitement inconscient du milieu. Comme vu précédemment, chaque molécule a des seuils de perception et de reconnaissance différents, cependant le seuil de détection humain se situe généralement dans l’ordre de 10-17 mol/L.38 Il est aussi notable qu’il existe un seuil de saturation,

37

DEGEL Joachim, KÖSTER Egon Peter, Odors : Implicit Memory and Performance Effects, Chemical Senses vol 24 issue 3, 1999, pp 317-325.

https://academic.oup.com/chemse/article/24/3/317/320398 38

MUFFAT Sylvie, GARILLON Jean-Louis, L’aromatique émotionnelle : une nouvelle dimension de la fonction olfactive, Hegel vol 4 n°3, 2014.

http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/54095

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au-delà duquel les récepteurs ne s’activent plus, entraînant donc une disparition de l’information.39

4.2 - ADAPTATION OLFACTIVE Nous faisons tous l’expérience au quotidien de notre « non-odeur ». En d’autres termes, nous ne nous sentons pas (du moins, nous ne nous sentons plus). Nous ne sentons plus non plus notre parfum, poussant certains à s’asperger allègrement de senteur au point d’en dégoûter leur entourage. Nous ne distinguons pas non plus l’odeur du « chez-soi », ou celle de tout autre lieu fréquenté quotidiennement. Toutes ces situations sont dues au phénomène d’adaptation olfactive. Lors de cette adaptation, les molécules odorantes et les influx du nerf olfactif sont toujours présents, soulignant que la sensibilité physiologique ne diminue pas. C’est une variation cognitive qui est responsable de ces disparitions des odeurs. Notre système cérébral, dans un souci de réguler l’apport massif d’information, va lui-même trier et mettre de côté les informations « sans importance » pour la survie et la bonne compréhension d’un environnement. Ainsi, les fragrances récurrentes, et non assimilées directement à un danger ou une nouveauté, vont ne plus être traitées par notre système cérébral et donc « disparaître » de notre perception. Dans la lecture olfactive d’un lieu, cette adaptation naturelle doit être prise en compte si l’olfaction tient une place dans la conception spatiale du lieu en question. Pour avoir un ordre d’idée de cette vitesse d’adaptation, « Ekman (1967) (dans Engen, 1973) a organisé une expérience consistant à soumettre des sujets à une odeur dont la concentration dans l’air reste constante. Les résultats ont indiqué 39

lab. SALVECO, Les notes olfactives, consulté le 12 décembre 2019.

https://www.salveco.fr/fr/les-notes-olfactives

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que l’odeur perçue diminuait de manière exponentielle : au bout de quatre minutes, le niveau de perception constatée suivait une asymptote ».40

40

SILVY-LELIGOIS Aymeric, La diffusion d’odeurs dans les points de vente : Influence sur le comportement des consommateurs, mémoire de fin d’étude IESEG School of Management, 2003-2004 https://wikimemoires.net/2013/07/la-comprehension-de-lolfaction-la-perception-des-odeurs/

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5 - CONCLUSION

Nous voici donc en pleine connaissance du phénomène d’odeur, de la chimie olfactive des molécules, mais aussi de l’appareil olfactif et du parcours de l’information sensorielle jusqu’aux corps cérébraux. Il nous est donc possible de mettre en lumière certains outils olfactifs architecturaux découlant directement des propriétés scientifiques du phénomène d’odeur. Avant tout chose, il est notable que le caractère instinctif de l’odorat présent dans l’imaginaire commun, et ayant conduit à son discrédit, est prouvé par le parcours cérébral de l’information olfactive. Ainsi convoquer l’odorat, pour atteindre notre objectif de redonner au projet architectural une possibilité de compréhension instinctive et non culturelle, est tout à fait légitime et justifié. Un des premiers outils olfactifs architecturaux que nous pouvons identifier suite à ces recherches, qui déjà de base semblait évident, est le choix et la mise en œuvre des matériaux de construction. De par leur composition moléculaire, de par la masse molaire et la volatilité des molécules odorantes d’un matériau, de par leurs seuils de perception, il nous sera possible d’appréhender si oui ou non l’espace dessiné puis édifié par un ou plusieurs matériaux aura une odeur. Il est évident que définir précisément l’identité de l’odeur d’un matériau grâce à sa composition chimique aura ses limites du fait qu’il n’existe pas encore de liens connu entre la structure moléculaire d’un odorant et sa qualité olfactive. Cependant, la masse molaire, et par conséquent la volatilité des corps odorants d’un matériau, pourront nous informer sur l’intensité de ce dernier.

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Les facteurs environnementaux influençant le phénomène d’odeur entrent aussi dans le champ d’action de l’architecte. L’humidité, influençant la perception olfactive, me semble maîtrisable par la main de l’architecte. La température, conditionnant la volatilité de la matière, me le semble aussi. Nous développerons cela par la suite. Enfin, le phénomène d’adaptation, dû à la régularisation des influx d’information dans le cerveau, instaure dans la lecture olfactive d’un espace une dimension temporelle. La sensation olfactive évolue au gré de l’espace, mais aussi du temps.

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1 - CLASSIFICATION OLFACTIVE ARCHITECTURALE Ce chapitre est de l’ordre de la proposition. La classification des odeurs qui sera développée nous est propre est peut être complétée ou remise en question. Rien n’ayant été proposé dans le cadre architectural, nous nous permettons d’objectiver d’une certaine façon le monde olfactif en architecture, en nous appuyant sur un vécu personnel, des témoignages, les modes de classification existants et les données scientifiques issues du chapitre précédent.

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SOURCES OLFACTIVES

INFLUENCEURS OLFACTIFS

matériaux du projet

température

usages du projet

hygrométrie

contexte du projet

circulation de l'air

fig. 12 Tableau des champs d'action olfactifs du projet architectural.

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1.1 - ODORANTS ET INFLUENCEURS OLFACTIFS Il est avant toute chose important de faire une première distinction entre deux champs d’action : celui des sources odorantes directes et celui des influenceurs olfactifs. Nous l’avons vu précédemment, la température et l’humidité ne sont pas des odeurs en ellesmêmes, mais jouent pourtant un rôle crucial dans l’émanation et la captation des senteurs. Le système trigéminal quant à lui inclut la température dans la sensation olfactive. Il serait alors ridicule de prétendre travailler la dimension olfactive d’un espace sans prendre en compte les facteurs secondaires influençant indirectement cette dimension. Les courants hygiénistes de la fin du XXVIIIe siècle font aussi entrer la circulation de l’air comme outils premier de désodorisation sanitaire de l’espace.41 Les flux aériens apparaissent alors aussi comme potentiel champ d’action pour l’architecte. Cette première distinction, entre source odorante et influenceurs olfactifs, nous permet de faire un point sur les sources d’odeurs vécues pouvant se lier d’une manière ou d’une autre à la pensée de l’espace. Ces sources olfactives peuvent se regrouper en trois catégories : les matériaux propres à l’édification du projet, les usages du projet et le contexte du projet. Ces catégories seront développées plus précisément par la suite, mais nous permettent déjà d’avoir une vue d’ensemble des champs d’actions olfactifs de l’architecte. Le tableau ci-contre résume cette première classification. (fig. 12)

41 CORBIN Alain, Le miasme et la jonquille, Édition Aubier Montaigne, collection Historique, Paris, 1982, partie 2, chapitre 1.

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1.2 - RETROSPECTIVE SUR LES CLASSIFICATIONS OLFACTIVES L’esquisse de classification vue ci-dessus n’est en aucun cas utilisable dans le processus de projet car elle reste de l’ordre du constat. Avant de proposer notre propre classification, il nous semble judicieux de faire une rétrospective sur les classifications olfactives établies au cours des siècles précédents, tant chez les botanistes que chez les parfumeurs, pour en identifier les enjeux. Par l’étude de ces classifications, nous ne nous intéresserons pas aux catégories elles-mêmes, mais aux objectifs et aux critères de la catégorisation afin d’en extraire des logiques potentiellement applicables à notre future classification architecturale.

1.2.1 - ÉCHELLES DE L’ODEUR - En premier lieu, nous aimerions proposer différentes « échelles de l’odeur » afin de situer précisément sur quelle « dimension » les objectifs et les critères de classification s’appliquent. Il est à noter que cette palette d’échelles d’analyse et de compréhension est une abstraction du phénomène d’odeur, définit arbitrairement et uniquement faite pour illustrer les classifications que nous allons étudier. Échelle microscopique (composition moléculaire, volatilité) Échelle macroscopique (source et caractéristique de cette source) Échelle cognitive (sémantique objective, lecture innée) Échelle hédonique (goûts)

1.2.2 - OBJECTIFS DE CLASSIFICATION - Le premier facteur identifié dans les manières de catégoriser les odeurs est l’objectif de la classification. Nous pouvons noter deux groupes d’objectifs. Le premier rassemble les objectifs de compréhension

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et d’anticipation des odeurs, centrés sur l’odeur en elle-même. Ces objectifs peuvent s’illustrer à l’échelle microscopique42 mais aussi à l’échelle cognitive.43 Le second groupe identifiable d’objectif de classification se tourne vers une application de l’odeur. Le Père Polycarpe PONCELET propose une première classification en 1755 afin de composer ensuite liqueurs et eaux de senteurs.44 En 1788, LORRY

42

DUBOIS Danièle, Des catégories d’odorants à la sémantique des odeurs, une approche cognitive de l’olfaction, Terrain n°47, septembre 2006, pp 89-106.

https://journals.openedition.org/terrain/4263#tocto1n3

EMPTOZ & FAGES en 1983 proposaient une classification automatique des odorants découlant de la structure moléculaire, du volume molaire ou de l’indice de réfraction de la molécule olfactive. 43

PATOUT Jean, Pied de nez (1996), Édition parfums N. PATOUT, Velleron, 2003, pp 135-138. La classification proposée dans ce cadre tend vers un symbolisme universelle de l’odeur, s’appuyant sur un passé relativement commun à l’espèce humaine, ainsi assimilé inconsciemment et réinterprété dans la lecture du monde. Elle se divise en 6 catégories : « boisée » (associé aux aires cérébrales, à l’intelligence, suite au passage de quadrupède à bipède et du nouveau rapport visuel aux arbres), « ambrée/orientale » (associé à l’instinct, à l’animosité, au viscéral, à l’animal organique et sexuel), « poudrée » (image de la féminité, à mi-chemin entre boisée et ambrée et associée au lait maternelle), « fruitée » (associée à la force, à l’extraversion et au besoin primaire de nourriture), « verte » (associée à la terre, aux racines, à ce qui est dessous et ainsi à l’introversion) et « florale/fraiche » (associé à la fragilité et à l’éphémère, à la beauté, à la distance et ainsi à la neutralité). S’ajoute enfin une caractéristique dite « épicée » elle associée au réactionnel. Cette classification est à mon sens trop légère et subjective, présentant une lecture de l’inconscient humain fondée sur de belles images, mais nonprouvables. Cependant l’objectif d’anticiper l’effet d’un odorant grâce à sa symbolique reste intéressant.

44

Père PONCELET Polycarpe, Chimie du goût et de l’odorat, imprimerie P.G. le Mercier, Paris, 1755, p 242. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626504b/f9.item.r=classification.texteimage

Classification en trois classes : eaux odorantes simples de classe I, eaux odorantes composée ou esprits odorants de classe II, et quintessences aromatiques ou huiles essentielles de classe III.

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propose cinq catégories à but pharmacologique.45 Aujourd’hui la classification des parfums a pour fin la mise en relation rapide entre le consommateur et la « nature » du parfum lui correspondante, objectif implicitement commercial. Pour notre cas, nous nous inscrirons dans ce deuxième groupe d’objectif. Notre classification vise à identifier pour appliquer les odeurs au processus de projet, en premier lieu indépendamment de leurs natures propres. Ce premier parti-pris, de s’éloigner légèrement de l’odeur pour sa réutilisation, met une distance non négligeable avec l’échelle hédonique des odeurs, dimension à éviter sans hésitation.

1.2.3 - CRITÈRES DE CLASSIFICATION - La deuxième donnée qui nous intéresse dans ces classifications ce sont les critères. Là aussi, nous pouvons noter deux axes de sélection : les critères propres à la source olfactive, et ceux propres à la réception. Dans les critères de classifications propres à la réception olfactive, nous pouvons évidemment retrouver le jugement hédonique de l’effluve dans l’étude d’Albrecht Von HALLER.46 Ce critère est à exclure de notre étude afin d’optimiser la neutralité des propos et 45

DUBOIS Danièle, Des catégories d’odorants à la sémantique des odeurs, une approche cognitive de l’olfaction, septembre 2006. La classification de LORRY à but médicinal se divise en cinq catégories : les « odeur camphrée » (pénétrantes et calmantes), les « odeurs narcotiques » (calmantes et narcotiques), les « odeurs éthérées » (antispasmodiques), les « odeurs des acides volatiles » (s’opposant à l’engourdissement) et les « odeurs alcalines » (pénétrantes et antiscorbutiques).

46

Idem. Cette classification hédonique développée par Albrecht VON HALLER en 1763 dans olfactus. elementa physiologiae corporis humani, se divise en trois catégories : les odeurs dites « suaveolentes » (musquées, camphrées, de menthe, de pomme, de violette ou de rose), les odeurs « medii » (de vin, vinaigre, d’absinthe ou empyreumatiques), et les odeurs « foetores » (comprenant les respirations animales, les odeurs de cadavres et de corps organiques corrompus).

