La pratique de l’architecte en Europe Exportation de la maîtrise d’oeuvre En quoi l’exportation de la maîtrise d’œuvre en Europe est une sécurité pour l’architecte ? Et quelles en sont les limites?
HMONP 2018 Julie LE BAUD, Sous la direction de Maëlle TESSIER - Fabienne LEGROS et Jacques BOUCHETON ENSA Nantes
Remerciements Je tiens à remercier avant tout mon entourage, pour leur soutien, leur écoute et leur appui constant et solide, en particulier Orianne Scourzic et Florian Carré. Merci à Maëlle Tessier pour son suivi et son investissement, ainsi qu’à toutes les personnes interrogées qui m’auront permis de développer ce projet : Renata Gilio, Marie Saladin, Salomé Attias, et Maxime Desmond. Je remercie l’équipe enseignante, notamment Fabienne Legros, Jacques Boucheton et Pauline Ouvrard pour la richesse des sessions HMONP 2018, et leurs aides méthodologiques pour le meilleur développement possible de nos mémoires. Enfin, Merci à l’ensemble des intervenants pour leur participation et leur enthousiasme.
sommaire PRéFACE
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Introduction
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I - Etat des lieux : Pourquoi l’architecte devrait s’interesser à la maîtrise d’oeuvre et aux marchés de l’ensemble du territoire européen?
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A/ Actions collectives pour une harmonisation européenne : directives et formations des architectes
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B/ Comparaison des modalités des procédures de passations de marchés publics : France, Belgique, Suisse, Pays-Bas et Allemagne
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C/ La vision de l’architecte sur sa propre pratique en confrontation avec la réalité du marché : architecte-artiste et architecte-d’affaires
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II - quelles Stratégies adoptées pour accéder à la maîtrise d’oeuvre sur des territoires étrangers?
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A/ L’indispensable référence : construire et communiquer un catalogue de projets pour séduire le maître d’ouvrage
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B/ L’association d’architectes : élaboration du groupement et répartition des missions de maîtrise d’œuvre
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C/ Conception délocalisée : architecture - objet et architecture-globale
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conclusion
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bibliographie
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annexes : entretiens
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expériences
éducation
Architecte chez Mateo Arquitectura, Barcelone (2016 -aujd)
Diplôme d’Architecte DE, ENSA Paris-Belleville, 2015
- Concours de l’ESMA Bordeaux - ESMA Montpellier, PRO/DCE - Concours WTC I-II, Bruxelles - Concours Campus Condorcet, Paris : coordinatrice et dessinatrice - Permis de construire pour un projet de Logements collectifs et sociaux, Bureaux; Résidence Sénior et Etudiante, Hotel, Nice Grand Arénas (France) Etudes et dessins 1/200 - Images de rendu pour Concours (Musée à Berlin, logements à Badalona) - Image, plan masse (Yiwu, Chine) Architecte Junior chez KAAN Architecten, Rotterdam Permis de construire pour un projet de bureaux et logements, Lille (France) Dessins détails structure 1/50, plans des typologies, matérialités, pour un projet de logements, bureaux, parkings, supermarché à Nantes (France) Architecte Assistante chez FortierBloch, Paris Rendus 2D et 3D pour la réhabilitation des grands ensembles de Massy-Opéra et Sarcelles (Ilede-France) Assistante à Veilhan, Paris
Atelier
Xavier
Production, administration et communication Exposition Architectones, Pavillon de Barcelone (suivi de projet, visite du site, maquette…) Architecte assistante chez RMDM Architectes, Paris
PFE ‘L’entre deux quais, culture et tourisme à Paris’ Mémoire : Architectones, une série d’expositions de Xavier Veilhan pour l’architecture moderne Première et deuxième années de Master à l’ENSA Paris-Belleville Licence d’architecture, ENSA Nantes, 2012 Erasmus à Politechnika Krakowska, Cracovie (Pologne) Première et deuxième années de Licence d’architecture à ENSA Nantes Obtention du baccalauréat, 2009
Workshop IFAC 2015, Bergen, Pays-Bas ‘Self Sufficient Rural Future finds its origin in the ever on-going urbanization of our planet’ BELLASTOCK, Paris Expérimentations des constructions en bois ECOWEEK, Cracovie ‘Reunion in a green district’ ECO_REHAB III, Cracovie Organisation et participation ‘Future of the city’ à Nowa Huta
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PRéface J’ai obtenu mon Diplôme d’état (DE) en architecture à l’école Nationale d’Architecture de Paris-Belleville en 2015, après une licence à l’ENSA Nantes et à Politecknika Krakowska, pour une année d’Erasmus à Cracovie en Pologne. J’ai réalisé mes expériences professionnelles à l’étranger, d’abord à Rotterdam (Pays-Bas) au sein de l’agence Kaan Architecten, et depuis deux ans à Barcelone (Espagne) chez Mateo Arquitectura. J’ai ainsi développé une pratique des projets français depuis l’étranger, à travers des échelles et des programmes de projets très variés, ainsi que des phases de développement différentes. De plus, je suis en charge de certaines missions administratives pour les projets français, et du développement de l’agence sur le territoire européen. à travers ces expériences, j’ai appris à des méthodes et des cultures de travail, ce qui m’a permis d’acquérir une vrai flexibilité d’adaptation. J’ai ressenti le besoin de suivre la formation HMONP au sein de l’agence Mateo Arquitectura, notamment parce que malgré mes expériences à l’étranger, je me concentrais principalement sur le paysage professionnel français. De plus, les missions complémentaires de développement de l’agence, avec la recherche de nouvelles opportunités de projets sur le territoire européen, m’ont amenée à me questionner sur la pratique des agences dont le territoire d’actions s’étend à l’Europe. Les objectifs de ce mémoire sont : - Comprendre les spécificités des marchés de la construction européens - Identifier des actions pour l’harmonisation de la pratique en Europe - Découvrir des stratégies de développement d’agences internationales Mais surtout : Explorer les limites de l’exportation de la maîtrise d’œuvre à l’étranger J’ai tenu à faire le parallèle avec mon expérience personnelle chez Mateo Arquitectura, qui a directement guidée les questionnements de mon mémoire. à cette occasion, j’ai pu partager mon désir de comprendre, les mécanismes intrinsèques de la profession avec des intervenants extérieurs et avoir une vision plus globale de la question de l’exportation la maîtrise d’œuvre.
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Notes Introduction (1) Miguel DELATTRE, Renaud PETIT et Véronique ZARDET - Ar(t)chitectes et management : histoires d’introduction d’outils de management chez les architectes, Gérer et comprendre - juin 2015 - n°120 (2) Arrêté du 17 Décembre 2009 constultable sur le site de l’Ordre des Architectes : www.architectes.org
Introduction La profession d’architecte traverse deux grandes crises depuis plusieurs années : la première est une crise économique, qui oblige les différents acteurs de la construction à revoir leur pratique pour suivre les évolutions des marchés, la seconde est une «crise de légitimité»(1) avec la perte de certaines missions qui entraînent la division du travail entre un nombre toujours plus croissant d’acteurs. Tandis que la majorité des spécialistes de la construction semblent s’être accommodés du phénomène de mondialisation, l’architecte - prudent et craintif - le repousse. Pour faire face à cette mondialisation, la Communauté économique Européenne (CEE) entreprend des actions collectives, afin de faciliter et d’unifier les pratiques des architectes. Le processus d’harmonisation européenne (dit «européanisation) initié dans les années 80, déclenche des contestations de la part des acteurs de la construction (de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre), mais n’empêchera pas le développement de ce projet. La crise économique de 2008 frappe le secteur de la construction, notamment dans les pays du Sud et quelques pays du Nord sur lesquels repose en majorité l’économie nationale. Les actions collectives mises en place pour les Etats membres de l’Union Européenne favorisent les mobilités, entre autres pour les architectes, à la recherche de nouveaux marchés de la construction. Face à cette situation, nous nous intéressons à l’intérêt des architectes à orienter leur pratique vers des territoires nouveaux, autres que leur territoire d’ancrage : En quoi l’exportation de la maîtrise d’œuvre en Europe est une sécurité pour l’architecte ? Et quelles en sont les limites? Par «exportation de la maîtrise d’œuvre», nous entendons l’action de concevoir, développer et/ou réaliser à l’étranger un savoir-faire et/ou une identité. Nous étudions cette exportation dans le cas de l’Europe, le phénomène d’européanisation favorise la libre circulation des idées, des personnes et des services sur le territoire européen. Les territoires de concernés sont ceux qui appliquent la reconnaissance des qualifications professionnelles pour l’exercice de la profession d’architecte, définie par l’Arrêté du 17 Décembre 2009 (2). Dans une première partie, nous nous interrogeons sur les raisons qui peuvent pousser l’architecte à s’intéresser à la maîtrise d’œuvre et aux marchés de la construction sur l’ensemble du territoire européen. Tout d’abord, nous nous concentrons sur les actions du Conseil de l’Europe pour l’harmonisation des législations des états membres, croisées avec les actions menées en France par le Ministère de la Culture et de la Communication pour le domaine de l’Architecture. Nous réalisons ensuite une analyse comparative des modalités des procédures de passations des marchés publics dans cinq pays sélectionnés : France, Belgique, Suisse, Pays-Bas et Allemagne. Enfin, nous présentons une vision de l’architecte sur sa propre pratique face à la réalité du marché de la construction, à travers les portraits de deux catégories de practicien : l’architecte - artiste et l’architecte-d’affaires. Dans une deuxième partie, nous enquêtons sur les stratégies diverses adoptées par les architectes pour accéder à la commande sur des territoires étrangers. Nous nous appuyons ici sur les expériences en Europe des agences Kaan Architecten (Rotterdam), MVRDV (Rotterdam) et Mateo Arquitectura (Barcelone). Tout d’abord, nous abordons le rôle fondamental de la construction des références de projets comme un moyen de communication indispensable pour séduire le maître d’ouvrage. Nous nous intéressons ensuite à l’association d’architectes comme une méthode pour accéder aux marchés publics, à travers l’élaboration du groupement et la répartition des missions de maîtrise d’œuvre. Enfin, nous nous attachons à une forme de conception délocalisée comme une méthode de création qui facilite l’exportation des projets des architectes, avec l’architecture - objet et l’architecture - globale. Pour étudier cette question, je m’appuie sur divers supports d’informations et d’échanges. Tout d’abord, sur des directives européennes (actes juridiques du droit européen définis par la Commission européenne ou le Conseil de l’Union européenne) dont l’objectif est d’harmoniser les législations des Etat membres, en particulier pour le domaine de l’Architecture. J’ai consulté des rapports de missions interministérielles pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) menées par le Ministère de la Culture et de la Communication en 2002 et 2017, tous deux dirigés par Véronique BIAU (2), qui exposent l’évolution de la maîtrise d’œuvre en Europe. Je me suis intéressée à une étude sur la culture architecturale française - notamment une recherche en sciences politiques du Ministère de la Culture - et une analyse des stratégies en Architecture - thèse de l’architecte Eduard Sancho POU (3) éditée en 2012 - afin d’observer des caractéristiques des cultures architecturales à différentes échelles. J’ai réalisé des entretiens auprès d’acteurs variés, intégrés au sein d’agences internationales, qui partagent leur vision de la maîtrise d’œuvre depuis l’étranger, et leurs rapports avec le territoire français. Enfin, je croise le développement du sujet avec mes propres expériences professionnelles et personnelles pour illustrer mon propos. Les données des études sont basées sur une pratique d’architectes qui concerne une minorité d’agences, dont la notoriété joue un rôle déterminant dans les stratégies et moyens développés qui sont ici présentés dans ce mémoire.
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directives européennes
france - textes de loi Loi n°77 - 2 du 3 Janvier 1977 (1) Reconnaissance de l'architecture comme une expression de la culture - Déclaration de la création architecturale comme étant d'intérêt public “l’excellence ne soit plus l’exception”, elle a créé un cadre propice pour que la qualité architecturale se déploie sur tout le territoire en généralisant le recours à l’architecte, en instituant les CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement), en déclarant la création architecturale comme étant d’intérêt public.
Directive n°85/384/CEE DU CONSEIL DU 10 juin 1985, dite directive architecture (1)
Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985, dite loi mop (1)
Reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres du domaine de l'architecture et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services.
Relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée. Indépendance des architectes et de la maîtrise d’œuvre
Arrêté du 20 février 1990 Directive n°92/50/cee du 18 juin 1992, dite directive services (1)
Fixe la liste des diplômes, certificats et autres titres du domaine de l’architecture, délivrés par les États membres de la Communauté européenne et permettant l’inscription à un tableau régional des architectes
Création de quatre catégories de procédures : - Procédure ouverte - Procédure restreinte - Procédure négociée - Concours de projet
1999 : 23-24 Septembre à paris Forums Européens des Politiques Architecturales
Directive n° 2005/36/UE - 7 septembre 2005 Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles
2009 : Arrêté du 17 décembre 2009 (2) Arrêté du 17 décembre 2009 relatif aux modalités de reconnaissance des qualifications professionnelles pour l'exercice de la profession d'architecte
Directive 2013/55/UE Parlement Européen et du Conseil du 20 novembre 2013 modifiant la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles et le règlement (UE) n°1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur («règlement IMI»)
Loi du 7 Juillet 2016, dite loi lcap Relative à la Liberté de la Création, à l’Architecture et au Patrimoine
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I - Etat des lieux : Pourquoi l’architecte devrait s’interesser à la maîtrise d’oeuvre et aux marchés de l’ensemble du territoire européen? Dans cette première partie, nous veillerons à comprendre pourquoi il est nécessaire que les architectes s’intéressent aux marchés de la construction à l’échelle européenne. Tout d’abord, nous verrons quelles actions collectives ont été mises en place pour permettre une harmonisation européenne, à travers l’évolution du cadre réglementaires des procédures des marchés publics et de l’enseignement supérieur. Nous ferons ensuite une analyse comparative de ces procédures de passations des marchés publics dans cinq pays - France, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Allemagne - afin d’observer des spécificités et similitudes des modalités. Enfin, nous nous intéresserons à la vision de l’architecte sur sa propre pratique en confrontation avec la réalité du marché de la construction Avant tout, nous tenons à nuancer quelques aspects de cette première partie. Les études et observations démontrent que toute comparaison internationale est difficile à établir. En effet, de nombreux critères de fonctionnement des organisations institutionnelles et professionnelles varient, et les équivalents sont difficiles à définir. Ces différences se retrouvent dans les domaines suivant : - Structuration de la maîtrise d’œuvre (formation, répartition des compétences, réglementation et responsabilités) - Structuration de la maîtrise d’ouvrage (degré de décentralisation de la commande, taille des organismes, modalités de financements privé - public, spécificités des cadres institutionnels et juridiques) - les aspects culturels et sociaux, variables à chaque échelle de territoire
A/ Actions collectives pour une harmonisation européenne : directives et formations des architectes
Pour comprendre le processus d’harmonisation européenne des marchés publics et de la pratique d’architecte, nous nous intéressons aux actions collectives mises en place à cet effet. Nous établissons tout d’abord une brève généalogie des principales directives européennes, qui représentent les lois générales auxquelles chaque pays de l’UE doit adhérer. Nous avons tenu à faire un parallèle avec les lois déterminantes définies en France et les études interministérielles menées par le Ministère de la Culture et de la Communication, pour voir les caractéristiques des marchés publics français, qui constituent un des marchés les plus attractifs en Europe. Enfin, nous nous arrêtons sur l’élaboration du Processus de Bologne, avec le système LMD (License - Master - Doctorat) qui visent à unifier les enseignements des études supérieures dans l’espace européen, y compris dans le domaine de l’Architecture. Les premières directives européennes sont établies en 1985, avec notamment la directive n°85/384/CEE du 10 Juin 1985, appelée «directive architecture», qui vise à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres du domaine de l’architecture et qui comportent des mesures destinées à faciliter l’exercice effectif du droit d’établissement et de libre prestation de services. (1) Nous trouvons référence à cette directive dans les appels d’offre en France sous cette forme : peut candidater, toute personne ayant l’aptitude «à porter le titre d’architecte, ou, si la dénomination professionnelle n’est pas régie par des dispositions particulières, les personnes physiques qui disposent d’un diplôme, certificat ou autre titre dont la reconnaissance est accordée conformément à la directive no 85/384/ cee du Conseil du 10.6.1985». Elle permet ainsi aux architectes européens de pouvoir exercer dans tous les pays membres de l’UE. En 1992, la directive 92/50/CEE du conseil du 18 juin instaure une coordination des procédures de passation des marchés publics de services, en quatre catégories de procédures : procédure ouverte, procédure restreinte, procédure négociée, et concours de projet. En 2005, le Parlement et le Conseil Européen introduisent des directives favorisant la libre circulation des architectes par la reconnaissance des qualifications professionnelles, à laquelle vient s’ajouter en 2013 le règlement (UE) n°1024/2012 pour la coopération administrative entre les pays par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (appelé «règlement IMI»). Ces dernières modifications montrent une première accommodation à l’échelle nationale des pays dans le processus d’européanisation. Remarquant les difficultés d’homogénéisation des législations entre les pays, des Forums Européens des Politiques Architecturales sont créés sous la présidence de la Finlande au Conseil de l’Union Européenne, en partenariat avec la France : «Ces rencontres ont vocation à se pérenniser et à s’intensifier, dans le souci d’une meilleure inter-connaissance pour qu’une meilleure coordination d’actions communes s’accroît.» (3) . En France, des études interministérielles sont menées par le Ministère de la Culture et de la Communication dès 1998 pour analyser les modalités des procédures de passation des marchés publics en Europe. Ces études, dirigées par Véronique BIAU,
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démontrent les inégalités des marchés publics au sein des pays analysés (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni). Tout d’abord, les maîtres d’ouvrages publics délèguent la construction des ouvrages neufs, réhabilitations et aménagements urbains à des maîtrises d’ouvrages privées dans une majorité des pays. Ensuite, il apparaît que le recours au concours ne sont pas obligatoire, car les maîtres d’ouvrages ne se souscrivent pas entièrement aux closes définies par la directive ou aux textes nationaux, et préfèrent d’autres procédures. S’il y a concours, celui-ce est limité à des opérations exceptionnelles, ou le plus souvent ouverts, avec des centaines de candidats, mis sous anonymat pour assurer une équité des chances. L’état français est très engagé dans le développement de son territoire, c’est pourquoi les marchés publics y sont très attractifs. Dès 1977, la loi n°77-2 reconnaît l’architecture comme une expression de la culture, et la création architecturale comme étant d’intérêt public : elle engage à ce que «l’excellence ne soit plus l’exception» (1). Vient ensuite la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 (Loi MOP) relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée. Elle garantit l’indépendance de l’architecte et de la maîtrise d’œuvre, et met en place une indemnisation obligatoire dès la phase concours, ce qui privilégie le recours au concours restreint. Enfin, la loi du 7 juillet 2016 relative à la Liberté de la Création, à l’Architecture et au Patrimoine (Loi LCAP) vise à « renforcer l’exemplarité du concours, caractéristique française récemment confirmée par le Premier ministre, à travers notamment une maîtrise d’ouvrage mieux formée aux enjeux architecturaux et à même d’assumer une gestion vivante de son patrimoine » (4) . Voici quelques chiffres révélateurs de ces différences :
Les concours représentaient en 1996 41% des procédures en France (308 concours), 46% au Portugal (41) ou 38% en Italie (47). Ils étaient quasi inexistants aux Pays-Bas, en Belgique et en Irlande (moins de 2%), et en nombre très réduit au Royaume-Uni (13), en Autriche (11), en Norvège (16) et une position moyenne pour l’Allemagne avec 89 concours, soit 18% des procédures. (5)
Face à ces disparités, les maîtres d’ouvrages partagent leurs réticences, et dénoncent leur défaveur à l’égard de cette nouvelle tendance, notamment pour des soucis de : confiance, proximité, langue, manière de travailler, compréhension de la culture professionnelle locale… En parallèle, chaque pays développe sa propre stratégie nationale pour l’Architecture, ce qui complexifie l’harmonisation européenne de la maîtrise d’œuvre. Le nouveau paysage professionnel cherche en permanence à définir une source commune à travers trois dimensions :
“Celle de l’économie qui engage un travail sur les contrats et les marchés à l’échelle européenne ; celle des professions qui réclame une attention à leur développement historique, et à la nature de leur compétences ; enfin, la dimension territoriale qui renvoie à une réflexion sur les inerties sociales et culturelles toujours déterminantes quant à la réaction des acteurs aux changements qui affectent leur position”. (6)
Le processus d’européanisation s’étend à l’enseignement supérieur avec la mise en place du Processus Bologne (1999), qui vise à rapprocher les systèmes d’études supérieures européens et qui a conduit à la création en 2010 de l’espace européen de l’enseignement supérieur. L’objectif est de faire de l’Europe un espace compétitif à l’échelle mondialisée de l’économie de la connaissance.(7) Le système LMD (License - Master - Doctorat) facilite les passerelles et échanges à l’étranger : “Ces mobilités et l’enrichissement des parcours qu’elles favorisent sont un atout pour une insertion professionnelle de qualité.” (8) Par une sélection des principaux objectifs des différentes déclarations, nous souhaitons exposer l’évolution du processus Bologne. Les informations suivantes sont tirées du site du Conseil de l’Europe : www.coe.int à travers ces objectifs, nous remarquons les enjeux et les besoins dans l’harmonisation européenne des études supérieures en Architecture, qui émergent au fur et à mesure de la transition vers ce système. En France, le plan Bologne est appliqué dès 2005, avec la transformation des UPA (Unités Pédagogiques d’Architecture) en ENSA pour (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture) avec la consolidation de l’offre pédagogique suite aux réformes
1997 Convention de lisbonne - Harmoniser les systèmes nationaux en généralisant une division en trois cycles (LMD), ce qui implique une reconnaissance réciproque des qualifications (basée notamment sur le système européen de transfert et d’accumulation de crédits, les ECTS.
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1998 Déclaration de la sorbonne - Création d’un espace européen de l’enseignement supérieur - Favoriser la mobilité des étudiants
1999 Déclaration de bologne - Mettre en place un système facilement compréhensible et comparable pour permettre une bonne lisibilité et faciliter la reconnaissance internationale des diplômes et qualifications - Faciliter la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs - Donner une dimension véritablement européenne à l’enseignement supérieur
2007 Déclaration de londres - Mettre en place une politique d’assurance qualité tant des établissements que des formations.
