Décembre 2018 Mastère Spécialisé® Architecture et Patrimoine Contemporain Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier
Architecte DE
Thèse Professionnelle Décembre 2018 Mastère Spécialisé® Architecture et Patrimoine Contemporain Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier
Sous la direction de :
Directeur de Thèse Directeur Pédagogique
“Everything must change Nothing remains the same Everything must change No one and nothing remain the same.� Nina Simone, everything must change
Le concept de déchet tel que nous le concevons aujourd’hui est très récent. Dans l’acte 1, nous aborderons ses évolutions. Au sein de ce travail, nous définirons en ces termes : Un déchet est un élément constitué de matière transformée qui a perdu l’utilité pour laquelle il a subi transformation. Il sera considéré en tant que tel jusqu’à sa décomposition ou bien son inscription dans un nouveau cycle de vie.
Le concept de ressource recouvre de multiples définitions selon la discipline qui l’emploie. Dans l’acte 2, nous aborderons ses évolutions. Au sein de ce travail, nous la définirons en ces termes : Une ressource est une substance, un organisme, ou un milieu qui répond à des besoins humains, animaux ou végétaux.
« Ce qui est transmis par les générations précédentes, ce qui est reçu par tradition. »1 Le concept d’héritage est dynamique, il se fabrique à chaque instant matériellement comme immatériellement, c’est un concept en mouvement. Nous assimilerons le concept d’héritage avec celui d’hérédité que chacun porte en lui, acte de transmission des « caractères et de potentialités communes à tous les membres du groupe taxinomique. »2
« Ce qui est transmis à une personne, une collectivité, par les ancêtres, les générations précédentes, et qui est considéré comme un héritage commun. »3 L’étude étymologique du concept de patrimoine dans la langue française recouvre certainement une dimension matérielle dans l’acte de transmission de biens à ses descendants. En introduction, nous constaterons que le patrimoine est un concept en évolution qui revêt plusieurs couleurs, nous tenterons d’en extraire la substance pour en cerner les enjeux. 1
CNRTL
2
CNRTL, Hérédité, B. b) GENET
3
CNRTL
« Qui appartient au temps actuel (par rapport au moment envisagé dans le contexte). »4 Pour éviter toute ambiguïté, nous exclurons toute notion de période ou d’histoire contemporaine.
La notion est sujette à interprétations puisqu’elle qualifie entre autres un mouvement ou une période de l’histoire qui sont distincts dans le temps. En ces lieux, nous emprunterons une définition neutre, antérieure au modernisme, à savoir celle de Aloïs Riegl : « moderne, c’est-à-dire récente. »5 Elle connotera notamment les valeurs de progrès et d’avenir.
Mouvement d’art et d’architecture du XXème siècle qui nait en réponse à des problématiques transversales bien définies que nous aborderons. Ce mouvement connait une datation encore en débat comme des chefs de file variés plus ou moins emblématiques. Ce mouvement témoigne notamment d’une recherche formelle, matérielle et esthétique en quête d’innovation et d’universalisme. Il est à la recherche d'une facture nouvelle, résolument moderne pour l’époque. Nous nous intéresserons à ce mouvement précisément, car les héritages qui en découlent sont aujourd’hui âgés d’une cinquantaine d’année et souvent bien moins. Ils sont pourtant des héritages oubliés, mal aimés et massivement détruits. Nous ciblerons ces objets d’étude non pas pour leur valeur historique, ni pour leur valeur mémorielle ou leur esthétique particulière, mais bien pour leur valeur d’usage et de contemporanéité. Nous nommerons « –de la modernité » les sujets relatifs à ce mouvement.
4
CNRTL
5
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.43
Patrimoine mobilier et immobilier hérité de la génération antérieure qui appartient encore au temps actuel.
Patrimoine mobilier et immobilier hérité du Mouvement Moderne. Nous nous intéresserons plus particulièrement à ce patrimoine qui est encore contemporain. Ce patrimoine est porteur de valeurs transversales en adéquation avec les problématiques contemporaines.
Il n’existe pas à proprement parler de patrimoine ancien, il existe des patrimoines relatifs à des époques ainsi qu’à des transformations dans le temps. Pour simplifier l’appel à ces patrimoines relatifs à des périodes révolues, nous nommerons comme tel le patrimoine antérieur au patrimoine de la modernité.
Figure 1: Robert Venturi & Denise Scott Brown, Learning from Las Vegas, 1972
Ensemble des œuvres manufacturées qui ont fait l’objet d’un acte de patrimonialisation. En ces lieux, nous nous appuierons sur la définition de l’UNESCO qui adopte une posture universelle : « Sont considérés comme "patrimoine culturel" : − les monuments : œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d'éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, − les ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, − les sites : œuvres de l'homme ou œuvres conjuguées de l'homme et de la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique. »6
Ensemble des ressources naturelles et des espèces qui participent à la biodiversité sur terre. Nous nous appuierons sur la définition de l’UNESCO : « Sont considérés comme "patrimoine naturel" : − les monuments naturels constitués par des formations physiques et biologiques ou par des groupes de telles formations qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue esthétique ou scientifique, − les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitées constituant l'habitat d'espèces animale et végétale menacées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation, − les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauté naturelle. »7
6
Convention internationale de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 Novembre 1972, Article 1 7
Convention internationale de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 Novembre 1972, Article 2
Acte de transformation qui nécessite une conséquente entropie. Selon la loi de la conservation de la matière, « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme »8. Si cette dernière est transformée par l’action de l’homme, elle est recyclée : c’est à dire inscrite dans un nouveau cycle. A terme, de recyclage en recyclage, il n’y aura que de l’entropie non recyclable – énergie usée : le recyclage n’est donc pas automatiquement une intervention économique ou écologique. Il porte en lui un acte proche de celui de table rase moderne et efface toute forme de mémoire liée aux anciens usages de la matière.
Acte par lequel on prolonge la durée d’utilisation d’un objet déjà produit, ce dans les mêmes conditions. La mémoire de l’objet est conservée. La forme ne change presque pas, sauf entretien ou raccommodage. La réutilisation est une attitude d’économie évidente. La réutilisation architecturale est une valorisation minimaliste de l’existant. Elle réaffirme une posture : « en plus de conserver des bâtiments existants, des modes de vie et les traces de l'histoire, il s'agit sans doute de réaffirmer une manière de vivre qui a fait ses preuves. »9
Acte de transformation par lequel on donne un nouvel usage à un objet existant qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué. Posture médiane entre réutilisation et recyclage, entre conservation de la forme première et suppression. Le réemploi recouvre « une dimension patrimoniale : la conservation d’un premier assemblage de matières dans le cadre d’un nouvel assemblage. »10 Le réemploi est une intervention qui conserve, au moins de façon fragmentaire, l’existant. Le réemploi perdure depuis toujours dans la construction des villes où les héritages matériels servent de carrière aux constructions neuves.
8
Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) Traité élémentaire de chimie, 1787
9
Jean Marc Huygen Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.393
10
Jean Marc Huygen Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.393
« Capacité d’un corps ou d’un système à produire du travail mécanique ou son équivalent. Ensemble des forces susceptibles de mouvoir les machines nécessaires à la production industrielle ou à la vie domestique. » 11 Aujourd’hui, l’énergie est un sujet essentiel dans la construction comme dans le fonctionnement du territoire, de la ville et des architectures. Le secteur du bâtiment représentant 44% de l’énergie consommée en France, avec une émission de plus de 123 millions de tonnes de CO212, se positionne comme un des domaines clé dans la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique. En ces lieux, nous parlerons : . D’énergie intrinsèque au cycle de vie d’une matière, comprenant son extraction, sa production, sa transformation, sa fabrication, son transport, sa mise en œuvre, son entretien jusqu’à son recyclage. . D’énergie nécessaires au fonctionnement des architectures.
L'entropie rend compte d’une grandeur, d’un degré d'énergie relative aux systèmes physiques. L’entropie est un terme issu de la thermodynamique et exprime l’idée du désordre de la matière : il parle de conservation de l’énergie. L’énergie se conserve et se communique de systèmes en systèmes sans jamais ne se perdre ni se créer. En ces lieux, nous parlerons de l’entropie nécessaire à la transformation d’une matière ou d’un ensemble de matières, cf. les transformations décrites ci-dessus.
« Donner une autre forme à, se métamorphoser, donner un aspect différent à, améliorer l’état physique de, faire passer quelque chose de sa forme naturelle à une autre forme »13 La transformation est un acte d’intervention sur un sujet où l’intégrité formelle, ou matérielle de ce sujet est interrogée et impactée par le choix d’un type d’intervention. Ces types d’interventions peuvent être multiples. L’acte de transformation est une posture qui comporte intrinsèquement l’idée d’évolution.
11
CNRTL, Energie, II A. PHYSIQUE
12
Statistiques du Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018
13
CNRTL, Transformer, A. 1. a) b) B. 2. a)
« Il n’est pas d’œuvre d’art qui ne se prête à plusieurs lectures, qui ne s’offrent à plusieurs interprétations, en ce sens toute création artistique est ouverte. » Umberto Eco, La poétique de l'Œuvre ouverte
Dans nos mains, le présent. Dans nos actes, l’avenir. En considérant l’héritage des civilisations antérieures, l’homme bâtisseur compose dans la continuité ou dans la discontinuité d’un paysage aménagé par ses pères. Au fil des siècles, les postures et les cultures se sont positionnées, ont transformé ou conservé, réemployé ou recyclé, détruit ou bâti, préservé ou exploité les territoires à l’image de leur temps. A chaque instant, à chaque transmission, l’action d’intervention ou de non intervention sur ces héritages multiples dessine et constitue la matière de ce qui sera hérité demain par les générations futures. Quelles interventions ? Dans quelles perspectives ? Pour quelle lecture du passé ? Quelle lecture de l’avenir ? Les réponses sont multiples, les champs d’intervention et les modes opératoires tendent à se spécialiser et apportent des postures variées qui font débat. Au cœur de la plus grande crise environnementale, sociale et économique que l’homme du XXIème siècle doit affronter, soigneusement occultée depuis plus d’un siècle et demi, la question des ressources et de leur gestion est une des problématiques des plus urgentes à résoudre. L’héritage de la modernité, objet de ce travail, est le cadet des préoccupations politiques contemporaines. Cet héritage est pourtant issu de notre histoire contemporaine, lié aux larges mouvements migratoires, au contexte démographique et politique très mouvementé du XXème siècle... Il est un héritage massif qui constitue une part considérable de nos paysages urbains quotidiens. Et si nous n’avions pas le choix que d’accepter cet héritage, reflet de nos actuels modes de vie, de notre histoire, de notre présent. Et si nous ne pouvions plus nier le constat alarmant de nos actuelles pratiques constructives ? Et si nous posions fondamentalement la question de ce qui compose nos territoires contemporains, de la matière qui les constitue, des modes de vie qu’il a généré, de la pensée dans laquelle il a été dessiné et bâti, de ce que nous en arbitrons aujourd’hui ? L’exposition Un bâtiment combien de vie, la transformation comme acte de création dont Francis Rambert en est le commissaire d’exposition, est le point d’origine du questionnement ici présenté autour de l’héritage contemporain et de sa pérennité dans la ville d’aujourd’hui et de demain.
____________________________________________________ « La transformation est une alternative à la destruction systématique. Elle constitue un antidote à l’architecture générique. La relecture et la réinterprétation c’est bien l’enjeu de la transformation. Ces nouvelles générations de bâtiments recyclés racontent chacune à leur manière une histoire d’adaptation qui renforce l’idée de spécificité. Transformer ? Oui, par ce qu’il y a une adaptation à la demande de l’époque. Transformer par ce qu’il y a parfois urgence à réinventer un nouvel usage. Car la donne a changé, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont lancé les premières alertes et le protocole de Kyoto en 1997 a sonné le glas de la conception énergétivore. Modifiant le regard que l’on porte sur le patrimoine, la transformation interroge le construit et le remet en question, ce qui fait débat… Et si parallèlement à l’incontournable transition énergétique, on parlait de transition programmatique ? Typologique ? Voire Morphologique ? Un changement de paradigme se confirme alors : la pérennité d’un bâtiment se mesure
finalement à l’aune de situations provisoires. Elle est désormais garantie par sa capacité à changer de vie. Suite à l’héritage de la reconstruction (…) guidée par l’urgence, » impliquant les immenses problématiques de relogement « puis la rénovation bulldozer des années 1960 – 1970 animée par l’idéologie de la table rase, l’heure est à la transformation des bâtiments existants et des territoires urbanisés confrontés à la terrible réalité de l’étalement urbain, la ville du XXIème siècle est à la recherche de nouveaux modèles plus compactes. Dès lors tout est affaire de réhabilitation, de réutilisation, de recyclage. Il y a donc une logique à transformer le patrimoine construit. La densification de la ville y pousse, la réflexion de la durabilité y conduit. C’est sans doute cela la nouvelle expérimentation spatiale,
technique du XXIème siècle, dans une équation économique » et écologique « indispensable, j’insiste, à résoudre.
Figure 1, Castelvecchio, Verona, 1950, C. Scarpa
Figure 2, La Fabrica, Barcelona, 1975, R. Bofill
Figure 3, Matadero de macdrid, Madrid, 2011, A. Franco
Portzamparc affirme en 1995 : « le durable c’est le transformable » lorsqu’il s’attaque à une barre de logement ingrate rue Nationale dans le cadre d’un projet urbain plus global. C’était il y a vingt ans, et c’est intéressant de le replacer dans son histoire. Ce renouvellement urbain nous plonge dans l’aire de la superposition, du palimpseste, il ouvre le champ de la réinterprétation, voire celui de la réinvention.
Quarante ans après l’intervention de Carlo Scarpa sur le palais de Castel Vecchio à Verona, qui restera une référence absolue en matière d’intervention contemporaine sur un bâtiment médiéval, la transformation au sens le plus créatif du terme permet de conserver les acquis, en optimisant des potentialités parfois insoupçonnées. L’Italie nous a nourri de monuments faisant merveilleusement l’éloge de la potentialité, à commencer par le théâtre de Marcellus à Rome, édifice antique transformé en logements en 1535, qui ouvre la voie à une architecture issue d’une toute autre architecture. Puis la métamorphose de la Basilique de Vicenza au cours de ce même siècle qui vient générer d’autres superpositions architectoniques et esthétiques… La Team 10 trouvera sur l’adriatique un exemple unique de palimpseste mettant à bas le concept de table rase, nous sommes dans les années 1960.
L’idée de métamorphose, plus riche que l’idée de révolution, en garde la radicalité transformatrice mais lie à la transformation de la vie et de l’héritage des cultures, écrira bien plus tard en 2010, Edgard Morin dans un éloge de la Métamorphose. La réutilisation à très grande échelle : la reconquête de l’île de Nantes avec le plan Guide d’Alexandre Chemetoff ou celle de la presqu’île de Lyon Confluence selon la stratégie d’Herzog et de Meuron avec Michel Desvignes. Au fil du temps on constate que le champ opératoire des architectes se resserre. On est dans l’aire de l’In Vivo et non plus dans l’aire de l’Ex Nihilo. L’image mythique de Brasilia semble bien loin. Entre mutation et transgression, entre évolution et restructuration se déploie le champ de l’acte de la transformation de l’architecture, la mutabilité voire la réversibilité apparait comme un sujet majeur de la modernité d’aujourd’hui. La question est de savoir comment les bâtiments peuvent préparer l’avenir, anticiper les développements, se projeter dans un cycle de mutation.
De multiples stratégies sont à l’œuvre dans la diversité des contextes. Continuité ou discontinuité ? Telle est la question théorique à débattre. Rester dans le thème de la logique structurelle ou bien s’en affranchir ? Comment orienter la stratégie de projet ? Penser et injecter l’idée contemporaine d’évolution, de transformation et de transition au sein des héritages « d’une époque passée suppose de pouvoir réécrire un scénario en toute liberté d’expression. »14
Cette logique ne date pas d’hier, elle est effectivement au mieux une redécouverte des pratiques séculaires oubliées durant les périodes industrielle et post-industrielle. Dès à présent, nous pouvons émettre l’hypothèse que le potentiel patrimonial des architectures contemporaines relève dans leur capacité à projeter et à se transformer.
14
Francis Rambert, discours d’ouverture de l’exposition Un bâtiment Combien de vies ? La transformation comme acte de création. Le 16 Mars 2015
Un vaisseau spatial, une oasis au sein d’un immense désert, un grain de sable en orbite autour d’une orange, une infime opportunité chimique, un équilibre cyclique entre d’innombrables matières qui se composent et se décomposent, des temporalités croisées et superposées, des paysages insoupçonnés… Elle est là, sous nos pieds. Elle est notre navire, elle est notre maison. Au Nord ? Au Sud ? à l’Est ou à l’Ouest ? Peu importe, nous y sommes, à bord. Dans ce vaisseau extraordinaire qui nous fait traverser le temps et l’espace à chaque instant. Un navire « brillamment construit. » 15 Si bien que l’humanité y a navigué inconsciemment deux millions d’année durant. Aujourd’hui nous sommes 7.5 milliards êtres humains, bel et bien conscients de l’espace cosmique dans lequel nous voyageons. Et demain ? En 2050, nous y serons probablement 9 milliards. A bord, le vivant auquel nous appartenons, est un maillage complexe et écosystémique qui vit sur d’étroites relations avec les milieux qu’il habite. Ressources, énergies, espèces… l’humanité compose dans ces milieux avec le bagage qu’elle porte. Transformations ou préservations, elle agit sur un écosystème tel qu’elle le conçoit dans son temps et dans sa culture. Ces milieux, d’une infinie richesse et variété, offrent à ses habitants des ressources naturelles limitées, inscrites dans un cycle au sein duquel elles se renouvellent. Et pourtant, le jour du dépassement, calculé depuis 1971 par l’ONG Global Footprint Network, est annoncé de plus en plus tôt chaque année. Ce jour, inscrit dans le calendrier planétaire, est la date à laquelle l’humanité, ou plus précisément une partie de l’humanité, a consommé la totalité des ressources renouvelables produites en une année. En 2018, c’était le 1er aout.
15
R.Buckminster Fuller, Manuel d’instruction pour le vaisseau spatial terre, Zurich, Lars Muller Publishers, 2010
Inexistante il y a encore 50 ans, cette date à caractère symbolique revêt un air de banque planétaire, porte-parole d’un capital-ressource fondamental. Ces ressources extraites sont transformées ou consumées générations après générations. En fin de vie, elles sont rejetées dans les mêmes milieux habités, sous des états transformés qui perturbent considérablement les cycles naturels. Pourtant la comptabilité est simple : nous ne pouvons perpétuer ces prélèvements si nous voulons croire à la transmission d’un habitat viable. Yona Friedman pose la question avec simplicité et justesse : Que fait le vivant sur terre ? « Avant tout, ils tentent de survivre. Survivre, c’est respirer, manger, dormir, être à l’abri… Si je respire dans un espace clos, l’air devient irrespirable. Si je mange, une partie de ce que j’ai mangé devient déchet. Survivre, c’est donc transformer une partie de ce qui nous entoure en déchets. Les déchets produits par une espèce, peuvent être utiles à une autre espèce. Ainsi, l’acide carbonique que nous rejetons sert à la respiration des plantes, et l’oxygène rejeté par les plantes est nécessaire à la vie humaine. La vie sur la terre est basée sur l’échange des déchets et il existe un équilibre entre les déchets produits par chaque espèce. Si l’échange des déchets est déséquilibré, Une espèce peut disparaître du système. Puis une autre. Puis encore une autre. Ce qui finit par un désert sans vie. »16 Dotée d’un pouvoir extraordinaire de réflexion, de communication, d’apprentissage et d’action, l’humanité agit sur les milieux en productrice singulière de déchet, dépassant largement la simple problématique de survie. Et si l’humanité ne connait encore qu’une superficielle surface des milieux terrestres, ainsi que des espèces qui les peuplent, ses comportements par leurs actes de prélèvement et de rejet des ressources sur les écosystèmes, ont un caractère fondamentalement destructeur. Caractère qui s’est considérablement amplifié au cours du dernier siècle, à tel point que l’indice Planète Vivante de l’association WWF constate un déclin de cet indice17 de 58% entre 1950 et 2012. Ces comportements destructeurs annoncent conjointement l’épuisement des ressources naturelles, comme l’extinction rapide et lente de nombreuses espèces terrestres. L’alarme sonne. « La planète ne peut fournir à l’infini les matières nouvelles de remplacement, ni recycler les déchets et pollutions. C’est une question de survie à court terme : il est peu probable que l’on ait le temps de coloniser d’autres planètes avant que la Terre ne devienne un désert. » 18 Entrée dans l’aire urbaine, l’humanité habite la terre à travers l’établissement de villes de plus en plus nombreuses et conséquentes.
16
Yona Friedman, comment habiter la terre, l’éclat de poche, Paris, 1976, p.5
17
Indice indicateur de l’état de la biodiversité mondiale. Il étudie les changements temporels d’état de la biodiversité dans le monde. WWF, Rapport Planète Vivant 2016, 18
Jean Marc Huygen Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.389
L’urbanisation est telle qu’en France, c’est l’équivalent de la surface d’un département qui disparait tous les 7 ans, ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité des sols, de leur rôle filtrant jusqu’à la composition de l’humus qui les rends si fertiles. Parrallèlement, les statistiques sont telles qu’en 2050, 75% de la population mondiale vivra en milieu urbain. Ce qui, rapproché à l’évolution démographique prévue à la même date, implique une explosion phénoménale de la production architecturale et urbaine.
Figure 2 Evolution des surfaces bâties dans le monde par rapport à l'augmentation de la population mondiale, @Raphaël Ménard
Aujourd’hui plus que jamais, nous devons poser la question des ressources, de leur valorisation, de leur préservation, de leur transformation et de leur gestion. Dans quelle perspective ? Celle de garantir l’habitabilité des milieux. Celle de garantir les cycles naturels. Celle de garantir l’habitabilité de la terre.
Cette introduction au sujet des problématiques environnementales annonce la couleur de l’héritage que décident de transmettre nos générations averties. En 1979, la première Conférence des Parties se tient à Genève et lance le premier programme de recherche climatologique international. En 1992, le sommet de Rio reconnait officiellement l’existence du réchauffement climatique. En 1994, la question des villes durables est posée sur la table de l’union européenne et la charte d’Aalborg est signée par l’ensemble des participants. En 1997, le protocole de Kyoto qui rassemble 84 états membres de l’ONU vise à une réduction de 5% des gaz à effet de serre.
Depuis s’enchaînent les conventions et les sommets, les promesses électorales et les campagnes de sensibilisation. Chaque année, sommet après sommet, le débat est remis sur la table, toujours plus prioritaire, toujours plus urgent. Et le sujet n’est pas qu’une discussion de table. Innombrabres sont les alertes, qu’elles soient scientifiques, politiques, cinématrographiques, poétiques, médiatiques, qu’elles soient choquantes ou réconfortantes, urgentistes ou optimistes… aucune ne semble avoir fait prendre conscience combien le débat est et demeurera toujours sérieux, combien il en va de l’avenir de nos écosytèmes, combien il en va de notre avenir. Les arguments, tout aussi cohérents et transversaux, ne convainquent que rarement une économie du projet portée sur le court terme et la rentabilité. L’addition des normes environnementales rendent le sujet contraignant et hautement spécialisé, lorsqu’il s’agirait de l’ouvrir largement à la compréhension comme à la portée de tous. La multiplication de labels et de certifications tend vers une uniformisation des réponses apportées et collent à la démarche une étiquette prétentieuse lorsqu’il s’agirait d’expérimenter avec les moyens du bord une démarche avertie et raisonnée. Pourtant, les déchets que nous rejetons aujourd’hui seront les sédiments de demain. L’architecture qui durera sera notre écrin, l’urbanisme reflétera nos modes de vie, nos capacités d’adaptation. Le paysage naturel et agricole sera nos poumons et l’atmosphère sera notre chambre, tel qu’il en a toujours été.
Née dans cette urgence, la génération des sommets et des protocoles n’attend plus le prochain traité, instables et peu efficients. Dans ses mains, l’héritage massif de ses pères. Dans ses actes, celui de ses enfants. Et si elle n’avait pas le choix ? Et si ces héritages n’étaient pas si incertains ? Et si ces héritages pouvaient parler que lui diraient-ils ? L’humanité a toujours réinventé notions et concepts, a toujours réinterrogé ses pères, a toujours annoncé la naissance d’une nouvelle aire, d’un renouveau, d’un lendemain ambitieux et averti. Nous apprenons chaque jour de l’histoire et des témoins qui nous entourent. A travers la lecture des héritages historiques, nous apprenons à comprendre qui étaient ceux qui nous ont précédés, qui sont ceux que nous sommes devenus. Ils parlent d’évolution. Aloïs Riegl le souligne en 1903, « Au cœur de toute conception moderne de l’histoire se trouve l’idée d’évolution. » 19 Les héritages nous parlent. Ils sont des réponses contextuelles et fondent l’évolution des civilisations. Il existe toute forme d’héritages, avec ou sans forme d’ailleurs.