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donc l’application des principes établis à la fin de cet écrit. Nous pouvons ensuite trouver, à la frontière entre l’échelle cognitive et l’échelle hédonique, des critères propres à la sensation olfactive. En parfumerie, les parfums sont classés en huit catégories présentant des sensations olfactives, universelles au monde de la parfumerie, mais pouvant vite tendre vers la subjectivité.47 Ensuite, dans un cadre plus médicinal, les effets observables sur le corps peuvent aussi être pris comme critères de classification.48 Cette démarche, aujourd’hui obsolète par l’avancée de la médecine et de la chimie, a au moins le mérite d’inclure une preuve « physique » à la catégorisation, tendant ainsi vers un semblant d’objectivité. Enfin, les progrès des neurosciences du milieu du XXe siècle permettent à John AMOORE de faire entrer en jeu les récepteurs olfactifs présents dans la cavité nasale. Il identifie sept

47

Cette classification basée sur la sensation olfactive d’un parfum a été publiée par la Société française des Parfumeurs (https://www.parfumeurs-createurs.org/fr/a-propos/ presentation-93) devant l’augmentation du nombre de parfums sur le marché. Cette classification connait quelques variantes mais peut se résumer en huit familles (aromatique, boisée, chyprée, fleurie, fougère, hespéridés, orientale ou ambré et cuirée) et onze facettes (aldéhydée, ambrée, cuirée, épicée, fruitée, gourmande, marine, musquée, nouvelle fraicheur, poudrée et verte). https://parfums-duzege.com/actualites/les-familles-olfactives/ https://www.incenza.com/6-parfums/le-parfum-en-7-familles-olfactives-p113.html https://www.olfastory.com/famille-olfactive.html (consultés le 16 octobre 2019) 48

Musée International de la Parfumerie, Matières premières naturelles, les classifications des matières premières naturelles, Grasse, consulté le 16 octobre 2019. https://www.museesdegrasse.com/sites/default/files/fs_mip_french.pdf

Le botaniste Carl VON LINNÉ propose en 1764 une classification olfactive avec comme critères les effets des odeurs sur l’organisme humain. Cette nouvelle vision des odeurs permet de sortir de la classification d’Aristote, toujours en vigueur, fondée sur des critères d’appréciations (douces, acides, austères, grasses, acerbes, fétides).

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types de récepteurs, donc sept catégories d’odeurs.49 Le second type de critères de classification s’oriente lui sur la source olfactive. Premièrement, la classification peut se faire par la nature de la source et non de l’odeur comme le propose aussi Carl VON LINNÉ.50 Ce mode de classement proche des modes de classifications botaniques existants sera vite remis en question par la parfumerie. En effet, deux plantes de la même espèce peuvent présenter des odeurs totalement différentes, faussant alors l’application de la classification. Une démarche plus précise et scientifique a donc été amorcée par FOURCROY qui classe les odeurs par leurs propriétés physico-chimiques.51 Cette démarche sera poussée par ZWAARDEMAKER en 1925 jusqu’à l’échelle moléculaire, puis par EMPTOZES et FAGES en 1983 en isolant la structure moléculaire, le volume molaire ou encore l’indice

49

DUBOIS Danièle, Catégorisation et cognition : de la perception au discours, Édition Kimé, 1997, numérisé en 2017. https://books.google.fr/ books?id=txc3dwaaqbaj&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false

John AMOORE, en 1963, propose une classification issue des récepteurs impliqués dans la lecture olfactive : odeurs éthérées, camphrées, florales, menthées et musquées. S’y ajoutent deux caractéristiques, « pugent » et putride, déterminées par des facteurs physico-chimiques. Cette classification est aujourd'hui obsolète par la découverte de presque 400 récepteurs olfactifs différents. 50

DUBOIS Danièle, Des catégories d’odorants à la sémantique des odeurs, une approche cognitive de l’olfaction, septembre 2006. Effectivement Carl VON LINNÉ, déjà vue précédemment, propose aussi une série de critères de classification orientés sur les sources odorantes. Il distingue alors les « aromatique » des « fragrantes » et propose même des classes de sources odorantes (ambre, musc, bouc,…). La classification de LINNÉ mélange alors propriétés des sources et jugements qualitatifs, difficilement assimilable à une objectif (médicale ou de connaissance du monde olfactifs ?).

51

idem Antoine-François FOURCROY, en 1798, propose une classification en « genres » (établis sur les réactions chimiques obtenues) et en « espèces » (fondées sur la natures des odorants). Malgré une hétérogénéité entre les critères chimiques des genres, et ceux identitaires des espèces, FOURCROY tend ici vers une catégorisation expérimentale.

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de réfraction dans la catégorisation.52 Ces critères propres à la source odorantes peuvent enfin impliquer l’action de l’homme avec une sémantique de l’activité humaine (odeur de « cuisine » par exemple), ou être de l’ordre du naturel / artificiel comme l’expose la classification libre des sujets de ROUBY, DUBOIS et DAVID entre 1995 et 2002.53 Cette classification libre, faites par une équipe de sujets volontaires, montre alors qu’il est possible de classer assez objectivement sans passer par l’échelle moléculaire. Cependant, d’une culture à l’autre, la sémantique olfactive oscillera, obligeant alors les classifications à se multiplier suivant les cultures. Pour notre cas, les critères de catégorisations s’orienteront sur la source olfactive plutôt que sur la réception, trop facilement modulable par la subjectivité du sujet.

52

Idem.

53

Idem.

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1.3 - PROPOSTION D’UNE NOUVELLE CLASSIFICATION ARCHITECTURALE Résumons maintenant ce que cette rétrospective sur les classifications olfactives a pu nous apporter pour construire la nôtre. Tout d’abord, il nous faut identifier un objectif de classification. Est-il de comprendre et d’anticiper l’odeur, ou bien d’appliquer cette dernière à une discipline autre ? Il semblerait que dans notre cas, s’intéresser à l’odeur en elle-même ne nous fera pas avancer au-delà du constat. Ainsi, nous nous inscrivons dans un objectif de ré emploie de l’odeur, en l’occurrence dans le processus du projet d’architecture. Ce premier parti-pris orientera alors notre classification dans un vocabulaire non-plu propre au monde des odeurs, mais à celui de l’architecture. La seconde chose à définir, ce sont nos critères de classification. Comme énoncé précédemment, ces derniers ne s’orienterons pas sur la réception des odeurs. Classer des odeurs d’architecture en fonctions de leur réception par le public serait bien trop influençable par l’appréciation hédonique et les variations culturelles. Ainsi, nos critères de classification seront propres à la source olfactive, et comme le laissait pressentir notre objectif de classification, s’inscrirons dans une logique architecturale. Il est notable que dans l’historique de la classification, l’objectif et le domaine de recherche aiguillent nettement les critères (la parfumerie prend pour critères les effets olfactifs, les neurosciences les types de récepteurs, la chimie les structures moléculaires). Ainsi, nos critères de classification appartiendront au processus de projet : les odeurs et influenceurs olfactifs seront classés selon la « phase de conception » de projet de laquelle ils découlent. La question qui se pose maintenant est quelles sont ces phases de projet ? Il semblerait qu’il y ait autant de manières de faire du projet que d’architectes. Certains architectes ont cependant réussi à extraire de leurs analyses et pratiques des «

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logiques » d’exercer le processus de projet. Pour notre part, nous nous intéresserons à la vision du projet de Kenneth Frampton et utiliserons ses trois termes, topos, typos et tectonic,54 requalifiés en implantation, organisation et édification, comme critères de classification du monde olfactif architectural. L’implantation, l’organisation et l’édification sont étroitement liées et ne suivent pas une chronologie applicative dans le processus de projet. Ainsi le terme « phase » employé jusqu’à maintenant comme critère de classification se voit nuancé, ne s’accordant plus à une logique temporelle de la conception du projet, mais à différents mode de réflexion de l’architecte pour concrétiser un tout cohérent. Nous voici donc avec trois types d’odeurs et influents olfactifs différents, ceux provenant de l’implantation du projet, ceux provenant de l’organisation du projet, et ceux provenant de l’édification du projet. (fig. 13) Ainsi, nous avons rangé dans ces trois catégories les odorants ou influenceurs olfactifs qui nous semblaient résulter de ces questions du projet. Si certaines « cases » ne semblent pas évidentes à première vue, la suite de cet écrit consistera à les développer en outils et choix architecturaux et à comprendre comment, lors du processus de projet, l’architecte peut agir sur la dimension olfactive de sa réalisation. Il est évident que cette classification peut être complétée ou modulée.

54

FRAMPTON Kenneth, Studies in Tectonic Culture, The Poetics of Construction in Nineteenth and Twentieth Century Architecture (1995), Édité par CAVA John, UnitedStates of America, 1996. L’auteur propose, dans l’introduction de cet ouvrage, les termes topos, typos et tectonic comme vecteurs de réflexions et d’actions architecturales convergentes vers un tout qui est le projet. La requalification en implantation, organisation et édification est une simplification issue des enseignements du semestre 4 à l’ENSASE. Il semble judicieux de recourir à ces termes afin de visualiser lors de quelle phase de réflexion du projet les odeurs et influents olfactif peuvent jouer un rôle. Associer une odeur au typos n’évoquera pas grand-chose, l’associer à l’organisation sera sans doute plus interprétable et surtout réutilisable.

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S'IMPLANTER

ORGANISER

ÉDIFIER

hygrométrie

température

température

circulation de l'air

usages du projet

hygrométrie

contexte du projet

circulation de l'air

matériaux du projet

fig. 13 Tableau de classification des champs d'action olfactifs du projet architectural.

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Il reste maintenant à hiérarchiser ces odeurs en trois « types » : odeurs primaires, secondaires et tertiaires. Pour ce, nous garderons les trois classes, implantation - organisation édification, et leur appliquerons une valeur dépendante de la maîtrise de l’architecte sur les sources ou influenceurs olfactifs de la classe. Ainsi, la classe « édification », où l’architecte a un pouvoir quasi-total sur les modes de construction, générera les odeurs primaires. La classe « organisation », soumise au programme et aux codes culturels auxquels va se référer le projet, mais dans laquelle l’architecte garde une certaine liberté de plan, va générer les odeurs secondaires. Enfin, la classe « implantation », ou l’architecte est soumis à son contexte sans réel pouvoir sur ce dernier, générera les odeurs tertiaires.

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2 - OUTILS ET CHOIX OLFACTIFS ARCHITECTURAUX Ce chapitre a pour objectif d’associer les odeurs et influents architecturaux que nous venons de classer, à des outils architecturaux, ou du moins à des décisions de choix de conception du projet. L’objectif n’est pas ici de donner un mode d’emploi des odeurs en architecture, mais plutôt comprendre quels choix architecturaux auront un impact olfactif sur le projet. Nous essaierons au mieux d’illustrer chaque odeur et outil par un exemple vécu, rédigé par nos soins et donc soumis à une certaine subjectivité et sensibilité. Ces textes annexes ne sont pas des preuves, mais des illustrations.

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A Saint-Étienne, la rue Charles De Gaule est ponctuée de fast-food vendant sandwichs kébab, tacos et burger tout au long de la journée. La portion de rue située entre la place Jean Jaurès et la rue du grand Gonnet est particulièrement concernée par cette implantation commerciale. Ainsi aux heures de restaurations, la rue est submergée d’un nuage olfactif mêlant odeurs de friture et de viande grillée. Les autres commerces présents sont alors olfactivement invisibles, noyés dans l’effervescence des fast-foods. Mais lorsque vous passer le seuil et entrez dans la cours du 18 rue Charles de Gaule, ce sont alors les odeurs de la boulangerie Maison Fouillat mitoyenne qui se manifestent. Bien qu’involontaire lors de la structuration de l’ilot, sa composition spatiale, le recule épais de la cours avec la rue et la proximité d’un commerce unique à procurer à cette cours intérieur une ambiance particulière, premièrement due aux odeurs de pain, mais aussi à la disparition des odeurs de fast-food jusqu’alors dominante dans l’atmosphère. Cette mise en valeur involontaire d’une odeur de contexte artificiel donne à cette petite cours toute sa singularité.

note 1 La cours de la Rue Charles de Gaule.