2009 Déclaration de louvain Poursuite du processus de Bologne jusqu’en 2020 avec comme priorités : - égalité des chances dans l’accès à un enseignement de qualité - Promotion des capacités d’intégration sur le marché du travail - Association entre l’enseignement, la recherche et l’innovation - Ouverture des établissements d’enseignement supérieur à la scène internationale - Augmentation des possibilités de mobilité et de la qualité des programmes de mobilité européennes consécutives. L’intégration de ce système dans la formation varie suivant les pays. à titre d’exemple, la Suisse l’applique pour les étudiants entrants à partir de 2007 (9) et l’Espagne à partir de 2015 pour les étudiants entrants et en cours de parcours (10). Ce décalage révèle un déséquilibre des formations et donc des équivalences des diplômes. De plus, chaque pays s’attache à une culture architectural nationale, qui contient elle aussi des différences suivant les écoles et les enseignements choisis, qui entraîne des profils d’architectes très variés.
Chaque profession inculque à ses membres un savoir et un savoir-faire particulier qui constituent une culture professionnelle partagée, sur laquelle ils construisent leur légitimité d’action et fondent leur identité. Activités d’architectes en Europes, nouvelles pratiques - Cahiers Ramau, p.135, 2004
L’européanisation du système des études supérieures résulte essentiellement d’une harmonisation réglementaires. Les enseignements restent en profondeur très distincts suivant les écoles et les pays. Ces profils multiples de jeunes architectes sont considérés comme un atout pour une pratique européenne, dont les agences aiment à faire la promotion de la diversité de leurs équipes. Nous prenons l’agence Kaan Architecten pour exemple, avec la communication des nouveaux arrivants sur les réseaux sociaux comme révélateur de ce phénomène. (Photographies ci-dessous) . Ainsi que le témoignage de Maxime Desmond, responsable du développement à l’international chez Talents&Co, qui met en relation des architectes français avec des maîtres d’ouvrages à l’international :
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- Pensez vous que la «figure» de l’architecte varie suivant les pays? Quel ressenti en avez-vous? Comment définiriez celle de l’architecte Français? Celle d’autres pays dont vous êtes familier? - «Oui, le statut mais aussi les fonctions varient. Par exemple, en Suisse, l’architecte est la plupart du temps engagé pour des missions complètes (d’où les honoraires plus élevé d’ailleurs), alors que c’est plus rare en France (l’exécution est souvent une mission complémentaire°. Cela dépend aussi du contenu des diplômes. L’enseignement en France tends à être peu technique. L’architecte français est souvent considéré comme davantage artiste qu’exécutant. Il doit souvent s’associer à des locaux pour faire naître les projets.» (8)
Photos tirées d’une Story Instagram de Kaan Architecten
Conclusion I - a Les directives et le processus Bologne pour l’harmonisation européenne des marchés publics et de la pratique d’architecte permettent de comprendre les passerelles qui unissent les pays de l’Union Européenne, et facilitent l’accession aux marchés de la construction des pays concernés. Ce processus d’européanisation permet ainsi une libre circulation des idées et des architectes sur le territoire. Cependant, malgré ce cadre réglementaire, les modalités définies dans un intérêt commun sont appliquées différemment suivant les pays. C’est pourquoi nous souhaitons comparer les modalités des procédures des passations des marchés publics.
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Notes I - A http://www.culture.gouv.fr/ https://www.architectes.org/ (3) Véronique BIAU avec la collaboration de Sylvie WEIL - La dévolution des marchés publics de maîtrise d’oeuvre en Europe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni), Ministère de la Culture et de la Communication, MIQCP, Octobre 2002 (4) Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, 26 juin 2015 (5) Véronique BIAU, assistée de Marie DEGY et Lupicino RODRIGUES, « Les concours de maîtrise d’oeuvre dans l’Union Européenne, Application de la Directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 et respect de l’anonymat des candidats », Etude pour le Ministère de la Culture et de la Communication, Direction de l’Architecture et du Patrimoine, Centre de Recherche pour l’Habitat (LOUEST, UMR n°7544 CNRS), décembre 1998. (6) Activités d’architectes en Europes, nouvelles pratiques - Cahiers Ramau, 2004. (7) Wikipédia (8) Ministère de la Culture de la Communication, tiré de l’introduction du descriptif Les études supérieures d’architecture en France de 2014 (9) www.monster.ch (11) Données personnelles (12) Maxime Desmond, responsable du développement à l’international, Entretien avec Talents&Co, Juillet 2018 (1) (2)
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B/ Comparaison des modalités des procédures de passations de marchés publics : France, Belgique, Suisse, Pays-Bas et Allemagne
Dans cette dernière partie, nous comparons les modalités des procédures de passation des marchés publics qui tirent leurs origines du processus d’harmonisation des marchés en Europe, pour voir quelles sont les équivalences et les spécificités dans les différents pays. Nous voulons ainsi identifier les caractéristiques des modalités de concours et des candidatures, afin de définir des ressemblances entre les territoires, et comprendre les intérêts des agences d’architecture à accéder à la commande à l’étranger. Pour une question d’accès à l’information, les pays étudiés sont : la France, la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas et l’Allemagne. Pour faciliter la lecture, nous avons décidé de réaliser des tableaux récapitulatifs - le premier concernant les concours, le second les candidatures - dont les données cumulées sont le croisement d’une expérience professionnelle au sein de l’agence Mateo Arquitectura et des études interministérielles menées par Véronique BIAU et autres sources (indiquées en p.22). Afin d’illustrer cette recherche, nous nous intéressons aux retours d’expériences de différentes structures : les agences internationales de Kaan Architecten (Rotterdam), MVRDV(Rotterdam), Mateo Arquitectura (Barcelone), Septembre (Paris) et Plan01 (Nantes) .
Kaan Architecten
Initialement Claus&Kaan, les deux architectes se séparent en 2010 pour former leurs propres agences. Kees Kaan s’associe avec Vincent Panhuysen et Dikkie Scipio pour former Kaan Architecten. Basée à Rotterdam (Pays-Bas) et nouvellement à Sao Paulo (Brésil), l’agence développe une pratique forte en Europe, notamment en France et en Belgique. Elle a dernièrement décroché les concours du Palais de Justice d’Amsterdam (2016) et de l’extension de l’aéroport de Schiphol à Amsterdam (2017). En France, elle obtient des projets dans le marché public comme dans le marché privé, principalement à Lille et à Nantes. Même chose pour la Belgique, où les projets retrouvent une forte ressemblance architecturale et culturelle avec les Pays-Bays. On compte 90 employés au sein de l’agence de Rotterdam - toutes nationalités confondues - et 12 au Brésil.
MVRDV
Basée à Rotterdam (Pays-Bas), elle est créée par Winy Maas, Jacob Van Rijs, Natalie De Vriejs. Reconnue internationalement, elle est remarquée avec la réalisation du Markethal de Rotterdam, et par des projets théoriques. La recherche en Architecture et en Urbanisme étant une partie importante de leur travail, elle crée le studio Why Factory? à TU Delft, dirigé par Winy Maas. Elle développe des projets aux Pays-Bas principalement mais aussi une peu partout dans le monde, et se concentre dernièrement sur la Chine et la France. En France, elle se fait connaître pour les études sur le Grand Paris de 2008. L’agence MVRDV a ouvert une antenne à Paris en Juin dernier. On compte 200 employés dans l’agence de Rotterdam, toutes nationalités confondus (avec une mention spéciale pour l’Italie, qui représente 50% de l’agence).
Mateo Arquitectura
Basée à Barcelone et à Zurich, l’agence Mateo Arquitectura développe une pratique européenne depuis toujours. Josep Lluis Mateo, architecte-urbaniste, en est le gérant principal de la structure. Elle a réalisé des opérations un peu partout en Europe, avec aujourd’hui des projets en cours en France, Espagne, Pays-Bas et Croatie. Après 2008, elle concentre son activité sur la France, avec des opérations de logements à Toulouse et Bordeaux, des bureaux à Boulogne-Billancourt, des équipements à Montpellier et à Nice, ainsi qu’un projet urbain de grand importance à Nice (Grand Arénas). On compte 20 personnes au sien de l’agence - toutes nationalités européennes confondues - avec une répartition égale entre les francophones, hispanophones et germanophones. Mateo Architecture ouvrira ses portes à Paris courant 2018.
SEPTEMBRE Architecture
Basée à Paris (France), l’agence Septembre est une jeune structure qui regroupe des architectes-associés aux spécialités et nationalités : Lina Lagerström (Suède, architecte-urbaniste), Memia Belkaid (Franco-tunisienne, architecte - urbaniste), Sami Aloulou (Franco-tunisien, architecte - urbaniste, Emilia Jansson (Suède, architecte) et Dounia Hamdouch (Germano-marocaine, architecte et architecte intérieur). Elle développe de logements collectifs et individuels principalement - en France, dans les pays Scandinaves et dans le Nord de l’Afrique. On compte 6 employés dans leur agence.
Plan 01 Architectes
Jeune structure basée entre Nantes (France) et Berlin (Allemagne), ces trois architectes développent des projets pour des particuliers essentiellement. En parallèle, ils travaillent sur des concours européens, en Allemagne et en Suisse.
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france
belgique
Généralités
65,8 millions habitants 29 800 architectes soit 0,5 pour 1000 habitants (7)
11,2 millions habitants (6) 15.000 architectes (3) soit 1,34 pour 1000 habitants
Marché de la construction
271 139 millions d’€ (8)
66 969 millions d’€ (8)
Marché de l’architecture*
908 millions d’€ (7)
436 millions d’€ (7)
Obligatoire à partir de 25.000€ de coût de construction, avec indemnisation (80% honoraires de la phase de rendue) Type de procédures : concours ouverts, concours restreints, procédures concurentielle avec négociations, dialogue compétitf
Le Concours ou Ontwerpwedstrijden est pratiqué essentiellement pour les projets emblématiques. Procédure négociée avec publicité en 2 phases non anonyme (en dessous-du seuil européen) Nombre de concours lancés : 6 (3)
Marchés publics / Marchés Privés
Type de procédures (descriptif)
Type de procédures (en chiffre)
J’ai entendu dire que… «Julie : Est ce que la rémunération est le principale moteur de participation? Renata : Mais bien sûr. Il n’y a que la France qui fait ça. Il n’y en a absolument aucun autre. C’est très exceptionnel.» (1) «En France, on y pense même pas parce que c’est toujours très correcte. Parfois on arrive même à faire un profit.» (1) «La dernièrement, on essaie de répondre à des équipements publics culturels de petite taille, échelle régionale… Mais par contre il demandent en général des références construites sur le territoire. Sauf que MVRDV fait beaucoup de conception design mais ne construit pas beaucoup au final. On se retrouve donc dans l’incapacité de répondre à pas mal de ces appels d’offre. Et ça explique aussi pourquoi les plus petites agences ne peuvent pas avoir ce marché non plus.» (2)
Mateo Arquitectura est retenu pour un concours restreint à Paris, le Campus Condorcet de Paris-Porte de La Chappelle. L’indemnisation est de 140.000€. L’agence n’a jamais réalisé d’équipement public en France. Kaufman&Broad est un partenaire habituel de Mateo Arquitectura. Pour un projet à Montpellier, elle constitue une équipe avec des architectes locaux à la demande du promoteur. En parrallèle, la municipalité contacte Mateo pour une autre opération dont il serait le maître d’ouvrage. Parce que nous sommes déjà engagés avec Kaufman&Broad - et que la ville a promis l’obtention de cet appel d’offre à notre groupement - il est finalement décidé préférable de ne pas se présenter sur les deux opérations. Mateo Arquitectura ne sera sélection sur aucun des deux concours finalement.
J’ai entendu dire que… «Kaan fait énormément de projet de Belgique. Il y a la langue, et il y a surtout une cadence.» (1) «On a essayé quelques projets en Belgique mais c’est très dur. Je ne sais pas si c’est le phénomène des voisins qui se détestent mais c’est très compliqué pour MVRDV de construire là bas.» (2) Pour le concours des tours du WTC d Bruxelles, Mateo Arquitectura participe exceptionnellement à un concours restreint non rémunéré, en association avec Jasper-Eyers (architectes-d’affaires) et organisé par un important promoteur privé. Le Maître architecte de la capitale fait partie du jury. Il était élève de Josep Lluis Mateo à Barcelone.
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PROCéDURES Suisse
Pays-Bas
Allemagne
8 millions habitants 7.200 architectes soit 0,88 pour 1000 habitants (3)
16,8 millions habitants 10.900 architectes soit 0,65 pour 1000 habitants (3)
80.78 millions habitants 107.200 architectes soit 1,33 pour 1000 habitants (3)
47 311 millions d’€ (8)
70 385 millions d’€ (8)
250 337 millions d’€ (8)
623 millions d’€ (7)
910 millions d’€ (7)
5 047 millions d’€ (7)
10% de marchés publics 90 % de marchés privés avec 60% des procédures en Conception réalisation ou PPP (3)p.51
66,8% concours de marchés publics 33,2% concours de marchés privés avec 97% concours «non ouverts»
- Concours ou Wettbewerb : 1 ou 2 degrés pour les concours restreints, 3 dégrés pour les concours ouverts avec une première phase esquisse - L’autre procédure courante est le MEP (Mandats d’Etudes Parallèles) qui se rapproche du Dialogue Compétitif : étapes de rendus avec des oraux, offre et négociations (3)
- Concours restreint, rare et restreint avec une sélection par référence très stricte - Appel d’offres restreints largement majoritaire, procédure ouverte, dialogue compétitif - Pas d’obligation de concours. Interdit d’exiger un Chiffre d’Affaires minimum. - Interdit d’adopter l’offre la plus basse (3)
Diversité des types de concours qui s’y pratiquent, obligatoire à partir d’un senil européen Le concours est obligatoire pour les MOA publics au-dessus des seuils européens. / Une tradition de la commande à l’échelle du Land.
Ouvert : 641 dont 48 concours Sélection : 79 dont 41 concours De “gré à gré” : 91 Avis de concours : 89 (3)
0uvert : 180 dont 1 concours Restreint : 170 Dialogue compétitif : 7 Négocié : 16 (3)
Ouvert : 486 dont 17 concours 1 - 2 étapes (esquisse + détails) Restreint : 224 dont 138 concours (tirages au sort, invitations) Dialogue compétitif : 3 Négocié : 3.390 (sélection selon critères) (3)
J’ai entendu dire que…
J’ai entendu dire que…
Mateo Arquitectura a eu plusieurs opportunités de construire aux Pays-Bas : des logements sociaux (1993), des logements de luxe à Borneo (2000), des Bureaux (2014) et des logements collectifs (En cours). Il s’agit toujours de commande privée. Sur notre projet en cours commencé en 2004 puis arrêté en 2008 par la crise économique, il reprend à l’été 2017 - l’organisation est très floue. Le maître d’ouvrage est bureau d’études et constructeur. Il nous a recontacté après une demande de la municipalité.
Mateo Arquitectura et Plan 01 ont participé au concours pour l’extension de la Neue Nationalgalerie de Berlin. Un concours non rémunéré avec 50 équipes sélectionnées parmi les agences les plus reconnues d’Europe.
(3)
Mateo Arquitectura est sélectionné pour le projet d’un musée à l’aéroport de Tempelhof de Berlin. Elle décide de se retirer de la sélection. Le concours n’est que très peu rémunéré et les éléments de rendus attendus sont conséquents.
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Lecture des tableaux comparatifs «Procédures» et «Candidature» : - Les chiffres datent de 2014 pour la grande majorité. - Les citations des tableaux sont annotées suivant les sources suivantes : (1) Renata Gilio, Associée chez Kaan Architecten Brésil - Entretien de Juillet 2018” (2) Salomé ATTIAS, Business Developer chez MVRDV, en charge du marché français. - Entretien de Août 2018. (3) Véronique Biau, Merril Sineus. Les pratiques du concours d’architecture en Europe. Zoom sur l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suisse. [Rapport de recherche] CRH-LAVUE. 2017. (4) Véronique BIAU avec la collaboration de Sylvie WEIL - La dévolution des marchés publics de maîtrise d’oeuvre en Europe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni), Ministère de la Culture et de la Communication, MIQCP, Octobre 2002 (5) Entretien informel avec Josep Lluis Mateo au sein de l’agence Mateo Arquitectura. (6) Banque mondiale (7) La Profession de l’Architecte en Europe 2014, rapport d’études demandé par le Conseil des Architectes d’Europe (8) Prix courants, Eurostat, 2013
*Le «marché de l’architecture» fait référence au marché de l’architecture en tant que la somme des revenus gagnés par des bureaux d’architecture privés dans chaque pays. Les parties non référencées sont tirées de mon expériences personnelles au sein de l’agence Mateo Arquitectura pour des missions de recherche de concours
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procédures Une langue partagée L’outil fondamental pour participer à un concours est la langue de rendu de celui-ci. En effet, la plupart des procédures n’admettent que la langue nationale. Cependant, des pays comme la Suisse et la Belgique sont plus flexibles, de par la complexité de leur organisation interne. Ce plurilinguisme est un avantage pour les étrangers et un désavantage pour les locaux qui voit la concurrence plus importante : Kaan Architecten développe une grande partie de son activité en Belgique grâce au Néerlandais ; avec son équipe internationale, Mateo Arquitectura peut participer à des concours en France, Belgique, Suisse et Allemagne. Les pays d’Europe de l’Est et Scandinaves se distinguent et «s’isolent» pour cette raison. Avec deux associés suédois, Septembre Architecture a eu l’opportunité de réaliser des logements collectifs (200 unités) en Suède, opération d’une envergure à laquelle ils n’ont pas encore accès en France. Ce pays du Nord est en manque d’architectes depuis quelques années, c’est pourquoi le territoire apparaît comme très attractif pour cette jeune structure. Nous tenons à faire remarquer que pour les concours voulus internationaux (souvent ouverts), la langue nationale et l’anglais sont admises. Une question d’opportunités «On ne cherche pas des territoires. On recherche des projets.» Plus qu’une volonté de croissance, les architectes recherchent des opportunités : une nouveau site, une nouveau programme, c’est un nouveau challenge… Nous utilisons tous ce terme vague de «projet», qui est par définition un «but que l’on se propose d’atteindre.» (© Larousse). C’est par cette obsession d’une réflexion intellectuelle nouvelle - qui espère être développée et se concrétiser - qu’il est essentiel de chercher de nouvelles commandes. Sur ce point, jeune et grandes agences de toutes nationalités se rejoignent. Les indemnités : inégalités. Avantages et inconvénients «La première chose qu’on regarde quand on rentre dans un pays, c’est pas un risque mais un investissement.» Le concours est souvent un lourd investissement pour les agences d’architecture. L’indemnité n’étant pas obligatoire, peu de pays l’applique : - En Espagne, l’indemnisation est très rare (jamais). Les agences internationales s’abstiennent généralement de participer, ce qui laisse une porte ouverte aux jeunes architectes. - En Allemagne, l’indemnisation est faible et le nombre de participants est élevé. Un désavantage pour les agences internationales qui évaluent leur intérêt dans un tel investissement, une opportunité pour les jeunes structures qui peuvent être sélectionnées plus facilement (car faible engagement pour le maître d’ouvrage) et se retrouver en compétition avec des agences reconnues. - En Belgique, l’indemnisation et le nombre de sélectionnés sont faibles. Ce qui augmente les chances d’obtention du marché, et rend malgré tout l’investissement raisonnable. De plus, certains Maîtres Architectes obligent à des groupements «mixtes» (avec jeune architectes), notamment pour des opérations avec plusieurs programmes. Dans les modalités, les concours semblent plus intéressants pour les jeunes structures. Nous avons pu cependant remarquer que l’envergure des projets proposés par les marchés publics attirent les agences internationales. Cette incohérence opérations / indemnités de concours est de plus en plus remis en question par les architectes. - En Suisse, l’indemnisation est intéressante et le nombre de sélectionnés est faible. Les concours sont souvent attribués à des agences internationales, ou des structures petites - moyennes - grandes mais locales (Cantons ou villes). - En France, la loi MOP protège les architectes, avec une indemnisation (presque toujours) obligatoire, qui permet de couvrir certains frais. Cette indemnité varie suivant l’enveloppe de l’opération, et les intentions de la maîtrise d’ouvrage. Cette fourchette permet à des agences petites - moyennes - grandes d’être sélectionnées suivant la taille de l’opération, même si on observe une préférence des maîtres d’ouvrages pour les agences internationales ou reconnues (parisiennes) pour les équipements publiques du type musées, médiathèques… à titre d’exemples, ici quelques sélections de 2017 - 2018 : - Musée d’Histoire Maritime de Saint-Malo : Kumu et Associates (Japon), Barozzi Veiga (Espagne), Aires Mateus (Portugal) et Moureau Kusunoki (France) - Palais des Congrès de Strasbourg : Kuma et Associates (Japon), Neto Sobejano Arquitectos (Espagne), Benthem Crowel Architects (Pays-Bas), Groupe 6 (France), DLRW Architectes (France), BIG - Bjarke Ingels Group (Danemark) - Médiathèque et Cinéma de Clichy : Dominique Lyon Architectes, Agence Rudy Ricciotti, K-Architectures, Parc Architectes, Antonini Darmon et associés Il apparaît aussi que le nombre de concours restreints est en permanente diminution. Nous noterons cependant que l’indemnisation des marchés publics français est nettement plus fréquente et supérieure à l’ensemble des autres pays étudiés.
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france
belgique
Langue exigée
Français
Français ou Néerlandais et Anglais
Indemnité
Obligatoire. 10.000€ - 250.000€ pour les 3-5 candidats
Selon l’étude : 260 - 500.000€ (3) Selon expérience : 5.000 - 15.000€ pour 5 candidats
Descriptif de la procédure
Concours en 2 phases avec une première sélection sur candidature principalement composée de documents administratifs assurant des capacités économiques et techniques de l’équipe de maîtrise d’oeuvre. - 5 références moy. à transmettre avec descriptif (architectes et/ou équipes) - Lettre de motivation pour la mission de l’appel d’offre - Note d’organisation de la mission
Les procédures de concours sont transmis sous forme de Newsletter par le(s) Maître(s) architecte(s) : “Appel à auteurs de projets”. 2 phases avec une première sélection sur candidature - Documents administratifs à fournir très variables - Systématique : Note des premières intentions de projet (type Moodboard…) (Similaire à la présentation «Vision» des PaysBas) - Note d’organisation de la mission
Jury
Jury anonyme mais généralement composé d’un élu, de spécialiste en architecture
Entre 10 à 12 personnes, “moitié d’architectes ou de personnes familiarisées avec le jugement architectural, présence des futurs utilisateurs, 3 expert extérieurs
équipe de maîtrise d’œuvre des la première phase de sélection
Architecte(s), paysagiste, Structure, Fluides et Thermiques, Économiste de la construction, VRD, SSI, Acousticien, HQE, OPC, BIM Manager, Cuisiniste
Architecte, Architecte co-traitants (souvent avec une jeune agence locale), Paysagiste, et parfois : Ingénieur stabilité, Fluide et Thermique, Sécurité et Santé, HQE
Déjà vu : Ergonomie, Exploitation - Maintenance, Géotechnicien, Mobilité, Démolition - Amiante
J’ai entendu dire que…
J’ai entendu dire que…
«La Belgique qui, comme on a tendance à l’oublier est un Etat fédéral, repose sur trois communautés linguistiques : la communauté flamande, la communauté française WallonieBruxelles, la communauté allemande» p.171 (4)
«Je pense que la France se trouve au un confluent, à la fois sur le plan d’une recherche de qualité architecturale (surtout pour les marchés publics) et d’un vrai dynamisme de la construction et notamment des projets urbains. Si on compare à l’Europe du Sud, à l’Italie ou à l’Espagne forcément… Donc pour une agence, c’est un peu un puissant fond, une corne d’abondance assez unique.» (2)
«La première chose qu’on regarde quand on rentre dans un pays, c’est pas un risque mais un investissement. Donc parfois on accepte des projets mal payés, ou de s’approcher des autres architectes en sachant que la collaboration va être très difficile donc personne ne va gagner de l’argent. Et cela même pour bâtir une référence. On hésite pas à faire des projet qui seront à perte.» (1)
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concours restreints Suisse
Pays-Bas
Allemagne
Français ou Allemand ou Italien et parfois Anglais
Néerlandais et parfois (rare) anglais
Allemand
Selon l’étude : 15.000-80.000€ (3) Selon expérience : 5.000 - 25.000€ pour 3-5 candidats
Pas obligatoire et donc rare.
