Julie Carrière - Construire avec le paysage

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CONSTRUIRE AVEC LE PAYSAGE

S5-S6 – RAPPORT D'ETUDES ENSA M – 2014 – Enseignant : Harold Klinger – Étudiante : Julie Carrière



« Pour trouver sa place, le nouveau doit d'abord nous inciter à regarder d'un œil neuf ce qui existe. Quand on jette un caillou dans un étang, un peu de vase monte du fond puis se redépose ; ce phénomène est indispensable afin que le caillou trouve sa place. Mais l'étang n'est plus le même. » Peter Zumthor



REMERCIEMENTS 1 ____________________________________________________________________________________________________________

Je tiens, tout d'abord, à remercier Harold Klinger, mon tuteur pour ce rapport d'études, qui m'a suivie et aiguillée tout au long de l'année. Je remercie aussi tous ceux qui ont apporté à ce mémoire, par leurs conseils ou leurs points de vue. Et enfin, je remercie mes parents pour m'avoir transmis leur amour des grands espaces et des beaux paysages.



SOMMAIRE 2 ____________________________________________________________________________________________________________

Comment l'architecture suisse tente-t-elle de s'intégrer au paysage ?

I – Introduction ..................................................... 3 II – Préambule ….................................................... 4 1 / Le Paysage, définition 2 / L'état du logement individuel 3 / Pourquoi la Suisse ?

III – Ré-écrire …...................................................... 9 1 / Maison Gugalun – Peter Zumthor 2 / Maison k.ü – Wespi & de Meuron

IV – Ré-inventer …............................................... 25 1 / Maison familiale – Gigon&Guyer 2 / Maison Rudin – Herzog & de Meuron 3 / Maison Gobbi – Luigi Snozzi

V – Conclusion …................................................. 51 Bibliographie …................................................... 54 Iconographie …................................................... 57



I - INTRODUCTION 3 ____________________________________________________________________________________________________________

I – Introduction J'ai choisi de parler du rapport qu'entretenait la nature avec le paysage par amour pour la nature. J'ai aussi choisi de traiter ce sujet afin d'étudier plus en profondeur le rapport que l'architecture pouvait entretenir avec son environnement parce que je trouve que, bien souvent, les médias de diffusion de culture architecturale montrent assez peu le paysage qui existe tout autour. Je trouve cela vraiment dommage car tout projet démarre d'une situation, d'une position par rapport à l'existant, et c'est selon moi, ce qui fait la qualité d'un projet. De plus, lors de mon voyage à Bâle, j'ai été particulièrement frappée par le manque d'intégration dans un contexte de certains bâtiments que l'on a pu voir. C'est à ce moment-là que j'ai eu un réel déclic et que j'ai pu comprendre qu'il est nécessaire de toujours chercher à savoir comment le bâtiment s'insère dans un tissu ou un paysage existant. Enfin, depuis des années, je trouve que le mélange entre maisons de style « moderne » et de style « traditionnel » manque souvent d'harmonie visuelle. C'est pourquoi j'ai décidé d'étudier des maisons d'architectes dans un pays qui possède des paysages très présents afin de voir en quoi les concepteurs parviennent à s'insérer de façon réfléchie au paysage qui les entoure et cherchent à remettre en question ce qui existe. Selon Jacques Herzog, « […]cette avant-garde qui voulait, dans un sens positif, avoir une vision du monde et dans un sens négatif, exercer un contrôle sur les hommes, n'existe plus aujourd'hui. Ce qui signifie à la fois que nous n'avons plus de visions du monde et que notre vision est devenue autre : plus réaliste, plus dépassionnée, moins prophétique. » 1

1___Suisse, architectures contemporaines – Gianluca Gelmini – Ed. Actes Sud – 2010 p.15


II - PREAMBULE 4 ____________________________________________________________________________________________________________

II – Préambule

1 / Paysage, définition

Paysage (subst.masc.) : Ensemble formé par la nature, le bâti, la culture qui se compose un tout, qui traduit la spécificité d'un pays, d'une région. Le paysage, c'est ce que l'on perçoit, ce qui nous entoure.

2 / L'état du logement individuel

En ces temps d'étalement urbain, la question du logement individuel est omniprésente. Selon une étude PUCA1 de 2005, « la production de l’habitat individuel est majoritaire : environ 300 000 logements sont construits chaque année en France dont, depuis 1999, plus des deux tiers en habitat individuel . L’autonomie, l’authenticité, l’affichage identitaire et le rapport à la nature figurent avec la notion d’espace privé parmi les composants principaux de la demande » en logement individuel. Cette étude cherche avant tout à s'intéresser à l'architecture moderne lorsqu'elle s'inscrit dans la vie quotidienne. Il s'agit de comprendre la production des 20 dernières années, ce qu'il reste de la période moderne, qui a réalisé une avancée fondamentale dans l'évolution de l'architecture en général. Il est donc nécessaire de s'interroger sur l'évolution de l'enveloppe de la maison, sur son intégration à l'existant et son rapport au paysage, quand on sait que 330.000 maisons ² ont été construites en 2013. Comment éviter une architecture typique « de lotissement » ou de banlieue ?

1 2

Habitat pluriel : densité, urbanité, intimité - Site web PUCA – Février 2005 Le Figaro article « La construction de maisons individuelles s'effondre » du 11/1/14 par Jean-Yves Guérin


II - PREAMBULE 5 ____________________________________________________________________________________________________________

Je veux parler de l'évolution du logement, trouver des solutions proposées par des architectes pour que la production de maisons ne soit pas que des pastiches. Comment permettre à un patrimoine d'évoluer dans sa production de logements individuels ? Comment faire pour que la ville puisse évoluer sur le long terme, toujours avec un fort rapport au paysage ? Est-ce que les maisons d'architectes peuvent influencer la construction en France ? Comment allier « modernité » et « amour de la vieille pierre » ? L'enjeu est double : – comment construire de l'habitat individuel sans réaliser des pastiches ? – comment intégrer la modernité au paysage existant ?

Aujourd'hui, le mouvement architectural tend à chercher à retrouver la connexion entre le neuf et l'ancien, entre le contemporain et le traditionnel. Il s'agit de ne plus s'éloigner totalement du contexte mais d'ouvrir plus progressivement l'architecture environnante à un renouveau.