19
Aloïs Riegl, le culte moderne des monuments, 1903, p.11
Et parmi eux, certains sont remarquables. Pour quelles raisons ? Par ce qu’ils porteraient en eux des valeurs à préserver et à transmettre. Ces héritages remarquables sont aujourd’hui qualifiés de patrimoines. Mais là encore, la notion fait débat. Elle pose fondamentalement la question des valeurs qu’elle porte. Aujourd’hui le patrimoine en tant que tel fait peur, il est objet de spécialiste. Qui est-il ? Pourquoi ? Le comprend-on ? Le respecte-t-on ? Est-il original ? Quelles sont ces valeurs ? Ont-elles un sens ? Pour qui ? Qui les administre ? Est-ce un label ? Est-ce une économie ? Est-ce un combat ? Est-ce universel ? Est-ce une histoire ? Est-ce l’histoire ? Peut-on faire patrimoine ? A partir de quand ? Comment faire patrimoine ? Nait-on patrimoine ou devient-on patrimoine ? D’ailleurs… qu’est ce qui fait patrimoine ? Les concepts de valeur et de patrimoine sont aujourd’hui sujets à interprétation. Ils sont en premier lieu très présents dans le langage courant, mais animent également de vastes discussions et affronts de postures dans le monde théorique comme pratique. La notion de patrimoine est contextuelle, historique et évolutive. Elle témoigne de définitions multiples, variées et successives. Ses évolutions linguistiques, pratiques et théoriques lui prêtent tour à tour un regard propre à une époque, une culture. D’ailleurs sur le champ théorique, elle témoigne de rapides mutations. Lourde est la bibliographie et nombreux sont les ouvrages qui définissent, pèsent, répertorient, comparent et s’approprient le mot. Dans le cadre de ce travail, nous nous attacherons à constituer une image synthétique des évolutions qu’elle a subi, ce principalement en France, afin d’en extraire par la suite une utilisation avertie. Nous croiserons l’étude d’Aloïs Riegl qui fonde les conceptions contemporaines de la notion, avec le travail de Thibault Le Hegarat, actuellement docteur et chercheur en histoire contemporaine, qui traite de son évolution et porte son analyse vers sa vulgarisation médiatique. Avant tout il faut comprendre que la notion de patrimoine désignant un bien commun est encore très jeune. De l’antiquité à nos jours, la notion n’invoquait qu’un leg de père à fils, inscrit dans un strict cadre héréditaire. Le mot est issu du latin patrimonium, l’héritage du père... Cette qualité durera jusqu’au prémices du XXème siècle où la notion s’étendra aux biens culturels et monuments d’arts, apparue en 1930 sous la plume de Gustavo Giovannoni, sous l’expression de « patrimoine urbain ».20 Ce n’est donc pas dans l’étymologie du mot que nous pouvons comprendre ses évolutions, mais à travers la mutation de la perception des œuvres transmises, comme à travers les valeurs qu’elles ont incarnées. Nous comprendrons chronologiquement les grandes étapes évolutives qui dépeignent le transfert d’intérêt d’un monde restreint à une opinion de masse. Via l’étude de Riegl, nous traiterons en partie de monuments historiques qui sont une excellente base d’analyse pour comprendre les processus de patrimonialisation.
20
GIOVANNONI Gustavo, L’urbanisme face aux villes anciennes, 1998 Paris e. Seuil, 349p.
A l’antiquité, la valeur d’une œuvre se mesure à la mesure de ce qu’elle représente. « Ce n’était pas à l’œuvre de l’homme qu’était vouée cette pieuse admiration mais à la divinité temporairement installée dans cette forme éphémère. »21 Plus tard, l’empire romain voue un culte indéniable pour les œuvres d’art anciennes, héritage du passé, mais ce pour le seul et simple amour de l’art. Ces comportements au regard des héritages artistiques sont récurrents de siècles en siècles. Au Moyen Âge, certains érudits en marge « développent des réflexions sur la sauvegarde et la préservation d’objets sacrés investis de valeurs. »22 A la Renaissance, la monarchie de François 1er n’a aucune notion de conservation et n’hésite pas à démolir tout ou partie des châteaux qu’elle habite, comme des ailes entières pour les besoins de leur habitation. Tout comme l’église qui détruit ce qui fait obstacle à sa parole tel que les objets païens, antiques, etc… Au XVIIème siècle, à travers la peinture, se développe le culte romantique utopique des ruines. « Tout ce qui était romain passait alors pour le symbole même de la puissance et de la splendeur sur Terre. Le délabrement des ruines devait faire apparaitre au spectateur le contraste très baroque entre la grandeur passée et la déchéance actuelle. »23 Cette admiration romantique est inscrite dans la contemplation d’un héritage altéré par le temps, issu d’un temps révolu. Cette posture idéaliste n’engage ni démarche de documentation ni démarche de valorisation ou conservation d’œuvres historiques à préserver.
« Le principe selon lequel la valeur historique d’un monument était en fonction de son importance pour l’histoire de l’humanité, d’un peuple, d’un état ou d’une église ne fut pas ouvertement répudié, mais dans le fait il tomba en désuétude. A sa place s’affirma nettement l’histoire des civilisations pour laquelle le moindre détail, et surtout le moindre détail, peut avoir une signification. Cette signification réside uniquement dans la conviction historique de l’irremplaçabilité de chacun des fragments les plus infimes au sein de l’évolution, au nom de laquelle même la chose la plus négligeable eu égard au matériau dans lequel elle est fabriquée, au savoir-faire dont elle témoigne ou à son utilité, jouissait encore d’une valeur objective. »24 La révolution française marque un tournant dans la considération des œuvres notamment dans la construction d’une identité et d’une histoire commune. Naissent les premières initiatives de préservation d’un patrimoine partagé à transmettre, notamment pour offrir au peuple une histoire commune. En premier lieu, elles sont impulsées par les communes et quelques intellectuels érudits. En 1783, l’abbé Mercier demande à Paris « qu'aucun monument ancien ne soit détruit sans une
21
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p.P.37
22
LE HEGARAT Thibault, Un historique de la notion de patrimoine. 2015
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RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. P.41
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RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.33
enquête préalable de l'autorité publique ». C’est une première démarche de diagnostic d’un patrimoine. En effet, une prise de conscience émerge au regard de la valeur historique des monuments : « La valeur historique d’un monument réside dans le fait qu’il représente à nos yeux une étape particulière, individuelle en quelque sorte, de l’évolution d’un domaine de la production artistique. »25 En 1789 bat son plein la révolution française. A la période sombre, de nombreux actes de vandalisme sont portés sur les biens mobiliers et immobiliers. Ces actes sont dénoncés par l’abbé Grégoire, évêque et député rallié au Tiers Etat, qui s’insurge à la défense d’un patrimoine existant comme à la création d’un nouveau. En 1794 naît l’inventaire des biens du clergé et de la noblesse. Ce sont les premiers processus de patrimonialisation, tournés vers la connaissance du passé pour comprendre les évolutions du présent. Au XIXème siècle existe une passion au regard des témoins de l’histoire, au regard d’une valeur d’ancienneté. La valeur historique des œuvres, peu importe le contenant ou le contenu, anime et passionne. Aloïs Riegl précise ironiquement « Le récit le plus insignifiant était lu avec délectation et son authenticité minutieusement vérifiée. »26 Les expéditions scientifiques d’Egypte menées par Napoléon 1er amènent la première encyclopédie des connaissances acquises sur l’Antiquité pharaonique et gréco romaine parait sous le titre de Description de l’Egypte. C’est la première démarche d’inventaire des patrimoines colonisés. En 1830, apparait un mouvement de restauration du patrimoine médiéval menacé par la ruine, sous le règne de Napoléon III et Prosper Mérimée, alors inspecteur général des Monuments Historiques. Face à de nombreuses questions relatives à la datation, à l’authenticité, à la reconstitution, à la matière des œuvres… plusieurs théories et débats se constituent. Principalement, Viollet le Duc, architecte en faveur de la réinvention, s’oppose à John Ruskin qui prône une approche romantique, authentique, scientifique et sensible de la restauration. Plus modéré, Camillo Boito se place en position médiane. En 1887 est créé la première loi de protection des monuments historiques qui tend à préserver et valoriser ces œuvres en péril, en même temps que le titre d’architecte en chef des monuments historiques. Début XXème, suite à la séparation de l’état et des Eglises en 1905, de nombreuses paroisses modestes tombent à l’abandon. En conséquence, la mobilisation d’intellectuels et de passionnés aboutissent au vote de la loi de protection les monuments historiques de 1913, tel que nous la connaissons encore aujourd’hui. Cette loi est un véritable tournant dans la reconnaissance et la prise en compte d’héritages historiques par l’état, impliquant la mise en place d’outils de gestion spécifiques comme d’outils de documentation et de connaissance.
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RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.54
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RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. P.33
Parallèlement, lorsque l’histoire de l’art et de l’architecture s’aiguise, les techniques de conservation s’affinent, les altérations se documentent… l’architecture s’ouvre à de nouveaux matériaux, de nouvelles esthétiques et de nouvelles postures théoriques. De nouvelles écoles se créent et des valeurs émergent, posant fondamentalement la qualification des patrimoines. En 1903, Aloïs Riegl missionné par la commission Austro-Hongroise des monuments artistiques et historiques pour réorganiser la conservation des monuments en Autriche, propose une méthode d’analyse des valeurs que portent les monuments. Au sein de cette étude, les valeurs multiples, spécifiques à chaque strate historique, se superposent et s’articulent pour donner au monument sa substance patrimonial. Ces valeurs et peuvent également être liées à l’usage, à l’innovation, à la nouveauté… une ère s’ouvre aux patrimoines : la valeur de contemporanéité, appartenant au temps actuel. Depuis le culte moderne des monuments, se posent les limites temporelles du processus de patrimonialisation. Ce, en dehors des valeurs d’ancienneté qui confortaient jusqu’alors les conceptions théoriques du patrimoine. Aujourd’hui, ces jeunes patrimoines particuliers peinent encore à trouver leur place. En France, un premier label émane de ces réflexions sur les valeurs de contemporanéité pour qualifier l’héritage remarquable du XXème siècle. Ce label mis en place par le ministère de la culture est nommé « Label Patrimoine du XXème siècle ». Après réflexion du ministère le nom de ce label, qui délimitait très clairement un siècle qui s’éloigne chaque jour un peu plus, a été modifié pour devenir « Architecture contemporaine remarquable. » Ce label est désormais attitré aux réalisations de moins de cent ans.
Après le passage des deux guerres mondiales, une conséquente partie des œuvres immobilières et mobilières européen sont détruites ou considérablement altérées. Une indignation de la part du peuple exige leur restauration et ou reconstruction. A cette période, une prise de conscience collégiale s’opère pour la première fois quant aux enjeux de préservation et de valorisation des patrimoines communs. Face à la violence de ces deux conflits internationaux et au navrant état dans lequel l’Europe est retrouvée, des institutions et chartes internationales sont créés, notamment pour permettre de pérenniser les stratégies de protection des patrimoines universels. L’Unesco est créé en 1945 sur les fondations universelles et humanistes du philosophe Henri Bergson. En 1972, la convention du patrimoine mondial pour les biens culturels et naturels est adoptée. Y figurent deux composantes : . Le patrimoine culturel, issu des œuvres culturelles. . Le patrimoine naturel, qui comprend des sites naturels à préserver, inventoriés comme remarquables ou constituant l’habitat d’espèces animales et végétales menacées.
Indéniablement, les populations éprouvent un intérêt croissant pour un patrimoine partagé, de l’échelle locale, nationale à universel. Aujourd’hui, de nombreux outils et dispositifs existent, ayant pour ambition de valoriser, préserver et accessibiliser les patrimoines au plus grand nombre. Des associations à l’initiative citoyenne voient le jour dans l’optique de préserver tel ou tel patrimoine. Le concept de patrimoine immatériel prend place et assoie des cultures locales souvent liées aux questions d’identité qui rassemblent un territoire, une nation, un continent... Depuis les années 1980, « le public est désormais invité par le Ministère de la Culture à enrichir les collections et les listes par ses suggestions. »27 En 1984, sont créés les journées portes ouvertes des monuments historiques, en 1991 sont adoptées les journées européennes du patrimoine qui ouvrent les portes de monuments européens au grand public. En 2010 cinquante états y participaient. En 2010, le code du patrimoine entre en vigueur au sein du droit français. Parallèlement, les médias démocratisent les problématiques de conservation et de financement du patrimoine, accessibilisent des sites de l’autre côté du globe, mettent en lumière tel ou tel richesse insoupçonnée… Le numérique et les technologies permettent la virtualisation des espaces, la numérisation des œuvres… Des sites aujourd’hui inaccessibles sont reproduits en facsimilés, ou visitables en réalité augmentée… Les œuvres sont reproduites, voyagent, sont commercialisées… Les enjeux se démocratisent et entrent à la portée de tous.
A travers cette étude conceptuelle chronologique, il est clair que la conception du patrimoine a connu de vastes mutations. Aujourd’hui, elle s’ouvre à des temporalités bien plus larges, à des acteurs plus nombreux et s’applique à des sujets bien plus transversaux qu’au siècle dernier siècles. D’ailleurs, sa conception est en mouvement constant et tend à élargir ses champs d’action. Nous avons constaté que la patrimonialisation ne pouvait être un acte de création. « Les œuvres ne deviennent pas des « monuments » par l’effet d’une intention qui se trouverait au principe de leur création, ce sont nous, les sujets modernes, qui leur attribuons cette dimension… l’intérêt que nous inspirent les œuvres transmises par les générations qui nous ont précédés n’est pas seulement dû à leur valeur historique. »28 Elle relèverait d’un certain recul sur l’œuvre et sur les valeurs qu’elle porte. Visiblement, une œuvre deviendrait patrimoine par le moyen d’un acte de patrimonialisation. Aujourd’hui, la patrimonialisation intervient en réaction à une menace sur l’œuvre. Elle est issue d’un processus plus ou moins lent de prise de conscience face à un danger porté sur une œuvre dans le court terme. 27
LE HEGARAT Thibault, Un historique de la notion de patrimoine. 2015
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RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.19
De cette analyse chronologique, nous avons pu constater cette prise de conscience progressive qui s’établit face aux œuvres en péril. Nous avons esquissé les débats théoriques et pratiques que pose le sujet. Nous avons constaté l’engouement croissant des peuples pour leur héritage. Nous avons abordé la mise en place d’organisations internationales, de lois nationales, l’établissement d’un code du patrimoine et de chartes d’urbanisme et d’architecture. Aujourd’hui, face à l’urgence, il est temps de poser fondamentalement l’acte de patrimonialisation. Devant le cri d’alerte collégial des scientifiques, face à l’irréversibilité de nos comportements sur les milieux, nous devons faire le point sur le sens profond du concept de patrimoine. Nous devons questionner les valeurs à transmettre et les ressources à préserver aux générations futures. Nous devons interroger profondément l’habitabilité des milieux afin de la garantir. Nous devons poser la question du patrimoine culturel et naturel que nous sommes en capacité de transmettre aux générations futures.
Peu importe les postures, peu importe les cultures, face au péril et à la fragilité des milieux qui nous sont aujourd’hui habitables, il est temps d’ouvrir largement les conceptions patrimoniales de ces mêmes milieux, des cycles que nous traversons, des matières que nous transformons et de l’entropie que nous détournons.
Modernes, ils l’étaient. Les héritages de la modernité le sont-ils encore ? Assurément pour certains, beaucoup moins pour d’autres. Ces héritages issus du mouvement moderne sont multiples, mais convergent en une pensée, en un contexte commun. Ils marquent une claire rupture esthétique, d’échelle et de matérialité avec le temps au sein duquel ils ont vu le jour. De qualités variables, ils constituent aujourd’hui une conséquente partie du parc immobilier français. Nés dans un contexte de migration massive des populations rurales vers le milieu urbain, la production architecturale et urbaine de la modernité répond transversalement à de drastiques problématiques sociétales. Se sont posés parallèlement des enjeux urbains, où il était question de construire des morceaux entiers de ville autour d’une morphologie urbaine ancienne empreinte d’une culture et d’une identité forte, comme des problématiques architecturales où le plus grand nombre devait être logé rapidement pour des coûts minimes. Pour cette étude, nous n’irons pas interroger l’histoire de l’art et de l’architecture à la quête d’un ou plusieurs chefs de file, nous ne débâterons pas sur le début ou la fin de ce mouvement, nous ne critiquerons pas l’esthétique, ni les choix opérés par les concepteurs et les maîtres d’ouvrage. Aujourd’hui en ces lieux, nous parlerons de la capacité de ces héritages à traverser les âges et pour ce faire, nous interrogerons la substance matérielle qui le constitue comme la place qu’elle recouvre dans les écosystèmes urbains.
Ce mémoire tente de dresser des pistes d’action concrètes en engagées dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme pour accompagner la transition urbaine et environnementale au sein de laquelle il est urgent de prendre part. A travers la quête de ce qui se révèlerait être un patrimoine - ressource, ce travail prend racine dans un double constat schizophrène et alarmant. D’une part, déchets abondent et ressources se raréfient. D’autre part, l’héritage moderne est massivement détruit lorsque les constructions contemporaines signent une obsolescence programmée de plus en plus précoce. Nous tenterons de répondre au pourquoi et au comment concevoir l’héritage moderne comme une ressource pour la ville de demain. En une approche écosystémique du milieu urbain, deux hypothèses fondent ces réflexions : . Les héritages de la modernité sont une ressource à l’échelle urbaine et architecturale. . Ils sont un patrimoine particulier qui favorise des postures expérimentales en une démarche définitivement environnementale, minimisant ainsi la consommation de ressources comme la production de déchets.
Nous proposerons trois actes distincts. Chaque acte exposera une posture et dialoguera avec les actes précédents. Ces actes structureront progressivement des alternatives concrètes d’interventions sur les héritages de la modernité.
Le premier acte, DECHETS, traite de l’incroyable histoire du déchet, de son évolution, de sa production à sa gestion contemporaine. Ce à travers deux échelles : l’échelle globale puis celle du secteur de la construction, actuellement premier producteur de déchet. Cet acte nous permettra de comprendre l’évolution des cycles de vie en architecture, que nous mettrons en parallèle avec l’obsolescence croissante des ouvrages contemporains.
Le second acte, RESSOURCES, témoigne du véritable potentiel matériel et culturel que représente la matière urbaine. Nous étudierons spécifiquement l’héritage de la modernité que nous traiterons sous le prisme des ressources patrimoniales comme matérielles qu’il incarne.
Le troisième acte, TRANSFORMATIONS, met en dialogue des acteurs théoriciens et praticiens de cette scène alternative encore timide. A travers des réalisations variées et interscalaires nous étudierons les enjeux, les perspectives et les limites de ces expérimentations qui croisent ressources disponibles et déchets non gérés, tout en questionnant un patrimoine-ressource dans sa valeur de contemporanéité. Cet acte permet d’appuyer les possibles d’une posture engagée.
Tout au long de cette thèse, nous mettrons en dialogue théorie et pratique en citant et rapprochant le témoignage de professionnels, acteurs sur le terrain : architectes, entrepreneurs, ingénieurs, contrôleurs techniques, travaillant dans des bureaux d’études… mais également des penseurs de la ville et des systèmes sociaux : philosophes, géographes, urbanistes ou encore sociologues… Nous adopterons une position où l’acte de transformation relève d’une attitude engagée qui porte une véritable alternative à la situation critique que nous contractons. Dans cette posture, nous interrogerons le patrimoine, non pas seulement dans ses valeurs historiques et - ou esthétiques, mais dans ses valeurs de contemporanéité, dans ses capacités à répondre aux problématiques fondamentalement contemporaines.
« Entre l’être et le non être existe le peut-être » Platon
Le concept de déchet est étymologiquement dérivé du verbe déchoir. Il signifie à partir du Moyen-âge, la part qui est perdue. « Il apparait littéralement dans la langue française au XIIIème siècle en une définition très précise : le déchet est ce qui tombe d’une matière travaillée par la main humaine. »29 Ce concept est jeune à l’échelle de l’humanité. Le déchet tel que nous le considérons aujourd’hui est une invention relative et spécifique à la manière dont les matières sont transformées, transportées, stockées et consommées. Le déchet est révélateur des fonctionnements d’une société. Il est un processus qui définit le rapport qu’entretiennent les sociétés avec leur milieu, dans leur mode de vie et dans la conception des écosystèmes. Dans le contexte des sociétés de consommation de masse, le déchet est banalisé comme un processus inhérent à la consommation. Aussi massive qu’est la consommation, aussi massifs sont les déchets. Rien de plus banal que de sortir ses poubelles sur le domaine public, ce moment où la matière consommée et déchue de son utilité est transférée de la propriété privée à la propriété publique. Ce moment où le consommateur se dédouane de toute gestion de cette dernière, alors prise en charge par le domaine public compétent. Au-delà de la simple et réductrice considération du déchet comme l’aboutissement linéaire d’un processus de consommation, où le cycle de vie de la matière ne se conçoit que comme ayant un début et une fin, se révèle un fonctionnement beaucoup plus complexe des cycles de la matière où rien ne se perd, rien ne se crée mais tout se transforme. Dans cette science précise où toute matière occupe une place dans un milieu, comment définir ou concevoir ce qu’est un déchet ? Comment une matière peut-elle perdre son utilité intrinsèque ? Ce premier acte questionne la matière déchue : pour le meilleur et pour le pire, de sa naissance ou de sa renaissance en tant que déchet à sa réinsertion dans un cycle ou bien à sa fin de vie.
La matière ne se jette pas : elle ne disparait pas, elle se transforme. A travers la conception de Yona Friedman des systèmes vivants, nous avons pu exprimer les relations qu’ont les vivants avec leurs milieux. Cette transformation par le vivant est un processus symbiotique où chaque être y trouve son compte. Dans cette optique, « Le système vivant apparait comme une véritable fabrique de déchets. »30 Mais si le déchet est une conséquence du processus de vie, celui produit par l’homme diffère singulièrement de la totalité du reste des déchets produits par le vivant. La manière dont l’homme transforme ses milieux comme les matières qui le composent évolue en même temps que ses modes de vie. Intrinsèquement, sa production de déchets avec.
29 30
BARLES Sabine, La ville gisement de ressources, p.122
YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Roberto d’Arienzo, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux.P.54
Le déchet ne nait pas déchet, il le devient. Il est une invention très tardive de l’homme. Son apparition et ses évolutions sont des objets d’étude passionnant qui expliquent nombreux de nos comportements contemporains. A l’origine, l’homme ne connaissait pas la notion de déchet, il trouvait d’ailleurs que « tout avait été bien ordonné et arrangé dans le cosmos. » 31 Aristote a propagé cette idée par son aphorisme que « la nature ne fait rien en vain. »32 L’âge classique s’inscrit ainsi dans une pensée collégiale où la nature était bonne et permettait gracieusement à l’humanité de l’habiter. Chaque déchet alors produit par l’homme retrouvait simplement sa place dans les écosystèmes et chaque matière utilisée s’inscrivait dans des cycles de vie articulés. Néanmoins il est indéniable que « chaque acte de consommation » que l’homme prélève à la nature « est un acte de production. »33 L’homme, en même temps que ses découvertes techniques et scientifiques sur la matière, de transformations en transformations, a progressivement « introduit de l’artifice, un artifice que la nature a de moins en moins de moyen de résorber. »34 C’est ainsi qu’est né le concept de déchet. C’est à partir du XIXème siècle que la nature a commencé à connaître des masses de déchets produits par l’homme et sortants radicalement des équilibres cycliques naturels. Ces quantités ont progressivement augmentées en corrélations avec le progrès industriel. « L’industrie moderne a commencé à y porter des transformations si gigantesques qu’elle menace d’altérer l’ordre et les sens. »35
Face à l’accumulation croissante des déchets sur le domaine public, le préfet de la Seine en date, monsieur Eugène Poubelle, signe à Paris l’arrêté préfectoral du 24 novembre 1883. Il instaure alors la mise en place obligatoire d’une boîte à ordures pour être collectée par les services publics. L’objet en question est une boite en bois rigoureusement dimensionnée pour son ramassage dans l’espace public. Elle est capable de stocker hermétiquement les produits nauséabonds comme les cendres chaudes sans prendre feu. Elle est également équipée d’un couvercle et d’une anse pour faciliter sa prise en main quotidienne. Cette boîte aujourd’hui entrée dans le langage courant comme un objet des plus indispensables à la vie domestique était à l’époque une nette révolution. Pourquoi ? Par ce qu’elle a certes permis la mutualisation du stockage et du ramassage de l’ensemble des matières et matériaux déchus. Mais surtout par ce qu’elle a permis la déresponsabilisation des ordures du domaine privé vers le domaine public.
La mise en place du service de ramassage des déchets domestiques a été très vite acceptée par les parisiens mais a provoqué à l’époque de sérieux maux du côté de la presse. Les principales victimes ? Les chiffonniers et autres métiers de rue. Pourquoi ? Car ce nouveau marché du déchet, rapide et réglementé, écrase les temporalités plus longues de ces métiers qui récoltent et commercialisent la matière trouvée sur le pavé.
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YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Chris Younes, Recyclage et urbanité, l’Esprit des matériaux, n°2. Editions de la Ibid. Villette, Paris, 2009, P.100 32
Ibid.
33
Ibid. Roberto d’Arienzo, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux.P.55
34
Ibid. Chris Younes, Recyclage et urbanité, l’Esprit des matériaux, n°2. Editions de la Ibid. Villette, Paris, 2009, P. 101
35
Ibid.
C’est alors toute une gestion comme une économie à Paris qui s’effondre.36 Pourtant, ces métiers dits d’antan, perdus et oubliés, jouaient un rôle clé dans le quotidien urbain. Sur la question des déchets, le chiffonnier était à la clé de la continuité des cycles de vie des déchets ménagers. « Le chiffonnier ramasse tout : les vieux papiers, qu’il revend aux fabricants de carton, les bouchons, les clous, le verre cassé, qui reviendra sur notre table sous forme de bouteille, les os de cuisine, qui servent à faire de la colle, du suif ou bien des brosses à dents. »37 Figure 3 : Un chiffonnier parisien, 1899 @Eugène Atget
Il est clair que l’apparition du ramassage des déchets, simplifiant considérablement la gestion des déchets individuels comme le confort de la ville, occulte la question de « l’après déchet. » C’est un système ingénieux où la matière encombrante et déchue est déplacée en dehors de l’espace urbain sans permettre de posture critique du consommateur sur les conséquences de l’acte de jeter. Ces services ont ainsi considérablement impacté et modifié la manière de produire comme de consommer. Mais ils ont surtout fondamentalement impacté le rapport que l’homme civilisé entretient à la matière, qui passe d’une approche cyclique, où les cycles des vies étaient renouvelés, à une approche linéaire, où chaque déchet jeté disparait dans une boîte à couvercle. Depuis aujourd’hui 130 ans, la production moyenne de déchet est en constante augmentation. Elle s’est ainsi progressivement intégrée au système urbain et architectural.
36 37
« La Joie de la maison », paru en 1899 à la suite de la mise en place de l’arrêté de 1883 Ibid
En 2014, chaque Français produisait 1kg de déchets par jour. Ces déchets ménagers s’additionnent certes à ceux des industries, des transports, du tertiaire et des commerces, mais également à l’accroissement d’une obsolescence où les objets courants projettent dès leur conception une fin de vie de plus en plus rapide, sans possibilité de réparation ou de recyclage. Ainsi, un français jette entre 16 et 20kg d’électroménager par an. En 2018, la banque mondiale estime à 4 milliards de tonnes la production mondiale de déchet annuelle. Chaque jour, l’activité humaine produit environ 10 millions de tonnes de déchets, hors secteurs de l’agriculture et de la construction qui sont clairement les plus grands producteurs de déchets. Bien évidemment, les productions sont telles qu’aucun chiffre, qu’aucune étude et qu’aucune agence n’est capable de quantifier les tonnages réels ou encore les constitutions précises de ces masses. Néanmoins, nous pouvons sur les données entrantes, constater et critiquer d’où ceux-ci proviennent et vers quel chemin ils sont dirigés. Si aujourd’hui, la question du déchet ou plutôt, la problématique du déchet demeure soigneusement occultée, quelques discrètes campagnes de sensibilisation existent. Au cœur de ces campagnes : le consommateur responsable ou éco-responsable, bien que le secteur des déchets ménagers ne représente que 4% de la production totale des secteurs. Sur le podium du tonnage, dépassant largement celui de l’industrie et des ménages, arrive en tête avec un chiffre record le secteur de la construction.
