La brique de terre crue compressée : pour une nouvelle tradition à Mayotte?
Mémoire de recherche Auteur JULIEN OHLING Enseignant encadrant GHISLAIN HIS Séminaire de recherche LA MATÉRIALITÉ COMME RÉCIT, L’ÉCRITURE COMME MATIÈRE Domaine d’étude MATÉRIALITÉ, CULTURE ET PENSÉE CONSTRUCTIVE mai 2014 École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille
# Table des matières # Introduction p1 #I Apparition d’un matériau p5 1. Les conditions d’apparition de la BTC à Mayotte. p6 1.1 L’architecture traditionnelle à Mayotte : deux types de cases p6 1.2 Des conditions de vie précaires p9 1.3 Une société en mutation p10 2. Deux rêves projetés sur Mayotte p11 2.1 Rêve de béton p12
2.2 Rêve de terre p13 #II Expérimentations et mise en œuvre p16 1. Le choix de la BTC p16 1.1 Des matières p17 1.2 Des matières au matériau p18 1.3 Le cru p21 2. Quel habitat pour Mayotte ? p22 3. Conception et mise en œuvre p23 #III La mise en place de la filière p26 1. la mise en place de la filière BTC p27 2. Les briqueteries p28 3. La formation p29 4. La démarche qualité et la normalisation p30
#IV La dimension vernaculaire de la BTC p33 1. Le caractère local en question p33 2. Une modernité issue du continent p34 3. Vers une nouvelle tradition à Mayotte? p35 4. Perception et matérialité p37 # Ouverture p39 # Glossaire p41 [ACTEURS] p41 [DÉFINITIONS] p43 # Bibliographie p45
# Introduction « Il n’y a pas d’objet ″ nu ″ » Gottfried Semper.1
La fabrication et la mise en œuvre de la brique de terre crue compressée (BTC*) se sont développées sur l’île de Mayotte à partir de 1981. Ce matériau de construction apparaît sur l’île dans le cadre du ″programme habitat″ lancé par la Direction de l’Équipement de Mayotte et la Société Immobilière de Mayotte (SIM)2. En 1978, la population de cette île vit dans un habitat « constitué de constructions précaires à 90% »3 et « dans des conditions jugées insalubres selon les normes européennes d’hygiène et de confort »4. Le programme cherche à y remédier par la construction d’habitats sociaux. La démarche adoptée se constitue autour de la volonté de favoriser l’emploi des ressources de l’île en matières premières et en main d’œuvre. La terre utilisée jusqu’alors sous forme de torchis dans l’architecture traditionnelle est présente en abondance. Elle est choisie pour la recherche d’un matériau moderne et d’une architecture pérenne spécifique à Mayotte. Pour développer cette réflexion, le Centre de Recherche et d’Application du matériau Terre de Grenoble (CRATerre)5 a été 1 SEMPER Gottfried, Du style et de l’architecture, écrits 1834‐1869, Parenthèses, Marseille, 2007, p12. 2
La Société Immobilière de Mayotte (SIM), créée en 1977, est une cellule de la Direction de l’Equipement de Mayotte (DE) chargée de la conception et de la coordination des programmes pour l’habitat social. 3 CAUE de la Réunion [s.d], catalogue d’exposition, 15 ans d’architecture à Mayotte, le pari du développement local, SIM, 1995, p20. 4 Ibid, p20. 5 Centre international de la construction en terre, le CRAterre est basé à l’école d’architecture de Grenoble depuis 1979. Cette association et laboratoire de recherche est une équipe pluridisciplinaire et internationale qui œuvre à l’actualisation des savoirs sur le matériau terre. *Les termes en gras sont référencés dans le glossaire p41.
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contacté pour la conception d’une architecture de terre durable, appelée à remplacer celle de bois et de torchis. Le matériau retenu après de nombreux essais est la brique de terre crue compressée qui permet d’utiliser les ressources de l’île et de proposer une alternative à l’utilisation de parpaings, alors fabriqués avec le sable des plages. Cette démarche se veut respectueuse du mode de vie mahorais et de l’écosystème de l’île. L’équipe du programme habitat propose de ne pas imposer une architecture occidentale, mais d’implanter une architecture néo‐traditionnelle typiquement mahoraise. L’idée est paradoxale : Comment un nouvel habitat, conçu par des personnes de culture étrangère peut‐il former une nouvelle tradition ? L’emploi de la terre provenant du sol de cette île dans la composition des BTC suffit‐il à faire de ces constructions une architecture mahoraise ? De plus, la terre n’est synonyme ni de modernité, ni de réussite sociale pour les habitants. Elle est associée au torchis de leurs constructions vétustes et ne reçoit pas d’emblée un accueil favorable. Comment, de ce fait, changer l’image de cette matière ? Deux rêves sont projetés sur Mayotte : celui de la terre et celui du béton. L’architecture développée par l’équipe du programme habitat s’exprime par des formes réactualisées issues de l’étude des typologies vernaculaires. Les mahorais, eux, entretiennent le rêve d’une modernité bétonnée inspirée de l’architecture occidentale. Comment envisager la construction en BTC dans ce contexte? Un état des lieux des conditions de vie et de la situation politique de Mayotte permettra, dans un premier temps, de comprendre ce qui a présidé à l’établissement de cette nouvelle architecture de terre et comment celle‐ci s’est mise en place.
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Les ouvrages de Jon Breslar sur l’architecture mahoraise vernaculaire donnent les moyens de comprendre le mode de vie traditionnel de cette île et de son organisation sociale et spatiale. Quel habitat pour Mayotte ?6, ouvrage de Monique Richter paru en 2000, permet de prolonger cette étude dans le contexte actuel et de comprendre à quelle modernité aspire les habitants de cette île. Ce renouveau architectural va nécessiter des expérimentations dont l’équipe du CRATerre et la SIM vont être les principaux acteurs. Cette seconde partie s’appuiera sur des essais à l’échelle 1 de fabrication de briques de terre crues compressées, ainsi que sur l’étude de plusieurs rapports d’activités, publications et catalogues d’expositions. Ces différents documents permettront de questionner la pertinence de la réponse apportée au contexte mahorais dans sa partie plus technique. Une troisième partie explicitera la démarche proposée par l’équipe du programme habitat. Celle‐ci s’appuie sur l’étude de Jon Breslar afin de formuler une réponse adaptée au mode de vie des habitants de l’île. L’idée de ce programme est de favoriser un développement endogène de Mayotte et de faire du secteur de la construction un des vecteurs de ce développement. Ces choix seront mis en parallèle avec le travail de l’architecte Egyptien Hassan Fathy pour le projet de New Gourna, afin d’en cibler les différences et les similitudes. L’historique et les principes de fonctionnement de la filière terre seront énoncés afin de comprendre comment le fonctionnement de cette filière impacte l’architecture produite. Les discours des architectes tels que Vincent Liétar7 et Patrice Doat8 qui ont participé à la mise en œuvre de cette démarche à Mayotte et à la réalisation de certaines opérations permettent de comprendre les enjeux du projet mahorais et de voir quels ont été les réticences et les obstacles rencontrés. Par ailleurs, il s’agira de mettre en perspective cette démarche avec les évolutions des besoins de l’île au fil du temps. 6
RICHTER Monique, Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, L’Harmattan, Paris, 2005. Vincent Liétar est architecte français qui travail à Mayotte depuis 1981. Il a notamment travaillé pour la Société Immobilière de Mayotte sur le programme d’habitats sociaux. 8 Patrice Doat est un architecte français diplômé de l’Unité Pédagogique de Grenoble (UPAG) en 1975, co‐fondateur du CRATerre et des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau. Il dirige un laboratoire de recherche au CRATerre sur le thème des matériaux. 7
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Une dernière partie permettra de questionner la réception de ces expérimentations par les habitants. Au début de la démarche, la terre était considérée comme pauvre et archaïque et son utilisation n’était pas toujours perçue comme une amélioration par la population. Qu’en est‐il aujourd’hui ? Sans pouvoir répondre de manière catégorique, il s’agira d’esquisser quelques pistes de réflexion à la question de Patrice Doat : «Comment faire comprendre à une population que la terre peut être un matériau résistant ? »9
Depuis trente ans, 20 000 logements et de nombreux équipements publics ont été construits en briques de terre. Cette production considérable prétend rendre visible l’émergence d’une identité mahoraise née d’une politique de l’habitat particulière. Selon Gottfried Semper, « c’est d’abord et avant tout parce que sans idée ou volonté politique préalables qui donnent l’impulsion, il ne peut pas y avoir de style architectural, qui a pour vocation de leur donner une forme, de les revêtir. »10 Seulement, dans le cas présent, si l’impulsion est mahoraise, son développement est ouvertement occidental. Ainsi, il parait nécessaire de questionner les limites de cette démarche, dans sa dimension endogène. 9
DOAT Patrice, entretien téléphonique du 7 mai 2014. SEMPER Gottfried, Du style et de l’architecture, écrits 1834‐1869, op.cit, p17.
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#I Apparition d’un matériau Depuis les années 1980, l’île de Mayotte, est le terrain d’expérimentation d’une architecture particulière. Celle‐ci possède la particularité d’avoir des murs de briques. La base de ces murs est posée sur un socle et n’est pas en contact direct avec le sol [1]. La toiture, quant à elle, est souvent réalisée en tôle métallique. Les deux pans légers couvrent les murs et permettent d’en éloigner la pluie. Ces murs tantôt sont massifs et porteurs [2], tantôt ils remplissent une ossature de béton [3], de métal [4] ou de bois [5]. Les ouvertures, peu nombreuses et étroites contribuent à renforcer l’impression de massivité de cette architecture. L’appareillage (façon d’agencer les briques dans le mur) est visible et forme un motif régulier qui permet de lire les éléments des murs. Ce motif peut apporter une dimension ornementale selon sa mise en œuvre [6]. Ces briques sont le plus souvent peintes [7] et quelques fois laissées apparentes [8]. Lorsqu’elles sont peintes, les bâtiments ponctuent le paysage de touches colorées et s’en démarquent. « La SIM s’est appropriée les couleurs les plus présentes dans la nature mahoraise qui sont devenues l’identité de ces constructions, désormais largement adoptées dans l’île. »11 On rencontre ces bâtiments un peu partout sur cette île de 375km². Les murs de briques sont utilisés pour produire des maisons, mais aussi des bâtiments publics. Leur emploi a permis l’émergence d’un nouveau vocabulaire architectural, d’un nouveau paysage. Ceci peut paraître anecdotique, pourtant, sur cette île française située en plein océan indien à 8000km de la métropole, cette architecture est issue d’une démarche particulière, qui n’a rien d’anecdotique, et répond à des besoins et objectifs bien précis. Les conditions d’apparition de ce matériau à Mayotte sont multiples. Pourquoi une telle architecture a‐t‐elle vu le jour à Mayotte ? En quoi est‐elle particulière ? 11
LIÉTAR Vincent, « Logement social », catalogue d’exposition, Construire en terre mahoraise, architecture et développement local, 2010, p18, disponible sur http://craterre.org/diffusion:expositions/view/id/ee6fd367d1b07c66442a50fff2ebd173, [consulté le 28 septembre 2013].