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2.1 - ODEURS TERTIAIRES : S’IMPLANTER 2.1.1 - CONTEXTE ARTIFICIEL - Le contexte dit « artificiel » représentera dans la suite de ces écrits les phénomènes d’odeurs issues d’activités humaines. Les activités humaines sur un territoire, urbain ou rural, sont la plupart du temps sources d’odeur. Depuis le XVIIIe siècle, ces odeurs de contexte artificiel sont traitées uniquement comme gène et sont à l’origine de certaines décisions d’aménagements urbains à but désodorisant. Le pavage des rues, mesure hygiénique du siècle de la désodorisation, avait comme objectif d’étanchéifier le sol de toute émanation due à l’absorption des déchets humains (cadavres, excréments, produits).55 Aujourd’hui, les odeurs de contexte artificiel peuvent nous pensons, être prises en compte non plus uniquement comme gène, mais aussi comme atout contextuel au projet d’architecture. Comme le montre les travaux de cartographie olfactive de Saint-Étienne présentés en introduction de cet écrit, l’olfaction est d’abord un outil de compréhension d’un site. Bien que variables au grès de la journée et des saisons,56 les odeurs contextuelles artificielles permettent de déceler certaines logiques de structures urbaines.(fig. 14 ) Si l’architecte prend conscience de ces logiques, il pourra se positionner sur l’implantation de son projet quant au contexte olfactif. Il pourra travailler à l’isolement du projet vis-à-vis de ce contexte odorant, comme à l’intégration de ce dernier dans les ambiances qu’il souhaite développer (note 1). Ainsi, les odeurs de contexte artificiel ne convoquent pas un outil architectural en particulier, mais peuvent être source de réflexions et de choix 55

CORBIN Alain, Le miasme et la jonquille, Édition Aubier Montaigne, collection Historique, Paris, 1982, partie 2, chapitre 1. 56

DULEAU Robert, PITTE Jean-Robert, Géographie des odeurs, entre économie et culture, Édition l’Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, 1998, GRESILLON Lucile, Le Paris qui sent, les odeurs du quartier de la Huchette.

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fig. 14 Extrait de l'analyse olfactive de l'îlot Saint-Séverin, Lucille GRÉSILLON.

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Lorsque l’accès à ce projet se fait à pied, ce dernier n’est visible que tardivement dans la procession. Le cheminement par la piste forestière est accompagné de cette odeur de poussière, plus ou moins épaisse selon le trafic. Si d’aventure vous coupez à travers champs, la poussière vous abandonnera et les fragrances herborées typique des pâturages prendrons le relais. Petit à petit, ces effluves d’herbe et de terre laisseront place à l’odeur des résineux. La forêt sera de plus en plus présente et la maison forestière se dessinera alors entre les troncs. La matérialité du bois utilisé tant pour la structure que pour la peau sera alors une évidence au milieu des effluves d’épicéa et de sapin, de terre et d’humus sec. Le projet ne fait qu’un avec son site, alliant sensations visuelles et olfactives autour d’un dénominateur commun : le bois. note 3 Le refuge forestier de Gion Caminada.

Les vestiges gallo-romains de Chur sont une expérience allant au-delà du témoignage historique. Le projet proposé par Peter Zumthor ne vous fais pas voyagé dans un monde passé, mais vous ancre profondément dans une situation présente : celle de la ruine et du sol. Le projet couvre le site archéologique et propose un réseau de passerelles permettant le « survol » des ruines. Pour peu qu’il ait plus auparavant, le sol alors brut dégage une humidité et une odeur de terre confortant le site dans son état de fouilles. note 3 L'abris pour vestiges gallo-romains de Peter Zumthor.

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sur les ambiances du projet, et sur les liens qu’il entretient avec une logique contextuelle olfactive déjà présente. Bien que nonmaîtrisable, l’architecte peut intégrer, isoler, ou utiliser comme contraste à son projet le contexte olfactif artificiel.

2.1.2 - CONTEXTE NATUREL - Le contexte dit « naturel » représentera dans la suite de ces écrits les phénomènes d’odeurs issues de facteurs environnementaux indépendants des activités humaines. Lors de la réflexion sur l’implantation d’un projet architectural dans son site, certains facteurs naturels peuvent être pris en compte comme sources ou influents olfactifs. Nous pouvons d’abord parler de la végétation. Au-delà des différentes notes olfactives directement émises par cette dernière (note 2), la végétation d’un site accorde généralement à ce dernier un taux d’humidité supérieur à la moyenne. Comme nous avons pu le voir précédemment, l’hygrométrie représente un facteur influant la captation des molécules odorantes. Ainsi, une insertion de projet en milieu arboré et la conservation de le végétation dans la démarche d’implantation sont des atouts pour le développement du monde olfactif. La nature du sol et les rapports que le projet entretient avec ce dernier sont aussi source de choix aux conséquences olfactives (note 3). Comme la végétation, le sol peut être une source d’humidité influençant la captation de notes olfactives émanant d’autres éléments du projet, mais aussi une source odorante directe. Que ce soit la sensation olfactive poussiéreuse d’un sol sec, ou le pétrichore,57 un sol sent. Le rapport que l’architecte choisit d’instaurer entre son projet et 57

POYNTON Howard, The smell of rain : how CSIRO invented a new word, The conversation, publié le 31 mars 2015, consulté le 5 janvier 2020.

https://theconversation.com/the-smell-of-rain-how-csiro-invented-a-new-word-39231A

Le « pétrichore » correspond à l‘odeur particulière de la terre après une averse. Cette fragrance que nous avons tous déjà expérimenté a été nommée et scientifiquement comprise par Isabel Joy BEAR et Richard THOMAS en 1964. Cette odeur provient d’une huile produite par les plantes et incorporée par les roches et sols argileux.

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fig. 15 Fransworth House, MIES VAN DER ROHE Ludwig, Plano, 1951.

fig. 16 Abris pour vestiges gallo-romains, ZUMTHOR Peter, Coire, 1986.

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le sol a alors de potentielles conséquences olfactives. Ainsi il est probable que, l’abri pour les vestiges gallo-romains de Chur dessinés par Peter ZUMTHOR, et la Fransworth House dessinée par Ludwig MIES VAN DER ROHE n’aient pas les mêmes atmosphères olfactives de par leurs différentes relations avec le terrain. (fig. 15 et 16) Comme cité plusieurs fois précédemment, l’hygrométrie a son rôle dans la dimension olfactive d’un lieu. Ainsi, la distance que l’architecte choisit de mettre entre son projet et les intempéries potentielles d’un site est aussi un choix aux conséquences olfactives. S’implanter dans un milieu propice aux intempéries ne mènera pas aux mêmes possibilités olfactives que l’implantation dans un milieu sec. De cette question des intempéries résulte la question des eaux de pluie comme source d’odeur ou d’humidité volontaire et maîtrisée. Il est questionnable d’associer les choix architecturaux de gestion et stockage des eaux de pluie aux questions d’implantation, mais le rapport direct avec la nature atmosphérique d’un site en justifie le choix. Ainsi, les noues paysagères, les bassins de stockage, réservoirs et tranchées drainantes peuvent être utilisés volontairement dans un objectif olfactif du projet d’architecture. Enfin, les vents et mouvements aériens naturels présents sur un site peuvent aussi être exploités comme influents olfactifs. Que ce soit par l’apport de senteurs lointaines ou l’annihilation d’odeur présente par leur puissance, les vents dominants méritent d’être étudiés dans la démarche d’implantation du projet.

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J’ai grandi dans une maison familiale d’un petit lotissement avec mes parents, mon frère et ma sœur. À la maison, le rez-de-chaussée était dédié à la vie commune (le salon, la cuisine, l’entrée, l’atelier de mon père, la terrasse). L’étage quant à lui était réservé à la vie privée. L’escalier permettant d’accéder à cet étage n’était pas encloisonné et montait sur une double hauteur. Il mettait en lien le hall et la cuisine avec la distribution des chambres. La mienne était la plus proche de cet escalier. Je me souviens de ces dimanches matin où ma mère entrouvrait ma porte pour ne pas que je dorme trop longtemps, et où je me réveillais avec l’odeur du pain grillé qui grimpait de la cuisine. note 4 Ma chambre et la cuisine.

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2.2 - ODEURS SECONDAIRES : ORGANISER 2.2.1 - USAGES - Les usages d’un espace en sont sa principale cause olfactive. Ces usages sont la plupart du temps définis par le programme et la fonction du projet. Il semble alors difficile d’avoir une maîtrise de ces odeurs secondaires. Il est évident qu’il n’est pas de l’ordre de l’architecture de choisir de retirer la piscine chlorée d’un programme de centre sportif en vue de contrôler l’ambiance olfactive du lieu. Cependant, l’architecte garde une certaine liberté d’organisation des espaces pouvant avoir un réel impact sur la qualité olfactive du projet. La question d’architecture qui se pose alors dans cette maîtrise des odeurs secondaires, c’est celle des flux aériens. Dire que l’ambiance olfactive de la cuisine est constituée de fragrances de café, de fruits et de pain grillé, ce n’est pas parler d’architecture. Essayer de comprendre comment l’espace permet à ces effluves d’atteindre le salon, c’est une question d’architecture, qui se réfléchit tant au niveau du plan que de la coupe. Les relations qu’entretiennent les différents espaces du projet modulent ces flux aériens et donc la dispersion des odeurs secondaires (note 4). Se questionner, notamment au niveau du logement, sur la diffusion des odeurs dans les espaces peut amener à de nouvelles typologies (fig. 17) et soulever de nouvelles questions. Par exemple, les réflexions architecturales communes sur les notions de public et de privé dans un logement se concentrent sur l’usage de l’espace. Prendre comme critère de privatisation de l’espace son étanchéité aux odeurs d’usages peut amener à proposer de nouvelles typologies d’habitat. Le rôle des espaces servants devient aussi une source de questionnement. Habituellement dédiés aux déplacements de l’usager, ne peuvent-ils pas être pensés comme canaux aériens, et donc être redessiné comme tel ? Ce parti-pris induirait des espaces pas nécessairement accessibles, mais acteurs de la répartition des odeurs dans le projet. Les flux aériens issus de la répartition des pleins et des vides induisent, par opposition, une possibilité

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fig. 17 Étude expérimentale des flux aériens en vue d'une typologie olfactive.

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fig. 18 L'architecture invisible des odeurs dans la maison tamoule, DULEAU Robert.

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de compartimentage de l’air et donc des odeurs. Il est évident que certaines odeurs peuvent être diffusées volontairement par le geste architectural, mais que d’autres gagnent à rester à leur place. Le dessin de l’espace peut alors avoir un rôle, avant de recourir aux gadgets de désodorisation (type hôte de cuisine) aujourd’hui fatalement présents, notamment dans l’équipement des logements. Les travaux d’analyse de Robert DULEAU sur l’architecture invisible des odeurs dans la maison tamoule58 (fig. 18, 19 et 20) illustrent ce compartimentage spatial des ambiances olfactives. Ici, c’est le caractère religieux et le symbolisme de certaines odeurs qui ont incité le dessin du plan à éviter tout mélange olfactif, conservant ainsi une lecture propre et singulière de chaque odeur. Quoi qu’il en soit, ce sont bien des conséquences spatiales qui suivent ce raisonnement culturel. Les odeurs, ici propre à un espace du projet, sont alors source d’identité et de distinction sensorielle des espaces. Cette analyse de la maison tamoule présente aussi les variations olfactives temporelles. Cette particularité s’apparente plus à des questions culturelles qu’architecturales (heure du temps de repas, de prière) mais méritent d’être étudiées et comprises par n’importe quel architecte tentant de dessiner de l’espace pour une population précise. Les odeurs secondaires peuvent donc être à l’origine de certaines typologies de plan et de coupe, mais peuvent aussi impacter la forme extérieur du bâtit. La Van Nelle Fabriek, dessinée par Leendert Van Der VLUGT et Johannes BRINKMAN et réalisée entre 1925 et 1931 à Rotterdam, usinait et stockait du tabac, du thé et du café. La forme extérieure du bâtiment laisse lire ces trois matières à travers trois volumes isolants chaque ambiance olfactive. Ces derniers étaient reliés par un couloir semi-enterré 58

DULEAU Robert, PITTE Jean-Robert, Géographie des odeurs, entre économie et culture, Édition l’Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, 1998, DULEAU Robert, Exploitation du champ du senti à Pondichery, pp 81-118.

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fig. 19

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fig. 20

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couloire olfactif neutre

ateliers odorants de manufacture du tabac

fig. 21 Van Nelle Fabriek, VAN DER VLUGT Leendert & BRINKMAN Johannes, Rotterdam, 1931.

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permettant aux supérieurs de parcourir l’ensemble des ateliers sans déranger le personnel, mais aussi d’évaluer chaque produit, olfactivement, sans mélange et sans parasite venant d’une autre matière. (fig. 21) Ainsi, ils reprenaient cet espace neutre pour rejoindre un nouvel univers odorant.59 Enfin, il est pertinent de prendre en compte la capacité d’adaptation du système olfactif vue précédemment dans la maîtrise des odeurs secondaires. En effet, cette caractéristique de la perception humaine permet à l’architecte de réfléchir un parcours olfactif du projet, mais aussi d’inclure le caractère évènementiel de certaines odeurs dans un espace déjà odorant. Par exemple, un jardin envahit par les fragrances de roses ne sera plus sentit aussi intensément après un certain temps, laissant une place olfactive potentielle à d’autres effluves évènementielles (odeur de nourriture chaude arrivant de la cuisine par exemple). Par ce phénomène d’adaptation, l’architecte, en pensant les relations inter-spatiales, peut proposer un parcours olfactif immobile, dans un lieu unique.

59

Information acquise suite au voyage d’étude du domaine 3 de master 2 de l’ENSASE à Rotterdam en octobre 2019, au cours duquel une visite guidée de la Van Nelle Fabriek a été suivie.

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vents dominants

fig. 22 Principe de captation des vents dominants par un "badgir", Jardin de Dolat Abad, Yazd, 1759.