Figure 4: France, production annuelle de déchets par secteur, 2014
Figure 5 : Aishwarya, #FollowMeToo, Mumba, Inde, 2018
Avec deux tiers des déchets globaux, le secteur de la construction porte une réelle responsabilité sur la production globale de déchets. Il représente chaque année des centaines de millions de tonnes de matières qui se retrouvent dans les décharges légales ou non, enfouies, incinérées ou abandonnées sur les routes ou le long des voies ferrées. Les responsables sont multiples mais personne ne porte de réelle responsabilité. En ces lieux, nous comprendrons d’où proviennent ces déchets et analyserons leur quantité comme leur gestion.
En France, les entreprises du bâtiment et des travaux publics produisaient 247 millions de tonnes de déchets en 2014. Le chiffre est d’un tel ordre de grandeur qu’il est complexe d’en mesurer la contenance, et pourtant, suite à la mise en place de processus de valorisation des déchets, c’était 10% de moins qu’en 2008. Ces déchets sont variés et nombreux. Ils sont issus de différents secteurs : . Le secteur des travaux publics, extrêmement producteur de déchet qui représente 200 millions de tonnes de déchets. . Le secteur de la dépollution, qui représente 5 millions de tonnes de déchets. . Le secteur du bâtiment en gros œuvre en second œuvre, auquel nous nous intéresserons, qui représente 42 millions de tonnes de déchets.
Avec 42 millions de tonnes par an, le secteur de la construction dépasse la production de déchet de l’ensemble des ménages de plus de 10 millions de tonnes. Les déchets issus du secteur du bâtiment se distinguent en trois familles qui permettent de nommer le type de matériau. . Les déchets dangereux. Ils contiennent des éléments nocifs ou dangereux qui présentent un risque pour l’environnement ou pour la santé. Ils sont 2% des déchets du bâtiment soit moins d’un million de tonnes. Ils sont les solvants, les métaux lourds, l’amiante…
. Les déchets non dangereux et non inertes : ils ne présentent aucune caractéristique de dangerosité car ils sont non toxiques, non corrosifs, non explosif…, ils constituent 26% des déchets du bâtiment soit 11 millions de tonnes. Ils sont les plâtres, les bois, les métaux…
. Les déchets inertes, chimiquement et physiquement inertes. Ces déchets principalement constitués de déblais et gravats peuvent être stockés, enfouis ou utilisés comme remblais. Ils représentent 72% des déchets du bâtiment soit 30 millions de tonnes. Ce sont les bétons, les briques, les verres…
Figure 6: provenance des déchets du bâtiment, ADEME
Sur ces 42 millions de déchets, 93% proviennent donc des opérations de démolitions et des réhabilitations. A la lecture des statistiques, il apparait très clairement que la majorité de ce tonnage provient de démolitions d’ouvrages. Dans un premier temps, nous pouvons questionner l’impact de la démolition et de la réhabilitation sur la production de déchet, qui mis en corrélation avec la répartition du type de déchet, explique la quantité massive de déchets inertes. Dans un second temps, nous pouvons questionner pourquoi ces démolitions sont si massives. Il faut alors comprendre les processus de démolition à la source.
Figure 7: Répartition des déchets du bâtiment, ADEME
En analysant la répartition de ces déchets il ressort clairement que les déchets inertes représentent une écrasante majorité des déchets de la construction.
Les déchets inertes représentent clairement un enjeu majeur de réduction de la production de déchets du BTP, regroupant 72% des déchets du bâtiment et 30 millions de tonnes annuelles. Ce pourcentage varie en fonction des bâtiments démolis, par exemple les logements sociaux bâtis dans les années 1950 à 1970 présentent plus de 95% de déchets inertes. Ces déchets sont une famille spécifique et problématique car ce sont ces déchets qui : . Ne se décomposent pas, . Ne se brûlent pas, . Ne produisent pas de réaction chimique, . Ne sont en aucun cas bio dégradables, . Mais néanmoins, ne détériorent pas les matières avec lesquels ils entrent en contact. Ils sont très difficilement transformables et portent intrinsèquement une forte entropie. Ils sont néanmoins recyclables : nous aborderons plus tard la difficulté de l’exercice. Nous constatons également que ces déchets sont principalement issus de la démolition d’ouvrages en béton.
Figure 8: Matière et quantités de déchets inertes produits pas le secteur du bâtiment, SOeS, enquête sur les déchets produits par l'activité de construction en France en 2008
Les déchets non dangereux et non inertes sont issus principalement du second œuvre. Ils sont nettement moins massifs mais ils représentent une conséquente masse de déchets : ils comptabilisent annuellement 11 millions de tonnes. Ils sont de natures très variées et portent en chacun des caractéristiques intrinsèques à leur capacité de décomposition, de combustion, de réaction chimique ou de détérioration d’autres matières. . Le bois par exemple est une matière, lorsque non traitée, entièrement réemployable et renouvelable. . Le plâtre, au contraire, altère considérablement les matériaux avec qui il entre en contact et demeure complexe à réemployer. Aussi, leur conservation dépend de la manière dont ils ont été déposés et il existe à l’heure actuelle très peu de valorisation de ces déchets. « Les déchets de second œuvre du bâtiment sont d’une grande diversité mais peu de chiffres existent sur ce gisement. Selon toute vraisemblance, ils sont peu triés et peu valorisés. »38 38
Democles, Rapport final, Chiffres et stats 231 Déchets bâtiments 2008 –SoeS- juillet 2011
Les déchets dangereux sont une faible part des déchets mais portent en eux des problématiques majeures dans l’acte de démolir ou de transformer. Ils sont présents en Gros Œuvre comme en Second Œuvre. En cela, le cout de leur décontamination est clairement un obstacle à la transformation : ils impactent l’économie du projet comme sa temporalité, allongeant fortement les délais d’exécution. Le campus de Jussieu par exemple, en chantier pour désamiantage depuis 1996 et aujourd’hui toujours en travaux. Leur diagnostic est alors un élément clé du processus d’intervention et devient un argument décisif à la stratégie ou non-stratégie de projet. Le secteur de l’amiante en est très représentatif. Il représente un cinquième des déchets dangereux. Alexandre Doyère, directeur d’une entreprise de démolition témoigne « La totalité de mes chantiers intègre des opérations de désamiantage, même dans des quantités infimes. Cela représente en moyenne 10 à 25% des cout d'une démolition. »39
Si la quantité massive et alarmante des déchets issue du secteur de la construction demeure une donnée très peu communiquée ou diffusée, sa gestion n’en est que moins représentative.
Les déchets sortant des chantiers de démolition ou de transformation dépendent certes de la matière présente en l’état des lieux du projet parrallèlement aux interventions prévues, mais également dans les moyens mis en œuvre pour les curages. De manière très claire, la masse de déchets s’accroit en fonction du nombre de salarié que comporte l’entreprise de démolition… « D'abord parce que nous manquons de temps sur un chantier, ensuite parce que le coup d'une dépose soignée est infiniment supérieur au cout d'une dépose mécanisée. »40 Sont également des facteurs d’accroissement, le manque d’espace de stockage et la trop grande rapidité des délais de ces entreprises. « L’important est que nous libérions l'espace rapidement afin que le chantier de construction puisse commencer. Nous manquons également d’espace de stockage : nous ne pouvons même pas stocker la terre végétale présente sur un site à des contraire quand le maître d'ouvrage prévoit d'en utiliser pour un bâtiment neuf. Nous l'évacuons et il en rachète. »41
39
YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Alexandre Doyère, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Matière Grise, Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313 40
Ibid, Alexandre Doyère, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Matière Grise, Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313
41
Ibid,
Au regard du nombre conséquent de démolitions, la question de leur autorisation se pose. Leur accord massif interroge le cycle de vie et la consommation des ressources car la masse de matière qui résulte de la démolition, lorsque mise en relation avec les ressources nouvelles consommées par la construction neuve, pose un constat schizophrène où déchets abondent et ressources se raréfient. Aujourd’hui, ces déchets sont issus en grande majorité d’un permis de démolir délivré par les autorités compétentes. La demande est adressée par la maîtrise d’œuvre et accordée par la mairie compétente. Mais ce permis, qui pourrait avoir pour vocation d’anticiper la démolition systématique, n’est exigé que si le bâtiment relève d’une protection particulière, ou s’il est situé dans une commune où le conseil municipal a décidé d’y instaurer ce permis. Ce qui explique l’augmentation massive de la production de déchet notamment inertes dans le secteur.
En théorie et légalement, une fois ces déchets produits, l’ensemble « s’oriente : . Soit vers une plateforme de recyclage pour les déchets inertes, . Soit vers un centre de valorisation ou un site d'enfouissement pour les déchets non dangereux. . Les déchets dangereux suivent une filière adaptée. »42
Dans le meilleur des cas, le déchet s’inscrit dans un cycle de valorisation, c’est-à-dire « toute opération dont le résultat principal est que des déchets servent à des fins utiles en substitution à d’autres substances, matières ou produits qui auraient été utilisés à une fin particulière. »43 Les filières de valorisation sont aussi nombreuses que les types de matériaux. En dresser l’inventaire serait trop complexe. Nous synthétiserons en soulignant qu’elles sont possibles, que les études ont été menées testées et prouvées, mais qu’elles demeurent encore trop inaccessibles pour de multiples raisons. « Il n’existe pas de professionnels des matériaux de réemploi en France dans la construction, en dehors des matériaux patrimoniaux. »44 Pour plus d’informations, Recyclum détaille les filières de valorisation possibles pour chaque type de matériau : www.recylum.com/democles-valorisation-dechets-btp Sont également appelés valorisation les processus d’élimination : par la combustion qui permettent la production d’énergie, nommée valorisation énergétique, ou bien par l’enfouissement « utile » de matériaux inertes à des fins de terrassement… pas très cyclique comme approche de la matière.
42
YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Alexandre Doyère, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Matière Grise, Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313 43 44
Dépôts sauvages et aménagements illégaux de déchets du BTP, Direction générale de la prévention des risques, Mars 2016
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Frederic Anquetil, président de l’association Les Bâtisseurs d’Emmaüs, p.169
L’élimination est effectuée lorsqu’aucune valorisation de la matière ne serait possible. Elle est produite soit par incinération, soit par enfouissement. Le déchet est enfoui : 90% des déchets inertes. Ils sont considérés comme étant stockés. Considérés comme de la « terre » les déchets inertes sont contrôlés uniquement visuellement et olfactivement par les conducteurs de véhicules sans qu’aucune protection ne soit nécessaire pour la nappe phréatique… Ces champs d’enfouissement se positionnent sur des terres fertiles : « la terre végétale est alors décapée de son sol naturel sur une hauteur de 2 mètres, stockée et restituée 20m plus haut une fois les travaux d’enfouissement terminés sur une épaisseur de 1.5m pour des terres agricoles, et 50cm pour des sols destinés aux plantations forestières et aux vergers... » 45 Inutile de souligner l’impact hydraulique et environnemental de ces solutions qui déstructurent profondément les paysages et les écosystèmes exploités notamment à des fins agricoles. Le déchet est incinéré : ce processus permet de réduire efficacement leur masse tout en produisant de l’énergie. Ces usines apparues dans les années 1960 permettent de réduire 70 des masses et 90% du volume des déchets. Elles permettent de produire de l’énergie par la combustion des déchets, ce qui est ainsi nommée valorisation énergétique. Sauf que ces incinérations ne permettent pas la disparition des déchets. Ils changent simplement d’état et rejettent dans l’atmosphère des oxydes d’azote, du souffre, de la dioxine comme des métaux lourds. Inutile de souligner les conséquences désastreuses de la présence en grande quantité de ces particules qui circuleront alors dans les cycles naturels. L’intégralité des déchets n’est pas brûlée : restent les résidus de fumées ainsi que les résidus solides appelés mâchefers. Ces résidus sont donc le déchet du déchet, l’ultime. Le concept de déchet ultime est significatif de la conception linaire de la matière et de sa consommation. Les déchets ultimes sont ceux dont on a déjà extrait la part valorisable et ceux que l’on ne sait pas valoriser dans des conditions techniques et économiques acceptables. Ces déchets doivent être traités, même si personne ne sait comment. Ils sont alors « stockés » par enfouissement.
Figure 9: Colline d'enfouissement des déchets inertes
45
Enquête de Baptiste Clarke, les conditions d’enfouissement des déchets inertes en question, 2014
En conséquence, les déchets du bâtiment ont été au centre de l’attention lors de l’élaboration de la loi du 17 aout 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Cette loi retranscrit une directive européenne sur la question plus large des déchets. Cette directive impose la valorisation de la matière de 70% des déchets de construction et de démolition d’ici 2020. Ainsi, trois quarts des déchets présents sur un chantier de démolition devront retrouver une seconde vie. En 2018, la France en est encore bien loin… Moins de 50% des 42 millions de tonnes de déchets sont valorisés. Et concernant le second œuvre… le taux tombe à moins de 35%.
Figure 10: Les déchets du bâtiment, en million de tonnes, Démoclès, 2014
Recyclum, un éco-organisme à but non lucratif, fait ce constat inquiétant : chaque acteur échange à propos des déchets mais le résultat est une véritable « tour de Babel » de la gestion des déchets. Chaque acteur intervient à tour de rôle et a sa propre vision du sujet déchet, doublé d’une connaissance insuffisante sur la problématique globale. De plus, l’ensemble des acteurs sont sceptiques quant aux coûts et aux pratiques que génèreraient une meilleure gestion.
Le tout à la benne, lorsque l’ensemble des déchets sont jetés dans le même contenant est une pratique des plus communes sur les chantiers non réglementés. 90% des déchets du second œuvre sont collectés en mélange, ce qui empêche leur valorisation. Exemples : brisures de verre ou de plâtre irrécupérables, mercure des tubes fluorescents qui contamine l’ensemble de la benne, plâtre souillé, etc.
Au contraire, la dépose sélective et le conditionnement approprié permet de valoriser jusqu’à 80% des déchets issus du second œuvre. Democles cible 24 types de déchets du second œuvre, dont 15 sont valorisables et 10 doivent être conditionnés à part. pour éviter les contaminations et optimiser les valorisations. Pour faciliter leur dépose et leur conditionnement, les déchets peuvent être transportés et stockés dans des petits contenants mobiles et adaptés au type de déchet. La gestion des déchets ne coûte pas plus chère. Les coûts de dépose sélective sont compensés par une baisse des coûts de manutention et de traitement des déchets
Les 50% des déchets restants non valorisés sont alors soit éliminés soit se retrouvent en dehors des circuits légaux. Il est très difficile de trouver des chiffres qui quantifient ces deux secteurs. Ces espaces de stockage illégaux sont observables sous deux formes : Les décharges illégales : ce sont des installations professionnelles dont l’ICPE46 fait défaut. Pourtant déposes régulières de professionnels du BTP. Ces décharges sont gérées par des entreprises et l’entrée sur le site fait souvent l’objet d’une contrepartie financière. Les dépôts sauvages : Acte d’incivisme de particuliers ou entreprises. Déposes ponctuelles de faibles ampleur et dispersées sur des terrains multiples sans autorisation du propriétaire. Un des exemples les plus parlants et les plus médiatisés reste la plaine de Carrières sous Poissy à proximité de la région île de France où les déchets illégaux de tout type s’étalent à nu sur les terres agricoles « un volume total estimé à plus de 7700 m3 sur plus de 45 ha. »47 En dehors de ces circuits illégaux, d’autres trouvent des failles au système juridique et montent de fausses filières de valorisation : « La vigilance des maires doit être mobilisée, car de nombreuses dérives découlent de l’absence des autorisations nécessaires pour les opérations de valorisation de déchets en travaux d’aménagement (dans la majorité des cas ce sont des déchets du BTP). Ainsi, sous couvert d’aménagements, se cachent souvent des pratiques d’élimination illégale de déchets, qui constituent des dépôts sauvages. » 48 Cette étude sur les aménagements illégaux indique que les cas les plus fréquents de fausses valorisations sont des mesures inutiles telles que : . Des murs d’isolation phonique parfois réalisés alors qu’aucune habitation ne nécessite d’être protégée du bruit ; . Des rehaussements de sols dans les champs sous prétexte d’améliorer la qualité agronomique : la couche de terre superficielle est retirée, puis des déchets de démolition sont épandus et enfin la terre est remise en place ; . Des remblaiements d’anciennes carrières qui ne sont plus couvertes par arrêté préfectoral et qui ne présentent pas de risque d’effondrement ; . Des merlons pour les aménagements « paysagers » non nécessaires… Le diagnostic déchet est obligatoire pour toute démolition ou réhabilitation de plus de 1000 m² depuis le 1er mars 2012. Sa mise en place permet d’identifier et de cibler les attitudes comme les filières de valorisation vers lesquelles orienter les déchets. « Le diagnostic déchets et un outil nouveau mais incomplet. Il est réalisé à la demande du maître d'ouvrage par des consultants extérieurs, dans le cas d'une démolition de plus de 1000 mètres carrés. »49
46
Installation Classée pour la Protection de l’Environnement
47
Source : Dechargeonslaplaine.fr
48
Dépôts sauvages et aménagements illégaux de déchets du BTP, Direction générale de la prévention des risques, Mars 2016
49
Enquête de Baptiste Clarke, les conditions d’enfouissement des déchets inertes en question, 2014 Rony Chebib, directeur général de BTP Consultants, La norme tue l’imagination, p.271
Cette mesure part d’une bonne intention mais ne promet aucun effet réel car « Il n'y a aucune obligation pour le maître d'ouvrage de tenir compte dans leur gestion des déchets. Cela reste de l'information sans suite. Alors que le diagnostic en lui-même est intéressant, sur les possibilités de déconstruction sur les quantités de matière à récupérer. »50 Alors que justement, une bonne gestion des déchets nécessite des connaissances particulières, que ce genre de diagnostic amènerait au tryptique maître d’ouvrage, maître d’œuvre et entreprises…
La production de déchet tel que nous la connaissons depuis les dernières décennies est extrêmement alarmante et porte un poids lourd à la fois environnemental et économique. Chaque fois qu’un déchet est jeté, il y a deux conséquences négatives pour la planète : . D’un côté, l’appauvrissement du gisement de matières ; . De l’autre, l’augmentation des quantités de déchets à stocker - avec risque de pollution.
Figure 11: Guide pratique du réemploi des matériaux de construction, 2013
Le schéma est simple : la matière extraite ne s’intègre plus au processus de transformation des cycles. Par conséquent, elle devient de la matière en surplus qui n’existait pas au préalable dans les écosystèmes. Les impacts ne sont pas encore totalement renseignés mais ils tendent très clairement à provoquer des réactions en chaîne dans les cycles de la matière et des écosystèmes.
50
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Rony Chebib, directeur général de BTP Consultants, La norme tue l’imagination, p.271
Selon la nature des lots, l’élimination des déchets est évaluée entre 1 et 8% du montant des lots. A noter que si les déchets sont mélangés, le prix pratiqué est celui du déchet le plus cher. Ce qui signifie qu’un tri minimal est économiquement intéressant.
DI : Déchet Inerte. DD : Déchet Dangereux. DN : Déchet non dangereux. Figure 12:Estimation des coûts - déchet, hors transport et location des bennes, la tonne
En observant l’économie du processus de fin de vie, il apparait que : . Les déchets sont économiquement inégaux entre eux et que la question de leur volume n’a pas de réelle répercution économique. (Le prix dérisoire du stockage des déchets inertes par exemple) . La question de leur élimination est beaucoup plus onéreuse que celui de leur recyclage. (Alors que le recyclage, bien au contraire, peut introduire une économie circulaire des plus intéressantes...)
Mais l’économie intrinsèque du déchet n’est pas l’unique prisme par lequel nous devons positionner une critique sur l’économie globale que cette question pose… Car nous l’avons constaté, les déchets enfouis comme le déchets incinérés entraînent des modifications profondes des compositions atmosphériques comme topographiques. Ce qui à long terme (de plus en plus court soit dit en passant) aura des conséquences économiques et ce à des échelles beaucoup plus globales et transversales que le simple secteur du BTP. La question est semblable à celle des déchets nucléaires, des micro plastiques ou encore de la pollution de sols et des eaux par exemple qui sont de véritables bombes à retardement. De plus, leur recyclage, leur stockage comme leur élimination avec toutes les strates de mise en œuvre qui en découlent nécessitent une énergie considérable.
Figure 13 : La plaine de Carrières sous Poissy, Dechargeonslaplaine.fr
La production de déchets de construction croissante en architecture interroge la manière de concevoir comme de fabriquer l’architecture. Elle pose fondamentalement la question des cycles de vie. Ce, à deux échelles : celle de la matière, comme celle de l’architecture. Le cycle de vie porte en lui la notion de vie et de mort. L’utilisation de ce concept applique alors à une matière un début de vie de vie comme une fin. L’étude des cycles de vie des matériaux permet de tracer les utilisations temporelles que l’homme en a fait. Qu’y a-t-il après la mort ? Avant la vie ? En théorie, un autre cycle. Dans cette sous partie, nous étudierons les cycles pour arriver à la conception contemporaine de l’architecture et de la matière qui la compose.
En architecture, deux « types » de vies se distinguent : la vie technique et la vie fonctionnelle. Ces deux vies s’impactent mais peuvent toutes deux, indépendamment, entraîner la démolition d’un ouvrage. C’est celle qui résulte de « l’usure » d’un ouvrage, de l’altération des matériaux mis en œuvre. Aujourd’hui, les outils disponibles permettent de définir très précisément la durée de vie technique des produits qui composent les bâtiments. Ces techniques d’analyse sont nommées l’ACV (l’Analyse du Cycle de Vie) et permettent notamment de dresser un bilan environnemental des matières utilisées. Au regard de l’ensemble des durées de vie des matériaux qui composent un ouvrage, c’est bien la durée de vie de la structure qui traduit sa durée de vie technique puisque les autres composants dont la durée de vie est parfois très courte n’ont pas d’impact direct sur la pérennité de l’ouvrage. Aujourd’hui, ces cycles de vie sont normalisés et réglementés sur les matériaux neufs. L’Eurocode 0 préconise une durée de vie de 50 ans pour les bâtiments courants. Ce qui pose question sur la pérennité des constructions neuves.
Il est clair que la vie technique n’est pas la seule entrée du cycle du vie d’un ouvrage. La vie fonctionnelle impacte considérablement sa vie technique. Il est un des critères de pérennité. « Il est à noter que rarement les bâtiments ne s’effondrent d’eux-mêmes et les démolitions ayant pour cause ce risque sont très occasionnelles. »51 La vie fonctionnelle, comprenant l’habitabilité d’un ouvrage et les interventions de maintenance qui le concernent, est au cœur de la longévité de son cycle de vie. « La surveillance, l’entretien et les réparations engendrent l’extension de la durée de vie potentielle. »52
51 52
Marc Méquignon, « Durée de vie et développement durable », Les CRAU 26/27. P.228
Inês Flores-Colen, Jorge de Brito, « A systematic approach for maintenance budgeting of buildings façades based on predictive and preventive strategies », Construction and Building Materials, vol. 24 n° 9, Lisbonne, septembre 2010, p. 1718
Figure 14: Impacts de la vie fonctionnelle sur la vie technique
Si les cycles de vie dépendent donc de la vie technique et fonctionnelle, ils dépendent également des cycles d’altérations de la matière, liés au temps qui passe, qui sont et seront toujours inévitables. Et c’est d’ailleurs bien cette altération impérieuse qui applique aux ouvrages vieillissants cette patine temporelle fascinante qui anime l’esthétique de l’ancien, du passé. « L’altération est constante et inexorable. La loi du cycle – dans la perception de laquelle semble reposer la véritable satisfaction esthétique de toute personne qui, à l’époque actuelle, contemple un monument ancien – n’exige non pas le statu quo de la conservation mais le mouvement incessant du changement. De même le monument lui-même ne doit pas être soustrait à l’action dissolvante des forces de la nature tant que celle-ci s’exerce avec une constance paisible et impérieuse et non pas avec une soudaine violence destructrice. »53 En cela, la conservation éternelle est impossible et l’altération de la matière doit être fondamentalement intégrée au cycle de vie d’un ouvrage « les forces de la nature ont toujours le dernier mot sur les gesticulations humaine et l'homme lui-même en tant qu'individu opposé à la nature fini par disparaître en elle. »54 Nous pouvons néanmoins remarquer qu’elle est si lente que « L’activité dissolvante des forces de la nature est si lente que même des monuments millénaires seront probablement conservés pour une durée suffisamment longue. »55 La question de la vie fonctionnelle et technique revient alors comme une des priorités constantes du maintien optimal d’un cycle de vie.
