Julie Andrade n° 10029
master II ensaplv
le quartier
représentations, mythes et réalités
sous la direction de Christian Pedelahore & Julie Jaupitre S904 - la fabrique spatiale et culturelle des territoires durables
SOMMAIRE introduction
1. qu’est-ce qu’un quartier ? complexité et ambivalence de la notion
1.À naissance de la notion dans l’histoire de l’urbanisme émergence du mythe
Avant la ville La ville I.B les différentes réalités de perceptions réalité administrative réalité politique réalité physique aspect social approche sensible
11. des quartiers 1I.A configurations spatiales & éléments structurants typologies du XIXe et XXe s. II. B vers des outils de compréhensions perception de l’individu étude de cas
III. Quel avenir pour le quartier ? partie conclusive
introduction
Le quartier, cette « figure à géométrie variable » pour reprendre les termes d’Odile Benoit-Guilbot1 est en effet une notion complexe et ambivalente de par ses différentes réalités de perception. Complexe par la multitude de volets d’observation qu’elle englobe, ceci allant de l’aspect physique, à l’aspect administratif, en prenant en compte les enjeux sociaux, politiques ... Ambivalente de par les différentes formes qu’elle revêt : à la fois une donnée quantitative et qualitative, objective et subjective, physique et abstraite, sensible et concrète. Quantitative, car le quartier aide à la hiérarchisation de l’espace, et au recensement des populations. Qualitative, car il détermine un mode d’habité, et constitue un objet d’étude dans la conception urbanistique. Subjective au point que les différentes tentatives d’appréhensions de cet espace en sont souvent réduites à la seule perception d’un individu. En effet le quartier devient alors méta-morphe, pour se plier aux exigences de ses habitants : Il peut être résidence pour la petite dame qui vit au N° 3 bis, se métamorphose en dédales de rues pour le jeune homme qui étudie au lycée d’à côté, devient voisinage pour cet homme qui naquit ici ... Le quartier constitue donc un « décor où accrocher son quotidien » 2, et bien souvent une certaine nostalgie villageoise revient comme une litanie chez ses habitants. Nostalgie plus ou moins fantasmée comme nous le verrons par la suite. Par le biais de ces diverses approches que nous approfondirons plus tard, nous pouvons d’ores et déjà dresser une ébauche de champ lexical du quartier que l’on peut catégoriser en trois familles qui peuvent se recouper ainsi :
rapports humains
donnée
échelle géographique
voisinage
cadrage
sous-ensemble
espace de proximité
découpage
espace de proximité
lieu de vie
unité locale
unité locale
environs immédiats
ensemble d’habitants
objet d’intervention public
environs immédiats
division
division
subdivision
subdivision
partie
secteur
portion
zone
L’ambiguïté du terme fait jour une fois de plus, alliant division et unité, voisinage et individualité.
1.
Odille Benoit-Guilbot : Directrice de recherche au CNRS à l’Observatoire sociologique du Changement (en 1992) / 2. Georges Perec
Je pense qu’il est important d’aborder toutes ces ambiguïtés en amont, pour pouvoir clarifier la notion puis, par le biais d’études de cas, être au plus proche de ce qu’est un quartier et plus encore ce que pourrait être le quartier de demain. L’échelle du quartier est une échelle très dure à maîtriser, mais, de par sa nature, constitue une échelle que l’on ne peut évincer dans l’observation urbaine puisque « basse de l’élaboration des villes », et pilier du groupement des civilisations. Le quartier se situe exactement entre une vision microscopique, celle du logement et une vision macroscopique, celle de la ville. Il est représentatif des relations sociales en milieu urbain. J’ai choisi ce sujet pour tenter de répondre à différentes questions : En premier lieu c’est l’aspect même du quartier qui m’intrigue, son ambivalence et sa complexité, qui fait que cette échelle est difficile à aborder et qui induit un questionnement sur sa prégnance dans le travail de l’architecte-urbaniste. En effet, le quartier est une notion qui se situe à la croisée des échelles d’observations, mais cette échelle est confuse et vogue parfois vers le sensible et l’immatériel. Est-elle donc palpable et pertinente dans notre travail ? Ensuite je m’intéresse à l’ensemble des connexions que le quartier engendre : allant de la relation entretenue entre le quartier et ses habitants, entre les habitants eux-mêmes, entre le quartier et le promeneur, entre le quartier et la ville. Enfin, je me demande si cette échelle est toujours d’actualité. En effet le quartier, tel qu’on le connaît, et tel qu’on le conçoit est-il toujours approprié à nos civilisations modernes ? L’identité sociale dépend-elle des modes d’inscriptions spatiales ? Si tel est le cas, cette identité tend-elle à disparaître, est-elle en péril ? Peut-on prétendre à un modèle universel du quartier ? Et implique-t-il dans ce cas une unité architecturale ? Avec la reconfiguration des villes, la vision globalisante de la spatialité, quelles sont les formes d’ancrage actuelles ? Les pratiques de proximité ont-elles disparu ? Se sont-elles transformées? Le quartier existe-t-il toujours et le cas échéant, quelles seraient ses recompositions ? Le sentiment d’appartenance est-il devenu obsolète, ou a-t-il été transposé à une autre échelle ?
Lorsque l’on étudie les divers écrits qui ont été produits sur ce sujet, un débat récurrent ressort, que l’on pourrait résumer ainsi : tendons-nous vers la fin ou vers le renouveau du quartier ? En effet la question peut se poser en vue du contexte actuel. Quel est ce contexte ? D’une part un monde globalisé, un monde virtualisé, dans lequel s’inscrivent de nouvelles mobilités et où les rapports sociaux sont de moins en moins spatialisés. Une société qui vit 24h/24h, qui se déplace et qui mue à une vitesse folle. D’une autre part, nous pouvons constater un contre-mouvement face à l’égoïsme de nos civilisations modernes avec un besoin renaissant de vivre ensemble, avec des notions comme le partage, l’économie, l’écologie, le respect de la planète et de nos voisins. Dans le domaine de l’architecture, cette idée transparaît par des « préceptes » comme les accords de Grenelle , les normes HQE, les écoquartiers et les quartiers durables. Cependant une problématique en découle : peut-on penser le quartier de demain ? Que signifie Durable ? N’est-il pas dangereux de vouloir créer un modèle universel qui s’inscrirait dans une temporalité indéfinie ? Peut-on prétendre pouvoir poser aujourd’hui, les pierres d’un urbanisme qui fonctionnera demain ? Ne serait-ce pas reproduire les erreurs que d’autres ont pu faire avant nous ? Mais qu’est-ce qu’un quartier ? Quel est son rôle ? Classer, hiérarchiser, remédier à l’exclusion sociale ? Le quartier sert-il à la compréhension des phénomènes sociaux et urbains ou n’est –ce qu’un mythe ? Le quartier renvoie à une multitude de mots clés qui viennent en périphérie et qui sont utiles à sa compréhension. On peut ainsi, avant même d’aborder le quartier dans son « sens absolu », questionner la notion d’échelle, pour pouvoir situer le quartier en tant qu’unité d’observation. Communément, l’échelle spatiale définit le rapport de taille entre deux réalités géographiques. Elle suggère donc une notion de proportion et l’existence d’au moins deux « niveaux ». En évoquant l’échelle, on évoque intrinsèquement une interrelation, et le fait qu’en variant un phénomène, on modifie également les phénomènes associés. Ainsi si l’on modifie l’aspect d’un quartier, ses rues limitrophes, la ville, le pays peut-il par là même, changer, être touché par ces micro-interventions ?
En questionnant l’échelle, on finit donc par aborder la question du seuil et de la frontière. L’étymologie du mot seuil vient du latin solea qui signifie « sandale », ce mot a ensuite pris le sens de « plancher ». Aujourd’hui il définit une « valeur limite » en statistique, une « zone de contact » en géographie, ou encore « l’apparition d’un phénomène » en sciences. D’un point de vue formel, le seuil est une pièce qui « forme la partie inférieure de l’ouverture d’une porte », et au figuré le seuil est la « limite marquant un passage vers un autre état, l’entrée dans une situation nouvelle. » 1 ici encore on peut discerner l’idée du changement, mais cette foisci en valeur de transition, d’un état à un autre, d’un espace vers un autre… Les modes d’entrée et de sortie au sein d’un quartier nous font-ils percevoir un quelconque changement ? Le quartier renvoie aussi au lieu, celui-ci implique un dedans et un dehors. « L’expérience du lieu implique donc pour une personne à la fois la capacité subjective de participer d’un environnement et la capacité objective de pouvoir observer un environnement comme étant externe et séparée de soi. Cette tension crée une certaine ambiguïté dans les usages multiples du lieu dans le discours géographique contemporain. » 2 En identifiant un espace comme un lieu on privilégie d’une part les interactions qui s’exercent à son contact et en son sein et les relations distantes avec d’autres espaces. Le concept du lieu dans la société porte sur la « coprésence », car il y a lieu quand au moins deux réalités sont présentes sur le même point d’une étendue. Cette notion de coprésence, même si ici elle est abordée d’un point de vue spatial, renvoie encore une fois à une autre notion propre au quartier qu’est le « voisinage ». Cette notion est à la fois spatiale et « sociale », car au sens courant le voisinage définit à la fois « l’ensemble des voisins » et « l’espace qui se trouve à proximité ». Si l’on remonte à l’origine du mot, voisiner signifie « rendre visite, fréquenter ses voisins » 3 , et pour résumer l’on pourrait dire que le voisinage représente l’ensemble des relations sociales que les citadins développent sur fond de proximité résidentielle. Ces relations étant caractérisées par la fréquence, la nature, et la valeur qui leur est conférée. Par ce bref énoncé de mots clés, nous pouvons voir qu’il est pertinent de replacer le sujet dans son contexte immédiat pour révéler ses différentes interactions, et pour optimiser sa compréhension. En effet un objet d’étude ne peut être abordé sans ses périphéries.
In Le Trésor de La langue Française / 2. In Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, Nicholas J. Entrikin sous la direction de Jacques Lévy & Michel Lussault, 1032 pages. 3. In Vies citadines, Edition Belin, E.Dorier-Apprill et P. Gervais-Lambony 1.
Par ailleurs cette approche est quasi-infinie et les dénommer tous impliquerait une recherche très approfondie et pourrais nous faire perdre le fil de notre questionnement. C’est pourquoi nous ferons appel à ses périphéries uniquement lorsqu’elles seront directement impliquées au sein du discours donné. Finalement la visée de cette étude est surtout de savoir si les représentations actuelles et passées du quartier sont en adéquation avec les réalités concrètes d’aujourd’hui, de demain. Et si celles-ci permettent de déterminer un devenir pour le quartier, ainsi que l’élaboration de pistes de lecture pour le travail de l’architecte-urbaniste. L’objectif n’est donc pas de fournir une solution « clé en main », car cela irait à l’encontre des idées développées au cours de ce mémoire et nier les mutations assujetties aux hommes et à la spatialité; mais de requestionner les bases (l’origine de l’établissement des civilisations dans les villes, la naissance du quartier, les logiques sociales et spatiales) pour pouvoir être au plus proche des sociétés actuelles. Ce mémoire s’articule donc comme une chronique du quartier, depuis l’ère préurbaine jusqu’à nos jours; chronique qui fera émerger de multiples questionnements. Nous commencerons donc par remonter à l’origine même du mot, observer ses « interactions », pour comprendre dans quel contexte il est apparu, pourquoi et pour quel usage. L’intérêt est aussi de cerner l’évolution du mot, et les différents sens qui lui sont attribués. Dans cette optique, j’ai commencé par effectuer une recherche étymologique dans les dictionnaires courants et d’urbanisme. Par la suite, il m’a semblé important d’approfondir les divers aspects du quartier pour pouvoir le définir au mieux, et voir les points qui lui sont essentiels pour fonctionner. Je vais donc travailler sur des études de cas, entre autres à l’aide de cartographies, pour pouvoir observer différentes typologies de quartiers ; et effectuer des « cartes mentales » qui m’aideront à comprendre la perception qu’ont les habitants du quartier. Pour finir il m’a semblé primordial d’observer le débat actuel concernant la théorie de la fin et celle du renouveau du quartier pour tenter, à terme de ce mémoire, de définir ce qui constitue le quartier et si celui-ci détient toujours sa place dans l’élaboration des villes.
NB : Au fil de mes investigations, il s’est avéré que mon sujet à pris un sens plus large. En effet, en tentant de redéfinir le quartier en étudiant les différents changements de paradigmes qui se sont opérés au fil du temps pour comprendre qu’elles seraient ses reconfigurations possibles, je me suis rendu compte que j’abordais surtout la question du groupement humain dans l’espace (comment les civilisations s’établissent-elles, pourquoi ? Suivant quelles logiques, qu’en est-il aujourd’hui ?)
I. qu’est-ce qu’un quartier ? complexité et ambivalence de la notion
Pour aborder le thème de quartier, il me semble primordial de se poser une question fondamentale : « qu’est-ce qu’un quartier ? » Les définitions courantes nous donnent quatre volets d’explication que l’on peut dissocier en deux types de considérations : D’un point de vue extérieur : le quartier détermine à la fois une division administrative d’une ville et une partie même de la ville ayant une certaine unité caractéristique, une physionomie propre. Les considérations du point de vue des habitants et usagers sont très différentes : celles-ci incluent un rapport de proximité. Ici le quartier s’assimile aux environs immédiats, dans une ville, du lieu où l’on se trouve, en particulier le lieu d’habitation et caractérise l’ensemble des habitants du voisinage. Une étude historique nous apprend que la notion de quartier est d’abord militaire, désignant les différents campements (quartier d’été, quartier d’hiver, quartier général) et renvois à des notions d’organisation, de tracé, de division, et de protection. Sur le plan étymologique, le quartier dérive du latin : quattuor signifiant quatre. L’apparition de la notion de quartier reste vague, et a subi de nombreux changements de significations. Elle apparaît à l’époque médiévale – entre le IXe-XVe - et est l’aboutissement d’une série de dérivés : quart d’une mesure quartarius quadrus
carré s’adapter
/
cadrer
quadratus
partie d’une ville
quarterium
En approfondissant les recherches étymologiques, on s’aperçoit que d’autres termes désignent le quartier tel que Castra:le camp (romain) et Continentia Urbis : « les faubourgs de la ville ». Bien que le terme de quartier surgisse dans les écrits à cette époque, il apparaît que les quartiers préexistaient bien avant cela, mais n’avaient pas encore acquis de dénomination propre. Il apparaît extrêmement difficile de dater l’émergence du quartier dans l’élaboration des villes. En effet celui-ci ne fait pas l’objet d’une étude ciblée dans les ouvrages d’histoire de l’urbanisme. Comme s’il était concomitant à la naissance des villes, le terme apparaît sans préambule. Encore une fois, ce fait met en exergue le caractère flou du quartier et/ou le peu d’attention qu’on peut lui porter. On se demande donc naïvement ce qui crée le quartier, et ce qui le dissocie de la ville. Un groupement d’habitations suffirait-il ? N’existe-t-il pas a minima une structure et des caractéristiques concrètes permettant d’identifier le quartier comme tel ? Encore une fois le quartier reste sousjacent, impalpable. Pour tenter une « datation » de la naissance du quartier, il faut alors se pencher sur les mécanismes qui ont engendré la ville.
les quartiers romains dits régions
1.a naissance du quartier dans l’histoire de l’urbanisme élaboration du mythe avant la ville
première forme d’appropriation et de construction de l’espace
- période du paléo -, méso-, néolithique -
Durant les périodes de nomadisme préurbain, l’homme a toutefois eu le réflexe de s’établir, ne serait-ce que ponctuellement. André Leroi-Gourhan parle de la constitution d’une « unité de subsistance », qui traduit un « certain rapport équilibré entre la quantité disponible de nourriture, l’étendue du territoire, et la densité de peuplement ». 1 Nous allons tenter de comprendre le geste qui a amené progressivement l’homme à s’établir. Cette étude historique nous permettra de tisser la trame qui structure l’espace humain. Quels sont les besoins spatiaux de l’homme ? le parcours et le pilier
« Il s’agit toujours, au cours d’un trajet, de combattre les monstres et fixer les montagnes, d’établir par là même un territoire où l’on puisse vaquer sans effroi à ses ordinaires occupations. Première géographie humaine : par le sacré, le chaos se transforme en cosmos. » 2
Les déplacements du nomade, saisonniers, se font au rythme de l’apparition des ressources et fonction des périodes de gestation de la femme, le nomade ne s’enracine pas , cependant son parcours est jalonné. La 1ere représentation de l’espace humain est la tombe. Dans l’horizontalité des déplacements nomades, les tombes - verticales - constituent les premières formes d’ancrages, les 1ers repères. Par ce désir de retenir les morts, l’homme s’affirme contre le passage du temps, marque sa spatialité. Ces piliers détiennent une force sacrée, et se dressent tel un axe cosmique pour lier ciel et terre. Ils forment un balisage du territoire, et l’homme à son contact puise sa force, se sent en sécurité face à l’étendue hostile. Le temps de la fête et du labeur Outre la fonction commémorative, les pierres érigées par les populations nomades transfigurent un besoin primitif de vivre ensemble, de partager l’instant. Après un dur labeur, activité monotone où les échanges sont limités, on fait halte près des points de ralliement pour consommer, discuter. Ainsi ces jalons deviennent le théâtre d’une vie plus intense, laissant place à une effervescence collective où les différentes consciences individuelles « largement ouvertes, retentissent les unes sur les autres ». op.cit.1 Selon Émile Durkheim3 qui voit le fait social comme une chose dotée d’une énergie propre, c’est exactement dans ses espaces de ralliement et de fête que naît la société.
1. 3.
In Le Geste et la Parole - tome 1 : Technique et langage, par André Leroi-Gourhan / 2. Paul Blanquart, in une histoire de la ville, Paris, Éd. La Découverte, 1998. Émile Durkheim (1858-1917) : L’un des fondateurs de la sociologie moderne ainsi que de la revue l’année sociologique (1898)
le cercle, le symbole et les ancêtres
origine
La perception de l’espace est fortement perturbée par la sédentarisation villageoise (passage du chasseur-cueilleur à l’agriculteur-éleveur / 8000-5000 av J.C. ) Par la modification des modes de vie, certains facteurs de fixation apparaissent : nécessités d’une surveillance constante des champs et du bétail, ainsi que du stock alimentaire. Ainsi l’étendue spatiale est-elle découpée en un dedans et un dehors : le cercle enclot maintenant le pilier, qui conserve son symbolisme d’axe cosmique et de centre du monde. Le liant entre les deux formes structurantes de l’espace humain est le symbole et la parenté : « c’est sur la présence maintenue des ancêtres que tout repose » La tradition y est immuable, on se regroupe autour de l’arbre des ancêtres pour décider de ce qu’on va faire. Ces sociétés ont une conception répétitive et cyclique du temps. Le mythe (récit de l’origine) détient une place prédominante pour leur maintien.
sociétés traditionnelles et sociétés modernes
Marcel Mauss1 parle de « fait social total » concernant ces sociétés traditionnelles. Le symbole a ici pour fonction de faire s’imbriquer les instances de l’existence entre elles alors que nos civilisations modernes ont pris pour habitude de les distinguer ( le politique, l’économique, le pouvoir…) Selon Louis Dumont 2, les sociétés dites traditionnelles s’opposent aux sociétés modernes, car les bases de ces sociétés divergent clairement. Ainsi les sociétés traditionnelles sont-elles basées sur l’holisme (« qui forme un tout ») - ici le tout social est antérieur aux individus qui en sont membres. A contrario les sociétés modernes sont basées sur l’individualisme – ici l’individu est l’origine de tout.