Pourquoi la Suisse ?

La nation helvétique, tout d'abord, n'a pas connu la guerre. Elle n'a donc pas connu de véritable rupture dans son histoire comme l'ont vécu d'autres pays européens comme la France. Les suisses n'ont donc jamais complètement rejeté la modernité, même si elle était loin d'être acceptée par tout le monde. Les architectes ont su garder leur culture tout en étant influencés par le travail de protagonistes du mouvement moderne tels Le Corbusier. Selon Martin Steinmann dans un entretien avec Jacques Lucan :« Une première motivation était le refus de la table rase, était de ne pas concevoir un projet indépendamment de son contexte, mais aussi de ne pas le concevoir d'une façon trop intuitive et romantique, en s'inspirant seulement des formes « trouvées » -comme on disait » sur le site. Il fallait donc mieux comprendre dans quelle structure le projet s'inscrivait, mais aussi quelle structure le projet proposait. » 1 1

Matière d'art – Architecture contemporaine en suisse – J.Lucan, M.Steinmann p.21


II - PREAMBULE 6 ____________________________________________________________________________________________________________

Selon Martin Steinmann, les architectes suisses ont une véritable réflexion sur la « fabrication de l'architecture » 2, c'est-à-dire qu'ils tentent de chercher une « architecture du vrai », à une architecture qui serait clairement compréhensible à tout un chacun. C'est dans cette simplicité qu'ils tentent de communiquer par l'usage des matériaux, de la forme, de la couleur. Ils associent des outils pour s'éloigner d'une interprétation littérale du contexte. C'est dans les volumes géométriques qu'ils parviennent à donner beaucoup d'importance aux matériaux et aux éléments qui composent les maisons qu'ils créent une forme lisible et facile à comprendre. Ils allient donc réalisme et abstraction : « Abstraction dans le fait d'utiliser « à d'autres fins » des matériaux ordinaires ; réalisme dans le fait de rester au plus près de ces matériaux mêmes. » 1

« Toute intervention dans le domaine bâti devient une irruption dans la ville, précédée d'une réflexion qui ne saurait se résumer aux considérations formelles / plastiques / fonctionnelles ou constructives limitées à l'échelle de l'édifice, mais doit s'ouvrir à des réflexions et des pratiques articulées sur l'échelle urbaine » Prost, 1998 1

De plus, le choix de la Suisse n'est pas un hasard : tout d'abord, la Suisse conserve une grande attention au paysage de par la qualité de ses paysages montagneux. Et c'est aussi un des rares pays qui a longtemps gardé la maîtrise complète de son projet, sachant que « même les menuiseries sont toujours réalisées sur mesure ». 1 Même si ces pratiques se perdent peu à peu quelques années après les autres pays européens, des mesures ont été mises en place pour veiller à la qualité des réalisations. Notons la nécessité d'obtenir un « Certificat de capacité cantonal » afin de pouvoir construire. Ce permis est attribué lorsque les autorités se sont assurées que l'architecte avait de bonnes connaissances théoriques et pratiques. 2

1 Conférence Quintus Miller – ENSAM « L'architecture c'est la mémoire » - 2013 2 Architecte en suisse – « Enquête sur une profession en chantier » – André Ducret, Claude Grin, Paul _______Marti, Ola Söderström – 2003


II - PREAMBULE 7 ____________________________________________________________________________________________________________

Notons aussi que les architectes helvètes, contrairement à d'autres pays européens, ont un rapport plutôt modéré avec la modernité qui prônait la « tabla rasa », et ont donc toujours accordé beaucoup d'importance à l'insertion d'un projet dans son environnement, qu'il soit construit dans la ville, dans un quartier ou dans une zone peu dense.

« Cette vision de l'architecture [fonctionnaliste] est aujourd'hui remise en cause tant par les experts que par les usagers. Les processus d'urbanisation observés de nos jours en Europe participent d'un modèle inspiré par la revalorisation et la requalification du cadre bâti préexistant, plutôt que d'un modèle d'expansion impliquant la démolition-reconstruction permanente des centres urbains et le développement de lieux d'habitation en périphérie. Ainsi, le respect de la valeur patrimoniale représentée par la ville apparaît-il, de nos jours, comme un fondement cardinal de l'identité urbaine. »1

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Matière d'art – Architecture contemporaine en suisse – J.Lucan, M.Steinmann p.13



III - RE-ECRIRE 9 ____________________________________________________________________________________________________________


III - RE-ECRIRE

III - RE-ECRIRE 11 ____________________________________________________________________________________________________________


1 / Maison Gugalun - Peter Zumthor – Safiental (Graubünden) – 1990/1994

Né en 1943 à Bâle, Peter Zumthor a un parcours professionnel très atypique puisque c'est en qualité d'ébéniste, sous l’œil avisé de son père, qu'il fait ses premières armes. Cette formation lui a permis de forger sa compréhension des choses, comment on les fait, comment on les dessine, comme elles sont assemblées. « Toutes [ses] maisons sont d'une certaine manière des meubles. » 1 C'est dans les années 60 qu'il étudie les Arts Appliqués à Bâle puis l'architecture à New York où il ne finira pas son cursus pour revenir en Suisse. Il étudie alors les fermes, des structures de lotissement, les précipitations, des formes décoratives de l'architecture au sein des monuments historiques du Graubünden (Grisons) entre 1968 et 1978. Il fonde son agence l'année suivante dans le canton. Ses influences sont d'une part issues des théories de Venturi et d'autre part issues de l'enseignement d'Aldo Rossi qui a ré-intégré, selon Zumthor, l'histoire de l'architecture dans le modernisme et l'émotion. C'est pour cela que la sensibilité de Zumthor s'attache à ce qu'il sait, à ses souvenirs, à ses perceptions. Il attache aussi beaucoup d'importance au dialogue entre le bâtiment et le lieu. Durant sa carrière, Peter Zumthor s'est vu décerné de nombreux prix d'architecture dont les prestigieux Prix Mies van der Rohe en 1998, la Praemium Imperiale en 2008 et le Pritzker Prize en 2009.