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1. Les conditions d’apparition de la BTC à Mayotte. Un état des lieux du contexte de l’île de Mayotte avant l’apparition de la BTC est nécessaire pour comprendre la pertinence de la démarche. La terre, indispensable pour la confection de ces briques est issue du sol de l’île. Elle est déjà employée dans l’architecture vernaculaire sous forme de torchis. 1.1 L’architecture traditionnelle à Mayotte : deux types de cases L’habitat traditionnel mahorais est constitué de cases (Nyumba) de deux types : les cases végétales ou les cases en terre. Les cases végétales utilisent pour la plupart une structure en châssis réalisée en raphia ou en lattes de bambou [9]. Cette structure forme un ″cadre″ perme ant de fixer les panneaux de remplissage. Ces derniers, faits de palmes de cocotier tressées ou de feuilles de raphia sont laissé apparents [10]. Dans les cases en terre, le torchis est utilisé sur un treillis de bois pour former les murs des maisons [11]. La terre est donc utilisée comme revêtement, produit à partir d’argile mélangée à de la paille. La mixture est ensuite appliquée sur le treillis de bois [12]. La terre est extraite sur place et sa mise en œuvre ne nécessite pas d’outillage sophistiqué. Une fois le torchis sec, les parois forment un ensemble résistant. La toiture quant à elle, est composée de feuilles de cocotier tressées ou de chaume. La recherche d’une architecture résistante aux aléas climatiques est déjà présente à Mayotte avant le programme habitat. À partir de 1920 les cases Trotro12 sont privilégiées par rapport aux cases végétales majoritairement détruites lors du passage d’un cyclone13 [13]. Les parois mixtes de torchis et de bois sont encore employées pour 12
Trotro : signifie terre en mahorais. Ce nom fait aussi référence à un type de case en terre. CAUE de la Réunion [s.d], catalogue d’exposition, 15 ans d’architecture à Mayotte, le pari du développement local, op.cit, p14.
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la construction des bangas [14], petites maisons d’une pièce, que les jeunes garçons construisent à l’âge de la puberté et qui sont le symbole d’une première émancipation. Elles sont en général construites en périphérie du village. L’adolescent mahorais vit traditionnellement dans cette case jusqu’à son mariage. Le couple habite ensuite dans la maison de l’épouse. Les cases en terre possèdent une forte relation au paysage. La relation entre la terre rouge du sol et le torchis participe à l’intégration de cette architecture à son environnement [15]. Matériau biodégradable, le torchis participe au cycle de la terre qui passe de l’état de matière à celui de matériau, puis de bâtiment pour redevenir matière (terre‐torchis‐case‐terre). Ces deux types d’architectures sont issus de l’utilisation des ressources naturelles, facilement accessibles et manipulables. Elles sont également le fruit « d’entreprises communautaires »14, d’une culture partagée formant une tradition. Au regard de la définition d’Ivan Illich proposée dans son ouvrage, le genre vernaculaire, le terme vernaculaire est : « un terme technique emprunté au droit romain, où on le trouve depuis les premières stipulations jusqu’à la codification par Théodose. Il désigne l’inverse d’une marchandise. Était vernaculaire tout ce qui était confectionné, tissé, élevé à la maison et destiné non à la vente mais à l’usage domestique »15. Les cases mahoraises relèvent du vernaculaire. Elles appartiennent à une tradition, à un art de vivre en relation direct avec un milieu qui fournit les ressources pour les construire.
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RUDOFSKY Bernard, architecture sans architectes, brève introduction à l’architecture spontanée, Chêne, Paris, 1977, p4. 15 ILLICH Ivan, Le genre vernaculaire, Seuil, Paris, 1983, cité par FRAY Pierre, Learning from vernacular, pour une nouvelle architecture vernaculaire, Actes sud, Arles, 2010, p74.
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La typologie d’habitat traditionnelle de Mayotte est composée de deux éléments appelés : l’ensemble Nyumba‐Shanza (la case et l’enclos) [16]. Dans le shanza on retrouve, de manière générale, plusieurs constructions : un espace destiné à la préparation des repas, un grenier, les commodités, le poulailler. La clôture qui limite le shanza porte le nom de mraba. Elle est confectionnée à l’aide de feuilles de cocotier serrées ou de lattes de bambou [17]. Une entrée en chicane permet d’accéder directement à l’intérieur de l’enclos pour la famille ou les invités. Cette architecture semble se développer autour de la notion de clôture, qui donne sa cohérence à la cellule familiale. Le mraba délimite et définit le territoire de chaque famille. Le shanza peut être découpé pour en accueillir d’autres membres. En cas de regroupement de plusieurs maisons dans un même shanza, les équipements sont partagés. « Ainsi, une parcelle de 400m² peut être découpée en trois parties par exemple en l’espace de dix à quinze ans »16 [18]. La nyumba quant à elle est souvent composée de deux pièces : la pièce de l’homme et la pièce de la femme [19]. Généralement, une varangue (sorte d’auvent) permet d’aménager un espace d’accueil entre la ndzia (la rue) et l’intérieur du logement. Cet espace couvert sert aussi de lieu de repos ou de discussion. La pièce de l’homme possède un accès direct depuis l’extérieur et sert de pièce de réception. La pièce de la femme est accessible par la pièce de l’homme et donne sur la cour. L’organisation de la case traduit le fonctionnement social de la société mahoraise traditionnelle. Tout est rapporté au groupe et très peu de place est laissée à l’individu. « Les activités quotidiennes se passant à l’extérieur et non à l’intérieur, la nyumba est peu utilisée. Ses dimensions sont réduites, elle mesure en moyenne trois mètres de large et cinq mètres de long. »17 Ces conditions de vie sont encore courantes à Mayotte en 1980. La vie mahoraise est majoritairement structurée par une économie de subsistance regroupée autour de la pêche et de l’agriculture. Les habitants produisent ce dont ils ont besoin pour se
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LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., disponible sur http://www.grenoble.archi.fr/servideo/spip.php?article68, [consulté le 10 avril 2014]. 17 RICHTER Monique, Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, op.cit, p22.
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nourrir et pour se loger. Le basculement de Mayotte sous influence française va transformer la société traditionnelle et son équilibre. 1.2 Des conditions de vie précaires Les quatre îles de l’archipel des Comores [20, 21] se trouvent sous protectorat français depuis 1886. Mayotte est la seule île à voter pour son rattachement à la France par voie de référendum en 1974. En 1976, un nouveau référendum fait définitivement basculer Mayotte dans le territoire français. Elle devient département et territoire d’outre‐mer. Suite à cet événement politique, la France constate le caractère précaire des conditions de vie mahoraises. En 1980, le réseau électrique et les voies de communications sont quasiment inexistants, il faut une demi‐journée en voiture pour aller du nord au sud de l’île (50km). L’eau n’est pas courante, les mahorais vont la chercher au puits. Les constructions traditionnelles ont une durée de vie d’une dizaine d’années et doivent constamment être refaites après la saison des pluies. Ces cases rudimentaires possèdent de nombreux défauts de construction qui les rendent vulnérables à plusieurs niveaux. Les points faibles de ces habitations traditionnelles sont relatifs à l’ossature et au soubassement d’une part, et aux matériaux de revêtement d’autre part. La structure de ces cases n’est pas stable car elle n’est pas contreventée et pose donc des problèmes de stabilité [22,23]. Le soubassement quant à lui n’est pas protégé contre l’eau de ruissellement et se dégrade très vite [24]. L‘entretien est conséquent. Il faut par exemple refaire les parois en cocotier tressé tous les deux à trois ans18 car celles‐ci pourrissent avec la pluie. Le seul bâtiment construit en dur est la mosquée. Pour cette population, musulmane à 98%, « l’un des premiers devoirs financiers est de
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CAUE de la Réunion [s.d], catalogue d’exposition, 15 ans d’architecture à Mayotte, le pari du développement local, op.cit, p13.
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participer à la construction et à l’entretien des mosquées. »19 Ces édifices sont construits en maçonnerie de pierre et enduites de chaux. La question de la production d’un nouvel habitat, mieux conçu et plus résistant s’est posée comme un nouvel enjeu. Les mahorais demandent la production de logements plus confortables, « capable de résister aux phénomènes naturels tels que cyclones, tremblements de terre, pluie et chaleurs tropicales, termites»20 . 1.3 Une société en mutation L’État français représenté par la Direction de l’Équipement implantée à Mayotte en 1976, décide avec l’aide d’une équipe pluridisciplinaire d’instaurer dès 1978 « une politique de l’habitat intégrant la participation des mahorais à leur propre développement »21. Concrètement, il s’agit de développer Mayotte en utilisant ses ressources en matériaux et de créer des emplois. Un programme, nommé ″ programme habitat ″ concerne à la fois la construction d’habitats sociaux en accession à la propriété et de logements locatifs. Ces logements sociaux servent à remplacer les cases traditionnelles et les logements locatifs sont réservés aux fonctionnaires venus de métropole. Le programme est financé par la Ligne Budgétaire Unique du Ministère de l’Outre‐mer, mais aussi par les collectivités locales et le Syndicat Mixte d’Investissement pour l’Aménagement de Mayotte (SMIAM)22.