Société traditionnelle : holisme et unité des instances
Société moderne : individualisme et distinction des instances
1. 2.
Marcel Mauss (1872-1950) : Anthropologue considéré comme le père de l’ethnologie française - Professeur à l’Institut d’ethnologie. Louis Dumont (1911-1998) : Anthropologue français, spécialiste des sociétés indiennes - Directeur d’étude à l’École pratique des hautes études (1955)
Puisque nos sociétés modernes ne sont plus fondées sur les mêmes principes que les sociétés traditionnelles - dont elles découlent pourtant -, les bases de cette société sont-elles dès lors à réinventer ? Le quartier fonctionne-t-il toujours même si les moteurs de son élaboration première ne sont plus les mêmes ? Le symbolisme est la substance même de la société traditionnelle et religieuse, celui-ci crée la solidité du groupe ethnique, mais participe aussi parallèlement à le limiter. Plus on est ancré en son intérieur moins on est capable d’entrer en communication avec son extérieur, extérieur qui confronte à la différence : il renvoie à des codes culturels qui ne sont pas les siens. Les ancêtres maintiennent ainsi la cohésion entre les descendants, mais ils les opposent par là même à ceux qui en ont d’autres. Le problème majeur des quartiers actuels vient-il du fait qu’il y ait plusieurs leviers de vitesses ? Dans le sens où les divers habitants du quartier appartiennent plus ou moins à des communautés qui ne répondent pas toujours aux mêmes codes culturels que leurs voisins. Par conséquent le quartier fonctionne-t-il alors seulement lorsque ses habitants appartiennent à la « même ethnie » ? Ainsi le malaise ancestral qui nous confronte avec l’extérieur, avec l’autre perdure-t-il ? Pendant que des habitants se sont émancipés des codes traditionnels qui leurs sont propres, d’autres en sont encore imprégnés. Avec le foisonnement des migrations, la sensation de ne pas appartenir à la même unité de groupe que celle de son voisin est décuplée. En découle-t-il tout simplement une barrière du vivre ensemble puisque chacun vient d’horizons différents et que nos modes de regroupements ancestraux sont restés ancrés dans nos veines à notre insu ? Le religieux (le sacré, la parenté, le symbolisme) ne constitue plus un pilier de nos jours, et les bases des civilisations traditionnelles ne sont plus corrélées plus avec nos civilisations modernes : sont-elles devenues obsolètes - étouffées par d’autres croyances - ou jouent-elles encore, de manière sous-jacente et plus discrète, un rôle dans l’élaboration de nos villes ? Sont-elles toujours porteuses de cohésion sociale et spatiale ? Nos sociétés modernes ont développé en commun une culture consumériste poussée, ce phénomène signifie-t-il que nos centres commerciaux ont remplacé nos églises ? À quel moment et comment ce basculement a-t-il eu lieu ? Il est de notre devoir de trouver nos propres bases ; ces bases qui seront en adéquation avec la ville d’aujourd’hui. Il faut innover, changer de regard sur la réalité, mettre en œuvre une nouvelle intelligence. La question est la suivante : aujourd’hui, quel est notre mythe ?
la ville
Les civilisations préurbaines exorcisent ce qui peut les diviser : conflits pour le pouvoir ou possession des richesses. À leurs yeux, le bien le plus précieux est l’unité de groupe. La société est ainsi ressentie et affirmée comme un tout intégré.
ou le pouvoir politique comme garant de la vie sociale
-du VIeme
au
IIIeme
millénaire av.
Avec la sédentarisation des hommes, la différenciation sociale est née.
Les premières cités furent fondées à l’aube du IVe millénaire avant J.C en particulier en Mésopotamie. La ville n’en est alors qu’a son stade embryonnaire, et résulte d’un phénomène d’émergence. Les soucis naturels (nourriture, reproductions), qui régissaient l’homme jusque là, les poussaient à vivre ensemble, mais n’engendraient pas le besoin de fonder un espace plus « raisonné » que de simples habitations regroupées. Selon H. Pirenne « les villes sont l’œuvre des marchands et l’urbanisme est né du commerce », mais cette affirmation semble réductrice et bien que le commerce ait été un facteur important, il apparaît plutôt comme une résultante. A priori les premières pierres de la ville semblent avoir été apportées par l’adéquation de plusieurs facteurs d’évolution : l’apparition de nouvelles activités, l’émergence de groupements professionnels, l’effervescence spirituelle, l’accroissement des facultés créatives de l’homme et surtout la naissance de deux groupes sociaux : dominants et subalternes. La ville serait-elle donc l’enfant de la dissociation sociale ? Par extension le quartier ne constituerait-il pas la plus forte image de cette dissociation : cet espace qui traduit à la fois le lien et la séparation communautaire ? Si on regarde le quartier comme un strict regroupement d’habitations, les premières villes n’étaient-elles pas de simples quartiers ?
ACTIVITES SPIRITUELLES
DOMINANTS
ACTIVITES PROFESSIONNELLES
SUBALTENRNES
HIÉRARCHISATION DE L’ESPACE
L’avènement du chef Restés à l’écart des villes, les chasseurs-cueilleurs n’en convoi-et la naissance des Castres tent nt pas moins les biens des villageois : ils ne veulent pas s’établir, mais effectuent des razzias ponctuelles. Un pacte est alors établi : contre une protection, on survenait à leurs besoins. Ainsi naqui la fonction militaire et aristocratique issue du brigandage. « ce commandement par la force ne cessera de s’affirmer et de s’étendre avec sa visibilité spatiale, de l’enceinte fortifiée au palais royal de la cité État » 12. On passe de l’ère du divin à l’humain divinisé. La différenciation des tâches engendre un besoin d’organisation cohérente de l’espace. Ainsi seront élaborés les premiers tracés urbains. L’artisanat se spécialise en métier permanent ; les marchés font jour et deviennent les premiers véritables espaces publics, l’espace s’organise petit à petit selon des fonctions attribuées.
1. 2.
Henri Pirenne (1862 - 1935) est un historien médiéviste belge. op.cit 2. p.8
la pyramide : nouvelle forme structurante de la société
Le cercle devient progressivement carré et se multiplie. Ainsi autour du carré central réservé aux résidences impériales et à la religion, un autre carré plus vaste est attribué aux fonctionnaires/militaires, puis en périphérie les quartiers du commerce et de l’artisanat. La société est tripartite, spatialement et socialement. L’axe vertical et la résidence mortuaire ne sont pas évincés, mais sont maintenant associés au pouvoir de l’État. « ce qui auparavant faisait tenir ensemble les membres d’un clan, d’une tribu relevait de la religion ethnique : leur inscription dans un code symbolique ancré sur un ancêtre commun et son mythe fondateur. Les cités-etat puis les empires regroupent en collectifs plus amples des tribus ou des communautés multiples. Chacune de celles-ci s’en trouve divisée par la différenciation des fonctions , à moins qu’elles ne se distinguent des autres en se spécialisant fonctionnellement. La religion en perd-elle son rôle de lien social ? Non, car le pouvoir politique émergent en a besoin pour se légitimer. » 1
fonctionnaires militaires
commerçants
Cette forme spatiale devient un socle commun universel, mais les évolutions divergent en Occident et en Orient.
artisans
hiérarchie sociale et spatiale
Athènes dent
1.
op.cit. 1 p.8
et
l’occi-
Avec la démocratie Athénienne naît un nouveau système social : le « synœcisme » ou « la réunion de plusieurs villages en une cité, avec égalité des droits entre ses diverses composantes et formation d’institutions politiques et culturelles unifiées. » Le centre devient laïque : soit commun, public, accessible a tous. La Parole-dialogue se substitue aux proférations magicoreligieuses, le politique se distingue du religieux et les cimetières sont relégués en dehors des murs : la ville est alors désacralisée et marque la fin du village néolithique. Cependant l’apparente unité qui en découle est instable, car la ville qui veut s’émanciper du mythe en conserve dans ses artères les traces archaïques. En effet malgré les réorganisations spatiales, nous avons toujours affaire à un cercle avec son centre. À la fin du IVe siècle av J.C, les cyniques nient la civilisation : des jeunes gens dits « démesurés » sont envoyés en périphérie des villes alors que les sages sont au centre, l’égalité est relative et la politique d’Athènes n’est pas en adéquations avec les réalités sociales.
la quadrature du cercle
Les travaux d’Hippodamos (Milet - Rhodes - Thourioi) marquent un point de rupture entre l’héritage d’une centralité unifiante et le fonctionnalisme naissant. Il élabore une théorie très rigoureuse sur la cité idéale :
10000
citoyens
SOCIAL 3 classes reparties en fonctions
privé
sacré
public
SPATIAL 3 lots
On retrouve donc une logique égalitaire de la tripartition déjà connue : chacune des fonctions doit assurer ses besoins propres dans une spatialité propre : ici le plan en damier. Le principe n’est pas nouveau, mais original : une volonté de tenir ensemble une société laïcisée par l’émergence de l’artisan-technicien, dont le géométrisme de l’éclatement en fonction (zoning) organise la société avec un centre qui la maintient dans son unité.
Malgré l’absence d’évocation explicite de la naissance du quartier dans la morphologie des villes, il semblerait que celui-ci apparaisse à partir de ce moment T où l’on tente de géométriser et de planifier l’espace urbain. Ainsi, dans l’Athènes du IVe siècle avant J.C, se développe de nouveaux quartiers se développent par spécialisation professionnelle – par exemple le quartier de la céramique (pour les forgerons et potiers) ou le quartier du Pirée (attribué au commerce et à la construction navale). Bien que les Grecs ne soient pas précurseurs de la rationalisation des cités, on peut attribuer à Hippodamos- architecte et urbaniste- le tracé géométrique rationalisé des rues d’Athènes et, par là même, la vision du quartier. En effet celui-ci a su saisir, selon les écrits d’Aristote, la concordance étroite entre les structures matérielles de la cité et son ordre social. Il projetait alors une cité divisée en trois classes distinguant les artisans, les agriculteurs, et l’armée, où chaque classe serait groupée dans un territoire lui-même partitionné en trois. Ainsi le quartier ne serait-il pas né dès les prémices de la ville, mais bel et bien lors de l’avènement de l’architecte, de la rationalisation de l’espace vécu et de la prise de conscience d’une partition sociale hiérarchique de l’être humain. Le quartier né donc d’une volonté de division sociale découlant d’une pseudo appartenance à un groupe (ici professionnel). Si l’on peut penser que le quartier tend à mourir c’est que nous vivons actuellement dans les ruines de ces divisions socio-professionnelles, et si l’on sent encore la prégnance du quartier, il semblerait que ce soit surtout dans les quartiers toujours prédominés par telle ou telle catégorie sociale, et/ou professionnelle. (Par exemple les cités de banlieues qui créent des ghettos résidentiels ou le quartier des affaires à la défense). Cette hypothèse, pourtant, n’est pas tout à fait viable, car finalement c’est dans les sociétés traditionnelles archaïques que l’on ressent le plus fortement cette cohésion sociale et ce partage de l’espace commun que l’on attribue généralement au quartier. Le jour hypothétique, où toute distinction ou prédominance auront disparu, du fait de l’augmentation des populations et de la mixité, du fait de la dispersion et de la dissipation des catégories dans l’espace, entraînera-t-il la mort définitive du quartier ? Ou, au contraire, le quartier, tel qu’on le perçoit dans sa définition la plus globale, pourrat-il justement renaître ?
I.b les différentes réalités de perceptions réalité administrative
Une étude du Code général des collectivités locales nous montre que le quartier est une subdivision administrative sujette à diverses législations et englobant une gestion d’Etat par des conseils de quartier. Si nous prenons le cas de Paris, les quartiers constituent une subdivision administrative de chaque arrondissement. Ainsi, un arrondissement correspond au groupement de quatre quartiers dont chacun possède un poste de police. Les quartiers sont déterminés par des surfaces ne présentant entre elles ni vides ni chevauchements. Les 80 quartiers de la ville de Paris ont valeur historique, mais sont toujours en vigueur au sein de la Préfecture de Paris, toutefois ils sont distincts des 122 conseils de quartiers du conseil de Paris. La notion de quartier est donc ici définie par un découpage aléatoire, une circonscription du territoire plus ou moins produite par l’histoire. Selon Emile Durkheim le découpage des quartiers urbain relève d’une « tradition territoriale de la diversification des groupes sociaux produits par la division du travail ». Cette partition du quartier révèle donc un problème évident : le point de vue pris en compte est envisagé de l’extérieur, mais finalement quel est celui de l’habitant ? Si le quartier est trop complexe pour n’être que le fruit d’un découpage, quelle serait la solution ? De plus, comme le soulève Pierre Sansot, ne divise-t-on pas pour mieux régner ? Les secteurs instaurés par la loi ne sont pas toujours arbitraires, mais s’imposent aux usagers par des lignes de force plus anciennes : on est tenu de voter, inscrire son enfant à l’école du quartier... Alors que les réalités actuelles peuvent mener un individu à vouloir s’investir ailleurs. En effet, avec l’éclatement des noyaux familiaux et des activités dans l’espace, le lieu de résidence n’est pas forcément le lieu de vie. On en vient donc à différencier le quartier instauré par la loi du quartier imaginaire - celui qui n’a pas reçu d’investiture administrative, mais qui est perçu comme tel par l’habitant et dont la pertinence paraît plus évidente.
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ARRONDISSEMENT
80 QUARTIERS
122 CONSEILS DE QUARTIER
réalité politique
Le semblerait que le quartier soit quelque peu évincé des préoccupations des politistes et peu problématisé dans leurs travaux. Cette absence n’est pas difficile à comprendre. En effet le quartier est un objet relativement problématique du fait de son manque de statut administratif réel ou électoral. Or les travaux des sciences politiques se penchent a priori sur des échelles de référence à caractère administratif et électoral défini, comme les circonscriptions électorales, les communes, la région. Ensuite il apparaît que les considérations sont en particulier portées sur le « local » ou le « global », tandis que le quartier, lui, est par nature de l’ordre du « microlocal ». Le local est « le plus souvent assimilé aux limites de la ville, du département, de la région » 1 et son étude se justifie « comme tremplin d’accès au pouvoir central » 2. De plus si l’on considère que c’est principalement le pouvoir central qui constitue le territoire, « on comprend aisément que la Région soit considérée comme un territoire ou un local construit, puisqu’institué par l’État dans le cadre des politiques de décentralisation, tandis que la ville, le bourg ou le village sont considérés comme plus “naturels”, puisqu’ayant préexisté à ces opérations de découpages ou de délimitations administratives. » 3 Ainsi si l’on considère que la politique s’attache prioritairement à des espaces délimités détenant un statut « concret », on peut comprendre que le quartier, par son caractère ambigu, n’entre pas dans leur champ de préoccupations. une échelle sous-estimée
Aujourd’hui tout de même, on peut constater une évolution des politiques publiques ; le quartier ayant subi une présence croissante dans les campagnes électorales. On sent donc que « la multiplication des échelons d’intervention oblige les élus à jouer à la fois sur ces registres de proximité et une capacité à penser le plus large et le plus global en termes politiques. » 4. On peut déplorer tout de même que le quartier ne constitue toujours pas un point d’ancrage de la réflexion, mais reste relégué au rang de point d’appui pour des usages électoraux. Il me semble pourtant approprié de prendre en compte une vision micro pour pouvoir comprendre et optimiser les mécanismes de l’échelle macro. L’habitant est souvent absent des enjeux politiques, « les systèmes locaux sont essentiellement considérés, dans les travaux sur les politiques publiques, comme des lieux fonctionnels ou des centres d’exercices de pouvoir par des élites » 5. Les approches
1.
Briquet & Sawicki, 1989 / 2. Mabileau, 1993 Catherine Neveu, le quartier des politistes, in Le quartier : Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Éd. La Découverte, 2006
3/4.
Des systèmes locaux ont tendance à occulter certaines dimensions dans lesquels les habitants auraient pu être mieux pris en compte. Bien que le quartier ne soit pas problématisé par les politistes, celui-ci n’est pas pour autant exclu de leurs travaux. L’émergence des formes nouvelles de gouvernance des villes a apporté de nouveaux rôles politiques tels le « conseiller de quartier » et l’apparition de conseils/comités de quartiers. L’échelle du quartier occupe une place de choix dans l’élaboration d’études plus vastes concernant les politiques publiques et les instances de démocratie dite « de participation », « locale » ou « publique ». Malheureusement ce sont souvent les instances elles-mêmes qui suscitent de l’intérêt et non pas le quartier en soi, qui n’est évoqué que comme cadre pour celles-ci. Comme le soulève Catherine Neveu : « la relation de causalité généralement implicitement entendue entre l’existence de sentiments d’attachements à l’égard d’un territoire localisé (le quartier vécu) et l’engagement dans ses instances (le quartier ainsi construit) est rarement questionné.1 » Le quartier semble aussi fortement stigmatisé par les politistes. En effet, parler aujourd’hui de quartier, c’est sous-entendre « quartier en difficulté », « quartier à risque », tant le terme cristallise un ensemble de discours convenus ou allant de soi. Les interactions induites au sein du quartier, et entre le quartier et la ville ne semblent pas à même d’attirer suffisamment leur attention. les politiques de la ville
En 1982 à Lyon, la Commission nationale pour le développement social des quartiers2 lance les « politiques de la Ville » qui tentent de prévenir une « dérive à l’américaine » en définissant les quartiers à risque, par le biais de mesures et méthodes innovantes d’actions publiques. Lutter contre la pauvreté en agissant sur le bâti et l’habitat, améliorer les conditions de logement des catégories populaires pour améliorer leurs conditions de vie, déplacer une partie de ces populations pour désenclaver certains secteurs urbains fortement ségrégués, toutes ces démarches sont lancées dans le souci de réduire les inégalités sociales et d’améliorer le sort des plus démunis. Mais de telles attentes sont en partie illusoires et contredites par les faits puisque de telles migrations bouleversent les équilibres familiaux et sociaux, engendrent des ruptures et des mutations difficiles à maîtriser, et peuvent générer amertume et frustration.
1/2.
Op cit.3p9 / 3. Sous la présidence d’Hubert Dudebout
Ces politiques visent aussi à faire ressurgir « la capacité d’action collective émanant des habitants»1, cependant elles sont souvent englouties par les autorités publiques qui ne leur accordent peu de crédit, également par crainte de débordement. De par sa « microlocalité », son absence de réalité électorale et administrative, le quartier ferait-il peur ? Est-ce aussi pour cela que celui-ci est depuis si longtemps délaissés par les politistes ? J-P Gaudin soulève en 1999 dans un article sur les politiques de la Ville, l’absence d’éléments de définitions du quartier. Il suppose que cela ne révèle non pas un manque de connaissance sur le sujet, mais bel et bien un choix stratégique. Cette notion créerait en effet « un flou spatial salutaire » pour les politistes,l’aspect spatial du quartier permettrait de désigner en réalité une démarche d’action publique : la contractualisation. « La référence au quartier permettrait donc à la fois de rendre compte d’une mutation dans les conceptions du travail social et d’euphémiser des formes de ciblage des populations dans les politiques publiques. […] Une telle forme d’euphémisation permet de faire de l’échelle du quartier une échelle où pourrait se combiner « un peu d’universalisme avec l’imaginaire de proximité qui lui a été longtemps opposé » 2 Il semble aujourd’hui primordial que les sciences politiques s’intéressent de plus près à la notion de quartier. Les différentes dérives qui ont eu lieu ces dernières années ne seraient-elles pas liées à cette absence de prise en compte ? Outre le fait que cela permettrait de cesser de stigmatiser le quartier comme « territoire de la ségrégation », ou de « convivialité innée » ; observer le quartier, ses interactions avec les autres échelles, notamment celle de la ville, comprendre ses pratiques, ses usages, analyser ses diverses représentations, se pencher un peu plus sur la perception de l’habitant, permettrait peut-être d’être plus à même de répondre aux problématiques de la ville, de résorber la délinquance, et dans une vision utopique, d’éradiquer une fois pour toutes la notion de « quartiers en difficultés ». Il s’agirait donc de travailler plus dans les quartiers que sur les quartiers. une prise de conscience à affiner
Un certain nombre d’auteurs font du quartier l’échelle idéale de conceptualisation des politiques publiques les politiques sociales se sont recentrées sur le quartier pour tirer parti des ressources de solidarité que génère la communauté locale » . Plus encore, une forme d’institutionnalisation du quartier s’installe, notamment par l’intermédiaire de mécanismes de participation, visant à faire des territoires un territoire significatif pour l’individu. Cette institutionnalisation est d’ailleurs visible dans le domaine de la parti2.