1 Rencontre avec Peter Zumthor – France Culture – Métropolitains (François Chaslin) - 2011



III - RE-ECRIRE 13 ____________________________________________________________________________________________________________

Entre 1990 et 1994, Peter Zumthor réalise la maison Gugalun - qui signifie « ressemble à la lune ». Il s'agit de l'extension et de la rénovation d'une ferme datant de 1708. D'une surface habitable de 120 m², cette maison comporte deux chambres, deux bureaux et un espace de séjour. Dans ce paysage alpin imposant, il a voulu garder la magie que possède ce lieu par la conservation du petit chemin qui rend la maison inaccessible en voiture, en prolongeant la crête bordée d'arbres à laquelle elle s'adosse et par la préservation des traces de l'âge. L'existant se composait de petites fenêtres, de portes et de plafonds bas. Afin de respecter ce qui existe, les choix de conception se sont portés sur une extension simple qui cherche les alignements avec les ouvertures et les éléments de structure existants et en ne gardant que l'essentiel. L'architecte a par ailleurs réalisé les murs dans un bois local pour qu'il puisse s'intégrer à l'existant lorsque le soleil l'aura noirci. C'est l'attention aux détails et aux éléments présents qui attestent de la rigueur du travail de Zumthor. Tout autant que ses connaissances qu'il a acquises lors de son apprentissage en ébénisterie et ses dix ans à étudier l'architecture locale au sein des monuments historiques des Grisons.



III - RE-ECRIRE 15 ____________________________________________________________________________________________________________

Dans le détail de liaison entre l'existant et le nouveau, le bardage bois transforme l'écriture originale en créant une continuité de la jointure des planches de bois existantes avec la tranche des nouvelles planches de bois (A). Dans un autre souci d'alignement, Zumthor aligne les éléments du garde-corps avec les tranches du bardage en bois (B). Un troisième détail marque le souci du raccord existant/nouveau par l'inclusion d'une partie de l'ancien dans le nouveau, qui cherche à montrer la vérité de la construction. (C) Ce travail de précision marque un souci de rattachement à l'existant et donc au patrimoine pour que le rapport au paysage soit plus fluide, plus en harmonie. Dans les Grisons, les cabanes comme celle-ci sont décrites par le terme de « structure de tricot » par l'imbrication de ses parois. Il soigne aussi la relation à l'ancien dans la conception intérieure du bâtiment : le plan d'étage a été conçu de sorte à ce que la nouvelle addition suive la séquence classique de chambres dans les fermes de la région. Ici, l'architecte respecte totalement le paysage des Grisons, et au premier abord, la maison ne semble pas se distinguer des autres, c'est essentiellement dans son approche du détail. Cette maison est donc très proche de l'existant, il ne cherche pas vraiment à s'éloigner d'une tradition très ancrée.



III - RE-ECRIRE 17 ____________________________________________________________________________________________________________

Ainsi, pour se rattacher au paysage architectural local, Zumthor ré-emploie le langage du chalet suisse traditionnel de Safiental. Pour cela, il utilise un bois sombre localement utilisé, et ne s'extrait pas des formes d'habitats existants. C'est dans le traitement du détail que se trouve la nouveauté du geste, c'est-à-dire dans la réalisation de « corniches » qui créent un aspect de façade différent, dans les ouvertures qui sont plus grandes et plus allongées, dans les lames de bois pour les volets qui sont placées dans le sens opposé aux éléments en bois des murs extérieurs ou encore dans la ré-écriture du bardage bois. La réalisation de fenêtres en bandeau très longues et peu hautes modifient le rapport au paysage du spectateur. Il le perçoit autrement, plutôt comme un film qui vient mettre en scène le site. Ce type de fenêtre montre un paysage de façon horizontale, accolant ainsi plusieurs séquences de ce qu'on peut voir dehors, alors que les anciennes fenêtres qui sont petites et verticales offrent une vue beaucoup plus réduite. De plus, les fenêtres en bandeau permettent de voir le paysage depuis chaque endroit de l'espace intérieur.



III - RE-ECRIRE 19 ____________________________________________________________________________________________________________

2 / Maison kü – Markus Wespi / Jérôme de Meuron – 2004/2005 Brione (Tessin)

Markus Wespi est né à St Gallen en 1957 et s'est très tôt tourné vers la partie italophone de la Suisse, où il réalise un style éloigné de la Tendenza qui emploie le béton. Fasciné par le travail de Frank Lloyd Wright, sans formation scolaire, il s'inscrit dans le lignée de l'architecte Franco S. Ponti qui utilise le bois et le granit, matériaux typiques du Tessin. Markus Wespi a successivement travaillé dans des agences de cantons germanophones à Zürich et Meiringen avant de s'installer dans le Tessin à Lucerne et d'ouvrir son agence à Caviano en 1984. Il est associé à Jérôme de Meuron qui, lui, est né en 1971 à Münsingen, à proximité de Berne et a étudié l'architecture à Burgdorf. Après ses études, il part construire au Ghana, en Afrique durant un an. Il s'associe à Markus Wespi en 2002 pour poursuivre le travail de son agence dans la région agricole de Caviano. Dans ce contexte, les associés s'inspirent à la fois de la tradition architecturale du Tessin, mais aussi des réalisations de la Suisse allemande dont ils sont tous deux originaires. A travers leurs parcours et leurs affinités, le travail de Wespi et de Meuron s'oriente vers une approche organique de l'architecture. Ils naviguent entre les traditions historiques et l'innovation des techniques originelles de construction. Leur travail est fondé sur le respect de l'architecture non-spectaculaire locale, en réalisant des interventions radicales. Ils cherchent surtout à s'éloigner des « cubes blancs aseptisés mais mettent l'accent sur la matérialité et la sensualité de ce qui a déjà existé. » 1

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Markus Wespi Jérôme de Meuron – Hubertus Adam « Fascinating Harmony » – 2008 p.8



III - RE-ECRIRE 21 ____________________________________________________________________________________________________________

La maison kü est une petite maison de vacances qui se situe dans le Tessin, dans un quartier résidentiel de la commune de Brione Sopra Minusio, elle se compose d'une partie garage surmonté d'une piscine et d'une partie habitable de 100 m² avec un espace de repas et deux chambres. Au regard des habitations du village considérées comme des « chalets plutôt surdimensionnés et bâtiments pseudo-rustiques » 1, la maison kü a été conçue pour se rattacher de façon vraie aux constructions historiques du village pour faire partie du paysage plutôt que du quartier. C'est pour cette raison que les architectes Wespi et de Meuron ont opté pour une construction en pierre locale à partir d'une technique ancestrale de pose de pierres. Cette demeure qui pourrait s'apparenter à la « Maison à Tavole » d'Herzog & de Meuron, lorsqu'elle allie les traditionnels murs en pierre avec des éléments en béton linéaires qui viennent souligner l'horizontalité de l'édifice et marquer la différence entre les deux volumes depuis la rue. Les inclusions de béton viennent ici donner un aspect contemporain à la maison, tout comme la rigueur dans le traitement parfait des saillies des murs. Cette qualité de réalisation marque le coût évident de la construction.

