groupe d’enfants partis à la découverte des principes de l’art de bien penser. Dans cette histoire intitulée La découverte de Harry, et destinée à des enfants âgés entre dix et douze ans, on aperçoit des personnages (enfants et adultes) en train de créer une communauté de recherche au sein de laquelle chacun prend part activement à la recherche, à la discussion et à la découverte des façons les plus efficaces de penser. Y préfigure déjà l’idée centrale qui guide tous ceux et celles s’adonnant à la pratique de la philosophie avec les enfants : créer des conditions permettant aux enfants de penser par et pour eux-mêmes avec rigueur, cohérence et originalité. Si l’objectif central de cette approche n’a pas changé depuis ses débuts, le matériel permettant d’atteindre un tel but s’est, par contre, grandement développé. Si bien que nous sommes en présence aujourd’hui d’une vingtaine de contes ou histoires philosophiques qui s’adressent aux enfants et d’un nombre égal de guides pédagogiques destinés principalement au personnel enseignant ou aux parents qui désirent engager une discussion philosophique avec leurs enfants.
La façon de procéder La méthodologie préconisée par cette approche se découpe généralement en trois moments. Les enfants sont d’abord invités à se familiariser avec les histoires. Puis, ils identifient les thèmes et questions qu’ils estiment importants pour eux. Enfin, ils s’engagent dans l’examen de l’un ou l’autre des problèmes que ces éléments soulèvent. Ainsi, premièrement, les enfants lisent à haute voix chacun à leur tour des passages désignés de l’une ou l’autre des histoires (cela peut varier selon l’âge des enfants et les capacités de lecture qui sont ou non développées). En plus de s’assurer que chacun a l’opportunité de prendre connaissance du texte, cette lecture en commun est un premier pas dans le développement du sentiment d’appartenance au groupe : déjà on partage une lecture d’une histoire, comme plus tard on sera appelé à partager des idées et des points de vue. Puis, on demande aux enfants de relever les idées et les questions qui les ont marqués lors de la lecture. Cette période vise essentiellement à mettre en évidence les idées retenues par les enfants en raison de leur importance ou de leur caractère particulier ou surprenant. Il ne s’agit pas d’une course à la meilleure idée philosophique mais bien d’une occasion permettant à chacun de souligner une ou plusieurs idées jugées valables pour soi. Les idées et questions sont donc retenues en raison de leur importance significative pour les enfants. Somme toute, la cueillette d’idée — la mise sur pied de l’ordre du jour — est une œuvre collective appelant chaque participant à exposer aux autres soit l’idée, le thème, le passage ou la question qui présente un intérêt à ses yeux. Chacun de ces éléments formera un pont entre les intérêts des enfants et les différentes pistes de recherche que proposeront les plans de discussion au moment où ils seront introduits dans la troisième partie du processus : la discussion en communauté de recherche.
Enfin, les enfants s’engagent dans la discussion de l’un, de plusieurs ou de l’ensemble des thèmes, questions ou problèmes qu’ils ont choisis d’investiguer. La pratique de la philosophie avec les enfants permet de développer les habiletés de pensée de ces derniers. Elle leur offre la possibilité de réfléchir philosophiquement à des idées qui les intéressent dans le cadre d’une recherche commune fondée sur la coopération et le dialogue. Mais ce processus ne se résume pas uniquement à l’exercice des habiletés intellectuelles. En effet, le dialogue suscite une dynamique permettant la création d’une communauté de recherche, laquelle favorise un accroissement de la sensibilité aux relations interpersonnelles et l’acquisition d’un juste sens des proportions conduisant à faire la part des choses entre ses propres besoins et aspirations et ceux des autres. La discussion est donc le lieu où s’intègrent des apprentissages qui sont de l’ordre du savoir (le sujet de discussion) du savoir-faire (les habiletés de pensée) et du savoir-être (les attitudes permettant l’émergence de l’impartialité, de l’objectivité, de l’écoute attentive…). Et l’enseignant dans tout ça?
Le rôle de l’enseignant Au moment de créer une communauté de recherche avec les enfants, le rôle de l’enseignant n’est pas de fournir l’information ni de produire la « bonne » opinion ou interprétation. Cette non-directivité quant au choix des idées à discuter et au contenu de la discussion vise à s’assurer que les thèmes choisis correspondent adéquatement aux intérêts des enfants, et non à ceux de la personne qui anime la communauté de recherche. Elle vise ainsi à le prémunir de toute tentation visant à endoctriner les enfants. La réflexion philosophique concerne d’abord l’émergence d’un questionnement et le dévoilement d’aspects permettant de mieux comprendre le réel, l’existence, le savoir lui-même, l’humain. Elle n’a pas à fournir de réponses toutes faites. Mais puisque la discussion ne se résume pas simplement à la mise en commun d’opinions et qu’elle vise surtout à enrichir les opinions exprimées, à rechercher la complémentarité des points de vue, à découvrir les idées qui se cachent sous certaines expressions, à clarifier le sens d’une tentative infructueuse, à s’exercer à l’expression d’une pensée à la fois convergente et divergente, à fonder nos représentations, il incombe à l’enseignant-e de prendre la responsabilité dernière d’établir les arrangements qui guideront et donneront une certaine direction à la recherche afin qu’elle se réalise d’une façon raisonnée qui soit de plus en plus productive et de plus en plus autocorrective. Dans cet ordre d’idées, un certain nombre de stratégies pédagogiques — qui relèvent en fait de la méthodologie philosophique — peuvent être utilisées par la personne qui facilite la discussion philosophique dans une communauté de recherche. Ces stratégies sont examinées, pratiquées et progressivement acquises lors de la formation.