Philippe Estèbe, Directeur d’études a ACADIE, in les quartiers de la politique de la ville : Une catégorie territoriale pour une politique de « discrimination positive ? » 2. Dansereau & Germain, 2002 1.
cipation publique où la multiplication de mécanismes de participation crée de nouveaux territoires de référence. Le phénomène des conseils de quartier pose toutefois la question de savoir si cette institutionnalisation a atteint les objectifs visés. Plus précisément, le quartier constitue-t-il aujourd’hui un territoire de référence pour l’individu ? Le quartier est-il un espace vécu ? Détient-il un sens politique pour l’individu ? réalité physique
Le quartier renvoie à des perceptions morphologiques très variées et nous introduit un rapport à l’espace assez complexe, rapport faisant appel entre autres à la notion de lieu, de seuil et de frontière. Nous allons aborder en particulier dans cette partie, les différentes notions spatiales auquel le quartier renvoie : l’identité, et l’approche géographique du quartier. Dans la définition courante, le quartier définit « la part de quelque chose », un morcellement. Le quartier serait donc, non pas un espace en soi, mais un morceau d’espace. Ces ensembles sont dotés d’une valeur sociale, et détiennent plusieurs dimensions : un découpage inscrit sur un plan urbain, un aspect identitaire plus subjectiviste, et une dimension morphofonctionnelle qui assure la reconnaissance visuelle du quartier. La définition territoriale du quartier est rarement détachée du rapport social. Le quartier peut être le lieu de regroupement et d’installation des communautés ethniques ou provinciales ; il joue ainsi un rôle d’accueil et cela influe fortement sur son aspect. Plusieurs facteurs permettent de différencier et de délimiter le quartier : 1. la configuration topographique. On peut alors parler de quartier haut/quartier bas, de quartier périphérique. Le quartier peut être lisible par une démarcation forte : cours d’eau, voies ferrées… 2. La période de 1re construction et les caractéristiques architecturales et urbanistiques qui en résultent 3. la typologie dominante des bâtiments : quartier des hôtels particuliers, quartier pavillonnaire. 4. Les fonctions exercées : quartier des affaires, Quartier latin. 5. la répartition de groupes sociaux et/ou économiques 6. la séparation de groupes ethniques
Le quartier serait donc « la résultante de mécanismes de différenciation morphologique, économique et sociale qui affecte l’espace urbain au fur et à mesure du développement des villes » 1. Le quartier servirait donc de clef de repérage et d’identification des espaces urbains, il « façonne et compose le paysage citadin. » Dans le domaine de la géogragraphie, le quartier est encore une fois passé à la trappe comme objet d’étude jusque dans les années 1970, époque charnière de renouvellement des méthodes d’approches et où la notion de quartier est contestée dans le domaine des sciences sociales. Le quartier « simple fraction d’espace urbain présentant des caractères communs » 2 est longtemps considéré comme périmètre et support d’étude. Deux points de vue dominent : Le premier, issu d’une vision fonctionnaliste divise l’espace entre aspect technique et social. Seule la fonction dominante personnifie le quartier. Le second perpétue l’image nostalgique du « quartier-village » comme espace de sociabilité spontanée. Le quartier serait alors « posé comme lieu d’épanouissement face à la ville démesurée et déstructurante. » 3 Trois postulats régissent cette vision : une barrière sociale entre la vie et la ville, une autonomie des activités et des ressources et une prédominance des relations de proximité. Cependant ce rôle déterminant de proximité est vite remis en question, et dans le flot de mobilité de la ville le quartier semble disparaître. Dans les années 1980, le quartier est analysé en priorité pour sa position au sein de l’agglomération qui demeure l’échelle privilégiée. le quartier vient en décors dans l’étude des inscriptions spatiale et sociale au sein des villes. Parallèlement u autre courant fait du quartier un véritable objet d’étude. Le malaise se crée cependant lorsque l’on tente de tirer de ces approches - souvent empiriques - une définition univoque du quartier. Les sociologues nous disent que le quartier est un sous-ensemble de la ville, une unité d’observation et de mesure des différences sociales au sein des villes. Ainsi selon l’École de Chicago (1920) « Le Voisinage constitue la plus petite unité locale et se situe à la Base de l’organisation de la ville. » La sociologie urbaine observe trois thématiques principales : la distribution et le déplacement des populations dans l’espace, les pratiques et les attitudes des individus vivant en milieu urbain et les actions publiques et privées qui prennent part à l’organisation de la ville. Ces trois thématiques rencontrent toutes de façon plus ou moins lisible l’échelle du quartier.
Pierre Merlin et Françoise Choay, in Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement. 1988 / 2. Cf Chabot, 1948 Anne-Lise Humain-Lamoure, in Le quartier : Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Éd. La Découverte, 2006, p.35
1. 3
aspect social
En sociologie le quartier est abordé sous un grand nombre de facettes, à la fois unité de mesure des différenciations sociales en milieu urbain, espace de proximité - inégalement signifiant selon les habitants - milieu de vie et objet d’interventions publiques. Le quartier jouit de définitions multiples qui se font écho, mais qui ne se superposent pas. Les questions qui l’entourent sont apparues assez tardivement dans l’histoire de la sociologie française, la sociologie urbaine s’est instaurée comme discipline autonome avec Durkheim, celle-ci reste moins empirique que les travaux effectués par l’école de Chicago qui observe la ville comme « laboratoire social » sans pour autant effectuer de réelles observations in situ. En 1932 Maurice Halbwachs, dans son article sur la distribution locale des nationalités à Chicago, observe les phénomènes de solidarité fondée sur l’interdépendance, et les rapports engendrés par l’« ethnisation » des quartiers. « Lorsque l’on inscrit des noms de races sur les différents quartiers, Chicago ressemble effectivement à une mosaïque […] Au lieu d’une série de quartiers juxtaposés, nous apercevons une succession de couches sociales superposées, mais les plus sédentaires, les mieux établies, celles qui constituent réellement le cœur et la substance de l’organisation urbaine sont au-dessous des autres, qui les recouvrent, et qui empêche en partie de les voir. ». 1 Par là Halbwachs effectue une analyse sous –jacente des degrés de participation à la vie urbaine. En 1950 Paul Henri Crombart constitue un champ de recherche sociologique spécifique aux villes, il observe la configuration de l’espace urbain parisien, et ne voit plus le quartier seulement comme unité de mesure par rapport a la ville, mais comme terrain d’enquête permettant l’observation des pratiques sociales des habitants. Le quartier marque une césure forte au sein de l’espace urbain, il renvoie à un foisonnement et on l’identifie à partir de caractéristiques physiques « qui en font une portion d’espace plus ou moins individualisée et repérable au sein des villes.»2 Si l’on considère traditionnellement le quartier comme unité de vie collective à sociabilité spontanée, l’on peut se demander si cela n’est pas simplement un fait populaire. En effet dans les milieux bourgeois et aristocratique il apparaît que les relations sociales sont plus diffuses dans l’espace alors que l’organisation familiale et les relations sociales de proximité touchent plus les classes moyenne et populaire.
« Chicago, expérience ethnique », article publié dans les Annales d’histoire économique et sociale, 1932 1. Yves Grafmeyer, in Le quartier : Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Éd. La Découverte, 2006, p.22
approche sensible
« Chacun de nous transporterait, en quelques sortes, son quartier autour de lui. Il existerait autant de quartiers que d’individus. » 1
Si l’on part du postulat que le quartier n’a pas de réalité physique, administrative, le quartier ne serait qu’une image perçue, un ressenti, et fonction des attentes de chacun. On parle alors d’ « espace vécu », cet espace « dépend de facteurs psychosociologiques restreignant ou étendant l’espace fréquenté » Pour des auteurs tels que Perec ou encore Sansot, le quartier est préhensile, personnels et à échelle humaine.Cependant cette vision fige le quartier à l’espace d’habitat, et il n’est dans ce cas pas ancré dans les réalités d’éclatements des pôles et des structures sociales actuelles. « Le quartier c’est la portion de ville dans laquelle on se déplace à pied », Perec
Par cette approche on ne se base non plus sur l’aspect spatial, mais sur le rôle de l’individu dans l’espace comme espace vécu : « de l’étude d’un espace collectif, on s’oriente vers celle axée sur les pratiques et les représentations de l’individu. » Le quartier vécu, espace intime, connu, que l’on s’approprie, relève de l’égocentrisme de chacun. Certains auteurs assimilent la perception de l’espace urbain à la production d’images de la ville, indépendamment des pratiques : « en fonction de son savoir, de son imagination, de sa mémoire, de son expérience personnelle, chacun à sa propre image, sa mental map de la ville. » Le processus d’attachement et d’identification d’un habitant à son quartier n’est pas forcement ce qui permet l’inscription territoriale du quartier au sein de la ville. « Son existence dépendrait de la manière dont il est perçu par ceux qui “ne sont pas du quartier” et des représentations que l’imaginaire social forge à son sujet. » 2 Une autre hypothèse suppose que le quartier résulterait de l’attachement né de pratiques répétitives et peu à peu ritualisées de ses habitants, le renouvellement quotidien des gestes et de situations très simples comme étant le support concret à l’appropriation de l’espace. Comme réponse intermédiaire nous pouvons aussi partir du principe que le quartier serait une résultante entre une vision objective, extérieure et une définition plus individuelle et subjective Ainsi le quartier serait « l’espace d’intégration des individus au sein d’une collectivité à travers la fréquentation quotidienne d’espaces publics. » Ces espaces publics seraient tant d’espaces de rencontres où habitant et usagers croiseraient leurs ressentis. « Le quartier acquiert ainsi sa signification symbolique ; la popu-
1 2
In Espèce d’espace, Georges Perec, 1974 COLLECTIF (1997), en marge de la ville, au cœur de la société, ces quartiers dont on parle, La Tour
lation noue avec lui des liens émotionnels et de nature identitaire. Le quartier cristalliserait donc la manière dont un individu conçoit les rapports sociospatiaux entre espaces privés du logement/du travail, et espace public de la ville. Les notions de limites sont inégalement pertinentes selon la perception du quartier, le groupe social et le degré d’attachement de l’individu. De même le sentiment d’appartenance et la perception du quartier varient fortement en fonction des individus. Chez les jeunes, les groupes dominants on observe une capacité de “délocalisation” plus facile, en effet ces personnes ne fondent pas ou peut leur réseau de relation sur le principe de la proximité spatiale, ils sont nés dans un monde où la mobilité fait partie intégrante de l’expérience citadine. La vie urbaine ne semble plus être basée sur l’organisation de la famille et les rapports de proximité sociale. Ces individus ont une capacité d’abstraction plus développée et se repèrent aisément à partir d’une grille transposable de lecture de l’espace. »
La notion de quartier est, comme on l’a vu, une notion ancienne, dont la pertinence, est encore de nos jours très largement débattue. Selon Paulet, « il est impossible d’analyser le quartier sans le replacer dans les discussions qui ont opposé -et qui opposent- les spécialistes de la ville »1. De plus, l’acception du quartier dépend également de la discipline et du contexte dans lesquels on se situe. L’exposition des travaux majeurs réalisés sur le quartier permet de saisir la complexité qu’une telle notion recouvre et son évolution. Quand on aborde le sujet, il faut donc arriver à englober toutes les réalités qu’il revêt et inscrire dans notre discours à la fois le point de vue de l’individu, du lieu, et du collectif, sans oublier de faire l’aller-retour constant entre la vision subjective et la vision objective. Finalement en analysant ces réalités, on finit par constituer une notion qui paraît plus illusoire que concrête. En effet, le découpage géométrique et administratif qui en est fait nous montre que le quartier est une section plus ou moins grande qui, associée aux autres, recouvre l’étendue de la ville. Mais chacune de ces zones a des potentialités spatiosocioculturelles très divergentes, ce découpage suppose donc un milieu homogène qui n’existe pas. Est-il donc cohérent de toutes les nommer et les aborder de la même façon ? Chaque quartier nommé comme tel n’est-il pas riche d’une subculture ? Selon Sansot les profils de quartiers établit sur la base de statistiques ne peuvent retranscrire le quartier dans sa totalité : ceux-ci ne peuvent être que quantitatifs et ne prennent pas en compte le détail qui « colore la physionomie d’un quartier et non pas [sa traduction] en terme de catégorie socioprofessionnelle. » Il est donc important de prendre conscience de la dimension imaginaire sous-jacente qui donne forme au quartier.
In manuel de géographie urbaine, Jean-Pierre Paulet, 2000, Paris, Ed.Armand Colin
1
II. des quartiers La première partie de ce mémoire nous a permis de resituer la notion de quartier et dans son contexte et dans ses multiples définitions. Nous avons en effet retracé son émergence dans l’histoire de l’urbanisme en remontant même au-delà. Par cette approche, nous avons pu voir que le terme littéraire du quartier est apparu au moment de la rationalisation des villes, mais qu’il s’est tisé bien avant, et cela par le mythe. En partant de ce premier état des lieux, nous allons poursuivre en abordant les réalités du quartier d’aujourd’hui : En effet quelles formes revêt-il ? Quelles sont ses typologies ? Comment l’espace social est-il construit selon le cas ? Quels éléments fondent le quartier ? Quelle est la perception des individus ? Pour cela nous allons d’abord aborder quelques configurations typiques du quartier, concernant à la fois le quartier de ville et le quartier périphérique en se focalisant surtout sur le cas européen à partir du XIXe, ainsi que sur des théories utopiques. Cet éventail n’est pas exhaustif, mais servira du moins à faire ressortir la multiplicité typologique qui vient s’ajouter à la valeur complexe que nous avons déjà traitée. Nous verrons que la typologie d’un quartier est assimilée presque systématiquement à une certaine dimension sociale, comme si la configuration spatiale d’un lieu était la retranscription d’une certaine réalité sociale, ou plutôt l’inverse. Ensuite nous tenterons de déterminer la vision du quartier au x des individus contemporains et nous effectuerons une étude de cas sur le quartier de La Chapelle à Paris. Cette étude de cas qui se concentre sur un quartier de ville devait être mise en parallèle avec un quartier d’une autre typologie : un quartier périphérique de province à plus petite échelle et constituée de grands ensembles... Cependant le temps a manqué et étant au stade d’ébauche j’ai considéré préférable de ne pas la restituer.
1I.a configurations spatiales et éléments structurants XIXe et XXe :
l’ère du quartier-village et des grands ensembles
quand la campagne rencontre la ville
bethnal green
Comme on a pu le voir, le quartier est un fait urbain né de la différenciation socioprofessionnelle au cœur des villes. Avant les années 1850 en Europe, nous avions - grossièrement affaire à deux cas de figure : La ville et la campagne. Avec l’exode rural, les populations villageoises arrivent en ville, se regroupent et forment des « quartiers-villages ». Ces quartiers n’étaient pas nécessairement homogènes socialement et fonctionnellement : on y trouvait généralement des groupes sociaux et des activités économiques variées. Mais ils se caractérisaient par des dominantes fortes (liées à l’activité et/ou aux origines régionales) et par une superposition et une imbrication d’un grand nombre de relations sociales : les familles, les groupes d’amitié, le voisinage, les pratiques religieuses et politiques, les relations commerciales, les rapports professionnels mobilisaient en grande partie une même population regroupée pour l’essentiel sur un même territoire. Le phénomène s’est produit dans plusieurs pays d’Europe. Ces quartiers détenaient une dimension sociale forte, mais les conditions de vie étaient des plus déplorables. En Angleterre, les sociologues Young & Wilmott1 ont travaillé sur la question du relogement des familles populaires vivant dans un quartier ouvrier (Bethnal Green) de l’Est londonien vers une cité plus éloignée (Greenleigh). Pour cela ils ont mené une enquête sur 3 ans, étudiant d’une part les modes de vie des familles qui vivaient à Bethnal Green et les manières dont la parenté structure les relations sociales et la vie du quartier, et d’une autre par les transformations assujetties à ces familles lorsqu’elles quittent leur quartier d’origine pour être relogées.
quartier lieu de socialisation privilégiée
On constate alors dans ce type de quartier que la famille a tendance à monopoliser les activités et l’emploi du temps des ménages, les liens familiaux apparaissent ainsi au fondement des structures sociales locales, en particulier les liens qu’entretiennent mères et filles. La « famille » englobe ainsi beaucoup plus que le triangle père-mèreenfant et peut être assimilée à une organisation « quasi tribale » « La parentèle constitue alors un pont entre l’individu et la communauté ». La famille ne clôt pas l’univers relationnel des couples ni de leurs enfants : elle ouvre, au contraire, une première voie dans l’intégration sociale locale en favorisant les liens avec l’extérieur et
Voir le village dans la ville, Famille et parenté dans l’Est londonien, PUF, coll. « le lien social », 2010, Mickaël Young & Peter Wilmott
1
la densité des relations avec les autres habitants. Les auteurs y voient donc plus une ressource qu’un carcan, même si certaines pressions familiales s’avèrent parfois conflictuelles. La relocalisation de certains ménages 30 km plus loin va entraîner une perturbation dans les rapports sociaux. Ces populations arrivent dans un environnement qu’ils ne connaissent pas et se retranchent dans leur logement. De plus la morphologie du quartier accentue l’impression d’isolement : les distances rallongées, aller au pub ou faire ses courses prend plus de temps, les longues rues du quartier semblent désertes et impersonnelles aux habitants qui s’y installent. Le maintien de relations familiales intenses apparaît alors davantage structuré par l’habitat et les distances géographiques relatives. La modernité se caractériserait donc par un affaiblissement des liens familiaux accompagnant et accentuant l’individualisme croissant des sociétés contemporaines. Selon Marchal et Stébé1, « tout changement spatial s’accompagne de changement social », est-ce encore vrai aujourd’hui ? Ces populations qui étaient liées spatialement et socialement, vivaient dans un contexte approprié, à cette époque le quartier prenait sens. Mais aujourd’hui avec l’éclatement des noyaux, que vaut le quartier ? le quartier-village : un fantasme bourgeois ?