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RICHTER Monique, Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, op.cit, p17. TAPIE Guy [s.d], Maison individuelle, architecture, urbanité, éd. de l'aube, La Tour‐d'Aigues, 2005, p170. 21 CAUE de la Réunion [s.d], catalogue d’exposition, 15 ans d’architecture à Mayotte, le pari du développement local, op.cit, p20. 22 Ibid., p31. 20
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« 5000 logements sur 10ans »23 est l’objectif fixé par l’équipe en charge de ce programme. Cela permettra à la fois de répondre au besoin de modernisation mais aussi de faire face à l’augmentation significative de la population. La démographie de l’île est en constante augmentation. Elle passe de 47 000 habitants en 1979 à 212 645 en 2012 selon l’Insee. La demande s’étend aussi aux bâtiments publics, en particulier les écoles, peu nombreuses sur l’île bien que plus de 50% de la population de Mayotte ait moins de vingt ans. La contrainte économique est importante : les moyens financiers attribués à ce territoire sont faibles, de l’ordre de 45€/m² (subvention d’État)24 pour le programme de logements sociaux. Mais quelle architecture produire à Mayotte ? Comment répondre à cette demande conséquente avec un tissu d’entreprises quasiment inexistant ? 2. Deux rêves projetés sur Mayotte Depuis la fin des années 1970, les techniques traditionnelles sont peu à peu abandonnées au profit de matériaux importés (béton armé, tôle, bois exotiques…). Les matériaux traditionnels, dont la terre et les végétaux, utilisés jusqu’alors deviennent obsolètes et signes de pauvreté. Deux nouvelles manières de construire apparaissent. L’une rejette complètement la tradition au niveau des matériaux employés. Ce nouvel habitat est fait de parpaing, de béton et de tôle qui sont soit importés, soit produits sur l’île (cas du parpaing). L’autre adopte une démarche permettant de trouver une architecture adaptée à Mayotte et construite avec les ressources de l’île. Plusieurs matériaux et typologies d’habitats sont testés. Le développement d’une filière de production de briques de terre crue compressées est retenue. 23
LIÉTAR Vincent, « Une politique de l’habitat inédite », catalogue d’exposition, Construire en terre mahoraise, architecture et développement local, 2010, p4, op.cit. 24 LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], op.cit.
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2.1 Rêve de béton Le parpaing de ciment, produit à Mayotte, se développe à la fin des années 1970. Il « incarne le matériau moderne par excellence »25. Pour la population locale, « la maison en parpaing est assimilée à une réussite sociale »26. Ce phénomène rapporté par Monique Richter dans son ouvrage intitulé : Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, paru en 2005 nous renseigne sur l’aspiration de la société mahoraise à transformer de manière radicale son habitat. Comment comprendre cet intérêt pour le béton ? La construction en béton bénéficie d’une image de pérennité à la différence de la construction en terre. D’où provient cette image ? Ce cas n’est pas spécifique à Mayotte. Il existe sur les autres îles comoriennes, une architecture de pierre. Celle‐ci est détruite au profit de maisons reconstruites en parpaing et en béton. Les échanges permanents entre les quatre îles de l’archipel favorisent l’introduction d’un nouveau style à Mayotte. « Ce nouveau style fait référence aux typologies repérées à la Grande‐Comores et lui‐même d’inspiration méditerranéenne »27. Les échanges entre Mayotte et la France ou d’autres pays participent aussi à l’introduction de nouvelles techniques de construction. Monique Richter, indique que « la télévision est sans nul doute un autre vecteur de propagation des valeurs et/ou des images de la société occidentale moderne. »28 La télévision peut alors être considérée comme un élément supplémentaire ayant des répercussions sur la construction à Mayotte et sur le comportement des mahorais. Cette architecture de béton est courante à Mayotte, on la rencontre partout. Elle se caractérise notamment par des fers à béton laissés en attente pour développer les constructions en hauteur et une toiture terrasse. Ce type de construction est non
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RICHTER Monique, Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, op.cit, p32. ibid, p32. 27 TAPIE Guy [s.d], Maison individuelle, architecture, urbanité, op.cit, p136. 28 RICHTER Monique, Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, op.cit, p27. 26
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encadré et réalisé en autoconstruction. Ces maisons sont plus grandes que les cases et intègrent le confort moderne. Cependant, les parpaings et le béton mahorais sont réalisés avec le sable de plage. Ceci pose un problème de pérennité du rivage de l’île, ce qui porte préjudice au développement du tourisme et à l’équilibre écologique du lagon. D’un point de vue constructif, l’utilisation de ce sable représente un danger du fait de la réaction chimique produite par le contact sel/ciment qui fragilise les parpaings. De plus, ce type de construction est inadapté au climat de Mayotte. Le climat subtropical de l’île est marqué par deux saisons principales. La saison chaude, saison des pluies, s’étend de novembre à avril et la saison sèche, de mai à octobre. Les maisons deviennent vite inconfortables l’été. Les climatiseurs et autres organes techniques destinés à améliorer le confort de ces constructions mal conçues fleurissent de toutes parts. Ils augmentent alors la dépendance des foyers mahorais à l’énergie électrique. Face à ce phénomène, la démarche initiée par les acteurs du programme habitat est de trouver une alternative plus adaptée. La réalisation d’un grand nombre de logements demande de trouver d’autres modes de constructions. « Il était hors de question de proposer des constructions en parpaing de ciment »29. 2.2 Rêve de terre L’équipe du programme habitat décide de développer Mayotte à partir de ces ressources et a orienté ses recherches vers des solutions concevables in situ. Cette démarche réunit plusieurs objectifs qui sont de favoriser l’emploi des ressources locales, de développer le secteur de la construction par la création de savoir‐faire et de faire participer les familles à l’acte de construire. Ce programme habitat doit
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SCHEER Elisabeth [s.d], Actualité de la construction en terre en France, actes du Séminaire, Paris, 1982, p.132.
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permettre de créer des « retombées locales »30 et ainsi participer au développement économique mais aussi social de Mayotte. Il doit aussi inciter la population à trouver d’autres moyens de construire. Avant de mettre en place ce programme, une étude ethnologique est confiée à l’anthropologue américain Jon Breslar en 1979. Elle a pour but de comprendre les modes de vie et l’architecture traditionnelle de Mayotte. Les études menées portent sur le lien entre organisation spatiale des villages et organisation des familles ainsi que sur l’organisation des espaces domestiques.31 En 1979, Jon Breslar publie un ouvrage de deux volumes consacrés à l’habitat mahorais. Ces travaux ont permis de comprendre la structuration de l’habitat à Mayotte et la manière dont il est vécu. Cette démarche est à rapprocher d l’idée formulée par Gottfried Semper selon laquelle : « Nous ne pouvons pas comprendre les caractères individuels des différents systèmes architecturaux sans nous être préalablement informés quant aux conditions sociales, politiques et religieuses des peuples ou des époques auxquels ces styles architecturaux appartiennent. »32 L’enjeu est de ne pas imposer aux mahorais les modes de vie métropolitains. Entre 1979 et 1980, des recherches sont entreprises pour améliorer l’habitat traditionnel et trouver, à partir des ressources de l’île, les matériaux utilisables pour débuter ce programme habitat. En 1979 parait le livre Construire en terre, rédigé par le Centre de Recherche et d’Application du matériau Terre de Grenoble qui vient alors tout juste de se former. C’est à partir de cette publication que nait l’idée d’utiliser la 30
LIÉTAR Vincent, « Une politique de l’habitat inédite », catalogue d’exposition, Construire en terre mahoraise, architecture et développement local, 2010, p4, op.cit. 31 BRESLAR Jon, Habitat mahorais, étude analytique et perspectives, Editions A.G.G., Paris, 1979. Cette étude est commandée par la Direction de l’Equipement de Mayotte et se compose de deux volumes parus en 1979. Volume 1 : L’habitat mahorais, une perspective ethnologique. Volume 2 : L’habitat mahorais, étude analytique et perspectives. Ce dernier volume est co‐rédigé par Jon Breslar, Bernard Chatain et Léon Attila Cheyssial (architecte DPLG et docteur en sociologie). 32 SEMPER Gottfried, Du style et de l’architecture, écrits 1834‐1869, op.cit., p211.
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terre pour ce programme de construction. La Direction de l’Equipement et la SIM entrent en contact avec le groupe de recherche grenoblois et organisent une mission de prospection à Mayotte. Cette mission est menée par le Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM) et le CRATerre et permet d’identifier des gîtes de terre en quantité suffisante ainsi que des matériaux dégraissants (pouzzolane) permettant d’envisager la production d’une architecture en terre. La terre est la seule matière première suffisamment abondante sur l’île de Mayotte pour envisager son utilisation dans un programme aussi conséquent. Celle‐ci est présente de manière homogène sur à peu près toute l’île. L’emploi de pierre ou de bois est limité pour éviter de perturber l’écosystème. Utiliser cette terre devient alors un enjeu majeur pour la construction à Mayotte. Elle devient à la fois l’alternative aux matériaux importés et à l’utilisation du sable de plage.
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# II Expérimentations et mise en œuvre 1. Le choix de la BTC Les premières expérimentations réalisées par le CRATerre et les ingénieurs de la SIM sont dans un premier temps très prospectives. Elles consistent à améliorer les techniques de mise en œuvre traditionnellement employées comme le torchis et à en tester d’autre comme la brique d’adobe33. Les premières briques de terre crue compressées sont produites en 198134. Celles‐ci sont non stabilisées. Elles sont testées dans une première opération à Passamainti, au sud du chef‐lieu du département de Mayotte, Mamoudzou, en 198235. « La SIM confie alors au CRATerre la réalisation d’une opération de huit logements à Passamainti destinée à illustrer les possibilités d’évolution de l’habitat social de base vers des modèles de plus grande taille. Ce projet a été conçu à l’École d’Architecture de Grenoble par quatre étudiants encadrés par Patrice DOAT durant le premier semestre et le chantier s’est déroulé sur place durant l’été jusqu’à la fin de l’année. Mais pour convaincre la population mahoraise, ils construisirent une maison en vingt‐quatre heures, d'après le document fourni par Alain MASSON, pour prouver la rapidité spectaculaire de ce procédé. »36 Les tests sont d’abord effectués sur les logements locatifs. Vincent Liétar explique qu’il s’agit de ne pas faire des expérimentations aux frais des mahorais.37 33
Brique de terre crue non compressées, séchée au soleil. DOAT Patrice, entretien téléphonique du 7 mai 2014. 35 ibid 36 ADJOUA Jessica, Le renouveau de l’architecture de terre dans les années quatre‐vingt, histoire, ambition et impact international du domaine de la terre, un quartier expérimental d’habitat édifié en terre crue et inauguré en 1985 aux portes de Lyon ‐ dans la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau –, mémoire d’initiation à la recherche, ENSAPL, 2013, p35. 37 LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit. 34
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Au départ, le CRATerre ne souhaite pas s’enfermer dans un seul type de réponse. « Les pressions sociales aussi bien que les pressions réglementaires des ingénieurs locaux nous a obligé à travailler un matériau dit durable parce qu’il respectait les tests normatifs du CSTB. »38 Cette contrainte favorise l’utilisation de la BTC car la fabrication de ce matériau peut être contrôlée et produit de manière industrialisée. Le mode de production a déterminé le choix de ce matériau. 1.1 Des matières La BTC est un matériau de construction composé d’un mélange de terre, de sable, d’eau et souvent d’un stabilisant en proportion définie. La terre utilisée à Mayotte fait partie de la famille des terres latéritiques (du latin later : brique), nom suggéré par Francis Buchanan39 (1807) dont la définition est généralement retenue. Cette ressource est présente de manière homogène sur l’île puisque celle‐ci est de formation volcanique. La latérite provient de la lente dégradation de la roche volcanique sous l’effet de la pluie et du vent. La terre mahoraise contient des hydroxydes métalliques qui lui donnent sa couleur rouge. Elle possède aussi une proportion d’argile importante. Le phénomène de retrait‐gonflement inhérent à l’argile augmente les risques de fissuration de briques au séchage. Lorsque l’eau s’évapore, l’argile se rétracte. Ceci impose de la mélanger à des dégraissants. À Mayotte, la pouzzolane, également issue de la roche volcanique, est le dégraissant utilisé sous forme de scories [25] et de sable [26]. Les grains ajoutés sont importants dans la structure des briques, car ils permettent de limiter le retrait au séchage et donc d’éviter leur fissuration. Sur cette île, la pouzzolane remplace le sable habituellement utilisé pour ce besoin spécifique.