53
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.48
54
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.66
55
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.50
Les démolitions massives et les déchets qui en résultent parlent donc des sociétés et de leur manière de produire comme de pratiquer les architectures. Lorsque les cycles de vie sont analysés, ils tendent clairement à se raccourcir, lorsqu’un bâtiment neuf est livré pour une durée moyenne de 50 ans. La durée de vie des ouvrages est donc davantage liée à la fonction du bâtiment qu’à ses performances techniques. Si un ouvrage n’est pas ou mal entretenu, il est exposé à de graves altérations qui mettent en péril l’ouvrage comme ses habitants. « Chaque trou pratiqué dans ses murs et plafonds par la force de la nature doit être immédiatement rebouché, les infiltrations d'eau doivent à tout prix être endiguée voir prévenues, etc... »56 Et inversement, un ouvrage entretenu et adapté progressivement aux problématiques des époques permet considérablement d’allonger son cycle de vie. Car c’est bien cette salubrité le rôle premier que doivent assurer les ouvrages. Or l’insalubrité du parc immobilier français pose aujourd’hui encore de graves problèmes sociaux comme sanitaires. « La précarité énergétique, l'humidité, la poussière, le bruit, le manque de lumière des appartements engendrent des maladies aussi bien physiques (asthme, allergies, angines...) que psychiques (stress, dépression...), rappelle La Fondation Abbé Pierre, avant de marteler qu'un logement insalubre a des conséquences directes sur la santé. »57 Les nombreux rapports comme les actualités contemporaines témoignent de ces phénomènes alarmants liés au manque d’entretien et de requalification. Le rapport annuel de la fondation Abbé Pierre de 2018 annonce 12 millions de personnes en précarité énergétique, soit un cinquième des ménages français. Plus qu’un sujet de santé publique, il est également une urgence environnementale à résoudre. Nous serons brefs sur ce volet inquiétant qui mérite toute l’attention des politiques comme des acteurs du bâtiment. Nous soulignerons seulement que « certains indicateurs marquent un vrai recul. Alors que la rénovation et l'isolation thermique des logements sont affichées comme des priorités gouvernementales, la proportion de personnes disant souffrir du froid augmente de façon marquée. Elles étaient 10,9% à s'en plaindre en 1996, 14,8% en 2002 et 18,8% en 2013. Au total, 4,7 millions de ménages (11 millions de personnes) sont touchés... »58 Si l’insalubrité justifie la ruine et/ou la démolition préventive, un autre facteur des plus préoccupant apparait au sein du secteur de la construction neuve et impacte considérablement le parc immobilier français. Il est question d’obsolescence. Dans un premier temps, cette obsolescence s’exprime dans l’évolution de la qualité de prestations et produits proposés. Certains matériaux par exemple, tel que les matériaux de second œuvre, les peintures protectrices, certaines menuiseries, ou même certains bétons, ont présenté lors des dernières dizaines d’années des cycles de vie des plus en plus courts. Parallèlement, la multiplication des produits disponibles à la vente a créé une concurrence telle que les entrepreneurs tendent à se diriger vers les produits les moins onéreux et bien souvent, les plus obsolètes.
56
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.73
57
Anne Brigoudeau, les chiffres clés du mal logement à retenir du rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, 2016
58
Anne Brigoudeau, les chiffres clés du mal logement à retenir du rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, 2016
Dans un second temps, elle résulte de la production même de cette architecture qui s’éloigne de plus en plus des pratiques qu’elle générera dans le temps long. Frederic Anquetil, président de l’association les bâtisseurs d’Emmaüs témoigne : « L’obsolescence découle soit de la réglementation, soit de la normalisation, soit des incitations fiscales, elle n’est pas tant programmée que ça »59 Prenons l’exemple des incitations fiscales : pour un investissement fiscal, il est beaucoup plus intéressant de se diriger vers un produit neuf de type loi Pinel qu’un bien existant tel que ceux concernés par les lois Malraux ou Monument Historique. Ces demandes croissantes d’investissement Pinel où les produits tendent à être très accessibles, génèrent un marché où le logement neuf devient un produit fiscal et où la matière comme la pérennité des biens sont loin d’être la préoccupation des investisseurs. De plus l’incitation fiscale propre à la transformation et au maintien du cycle de vie des ouvrages tel que le proposent les produits fiscaux Malraux ou Monument Historique ne s’appliquent qu’à des ouvrages protégés, sont destinés à des investissement conséquents et sont alors adressés à des populations aisées. Cela amène des problématiques telles que la gentrification ou la non-intervention sur les ouvrages. Dans un troisième temps, la question des démolitions foncières pose des problématiques morales sur la légitimité d’une démolition. Les opportunités liées au foncier comme à l’économie engendrent des situations où des ouvrages flambant neufs sont démolis sans aucune défaillance matérielle. « Sur l’un de nos chantiers actuels à bâtiment entier en structure métallique va être démoli alors qu’il a moins d’un an. »60 Enfin, et c’est bien ce cas de figure dont nous parlons, la problématique morale du risque, du prix et des délais que demandent la transformation face à la démolition-reconstruction pose une problématique d’obsolescence alarmante. Face à ces paramètres alarmants les professionnels se sont mobilisés et certaines mesures ont été mises en place. En 2007, l’ordre des architectes a rappelé que « les constructions doivent être pensées dans le long terme ». En même temps, l’Assemblée générale du conseil des architectes d’Europe écrit « il faut chercher à prolonger la vie des structures existantes. » La pérennité des cycles de vie au regard de l’obsolescence contemporaine doit devenir une priorité nationale, comme une priorité de la profession. Pour réconcilier la poubelle et l’architecte, il faut pouvoir dépasser ces cinquante années de vie pour pérenniser le parc immobilier existant, il faut optimiser et garantir la vie technique comme fonctionnelle des ouvrages. Enfin, il faut remettre fondamentalement en cause l’acte de démolition et résoudre les problématiques contemporaines tout en travaillant avec l’héritage des générations antérieures. Pour cela, des combats sont à mener de front et de toute urgence, notamment sur notre héritage contemporain. « En 2006, l’INSEE comptabilisait 12 millions de logements ayant plus de cinquante ans et 5,33 millions de logements ayant plus d’un siècle. Ces chiffres importants ne peuvent pas être le résultat d’un hasard. Comment l’Eurocode 0 peut-il avoir déterminé une valeur de 50 ans pour le calcul des structures ? Résulte-t-elle d’une optimisation des coûts économiques, environnementaux et sociaux ? Ne devraitelle pas être le résultat d’une volonté collective de la société civile ? Il est probable que cette durée « normalisée » devienne un objectif pour les professionnels. Dans ce cas, satisfera-t-elle les maîtres d’ouvrage ? »61
59 ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise.
Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. ANQUETIL Frederic, président de l’association Les Bâtisseurs d’Emmaüs, Matière Grise p.169 60
Ibid, DOYERE Alexandre, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Matière Grise, Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313
61
MEQUIGNON Marc, « Durée de vie et développement durable », CRAU, 26/27. p.231
Figure 15: Effondrement d'un immeuble insalubre Ă Marseille le 13 Novembre 2018
L’héritage contemporain auquel nous nous intéresserons est un héritage encore très jeune, souvent de moins de 60 ans et qui résulte d’un contexte particulier et épanoui de la construction nationale. L’héritage que nous nommerons de la modernité résulte de la pensée constructive et sociale du mouvement moderne. Il est une part majeure et très conséquente du parc immobilier français et dépasse aujourd’hui l’espérance de vie des ouvrages neufs. Qui est-il précisément ? Difficile à dire puisque nous la notion fait débat et s’étale dans le temps. Mais ce n’est pas vraiment ce débat qui nous intéresse en ces lieux. Car pour cette étude, nous n’irons pas interroger l’histoire de l’art et de l’architecture à la quête d’un ou plusieurs chefs de file, nous ne débâterons pas sur le début ou la fin de ce mouvement, nous ne critiquerons pas l’esthétique, ni les choix opérés par les concepteurs et les maîtres d’ouvrage. Aujourd’hui en ces lieux, nous parlons de la capacité de ces héritages à traverser les âges. Pour cela, nous interrogeons la substance matérielle qui le constitue. Pour cela, nous interrogeons la place qu’elle recouvre dans les écosystèmes urbains. Nous étudions alors cet héritage dans sa matérialité, comme dans son évolution contemporaine dans le paysage urbain et architectural afin d’en cerner les enjeux comme les possibles. Car à la suite de l’impressionnant programme public de déconstructions de grands ensembles des années 1960 à 1970 - qui a généré leur démolition massive – et à la suite des altérations techniques et fonctionnelles que connaissent nombreux de ces ouvrages, il apparait clairement que cet héritage est, en plus d’être un producteur de déchets massifs et complexes, un héritage en péril.
Il était question de reconstruction à la suite du passage des deux guerres, mais également, du développement démographique et économique des villes provoquant une urbanisation massive et rapide. Il était également nécessaire de reloger les populations d’immigrés et de rapatriés. Les commandes étaient alors nombreuses et variées et d’immenses programmes nationaux ont été lancés, ayant pour objet de répondre à des problématiques que jamais de l’histoire de la ville, les architectes n’avaient connu. En cela, Il y a eu « non pas des utopies mais des réponses sous influence. »62 Pour en obtenir un panorama, listons les principales étapes de la construction de cet héritage : La révolution industrielle modifie progressivement l’aménagement des territoires et développe des économies comme des typologies urbaines d’activités, de service et de logements. La chute de ces industries dans les années 1980 a laissé des marques profondes et des ruines industrielles à profusion sur l’ensemble des régions françaises. Les deux guerres mondiales ont fait perdre à la France 18% de son capital immobilier avec 2 millions de bâtiments d’habitation totalement ou partiellement détruits. Ce qui généra des travaux colossaux de déblaiement, terrassement, restructuration et reconstruction de bâtiments, quartiers ou parfois même, de villes entières.
62
DRUOT Frédéric, Lacaton Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 167p. p. 21
« À la suite de la campagne de relogement suscitée par l'abbé Pierre en février 1954, sont créés les Logements Économiques de Première Nécessité réalisés dans l'urgence et rapidement qualifiés de taudis neufs. Un an plus tard, est lancée l'Opération Million (un logement pour un million) concours de plans types, destinés aux travailleurs pauvres "ne pouvant supporter les loyers de rentabilité afférents aux HLM à normes ordinaires". Ainsi, sont réactivés les Logements Économiques Normalisés (LEN) imaginés dès 1953. »63 Ce sont ainsi de milliers de logements économiques qui sont construits sur le parc immobilier français dans les périphéries. Mais l’économie administrative de l’époque, qui exprimait l’urgence des besoins, « a occulté une partie des réponses à apporter. L’occasion de produire de nouvelles typologies s’est perdue dans la vitesse de l’économies administrative du moment… »64 Les fameux. Cette typologie qualifiée et connue par tous, qui a tant impacté le paysage et l’ensemble des villes. Les grands ensembles sont définitivement ces ouvrages de logement collectifs présentant de plusieurs centaines à milliers de logements. Construits dans les années 1950 à 1970, ils sont un urbanisme rationaliste d’architecture de barres et de tours, typologie facilitant la pose d’éléments préfabriqués mis en œuvre par le moyen de grues posée sur des rails. Les grands ensembles sont estimés à 6 millions de logements. De la révolution des transports à ceux des congés payés, les stations balnéaires aux lieux de villégiature se développent et se multiplient sur le territoire français dans les années 1960 et permettent au plus grand nombre l’accès aux vacances. En bord de mer ou à la montagne, la commande publique multiplie les chantiers et offre aujourd’hui un héritage massif riche d’expérimentations sociales et spatiales emblématiques de la modernité. L’héritage de la modernité présente bien d’autres « typologies » que nous ne citerons pas mais qui portent les mêmes problématiques matérielles dont nous parlons ici.
Si nous nous penchons sur leur matérialité, nous distinguons deux matériaux majeurs : l’offre de construction de la modernité étant essentiellement issue de procédés d’industrialisation, ce sont le béton et l’acier qui fondent et constituent la masse architecturale et urbaine de cet héritage. Ce qui a notamment permis leur quantité massive comme leur rapidité de montage et leur économie. Ce sont les éléments de fonte, moulés et assemblés par des systèmes proches des charpente bois. Rivée et boulonnée, la construction en acier triomphe, permettant d’incroyables franchissements dans les grands bâtiments et ouvrages d’arts de la fin du XIXème. Ces matériaux demandent de nouveaux outils qui combinent des savoirs faire artisanaux, mais « écartent toute référence au classicisme »65 et génère progressivement de nouvelles possibilités spatiales et constructives. Ces procédés sont dans un premier temps recouvert de pierre et de briques puis apparaissent à nu pour révéler les ossatures et les procédés constructifs. L’acier est un procédé léger, rapidement mis en œuvre qui impacte et transforme les coûts et les délais. Selon son mode d’assemblage, l’acier est un matériau montable et démontable.
63
DRUOT Frédéric, Lacaton Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 167p. p. 21 CANDILIS George : AA n° 395 1976
64
Ibid
65
Gérard Monier, l’architecture du XXème siècle, un patrimoine, SCERN, 234p. 2004 p.18
La question de sa fabrication pose de drastiques problématiques environnementales. Penchons-nous sur sa composition. Le fer fait partie des 182 éléments qui composent la planète terre et est estimé à 35% de sa masse globale. Il est présent essentiellement dans le noyau de la terre. Son extraction à des fin d’exploitation est prélevée de la croute terrestre. Le minerai de fer est donc extrait des sols de certaines zones géographiques qui présentent des densités fortes en minerai de fer. Les minerais de Loraine par exemple présentent une teneur en fer de 30% mais sont progressivement abandonnés au profit de minerais plus riches mais beaucoup plus loin. Aujourd’hui les minerais sont essentiellement extraits de Suède, du Brésil ou d’Australie où la teneur est de 68%. Ils sont ainsi transportés à travers le monde par bateaux (minéraliers qui transportent chacun 230 000 tonnes de minerai). Et parviennent aux industries « locales » qui sont directement implantées sur les ports (Fausse sur mer et Dunkerque en France). Il est ensuite concassé, broyé, criblé, partiellement fondu pour obtenir un minerai concentré et aggloméré. Puis ce minerai concentré est fondu dans les hauts fourneaux à plus de 2200°C pour obtenir de la fonte. Combustion réalisée grâce à celle du coke… du Carbonne à l’état pur. Avec une tonne de minerai de fer, on obtient 600kg de fonte. La fonte est ensuite nettoyée de ce carbone et de ses impuretés en une combustion à 1600°C pour obtenir… de l’acier. Cet acier est ensuite affiné pour obtenir des métaux différents. Il est ensuite refondu et laminées à chaud pour obtenir les formes industrielles, puis laminées à froid pour des sections plus fines. L’acier est donc un procédé de transformation de la matière extrêmement complexe qui présente une entropie très élevée.
Le béton a provoqué une véritable révolution architecturale. A tel point qu’aujourd’hui 80% des constructions françaises sont en béton. Après l’invention du béton armé par François Hennebique en 1892, qui offre des qualités structurelles encore inégalées, l’architecture du béton, performante en compression comme en flexion, permet des franchissements comme des formes urbaines innovantes et fondamentalement expérimentales. C’est cette matière magique, liquide qui se solidifie et offre au chimiste d’infinies recettes, de la texture à la couleur, de l’empreinte à la non empreinte, de l’association de matériaux à son expression propre, du micro au macro… Elle offre aux ingénieurs comme aux concepteurs un incroyable terrain d’expérimentation. D’échecs en succès, d’expériences en en spécialisations, les entreprises de béton concrétisent des techniques d’interventions de plus en plus pointues et de plus en plus performantes et rapides, de plus en plus indépendante de la météo où du climat. En France, c’est à l’après-guerre que le béton, après avoir édifié l’ensemble des architecture défensives allemandes, prend place dans le débat architectural. L’état en fait une véritable promotion. Apparait à cette période le procédé de préfabrication qui permet un gain de temps et d’argent révolutionnaire. Commence alors la construction en série de panneaux de bétons, d’escaliers ou encore d’ossatures entières de bâtiments normalisés… Une véritable architecture de béton en kit. La préfabrication est d’ailleurs le procédé à la clé de la rapidité et de l’économie de construction des grands ensembles. Le béton se présente alors comme le matériau de prédilection de la modernité.
Le béton est extrêmement consommateur de ressource. Sa fabrication pose elle aussi de drastiques problématiques environnementales. La recette du béton : de l’eau, du ciment, du sable et du gravier. Jusque-là la recette est connue de tous. Mais sa fabrication l’est beaucoup moins, pourtant très préoccupante. Le calcaire est l’ingrédient principal du ciment. Il est prélevé des carrières, puis concassé, et broyé pour être mélangé à de l’argile et enfin séché à 900°C, puis elle cuit à 1450°C où le mélange appelé farine fond pour se transformer en clinker, du ciment à l’état pur. Cette cuisson est là encore assurée grâce à la combustion du coke de pétrole ou de la combustion de déchets pétroliers. Cette combustion dégage une grande quantité de carbone dans l’atmosphère… Pour une tonne de ciment produite, 850kg de dioxyde de carbone sont émises. En France, les cimentiers sont encore aujourd’hui un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Pour 1m3 de béton il faut 300kg de ciment, 800 kg de sable et 1 tonne de gravier, le tout mélangé avec 180L d’eau. Pour 15 000 tonnes de ciment produites, ce sont 25 000 tonnes de calcaire qui sont extraites des sédiments. Le béton est donc extrêmement consommateur d’énergie et de ressources. C’est une matière porteuse d’une entropie considérable. Et nous ne nous attarderons pas sur l’immense impact environnemental que portent les extractions de sable, les fabrications des ciments et des laitiers, ou encore le transport de ces matériaux de leur extraction à leur production jusqu’à leur mise en œuvre. Les matières industrielles que nous avons abordées sont emblématiques de l’entropie comme de la consommation de ressources et d’énergie nécessaires à la fabrication des architectures de la modernité comme des architectures contemporaines. La matière provient toujours de l’environnement. Et les matériaux industriels sont de véritables « conquêtes » de la transformation de la matière prélevée des ressources naturelles.
Figure 16: Matière Grise, Encore Heureux, Dessin : Bonne Frite 2014
Le contexte urbain évolue à grande vitesse et avec cela, il prend de l’espace. Dans cet espace urbain, l’héritage de la modernité porte aujourd’hui une place non négligeable comme des enjeux de taille. Pourtant les années 1990 annoncent les premières hostilités envers cet héritage de béton et d’acier qui depuis remplit progressivement les bennes de gravats et génère une nouvelle problématique de déchets inertes. Après avoir abordé la question des déchets et des matières qui les composent, il est intéressant de se pencher sur l’avant déchet, ce moment où la matière perd son utilité mais où elle demeure encore intègre. A l’échelle de la ville et de l’architecture, cet avant déchet est nommé : le reste. Le reste en architecture est « Un espace sans aucune signification symbolique sans aucune fonction précise, sans aucune activité stable, sans règle, privé de toute valeur économique et sociale. »66 Les restes urbains, espaces abandonnés, bâtiments désuets, matières déchues, deviennent dans cette perspective des résultats du fonctionnement urbain.
La vacance des espaces habitables est un sujet alarmant au regard de la production architecturale. Avec l’arrêt des activités minières et industrielles, de plus en plus d’édifices sont délaissés et désuets. Par exemple, en France, on ne connaît pas le nombre exact de friches industrielles, cependant, on estime qu’elles représentent environ 200 000 à 300 000 sites. De plus, la question des logements vacants interroge. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : sur la période 2010-2015, la France a bâti autant qu'elle a délaissé d’ouvrages habitables. Le nombre total de logements vacants est estimé aujourd’hui à 2.8 millions, soit 8% du parc résidentiel, et ce chiffre est en constante progression. La construction de logements neufs ne suffit pas à combler la question du mal logement mais elle augmente cependant deux fois plus vite que la population elle-même… Ce qui est étonnant car nous constatons que même avec une production trop conséquente de logements neufs, elle ne peut égaler la croissance record de celle des logements vacants. Mais la question est plus complexe qu’une simple analyse de statistiques : pourquoi ces logements sont-ils vacants ? Où sont-ils ? Les logements vacants sont surtout très liés à la décohabitation : lorsque le mode d’habiter passe du vivre ensemble au vivre seul chez soi, du logement collectif à l’habitat individuel. En excellent traducteur de ce phénomène, la question des aires urbaines où s’opposent souvent centre et périphéries. Là où le taux de vacance est des plus élevé demeure les centres villes des grandes aires urbaines. Le record est atteint à dans les centres-villes d’Avignon, de Douai et de Nice avec 15% de parc vide en 2015, lorsque les périphéries résidentielles règnent sur les territoires. Néanmoins, les logements vacants sont loin d’être disponibles et sont souvent des biens « trop dégradés pour être habités. »67 Leurs dégradations, nous l’avons vu, sont liées majoritairement au manque d’entretien qu’ils ont subi, comme à leur désaffectation. Ce qui aboutit inexorablement à la ruine, expression du déchet urbain.
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YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Roberto d’Arienzo, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux.P.58 67
Évaluation de politique publique. Mobilisation des logements et des bureaux vacants », Inspection générale des finances et CGEDD, janvier 2016
Face à la crise de l’habitat et la dégradation des espaces vacants comme des logements insalubres, l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) est créé en 2004. Elle annonce de drastiques engagements de démolition – reconstruction, notamment sur la question des logements sociaux. Les chiffres sont clairs : pour l’ensemble du budget de l’ANRU, plus d’un cinquième est dirigé vers la démolition. La fondation abbé Pierre estime que les engagements du programme national de rénovation urbaine ne sont pas tenus concernant le logement social : . L’ANRU annonçait 20 reconstructions pour 20 démolitions. . La fondation Abbé Pierre comptabilise 13 reconstructions pour 20 démolitions. Cela explique que sept opérations ne sont pas reconstruites et ce car la plupart des maires estiment que c’est aux communes environnantes de faire un effort sur leur taux de logements sociaux. Nous comprenons alors que la question de la démolition est une position de facilité pour les communes. Ce qui n’est pas automatiquement accompagnée de projets de reconstruction, même si l’opération est subventionnée par une agence nationale. C’est ainsi que dans les années 2000 à 2010, de nombreuses tours et barres des années 1960 – 1970 sont démolies.
Figure 17: Répartition des subventions ANRU 2016
Aujourd’hui, il est très complexe de trouver des chiffres comme des illustrations de ces problématiques de démolition, autorisés par les communes. Seules des photos ou articles d’habitants nostalgiques ou d’habitants ravis de voir tomber les symboles d’une misère sociale et d’une délinquance issue d’une certaine ségrégation. Les quantités sont néanmoins identifiables à travers l’étude des déchets issus des démolitions du bâtiment. Un des exemples des plus médiatisés et emblématiques reste la cité des 4000 de la Courneuve en 2011. La cité, construite dans l’urgence en 1964, a commencé à se dégrader trente ans plus tard sans obtenir de réelle intervention de rénovation. Au moment de la démolition de la cinquième barre de la cité, le maire de la commune annonce « cette démolition préfigure la du quartier, »68 faisant allusion au nouveau quartier qui les remplaceront. Une transformation qui se rapproche de la table rase, semble-t-il, et qui sonne le glas de l’architecture de la modernité sous le prétexte d’une construction contemporaine de meilleure qualité…
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Le grignotage de Balzac à La Courneuve a démarré, Le Parisien, 21 Juillet 2011
Figure 18 : Grignotage de la barre Balzac, cité des 4000, La Courneuve, 2011
Figure 19 : Démolition de la barre Debussy, cité des 4000, La Courneuve, 1986
Du cyclique au linéaire, la production contemporaine de déchets témoigne du rapport que l’homme entretien à la matière. Elle parle du rapport qu’il porte aux milieux qu’il habite. Indéniablement, les processus de transformation de la matière ont muté. Ils tendent vers une économie du court terme où le parcourt linéaire de la matière s’inscrit en dehors des cycles naturels qui les fondent. Aujourd’hui, la production du déchet est banalisée dans chaque acte courant de la vie domestique à la production des architectures. Du macro au micro, la problématique des déchets est un débat contemporain des plus préoccupant. Soigneusement occulté, il porte pourtant des enjeux drastiques pour la transmission d’un environnement habitable, comme pour la pérennité des héritages transmis. Le déchet en architecture est au cœur de ce débat et porte une grande responsabilité à l’échelle globale. Avec deux tiers des déchets globaux, le milieu du BTP est le plus grand producteur de déchets. En ce qui concerne le secteur du bâtiment, ces déchets sont massifs et principalement issus de démolitions – réhabilitations lourdes. La grande majorité d’entre eux sont inertes et proviennent des démolitions d’ouvrages en béton et intrinsèquement, d’ouvrages de plus de 50 ans, hérités de la modernité. L’héritage de la modernité, principalement constitué de béton et d’acier, se présente comme une matière complexe à produire, comme à réinsérer dans les cycles de la matière. Au regard de sa démolition massive et de ses nombreuses altérations liées aux vacances, à l’insalubrité et au manque d’entretien des ouvrages, l’héritage de la modernité se positionne alors comme un héritage délaissé, et clairement en péril. Les cycles de vie des matériaux industrialisés comme des architectures contemporaines se raccourcissent et tendent vers un schéma linéaire de la ressource au déchet, ce qui génère une obsolescence constructive croissante. De manière très lisible, la gestion de ces déchets est encore trop instable et ne présente aucune solution durable. Face à l’absence de gestion comme à leur augmentation croissante, une posture radicale émerge : le meilleur des déchets demeure vraisemblablement, celui qui n’existe pas.
Cette partie sur la problématique du déchet, issue d’une intuition, a révélé un immense sujet à la fois passionnant, effrayant et des plus alarmant. Il démontre comment les conceptions de la matière ont évolués jusqu’à devenir celles qu’elles sont aujourd’hui. De découvertes en découvertes, d’étonnements en frustrations, cette partie a été pour moi un réel électrochoc quant à la situation contemporaine du milieu de la construction. Pas à pas, ce sujet transversal dévoile des secrets bien gardés et difficiles d’accès. De statistiques en statistiques, de rapports en témoignages, la question du déchet en architecture témoigne d’une problématique où personne n’est réellement responsable, réellement informé, réellement sensibilisé. Mais où pourtant, chacun porte une responsabilité non négligeable. A aucun instant, en cinq années d’apprentissage en école d’architecture, n’a été émise la question du déchet. Et si cet intérêt n’avait été porté par de propres convictions personnelles, ce n’est qu’au fin fond de la lecture d’un CCAG que j’aurai pu entre-apercevoir les réels problématiques que portent cette question. Pourtant ils sont partout visibles. Le long de voies ferrées, aux coins de routes de campagne, entre deux vignes, à l’angle d’une rue, à la lisière des forêts, derrière les bosquets… Ils sont enfouis, abandonnés, stockés. Les entreprises s’en plaignent, les maîtres d’œuvre acquiescent, les maîtres d’ouvrage rédigent une ligne sur les cahiers des charges pour… s’en décharger. Il apparait clairement que les déchets d’aujourd’hui seront les sédiments de demain. Il est temps d’en prendre conscience et d’installer une réelle gestion durable de ces futurs sédiments, comme de l’architecture qui nous a été transmise et que nous transmettrons aux générations futures.