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2.2.2 - RELATION INTERIEUR / EXTERIEUR - Dans les réflexions concernant l’organisation d’un projet, le rapport que l’architecte décide d’instaurer entre ce dernier et l’extérieure implique aussi des décisions architecturales olfactives. Le paragraphe précédent traitait des usages et des sources odorantes internes au projet. Ici, nous nous concentrerons sur des influenceurs olfactifs appropriables lors du dessin. Nous ne parlerons pas du contexte propre au projet, déjà traité à travers les odeurs tertiaires, mais d’un contexte commun à toute implantation : la lumière naturelle, et l’air. Nous l’avons vue précédemment, les odeurs secondaires peuvent être maniées par la gestion de flux aériens. Il existe aujourd’hui des installations techniques permettant le contrôle de ces flux, mais avant d’y recourir, l’architecte dispose d’un outil primordial : l’air naturel. Nous avons déjà traité du déplacement de l’air, ce qui nous intéresse ici c’est de quelle façon cet air peut entrer dans le projet, et ainsi être source de mouvements olfactifs. La plupart des réflexions spatiales autour de ces questions se posent dans une optique de ventilation naturelle, ayant souvent comme objectif la thermorégulation du bâtiment basée sur la différence de densité entre l’air chaud et l’air froid. Certains bâtiments rentabilisent aussi les vents dominants en plaçant stratégiquement les ouvertures du projet dans ce souci de ventilation naturelle (fig 22), croisant ici pour notre cas, la gestion tertiaire et secondaire des odeurs. En d’autres termes, le placement des entrées et sorties d’air dans un projet est un outil olfactif architectural. Le second facteur extérieur, pouvant jouer un rôle d’influenceur olfactif et maîtrisable lors des réflexions d’organisation du projet, c’est le soleil. Le Corbusier écrivait « l’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. »60 Nous pensons que l’architecture peut aussi 60

LE CORBUSIER, Vers une architecture (1923), Éditions Flammarion, Collection Champs art, Malesherbes, 2015, p 16.

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être l’alchimie de la matière sous la chaleur, énergie également issue de l’astre solaire. Ainsi, réfléchir aux espaces par le filtre de la lumière naturelle c’est aussi réfléchir aux espaces par le filtre de la chaleur. Et comme vue précédemment, les hausses de températures sont des catalyseurs olfactifs non-négligeables. L’ensoleillement d’un espace et d’une matière aura donc un impact olfactif particulier sur l’atmosphère du lieu. Ce constat impacte directement l’organisation de l’espace par son rapport au soleil et à sa course. De plus, ces questions introduisent de nouveau dans l’équation la dimension temporelle des odeurs, à l’échelle journalière, mais aussi à l’échelle saisonnière. Un soleil d’hiver, plus horizontal, mais moins chaud, n’atteindra pas les mêmes parties d’un espace et agira différemment sur la matière qu’un soleil estivale, vertical et chaud. Mais ces réflexions architecturales associées à un influenceur olfactif secondaire seraient bien pauvres sans son récepteur et future source odorante : la matière.

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2.3 - ODEURS PRIMAIRES : ÉDIFIER 2.3.1 - RÉGULER - Ce premier paragraphe ne se concentrera pas directement sur les odeurs issues de choix d’édification, mais plutôt sur la régularisation des conditions atmosphériques d’un espace pouvant influencer la perception olfactive de ce dernier. Nous parlerons d’hygrométrie et de température. Commençons par le taux d’humidité d’un espace. Cette dernière est engendrée dans un projet par les usages quotidiens, par un environnement aérien naturellement humide ou par le sol. En partant du fait que l’humidité favorise la perception olfactive, conserver et densifier cette humidité en dessinant un rapport au sol non-étanche, ou en minimisant les aérations représente alors des choix architecturaux olfactifs. Ce parti-pris est évidemment soumis aux inconvénients d’un taux d’humidité trop élevé (problèmes de santé type allergies, maladies respiratoire, problèmes articulaires, dégradations de l’espace, moisissures etc.).61 L’enjeu olfactif semble ridicule face aux désavantages d’une hygrométrie élevée, se révélant alors impertinent à traiter. Il nous semblait cependant important d’en évoquer les possibilités d’influent olfactif dans le cas où le projet tolérerait de telles conditions d’air (matériaux non-dégradables par l’humidité, usage éphémère et dédié au sensoriel). La gestion de la température est quant à elle plus accessible d’un point de vue confort et conservation du projet, et comme vue précédemment peut jouer un rôle dans l’émission des molécules volatiles odorantes. Les choix architecturaux d’édification en découlant commencent par l’isolation d’un espace. Dans un environnement froid, choisir d’isoler, c’est choisir de conserver la chaleur et d’exposer la matière intérieure à de potentiels changements étatiques et ainsi à une volatilité croissante. Au 61 QuelleEnergie.fr, L’humidité : un danger pour votre logement et votre santé, consulté le 13 janvier 2020. https://www.quelleenergie.fr/humidite

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Lorsque je suis entré dans cette église du village de Samedan en Suisse, je m’attendais inconsciemment à l’odeur habituelle de ces lieux, mélange d’encens, du mobilier en bois plus discret, et du froid. Curieusement, ce n’est pas cette odeur qui régnait ici. L’espace était saturé d’une odeur que j’ai assimilée à une variété de bois sans pour autant en connaitre la nature. Il semblait que c’était du mobilier que provenait cette atmosphère unique, vraisemblablement dessiné et construit dans une essence de bois odorante. Lorsque je me remémore ce lieu, je ne me rappelle pas d’une église, mais d’un espace à part entière, isolé de sa fonction par une odeur matérielle dominante. note 5 L'église de Samedan.

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contraire, un espace non isolé impliquera naturellement des températures plus basses et donc une volatilité de la matière également moindre. De ce fait, les matières présentes dans l’espace en seront moins odorantes. Encore une fois, ce genre de parti-pris olfactif peut rapidement être contrebalancé par le manque de confort de l’espace. Cependant, cela reste un outil à la disposition de l’architecte pour maîtriser un environnement olfactif. La température d’un espace peut aussi être abordée, en liens avec le rapport à l’orientation solaire développée précédemment, par le choix des matériaux et les propriétés que ces derniers ont vis-à-vis de la chaleur du soleil. Nous entendons par là le principe de l’effet de serre. Ainsi, concevoir un espace exposé à la chaleur astrale en verre offrira une atmosphère chaude et donc propice à la volatilité des odeurs.62 La régulation des conditions atmosphériques, propices au développement de la dimension olfactive de l’espace, implique donc des choix architecturaux, souvent en contradiction avec les normes de confort, mais conduisant à des choix de matériaux et de mise en œuvre dont l’architecte est maître.

2.3.2 - La matière - Nous voici au chapitre sans doute le plus évident de cet écrit : la matière comme composant olfactif du projet architecturale. Jusqu’ici, les outils et choix olfactifs architecturaux se portaient sur la régularisation d’une atmosphère propice au phénomène d’odeur, sur la diffusion par flux aérien, ou sur la composition avec un contexte odorant, 62

L’effet de serre observable dans un espace de verre est dû à la capacité de ce dernier à ne pas laisser passer les rayonnements infrarouges. La lumière naturelle du soleil est composée de toutes les longueurs d’ondes (lumière blanche), et traverse ainsi le verre (excepté les rayonnements infrarouges). Une fois le verre passé, la lumière est absorbée par les éléments présents dans l’espace ce qui augmente leur température. Ces derniers rayonnent alors à leur tour, mais cette fois ci sous forme de rayons infrarouges. Ainsi, l’énergie renvoyée par les objets est piégée dans son espace de verre.

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mais jamais sur l’édification même d’une source olfactive. Or cette dernière peut prendre le dessus sur toutes autres odeurs secondaires ou tertiaires (note 5), ou simplement apporter sa touche à la structure olfactive générale. Quoi qu’il en soit, le choix des matériaux est un outil olfactif architectural nonnégligeable. Le pavillon de la Serpentine Gallery dessiné par Jacques HERZOG, Pierre De MEURON et Ai WEIWEI en 2012 en est l’illustration parfaite. L’usage du liège comme matériau dominant dans l’espace habitable du pavillon offre une texture, un toucher particulier, une acoustique étouffée et une odeur prenante et singulière.63 Nous pensons donc que la connaissance olfactive par expérimentation d’un matériau, avant l’utilisation de ce dernier dans le dessin d’un projet, est un atout important pour espérer maîtriser l’atmosphère d’un espace. Dans cette optique, l’architecte pourrait se construire une matériauthèque olfactive, exploitable comme matière à projet. Dans ces réflexions sur la capacité d’émissions odorantes des matériaux, nous voudrions proposer quelques recherches envisageables permettant de mieux appréhender, plus précisément qu’avec la simple connaissance expérimentale de l’odeur, le potentiel olfactif d’un matériau de construction. La première recherche serait d’identifier les molécules responsables de la signature olfactive d’un matériau. 64 Ces travaux nous permettraient de travailler l’odeur d’un 63

Serpentine Gallery Pavilion, DOMUS n° 960, juillet août 2012, pp 74-79.

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Il semblerait que de tels travaux aient déjà été menés à travers le projet SysPAQ, compris dans le programme de recherche MINET (« Measuring the impossible ») à l’initiative de la commission européenne NEST (New and Emerging Science ans Technology). Le projet SysPAQ (System for measuring Perceived Air Quality and brand specific odours) tente de mettre au point un système de mesure de la qualité d’air et de mesure olfactive. De ce fait, certains travaux auraient étaient menés sur les molécules responsables de l’odeur chez certains matériaux.

http://www.cstb.fr/archives/webzines/editions/edition-davril-2010/les-odeurs-dans-lecollimateur.html https://minet.wordpress.com/projects/?fbclid=IwAR38s4ovAjLOOiJ3itY1egXw0YDUMyfR_7Vh Ms-YXaVVqKF1CgGLIBlf7PA

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espace composé de plusieurs matériaux avant même l’édification du projet, en ne travaillant qu’avec les molécules responsables. Nous serions alors dans une démarche de parfumeur, pouvant être nous pensons, totalement intégrée au processus de projet. Il serait ensuite envisageable d’étudier la volatilité générale des matériaux. Il est connu que certaines matières sont plus volatiles que d’autres. En faire une étude comparative fondée sur des valeurs scientifiques nous permettrait d’anticiper la capacité d’un matériau à être odorant, et de ce fait l’intensité olfactive potentielle d’un espace. L’édification c’est donc d’abord des matériaux, potentielles sources odorantes, mais c’est aussi des choix de mise en œuvre de ces derniers. Celle-ci n’est parfois pas innocente dans la qualité olfactive d’un matériau, et représente alors un choix architectural olfactif tout autant que le choix de la matière. L’édification de la chapelle Bruder Klaus dessinée par Peter ZUMTHOR illustre au mieux les conséquences olfactive d’une mise en œuvre. Cet édifice résulte d’un processus particulier de banchage, consistant à réserver l’espace intérieur par un assemblage de troncs, à couler un béton autour, puis à brûler l’ensemble des troncs pour révéler le vide de la chapelle. Cette mise en œuvre du béton impliquant une combustion du banchage a laissé au lieu la signature olfactive du bois brûlé.65 La question d’une mise en œuvre aux retombées olfactives implique alors des conséquences formelles, pouvant être à l’origine d’espaces particuliers (fig. 23). Le traitement du bois dans un projet architectural fait aussi partie de ces mises en œuvre aux conséquences olfactives. L’essence de térébenthine, la cire d’abeille, l’huile de lin ou encore les différents vernis peuvent ainsi être choisis pour leur qualité odorante dans la conception d’un espace. De manière générale, toute transformation ou ajout sur la matière peut avoir un impact olfactif. Enfin, nous pouvons 65

DURISCH Thomas, Peter Zumthor 1998-2001, réalisations et projets, Tome 3, Édition Scheidegger & Piess, Zurich, 2014, p 122.

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fig. 23 Chapelle Bruder Klaus, ZUMTHOR Peter, Wachendorf, 2007.

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nous poser la question des matériaux nécessitant un liant et l’intervention d’une solution aqueuse dans leur mise en œuvre. « L'argile dont il était construit, disait-on, avait été mélangé pour plus de richesse non pas à de l'eau mais à de précieuses essences de fleurs. Mes guides reniflant l’air comme des chiens, me menaient de décombres en décombres, disant ‘voici du jasmin, de la violette, de la rose’ ».66 Cette mise en œuvre singulière d’un matériau de construction à but olfactif, ici de l’ordre de la fiction, a été proposée par l’agence BCDE Architecture dans un projet expérimental de logements. Les architectes ont ici intégré à la mise en œuvre du béton un arôme de fraise, qui semblerait ne plus être odorant aujourd’hui.67 Le dernier point que nous souhaitons aborder vis-à-vis de la matière comme élément olfactif du projet, c’est sa capacité à être aussi capable d’absorber l’odeur ou d’adopter une neutralité visà-vis des autres odeurs du projet. Il est reconnu que la moquette, aux murs des vieilles maisons, absorbait et s’imprégnait des odeurs du quotidien. Une étude de cette capacité d’absorption pourrait être menée au même titre qu’une étude sur l’émission et la volatilité des molécules odorantes. La neutralité d’un matériau vis-à-vis d’un environnement peut aussi être un outil architectural olfactif, cette fois permettant la mise en valeur des autres odeurs présentes dans l’espace. Le verre, matériaux non volatil dans les conditions atmosphériques communes, rempli parfaitement ce rôle olfactif neutre. 66 LAWRENCE Thomas Edward, Les sept piliers de la sagesse, 1922, cité dans BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit: perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire.. Architecture, aménagement de l’espace, Université de Nantes, 2001. 67

BCDE Architecture & Effort Rémois, projet d’habitat expérimental Maison de l’odorat, 1987, Reims, cité dans BALEZ Suzel, Ambiances olfactives dans l’espace construit: perception des usagers et dispositifs techniques et architecturaux pour la maîtrise des ambiances olfactives dans des espaces de type tertiaire.. Architecture, aménagement de l’espace, Université de Nantes, 2001.