Pas d’obligation de concours. Mise en concurrence obligatoire pour les Maîtres d’ouvrages. (3)
La procédure de la « Vision » (Visiepresentatie), deux degrés, sans anonymat : démarche, méthodologie, stratégie, ses premières idées, collaboration avec le client.(3)
Selon l’étude : Très variable, de 3.000 à 1.2 millions (3) Selon expérience : autour de 20.000€ avec des prix inégalement répartis par des prix (3-5) et un nombre de participants élevé (une vingtaine)
Concours en 2 phases avec une première sélection sur candidature : - Note des premières intentions - Références de l’équipe - Note d’organisation de la mission - Pas ou peu de documents administratifs
5 personnes qualifiées avec minimum 1/3 d’architectes, 50% des élus, 1 représentant de l’Ordre, 1 architectes indépendants désigné par les concurrents.
Pour les AO, souvent membres non qualifiés : “évaluation sur offre économiquement la plus avantageuse
Architecte - pilote, architecte cotraitant, paysagiste, et parfois : ingénieur général ou ingénieur structure, ingénieur fluides
J’ai entendu dire que…
J’ai entendu dire que… Mateo Arquitectura est régulièrement sélectionnée pour des concours restreint dans les parties francophones et germanophones de la Suisse. Josep Lluis Mateo a été enseignant pendant une quinzaine d’année à ETH Zurich. Malgré de nombreux concours réalisés, aucun premier prix n’est décroché par l’agence. Josep Lluis Mateo se souvient : «Pour le concours du Maag Real de Zurich, Herzog m’avait téléphoné pour me dire que mon projet aura dû remporter le Premier prix. Mais bon… C’est la Suisse.»(5)
« En réalité, quand est demandée une Visiepresentatie, les architectes rendent presque quasiment toujours un projet quand même ! (…). Le client souhaite implicitement un dessin, et l’architecte le lui donne explicitement». « Les promoteurs, ils ont de plus en plus leur département R&D, ils collaborent avec des architectes, de plus en plus de jeunes agences remarquées, talentueuses. (…) Il n’y a pas de politique architecturale publique, pas de subvention pour étudier, innover, développer des idées… dans les instances publiques. Si les jeunes architectes veulent développer de nouvelles idées, ils doivent trouver des partenaires sur le marché, les entreprises privées ». Michel Geertse, juriste, service affaires juridiques et passation des marchés du BNA, Amsterdam, entretien du 19 février 2016. (3)
50% au plus d’architectes
J’ai entendu dire que… « Les concours restreints restreignent aussi le nombre de solutions proposées mais s’ils sont inévitables, il faut alors avoir recours au tirage au sort pour une équité parfaite. En cas d’autre forme de pré-sélection, on doit veiller à n’utiliser que des critères qualitatifs simples». Ministère fédéral de l’environnement et de la construction, Berlin, déc. 2013. p.61 (3) «Les jeunes maîtres d’oeuvre peuvent parfois trouver dans le tirage au sort une manière plus équilibrée de candidater à des concours d’architecture : « On trouve ça très intelligent, pour notre structure qui démarre ! Sont invitées 5,6 peut-être 10 agences qui ont un certain poids, et 10 agences tirées au sort parmi celles qui ont émis la volonté de participer.» Ingrid Sabatier, architecte associée de l’agence ISSS Research, Berlin, entretien du 30 septembre 2015. p.62 (3)
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concours restreints Une question d’intérêt Le travail a réalisé pour les candidatures demande beaucoup d’énergie. Peu de structures peuvent se permettre d’employer une personne à temps plein pour cette mission. En général, les gérants des agences se chargent de la sélection des appels d’offres, des lettres de motivation et de choisir les membres du groupement lorsque cela est requis. Une autre personne se charge de réunir l’ensemble des documents demandés dans le Règlement de concours (RC). (Comme exposé dans l’intervention de Gaëlle Péneau de GPAA, Nantes) Suivant les pays, la part de documents administratifs est bien supérieure à la part des «intentions de projet». Nous pouvons l’observer avec la France , l’Espagne et l’Allemagne. A contrario, la Belgique et la Suisse préfèrent se concentrer sur les intentions. Toujours plus En France, en Espagne et en Allemagne, les dossiers de candidatures sont complexes à mettre en place. En effet, nous notons une quantité importante de données administratives. Cette exigence provient des institutions publiques qui - notamment en France - s’assurent des capacités économiques et techniques des équipes de maîtrise d’œuvre. à la vue de l’engagement défini par les lois en vigueur, nous pouvons comprendre les raisons de ces précautions. Cependant, cette charge est très lourde pour les agences d’architecture. De plus, pour la France et l’Espagne, l’équipe de maîtrise d’œuvre à constituer dès la phase concours est très complète. Cette contrainte est une difficulté pour les jeunes agences, qui n’ont pas toujours le réseau nécessaire, et se voient dans l’incapacité de répondre à des appels d’offre. L’exclusivité des BET vient ajouter régulièrement pour des opérations d’envergure, qui note une envie d’écrémage claire de la part de la maîtrise d’ouvrage.
conclusion i - B Nous venons de voir que les modalités de passation des marchés publics varient d’un pays à un autre malgré la volonté d’harmonisation des procédures européennes. Nous pouvons observer des ressemblances entre certains territoires, dans les critères de sélection et l’organisation des équipes de maîtrise d’œuvre en ce qui concerne les concours restreints. La fréquence et l’indemnisation des concours restreints sont les facteurs les plus variables, avec la situation de la France qui ressort comme un cas unique, plus attractive que tout autre pays d’Europe . Les exemples des agences de Kaan Architecten (Rotterdam), MVRDV (Rotterdam) et Mateo Arquitecture (Barcelone) nous montrent l’attractivité des marchés publics en France. La dominance des marchés publics face aux marchés privés en France, avec la loi MOP qui favorise le concours avec un architecte et le dynamisme et la stabilité dans le domaine de la construction, font du territoire français une “cible” idéale pour les agences d’architecture qui veulent s’exporter. L’indemnité étant le critère principal de cet intérêt :
«Mais bien sûr. Il n’y a que la France qui fait ça. Il n’y a absolument aucun autre pays en Europe. C’est très exceptionnel.» Renata Gilio, Associée chez Kaan Architecten Brésil - Entretien de Juillet 2018”
La constitution d’une équipe de maîtrise d’œuvre dès la phase de candidature en France et en Espagne est complexe. Avec une phase de sélection plus légère, les concours en Suisse et en Belgique apparaissent comme un champs d’action et de découverte adéquate pour les architectes (notamment les jeunes architectes français). Par une sélection large en phase concours, l’Allemagne permet une mixité des groupements, grâce au tirage au sort, et peut apparaître comme une opportunité. Pour les Pays-Bas, avec seulement 10% de marchés publics, l’accès à la commande semble plus difficile. Pour saisir un projet, il faudra s’orienter vers le marché privé. Cet exemple nous permet de nous rendre compte de la différence forte de fonctionnement public/privé qui peut exister dans les pays d’Europe. La langue du concours reste le facteur fondamental de l’exportation des architectes à l’étranger, et guide dans la sélection «naturelle» des pays vers lesquels chacun peut s’orienter. Les concours internationaux (en anglais) sont aussi une option pour saisir des nouveaux projets, mais la plupart sont des concours d’idées non rémunérés. De l’agence internationale à la jeune structure, nous observons une stratégie d’exportation de leur pratique sur des territoires multiples, avec un but commun : accéder à la commande. Exporter sa pratique en tant qu’architecte est une action qui nécessite d’être évaluée, car les limites d’action peuvent apparaître comme un frein à la démarche. Les codes culturels, sociaux et juridiques, et les connaissances et techniques de la construction propres à chaque pays (comme à chaque ville, région…) sont à appréhender comme des données du projet au fur et à mesure. La première difficulté restant d’être sélectionné (pour les concours restreints) et de pouvoir et vouloir se donner les moyens d’un tel investissement.
C/ La vision de l’architecte sur sa propre pratique en confrontation avec la réalité du marché : architecte-artiste et architecte-d’affaires
Nous nous engageons à faire les portraits de deux familles d’architectes qui ressortent de la profession : l’architecte-artiste (1) et l’architecte-d’affaires (1), à travers le prisme des mutations qu’ont subit les missions de l’architecte, en adaptation et confrontation constante avec l’évolution du marché de la construction. Comme vu précédemment, les études en architecture forment des architectes aux compétences et aux intérêts très divers. Nous y constituons les bases d’une culture architecturale à travers des rencontres et des thématiques spécifiques. Ce développement personnel se poursuit par des expériences professionnels, qui nous confrontent aux réalités de l’élaboration d’un projet du début à la fin. Basés les dénominations de l’article Stratégie de positionnement et trajectoires d’architectes de la revue Sociétés contemporaines (1), écrit par Véronique BIAU, nous établissons ici deux portraits d’architectes : l’«architecteartiste» qui se voue à «réaliser des œuvres» tandis que l’ «architecte-d’affaires» préfère «faire des affaires». La sociologue tire ces deux familles d’architecte à partir d’une dualité qu’elle décrit comme le paradoxe de «l’art de la commande», «un carrefour entre les logiques issues des milieux artistiques et intellectuels, et technico-financiers de la construction». L’architecte - artiste L’architecte est souvent vu comme un artiste avant tout. Durant la formation, la pratique est détachée des réalités économiques, et parfois techniques (suivant les enseignements). En France, la tradition des Beaux-Arts influence l’opinion publique sur la profession. Dans son ouvrage sur la Culture architecturale des Français, Guy TAPIE partage ses observations : L’architecture : d’abord un art La perception de l’architecture, à partir des mots spontanément mobilisés pour la décrire, saisit des représentations collectives. Elle est prioritairement un art (44%), à un niveau moindre, une construction (24%), un artefact en relation avec un contexte sociétal (16%), une discipline avec ses courants, moderne (5%) et, enfin, une profession lisible (5%). (2)
“Quand j’étais à la Métropole du grand Paris, ils voulaient les architectes les plus connus mais quand l’Ordre a demandé à ce qu’ils soient rémunérés, les premières réactions (des maîtres d’ouvrages) ont été «Non mais ils seraient intéressés par le projet non? Et puis bon, les architectes sont bien lotis donc pas besoin de les payer». Il a fallu du temps pour leur faire comprendre que les architectes étaient plutôt les «parents pauvres de la construction». Mais c’est le côté médiatique qui donne cet impression. Le public a l’impression que l’architecte fait trois lignes sur une feuille blanche et non pas que le bâtiment change 1000 fois.” (5)
Le flou laissé autour de notre profession est tout autant une force qu’une faiblesse. En effet, l’architecte «n’a pas pu convaincre la puissance publique et leur client potentiel si du niveau de leurs compétences ni de l’utilité sociale de leur intervention.» (3) La pratique de l’architecte ne subit pas seulement une crise économique, mais aussi une «crise de légitimité» (4) par la perte de certaines missions. L’équipe de maîtrise d’œuvre s’agrandit aux fils des ans, car l’architecte ne peut plus prendre en charge l’intégralité des prescriptions programmatiques et techniques demandées dès la phase de conception (surtout dans les marchés publics). L’architecte s’allège de certaines missions, prises en charge par d’autres acteurs qui ont prouvés de leur “spécialité”. Malgré cette réalité, le temps de conception et de production se voit réduit pour un besoin d’organisation et de gestion d’agence, et envahit par les études des textes normatifs et des procédures administratives.
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Lors de l’entretien, Salomé Attias - Business Developer chez MVRDV - nous partage son sentiment de l’architecte comme une figure forte en France :
«D’ailleurs, quand on lit les publications françaises sur MVRDV, il est couvent marqué «MVRDV - Winy Maas». On sent qu’on a pas l’habitude de l’agence à la hollandaise avec une étude concertée, avec plusieurs têtes. On a encore besoin de cet architecte figure. J’ai l’impression que le «geste architectural» est très personnalisé en France mais c’est surtout parce que les agences s’appellent comme ça. Il y a directement une espèce de fusion, entre le travail et la personne. Au Pays-Bas, il y en un espace d’anonymat qui se fait dans le nom. Il y a parfois les initiales. J’ai l’impression que ça crée moins une personnalisation.» (5)
Cette fausse image dévalorise la pratique et ne prend pas un compte les paramètres à l’origine de prescriptions architecturales d’une opération. Certes, l’architecte - artiste a pour volonté principale de concevoir et développer le projet suivant des principes esthétiques qu’il veut être la meilleure réponse en terme de “qualité architecturale”. Cette priorité de l’écriture ne l’est pas toujours pour le maître d’ouvrage, dont l’aspect financier est la priorité suprême. Trop régulièrement, les architectes échangent à minima sur leurs honoraires et les conditions des contrats de missions définis avec (par) le maître d’ouvrage. «Les architectes ne parlent jamais d’argent : ils ont tort. L’argent est la condition de notre liberté intellectuelle». (6) C’est par cette absence de débat / dialogue que l’architecte a perdu le contrôle sur la valeur et la définition de son travail. Dans les marchés publics, les lois réglementent les modalités des contrats entre les acteurs de la maîtrise d’œuvre, et permettent d’assurer une sécurité de mission pour les équipes. L’importance de la dimension économique du projet n’est pas passée inaperçu pour certains architectes, qui ont préféré se saisir du paramètre et en faire une priorité : c’est le cas de l’architecte - d’affaires. L’architecte - d’affaires Pour en savoir davantage sur cette famille d’architecte, nous nous sommes appuyé sur la thèse, d’Eduard Sancho Pou, Architectural Strategie - Marketing, icon, politics, masses, developper éditée en 2012, qui s’attarde sur la personnalité de cet entrepreneur - très assumé notamment outre-Atlantique - qu’il répertorie sous plusieurs catégories de stratégies énoncées dans le titre de son étude. Il dénonce l’argent comme étant un réel «taboo» (6) chez l’architecte. Le délaissement de la dimension économique du projet pendant les études d’architecture et cette réticence en tant que professionnel ne prépare pas l’architecte à la réalité quotidienne des intérêts du maître d’ouvrage. Ce rejet a de lourdes conséquences, que le thésard dénonce comme la cause de «la perte du rôle de coordination du projet et - trop souvent - du contrôle de l’exécution du chantier» (6). Il nous rappelle une autre évidence des intentions des maîtres d’ouvrage : «La plupart des bâtiments sont construits pour faire de l’argent pour le promoteur privé ou pour gagner des votes pour les bâtiments publics, dans les deux cas, cela signifie que chaque décision cherche à être rentable».(6) Nous pouvons en déduire que l’architecte - d’affaires est celui qui intègre les exigences de rentabilité des promoteurs. Contrairement à d’autres pays, l’architecte français accepte moins son statut d’entrepreneur. Nous retrouvons cette particularité dans la nomination des acteurs principaux : “maître d’ouvrage” et “maître d’œuvre”. Les autres pays se contentent des équivalents de «client» (“Cliente” (ES), “Klant” (NL), “Client” (ENG), “Client” (CZ)…) et d’«architecte». Il s’agit peut-être d’une mauvaise image du “marketing” et du “management” où ces architectes présentent l’architecture comme un “produit”. La sociologue Véronique BIAU retranscrit deux témoignages de practiciens identifiés qui illustrent ces différences de tendances : - Le premier est reconnu comme un architecte - artiste dont le travail est relayé dans les grandes revues spécialisées, expositions, etc… : « On considère que la seule démarche commerciale, c’est à la rigueur de faire savoir ce qu’on a fait, c’est tout. » (1) - Le second développe une activité de programmes commerciaux importante, et n’hésitent pas à organiser des voyages avec ces maîtres d’ouvrages pour renforcer les relations et promouvoir son travail :
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«On a eu un centre commercial très important à faire à l’agence. Eh bien, l’année dernière on est allés passer huit jours aux États-Unis, on a visité vingt-cinq centres commerciaux, avec les clients qui étaient là eux-mêmes et l’architecte aussi. C’est très utile parce qu’on jette un regard différent sur les choses, on peut échanger nos points de vue, nos critiques sur ce qu’on regarde, voire nos désaccords sur les jugements qu’on porte sur les bâtiments. En même temps, ce sont des occasions où vous avez accès à des personnes qui sont en général fort occupées à Paris. Là, vous les avez d’une manière plus détendue, donc on peut approfondir les discussions, on peut aller plus au fond des choses sur ce qu’on pense, c’est très utile les voyages. On l’a fait aux États-Unis, à Berlin, à Séville. On amenait souvent des gens en Angleterre.» (1)
à titre d’autre exemple, nous prendrons l’expérience de l’agence Mateo Arquitectura lors du concours de la Réhabilitation des deux tours du WTC I-II de Bruxelles (2017). Le concours était organisé par un promoteur important - propriétaire actuel des tours - sans limite budgétaire, avec un programme mixte (bureaux, logements, commerces, ventre de conférences), et une volonté de densification sur la passerelle complexe. La question du statut de la rénovation était une difficulté ajoutée au projet. Le promoteur avait entrepris des études sur cette opération depuis plusieurs années avec le bureau Jasper-Eyers (architecte - d’affaires). C’était sans compter sur la présence d’un architecte - médiateur, le maître - architecte (bouwmeester) de Bruxelles, qui supervise la totalité des projets et permis de construire de la ville. Celui-ci a proposé au promoteur de réaliser un concours afin de former une “association d’architectes” pour s’assurer de la qualité de l’opération. L’architecte avait une totale liberté de proposition, sans la nécessité de prendre en compte les études et esquisses réalisées par Jasper-Eyers Architecten. Le promoteur demandait une proposition de contrat de mission poussée, qui cimentait cette union de l’architecte - d’affaires à l’architecte - artiste. Les positions et les stratégies des ces familles architectes se distinguent clairement. Nous avons tous en tête des images d’acteurs, et aussi de projets qui peuvent refléter ces personnalités. L’aptitude de l’architecte-d’affaires à séduire les maîtres d’ouvrages est un savoir-faire.
Conclusion i - c L’élaboration d’un descriptif de ces deux familles fait un état des lieux des variétés des profils et des pratiques d’architectes. Par l’élaboration de ces “identités”, nous voulons exposer cette union-désunion des architectes en Europe, qui ne relève pas toujours d’une division territoriale, mais des priorités du projet choisis comme un système de valeurs : l’architecte - artiste se concentrent sur la qualité de la conception, tandis que l’architecte - d’affaires se focalise sur la rentabilité du projet. Pour l’architecte - artiste, nous notons une perte de légitimité d’action : il n’a pas su montrer la complexité de son rôle et dont le travail apparaît presque superficiel auprès du public. A contrario, l’architecte - d’affaires voit son activité en perpétuelle croissance, ce qui montre ses capacités à convaincre les maîtres d’ouvrages de le choisir.
Notes I - c Véronique BIAU, Stratégie de positionnement et trajectoires d’architectes de la revue Sociétés contemporaines (n°29, 1998. Pp. 7-25) (2) Guy TAPIE, La culture architecturale des Français, Ed. presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris, p.84, 2018 (3) CHAMPY F. Les architectes et la commande publique, Presses Universitaires de France 1998 (4) Miguel DELATTRE, Renaud PETIT et Véronique ZARDET - Ar(t)chitectes et management : histoires d’introduction d’outils de management chez les architectes, Gérer et comprendre - juin 2015 - n°120 (5) Salomé Attias, Junior Business Developer chez MVRDV Rotterdam, anciennement stagiaire à “Inventons la Métropole du Grand Paris” (6) Olivier ARENE, «Architecte», Les Echos, 19 janvier 2012 (7) Traduit de Eduard Sancho Pou - Marketing, Icon politics, masses, developper, the N°1, Ed. Peninsula, 2012 (1)
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Conclusion - partie 1 Dans cette première partie, nous avons fait états des lieux de ce qui caractérise les marchés publics européens et la pratique des architectes. En effet, à travers l’évolution des lois sur les passations des marchés publics et de la formation des architectes, nous avons remarqué les actions mise en place dans la démarche d’européanisation de la pratique. Dans cette volonté d’harmonisation, les institutions publiques (Conseil de l’Union Européenne, Ministères de la Culture de le Communication…) ont mis en place des réglementations de concours pour une politique de mise en concurrence commune, et des équivalences de diplômes et passerelles facilitant la mobilité des étudiants pour une découverte des autres pratiques dans le domaine de l’Architecture, mais aussi pour des échanges sociaux-culturels avec d’autres pays. Nous avons comparé les modalités des procédures de concours des marchés publics pour nous rendre compte des similitudes et différences entre la France, la Belgique, la Suisse, le Pays-Bas et l’Allemagne. Ainsi, nous avons établit certaines des raisons qui incitent les agences à l’exportation vers des nouveaux territoires pour accéder à la commande. Enfin, par l’élaboration de profils d’architectes (architecte - artiste, architecte-d’affaires), nous avons observé que plus qu’une distinction territoriale, les pratiques se divisent par des intentions de projets bien distinctes.