Aujourd’hui, il est vital de faire parler les déchets, peu importe leur origine, peu importe leur histoire. « La prémisse d’un tel projet réside dans l’évolution des préférences d’habitat exprimées par les générations les plus jeunes qui aujourd’hui héritent de lambeaux d’une ville abusive qui a vieilli et qui pourraient trouver avantageux d’éradiquer, de substituer, de recycler, de faire de la place pour d’autres fonctions plus rentables et plus désirables, au lieu de conserver un patrimoine bâti obsolète situé dans des zones dégradées. »69 Et c’est bien là le dilemme, l’ambiguïté. Ce patrimoine bâti est-il obsolète ? Les dés sont-ils jetés ? Ne serait-ce pas plutôt le concept lui-même de table rase qui serait obsolète ? De ce premier acte à propos des déchets émerge une posture radicale et optimiste où les cycles de la matière ne peuvent se briser et où le déchet n’est qu’une passe du cycle de vie. Pour cela, il faut « activer des nouveaux cycles vertueux, un glissement de sens est ressenti comme indispensable pour introduire une autre rentabilité aux délaissés : réussir à les extraire de ces cycles signifie y intégrer d’autres valeurs les valeurs d’option, la valeur écologique, la valeur sociale, la valeur symbolique. Dès lors le délaissé a une valeur potentielle plus importante que ne le fait croire son inutilisation. » 70 C’est alors qu’ « un nouvel effort d’imagination à toutes les échelles est nécessaire pour innover dans les modalités de production de l’espace, dans les formes urbaines adéquates aux nouveaux styles de vie, pour consommer moins d’énergie et valoriser l’énergie grise déjà là. »71
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YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Zanfi Federico, Décombres Précoces, P.320 70
Ibid, D’ARIENZO Roberto, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux. P.63
71
Ibid, VIGANO Paola, La ville est une ressource renouvelable : voyage, concepts, projets autour du recyclage. P.297
« A cette heure, nous trouvons encore un stade de transition, qui par la nature des choses doit également être un stade de lutte. » RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.34
Le concept de ressource est apparu au XIIème siècle, issu de l’ancien français resourse, qui signifie secours. Il est intéressant de souligner que ce mot était utilisé comme recours pour faire face à une situation difficile. Progressivement, ce concept s’est appliqué à de nombreuses disciplines. Il tend à qualifier une capacité d’amélioration, propre à une personne ou à un groupe. A la fin du XXème siècle apparait la notion de Ressources Naturelles qui nous intéresse en ces lieux. Ce concept est encore très récent et témoigne – encore une fois – de l’évolution que l’homme entretient aux milieux qu’il habite. Elles sont cet « ensemble constitué des éléments biotiques et non biotiques de la terre, ainsi que des diverses formes d'énergies reçues (énergie solaire) ou produites sans intervention de l'homme (marées, vents) »72 Les ressources naturelles sont de deux ordres : renouvelables, et non renouvelables. Dans les deux cas, elles sont nommées « matières premières » car encore non transformées, et sont prélevées directement dans les milieux naturels. L’exploitation de ces ressources par l’homme dresse un tableau évolutif impressionnant qui transcrit le fonctionnement global de certaines civilisations qui a progressivement pris place sur terre et qui révèle des inégalités frappantes sur la répartition d’un capital terrestre hérité de milliards d’années de composition et de décomposition de la biomasse. L’extraction de plus en plus intense de ces ressources dépasse toute réflexion morale sur la question des équilibres écosystémiques qui composent les milieux. Nous soulignerons que l’ensemble des ressources naturelles prélevées ne sont pas renouvelables, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent se régénérer en un cycle naturel dans le temps de leur destruction. De plus, celles qui sont dites renouvelables telles que l’eau douce par exemple, sont considérablement polluées par la même exploitation de l’homme. Et si le sujet de leur épuisement est occulté chaque jour, il est une vérité des plus préoccupante : ces ressources ne sont pas infinies et leur épuisement est imminent.
Figure 20 : Calendrier des épuisements par type de ressource naturelle
En ces lieux, nous n’aurons pas la prétention d’exposer une réponse sur la question globale de l’épuisement des ressources naturelles. Ce n’est pas notre domaine de compétence. En revanche, nous nous intéresserons aux ressources transformées ou non, architecturales et urbaines dont nous avons héritées et avec lesquelles nous pouvons construire et transformer l’habitabilité des milieux.
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CNRTL, Ressource, II, 1. a)
Figure 21: Le jour du dĂŠpassement par pays, WWF, Global Footprint Network, AFP, 2018
Face aux impacts de la consommation comme de la production croissante, l’épuisement des minéraux comme des métaux constitue aux constructeurs un argument sur la nécessité de produire avec moins. Dans un avenir très proche – d’environ 10 ans – les premières pénuries de matières minérales feront leur apparition. Les nouveaux gisements seront difficiles à trouver et nécessiteront des investissements très conséquents, qui demanderont notamment beaucoup plus d’énergie que l’actuelle « facilité d’extraction »73 qui nous permet la disponibilité contemporaine de ces matériaux. Et si la ville – comme tout écosystème – présentait en elle-même des cycles de vie comme des cycles de la matière ? Si la ville pouvait se recycler et devenir sa propre carrière ? L’idée est claire, simple, et certainement pas nouvelle puisque pratiquée depuis l’origine de l’histoire de la ville. Au sein de cette sous partie, nous étudierons la capacité de la ville à se re-cycler.
De tout temps, l’homme a construit des ouvrages. De pierres, de bois, de briques, de tuiles… les matériaux de construction constituent les villes et celles-ci évoluent en même temps que les sociétés qui les habitent. Les ouvrages traversent les époques et s’ils perdent pour x ou y raison leur valeur d’usage, leurs matières se présentent alors comme une ressource disponible pour les nouveaux ouvrages à bâtir. La science de l’archéologie en témoigne : la ville ancienne se compose de strates propres à son historicité. Et cette stratification « se concrétise à la fois par la reconversion d’immeubles désaffectés ayant perdu leur fonction originelle, que par la récupération de matériaux de construction, transformant les vestiges du passé en immenses carrières urbaines. »74 Il est bien alors question des restes urbains vacants et de leur évolution au sein des cycles de la ville.
Cette capacité de la ville à faire carrière sont démontrés par de nombreux témoignages visibles encore chaque jour dans la ville ancienne. Dans les rues des centres historiques constamment, lorsque les maçonneries d’anciens ouvrages sont trouvées éparpillées dans les constructions de ses proches abords. Mais aussi au sein de lieux beaucoup plus emblématiques et connus du grand public « - Les centres villes de Split et d’Arles, qui reconvertissent respectivement les restes du palais de Dioclétien et de l’amphithéâtre. - Le pont du Gard qui profite des vestiges d’un aqueduc abandonné... »75
73
L’épuisement des métaux et minéraux, Juin 2017, ADEME
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YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Roberto d’Arienzo, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux.P.60 75
Ibid, Roberto d’Arienzo, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux.P.65
Le réemploi, la réutilisation et le recyclage de ces architectures-matières-ressources peut ainsi prendre plusieurs formes et être à l’origine de l’identité comme de la morphologie urbaine. Si l’ouvrage est déconstruit pour le réemploi de sa substance matérielle, lorsque la ville se construits dans ses abords, il laisse parfois à l’urbain son empreinte spatiale. S’il est réutilisé, les marques de ses différents usages s’exprimeront tout autant. Il est alors intéressant de se pencher sur l’évolution des villes, qui démontrent que « parfois ces stratégies (de réemploi) confirment des rapports entre pleins et vides des structures recyclées, comme le témoigne efficacement la place Navone à Rome, parfois elles proposent une brusque inversion des volumes bâtis occupent alors les emplacements entre les vides des piliers d’aqueduc, d’arches de triomphe, de théâtres, proposant ainsi une lecture inédite et originale du reste. »76 Elles sont donc à l’origine de démarches expérimentales spatiales qui participent à la compréhension de l’édification des villes et des paysages. C’est ainsi que le cycle de la ville se formalise, par de multiples actes de transformation d’ouvrages. Aujourd’hui le cycle de la ville fait face à l’explosion de la production architecturale comme à la croissance phénoménale de la production d’architectures contemporaines. Les démolitions massives, la réduction considérable des cycles de vie des architectures, et l’accumulation des déchets de construction, présentent alors une rupture claire dans le cycle de la ville telle que l’homme l’avait toujours bâtie.
Si nous voulons rompre ce nouveau cycle linéaire voué à un drastique échec environnemental et urbain, nous devons comprendre fondamentalement comment se préfigure le cycle de la ville contemporaine. Nous devons comprendre quelles en sont les potentialités et les ressources. Et si ce cycle a fondamentalement muté avec les matériaux qui composent la ville contemporaine, nous devons replacer ces matières, héritées de la modernité, dans un cercle vertueux où la matière disponible se présente comme une ressource déjà sur place et prête au nouvel usage.
Au sein de l’acte 1 – Déchet – nous avons constaté que la matérialité de l’héritage de la modernité s’est révélée être fondamentalement minérale, fondamentalement inerte, et présentant une très forte entropie de leur production à leur mise en œuvre. Nous avons observé que ces matériaux – Aciers et Bétons – représentent la grande majorité des déchets contemporains. Parallèlement, nous avons pu comprendre que l’héritage de la modernité était justement le principal producteur de ces déchets inertes et massifs. Leurs démolitions répétées ont démontré combien il était complexe de valoriser ou d’éliminer ces déchets. Nous avons également abordé les drastiques impacts environnementaux qu’ils représentent.
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YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Roberto d’Arienzo, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux.P.65
Dans l’acte 2 – Ressource – nous questionnons qui est fondamentalement cet héritage de la modernité. Inertes, fragiles, massifs, ces ouvrages présentent, s’ils ne sont pas correctement entretenus, un cycle de vie restreint et basculent prématurément vers l’état de reste, puis de déchet. Déchets ultimes ou presque puisqu’ils présentent des cycles de décomposition hors d’échelle humaine. Il apparait alors clairement que ces héritages inertes se présentent comme de véritables déchets à retardement que l’on peine à éviter et que l’on ne sait encore gérer.
La question est alors la suivante : ces héritages, avant de devenir déchets, peuvent-ils se présenter comme des ressources dans lesquelles la ville pourrait puiser matières et morphologies ?
Dans l’acte 1 – Déchets – nous avons abordé la question de la vacance des ouvrages, comme des restes qui composent la ville contemporaine. Après recherches, il semblerait que l’inventaire de ces restes vacants n’existe pas. Il est donc complexe de les quantifier matériellement, de les cibler et de les analyser pour leur valeur d’usage. Néanmoins, pour en obtenir un aperçu, nous pouvons nous diriger vers des associations de sauvegarde et de mise en valeur qui agissent sur le terrain et lancent les alertes face aux démolitions d’ouvrages jugés remarquables. Nous mentionnerons l’association Docomomo (pour la Documentation et la Conservation des édifices et sites du Mouvement Moderne) créé dans l’objectif de sensibiliser, éduquer, transmettre, protéger et valoriser l’héritage de la modernité. Un de leurs principaux champs d’action : le lancement d’alertes lors de menaces de démolitions. Et cette association témoigne des réelles menaces qui pèsent sur ces héritages déconsidérés. Son actuel président, Richard Klein, témoigne : « A Grenoble, à Clichy, à Nanterre, à Lille, à Caen, à Toulon, et la liste pourrait être plus longue… Partout en France, Docomomo est concerné par des alertes qui touchent des édifices reconnus que l’on croyait préservés (…) comme d’édifices qui ne sont pas encore reconnus et dont la déconsidération relève souvent d’une méconnaissance. » Figure 22: L'Orée du Bois, Toulouse, Joachim et Pierre Génard architectes, construction 1970, - En cours de désamiantage, démolition prévue courant 2019 Cycle de vie : moins de 50 ans.
Ce sont donc des édifices encore intègres qui sont chaque jour menacés de démolition. Pour exemple, le 09 décembre 2018, l’association Parcours d’Architecture/ Centre d’Art publiait la démolition programmée d’un ensemble de logements remarquables à Toulouse. Edifice pourtant disponible et prêt à la transformation. La raison officielle de cette démolition ? Un prétexte d’insalubrité comme un cout de réhabilitation trop élevé. Prétexte récurent et argument quotidien, qui n’a pas d’autre juge que… le maître d’ouvrage lui-même. Cet héritage est-il alors condamné à devenir un monticule de déchets inertes qui alimenteront les collines d’enfouissement de la périphérie urbaine ? Ou bien est-il encore disponible pour la prolongation des cycles de vie ? Peut-il intrinsèquement présenter une ressource locale pour la continuité du cycle de la ville ? Aujourd’hui, il est grand temps de poser les sujets sur la table, et de comprendre quelles sont les ressources dont nous disposons, comme celles que nous épuisons et détruisons. Jusqu’à présent, nous avons traité de l’héritage de la modernité sous le prisme de la matière urbaine. Une matière qui a pris rapidement place dans les systèmes urbains, mais qui quelques décennies plus tard, la perd brusquement. Aujourd’hui, la scénographie de leur disparation fait échos à celle de leur édification, celle d’une architecture probablement des plus males aimées et des plus impopulaires. Nous observons alors parallèlement disparaître des témoignages intègres du patrimoine architectural et urbain du XXème siècle sous le prisme d’un développement économique trop rapide. Pourtant, cet héritage s’avère être un patrimoine riche de sens, d’innovation, d’expérimentations, et qui fait quoi qu’il advienne aujourd’hui partie intégrante de l’histoire de la ville et des fonctionnements sociétaux.
Le diagnostic est collégial : l’héritage de la modernité est à la fois extrêmement utilisé et méconnu. Il est un cadre de vie banalisé et encore inconscient. Rares sont ceux qui en mesurent les qualités architecturales, sociétales, comme les qualités d’invention dont il fait preuve. Les problématiques de conservation et de préservations de cet héritage sont complexes, nous l’avons abordé dans l’acte 1. Les savoirs faire face à ces nouveaux matériaux sont peu nombreux. A ces fins, les 18 et 19 Mai 2002 à Istanbul, les experts de la conservation du patrimoine architectural et de l'urbanisme de 23 pays se réunissaient avec les représentants des comités nationaux du Groupe européen de l'ICOMOS, afin de débattre et de convenir d’une stratégie quant à la gestion de ces patrimoines contemporains. C’est un premier pas international, comme en témoigne cet extrait de la déclaration d’Istanbul :
« …Nous soutenons le besoin d’avancer la reconnaissance de la valeur culturelle et sociale du patrimoine architectural du XXème siècle, ainsi que sa contribution à la viabilité économique comme un moyen de mettre en place des solutions durables pour sa conservation en respectant la dignité humaine, les caractéristiques locales et les valeurs culturelles.
Reconnaissant que la documentation et la conservation du patrimoine architectural du XXème siècle présentent un défi aussi bien qualitatif que quantitatif, nous recommandons que le processus d’inscription des bâtiments en vue de leur protection légale soit très sélectif... »77 Il est alors encourageant de constater la dynamique des actions associatives comme institutionnelles et internationales qui commencent à dessiner une véritable réflexion théorique comme pratique au sujet de ces architectures. « La plupart des lieux qui font l’objet d’une patrimonialisation institutionnelle résultent de rencontres, de demandes issues d’associations, d’association d’habitants. (…) Ce sont alors des patrimoines portés et reconnus par les habitants, par les communes, par les élus. »78 En ces lieux, nous ne pouvons mesurer une abstraite substance patrimoniale généralisée qui serait applicable à un tel héritage quantitatif, aux multiples auteurs, aux multiples commandes, aux multiples contextes, aux multiples cycles de vie. Cette tâche relève d’un travail spécifique à chaque ouvrage, laborieux et scientifique d’inventaire et de diagnostic que d’autres mènent heureusement aujourd’hui et qui a été entamé en France depuis quelques années. Ces inventaires démontrent d’ailleurs déjà la richesse formelle, technique, artistique, sociétale, etc… que portent certains de ces héritages remarquables, bien souvent menacés de démolition. En ces lieux, nous tenterons d’exprimer avec nos moyens les potentialités massives qu’offrent ces héritages variés, en tant que matière disponible, présentes sur place et encore porteuses de valeurs d’usage comme de valeurs de contemporanéité. Ainsi, nous ouvrirons largement le concept de patrimonialisation et tenterons de démontrer que la présence même de ces héritages porte intrinsèquement une ressource patrimoniale.
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Extrait de la déclaration d’Istanbul, ICOMOS - Docomomo, 2002
GATIER Pierre Antoine, Les énergies patrimoniales, Le patrimoine, une ressource pour les métropoles, le Entretiens du patrimoine et de l’architecture 2011, 09.11.2011
En premier lieu, il est important de souligner que cet héritage a présenté de véritables révolutions sociales : la nette amélioration des conditions d’hygiène, de confort, d’accès aux services, de proximité à la nature, d’accès à la lumière naturelle… Naissent parallèlement les premières formes de libération et d’émancipation de la femme, de considération de l’enfant dans l’espace urbain et architectural, l’épanouissement à la fois individuels et collectifs… Ces architectures innovantes et expérimentales se sont révélées être de véritables « Fragments de paysages transformés en ensembles urbains. » Ce sont ainsi de concrètes utopies soudainement sorties de terre qui se sont présentées aux usagers. Réalisées dans des échelles jusqu’alors inédites, dans des délais des plus compétitifs, avec des nouveaux matériaux, de nouvelles formes, de nouveaux modes de vie. Ces morceaux de ville ont été réalisés pour la plupart en dehors du système urbain traditionnel, lourd d’histoire et d’identité. Ce sont des villes nouvelles, radicales, pensées intégralement du macro au micro, en dehors de l’histoire ancienne et dirigées vers un avenir neuf et résolument moderne.
Figure 23: La grande motte, Carte postale, Delcampe
Aujourd’hui, le feed-back est intéressant car la patrimonialisation de ces ensembles se positionne à la marge des réflexions identiques portées à la ville ancienne jugée obsolète à l’époque de leur édification. A présent, nous inscrivons ces héritages de la modernité comme des objets patrimoniaux, inscrits dans l’histoire de la ville et des territoires. « Finalement, là où on rêvait d’une ville sans histoire, on construit des ensembles urbains vastes, larges, radicaux qui prennent place dans l’aventure patrimoniale. La conclusion, trop rapide, est que la métropole est une constellation d’objets patrimoniaux. »79 Aujourd’hui, ces architectures ne recouvrent l’effet spectaculaire de leurs premiers jours. Néanmoins, elles demeurent le symbole d’une utopie sociale et singulière où l’homme, la femme et l’enfant
79
GATIER Pierre Antoine, Les énergies patrimoniales, Le patrimoine, une ressource pour les métropoles, le Entretiens du patrimoine et de l’architecture, 09.11.2011
trouvent une réelle liberté dans l’espace urbain comme architectural. Elles peuvent ainsi perpétuer la transmission de modes de vie qualitatifs et émancipateurs. Nous n’allons pas faire l’économie de ne pas exposer les principes architecturaux qui structurent la grande majorité des recherches architecturales et urbaines du mouvement moderne et qui ont particulièrement influencé l’héritage de la modernité. Ce sont cinq points, résultats des travaux théoriques et pratiques publiés et mis en application par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, édités en 1927 sous le titre les cinq points d’une architecture nouvelle » dans la revue l’Esprit Nouveau.
Ces systèmes constructifs permettent en un premier temps de vastes et riches types d’interventions, qui ont d’ailleurs en partie permis l’amplitude des réponses architecturales et urbaines apportées à cette période, mais permettent surtout la modularité des interventions dans le long terme.
Ces points, pris indépendamment les uns des autres, rendent alors possible d’adapter et de moduler l’usage, l’enveloppe, de soustraire ou d’additionner les volumes de ces ouvrages : . Les pilotis permettent une modularité de l’espace du rez de chaussée, espace urbain en perpétuelle évolution. Ce qui permet une indépendance de l’ouvrage face aux activités topographiques de la ville. . La toiture terrasse permet certes une activité en toiture mais également l’implantation d’un nouveau programme superposé à l’ouvrage de la modernité. . Le plan libre permet la perpétuelle adaptation du plan au programme. . La fenêtre bandeau est peut-être le moins convaincant des principes modernes au sein de notre analyse, si ce n’est qu’elle offre un confort intérieur remarquable du fait de la lumière naturelle introduite aux espaces comme l’intention de vue sur le paysage environnant. . La façade libre est quant à elle des plus intéressantes car elle permet une totale indépendance de l’enveloppe au regard de la structure primaire de l’ouvrage qui la porte. Les éléments de façade sont ainsi démontables et re-montables au grès des usages ou des exigences des maîtres d’ouvrage.
Ces ouvrages sont ainsi de réelles œuvres ouvertes, adaptables et mutables au regard des contextes qu’elles traversent. Ce notamment grâce à leur totale indépendance structurelle. Cette indépendance structurelle est permise grâce aux choix constructifs de type poteau-dalles, comme grâce aux compétences des bétons et des aciers qui les composent et qui supportent des charges nettement supérieures aux propres charges de l’ouvrage. C’est alors que ces hyper-structures d’acier et de béton tendent à parler de leur propre recyclage. Leur solide squelette offre alors transparences, larges portes, lumières, vues, espaces généreux, traversants, grande hauteur et espaces verts… « Je crois que l’on a de la chance de ne pas avoir à régler comme dans les années 1960 simultanément la planification urbaine et l’architecture, puisque tout est déjà là, dans un état d’aboutissement souvent mesquin mais structurellement parfait. » 80 Ces solides structures présentent une évidente économie environnementale et financière, notamment à travers la question de la matière et de l’énergie. « La structure existante – tant sociale que constructive se fera alors le tremplin de stratégie de réorganisation à la fois légères et cruciales. »81 Leurs peaux peuvent ainsi être interchangées, de toute matière et de toute forme. Tout comme de légers éléments de type extension ou surélévation peuvent s’additionner à l’ouvrage. Néanmoins, outre le type d’intervention en façade ou en toiture, nous avons constaté dans l’acte 1 – Déchet – à quel point le cycle de vie d’un ouvrage en béton dépendait de sa durée de vie technique et fonctionnelle.
Figure 24: Résidence pour étudiants, Arcueil, Val de Marne, TVK architectes, 2007
80
DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 171p. p.34
81
Ibid, p.11
La rénovation de ces ouvrages n’est pas une problématique nouvelle : désormais agée d’une quarantaine d’années. Si certaines mesures ont été prises, il est ahurissant de constater l’ampleur contemporaine du chantier pourtant entamé par nos pères. Face aux évolutions des modes de vie comme à la crise énergétique, il a très vite été question de rénovation. C’est alors que de nombreuses interventions sont menées dans les années 1990, disparatres et indépendantes les unes des autres. C’est « un processus de réhabilitation symbolique se met alors en œuvre à partir des années 1990, ouvrant le débat sur une possible patrimonialisation de ces architectures vouées à la disparition par les dispositifs ministériels mis en place, spécialement avec la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine à partir du début des années 2000 »82 « La rénovation des grands ensembles est problématique en termes de compromis : maintien du patrimoine versus réduction de la consommation énergétique. En effet, ces grands ensembles ont subi, durant ces deux dernières décennies, de nombreuses interventions, souvent disparates. »83
Figure 25: Cité de l’étoile à Bobigny, Rénovation de 1980 : les ouvertures ont été progressivement fermées pour raisons d’isolation, les menuiseries sont remplacées en PVC, les colorations des bâtiments ont évolué…
Ces rénovations ont ainsi été menées à plusieurs reprises, dans l’urgence et encore et toujours dans l’économie de moyens. Les menuiseries ont été remplacées par des sections plus épaisses, moins qualitatives, majoritairement en PVC, les allèges et impostes sont réduites et souvent maçonnées, de nombreux éléments de façades spécifique à l’architecture de l’ouvrage sont déposés et non remplacés ou obturés, la colorimétrie contrastée emblématique du courant artistique moderne est reprise et souvent remplacée par des couleurs pastel peu contrastées… C’est ainsi qu’une grande partie de la qualité architecturale de ces ouvrages a disparu des paysages urbains pour laisser place à des dispositifs souvent obsolètes et peu qualitatifs. Ce type de rénovation parait irréalisable à l’échelle nationale si appliquée à des ouvrages d’un patrimoine ancien. Pourtant, elles ont été appliquées à la chaine sur ces ouvrages sans aucune considération des valeurs qu’ils portaient, dégradant considérablement les cadres de vie.
82
Raphaëlle Bertho, Les grands ensembles, cinquante ans d’une politique-fiction française, 2014
83 STEIN
Véronique, Sauvegarde du patrimoine et développement durable : entre complémentarités et conflits, 2012, p.67
En ces lieux, nous ne débâtons donc pas des valeurs patrimoniales singulières que portent chacun de ces ouvrages, valeurs qui sont donc à démontrer par un travail scientifique et précis et qui ne peuvent se généraliser à un ensemble tels que celui que nous traitons aujourd’hui.
En ces lieux, nous ne positionnons pas comme défenseurs fascinés par des systèmes révolutionnaires du siècle précédent. Nous n’admirerons pas les innovations ni les auteurs de tel ou tel ouvrage. Nous ne défendrons pas la sauvegarde intègre et intacte d’un patrimoine des plus massif et des plus varié. Nous ne mettrons pas sous cloche les systèmes d’origine qui sont pour la plupart prévus pour être évolutifs. Nous laisserons ce soin aux institutions compétentes.
Aujourd’hui, nous voulons fondamentalement ouvrir le concept de patrimoine comme celui de patrimonialisation à travers deux valeurs fondamentales des cycles de vie : la valeur d’usage comme la valeur de contemporanéité.
L’héritage de la modernité est encore un patrimoine très habité, en cela, il porte fondamentalement une valeur d’usage qui doit se prolonger dans d’autres cycles de vie : « La vie physique est la condition préalable à toute vie psychique et lui est en cela supérieure, puisqu’elle peut s’épanouir sans son aide tandis que l’inverse est impossible. C’est la raison pour laquelle un vieux bâtiment encore en usage doit être maintenu dans un état tel que les hommes puissent y être accueillis dans avoir à craindre pour leur vie ou leur santé. »84 En cela « Il est exclu à la valeur d’usage de faire la moindre concession à la valeur d’ancienneté (…) car il ne fait aucun doute que la valeur de santé physique l’emporte sur les besoins idéaux de la valeur d’ancienneté »85 La transformation des patrimoines et plus que jamais de celui de la modernité est alors une nécessité absolue pour la prolongation des cycles de vie. « Avec les œuvres utilisables, nous sommes toujours plus ou moins perturbés ou gênés si elles ne déploient pas la valeur de contemporanéité à laquelle nous sommes habitués »86 Ces patrimoines de la modernité sont bien des patrimoines habités et nécessitent en cela de fondamentales adaptations aux modes de vie contemporains. Nous avons constaté les possibles de transformation intrinsèques à ces architectures. Nous pouvons affirmer qu’elles portent fondamentalement une valeur de contemporanéité.
84
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, Paris, Ed. ALLIA, 1903, 110p. p.73
85
Ibid, p.75
86
Ibid, p.77
Figure 26: Les yeux dans les tours, CitĂŠ Pablo Picasso Tours Aillaud, SĂŠrie 2011-2015, @Laurent Kronental
Si ces héritages sont une ressource patrimoniale, ils sont surtout une ressource matérielle. Pour pouvoir composer avec elles, il faut en comprendre le matériau. Ce, afin de comprendre ses altérations, ses réactions temporelles et environnementales et surtout, pour pouvoir les protéger et les pérenniser, pour pouvoir assurer leurs cycles de vie, pour pouvoir continuer de considérer ces héritages comme des ressources.
« On ne part jamais d’un préalable si ce n’est dans des logiques patrimoniales. »87 Le préalable est alors un matériau complexe, beaucoup plus que celui du neuf ! C’est le matériau d’une ville complexe, riche, difficile… Mais c’est avec ce matériau qu’il est nécessaire de travailler. Nous avons constaté dans l’acte 1 que le béton était le principal matériau de ce patrimoine. Nous traiterons ainsi de ce matériau. Il est nécessaire de porter un diagnostic sur l’ouvrage afin de connaitre l’état de la vie technique de l’ouvrage. Ce diagnostic permettra de dresser un état sanitaire – par le biais de sondages et de prélèvements – comme de cibler les techniques d’intervention appropriées. Les pathologies du béton sont de deux ordres : mécaniques ou physico-chimiques. Majoritairement les ouvrages présentent des problèmes mécaniques de fissuration… liés à des désordres structurels. Ces désordres sont liés à une erreur de dimensionnement ou à un défaut d’exécution. Il faut être très vigilant face à ces fissures car elles peuvent favoriser d’autres désordres dans la structure. Les désordres chimiques sont moins récurrents mais multiples et toujours liés à l’humidité. Le béton comme l’acier sont des matières transformées et tendent à recouvrer leur état naturel : des réactions chimiques s’opèrent lorsqu’elles sont en contact avec d’autres éléments. C’est ainsi que des réactions de type éclatements, écaillage, apparition d’ettringite s’opèrent. Nous l’avons vu dans l’acte 1 – Déchet – le béton est un mélange de minéraux. La recette est simple, mais ses composants varient de cultures en régions. Pourquoi ? car chaque composant entretient des relations chimiques avec les autres composants, comme avec l’environnement dans lequel il s’implante. C’est ainsi que les recettes de béton doivent être parfaitement étudiées pour l’implantations des ouvrages dans un contexte (par exemple le milieu marin, qui présente de conditions météorologiques particulières à haute teneur en sel, demande un savoir-faire très précis). D’ailleurs, si la recette est mauvaise, les bétons ne sont pas stables et tendent à fissurer, voire se détruire. Les armatures en fer peuvent se corroder : si le béton est trop poreux, il n’a plus la capacité de protéger ses fers, qui s’altéreront – rouille – et provoqueront l’apparition de fissures et d’éclatement du béton. Ce phénomène est appelé la carbonatation. 88
87
DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 171p. p.37
88
Informations issues du rapport de CEBTPI - Pathologie du béton, 2016
Si le béton est altéré, il existe des techniques d’interventions adaptées pour y remédier. Le ragréage (petite surfaces), le bétonnage (par béton projeté) et le renforcement structurel, par ajout de béton et d’armatures. Avant cela, le béton doit être préparé : purgé, traité et nettoyé. Pour cela, les techniques sont connues et ont fait leurs preuves. Elles sont d’ailleurs des techniques proches des techniques d’intervention sur la maçonnerie. Cela dit, il est beaucoup plus complexe de remplacer une partie altérée d’un ouvrage en béton armé que de remplacer une pierre. Néanmoins, les mêmes précautions chimiques seront à prendre : les réactions que la matière neuve aura avec la matière ancienne devront être anticipées et surtout compatibles. Ces précautions chimiques sont alors les mêmes que celles de la conservation de la matière « Lors de l’intervention pratique de restauration, il faudra aussi avoir en plus une connaissance scientifique de la constitution physique de la matière. »89 Soulignons que « La matière ne sera jamais la même, mais en tant qu’historicisée par l’œuvre actuelle de l’homme, elle appartiendra à l’époque où vit l’homme et non la plus lointaine ; et ; bien que chimiquement la même, elle sera différente et constituera également un faux historique et esthétique. »90 La question de l’intervention est alors un acte de projet sur une œuvre qui la transforme et prend place dans le système matériel de l’œuvre. Ces interventions permettent la prolongation des cycles de vie des ouvrages et ont été à la clé du cycle de la ville ancienne tel que nous l’avons abordé précédemment. Cela « suppose que l'on veut revaloriser humblement ce qui existe, en entretenant voir accommodant la ville dont on a hérité, sans chercher d'abord une hypothétique modernité de forme ou d'habitat. En plus de conserver les bâtiments existants, les modes de vie et les traces de l'histoire, il s'agit sans doute de réaffirmer une manière de vivre ensemble qui a fait ses preuves depuis des millénaires et en tout cas depuis la ville grecque antique, début d'un fonctionnement démocratique. »91
Post reconstruction, un appauvrissement croissant de la construction s’est opéré « Devant cet état de chose, nous avons renoncé à rechercher une technologie nouvelle adaptée au plan d’urbanisme et nous avons accepté de subir les conditions économiques médiocres préétablies qui nous étaient imposées. La chose était claire : nous avons décidé de mettre en avant l’esprit de la conception urbaine au détriment des détails. »92 C’est alors la recherche du gain de temps, d’argent et de main d’œuvre s’est progressivement mise en place. Les procédés s’industrialisent sous la commande influencée de l’état, via la matière reine : le béton. La préfabrication a permis d’une part la rapidité de mise en œuvre, la réduction de la main d’œuvre, mais également le contrôle de la qualité des bétons directement visés en usine.
89 BRANDI 90 Ibid,
Cesare, Théorie de la restauration, Allia, 2011, 159p. p.15
p.17
91
YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. HUYGEN Jean Marc Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.393 92
DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 171p. p.33 CANDILIS George, AA n° 395, 1976
Ce sont les systèmes industrialisés de panneaux de sols ou muraux porteurs et de grande taille. Véritables KITS de construction, ces systèmes étaient dits « fermés » et « complets » car ils étaient propres à une seule marque (pas de possibilité d’assembler l’élément avec un panneau de façade par exemple d’une autre marque…). Il existe trois types de panneaux : . Le panneau de revêtement, premier panneau d’habillage et des plus courants ; . Le panneau architectonique, structurel et permettant des modénatures quasi infinies ; . Les panneaux sandwichs qui arrivent plus tardivement avec l’utilisation croissante des matériaux d’isolation thermique. Progressivement, les performances de ces matériaux sont améliorées, leur étanchéité, la maîtrise des joints de dilatation, des joints entre panneaux… Leurs qualités est donc variable. Ces matériaux étaient ainsi transportés de leur lieu de production jusqu’à leur lieu de mise en œuvre, pour être ensuite assemblés sur chantier. Nous ferons l’économie d’en déduire l’empreinte carbone. Cette problématique de transports propre aux éléments préfabriqués est encore d’actualité. « J'imagine que les prochaines taxes environnementales feront évoluer le secteur, incitant à développer des solutions qui minimisent la distance de transport et maximisent des volumes transportés. »93 En cela, l’acte de non-démolition et de préservation de ces éléments à très forte entropie est extrêmement performant.
Figure 27: Publicité d'un fabricant belge, 1967
93
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Alexandre Doyère, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313
Et là où cet héritage est une véritable ressource, c’est bien dans la véritable carrière d’énergie et d’entropie qu’ils représente. « Le bâtiment n’est pas seulement un acteur du réchauffement climatique par ce qu’il consomme de l’énergie, c’est aussi une ressource. On sait qu’une grosse proportion des émissions de CO2 vient de la dépense énergétique, mais également de la déforestation et la fabrication du ciment (5% des émissions à effet de serre) Sur ces trois thèmes les architectes doivent être au premier plan pour faire des propositions. »94 La rénovation énergétique est sans doute le plus grand chantier à mener de front. Dans le contexte environnemental actuel, la question de la performance énergétique des ouvrages est au cœur des enjeux contemporains. Ces enjeux résident en la réduction des consommations énergétiques. « L’énergie c’est une grandeur physique qui caractérise le changement du monde qui nous entoure. Elle nous permet notamment de quantifier l’impact que le vivant porte sur son environnement. Cela quantifie la transformation de l’environnement. »95 Aujourd’hui, le sujet est une priorité nationale. Et justement en la question, le patrimoine de la modernité n’est pas bon élève. Les choix de conception comme de mise en œuvre, issus d’une époque où l’énergie de chauffage était en pleine expansion et très accessible, n’a clairement pas tourné leurs réflexions vers la performance énergétique de ses ouvrages. « La lutte contre le changement climatique constitue l’un des enjeux essentiels de notre société contemporaine ; parmi les principaux piliers de la politique climatique figurent l’amélioration de l’efficacité énergétique. Le parc immobilier est le premier domaine concerné, du fait qu’une bonne part de ce que nous consommons est destinée à chauffer les bâtiments. La moitié de l’énergie globale est destinée au bâtiment et est utilisée pour l’eau chaude et le chauffage de l’habitation. Ce, essentiellement par le biais d’énergies fossiles ce qui représente deux tiers des émissions de dioxyde de carbone. Ces bâtiments ont une enveloppe souvent mal isolée et peu étanche, ce qui entraîne une consommation d’énergie importante. À cela s’ajoutent des bâtiments dont les façades souffrent elles aussi de vieillissement et ont besoin d’être rénovées (amélioration de l’étanchéité et isolation thermique). »96 Sont principalement concernés par ces interventions : le changement des menuiseries et occultations, l’isolation des couvertures et des façades, ou le changement des réseaux existants. Les postures de rénovation énergétiques peuvent être multiples, mais elles impactent la matérialité comme l’esthétique de l’ouvrage. Elles posent de sérieuses problématiques patrimoniales lorsqu’elles sont effectuées sans diagnostic préalable sur les valeurs que portent les ouvrages.
94
Gontier Pascal, COP 21 Interview, 8 décembre 2015
95
Jean Jancovici, Bienvenue dans le monde fini, ADEME, 13.04.2018 STEIN Véronique, Sauvegarde du patrimoine et développement durable : entre complémentarités et conflits, 2012, p.65
96
C’est alors que se pose la question de l’intégrité des ouvrages à travers leur valeur historique. Car rares sont ceux qui présentent des performances énergétiques conformes aux exigences environnementales. Cette question génère ainsi une « tension encore largement présente entre sauvegarde du patrimoine et développement urbain durable. »97 L’exemple des menuiseries ou encore de l’isolation des ouvrages sont deux vastes sujets passionnants en eux-mêmes. A ce débat environnement versus patrimoine, nous répondrons et approfondirons au sein de l’acte 3 – Transformations – que les postures projectuelles de l’acte de transformation sont multiples et qu’il est tout à fait envisageable de conjuguer patrimoine et énergies en un projet contemporain. Quoi qu’il en soit, l’acte de non démolition présente en lui-même une grande préservation d’énergie comme d’entropie. Car pour permettre la performance énergétique, deux interventions sont possibles : . La transformation – qui consiste en la dépose des éléments obsolètes et en une intervention sur l’enveloppe dans l’objectif d’améliorer les performances existantes. Cette intervention est minime en production de déchets, en gestion de déchets, en consommation de ressources, comme en consommation d’énergies. Elle présente une faible entropie.
. La démolition – reconstruction, qui consiste en la suppression de l’ouvrage pour la construction neuve d’une architecture plus performante. Cette opération inclue la production et la gestion des déchets de démolition comme l’extraction des ressources naturelles nécessaires la production de matière neuves. Cette intervention est extrêmement productrice de déchets, comme consommatrice de ressources et d’énergies. Elle présente une très forte entropie.
Ces deux interventions sont radicalement opposées en termes d’énergie et d’entropie, de consommation de ressources comme de production de déchets. Dans ce contexte, « Le premier acte environnemental pertinent dans le contexte de crise actuelle, c’est le recyclage et l’augmentation des performances des grands ensemble. Ce n’est certainement pas leur démolition. »98 C’est alors qu’apparait comme une évidence que l’acte de non-démolition et de préservation de ce patrimoine délaissé, présente une véritable démarche environnementale. Une démarche qui conjugue ressources patrimoniales et ressources matérielles en une économie d’énergie et une très faible entropie.
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STEIN Véronique, Sauvegarde du patrimoine et développement durable : entre complémentarités et conflits, 2012, p.65
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DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 171p. p.33
La préservation des ressources transformées et naturelles est un sujet préoccupant et plus que jamais d’actualité. Il place chaque jour le consommateur devant ses propres choix de consommation et de production. Face à l’épuisement global imminent des ressources naturelles, la production de matières transformées ne désemplit pas. Les sociétés productrices et consommatrices peinent à comprendre l’urgence de la situation. En premier lieu, dans une dizaine d’années, se seront les ressources minérales & énergétiques qui viendront à manquer. Elles se feront de plus en plus onéreuses et de plus en plus rares. Ces modifications économiques auront un impact phénoménal sur les modes de fonctionnement sociétaux, où il n’y aura pas d’autres choix que de s’adapter. Aujourd’hui, nous devons ouvrir largement le champ de la patrimonialisation et accepter que les ressources soient un patrimoine universel en péril. Patrimoines qui doivent plus que jamais être préservées et valorisés. Dans ces perspectives, le secteur du bâtiment présente de véritables opportunités. Car après le leg des héritages massifs transmis par les générations précédentes, « tout se situe dans la métropole. »99 La ville se présente alors comme une gigantesque mine, une carrière riche d’apprentissages, d’erreurs et de succès, d’édifications et de transformations, riche de matériaux à forte entropie qui ont tous déjà consommé l’énergie nécessaire à leur mise en œuvre. Lorsque les catalogues de matériaux neufs présentent chacun une infinité de formes, de couleurs, de textures, de matières, de prix, de systèmes, de détails… Les démolitions fusent et génèrent des déchets de plus en plus complexes à gérer. Du catalogue au déchet, le cycle de vie des architectures témoigne d’une rupture linéaire alarmante. Si nous voulons rompre ce nouveau schéma linéaire voué à un drastique échec environnemental et urbain, nous devons permettre la continuité du cycle de la ville contemporaine. Parallèlement, le patrimoine de la modernité, massivement détruit, se révèle être simultanément : . Des matériaux inertes, déchets à retardement massifs et complexes à réintroduire dans des cycles. . De concrètes ressources à la fois patrimoniale et matérielle. Massives et disponibles, riches d’expérimentations urbaines, sociales et architecturales, le patrimoine de la modernité fait aujourd’hui partie de l’histoire de la ville. Et surtout il est porteur de valeurs d’usage et de contemporanéité.
99
GATIER Pierre Antoine, Les énergies patrimoniales, Le patrimoine, une ressource pour les métropoles, le Entretiens du patrimoine et de l’architecture 2011, 09.11.2011
Entre déchet et ressource, la limite est fine. Mais contrairement aux déchets, les ressources ne sont pas seulement une matière, elles sont surtout une conjonction de solutions riches et variées. Les systèmes constructifs hérités de la modernité permettent justement la transformation. Ce sont de ouvrages modulables et adaptables. Les postures projectuelles de l’acte de transformation sont multiples et ont le pouvoir de conjuguer patrimoine et énergies. En cela, il est un patrimoine - ressource des plus intéressants et des plus contemporains. De manière très claire, l’acte de non-démolition et de préservation de ce patrimoine délaissé présente une véritable démarche environnementale. Et cet acte de non-démolition passe fondamentalement par un acte de transformation.
L’héritage de la modernité est définitivement un patrimoine singulier qui ne peut être traité comme un objet patrimonial. Œuvres ouvertes, massives, et disponibles elles sont de véritables opportunités pratiques comme théoriques. Beaucoup des auteurs et praticiens ici mentionnés parlent de « patrimoine ordinaire » à cela, nous soulignerons que justement, ces patrimoines ne sont pas ordinaires. Ils sont singuliers, multiples et variés, et nous conclurons simplement et peut-être naïvement que par le prisme de l’acte de transformation, « Il n’y a pas d’ordinaire, il y a des aventures. »100
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GATIER Pierre Antoine, Les énergies patrimoniales, Le patrimoine, une ressource pour les métropoles, le Entretiens du patrimoine et de l’architecture 2011, 09.11.2011
« Il n’y a pas plus de raison de démolir une tour que de raser un sous-bois pour y installer des pavillons. » DRUOT Frédéric, 2008
Le concept de transformation est issu du latin transformare, apparu au XIIIème siècle dans la langue française. Il désigne l’acte de « prendre une autre forme, un autre aspect, une autre manière d’être… » Aujourd’hui, nous empruntons ce concept onirique pour qualifier l’intervention projectuelle portée sur un patrimoine adaptable. Pourquoi ? Car ce concept est doté d’une certaine poésie, une poésie de la métamorphose par l’acte d’intervention. Une métamorphose fondamentalement contemporaine, une métamorphose vertueuse au prisme de l’environnement comme de la sauvegarde des patrimoines contemporains.
Acte d’intervention sur un sujet où l’intégrité formelle, ou matérielle de ce sujet est interrogée et impactée par le choix d’un type d’intervention. Ces types d’interventions peuvent être multiples. L’acte de transformation est une posture qui comporte intrinsèquement l’idée d’évolution. Cet acte, comme un acte de résistance, fait débat. Mais il permet sans nul doute la préservation matérielle comme conceptuelle des héritages en périls de la modernité. Il est un acte minimaliste mais riche de postures comme de force de propositions et d’expérimentations.
Il s’agit bien de "Ne jamais démolir, ne jamais retrancher ou remplacer, toujours ajouter, transformer et utiliser" 101 l’héritage transmis. Il est question de perpétuer les cycles de vie, d’entretenir, de réparer et de transformer avant toute autre décision. Intervenir comme composer dès qu’il en est possible, avec ce qui existe, avec ce qui nous a été transmis, avec ce qui a duré jusqu’alors et qui porte les performances pour durer encore. Aujourd’hui, deux tiers de la commande architecturale française concerne des bâtiments existants. Qu’il s’agisse d’opérations de réhabilitation, de reconversion, de mise à niveau, de normalisation ou plus simplement d’entretien, le nombre d’interventions de l’architecte sur le parc construit ne cesse d’augmenter depuis les années 1980. Ce constat est rassurant, mais face aux statistiques de production de déchets comme de démolition d’ouvrages intègres, elle est insuffisante.
Au sein de ce troisième et dernier acte, nous ouvrirons la réflexion à travers l’étude de projets ciblés de transformations réalisées, porteuses de solutions exemplaires, car encore peu nombreuses. En s’affranchissant de toute théorie de la conservation, restauration, rénovation, réhabilitation… Nous étudierons des réponses aux problématiques ciblées au sein des actes 1 & 2, à travers trois actes de transformation : Le RECYCLAGE ; La REUTILISATION ; Le REEMPLOI. Nous exposerons chacun de ces actes à travers deux échelles d’intervention : . Le MICRO, l’échelle de la matière, et Le MACRO, l’échelle de l’architecture. Nous en extrairons schématiquement les impacts à travers les concepts de : . DECHET ; RESSOURCE ; ENERGIE ; ENTROPIE 101
DRUOT Frédéric, Architecture = durable, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2008, p.44
Acte de transformation qui nécessite une conséquente entropie. Selon la loi de la conservation de la matière, « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme »102. Si cette dernière est transformée par l’action de l’homme, elle est recyclée : c’est à dire inscrite dans un nouveau cycle. Chaque intervention sur l’existant génère des déchets : le chantier Zéro Déchet n’existe pas, chaque acte de projet génère des déchets. Ce fait doit être conscient et accepté. Et c’est à ce moment que la question du re - cycle se pose : comment inscrire cette matière déchue dans une nouvelle vie ? Car c’est bien l’ordre des choses, lorsque rien ne se perd mais que tout se transforme. « Dans l'absolu à l'échelle de l'univers un objet en fin de vie n'est donc pas un déchet, sa matière devient disponible pour un nouveau cycle : elle se transforme ou se recycle, ou bien on la recycle. »103 Le recyclage est un acte générique qui recouvre bien des matières. Il est souvent utilisé pour son sens premier de RE – CYCLE, soit ré – inscrire dans un cycle autre. Au cours de ce travail, ce concept s’est révélé être vulgarisé comme spécialisé, théorique comme pratique. Nous le lirons en trois dimensions : « La première repose sur la stratification des édifices de constructions, recelant de vestiges, des traces de l’épaisseur du temps passé. La seconde, celle matériologique, comprend des activités de constructions successives, de restauration, reconstruction – déconstruction, réhabilitation du tissu urbain, s’appuyant sur le recyclage des matériaux (reconstruire la ville sur elle-même). La troisième est d’un ordre écologique d’un autre niveau, tenant à la disponibilité des ressources, à leur raréfaction, à leurs couts énergétiques d’extraction, de transformation, mais aussi tenant aux externalités négatives générées par les pressions sur les milieux, les ressources et les populations. » 104 Le Micro parle de techniques très spécifiques et chimiques sur une matière locale. Il révèle les potentialités créatives comme sociale que porte la réflexion sur la matière déchue mais pourtant porteuse de mémoire collective. Cas d’étude : – Marbre d’ici – Le Macro parle de manière beaucoup plus large des cycles de vie des ouvrages et tend à désigner en lui-même l’acte de transformation, il ne peut s’appliquer à un type de transformation. – Pas de cas d’étude – nous parlerons alors de la déconstruction.
102
Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) Traité élémentaire de chimie, 1787