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3 - CONCLUSION

Que pouvons-nous donc conclure de ce premier jet sur les outils et choix architecturaux aux conséquences olfactives ? Premièrement, les odeurs et influenceurs olfactifs dis tertiaires, secondaires et primaires n’agissent que rarement indépendamment. Par exemple, un bardage bois classé outil primaire car propre à l’édification, n’aurait pas toute sa valeur olfactive s’il n’était pas soumis à la chaleur du soleil, situation dépendante de l’orientation de l’espace, classé outil secondaire car propre à l’organisation du projet. Il faut donc rester prudent avec cette classification, et l’utiliser comme moyen d’objectivation des odeurs d’architecture, mais accepter une certaine souplesse d’usage dans la réinterprétation de cet outil. Une source odorants d’une certaine classe, identifiée lors du dessin d’architecture, sera donc à coup sûr en lien avec un influenceur ou autre acteur olfactif d’une autre classe, et impliquera donc d’autres choix architecturaux, indirectes, mais tout aussi importants. Deuxièmement, la connaissance olfactive actuelle des matériaux de construction se résume aux expériences vécues, rien n’a été élaboré à l’échelle moléculaire dans le cadre architectural. Ainsi, l’appréhension olfactive des matériaux reste très subjective, nonsoumise aux codes objectifs de la science. Il semble donc assez délicat d’espérer composer précisément une ambiance olfactive par les matériaux. Troisièmement, l’intensité olfactive d’un matériau a tendance à diminuer, et la qualité à évoluer avec le temps. Ainsi la dimension olfactive d’un espace, issue des matériaux mis en œuvre, sera amenée à évoluer, durant le chantier et toute la vie du projet. Les odeurs et influents olfactifs secondaires impliquent aussi une temporalité, tout comme les odeurs tertiaires. Cette temporalité dans la vie des odeurs convoque aujourd’hui trop de facteurs

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pour être anticipée. Faire des choix architecturaux particuliers dans une optique olfactive à un moment T peut donc se révéler inutiles quelques temps plus tard. Composer avec les odeurs c’est donc s’exposer à une évolution non-maitrisée de l’espace dessiné. Quatrièmement, certains choix architecturaux tendant vers une architecture olfactive peuvent s’avérer en désaccord total avec les normes de confort. Ainsi, une partie des outils et choix architecturaux développés précédemment semblent difficilement exploitables. Cinquièmement, composer un espace à des fins olfactives fait émerger des questions architecturales à l’origine indépendantes du phénomène d’odeur. La forme, la texture, le rapport au sol sont des problématiques abordables par la question des odeurs, et pouvant dans ce cadre, conduire à des spatialités singulières. Les odeurs sont une clé d’entrée à la création formelle. Enfin, il est important de souligner qu’un sens de perception, sauf en cas d’handicape, n’est jamais convoqué indépendamment. Ainsi, l’odorat tient son alchimie au phénomène d’odeur luimême, mais aussi aux liens établis avec les autres sens. La vue ou le toucher ne sont donc pas à exclure de la lecture olfactive d’un espace, convoquant symbolisme et imagination.

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Nous voici donc capable de comprendre, à quels moments dans le dessin du projet, les choix architecturaux seront des choix olfactifs. Ce mémoire pourrait se terminer maintenant, comme outil préventif des potentialités odorantes d’un projet d’architecture. Cependant, nous pensons qu’il serait intéressant de sortir de l’anticipation et d’expérimenter à travers une conception olfactive consciente du projet, les choix et outils architecturaux développés précédemment. Pour cela, nous commencerons par nous appuyer sur la discipline olfactive par excellence : la parfumerie. Une fois certains concepts du projet de parfumerie compris, nous pourrons réfléchir à l’utilisation de l’olfactif en l’architecture à d’autres fins que l’odeur elle-même. Enfin, nous nous pencherons sur la question de la représentation de l’invisible, aidés par les travaux plastiques déjà menés dans le monde de l’art.

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1 - LA PARFUMERIE COMME MODÈLE ARCHITECTURAL Avant de prétendre vouloir composer avec les odeurs lors d’un exercice de projet architectural, nous pensons qu’il est important de se familiariser avec quelques règles de la parfumerie, tant au niveau de la lecture que des logiques de composition. Nous ne prenons pas ces dernières comme des vérités absolues, mais nous estimons qu’il est nécessaire d’en prendre connaissance pour les exploiter ensuite au mieux.

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NOTES DE TÊTE Armoise, Lavande , Sauge sclarée

NOTES DE COEUR Feuille de violette, Poivre noir

NOTES DE FOND Bois ambrés, Bois de gaiac, Cèdre, Iris, Miel, Patchouli, Vétivier

fig. 24 L'envol, LAURENT Mathilde, Maison CARTIER, 2016.

NOTES DE TÊTE Bergamote, Citron

NOTES DE COEUR Rose, Jasmin

NOTES DE FOND Patchouli, Vanille, Iris, Fève tonka, Opopanax, Vanilline

fig. 25 Shalimar, GUERLAIN Jacques, Maison GUERLAIN, 1925.

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1.1 - LA PYRAMIDE OLFACTIVE La pyramide olfactive est une abstraction géométrique de la composition d’un parfum. Cette lecture universelle au monde de la parfumerie permet de composer, mais aussi de comparer différents parfums en ordonnant la lecture chronologiquement. La pyramide olfactive se divise en différentes notes, représentant les différents rythmes d’évaporation des composants du parfum. Les matières les plus volatiles composent les notes de tête. De manière générale, ce sont des senteurs d’agrumes, vertes ou fraîches. C’est la sensation olfactive que nous sentons juste après la vaporisation d’un parfum, pouvant être présente jusqu’à une heure après la première évaporation. Les notes de cœur viennent ensuite, constituées généralement de senteurs fleuries ou fruités. Ces notes de cœur constituent l’identité du parfum et se sentent pendant plusieurs heures. Enfin, les notes de fond viennent clore la structure olfactive du parfum. Elles sont constituées de senteurs boisées ou cuirées, d’ambre ou encore de vanille. Elles s’évaporent lentement et fixent le parfum pour le faire durer le plus longtemps possible.68 Chaque parfum a sa propre pyramide olfactive (fig. 24 et 25). Cette abstraction de la structure odorifique peut être réinterprétée à travers l’exercice du projet, comme règle de construction des espaces olfactifs. Instaurant une temporalité à la lecture olfactive d’un mélange, la pyramide peut être dessinée comme une anticipation réfléchie des futures odeurs d’un lieu, et ainsi être un axe de réflexion du projet architectural. En d’autres termes, la pyramide olfactive d’un projet d’architecture représenterait l’évolution des odeurs dans le déroulement spatio-temporelle du projet. Ainsi, la répartition des notes olfactives d’un projet 68

https://www.neroliane.com/comprendre-la-pyramide-olfactive, consulté le 20 janvier

2020.

https://www.olfastory.com/fabrication-parfum/la-composition-du-parfum, consulté le 20

janvier 2020.

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NOTES DE TÊTE Nourriture chaude, Produits ménagers

NOTES DE COEUR Livres, Bois, Peinture, Parfums, Carton

NOTES DE FOND Café, Linoléum

Nourriture chaude (12h30-14h)

Livres, Bois (9h-18h)

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s ger na mé ) its du 6h-8h (

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Café, Linoléum

fig. 26 Représentations expérimentales de la pyramide olfactive de l'ENSASE.

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peut être interprétée de deux façons. La première est d’associer les notes à une évolution spatiale du projet. Nous évoluons dans l’espace, soumis d’abord aux notes de tête, puis aux notes de cœur et enfin, aux notes de fond. Les espaces s’enchaînent, les odeurs aussi, créant une chronologie olfactive assimilable aux notes de parfumerie. Cette vision sous-entend un projet impliquant un parcours, une évolution physique dans l’espace. Un musée par exemple, pourrait tout à fait être réfléchi à travers une pyramide olfactive dite « spatiale ». La seconde interprétation des notes est d’associer ces dernières à une évolution temporelle du projet. Le caractère éphémère ou persistant d’une odeur du projet assimilerait cette dernière à une note particulière. Les effluves éphémères pourraient être réfléchis comme notes de tête, et les plus constantes comme notes de fond, laissant l’entre deux aux notes de cœur. L’usage de la pyramide est alors questionnable pour cette vision des notes olfactives architecturales, impliquant différents temps et espaces du projet. Les deux pyramides olfactives dites « temporelles », présentées ci-contre (fig 26) évoquent un même lieu, mais à travers deux représentations différentes. Utiliser le principe de la pyramide olfactive peut alors être une façon de composer, mais tout comme en parfumerie, être aussi une clé de lecture et de compréhension du projet.

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1.2 - LES SOLIFLORES La pyramide olfactive vue précédemment sous-entend des parfums aux multiples composants, ou les senteurs s’enchaînent au rythme de leurs volatilités et des choix du parfumeur. Il existe cependant un type de parfum qui ne propose qu’une seul note: le soliflore. « Une seule note florale est recherchée ; c’est le début de la parfumerie moderne. On copie la nature, on essaye de reconstituer et de styliser : une rose, un jasmin, une violette, un lilas, un muguet... ».69 Il y a deux choses à distinguer dans ce concept particulier de parfumerie avant de le réinterpréter au travers du projet d’architecture. La première, c’est qu’un soliflore imite. Nous pensons que le projet d’architecture n’est pas une imitation, et encore moins celle de la nature. L’architecture a son monde, son implantation, son organisation, son édification, et nous pensons que si une odeur est à mettre en valeur dans le dessin du projet, c’est une odeur propre au projet d’architecture et en aucun cas une odeur n’ayant rien à voir avec ce milieu, demandant alors une ornementation olfactive pour exister. Par exemple, magnifier une odeur de vanille dans un projet d’architecture est totalement incohérent avec l’architecture en elle-même, c’est anecdotique et implique des dispositifs n’ayant rien à voir avec les outils et choix architecturaux vus précédemment. Mettre en avant les sensations olfactives minérales en revanche, relève d’odeurs propres aux matériaux de construction et implique alors un travail de la matière, de sa mise en œuvre, de son rapport à l’extérieur et à l’organisation de sa présence, bien plus proche des questions d’architecture que d’ornementation. Il nous semble donc plus intéressant de mettre en valeur une odeur propre au processus de projet, que de tenter par celui-ci d’imiter une fragrance étrangère. Deuxièmement, les 69

Glossaire de la Société Française des Parfumeurs.

https://www.parfumeurs-createurs.org/fr/filiere-parfum/glossaire-103, consulté le 21 janvier

2020.

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soliflores impliquent la mise en valeur d’une qualité d’odeur (nous entendons par qualité l’identité de l’odeur, et non pas sa valeur). Le projet d’architecture peut reprendre ce principe et axé son dessin sur la mise en valeur d’un type d’odeur dans tout le projet (projet soliflore de bois par exemple), mais aussi interpréter cette singularité en mettant en avant une sensation (la peur par exemple, ou l’inconfort), en magnifiant non plus une, mais plusieurs sensations olfactives pouvant évoquer cette émotion. La démarche est certes risquée par la subjectivité émotionnelle de chacun, mais mérite d’être évoquée comme interprétation d’un principe de parfumerie en architecture. Un dernier point reste à aborder quant aux soliflores, c’est la façon de magnifier une odeur ou une émotion. La première semble évidente et consiste à privilégier la note recherchée dans les ambiances odorantes du projet. Cela représente donc tant un travail d’autorisation de la note, que de désodorisation des autres notes pouvant venir fausser la singularité de l’odeur recherchée. La seconde façon est un peu plus subtile et consiste à utiliser les autres odeurs pour contraster et mettre en valeur la note principale. La mise en œuvre de ces autres odeurs doit subtilement instaurer une hiérarchie favorable à la note principale. Par exemple, des sensations olfactives poussiéreuses et minérales d’un parcours peuvent efficacement contraster et mettre en valeur les odeurs fraiches et florales d’un jardin ou d’un patio planté.

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2 - L'ODEUR ET L'ARCHITECTURE AU SERVICE DE... Nous voici à un état de recherche où nous savons quels choix et outils architecturaux conditionnent la dimension olfactive d’un projet, où nous connaissons certains codes de la parfumerie pouvant structurer une intention architecturale, et où nous sommes donc en capacité de penser un projet pour l’odeur. Cependant, nous estimons que l’architecture ne se suffit pas à elle-même, et que toute la beauté de cette discipline réside dans l’humilité qu’elle a à servir l’Humanité. Dessiner de l’architecture uniquement pour l’odeur reviens alors à dessiner de l’architecture pour la beauté d’un plan, chose selon nous obsolète et bien trop loin de la modestie nécessaire aux grands changements que la civilisation humaine vas devoir affronter ces prochaines années. Ainsi, il nous semble nécessaire de mettre ces recherches au service de causes plus larges, fusionnant l’alchimie des odeurs à la chimie de l’architecture.