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«Pour faire de l’architecture, nous avons besoin de commandes. Pour obtenir des commandes, nous devons aller dans un marché de biens immatériels - qui a la différence des fruits et des légumes - est un produit qui n’existe pas encore au moment de l’achat. Par conséquent, pour vendre ses services, l’architecte développe des stratégies de marketing - même s’ils ne veulent pas (se) l’admettre.» «Les stratégies de vente ne sont pas enseignées dans les écoles, puisqu’il a toujours été considéré que l’architecte ne se «vendait» pas lui-même. Elles ne sont pas non plus discutées dans le monde professionnel, car personne ne veut partager la recette de leur succès. C’est pourquoi, il n’y a jamais de bibliographie à ce sujet, malgré que les architectes ont toujours été de très bons vendeurs d’idées.» Traduit de Eduard Sancho Pou - Marketing, Icon politics, masses, developper, the N°1, Ed. Peninsula, Foreword / P.xi et P.xiii, 2012
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II - quelles stratégies adopteées pour accéder à la maîtrise d’oeuvre sur des territoires étrangers? Après la mise en perspective des opportunités du marché public en Europe dans une première partie, nous nous intéressons ici aux stratégies diverses que les agences d’architecture adoptent pour accéder à des commandes sur de nouveaux territoires. Pour cela, nous commençons par voir en quoi la construction de la référence est un incontournable, support de base pour les maîtres d’ouvrages. Nous nous attardons ensuite sur la stratégie de l’association d’architectes pour atteindre les capacités économiques et techniques exigées dans les appels d’offre, et sur la flexibilité d’organisation des acteurs sur le trio des phases conception - développement - exécution. Enfin, nous aborderons deux approches de conception délocalisée : architecture iconique et architecture globale. Chaque architecte utilise des techniques différentes pour accéder à la commande : contacts personnels, commandes privées directes… Mais certains professionnels élaborent des stratégies afin d’obtenir des nouveaux clients. En Europe, la participation à des concours des marchés publics ou privés est une démarche courante pour obtenir de nouvelle commande : «On va dire dans les grandes lignes, il y a vraiment des bureaux qui font des concours. Ils poussent sur les concours et Petit à petit, ils commencent à connaître les mairies, et les maires commencent a les guidé vers des maîtres d’ouvrage privés. C’est un schéma qui marche très bien en Europe. Vraiment très bien. Mais ce n’est pas vraiment un business plan. Et c’est vraiment très risqué. Je dirais que 90% des agences font comme ça. ils font des concours, en ont quelques uns à gauche à droite mais il faut garder en tête que le taux de réussite c’est 10%, dans une bonne agence. Si tu es vraiment exceptionnel et tu ne fais que les concours restreints, c’est 25%.» Renata Gilio, Associée chez Kaan Architecten Brésil - Entretien de Juillet 2018” Nous nous appuyons principalement sur les témoignages d’acteurs d’agences qui développent des projets à l’échelle européenne, notamment en France : Renata Gilio (associée de Kaan Architecten Brésil, et responsable des projets français pour Kaan Architeten Rotterdam), Salomé Attias (Business Developer des projets français chez MVRDV Rotterdam) et d’un retour d’expérience personnelle au sein de l’agence Mateo Arquitectura (Barcelone). Afin d’écarter quelques questionnements pratiques, voici quelques informations générales sur la réalisation de projets en France depuis l’étranger, et des précisions sur le fonctionnement des agences sélectionnées. Pour pouvoir être mandataire d’une équipe de maîtrise d’œuvre, il est nécessaire de s’inscrire à l’équivalent de l’Ordre des Architectes national du pays de l’opération. En France, l’ordre des Architectes propose quatre types d’inscriptions possibles : en tant qu’architecte, de société d’architecture, de succursale, ou de prestation de services. Tout comme un architecte français, un architecte européen peut s’inscrire en tant qu’architecte (en son nom propre) après avoir obtenu l’accord pour la reconnaissance de diplôme et d’expériences professionnelles. Pour les sociétés d’architecture, les agences étrangères doivent réaliser les démarches nécessaires pour obtenir le statut juridique visé qui sera ensuite enregistré à la Chambre de Commerce, puis passera en commission à l’Ordre. Il s’agit alors d’une société à part entière, indépendante de toute autre société. Pour la succursale, mêmes démarches, mais celle-ci dépend de la société-mère basée à l’étranger. Enfin, l’inscription en prestation de services permet à la société étrangère de s’inscrire en tant que telle, mais possède un caractère plus «temporaire». En France, il est obligatoire de souscrire une assurance, telle que la MAF (Mutuelle des Architectes Français). Des accords existent entre certains pays d’Europe, et permettent à une assurance de couvrir des opérations dans d’autres pays suivant les droits. En général, il est préférable de souscrire systématiquement une assurance dans le pays du projet.
Kaan Architecten
Kees Kaan est enregistré en tant qu’architecte à l’Ordre des Architectes d’Ile-de-France depuis plusieurs années. Les projets français de l’agence sont assurés par la MAF.
MVRDV
L’agence MVRDV est depuis 2018 inscrite en tant que société d’architecture à l’Ordre des Architectes d’Ile-de-France. Les projets français de l’agence sont assurés par la MAF.
Mateo Arquitectura
Mateo Arquitectura est inscrit en tant que prestataire de services depuis 10 ans à l’Ordre des Architectes d’Ile -deFrance. Elle réalise en ce moment les démarches pour ouvrir une SASU à Paris. Les projets français de l’agence sont assurés par la MAF. Elle prévoit potentiellement de couvrir une opération aux Pays-Bas avec ce même organisme.
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A/ L’indispensable référence : construire et communiquer un catalogue de projets pour séduire le maître d’ouvrage
Même s’il est difficile de l’admettre, l’architecture et le marketing sont deux disciplines indissociables. Il est difficile de «vendre» son idée sans convaincre, et les architectes se doivent d’être capable de concevoir et de captiver en même temps. La référence est la base de l’accès à la commande publique pour l’ensemble des procédures de passation de marché, à l’exception des concours d’idées (qui sont peu fréquents en France, mais plus nombreux dans les pays voisins). En effet, dans les dossiers de candidature, il est exigé de transmettre un certain nombre de références, dont les modèles sont définis par le maître d’ouvrage. Les informations attendues sont semblables à tous les appels d’offres : un programme, une superficie et un budget, les dates de conception et de réalisation, le type de marché (privé / public), la composition de l’équipe de maîtrise d’œuvre et de plus en plus fréquemment, les performances énergétiques atteintes. Le nombre de références demandées est en général entre trois et cinq projets, qui doivent présenter un maximum de similitudes avec l’objet de la consultation. Nous nous intéressons ici aux méthodes employées par les agences pour constituer leurs références dans un territoire étranger, dans ce cas la France. Nous nous basons sur les pratiques européennes d’agences qui n’ont pas hésité très tôt à s’exporter vers d’autres pays d’Europe. Sans connaître les raisons précises de cette stratégie, nous pouvons esquissé plusieurs hypothèses : une situation économique complexe dans le pays d’ancrage, une opportunité recherchée ou offerte avec un maître d’ouvrage, une réception de leur architecture plus forte à l’étranger… L’exportation de leur pratique est affirmée comme une recherche d’opportunités, et non pas une conquête de territoires où de stratégie de développement de leurs agences. C’est parce qu’elles l’ont fait et parce qu’elles continuent que la réalisation de projets dans plusieurs pays leur semble possible, à la limite de l’évidence : «On peut décrocher n’importe quel projet. Tout dépend ensuite de l’effort et de l’argent que tu vas mettre dessus, pour aller le décrocher. Vraiment, c’est la seule vérité.» Renata Gilio, Associée chez Kaan Architecten Brésil - Entretien de Juillet 2018”
Construire ses références : opérations réalisées, recherches urbaines, expositions… Il existe plusieurs moyens d’obtenir pour construire ses références. Pour un architecte étranger, la première référence est la plus difficile à atteindre. Salomé Attias - Business Developer chez MVRDV - nous raconte les difficultés rencontrées par l’agence : «Ils demandent en général des références construites sur le territoire. Sauf que MVRDV fait beaucoup de conception design mais ne construit pas beaucoup au final. On se retrouve donc dans l’incapacité de répondre à pas mal de ces appels d’offre. Et ça explique aussi pourquoi les plus petites agences ne peuvent pas avoir ce marché non plus.» (2)
Il n’y a ni mode d’emploi, ni solution miracle prouvée pour y parvenir, mais quelques stratégies d’approche sont bien connues, notamment le recours à un architecte local. En France particulièrement, le maître d’ouvrage apprécie la proximité de l’architecte mandataire (1). Renata Gilio, responsable des projets chez Kaan Architecten (Rotterdam) nous raconte leur première expérience en France :
«On a démarré par un projet à Saint-Jacques de la Lande, avec un architecte local. Donc ça nous a permis de nous donner une première référence. Et la première référence c’est très important parce qu’il y a beaucoup de concours où tu ne peux pas rentrer si t’as pas un référence dans la langue et dans le pays.» (1) L’agence hollandaise se fait remarquer grâce à une référence sur le territoire français, et présente ses réalisations aux Pays-Bas. La référence unique montre une première connaissance et conscience de la réglementation et de l’organisation de la maîtrise d’oeuvre française. Pour MVRDV (Rotterdam), le premier projet en France est obtenu à la suite d’études urbainistiques menées pour Inventons le Grand Paris en 2008. Elle développe des pôles dédiés à la recherche au sein de l’agence (concours) et à l’université de TU Delft (The Why Factory?) avec des étudiants de toutes nationalités. Remarquée par ses travaux,
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elle est propulsée auprès des urbanistes les plus reconnus de France, pour un projet de développement de la métropole parisienne. Dans ces cas, ce n’est non pas par la réalisation d’un bâtiment que l’agence obtient une commande publique, mais par un projet «intellectuel» très médiatisé à l’échelle nationale et internationale. Salomé Attias nous dévoile qu’ils espéraient une certaine longévité à cette notoriété, qui n’a finalement pas perdurée. Avec les grands projets de centre commerciaux à Paris et à Lyon, ils espèrent attirer les critiques et revues d’architecture, vu comme indispensable pour se faire remarquer des maîtres d’ouvrages publics et privés. Pour Mateo Arquitectura, son travail se fait remarquer dans les années 90 avec le concours d’idées du Parc Zoologique de Vincennes. En parallèle, l’agence développe «pratique européenne» dès ses débuts, et présente rapidement des références de projets sur des territoires multiples. De plus, Josep Lluis Mateo a d’abord concentré sa pratique sur la recherche : doctorant, enseignant à Barcelone et à ETH Zurich, il est rédacteur de la revue Quaderns avec Marta Cervello, avec qui il fondera son agence. Nous pouvons imaginer que ces multiples facettes de praticien lui ont permis de rencontrer des acteurs venant de partout en Europe, de développer des réflexions sur des thématiques variées, et de se nourrir des projets publiés dans ces revues et ouvrages. Dans sa recherche de nouvelle opportunité, le principe fondamental de l’agence est de ne jamais se spécialiser dans un type de programme. Selon Josep Lluis Mateo, il faut donc éviter les opérations trop spécifiques comme les écoles (élémentaires et lycée), les bâtiments et infrastructures aux programmes très techniques comme les hôpitaux et les aéroports qui entraînent automatiquement une spécialisation de l’architecte, car très réglementés. Les programmes de logements et de bureaux sont programmes universels où il voit chaque projet comme une expérimentation nouvelle. Les maîtres d’ouvrages des marchés publics exigent en général au moins une référence dont le programme et l’envergure de l’opération soit semblables à l’objet de l’avis de consultation. La diversité des références de l’agence démontre une force d’adaptation du travail et permet de répondre à de nombreux appels d’offres, en France et en Europe. Communiquer : rencontres et publications Le marché de la construction en Europe est caractérisé par un important rôle des instituions publiques et privées qui investissent dans le développement des villes, et dont la collaboration est étroitement liée. Le travail entre les différents acteurs est organisé et les lois encadrent la conception et l’exécution des opérations. De son expérience international, Renata Gilio - en charge du développement de l’agence Kaan Architecten Brésil - distingue les marchés de la construction d’Europe et d’Amérique latine : «En Europe, il faut décrocher un projet. En Amérique latine, il faut créer un projet.»* (1) Le rôle des intervenants dans la maîtrise d’ouvrage est primordial, et la compréhension de leurs intérêts est incontournable pour l’architecte. Les trois agences concertées font part de leurs expériences.
Kaan Architecten
Kaan architecten a su s’implanter dans deux municipalités en France, celle de Nantes et de Lille. C’est là qu’elle développe la majorité de ces projets français. Elle comptait 3 projets sur le territoire il y a trois ans, elle travaille sur une dizaine opérations actuellement. «C’est le réseau qui fonctionne. Les noms commencent à être connus. Par exemple, à Lille je me suis fait connaître auprès de la maire, de l’aménageur, auprès de Sorelli. Et ça s’est très bien passé du coup quand ils ont lancé une nouvelle ZAC, ils ont pensé à nous. Donc on a été invité, à s’asseoir à côté de la mairie et des aménageurs intéressés, et ça a marché une fois, ça a marché deux fois, trois fois, donc au bout d’un moment, la mairie a finit par imposer Kaan pour certains îlots.»(1)
Mateo Arquitectura
à la suite d’un échange avec un paysagiste-urbaniste pour une candidature en accord-cadre à Paris, le potentiel nouveau partenaire glisse le nom de l’agence espagnol à un maître d’ouvrage qui cherche à renouveler ses équipes d’architectes pour continuer le développement des ZAC de son agglomération. Le client contacte Mateo Arquitectura pour lui communiquer l’intérêt pour son travail, et demande un catalogue de références spécifiques pour des opérations de tertiaires. Pour des demandes directes, l’agence élabore alors un portolio ciblé sur le programme du projet, et transmet sa dernière monographie, qui relatent des derniers projets réalisés, tous programmes confondus. De plus, les paysagistes ont avoué avoir remarqué l’agence de Josep Lluis Mateo lors d’un jury pour un
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marché public à Rennes, lors d’un appel d’offre auquel l’agence avait participé. La candidature, même si rejetée, peut donc permettre de se faire repérer, et de mener vers d’autres opportunités.
MVRDV
Comme évoqué précédemment, l’agence MVRDV développe une activité en France depuis 2008. Malgré une période de creux, elle reprend en élan en 2014 grâce au projet du Markethal de Rotterdam, qui la relance à l’échelle internationale. Parce que la «France se trouve à un confluent, à la fois sur le plan d’une recherche de qualité architecturale (surtout pour les marchés publics) et d’un vrai dynamisme de la construction et notamment des projets urbains.» (2), elle a finalement décidé d’ouvrir une agence MVRDV Paris.
«C’est quand même plus pratique d’aller serrer des mains quand on est sur place. La France reste un pays de classe, de caste même… L’importance du réseau, des interconnexions, il y a un profond entre-soi des grandes écoles qui est toujours très prégnant. Si l’on compare avec les Pays-Bas, cela peut être un frein à l’obtention de projet, car il est difficile de se saisir des codes sociaux, et très facile de ne pas s’en rendre compte.» (2)
Le rôle du Business Department est de faire de ce territoire une priorité de développement, en accentuant les rencontres formelles et informelles, et utiliser son savoir-faire auprès des acteurs de la maîtrise d’ouvrage pour se faire connaître : «Il s’agit de placer l’agence sur la carte mentale des acteurs publics et privés français : organiser des rendez-vous avec des promoteurs privés, avec des institutions publiques, ou organiser des évènements type des expositions, des cours, etc… Histoire d’ancrer MVRDV dans le paysage français.» (2) à travers ces témoignages, nous observons que les relations entre les acteurs de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre sont essentiels dans le marché de la construction en France et en Europe, jusqu’à être un vrai levier pour accéder à la commande, marchés public et privé confondus. Bien d’autres moyens de communication - auxquels nous sommes plus accoutumés - peuvent être utilisés par les agences. Nous pensons notamment aux publications dans les revues et ouvrages spécialisés en architecture, ou encore aux expositions et aux réseaux sociaux, qui occupent une place croissante dans les stratégies de communication.
Conclusion II - a
Pour accéder à la commande, sur son territoire d’ancrage comme à l’étranger, l’architecte doit se construire un catalogue de références, qui fera preuve de son expérience et de ses intérêts, autrement dit, de son identité en tant que professionnel. L’évolution de ce répertoire de projets dépend de stratégies de développement et des moyens employés à cet effet. La première référence est fondamentale pour s’attaquer à un nouveau programme, un nouveau contexte, une nouvelle échelle de projet. Nous avons vu plusieurs déclencheurs possibles à travers des expériences des agences interrogées : la conception d’un bâtiment avec un architecte-local, la réalisation d’études urbaines, la participation à des concours d’idées… Nous remarquons qu’en France, les intervenants de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre jouent un rôle primordial dans le développement des villes et donc dans le marché de la construction. L’architecte doit aller à la rencontre des ces acteurs et apprendre à les séduire, et communiquer son travail pour se faire re-connaître. Notes II - A (1) Renata Gilio, Associée chez Kaan Architecten Brésil - Entretien de Juillet 2018” (2) Salomé ATTIAS, Business Developer chez MVRDV, en charge du marché français. - Entretien de Août 2018. * L’architecte fait référence à l’investissement que l’équipe de maîtrise d’œuvre doit elle-même trouver pour que le projet soit réalisé. En effet, il arrive souvent que les projets soient entièrement développés, (Phase PRO, DCE ou EXE) mais que le client ne soit pas encore intégré au projet.
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B/ L’association d’architectes : élaboration du groupement et répartition des missions de maîtrise d’œuvre
Pour accéder à la commande, il faut passer par une étape de recherche des appels d’offres adaptés au profil de chaque agence. Comme vu précédemment (Partie I - 3), les avis de consultation sont définis par de nombreux critères, qui demandent à l’agence d’être capable de répondre aux «capacités économiques et techniques» nécessaires à l’opération. Comme Salomé Attias, il est intéressant de commencer par une «analyse des opportunités» (2) avant de se lancer dans l’élaboration d’un dossier de candidature. Cette brève analyse passe par des filtres qui permettent une première sélection : maître d’ouvrage, localisation, enveloppe financière, type de mission, équipe de maîtrise d’œuvre (avec ou sans exclusivité pour la sélection), planning concours. à titre d’exemple, les agences Kaan Architecten et Mateo Arquitectura se basent sur les mêmes critères : - Maîtrise d’ouvrage publique privilégiée : ville, agglomération, région… - Localisation à proximité des grandes villes accessibles par avion ou par train - Enveloppe financière supérieure ou égale à 10 millions d’euros, sauf s’il s’agit d’une exception de type culturel - Mission complète - Suivant l’équipe de maîtrise d’œuvre à constituer, avec un temps de réflexion quand il y a exclusivité, notamment pour les groupements avec architecte - patrimoine et scénographe qui sont peu nombreux En fonction de ces paramètres, l’architecte peut définir ses ambitions et l’énergie qu’il est capable de dédier à cette candidature. «Chez Kaan, on doit être autour de 20% (de réussite de concours). Parce qu’on ne fait absolument aucun concours ouvert, peu importe le concours. On ne fait que les concours restreints. Des candidatures, il y en a énormément. On fixe des principes de bases : 15 millions de coûts de construction minimum. Peut être plus petit si c’est vraiment quelque chose d’exceptionnel, une chapelle, un petit musée, un petit bijou comme ça. Ou alors des projets très techniques : des grands laboratoires, des hôpitaux, des projets d’infrastructures. Par exemple, le projet de l’aéroport de Schiphol d’Amsterdam. On regarde la candidature avec beaucoup de critères avant de postuler. (1) Afin de constituer une candidature solide, certaines agences n’hésitent pas à s’associer pour augmenter leurs chances de sélection, mais aussi de développement du projet. La démarche courante est une association entre une agence «reconnue» et une agence locale. Ce partenariat permet de répartir les missions conception - développement - exécution. Il est souvent demandé de préciser les méthodes envisagées, de relation avec le client, avec les bureaux d’études, et un point particulier pour le suivi de chantier. à nouveau, chaque agence d’architecture développe un processus qui lui est propre, défini entre intérêts et exigences. Nous verrons pourquoi certaines structures se concentrent sur les phases conception - développement, et hésite moins à déléguer la phase d’exécution. Le groupement par le besoin sinon rien Nous nous intéressons à la constitution du groupement entre architecte «reconnu» et un architecte-local. Nous avons évoqué précédemment l’importance des relations entre les acteurs de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, qui définissent une certaine proximité entre les intervenants, à laquelle la France semble être attachée :
«Effectivement, le ressenti du besoin de la proximité est fréquent. Mais je comprends le maître d’ouvrage aussi. Ils sont habitués à avoir le petit architecte local qui vient trois fois par semaine chez eux. C’est pas comparable. Mais on peut dire que c’est quelque chose de très français. ça arrive dans d’autres pays. Au Portugal aussi par exemple.» (1)
Nous voulons définir les raisons qui poussent les agences au groupement, tant du côté de l’agence étrangère que de l’agence locale. Nous croisons à nouveau les expériences de Mateo Arquitectura et MVRDV, ainsi que d’autres structures françaises.
Mateo Arquitectura
Pour l’agence Mateo Arquitectura qui construit dans plusieurs pays d’Europe, des groupements avec des architectes locaux ont été organisés à plusieurs reprises. Il arrive que ces associations partent d’une invitation d’un
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maître d’ouvrage (public comme privé). Elle restes cependant limitées en comparaison du nombre de bâtiments réalisés hors du pays d’origine de l’agence. Cependant, une stratégie de recherche de nouveaux projets est mise en place depuis peu pour accéder à la commande publique en France, qui entraîne une réflexion sur la méthode de constitution des équipes de maîtrise d’œuvre et sur la gestion du projet. L’agence prend le temps de se renseigner sur les municipalités et les identités régionales. Dernièrement, l’agence privilégie systématiquement les associations avec les architecteslocaux, par soucis d’organisation interne, où chacune des agences joue un rôle fondamentale dans le développement du projet. Mateo Arquitectura profite de la proximité et de la relation de l’architecte local avec le maître d’ouvrage, tandis que l’architecte local profite de l’expérience de Mateo Arquitectura pour participer à un projet dont il n’avait pas de référence. Enfin, l’agence espagnole accepte régulièrement les sollicitations des agences extérieures, qui sont en général des jeunes structures en recherche de nouveaux challenges.
MVRDV
Pour MVRDV, l’association avec un architecte était systématique pour les projets français. Pour se détacher de cette obligation, l’agence a préféré ouvrir une annexe à Paris, dans le but de développer la phase d’exécution à laquelle l’agence ne participait que partiellement. L’association relève davantage d’une nécessité ou d’un confort que d’une stratégie de conception.