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DOAT Patrice, entretien téléphonique du 7 mai 2014. Francis Buchanan‐Hamilton (1762‐1829), botaniste et zoologiste écossais chargé de faire l’inventaire des territoires nouvellement conquis en Inde crée le mot latérite publié dans ces notes sous forme de récit de voyage (« A Journey from Madras ») en 1807.
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La latérite est également connue pour ses propriétés d’induration (fait de durcir à l’air) qui lui donnent une résistance aux agents météorologiques40. Malgré cela, les briques mahoraises sont stabilisées. « Stabiliser la terre c’est lui donner des propriétés irréversibles face aux contraintes physiques. »41 Du ciment est adjoint à la composition des briques. Ne pouvant être produit sur l’île, il est importé. Cet ajout, à hauteur de 2 à 8%, participe à l’augmentation de la résistance mécanique des briques mais permet aussi de les protéger des intempéries en réduisant leur perméabilité. La proportion de ciment varie selon l’exposition à l’eau des briques et les charges à supporter. Il est inutile par exemple de stabiliser la BTC pour la réalisation de cloisons intérieures. L’eau est très importante dans la confection des briques puisqu’elle permet de lier les particules. Elle fait réagir les plaquettes d’argile qui se lient pour former un ensemble cohésif. Elle permet également la prise du ciment. 1.2 Des matières au matériau Le procédé de fabrication de cette brique de terre consiste à mélanger les différents ″ ingrédients ″. La préparation de cette mixture demande de réaliser plusieurs étapes. La terre utilisable pour la construction se trouve sous une couche de terre végétale [27] qui ne peut être utilisée en raison de la présence de matières organiques qui favorisent l’apparition de végétation qui pourrait dégrader les briques. À Mayotte, la terre est généralement extraite en carrière [28, 29] et acheminée à la briqueterie. Parfois, elle est récupérée sur le lieu même du chantier. 40
HOUBEN Hugo, GUILLAUD Huber, EAG‐CRATerre, Traité de construction en terre, Parenthèses, Marseille, 2006, p48. 41 DOAT Patrice, RIGASSI Vincent, Mayotte, la filière bloc de terre comprimé et la démarche qualité, Avant‐projet 1994‐2000, CRATerre‐EAG, 1994, p16.
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La terre est ensuite broyée pour briser les mottes de terre et les cailloux. Une seconde opération consiste à tamiser la terre pour retirer les plus gros grains qui pourraient endommager la presse et altérer la cohésion du matériau [30]. Le malaxage permet d’obtenir un mélange homogène [32]. La terre ″ arrangée ″ est mêlée avec le sable et le stabilisant tout en ajoutant de l’eau pour humidifier le mélange. La bonne consistance peut être observée par le test de teneur en eau optimale (TEO). Ce dernier consiste à lâcher d’une hauteur de 1,10m environ une poignée de terre préalablement comprimée en fermant fortement la main. « La teneur en eau est correcte si la boule de terre se désagrège en 4 ou 5 morceaux. Si la boule de terre s’aplatit sans se désagréger, la teneur en eau est trop forte. Si la boule se pulvérise, elle est trop sèche»42. Les briques sont obtenues par compression de ce mélange. Les techniques de compression ont évoluées dans le temps pour passer du stade artisanal au stade manufacturé puis industrialisé. La technique de production actuelle date de 1952 avec la conception de la presse Cinvaram par l’ingénieur colombien Raul Ramirez43. Avant cette invention d’ordre technologique, les blocs étaient comprimés à la main à la manière du pisé avec un pilon dans un moule en bois [36]. La première presse, la Crésise, est dérivée d’un pressoir à raisin. Elle est mise au point par l’architecte français François Cointeraux au XVIIIème siècle44. Aujourd’hui, de nombreuses presses existent [37]. Elles vont de la presse manuelle à l’unité industrielle. Les presses utilisées à Mayotte sont essentiellement des presses manuelles mécanisées (cinva‐ram et terstaram) qui nécessitent peu d’entretien et ne consomment pas d’énergie autre que celle des ouvriers pour produire les briques. Elles permettent d’obtenir des éléments de dimensions identiques. Ce type de technologie représente un faible investissement pour un rendement de 500 à 600 briques produites par jour par trois ou quatre ouvriers. 42
HOUBEN Hugo, GUILLAUD Huber, EAG‐CRATerre, Traité de construction en terre, op.cit, p141. Ibid, p224. 44 Ibid, p224. 43
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L’opération de compression consiste à remplir le moule de la presse de terre [33]. Le couvercle de celle‐ci est rabattu sur la partie supérieure du moule. La compression est réalisée par un bras de levier, actionné par un ou plusieurs ouvriers [34], qui fait remonter le fond du moule. La brique est ensuite sortie du moule [35] et stockée pour être séchée. L’intérêt de ce matériau est qu’il peut être directement stocké après l’opération de pressage en raison de sa faible teneur en eau. Au contraire, la brique d’adobe, qui est un autre type de brique de terre crue nécessite une grande surface pour sécher au soleil, puisqu’elle ne peut être manipulée tout de suite. Les blocs de terre sont stockés sur palette pour une cure humide. Cette cure sous polyane (film plastique) dure 28 jours et « maintient une élévation des températures tout en donnant une humidité relative proche des 100% [38]. La durée de cette cure humide augmentera la résistance du matériau »45. Ce n’est qu’après cette période que les briques peuvent être maçonnées.46 La résistance à la compression de ces BTC varie de 40 à plus de 60bars. « Toute brique de résistance inférieure à 40 bars, soit le seuil de référence pour le parpaing normé en métropole est rejetée. De fait, cette résistance est généralement atteinte voire dépassée avec des performances souvent supérieures à 60 bars. »47
Les briques sont ensuite assemblées au mortier qui peut être soit un mortier de terre stabilisé, soit un mortier au ciment. 45
Ibid, p93. RIGASSI Vincent [s.d.].Mayotte, la relance de la filière Bloc de Terre Comprimée et la démarche qualité: installation de briqueterie, SIM, 1996, p43. 47 LIÉTAR Vincent, catalogue d’exposition, Construire en terre mahoraise, architecture et développement local, 2010, op.cit, p12. 46
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1.3 Le cru Cette brique de terre crue a pour particularité de ne pas être cuite mais séchée au soleil. Ce mode de production ne nécessite pas de recours aux énergies fossiles ou aux combustibles comme le bois utilisés pour produire la brique cuite. Mayotte ne possède pas les ressources nécessaires, est dépendante du marché des énergies dont le coût fluctue constamment. L’absence de recours à ces énergies permet de maîtriser le coût des briques. La BTC présente de ce point de vue plusieurs atouts à la fois économiques et écologiques. Contrairement au parpaing de ciment, la BTC offre un confort hygrothermique. L’inertie des murs, donnée par la densité de la matière compressée, permet d’éviter les écarts de température entre l’intérieur et l’extérieur du logement. La chaleur stockée par les murs le jour se diffuse à l’intérieur pendant la nuit. À l’inverse, la fraicheur accumulée la nuit est maintenue le jour. Ce principe écologique permet de ne pas avoir recours à une climatisation mécanique. L’absence de cuisson rend les blocs vulnérables à l’érosion du vent et de la pluie. L’eau est un ennemi pour la BTC car elle réagit comme une éponge et s’effrite [39]. Des précautions doivent être prises pour éviter tout contact prolongé avec l’eau. Une des solutions techniques, est de recourir à la stabilisation. L’autre solution consiste à adapter l’architecture à ce matériau. Est‐il vraiment utile de procéder à cette stabilisation ? Dans le cas de la stabilisation au ciment, la technique de production assure la pérennité du matériau. Or il existe d’autres moyens de lutter contre l’érosion de ces briques de terre. La technique « des bonnes bottes et du bon chapeau »48 consiste à agir sur les points sensibles de la terre. Au niveau du haut du mur, un toit à large débord permet à la fois d’éviter les infiltrations et de protéger le mur de la pluie battante. Au niveau du pied de mur, un soubassement (souvent en pierre) permet de 48
FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture, Belin, Cité des sciences et de l’industrie, Luçon, 2009, p144.
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protéger la terre contre les eaux de ruissellement et les remontées capillaires. Ici l’architecture est le stabilisant. 2. Quel habitat pour Mayotte ? L’étude des modes de vie et de la structure sociale traditionnelle mahoraise est fondamentale. Selon Vincent Liétar, architecte à la SIM, « l’habitat à Mayotte n’est pas l’expression d’un équipement familial mais l’expression du fonctionnement de la famille ».49 Comment renouveler, de ce fait, l’architecture sans imposer aux mahorais les modes de vie occidentaux ? L’idée première pour l’équipe du programme habitat est « d’offrir des conditions spatiales respectueuses de la tradition et ouverte à l’évolution ».50 Les premières réalisations reprennent le plan des cases traditionnelles [40, 41]. Plusieurs ″ produits ″ sont proposés aux habitants selon leurs besoins et leurs ressources. Pour la case ″ aide en nature ″, les familles disposent d’aide en matériaux et d’une assistance technique pour un montant maximum de 12 000FF en 1982 soit 1830€. L’habitant participe aux travaux aux côtés de l’artisan. Ce modèle est composé d’un soubassement en moellons et de murs en BTC couverts d’une toiture en tôle. La surface habitable proposée est de 54m². Des extensions en hauteur ou l’ajout de varangues peuvent être réalisées par la suite par les habitants. La case « habitat type » est une construction plus grande qui intègre les commodités et les finitions dès le départ. Les futurs habitants financent une première partie à hauteur de 10 000FF soit 1500€ et remboursent ensuite un prêt sur sept à dix ans leur permettant de devenir propriétaires du bien. Le coût de ce modèle varie en 1983 de 45 000FF à 80 000FF soit entre 6860€ à 12 200€. 49
LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit. 50 TAPIE Guy [s.d], Maison individuelle, architecture, urbanité, op.cit, p.170.