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2.1 - LA SANTÉ « Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour−là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut−être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut−être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes − et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot − s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »70 C’est avec cet écrit que Marcel Proust est à l’origine de l’expression « la madeleine de Proust », plaçant l’odeur et le goût en tête des catalyseurs mémoriels. Ce constat, à travers une situation commune et non anticipée, de la puissance mémorielle de l’odorat ne vient que confirmer le dispositif physiologique qui lie étroitement le système olfactif et les centres 70

PROUST Marcel, A la recherche du temps perdu, tome 1 Du côté de chez Swann, première partie (1913), Édition numérisée de la bibliothèque électronique du Québec, pp 99-100. https://beq.ebooksgratuits.com/auteurs/Proust/Proust-01.pdf

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émotionnels et mémoriels du système limbique.71 Les odeurs sont ainsi un formidable outil de remémoration que la médecine commence à utiliser pour accompagner des pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. C’est dans ce sens que nos interventions architecturales peuvent être à notre avis pertinentes, mais avant de développer ce point, faisons d’abord un état des lieux des pratiques médicales olfactives. L’olfactothérapie, 72 comme son nom l’indique, consiste à faire appel aux propriétés du phénomène d’odeur à des fins médicales. Pour des maladies type Alzheimer, ou la mémoire est directement affectée par la neurodégénération, la puissance des souvenirs olfactifs est une aubaine pour accompagner et tenter de limiter la perte de souvenirs. Des hôpitaux comme celui des HautesSeines Raymond-Poincaré de Garches ont développé cette méthode en partenariat avec l’industrie de la cosmétique et du parfum, jusqu’à l’élaboration d’une mallette olfactive contenant des odeurs diverses promptes à déclencher chez le patient des souvenirs particuliers.73 L’olfacthothérapie repose alors sur un outil indépendant du lieu et de l’espace, faisant intervenir des imitations d’odeurs dans un but mémoriel. Ne serait-il pas possible de faire entrer cette dimension olfactive d’une thérapie particulière dans la conception même de l’espace destiné à accueillir ces soins ? Par exemple, le projet d’un centre d’accueil pour personnes souffrantes de la maladie d’Alzheimer ou tout autre perte de la mémoire, dessiné et pensé pour proposer des 71

Partie 1 « l’odeur », paragraphe 3.1.3 « traitement cérébral ».

72

L’olfactothérapie est méthode psycho-émotionnelle, créée par Gilles FOURNIL au début des années 90, ayant pour but de curer certains maux psychologiques par une approche mémorielle. En d’autres termes, c’est une psychanalyse par voix nasales. (https://www.olfactotherapie.com/) Dans cet écrit, nous entendrons par olfactothérapie toute méthode médicale faisant appel aux odeurs, peu importe l’objectif.

73 HANCOK Coralie, Olfactothérapie : une technique utilisée pour rééduquer les sens des patients, publié le 19 janvier 2014, consulté le 23 janvier 2020.

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espaces aux odeurs précises, ne serait-il pas un acte architectural au service de la santé ? Il serait alors intéressant de mener un travail d’analyse sur les odeurs de lieux, susceptibles d’être attachées à des souvenirs communs, puis de les convoquer lors du dessin architectural. Au-delà des pertes de mémoire, la remémoration de certains souvenirs peut jouer un rôle majeur dans le bien-être humain, notamment chez des personnes vieillissantes, perdant petit à petit l’efficacité de leurs autres sens et se refermant ainsi sur eux-mêmes.74 Le projet de Peter ZUMTHOR d’habitats pour personnes âgées à Masans près de Coire en Suisse est une illustration de cette expérience sensorielle au service du souvenir de bien-être. En effet, bien que convoquant ici un autre sens que l’odorat, L’architecte a pensé l’atmosphère du lieu au plus proche des maisons rurales où avaient vécus les résidents du projet, en plaçant l’expérience tacto-sonore du plancher comme vecteur de bien-être et d’appropriation de l’espace.75

74

http://www.adgessa.com/association/actualites/quand-le-nez-repare-la-memoire, publié le

6 mars 2015, consulté le 23 janvier 2020.

75 ZUMTHOR Peter, BINET Hélène, Peter Zumthor works, Buildings and Projects 19791997, Édition Lars Müller Publishers, Baden, 1998, p 80.

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2.2 - L'APPRENTISSAGE En admettant que l’esprit n’est rien sans le corps, les pouvoirs mémoriels de l’olfaction peuvent aussi être intéressants non plus dans une démarche de remémoration, mais d’apprentissage. La doctrine catholique avançait que l’expansion de l’âme n’était possible qu’indépendamment du corps, la chaire s’opposant à l’esprit, bien trop liée aux désirs, à l’apparence et aux péchés.76 Nous pesons qu’au contraire, le corps est le premier acteur dans l’élévation de l’esprit et l’acquisition de la connaissance. Yi-Fu TUAN définit l’apprentissage comme une conséquence de l’expérience. Il place la connaissance dans un cycle ou se complètent sensations, expérience, mémoire, apprentissage et pensée. « Ce sont les sensations et la pensée qui construisent l’expérience », « (…) la mémoire (…) transforme les impacts sensoriels en un flot continu d’expérience (…) ».77 Nous avons réinterprété ces écrits pour redéfinir un cycle simplifié de la connaissance, convoquant alors trois notions: la mémoire, l’expérience sensorielle, et l’apprentissage. (fig. 27). La question qui se pose maintenant est, comment ce cycle de connaissance peut-il entrer dans les méthodes d’apprentissage existantes ? Les propos suivants sont issus d’une réflexion personnelle, de l’ordre de la proposition et non de l’affirmation. Aujourd’hui, l’objectivation de ce qui nous entoure veut que le monde soit compris au travers d’abstractions et d’idées. L’apprentissage n’a donc pas grand-chose à voir avec l’expérience, et en devient d’autant plus délicat que les idées et abstractions enseignées sont rarement le fruit d’un vécu. Les lieux d’apprentissage classiques 76

LE GUÉRER Annick, Les pouvoirs de l’odeur, Édition François Bourin, 1988, Paris. Propos développés dans le chapitre 2 « L’influence du christianisme dans la dévaluation de l’odorat et de l’odeur », de la partie 4 « le nez des philosophes ». 77

TUAN Yi-Fu, Espace et lieu, la perspective de l’expérience (1977), Édition InFolio, 2006, Dijon-Quetigny, p 14.

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EXPERIENCE SENSORIELLE

APPRENTISSAGE

MÉMORISATION

fig. 27 Schéma simplifié du cylce de la connaissance.

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reflètent très bien cette concentration de l’enseignement sur l’abstrait, uniformisés et neutres de toutes interférences avec le monde physique, comme si la doctrine catholique avait elle-même dessiné ces espaces. Certaines méthodes comme la méthode Montessori78 ont déjà investi le champ de l’apprentissage « concret » au profit de l’apprentissage « abstrait », mais en travaillant sur l’expérience comme activité et non comme lieu. Nous pensons qu’il serait aussi pertinent de réfléchir aux lieux d’apprentissage comme sources d’expériences sensorielles, au profit de la mémorisation d’idées abstraites. L’enjeu est ici d’intégrer les sensations à la conception du lieu pour ne pas tomber dans une délocalisation des apprentissages. Par exemple, associer l’initiation aux mathématiques à une ambiance olfactive particulière peut, par la puissance mémorielle des odeurs, faciliter la mémorisation de notions abstraites. Cet état d’esprit amène aussi à repenser l’uniformité des différents espaces d’apprentissage dans un même établissement. Différencier les apprentissages par la singularité atmosphérique de chaque espace peut aussi faciliter la mémorisation en redonnant un « sens » aux lieux. Apprendre l’histoire et la géographie ne convoquera pas la même atmosphère qu’apprendre les langues étrangères. Ainsi un élève, par le biais de la dimension olfactive maîtrisée d’un espace, serait inconsciemment replongé dans une mémoire olfactive associée à un domaine de connaissance, facilitant ainsi la remémoration des notions et minimisant le temps de remise en situation nécessaire entre chaque changement d’apprentissage. Cette composition des espaces d’apprentissages par singularité atmosphérique pose cependant la question de la souplesse des

78 La méthode Montessori est une démarche d’apprentissage développée par Maria MONTESSORI au début du XXe siècle. Cette approche se base sur la curiosité innée de l’enfant, sur la prise en compte des différences de rythmes d’apprentissages et sur l’expérience comme vecteurs d’apprentissage et d’appropriation du monde par l’enfant.

https://decouvrir-montessori.com/quest-ce-que-la-pedagogie-montessori/

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usages d’un projet d’architecture. En effet, penser, dessiner et édifier un espace avec un but olfactif singulier, dans une logique d’association à un domaine de connaissance, minimise la multiplicité des usages de l’espace en question.

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3 - CODIFICATION DES ODEURS D'ARCHITECTURE

Si l’architecture est amenée, comme sous-entendu précédemment, à convoquer l’olfactif au service de l’usage, il est nécessaire de développer une codification et ainsi une communication des odeurs à travers le « dessin d’architecture ». Par le terme « dessin d’architecture », nous entendons ici tout élément de représentation et d’élaboration du projet architecturale. Aujourd’hui, la communication notamment du projet est presque uniquement visuelle. Nous ne souhaitons pas ici développer une forme olfactive de dessin architectural, même si la présentation de matériaux odorants comme sensibilisation peut être intéressante. L’enjeu est de matérialiser une donnée invisible (l’odeur) en donnée visible (la représentation visuelle). Nous pensons que ce passage du nez à l’œil est le meilleur moyen de communiquer un axe invisible mais important de réflexion architecturale, sans tomber dans la caricature de l’objet olfactif. Afin de s’orienter sur une ou plusieurs manières de représenter visuellement l’odeur, nous ferons dans un premier temps un état des lieux sur la façon dont le monde l’art s’est approprié plastiquement cet univers, ou comment il peut involontairement nous offrir des manières de représenter l’olfactif.

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fig. 28 Exposition GENESIS, DE CUPERE Peter, 2019 .

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3.1 - L'ART OLFACTIF "CONSCIENT" Les beaux-arts n’ont jamais intégré la parfumerie comme discipline artistique. Les odeurs se sont donc invitées petit à petit dans le monde de l’art depuis les années 60, commençant par intervenir comme conséquences plus ou moins anticipées des œuvres, et s’installant progressivement comme centre de réflexion et de questionnement.79 Dans cette appropriation des odeurs comme médium de création artistique, nous avons noté trois démarches quant à la relation que l’artiste instaure entre le phénomène d’odeur et la forme plastique de son œuvre. Premièrement, l’œuvre formelle peut être réfléchie comme mise en valeur de l’odeur. C’est cette dernière qui questionne et qui est au centre du discours artistique, la forme de l’œuvre n’étant présente que pour servir la dimension olfactive. Certaines œuvres de Peter de CUPERE, présentant un simple orifice olfactif, illustrent parfaitement ce retrait plastique au profit de l’odeur.80 (fig 28). Cette approche artistique de l’olfaction ne met alors pas la forme plastique au service d’une communication visuelle de l’odeur, objectif recherché dans la codification olfactive architecturale. La seconde démarche consiste à mettre en échos une dimension olfactive et une représentation plastique. Cette approche, notamment observable dans La Chasse (fig 29) de Julie FORTIER, se rapproche en peu plus d’une codification formelle du phénomène d’odeur. Cependant, ici ce n’est pas l’identité de 79

DESJARDIN Marie-Laure, Art et Olfaction, l’odeur encensée, ArtsHebdoMédias, publié le 5 février 2016, consulté le 30 janvier 2020.

https://www.artshebdomedias.com/article/050216-art-olfaction-odeur-encensee/ 80

De CUPERE Peter à l’exposition Genesis, au L.A.C., Nez, la revue olfactive, consulté le 30 janvier 2020. https://www.nez-larevue.fr/evenement/peter-de-cupere-a-lexposition-genesis-au-l-a-c/

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fig. 29 La chasse, FORTIER Julie, 2016.

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l’odeur qui est formalisée, mais une caractéristique plus large du monde olfactif.81 En d’autres termes, l’artiste ne fait pas appel à la communication visuelle pour traduire la nature de ses odeurs, mais pour communiquer la dimension évolutive de ces dernières. Les différences de densités ainsi que la dispersion des touches olfactives sur tout le mur illustrent aussi un caractère volatil du phénomène d’odeur, non-uniforme. Cette démarche de ne pas représenter l’identité des odeurs, mais leurs caractéristiques générales (volatilité, évolution, densité non-uniforme) peut être une clé d’entrée dans la codification olfactive architecturale. Enfin, la troisième approche de l’olfactif artistique identifiée écarte totalement le phénomène d’odeur de l’œuvre, et met à profit la cristallisation plastique pour convoquer mentalement l’olfaction. L’odeur n’est plus un phénomène physique de l’œuvre, mais une image mentale. Une partie des travaux de Boris RAUX, sa série de Portraits olfactifs, (fig 30 et 31) développe cette identité olfactive de l’œuvre à travers l’imaginaire, faisant appel aux «formes qui ont contourné cette invisibilité olfactive».82 Ces travaux nous ouvrent alors des possibilités de codification plastique des odeurs à travers le symbolisme. En effet, le choix de l’artiste de ne pas créer, mais de convoquer des formes existantes et ancrées dans un imaginaire relativement commun, permet une communication implicite de l’invisible à travers le visuel. Cette approche de la communication olfactive, par une forme associée, révèle alors l’importance de l’inter-sensorialité vue-odorat dans la perception du monde, mais aussi dans sa communication.