L’idée des co-architectes, c’est d’abord pour ne pas mobiliser une équipe complète sur un chantier pendant plusieurs années. C’était toujours définit que MVRDV se charge de la conception avec les co-architectes mais ensuite déléguait complètement aux architectes locaux (pour la phase d’exécution). Il s’agit vraiment d’une préférence de l’agence, d’organisation. (2)
Parallèlement, lors d’une conférence de Studio 1984, un des associés partageait son expérience avec Francisco Mangado, architecte espagnol, pour une opération d’équipement sur Paris. Il s’agit cette fois du point de vue de l’architecte local, qui présente les difficultés rencontrées dans cette collaboration. En effet, l’agence espagnol ne possédait aucune connaissance (ni conscience) de la réglementation française. L’architecte-local a du transmettre, et adapter à plusieurs reprises les esquisses de l’architecte mandataire, au point d’éprouver un sentiment d’illégitimité des rôles dans ce projet. Dans cette situation, l’architecte mandataire a un réel besoin de l’architecte local dès la phase de conception sans lequel il ne pourrait rendre une esquisse adaptées. L’architecte local perçoit un unique avantage : la notoriété de l’architecte espagnol qui lui permet d’obtenir une référence supplémentaire à son catalogue. Ces exemples nous montrent que l’association d’architecte est une stratégie des architectes étrangers pour accéder à la maîtrise d’œuvre. La collaboration ne suffit pas au bon déroulement du projet. Il est nécessaire de compter une équipe interne aux agences mandataires, afin d’assurer les échanges, et une compréhension minimum des réglementations en vigueur. Les agences Kaan Architecten, MVRDV et Mateo Arquitectura ont des équipes spécialisées organisées en par pôle linguistique (notamment francophone et germanophone). Les projets sont répartis entre les acteurs. Comme nous l’avons vu précédemment, la compétence fondamentale à l’exportation de la pratique est la capacité de rendre dans la langue du projet. Ce besoin nécessite d’évaluer au préalable de l’énergie investit dans la réalisation de projet à l’étranger. «La première chose qu’on regarde quand on rentre dans un pays, c’est pas un risque mais un investissement. Donc parfois on accepte des projets mal payés, ou de s’approcher des autres architectes en sachant que la collaboration va être très difficile donc personne ne va gagner de l’argent. Et cela même pour bâtir une référence. On hésite pas à faire des projet qui seront à perte.» (1) «Si aujourd’hui on décroche un projet en Australie, et bien on va y penser 20 fois avant d’aller le faire. Le plus grand investissement n’a rien a voir avec l’argent. Ca a à voir avec l’équipe. Une équipe qui sait faire. C’est le plus difficile.» (1)
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Assumer la conception et déléguer l’exécution Dans les cas d’équipes de maîtrises d’œuvres mixtes, nous obersons des associations entre architecte étranger et architecte local. Cette pratique courante requiert une organisation des missions par phase, à la fois pour évaluer des moyens techniques à mettre en place et de l’investissement, mais surtout de la répartition des honoraires. Au sein de l’agence Mateo Arquitectura, les honoraires sont en général répartis de cette manière : - Phase de conception : Mateo Arquitectura 80%, architecte local 20% - Phase de développement : Mateo Arquitectura 50%, architecte local 50% - Phase d’exécution : Mateo Arquitectura 20%, architecte local 80% L’architecte mandataire se concentre sur la phase de conception et développe le projet avec l’architecte local de manière à définir un maximum d’éléments pour l’exécution. L’investissement dans les suivis de chantier dépend de l’ambition de l’architecte mandataire, qui doit parfois prendre à sa charge les déplacements, si le maître d’ouvrage n’est pas disposé à couvrir le nécessaire. Au sein de l’agence Mateo Arquitectura, les chefs de projet se déplacent en moyenne deux fois par mois sur les chantiers français, sans compter les réunions avec le maître d’ouvrage et autres réunions spéciales.
MVRDV
Certaines agences, comme MVRDV, assument totalement leur positionnement en tant que concepteur plus que constructeur. Elle a préféré déléguer les phases d’exécution aux architectes locaux à plusieurs reprises. Cependant, il semblerait que cette organisation ait une certaine limite. En effet, l’agence hollandaise a finalement décidé d’ouvrir une annexe sur Paris, qui se sera essentiellement dédiée au suivi de chantier qu’ils ont en cours, avec des architectes français qui ont de l’expérience. La logique de MVRDV est de conserver la conception centralisée dans son agence de Rotterdam, afin conserver son identité. «C’est un peu dans l’ADN de MVRDV de rester dans la conception plus que dans la réalisation.» (2)
Mateo Arquitectura
Pour l’anecdote, nous revenons sur l’historique du projet Castelo Branco au Portugal. L’opération comporte deux missions : l’aménagement de la place principale de la ville et la réalisation d’un centre culturel. La phase de conception se déroule entre 2000 et 2006. Rapidement, la maîtrise d’ouvrage rencontre des difficultés pour financer le projet, et seule l’aménagement de la place sera réalisée et terminée en 2009. Les relations avec le maître d’ouvrage se compliquent, et Mateo Arquitectura se retire du projet. En 2012, le maître d’ouvrage reprend finalement contacte avec l’architecte, et lui demande de se rendre sur le site du projet : «C’est parti, le bâtiment sera bientôt là.» Il voudrait cependant s’assurer que l’exécution du projet correspond aux attentes de l’agence. Après négocations, Josep Lluis Mateo se rend finalement dans la ville de Castelo Branco. Et effectivement, le bâtiment était bien là. (Voir photos p.40) Nous notons une complexification de la maîtrise d’œuvre qui incite les architectes à repenser leur pratique et leur mission, notamment la phase d’exécution. La gestion des chantiers et les compétences demandées par le maître d’ouvrage sont de plus en plus complexes. Au sein de Mateo Arquitectura, il a été remarqué que des compétences comme l’exploitation - maintenance devenaient fréquentes, et impliquent des missions et responsabilités très pesantes pour l’équipe de maîtrise d’œuvre. Les bureaux d’études (TCE) n’hésitent pas à prendre en charge à cette compétence, dans le but de limiter la diminution des honoraires et le nombre d’intervenants. Nous pouvons cependant imaginer les raisons qui poussent les marchés publics à exiger cette compétence. En effet, les institutions ont fait l’objet de fortes critique ces dernières années quant à l’explosion budgétaire des projets, dont elles auront du mal à assumer la pérennité. Cette complexification des commandes ne participe pas à l’excellence et au qualitatif. Les équipes de maîtrise d’œuvre sont en perpétuelle mutation, et les missions sont atomisées. Ce processus qui semble inévitable est peut-être l’élément déclencheur d’une nouvelle réflexion sur le rôle et les missions de l’architecte.
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Conclusion II - b Lorsque l’architecte importe son savoir-faire à l’étranger, il n’est pas seulement demander de mettre en forme un programme, mais des compétences plus larges : comprendre le(s) contexte(s) (nationaux, régionaux, locaux), appliquer les réglementations en vigueur, apporter des connaissances techniques (voir esthétiques) qui n’existe pas autrement, fédérer des acteurs… Il dépend des équipes de maîtrise d’œuvre de s’accorder, surtout dans le cas des groupements d’architectes, qui peuvent questionner sur la légitimité de l’auteur. La réflexion sur la (re)définition des missions de l’architecte est primordiale. Ces exemples illustrent des cas de figures distincts, mais avec un principe commun : l’ambition et l’énergie que l’architecte mandataire veut investir dans ses projets. Notes II - B 1) Renata Gilio, Associée chez Kaan Architecten Brésil - Entretien de Juillet 2018” (2) Salomé ATTIAS, Business Developer chez MVRDV, en charge du marché français. - Entretien de Août 2018.
Etat d’avancement du chantier à la première visite de Mateo Arquitectura après des années d’arrêt de projet pour raisons économiques
Centre Culturel de Castelo Banco (Portugal) réalisé par Mateo Arquitectura Conception : 2000-2006 - Construction : 2012 - 2013
C/ Conception délocalisée : architecture - objet et architecture-globale
Dans cette dernière partie, nous nous intéressons à des stratégies par la conception de la forme du projet pour séduire le maître d’ouvrage. Nous appréhendons ici l’architecture comme un produit, diffusé, dans le remarquable ou la simplicité qu’il représente. Nous aborderons deux procédés de création délocalisée : l’architecture - objet ou iconique dans un premier temps, et l’architecture universelle dans un second temps. Plusieurs raisons nous ont amené à aborder cette dimension esthétique du projet. Tout d’abord, parce que les dernière décennies ont été très marquées par des bâtiments que nous qualifions de «remarquables», expérimentant formes et techniques de la construction, baptisés comme des objets iconiques de l’architecture contemporaine. De nombreuses recherches ont été menées, ce pourquoi nous nous basons sur l’une d’entre elles, Architectural Strategie Marketing, Icon politics, masses, developper, thèse de 2012 d’Eduard Sancho Pou(3). De plus, nous voulons illustrer ces familles d’architecte - artiste et architecte d’affaires définies dans la Partie 1 - b, où nous voyons une relation directe entre l’architecte et le projet. Enfin, il s’agit d’une réflexion personnelle liée en lien avec une expérience professionnelle au sein de l’agence Mateo Arquitectura, qui veut comprendre si l’identité des projets est une résutante de la pratique européenne, ou à l’inverse, le contexte européen, qui crée un esthétique commun et donc exportable. L’architecture - objet L’utilisation de la symbolique, de la métaphore dans le processus de conception, ou l’intégration de la tradition comme les techniques constructives sont des moyens d’établir un lien avec les références des usager, car évoque le familier au client ou au public, auquel ils peuvent s’identifier. L’objet architectural intéresse le promoteur pour la diffusion (la promotion) qu’il peut en tirer, et se proclamer comme lanceur de projets phares. De leur côté, les architectes y trouvent l’opportunité de faire un projet audacieux, même s’ils apparaissent comme des «architectesacteur». p.37 (3) Cette architecture exprime leur désir de changement, de modernité, de contemporainité. Pour illustrer ces propos, nous prendrons pour exemple la démarche de l’architecte BIG (Bjarke Ingels Group). En effet, celui-ci justifie la forme architecturale de ses bâtiments par l’impact économique, politique, environnemental, social, culturel, etc… du contexte qui les entourent. BIG développe une architecture «capable de créer le maximum d’effet avec le minimum de moyens ; le maximum de confort avec le minimum de consommation énergétique ; le maximum de fonctionnalité dans l’espace le plus réduit ; la plus grande qualité au plus bas prix.» p.53 (3). L’architecte assume ses objets architecturaux, dont il intensifie la dimension formelle par la fiction, en communiquant ses projets par la bande-dessinée, les jeux vidéos, internet… La conception de ses projets intègre la communication de ses idées, qui y joue un rôle essentiel.
« Nous essayons de concevoir de manière intuitive et facile, de comprendre pourquoi c’est comme ça, et pourquoi c’est intéressant. Je pense que c’est comme… non pas un style, mais plus comme une discipline à travers laquelle nous devons communiquer des idées.» BIG, dans une interview avec FERRARI, Felipe 0300tv (Oct.2007).
Dans sa thèse, Eduard Sancho Pou revèle l’histoire du projet «Y», que BIG a conçu cette idée dans une pure recherche formel. L’architecte est ensuite parti à la recherche de l’ambitieux maître d’oeuvre qui sera prêt à investir pour le réaliser. Il voyage pendant six semaines jusqu’à trouver le client, sans se soucier du site et contexte où le bâtiment sera construit. En tant qu’architecte, vendre son «style», son «identité», est une démarche acceptée, légitime parce qu’elle est en faveur du projet lui-même. Elle est qualifiée d’action commerciale lorsque l’architecture répond uniquement aux intérêt du client.
MVRDV
Nous voyons dans la démarche de MVRDV des similitudes. Si nous pensons le MarketHal ou encore à une échelle moindre la Maison bleue sur les toits, ces projets se distinguent par leurs formes, leurs façades, qui sont des résultantes directes du contexte : le MarketHal offre un espace protégé dans un contexte urbain vaste et peu structuré, la maison bleue affirme sa volumétrie ajoutée par sa couleur qui se distinguent du quartier résidentiel traditionnel hollandais.
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Mateo Arquitectura
Nous nous sommes questionnés si la pratique européenne de l’agence, est une conséquence de la production d’une architecture parfois décontextualisée. Les concours dernièrement réalisés - Campus Condorcet de Porte de La Chapelle à Paris, Réhabilitation des tours du WTC I-II à Bruxelles, et actuellement l’ESMA de Bordeaux - sont élaborés suivant le même protocole. Tout d’abord, une analyse urbaine détermine les grandes lignes directrices. De ses recherches, son rôle d’enseignant et de rédacteur en chef, Josep Lluis Mateo a acquis des automatismes de lecture du contexte - mobilités, histoire - qu’il est difficile d’avoir en tant que jeune architecte. Le premier temps de conception est marqué par des études volumétriques, croisées avec l’étude programmatique, afin de voir les capacités du site. Vient ensuite un travail volumétrique en plans, coupes et perspectives, toujours mis en relation avec le contexte, toujours dans une rationalité de la construction. Il s’agit d’avoir une conscience de l’aspect technique du projet, sans s’y contraindre complètement. Enfin, suivant le détail de concours exigé, l’élaboration des façades requiert une attention particulière, reflet de l’identité de l’agence. Si l’usage de certains matériaux est récurrent, c’est surtout le travail de composition qui est propre à l’architecte. La mise en parallèle avec d’autres projets de l’agence, les bâtiments expriment une ambiguïté entre s’intégrer dans le site par sa volumétrie, et s’en détacher par la composition et les matérialités des façades du projet qui se distinguent des contextes urbains proche et lointain.
Kaan Architecten
Pour Kaan Architecten, leur pratique européenne n’influt pas sur la conception des projets. Dans son témoignage, Renata Gilio exprime sont profond désaccord avec l’architecture-objet : «Très honnêtement, je n’ai aucun respect pour l’architecture objet. ça c’est mon avis personnel. ça reste l’expression d’un caractère. Il y a des qualité c’est sur. Comme Niemeyer. Mais après toutes les crises économiques…» (1)
Nous avons donc cherché à savoir comment l’agence procède pour les concours, et qu’est-ce qui pourrait définir l’identité de leur travail : «Alors pour nous, l’identité Kaan, c’est le processus de conception. Par exemple, on commence par un Kick-off book. On passe deux trois semaines à rechercher tout et n’importe quoi sur le site rapproché et lointain d’un nouveau projet. On ne regarde même pas le programme. On regarde le contexte. Absolument de tous les côté possibles et inimaginables : problèmes sociaux, températures maximales et minimales, les équipements alentours… dans un cercle de 5km, 10 km, 15km… Où est ce qu’on peut faciliter des déplacements? 5min, 10 min en tant que piétons tu arrives jusqu’où… Où sont les lignes des transports. On regarde absolument tout sur le site. Après, on regarde ce que le client veut en faire, on regarde comment les deux choses peuvent se marier et on fait une contre proposition du programme. Pratiquement à chaque fois. Parce qu’ à partir de cette analyse, on comprend les vrais nécessités. Exemple de cette façade elle va être plus comme ça parce qu’on a un cours d’eau… Ici on va être plus vertical, une ligne d’arbres à conserver, une densité résultante du contexte … La volumétrie elle vient de là. Et l’architecture du projet vient de l’observation des alentours. La volumétrie arrive après trois semaines d’analyse. Elle est le résultat des analyses de site. Et des règles de construction. Et du programme ou contre-programme. Kees le dit toujours : «un programme, on le considère comme une guidelines». à part quand il s’agit d’un programme très spécifique, un bâtiment de laboratoire par exemple. Surtout dans une première phase de design tu sais. C’est aussi une façon de ressentir si ils ont vraiment pensé à leur programme suffisamment. (…) En fait, c’est pas que je suis contre le fait d’être funcky. Mais il ne faut pas que ce soit pour appauvrir le lieu. On a le respect du local, au dessus de tout le reste. C’est d’abord le local, ensuite le programme, ensuite la qualité du rapport du bâtiment avec ces alentours, et si tout coche les cases et fonctionne, on se permet de faire un petit funcky par-ci par-là. On peut s’amuser, mais c’est vraiment, vraiment pas important. Il faut que ce soit quelque chose qui ne dérange pas la qualité.» (1) Dans cette recherche de modes opératoires, nous notons que l’architecture - objet est un moyen de communication, reflète l’identité d’une agence, et est une architecture qui s’exporte facilement. Cependant, des témoignages nous montrent qu’avoir une pratique européenne ne signifie pas produire un architecture décontextualisée.
L’architecture - globale
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Nous entendons par architecture-globale, des projets dont nous imaginons des principes de conception tirés de la mondialisation, standardisés, et à volonté de se répéter un peu partout dans le monde sans adaptation particulière au contexte social et culturel. Pour cette partie, nous nous appuyons à nouveau sur la thèse d’Eduard SANCHO POU, Architectural Strategie - Marketing, Icon politics, masses, developper (3) notamment sur les deux derniers chapitres de l’architecture de masse et de l’architecte-promoteur (ou architecte-d’affaires). Management et marketing L’ouvrage de l’architecte espagnol Eduard Sancho Pou révèle les stratégies mises en place par les architectes, en s’appuyant sur des études de cas précises. Pour l’architecte-d’affaires, il prend l’exemple de Charles Luckman, un «homme d’affaires et architecte américain»* auteur de nombreuses constructions. S’il n’est pas célébré pour l’esthétique et le design de ses projets, ses qualités de manager et ses stratégies de marketing sont reconnues : «L’art de la commercialisation d’un produit, d’un service, d’une personne, ou d’une compagnie ment sur les principes et fait la promotion des choses qui sont uniques et caractéristiques. Que vous soyez en train de vendre du dentifrice, du savon ou votre agence d’architecture, votre spécialité, votre expérience individuelle est plus importante que n’importe quel autre ingrédient. Vous devez démontrer au public ce qui fait de vous quelqu’un de différent, meilleur que vos concurrents.» LUCKMAN, Charles (1998) : Twice in lifetime, from soap to skyscrapers. W.W.Norton. P.222.
L’architecte met en avant l’art du discours comme outil fondamental pour convaincre. Comme BIG, il assume sa position d’acteur commercial, à la différence qu’il ne cherche pas à expérimenter, innover en faveur de l’architecture, mais de construire pour servir les intérêts du client et de l’usager. Dans cette démarche, l’architecte n’est pas reconnu pour l’architecture qu’il produit en tant que telle, mais pour le processus de conception, dont rentabilité et rapidité sont les principes forts. Processus de conception Nous repensons à l’intervention de Clément Gillet sur son projet B3 Ecodesign, qui utilise le container industriel comme module pour la réalisation de maisons particulières et de logements collectifs. Il explique les prémices de cette démarche, où le projet doit être toujours plus petit, plus rentable, plus efficace. Il décide de chercher une alternative, et découvre ce principe technique, dont il met en avant la standardisation des procédés constructifs, qu’il a pu développer avec une industrie automobile. D’un marché de maison individuelle, il passe à des opérations de logements collectifs, et espère prochainement exporter son modèle en Chine. La facilité de montage-démontage et d’assemblage permettent une construction massive et rapide qui intéresse le marché de la construction chinoise. L’architecte n’hésite pas à nommer ses projets comme des «produits», «reproductibles» suivant les envies, et adaptables à n’importe quel contexte. Le marché de la construction tend depuis des décennies à standardiser les méthodes de construction, une conséquence directe de la mondialisation, qui explique la prolifération de ces architectures-globales. Si certains architectes refusent cette réalité, les partenaires spécialistes dans les techniques du bâtiments et les entreprises ont majoritairement suivi le mouvement. La participation de ce processus d’homogénéisation des constructions est presque inévitable. De plus, ces opérations visiblent partout dans le monde deviennent les références d’une «architecture contemporaine» pour le grand public, et les maîtres d’ouvrages.
Conclusion II - c
La conception délocalisée avec une architecture-objet et une architecture globale sont des manières d’appréhender la multiplicité des sites et leurs problématiques. L’une se distingue par sa forme et crée le contexte, l’autre se confond par sa simplicité et s’intègre au contexte. Cependant, les deux émergent d’une action commune : concevoir suivant des stratégies, par la mise en lumière des raisons et des objectifs qui ont amené à la finalité de ce projet. . Notes II - C *Wikipédia 1) Renata Gilio, Associée chez Kaan Architecten Brésil - Entretien de Juillet 2018” (3) Eduard Sancho Pou, Architectural Strategie - Marketing, Icon politics, masses, developper, the N°1, 2012
CONCLUSION PARTIE II Dans cette seconde partie, nous avons présenté différentes approches d’agences pour développer son activité d’architecte practicien. Tout d’abord, par la prise de conscience du catalogue de références comme un outils fondamental de compte rendu de l’expérience et de l’identité d’une agence. La difficulté principale étant d’obtenir la première référence d’un projet au programme nouveau, à une échelle inabordée… Les conditions de participation et de compétitivité avec les autres agences nécessitent d’analyser et d’évaluer les efforts à fournir pour chaque candidature envoyée. Pour cela, l’association d’architectes et l’organisation des missions suivant les phases de conception - développement - exécution sont des modes d’action pour réunir les compétences nécessaires pour répondre aux attentes des maîtres d’ouvrage. Enfin, nous avons abordé des méthodes de conception délocalisée qui peuvent être utilisées comme un moyen d’action pour exporter ses projets sur des territoires multiples. Avec l’architecture-objet, nous retrouvons le profil de l’architecte - artiste, guidé par une ambition formelle, un geste. Avec l’architecture-globale, nous retrouvons l’architecte-d’affaires, dont le dialogue et la rationalité sont les raisons de son succès.
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conclusion Dans ce mémoire, nous avons abordé l’intérêt de l’exportation des architectes en Europe à travers deux grands axes : les raisons qui peuvent motiver l’architecte à s’intéresser à la maîtrise d’œuvre et aux marchés sur l’ensemble du territoire et les stratégies à adopter pour y accéder. Nous avons confronté les limites de cette démarche au fur et à mesure de nos observations. Dans cette première partie, nous avons vu quelles actions collectives avaient été mises en place pour permettre une harmonisation européenne de la pratique, avec une homogénéisation des cadres réglementaires des passations des marchés publics et de l’enseignement supérieur. Le processus d’européanisation favorise la libre circulation des personnes et des services, mais les marchés de la construction restent très variés suivant les pays, et l’équivalence des formations tarde à se mettre en place. Malgré cette volonté européenne, la pratique des architectes conserve des spécificités et des identités nationales fortes. C’est pourquoi nous avons réalisé une analyse comparative des modalités des procédures de passations des marchés publics de cinq pays concernés : la France, la Belgique, la Suisse, le PaysBas et l’Allemagne. Nous nous appuyons sur les expériences d’agences qui ont une pratique européenne, ainsi que de jeunes architectes français qui tendent à s’exporter. Nous avons observé une variété de procédures de marchés avec des conditions inégales, notamment dans la fréquence des concours en marchés publics et dans la capacité des agences à répondre aux appels d’offre. Nous avons remarqué néanmoins que cette diversité apporte des opportunités, en fonction des modalités et des critères de sélection. Enfin, nous nous sommes intéressés à la vision de l’architecte sur sa propre pratique en confrontation avec la réalité du marché. Pour cela, nous avons fait les portraits de l’architecte-artiste et l’architecte-d’affaires, qui illustrent deux figures de professionnels aux objectifs de conception distincts : le premier faisant d’une priorité les principes architecturaux du projet, tandis que le second se concentre sur les intérêts du maître d’ouvrage. Dans une seconde partie, nous avons exposé les stratégies adoptées pour accéder à la maîtrise d’œuvre sur des territoires étrangers avec les témoignages d’acteurs des agences Kaan Architecten (Rotterdam), MVRDV (Rotterdam) et Mateo Arquitectura (Barcelone). Tout d’abord, nous avons vu les méthodes pour construire et communiquer un catalogue de références, outil indispensable pour séduire le maître d’ouvrage et accéder à la commande. La première référence constitue la principale difficulté. C’est pourquoi nous nous intéressons ensuite à l’association d’architectes, comme une stratégie des architectes étrangers pour entrer dans un nouveau territoire, et gérer la maîtrise d’œuvre en partenariat avec l’architecte local en répartissant les missions des phases de conception-développement-exécution. Pour finir, nous avons abordé la conception délocalisée comme une méthode par l’objet fini du projet pour construire sur des territoires multiples. L’architecte européen profite d’avantages législatifs et culturels qui lui offre la possibilité d’accéder et de développer des projets sur des territoires multiples. Cet investissement requiert une réflexion sur les stratégies qu’il veut adopter pour permettre cette pratique, notamment pour atteindre les capacités techniques et économiques nécessaires (équipes, compétences). L’exportation de la pratique de l’architecte n’est pas sans limites d’actions, et de nombreux questionnements se posent quand à la légitimité de construire sur des territoires «inconnus». L’architecte doit définir de ses intérêts et de ses engagements dans le processus de conception afin de déterminer si sa priorité est de concevoir ou de construire.