1 Markus Wespi Jérôme de Meuron –Aedibus 25 – 2008 p.8



III - RE-ECRIRE 21 ____________________________________________________________________________________________________________

Dans la composition de l'habitation, le pavage au sol à l'intérieur se poursuit à l'extérieur, comme cela se faisait dans les villages pour ne pas montrer de différence visuelle entre l'intérieur et l'extérieur. Les dalles de pierres sont ici plus larges ont aussi été repensées par une coupe plus géométrique. La précision d'exécution et le travail sur la géométrie fait partie des éléments qui rendent ce bâtiment anonyme suffisamment présent dans le paysage. Selon Heinz Wirz 2 « [Wespi et de Meuron], chacun avec leur différent bagage professionnel, ont réussi, avec grand respect, à maintenir les formes essentielles de la forme architecturale, des matériaux et du sens. »

2 Markus Wespi Jérôme de Meuron –Heinz Wirz « Notat » – 2008 p.7



III - RE-ECRIRE 23 ____________________________________________________________________________________________________________

Dans leur recherche de radicalité, Wespi et de Meuron ont pris le parti de fermer toute la maison aux vues sur l'extérieur pour ne dégager que deux vues : -D'une part ils emploient une grande baie vitrée d'un seul tenant par laquelle on peut admirer le prestigieux paysage au nord en tableau grandeur nature. Cette ouverture donne sur le Piano di Magadino et le Monte Ceneri et donne à cet espace une orientation forte vers l'extérieur. Cependant, on pourrait reprocher à cette maison d'être aussi radicale, en n'ouvrant pas les chambres sur l'extérieur compte tenu du contexte exceptionnel, du prix de la maison et du fait que ce soit une maison de vacances -période où l'on a le temps de regarder le paysage. De ce fait, l'éclairage naturel par les patio non-utilisables fait perdre beaucoup d'espace aux chambres. -D'autre part, l'ouverture depuis l'atrium permet d'apprécier ici la complicité entre l'association des murs en pierre et de la piscine avec le paysage qui vient ouvrir juste assez pour nous donner la curiosité de s'avancer pour le voir en grand. De plus, le toit horizontal de la demeure vient souligner la beauté du panorama qui s'ouvre sur les monts et le lac Majeur. Remarquons finalement que Markus Wespi et Jérôme de Meuron sont dans la même posture que Peter Zumthor, c'est-à-dire qu'ils mêlent les principes de construction locale avec quelques éléments de l'architecture moderne. Cependant, leur démarche de ré-écriture fait seulement évoluer à petits pas l'architecture. Ils font des maisons qui plaisent avec une réelle qualité de production, et non pas des maisons qui cherchent à ré-inventer.



IV - RE-INVENTER 25 ____________________________________________________________________________________________________________

IV - RE-INVENTER



I V- RE-INVENTER 27 ____________________________________________________________________________________________________________

1 / Einfamilienhaus – Gigon&Guyer – Graubünden - 2005/2007

Annette Gigon est née en Suisse. En 1984, elle part étudiee à l'ETH de Zürich (Swiss Federal Institute of Technology). En 1989, elle s'associe avec Mike Guyer qui, né aux Etats-Unis, a aussi étudié à l'ETH de Zürich la même année. Ils ont tous deux été professeurs à Lausanne puis Zürich où ils ont encore aujourd'hui leur agence. Les projets d'Annette Gigon et Mike Guyer se distinguent par leur combinaison distinctive de la construction, des matières et des formes. Dans leur phase de création, ils développent des concepts indépendants en fonction des contextes et des programmes spécifiques. Ils ont une méthode de travail « très suisse », qui consiste à multiplier les « maquettes pleines » qui permettent de chercher des formes nouvelles et par l'utilisation des nouvelles technologies en phase de recherche. Dans leur rapport au paysage, les architectes Gigon & Guyer cherchent à établir un lien entre la volumétrie, les façades et la structure avec l'environnement, que ce soit par l'intégration du bâtiment dans son paysage ou par l'accentuation des différences. Ils n'hésitent pas à utiliser de pigments spéciaux et colorer un béton pour que son image puisse nous renvoyer aux rails abandonnés à proximité. Leurs réalisations sont d'ailleurs marquées par le rapport entre « nature et architecture, le naturel et l'artificiel. » 1 Dans les années 90, Gigon & Guyer ont suivi le courant architectural et ont construit beaucoup de « swiss box », mais, lassés de ces bâtiments « répétitifs et statiques »(1), les architectes se sont progressivement tournés vers une architecture plus « décorative », composée d'éléments répétés, assemblages de motifs.

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Projects Gigon/Guyer – Quart Publishers - « Artificiality and naturalness » p.12



IV - RE-INVENTER 29 ____________________________________________________________________________________________________________

La Einfamilienhaus se situe dans le canton des Grisons (Graubünden), elle s'adosse à un flanc de montagne pour mieux s'ouvrir sur un large paysage. Elle possède 160 m² habitables, comprenant 3 chambres et un garage. C'est une résidence principale dont l'accès se fait par le niveau haut de la maison grâce à une passerelle. Cette maison s'intègre tout d'abord dans le paysage par sa volumétrie et son implantation « ordinaires », c'est-à-dire qu'elle ne se démarque pas du voisinage à ce niveau-là.