81

FORTIER Julie, Dossier, travaux olfactifs et gustatifs, consulté le 30 janvier 2020.

https://www.juliecfortier.net/pdf/ecran.pdf 82

RAUX Boris dans Odorama, pour une culture olfactive, cycle de conférence Place aux revues organisé par la BPI (Bibliothèque Publique d’Information), 27 novembre 2017, Centre Pompidou, Paris, 1:33:00.

https://www.youtube.com/watch?v=DRy9pkXYjKs

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fig. 30 Portrait olfactif, Maxime, RAUX Boris, 2009.

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fig. 31 Portrait olfactif, Jean-Guillaume, RAUX Boris, 2014.

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fig. 32 Le joueur de guitare, PICASSO Pablo, 1910.

«Nous passions à table. Je respirais d’une pièce à l’autre, répandue comme un encens, cette odeur de vieille bibliothèque qui vaut tous les parfums du monde. Et surtout j’aimais le transport des lampes. De vraies lampes lourdes, que l’on charriait d’une pièce à l’autre, comme aux temps les plus profonds de mon enfance, et qui remuaient aux murs des ombres merveilleuses.» fig. 33 Terre des Hommes, DE SAINT-EXUPERY Atoine, 1939.

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3.2 - L'ART OLFACTIF "INCONSCIENT" Ce second paragraphe consistera à trouver, dans l’histoire de la représentation plastique, des œuvres qui n’ayant pas pour but de représenter l’odeur, convoquent tout de même un imaginaire et ainsi une potentielle formalisation du monde olfactif. Pour tenter de lire cette potentialité plastique olfactive, nous associerons ces œuvres à des extraits de littérature traitant par le texte, et d’une manière explicite, de l’olfaction. De chaque parallèle entre une image et un texte, nous tenterons d’isoler les qualités plastiques de l’œuvre pouvant amener à l’imaginaire olfactif. Ces associations sont arbitraires et ne sont qu’une base de réflexion. La première analyse se porte sur le parallèle entre Le joueur de guitare de Pablo PICASSO, (fig. 32) et un extrait de Terre des Hommes d’Antoine de SAINT-EXUPÉRY. (fig. 33) De cette confrontation ressortent trois éléments graphiques intéressants dans la représentation olfactive. Le premier c’est le rapport à l’espace, et à la représentation architecturale du plan. Bien que non voulue, la représentation au trait que Pablo PICASSO fait de son joueur de guitare évoque sans difficulté l’ensemble des pièces évoquées par Antoine de SAINT-EXUPÉRY. Ce lien assez clair avec le dessin académique de l’espace conforte alors la dimension architecturale de l’odeur ainsi que son rapport à l’espace. Le second élément graphique, venant compléter l’évocation du plan, c’est les nuances d’intensité de couleur. Ces variations colorimétriques graduelles, de la même façon que La chasse de Julie FORTIER, communiquent une volatilité, une diffusion non uniforme et potentiellement variable au grès des espaces. Enfin, c’est la couleur elle-même qui apparait comme représentation olfactive. En effet, « l’odeur de vieille bibliothèque » évoquée dans Terre des Hommes conduit à l’image des vieux livres, du vieux papier odorant, jauni par le temps et l’usage. Ces couleurs, du blanc cassé au brun se retrouvent comme thème colorimétrique

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fig. 34 Untitled, HARTUNG Hans, 1951.

«Ce ravitaillement, un cauchemar en surcroît, petit monstre tracassier sur le gros de la guerre. Brutes devant, à côté et derrière. Ils en avaient mis partout. Condamnés à mort différés on ne sortait plus de l’envie de roupiller énorme, et tout devenait souffrance en plus d’elle, le temps et l’effort de bouffer. Un bout de ruisseau, un pan de mur par là qu’on croyait avoir reconnus… On s’aidait des odeurs pour retrouver la ferme de l’escouade, redevenus chiens dans la nuit de guerre des villages abandonnés. Ce qui guide encore le mieux, c’est l’odeur de la merde.» fig. 35 Voyage au bout de la nuit, CÉLINE Louis-Ferdinand , 1932.

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de l’œuvre de Pablo PICASSO et facilitent ainsi le développement de l’imaginaire du vieux livre, par lien inconscient avec nos expériences du vieux papier, de l’odeur des livres. Le second parallèle que nous avons fait est entre un tableau non nommé de Hans HARTUNG, (fig. 34) et un extrait de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand CÉLINE. (fig. 35) Ici, deux points vont nous intéresser. Le premier concerne les liens entre la qualité de l’odeur décrite, et les formes développées par l’artiste plasticien. L’agressivité de ces dernières se couple avec la qualité nauséabonde de « l’odeur de la merde », renforcée par la référence explosive au contexte de guerre décrit par l’auteur. Ainsi, la forme est ici vectrice de qualité, liant l’agressivité plastique à l’agressivité olfactive. Ensuite, c’est la fréquence de ces formes qui témoigne de la vocation de l’odeur développée dans le texte de Louis-Ferdinand CÉLINE. En effet, l’odeur a ici un rôle de guide, de repère, dans un contexte ou les autres sens sont « aveuglés » par l’obscurité de la nuit ou le vacarme de la guerre. La représentation faite par Hans HARTUNG retrouve alors cette qualité de repère, avec une fréquence de formes abstraites sur un semblant de lignes de fuite, assimilables à un parcours, ou du moins à une potentielle évolution spatiale. Le troisième parallèle est fait entre Le cri d’Edvard MUNCH (fig. 36) et un extrait du premier tome d’A la recherche du temps perdu de Marcel PROUST (fig. 37). De cette confrontation ressortent trois éléments de codification olfactive. Premièrement, comme dans Le joueur de guitare évoqué précédemment, il y a une instabilité formelle de l’atmosphère, ici traduite en ondulations aériennes, pouvant être associée à la volatilité évolutive des odeurs. Deuxièmement, la nature « acide » de l’odeur de vernis développée par PROUST peut être assimilable à la colorimétrie générale du tableau de MUNCH. Le orange, par un symbolisme universel des agrumes, a ce potentiel de lier qualité olfactive et colorimétrie.

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fig. 36 Le cri, MUNCH Edvard , 1893.

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« (...) Allons, monte !» Et il me fallut partir sans viatique ; il me fallut monter chaque marche de l’escalier, comme dit l’expression populaire, à «contre-cœur», montant contre mon cœur qui voulait retourner près de ma mère parce qu’elle ne lui avait pas, en m’embrassant, donné licence de me suivre. Cet escalier détesté où je m’engageais toujours si tristement, exhalait une odeur de vernis qui avait en quelque sorte absorbé, fixé, cette sorte particulière de chagrin que je ressentais chaque soir, et la rendait peut−être plus cruelle encore pour ma sensibilité parce que, sous cette forme olfactive, mon intelligence n’en pouvait plus prendre sa part. Quand nous dormons et qu’une rage de dents n’est encore perçue par nous que comme une jeune fille que nous nous efforçons deux cents fois de suite de tirer de l’eau ou que comme un vers de Molière que nous nous répétons sans arrêter, c’est un grand soulagement de nous réveiller et que notre intelligence puisse débarrasser l’idée de rage de dents de tout déguisement héroïque ou cadencé. C’est l’inverse de ce soulagement que j’éprouvais quand mon chagrin de monter dans ma chambre entrait en moi d’une façon infiniment plus rapide, presque instantanée, à la fois insidieuse et brusque, par l’inhalation − beaucoup plus toxique que la pénétration morale − de l’odeur de vernis particulière à cet escalier.»

fig. 37 A la recherche du temps perdu, tome 1 Du côté de chez Swann, PROUST Marcel , 1913.

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fig. 38 Les coquelicots, MONET Claude, 1873.

« Le printemps était venu. Étienne, un jour, au sortir du puits, avait reçu à la face cette bouffée tiède d’avril, une bonne odeur de terre jeune, de verdure tendre, de grand air pur ; et, maintenant, à chaque sortie, le printemps sentait meilleur et le chauffait davantage, après ses dix heures de travail dans l’éternel hiver du fond, au milieu de ces ténèbres humides que jamais ne dissipait aucun été. » fig. 39 Germinal, ZOLA Émile, 1885.

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De plus, ces teints orangers dominants dans les cieux de l’œuvre, se retrouvent aussi sur la matière du pont, en secondaires cette fois. Cette cohérence colorimétrique entre l’atmosphère et la matière instaure un lien discret entre ces dernières, comme si l’une émanait de l‘autre, s’associant à l’odeur du vernis évoquée par PROUST. Enfin, le visage angoissé du personnage central de l’œuvre de MUNCH développe aussi un imaginaire émotionnel associable à l’état de PROUST lorsqu’il empreinte les escaliers pour rejoindre sa chambre. Ainsi, par le symbolisme émotionnel, les odeurs sont convoquées indirectement. La dernière confrontation entre œuvre plastique et œuvre littéraire est bien plus simple que les précédentes, mais révèle un élément de représentation olfactive essentiel. L’association du tableau Les coquelicots de Claude MONET (fig. 38) avec un extrait de Germinal d’Émile ZOLA (fig. 39) instaure, au même titre que les Portraits Olfactifs de Boris RAUX vus précédemment, une dimension olfactive par association visuelle. Ici, c’est la représentation du paysage qui, par mémoire expérimentale, convoque le sens de l’odorat dans l’appréhension de l’atmosphère générale du tableau.

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fig. 40 Maison pour personnes âgées, ZUMTHOR Peter, 1993.

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3.3 - VERS UNE CODIFICATION PLASTIQUE OLFACTIVE Nous pouvons maintenant extraire de ces analyses des arts olfactifs « conscient » et « inconscient » des éléments de représentation pouvant nous accompagner dans la codification olfactive du projet d’architecture. Premièrement, représenter les odeurs en architecture s’inscrit dans des règles de codification architecturale existantes. Il est nécessaire de faire appel au dessin dit « commun » du plan et de la coupe, instaurant ainsi un rapport à l’espace compréhensible, et limitant l’abstraction du dessin d’architecture. À cette base classique de la représentation architecturale vient s’ajouter la représentation d’un vide non uniforme. Le dessin du plan et de la coupe a pour vocation de représenter les limites, or la dimension olfactive prend vie dans le vide vécu du dessin. Il est alors primordial de représenter l’espace non plus comme un vide neutre, mais comme un plein. De plus, les œuvres de PICASSO, MUNCH FORTIER et HARTUNG ont soulevé le caractère non-uniforme des odeurs. Par la fréquence et la dimension événementielle des représentations (HARTUNG), par les nuances d’intensité (PICASSO et FORTIER) ou encore par les formes du vide (MUNCH), la volatilité des odeurs est plastiquement évoquée. De cette combinaison entre représentation classique des limites et matérialisation du vide nait un style de représentation architecturale, potentiellement olfactive, assimilable aux dessins atmosphériques. L’enjeu est alors de trouver l’équilibre plastique entre le solide des délimitations et les variations de l’invisible, afin d’en instaurer une lecture juste et traduisant les réflexions du projet. Certains des dessins de Peter ZUMTHOR s’inscrivent très bien dans cet équilibre entre le dessin classique et l’abstraction du vide. (fig. 40)

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La couleur apparaît aussi comme élément fort de la représentation olfactive sur deux points. Premièrement, elle peut convoquer un symbolisme indirect, c’est-à-dire faire le lien avec un vécu liant la couleur et l’odeur sur le principe de cheminement mental suivant : couleur / objet / odeur. Observable chez MUNCH ou PICASSO, le traitement de la couleur par association à une situation ou objet odorant commun peut donc s’avérer être un outil de représentation olfactive puissant. Deuxièmement, la couleur peut être utilisée comme liant entre un odorant et une atmosphère dans la représentation d’un espace. Le lien fait chez MUNCH entre le bois et l’atmosphère peut sous-entendre une émanation odorante du pont, et ainsi attribué à un élément physique une dimension volatile. La forme peut aussi être un outil de représentation olfactive de deux manières. Tout d’abord en représentant explicitement une source olfactive, et en instaurant ainsi un lien direct entre la représentation et un vécu expérimental d’un odorant. Les travaux de Boris RAUX et de Claude MONET vus précédemment illustrent ce lien entre les sens de la vue et de l’odorat. La forme appelle à l’odeur par l’expérience commune de cette forme. Cette logique de représentation peut s’appliquer par exemple aux matériaux de construction, convoquant par leurs identités plastiques une dimension olfactive vécue. Deuxièmement, la forme peut aussi être témoins d’une qualité ou intensité de l’odeur (HARTUNG). Représenter l’odeur c’est, nous l’avons déjà évoqué, représenter des variations du vide. Ainsi, les variations formelles d’un élément graphique, associé au préalable à la dimension olfactive, peuvent alors traduire l’évolution de cette dimension ou même une certaine qualité. Enfin, la représentation explicite d’un état émotionnel de MUNCH peut aussi être témoin d’une qualité olfactive, mais semble alors difficile à intégrer aux modèles de représentation architecturale

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sans tomber dans la caricature du représentatif. Toutes ces analyses plastiques nous montrent que la codification olfactive est efficace lorsqu’elle établit un lien avec un vécu, lui-même associant vision et odorat. L’importance de l’intersensorialité dans l’appréhension du monde, et ainsi dans sa représentation est de nouveau mise en évidence. Cependant, nous pourrions aussi proposer une forme de codification se détachant totalement du vécu, et reprenant les termes et la classification olfactive développée dans cet écrit. Les odeurs primaires, secondaires et tertiaires auraient alors leurs identités plastiques, orientant la lecture du projet non plus sur les ambiances olfactives potentielles, mais sur le processus de projet mené par l’architecte. La compréhension de cette démarche, nécessitant alors une légende, serait moins naturelle que l’association directe avec un vécu, mais conférerait aux odeurs d’architecture une crédibilité presque scientifique.