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bibliographie Véronique BIAU avec la collaboration de Sylvie WEIL - La dévolution des marchés publics de maîtrise d’oeuvre en Europe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni), Ministère de la Culture et de la Communication, MIQCP, Octobre 2002 Véronique Biau, Merril Sineus. Les pratiques du concours d’architecture en Europe. Zoom sur l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suisse. [Rapport de recherche] CRH-LAVUE. 2017. Véronique BIAU, Stratégie de positionnement et trajectoires d’architectes de la revue Sociétés contemporaines (n°29, 1998. Pp. 7-25) Michel BONNET | Elisabeth COURDURIER | Cristina CONRAD | L’élaboration des projets architecturaux urbains en Europe, Volume 2, Les commandes architecturales et urbaines, Ed. Certu, 1997 Activités d’architectes en Europe, nouvelles pratiques - Cahiers Ramau, 2004 Miguel DELATTRE, Renaud PETIT et Véronique ZARDET - Ar(t)chitectes et management : histoires d’introduction d’outils de management chez les architectes, Gérer et comprendre - juin 2015 - n°120 Eduard Sancho Pou, foreword by Eduard Bru (Thèse) Architectural Strategie - Marketing, Icon politics, masses, developper, the N°1, Ed. Peninsula, 185 pages, 2012 Guy TAPIE (directeur de rédaction), La culture architecturale des Français, Ed. presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris, 243 pages, 2018 Josep Lluis MATEO - Traditions mobiles comme alternative à la discipline Entretien avec François Andrieux, Cahiers thématiques architecture histoire conception Nº1, Éditions de l’école d’architecture de Lille, 2001
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annexes ENTRETIENS Afin de croiser les méthodes, un questionnaire a été transmis à plusieurs agences dans l’objectif d’échanger avec ces structures sur les thématiques suivantes, dont les résumés sont retranscrits ci-après : - Renata Gilio, Partenaire de l’agence KAAN Architecten Brésil, et chargée des projets français au sein de KAAN Architecten Rotterdam - Marie Saladin, en charge de projets français au sein de MVRDV Rotterdam - Salomé Attias, responsable du département Business Development et Public Ressources pour la France au sein de MVRDV Rotterdam - Maxime Desmond, responsable du développement international chez Talents&Co
QUESTIONNAIRE 1. Stratégie / Commande : Quels sont les marchés de maîtrise d’oeuvre qui intéressent votre agence? (Programme, Commande privée / publique, pays…) En quoi le marché en France vous attire / a attiré ? En comparaison avec d’autres pays? 2. Méthodologie : Le développement de projets sur plusieurs territoires requiert d’adopter une stratégie et une organisation pour une agence. Quels sont les indispensables pour cette pratique européenne / internationale? 3. Agence antenne / succursale : Est-ce que vous pensez à ouvrir une agence antenne dans un autre pays que votre pays d’ancrage / origine? Oui, Non, pourquoi et comment? (Récente installation à Paris) Voyez-vous cette démarche comme un levier pour accéder à la commande? 4. Le statut de l’architecte : Pensez-vous que la «figure» de l’architecte varie suivant les pays? Quel ressenti en avez-vous? Comment le définiriezvous en France? 5. Le pays idéal : Quel est le pays idéal pour réaliser ses projets en tant qu’architecte? Pourquoi?
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Renata Gilio, Associée de Kaan Architecten Brésil, en charge des projets français chez Kaan Architecten Rotterdam PARCOURS A L’INTERNATIONAL
Le parcours il n’était pas classique, ce n’était pas du tout accidentel, mais c’est venu assez naturellement, au fur à mesure. Il n’y avait pas vraiment plein d’actions en France. Au Brésil oui, parce que du coup je savais comment faire, et ce que je voulais donc c’était beaucoup plus structuré. Et là on devrait attaquer l’Argentine exactement de la même façon. Mais c’est vraiment embryonnaire. En fait, tu sais il y a une phrase que Kees m’a dit une fois, et pour moi, c’est complètement vrai : «Le plus grand plaisir que j’ai dans la profession, la pratique de l’architecture, c’est que je pense qu’on fait le dernier métier où on peut être complètement libre. L’architecte est le dernier entrepreneur complètement libre d’attache, à mon avis, dans le capitalisme contemporain.». J’ai commencé à pousser sur ça, c’était vraiment pas fait exprès. Tu sais à l’agence c’était Claus and Kaan, et ils étaient pas très ouverts. Et moi je me disais mais : Comment ils font pour avoir des projets? Ca m’embêtait un peu. Donc j’ai commencé à faire les choses à ma sauce et petit à petit j’ai commencé vraiment m’intégrer.
DESCRIPTION STRATEGIE TYPE
On va dire dans les grandes lignes, il y a vraiment des bureaux qui font des concours, Ok? Ils poussent sur les concours, ils gagnent les concours. Ils développent des projets. Petit à petit, ils commencent à connaître les mairies, et les maires commencent a les guidé vers des maîtres d’ouvrage privés. C’est un schéma qui marche très bien en Europe. Vraiment très bien. Mais ce n’est pas vraiment un business plan. Et c’est vraiment très risqué. Je dirais que 90% des agences font comme ça, ils font des concours, en ont quelques uns à gauche à droite mais il faut garder en tête que le taux de réussite c’est 10%, dans une bonne agence. Si tu es vraiment exceptionnel et tu ne fais que les concours restreints, 25%.
STRATEGIE CHEZ KAAN
Chez Kaan, on doit être autour de 20%. Parce qu’on ne fait absolument aucun concours ouverts, peu importe le concours. On ne fait que les concours restreints. Des candidatures, il y en a énormément. On fixe des principes de bases : 15 Millions de coûts de construction minimum. Peut être plus petit si c’est vraiment quelque chose d’exceptionnel, une chapelle, un petit musée, un petit bijou comme ça. Ou alors des projets très techniques : des grands laboratoires, des hôpitaux, des projets d’infrastructures. Par exemple, le projet de l’aéroport de Schiphol d’Amsterdam. On regarde la candidature avec beaucoup de critères avant de postuler. Et aussi, il faut tenir en compte, qu’on fait une petite recherche en interne, très discrète, de truc un peu bizarre, qui pourrait sortir. Parce que ça existe des concours qui sont déjà gagnés. Et si on réussit, on regarde qui on connaît dans la région, qui sont les jurys, si on arrive à décrocher une informations. C’est assez facile. Tu t’en aperçois dès la lecture de l’avis parfois. Ca nous est arrivé une fois pour un grand concours en mairie, en France - je vais pas dire laquelle - et la personne qui a gagné c’était un architecte local, du même parti, c’était vraiment gauche… Et voilà c’était pas propre, très déloyale. Et ça, ça nous arrive de temps en temps. Mais sinon, pour la France, tu sais c’est très important de vraiment connaître les villes où tu travailles.
POINT DE DEPART
On a démarré, en projet personnel c’était Saint-Jacques de la Lande, avec un partenaire local. C’était ICADE Construction. Donc ça nous a permis de nous donner une première références. Et la première références c’est très important parce qu’il y a beaucoup de concours où tu ne peux pas rentrer si t’as pas un référence dans la langue et dans le pays. La première chose qu’on regarde quand on rentre dans un pays, c’est pas un risque mais un investissement. Donc parfois on accepte des projets mal payés, ou de s’approcher des autres architectes en sachant que la collaboration va être très difficile donc personne ne va gagner de l’argent. Et cela même pour bâtir une référence. On hésite pas à faire des projet qui seront à perte.
STRATEGIE ECONOMIQUE INTERNE
Mais de toute façon en agence, on fonctionne avec un roulement de projets. C’est-à-dire qu’on a des projets où on sait qu’on va pas gagné de l’argent mais ils sont fait pour être réceptionné / exceptionnel. Et d’autres projets qui vont donner un peu de profit. Ca c’est très contrôlé. Cette ambition pour chaque projet ça nous donne les outils pour définir la taille des équipes. Vraiment l’effort qu’on va mettre dessus, l’énergie, tout quoi. En plus, on a un planning budgétaire hebdomadaire très poussé. La plupart des chefs de projets ne s’aperçoit pas mais il y a des gens que je dois relancer. Par exemple, Diana m’appelle et me communique que dans tel ou tel projet, on a un problème. On a subit du retard parce que je ne sais quoi. Du coup dans ces cas là, il y a action. Je fais un avis d’arrêt
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de projet, ou je renégocie avec le client pour ne pas trop laisser traîner. Ce n’est pas encore aussi systématique que je le voudrais. Il y a du laissé allé à l’agence, ça je n’aime pas trop. Mais la seule partie qui est indispensable, c’est la partie financière. Combien d’argent rentre, combien d’argent sort, chaque semaine. Et combien on va réussir à facturer jusqu’à la fin de l’année. Diana s’en charge. Elle me dit quand il y a un problème et moi je prends des actions. Je suis encore responsable des projets français. Je détecte les problèmes administratifs, contractuels, légaux. Je fais surtout un suivi plus pointilleux en phase de chantier. Et contrôle budgétaires en APD, et si ça commence vraiment à dérailler, j’actionne notre avocate. Je me charge de l’embauche des ingénieurs, des négociations de contrats, des honoraires…
LE CAS DE LA FRANCE
La en ce moment on a 9-11 projets. C’est le réseau qui fonctionne. Les noms commencent à être connu. Par exemple, à Lille je me suis fait connaître auprès de la maire, de l’aménageur, auprès de Sorelli. Et ça c’est très très bien passé du coup quand ils ont lancé une nouvelle ZAC, ils ont pensé à nous. Donc on a été invité, à s’asseoir à côté de la Mairie et des aménageurs intéressés, et ça a marché une fois, ça a marché deux fois, trois fois, donc au bout d’un moment, la mairie a finit par imposer Kaan pour certains îlots. Il y avait deux ou trois MOA qui voulaient bâtir, et la municipalité allait dire, OK mais sur cet îlot là, vous êtes avec un architecte, vous êtes avec Kaan. Les trois - quatre MOA se sont rapprochés de moi, j’ai négocié avec eux les mêmes taux. Et je suis partie avec celui qui avait la meilleure offre pour la mairie de l’achat du terrain. > Références au projet de Sorelli (Mateo Arquitectura) La plupart c’est toujours des indications. Nos projets à Nantes c’était pareil. L’aménageur nous connaissait, il a sorti notre nom, on a fait un petit concours et c’était parti. Et ensuite, c’est plus facile de persévérer dans une ville. Je ne «cherche» pas à bâtir. Ca vient un peu naturellement. On est invité à la mairie, après on est invité à dîner. Puis au vernissage… On commence la relation. C’est naturel. Ce n’est pas du forcing. Ce n’est pas une vraie démarche. J’ai été embauché chez KAAN pour travailler sur la Cité des Métiers, le concours qu’il venait de gagner. On a fait des concours, on a fait ISMO. Concours pour l’hôpital de Nantes. On était en des quatre sélectionnés. Pas de partenariat local. Mais des ingénieurs locaux, AIA. Julie : Est-ce que la France est un territoire qui vous intéresse particulièrement?
DEMARCHE GLOBALE
Renata : On ne cherche pas des pays, on cherche des projets. Ca dépend vraiment de comment est orienté l’agence mais chez Kaan, c’est vraiment des projets pour des bâtiments spéciaux. En France, bien sur, si un aménageur nous appelle et nous demande directement de faire une opération de bureaux, on va le faire. Mais je ne vais pas le chercher. Alors on cherche des grands concours, des grands partenariats. C’est ce que je suis en train de bâtir au Brésil, pour des partenariats avec des investisseurs privés. On a vraiment besoin d’une stratégie alors qu’en Europe, si tu passes toute ta carrière à chercher des concours ça devrait aussi marcher. En Amérique latine c’est très différent. En Europe, il faut, décrocher un projet, en Amérique latine, il faut créer un projet.
STRATEGIE GLOBALE
Kaan fait énormément de projet de Belgique. Il y a la langue, et il y a surtout une cadence. Pour décrocher un projet, il faut que ce soit un petit bijou, mais après quelques années -trois ans- on est en équipe. Qui est déjà spécialisée dans les réglementations, lois locales et là on commence à accepter des projets moins exceptionnels. Parce qu’on a déjà le savoir faire. Ca devient plus simple. Si aujourd’hui on décroche un projet en Australie, et bien on va y penser 20 fois avant d’aller le faire. Le plus grand investissement n’a rien a voir avec l’argent. Ca a à voir avec l’équipe. Une équipe qui sait faire. C’est le plus difficile. Ca prend des années. On a pas vraiment de plans à long terme. C’est une question de choix. Il n’y a qu’une seule vérité. On peut décrocher n’importe quel projet. Tout dépend ensuite de l’effort et de l’argent que tu vas mettre dessus, pour aller le décrocher. Vraiment, c’est la seule vérité. Par exemple j’ai des contacts aux USA, mais je ne suis pas encore allée les chercher parce que je sais que ce n’est pas ma priorité. Parce que ça va me prendre énormément d’énergie, et que pour l’instant je veux vraiment mettre cette énergie ailleurs.
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LE PAYS IDEAL
Renata : En Hollande c’est vraiment super facile de faire un projet. L’architecte c’est un petit roi du monde, il n’a aucune responsabilité légale. Aucune. Mais absolument aucune. Il ne fait rien pendant la construction donc effectivement c’est facile. En France, c’est différent, en responsabilité locale c’est ce qu’on bâti. On a la DET, on a des vraies missions de directions de chantier. En Hollande, on n’a pas tout ça. En France, la partie administrative, c’est vraiment un métier. D’ailleurs au début de ma carrière j’étais OPC dans une agence. Je faisais neuf bâtiments en même temps. C’était infernal. Mais c’était une bonne façon d’apprendre aussi. Alors que les gens qui travaillent sur des projets en Hollande n’ont pas ça à faire.
STATUT DE L’ARCHITECTE
Julie : Vous venez de dire qu’en Hollande par exemple, l’architecte est comme un roi. Est ce que vous diriez que le statut de l’architecte change suivant les pays? Renata : Ah oui oui. Et c’est très dramatique d’ailleurs. En Espagne, on a fait deux bâtiments, une université à Grenade et un petit musée à Barcelone, qui n’ont finalement jamais été construit. Les deux ont été arrêtés juste avant l’exécution parce qu’on arrivait pas à faire respecter le projet. Et en France aussi… c’est vraiment une bataille, du début à la fin. Il faut avoir une vraie armure. Il faut faire du chantage, il faut crier, faire passer l’avocat. C’est toujours tendu, toujours toujours. Avec les maîtres d’ouvrages, avec les entreprises et mêmes avec les ingénieurs. Ce qui est très Français c’est plutôt que tu sais que quand tu t’assoies autour de la table, tu sais que tu vas subir. On ne peut pas faire autrement. Tout le monde arrive munit de tout ce qu’il peut. On garde toutes les traces écrites parce qu’il faut. Parce qu’on sait que plus tôt plus tard il y aura une carte judiciaire qui va sortir. Ca c’est très français. Mais dans tous les cas c’est toujours tendu. Par exemple au Pays-Bas, comme l’architecte n’a pas un vrai rôle, il n’a pas un vrai pouvoir non plus. Si il dit non, alors tout le monde va arrêter mais en même temps, si cela ne colle pas, problème budgétaire ou autre, tu n’as pas les outils non plus pour faire imposer ton choix. Ca c‘est aussi délicat. Au Brésil, cela dépend exclusivement de ton client. Il y a des clients qui s’en foutent. Ils bâtissent ce qu’ils veulent. On a pas beaucoup de fiscalisation donc c’est sur qu’il ne vont jamais avoir des soucis même s’ils font des bêtises dans une opération et à côté, on a vraiment des super clients qui font attentions à tout ce que tu leurs dis. Dans ces cas là c’est beaucoup plus facile. Et la commence un vrai dialogue. Tu vas ensemble. C’est plus souple. Tu peux arriver sur le chantier et tu peux leur faire démolir la moitié du bâtiment. Vraiment, c’est n’importe quoi. Mais c’est beaucoup plus dans le relationnel. Il y a un pays ou c’est vraiment infernal c’est la Chine. Incontrôlable. Il faut vraiment savoir ce que tu aies en train de faire parce que tu peux vraiment te faire avoir : parfois ils payent pas, ils prennent tes projets, ils bâtissent quatre fois et tu ne sais même pas. Ou ils disent qu’ils vont bâtir de telle façon mais ils ne le font pas et bâtissent autre chose. Moi, j’arrive pas à comprendre. Je ne veux vraiment jamais y aller en Chine. Je connais mes limites. Et sincèrement, je ne comprends pas comment ça marche là-bas. Et je n’ai pas d’intérêt pour apprendre non plus parce que le peu d’expérience qu’on a eu s’est mal passé. Alors ça vaut pas le coup.
RESPONSABILITE EN HOLLANDE
Renata : Alors c’est pas que l’architecte n’a pas de responsabilité. Par exemple le visa, c’est quelque chose de très sérieux, de primordiale. Mais en même temps, si on a des dépassements de délais, c’est pas le problème de l’architecte.
ASSURANCES
Renata : Oh oui, c’est absolument nécessaire d’avoir une réponse dans chaque pays où tu construis. Sauf au Brésil. Ici c’est pas obligatoire déjà, et puis ça dépend vraiment de comment j’ai signé mes contrats. Julie : Une assurance en Hollande ne peut pas prendre en charge un projet en Belgique par exemple. Renata : Non non c’est obligé de prendre une assurance dans le pays. Par exemple en France, Kees est inscrit à l’ordre des architectes en France en tant qu’architecte, et la MAF prend en charge nos projets en France. Un assureur français pour un registre français.
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L’INSTALLATION COMME LEVIER POUR ACCEDER A LA COMMANDE
Renata : Et bien effectivement il y a des concours qui impose quand même. L’inscription à l’ordre des Architectes en France. Julie : Kaan à Paris? Renata : Pour l’instant non. Tout est tellement proche tu sais… Et là c’est vraiment pas facile d’ouvrir une autre agence. Le concept reste très attaché à l’agence de Rotterdam. A mon avis, il faut vraiment qu’on soit dans un même espace. Avec l’agence au Brésil c’est vraiment différent parce qu’on est à 10.000km. Et puis Kees me fait confiance pour l’esthétique donc c’est un autre rapport. Mais ouvrir une succursale juste comme ça non, on ne le fait pas et on ne l’envisage pas. On ne l’envisagerait pas en Europe. Enfin, on a une succursale ouverte à Madrid, administrativement. Mais parce que c’était une obligation du projet de Grenade. Une exigence du gouvernement espagnol. Qui au final n’est pas opérationnelle. Ouvrir une succursale, c’est un vrai plus dans le sens où ça amortie les risques de faillites. Tu ouvres un projet très risqué - par exemple Schiphol avec 800 millions de coût de construction - et bien tu ouvres une autre entreprise. Comme ça s’il y a un problème, l’entreprise qui fait faillite, c’est l’entreprise du projet. On a ouvert une entreprise de construction. On est obligé. Julie : De part mon expérience chez Mateo Arquitectura avec les candidatures. C’est vrai que depuis Barcelone, on a l’impression que ça peut refroidir des maîtres d’ouvrages à nous choisir. Renata : Il y a le ressenti bien sur. Après pour les candidatures, quand je fais des candidatures, enfin, c’est une personne à temps plein qui se charge de faire ça… En France, on a 4-5 millions d’euros pour 9-11 projets. Mais effectivement, le ressenti du besoin de la proximité est fréquent. Mais je comprends le maître d’ouvrage aussi. Ils sont habitués à avoir le petit architecte local qui vient trois fois par semaine chez eux. C’est pas comparable. Mais on peut dire que c’est quelque chose de très français. Ca arrive dans d’autres pays. Au Portugal aussi par exemple.
REMUNERATION CONCOURS
Renata : En Allemagne, on pense 20 fois avant de partir. Un concours, c’est rémunéré 5000€-10.000€ mais c’est rien. Donc c’est un vrai investissement. En France, on y pense même pas parce que c’est toujours très correcte. Parfois on arrive même à faire un profit. Donc la c’est surtout une stratégie de moyens humains. De comment on est à l’agence à ce moment. Normalement, ce qui nous arrive c’est qu’on fait les candidatures, pour tout ce qui nous intéresse, et quand on est pris dans des concours restreints, on s’assoie et on regarde si on y va. Normalement on y va et particulièrement en France, on y va toujours. C’est bien payé quand même. Julie : Est ce que la rémunération est le principale moteur de participation? Renata : Mais bien sûr. Il n’y a que la France qui fait ça. Il n’y en a absolument aucun autre. C’est très exceptionnel. Julie : Avez-vous ressenti parfois la réticence des architectes locaux? Renata : Oui c’est très spécifique des cinq dernières années… La xénophobie qui s’est installée en Europe quand même. C’est une chose qui ne me choque plus maintenant. C’est un comportement très français, mais ils ont totalement raison quand même. Parce que tu sais, quand on eu la crise économique de 2008, le gouvernement français a énormément augmenté les projets pour ne pas laisser les architectes et les ingénieurs sans travail. Ca a été le seul pays à faire ça. Donc forcément, les espagnols, les anglo-saxons… le Bénélux. Tout le monde est tombé dessus. Donc effectivement, ça laisse de côté énormément d’agences. Comment un architecte local qui démarre maintenant va pouvoir rentrer en concurrence avec moi? Il va juste pas pouvoir. C’est impossible. Donc je comprends quand même cette xénophobie. Ca mérite pas mais bon… C’est comme ça. Mais il faut essayé d’avoir une vision globale. Parce que d’accord, il y a certain projet qui ne sont pas accessibles, mais à côté, il y a aussi énormément d’aides du gouvernement que absolument aucun autre architecte ne va avoir (autre pays). Même dans les projets privés. En France, les mairies, elles ont un quota, caché, d’architecte local qu’ils doivent embaucher. Si tu as une nouvelle ZAC - par exemple de 20 îlots - et bien tu vas en avoir au moins, 4 ou 5 qui vont être pour un architecte local. C’est dans ce sens là que je pense qu’il faut prendre les remarques avec des pincettes. Ils regardent juste les problèmes de l’invasion européenne, mais ils ne voient pas tous les profits qu’il y a d’être dans l’Union Européenne. Julie : Est ce que la parti politique d’une municipalité peut vous repousser à candidater?