Cependant, le volume a bénéficié d'un traitement particulier : -D'une part, on peut deviner le travail en maquettes pour la volumétrie générale, c'est-à-dire qu'on perçoit un bloc qui aurait été taillé avec beaucoup d'essais avant de trouver une forme originale, asymétrique et avec un toit en pente (croquis A). Ce travail en maquette rentre dans un processus de fabrique de forme, propre à l'éducation suisse et à leur filiation avec le travail de Herzog & de Meuron. Cette méthode de travail donne au bâtiment un aspect monolithique. Cet effet est notamment accentué par l'unité des matières entre le toit et les façades et par le fait que la couverture s'arrête au croisement avec les façades. -D'autre part, le traitement des ouvertures nous permet d'imaginer aisément une autre technique de travail de dessin en modèle 3D par l'illusion d'un volume créé par extrusion (croquis B), que nous retrouvons pour la majorité des fenêtres qui semblent avoir été rajoutées à la façade. Ces éléments accentuent « l'effet maquette » que l'on sentait déjà avec le volume global.



IV - RE-INVENTER 31 ____________________________________________________________________________________________________________

Au regard des habitations voisines, Annette Gigon et Mike Guyer ont décidé d'utiliser des éléments nouveaux pour proposer une maison tout à fait originale. Par exemple, ils ont conçu un toit dont l'arête suit parallèlement l'inclinaison de la pente. Dans la même optique, ils ont décidé de créer un porte-à-faux vers la vallée qui donne à la maison un décollement au dessus de la pente raide, plutôt que de s'arrêter au niveau du sol. Ces actions correspondent à des libertés que les concepteurs se sont accordées afin de respecter le code strict de construction de la communauté montagnarde, qui stipule la hauteur et l'orientation du toit à deux pans vers l'église du village. Au niveau du traitement de la façade, les architectes ont aussi choisi de ré-inventer la façade par un choix habile de matériaux. Elle s'habille de bardeaux de cuivre brunâtres qui ont acquis de la patine avec le temps. Le cuivre neuf scintillant a, au fil des ans, laissé place à un brun mat qui s'apparente à la couleur du vieux bois des chalets des Grisons. Le travail sur la matière et sur son rapport au temps a donc été maîtrisé pour que petit à petit, le bâtiment trouve sa place dans le paysage. En ce sens, ce bâtiment fait écho à la maison Gugalun de Peter Zumthor qui avait anticipé le vieillissement du bois de bardage. Ici, un travail supplémentaire de ré-interprétation a été fait, même si la teinte initiale du cuivre ne se fondait pas vraiment dans le paysage.



IV - RE-INVENTER 33 ____________________________________________________________________________________________________________

La recherche de renouveau se retrouve aussi dans le travail sur les ouvertures. L'aspect éparpillé et aléatoire du placement des fenêtres sur la façade se retrouve aussi à l'intérieur. Dans l'espace de séjour du niveau haut, on perçoit un paysage en mosaïque de par les différences de taille et de hauteur d'allège des ouvertures. Cette composition force le spectateur à venir recomposer lui-même les morceaux de paysage cachés par les murs. Le système de fenêtres à pivot permet aussi de ne pas avoir de menuiserie qui cache le paysage, ce qui accentue l'impression de « tableau vivant ». De plus, la haute baie vitrée à l'est offre un spectaculaire panorama vertical sur la vallée en contrebas, et sur les montagnes de l'autre côté. Les ouvertures offrent donc aux habitants une nouvelle façon de voir le paysage remarquable des montagnes suisses. Gigon & Guyer ont ici réussi à proposer une réinterprétation innovante du chalet suisse. Sa forme, ses matériaux et le traitement de certains éléments ont tellement été modifiés que la Einfamilienhaus s'apparente à un objet singulier qui aurait été posé là. Cet objet-maquette aux fenêtres de grande taille donne d'ailleurs l'illusion d'avoir là une petite maison pour 2 personnes, alors qu'il s'agit d'une maison pour une « famille classique » avec 2 enfants. Malgré les règles strictes en matière d'urbanisme, les architectes ont réussi à créer une maison qui se distingue réellement de son contexte par une longue rechercher de réinvention, mais qui parvient aussi à s'intégrer dans son milieu.



IV - RE-INVENTER 35 ____________________________________________________________________________________________________________

2 / Maison Rudin – Herzog & de Meuron – Leymen – 1996/1997

Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont tous deux né à Bâle en 1950. Diplômés de l’École Polytechnique de Zurich, ils créent 3 ans plus tard leur agence à Bâle. Depuis 1999, ils sont tous deux professeurs à l'ETH de Zurich dans la spécialité « ville de réseaux et paysage » et ils enseignent également à l'ETH Studio de Bâle dans un programme de recherche sur les processus de transformations du paysage urbain suisse. Leur reconnaissance leur permettra de remporter le Pritzker Prize en 2001 et le Praemium Imperiale en 2007. Influencés par les réalisations de Ludwig Mies van der Rohe, ils sont reconnus pour leur recherche du minimum. Leur admiration pour les peintures de Le Corbusier les a inspiré dans leur recherche de pureté. 1 Le travail de Herzog & de Meuron se divise en deux périodes : - Au début de leur carrière, ils travaillaient surtout sur la recherche de ré-écriture, avec des réalisations qui cherchaient à ré-écrire les matériaux et les techniques de construction (par exemple la Maison à Tavole, Maison pour un collectionneur d'art, Plywood House, etc.) - Dans un second temps, ils se sont tournés vers l'expérimentation et la recherche artistique tant visuelle que dans le choix des matériaux et leur mise en œuvre. Cette orientation créative correspond notamment à des réalisations plus conséquentes.