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CONCLUSION

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CONCLUSION

Le premier élément de conclusion de ces travaux et d’assumer que ces derniers ne sont pas complets. La dimension olfactive de l’architecture demande à être expérimentée à l’échelle 1:1 et ne reste ici que théorique. La représentation du monde olfactif demande aussi à être expérimentée, au-delà des énoncés théoriques présentés ici. Cependant, un certain nombre de points abordés ont, nous semble-t-il, révélés le potentiel des odeurs en architecture. Premièrement, l’analyse détaillée du processus physiologique du phénomène d’odeur en a confirmé le potentiel émotionnel déjà esquissé dans certains écrits. De ce simple fait, travailler la dimension olfactive en vue d’une architecture émotionnelle est totalement légitime. Deuxièmement, la mécanique du phénomène d’odeur, tant au niveau de la source que du système olfactif, induit des caractéristiques abordables par le projet d’architecture. Par cette première approche scientifique de l’olfactif, nous avons pu distinguer ce qui est de l’ordre de l’odorant, et ce qui est de l’ordre de l’influenceur olfactif. Cette distinction entre odeur directe et catalyseur a élargie considérablement le champ d’action de l’architecte. Aborder la question des odeurs en architecture ce n’est donc pas seulement réfléchir les sources odorantes directes, mais aussi la répartition aérienne de ces dernières ou les conditions atmosphériques propices à leur appréhension. Troisièmement, la classification olfactive expérimentale proposée a permis la mise en relation, pas souvent évidente, des odeurs avec des choix architecturaux précis. Cette classification des odeurs d’architecture (primaires-secondaires-tertiaires), liée aux échelles de réflexion du projet (implanter-organiser-édifier) est questionnable, mais permet cependant d’objectiver le monde des odeurs et de le communiquer en des termes appropriables par tout architecte. Quatrièmement, notre éthique de l’architecture, assimilant cette dernière à un service, a fait entrer le programme comme

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CONCLUSION

enjeux olfactif. Les odeurs ont un potentiel mémoriel incroyable, définit par notre physiologie cérébrale, permettant de les rendre légitimes à la réflexion dans la conception de certains lieux. Ainsi, l’acte architectural olfactif peut répondre à des questions médicales ou de transmission. Cinquièmement, aborder l’olfaction en architecture a soulevé des questions de représentation alors peu traitées. Représenter l’invisible, représenter l’instable, et ainsi ne plus penser l’espace comme du vide, mais comme un plein expérimental. Finalement, les odeurs sont un domaine de recherche architecturale immense, entamé peut être un peu maladroitement par ces travaux, mais ouvrant sur des problématiques de projet pur, d’usage ou encore de représentation.

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TABLE DES ILLUSTRATIONS fig. 1 : Cartographie ciblée de l'appétence à Saint-Étienne, 30 mars 2019, BERGÉ Jules. 8 fig. 2 : Cartographie curieuse et structures olfactives urbaines à Saint-Étienne, 31 mars 2019, BERGÉ Jules. 10 fig. 3 : Cartographie curieuse et structures olfactives urbaines à Saint-Étienne, 4 avril 2019, BERGÉ Jules. 12 fig. 4 : Formule développée du Limonène et conversion de sa concentration massique en sa concentration molaire à son seuil de détection olfactive. https://www.env.go.jp/en/air/odor/measure/02_3_2.pdf https://fr.wikipedia.org/wiki/Limon%C3%A8ne 28 fig. 5 : molécules aux structures proches et odeurs proches (pain cuit). fig. 6 : molécules aux structures proches et odeurs différentes (épicée et herbacée). fig. 7 : molécules aux structures différentes et odeurs proches (musquée), inspiré de MEIERHENRICH Uwe, GOLEBIOWSKI Jérôme, FERNANDEZ Xavier, CABROL-BASS Daniel, De la molécule à l’odeur, les bases moléculaires des premières étapes de l’olfaction, L’actualité chimique n°289, août-septembre 2005, p38, (http://sagascience.cnrs.fr/doschim/decouv/parfums/mol_odeur. pdf), modifié par BERGÉ Jules. 32 fig. 8 : L'épithélium olfactif, conversion de l'information chimique en information électrique, inspiré de SALESSE Roland, Odorat : que se passe-il dans la cavité nasale ?, publié le 15 janvier 2018, (https://www.futurasciences.com/sante/dossiers/corps-humain-huit-questions-essentielles-nezodorat-1976/page/4/), modifié par BERGÉ Jules. 38 fig. 9 : Le bulbe olfactif, codage de l'odeur, inspiré de VIGNAL Jehanne, Organisation générale du système olfactif, (https://slideplayer.fr/ slide/520694/), modifié par BERGÉ Jules. 42 fig. 10 : Schéma simplifié des traitements cérébraux de l'information olfactive. 44 fig. 11 : Schéma des zones du visage desservies par les trois branches du nerf trijumau, inspiré de https://fr.wikipedia.org/wiki/Nerf_trijumeau 48

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

fig. 12 : Tableau des champs d'action olfactifs du projet architectural, BERGÉ Jules, 2019. 64 fig. 13 : Tableau de classification des champs d'action olfactifs du projet architectural, BERGÉ Jules. 74 fig. 14 : Les ambiances olfactives dans l’îlot Saint-Séverin, GRESILLON Lucile, dans DULEAU Robert, PITTE Jean-Robert, Géographie des odeurs, entre économie et culture, Édition l’Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, 1998, GRESILLON Lucile, Le Paris qui sent, les odeurs du quartier de la Huchette, pp 198-207. 80-81 fig. 15 : Fransworth House, MIES VAN DER ROHE Ludwig, Plano, 1951, dans VANDENBERG Martiz, Fransworth House, Mies van der Rohe, Édition Phaidon, NYC, 2003. 84 fig. 16 : Abris pour vestiges gallo-romains, ZUMTHOR Peter, Coire, 1986, dans ZUMTHOR Peter, BINET Hélène, Peter Zumthor works, Buildings and Projects 1979-1997, Édition Lars Müller Publishers, Baden, 1998. 84 fig. 17 : Étude expérimentale des flux aériens en vue d'une typologie olfactive, BERGÉ Jules, 2020, chronophotographies, fumées et moulages en plâtre. 89 fig. 18 fig. 19 fig. 20 : L'architecture invisible des odeurs dans la maison tamoule, DULEAU Robert dans DULEAU Robert, PITTE Jean-Robert, Géographie des odeurs, entre économie et culture, Édition l’Harmattan, collection Géographie et cultures, Paris, 1998, DULEAU Robert, Exploitation du champ du senti à Pondichery, pp 81-118. 90-92-93 fig. 21 : Van Nelle Fabriek, VAN DER VLUGT Leendert & BRINKMAN Johannes, Rotterdam, 1931. (https://www.atlasofplaces.com/architecture/van-nellefabriek/) 94 fig. 22 : Principe de captation des vents dominants par un "badgir", Jardin de Dolat Abad, Yazd, 1759. (http://www.karavansera.com/wind-catcher.html) 96

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

fig. 23 : Chapelle Bruder Klaus, ZUMTHOR Peter, Wachendorf, 2007, photographie d'AMORETTO Aldo (https://www.archdaily.com/798340/peter-zumthors-bruder-klaus-fieldchapel-through-the-lens-of-aldo-amoretti/) 104 fig. 24 : L'envol, LAURENT Mathilde, Maison CARTIER, 2016. (https://www.olfastory.com/parfum/lenvol/composition/#o)

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fig. 25 : Shalimar, GUERLAIN Jacques, Maison GUERLAIN, 1925. (https://www.olfastory.com/parfum/shalimar/composition/#o)

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fig. 26 : Représentations expérimentales de la pyramide olfactive de l'ENSASE, BERGÉ Jules, 2020. 116 fig. 27 : Schéma simplifié du cylce de la connaissance, issu d’une conversation entre GAUBERT Charlotte, NIESS Romane, ESCOBAR Mateo, MICHOUD Antoine, LACROIX Timothé et BERGÉ Jules, 2019. 126 fig. 28 : Exposition GENESIS, DE CUPERE Peter, au Lieu d'Art Contemporain de Sigean (LAC), 2019 . (http://www.peterdecupere.net/index.php?option=com_content&view =article&id=201:genesis-collection-en-mouvement&catid=1:exhibitionnews&Itemid=98) 130 fig. 29 : La chasse, FORTIER Julie, , installation olfactive in situ à l’exposition Tu dois changer ta vie au Tripostal dans le cadre de La renaissance de Lille 3000, 2016. (http://ddab.org/fr/oeuvres/fortier/Page33) 132 fig. 30 : Portrait olfactif, Maxime, RAUX Boris, 2009. fig. 31 : Portrait olfactif, Jean-Guillaume, RAUX Boris, 2014. (http://www.borisraux.com/index.php?/works/les-portraits-olfactifs/) 134-135 fig. 32 : Le joueur de guitare, PICASSO Pablo, 1910. fig. 33 : Terre des Hommes (1939), DE SAINT-EXUPERY Atoine, édité par la BNR (Bibliothèque Numérique Romande), 2016, p 57. (https://ebooks-bnr.com/ebooks/pdf4/saint_exupery_terre_des_hommes. pdf) 136 fig. 34 : Untitled, HARTUNG Hans, 1951. fig. 35 : Voyage au bout de la nuit (1932), CÉLINE Louis-Ferdinand , Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », 2012. (https://www.ebooksgratuits.com/pdf/celine_voyage_au_bout_de_la_nuit. pdf) 138

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

fig. 36 : Le cri, MUNCH Edvard , 1893. 140 fig. 37 : A la recherche du temps perdu, tome 1 Du côté de chez Swann, première partie (1913), PROUST Marcel, Édition numérisée de la bibliothèque électronique du Québec, pp 59-60. (https://beq.ebooksgratuits.com/auteurs/Proust/Proust-01.pdf) 141 fig. 38 : Les coquelicots, MONET Claude, 1873. fig. 39 : Germinal (1885), ZOLA Émile, Édition numérisée de la bibliothèque électronique du Québec, pp 264-265. (https://beq.ebooksgratuits.com/vents/zola-13.pdf) 142 fig. 40 : Maison pour personnes âgées, ZUMTHOR Peter, 1993. DURISCH Thomas, Peter Zumthor 1985-1989, réalisations et projets, Tome 1, Édition Scheidegger & Piess, Zurich, 2014. 144

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Décrédibilisées par leur invisibilité et l’incompréhension cartésienne du phénomène, les odeurs ont été écartées des champs de recherches artistiques, philosophiques et scientifiques. Aujourd’hui, l’odorat bénéficie d’une requalification avec l’essor des neurosciences et dévoile un potentiel de recherche dans de nombreux domaines. Ce mémoire tente d’intégrer la dimension olfactive au projet architectural en en dévoilant le potentiel. Le processus physiologique du phénomène d’odeur tout comme l’expérience physique sont convoqués pour définir des outils architecturaux olfactifs, à travers une nouvelle classification architecturale des odeurs. Ces travaux ouvrent aussi la réflexion sur des questions de programme, de représentation, entremêlant les disciplines au profit de l’architecture. Ainsi, ce mémoire peut se voir comme une esquisse de recherche et d’objectivation du monde olfactif en architecture, présentant son potentiel mais aussi ses limites. Credited by their invisibility and Cartesian misunderstanding of the phenomenon, odors have been removed from the fields of artistic, philosophical and scientific research. Today, smell has benefited from a re-qualification with the rise of neuroscience and reveals research potential in numerous fields. This work attempts to integrate the olfactory dimension into the architectural project by revealing their potential. The physiological process of the odor phenomenon as well as the physical experience are called upon to define olfactory architectural tools, through a new architectural classification of odors. These work also opens the reflection on questions of program, representation, intertwining disciplines for the benefit of architecture. Thus, this work can be seen as a sketch of researches and objectifications of the olfactory world in architecture, presenting its potential but also its limits.

Odeurs - Atmosphère - Projet architectural - Représentation - Classification Odor - Ambience - Architectural project - Representation - Classification


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