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Renata : Non non ça c’est ridicule. Pourquoi? Tu sais, pour n’importe quelle mairie, il y aura quelqu’un qui veut faire des projets de qualité. C’est pas une décision politique. Vraiment pas. C’est une décision de quel type de projet tu veux faire. Ca c’est plutôt une position politique que une stratégie professionnelle. Julie : Exemple de Bruel - Delmar pour le projet de Vitrolles Renata : La c’est vraiment une stratégie politique de contractualisation. Rien à voir avec une stratégie professionnelle. C’est une réaction aux mauvaises expériences. Par exemple un pays sur lequel on est en train de miser c’est la Russie… Mais tout dépend de quel est ton focus. On est en train de faire une approche avec des investisseurs qui veulent faire des hôtels de luxe. Quel est le rapport entre ça et la politique? Selon moi, il n’y en a pas. Une chose c’est mes convictions politiques et l’autre chose c’est de vouloir faire des bâtiments de qualité. Et pour moi, ça c’est mon avis personnel mais mon engagement politique en tant qu’architecte, c’est de bâtir le meilleur bâtiment possible. Pour n’importe quel usage. Parce qu’un bon bâtiment, c’est toujours une preuve de citoyenneté. Après si tu vas vendre ton âme au diable en construisant des prisons à Hitler c’est autre chose.
OBJET ARCHITECTURAL OBLIGE? IDENTITE
Renata : Très honnêtement, je n’ai aucun respect pour l’architecture objet. Ca c’est mon avis personnel. Ca reste l’expression d’un caractère. Il y a des qualité c’est sur. Comme Neimeyer. Mais après toutes les crises économiques… Si tu regardes tous les derniers prix Pritzker, tout tourne autour de l’architecture sociale, sustainability, architecture coopérative, c’est un autre moyen de regarder l’architecture d’aujourd’hui quand même. Mais tout est cyclique et tout est très lié à l’économie. Quand l’économie va bien, les gens sont de gauches, et l’architecte fait de l’objet. Alors que quand l’économie va mal, la tendance est de droite, les gens sont xénophobes et l’architecture devient plus sociale et davantage liées aux besoins immédiats des citoyens. Après, de quel côté du spectre tu veux mettre ton architecture c’est ton choix personnel. Mais la tendance actuelle, c’est tournée sur une architecture plus engagée à cause de l’économie. Mais ça va pas changé. Mais du coup moi je veux pas m’adapter. Tu peux construire un objet, ou cinq bons bâtiments. Moi j’ai fait mon choix. Encore plus en habitant en Amérique latine et que tu vois tout ce qu’il reste à faire. Non je suis complètement contre ça. C’est pour ça que je ne connais pas ton agence. Non, très honnêtement, l’architecture n’est pas l’expression d’une personnalité, point. L’architecture doit être intégrer dans la ville et ne pas l’agresser. On nous appelle les néo-minimalistes et c’est pas pour rien. Julie : Et si vous deviez définir une identité Kaan? Renata : Alors pour nous, l’identité Kaan, c’est le processus de conception. Par exemple, on commence par un Kick-off book. On passe deux trois semaines à rechercher tout et n’importe quoi sur le site rapproché et lointain d’un nouveau projet. On ne regarde même pas le programme. On regarde le contexte. Absolument de tous les côté possibles et inimaginables : problèmes sociaux, températures maximales et minimales, les équipements alentours… dans un cercle de 5km, 10 km, 15km… Ou est ce qu’on peut faciliter des déplacements? 5min, 10 min en tant que piétons tu arrivent jusqu’où… Ou sont les lignes des transports. On regarde absolument tout sur le site. Après, on regarde ce que le client veut en faire, on regarde comment les deux choses peuvent se marier et on fait une contre proposition du programme. Pratiquement à chaque fois. Parce que à partir de cette analyse, on comprend les vrais nécessités. Ex: cette façade elle va être plus comme ça parce qu’on a un cours d’eau… Ici on va être plus vertical, une ligne d’arbres à conserver, une densité résultante du contexte … La volumétrie elle vient de là. Et l’architecture du projet vient de l’observation des alentours. La volumétrie arrive après trois semaines d’analyse. Elle est le résultat des analyses de site. Et des règles de construction. Et du programme ou contre-programme. Kees le dit toujours, un programme, on le considère comme une guidelines. A part quand il s’agit d’un programme très spécifique, un bâtiment de laboratoire par exemple. Surtout dans une première phase de design tu sais. C’est aussi une façon de ressentir si ils ont vraiment pensé à leur programme suffisamment. Julie : Même dans les marchés publics? Renata : Oui, il y a des compétitions où on ne respecte absolument pas le programme. Oui ça arrive. Tout est possible. Mais il faut vraiment mettre le temps et l’effort dedans. Et argumenter. C’est comme ça que je définirais l’identité Kaan. On a pas vraiment de continuité esthétique, si tu regardes les projets. En fait, c’est pas que je suis contre le fait d’être funcky. Mais il ne faut pas que ce soit pour appauvrir le lieu. On a le respect du local, au dessus de tout le reste. C’est d’abord le local, ensuite le programme, ensuite la qualité du rapport du bâtiment avec ces alentours, et si tout coche les cases et fonctionne, on se permet de faire un petit funcky par ci par là. On peut s’amuser, mais c’est vraiment vraiment
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pas important. Mais quelque chose qui ne dérange pas la qualité. Au Brésil la particularité c’est qu’il faut trouver les financements. Cette étape peut prendre deux trois ans. Pour avoir les sous. Tandis que en Europe, l’architecte arrive beaucoup plus tôt. L’argent est déjà garantie. Et c’est la liquidité des fonds qui donnent le projet. Au Brésil, l’argent met du temps à arriver. Aux USA, c’est que l’argent doit être en perpétuel mouvement. Il rentre, il sort, il faut faire du profit. C’est très agressif dans l’investissement. Les gens il calculent combien ils perdent ou gagnent et dans quel labs de temps. L’argent il faut que ça tourne, pour que ça fasse de l’argent. On ne cherche pas des territoires. On recherche des projets. Au Royaume-Uni, c’est plutôt des associations faîtes en amont avec les investisseurs. On se présente comme un groupe investisseurs - équipes de projet - comme au Brésil. Mon client à Lisbonne, on avait commencé à flirter avec l’idée de faire un consortium mais ça ne s’est pas fait. Tu sais, tout est un équilibre entre risques et efforts. Pour moi, au final je ne voyais pas pourquoi y aller. Je dois beaucoup à mon mari parce que lui il a fait un école de commerces, dans un domaine qui n’a rien à voir, mais il m’a aidé dans une formation non formelle… Très honnêtement, la seule chose qui importe, c’est de comprendre que tu peux décrocher n’importe quel projet, mais tout dépend de l’effort que tu veux mettre dedans, et si ça vaut le coup ou pas. Je ne dis pas que tout le monde peut tout faire et faire n’importe quoi mais, tout est possible. Si tu veux décrocher un projet à Singapour, tu y vas, tu leurs donnes un projet cadeau, tu montres ton portfolio… Tout est possible. Mais il faut vraiment regarder le temps et l’effort que tu dépenses. Par rapport aux résultats. Et tes envies aussi. En Suisse c’est particulier. Il faut choper un concours et bâtir le réseau ensuite. En France, tu peux commencer par bâtir ton réseau et décrocher une petite affaire et partir de là. En France, il faut vraiment avoir l’estomac.
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Salomé Attias, responsable du département Business Development et Public Ressources pour la France au sein de MVRDV Rotterdam Salomé : Je suis dans le département BD - c’est un nom un peu obscure pour dire Business Development (BD). On s’occupe de l’extension de l’activité de l’agence. On est sept personnes qui couvrons toutes les zones géographiques. Et aussi une business developer basée à Shanghai qui s’occupe des projets asiatiques. Mon rôle, c’est de m’occuper des projets français, donc ma connaissance du milieu est résumée à mon expérience française. J’ai rejoint l’agence il y a environ six mois après un passage à la Métropole du Grand Paris, où je m’occupais de l’appel à projets Inventons la Métropole du Grand Paris. Julie : Tu n’as donc pas de formation en Architecture? Salomé : Non pas du tout. J’ai fait Science Po Paris en politique urbaine. Un Master qui s’appelle STU - Stratégies Territoriales et Urbaines. On est deux du département BD sans formation à proprement dite «architecturale» mais, on vient soit de l’architecture d’intérieure soit de géographie et politiques urbaines. (Contact pour AFEX) Les agences d’architecture avec un département BD n’est pas très courant. Il y a plutôt un département en communication. Ou alors il n’y a que une personne. Mais à partir du moment où on multiplie les marchés, il vaut mieux avoir une équipe spécialisée qui connaisse le milieu, qui comprennent les enjeux des sites etc… L’idée est d’avoir une approche qualitative des opportunités qu’on choisit, par le prisme de gens qui ont travaillé sur le terrain, ou ont des connections. Faire plus que s’intéresser au bâtiment en lui - même, mais vraiment prendre un temps pour comprendre les logiques de développement territoriales. Julie : Quelles sont tes missions exactement? Salomé : Alors en fait, il y a plusieurs angles. Tout d’abord, une «analyse des opportunités». Soit on est invité pour des concours, soit en me baladant sur un internet où je repère des projets, soit un collègue reçoit une information et nous la transmet. Cette information passe par notre filtre, où on tâche de répondre à des questions qu’on a établit de manière systématique afin de faire cette analyse d’opportunité : planning, intérêt de la mission, indemnisation… C’est le travail de base. De prospection, de veille. Ensuite, vient le travail de montage des dossiers de candidatures. Pour ceux qui ne travaille pas pour la France, en général il s’agit de démarches très administratives, qui répondent au public tenders. On doit composer une équipe de maîtrise d’oeuvre et réunir les documents demandées. Mais dernièrement, avec toutes les modifications, les nouvelles procédures d’appel à projet, les consultations privées, ces modes un peu hybrides de fabrique du projet, dans ma position de business developer pour la France, je me charge aussi de réaliser les notes d’intentions, de méthodologies qui sont demandés : 10 pages d’innovations urbaines, d’intentions architecturales, des attentes qui prennent des noms différents à chaque fois. C’est un peu un travail qu’on réalise entre le business development et l’architecture. On le développe avec l’architecte. Il fait une première analyse et ensuite, on échange sur nos premières intuitions. On met ça sur papier. Le business developer l’écrit et l’architecte l’illustre. Le troisième niveau, c’est quelque chose de plus long terme. Il s’agit de placer l’agence sur la carte mentale des acteurs publics et privé français : organiser des rendez-vous avec des promoteurs privés, avec des institutions publiques, ou organiser des évènements type des expositions, des cours, etc… Histoire d’ancrer MVRDV dans le paysage français. Julie : Depuis combien de temps avez-vous entrepris ce travail? Salomé : Alors pour la France, c’est surtout dernièrement que l’on essaie de mettre le focus dessus. Pour la partie acteurs publics ce n’est clairement pas là qu’on était les plus forts. Pour les acteurs privés, il y a eu quelques projets qui ont été particulièrement médiatisés, ce qui a permis à un grand nombre de promoteurs de connaître l’agence. Et pour la partie un peu plus intellectuelle, ça fait à un moment qu’on la développe. On avait participé notamment aux projets de développement du Grand Paris, qui avait aboutie sur une exposition au Palais de Chaillot. On était donc dans cette dynamique. Mais c’était un peu mis en pause. C’est un sujet un peu transversal entre la presse et la communication, et le business development. C’est un chantier qu’on reprend un peu, au fur et à mesure. Julie : Pourquoi ça avait été mis en pause? Salomé : Et bien au final, ça n’a pas eu la notoriété médiatique attendue. Les deux projets les plus importants, c’était la rénovation du centre commercial de la Gaité - Montparnasse, et celui du centre commercial de Lyon - Part dieu. Ce ne sont pas des projets qui traditionnellement en France, attirent l’œil du journaliste, du critique, qui globalement mobilise les intellectuels. Depuis ces études, MVRDV a été un peu plus absent des problématiques urbaines en France. Alors qu’il l’est toujours très profondément aux Pays-Bas. Et pourtant, c’est pour ces deux projets que l’agence a décidé d’ouvrir MVRDV Paris. Je ne sais pas exactement toutes les raisons qui ont poussé à faire ce choix. Mais j’en vois deux évidentes. Jusqu’ici, on a toujours fonctionné avec des architectes locaux, quand on travaillait en France, et même si on a une équipe française ici. Et ensuite, pour ces deux projets, toujours avec des co-architectes pourtant, on a décidé aussi de s’occuper aussi des phases d’exécution, pour suivre au plus près la réalisation. On souhaitait être au plus près
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du bureau parisien. Pour ces deux projets commerciaux, on a une équipe qui gère depuis Paris, et l’autre depuis Lyon. Mais d’autres projets de boutiques se sont ajoutés à la liste et ça semblait alors assez évident d’ouvrir une annexe. Une des raisons serait aussi clairement dû à la présence et la personnalité de Bertrand Schippan. Il a réussit à faire vendre qu’il serait judicieux d’avoir une agence à Paris. Après, ça suit la logique de l’ouverture du bureau de Shanghai, où dans les pays asiatiques. En Chine, c’est surtout pour des raisons de propriété intellectuelle. C’était important d’avoir cette espèce de cellule, pour garder un œil sur les chantiers. Et pour l’instant ce n’est pas encore certain mais on pense à développer un MVRDV North America, à New York. Selon moi, plus que la conséquence de nouveaux projets, il s’agit aussi de comment on décide de cibler des zones, et donc des marchés particuliers, qui semblent particulièrement dynamique, ouvert, réceptif à l’architecture MVRDV. On se focalise dessus et on hésite pas à ouvrir une agence satellite. Julie : Pensez-vous que la France est ouverte et que c’est dans votre intérêt de développement? Salomé : Oui, alors d’ailleurs j’y pensais en lisant ta dernière question sur le pays idéal pour la maîtrise d’oeuvre. Je pense que la France se trouve à un confluent, à la fois sur le plan d’une recherche de qualité architecturale (surtout pour les marchés publics) et d’un vrai dynamisme de la construction et notamment des projets urbains. Si on compare à l’Europe du Sud, à l’Italie ou à l’Espagne forcément… Donc pour une agence, c’est un peu un puissant fond, une corne d’abondance assez unique. Il doit sortir 5 - 6 appels d’offre intéressant par semaine, de développement public comme privé. C’est ce qui rend le marché français très intéressant. Après, par exemple pour la Chine, je pense que ça l’est aussi parce que le marché est très réceptif à l’innovation architecturale, au geste, et puis c’est un marché de l’ultrarapidité. Par exemple un projet comme la bibliothèque de Tianjin sort de terre en deux ans. Ce qui serait totalement inimaginable en Europe. Je pense que pour un architecte, voir son projet sortir en un temps si court, ça procure une certaine jouissance qui fait qu’on décide de persister dans un certain marché, malgré le fait que les meilleures conditions ne soient pas réunies. La France a une certaine sécurité de l’UE, d’une culture vaguement commune, tout en étant un marché différent, ouvert. On a décidé d’avoir une équipe d’exécution en France : connaître les codes, les gens, l’enchevêtrement politique… J’imagine que c’est notamment pour ça qu’ils m’ont choisi pour le poste. Ayant été du côté acteurs publics, j’avais déjà des compétences dans la compréhension des jeux d’acteurs, comment leur parler… Le BD s’enrichit de profil différent que seulement ceux d’architectes. Qui on peut être une vision un peu trop EXE, même si au final, tout le monde se transforme au fur et à mesure en politicien, notamment pour les projets de grande échelle. La diversification des profils permet d’avoir davantage d’opportunités. On m’a aussi engagé en parallèle avec l’ouverture de l’agence de Paris. Pour l’instant, le futur de l’agence est un peu flou, elle a vocation à devenir une agence à temps plein. Ce qui me fait penser à la problématique de ton mémoire, qui cherche à savoir comment on ne peut faire des projets à distance, à savoir si on a besoin à un moment d’avoir un pied dans le territoire du projet. La logique de MVRDV est de garder la conception au sein de l’agence de Rotterdam, pour éviter de faire comme des agences comme SOM, BIG qui travaillent un peu comme des agences indépendantes, ce que ne voudraient les associés MVRDV. Cela pose une vraie question personnelle. Mieux vaut avoir une agence forte qui fait le design et ensuite plusieurs qui se concentrent sur l’exécution, où d’avoir des vraies agences et de Head of Design indépendant dans chaque pays. Pour le moment, on privilégie la première solution. Un raisonnement que je trouve assez logique. Ca facilite les résolutions des problèmes techniques, les échanges avec les co-architectes, en phase avec la législation qui évoluent en permanence sur place. Julie : Est-ce qu’on peut dire que malgré ça, cette antenne a aussi pour but d’être un levier pour accéder à la commande? Salomé : Alors oui complètement. Pour l’instant le BD reste à Rotterdam, mais on m’a déjà demandé si je voulais aller en France. C’est la première fonction qu’on pourrait facilement externaliser. C’est quand même plus pratique d’aller serrer des mains quand on est sur place. La France reste un pays de classe, de caste même… L’importance du réseau, des interconnexions, il y a un profond entre-soi des grandes écoles qui est toujours très prégnant. Si on fait une mise en miroir avec les Pays-Bas, cela peut être en frein à l’obtention de projet si on ne se saisit pas de ces codes sociaux, ou de ne pas s’en rendre compte. Je repense à une de tes questions sur les types de commande visées par l’agence. Clairement, il y a un idéal de la commande public. Notamment parce que d’un point de vue pragmatique, c’est avec un beau bâtiment type musée, qu’on gagne un Pritzker et pas un centre commercial. Et finalement, ça n’est pas le portfolio qui se développe le plus. On essaie, forcément, mais pour l’instant c’est assez difficile de rentrer dans ce monde là. Notamment suivant nos priorités qui seraient les équipements publics. En France, quelques acteurs ont le monopole, il y a des architectes des équipements publics. Pour MVRDV, c’est compliqué de percer ce plafond de verre. Alors, c’est là qu’on a plutôt recours aux commandes privées, soit par le biais de concours de promoteur, client privé, qui sont des projets très rémunérateurs mais qui ne bénéficient pas de la visibilité, de la couverture, et de l’aura qu’ont les projets publics. Une prégnance un peu de ces architectes qui sont connus du grand public. Pour MVRDV, on ne peut pas dire que l’agence soit connue par le très grand public. Mes amis qui ne font pas de l’architecture n’en ont jamais entendu parler. Des noms
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comme Jean Nouvel, Franck Gehry, Portzamparc ont une existence populaire ou en tout cas qui dépasse le cours de l’architecture, c’est eux qu’on retrouve quand même pour les musées, les grandes bibliothèques… Julie : C’est étonnant d’entendre que MVRDV a du mal à avoir ce genre de commande… On a un peu envie de dire que si MVRDV n’y arrive pas, qui le pourrait? Salomé : La dernièrement, on essaie de répondre à des équipements publics culturels de petite taille, échelle régionale… Mais par contre il demandent en général des références construites sur le territoire. Sauf que MVRDV fait beaucoup de conception design mais ne construit pas beaucoup au final. On se retrouve donc dans l’incapacité de répondre à pas mal de ces appels d’offre. Et ça explique aussi pourquoi les plus petites agences ne peuvent pas avoir ce marché non plus. Julie : Comment organiser vous le travail avec l’architecte local? Comment sélectionnez-vous les agences? Salomé : Alors pour la France, il y en a plusieurs partenaires habituels. SUD Architectes notamment, qui travaillent sur le projet de Lyon. Et après, ça dépend, du type de projet. Par exemple si on travaille avec des architectes promoteur, souvent ils ont déjà shortlister des architectes, on voit si ça fonctionne, on se rencontre. Mais l’idée de l’agence parisienne c’est vraiment de pouvoir commencer petit à petit à ne plus travailler avec des co-architectes. Julie : Est-ce que tu saurais quel statut judiciaire a l’agence? Salomé : Non je ne saurais pas te dire… Julie : (explications des différents statuts pour l’inscription à l’Ordre des Architectes) Salomé : Je sais qu’il n’y avait pas de société, pas de statut juridique. Mais que les associés de MVRDV Rotterdam sont enregistrés et inscrits à l’Ordre. L’idée des co-architectes, c’est vraiment pour ne pas mobiliser une équipe complète sur un chantier pendant plusieurs années. C’était toujours définit que MVRDV se charge de la conception avec les coarchitectes mais ensuite déléguait complètement aux architectes locaux. Il s’agit vraiment d’une préférence de l’agence, d’organisation. C’est un peu dans l’ADN de MVRDV de rester dans la conception plus que dans la réalisation. Julie : Dans quels autres pays essayez-vous de vous développer? Salomé : Alors, mon champs d’action, c’était la francophonie. On a essayé quelques projets en Belgique mais c’est très dur. Je ne sais pas si c’est le phénomène des voisins qui se détestent mais c’est très compliqué pour MVRDV de construire là bas. à Montréal, en Amérique du Nord francophone, et Afrique du Nord, j’essaie de pousser en ce moment. La Suisse et prochainement le Luxembourg. C’est toujours le premier projet qui est dur à avoir. On a un peu arrêter avec la Belgique, parce que les indemnités des concours sont ridicules. Que ce soit projet public ou privé. Par exemple on avait été sélectionné par un promoteur privé, et en fait on espérait que les conditions soient acceptables mais au final au final l’indemnité était de 5.000€. Il y a une vraie question de la rémunération et des modèles économiques qui varient suivant les pays. Par exemple lorsqu’on était à Montréal, on s’est rendu compte qu’il y avait une culture de la promotion complètement différente… En ce moment, il y a une nouvelle tendance, avec l’exportation des procédures de concours, les Réinventer Paris que deviennent des Reinventing cities. Sauf que les promoteurs étrangers sont complètement perdus. C’est vraiment difficile pour eux de se dire qu’ils doivent rémunérer l’équipe de conception, de s’adapter aux différents modes de faire le projet qui est assez difficile. Ce genre de projets fleurissent partout, ils se veulent internationaux, mais c’est très difficile aux agences de comprendre l’organisation. Il y a un vrai problème d’acculturation qui se pose avec ces nouveaux modes de projets. Le marché publics, c’est européaniser. Mais au final, mes collègues qui s’occupent des Pays-Bas, je vois bien qu’ils font pas du tout la même chose. Ils comprennent que les équipes soient avec des paysagistes, mais toutes cette équipe de maîtrise d’oeuvre… En Hollande, c’est beaucoup plus souple, c’est une gouvernance partagée. Il trouvent que pour la France c’est beaucoup plus compliqué. Pour les Réinventer, les architectes sont obligé d’avoir une activité de Lobbing pour faire comprendre au promoteur ces procédures. Ca représente des risques énorme pour une profession qui avait l’habitude de tout contrôler, surtout l’aspect économique. Julie : Explications sujet de mémoire en détail. Salomé : Je vais me renseigner parce que concrètement, le marché des Pays-Bas est le plus dynamique d’Europe. C’est hallucinant. Qu’est-ce qui fait qu’une agence va aller diversifier sa commande? C’est sur qu’il y a maintenant cette conscience du passé de l’âge d’or. J’aimerais bien comprendre qu’est-ce qui définit le softpower de chaque marché. Qu’est ce qui fait que MVRDV est intéressé par d’autres marchés que le sien? Je pense que ça serait pas mal de savoir quelles sont les raisons intrinsèques d’aller à la recherche de marché, surtout en tant qu’apports culturels.