103 YOUNES Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p.
Jean Marc Huygen Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.390 104
HARPET Cyrille, Vestiges, Matériaux et Polluants, une relecture des grands cycles urbains. P.171
, Ivry-sur-seine, France, 2012 Concepteurs : Stefan Shankland – Raum architectes
Matière : Déchets inertes : gravats de démolition. Energie – Entropie : Modérée, liée au concassage ainsi qu’aux matières ajoutées à forte entropie… « Le Marbre d’ici est une nouvelle matière, produite localement, avec des gravats inertes, transformée en un matériau noble. »105 Ivry sur seine accueille un premier prototype de banc public en « marbre d’ici ». Cette matière inerte est faite à partir de poudres de gravats de différentes couleurs, soigneusement recyclés selon un procédé développé par l’artiste Sefan Shankland dans le cadre du projet Trans 305. Ce processus permet de fédérer à travers la matière, la mémoire collective de ces lieux disparus sous l’acte violent de la démolition. Processus : . Le concassage des gravats en granulats très fins, . La création de la forme du moule, . Le coulage de la matière Marbre d’ici, avec ajout des liants nécessaires à la prise . Le démoulage et l’usage de la forme générée. Pour aller plus loin : Matériaux courants recyclés : Sables de criblages de débris ; Sables de concassage de débris ; Concassés de débris de béton ; Concassé de débris de maçonnerie ; Concassé de débris d’enrobés hydrocarbonés. Moins subtil : Les gravats inertes valorisés et recyclés sont des bétons broyés et revendus pour des remblais techniques, des circulations hydrauliques, des drains, des terrassements, des sous fondations et fondations, des revêtements de chaussée… Solution ultime avant l’exploitation des matières premières : « Le recyclage dans son sens restreint et non dans le sens général de nouveau cycle peut donc être une solution ultime avant l'exploitation de matières nouvelles. D'un point de vue patrimonial, la mémoire de l'ancien objet attaché à sa forme et complètement perdu dans ce processus de récupération de matière le recyclage est un acte iconoclaste de désinformation. »106 105
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p, P.329
106 YOUNES
Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. HUYGEN Jean Marc Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.390
Figure 28: Réalisation d'un espace public, Place du Général de Gaulle, Ivry, 2012, dalle de 260m² @marbredici
La question du recyclage à l’échelle Macro est d’ordre conceptuel : recycler la ville, recycler l’urbain, recycler l’architecture, recycler les concepts, recycler les espaces, recycler le patrimoine. C’est un moyen de désigner la pensée des cycles de vie. Plus qu’un acte d’intervention, c’est une véritable stratégie de projet. « Nous voulons maintenant souligner, sans proposer une histoire spécifique des transformations urbaines et sans rentrer dans les champs disciplinaires établis tel que la restauration des monuments historiques, l’importance cruciale du recyclage comme stratégie de projet majeure. »107 Cette stratégie de projet s’effectue alors dans chaque acte de dépose, de création de sous œuvre, ou de démolition. « Une seconde ligne de travail devrait se concentrer encore sur la capture de la valeur résiduelle des bâtiments obsolètes et abandonnés à travers un traitement opportun de démontage et recyclage de leur composants »108 Elle passe par l’intervention spécialisée d’entreprises de démolition ou de curage, ou par la formation des entreprises à la gestion des déchets de construction. Cette technique vertueuse permet le non passage de la matière – ressource à la matière – déchet. La déconstruction : Le recyclage des structure urbaines et architecturales induit un traitement respectueux et averti des ouvrages comme des matériaux. Que ce soit au sein d’un chantier de démolition comme de réhabilitation lourde, le recyclage n’est possible seulement si l’ouvrage est proprement déconstruit. Si les filières de recyclage à cette échelle sont encore sous développée, il est clair qu’elles sont en cours de transition car les techniques de démolition sont en nette amélioration. « D'un point de vue technique, on est loin aujourd'hui de la grosse boule d’acier qui démolissait le bâtiment. Le coût du traitement des déchets ayant fortement augmenté, les démolisseurs accordent une attention particulière au traitement des matériaux, séparant les fractions valorisables des fractionnement valorisables, pour laisser l’essentiel des tonnages en déchets inertes. »109 Besoins : > Amélioration du tri sur le chantier qui permet la séparation des matières à la source. > Mise en place de nouveaux contenants et augmentation du nombre de fractions (type de matières). > Espace de stockage des déchets inertes et attente de concassage nécessaire. > Attention aux déposes, au stockage et au conditionnement car le mélange de matières peut être fatal à leur recyclage. Par exemple « Le plâtre, ça tue le béton. » 110
107 YOUNES
Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Roberto d’Arienzo, Liminalité : des restes urbains inévitables, ambigus, précieux.P.59 108
Ibid, Zanfi Federico, Décombres Précoces, p.321
109 ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Alexandre Doyère,
directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313 110
Ibid, PERRAUDIN Gilles, architecte, les bâtiments carrière du futur, p. 323
Figure 29 : Ressourcerie, le Re-Building center
Figure 30: Chantier de dĂŠconstruction
Acte par lequel on prolonge la durée d’utilisation d’un objet, après remise à neuf. La mémoire de l’objet est conservée. La forme ne change presque pas, sauf entretien ou raccommodage. La réutilisation est une attitude d’économie évidente. La réutilisation architecturale est une valorisation minimaliste de l’existant. Elle réaffirme une posture : « en plus de conserver des bâtiments existants, des modes de vie et les traces de l'histoire, il s'agit sans doute de réaffirmer une manière de vivre qui a fait ses preuves. »111
Si la question du recyclage métamorphose la matière en une autre, et efface ainsi une partie de la mémoire qu’elle revêtait jusqu’alors, la réutilisation prolonge la forme et l’intégrité des objets comme des ouvrages. Lorsque les héritages de la modernité disparaissent, emportant avec eux leurs témoignages comme leurs valeurs d’ancienneté, l’heure de la réutilisation pourrait bien résonner comme une attitude radicale, environnementale, source évidente d’économie énergétique et financière, et surtout, fondamentalement patrimoniale. La réutilisation a fait ses preuves depuis que l’homme a trouvé par terre l’outil délaissé d’un autre. Mais c’est surtout dans l’urgence qu’elle apparait comme des plus évidentes. Les populations locales, après le passage de catastrophes naturelles par exemple, pour ne pas parler de situations belliqueuses, se dirigent toujours spontanément vers la réutilisation, obligées de composer avec ce qu’elles trouvent rapidement et localement. « Le passé fuyant, nos repères se brouillant, la conservation de nos références construites relèverait d’une évidence doublée d’une urgence. »112 Si l’acte de réutilisation apparait comme simple et minimaliste, elle peut se révéler être dotée d’une véritable démarche patrimoniale. La conservation de l’ouvrage par l’acte de réutilisation est un véritable acte de transformation comme de prolongation de son cycle de vie. Néanmoins, pour qu’un ouvrage soit réutilisé, il doit répondre aux problématiques de son époque et admettre alors une flexibilité d’adaptation. Le micro parle de la réutilisation d’objets déchus. – cas d’étude : La passerelle – Le macro parle de la capacité d’un ouvrage à supporter un même programme comme à celui de répondre aux problématiques contemporaines. – cas d’étude : Cité de l’étoile –
111 YOUNES
Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Jean Marc Huygen Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.393 112
Dominique Lyon dans Un Bâtiment Combien de Vie ? p- 41 2015
, Saint Denis, France, 2013 Architecte : Nicolas Dunnebacke – Architectes Sans Frontières Maître d’ouvrage : Association Emmaüs Coup De Main Matière : Matériaux de second œuvre, principalement des menuiseries obsolètes. Energie – Entropie : Nulle, hors transport des matériaux réutilisés. Contexte : L’association Emmaüs Coup De Main accompagne les familles d’immigrants en véritables conditions précaires à « sortir du cercle vicieux du chômage, de manque d’éducation et de l’exclusion. »113 L’association loue, sur un bail de 5 an renouvelable, un morceau de terre qui présente une situation très difficile : entre la voie de chemin de fer et l’autoroute, les conditions atmosphériques comme acoustiques sont des plus précaires. Sur cette parcelle sont disposés des baraques de chantier empilées et recyclées : elles constituent des espaces de vie intimes et d’autres, des espaces de vie partagés et collectifs tels que les cuisines et les salles de jeux. Le morcellement de ces espaces génère un confort thermique d’hiver des plus précaires. Face à ces conditions de vie, l’association Emmaüs Coup De Main se dirige vers Architectes Sans Frontières pour trouver des solutions salubres d’habitat. C’est alors qu’intervient l’architecte Nicolas Dunnebacke. Réponse : L’architecte détecte rapidement sur site la nécessité de bâtir une enveloppe protectrice pour des raisons acoustiques et thermiques. Disposant de peu de moyens, et comme le pratiquent fréquemment les architectes de l’urgence ou les architectes sans frontières, l’architecte se dirige naturellement vers la réutilisation d’éléments de second œuvre qui ont été délaissés mais proprement déposés. Il invente alors un système de double peau qui enveloppe les baraques de chantier, où des éléments réutilisés transparents seraient fixés sur une structure secondaire en bois. Constat : L’évolution de la réglementation thermique a notamment provoqué la dépose d’un nombre considérable de menuiseries, notamment sur les ouvrages de la modernité qui présentaient des menuiseries peu performantes. Néanmoins elles peuvent parfaitement recouvrir une nouvelle vie, dans un programme qui nécessite une performance énergétique moindre par exemple. Transformation : En collaboration avec des immigrés et des travailleurs en contrat social, l’équipe construit manuellement un écran acoustique et thermique géant. Les menuiseries sont d’abord triées par taille, puis assemblés sur une structure en bois de récupération. Celui-ci a déjà prouvé son efficacité prouvé son efficacité acoustique et thermique, en plus de générer un espace intermédiaire de type jardin d’hiver, procurant par la même occasion une identité forte à ces populations aujourd’hui encore marginalisées.
113
Source : www.ASF.fr
Figure 31: dispositif et mise en œuvre, Matière Grise, p.136
, Bobigny, France, 2012 Architectes projet d’origine : Georges Candilis, Guy Brunache, Shadrach Woods, Alexis Josic Architecte transformation : Groupe Ellipse : Loïc Josse et Patricia Martineau Bailleurs sociaux : Emmaüs Habitat Matière : Opération million édifiée en 1963 – Cité de l’étoile à Bobigny. Ensemble qui échappe à une démolition importante. Nécessité de remettre à l’usage. 2010 : Instance de classement face à l’urgence. Classé patrimoine XXème en 2008. Energie – Entropie : Modérée : dépose des systèmes de façade obsolètes, restructuration des intérieurs, repose de nouveaux systèmes d’isolation comme de façade… La cité de l’étoile à Bobigny est un cas d’étude très intéressant. Héritage malmené puis en péril, il bénéficie d’une instance de classement : certes pour la qualité architecturale et urbaine dont il témoigne mais surtout grâce aux noms de ses concepteurs originaux. Origine : L’architecture simple et économique de la cité est pourvue d’une vraie force plastique. La cellule habitée est travaillée en plan et en façade dans un système ultra rationnel à l’échelle urbaine comme à celle du logement. C’est une architecture composée : les façades sont répétitives mais subtilement travaillées en termes de plein-vide, des nus, d’ombres portées et de contrastes. Transformations intermédiaires : Dans les années 1980, une vaste opération de réhabilitation est opérée, très peu respectueuse du projet initial. L’ouvrage est alors soumis aux « filtres de son époque » et la cité s’en retrouve alors considérablement dénaturée. Les ouvertures sont fermées pour raisons d’isolation, les menuiseries aluminium sont remplacées par du PVC qui alourdissent l’ensemble du dessin d’origine, les colorations des bâtiments ont évolué, les contrastes sont « gommés » au profit d’un camaïeu pastel gris beige. Et pour finir, certains bâtiments sont démolis et reconstruits. La réparation : Avertie et sensibilisée à la qualité initiale du projet, l’équipe de maîtrise d’œuvre comme d’ouvrage ont d’abord cherché à comprendre les mécanismes qui ont conduit à cette architecture. Comment réparer ce qui a été modifié tout en s’inscrivant dans notre époque ? Ils ont d’abord cherché à retrouver la notion de contraste en façade. Ils engagent une stratigraphie pour retrouver les couleurs d’origine, comme des couleurs plus vives sur des pignons lames, qui pénètrent dans les escaliers. Un travail sur des lasures minérales est opéré, sur l’expression des nus, sur l’expression des pleins des vides, les impostes et ouvertures comblées réouvertes, la section des menuiseries est retrouvée, leur position au sein de la baie respecte les ombres portées... La transformation : La cellule d’origine était tellement rationnelle que les surfaces demeuraient nettement trop petites pour les modes de vie contemporains. Les architectes retravaillent les plans et les circulations afin d’agrandir les logements pour les adapter aux standards actuels. Afin d’atteindre des performances énergétiques favorables une isolation par l’intérieur est posée. Les halls d’entrée, sont retravaillés afin d’assurer une connexion avec l’espace public contemporain, toute en gardant les idées de transparences et ce dans une écriture fidèle à l’esprit initial du projet. 114
114
L’architecture du XXe siècle, matière à projets - PARTIE 1, Cité de l’architecture & du patrimoine, Docomomo France
Figure 33: Evolutions du cycle de vie de l'ouvrage
Figure 32: Prototype avant transformation
Acte de transformation par lequel on donne un nouvel usage à un objet existant qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué. Posture médiane entre réutilisation et recyclage, entre conservation de la forme première et suppression. Le réemploi recouvre « une dimension patrimoniale : la conservation d’un premier assemblage de matières dans le cadre d’un nouvel assemblage. »115 Le réemploi est une intervention qui conserve, au moins de façon fragmentaire, l’existant. Le réemploi perdure depuis toujours dans la construction des villes où les héritages matériels servent de carrière aux constructions neuves. Sans doute des plus prometteurs, l’acte de réemploi fait preuve d’une grande liberté d’intervention – sur les ouvrages – et stimule la créativité des concepteurs, apportant des réponses inattendues, spontanées, variées et fondamentalement durables. Contrairement à la réutilisation, le réemploi vise à donner une nouvelle fonction à l’objet. « Le réemploi suppose une récupération des matières dans le cadre de nouveaux assemblages et ensemblages. Contrairement au recyclage le réemploi conserve au moins de façon fragmentaire leurs informations. »116 A l’échelle architecturale, le réemploi est un acte engagé et radical sur un ouvrage, modifiant considérablement son esthétique comme sa fonction. « Peut aussi être exploré le potentiel de réemploi de certaines de ces architectures souvent considérées comme un héritage morcelé, transformés en alternative à une ultime démolition. »117 Le Micro parle de l’opportunité, de l’expérimentation, de la spontanéité, de la réflexion, de la localité et des traditions. Souvent effectué directement sur le chantier, quand la matière y est présente et disponible. – cas d’étude : Matadero de Madrid – Le Macro parle d’une véritable capacité de transformation, de métamorphose. « Il s’agit de faire plus en profitant de l’existant et en le transformant efficacement pour obtenir des qualités indéniables. En partant d’un existant, on fait plus et mieux qu’en démolissant et reconstruisant aux normes actuelles »118 Le réemploi s’inscrit dans une logique de second œuvre : il pense le bâtiment en trois dimensions et examine l’ensemble des volumes disponibles, du cheminement des réseaux, du fonctionnement statique et physique de l’ouvrage pour cibler quelles interventions écarter ou favoriser. Il est bien question « d’utiliser le moins de matière possible et créer des volumes maximaux. »119 – cas d’étude : Résidence pour étudiants // Surélévation d’un foyer de migrants –
115 YOUNES
Chris, & D'ARIENZO Roberto, Recycler L'urbain, pour une écologie des milieux habités. Métisse Presses, 2014, 525p. Jean Marc Huygen Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.393 116
Ibid. HUYGEN Jean Marc Réemploi, subsidiarité, architecture douce. P.393
117
KLEIN Richard, MONIN Éric, les architectures de la Transformation, culture et recherche, n°138, 2018. P.35
118
DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 171p. p.87
119
DRUOT Frédéric, Architecture = durable, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2008, P.44
, Madrid, Espagne, 2009 Architectes projet d’origine : Inconnus Architecte transformation : Arturo Franco et Fabrice Van Teslaar Maître d’ouvrage : Ville de Madrid Matière : Tuiles déposées de la toiture des abattoirs. Energie – Entropie : Nulle. Hors système de fixation des tuiles les unes avec les autres. Les anciens abattoires de Madrid, délaissés, sont convertis par la ville en un lieu culturel d’avant-garde. Le programme est vaste, les activités mixtes : des espaces d’expositions temporaires, des espaces de workshop, des espaces associatifs, un restaurant, des ateliers, des bureaux… La ville de Madrid projette alors de lancer un concours de taille pour bâtir ce nouvel espace culturel. Mais le budget ne suit pas, contrairement à la nécessité programmatique du lieu métropolitain. Et les abattoirs se détériorent à grande vitesse. C’est alors que la ville demande à Arturo Franco et son collaborateur Fabrice Van Teslaar de constituer un projet éphémère et économique, le temps de constituer les financements pour le projet durable qu’elle envisage. Les deux architectes visitent les lieux et sont frappés par la force spatiale et matérielle que présentent ces hangars de brique et de béton. Ils décident de préserver chaque trace, chaque matière existante. Afin de ne pas altérer la mémoire des lieux, ils constituent des interventions par le moyen d’éléments industrialisés réversibles qui, au moment venu, pourront être démontés pour redevenir matière industrielle, sans avoir nullement impacté le site. C’est ainsi qu’à même le sol existant, sont positionnés des profilés en U métalliques pour créer un plancher, que les menuiseries sont positionnées à l’intérieur des la structure maçonnée, que l’ensemble est laissé dans son ambiance initiale.
Figure 34: Matadero, plancher démontable, Façade intérieure et second œuvre brut
Opportunité : Le Hangar 8B est quant à lui transformé en bureaux. Alors que le chantier est entamé, Arturo Franco remarque une montagne de tuiles à proximité, destinées à la décharge. Grâce à l’implication des ouvriers, il imagine et réalise un nouveau type de cloison intérieure avec ces tuiles. L’opportunité est saisie, ils établissent le système en utilisant un liant à la chaux. En 2019, le Matadero - Centre Culturel soufflera sa dixième année et le système éphémère de réemploi est bien parti pour durer.
Figure 35: Dépose des tuiles et résultat de l'agencement intérieur. www.arturofranco.es
, Arcueil, Val de Marne, France, 2007 Architectes projet d’origine : Inconnus Architecte transformation : TVK (Trévelo & Viger-Kohler) architectes - urbanistes Maître d’ouvrage : Sadev 94 vendue en état futur d’achèvement (vefa) à Efidis. Matière : Bâtiment en béton armé et panneaux préfabriqués des années 1970 Energie – Entropie : Modérée : dépose des systèmes de façade obsolètes, restructuration des intérieurs, repose d’une nouvelle épaisseur en béton – balcons filants. Le maître d’ouvrage hérite d’un immeuble de bureaux en béton préfabriqué daté des années 1970 et envisage d’y édifier une résidence étudiante. C’est alors que l’équipe de maîtrise d’œuvre en charge du projet adoptent une position radicale. C’est en une restructuration lourde que l’immeuble de bureau de transforme en résidence lumineuse et généreuse. Pour cela, le déshabillage de la façade obsolète et non performante jumelé à la démolition de la circulation verticale monumentale et hors d’échelle, permet l’ajout d’une coursive commune en béton périphérique, autoportante. Ils fabriquent alors une nouvelle peau, un nouvel usage à la façade. De larges et généreuses menuiseries en bois sont placées entre l’ouvrage et sa nouvelle peau, permettant une performance énergétique contemporaine. La large coursive en béton permet une protection climatique, les accès aux logements, comme un espace extérieur mutualisé. C’est alors qu’est créé la confrontation entre une intervention contemporaine et une ossature d’un ouvrage de la modernité. « La structure existante, libérée de son ancienne façade, a été épurée, laissant apparaître deux volumes distincts, composés de planchers minces et de poteaux. Dès lors, une traversée visuelle du bâtiment met en relation l’espace de la rue avec le cœur d’îlot. Puis le projet se définit par une nouvelle structure en console portant des coursives extérieures. Le rythme des façades est scandé par la trame des poteaux où des modules de logements allongés viennent prendre place. La connexion des circulations extérieures à la structure optimise la surface habitable : elle supprime toute circulation centrale pénalisante dans le logement et attribue les planchers existants exclusivement aux logements. Les coursives servent à la fois d’accès aux logements et d’espaces extérieurs ; elles prolongent les cellules de vie et en deviennent la continuité naturelle. »120 Ici, c’est la structure primaire du bâtiment qui est réemployée pour un nouvel usage, métamorphosant fondamentalement l’ouvrage d’origine. La transformation porte à l’ouvrage une esthétique nouvelle et contemporaine. La transformation est efficace, elle préserve l’empreinte historique du bâtiment d’origine comme son système constructif qui s’est effectivement révélé être adaptable aux situations contemporaines.
120
Description du projet sur www.tvk.fr
Figure 36, dĂŠmolitions et ajout de la nouvelle peau. www.tvk.fr
, Rue Tolbiac, Paris, France, 2014
Architectes projet d’origine : Inconnus Architecte transformation : Marie Schweitzer Maître d’ouvrage : Domaxis - Aftam Matière : Bâtiment en béton armé et panneaux préfabriqués des années 1960. Energie – Entropie : Faible Le maître d’ouvrage demande à la maîtrise d’œuvre d’augmenter de 30% la taille du foyer. L’équipe réalise alors une surélévation de deux et trois niveaux sur l’existant déjà en R+5. L’ouvrage est alors transformé pour une mise en conformité, modernisation et augmentation de sa capacité. En plein contexte urbain, c’est naturellement que l’architecte Marie Schweitzer, également charpentière de formation, se dirige vers le bois et fait appel à des techniques de construction suisses et Finnoises. L’ouvrage existant ne pouvait accepter la surcharge que de l’équivalent d’un seul niveau en béton. Le recours à la structure bois a quant à lui permis d’en réaliser trois. Les trois niveaux de surélévation reposent donc sur la maçonnerie en béton existante, présentant un léger porte-à-faux pour les alignements. Système léger : Ce système d’ossature bois comprenant murs et plancher (système de dalle O’portune) permet une excellente portée pour un poids minime et sollicite ainsi au minimum les fondations. Seul le noyau central qui comprend les circulations a été renforcé. « Les ingénieurs ont réussi à imposer le bois en levant toutes les interrogations dues aux exigences de la réglementation incendie »121 Performances énergétiques : Le travail de l’ensemble de l’équipe de maîtrise d’ouvrage a permis de tenir les performances énergétiques en atteignant celles d’un ouvrage à énergie passive. Rapidité de mise en œuvre : La mise en œuvre du bois permet de réduire considérablement les délais d’intervention. Un seul plateau de 400 m² étant monté en une semaine, les façades étant montées en une seule journée. Durabilité : La matière est légère, biosourcée et renouvelable. Mais surtout, elle est recyclable. Car l’architecte et l’ensemble de l’équipe de mise en œuvre se sont appliqués à réaliser la transformation « sans une seule goutte de colle » Contourner la norme : L’architecte souligne la volonté de l’ensemble des partenaires de contourner les obstacles normatifs, comme l’important travail accompli avec les pompiers. De même, le maître d’ouvrage a reçu de l’architecte une « charte d’entretien du bâtiment »122 afin de transmettre les techniques d’entretien de l’ouvrage et de garantir ainsi sa pérennité, son cycle de vie.
121
Wood Surfer, n°82, 2014, p. 31
122
Le Moniteur, 2 mais 2014, p.28
Figure 37: www.atelierschweitzer.com
Du plus léger au plus radical, ces cas d’études témoignent de l’exceptionnel panel de recherche et d’application qu’offrent l’acte de transformation du patrimoine de la modernité. Ces cas d’étude témoignent du véritable pouvoir de faire que les architectes, les maîtres d’ouvrages, les bureaux d’études, les bureaux de contrôle ou encore les entrepreneurs détiennent. Ces expérimentations, à la marge de tout ouvrage neuf, sont possibles et réalisables, puisqu’elles la preuve en est, elles ont déjà été réalisées. Et ce au sein des commande publique comme privée. Ces cas d’étude, dont de nombreux n’ont pas été exposés en ces lieux, nous pouvons penser à l’excellente transformation de Frédéric Druot, Anne Lacaton et Frédéric Vassal de la Tour parisienne du Bois le Prêtre en site occupé, font preuve d’audace technique comme d’une véritable connaissance des héritages comme du patrimoine ressource dont nous disposons aujourd’hui. Pourquoi ces postures sont-elles si peu nombreuses ? Pourquoi l’acte de transformation n’est-il pas une priorité constructive nationale comme globale ? Au sein de cette conclusion de l’acte 3 – TRANSFORMATIONS – nous abordons les freins et les leviers que nous avons pu observer au cours de ces recherches. Ce afin de pouvoir en extraire une posture avertie des mesures à prendre pour pouvoir assurer un tel acte.
Le premier levier, des plus intéressant en termes d’architecture et d’expérimentation, est le cadre dérogatoire qu’offre l’intervention sur l’existant. « Cette situation de crise nous permet de recourir à l’attitude extraordinaire qu’est la transformation, seule solution pour échapper aux normes de la construction. »123 La loi liberté de la création, architecture et Patrimoine, extraite de la loi LCAP ouvre le champ de l’expérimentation et permet également un cadre dérogatoire des plus intéressant.
Le deuxième levier, des plus attractifs, est le cadre économique qu’offre l’acte de transformation. Nous l’avons abordé à plusieurs reprises dans les actes précédents : l’empreinte économique comme environnementale de l’acte de démolition – reconstruction est extrêmement élevée lorsque celle de la transformation tel que nous avons pu l’observer en ces lieux demeure des moindres. Par logement, selon les résultats publiés par l’ANRU dans son rapport de 2004, la réhabilitation économique ne couterait que 2 000euros de plus que… sa simple démolition, à savoir 17 000 euros. A contrario, le cout de démolition – reconstruction s’élèveraient à 152 000 euros. Et ce n’est pas sans compter le traitement des déchets qui suit la démolition de l’ouvrage, ni les frais environnementaux générés. La transformation coûte alors 11% du coût total du projet de démolition – reconstruction. Il n’est pas sans rappeler que ces transformations ajoutent à l’ouvrage, qui voit son cycle de vie se prolonger, des nombreuses prestations supplémentaires aux qualités patrimoniales déjà en place. 123
DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 171p. p.35
Figure 38 : DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 171p. p.30 Ajout du cout de traitement des déchets
Le diagnostic est un levier primordial à déverrouiller. Afin de permettre la sauvegarde et la préservation massive de ces héritages – patrimoines – ressources de la modernité, il est absolument nécessaire d’établir des diagnostics afin de garantir le bon entretien et le maintien des cycles de vie des architectures, comme du cycle de la ville. « Le ministère de la Culture doit revendiquer sa position par rapport à la ville et impliquer les architectes dans le processus de diagnostic de toutes les constructions. C’est un enjeu culturel et politique de poids tant pour le Ministère que pour la profession des architectes qu’il représente. »124 En cela, nous entendons un diagnostic adapté à chaque patrimoine. Nous entendons des outils spécifiques. Spécifiques au patrimoine ancien comme au patrimoine contemporain. Nous entendons la création d’outils adaptés et adaptables à chaque situation de projet. Nous entendons surtout, en premier lieu, un véritable diagnostic environnemental. Un diagnostic conscient des enjeux globaux et irréversibles qui constituent l’état d’urgence que nous devrions avoir enclenché depuis longtemps. Valeur écologique, valeur La filière du réemploi peut être un levier considérable. Mais bien qu’extrêmement riche d’expérimentation, d’économie et de savoirs faire à transmettre, elle apparait en France comme inexistante. Aucun groupement professionnel ne s’y intéresse vraiment, quel qu’en soient les enjeux comme les potentialités. Se sont trop souvent les précaires, de tous pays et depuis toujours, qui le pratiquent tant bien que mal, parfois à grande échelle mais obligation faute de mieux. Il y a la pourtant un enjeu économique potentiellement très important. Alexandre Doyère, chef d’entreprise de Doyère Démolition, témoigne « Bien que certaines fractions conservent un état propre au réemploi, elles ne sont très rarement réutilisées. C’est dû à l'absence d'un marché de l'occasion ou à notre incapacité à stocker tout ce qui pourrait présenter un intérêt. »125 Il est assez étrange d’établir le lien entre le constat de la vacance de nombre de sites industriels périphériques aux villes, ressources spatiales disponibles évidentes, et celui de l’absence d’espace de stockage pour la création de déchets alors qu’ils sont clairement encore des ressources. En Belgique pourtant, existe déjà des outils de gestion des stocks de matériaux réutilisables, recyclés et réemployables.126
124
DRUOT Frédéric, LACATON Anne, VASSAL Jean Philippe, Plus. 2004, 167p. p.33
125 Alexandre Doyère, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Matière Grise, Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313 126
Opalis : bon coin des matériaux.
Nous avons précédemment abordé les divers impacts sur la production de déchets que pouvaient avoir les diverses attitudes devenues des habitudes chez les professionnels de la construction. Pourtant, il existe des gestes simples à adopter lors de la conception comme de la rédaction des pièces écrites, tout comme lors du chantier qui permettent le recyclage drastique des matériaux de construction. Pour cela, plusieurs guides du réemploi et du recyclage sont disponibles notamment le projet DEMOCLES qui conseille et sensibilise les Maîtres d’ouvrages, Maîtres d’œuvres et Entreprises.
Néanmoins, il demeure une composante essentielle de la durabilité des cycles de la matière en architecture : « Pour un réemploi efficace, il faudrait envisager dès la construction d'un ouvrage, sa déconstruction. »127 La problématique est alors portée à l’acte de conception comme aux modes d’assemblage de matériaux entre-eux. « Souvent nous rencontrons des matériaux que se recyclent bien parce qu'ils sont séparés les uns des autres mais leur mode assemblage ne permet pas de les séparer facilement et les rends non recyclables. (…) Il faut penser davantage en amont à la démontabilité et à l'éventualité de faire évoluer la destination d'un ouvrage. » 128 Aujourd’hui, pour permettre la pérennité des cycles de la matière, au rythme effréné où vont les démolitions comme les cycles de vie en architecture, il est des plus urgent de questionner la performance de recyclage des ouvrages. « Lorsque je construis un bâtiment, je créé une nouvelle carrière. Car un bâtiment en pierre est totalement recyclable. »129 Pour conclure sur la question du recyclage, du réemploi comme de la réutilisation, il est aujourd’hui des plus urgents de créer des filières compétentes, averties et mobilisées pour injecter à la profession une transition conceptuelle et matérielle.
Les premiers freins avancés sont de l’ordre administratif, il en va des rouages intrinsèques de la construction contemporaine en France. « Le principal frein dans notre pays c'est la réglementation, temps d'un point de vue technique assurancielles. »130 Et les témoignages fusent. Ils sont en chacun très intéressant et reflètent la situation verrouillée que connaissent bon nombre de professionnels du bâtiment. Nous ne les commenterons pas individuellement, mais il semble important de les présenter en ces lieux, car chacun porte de véritables combats à mener.