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D’autres types d’habitats sont proposés, comme la case POM destinée aux ménages de revenus modestes qui peuvent mobiliser des techniques traditionnelles de construction [42]. Elle consiste à livrer à la famille des fondations en pierres, une armature périphérique en bois couverte d’une toiture en tôle. Les habitants finissent eux‐mêmes leurs habitations avec les techniques traditionnelles. L’une des premières expérimentations, réalisée en torchis, a par ailleurs été rejetée par les mahorais qui la jugeaient « trop proche de la construction traditionnelle »51. Par ailleurs, « tous ceux qui avaient l’intention de construire épargnaient petit à petit leurs parpaings et les programmes Habitat venaient casser un rêve ».52 Il a fallu trouver un compromis afin de réussir à mettre en place le programme de construction en BTC. Dans un premier temps et « sous certaines conditions de solidité, les parpaings ont été acceptés comme apport personnel, ce qui a permis de continuer le dialogue avec les habitants. »53 3. Conception et mise en œuvre La BTC est un matériau modulaire standardisé. Il est produit en série et peut avoir plusieurs dimensions. La brique la plus couramment utilisée à Mayotte est la brique de 29, 5 x 14 x 9cm. Cette brique permet de réaliser des murs porteurs de 14cm ou de 29,5cm d’épaisseur. Ces dimensions sont le produit de plusieurs facteurs. Une brique doit être facilement manipulable par un maçon. Le poids et la taille d’un élément sont déterminants. Les BTC doivent également être étudiées pour être facilement compressées. Plus le volume de terre à compresser est important, plus l’opération nécessite de l’énergie et plus les éléments finis sont lourds. Une brique standard de 29,5 pèse entre 7kg et 7,5kg contre 10kg pour un parpaing de ciment de dimension 20 x 20 x 50cm. 51
CAUE de la Réunion [s.d], catalogue d’exposition, 15 ans d’architecture à Mayotte, le pari du développement local, op.cit, p41. 52 SCHEER Elisabeth [s.d], Actualité de la construction en terre en France, op.cit, p133. 53 Ibid., p134.
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Les bâtiments en briques de terre sont conçus à partir des dimensions des blocs. « Il faut qu’il existe un rapport de dimensions entre la longueur et la largeur du bloc. Dans le cas du bloc standard (29,5 x 14 x 9), la longueur, 29,5cm est égale à deux fois la largeur, 14cm plus l’épaisseur d’un joint intermédiaire, 1,5cm. »54 D’autres modules (3/4, ½, etc…) sont utilisés pour respecter les ″règles de l’art ″ de la conception d’un bâtiment en maçonnerie. Ces règles sont fondamentales pour produire un mur résistant. Elles donnent les règles de base concernant la disposition des briques les unes par rapport aux autres dans le mur (appareillage). Les joints verticaux ne doivent en aucun cas se superposer afin d’éviter les ″coups de sabres″ qui forment des points de fragilité dans les murs. La mise en œuvre des briques nécessite de la précision. Les angles, les intersections entre les murs, les ouvertures sont des points importants où se froment généralement les défauts. À Mayotte, plusieurs typologies de maçonneries ont été étudiées. Les premières cases en briques de terre sont montées avec une « maçonnerie porteuse de BTC de 14 cm avec contrefort simplement chaînée horizontalement [43, 44]. C’est le système qui fut retenu comme principe de base de la conception et de la construction. »55 Ce principe permet de développer des constructions économiques du fait de la faible épaisseur des murs. La maçonnerie de 29,5cm [45, 46] est développée plus particulièrement pour les édifices publics car les règles de construction sont plus strictes et demandent plus de garanties. Ils sont aussi généralement plus haut et ont plus de charges à supporter. Plusieurs événements vont faire évoluer la conception des édifices construits en briques de terre. Après les passages des cyclones Kamisy et Felicksa en 1984 et 1985, une deuxième génération de typologie constructive émerge. Des dispositions sont prises pour améliorer l’ancrage des toitures. Des tirants verticaux en béton armé sont alors ajoutés 54
CRATerre, Le bloc de terre comprimée : Eléments de base, Deutsche Zentrum für Entwicklungstechnologien, Eschbom, 1991, p16. 55 TAXIL Gisèle, MISSE Arnaud. [s.d.], Mayotte, filière Blocs de terre comprimée: typologie des éléments et systèmes constructifs, SIM, CRATerre‐EAG, Grenoble, 1999, p9.
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dans les angles [47]. Ce dispositif se généralise dans toutes les constructions. L’utilisation de la BTC en remplissage d’une ossature en bois, en métal ou en béton apparaît également à cette époque. En 1993, un séisme de magnitude 5.1 sur l’échelle de Richter est à l’origine d’un renforcement de l’utilisation des raidisseurs en béton. Le risque sismique, pourtant faible, amène les constructeurs à se référer aux règles parasismiques (PSMI). La technique de harpage à l’italienne est également utilisée pour simplifier l’ancrage et la reprise des appuis des éléments de charpente. Cette technique utilise la brique en remplissage d’une ossature en béton. Elle consiste dans un premier temps à monter les murs de briques tout en laissant aux angles un espace permettant de recevoir l’ossature en béton. Cette dernière est ensuite coulée. Ce système constructif assure l’adhérence des briques à l’armature de béton [48]. Pour ces différentes raisons, la BTC est souvent associée à d’autres matériaux. La technique de construction en BTC est en constante évolution. Elle tient à la fois compte de risques naturels, de facteurs sociaux, économiques mais aussi de mise en œuvre.
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# III La mise en place de la filière Plusieurs « outils »56 sont développés pour réfléchir à la mise en place de cette politique de l’habitat. Un groupement de différents acteurs dont l’État, les élus, des professionnels et des habitants collaborent et réfléchissent ensemble à la conception de ce programme. Ils en forment le premier outil: l’Association pour l’Etude et l’Amélioration de l’Habitat Mahorais (ASHAM). Parmi ces outils, la Société Immobilière de Mayotte (SIM) est créée en 1977 par la Direction de l’Equipement de Mayotte. Cette société d’économie mixte est chargée de la conception et de la coordination des programmes pour l’habitat social. Une centrale d’achat de matériaux (la coopérative Musada), et une association pour la formation professionnelle sont également créées. La coopérative Musada met également à disposition des matériaux comme le ciment, la petite quincaillerie, l’outillage… Elle est chargée « d’approvisionner régulièrement l’île en matériaux de construction, de maitriser les prix, trop souvent soumis aux aléas des importations et d’assurer une qualité toujours plus performante »57. Les matériaux à Mayotte étaient difficilement acheminés sur l’île et leur pénurie se faisait souvent sentir. « Il n’y avait plus de ciment pendant six mois, plus de clou, plus de fer à béton… »58. L’option principale est d’ailleurs de réduire les importations de matériaux qui, pour la plupart, arrivent sous forme de produits finis. Ceux‐ci représentent 43% de ceux utilisés à Mayotte en 1976 et coûtent cher. Ce chiffre est passé à 5% en 199459. Vincent Liétar rappelle la position adoptée par rapport à cet enjeu lors d’une conférence donnée à l’École d’architecture de Grenoble en 2010 : 56
CAUE de la Réunion [s.d], catalogue d’exposition, 15 ans d’architecture à Mayotte, le pari du développement local, op.cit., p20. 57 ibid, p20. 58 LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit. 59 CAUE de la Réunion [s.d], catalogue d’exposition, 15 ans d’architecture à Mayotte, le pari du développement local, op.cit., p20.
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« au lieu de répondre avec un réflexe qui est assez habituel sur des grosses quantités de logements à produire, c'est‐à‐dire quand on parle de 10 000 logements et même 1000 ou 1500, on a plutôt l’habitude de réagir avec un grand concours technique, un concours de conception et des réponses, notamment quand il s’agirait d’île aussi éloignée que Mayotte, aussi peu pourvue en moyens et en entreprises c’est à dire quasi zéro au sens d’une lecture occidentale, appelons le comme ça, et bien on aurait répondu normalement par l’importation des technologies, importation de logements préfabriqués, importation de cadre,…enfin, de tout ce qu’il faut pour fabriquer ces 10 000 logements.»60 1. La mise en place de la filière BTC La SIM et le CRATerre mettent en place une filière de production de BTC. L’objectif est alors d’ouvrir des centres de production dans les villages pour permettre l’autoproduction et supprimer le transport des briques. Une assistance technique et un circuit d’approvisionnement sont aussi mis en place sur les chantiers. Pour lancer le programme de construction en BTC, « il a fallu former et pas importer les outils de production, ce qui a généré la création de 2000 à 3000 emplois par le biais de chantiers formation‐production »61. La formation est un des enjeux du développement de la construction en BTC. Elle s’étend aussi à tous les acteurs qui découvrent ce mode de construction. Les constructions doivent être faciles à réaliser pour être produites par les Fundis (artisans de Mayotte) dont les savoir‐faire sont encore rudimentaires. « La terre possède cet avantage d’être un matériau qui permet un travail plus facile et plus rapide que la pierre »62. Une formation est tout de même nécessaire pour maîtriser les différentes étapes de production et le travail de maçonnerie. 60
LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit. 61 Ibid. 62 ADJOUA Jessica, le renouveau de l’architecture de terre dans les années quatre‐vingt histoire, ambition et impact international du domaine de la terre un quartier expérimental d’habitat édifié en terre crue et
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2. Les briqueteries Les briques sont produites dans de petites unités de production réparties dans les villages. Des presses manuelles pour l’essentiel mises à disposition par l’équipe de Grenoble (31 presses de marque Terstaram et quelques Cinvaram sont installées dans 18 briquèteries en 1982)63. Des unités semi‐industrielles sont aussi mises en place mais restent marginales. À l’époque, le transport est un réel problème à cause de l’état fortement dégradé des routes et parfois de leur inexistence. Les infrastructures et l’adduction en eau est aussi un des chantiers mené en parallèle par la Direction de l’Equipement et le SMIAM. Les unités de productions mises en place à Mayotte sont réparties sur tout le territoire de l’île [49]. Au départ, elles sont une vingtaine. En termes d’investissement, les briqueteries représentent un coût de 30 000F en 198264, ce qui est dérisoire par rapport à la mise en place de la filière béton qui nécessite des infrastructures beaucoup plus sophistiquées. Elles se composent généralement de deux surfaces couvertes. Une sert à l’entreposage des matières premières et à la fabrication des briques et l’autre à leur stockage [50]. Celles‐ci y sont entreposées d’une part pour diminuer les opérations de manutention qui abiment les blocs et d’autre part pour une période d’une trentaine de jours afin de leur laisser le temps de sécher. Le temps de séchage ainsi que la quantité de production conditionnent donc la dimension de l’aire de stockage [51]. Au départ, les briqueteries sont gérées par la SIM et sont petit à petit cédées aux communes. Elles deviennent « l’élément structurant d’une filière terre » permettant de produire les matériaux pour alimenter les chantiers. inauguré en 1985 aux portes de Lyon dans la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau, mémoire d’initiation à la recherche, ENASPL, 2013, p11. 63 Etablissement public d'aménagement de la ville nouvelle de L'Isle‐d'Abeau, École nationale des travaux publics de l'État, France. Plan Construction, Actualité de la construction en terre en France, Acte du séminaire, Paris, 1982, p135. 64 SCHEER Elisabeth [s.d], Actualité de la construction en terre en France, op.cit, p136.