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Herzog & de Meuron – Wilfried Wang – 1992 – p.7



IV - RE-INVENTER 37 ____________________________________________________________________________________________________________

Depuis l'extérieur, la maison Rudin se présente comme un édifice étrange par la dichotomie entre la lourdeur du volume en béton et la légèreté provoquée par la suspension de la maison sur des pilotis. Le caractère de dessin d'enfant est marqué par l'image d'un archétype de la maison autant que par la simplicité apparente de son volume et par ses fenêtres. Elles semblent disproportionnées et placées de façon aléatoire. Le toit est lui aussi « sur-dessiné » car il est très raide, et la cheminée est très haute, très marquée. Le toit et les murs se fondent l'un dans l'autre et accentuent l'effet d'extrusion. « Une bordure nette forme de façon brève la rencontre entre le béton des façades et les lamelles bitumineuses qui revisitent les panneaux inclinés. » 1 Tous ces éléments s'additionnent pour laisser le spectateur réfléchir sur la banalité des maisons « traditionnelles ». Dans la démarche d'Herzog & de Meuron, « concevoir une structure pour imiter les banalités d'une étagère de rangement nous demande de repenser le banal comme sa propre inversion » 2 Cette maison, dans sa banalité, nous renvoie donc à la mémoire de l'histoire ancienne, de ce qui existait déjà, mais cette mémoire ancienne s'articule aussi avec la mémoire du modernisme.

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El croquis – Herzog & de Meuron - 1998/2002 – n°60/84 – 1981/2000 – p. 343 Natural History - Rebecca Schneider - « Housing remains » p. 218



IV - RE-INVENTER 39 ____________________________________________________________________________________________________________

Si, au premier coup d’œil, la maison Rudin semble banale puisqu'elle ressemble au maison voisines, en s'approchant, on se rend compte que cette maison s'apparente à un objet différent, posé sur une plate-forme. En effet, La façade en béton est une façon de ré-inventer la façade enduite que l'on retrouve sur l'essentiel des habitations de la région, tout comme le toit en lamelles bitumineuses qui tente de parler des couvertures en lauze qui pourraient caractériser les maisons réalisées par des constructeurs. Les dimensions des fenêtres viennent ici aussi nous induire en erreur. La maison paraît être de taille standard, alors qu'elle profite en réalité d'environ 240 m² de surface de plancher avec 4 chambres.

Herzog & de Meuron ont souhaité inclure la maison dans son environnement par l'insertion paysagère. Le jardin se compose d'arbres et de prés qui créent une continuité entre le jardin et le paysage alentour. La maison se laisse envahir par une patine végétale et des dépôts de minéraux qui restent sur les murs au fil du temps. Cette démarche est d'ailleurs très présente dans les réalisations de l'agence, comme pour l'entrepôt Ricola de Mulhouse.



IV - RE-INVENTER 41 ____________________________________________________________________________________________________________

L'entrée de la maison possède également un fort rapport au paysage en modifiant totalement la perception de la personne qui entre dans la maison. Le « socle » cache le ciel et a tendance à aplatir le paysage environnant. L'intérieur est aussi spectaculaire de par ses grandes baies qui offrent un large point de vue en belvédère sur la nature. Chaque pièce de la maison possède ainsi une large ouverture, ce qui amène l'habitant à toujours regarder dehors lorsqu'il est dans une pièce. Contrairement à la maison de Gigon & Guyer, la maison de Herzog & de Meuron possède des fenêtres à doubles ventaux afin de rester dans l'image de la maison traditionnelle. Cette maison s'apparente à un objet très différent de ce qui existe, jusqu'à ne ressembler à aucune autre maison. Herzog & de Meuron tentent ici de réinterroger le banal en « imitant » les habitations locales, mais en lui donnant un aspect beaucoup plus abstrait, plus étrange. Le système d'entrée, lui aussi, n'est pas commun, il cherche à mettre en scène le quotidien pour que le fait d'habiter ne soit pas un acte banal, pour poser des questions sur ce qu'habiter aujourd'hui.



IV - RE-INVENTER 43 ____________________________________________________________________________________________________________

3 / Casa Gobbi – Luigi Snozzi – Tegna (Tessino) – 2000/2004

Né en 1932 à Mendrisio, dans le Tessin, Luigi Snozzi a étudié l'architecture à l'École polytechnique fédérale de Zurich (1952-1957). Il travaille ensuite dans des bureaux d'architectes avant de fonder, en 1958, sa propre agence à Locarno. Associé à son camarade d'études Livio Vacchini entre 1962 et 1971, il construit plusieurs maisons dans le Tessin, qui marquent le renouveau d'une architecture à la fois locale et critique à l'égard du régionalisme. Dans son travail, il s'inspire en grande partie du rationalisme du Mouvement Moderne pour développer ses projets et créer un langage clair, essentiel et percutant. Dans son processus de projet, il attache beaucoup d'importance à l'analyse de la situation existante et à sa lecture critique, autant pour les petits objets tels que les maisons familiales dans leur contexte rural, que pour les grandes interventions dans leur milieu urbain. Il explique dans une discussion avec Pierre-Alain Croset 1 qu'il débute ses dessins pour la réalisation de ses projets à partir de plans topographiques. Cela lui permet de créer à chaque fois de nouveaux lieux en donnant à l'existant une nouvelle interprétation, en établissant chaque fois de nouveaux rapports. Il tient toutefois à fixer des limites claires entre la ville et l'environnement non-urbanisé, entre le plein et l'ouvert, entre l'espace défini et non défini. Les formes géométriques sont pour lui un outil essentiel pour parvenir à cette définition. Autant dans son enseignement que dans sa pratique professionnelle, Luigi Snozzi établit une relation forte entre l'architecture et la politique. Il contribue notamment à l'hebdomadaire du Parti socialiste autonome, Politica Nuova, pour lequel il réalise les illustrations de couverture. C'est, pour lui, une façon de contrôler le paysage architectural et urbain des communes.

1

Luigi Snozzi – The complete work – Peter Disch - 1994/2003 – p.29




IV - RE-INVENTER 45 ____________________________________________________________________________________________________________

La maison Gobbi est placée sur un petit plateau triangulaire qui borde une zone boisée avec des pentes abruptes. Le bâtiment s'adosse au mur de soutènement de la route principale de la commune, une passerelle relie les deux pour marquer une séquence d'entrée du piéton dans la maison. Lorsque Snozzi dit « il n'y a rien à inventer, tout est à redécouvrir » 1, il veut dire que l'architecture moderne doit se confronter avec la construction locale afin de donner une nouvelle écriture au canton tout en regardant le passé avec respect. Lorsqu'il commence son projet, il connaît le contexte et le but est de s'en inspirer pour mieux s'en défaire. Ainsi, dans sa composition, ce bâtiment se présente comme un volume cubique massif d'où s'extraient par renfoncement de larges baies vitrées. Le tout se distingue en deux parties : La première est en béton apparent, elle contient l'accès en haut et la cuisine en bas. La deuxième se compose d'un plan de sol carré, dont l'espace est vitré sur trois côtés, et s'ouvre sur un grand paysage avec une large vue sur la rivière Maggia.

1 Luigi Snozzi – The complete work part III – 1994-2003 – Peter Disch – 2005 p. 15




IV - RE-INVENTER 47 ____________________________________________________________________________________________________________

Au regard du quartier, le volume général de la maison reste en accord avec le gabarit des maisons « ordinaires » du quartier. Elle ne cherche pas non plus à s'extraire de la teinte de murs utilisé à Tegna. Cependant, si les maisons sont usuellement construites en pierre, Snozzi ré-interprête ce matériau par l'utilisation d'un béton qui fait directement écho au caractère massique et au gris si particulier de la pierre tessinoise. Quant aux menuiseries en aluminium thermo-laqué noir, elles font directement écho aux troncs fins et sombres des arbres qui se situent tout autour de la bâtisse. A l'intérieur, l'architecte a choisi d'habiller le sol avec un parquet en châtaigner massif noble, comme on peut le trouver dans les rusticos traditionnelles. Son rattachement au passé peut directement faire référence aux écrits sur la mémoire de la ville d'Aldo Rossi :

« Les faits s'inscrivent dans la mémoire, des faits nouveaux se développent dans la ville. C'est dans ce sens éminemment positif que les grandes idées traversent l'histoire de la ville et lui donnent sa forme. » 1

Puisque la mémoire se crée aussi à partir de ce qui se réalise en marge de ce qui existe, les « grandes idées » permettent d'écrire le futur de la ville.

1

Aldo Rossi –L'architecture de la ville « La mémoire de la ville » p.179



IV - RE-INVENTER 49 ____________________________________________________________________________________________________________

L'audace de cette construction est de permettre au spectateur de tisser des liens entre le bâtiment et son contexte par une analyse savante. Ainsi, l'emploi du toit-terrasse marque déjà une première distinction forte avec un contexte homogène, tout autant que l'utilisation du béton brut. L'attention portée à l'utilisation rationnelle des matériaux, et à leur emploi par rapport à un contexte fort sont des éléments du vocabulaire de Snozzi. La casa Gobbi marque un contraste dans son système d'ouvertures : D'une part on ferme les vues dans l'étage supérieur qui abrite les chambres avec une simple fenêtre en bandeau horizontale. D'autre part, on ouvre très largement la vue depuis le salon pour avoir un large panorama sur le jardin, la nature, la vallée et la rivière en contrebas. Le dimensionnement des baies vitrées permet de créer un dialogue entre l'espace intérieur et la nature. La maison de Luigi Snozzi qui, à première vue, semble s'extraire radicalement du paysage et des maisons traditionnelles, se rattache en réalité aux éléments de nature. Il puise son inspiration dans les matériaux traditionnels pour s'en détacher complètement et proposer une réelle appropriation. Il parvient à proposer de nouvelles possibilités pour la maison d'aujourd'hui et de demain. Il montre ici que modernité et tradition ne sont pas incompatibles, qu'ils peuvent cohabiter tout en se rattachant à un élément commun : le paysage naturel.



V – CONCLUSION 51 ____________________________________________________________________________________________________________

V - Conclusion

L'étude de maisons réalisées en Suisse m'a permis de voir comment les architectes helvétiques ont tenté de trouver des solutions pour comprendre comment s'inspirer du site pour s'en rapprocher, quelles sont les méthodes utilisées par les architectes pour arriver à détourner un matériau, à se servir ou à faire évoluer des techniques anciennes de construction. Les architectes présentés ont chacun un rapport singulier au paysage, en fonction de la localité de l'édifice ou encore des méthodes de travail. Certains comme Peter Zumthor ou Wespi & de Meuron utilisent leurs savoirs pour modifier et faire évoluer de façon subtile de travail d'un matériau, ils se servent des techniques de construction anciennes pour parvenir à se l'approprier, à l'adapter à une démarche. Ils choisissent de prendre pour base de travail ce qui existe, ce qui fait partie du paysage immédiat. Ils cherchent surtout à faire une connexion entre l'ancien et le nouveau, ils restent sur une position d'architecture ordinaire, sage. De façon différente, les architectes comme Luigi Snozzi, Herzog & de Meuron et Gigon & Guyer s'attachent davantage à réinventer les matériaux et les techniques de construction pour réinventer la définition de la maison actuelle. Ils cherchent à renouveler le genre en prenant en compte le paysage existant, mais en essayant de s'en abstraire par le biais - par exemple - de méthodes de travail comme la maquette ou la conception infographique. Ces architectes-là œuvrent à réinterroger le banal, à chercher de nouvelles façons d'habiter, de se raccrocher à un paysage. Ce sont des maisons peu ordinaires qui cherchent à aller de l'avant, à remettre en question ce qui existe pour proposer des solutions pour intégrer la modernité dans un paysage traditionnel.


V – CONCLUSION 52 ____________________________________________________________________________________________________________

La diversité des exemples de la première partie nous montre deux façons de s'intégrer au paysage, ils sont représentatifs de deux architectures typiques présentes en Suisse : la construction en pierre et le chalet. La deuxième partie, quant-à elle, nous montre comment les architectes ont le souci de proposer des architectures nouvelles, de chercher à utiliser ou à détourner de nouveaux matériaux qui n'étaient pas initialement employés dans la construction. Les divers parcours des architectes présentés nous montrent comment l'apprentissage d'une discipline nourrit le travail des architectes. On a pu remarquer que ceux qui « ré-écrivent » ont plutôt une formation orientée vers les savoir-faire et la connaissance des techniques de construction historiques, alors que les architectes qui « ré-inventent » sont plutôt influencés par une architecture savante, actuelle et se nourrit d'autres disciplines de recherche formelle qui produit de l'architecture-objet. Dans les deux cas, le rapport au paysage est un élément clé de la recherche architecturale, elle nous permet de juger de la qualité d'une architecture. Il est important de regarder le contexte de création d'une maison pour que le bâtiment puisse composer un ensemble harmonieux avec le paysage, même si elle s'en distingue. Enfin, cette étude a changé mon regard sur l'architecture moderne et contemporaine. Je me suis rendue compte qu'une maison qui, à première vue ne semblait pas s'intégrer, s'attache tout de même à un paysage, à une culture du lieu. J'ai pu comprendre comment est-ce que les matériaux nouveaux peuvent être savamment utilisés afin de renouveler une tradition bien ancrée.



BIBLIOGRAPHIE 54 ____________________________________________________________________________________________________________

Ouvrages relatifs au sujet : Suisse, architectures contemporaines – Ginluca Gelmini – Ed. Actes Sud – 2010 Architecture in Switzerland – Philip Jodidio - Ed. Taschen – 2006 Young Swiss Architects – Carmen Humbel – Ed. Birkhauser – 1996 Matière d'art – Architecture contemporaine en Suisse – Centre culturel suisse (exposition) – Ed. Birkhauser - 2001 Architecte en suisse « Enquête sur une profession en chantier » – André Ducret, Claude Grin, Paul Marti, Ola Soderstrom – Ed. Presses polytechniques et universitaires romandes – 2003 La Suisse, Portait urbain – Volume 3 : Matériaux – Dir. John Palmesino - Ed. Birkhauser – 2006 Construction, Intention, Detail – Ed. Artemis – 1994 Ville in svizzera – Mercedes Daguerre – Ed. Electa architettura – 2007 La maison suisse – Paul-Leonard Ganz – Ed. Silvia Zurich – 1963 L'architecture de la ville – Aldo Rossi – Ed. InFolio, Gollion – 1966 (ré-édité en 1995)


BIBLIOGRAPHIE 55 ____________________________________________________________________________________________________________

Monographies : Gigon/Guyer Architekten – Groupe Lars Muller – Ed Lars Muller Publishers – 2012 Herzog & de Meuron – Wilfried Wang – Ed. Studio Paperback- Première édition 1992 , imprimé en 1998 Herzog & de Meuron – 1992/1996 – Gerhard Mack - Ed. Birkhauser – 2000 Peter Zumthor Works – Hélène Binet&Peter Zumthor – Ed Birkhauser – 1999 Peter Zumthor Works – Buildings and Projects – 1979/1997 – Peter Zumthor – Ed. Lars Muller Publishers – 1999 Peter Zumthor – Therme vals – Sigrid Hauser et Peter Zumthor – Ed. Scheidegger & Spiess – 2007 Luigi Snozzi – The complete work part III – 1994-2003 – Peter Disch – Ed. Veladini – 2005 Markus Wespi Jérôme de Meuron – Heinz Wirz – Hubertus Adam – Quart Publishers Lucerne – 2008 Projects Gigon/Guyer – Heinz Wirz – Hubertus Adam – Quart Publishers Lucerne – 2004

Revues : A+U n°316 – janvier 1997 El Croquis Herzog & de Meuron – 1983/1993 – n°60 – 1994 – 1993/1997 – n°84 – 1997 – 1998/2002 – n°109/110 – 2002 – 2005/2010 – n°152/153 – 2010 El Croquis Gigon/Guyer – 2001/2008 – n°143 - 2008


BIBLIOGRAPHIE 56 ____________________________________________________________________________________________________________

Ouvrages généraux : Histoires d'architecture - Jean Tarricat – Ed. Parenthèses – 2011

Sites WEB : Le Figaro article « La construction de maisons individuelles s'effondre » du 11/1/14 par JeanYves Guérin Habitat pluriel : densité, urbanité, intimité - Site web PUCA – Février 2005 http://www.gigon-guyer.ch/ http://www.wespidemeuron.ch/ https://www.herzogdemeuron.com/ http://archizoom.epfl.ch/page-16139-fr.html « Luigi Snozzi : réalisations et projets »

Références audio : Rencontre avec Peter Zumthor – France Culture, François Chaslin du 25/09/2011

Conférences : « L'architecture c'est la mémoire » Quintus Miller - agence Miller & Maranta – ENSAM – 2013


ICONOGRAPHIE 57 ____________________________________________________________________________________________________________

III – RE-ECRIRE 1 / Maison Gugalun – Peter Zumthor Peter Zumthor Works – Buildings and Projects – 1979/1997 – Peter Zumthor – 1999 p.72 https://www.pinterest.com/freepin/zumthor/

2 / Maison à Brione – Wespi & de Meuron Hannes Henz http://www.juanrodriguezphotography.com/proyectos Villa in Svizzera – p.184-193 http://www.wespidemeuron.ch/showPage.php?template=opere&id=58

IV - RE-INVENTER 1 / Maison familiale – Gigon&Guyer El croquis n° 143 p. 360-367 Captures de la vidéo http://www.dorn-ag.ch/referenzen/efh-in-graubuenden-2007/

2 / Maison Rudin – Herzog & de Meuron El croquis – Herzog & de Meuron - 1998/2002 – n°60/84 – 1981/2000 – p. 344-6

3 / Maison Gobbi – Luigi Snozzi Villa in Svizzera – p.152-161


RESUME 58 ____________________________________________________________________________________________________________

« Pour trouver sa place, le nouveau doit d'abord nous inciter à regarder d'un œil neuf ce qui existe. Quand on jette un caillou dans un étang, un peu de vase monte du fond puis se redépose ; ce phénomène est indispensable afin que le caillou trouve sa place. Mais l'étang n'est plus le même. » Peter Zumthor Comment intégrer les maisons modernes au paysage ? Il s'agit ici de chercher à savoir comment est-ce que les architectes suisse tentent de résoudre cette question. Lle mouvement architectural tend à chercher à retrouver la connexion entre le neuf et l'ancien, entre le contemporain et le traditionnel. Il s'agit de ne plus s'éloigner totalement du contexte mais d'ouvrir plus progressivement l'architecture environnante à un renouveau. Les architectes helvètes se nourrissent d'une culture du paysage, d'un savoir-faire constructif qui leur permet de proposer des maisons qui ne ressemblent pas à celles construites depuis des générations. L'enjeu est double : – comment construire de l'habitat individuel sans réaliser des pastiches ? – comment intégrer la modernité au paysage existant ?

Juin 2014 – S5/S6 – RAPPORT D'ETUDES Nombre de caractères : 38 467




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