127 Alexandre Doyère, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Matière Grise, Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313 128 Alexandre Doyère, directeur de l’entreprise Doyère Démolition. Matière Grise, Réemploi, utopie ou marché émergent, p.313 129
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Gilles Perraudin, architecte, les bâtiments carrière du futur, p. 323 130
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Michel Klein, directeur des sinistres de la MAF, Matière Grise, Assurer le risque, p.273
« Malheureusement nous sommes aujourd'hui dans une société d'experts en matière de réglementation, et la responsabilité sur la performance atteindre par ouvrage fini se trouve diluée : en effet chacun des acteurs se réfugie derrière des montagnes de normes et de règles pour refuser le changement et empêcher l’innovation. »131 « La norme tue l'imagination et la réflexion de tous les acteurs. Aujourd'hui le moindre écart par rapport à une norme et pénalisé par une surprime de risque sans que le risque soit réel. La plupart des maîtres d'ouvrage ne voulant pas payer de surprime d'assurance, nous impose donc d'appliquer l'énorme sans se poser de questions. C'est un cercle vicieux. Ainsi tout n'est que normes, et les normes sont sacralisées. On ne peut quasiment plus rien faire de manière artisanale. »132 « La première chose qu'un assureur continue à demander à l'issue d'un chantier c'est de
savoir si ont été utilisées des techniques non courantes, hors-normes. Et en fonction de la réponse, il décide de ce qu'il va assurer pas. C'est pour cela que le maître d'ouvrage sont réticents. Si l’on n’aborde pas autrement la question de l'assurance on ne pourra pas faire évoluer le système. Le maître d'ouvrage peut être ouvert et compréhensif, mais ce qui lui importe sera finalement, c'est de pouvoir assurer son ouvrage. (…) L'assurance est devenue un simple produit financier. »133
« Le problème des architectes - qui est d'ailleurs plutôt une qualité - c'est qu’ils sont créatifs. Cela nous pose des difficultés après-coup. Le principe en cours à la mutuelle des architectes et de ne pas brider leur créativité, mais encore faut-il que celle-ci soit encadrée sécurisée. »134 « Chacun doit négocier avec son assureur. »135 « Les contrats de base ne comprennent jamais d'assurance concernant des techniques innovantes ou non courantes. Il faut donc demander une extension de garantie. En toute logique, cela implique souvent un surcout. »136 « La MAF ne propose aucune clause restrictive à ce niveau, Mais aller la seule dans ce domaine tous les autres contrats contiennent des restrictions. Pour certaines entreprises au bureau d'études technique la garantie n'est pas acquise. »137 « Si le principe de réemploi était validé et reconnu comme tel dans le bâtiment, cette
technique, de même que toute celles qui étaient innovantes il y a 15 ans et qui ont fait l'objet de rédaction de règles professionnelles, deviendrait banale et habituelle. »138
131
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris : Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Rony Chebib, directeur général de BTP Consultants, La norme tue l’imagination, p.271 132
Ibid,
133
Ibid,
134
Ibid,
135
Ibid, Michel Klein, directeur des sinistres de la MAF, Matière Grise, Assurer le risque, p.273
136
Ibid,
137
Ibid,
138
Ibid,
La question est aujourd’hui de comprendre comment faire évoluer une situation qui apparait comme verrouillée face à l’opacité des normes comme des assureurs. Nous constatons aujourd’hui au sein de l’ensemble des professions de la construction l’état alarmant de la conception comme de la qualité expérimentale et alternative des opérations menées. « L'état avait créé le métier de contrôleur technique pour réduire les sinistres. Mais l'accumulation normative n'a malheureusement pas empêché la sinistralité d'augmenter depuis 30 ans, puisque nous passons l'essentiel de notre temps à vérifier la conformité des normes et non à établir une analyse des risques encourus et vérifier les performances intrinsèques d'un ouvrage en lien avec son usage. »139 Aujourd’hui, il est temps de prendre conscience à tous les échelons, que « dans tout ce qui est fait aujourd'hui, il y'a des risques. Le risque zéro n'existe pas. »140 En revanche, le risque environnemental est bien présent.
Aujourd’hui les Documents Techniques Unifiés sont les documents de référence pour l’ensemble des acteurs de la construction, que ce soient les assureurs, les bureaux d’étude, de contrôle, les architectes, les maîtres d’ouvrage, comme les entreprises. Les DTU et les normes encadrent très précisément l’acte de construire. Chaque matériau doit prouver sa conformité car ces DTU servent de support à l’ensemble des éléments de la construction. Ils sont établis par directement par les fabricants. Typiquement, les calculs sont effectués pour des dimensionnements contemporains et neufs. Ils ne sont en aucun cas adaptés aux problématiques de l’existant. Et parallèlement, « pour déroger les procédures sont longues. L’obtention par exemple d'une ATEX demande beaucoup de temps. On alourdit l’innovation. Pour sortir du cadre normatif, il faut l'accord des assureurs, qui ont besoin à leur tour d'être rassuré sur sa technique dite « non conventionnelle » et demandent donc des essais. »141 Et la boucle est bouclée.
Les derniers freins cités établissent un constat des plus préoccupant. La majorité des matériaux déposés ne sont pas altérés mais se dirigent droit vers la benne. Tous les acteurs sur le terrain en sont conscients, et en témoignent. Mais le geste est accepté, il en est ainsi. « Il n'y a aucun débat aujourd'hui sur les matériaux au sein de la profession des contrôleurs technique, qui participent en revanche à des colloques pour discuter des évolutions DTU et des normes, sans que leur utilité soit remise en cause. »142 Et pour cause, l’épreuve est laborieuse et mieux vaut s’y préparer : se munir des bons arguments, de solides connaissances, aux bons acteurs, au bon moment. Car tel est la réalité des standards contemporains : « chaque matériau doit faire preuve des performances qu’il possède, le bâtiment est aujourd’hui un des milieux les plus réglementé et les plus normés. Des matériaux âgés d’une quinzaine d’années sont devenus non conformes pour des bâtiments actuels. » 143
139
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris: Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. Rony Chebib, directeur général de BTP Consultants, La norme tue l’imagination, p.271 140
Ibid,
141
Ibid,
142
Ibid,
143
Ibid. ANQUETIL Frederic, président de l’association Les Bâtisseurs d’Emmaüs, Matière Grise p.169
Aujourd’hui, face à ces constats alarmants mais stagnants, il est bon de se demander quelles sont les politiques menées en la matière. Des actions ont été avancées, des discours menés, des rapports remis. Mais les objectifs ne sont clairement pas tenus. Des agences ont été créés, des études menées, des règles d’urbanisme et d’architecture ont été établies, des protections plus ou moins fortes prévales, au titre de patrimoines culturels et naturels, après de longues procédures de diagnostic et de protection… Et quand bien même, ces initiatives sont-elles suffisantes ? Qu’en est-il de la politique publique environnementale ? Qu’en est-il de la protection de l’ensemble du patrimoine-ressource et du patrimoine naturel ? Quel rôle les politiques publiques jouent elles dont ces combats ? Il est très complexe de savoir évaluer ses mérites effectifs, mais pourtant le courbes parlent. Il semblerait qu’elles soient inexistantes.
Nous ne pouvons passer sous le peigne l’ensemble du système assurantiel, administratif et financier et ainsi activer le processus d’effet papillon pour finalement pointer du doigt tel ou tel secteur, telle ou telle profession, tel ou tel décret. A quoi bon ? Aujourd’hui, l’attitude est à la construction de postures engagées, au pouvoir d’agir, au pouvoir de faire, à la prise de risque. Un risque qui doit être justement cette opportunité à le braver. L’architecte ne peut à lui tout seul porter la responsabilité de l’expérimentation, de la réussite comme de l’échec car les projets sont des processus d’ensemblier où chaque profession porte un rôle à jouer. « L'architecture est un métier à risque, c'est sûr L'architecte doit anticiper en vérifiant que tout le monde est assuré afin qu'il ne soit pas seul à prendre en charge l'innovation. » 144 Il est temps de sortir du cadre. « Jamais on n’a trouvé la réponse aux grands problèmes qui ébranlent le monde sans lutter et se battre, sans expérimenter et se tromper. »145
144
Ibid. KLEIN Michel, directeur des sinistres de la MAF, Assurer le risque, p.273
145
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, 1903, P.95
A travers l’étude des deux premiers actes, de l’immense problématique des déchets jumelée à celle tout aussi urgente des ressources, il est complexe de comprendre pourquoi nos sociétés contemporaines continuent à émettre de telles statistiques avec une telle abnégation. Pour tout habitant de cette planète, il est urgent de se demander vers où l’humanité dirige l’ensemble du vivant. Il est préoccupant d’imaginer dans quel état cette humanité transmettra son patrimoine culturel et naturel aux futures générations vivantes. Au cœur de ces débats : les modes de vie, de production et de consommation. Et au cœur de cette trilogie : l’architecture et l’urbanisme. Ces deux disciplines portent une responsabilité monumentale aussi bien dans la production de déchets comme dans la consommation de ressources. Alors, ces deux disciplines possèdent fondamentalement un immense pouvoir d’agir. En même temps, ces problématiques sont tues. Pourquoi la question du déchet est-elle si muette ? Comment se fait-il que la problématique ne résonne pas dans les amphithéâtres des écoles d’architecture ? Dans les halls des agences d’architectes et d’ingénieurs ? Dans les couloirs des ministères ? Pourquoi les maîtres d’ouvrages spécialisés ne ciblent-ils pas les problèmes à la source ? Pourquoi les entreprises délaissent-elles leur responsabilité au bord de la route ? Aujourd’hui de nombreuses questions pourtant fondatrices de la production architecturale demeurent sans réponses, sans dispositifs, sans plan d’action, sans porte-parole. Aujourd’hui, trop peu d’acteurs sont concernés, trop peu de moyens sont mis en place, d’ailleurs, personne ne sait réellement quels sont les impacts de notre actuelle production architecturale, de plus en plus obsolète et de moins en moins recyclable.
L’étude du troisième acte – transformation – présente pourtant des expérimentations concrètes, effectuées majoritairement en France, dans les règles de l’art. Ces cas d’étude sont bien la preuve formelle que la transformation est un acte contemporain réalisable et efficient. Surtout, ces transformations sont porteuses d’un très riche panel d’interventions, qui nécessitent plus ou moins d’entropie, plus ou moins de ressource et génèrent plus ou moins de déchets.
Si ces transformations sont encore peu nombreuses, les stratégies, techniques, expérimentations se mettent progressivement en place. Souvent à la marge, elles concernent aujourd’hui des milieux alternatifs – soit associatifs, disposant de peu de moyen, soit dans des milieux contraints par une protection juridique, étant donc très spécifiques et présentant un péril très certain – et sont encore trop peu médiatisées, trop peu étudiées, trop spécialisées. Elles sont plutôt inscrites dans des niches telles que le patrimoine ou l’architecture d’urgence. Pourtant, ces stratégies de projet basées sur la préservation des ressources et des énergies, incarne une réelle alternative à la consommation énergivore de la production architecturale contemporaine.
Ce travail tente de poser les fondements d’une posture d’architecte éthique, concrète et raisonnée. Une posture optimiste et réaliste, simple, parfois radicale où rien ne se perd, rien ne se crée mais tout se transforme. Une posture rationaliste, engagée, convaincue et argumentée. Si nous voulons rompre ce nouveau schéma linéaire voué à un drastique échec environnemental et urbain, nous devons permettre la continuité du cycle de la ville contemporaine. L’approche est simple : il s’agit de réexaminer l’héritage théorique et pratique des générations antérieures, à la lumière de la question des déchets et des ressources, qui sont aujourd’hui au nœud des problèmes environnementaux. Pourquoi ? Car le premier patrimoine en péril et pourtant celui le plus important à transmettre, à défendre et à préserver est bien celui du patrimoine naturel. Aujourd’hui les héritages anciens comme contemporain sont des matières structurelles théoriques et pratiques. Ils sont les supports du temps qui a passé jusqu’alors. Ces patrimoines intègres, notamment ces patrimoines contemporains peu considérés ne peuvent se réduire à l’état de déchet. Ils sont des patrimoines vivants, mutables, transformables. Ils sont de véritables carrières de ressources et d’énergie. Ils sont une ressource renouvelable, car la matière construite est déjà là tout comme les engagement politiques et économiques. En cela, ils sont partie intégrante de ce patrimoine naturel, car ils sont des milieux habités, résultant des évolutions des sociétés. Recouvrer le cycle de la ville par l’acte de transformation permet ainsi de transformer ce milieu habité en un écosystème vertueux au regard de l’environnement et donc d’inscrire le patrimoine culturel au sein du patrimoine naturel.
En cela, nous soutenons l’ouverture large du champ de patrimonialisation, au regard des problématiques de déchet et de ressource. Pourquoi ? Car le patrimoine est un levier qui fédère nature et culture. Il traduit l’acte de transmission comme de sauvegarde avec force et avec sensibilité. Pour cela, un changement de paradigme doit être opéré : « Il y a un discours radical qui doit être porté sur le patrimoine, une radicalité ouverte qui amène un débat avec le corps social pour qu’il garde sa place dans la société. »146
146
GATIER Pierre Antoine, Les énergies patrimoniales, Le patrimoine, une ressource pour les métropoles, le Entretiens du patrimoine et de l’architecture 2011, 09.11.2011
Ainsi deux approches émergent : . Une approche cyclique de la matière, où le patrimoine bâti – contemporain – est intrinsèquement transformable ce qui limite la consommation de ressource et donc limite l’impact environnemental. . Une approche de la conservation du patrimoine naturel, qui prévaut sur le patrimoine bâti où ce dernier peut être transformé dans le cadre d’une action vertueuse de la préservation de l’environnement. Cette approche génère la constitution de nouvelles valeurs : la valeur écologique propre à la conservation du patrimoine naturel. Dans tous les cas, l'approche patrimoniale de l’héritage bâti recèle en elle une approche environnementale intrinsèque car elle parle de recyclage architectural. Au cœur de ces chantiers demeurent les architectes. Nous l’avons également esquissé au sein de la conclusion de l’acte 3, la mise en œuvre de ces transformations demande la collaboration étroite et dynamique de l’ensemble des acteurs de la construction, de la conception à l’entretien comme à la gestion poste livraison de l’ouvrage. Et l’architecte – trait d’union entre les entreprises et la maîtrise d’ouvrage, à l’aube des esquisses conceptuelles et techniques – est au cœur de ces réflexions. Mais « Paradoxalement les architectes ne sont pas considérés comme des interlocuteurs majeurs sur les questions environnementales. Or c’est une question qui regarde l’architecture et donc qui regarde les architectes. Ce n’est pas une question qui peut être réglée uniquement par le plan technique, ni normatif. Et il est regrettable que ce soit perçu comme tel car c’est une innovation de renouvellement du langage architectural et une opportunité pour les architectes : de redevenir un acteur central dans la construction mais également de se réinterroger sur l’architecture elle-même. »147 A l’aune du plus grand défi que l’humanité n’ai jamais affronté, de fantastiques opportunités expérimentales s’offrent aux architectes. Des opportunités qui interviennent sur une matière déjà en place, disponible, et surtout, qui placent ces interventions dans un cadre dérogatoire beaucoup plus libre que celui de la construction neuve. Elles sont alors de véritables échappatoires à l’intransigeant et mortifère « principe de réalité » devant lequel tout concepteur se voit courber l’échine. Mais nous l’avons esquissé en conclusion de l’acte 3, le cadre assurantiel et normatif est encore trop frileux et fonctionne dans une démarche trop linéaire des matériaux et des cycles de vie… Aujourd’hui, la réglementation qui prévaut sur tout – et qui est très intéressante en termes de dérogation - est la protection au titre des Monuments Historiques. Malheureusement, - ou heureusement - l’ensemble du patrimoine-ressource ne peut être protégé à ce titre. Aussi, de nouvelles opportunités – qui prévaudraient juridiquement sur l’actuel schéma fermé et linéaire de la construction – doivent être créées pour pouvoir assurer et assumer cette transition matérielle et énergétique. En matière d’environnement, qu’il s’agisse de réglementation, de fiscalité stimulante ou d’indicateurs environnementaux, il y a encore tout à faire. Nous ne sommes qu’à peine au commencement. Dans cette optique, les villes deviendraient de véritables mines de ressources, d’énergies et d’entropie, des carrières de matières-patrimoine à recycler, réemployer ou réutiliser.
147
GONTIER Pascal, COP 21 Interview, 8 décembre 2015
« Les chantiers à venir sont immenses et d’un potentiel créatif incroyable. Chaque occasion est bonne à prendre. L’idée de tabula rasa en architecture apparait aujourd’hui hors de propos. Cette table rase doit laisser place à la table pleine. Il conviendrait plutôt de faire avec ce qui existe, à partir de ce qui est proche. Il ne s’agirait pas de construire moins mais de construire mieux, à la recherche d’un équilibre juste et vivant. »148 Au cœur de ces opportunités, un ensemblier indispensable est à mettre en place. Il s’agit de sensibiliser, d’accorder et d’assurer une bonne communication – collaboration entre les différents acteurs d’un chantier de transformation. Il s’agit de fonder un travail d’équipe de l’acquisition du patrimoine – ressource, à la conception jusqu’à la livraison et sa gestion temporelle tout au long de ses cycles de vie. « Je pense que la réussite d’un tel projet repose sur une sur un travail d’équipe. Il faut réussir à intégrer de bureau d’étude des bureaux de contrôle des entreprises de façon à crédibilisé le projet. »149 Et tant que les filières ne sont pas mises en place, cet ensemblier devra faire preuve de compétences engagées et argumentées, notamment en matière d’assurance. « Cela nécessite de trouver des partenaires compétents qui sauront négociés une garantie avec leur assureur pour engager quelques opérations permettant de constater que les procédés et assurables voir qu’il obtienne une certification par un organisme habilité. »150 Pour ce qui est du côté opérationnel, de nombreux chantiers tests ont été menés, aboutissant à d’excellents guides – notamment le Guide pratique du réemploi élaboré par Nicolas Scherrier151 que nous citerons pour exemple, et qui prend le soin de détailler le rôle de chaque acteur : « La Maîtrise d’ouvrage, MOA, doit . Exprimer ses attentes, anticiper le temps d’intervention de curage, . Prévoir dans les appels d’offre un lot dédié à l’entreprise responsable chargée de la démolition, . S’assurer en fin de projet que les performances de valorisation ont bien été atteintes. La Maîtrise d’œuvre, MOE, doit . Faire réaliser un inventaire qualitatif et localisé des matériaux présents sur site qui produiront des déchets durant le lot curage. . Adapter le DCE au diagnostic Déchet et y joindre l’inventaire des déchets pour que les entreprises puissent répondre correctement au marché. . Préparer le plan de gestion des déchets et le suivre durant les phases chantier. . Et enfin s’assurer que les entreprises ont bien valorisés les déchets comme prévu. Les Entreprises doivent : . Disposer des moyens et compétences pour déposer et traiter en toute sécurité. . Fournir une offre précisant les conditions de traitement de chacun des déchets identifiés dans l’inventaire déchets. . Et surtout, conditionner les déchets de façon à permettre leur recyclage ! »152
148
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris : Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. p.348
149
ENCORE HEUREUX, CHOPPIN Julien, DELON Nicola, Matière Grise. Paris : Pavillon de L'arsenal. 2014 365p. p.348
150
Ibid, KLEIN Michel, directeur des sinistres de la MAF, Assurer le risque, p.273
151
Ibid, P.125
152
DEMOCLES, Dossier de Presse 2016
Outre ces mesures à mettre en place lors du chantier de transformation, une des postures des plus intéressantes et surtout des plus pérennes à investir dans le domaine de la construction - pour réduire durablement la consommation de ressources comme la production de déchets - est une pensée constructive… de la déconstruction. Une optique où chaque matériau employé est fondamentalement réemployable. Pourquoi ? Car même si l’ouvrage recouvre plusieurs vies aussi engagés et optimistes soit-on, son utilisation éternelle n’est qu’une vue de l’esprit. Les opportunités, les aléas programmatiques culturels et économiques, comme les aléas environnementaux et temporels amèneront quoi qu’il advienne l’ouvrage à se transformer et sa matière à se réinscrire dans un nouveau cycle. C’est ainsi qu’au sein de chaque lot, chaque matériau pourrait être démontable sans altération, non mélangé à d’autres matières, sans colle et sans mastic. Ainsi, l’ensemble matériel de l’architecture héritée sera valorisable et réemployable quoi qu’il advienne. Ces mesures sont à décrire au sein des CCTP et seront à assurer pendant le chantier. Les procédures de démontage et de stockage sont à la clé de la réutilisation des matériaux : Démocles propose ainsi de véritables manuels de démontage153 par postes. Cette pensée constructive facilite - ou plutôt permet véritablement - le RE-CYCLE des ouvrages qui demeureront alors de véritables carrières – ressources peut importe le nombre de vies qu’ils auront connus. La mise en place de cette pensée déconstructive – consistant à penser la déconstruction dès la conception des ouvrages – qui permet de générer des métiers spécialisés dans la déconstruction et la dépose des matériaux, leur stockage puis leur réinjection dans de nouvaux cycles. Certains des cas d’étude présentés dans l’acte 3 en témoignent avec une grande sensibilité. Ce sont ainsi de véritables opportunités de création de filières et d’emplois variés autour de la matière et de ses cycles de vie. Filières aujourd’hui inexistantes ou à la marge mais pourtant porteuses de grandes révolutions constructives, économiques et théoriques. Ces filières seraient également à l’aune d’une véritable pensée de la conservation de la matière au sein même de l’urbanisme et de l’architecture.
En matière d’environnement, la chute prospère. L’homme le sait. Il en est averti régulièrement par ses scientifiques, toutes disciplines confondues. En conclusion de chaque rapport, de chaque étude, de chaque témoignage ici parcouru pour restituer des données contemporaines qui nous concernent, nous avons pu constater l’urgence vitale de remédier aux actuelles situations. L’homme le sait, et surtout, l’homme le vit car le climat se dérègle à des rythmes effrénés, et les écosystèmes mutent sous l’action de l’homme qui est bien loin d’une simple problématique de survie. Humains, chacun de nous tombe en même temps que l’autre, même s’il en est plus ou moins responsable. Humains mais pas que, le vivant est concerné. Le cycle de la vie est concerné.
153
Aujourd’hui 11 manuels sont développés concernant les : Portes, Menuiseries, meubles intégrés, lavabos et éviers, cabines de douche, radiateurs, prises & interrupteurs, Luminaires, Planchers en bois, Revêtements de sols en pierre et carrelage, Briques.
A travers la question du déchet et de la ressource, nous comprenons ce qu’est l’humus, ce qu’est l’énergie, ce qu’est la matière. Nous comprenons que cet humus et cette énergie proviennent d’un cycle composé et décomposé, un cycle où tout se transforme. Nous comprenons que le déchet d’aujourd’hui est vraisemblablement le sédiment de demain, nous comprenons que ce déchet ne disparait pas et qu’il sera inscrit à jamais dans les cycles de la matière comme de la vie. « Quel humus nos civilisations pourraient-elles obtenir depuis leur industrie pour servir la vie au lieu de la mettre en péril ? Entre une lisière de sous-bois et un déchet nucléaire il n’y a rien moins que la vie et la mort. » 154 Je suis née avec cette alarme qui sonne. La chute, c’est notre génération. Nous la sentons, nous la constatons. Impossible d’imaginer le jour où l’alarme s’arrêtera, le jour de l’atterrissage, mais c’est pourtant un défi commun à chacun de nous. Un défi dont nous avons hérité. Un défi qui dépasse toutes les autres problématiques, aussi justes soient-elles. Aujourd’hui je ne peux que constater l’incapacité de nos sociétés à répondre à l’urgence qui nous concerne tous aujourd’hui, là, maintenant. C’est pas l’histoire de demain. C’est pas le problème de celui d’à côté. C’est notre histoire. C’est notre problème. Quand discuterons-nous véritablement de l’atterrissage ? Quand parlerons-nous de l’héritage que nous transmettons chaque jour à nos enfants ? Quand prendrons-nous conscience de la gigantesque transformation des cycles que nous sommes en train d’imposer au vivant qui nous a fait naître ?
Sans attendre quoi que ce soit de plus, ce travail dresse des pistes d’action concrètes en engagées dans le domaine de l’architecture. Il tente d’articuler les échelles et les enjeux pour répondre à l’urgence. Il répond par le pouvoir de Faire, par le pouvoir d’action, qui défi les conceptions contemporaines de la matière, qui défie les conceptions contemporaines des héritages et des patrimoines. La réponse ici proposée réside dans la transformation d’un patrimoine hérité, considéré comme un véritable patrimoine-ressource. Et si le sujet d’étude est porté vers l’héritage de la modernité, héritage encore jeune qui s’est démontré singulier et fondamentalement transformable, cette démarche s’appliquerait à l’ensemble des matières déchues qui expriment des valeurs d’usage et de contemporanéité. Sans la prétention de pointer tel ou tel acte de transformation, ce travail tente plutôt de révéler l’immense champs d’action que présentent l’urbanisme et l’architecture. L’immense impact que peut porter la large ouverture du processus de patrimonialisation, s’il associe patrimoine naturel et patrimoine culturel. S’il porte des valeurs écologiques et contemporaines. Et force est de constater que si les expérimentations de telles transformations sont encore à la marge, elles sont concrètement porteuses de véritables solutions à engager massivement.
« Jamais on n’a trouvé la réponse aux grands problèmes qui ébranlent le monde sans lutter et se battre, sans expérimenter et se tromper. »155
154
CLEMENT Gilles, L'alternative ambiante, 2009, p.4
155
RIEGL Aloïs, Le culte moderne des monuments, 1903, P.95
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Mes remerciements vont au corps enseignant et administratif du Mastère Spécialisé Architecture et Patrimoine Contemporain. Les interventions riches et variées ont ouvert des perspectives théoriques et pratiques engagées riches de sens et qui confortent un avenir où le patrimoine prend place transversalement et durablement dans le débat contemporain.
Je tiens à remercier tout particulièrement, Nicolas Crégut et Laurent Duport, qui m’ont permis de mener à bien ces recherches et réflexions. Théodore Guuinic, pour son aide précieuse et toutes ces discussions savoureuses et riches d’apprentissages. Ps : Merci de m’avoir fait aimer l’histoire de l’architecture. Enfin, Emmanuel Garcia pour sa présence, sa disponibilité, ses réflexions, ses inputs, son temps -masqué ou non- et puis surtout pour cette transmission d’énergie et d’envie de poursuivre cette aventure contemporaine.