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3. La formation La SIM met en place un système de ″ formation‐production ″ qui permet aux artisans d’apprendre la technique de la construction en BTC. Cette formation a été dispensée par une association de formation professionnelle, l’équipe du CRATerre et les Compagnons du Tour de France. Les ouvriers sont formés par l’intermédiaire de ces chantiers avec l’appui des Compagnons venus apporter aux mahorais leur savoir‐faire. Il est possible ici de faire la filiation avec le travail d’Hassan Fathy pour le village de Gourna décrit dans son ouvrage Construire avec le peuple. Cet architecte milite pour une architecture qui réemploie et réinterprète les techniques vernaculaires. Il est considéré comme l’architecte du renouveau de l’architecture de terre dans le monde, avec le projet en partie réalisé de New Gourna, un village construit en Egypte près de Louxor. La découverte et la compréhension des techniques de construction vernaculaire nubienne, en particulier de la technique de la voûte nubienne, lui a permis de réaliser des voûtes sans coffrage pour des coûts très faibles (environ 5 fois inférieurs au béton). L’architecte a cherché à dépasser ces techniques pour les adapter à la construction du nouveau village et aux attentes des habitants. Pour mener à bien ce travail, il fait appel à quelques maçons nubiens qui ont joué le rôle de formateur. Hassan Fathy décide d’engager les futurs habitants à la construction de leur habitat. Ce système d’auto‐construction permettait à la fois d’engager la population dans le projet de construction et d’en réduire les coûts mais surtout de transmettre aux habitants un savoir permettant leur autonomie. Il énonce dans son livre que « si un village doit être construit par ses futurs habitants, il faut leur donner les compétences nécessaires »65. À Gourna, il souhaitait faire de cette population de paysans des « ouvriers semi‐spécialisés »66 qui pourront alors construire leurs propres maisons après une période de formation aux cotés d’ouvriers qualifiés. L’autoconstruction est envisagée à Mayotte dans cette optique. Les artisans sont parfois aidés par les futurs propriétaires qui participent ainsi à la fabrication de leur 65 66
FATHY Hassan, Construire avec le peuple, Actes sud, Arles, 1996, p197. ibid ,p198.
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logement. Ce processus de participation est nécessaire d’un point de vue économique, mais aussi social puisqu’il permet de lier les acteurs autour d’un projet commun. La volonté de cette équipe est de transmettre petit à petit ce savoir aux ouvriers mahorais qui devraient alors s’approprier la méthode. Ce travail de transmission demande une longue formation et un suivi des artisans et entreprises. Pourtant, malgré la présence de tous ces acteurs, la production à Mayotte doit faire l’objet d’un suivi permanent. Vincent Liétar indique qu’il était assez « difficile d’avoir un tissu figé »67 d’artisans. Peu d’entreprises sont pérennisées. La qualité et la quantité de la production sont difficiles à maintenir. 4. La démarche qualité et la normalisation En 1991, Mayotte fait face à une pénurie de logements. La population a presque doublée et les efforts réalisés jusqu’à présent ne permettent pas de palier le manque de logements. L’urgence pour les opérateurs et constructeurs est d’augmenter la vitesse de construction. Cet état d’urgence va entrainer une baisse de la qualité et des savoir‐faire spécifiques à la construction en briques de terre. En 1993, une démarche qualité est lancée par le CRATerre afin de repenser les modes de production de la filière. Le but est de faire face aux défauts relevés dans l’organisation spatiale des briqueteries et à une baisse générale de la qualité des briques. Une briqueterie modèle est créée pour servir de lieu de formation et permettre aux entreprises de comprendre comment réorganiser leur production. Vincent Rigassi mentionne qu’ « il s’agissait à la fois de moderniser les équipements de l’île, d’installer une briqueterie modèle (site de Hamaha) [50] ayant vocation à former et à informer l’ensemble des briquetiers à de nouvelles techniques de production, et à plus long 67
LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit.
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terme, à créer un Centre Technique permettant de mener une réflexion globale tant sur la production des matériaux locaux que sur leur utilisation spécifique. »68 Ceci démontre que pour réaliser la brique de terre crue compressée, malgré un procédé de fabrication relativement simple, il est difficile d’obtenir un produit conforme aux exigences de qualité. Par ailleurs, la BTC n’est pas un matériau certifié. Aucune norme de construction ne lui est appliquée tant pour sa fabrication elle‐même que pour sa mise en œuvre. Le contrôle de la filière était réalisé par la cellule qualité de la SIM. Elle réalise elle‐même des tests de résistance en permanence [52]. Cette absence de norme est à l’origine de méfiances quand à la fiabilité de ce matériau. Cela pose rapidement problème mettant presque un terme à cette démarche puisque les acteurs, en ce qui concerne le programme public, vont demander plus de garanties. Mayotte « s’est vue appliquer de plus en plus de règlements, de plus en plus de normes, des enjeux d’assurances, des garanties, la garantie décennale »69. À partir de 1995, l’exigence des réglementations françaises entraine une baisse des demandes surtout dans le secteur public. Après une période de production intensive (1000 logements produits par an), le passage au tout béton s’amorce, en premier lieu pour la réalisation des équipements publics. Les activités de construction en BTC seront quasiment nulles entre 2000 et 2003 faute de certification de la BTC. Une démarche pour obtenir cette certification est entamée par la SIM avec l’appui du CRATerre. Tous deux travaillent pour ce projet avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) et la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB). Une première norme expérimentale est obtenue en 2001 sur le bloc de terre (norme XP‐P 13 901). En revanche, les règles professionnelles et les
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RIGASSI Vincent [s.d.].Mayotte, la relance de la filière Bloc de Terre Comprimée et la démarche qualité: installation de briqueterie, SIM, 1996, introduction. 69 LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit.
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Documents Techniques Unifiés (DTU) n’existent toujours pas70, freinant le développement de la construction en BTC. Les normes appliquées à la BTC de Mayotte sont les mêmes qu’en métropole. Ce système normatif est à l’origine du déclin de la construction en brique de terre à partir de 1995. Ce déclin profite à l’industrie du béton qui bénéficie de normes précises, référencées, lui permettant de s’imposer sur le marché de la construction. Elle profite aussi de son image de « matériau de construction de la plus haute valeur sociale. »71 Même si la BTC semble adaptée aux enjeux mahorais, son développement doit faire l’objet d’une attention systématique pour en maîtriser la qualité. Le système de normalisation mis en place par la France nécessite de réorganiser la filière qui est contrainte à s’y adapter. Il semble pourtant que, compte tenue des conditions particulières de cette île, l’adaptation doit s’opérer des deux cotés.
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DOAT Patrice, entretien téléphonique du 7 mai 2014. http://www.malango‐mayotte.fr, site de tourisme Malango Mayotte Malango Mayotte, « La maison, une valeur symbolique », consulté le 10 mai 2014. 71
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# IV La dimension vernaculaire de la BTC 1. Le caractère local en question La BTC est composée à 92% de matières issues du territoire mahorais, identifié et limité. À son évocation dans les médias, le terme ″ local ″, qui semble s’appuyer sur cette donnée, apparait de manière récurrente. Est‐ce pour autant une réalité ?72 À première vue, cette brique de terre extraite du sol mahorais convient à cette définition. Est‐ce suffisant pour qualifier ce matériau de local ? L’architecture ainsi produite relève‐t‐elle du vernaculaire ? Dans son livre, architecture sans architectes, Brève introduction à l’architecture spontanée, Bernard Rudofsky fait référence à la définition de Pietro Belluschi, un architecte américain, qui défini l’architecture vernaculaire comme « un art communautaire produit, non par quelques intellectuels ou quelques spécialistes, mais par l’activité spontanée et continue d’un peuple tout entier, dépositaire d’un héritage commun et obéissant aux leçons d’une commune expérience »73. La BTC, dans son élaboration, se trouve à mi‐chemin entre matière locale et processus de fabrication importé, ce qui semble remettre considérablement en cause le qualificatif ″ local ″ : le processus et la méthode de fabrication, ainsi que les outils sont importés. L’ensemble de sa conception, de sa gestion et de son contrôle sont réalisés par les architectes et ingénieurs français. La technique de production est mise en place avec la SIM et le CRAterre qui développent la méthode pour l’adapter aux conditions mahoraises. La production quant à elle est réalisée par les ouvriers mahorais avec l’aide de l’équipe grenobloise et des Compagnons du Tour de France qui
72
Terme cité quinze fois dans le catalogue d’exposition « construire en terre mahoraise – architecture et développement local ». 73 RUDOFSKY Bernard, architecture sans architectes, brève introduction à l’architecture spontanée, op.cit, p4.