Les quartiers-villages sont devenus aujourd’hui des espèces d’images d’Épinal, la nostalgie d’un vivre ensemble pittoresque. De nos jours certains individus recherchent cet univers en s’installant dans les vestiges d’un quartier-village, mais ceux-ci sont extérieurs à ce phénomène, et ne peuvent en aucun cas recréer les liens de socialités d’alors puisque les paramètres nécessaires ne sont pas remplis. On pense alors au phénomène de gentrification qui se déploie à Paris à partir des années 70, certains quartiers populaires sont investis par une population venant d’une classe sociale plus élevée attirée par le caractère pittoresque. Mais on constate d’une part que cette nouvelle population, bien qu’elle se réfère à une population plus traditionnelle ayant des codes culturels différents, ne veut en aucun cas être assimilée à celle-ci, et les rapports sociaux entre les deux classes sont assez distants. Dans l’ouvrage le triangle du XIVe de Sabine Chalvon-Demersay2 un quartier d’artiste est « envahi » par une population plus « intello », fraîchement sortie des études supérieures et en phase de se construire. Cette population, qui n’a pas sa famille à proximité se rattache mécaniquement à des lieux où une ambiance villageoise règne, du moins dans leur imaginaire. On ressent chez cette nouvelle population le sentiment d’être entre
1. 2.
Marchal (H.) et Stébé (J.-M.), La ville. Territoires, logiques, défis, Paris, Ellipses, 2008. Le triangle du XIVe, Sabine Chalvon-Demersay, Éd. La maison des sciences de l’homme, 1984 3
deux, entre une population traditionnelle à laquelle on se réfère, mais auquel elle ne veut appartenir, et une population qui leur ressemble, mais qui suscite de la peur et de la critique, puisqu’un petit peu plus aisée (« les intellos friqués »). Cette population créer les mécanismes de sa propre frustration et entretient le sentiment d’avoir préparé le terrain pour en être aussitôt évincé, comme si elle n’était qu’une population de « transition ». Population de transition qu’elle est par ailleurs puisque située entre deux étapes importantes de la vie : le passage entre la vie étudiante et la vie active. De ce fait ni l’ancienne population ni la nouvelle ne trouvent ses marques. On sent alors que les repères sociospatiaux des individus commencent à s’ébranler au cours du XXe siècle. Les habitants d’un quartier sont de moins en moins des amis d’enfance, des parents, et même si certains quartiers anciens ont conservé des tracés ruraux, cela ne suffit pas à recréer les conditions d’une communauté forte en ville. Gentrification, mixité, modernité, mobilité et urbanité croissante empêchent de plus en plus de s’inscrire dans une temporalité longrands ensembles
la muette a
Drancy : le 1er grand ensemble
français
construction du grand ensemble de velizy
- 1964
1.
Crées par l’urbanisme fonctionnel des années 50 à 70, les grands ensembles constituaient initialement une solution après-guerre pour canaliser l’expansion démographique et la croissance économique par la construction en masse d’habitats d’urgence. Les grands ensembles sont des quartiers résidentiels planifiés et développant le concept de l’unité de voisinage qui à émergée aux États-Unis dans les années 1910/1920. Ces unités marquent un changement historique : l’état devient le grand Architecte de la France et l’architecture devient politique. Ces unités découlaient d’une volonté d’établir les dimensions du quartier par des programmes bien définis et équipements présumés adéquats à la constitution d’une unité d’habitations et d’un vivre ensemble pérennes. Bien entendu cette prétention à promouvoir la vie collective et apporter une qualité de vie « commune » à rapidement montré ses limites. Le terme même d’unité de voisinage prête à polémique, et est à l’époque imposée comme leitmotiv. Selon l’école de Chicago, le terme de voisinage était fondé sur un ensemble de relations primaires restreintes et homogènes, intimes et constantes dont le ciment est la famille. Selon Niles Carpentier cette définition est restrictive et se réfère à des formes d’organisation traditionnelles , où la communauté villageoise est érigée en modèle idéal et indépassable du voisinage.
In States- matériau pour la recherche en sciences sociales, Espaces du quotidien, N° 14,2008, Éd. Ladyss
La naissance des grands ensembles fait naître un sentiment de nostalgie du quartier populaire : ils incarnent pour les plus pauvres tout le poids de la destruction de l’ancienne vie communautaire. Certains considèrent que l’univers relationnel constitue « un groupement artificiel et contraint » « La singularité du peuplement des grands ensembles est de rassembler une population qui n’est pas véritablement mélangée, mais qui n’est pas non plus véritablement séparée. » 1
À l’époque de leur création, les grands ensembles constituaient donc un progrès social, mais la promotion du confort et de la mixité se sont soldées à un échec puisque finalement vouées à constituer un mélange de « proximité spatiale et de distance sociale » (chamboredon, Lemaire, 1970) Les grands ensembles apparaissent soudain comme le lieu de résidence forcée où ne vont vivre durablement que ceux qui n’ont pas de place ailleurs. (Regroupement de communautés différentes avec « difficulté d’en sortir. » et sensation de non-choix) Une loi primordiale est à retenir : la loi Barre de 1977 qui favorise l’accession à la propriété pour les ménages à revenus moyens et l’accès au logement social locatif pour ceux qui en étaient exclus; cette loi à créer une logique d’exclusion inattendue : en effet l’HLM des grands ensembles devient alors une étape à la mobilité (classes moyennes et franges supérieures des classes ouvrières), ces familles s’orientent alors vers le modèle pavillonnaire individuel, laissant la place aux populations plus fragilisées. « C’était le contexte du plein emploi et de la mobilité des individus qui rendaient l’HLM appréciable. Alors que tout se cristallisait sur un paradigme de l’ascension sociale et les espoirs d’intégration, on semble alors succomber à celui de la relégation et du désespoir d’insertion.»2 Les grands ensembles se retrouvent fréquemment en crise sociale profonde à partir des années 1980, et sont, en France, l’une des raisons de la mise en place de ce qu’on appelle la politique de la Ville. D’après la multitude d’enquêtes menées sur le sujet aujourd’hui, il apparaît que les cités produisent à la fois des liens d’échange et de solidarités forts, mais aussi les divisions et conflits qui en découlent. Cependant de plus en plus, l’identité collective se perd et les familles se replient sur elle-même jusqu’à l’isolement. Spatialement les grands ensembles se caractérisent par des immeubles de grandes hauteurs dont le gabarit est standardisé, uniformes. Les espaces extérieurs sont communs avec, généralement, des aires de jeux pour enfants et équipements appropriés.
1 2
Colette Petonnet, on est tous dans le brouillard, Paris, Galilée, 1979. in sociologie des quartiers sensibles, Cyprien Avenel , Ed Armand Colin, 2005
Selon le service de l’Inventaire du ministère de la Culture français, un grand ensemble est un « aménagement urbain comportant plusieurs bâtiments isolés pouvant être sous la forme de barres et de tours, construit sur un plan-masse constituant une unité de conception. Il peut être à l’usage d’activité et d’habitation et, dans ce cas, comporter plusieurs centaines ou milliers de logements. Son foncier ne fait pas nécessairement l’objet d’un remembrement, il n’est pas divisé par lots ce qui le différencie du lotissement concerté ». Selon le « géopolitologue » Yves Lacoste, un grand ensemble est une « masse de logements organisée en un ensemble. Cette organisation n’est pas seulement la conséquence d’un plan-masse; elle repose sur la présence d’équipement collectifs (écoles, commerces, centre social, etc.) […]. Le grand ensemble apparaît donc comme une unité d’habitat relativement autonome formée de bâtiments collectifs, édifiée en un assez bref laps de temps, en fonction d’un plan global qui comprend plus de 1000 logements ». Le géographe Hervé Vieillard-Baron apporte des précisions : c’est, selon lui, un aménagement en rupture avec le tissu urbain existant, sous la forme de barres et de tours, conçus de manière globale et introduisant des équipements règlementaires, comportant un financement de l’État et/ou des établissements publics. Toujours selon lui, un grand ensemble comporte un minimum de 500 logements (limite fixée pour les Zones à urbaniser en priorité (ZUP) en 1959). Enfin, un grand ensemble n’est pas nécessairement situé en périphérie d’une agglomération. Les formes du grand ensemble sont assez récurrentes, inspirées (ou légitimées) par des préceptes de l’architecture moderne et en particulier des CIAM : ils se veulent une application de la Charte d’Athènes4. Ils sont aussi le fruit d’une industriali sation progressive du secteur du bâtiment et, notamment en France, des procédés de préfabrication en béton.
le quartier c’est la banlieue ?
« La société française à ainsi fabriqué une catégorie générique des problèmes s’imposant à tous : les “quartiers”»1 L’amalgame est vite franchi : un quartier porte souvent une connotation négative dans l’imaginaire collectif et est bien souvent perçu comme « le négatif de la ville ». Il est banlieue « ceinture noire de la misère », il est ghetto, populaire et périphérique. La banlieue devient donc quartier sensible et porte sur elle tous les maux de la société. Il ne faut tout de même pas oublier que les habitants des quartiers dits sensibles ne représentent que 15% de la population, et que la plupart des populations pauvres ne vivent pas dans ces quartiers. Du ban-lieu à la « zone », puis de la formation du mouvement ouvrier à la naissance des « banlieues rouges », jusqu’à la construction des grands-ensembles et leur transformation en « quartiers sensibles » se lit un processus toujours recommencé de marginalisation et de stigmatisation de la périphérie. Stigmatisation ambivalente, car « si la banlieue pauvre est un miroir où l’on peut contempler les angoisses du “bourgeois”, elle est aussi un lieu d’innovation sociale et politique et d’un mode de vie populaire propres et autonomes. »(Fourcaut, 1988). C’est la tension ancestrale entre le centre et la périphérie qui perdure dans le temps et dans l’espace. L’échelle de la ségrégation passe de la verticale (les bourgeois en bas et les pauvres en haut de l’immeuble) à horizontale (quartiers riches/quartier pauvre) À la fois objet de fascination et de rejet, la banlieue incarne depuis le début du XIXe la peur des « classes dangereuse » , tout comme les banlieues « sensibles », les faubourgs sont vécus comme l’envers de la ville, comme une menace. L’image négative de la banlieue puise donc sa force d’une longue histoire de perceptions stéréotypées.
1.
In la réforme pour la ville, la cohésion urbaine et la solidarité. Sources & Ressources, les dossiers, R & T, décembre 2014, n° 3, 40 p.
les quartier des territoires vastes et jeunes: la réponse américaine
Nous avons étudié le quartier tel qu’il s’est développé dans les pays ayant un passé urbain assez vieux. Quand est-il des territoires plus qui se sont urbanisé plus récemment ? Gated community est un terme américain qui désigne, d’après la définition de J. Blakely, « des quartiers résidentiels dont l’accès est contrôlé, et dans lesquels l’espace public est privatisé. Leurs infrastructures de sécurité, généralement des murs ou grilles et une entrée gardée, protègent contre l’accès des non-résidents. Il peut s’agir de nouveaux quartiers ou de zones plus anciens qui se sont clôturés, et qui sont localisés dans les zones urbaines et périurbaines, dans les zones les plus riches comme les plus pauvres ». 1 L’accès en est permis aux résidents et à leurs invités. Le phénomène touche particulièrement les États d’Amérique du Nord comme du Sud. Environ 8 millions d’Américains y résidaient au milieu des années 90. À la base ce phénomène immobilier était réservé à des retraités fortunés et sévissait surtout en Floride, aujourd’hui ces quartiers résidentiels enclos font désormais des adeptes au sein des classes moyennes actives. On en trouve même dans les zones défavorisées des grandes métropoles des États-Unis. Les principales logiques d’enfermement résidentiel sont la sécurisation, la recherche de l’entre-soi et le pouvoir politique de ces résidences. Certaines gated communities aux USA ont fait sécession avec leurs municipalités, en créant leur propre ville privée afin de fournir les meilleurs services publics à leurs résidents. Cependant, le terme de gated communities est peu adapté à la réalité française, car les déterminants communautaristes (au sens de se rassembler entre pairs) y sont moins importants que la volonté d’exclusion (éviter certaines catégories de population, bruyantes ou dangereuses) : ce type de quartier pratique une ségrégation volontaire, un retrait de la société. C’est en partie ce que leur reprochent leurs détracteurs. Ce qui s’en rapproche le plus serait les cités fermées pour faire face à l’insécurité ainsi que dans les « villas urbaines » et résidences privées que l’on retrouve en cœur de ville.
gated community
caractéristiques typologiques :
Tracer des rues en courbe permettant de maintenir de faibles densités mises en valeur de l’environnement naturel une réglementation qui garantit stabilité et homogénéité sociale une combinaison de sécurité et d’exclusivité.
1
In Fortress America: Gated Communities in the United States by Edward J. Blakely and Mary. Gail Snyder. Washington, DC, Brooking Publications, 1997. 208 pp.
Le quartier est le cadre toujours perpétué d’un processus de substitution : inlassablement une population installée se fait envahir, ou relocaliser, laissant la place à une autre. Les deux populations concernées doivent alors retrouver leur identité. La première tente tant bien que mal de recréer ses repères sur la base des autres, la seconde doit se soumettre, ou repartir sur des bases vierges. Parfois le même processus agit sur la population de substitution, et celle-ci sera encore étouffée ou remplacée par une classe plus élevée. Comment est-il possible alors que la notion de quartier se fasse limpide ? À peine les bases sont-elles créées qu’il faille en inventer d’autres. Comment peut-on stopper ce processus et doit-on le faire ? Il est primordial de considérer maintenant le point de vue des habitants contemporains
1I.b vers des outils de compréhension la perception du quartier en fonction de l’évolution de l’individu perception & âge
La perception du quartier par un individu est fonction et du contexte spatial et de l’évolution de l’individu : J’ai demandé à une personne née et ayant grandi dans le même quartier de me fournir sa carte mentale de celui-ci à diverse étape de sa vie. carte mentale du quartier
- enfance bon accueil
résidence école/gymnase/cantine centre social et équipements de loisirs rapport de voisinage fort (amis/famille)
charavelles
gra
nd
est
res
sin
cit
és ja rdin
s
leveau
portes de
Lyon
Il apparaît qu’avant l’âge de 10 ans, l’individu en avait une perception très restreinte : celui-ci était modelé par les contraintes imposées par les parents : « j’avais le droit de jouer qu’au pied de mon immeuble : les petits buissons qui l’entouraient étaient ma limite, au dehors se déroulait la vie et à cet âge il me semblait que l’espace qui m’était interdit était plein de promesses » ainsi que figuré par les espaces pratiqués par l’environnement scolaire.
profil du quartier d’estressin (isère) :
estressin
viens
Vienne : 30000 Habitants Estressin : 3800 Habitants Quartier périphérique avec forte dominance de logements sociaux : 790 HLM construits en1970
carte mentale du quartier
- adolescence
À l’adolescence, l’individu à développé une connaissance très poussée de son quartier : « les limites de notre “prison” s’étaient élargies » et chaque espace du quartier étaient les nôtres : un terrain de jeu géant ». L’individu pouvait alors dénommer chaque lieu selon un imaginaire développé collectivement avec les autres enfants du quartier.
vers
Lyon
lieu de travail saisonnier vers Vienne
Après cette phase d’appropriation l’individu, arrivé à l’âge adulte, à subit un mécanisme de dépréciation du quartier : « l’espace n’était plus à même de me combler : maintenant que j’étais mobile et à même de m’épanouir hors du quartier, la ville devenait plus enrichissante. » Sa perception et pratique du quartier ont dès lors fortement diminué, puisque l’individu n’était plus contraint d’y rester, et son regard n’étant plus celui d’un enfant.
carte mentale du quartier
- adulte
perception, lieu et mode de vie
J’ai ensuite interrogé une personne qui a quitté son lieu de naissance en Italie pour venir étudier à Paris. Cette personne à vécu près de la gare d’Austerlitz puis dans le quartier de la Chapelle. Les pratiques de l’individu divergent fortement entre les trois lieux de vie quartier de naissance - araceli (Vicenza) Ici encore, la percepperception enfance/adolescence tion du quartier a été configurée par les contraintes fixées par les parents et prends forme autour des usages que sont l’école, et les équipements sportifs et de loisirs. Les parcours sont soit pédestres soit cyclistes et configurés par les exigences des parents:« Mes parents ne voulaient pas que je franchisse la grande route qui avait un fort trafic.Je pouvais prendre le vélo que sur des axes Dans ce quartier, l’individu a développé de forts liens de sociabilité, du fait de la fréquentation des enfants de l’école. Les parcs constituaient des lieux de rencontres tant pour les parents que pour les enfants. Austerlitz : quartier résidentiel perception adulte
Arrivée à Paris, l’individu s’est installé en colocation dans le quartier d’Austerlitz, 5e arrondissement. Son quartier lui semblait « plus résidentiel, il n’y avait pas trop de vie » Du coup , aucun sentiment d’appartenance ne s’est développé : la plupart des activités étaient menées hors du quartier, et les usages se cloisonnaient au strict nécessaire relatif au logement : courses et laverie. Les déplacements dans le quartier sont de ce fait restreint , et on peut voir que la plupart mènent au métro ou au reste de la ville la chapelle : quartier pratiqué perception adulte
Après un an passé à Austerlitz, la personne s’est installée en couple dans le quartier de la Chapelle : « un quartier proche de mon école, je peux y’aller en vélo! » Cette fois les usages sont plus diversifiés et l’individu y passe plus de temps: « c’est peut-être le fait d’être en couple qui augmente ma pratique du quartier : on découvre le quartier ensemble, on s’y retrouve pour prendre un verre » confie-t-elle, puis rectifiant : « enfin avant j’étais en colocation et nous sortions tout de même ailleurs, cette fois-ci le quartier s’y prête plus » Sur la carte mentale, on s’aperçoit alors que le périmètre du quartier subjectif est assez restreint, mais que les déplacements internes sont plus nombreux. On comprend, et cela paraît logique, que la pratique et la perception d’un quartier sont sujettes à une multitude de facteurs : l’âge, les spécificités du quartier, les liens sociaux, la situation de l’individu... Ainsi, au même stade de sa vie un individu peut pratiquer son quartier de manière très différente voire opposée.
Qu’est-ce qu’un quartier ?
spatiale et/ou sociale distanciation
espace diffus
socialité
appropriation
différenciation
représentations
spatial restreint
la banlieue la périphérie ce qui n’est pas la ville un périmètre à pied autour du logement un petit ensemble d’habitations un village dans une ville un groupe dans le groupe là où vivent les pauvres
dif
-
perception
relatif à l’habitat
n.
n.
perso.
coll.
n.
une zone géographique, qui fonctionne indépendamment d’une zone plus large tout en participant au dynamisme de cedit territoire
n.
Ce dont on se rappelle de mémoire, la distance de son logement et des alentours, où l’on connait encore le nom des rues lieux que l’on connait bien où l’on à ses repères tout ce qui n’est pas anonyme dans notre entourage Espace vécu constitué de tous les espaces que tu fréquentes/investi régulièrement. Donc pas forcément près de chez toi. Je ne peux m’empêcher de l’associer à « MON » quartier soit proximité/sécurité/habitudes. le voisinage des gens se reconnait à l’ambiance humaine qui y règne
n.
n. n. n.
n. n.
des personnes qui se voient tout les jours, se rendent des services, se disent bonjour Ressemble plus à une constellation qu’à un secteur bien délimité. Vu qu’on est pas mal mobiles aujourd’hui, c’est tous ces espaces où tu as déjà connu une « sociabilité spontanée ». Espace de l’enfance, restreint, car imposé par les parents, mais de fait plus facilement appropriable. Quand on devient mobile, notre quartier s’agrandit : c’est plus un quartier, ça devient des espaces que je fréquente, des espaces dissouts dans la ville.
n. n. n.
n.
l’espace de transition entre le domicile et la ville Espace de représentation : espace caractérisé par un type d’activité particulière.
Question posée à 63 personnes âgées de 9 à 69 ans, venant d’univers sociaux et spatiaux difféLieu d’habitat : Paris intra-muros : 13 personnes Banlieue : 11 personnes Province dont résidentiel/lotissement : 10 personnes Cité HLM : 12 Lyon : 8 Campagne : 9
n.
Plusieurs réalités apparaissent : 1. le quartier : pas toujours perçu dans la double logique espace-société. Certains perçoivent le quartier comme un ensemble d’individus, ou comme des pratiques répétées en les détachant de leurs spatialités. La totalité des personnes m’ayant apporté cette réponse sont de jeunes étudiants dans la capitale (20 - 28 ans) À l’inverse, d’autres le perçoit seulement dans sa spatialité, comme espace différencié : un « périmètre » ou encore comme un espace défini : « banlieue », cette vision est celle de personnes tant jeunes qu’agées, la plupart issus de Banlieue ou de lotissements. Très peu m’ont parlé d’une temporalité : seulement 9/63 ont estimé que la vision du quartier évolué entre l’enfance et l’âge adulte. 2. dissociation espace intime/impersonnel La plupart des interrogés (24/63) évoquent le besoin de dissocier le quartier comme lieu de représentation (par exemple : « le quartier du Marais comme quartier LGBT ») de leur propre quartier. En somme il y’a le quartier qui représente un lieu de manière impersonnelle, et le quartier intime. « c’est des termes plus vastes, mais pour autant le mot quartier dans ces cas-là est assez impersonnel et pourrait être remplacé par “dans ce coin-là” alors que quand il s’agit de qualifier ce qui entoure ton chez toi, je ne vois pas beaucoup d’autres synonymes au terme quartier » 3. Une vision égocentrée, personnelle d’appropriation Le quartier est souvent perçu comme un espace de socialité, « un lieu d’échange » (29/63), mais finalement il est majoritairement évalué d’un point de vue individuel et non collectif. (38/63) « mon quartier », « les lieux que je fréquente ». Comme si chacun estimait le quartier comme une bulle intime que l’on transporterait autour de soi, avec nos propres paramètres de socialité. 4. Restreint ou diffus ? Les deux visions sont plutôt bien réparties. Lorsqu’une dimension intime est prise en compte, l’espace du quartier est souvent diffus. À l’inverse plus l’on s’émancipe de la notion, plus l’espace est restreint. 5. association quartier/habitat pas systématique Contre toute attente le quartier n’est pas tant assimilé à l’environnement proche autour du logement. Les personnes interrogées évoquent plus « l’échange », les « lieux » , « des personnes » des usages et fréquentations répétés. Seulement 22/63) évoquent le logement. 6. une notion dont on abuse ? Les personnes interrogées en études supérieures ont tendance à vouloir intellectualiser la notion ou manifestent le besoin de comparer leur perception à la définition courante. Les habitants les plus urbains (grandes villes) perçoivent le quartier comme « constellaire » voire inexistant, et s’ancrent dans un monde mobile. Enfin quelques personnes m’ont avoué qu’ils estimaient le quartier comme étant « un fantasme de bobo », ou encore « pour les personnes ayant besoin de retrouver une dimension domestique dans un ensemble urbain dont la taille les dépasse trop, c’est une manière de créer autour de soi un cocon. » 7. quartier d’exclusion ? Enfin certains (6/63) font l’amalgame quartier= ghetto de pauvre ou espace d’exclusion associé souvent à une idée de solidarité. Ces réponses m’ont été données par des enfants ou jeunes adultes, venant soit de quartiers périphériques, soit de la campagne.
le quartier la chapelle-Marx dormoy
quartiers historiques du
XVIIIème
/ paris XVIIIe
Le quartier la chapelle- Marx dormoy appartient au quartier historique de La chapelle- Aubervilliers. Il découle d’un découpage administratif correspondant au périmètre définit par les conseils de quartiers parisiens - et s’étend entre les deux enclaves ferroviaires du réseau Est et Nord et est délimité par le boulevard de La Chapelle au sud. Ce quartier fortement enclavé par des friches ferroviaires est un quartier populaire en forte mutation. Nous allons tenter de le comprendre, en étudiant son histoire, sa morphologie, sa vie de quartier ... Cette étude a pour visée de mettre en lumière les questionnements et hypothèses que nous avons élaborés jusqu’ici. La prise en compte du tracé administratif comme objet d’étude est volontaire. En effet, l’idée est de faire apparaître les failles ou la pertinence du découpage administratif d’un espace vécu.
LE MASSACRE DE LA CHAPELLE _ GRAVURE DE BERTHAULT _ 1791
historique du quartier :
Ancien village de la commune de Saint-Denis-La Chapelle, annexé en 1860 par Napoléon III : La Chapelle est caractérisée par la rue Marx Dormoy et la rue La Chapelle, qui suivent le cardo gallo-romain et constituent depuis toujours un axe primordial : en effet, anciennement route de l’Estrée : cet axe reliait Paris à l’Abbaye royale de Saint de Denis. Le village se constituera durant l’époque mérovingienne (475) grâce à la venue des pèlerins autour de la chapelle Sainte Geneviève ( qui abrite la dépouille de Saint Denys, le premier évêque de Paris, martyrisé en 272 sur la pente de la colline de Montmartre et en 1229 le village devient Paroisse. Situé sur la plaine de Lendit, le village connaitra une période faste et prospère du 9eme s. au 15e , grâce à ses foires fréquentées par des marchands venus de l’Europe entière1 exclusivement rural, le village de la chapelle est composé de commerces le long de la route menant à Saint-Denis. Elle comprend en 1814 un hameau celui de la goutte d’Or.
1
cf : Dictionnaire de Géographie ecclésiastique, 1849
Avec la révolution industrielle : la morphologie (et la sociologie) du village est profondément modifiée par l’arrivée en masse d’ouvriers venus travailler à Paris, mais ne pouvant y loger. Le village s’industrialise et abrite des imprimeries sur soie, laines, cachemire. C’est aussi l’arrivée du chemin de fer avec l’ouverture de la ligne Paris-Nord/ Lille en 1846, coupant le village en deux et créant une véritable césure avec le village voisin de Clignancourt. La même année voit la création de la mairie (sur l’emplacement de l’actuel Collège Marx Dormoy) entre 1836 et 1856, la population du village est multipliée par sept, passant ainsi de 4177 habitants à 33355 1
En 1860 Napoléon III, sous l’impulsion d’Haussmann, annexe les communes du Nord : une partie de la commune de la chapelle (tout comme celle de Montmartre) sera coupée. (correspondant aux territoires de la Plaine allant de la porte de la Chapelle jusqu’au Stade de France) Tout au long du XXe siècle, le quartier La Chapelle se développe à l’instar de Montmartre et subit d’énormes migrations. Dans les années 1980/1990, l’arrivée de la drogue et ses effets négatifs sur un quartier populaire marqueront fortement les esprits. On assiste à un fort sentiment d’abandon face à ce fléau de la part des habitants vis-à-vis des pouvoirs publics et de la mairie. Depuis une trentaine d’années, ce quartier - souvent associé à celui de la Goutte d’or qui lui est limitrophe - détient une très mauvaise réputation. Cependant depuis 2000, La Chapelle Marx Dormoy a subi de fortes mutations, qui ont permis d’en modifier l’image et la réputation, et des populations plus « bobo » commencent à investir le quartier. Ce changement à fortement était enclenché par la désaffectation des bâtiments ferroviaires, qui jusqu’alors créaient une enclave, et les nouveaux projets qui en découlent (ZAC Pajol, jardin d’Éole), ainsi que par l’intervention de la mairie de Paris et de la vie associative forte qui tendent à améliorer les conditions de vie dans ce quartier. (Politiques de la Ville, absorption des logements insalubres, projet vital’quartier permettant l’acquisition de locaux pour les commerces de proximité...) De nos jours, dans l’imaginaire collectif, La Chapelle est un quartier de Paris qui a gardé son aspect petit village. C’est au rythme du marché La Chapelle appelée le plus souvent marché de l’Olive que bat le cœur de ses habitants.
1.
Selon Cassini
périmètre des conseils de quartier
les dimensions d’une ville de la taille de Reims
191000
35450 la population du quartier équivaut à celle d’une ville moyenne
le quartier aujourd’hui
22890 BOULEVARD PÉRIPHÉRIQUE
BOULEVARD DE LA CHAPELLE périmètre d’étude
70% des logements en location
Étant enserré par les voies ferrées, le quartier souffre d’importantes coupures urbaines sources de nuisances (bruits, pollution). L’habitat demeure une question primordiale : en terme d’augmentation de l’offre et d’améliration de l’existant : 78 immeubles sont inscrits au plan d’éradication de l’habitat indigne. De plus les immeubles sont relativement ancien (la plupart ont été construits entre 1800 et 1914 ). Les logements ont une surface relativement faible : 40% des appartements font moins de 40m2. Sa population est relativement jeune, à faibles revenus (23100e/ménages) et en grande partie issue de l’immigration (28% contre 18% à Paris).
morphologie du quartier
Depuis les années 50, de nombreuses opérations immobilières ont été lancées. En 1999 une enquête publique à été menée suite à la présentation du projet d’aménagement de la ZAC Pajol et à la manifestation d’inquiétudes quant au devenir du quartier de la part des habitants. 1 (conditions de vie qui se dégradent)
< 1970
4.3 25
1971-1980
4.2
1981-1990
6.2
3.5
>1991
Une grande part de ces mutations sont réparties dans le tissu urbain sur des emprises industrielles, ferroviaires ou d’entreposages., et menées par des opérateurs publics de la Ville de Paris (OPAC, SAGI....). Aujourd’hui les potentialités d’évolutions sont limitée mais encore ouvertes sur les emprises ferroviaires et les parcelles à faible densité d’occupations. Un recensement effectué par l’APUR, démontre qu’environ 5 ha du quartier détiennent une faible densité d’occupation et pourraient être réhabilitées. Cependant la plupart de ces parcelles n’ont pas d’impact immédiat sur la morphologie globale du quartier. les dpur
Les dpur constituent un ensemble de parcelles comprenant des bâtiments en mauvais état. Ces zones sont destinées à accueillir de nouveaux programmes et aménagements publics. 3 zones étaient concernées à La Chapelle et ont déjà fait l’objet de réaménagement. Les projets définis en 1999 ont aujourd’hui été mis en place.
1.
Orchestrée par la Mairie de Paris et conjointement par l’APUR et l’agence TEL
Parts en ha des transformations opérées depuis 1954, sur la superficie totale des ilots d’environ 43 hectares. (hors voiries/emprises ferroviaires) D’après l’enquête publique de l’APUR, 1999
tissu urbain et traces historiques
rése
au f erré
tissu de 1808
Le quartier s’est composé autour de l’Eglise Sainte-Geneviève et de l’axe historique menant à la basilique Royale de Saint Denis (la rue La chapelle à partir du rond point) dont le traitement actuel de l’espace public occulte la vocation d’origine. Les immeubles hauts sont rares ou s’insèrent discrètement dans le tissu. Le tissu est composite et à dominante villageoise et rurale, formé sédimentairement. Le bâti s’est réalisé progressivement avec des substitutions sur un parcellaire ancien, assez largement maintenu. Les constructions sont donc fortement hétérogènes dans leurs aspects, hauteurs, densité et leurs états d’entretien. Les petits lotissements autour du marché de l’Olive forment une centralité locale. Les tracés ferroviaires concourent à donner une morphologie insulaire et donc remarquable au quartier. Les grands travaux haussmanniens sont restés en périphérie.
Gare de marchandises
tissu de 1818
tissu de 1830
tissu actuel
tissu de 1900
le sacré
Comme on a pu le voir, La chapelle s’est formée autour d’une fonction sacrée : les pèlerins venaient voir les ossuaires de Saint Denys à la chapelle Sainte Geneviève, où prenait la route vers l’abbaye royale de Saint Denis. Pendant plus d’un siècle, l’Église gère la vie du village, et organise les événements publics ( Foires de Lendit). Aujourd’hui le sacré n’est plus moteur de la vie du quartier, la plupart des églises sont ouvertes que très rarement (la messe du dimanche). Avec les populations immigrées, un édifice musulman et un édifice hindou ont fait jour. Les populations hindoues ne vivent pas à la Chapelle, mais ont recréé une véritable communauté dans le quartier avec restaurants, temple, et commerces de tissu.
confession catholique :
1
Eglise Saint Denys de la chapelle ( anciennement - La chapelle St Geneviève) 1204
11
Basilique Sainte Jeanne D’Arc 1964 Construite pour accueillir le vœu de Paris de 1914 en mitoyenneté avec l’église Saint-Denis, elle est dédiée à Jeanne d’Arc qui y avait passé une nuit en prière.
111
Eglise Saint Bernard 1854 Le conseil municipal de la chapelle décida la construction d’une nouvelle église, car l’Eglise Saint Denys ne suffisait plus à accueillir les habitants de la commune.
IV
Église Notre Dame de Chaldée 1992. Siège le la Mission chaldéenne en France. Le rite s’accomplit en araméen.
1 11
V 111
V VI IV
confession musulmane :
Salle de prière « Abdoulmatemple hindou :
VI
Temple hindou Sri Manika Vinayakar Alayam (Temple de Ganesh) Temple initialement fondé en 1983 dans le salon d’un particulier pour accueillir la venue massive des populations sri lankaise et indienne
équipements et espaces publics
Le quartier n’est pas riche en équipements : au niveau culturel il accueille une Bibliothèque, et deux salles de spectacles : équipements qui ont été apportés très récemment ( 2006 et 2013). La présence du 104 en périphérie reste une compensation qui n’est pas négligeable. En ce qui concerne les écoles, plusieurs établissements sont présents allant de la crèche jusqu’à l’IUT (qui vient d’être intégré à la ZAC Pajol. ) Soit en terme de statistiques: 29.8 etablissements/km2 dans le quartier la chapelle-Aubervilliers. L’accès aux loisirs est insuffisant. Les espaces verts étaient soit inexistants soit inadaptés. Les nouveaux jardins d’Éole renversent la tendance, mais de nombreux aménagements restent à faire (le petit square au pied du métro ne sert que de passage, et les autres sont inapropriables et trop peu présents). Le tissu fait qu’il y’a peu d’espace d’appropriation du quartier : La rue La chapelle est un axe de circulation à fort trafic, on ne s’y arrête pas, et outre la place du marché de l’Olive et l’esplanade Nathalie Saraute, très peu d’espace public invite à faire halte.
IUT LYCÉE COLLÈGE ÉLÉMENTAIRE MATERNELLE CRÈCHE CULTURE SPORT RELIGIEUX JARDINS/SQUARES
les quartiers dans le quartier
QUARTIER DE L’ÉVANGILE
On peut constater que la notion de quartier est encore confuse : en effet lorsque l’on aborde un quartier parisien, on se rend compte d’un phénomène de mise en abime. Ainsi le quartier historique de La chapelle- Aubervilliers se scinde en deux quartiers : La chapelle Marx Dormoy et Charles Hermite - Évangile. Cependant lorsque l’on étudie de plus près, chacun de ses quartiers se décompose en sousquartiers correspondant à des ensembles mixtes d’habitations et d’équipements : le quartier Evangile, la Cité HBM Hermite... On parle même d’écoquartier pour nommer la nouvelle ZAC Pajol. Alors que celui-ci ne recoupe que quelques équipements, mais pas d’habitations fixes. Ces termes de quartiers sont utilisés dans des documents officiels de la mairie, quand est-il des habitants ? Comment perçoivent-ils leur quartier ?
QUARTIER DE L’OLIVE
ÉCOQUARTIER PAJOL
ECO QUARTIER PAJOL : le nouveau poumon vert de l’Est parisien ? Pour la plupart des habitants de la chapelle, la ZAC Pajol est une véritable fierté et le faire-valoir d’une renaissance du quartier. En effet l’image du quartier était assez néfaste jusqu’alors, et la construction de la ZAC avec ses équipements, ses jardins couverts, et le Jardin d’Éole inverse la tendance et s’inscrive dans une mouvance « durable » et redonne à la Chapelle le minima « vert » qu’il avait laissé de côté au profit d’industries et de gazomètres. Cependant, ce n’est pas tous les habitants qui participent à l’engouement : « c’est laid, et puis c’est un truc des politiciens encore, ce bâtiment n’a pas été crée pour nous! » me confie un homme d’une quarantaine d’années habitant le quartier depuis 15ans.
1 HALLE Programme : • Auberge de jeunesse de 330 lits • Salle d’assemblée/spectacle de 200 places qui sera partagée entre la FUAJ pour des assemblées/réunions, et un usage de salle de spectacles • Bibliothèque de 30 000 ouvrages située au nord du bâtiment • 1 100 m² de commerces en rez-dechaussée • 9 000 m² de jardins • une centrale solaire de 3 450 m² avec panneaux solaires 1 IUT - ile de France 1 COLLÈGE de 20 classes (600 élèves) 1 POLE D’ENTREPRISES - COGEDIM Programme : • 5 000 m² de bureaux pour PME/PMI • 200 m² de commerces Esplanade de 4 000 m²
Vie de quartier : politiques publiques, vie associative et regard de l‘habitant Aujourd’hui, les politiques publiques sociales, éducatives et culturelles peuvent s’appuyer sur un nombre croissant d’associations qui, en lien et avec le soutien de la Politique de la ville, tentent d’améliorer le quartier. À la chapelle le projet de territoire, travaille en concertation avec les acteurs du quartier en s’axant sur trois enjeux : la réussite des enfants et des jeunes, l’amélioration des conditions de vie des habitants en s’appuyant sur les transformations urbaines et, enfin, la lutte contre les inégalités sociales et la précarité. Il y’a eu effectivement un grand nombre de transformations urbaines avec notamment la résorption de l’habitat insalubre début les années 2000. Le maire du 18e Éric Lejoindre a le soutien d’Anne Hidalgo dans ses démarches d’améliorations. La vie associative est plutôt forte à La chapelle. Avec les habitants, les associations prennent d’assaut les espaces délaissés (Bois Dormoy et friche de la rue Phillipe de Girard) et tentent de se réapproprier le quartier. Ils sont aussi présents aux conseils de quartier, et fédérateurs de nombreux blogs ainsi que de divers événements mis en place pour promouvoir et redynamiser leur « quartier village ». ? Concernant la population, celle-ci est très mixte : allant de l’ouvrier ou fils d’ouvrier qui à vécu là toute sa vie, les populations issues des immigrations successives, ceux qui se sont retrouvés là par hasard, et la nouvelle population fraichement arrivée dans le quartier ses 5 dernières années. Cette mixité de population laisse place à des témoignages très divergents sur la perception du quartier. construire l’avenir du quartier
Des ateliers table ronde sur l’avenir du quartier ont lieux, organisés par la mairie du 18eme. Je me suis rendue à l’un de ses ateliers qui se déroulait dans l’auberge de jeunesse de la Halle Pajol en novembre 2014. En voici un résumé : Buffet à l’arrivée : « mettez-vous à l’aise, prenez un verre »; l’ambiance et l’accueil se veulent décontractés, mais un poil tendus. je prends donc part au buffet, mais on me demande gentiment d’aller m’inscrire dans la salle d’à côté. Je m’y rends, où une jeune fille m’accueille et me demande d’emblée « Habitante ou association ? » Le principe est simple : je donne mon prénom - « pour un peu plus de complicité », et le nom de ma rue, puis elle me l’inscrit sur un autocollant que je dois porter en badge. Puis on me demande de piocher un numéro de table, pour que la
NB : Il s’avère, suite aux entretiens effectués que peu d’habitants considèrent la Chapelle comme un quartier-village : ce terme revient surtout dans les propos des associations ainsi que de la part des nouveaux habitants.
mixité soit la plus totale. Après ces préliminaires, j’en profite pour jeter un coup d’œil à l’assemblée : à mon grand étonnement beaucoup de jeunes (20 - 30 ans ) , une majorité de femmes, quelques personnes âgées : « les anciens du quartier ». Il y’a du monde (une quarantaine de personnes, dont quasiment la moitié faisant partie d’associations); beaucoup se connaissent déjà. Cependant il semblerait qu’une majeure partie de la population ne soit pas représentée : j’entends par là, la population immigrée et populaire. Est-ce parce que ces populations ne sont pas sensibles à ce genre d’initiatives ou n’ont-elles pas été sensibilisées et informées ? ( Pour ma part, j’ai pris connaissance de l’événement sur le site de la mairie du 18e, mais je n’avais pas vu l’information ailleurs) La population présente semble être justement celle-là même qui vient d’arriver: attirée par les mutations qui se font jour dans le quartier, son côté « villageois », ses loyers bas (une moyenne de 6350€/m2 - soit parmi les plus bas de la capitale), et son potentiel à venir... Comme si tous ces gens souhaitaient mettre les bases de leurs propres quartiers. Venons - en à la table ronde : Les débats portent sur l’insertion de la nouvelle ZAC dans le quartier : « tout le monde s’y rencontre », « il ne faut pas baisser la tendance des événements qui s’y déroulent ». « Les Jardins donnent une vraie bouffée d’air au quartier ». Un habitant objecte que « ceux-ci ne sont pas encore très usités par les habitants ». Je tente alors de soulever une question : « ne pensez-vous pas que les Jardins partagés et le jardin couvert créent encore une enclave, par leur configuration ? (tournés vers les rails, ils ne sont pas si visibles pour ceux qui ne connaissent pas leur existence) Un acteur de la Mairie s’enquiert rapidement : “Nous avons mené une campagne assez forte dans le quartier, je pense que tout le monde les connait” On s’entretien ensuite sur les nouveaux projets d’aménagement en cours, la situation du Bois Dormoy ( une friche délaissée qui à été investie par une association du quartier pour en faire des jardins partagés) Les personnes présentes sont très motivées pour reconfigurer le quartier et aller plus loin dans l’image d’écoquartier, la création d’espaces de partage et d’événements permettant de se faire rencontrer. Évidemment leurs simples présences ici constituent une volonté de sociabilisation. On est donc confrontés ici à une population investie dans la reconfi-
guration du quartier. Cependant, la population présente ce jour-là ne constitue pas un échantillon suffisant pour pouvoir évaluer les mentalités des habitants face à leur quartier. Il m’était bien entendu nécessaire de m’entretenir avec cette autre partie de la population. Pour cela j’ai effectué une série d’entretiens, qui ne sont pas assez foisonnant pour constituer une analyse quantitative suffisante, mais qui nous apportent tout de même des informations qualitatives certaines. la population tamoule : un rapport au quartier très particulier
le temple sri manika vinayakar
cérémonie
fête de
Ganesh
- rue pajol
Je me suis rendue au Temple hindou Sri Manika Vinayakar Alayam pour assister à une cérémonie religieuse et pouvoir m’entretenir avec les Tamouls. Le lieu de culte est un local situé au 15 rue Pajol en RDC sur rue, la cérémonie se déroule à la vue des passants. Avant d’entrer, il faut laisser ses chaussures à l’extérieur. L’accueil est assez chaleureux même si la barrière de la langue se fait sentir. Quelques pratiquants s’étonnent de ma présence. La cérémonie dure un certain temps et il faut prendre part à plusieurs rites que les Tamouls m’invitent à suivre. Ils sont relativement fiers de me faire découvrir leur culture et me donnent un livret sur la Fête de Ganesh qui à lieu dans les rues du quartier pendant l’été. Il m’a été très difficile de communiquer avec eux et d’obtenir des informations sur leur vision du quartier et la place qu’ils y occupent : globalement ils passent la journée ici pour leur travail, ne vivent pas là, mais se sentent tout de même comme chez eux. J’ai donc effectué des recherches plus approfondies sur cette population, notamment à l’appui d’un mémoire sur l’interethnicité?: La population tamoule vis majoritairement en banlieues Nord et Est (Aubervilliers, Montreuil, Garges-les-Goneses), mais La chapelle constitue le nœud commercial tamoul à Paris : sa situation proche des Gares du Nord et de l’est est très favorable pour effectuer les trajets domicile-travail ainsi que pour faire du quartier une plaque tournante de la communication tamoule en Europe : lien avec l’Angleterre, importation des produits. La chapelle constitue donc un “microterritoire” pour ces populations. Ainsi habiter un quartier n’induit pas forcément le fait de dormir dans cedit quartier. Cette population, que l’on peut caractériser de diasporique à pris ses quartiers à La chapelle, en y transposant ses commerces (alimentaires/textiles/culturels) ainsi que ses lieux de prières. Cette population est la plus implantée dans le quartier, y possède ses repères et ses microcommunautés. Mais le quartier perçu des Tamouls ne croise que peut celui des autres habitants. Encore une fois la communauté, l’ethnie sont vectrices de forte sociabilité, mais celle-ci se limite en son sein.
Situations urbaines d’interethnicité : le cas du quartier de La Chapelle. Les Tamouls face à la population locale, Dequirez Gaëlle, mémoire de DEA science politique, sous la direction de Johanna Simeant, 2001 ?
Selon les travaux de Ma Mung ?, une diaspora déploie un rapport au territoire physique qui se caractérisent par l’absence de relations essentialistes, ainsi “les diasporas ont elles tendance à projeter leur identités non pas dans un territoire, mais dans une sorte d’entre-soi supraterritorial”. Finalement la présence de cette communauté rappelle que chacun transporte avec lui son quartier, et que la mixité culturelle et sociale n’est pas forcement porteur de vivre- ensemble. L’implantation de cette population dans le quartier est polémique : en effet, ils se sont fortement approprié l’espace public et sont considérés comme envahissants aux yeux d’une part de la population locale. entretiens
“mon quartier c’est le 18eme”, étonnamment c’est cette vision qui revient le plus souvent lorsque l’on demande quelles sont les limites de son quartier à un habitant de La chapelle. Pour eux, les enclaves visuelles créées par le Boulevard et les voies ferrées ne constituent en rien les limites du quartier. La plupart vivent ici au sens d’habiter : dormir et profiter des services de proximité. Cependant leurs activités s’étendent au-delà des frontières administratives du quartier, et leur sentiment d’appartenance se déploie à l’échelle de l’arrondissement. Bien sûr ce sentiment est surtout propre à ceux qui habitent le quartier depuis un certain temps (entre 5 et 20 ans selon les entretiens) En ce qui concerne les habitants plus récemment arrivés, les limites sont soit celles délimitées par les voies ferrées, soit celles qui constituent un périmètre plus ou moins large autour du domicile. Enfin deux personnes (sur 24 interrogés) ont évoqué la ville comme étant leur quartier : “il n’y a plus de frontières ni de vie de quartier à petite échelle : la ville aujourd’hui est trop diffuse. Enfin je parle surtout de Paris.”
5.
Ma Mung, la diaspora chinoise, géographie d’une migration , Paris, éditions Ophrys, 2000
Différents mutations se sont opérés jusqu’à aujourd’hui : Le religieux comme moteur de l’urbanisation et initiateur de le vie du village s’est estompé avec la fin des pèlerinages et le transfert des Foires en dehors du village. Puis l’industrialisation à créer une nouvelle morphologie avec l’enclave des voies ferrées, l’augmentation de l’activité économique avec les industries textiles et les gazomètres marquent aussi fortement le territoire et la population. La démographie du quartier augmente et la Chapelle devient quartier populaire, ouvrier. Dans les années 90 l’habitat vieillissant, insalubre et la montée du trafic de drogues finissent par donner une image négative au quartier Les années 2000 quant à elles métamorphosent la morphologie du quartier avec les opérations d’améliorations menées qui engendrent l’arrivée d’une nouvelle population plus intello (comme ce fut le cas du quartier Daguère dans les années 1970) Encore une fois nous nous apercevons que la place du sacré à été le moteur de l’élaboration du village, bien qu’aujourd’hui il ne soit qu’un décor. En l’étudiant de plus près les failles d’un découpage arbitraire apparaissent : en effet le découpage administratif ne recoupe en rien le quartier : celui-ci n’est qu’une dénomination et un moyen de préhension. Celui-ci se constitue de sous-quartiers plus ou moins mouvants, selon l’échelle du lieu et les populations qui le composent. Il ne faut pas oublier que les frontières du quartier sont établies par les usages, les trajets, les appropriations des habitants. iI s’agit d’un espace social, qui est construit et n’est pas seulement un “donné” physique qui pourrait se décrire par des caractéristiques objecLes territoires politiques définis perdent de leur sens pour le citoyen. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure le quartier est un territoire qui « fait sens » pour l’individu.
in « Belleville, un quartier d’intégration, Migrations et société, vol. », n° 19,1992, Simon P.
III. Partie conclusive quel avenir pour le quartier ?
Nous avons abordé le quartier tant du point de vue théorique que pratiquent, en le faisant émerger à travers le temps, à travers les diverses sciences qui l’abordent, et à travers ses représentations. Il apparaît clair que la notion de quartier est brouillée, peut-être même obsolète. Ancrée dans un monde transfiguré par un urbanisme instable qui à puisse son origine dans les traditions nomades puis est passé de la structure du village, en passant par celle de la ville, de la métropole jusqu’à la ville actuelle dont les contours et les bases sont encore flous : ville globale, « cyberville ».., le quartier pris dans la tourmente de ces métamorphoses plus vastes, est directement touché, troublé.En s’émancipant des bases traditionnelles, il doit se reconfigurer ou mourir. La question se dessine alors : quel est son devenir ? un nouveau mode de ville
? Depuis les prémices de l’établissement des hommes dans les villes jusqu’à nos jours, il y’eut une succession de mutations spatiale et sociale, l’une induisant l’autre et inversement, qui ont bouleversé nos modes de vie et nos modes d’habités. Aujourd’hui il semblerait que nous soyons à un moment charnière entre deux paradigmes : le passage de la ville classique à la ville éclatée : ville globale pour certain, mégapole pour d’autres. Même si les avis et les termes divergent plus ou moins, les spécialistes se rejoignent tout de même sur ce point. Le passage du village à la ville, de la communauté à la société, en remplaçant le sacré par le divertissement et le loisir comme pilier de la société, en passant de l’individu ancré dans un tout à l’individu libre et détaché des ancrages territoriaux, il y’eut de multiples étapes de transformations. Sous l’influence de la mobilité, le développement d’un capitalisme cognitif (centré sur les services, la production intellectuelle et sur les nouvelles technologies) et l’individualisation de la vie sociale, une discontinuité avec la ville à été enclenchée : deux constats, l’un spatial et l’autre social, font jour. Le premier c’est l’éclatement de la forme classique des villes (du moins occidentales) par l’étalement de l’urbain, le développement des périphéries, et l’implantation des centres commerciaux avec la concurrence des centres .Le second la fin de l’idée de société puisque celle-ci ne repose plus sur les mêmes référents que par le passé). Les individus sont donc « divisé entre une logique d’appartenance culturelle fondatrice et une logique consommatrice dans un univers où tous les choix deviennent possibles »
In la ville des individus, Olivier Chaldoin, édition l’Harmattan, 2004
Ces faits sont selon les avis, soit le produit du divorce entre les acteurs et le territoire par une dissolution des repères territoriaux traditionnels soit le produit des conduites menées par l’individualisme qui signent la séparation des deux termes et renvoi la symbolique urbaine à l’état de non-sens. Le social et le spatial sont de ce fait en rupture, la continuité entre ces deux réalités est remise en cause et ne parait plus si évidente. Cette idée transparaît auprès des personnes entretenues : « je n’arrive pas à parler de quartier, je parlerais plutôt de « lieux que je fréquente » m’avoue Marie, 32ans, Parisienne. La vision du quartier en pâtit donc : jusqu’alors le quartier pouvait être perçu comme une interface entre le logement et la ville, mais aujourd’hui il est diffus, et souvent indisocié de son ensemble. Cela est totalement novateur, car malgré les divers changements de paradigmes opérés au fil du temps, social et spatial marchaient de pair. C’est ici que les avis divergent le plus fortement : certain pense que la ville est morte (et les quartiers avec) et qu’il faut donc penser de nouveau mode de vie en composant avec la rupture entre social et spatiale. D’autre pensent qu’il faut rétablir le lien en créant de nouvelles relations entre les acteurs et le système tout en prenant en compte le caractère pluriel de l’expérience sociale et reconfigurer les relations entre individu et territoire. de la ville classique à la mégapole
Olivier Chadoin dans son ouvrage la ville des individus attribue à la ville classique trois fonctions principales : régulation, intégration, socialisation : Le territoire est ici compris comme lieu d’attachement et support d’appartenance constituant un repère à la construction de l’individu : celui-ci « se reconnait et s’identifie dans les symboles et les repères que lui offre l’espace aménagé. » La ville classique est donc conçue comme une machine capable à la fois de créer de l’identité individuelle et commune, tout en ingérant les différenciations qui peuvent naître en son sein : « la ville fonctionne comme un tout intégré qui est capable de réguler les différences sociales, de fabriquer de l’identité commune et d’intégrer les individus à ce tout. Pour prendre une image simple chacun est dans son quartier (régulation), mais tout le monde appartient à la même ville et fréquente les lieux communs que sont les espaces publics et le centre , que ce soit pour s’y rassembler ou
pour protester (intégration), enfin chacun est avant tout un citadin de sa ville (socialisation) » cependant la figure moderne de la ville comme incarnation physique de la société semble s’épuiser, et les nouvelles formes urbaines mènent inévitablement à l’éclatement. Jusqu’alors nous spéculions sur la capacité de la ville à créer de l’identité, et à résorber les problèmes liés à la différenciation sociale. Si la ville éclate aujourd’hui c’est bien entendu le fruit de l’évolution et de la modernité, mais c’est peutêtre aussi, car nous avions projeté en elle trop d’espoir. La ville change donc, mais comment la nommer? « Ville d’archipel », « cyberville », « Citta diffusa », « Ville globale »... François Ascher qui s’est beaucoup interrogé sur le devenir du quartier et des villes faits naître le terme de mégapole : « au-delà de la ville », la ville se diffuse donc hors des limites, et il en va de même pour le quartier. Le temps prime donc sur l’espace, et la forme privilégiée devient le réseau. : « structure permettant d’améliorer et de maximiser le nombre de liaisons dans un monde qualifié de “connexionnistes” »
une relation individu/territoire brouillée
En partant du constat de l’érosion de la base socioterritoriale des quartiers qui s’est avéré, comme on l’a vue dans la 1ere partie, suite aux évolutions successives de l’urbanisme, « les citadins, de plus en plus autonomes et mobiles, partagent avec ceux qui habitent à proximité de leur domicile des relations sociales de moins en moins nombreuses, variées et redondantes. » Ainsi les voisins sont de plus en plus rarement des collègues, des amis d’enfance, des partenaires d’activités collectives. La proximité spatiale n’est plus a priori corrélée avec une intensité relationnelle. Bien entendu les habitants d’un même espace entretiennent toujours des relations sociales, mais leurs rapports ne s’établissent tout simplement plus sur les mêmes bases qu’autrefois. S’ils habitent un quartier, ce n’est généralement plus parce qu’ils en sont originaires, mais parce qu’ils l’ont choisi ou parce qu’ils leur a été plus ou moins imposés. L’habitant ne se caractérise donc plus par « son quartier », son lieu de vie ne génère donc plus d’identité individuelle et sociale ni de sentiment d’appartenance. Les individus passent donc plus de temps chez eux où hors du quartier pour tisser leurs relations, et le quartier devient transitoires, annexe. Cela n’est pas toujours vrai selon les catégories de population, et le phénomène touche surtout ceux qui ont l’accès à une mobilité développée. Cette évolution vers un individualisme fort dans les quartiers est souvent refusée, voire niée, notamment par les élus communaux, qui en prennent pour preuve le développement de la vie associative. « En fait, l’évolution de celle-ci est très inégale, beaucoup d’associations ont une activité
Luc Boltanski & Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999 Ascher, François (1998), La République contre la Ville, Paris, de l’Aube, coll. « ’Société »,
très épisodique et leur taux de mortalité est très important. Toutefois, il est vrai que l’on assiste dans certains quartiers à une dynamique associative locale, en particulier pour l’organisation de loisirs et pour la défense d’intérêts locaux. Mais cette vitalité associative, très relative, et aussi le symptôme de la disparition des relations sociales de proximité largement informelles qui existaient autrefois et que les associations s’efforcent aujourd’hui de compenser. » nouveaux acteurs & nouveaux paramètres
Dans cette nouvelle ville (qui émerge surtout des grandes villes) trois types d’individus peuvent prendre forme : l’individu retrouvé (retour des identités) l’individu libre (sans attaches et libre de ses choix) l’individu hybride (individu multiple, éclaté ,»bricolant lui-même son rapport au territoire en mixant des repères anciens à des nouveaux, voire en en inventant de nouveaux. » Avec la diffractation de la ville, les lieux se segmentent, et l’on se demande alors où peut se construire l’identification commune des individus. Comme l’illustre Paul Blanquart : « A force d’être étiré, on craque et on change de nature », la relation de l’individu au territoire, qui participait à notre construction identitaire, n’est plus stable dès lors qu’une déhierarchisation de la vision traditionnelle du monde l’ébranle. Les partitions spatiales ne sont plus si évidentes par « la multilocalité et la multiappartenance », et l’identité de l’individu tend op.cit.7
de la hiérarchie spatiosociale à la hiérarchie spatiotemporelle
Ce qui affecte le plus la vie citadine,, c’est surtout le changement d’échelle qui s’est opéré par le développement des réseaux et moyens de déplacement. La réduction ainsi faite des distances à fini par ébranler nos références spatiales. L’échelle spatiale qui nous orientait jusqu’alors s’est transfigurée en échelle temporelle. Selon Zygmunt Beuman : ce changement de paradigme entraine une nouvelle hiérarchisation des hommes qui se baserait sur le degré de mobilité, soit la liberté ou non de choisir l’endroit où l’on vit. En haut de la hiérarchie il y’aurait donc ceux pour qui l’espace n’est plus une contrainte et qui peuvent se déplacer librement tant de manières réelles que virtuelle. Ainsi le degré de mobilité inclus également une idée de connexion forte par la maîtrise des nouvelles technologies. En bas prendraient place les individus pour lesquels l’espace constitue toujours une enclave, ceux « cloués à la localité, qui ne peut se déplacer » et donc enfermée dans l’espace réel. Il est cependant difficile d’estimer qui appartient à l’une et l’autre catégorie, justement par l’apparition du facteur « virtuel ». En effet un enfant, cloisonné dans l’espace réel que lui imposent ses parents,
Op.cit.7. Paul Blanquart, in une histoire de la ville, Paris, Éd. La Découverte, 1998. In ville Emergente, Geneviève Dubois-Taine et Yves
ne peut-il tout de même pas accéder à une mobilité virtuelle tout aussi poussée que celle d’un adulte ? Nous n’entrerons pas dans le vif du sujet, mais cette idée de nouvelle hiérarchisation fait naître de nouveaux questionnements, et on se demande même si la dialectique espace-temps est encore de rigueur. Pour en revenir à cette théorie, le schéma ancestral se répète : une hiérarchie sociale à la différence qu’ici la différenciation sociale n’est plus spatiale, mais temporelle et un motif d’exclusion:l’immobilité. Ce qui change vraiment dans le schéma c’est surtout le passage d’un univers centripète à un univers polycentriste. du centre fondateur au polycentrisme
Dans cette nouvelle forme urbaine, le centre n’est plus le lieu d’attraction et le point commun de regroupement social. Dans les civilisations ancestrales (comprenant les civilisations préurbaines) le centre était, comme on l’a vu, le lieu de rencontre privilégié et détenait une valeur sacrée. Dans les civilisations antiques, même si le sacré à été relégué en dehors des frontières de la ville, le centre détenait toujours une valeur d’aimant, centre névralgique de la vie sociale. Aujourd’hui le centre devient un point du réseau qui se développe de manière fractale. Il se fond dans la masse, se dissout dans l’espace. « L’ancrage local perd de sa consistance en matière de classement social et le lieu de résidence apparaît comme un “pivot” à partir duquel se déploie un usage éclaté de l’espace qui prend l’allure du libre choix. De cette façon c’est la notion de centralité elle-même qui est bousculée et elle se diffracte en de multiples figures : centres commerciaux, centres de loisirs [...] comme si, à la vile ancienne, comprise comme sédimentation progressive des valeurs domestiques, civiques, industrielles et commerciales, se substituait une séparation radicale des sphères prenant chacune son autonomie et nous offrant par-là même une nouvelle ville faite de la juxtaposition sans communication de ces valeurs, sinon du vide. »
Vers des reconfigurations ? Tous ces changements affectent donc, logiquement, à la fois la spatialité, la vie sociale, et les concepts d’identité et d’appartenances.Il s’agit donc de construire une nouvelle identité territoriale, et « d’interroger les principes par lesquels les acteurs parviennent à construire un principe d’unité et de continuité dès lors que ces derniers ne sont plus fournis par le cadre urbain » Les écrits se focalisent souvent sur la vaste échelle de la ville, mais le quartier ancré dans ce tout, subit les mêmes bouleversements, il en est même la cible phare. Conscient de cela, certains spécialistes de la ville proposent de recoudre un vivre ensemble par le retour à la ville compacte européenne. À l’échelle sociale, on mise sur la capacité des acteurs à s’engager politiquement et à construire des relations de voisinage et de proximité, à s’ouvrir à l’autre. On comprend donc l’essor des démocraties de quartier, l’investissement de plus en plus poussé
des politiciens envers celui-ci et l’émergence des écoquartiers, avec des notions comme le « do it yourself » et les jardins partagés. « Or, on sait bien qu’il n’y a pas de causalité mécanique entre proximité spatiale et distance sociale. » Si l’on se résout à la coexistence d’un tissu urbain fait de fragmentations et de compacité, la question est donc de maîtriser ces nouvelles formes urbaines. Nous avons parlé plus avant de la question de mobilité comme nouvelle hiérarchie sociale, mais si elle est bien l’un des enjeux forts de nos nouveaux modes de ville, elle n’en est pas pour autant la finalité. En effet l’accès à la mobilité ne résout en rien les problèmes sociaux qui se développent actuellement. Par exemple si on en revient au quartier de La chapelle : celui-ci est bien ancré dans un réseau de transports performant, mais cela n’aide en rien à la résorption des ségrégations. De plus la vie associative y est assez développée, et les politiques engagées, mais tout cela ne concordent pas à créer un vivre ensemble très poussé à l’échelle du quartier: est surtout créée l’illusion portée par la gentrification. Alors entre la non-intervention et le retour à la ville compacte européenne, quel serait le compromis ? La ville connexionnistes est l’épure de la ville fantasmée d’avant-garde: la ville cybernetique de Schöffer, les walking cities : villes mouvantes, les mégastructures de Friedmann... mais personnes n’avait imaginé les perturbations qui en découlerait. Pour certains, il s’agit de prendre conscience que le quartier n’est pas/plus un lieu de vie exclusif, un « village dans la ville », mais qu’il revêt des configurations plurielles qui s’inscrivent dans des manières de cohabiter et de vivre en ville. Il s’agit donc d’agir en conjuguant les paramètres actuels : ancrage et mobilité, proximité et ouverture en conservant la différenciation spatiale et sociale. Qu’advient-il de l’individu ? En théorisant les phénomènes qui régissent la ville actuellement, nous nous éloignons bien souvent du principal acteur : l’individu/habitant. Doit-on miser sur le réveil de l’individu/habitant, qui conscient de sa perte d’identité, va s’octroyer le droit à la ville ? Celui-ci perçoit-il cette perte de repère ? Est-ce un trouble pour lui ? Doit-on se battre pour faire ressurgir le quartier ou estimer qu’il n’a plus sa place dans les grandes villes ?