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Même si dans l’Union Européenne, il y a une volonté d’homogénéisation des procédures légales avec le marché européen, et à la fois une circulation d’étrangers, avec les italiens, grecques, espagnols qui s’exportent parce qu’ils ne trouvent pas de travail dans leur pays… En ce moment, on a peut-être 50% d’Italiens dans l’agence. Qui te disent tous qu’ils ont pas de travail chez eux. Même si ça tend à montrer, de manière assez superficiel qu’effectivement ça circule, qu’il y a dialogue. Mais je pense que ça fait vraiment peur de se lancer un marché dans lequel on ne connait rien : les complexités légales, les qualités et les codes esthétiques… Il est là le vrai frein. C’est pas parce qu’on a vu des références d’un peu partout dans le monde qu’on peut se sentir suffisamment confiant pour rentrer dans un nouveau marché. C’est des enjeux politiques, un jeu de pouvoirs, d’interconnaissances entre les acteurs… En général, les maîtres d’ouvrages prennent des architectes dont ils connaissent les directeurs d’agences, les directeurs d’agences prennent les ingénieurs qu’ils connaissent etc… Je pense vraiment qu’il y a un vrai frein de la méconnaissance quotidienne du pays dans lequel on voudrait s’exporter. Je ne sais pas comment on pourrait changer ça, peut-être en ayant davantage d’école d’architecture européenne, plus de cursus intégré dans différents pays européens. En France par exemple on fait un mélange dans les équipes, une base de français qui sont en général les project-managers mais le reste de l’équipe est étrangère. Les français s’occupent de la gestion et coordination et relations avec l’équipe et les autres dessinent. Julie : Est-ce qu’on pourrait revenir sur l’origine de l’intérêt pour la France de MVRDV? Salomé : Il y a eu quelques projets en France assez tôt. Les études du Grand Paris en 2008 qui ont été un peu pivot. C’est la moment où Winy Maas devient une figure en France. D’ailleurs, quand on lit les publications françaises sur MVRDV, il y a souvent de marque «MVRDV - Winy Maas». On sent qu’on a pas l’habitude de l’agence à la hollandaise avec une étude concertée, avec plusieurs têtes. On a encore besoin de cet architecte figure. Au final, pour MVRDV, le moment où l’agence explose internationalement, c’est avec le Markethall de Rotterdam en 2014, donc assez tard. C’est un moment où il y a une reprise de croissance assez forte après la crise au Pays-Bas. Tous ces grand prix internationaux, et la compétition se joue vraiment à un niveau mondial, pour les grands prix… J’ai l’impression que le «geste architectural» est très personnalisé en France mais c’est surtout parce que les agences s’appellent comme ça. Il y a directement une espèce de fusion, entre le travail et la personne. Au Pays-Bas, il y en un espace d’anonymat qui se fait dans le nom. Il y a parfois les initiales. J’ai l’impression que ça crée moins une personnalisation. Bon après, je dis ça mais on a Rem Koolhaas qui représente peut-être la figure suprême, et dont l’ombre couvre Rotterdam. Julie : Et tu ne trouves pas ça étrange que ces missions ne soient pas prise en charge par les associés directement? Salomé : Et bien Bertrand Schippan a pris ce rôle. Il est maintenant beaucoup plus un BD à grande échelle qu’un architecte - concepteur. On commence à le faire remarquer quand les concours sont sous payés. Pour la Belgique on l’a dit très vite. Si vous voulez qu’on fasse du bon travail, et vous payer un architecte international, vous devez mettre de l’argent. C’est pas parce que les gens «dessinent et aime ça», qu’ils vont le faire gratuitement. C’est devenu un peu une bataille mais c’est clair qu’on se permet de dire ça parce qu’on peut refuser des projets. Quand j’étais à la Métropole du grand Paris, ils voulaient les architectes les plus connus mais quand l’Ordre a demandé à ce qu’ils soient rémunérés, les premières réactions ont été «Non mais ils seraient intéressés par le projet non? Et puis bon, les architectes sont bien lotis donc pas besoin de les payer». Il a fallu du temps pour leur faire comprendre que les architectes étaient plutôt les «parents pauvres de la construction». Mais c’est le côté médiatique qui donne cet impression. Le public a l’impression que l’architecte fait trois lignes sur une feuille blanche et le bâtiment change 1000 fois.
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Maxime Desmond, responsable du développement international chez Talents&Co 1. Stratégie / Commande : - Quels sont les marchés de maîtrise d’oeuvre qui intéressent les agences françaises à l’étranger? (Programme, Commande privée / publique, pays…) Les concours d’architecture internationaux sont essentiellement de la commande publique - beaucoup au RoyaumeUni, en Scandinavie, en Asie. Il existe également de la commande privée en directe, mais essentiellement dans les secteurs du luxe - hôtellerie, retail, logements de luxe... - Dans quel pays l’architecture française s’exporte? Dans les pays du Golfe, la Chine, les pays européens limitrophes et les grandes villes des Etats-Unis essentiellement. 2. Méthodologie : Le développement de projets sur plusieurs territoires requiert d’adopter une stratégie et une organisation pour une agence. Quels sont les indispensables pour cette pratique européenne / internationale? Il est nécessaire d’engager des équipes anglophones, de faire de la veille de concours et de la prospection. Organiser fréquemment des voyages ciblés pour rencontrer des acteurs locaux (promoteurs, collectivités, exploitants, hôteliers, etc. mais également potentiels partenaires architectes) est également important. Cela permet d’appréhender et comprendre le fonctionnement de l’architecture dans le pays dans lequel les architectes souhaitent travailler. 3. Agence antenne / succursale : - Est-ce que vous pensez qu’il est essentiel d’ouvrir des agences antennes ailleurs qu’en France? Oui, Non, pourquoi et comment? Non, il convient d’ouvrir une agence quand un gros projet est en cours dans un autre pays. S’il y a exportation d’une équipe, cela peut être l’occasion de créer une antenne. - Voyez-vous cette démarche comme un levier pour accéder à la commande? Une antenne locale peut être un levier mais le coût d’installation est élevé, il faut donc la conditionner à un projet gagné. Une fois l’agence installée, il est bien évidemment plus facile de faire des projets sur place. A titre d’exemple, Coldefy & Associés a ouvert une agence antenne à Hong-Kong en lien avec le concours qu’ils ont gagné là-bas pour l’Institut du Design. 4. Le statut de l’architecte : Pensez-vous que la «figure» de l’architecte varie suivant les pays? Quel ressenti en avez-vous? Comment définiriez vous celle de l’architecte Français? Celle d’autres pays dont vous êtes familier? Oui, le statut mais aussi les fonctions varient. Par exemple, en Suisse, l’architecte est la plupart du temps engagé pour des missions complètes (d’où les honoraires plus élevés d’ailleurs), alors que c’est plus rare en France (l’exécution est souvent une mission complémentaire). Cela dépend aussi du contenu des diplômes. L’enseignement en France tend à être peu technique. L’architecte français est souvent considéré comme davantage artiste qu’exécutant. Il doit souvent s’associer à des locaux pour faire naître les projets. 5. Le pays idéal : Quel est le pays idéal pour réaliser ses projets en tant qu’architecte français? Pourquoi? Il n’y a pas de pays idéal, chaque endroit a sa complexité. Il y a des lieux plus excitants que d’autres, mais ça dépend de la spécialité de chacun.
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retour d’expérience msp
Julie Le Baud, au sein de l’agence Mateo Arquitectura - HMONP 2018
résumé J’ai intégré l’agence Mateo Arquitectura à Barcelone il y a deux ans - en Septembre 2016 - après une courte expérience chez Kaan Architecten à Rotterdam. Dans ces deux agences, j’ai été surprise de voir l’importance des projets développés en France, qui occupent une grande partie de l’activité de ces deux structures. Je me suis rendue compte que pour ces agences qui pratiquent sur le territoire européen, les équipes sont formées suivant la langue de rendu du projet. L’équipe de Mateo Arquitectura est de taille moyenne* pour des projets d’une certaine envergure (10.000m2 minimum sauf exception pour des projets en Espagne), c’est pourquoi nos missions sont multiples. Ainsi, j’occupe une position volatile au sein de l’agence, oscillant entre les projets (voir liste page suivante), les missions administratives et de communication. J’occupe cependant une position «fixe» lors des nouvelles entrées de concours francophones. *10 architectes, 2 stagiaires, 2 maquettistes, une responsable de la communication, et une responsable finances
ADMINISTRATION L’organisation des tâches administratives de l’agence est répartie entre plusieurs personnes. Cette organisation mouvante et atomisée est notamment du au départ de l’associée de Josep Lluis Mateo il y a deux ans. Je me charge de la majorité des missions liées aux projets français ou francophones : pour les assurances, pour les missions avec l’Ordre des architectes, pour les contrats de missions (pour les concours dont j’ai la charge essentiellement), … Suivant les besoins et le planning des projets, je me charge du développement de l’agence sur le territoire européen, qui se présente suivant deux missions principales : les candidatures (France, Belgique, Suisse, Espagne) et la rencontre des partenaires (de maîtrise d’œuvre) en France, Belgique et Hollande.
COMMUNICATION L’agence accorde une attention particulière à la communication de son travail. De plus, Josep Lluis Mateo a été le directeur de la revue Quaderns de 1981 à 1990 années. Les travaux sont réunis dans des monographies et transmis à de nombreuses revues d’architecture, c’est pourquoi chaque projet comporte une «mission de communication», qui est prise en charge par le chef de projet, la chargée de communication et Josep Lluis Mateo. Cette «press release» est traduit en catalan, espagnol, anglais, français, systématiquement, et autre si le projet n’est pas dans une des langues citées (Allemand, hollandais). Dans ce cadre, je me suis chargée de la communication des concours du Campus Condorcet à Paris, et des Tours du WTC I - II de Bruxelles. De plus, je me charge de la recherche de nouveaux projets en Europe, principalement en France, Belgique, Suisse, Espagne. Pour les candidatures spontanées et les demandes directes de maîtres d’ouvrage, je réalise des portfolios adaptés à l’objet de la consultation.
projets Vous trouverez ici la liste de l’ensemble des projets sur lesquels j’ai travaillé depuis mes débuts au sein de Mateo Arquitectura, pour exposer la diversité des lieux qui illustre de la pratique (principalement) européenne de l’agence. Les projets en gras sont les projets développés par la suite : Nice Grand Arénas (France) Développement urbain YIWU (Chine) Concours de la Nouvelle Neue Gallery de Berlin (Allemagne) Nice Ilôt 3.1 (France) Concours du Campus Condorcet, Université Paris 1 (France) CCIB (Barcelone, Espagne) Logements à Heerguwoord (Pays-Bas) Concours pour les Tours du World Trade Center de Bruxelles (Belgique) Concours de la Fondation Toni Catany à Palma de Mallorca (Espagne) ESMA Montpellier (France) Concours ESMA Bordeaux (France)
NICE îlot 3.1 Mandataire : Mateo Arquitectura Collaborateurs : M VILO BACH Maître d’ouvrage (privé) : SCCV Fisam Nice Site: Grand Arénas, Nice, France Construction : 2019-2021 Surfaces : 36.500 m2 Budget (Prévisionnel): 48M € Programme : Résidence Tourisme, Résidence Etudiante, Résidence Sénior, Bureaux, Commerces, Logements collectifs, Logements sociaux L’agence est architecteurbaniste mandataire de l’opération de Nice Grand Arénas, où s’insère le projet, qui provient d’une commande directe. J’ai suivi les phases APS, APD et PC, dont un changement de programme à retarder l’obtention du PC : remplacer les bureaux par des logements. à cette occasion, j’ai pu assister aux réunions avec l’équipe de maîtrise d’œuvre et de maîtrise d’ouvrage. La composition de la maîtrise d’ouvrage était complexe : AMO, un coordinateur des études (project manager). Cela avait un impact sur la coordination générale du projet chaos - où la position de l’architecte était remise en cause. De plus, l’agence étant architecte-urbaniste de la zone, la maîtrise d’ouvrage profitait de
cette position pour demander des arrangements de l’aménagement urbain pour cette opération. Ceci rajoutait une complexité au dialogue qu’il était difficile de contrôler. Limites : Les relations avec l’assistance à maîtrise d’ouvrage ont amené l’agence à déléguer le développement à notre agence partenaire de Paris. Je ne connais pas les raisons exactes de cette décision, mais deux problèmes se présentaient : - Les besoins du maître d’ouvrage nécessiteraient une équipe locale. - Les moyens techniques de l’agence ne répondent pas à l’expérience et l’énergie à fournir pour un projet d’une telle envergure.
esma montpellier Mandataire : Mateo Arquitectura Maître d’ouvrage (privé) : Cité créatif Site: Montpellier, France Construction : 2018-2022 Surfaces : 17.000m2 Budget (Prévisionnel): 18,5M € Programme : école des numériques, résidence étudiante.
arts
L’ESMA (école Supérieure des Métiers d’Arts) est un projet issu d’un concours privé. J’ai suivi les phases PC, PRO et DCE, en développant principalement les détails des façades, en collaboration avec un BET façadiste. Un partenariat très enrichissant qui m’a permis d’apprendre sur les aspects techniques et réglementaires avec un spécialiste. Celui-ci, qui travaille principalement en Suisse et en Espagne, était alerte des contraintes de la réglementation française, et ces connaissances nous ont permis de trouver des alternatives et compromis pour réaliser les façades au plus proche de l’esquisse initiale. Ce BET ne faisait pas partie de l’équipe de maîtrise d’œuvre initiale, il a collaboré à la demande de l’agence uniquement.
NICE GRAND ARENAS Mandataire : Mateo Arquitectura Maître d’ouvrage (public) : EPA éco Vallée Site: Montpellier, France Surfaces : 51 hectares dont 900.000m2 construits Budget (Prévisionnel): 60M € Programme : Aménagement urbain du nouveau quartier de Nice Grand Arénas. Développement de la zone du Pôle Multimodal. L’aménagement de Nice Grand Arénas a été obtenu à travers une procédure d’Accord-cadre. Le projet a commencé il y a près de 9ans. La zone du Pôle Multimodal sera bientôt terminée. J’ai suivi la phase EXE avec la réalisation de plans d’exécution, avec notamment la transformation d’une voirie réservé au bus en jardin et place. La ville en accord avec l’aéroport de Nice ont décidé de changer le plan de circulation alors que les travaux de la voirie était en cours. L’agence a du imaginer une alternative avec les contraintes des travaux réalisés, dans un temps de conception très court. Il était très intéressant de voir le dialogue instauré entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre pour trouver une solution malgré le poids financier de cette modification.
Campus Condorcet, PariS Mandataire : Mateo Arquitectura Maître d’ouvrage (public): Université Paris 1, Ville de Paris, CROUS Paris Site: Paris, France Surfaces : 18.000m2 Budget (Prévisionnel): 45M € Programme : Campus Condorcet de Porte de la Chapelle, Université de Paris 1, locaux associatifs pour la Ville de Paris, Restaurant universitaire du CROUS Ce concours est issu de la commande publique. L’agence a été sélectionnée parmi trois autres agences parisiennes, alors qu’elle n’a pas de référence d’établissement universitaire construit. J’étais en charge de l’organisation de l’équipe de maîtrise d’œuvre. Il était très intéressant de voir le processus de conception dès les premières esquisses, et la confrontation avec les réalités techniques du projet. Les réunions étaient organisées à travers de visio-conférences, qui étaient très efficaces et rendu possible grâce au BET TCE. Des échanges très enrichissants, où chaque partenaire était investit et ouvert aux esquisses de l’agence, dans une recherche active pour trouver les solutions techniques adéquates.
WTC i - ii, bruxelles Mandataire : Mateo Arquitectura Maître d’ouvrage (privé) : Befimmo Site: Bruxelles, Belgique Construction : 2018-2022 Surfaces : 120.000 m2 Budget: à définir, Libre Programme : Bureaux, Logements, Centre de conférences, Hôtel, Commerces Ce concours d’idées consistait en la réhabilitation des deux tours WTC I-II à Bruxelles, actuellement occupées par des Bureaux. Le programme du futur projet avait été défini avec le Bouwemeester, pour apporter de la mixité au quartier Nord de Bruxelles («quartier d’affaires»). Les architectes Jaspers-Eyers avait réalisé des études préliminaires, notamment sur la faisabilité de conservation des deux tours. Il s’agissait d’un concours d’idées, visant à définir l’imbrication programmatique, mais aussi d’avoir position sur les actuelles deux tours, dans un soucis d’économie de projet de d’économie circulaire. Pour ce concours, j’ai pu aborder différentes questions sur la conception du projet : - la mixité programmatique comme outil de mutation de l’identité d’un quartier - la transformation d’un bâtiment monofonctionnel en multifonctionnel (nouvelles mobilités, articulations,
technicités,…) - L’!ntégration de la notion d’économie circulaire comme processus de conception - Le questionnement des volontés du maître d’ouvrage au vue de la complexité et de l’ambition du projet (densité) Les éléments de rendu étaient libres (présentation orale), mais nous devions rendre des commentaires sur le contrat de missions fourni par le maître d’ouvrage. à cette occasion, j’ai pu apprivoiser un premier contrat, et échanger avec des avocats belges pour en comprendre les particularités de la maîtrise d’œuvre privée en Belgique. Limites : J’ai pu remarquer trois limites dues à la découverte de Bruxelles comme nouveau territoire : - Un potentiel client avait été énoncé comme futur acheteur, et cette information était déterminante dans l’élaboration du projet (Les bureaux devaient rester la priorité dans l’organisation programmatique) - Des contraintes météorologiques (vent) qui ont discréditées les intentions urbaines de notre proposition - Le suivi des prochaines études nécessitaient une présence régulière, (workshops hebdomadaires) qu’il aurait été difficile de tenir.
esma / etpa bordeaux Mandataire : Mateo Arquitectura Maître d’ouvrage (privé) : Cité créatif Site: Bordeaux, France Construction : 2020 - 2023 Surfaces : 12.000m2 Budget (Prévisionnel): 17M € Programme : Ecole des numériques, résidence étudiante.
arts
Ce concours privé est le deuxième réalisé par l’agence avec ce client (ESMA Montpellier). Il s’agit d’une sélection directe, rémunéré, mais les éléments du Règlement de Concours se basent sur les concours des marchés publics. Il est intéressant de voir les étapes de rendus du concours. En effet, le processus n’est pas réglementé, mais le maître d’ouvrage veille à établir une relation avec la ville (EPA Euratlantique) dès les premières esquisses. Chaque réunion avec la municipalité est précédée d’une rencontre privée avec le maître d’ouvrage, où nous définissons les choses à montrer ou à modifier pour répondre aux attentes de la ville de Bordeaux. En comparaison avec les concours de la maîtrise d’ouvrage public, le rendus intermédiaire et le possible dialogue avec le maître d’ouvrage est très bénéfique pour le développement de l’esquisse.
Mise à distance Mon expérience au sein de l’agence Mateo Arquitectura me donne un aperçu de la pratique européenne de l’architecte. En effet, l’agence ne voit aucun obstacle à la distance avec le site du projet, et n’hésite pas à se donner les moyens pour mener les projets depuis Barcelone. L’équipe est mobile quand il est indispensable de l’être, et un équilibre est trouvé avec chaque maître d’ouvrage. Cet équilibre évolue suivant les phases et la complexité du projet. L’organisation est chaotique pour tenir le planning de ces déplacements et les disponibilités de chacun des architectes de l’agence. Cependant, nous sommes amenés à acquérir une flexibilité de travail qui est très enrichissante sur le point professionnel autant que personnel. J’observe certaine limite à cette exportation de la maîtrise d’œuvre, notamment sur les phases exécutives et le suivi de chantier, si l’on compare avec la présence des partenaires sur le site, mais des arrangements sont finalement toujours trouvés. Je pense aussi que certains «codes» nécessite plus de temps à intégrer comme des automatismes, mais qu’il s’agit d’un apprentissage, comme tout autre paramètre de la pratique. L’agence réfléchit à l’investissement de chaque projet en amont, avant de se lancer dans les procédures et démarches. C’est pourquoi elle privilégie des opérations d’une certaine envergure. Elle peut ainsi prendre certains frais à son compte, tels que l’intégration de BET particulier pour la conception, ou certains déplacements. Si je pense à mon parcours personnelle, je ne sais pas si je pourrais prétendre à une telle ambition dans un futur proche ou lointain, mais j’apprends les moyens mis en place pour rendre cette pratique possible. L’expérience me permet de développer un réseau et une compréhension des mécanismes à adopter suivant les pays. Cette expérience est l’occasion de développer des relations avec d’autres structures, architectes, paysagistes et de nombreux BET. à travers ce mémoire, j’ai pu dialogué avec d’autres acteurs qui ont une pratique européenne,et qui m’ont permis de voir que les mêmes interrogations traversaient les agences.
résumé Ce mémoire s’intéresse à une pratique européenne de la maîtrise d’œuvre. Nous explorons deux grandes questions liées à l’exportation des architectes dans des territoires multiples : - Pourquoi l’architecte devrait s’interesser à la maîtrise d’oeuvre et aux marchés de l’ensemble du territoire européen? - Quelles stratégies adoptées pour accéder à la maîtrise d’oeuvre sur des territoires étrangers? Pour cela, nous nous appuyons principalement sur des études interministérielles menées par le Ministère de la Culture et de la Communication qui mettent en parallèle les spécificités du marché de la construction en Europe, et sur des retours d’expériences des agences Kaan Architecten (Rotterdam) et MVRDV (Rotterdam) et Mateo Arquitectura (Barcelone).