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accompagnent la production, la construction et participent à la formation dans les premières années. Il semble donc que l’utilisation du mot ″ local ″ ne soit pas totalement appropriée. Elle s’apparente à une pirouette sémantique réalisée par les médias et les professionnels à des fins de communication et de promotion des emplois créés grâce à son utilisation. Ajouté à cela l’impact direct sur les importations, on peut également y voir un argument écologique. Cela appuie le fait que le programme de construction en terre est avant tout un projet politique, à l’origine d’un nouveau style architectural issu de savoir‐faire métropolitain et d’une volonté d’employer au maximum les ressources locales, sur lequel il faut nécessairement communiquer, au risque de basculer dans l’approximation du slogan. 2. Une modernité issue du continent Le fait que cette brique soit l’aboutissement de forces issues à la fois de métropole et de l’île de Mayotte permet de changer la perception du matériau terre. Plus précisément, l’utilisation de l’outil ″presse″ pour produire les briques tend à en faire un matériau moderne. « Le fait d’utiliser des presses Cinvaram, mais surtout Terstaram, a permis de donner un label de technicité et de nouveauté qui n’est pas étranger à la réaction des habitants.»74 C’est le procédé mécanique de compactage et la stabilisation qui rend le matériau moderne. L’outil de production possède lui aussi un rôle dans la perception du matériau. Cette modernité semble s’inscrire dans une « rupture esthétique »75 qui annonce un changement radical de paradigme dans la façon de concevoir et de produire l’architecture. Les matériaux sont employés sous un jour nouveau. Le rapport de l’habitant à son habitation change puisqu’il prend désormais une place moins importante dans la construction. Le rapport à l’environnement évolue lui aussi. Il n’est 74 75
SCHEER Elisabeth [s.d], Actualité de la construction en terre en France, op.cit, p136. TAPIE Guy [s.d], Maison individuelle, architecture, urbanité, op.cit, p173.
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plus compris comme un réservoir dans lequel on vient puiser, puisque des intermédiaires sont nécessaires pour se fournir les matériaux. Ce changement peut être lu comme le signe d’une amélioration des conditions de vie par l’apport d’un certain confort d’une part, mais comme la perte inéluctable d’un rapport de proximité à la construction et à l’habitat d’autre part. 3. Vers une nouvelle tradition à Mayotte? L’utilisation d’une matière issue du territoire mahorais ainsi que l’élaboration et l’implantation d’un savoir‐faire transmit à une main d’œuvre locale fait naître un rapport de cette démarche avec la notion de tradition. Cela reviendrait à qualifier la construction en briques de terre crue compressées de nouvelle tradition. Est‐ce légitime ? La tradition renvoie à la transmission d’un contenu culturel à travers l’histoire, et désigne aussi les habitudes. Après trente ans de construction, la démarche initiée par l’équipe du programme habitat a permis de développer à Mayotte un véritable savoir‐ faire. Le travail de la SIM, aidée par le CRATerre et les Compagnons du tour de France à permis de diffuser les méthodes de production, de contrôle et de mise en œuvre de la brique de terre aux artisans mahorais. Il y a eu transmission. Le recours à l’autoconstruction aidée, largement utilisé dans les premières années du programme, a assurée aux mahorais la transmission des compétences nécessaires à la construction de leur habitat. Au départ, la terre utilisée pour fabriquer les briques renvoie aux maisons traditionnelles en torchis, et n’est pas ressentie comme une amélioration. La brique de terre est soumise à des préjugés et n’est pas représentative de la construction en dur. Pourtant, contrairement à l’architecture traditionnelle, la terre n’est pas employée en tant que matériau de revêtement, mais en tant que matériau porteur, nouvelle
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tectonique dont il semble qu’elle ait transformé le statut de ce matériau synonyme, à l’origine, de pauvreté. Deux ans plus tard, en 1984, à force d’expérimentation et de sensibilisation, « les briques de terre compressée sont considérées par la majorité des habitants, après deux ans de méfiance et d’expectative, comme un matériau dur, assimilable au parpaing. »76 L’utilisation de cette brique de terre pour la construction d’édifices publics (écoles, mairies…) a participé à renforcer l’intérêt pour ce matériau. Le fait de produire à la fois des bâtiments publics, du logement social pour les catégories les plus pauvres ainsi que du logement locatif pour les fonctionnaires venus de métropole, a permis de percevoir la BTC autrement qu’un matériau réservé aux plus défavorisés. Les bâtiments publics construits avec ce matériau ont apportés un changement de regard du fait de leur valeur d’exemple. Cependant, la BTC n’est pas le matériau le plus plébiscité de l’île et ne représente pas aujourd’hui, une part importante du marché de la construction. Déjà dans la période de production intensive, située par Vincent Liétar entre 1985 et 199577, les bâtiments utilisant la BTC ne représentaient qu’environ 30% du secteur de la construction78. Les briqueteries en activité se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main. Selon un article du journal en ligne Mayottehebdo, seules deux briqueteries étaient encore en activité en 201079. La population, les professionnels et les maîtres d’ouvrage ne semblent pas avoir largement adopté ce mode de construction. La filière semble manquer de soutient de la part des politiques et s’essoufler. En revanche, il est fréquent de croiser des constructions réalisées en parpaings ou en tôles. Leurs mise en œuvre est moins longue : 2h30 pour le parpaing contre 4h30 pour 76
SCHEER Elisabeth [s.d], Actualité de la construction en terre en France, op.cit, p134. LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit. 78 DOAT Patrice, entretien téléphonique du 7 mai 2014. 79 PERROT Julien, « Brique de terre compressée », dans Mayottehebdo, 11 juin 2010, [en ligne], disponible sur http://www.mayottehebdo.com/index.php?option=com_content&view=article&id= 2528%3A11062010‐brique‐de‐terre‐compressee&catid=109%3Aarchives‐actualite‐de‐mayotte‐ 2010&Itemid=33, [consulté le 28 décembre 2010]. 77
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la brique pour un mètre carré de mur80 et son plus populaires. Monique Richter indique que : « dans son étude sur l’habitat non encadré, David Guyot a travaillé sur un échantillon de cinq cents logements. Dans 100% des cas, les murs sont réalisés en parpaings »81. 4. Perception et matérialité La confrontation à un matériau peut engendrer des perceptions différentes. La matérialité ainsi que la perception procèdent d’un fait culturel. Ces deux notions sont liées. À Mayotte, la construction en terre n’est pas devenue une habitude, malgré son développement intensif ces trente dernières années. Il semble qu’il subsiste une résistance culturelle face à l’utilisation de la terre. Ces résistances s’observent aussi bien dans le corps constructeur que dans celui des utilisateurs. Quels sont les freins de son développement à ce niveau? Une partie de la réponse semble être la méconnaissance des ingénieurs et des architectes de ce matériau fragile avec lequel ils doivent se familiariser et auquel ils doivent adapter l’architecture. Patrice Doat mentionne que pour les ingénieurs de la direction de l’équipement, « un matériau doit résister à l’eau, aux tests de résistances, ainsi qu’au gel/dégel même si l’on est à Mayotte.»82 Néanmoins la BTC est toujours soutenue par une partie de la population et quelques professionnels qui continuent à l’employer. Une association s’est créée en 2007 pour poursuivre le travail effectué sur ce matériau. L’association ART.TERRE Mayotte regroupe «une trentaine de membres fondateurs, architectes, maçons, maîtres d’ouvrage, ingénieurs, promoteurs, briquetiers, responsables de bureaux de contrôle, 80
LIÉTAR Vincent, catalogue d’exposition, Construire en terre mahoraise, architecture et développement local, 2010, op.cit, p5. 81 RICHTER Monique, Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, op.cit, p32. 82 DOAT Patrice, entretien téléphonique du 7 mai 2014.
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entrepreneurs »83, qui sont à l’origine de « la relance du programme de normalisation de la brique et des actions de communication dont l’exposition « Construire en terre mahoraise »84. À l’heure du très médiatisé développement durable, ces murs de terre portent aussi un nouvel intérêt grâce à leur caractère ″ écologique ″. Le peu d’énergie dépensé pour leur fabrication, leur performance énergétique et la possibilité de les recycler permet aux BTC de voir leur utilisation basculer en faveur du développement durable. S’il est délicat d’aller jusqu’à affirmer que la politique mise en place pour le développement de la BTC à Mayotte a permis de constituer une nouvelle tradition, il est néanmoins indéniable qu’elle aura permis l’émergence d’une architecture typiquement mahoraise et permis de créer des emplois, « entre 2500 et 3000 dans les moments de productions intensives »85 selon Vincent Liétar. 83
http://www.art-terre-mayotte.fr/, site internet de l’association Art-Terre Mayotte, [consulté le 28/09/2013]. 84 Ibid. 85 LIÉTAR Vincent, Architecture et développement local. Construire en terre mahoraise, [en ligne], ENSAG, 2010, 1h04min., op.cit.
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# Ouverture « Les parties d’une œuvre architecturale ne s’expliquent pas simplement par leur signification symbolique ou réelle, en tant qu’élément matériel de construction, mais possèdent également une signification traditionnelle et historique. »86
L’architecture de terre à Mayotte est aujourd’hui bien plus qu’un simple exemple. Avec 30 ans de production et environ 20000 édifices construits, la BTC a fait ses preuves. L’initiative mise en place par la SIM avec peu de moyen est un exemple de démarche architecturale innovante à plusieurs échelles et forme également, au‐delà d’un projet de construction, un projet de société, une nouvelle manière de penser et de faire l’architecture à Mayotte. L’intelligence collective mise en place a permis une réponse alternative permettant de renouveler et moderniser l’architecture mahoraise avec l’emploi de la BTC. Les nombreuses constructions réalisées attestent des possibilités de ce matériau à répondre aux besoins de la commande d’un point de vue quantitatif mais aussi qualitatif. La durée de vie maintenant éprouvée de ces bâtiments donne de la crédibilité à l’emploi de ce matériau vis‐à‐vis des matériaux industriels. En balayant les idées reçues qui disqualifiaient la terre en la caractérisant d’archaïque, l’architecture produite à Mayotte sait démontrer que des techniques élémentaires comme la BTC peuvent être performantes. Il ne s’agit bien‐sur pas de faire de la terre le seul matériau à utiliser, mais bien de proposer une alternative pour diversifier les approches et les modes de constructions. 86
SEMPER Gottfried, Du style et de l’architecture, écrits 1834‐1869, op.cit, p20.