Les citadins et leur quartier (en France) : représentations et usages AUTHIER Jean-Yves, Professeur, Université Lyon 2
Écoquartier : solution durable ou nouvelle utopie urbaine ?
les
Dans ce contexte d’étalement urbain et en attendant l’hypothétique rupture de notre mode de développement, l’Europe recherche un nouveau mode de ville avec comme toile de fond une dimension d’actualité : celle du développement durable. C’est alors que l’échelle du quartier revient au premier plan.
3 piliers de l’écoquartier
environnement
social
« À partir d’une certaine densité, le quartier permet en effet de développer des synergies entre l’habitat, les emplois, les commerces de proximités, les offres de loisir, ce qui peut contribuer, dans une certaine mesure, à la demande de déplacements. »
Depuis une vingtaine d’années donc, une alternative au quartier « classique » fait jour, et se cristallise dans les Écoquartiers : terrains d’expérimentations riches et à vocations multiples. Ainsi ce nouveau type de quartier se propose de résoudre à la fois la question environnementale, économique et sociale. Et il semblerait même que le social et le spatial se réconcilient. La gestion et maîtrise des ressources, un savoir-vivre ensemble retrouvé avec l’émergence - résurgence ? - d’un individu « libre et responsable » : « l’écoquartier est donc perçu dans un sens d’économie globale aussi bien des ressources individuelles que de la planète. » Chaque projet à d’ailleurs la vocation d’apporter des réponses locales à des questions globales : comme l’indique le ministère de ... « Un Éco-
économie
quartier est un projet d’aménagement urbain qui respecte les principes du développement durable tout en s’adaptant aux caractéristiques de son territoire. plus qu’un quartier : un label
la solution miracle?
Pour promouvoir ces principes, l’Etat a lancé dès 2008, la démarche EcoQuartier, concrétisée en décembre 2012, par la création du label national EcoQuartier. « Un EcoQuartier doit donc respecter tous les principes du développement durable par la nécessité de faire du projet autrement, en impliquant tous les acteurs de la ville, du citoyen à l’élu, mais aussi par l’offre d’outils de concertation et de suivi pour garantir la qualité du projet dans la durée et à l’usage. » L’écoquartier s’érige aussi comme une révolte contre le gaspillage de terrain et la monofonctionnalité du quartier (répercutions qu’ont eu les lotissements de maisons individuelles en périphéries urbaines et campagne) Il serait une réponse salutaire au paradoxe entre l’exigence de densité et la demande d’habitat individuel, dévoreur d’espace et d’énergie : en effet l’une des visées est d’associer densité du territoire à mixité des fonctions. offrir un cadre de vie riche et pluriel, mais aussi de lutter contre les déplacements contraints : « La ville compacte génère des comportements de mobilité plus favorables au développement durable, explique Francesca Magrinya, professeure à l’Université Polytechnique de la Catalogne, dans la mesure où elle est plus efficiente en ce qui concerne l’utilisation des ressources matérielles et énergé-
Définition du ministère du Logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité / Déclin et survie des grandes villes américaines, Jane Jacobs, 1961, Article de Denise Bourdier, Jean-Loup Msika et Luc Dupont, http://www.urbanisme.fr/issue/magazine.php?code=375&section=AGORA Revue Vues sur la Ville, UNIL, Institut de Géographie de l’université de Lausanne , N° 20. Mai 2008
tiques, minimise les nécessités de mobilité motorisée, et surtout, est moins intensive en termes de consommation du sol » L’écoquartier semble alors porteur d’un remède contre les maux actuels et futurs. Pourtant, et malgré des qualités indéniables, l’écoquartier recoupe tellement de dimensions qu’il paraît difficile de les mener toutes à bien et de sérieuses limites émergent à commencer par le volet le plus mis en avant : l’écologie. des limites avérées
« Est écologique ce qui traite les relations, car elles seules sont capables d’entretenir la biodiversité. Si l’écoquartier permet des synergies en son sein, il n’entre pas en interférence avec l’extérieur et en cela, ses objectifs sont vains dès le départ », déclame l’urbaniste Thierry Paquot. À la fois détaché d’un ensemble et perméable au cours normal du monde, l’écoquartier est pour certains écologiquement vain. De plus ceux-ci prennent forme grâce au soutien financier ou politique des États et des fonds de l’Union européenne ; ces deux échelles sont en effet soucieuses du contexte mondial de concurrence dans l’innovation environnementale, et à la recherche de réponses au développement urbain durable. Cette multiplication même revient sur le caractère expérientiel de l’écoquartier, et pose donc la question de sa pertinence réelle et profonde dans les réponses au développement urbain durable. Un écoquartier suppose aujourd’hui des investissements importants, et bien que ce concept se démocratise en un marché de l’habitat écologique, il n’est pas forcement reproductible à l’échelle de la ville ( 500 millions d’euros pour Vauban et 17 Millions pour BedZed) derrière cette question des fonds apparaît une inégalité forte : Aujourd’hui le développement durable est une vitrine pour les politiciens, l’aspect social est donc souvent omis au profit de l’environnement : « Les innovations sociales n’ouvrent droit à aucune subvention » même si, comme le rappel Alain Cluzet:« Produire la ville pour tous est un enjeu de durabilité, mais aussi d’équité », D’un point de vue économique, un écoquartier cherche par exemple à faire vivre les commerces de proximité. Cette ambition louable se heurte pourtant aux paysages économiques locaux. « Par exemple, en Allemagne, 40% des chiffres d’affaires sont réalisés dans les quartiers, 30% en centre-ville, et 30% en périphérie. Le terrain est donc favorable. En France en revanche, ce rapport est respectivement de 10%, 20% et 70% en périphérie à cause de la localisation des grands groupes de distribution. La preuve dans le lotissement écologique des Courtils, à Hédé-Bazouges où le marché ne semblent
l’écoquartier englobe tellement de notions qu’ils sonnent comme une utopie participation engagement
bonne
des habitants
gestion
identité forte sentiment
bonne
d’appartenance
connexion
mixité des fonctions
quartiers
écologique
durables
cohésion
économie
sociale et
florissante
diversité équité
disponibilité
accessible
des services
à tous
source: www.ecobase21.net
D’après la définition de l’écologie énoncée par Ernst Haekel en 1866 Cyria Emelianoff, Alain CLUZET,Ville libérale, ville durable ? Répondre à l’urgence environnementale, « Écoquartiers. Les pionniers font école », in diagonal, n° 178, novembre 2008, directeur de l’Institut de géographie et de l’Observatoire de la ville et du développement urbain à Lausanne,
quartier Vauban de
quartier
Bedzed
Fribourg
pas répondre aux besoins des habitants, qui continuent de faire leurs courses à Rennes. » Pour en revenir au social, le phénomène de gentrification est facilement reproductible à l’échelle de l’écoquartier : la localisation et l’attractivité résidentielles des nouveaux quartiers peuvent susciter une pression immobilière qui exclut une partie de la population moins favorisée. Fait-on alors des « quartiers pour bobos » ? Selon Antonio Da Cunha cette critique est réductrice est la mixité sociale ne se calque pas sur la mixité résidentielle : « Les études sociologiques classiques montrent que ni l’homogénéité ni l’hétérogénéité sociale ne garantissent que les individus font « société ». Ainsi, même quand elle est programmée, la mixité sociale n’est ni aboutie ni utile. Une étude menée au département « Géographie » de l’ENS montre les limites de l’écoquartier Vauban de la ville de Fribourg : l’absence de mixité sociale y est reconnue par les habitants eux-mêmes, le quartier est en effet majoritairement composé de professions libérales, intellectuelles supérieures... Cette homogénéité sociale interroge l’ouverture du quartier sur le reste de la ville, et semble renforcée par les « barrières symboliques qui empêchent d’entrer dans ce quartier » « L’homogénéité sociale pose d’autant plus problème qu’elle est parfois présentée comme l’une des conditions de fonctionnement du quartier. En effet, il est bien plus facile de prendre certaines décisions, de faire certains choix, lorsque les façons de vivre et de voir le monde (ce que les sociologues nomment l’“habitus”) sont concordantes. » Si le quartier Vauban affiche des résultats environnementaux très performants, les objectifs sociaux restent donc en devenir , aussi la mixité fonctionnelle du quartier se heurte à la mobilité fonctionnelle : la grande majorité des habitants travaillent, et mènent des activités en dehors du quartier. Comme toute innovation, l’écoquartier subvertit aussi les usages… Pour Vincent Renauld, les écoquartiers reproduisent, au nom de la durabilité, ce que les grands ensembles des années 50/70 imaginaient au nom de la modernité : « C’est la norme technique qui façonne la norme sociale, on apprend à l’habitant à habiter. » Cette analyse pousse le chercheur à remettre totalement en question la démarche participative inhérente aux projets d’écoquartiers : « On est dans un processus ascensionnel, pédagogique, informatif, mais certainement pas participatif. Les habitants ne sont pas consultés, ils sont formés, de manière à combler ce hiatus entre nouveauté technique et usage. » Les écoquartiers ne remplissent donc pas tous les points avancés, et cela n’est pas si étonnant, car le concept se propose à lui tout seul de
résorber conjointement les problèmes sociaux, économiques, et écologiques. S’il sont planifier c’est surtout parce qu’il proposent « une alternative tangible à notre ville productiviste ». Les écoquartiers doivent donc être perçus comme des laboratoires expérimentaux plutôt que comme une solution ultime. Bien évidemment le problème réside aussi dans le fait qu’il n’est pas vendu comme tel par les acteurs du marché de l’immobilier et des politiques ... L’écoquartier révèle tout de même une conscience de l’état des villes et des changements de mentalités. L’association éco et quartier peuvent être très enrichissantes, mais cela nécessite une cohérence et une coordination entre les acteurs du jeu urbain, et entre les échelles de pouvoir qui agissent sur la ville. Finalement l’écoquartier tente de retrouver les vertus du quartier, cet espace de vie qui, sans avoir tout à fait disparu, pâtit toutefois de la mobilité et de l’individualisme. Beaucoup estiment qu’il n’a pas forcément la bonne échelle d’intervention , et n’est pas une solution généralisable tout en conciliant qu’il reste intéressant « comme un niveau pertinent pour expérimenter collectivement la mystérieuse alchimie du passage de l’intention à l’acte. »
urban sprawl : la réponse américaine
Les gated communities découlent tout droit d’un phénomène urbain qui émerge dans les pays à territoires vastes (Etats-Unis, Canada, Australie: l’urban sprawl. Dans ces territoires plutôt jeunes en terme d’urbanisation, celle-ci se poursuit par l’étalement urbain mettant en scène les figures de l’Edge city (pôle suburbain) et de l’Edgeless city (forme urbaine peu dense), et totalement régies par la circulation automobile. Ces nouveaux territoires délaissent la ville-centre - qui pourtant émit à l’origine de la dynamique économique de la métropole - et l’isolent dans le champ politique. « L’urbanisation se poursuit en dehors de toute notion de limite spatiale au détriment de l’environnement naturel ou encore du domaine rural, suivant le principe de la faible densité. Selon les chercheurs on passe alors de la « suburbia » de la période industrielle à l’exurbia. Avant l’économique était dans les centres-villes et la banlieue recoupait pour l’essentiel des fonctions résidentielles. Le phénomène d’urban sprawl est pour une part faite de l’hégémonie de la voiture, et d’autre part spécifique à la civilisation américaine qui de la ville interconnectée aux micron’a jamais vraiment valorisé la ville et ayant opté pour le principe des territoires autosatisfaits : banlieues comme référent social et politique depuis l’industrialisation. le tout n’est qu’illusoire et fruit d’un Avec cette organisation spatiale, quand est-il des quartiers de ville ? rapport densité de population/densité d’espace
Dans la ville typique des États-Unis, les quartiers sont autant de communautés, prétendument ouvertes. Et même si chacun est libre de vivre où il le veut, on s’aperçoit que les individus présentant des similitudes économiques, sociales et culturelles habitent dans les mêmes quartiers. À la lecture de Roderick D. Mckenzie de l’École de Chicago, les délimitations des territoires s’expliquent toujours par des faits bruts : usines à proximité, facilité d’accès, cours d’eau, etc. Le choix serait donc plutôt un non-choix ? La communauté fermée s’insère dans un tissu urbain tout aussi organisé, divisé en territoires homogènes qui forment autant de communautés. Celles-ci se rencontrent-elles ou le morcellement de l’espace recrée-t-il des microterritoires indépendants au sein du tout de la ville ? La croissance de cette nouvelle forme d’urbanisme peut inquiéter. On a tendance à penser la ville ouverte, lieu d’échange et de mixité sociale : mais que signifie ce retour au communautarisme ? Recrée-til le quartier ? L’ouvrage Les prisonniers du rêve américain éclaire les conditions d’apparition du phénomène : étalement, insécurité, ségrégation raciale ou sociale, hégémonie du marketing, privatisation de l’espace public… Dans l’environnement incertain des mégapoles où tout est
Robert Fishman, Bourgeois Utopias : The Rise and Fall of Suburbia, Basic Books, 1987 et Kenneth T. Jackson, Crabgrass Frontier: The Suburbanization of the United States, O.U.P., 1985 / Edge city est un terme inventé par Joel Garreau (1991) et edgeless city par Robert Lang (2003) 6.
démesuré et sans qualité, l’habitant préfère de petites communautés homogènes, entre village et parc à thème : autant d’enclaves privées, autarciques, structurées en réseau qui forment l’alternative à la ville traditionnelle. « L’espace civique partagé et libre se voit remplacer par des territoires morcelés, repliés sur eux et contrôlés : celui des gangs et des exclus ou celui des tenants du rêve américain. »
Los Angeles morcelée : la ville est tant de communautés qui s’inscrivent dans une ville où proximité spatiale ne rime pas avec proximité sociale.
https://d6ameriscape.wordpress.com/2013/06/05/1643/ Les prisonniers du rêve américain, Stéphane Degoutin
Après ce diagnostic de la mobilité accrue des citadins et de l’affaiblissement des « sociabilités de proximité » doit-on en conclure une éradication du quartier en tant que territoire et échelle des pratiques sociales? En effet délaissée par la plupart des citadins, « cette forme sociospatiale ne semble plus si importante et ne serait plus investie que par « les groupes “captifs” ou à la mobilité réduite […] : les jeunes enfants, les personnes handicapées ou âgées, une partie aussi des groupes “marginalisés” » (Ascher, 1995). Ce diagnostic n’est pas totalement nouveau et s’ébauche déjà depuis le début du 20eme siècle, notament avec Simmel qui émmet l’idée que la métropole ne se développe pas sur la base de la proximité (1903) puis par le sociologue Louis Wirth en 1938 qui prévoyait déjà la disparition du quartier.
Les solutions apportées par le XXIe siècle sont à la fois inquiétantes et prometteuses : En effet « dans les pays où la notion de durabilité ne s’est pas encore imposée, là où l’on s’étale (États-Unis), où l’on s’élève (Émirats, Asie), de grosses difficultés s’annoncent : de la consommation des ressources naturelles à la gestion des populations vieillissantes isolées dans les banlieues éloignées en passant par les coûts d’entretien des réseaux tirés sur des centaines de kilomètres, ou la maintenance d’équipements démesurés... » En Europe l’expérimentation des Écoquartiers est déjà plus proche des nouvelles réalités : ils développent en soi des logiques et des principes réflexifs qui s’érigent enfin contre le temps figé. Le quartier est pour la première fois abordé dans sa triangulation espace-sociabilité-temps. On sent d’ailleurs fortement la volonté d’abroger les erreurs du passé, mais avec cette volonté forte de « répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs » ne risque-t-on pas d’aller à son encontre ? En effet peut-on poser aujourd’hui les pierres d’un édifice qui fonctionnera demain ? N’at-on pas ici la même prétention que ceux qui ont érigé les grands ensembles ? En effet les Écoquartiers se doublent d’une démarche évolutive et « durable - avec toutes les limites qu’on lui à découvert, mais est-ce ce dont on aura besoin demain ?
Expression de Gro Harlem Brundtland, présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, cité dans le journal d’informations du puca plan | urbanisme | construction | architecture n° 16 janvier-juin 2008
Tous ses bons sentiments sont par ailleurs énormément réglementés. Peut- on prétendre encore une fois être capable d’apporter les bases nécessaires du vivre ensemble ? En imposant tant de paramètres, n’est-ce pas le meilleur moyen d’aller à l’encontre de l’idée initiale ? Chacun ne devrait-il pas avoir le choix de sa propre liberté et de son degré d’investissement ?
Un long chemin a été parcouru depuis l’entame de ce mémoire. À travers l’histoire de l’urbanisme et des civilisations, nous avons traversé les périodes qui ont accompagné l’évolution de l’individu, et vu naître les différents types de sociétés et concepts. Qu’en est-il maintenant du questionnement initial, le fil rouge de l’étude : le quartier est-il en adéquation avec notre temps? Nous avons vu dans la première partie que le quartier est né de la division et de la différenciation socioprofessionnelle. Il constituait, au départ un cadre permettant de hiérarchiser et d’organiser les hommes et l’espace. Aujourd’hui cet aspect est à reconsidérer: le périmètre du quartier à perdu en lisibilité, et celui-ci ne cadre plus rien si ce n’est de vieux concepts. En effet, au cours du temps, le quartier s’émancipe de la spatialité pour se dissoudre et s’évaporer dans la ville. Le quartier n’est plus une «partie d’un tout», le quartier s’interpénètre avec le tout. Les définitions sont-elles alors à revoir : le quartier semble de moins en moins s’apparenter aux «Environs immédiats, dans une ville, du lieu où l’on se trouve, en particulier le lieu d’habitation», selon les témoignages le quartier est souvent perçu comme des «lieux/personnes que l’on fréquente», mais l’espace n’est pas systématiquement défini, et encore moins circonscrit autour du logement. Paradoxalement le quartier évoque toujours un imaginaire fort, et se caractérise encore parfois par l’ambiance humaine qui y règne, et par une physionomie propre induite par ses fonctions,son contexte son univers. Que doit-on faire alors ? Modifier l’échelle du quartier et ses paramètres pour recontextualiser la notion et la rendre actuelle? Dans cette hypothèse: L’échelle du quartier devra être soit plus restreinte pour la rendre préhensile - à la mesure des conseils de quartier par exemple? -, mais cela semble implique un retour à des modes de vie plus ancestraux - Fixité, ethnicité... (nous y reviendrons) - soit plus virtuelle. Par virtuelle j’entends qu’il faut élaborer un nouveau système de ville en adéquation avec le contexte actuel: mobilité accrue, accélération du progrès technologique et cognitif, émergence d’un individu «nouveau nomade» et «citoyen du monde», détaché des ancrages territoriaux et familiaux. Mais la tâche n’est pas aisée, car si ces nouveaux paramètres existent bel et bien, il ne faut pas omettre que différents leviers de
vitesse régissent la ville et les hommes. Si certains se sont émancipés - du moins en apparence - de leurs besoins ancestraux, d’autres en sont encore fortement imprégnés. Il ne faut pas oublié, d’une part, que l’ancrage spatial, qu’il soit permanent ou ponctuel, a toujours été un besoin pour l’homme, et ce depuis la période préurbaine. Et d’autre part, un besoin de vivre ensemble ancestral qui nous a poussés, depuis toujours à s’établir autour de point de ralliement et de fête. il est vrai, cependant qu’aujourd’hui ces «points de ralliement» peuvent se virtualiser : réseaux sociaux, visioconférences, jeux en ligne, mais le besoin physique d’éprouver la collectivité reste ancré, et si l’homme paraît, selon Simmel, rechercher une «vie sans émotion où les relations avec autrui sont réifiées.», cela ne traduit qu’une réaction due à l’abondance de stimulation du phénomène urbain qui se fait de plus en plus excessif. Alors l’homme nourrit-il encore son identité par la confrontation émotionnelle avec les lieux et les gens ? L’emmurement des individus, dans le métro par exemple où tout un chacun se cramponne à son portable ou à son iPod, ne traduit pas justement une quête de vibrations prouvant un besoin d’entrelacer son existence avec autrui, prouvant que l’on est pas seul, mais reliés, ne serait-ce que virtuellement à d’autres consciences? La crise de la spatialité ne serait qu’une traduction d’une crise du lien social. Alors si l’homme, choqué, oublie d’être au monde, faut-il renouer «les consciences et les murs»? Avec l’opposition des sociétés traditionnelles et modernes, on a pu voir qui nous sommes passé de l’holisme à l’individualisme, est-il possible d’inverser la tendance, où la marche est déjà beaucoup trop enclenchée? On a pu voir que dans les sociétés traditionnelles, l’entre-soi était fondateur d’un vivre ensemble qui fonctionnait, mais qu’il impliquait une différenciation entre «les siens» et les autres. Aujourd’hui avec les migrations, le brassage des cultures, il n’existe plus en apparence cette différenciation. Du coup cette mixité serait- elle la cause première de l’érosion du quartier, comme espace de vivre ensemble? De plus les piliers qui liaient, autrefois, ensemble les individus: le sacré, la parenté, ont été relégués au second plan, et il devient extrêmement difficile d’estimer ce qui pourrait, de nos jours, constituer les piliers de notre civilisation. Dans un second temps, on a pu voir que le découpage administratif du quartier était trop arbitraire pour constituer un élément constitutif du quartier, même si les politiciens pour améliorer les conditions de vie, mais aussi pour servir leurs propres intérêts.
A chaque période de l’histoire, depuis l’exode rural qui eu lieu vers 1850, de nombreuses représentations du quartier ont émergé: le quartier-village qui puise sa force de l’univers ouvrier et populaire, les grands ensembles, les quartiers pavillonnaires... Cependant d’aucuns n’a réussi à créer un vivre ensemble pérenne - si ce n’est le quartier ouvrier, comme on a pu le voir notamment par le biais des enquêtes menées par Young et Willmott, qui a réussi, pour un temps à conserver un noyau familial fort sur une temporalité longue. (Ici, la vie de quartier s’éprouvait par la fixité des populations dans le temps et dans l’espace. Mais toujours, ce processus de substitution d’une population par une autre, ce processus de mobilité est arrivé à bout de ces entités, jusqu’à les faire mourir (il en est de Ainsi nos modes de vie ont subi de nombreux changements et nos modes de villes doivent s’adapter : on comprend très vite que le quartier à du mal à trouver ses marques aujourd’hui et qu’il faut mettre en place une nouvelle intelligence. De la civilisation nomade, à l’établissement des hommes dans des villages, du village à la ville, de la ville à la mégalopole jusqu’à la mégapole, l’homme à donc subit de nombreux changements de paradigmes. Comme nous l’avons déjà constaté, la notion de quartier qui constitue pour certains l’échelle appropriée à l’observation du groupement humain s’érode. Mais ce phénomène est évident: cette notion, par son caractère flou, paradoxal et ambigu n’est-elle pas, de fait, vouée à l’échec ? D’abord rationalisation pure et dure, le quartier est devenu tout à la fois ou successivement le lieu de la proximité sociale, le périmètre irréel d’un imaginaire collectif ou individuel, la façon de mettre un nom sur un lieu, et une échelle de gouvernance. Recoupant toujours, malgré les évolutions une dialectique sociospatiale. Il est primordial d’assimiler les évolutions historiques qui ont marqué l’urbanisme et la société pour comprendre le débat actuel sur le quartier. Ce tableau résume globalement la situation :
communauté
société
peu nombreux, courts, pas diversifiés, peu médiatisés, forts et multifonctionnels
Nombreux, de plusieurs types, évolutifs, forts, en voie de spécialisation
Très nombreux et variés, médiatisés et directs, fragiles, fortement spécialisés
Fermés à centrage local
Entrouverts à base nationale
Ouverts, multiples, en cours de globalisation
Institutionnalisées
Semi-institutionnelles Décidées
alvéolaires
Aréolaires
Réticulaires
Mécaniques
Organique
Commutative
régulations
coutumes
État de lois
Système subsidiaire, contrats
formes
À dominante agricole
industrielles
Cognitives
À dominante locale
À forte composante socioprofessionnelle
hybridation et typifications multiples
liens
territoires
actions structures
société hypertexte
sociales types de solidarité
économiques formes culturelles
d’après François ASCHER La Société hypermoderne ; ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs,ed. de l’Aube,2001,
Suite à cette étude, plusieurs constats me sont apparus: 1. LE QUARTIER COMME IMAGE MENTALE DRESSÉE À PARTIR DE L’ENFANCE Pour un enfant l’idée de quartier (comme espace de sociabilisation) semble plus préhensile que pour un adulte, car celui-ci n’a pas le choix de sa mobilité et donc un champ de sociabilisation restreint : pour un enfant le quartier est le lieu ou il exerce des activités avec les autres : c’est l’espace de jardin qu’il fait la liaison entre son immeuble et les immeubles alentours, c’est l’espace de la cour de récré, c’est l’espace de la rue. Finalement quand on parle de quartier on tente de recréer ces espaces de sociabilisation qui étaient possibles dans l’enfance, mais qui ne sont plus tout à fait palpables à l’âge adulte. Le « quartier » est comme une image d’Épinal que l’on tente - ou pas - de se réapproprier. 2. LE QUARTIER COMME FAIT DE SOCIÉTÉ Les sociétés archaïques traditionnelles semblent plus proches de l’idée que l’on a tissée du quartier, alors que l’on se positionne ici avant même la naissance de la notion, et dans une société où la hiérarchisation de l’espace n‘existait pas.Mais encore une fois ne sommes-nous pas en train de dresser un imaginaire sur ces sociétés que nous n’avons pas connues ? Le quartier paraît prendre forme dans la fixité temporelle, spatiale, et ethnique : facteurs qui ont disparu aujourd’hui, remplacés par la mixité, la mobilité (rapide et accessible) le progrès technique et les capacités de virtualisation et d’individualisation qu’il engendre. Ainsi quand la mobilité nous permet d’élargir nos champs d’action, l’échelle du quartier ne semble plus être un besoin. À l’inverse dans les groupements anciens : la mobilité réduite, voire inexistante, poussait à des rapports de sociabilités plus fort et au partage de l’espace. Quand aujourd’hui le brassage des populations : et l’éclatement du noyau familial dans l’espace semble constituer une barrière du vivre ensemble, dans les populations ancestrales l’ethnie était regroupée en un lieu avec un rapport d’équité : une communauté/ un espace / une temporalité. Aujourd’hui ces repères sont brouillés : on naît quelque part, on étudie ailleurs, et ainsi de suite : tout ce bouscule. En plus de cela on découvre de nouvelles notions qui n’étaient pas prises en compte par sociologie urbaine jusqu’alors : la partition de l’espace-temps : temps réel/virtuel, espace matériel / immatériel : quelles configurations sont apte à englober ces paramètres ?
L’individu doit-il encore se situer spatialement ? Ne composons-nous pas sur des règles qui ne sont plus les nôtres ? L’individualisation et la virtualisation des activités engendrent tant de nouveaux rapports. Si les enfants se rejoignaient au terrain de foot au pied de leur immeuble, aujourd’hui cela devient plus anecdotique, et ils préfèrent parfois tisser des liens sociaux dans le confort de leur appartement en jouant on-line. À la demande : « pouvez-vous me dessiner votre quartier ? », peu en était capable : est-ce trop abstrait ? Trop dur à définir ? Est-ce parce que le quartier n’est plus qu’une notion ? 3. LE QUARTIER N’EXISTE PAS « [Le quartier] n’existe pas en soi [et] n’a de réalité qu’à travers celui qui s’y trouve» finalement le quartier aujourd’hui ne serait ni celui définit lors de sa naissance officielle : « rationalisation de l’espace vécu et partition sociale hiérarchique de l’être humain » ni même celui définit dans l’imaginaire collectif : « espace de socialisation qui s’intercale entre l’échelle du logement et de la ville » . Le quartier aujourd’hui est à la fois la ville, l’immeuble, et le secteur au bas de l’immeuble, sans n’être aucune de ses trois sectorisations. Le quartier n’est ni spatial, ni mental, ni individuel, ni collectif, ni réel, ni illusoire. Il est métamorphosé, il est mouvant et imaginaire. Il est fonction de lieu, d’époque, d’histoire, de société, de contexte ... Il évolue en fonction des mutations qu’il subit physiquement, sociologiquement, culturellement, temporellement.... Et évoque à la fois des valeurs humaines fortes et des connotations négatives (Ghetto, stigmatisation) C’est comme s’il existait sans exister, révélant simplement une volonté d’intellectualisation de l’espace. « La tentation de glisser de la problématique de la politique et de la polis à celle de la civilité et de l’urbanité, du thème de la cité au problème des quartiers, de la sphère publique à l’espace public, de l’être ensemble à l’association locale, de la reconnaissance réciproque aux rencontres de voisinage… était si forte que fort peu y ont résisté, acceptant de jouer le jeu de l’amalgame entre le social et le spatial, entre la ville et la société dans son ensemble. »1
Par ailleurs, « la diversité des quartiers construits par chaque acteur confirme qu’aucune définition stable et pérenne ne peut être arrêtée pour le terme de quartier. Or c’est certainement ici que réside tout son intérêt : dans sa capacité à articuler des concepts très divers, parfois antithétiques, permettant ainsi de moduler la réflexion
1Gustave-Nicolas Fischer, Psychologie sociale de l’environnement, Éd. Privat, 1992
des politiques dans le domaine de la gestion sociale, et d’adapter les positions des acteurs locaux à la confluence entre leur intérêt et celui du local. » Revenons-en au postulat du quartier qui n’existe pas : si tel est le cas, il est cependant compréhensible que l’on se serve de la notion, aussi bien en tant qu’habitant, en tant que chercheur, en tant qu’acteurs, en tant qu’État... Le quartier peut être utile à la construction d’une identité pour les uns, peut « simplifier », rationaliser, dénominer l’espace pour les autres, il peut alimenter un imaginaire, aider à hiérarchiser, à gouverner, il peut être prétexte à sociabilisation... Que doit-on faire alors ? Fermer les yeux sur des réalités qu’ils nous éclatent au visage ? Et suivre, par exemple, la voie ouverte par Authier qui clame qu’il faut privilégier la représentation du quartiervillage, figure porteuse de sens et d’une identité même si cette réalité est « tronquée, qui tout à la fois idéalise le passé [du quartier], nie la complexité de sa réalité présente, et occulte toute une série d’enjeux relatifs à son avenir » doit-on au contraire suivre le constat qui se développe depuis le début du XXe s sur la fin du quartier ? En effet avec le diagnostic de l’affaiblissement des « sociabilités de proximité », le délaissement de cette forme sociospatiale du quartier qui « ne semble plus si importants et ne serait plus investie que par “les groupes ‘captifs’ ou à la mobilité réduite […] : les jeunes enfants, les personnes handicapées ou âgées, une partie aussi des groupes ‘marginalisés’” (Ascher, 1995) doit-on en conclure une éradication du quartier en tant que territoire et échelle des pratiques sociales ? Sommes-nous obligés de voguer entre ces deux extrêmes, n’y a-t-il pas d’alternatives ? Les groupements humains se sont établis autour de valeurs qui sont passées au second plan : le sacré est devenu divertissement, la communauté est devenue individualisme. Le mythe actuel est-il celui que nous voulons ? Notre société est pleine de paradoxes : du coup sommes-nous arrivés à un point où le poids de l’histoire nous fait flancher ? Il semblerait que les quartiers tendent à disparaitre non pas, car nous le souhaitons, mais simplement, car nous sommes une société dépassée et surchargée de notions qui ne sont plus les nôtres. Finalement j’ai l’impression que nous nous sommes inscrits dans une nouvelle forme de nomadisme avec la perte des ancrages et l’essor de la mobilité, cependant cela ne fonctionne pas surtout, car ces notions obsolètes nous entravent et que nous n’arrivons pas à nous en dont on émanciper. Ces constats sont bien entendu personnels et sujets à mutation : mon expérience et ma connaissance partielle du sujet ne peuvent en
aucun cas être suffisantes à l’élaboration d’une théorie structurée. Cependant, aujourd’hui, à la fin de mes études, je suis parvenue à élaborer par le biais de ce mémoire une pensée que je vais pouvoir modeler et ajuster au fil de mes expérimentations et découvertes. Avancer que le quartier n’existe pas et qu’il s’agit pour les acteurs de la ville (architecte-urbaniste-paysagiste-sociologue-anthropologue....) de ne pas le prendre en compte dans notre démarche n’est pas l’idée que je développe. Selon moi, il ne faut juste pas s’attacher à de telles notions, car toutes les notions que l’on use ont été élaborées à une époque donnée dans un cadre donné, et qui restent le facteur d’un enchevêtrement d’événements sociétaux et temporaux. Une notion me paraît être une étincelle qui meurt à l’instant où elle naît. Nous évoluons et le monde et l’espace évoluent avec nous de manière sine qua non. La question n’est finalement pas de savoir “ce qu’est un quartier”, ni de savoir si l’échelle est pertinente ou bien encore qu’elles seraient ses reconfigurations possibles. La question est peut-être plus de savoir comment intervenir sur des espaces inscrits dans une société, qui a déjà entamé sa métamorphose avant même et pendant même le moment où l’on tente d’intervenir. Pour conclure, ma volonté initiale était de comprendre la notion, la recadrer et parvenir à définir ses attributs. En cours d’étude je me suis rendu compte qu’il n’était pas question de définir les attributs du quartier qui n’est qu’une construction historique arrivée à un point de rupture. La formule groupe d’habitations + services + espaces publics + voisinage ne produit en rien le quartier. Le quartier comme espace vécu semble se cristalliser par la proximité, par des liens “ethniques” ou familiaux s’étant solidifiés avec le temps, et par l’absence de mobilité. En sommes un contexte qui se fait rare et tends à disparaître si on se place d’un point de vue politique le quartier et souvent l’amalgame de la pauvreté et de l’exclusion, et si l’on s’en tient au sens littéral : le quartier est division et hiérarchisation socioprofessionnelle. Mais finalement le quartier transfigure un besoin d’être au monde et d’entrelacer son existence à celle des autres. Seulement aujourd’hui l’adéquation spatialité/socialité ne suffit plus, et cela n’est pas du tout récent. Nous nous obstinons toujours à nous accrocher à une vérité, quel que soit le domaine, énoncé en des temps où les réalités étaient toute autre. Finalement le problème du quartier transfigure le problème des hommes, qui, en aucun temps, n’arrivent à comprendre les mutations répétées et continuelles qu’il subit, et qui ne parvient pas d’une part l’accepter, d’autre part à s’adapter au moment approprié.