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Le but étant de prendre conscience à la fois des ressources, et des enjeux que pose l’utilisation de ce matériau. Cependant, les résistances encore nombreuses ne permettent pas d’envisager la naissance d’une tradition de la construction en briques de terre crues compressées à Mayotte. Malgré les publications et les prix obtenus dans ce pays, la BTC n’est pas un matériau de construction plébiscité. Son emploi à baissé depuis les années 2000 sous la pression des bureaux de contrôles imposants normes et garanties dont la BTC ne bénéficie pas encore à ce jour. Un renouveau s’amorce avec les nouveaux objectifs de développement durable. Peut‐ être une deuxième génération de construction permettra un emploi plus large et une appropriation de ce matériau par la population. L’aspect social inhérent à la notion de tradition est donc une des premières limites de cette démarche. La stabilisation des briques doit également être remise en question en raison de l’importation du ciment, qui rend la construction dépendante d’un lobby. Cette action rend l’utilisation de la brique similaire à celle du parpaing, les paysages créés s’apparentant à ceux des pays dits développés. Une autre approche serait en revanche de ne se référer qu’aux qualités intrinsèques du matériau et ainsi d’adapter l’architecture. Les propriétés du matériau posent une contrainte vis‐à‐vis de l’architecture, et s’en libérer artificiellement entraine un retour à des standards de conception qui éloignent la dimension vernaculaire de la réflexion. Ainsi, la matérialité qui aurait pu être synonyme, à Mayotte, de vernaculaire, par la matière elle‐même et sa mise en œuvre originale, tend à perdre son intégrité par l’ajout d’un matériau exogène. Une toute autre architecture aurait certainement été pensée sans l’ajout de ces quelques grammes de calcaire et d’argile calcinés. Quel aurait été ainsi le nouveau paysage de Mayotte ?
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# Glossaire [ACTEURS] ASHAM L’Association pour l’Étude et l’Amélioration de l’Habitat Mahorais. BRGM Bureau de Recherche Géologique et Minière. Établissement public qui agit pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous‐sol. Il est à l’origine du repérage des carrières de terre à Mayotte. [http://www.brgm.fr/] BRESLAR Jon Anthropologue américain, il a publié de nombreux ouvrages sur la société mahoraise sur lesquels s’est appuyée l’équipe du programme habitat. CRATerre Centre de Recherche et d’Application du matériau Terre situé à Grenoble. Le CRAterre est basé à l’École d’Architecture de Grenoble depuis 1979. Cette association et laboratoire de recherche est une équipe pluridisciplinaire et internationale qui œuvre à l’actualisation des savoirs sur le matériau terre. [http://craterre.org/] CSTB Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. Établissement public français créé en 1947 pour accompagner la reconstruction. Il était notamment un outil du Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU). Aujourd'hui il est placé sous la tutelle du Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. [http://www.cstb.fr/] Direction de l’Équipement de Mayotte La DE est l’un des premiers services administratifs français à s’implanter à Mayotte (1976). Elle est à l’initiative du programme habitat. DOAT Patrice Architecte français diplômé de l’Unité Pédagogique de Grenoble (UPAG) en 1975, co‐ fondateur du CRATerre et des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau. Il dirige un laboratoire de recherche au CRATerre sur le thème des matériaux. DTU Documents Techniques Unifiés. Ils stipulent les règles, normes à respecter vis‐à‐vis de la mise en œuvre des matériaux.
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LIÉTAR Vincent Architecte français travaillant à Mayotte depuis 1981. Il a notamment travaillé pour la Société Immobilière de Mayotte sur le programme d’habitats sociaux. MUSADA Coopérative mise en place à Mayotte qui avait pour but d’approvisionner Mayotte en matériaux de constructions (principalement le ciment, le bois, la tôle, le fer à béton) et de les mettre à disposition des artisans de l’île. RICHTER Monique Architecte‐urbaniste française, diplômée de l’Ecole d’architecture de Paris‐Belleville et de l’Institut d’urbanisme de Paris. Elle travaille particulièrement sur le thème de la prise en compte des identités culturelles dans le domaine de l’habitat et de l’aménagement. Elle a menée une étude sur l’évolution de la société mahoraise en 2000 à la demande des pouvoirs publics et de la SIM qui aboutie à la publication du livre, Quel habitat pour Mayotte ?, Architecture et mode de vie, paru en 2005. RIGASSI Vincent Après des études d'architecture et un début de pratique professionnelle en Suisse dans les années 80, il a travaillé plusieurs années dans le laboratoire de recherche sur la construction en terre CRATerre de l’ENSA Grenoble et l'habitat économique, avant de reprendre en 2002 une activité d'architecte maître d'œuvre. Il a rédigé de nombreux rapport sur la filière brique de terre comprimée à Mayotte. SIM Société Immobilière de Mayotte. La SIM est créée en 1977. Cette Société d’Économie Mixte est une cellule de la Direction de l’Equipement de Mayotte (DE) chargée de la conception et de la coordination des programmes pour l’habitat social. [http://www.sim‐mayotte.fr/] SMIAM Syndicat Mixte pour l’Investissement et l’Aménagement de Mayotte. Le SMIAM est créé en 1979 afin d'assurer la poursuite de l'aménagement de Mayotte et spécialement la réalisation d'investissements publics intéressants une, plusieurs ou la totalité des communes. [http://www.smiam.fr/]
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[DÉFINITIONS] Adobe Briques de terre crue moulées à l’état plastique et séchées au soleil. Appareillage Façon d’agencer les briques les unes par rapport aux autres lors de la construction d’un mur. BTC Brique de Terre crue Compressée. Bangas Petite case d’une pièce construite la plupart du temps en terre par les adolescents mahorais à l’âge de la puberté. Elle est synonyme d’une première émancipation. Confort hygrothermique Assurer un confort hygrothermique signifie assurer une température ainsi qu’un taux d'humidité constants en toute saison.
Contreventer Réaliser un système statique permettant de stabiliser un bâtiment ou une partie de bâtiment. Dégraissants Le dégraissant est un matériau sec (sable, pouzzolane, petit gravier) utilisé pour compenser les inconvénients liés à la plasticité de l’argile (gonflement‐retrait). Endogène Qui prend naissance à l'intérieur d'un corps, d'un organisme, d'une société, qui est dû à une cause interne. Inertie L’inertie d’un bâtiment ou d’une paroi représente sa capacité à stocker de la chaleur. Plus l’inertie est forte, plus la paroi (ou le bâtiment) est capable de stocker de la chaleur ou de restituer de la fraîcheur. Latérite La latérite est un type de terre dont le nom a été donné en 1807 par le botaniste et zoologiste écossais Francis Buchanan‐Hamilton (1762‐1829).
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Moellon Pierre grossièrement taillée. Mortier Mélange d’un liant (ex : ciment) et d’un agrégat (ex : sable) avec de l’eau. Le mortier est utilisé pour lier les éléments de maçonnerie (ex : brique). Mraba Ce terme désigne la clôture du shanza. Néo‐traditionnelle (architecture) Qui prend appui sur la tradition tout en modernisant les techniques de construction. Nyumba Ce terme désigne la case dans la langue mahoraise. Paysage Selon la convention européenne du paysage : « le ″paysage″ désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. » Pisé Terre damée à l’aide d’un pilon entre des banches par couches successives. Pouzzolane Roche naturelle constituée par des scories (projections) volcaniques. Elle possède une structure alvéolaire. Elle est utilisée comme agrégat dans la composition des briques de terre mahoraises. Shanza Ce terme désigne la parcelle clôturée par le mraba. Torchis Le torchis est un mélange de terre et de fibres végétales. Ce matériau est mis en œuvre à l’état plastique pour recouvrir une structure de lattis en bois fixés sur des poteaux. Ce nom désigne aussi bien la technique que le matériau. Tradition Qui renvoie à la transmission d’un contenu culturel à travers l’histoire. La tradition désigne aussi les habitudes.
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# Bibliographie
Ouvrages de référence FATHY Hassan, Gourna, a Tale of Two Villages (1970), Construire avec le peuple, Histoire d’un village d’Egypte, trad. KONEL Yana, Actes sud, Arles, 1996. FRAY Pierre, Learning from vernacular, pour une nouvelle architecture vernaculaire, Actes sud, Arles, 2010. RUDOFSKY Bernard, Architecture Without Architects: A Short Introduction to Non‐ pedigreed Architecture (1964), Architecture sans architectes, brève introduction à l’architecture spontanée, trad. LEBOURG Dominique, Chêne, Paris, 1977. SEMPER Gottfried, Du style et de l’architecture, écrits 1834‐1869, Parenthèses, Marseille, 2007.
Construction en terre ADJOUA Jessica, Le renouveau de l’architecture de terre dans les années quatre‐vingt, histoire, ambition et impact international du domaine de la terre, un quartier expérimental d’habitat édifié en terre crue et inauguré en 1985 aux portes de Lyon ‐ dans la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau ‐, mémoire d’initiation à la recherche, ENSAPL, 2013. DOAT Patrice, HAYS Alain, HOUBEN Hugo, MATUK Silvia, VITOUX François, Construire en terre, Alternatives, Paris, 1979. FONTAINE Laetitia, ANGER Romain, Bâtir en terre, du grain de sable à l’architecture, Belin, Cité des sciences et de l’industrie, Luçon, 2009. HOUBEN Hugo, GUILLAUD Huber, EAG‐CRATerre, Traité de construction en terre, Parenthèses, Marseille, 2006. SCHEER Elisabeth [s.d], Actualité de la construction en terre en France, Actes du Séminaire, Paris, 1982. http://craterre.org/, site du Centre international de la construction en terre, [consulté le 29 septembre 2013].
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# Résumé La naissance d’une tradition résulte de la corrélation de plusieurs facteurs. Sur l’île de Mayotte, ceux‐ci semblent réunis autour de la production d’une nouvelle architecture. Réalisée en briques de terre crue compressées (BTC), celle‐ci doit apporter une réponse au besoin de modernisation exprimé par la population. Le ″programme habitat″ lancé par la France en 1979 a été orienté en faveur d’un développement endogène de Mayotte. L’utilisation de cette brique est conséquente dans les dix premières années de ce programme avec une production de 1000 logements par an. Assiste‐t‐on à la naissance d’une nouvelle tradition ? Si cette architecture constitue une alternative effective à l’importation massive d’éléments de constructions et un vecteur de développement économique et social pour Mayotte, la réalité apparait bien plus complexe. Elle laisse entrevoir les limites d’une démarche mais peut‐être aussi les moyens de la surmonter.
# Mots‐clés BTC ‐ Brique – terre crue – compressé ‐ Mayotte
# Abstract The birth of a tradition depends of several factors and their correlation. In Mayotte, these seem combined to the production of a new architecture. Realized by compressed earth block (CEB), its aim is to bring an answer to the modernization required by the population. The program called “housing”, had been introduced by France in 1979, and recommends an endogenous development of the island. Utilization of this brick is weighty in the first‐ten‐years of this program, with a production of 1000 housing a year. Is it even so a new tradition? If this architecture establishes an efficient alternative in the massive import of building material, and a vector of economic and social development for Mayotte, the reality seems to be more complex. This approach lets appear some limits but maybe also the ways to overcome it.
# Key‐words CEB ‐ Bricks – Earth – Compressed ‐ Mayotte
École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille