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L’INVENTION d’un ESTUAIRE CULTUREL Arpentages d’une nouvelle lisibilité du paysage métropolitain, De Nantes à Saint-Nazaire
Juliette Guichard ENSAPM R9, séminaire THP Infra-culture Dominique Rouillard 2012
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INTRODUCTION
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I RECOMPOSER UN PATRIMOINE LIGERIEN
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A
L’estuaire entre deux d’une relation binaire..
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Allers retours portuaires une passation d’activité Un no man’s land structurant mais fragmenté Une métropole d’équilibre
17 23 27
B
Les états d’un territoire palimpseste
33
Voir le territoire en train de se faire. Faire de la friche une centralité Quand la culture précéde le projet urbain
35 39 47
C
L’absence de monuments, réinvention d’un patrimoine
57
1 2 3
1 2 3
1 2
Les acteurs d’une régénération culturelle De l’événement au monument, une temporalité de la festivalisation
59 63
II ESTUAIRE, REVELER POUR S’APPROPRIER UN PAYSAGE
73
A
L’art à ciel ouvert , un outil territorial
75
S’inscrire dans le modèle des biennales Entre rayonnement international et démocratisation populaire, un outil politique Œuvres éphémères, œuvres pérennes, dispositifs d’une planification ?
75 83 89
B
Révéler le fleuve, faire exister le paysage
95
1 2 3
1 2
3
Arpenter, relier des fragments. Du recul, prendre de la hauteur Occuper, une confrontation d’échelle.
III CONSTRUIRE L’ARMATURE D’UN TOURISME CULTUREL
95 101
109
109
A
Une identification territoriale métropolitaine
117
B
Un marketing culturel du territoire
125
1 2
1 2
Identification d’un territoire, une réappropriation à mesurer Impact, une image métropolitaine ?
117 121
Les limites d’une formule touristique 2012, Le monument dispersé, un guided tour culturel
125 129
BIBLIOGRAPHIE
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5
INTRODUCTION Il sera difficile de le nier : le phénomène de la métropole est en marche. Le glissement du modèle urbain s’opère en direction de la ville‐territoire. L’expérience du Grand Paris en est symptomatique. La redéfinition de champs d’action par l’extension des limites urbaines dépasse la notion traditionnelle de ville. Depuis 1999, la loi Chevènement a ouvert la porte à la mutualisation, à la pensée « agglomérative ». C’est ainsi qu’aujourd’hui, au regard des travaux de Thomas Sievert sur la Zwischenstadt, l’urbain ne suffit plus à identifier les découpages des territoires. La réunion autour des grandes polarités urbaines montre cette volonté de s’approprier plus, de résister et d’exister dans un monde globalisé où il faut inévitablement grandir, puisque tel est le constat. Cette récurrence du terme de métropole, dès 1995, est présente dans deux ouvrages importants. Dans celui de François Ascher, la « métapolis » est l’avenir inhérent des villes. Chez Jean Philippe Leresche, elle est définie comme un « système ouvert en échange permanent avec le monde extérieur, mû à la fois par une dynamique interne et par les interactions développées avec d’autres métropoles constitutives d’un suprasystème métropolitain au plan mondial. »79 Il faut donc dépasser la ville. Certaines recherches architecturales pourraient s’y apparenter tant les échelles sont celles du territoire. Les exemples de Broadacre City (fig A) par Franck Lloyd Wright80, encore antérieurs, ainsi que celui de la ville linéaire, par Arturio Sora y Mata montrent cette ambition.
La métropole s’inscrit inévitablement dans une temporalité donnée par l’outil de la prospective urbaine. 1963 – 2011 – 2040, sont les trois échéances qui marquent le territoire français dans son organisation par la DATAR : celle de sa création, de l’établissement des métropoles d’équilibre, puis celle de l’actualité de la question métropolitaine, année de publication des travaux « TERRITOIRES 2040 ». Ces points de référence sont nécessaires pour questionner l’objet ici étudié : la construction de la métropole Nantes/Saint‐Nazaire. A l’image des évolutions des concepts nationaux initiés par la DATAR, elle est l’un des huit pôles d’équilibre, et fait l’objet, après sa mise en service administrative et politique par l’établissement, d’un schéma de cohérence territorial (SCOT, 2007), d’au moins douze comités de prospective (fig B). Mais comment 79
LERESCHE Jean‐Philippe, JOYE Dominique, BASSAND Michel, Métropolisations : interdépendances mondiales et implications lémaniques, Editions Georg, Genève, 1995. p.30 80 LLOYD WHRIGHT Franck, The Disappearing City, Payson, 1932
Figure A ‘Broadacre City’ model 1934 - 35 F.Lloyd Wright médiaarchitceture.at
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faire de cette métropole, pour l’instant invisible, de ce concept flou, une réalité concrète et perceptible ? Ces comités prospectifs s’apparentent pour les habitants de ces territoires à une logique fictionnelle, impalpable, voire méconnue. L’expression de leurs résultats ne sera qu’observable dans un futur lointain. Quelles sont les alternatives pour aborder le territoire en attendant de voir les conséquences réelles et formelles de ces cercles de réflexion ? Sur quelles bases lisibles la métropole Nantes/Saint‐Nazaire se construit‐elle ? Elle est caractérisée par son hyper‐paysage au centre, l’estuaire de la Loire, véritable enjeu à valoriser et à définir pour constituer une entité urbaine/périurbaine. Nous travaillerons sur l’hypothèse d’une mise en valeur de son territoire culturel permettant l’appropriation des enjeux éminemment politiques de la « métropolisation ». Cette notion de territoire culturel est tout d’abord à préciser. Dépassant la fonction strictement “utilitariste” du territoire (auquel on associe une valeur marchande en fonction de ses ressources et de sa géométrie), il représente avant tout une valeur et le lieu fondateur des identités locales81. La construction territoriale relève alors non plus seulement des actions matérielles, mais aussi des discours, des valeurs et des mythes qu’elle renferme. Le territoire peut être considéré comme un médiateur culturel au sens donné à la culture par Paul Claval, c’est‐à‐dire « l’ensemble de ce que les hommes reçoivent en héritage, ou qu’ils inventent »82. Ce lien est à double sens : si le territoire produit du culturel (il n’est que de penser à la “mise en mythe du paysage”83), le culturel produit en retour du territoire par l’usage d’emblèmes et de symboles. Il permet ainsi de s’approprier un espace, de transmettre une appartenance territoriale constitutive de l’identité collective et/ou individuelle. C’est sur cette ambiguïté que joue le titre de ce travail : l’invention d’un estuaire culturel comme la réponse à la métropolisation effective. Dans une métropole bipolaire, comment donc faire chose commune ?
Pour déterminer cette identité collective ‐ l’estuaire, le patrimoine naturel et fluvial partagé va être le lieu d’une manifestation culturelle éponyme, « Estuaire, le paysage, l’art , le fleuve ». Durant trois éditions – 2007, 2009, 2012 ‐ des œuvres signées de noms internationaux de l’art contemporain, pérennes et éphémères, vont être dispersées sur 81
BERQUE Augustin, Etres humains sur la terre, Gallimard, Paris, Coll. Le débat, 1996 CLAVAL Paul, La géographie culturelle. Coll. Fac, Nathan Université, 1995 83 BONNERANDI Emmanuelle, « Le recours au patrimoine, modèle culturel pour le territoire ? », Géocarrefour, vol. 80/2, 2005 82
ce site pour revaloriser le fleuve et ses abords. Dans quelle mesure l’événement artistique va t‐il proposer une relecture du paysage culturel ? De quoi est constitué le mythe de cette nouvelle étendue territoriale ? Cette biennale propose de faire le récit d’un contexte historique : le lien unissant Nantes et Saint‐Nazaire. Si le culturel permet de rendre au territoire son attractivité escomptée, c’est surtout qu’il instaure la construction d’une image, d’un imaginaire, qui seront les garants d’une identification sur la durée. Michel Lussault, géographe français, détermine les trois conditions de celle‐ci. « 1. il faut un récit légendaire, une configuration narrative au sein de laquelle l’histoire est une substance pour un récit. 2. l’image met en scène une configuration géographique qui se décline selon trois registres : une morphologie, qui se cristallise dans des paysages, des lieux, des architectures ; un rapport entre cette forme et les composants primordiaux du site urbain – la rareté dont j’ai parlé – au seul climat ; et les relations particulières des citadins à cette géographie. 3. elle assure enfin la visibilité d’une scène politique »84. Le rapport politique lié à l’événement culturel sera analysé tout au long de ce travail pour déterminer ses interdépendances et comprendre les enjeux de lisibilité.
Nous aborderons au travers d’Estuaire, la question de l’invention d’un patrimoine tourné vers le futur, et affirmé comme outil de communication d’une planification prospective du territoire Nantes/Saint‐Nazaire. Nous nous demanderons si l’œuvre est le monument du lieu, ou si, au contraire, l’œuvre transforme le paysage en un landmark, en générant un regard subjectif . Quel est le statut de l’œuvre‐landscape lorqu’elle sert un enjeu politique ? Cet événement est, en effet, l’aboutissement d’une politique culturelle plus largement entamée par Nantes dans les années quatre‐vingt. Elle se fonde sur la festivalisation comme moyen de redécouvrir les potentiels urbains de la ville. Revenir sur sa chronologie nous permettra de cibler comment le patrimoine post‐ industriel a été son support, son moyen de se réinventer, à Nantes, puis à Saint‐Nazaire. Quel est alors aujourd’hui l’impact de la culture sur ces deux villes désormais associées ? En quoi permet‐elle la constitution d’une réinterprétation de la friche industrielle, militaire, et portuaire ? On observe un changement de statut, de la ruine à « l’objet symbole » des nouvelles centralités urbaines, des nouveaux clusters. Les différents états 84
LUSSAULT Michel, « Temps et récit des politiques urbaines », Le Quotiden Urbain, La découverte, sous la direction de PAQUOT Thierry, 2001
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et temporalités de ce patrimoine sont communs dans toute la métropole. La culture et son rapport, inhérent au patrimoine, suffisent‐ils pour générer une même identité sur un territoire si fragmenté, morcelé, voire méconnu en ce qui concerne l’Estuaire ? Si le rôle du culturel est de réintégrer une vision commune, lisible par les habitants de ce territoire, c’est aussi dans un but d’attractivité. Les liens entre culture et tourisme sont étroits comme le démontre les choix politiques que Jean Marc Ayrault, maire de Nantes, vient de faire. Il nomme aujourd’hui Jean Blaise ‐ celui qui est à l’origine des orientations artistiques et culturelles de toute cette aventure ‐ Directeur de la Culture et du Tourisme. Nous étudierons le paradoxe créé par ce statut qui intègre les enjeux d’une infrastructure paysagère avec ceux qu’on peut qualifier de purement économiques. Au travers de ces thématiques, une question se pose, celle de la culture comme constitution de l’image métropolitaine. Plus encore dans le cas présent, il s’agira de comprendre au fil de cette démonstration comment l’empreinte industrielle, ainsi scènographiée par l’événement culturel, engendre une réappropriation de l’entre‐ territoire métropolitain Nantes/Saint‐Nazaire.
La problématique ici présente se propose de démarrer à partir de la grande échelle pour questionner ensuite des éléments plus ciblés que seront tout d’abord Nantes et Saint‐ Nazaire, puis à l’échelle de l’estuaire, les œuvres et l’impact sur leurs communes. Elle résulte d’un travail qui s’est fait pourtant à contre sens. A partir de la thématique portée par le séminaire, celle de l’INFRA‐CULTURE, l’exemple restreint de la base sous‐marine de Saint‐Nazaire a d’abord été choisi. Il a été le catalyseur de l’analyse sur le rôle et l’impact de la culture comme départ d’une patrimonialisation dans le contexte de désindustrialisation d’une ville portuaire. Mais il n’était pas concevable de penser le rôle de la culture nazairienne sans remonter à sa source : la politique culturelle nantaise. La comparaison de leur différents processus urbains étaient nécessaires pour comprendre leur bipolarité, leur adéquation, ainsi que leur rapport de compétitivité historique lié au fleuve. Le fleuve était bien sûr la condition de cette entente. L’analyser au regard de l’événement Estuaire est devenu l’enjeu de ce travail, la façon de comprendre les mécanismes d’une gouvernance de la métropole. Les analyses sur la question métropolitaine appliquées à Nantes/ Saint‐Nazaire (Fritsch, 2006) n’établissent pas
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comme élément déterminant de sa construction la culture. Les documents étudiés ont été principalement les comptes‐rendus des différentes Conférences Métropolitaines qui sont aux nombres de cinq. J’ai personnellement assisté à la dernière en date, à Saint‐ Nazaire. « Le Monde n’attends pas. Nantes/Saint‐Nazaire, sommes nous prêts ? ». La diversité des intervenants (politiciens, urbanistes, géographes, citoyens, historiens, philosophes) est à chaque fois une source de points de vues divergents, critiques, et variés permettant de débattre avec pertinence sur les préoccupations essentielles de la métropole. L’une des ressources capitales à ce sujet est la revue « Place Publique » de Nantes/Saint‐Nazaire, conçue avant l’efficience de la mutualisation des communautés d’agglomérations. Elle aborde en profondeur, tantôt par des articles scientifiques, tantôt par un travail journalistique, les deux entités et leur hyper‐centre : l’estuaire. Des ouvrages historiques retracent l’épopée portuaire et économique des deux villes, l’une par rapport à l’autre (Amiral Brossard / Vauthier‐Vézier). Quant à la biennale, les seules sources sont celles, d’un côté, des catalogues des deux éditions 2007/2009, et leurs comptes‐rendus économiques et budgétaires, et de l’autre, les articles de presse et les blogs de visiteurs. Des références théoriques sont venus nourrir mon propos tout au long de mes recherches sur les notions de paysage, de territoire, de patrimoine, de culturel et de gouvernance (voir bibliographie). Mais l’analyse sur le terrain m’a réellement permis de me saisir du sujet et de me l’approprier.
Pour déplier le fil de cette narration, nous verrons tout d’abord comment Nantes et Saint‐Nazaire empruntent un chemin commun, celui de la recomposition d’un patrimoine, fondé sur les vestiges des différentes étapes des mutations industrielles. La culture est le support de ces nouvelles centralités urbaines tant à Nantes qu’à Saint‐ Nazaire. Nous verrons comment et pourquoi. Ces mécanismes, dont nous retracerons les origines, les temporalités et les enjeux, observés à l’échelle des deux polarités fondatrices de l’ensemble métropolitain, seront observés ensuite dans un second temps à l’échelle non plus d’une ville, mais d’un territoire, celui de l’estuaire. Nous analyserons par le biais de la biennale, cette reconquête identitaire du fleuve et du péri‐urbain, en quête d’appropriation métropolitaine. Dans une relation outils/territoire d’abord, la biennale sera comparée à une planification territoriale. Ensuite, dans le mouvement du
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rapport dispositif/paysage, nous comprendrons comment le mythe de l’estuaire se fonde. Nous interrogerons finalement les limites et impacts d’une manifestation de cette envergure, au regard des ambiguïtés entretenues par le tryptique culture/tourisme/politique. Tout au long de ce développement, le terme de culture sera arpenté, re‐questionné et ainsi décliné. Ce fil conducteur nous permettra de nous interroger : La culture peut‐elle être aussi une infrastructure du territoire, où déclenche‐ t‐elle une prise de conscience ? Pose t‐elle les jalons de l’infrastructure future ou propose t‐elle juste une réinterprétation d’un environnement nécessaire à l’imaginaire des arpenteurs quotidiens et ponctuels ?
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RECOMPOSER UN PATRIMOINE LIGERIEN
“ L’inversion peut être une approche fructueuse face à tout phénomène complexe. Il s’agit de remettre au centre ce qui est périphérique. Cela permet de se rendre compte que les structures qui semblent être évidentes ne le sont pas toujours. Des éléments apparemment latents, ou secondaires au premier abord, tiennent de ce fait un rôle capital : l’approche contribue ainsi à construire une vision plus équilibrée d’une situation donnée. Les éléments se mettent à interagir et une structure d’équivalence apparaît. Penser une inversion du paysage urbain c’est intervenir dans les rapports entre le bâti et les surfaces vertes, entre la ville et la campagne, entre culture et nature.“ VERSTEEGH Pieter, KAUFFMANN Vincent, ibid, p.117
Figure 1 Image de la france en 2000 Amorce de structuration de l’espace en 1970-75 Datar 1971
Figure 2 Cartogramme selon population des communes en 1999 DATAR
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RECOMPOSER UN PATRIMOINE LIGERIEN
A
L’estuaire, entre‐deux d’une relation binaire. Dès 1963, Le Général de Gaulle en créant la DATAR, amorce l’ambition d’une nouvelle vision des territoires. C’est cet organisme qui va définir le principe des métropoles d’équilibres. Huit nouvelles polarités, qui feront l’objet d’une attention particulière de l’état. Chacune d’elles étant destinée à opérer comme outils de décentralisation, la mono‐centralité de la capitale devenant écrasante. Ce redécoupage les situe chacune comme les capitales complémentaires d’une nouvelle cartographie française où toutes jouent un rôle spécifique dédié à redynamiser leur territoire. (fig. 1) « L’évolution générale porte en effet notre pays vers un équilibre nouveau. L’effort multiséculaire de centralisation (…) ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de la puissance économique de demain. »1 Parmi elles se trouvent justement Nantes/Saint‐Nazaire, seule métropole d’équilibre à être binaire. Elle est, avec Bordeaux, la deuxième grande entité de la façade atlantique car la spécificité de cette future métropole est avant tout son rapport portuaire à l’océan. Ce potentiel fluvial et maritime est l’un de ses atouts majeurs. Le réseau d’équilibre régional actuel (fig. 2), auquel ces deux villes appartiennent, est à l’image du lien qu’elles ont toujours entretenu tout au long de leur histoire. Cette relation d’équilibre, à l’origine de leur identité, s’est construite dans un rapport de dépendance. Cette question de la métropole les oblige aujourd’hui à se définir dans leur spécificité. Par quoi sont‐elles réunit? Comment faire route commune ? Nous verrons d’abord ici comment ces deux villes entretiennent de par leur histoire une relation ambiguë dans laquelle l’Estuaire, élément complexe à dompter, joue un rôle prédominant. Ensuite, nous comprendrons comment cette identité s’est construite peu à peu au travers d’une recomposition d’un patrimoine commun, visible d’un bout à l’autre de l’Estuaire.
A1
Allers retours portuaires une passation d’activité Pour comprendre cette complémentarité des deux cités, Nantes et Saint‐Nazaire, avec l’enjeu dont il est question ici ‐ inventer à la fois une métropole et un projet commun ‐, il
1
Discours du Général De Gaulle, à Lyon, le 24 mars 1968
Figure 3 “La Séraphique”, négrier nantais 1771 photo Musée de la Marine, Original Musée des Salorges, Nantes.
Figure 4 Nantes vers 1850. Document Port Autonome de Nantes-Saint-Nazaire
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faut questionner la passation d’activité. Ces allers‐retours portuaires sont aujourd’hui les fondations d’un patrimoine qui permet à ces deux villes de ré‐exister.
Commence alors un jeu de rôle que beaucoup de villes portuaires seraient en droit de revendiquer, à une particularité près, celle de posséder l’entité géographique clé, qui sera l’élément déclencheur de toutes les péripéties, historiques et économiques : L’Estuaire de la Loire. Leur chronologie est donc indissociable et le récit de leur construction commune nécessaire pour situer les enjeux et rivalités. Tout d’abord il est intéressant de voir comment Nantes, son identité et son histoire, va se construire autour du port et de son réseau fluvial. (fig 3) Il sera important de conserver cette idée pour la suite du développement car la mémoire de ce caractère portuaire sera le socle du patrimoine à valoriser. Pourtant la déconstruction de cette image est nécessaire, puisqu’il s’agit, concernant Nantes, d’une période maritime finalement relativement courte. Nantes est d’abord, jusqu’au début du XVIIIème siècle, une plateforme fluviale par sa position de rupture de charge2. Son économie se concentre sur le commerce et l’échange de denrées qu’elle permet de faire transiter. Elle est alors tournée vers les terres principalement. Ce n’est qu’en 1705, période pendant laquelle son port maritime atteint l’apogée de son tonnage, qu’elle se situe momentanément au premier rang européen. Le commerce triangulaire et la traite négrière feront du port de Nantes son succès jusqu’à la révolution. (fig. 4) Ce rapport d’interface maritime qu’elle entretient avec la façade atlantique à ce moment‐là ne va cesser de diminuer. La spécificité du port de Nantes chute, les types de denrées transitant par son port devenant presque exclusivement le sucre. Cette grande image du port sur laquelle se construit l’identité nantaise est donc, comme il est dit plus haut, relativement courte. Au XIXème siècle, Nantes est confrontée à un isolement relatif, dû au fait notamment de ne pas avoir développé un hinterland3 cohérent et ne s’être pas regroupée dans un ensemble portuaire plus conséquent. La concurrence et le libre‐
2
Anne VAUTHIER‐VÉZIER, L’estuaire et le port. L’identité maritime de Nantes au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 3 Hinterland est l’ arrière pays continental d'un port que ce dernier approvisionne ou dont il tire les marchandises qu'il expédie. Il n'a pas de limites rigides : son importance est déterminée en fonction de sa population et de sa situation économique ; son étendue dépend en particulier de la densité et de la qualité des voies de communication qui convergent vers le port. (source : wikipédia )
Figure 5 Naissance d’une ville: vue de Saint-Nazaire en 1830, 1886, 1933. Saint Nazaire ville port
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échange entre les flottes commerciales n’aideront pas, par ailleurs, la situation économique de Nantes.
C’est à ce moment‐là qu’entre en jeu l’Estuaire ainsi que Saint‐Nazaire. Plusieurs éléments vont être significatifs dans le glissement d’activité qui va s’opérer de Nantes à Saint‐Nazaire. Premièrement, l’évolution des techniques et des tailles de vaisseaux sera capitale. L’estuaire de la Loire est difficile à appréhender. Le Canal de la Martinière sera aménagé en pays de Retz au sud de l’Estuaire à cet effet en 1892. Il symbolise parfaitement cette évolution des techniques qui a fait du portuaire une économie performante en générant du paysage. Ce façonnement du territoire va venir remodeler les représentations et les fonctionnements de l’Estuaire. Mais comme l’Estuaire, ses dimensionnements et les techniques mises en œuvres dans la construction du canal vont s’avérer être, dès 1902, obsolètes, Nantes ne peut donc plus être accostée par les navires de gros tonnages. Le développement d’une porte maritime devient irréversible pour contrer l’isolement économique et fluvial. L’estuaire est alors la condition d’une coexistence ainsi que d’un partage des rôles et des usages, d’abord visible par une fragmentation en plusieurs ports le long de l’estuaire, notamment ceux du Pellerin, Paimbœuf et Saint‐Nazaire. A partir de 18564, Saint‐Nazaire affirme son indépendance économique, et crée sa propre chambre de commerce (fig. 5). Ainsi elle récupère à partir de 1953, progressivement, la part la plus importante de la navigation et devient réellement l’avant‐port de Nantes. C’est un point d’articulation majeur de l’histoire commune des deux villes. Cette nouvelle identité portuaire assumée par Saint‐Nazaire participe à un basculement économique progressif qui contribue à accroître la compétitivité des deux villes.
Néanmoins les deux extrémités de ce nouvel ensemble sont nécessairement interdépendantes. Madeleine Broccard définit le chorotype de l’estuaire européen5. En regardant ces schémas et la façon dont l’estuaire devient une interface, on observe une dissymétrie qui illustre bien cette interdépendance économique. La hiérarchie est 4
FOURNET Philippe, « les grands estuaires français : organisation, aménagement, environnement », Patrimoines et estuaires, Actes du colloque international de Blaye (2005), coll Des lieux et des liens, ed confluences, 2006, p.27‐37 5 BROCARD Madeleine, LECOQUIERRE Bruno, MALLET Pascal. “Le chorotype de l'estuaire européen”, Mappemonde n°3, GIP‐RECLUS, 1995
RE
I ZA A TN IN
RE
I ZA NA T IN
SA
SA
RE
I ZA NA T IN
SA
ES NT NA
ES NT NA
Hiérarchie urbaine
Hiérarchie portuaire
Réaction littoral
Axe de dissymétrie
Production industrielle
Axe de circulation
Milieu estuarien conflictuel
Axe de développement
Hiérarchie urbaine
Hiérarchie portuaire
Réaction littoral
Axe de dissymétrie
Production industrielle
Axe de circulation
Milieu estuarien conflictuel
Axe de développement
ES NT A N
Figure 6 la relation schematique Nantes Saint-Nazaire selon le chorotype de l’estuaire européen. document personnel
Hiérarchie urbaine
Hiérarchie portuaire
Réaction littoral
Axe de dissymétrie
Production industrielle
Axe de circulation
Milieu estuarien conflictuel
Axe de développement
Figure 7 La cité linéaire, une “cité linéaire” quartier d’union entre deux “cités-points” Arturo Soria y Mata
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inversée (fig. 6): d’un côté un déséquilibre urbain, Nantes, ville historique de fond d’estuaire, n’est plus au centre du « système estuaire », même si elle conserve son rôle de métropole régionale : elle possède une forte démographie au contraire de Saint‐ Nazaire. De l’autre côté, Saint‐Nazaire détient la puissance de l’activité industrielle et portuaire que Nantes a perdue. L’estuaire, élément géographique qui a façonné ce déplacement portuaire devient le garant de l’équilibre entre les deux cités.
A2
Un no man’s land structurant mais fragmenté Au cœur de l’ensemble métropolitain dont il est sujet ici, l’estuaire est à la fois une rupture entre deux rives, mais aussi le lien qui unit les deux polarités. Il crée une continuité, et génère un espace linéaire. En opérant un saut d’échelle, on pourrait comparer les premières pensées sur la ville linéaire (fig.7), notamment celles d’Arturio Saura y Mata6 et les appliquer à la métropole Nantes/Saint‐Nazaire. Seulement le statut inhérent à celui d’une métropole, celui d’être éminemment urbain, est complexifié par la particularité géographique étudiée ici : posséder comme centralité une anti‐urbanité, un hyper‐paysage. L’entre‐deux de cette relation bipolaire est un espace entre‐ville comme le définit Thomas Sievert dans Entre‐ville: une lecture de la Zwischenstadt7. Si ces espaces sont perçus le plus souvent comme des no man’s land, c’est qu’il faut leur conférer une certaine lisibilité, une intelligibilité, écrit‐il. Un développement urbain sans ville, c’est ce à quoi correspond la Zwischenstadt. Il présente cette projection de la ville contemporaine afin de mieux comprendre l’établissement urbain actuel. Il aborde les logiques urbaines de centre/périphérie, mais ici à Nantes/Saint‐Nazaire, cet espace entre‐deux est au cœur et non à la périphérie. Entre en compte alors la question de la linéarité, de la continuité de l’espace estuarien. Il nous faut comprendre de quoi est constitué ce territoire mal identifié et pourtant si capital dans la construction d’une identité urbaine et métropolitaine. Il est vrai que sa longueur, tout d’abord, le rend difficilement lisible de façon globale. D’un bout à l’autre, 60 kms de long séparent la rive sud de la rive celle nord. Les voies ferroviaires qui longent et permettent de circuler sont relativement éloignées de l’espace fluvial. La visibilité de ce dernier est difficilement accessible, et même, de par sa
6
SORIA Y MATA Arturo, La Cité Linéaire, nouvelle architecture de villes, Centre d’Etudes et de Recherches Architecturales, 1979. 7 SIEVERTS, Thomas Entre‐ville: une lecture de la Zwischenstadt. Éditions Parenthèses, 2004.
Figure 9 entre industrie et nature, l’estuaire comme frontiÊre. image tirÊes Bing.com
25
géographie marécageuse, quasiment impossible. De par sa profondeur, ses rives, ses frontières et son littoral ne sont pas aisés à délimiter. Son arrière‐pays sert de passage et de support à toute une région qui vit par lui et pour lui. André Hubert Mesnard8, docteur en droit, apportant aussi ses contributions au comité de prospective Nantes 2030, parle à propos de cet espace estuarien de caractère composite et diversifié. Par certaines oppositions peut‐être un peu manichéennes mais permettant de voir les entre‐deux estuariens (fig.8) , on peut facilement illustrer ce propos. Ce patrimoine est mi‐marin, mi‐fluvial, mi‐urbain, mi‐campagnard, mi‐naturel, mi‐culturel. Plusieurs identités s’y superposent, plusieurs épaisseurs : un espace naturel plus ou moins sauvage (le fleuve, ses bras, ainsi que certaines îles), un patrimoine naturel parfois protégé, cultivé ou planté et agricole. Quant au patrimoine construit, il va de l’architecture des bords de Loire jusqu’aux châteaux, de l’habitat de villages jusqu’aux quartiers portuaires en se rapprochant de Saint‐Nazaire. Il est appelé rue d’usines au XIXème siècle et conserve les traces de ce passé industriel. Les cathédrales industrielles peuvent être en friche (hauts‐ fourneaux de Trignac, grues Titan de Nantes) ou encore en activité (fig. 9), comme sur les chantiers navals de Saint‐Nazaire ou au sein des usines comme Beghin Say. C’est, à la fois, un lieu de vie et un lieu de passage.
Peut‐on alors considérer ce cœur comme « un patrimoine à réinventer », comme le titre la revue Place publique9, Nantes/Saint‐Nazaire, en 2007 ? L’importance, en effet, de la reconnaissance identitaire de l’Estuaire dépend de cette vision : est‐ce un patrimoine à se réapproprier par tous ? L’Unesco décrit comme suit le patrimoine : « ce patrimoine culturel transmis de génération en génération est recréé en permanence par la communauté et les groupes, en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire. Il est fait de pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoirs faire ainsi que des instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés, et que les groupes, le cas échéant les individus, reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel »10
8
MESNARD André‐Hubert, « Pour une gestion décentralisée du patrimoine estuairien » Place publique, la revue urbaine, n°3, juillet‐aout 2007 9 ibid 10 Definition issue de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel adopté le 17 octobre 2003 le patrimoine culturel immatériel (PCI) – ou patrimoine vivant – est la source principale de notre diversité culturelle et sa continuation une garantie pour une créativité continue.
Figure 10 Prise de vue du port autonome de Nantes Saint Nazaire. documents personnels
27
Il y a dans ce territoire quelque chose qui dépasse l’idée du patrimoine figé. Il s’agit, pour faire support identitaire, plutôt de trouver l’immuable, ce qu’il peut y avoir de durable. Cette définition un peu technocratique de l’Unesco parle bien du temps continu du patrimoine, celui immatériel, en opposition à celui plus figé de l’objet matériel. Ce temps long de l’estuaire, de quoi est‐il alors constitué ? Ce serait les épaisseurs des différentes réalités culturelles dont nous parlions plus haut qui le composeraient. La navigation, la construction navale (fig 10.), la pêche fluviale, l’activité portuaire font partie de cette identité de l’estuaire liée au fleuve, à l’eau. Finalement les discontinuités de cet entre‐deux, rassemblées, sont le support d’une unité. Le patrimoine serait donc ce qui relie les générations au‐delà des objets figés du patrimoine matériel protégé. Il serait intéressant de considérer que ce patrimoine matériel, industriel pour la majeure partie de l’estuaire, soit en fait l’émergence concrète, la métonymie d’un patrimoine immatériel plus fondamental et plus difficile à saisir. Voilà tout l’enjeu de cette construction métropolitaine : qualifier, englober, définir cet élément structurant qu’est l’estuaire.
A3
Une métropole d’équilibre La conscience urbaine et collective d’un territoire, bien que géographique, patrimoniale et de l’ordre du vécu, est bien sur aussi éminemment politique. Cet équilibre entre deux pôles urbains autonomes est né d’une rencontre politique de deux maires, ceux de Nantes et de Saint‐Nazaire, respectivement, Jean Marc Ayrault et Joël Batteux. L’un est élu en 1989, l’autre en 1983, et depuis, constamment réélus. Tous les deux adhèrent au parti socialiste. Leur même lignée idéologique et politique rend plus compréhensible cette réalisation d’un territoire commun 11 : « Pour partie, la métropole est un concept, une volonté, une dynamique. Mais d’autre part c’est aussi un fait. Les élus locaux sachant fort bien que nous sommes tous interdépendants, la métropole est ce territoire où personne ne peut être indifférent à ce qui se passe en quelque point de son périmètre. Contrairement à la plupart des métropoles qui ont un centre et une périphérie, celle‐ci est une métropole qui a deux 11
Place publique n°11/ débat Gouverner la métropole en présence de Joél Batteux, maire de Saint‐Nazaire, Jean Marc Ayrault, Nantes et Yves Métaireaux, La Baule.
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bouts et, entre ces deux bouts, il y a l’estuaire de la Loire. Cette morphologie très spéciale a généré dans le passé des attitudes qui sont en train de s’inverser : ce qui était une séparation devient un trait d’union. » Joël Batteux
« C’est vrai. Et puis après, il y a eu la décentralisation et on n’a pas pris tout de suite à bras‐le‐corps la question de la métropole parce qu’on n’était pas prêts. On avait autre chose à faire, chacun sur notre territoire, à Nantes, à Saint‐Nazaire. Mais aujourd’hui, raisonner nanto‐nantais n’a plus de sens. Il y a une logique à travailler ensemble. » Jean Marc Ayrault.
Ils sont, tous deux, les initiateurs d’un rassemblement qui a lieu d’abord indépendamment à l’échelle des deux villes. La volonté d’intercommunalité est renforcée par la loi Chevènement en 1991. Ainsi, en 2001, Saint‐Nazaire, et dix communes du littoral, se dote d’un nouvel outil, la CARENE, soit la Communauté d'agglomérations de la région nazairienne et de l'estuaire, dont Joël Batteux est le président. La même année, la communauté urbaine de Nantes, appelée plus tard Nantes métropole naît, réunissant vingt‐quatre communes, soit 590 000 habitants. Ce support politique du développement territorial sera la première pierre posée qui amorcera la métropole. (fig 11.) Mais il faut aussi agir au cœur, agir à l’interstice pour rassembler une même entité métropolitaine autour de l’estuaire. C’est le fruit d’un consensus entre acteurs : le conseil d’état, l’avis des communes, les établissements publics de coopération intercommunale, les conseils généraux et le conseil régional, la conférence régionale de l’aménagement et du développement du territoire. C’est à la jonction de ces deux comités d’agglomération que se crée le SCOT de la métropole Nantes Saint‐Nazaire, le 26 mars 2007, approuvé par 57 communes et plus de 780 000 habitants12. Ce schéma de cohérence territorial est un document d'urbanisme qui détermine, à l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes, un projet de territoire, qui vise à mettre en cohérence l'ensemble des politiques sectorielles, notamment en matière d'urbanisme, d'habitat, de déplacements, et d'équipements commerciaux, dans un
12
Scot . http://www.nantessaintnazaire.fr/web/accueil.do
éco.métropole
nconstruire antes saint-nazaire: la ville autour du fleuve > Repères cartographiques
Métropole Nantes Saint-Nazaire // Mars 2009
Figure 12 Affiches pour une ecométropole. SAMDA, SCOT metropole Nantes- Saint Nazaire
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environnement préservé et valorisé. Il a été instauré par la loi SRU du 13 décembre 2000.
Là encore, l’estuaire est le support de cette identité collective, ce qui est visible notamment sur cette campagne pour défendre le projet d’éco‐métropole mené par Laurent Théry13 président de la SAMOA, la société d’aménagement de la métropole Nantes/Saint‐Nazaire, grand prix d’urbanisme 2010. Les fonds d’état « villes de demain », viennent de soutenir trois grands ensembles urbains ‐ Bordeaux, Marseille ainsi que Nantes/Saint‐Nazaire ‐ pour laquelle 5,1 millions d’euros seront attribués. C’est le signe que nous sommes en présence d’une entreprise qui arrive à promouvoir son identité par le fleuve et d’égaler en attractivité de grandes entités urbaines. (fig.12)
Ce SCOT permet de délimiter la zone d’influence dédiée à l’estuaire. On observe par contre que ses frontières sont beaucoup discutées. Le SCOT ne regroupe pas les communes du sud de l’Estuaire sauf celles appartenant à la communauté urbaine de Nantes. Associé au décret du 17 juillet 2006 , soit la directive de l’estuaire de la Loire, il détermine les objectifs d’une ambition métropolitaine européenne, en vue aussi de protéger et de valoriser un environnement remarquable. Quels sont ces objectifs ? Tout d’abord, avoir des orientations importantes liées à l’équilibre entre perspectives de développement, de protection, et de mise en valeur de trois grands projets stratégiques. Ils enclenchent une plus grande polarisation du territoire autour de l’estuaire. Qu’il s’agisse du grand aéroport très contesté de Notre Dame des Landes, de l’extension portuaire sur la commune de Donges, ou encore du développement de la production énergétique, comme le grand projet de plateforme offshore d’éoliennes, ce sont toujours de grandes infrastructures destinées à rendre plus visible et plus attractive la métropole. (fig. 13) Ensuite, il est question d’équilibrer le développement urbain de l’ensemble des composantes territoriales de l’estuaire en maîtrisant l’étalement urbain14. C’est un enjeu‐phare. Même si les termes restent assez flous, le caractère périurbain de l’estuaire signifie la disponibilité d’espaces vacants potentiellement constructibles. A
13
THERY Laurent, La ville est une figure libre, Sous la direction de MASBOUNGI Ariella, Editions Parenthèse et Direction générale de l’Aménagement, du logement et de la Nature, Coll. Grand prix de l’urbanisme, 2010 14 Issu du document de présentation des orientations générales du SCOT, 2009
Figure 13 Attractivité de la métropole Nantes Saint Nazaire. Place publique, J.FR. Guitton/CARENE
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cela, la directive du SCOT, ajoute un aspect patrimonial, celui de la protection des sites et des paysages.
L’estuaire est dans cette perspective un élément de re‐délimitation du territoire. « Le sentiment d’une communauté d’intérêt est largement partagé, même s’il a été lent à émerger et à affirmer. S’il doit beaucoup à la relative proximité des appartenances politiques des élus et à un long travail de médiation politique, et même si l’agglomération nantaise joue souvent cavalier seul sur le plan médiatique, l’émergence d’un territoire de projet intégrant simultanément Nantes et Saint‐Nazaire est bien en cours, même si celui‐ci n’est pas totalement abouti. »15
Cet espace fragmenté mais structurant est la résultante du déplacement d’activité historique et géographique. C’est cet entre‐deux qui aujourd’hui est l’enjeu, l’accroche de la métropole, qui s’en fait une identité. En essayant de le considérer de plus en plus comme un patrimoine, à la fois naturel et constitutif d’une identité culturelle commune, la politique n’a de cesse de le relayer pour en augmenter ses potentiels. Cette mutation d’identité estuarienne nous amène à nous demander comment ce territoire qui est aussi le support d’éléments patrimoniaux matériels se révèle et modifie les enjeux de cette passation d’activité. De ces traces historiques, subsistent les éléments d’un patrimoine à reconnecter pour rendre attractive la métropole. Nous verrons donc comment la culture devient le support de ces ruines industrielles laissées par ces glissements et ces décalages temporels.
B
Les états d’un territoire palimpseste Cette passation portuaire engrange inévitablement des mutations d’usages. Quelles couches successives amènent celle de la reconversion culturelle ? Pour comprendre celle‐ci, il faut d’abord faire le récit de ces étapes. D’un bout à l’autre du territoire, de nouvelles centralités s’établissent autour de ces lieux en quête de redéfinition, témoins d’un passé. De ce passé collectif, nous l’avons montré, l’estuaire est le symbole. Après 15
FRITSCH Bernard, « Nantes‐Saint Nazaire, métropole exemplaire ? », in l’information géographique n°4, 2006
Figure 14 Pont transbordeur Nantes. Google images
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avoir apporté aux différentes strates temporelles de ces sites un éclairage théorique et narratif, l’île de Nantes et le projet ville‐port de Saint‐Nazaire seront plus amplement détaillés. Il s’agira de comprendre réellement l’enjeu d’une politique culturelle commune comme socle du renouvellement urbain et identitaire.
B1
Voir le territoire en train de se faire. Temps portuaire, naval et industriel se chevauchent dans le territoire. C’est ici leur désynchronisation qu’il faut mettre en lumière. C’est ce territoire palimpseste16, dont parle André Corboz et Sébastien Marot. Ils utilisent ce terme pour décrire les réécritures successives qui se sont effectuées sur les sites. Cette notion évoque bien sûr ces superpositions qui font disparaître progressivement ce qui était et ne sera plus. Ce sont ces différents états qu’il faut donc décrypter. C’est un cycle encore en mouvement dont on peut témoigner à l’échelle de cette étendue. Trois temporalités : celle du révolu révélé, c’est à dire le patrimoine réinterprété, réhabilité, celle du révolu suspendu, à l’état de friche, en marge, et enfin, celle du vécu visible. Cette dernière est capitale, car elle dénote du renouvellement, de la réinvention d’une activité superposée. Le village de Trentemoult sur l’autre rive, symétrique à Nantes, peut être révélateur de ces couches, notamment par le biais d’une analyse sociologique. Trentemoult accueille en effet les résidents et acteurs de ces mutations. Lorsque Nantes est un port, les marins y vivent. Lorsque l’activité maritime se déplace en avant de l’Estuaire, ce sont les chantiers navals qui les remplacent. Les ouvriers prennent alors leur place. Aujourd’hui, le village est revalorisé et fait l’objet d’une gentrification notable, que ce soit au regard du niveau des revenus, de la moyenne d’âge, ainsi que des types de formations et de métiers qu’exercent les nouveaux occupants. Cette successivité sociale permet la lecture d’un espace aux mutations identitaires. Comment ces identités se transforment‐elles, comment s’illustrent‐elles et que deviennent‐elle ? Peuvent‐elles disparaître complètement ? Pourquoi ne pas imaginer plutôt qu’elles se complètent, et que c’est de cette force que naît le nouveau potentiel de ce territoire.
16
CORBOZ André, MAROT Sébastien, Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Editions de l’imprimeur, collection Tranches de villes, 2001
Figure 15 grue titan documents personels
Figure 16 Usine Beghin Say. document personel
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Alors que l’activité portuaire est pour sa majeure partie concentrée sur l’embouchure de l’Estuaire, subsistent encore, bien que passives, les traces de l’histoire portuaire Nantaise. Elles sont autant de ruines mémorielles. Toutes ne sont d’ailleurs pas conservées. C’est le cas notamment du pont transbordeur de Nantes (fig.14), joyaux d’un patrimoine industriel demeurant le mythe nantais, visible sur toutes les reproductions d’époque. Il a été démonté. Sa prise en charge aurait été trop coûteuse. A l’inverse, deux grues Titan (fig.15) ont été conservées, l’une à la pointe de l’île de Nantes, scénographiée dans un espace publique que Chemetoff a orchestré, l’autre est celle des chantiers navals Dubigeon et une des premières traces de l’industrie navale. Cette entreprise qui a fait la renommée de Nantes et de ces chantiers est aujourd’hui en inactivité quasi totale. Elle fait partie de ce temps révolu suspendu et en passe d’être bientôt le nouveau lieu à être valorisé. Comme si ces grues, d’une certaine manière, étaient les symboles émergents d’une zone délaissée, amenée à renaître. Saint‐Nazaire, de son côté, est le vécu visible de cette industrie qui fait l’économie d’une région, avec les chantiers très importants d’airbus, et les constructions navales, notamment celles de paquebots. Sur un dépliant de Saint‐Nazaire, l’office du tourisme nous encourage à venir vivre en direct l’aventure portuaire, navale et des chantiers de construction.
Deux attitudes coexistent. L’une consiste à témoigner, avec la mise en lumière architecturale d’un passé actif. L’autre permet d’assister aux choses en train de se faire : une même activité, deux champs de temporalité opposés et deux témoignages permettent de s’approprier une économie et une viabilité métropolitaine en action .
La réécriture opère aussi et surtout dans les étapes d’une désindustrialisation. Sur cette identité maritime et portuaire se sont greffées bien sûr toutes les industries qui constituaient un réseau. L’une clé, fait partie à Nantes de ce vécu visible. C’est l’entreprise Béghin Say (fig.16), toujours en activité, au cœur de l’île de Nantes et dont les activités ont démarré à l’époque de la traite négrière. Elle côtoie le linéaire de hangars vides et abandonnés des anciennes fabriques à glace, quai Wilson, que quelques événements temporaires plutôt culturels (concerts) sont venus réveiller.
Figure 17 L’île de Nantes, plan guide “avant/aprés”. A. Chemetoff
Figure 18 L’île de Nantes, axes directeurs du plan guide. A. Chemetoff
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Ces juxtapositions d’états de latence sont autant de friches interstitielles. Dans l’estuaire, au contraire, ce sont des usines, des centrales EDF, des stations thermiques, qui sont les grandes cathédrales en mouvement de cet ensemble naturel.
Le temps court qui serait celui du patrimoine industriel, dont nous parlions, en opposition à celui immatériel de l’estuaire, n’est plus figé. Il n’est pas cette ruine industrielle sortie de son contexte et exposé en tant qu’œuvre. Il est un outil de compréhension d’un processus, d’une temporalité. Voir le territoire en train de se faire : voilà un thème qui permet d’appréhender cet espace complexe pouvant apparaître comme discontinu, mais offrant, par ce système d’observations juxtaposées, une lisibilité plus continue, l’amorce d’une réappropriation par la population des activités déconnectées et pourtant fondatrices de l’identité du territoire. Cette approche, qui aussi rappelons‐le, est inhérente au phasage du projet d’architecture, et plus encore au projet urbain, est néanmoins un point sur lequel deux acteurs du renouveau nantais s’appuient et s’accordent. A l’échelle du Lieu Unique comme à celle du plan guide de l’Ile de Nantes, pour Patrick Bouchain comme pour Alexandre Chemetoff (fig. 17), la notion capitale du chantier fait partie intégrante du processus projectuel. « Le chantier n’est plus le stade intermédiaire et négligé entre la décision de faire et son accomplissement, mais bien l’étape primordiale du projet : la phase de concrétisation de mise à l’épreuve avec le réel. »17
B2
Faire de la friche une centralité Si l’on regarde alors l’exemple de l’Île de Nantes, le projet a d’abord consisté à générer les espaces publics. Une grande partie vacante de ce qu’étaient les friches a été donnée au collectif, à la déambulation, sans que pour autant tous les éléments aient déjà une destination dans le projet urbain de l’île. C’est bien le signe que l’accessibilité, le regard du passant, non plus passif sur un patrimoine en construction, était nécessaire pour donner l’ambition au projet. Comme si avoir conscience des éléments favorisait une réappropriation. (fig.18)
17
CATSAROS Christophe, Le lieu unique, Le chantier , un acte culturel, Nantes, Actes Sud, 2006
Figure 19 ELĂŠments industriels. document personel
Figure 20 Communication du rprojet ĂŽle de Nantes
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« Ce qui constitue la permanence du Plan‐guide, c’est une attention portée à chaque chose pour que chaque réalisation puisse être le symptôme du projet, en être aussi le témoin (fig.19) et la preuve, c’est une prise de position territoriale »18 Cette première approche de projet inclut les ponts, portes d’entrées du projet et départ même de ce nouveau regard à porter sur cette île, qui longtemps a été un grand terrain vague, lieu de toutes les libertés, tant sa visibilité était quasi‐inexistante. Sans refaire l’histoire de Nantes, mais juste pour rappeler aussi l’impact d’une désindustrialisation (fig. 19), la ville dont l’économie était basée sur le fleuve s’est pourtant détournée de lui, tant les squelettes des anciennes fabriques n’étant plus appropriés. Aujourd’hui, c’est pourtant cette friche qui génère l’engouement urbain. De ce passé portuaire en lien à nouveau avec le fleuve, on en a fait une centralité. La notion de territoire inversé19 peut éclairer ce changement d’orientation entre l’opposition urbaine traditionnelle, centre/périphérie (fig. 20). « L’inversion peut être une approche fructueuse face à tout phénomène complexe. Il s’agit de remettre au centre ce qui est périphérique. Cela permet de se rendre compte que les structures qui semblent être évidentes ne le sont pas toujours. Des éléments apparemment latents, ou secondaires au premier abord, tiennent de ce fait un rôle capital : l’approche contribue ainsi à construire une vision plus équilibrée d’une situation donnée. Les éléments se mettent à interagir et une structure d’équivalence apparaît. »20
Cette nouvelle centralité développe des potentiels urbains évidents : relier les deux rives par un seuil nouveau, celui de l’île. De plus, pour une aire urbaine aussi importante que Nantes, qui, comme nous l’avons déjà précisé, est une polarité démographique en extension, établir une articulation par cette île qui possède énormément d’espaces vacants est une chance. L’amorce est visible autour de la Loire, à travers le nouveau dynamisme de la gare SNCF, renforcée par l’ouverture du Lieu Unique en 1999. La première ligne de tramway qui s’ouvre en 1985 longe la rive sud. Le projet de l’île s’implante donc à la suite de la fermeture historique des chantiers navals en 1987, et dans la continuité des deux événements précédemment cités. Chemetoff est désigné en 18
CHEMETOFF Alexandre, Le plan‐guide (suites), Archibooks, 2010, p.26 VERSTEEGH Pieter, KAUFFMANN Vincent, Méandres: penser le paysage urbain, PPUR presses polytechniques, 2005 / p. 117 20 VERSTEEGH Pieter, KAUFFMANN Vincent, ibid, p.117 19
Figure 21 Image projectuelle ESBA, Nantes. Franklin Azzi
Figure 22 La fabrique,Nantes. La création prend ses quartiers
Figure 23 Les grandes nefs, réhabilitation, île de Nantes. Docuement personel
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1999. Le Palais de justice, qui marque l’ambition du projet plus global, est ouvert en 2000. L’île porte l’ambition d’un cluster21 culturel : on assiste à une concentration géographique d’entreprises interconnectées, de fournisseurs spécialisés, de services, de sociétés, d’industries proches et d’industries associées dans des domaines spécifiques qui se concurrencent mais néanmoins coopèrent. L’attractivité de cette nouvelle centralité met en avant la culture. Programmatiquement tout d’abord, comme domaine de recherche, avec un pôle médias et un pôle d’écoles spécialisées, Ecole des Beaux art, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture (fig 21), cet ensemble se construit autour aussi des Halles Alstom qui accueillent des artistes en résidence. Ce Campus des arts participe à la mise en culture de l’Ile, ce qui montre qu’il y a une prise de conscience du rôle économique de cette dernière. Elle est représentée sous le signe aussi du loisir et lieu récréatif22 par l’ouverture en un temps très court, de plusieurs salles de concert, notamment la Fabrique (fig. 22), ainsi que tous les lieux touristiques, Les Machines et L’éléphant (fig. 23) , abrités sous les Grandes Nefs réhabilitées, en sont l’élément phare.
Mais pour créer une nouvelle centralité urbaine par un cluster culturel, il s’agit de venir composer avec et surtout au travers d’actions, d’interventions et de réflexions préexistantes. C’est l’un des arguments de cette politique culturelle : réunir ces associations, ces collectifs, d’artistes, de chercheurs sonores, notamment à la Fabrique, qui étaient éparpillés, fragmentés de façon locale déjà à Nantes ou dans la région. Cette politique est destinée à rationaliser les domaines urbains dans le territoire. On se demande alors si rendre sur‐spécifique un espace, le rend plus lisible, plus efficient. La mutualisation des potentiels de chaque compétence, l’effervescence culturelle générée par la collectivité, sont censées démultiplier la force de chacune des institutions présentes dans le cluster. Attribuer un domaine d’excellence à une zone délimitée est une attitude qui se re‐développe aujourd’hui. A l’inverse d’une volonté de décentralisation, dans l’idée de polariser le territoire, on voit bien que les dynamiques urbaines étatiques tentent ici de faire émerger des espaces centralisés et des pôles compétitifs. 21
Cluster : (grappe) regroupement sur un site d’activités en réseau relevant d’un même secteur. Selon l’idée que tout est supérieur à la somme des parties, il s’agit de rassembler pour provoquer une fertilisation croisée et développer l’innovation collective. 22 DE GRAVELAINE Frédérique, La création prend ses quartiers, Les chroniques de l’Ile de Nantes n°5, Place publique, 2011
Figure 24 Museum quartier, Vienne,Autriche. Document personel
Figure 25 Plan des differentes institutions culturelles. mqw.at image recolorisĂŠe
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La consultation du Grand Paris en est symptomatique, avec comme exemple notamment Saclay comme pôle scientifique et de recherche. Jean Lachmann23 explique comment les clusters ont permis d’apporter des réponses aux difficultés des reconversions industrielles de la fin du 20e siècle. D’intérêt national, la France a lancé, en 2004 les pôles de compétitivité. Il insiste : « les clusters ont constitué les fondements essentiels de la dynamique vertueuse de l’innovation grâce notamment aux partenariats des entreprises avec les établissements universitaires, l’évolution des districts aux clusters en est représentative ».
Dans cette lignée, l’exemple autrichien du Museums Quartier de Vienne (fig 24, 25) est aussi très caractéristique, tant il réunit au centre du 1er arrondissement tous les musées. Dans un registre plus institutionnel que l’île de Nantes, il centralise l’offre culturelle, rassemblant environ 50 institutions dédiées à l’art et à la culture contemporains. Comptant parmi les dix plus grands espaces culturels au monde, il attire chaque année plus de trois millions de visiteurs. Organisé autour d’un espace public où se greffent tous les supports économiques liés au tourisme, à la restauration et aux boutiques, il est devenu un incontournable des loisirs dans la vie viennoise. Cet exemple nous permet d’éclairer l’ambition du « cluster culturel » de l’Île de Nantes. Lors d’une discussion, le libraire du Lieu Unique confie finalement qu’il considère ces actes politiques comme un lobby culturel, et que le processus de construction de l’île de Nantes résulte d’une récupération d’initiatives locales et d’anéantissement d’un système culturel parallèle. C’est en quelque sorte le pendant. Réinsuffler au cœur tout acte culturel est la cause d’un dépeuplement local. Notamment toutes les recherches des collectifs qui s’étaient regroupés dans le vieux cinéma de l’Atlantic, ont été déplacées dans un nouvel établissement, la Fabrique, dernière inauguration du projet de l’île. Ce qui faisait le dynamisme d’un quartier est allé rejoindre à cause de « valises de billets »24, l’action récupérée et institutionnalisée d’un projet centralisé.
23
LACHMANN Jean, Le développement des pôles de compétitivité : quelle implication des universités ? in Innovations 2010/3 (n° 33), De Boeck Université 24 Suite à un entretien avec le libraire du Lieu Unique.
Figure 26 Parc des chantiers. A. Chemetoff
Figure 27 Images projectuell ManĂŠges des mondes marins, Nantes. La crĂŠation prend ses quartiers
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B3
Quand la culture précède le projet urbain
Utiliser les espaces « terrains vagues »25 qui caractérisent la ville dure et continue comme nouvel enjeu urbain de spécialisation culturelle, voici une attitude qui s’étend à tout le territoire de la métropole, notamment à Saint‐Nazaire où sont utilisées les mêmes clés de développement. Dans les deux cas, de ces zones délaissées, désaffectées, la culture est l’élément qui précède le projet urbain. En effet, la « zone est » de l’île, celle laissée vacante par la désindustrialisation, n’est seulement qu’aujourd’hui le lieu de l’investissement par des équipements de la vie quotidienne : école primaire, crèche, bureaux et logements. Comme si le culturel était le sondeur d’un nouveau quartier. Une première phase d’attraction et de redécouverte territoriale amène donc à une pérennisation de cet espace comme lieu de vie. Le quartier se prénommant La prairie au duc, du nom d’une ancienne île, contient comme socle du nouvel éco‐quartier un projet d’équipement scolaire, se glissant dans l’interstice de la matrice culturelle du parc des Chantiers (fig 26), entre les grandes Nefs, les entrepôts de la Machine, et le nouveau Manège des animaux des mondes marins (fi. 27). Ça y est. L’espace public a rempli son rôle : celui de donner la possibilité d’arpenter le projet en train de se faire, et étant enfin simultanément parasité, grignoté par les programmes pérennes d’une vie de quartier.
Ces mêmes données sont retranscrites dans le projet ville‐port de Saint‐Nazaire. Celui‐ci s’inscrit dans la longue liste des villes portuaires, dont l’enjeu est, suite aux mutations d’usages produites par l’innovation des techniques, de renouer avec le fleuve. Revenons, même si ce n’est pas le sujet principal ici, sur ce qui a empêché ce lien avec l’identité même de cette ville. Tout réside dans l’année de construction de la base sous‐ marine durant la seconde guerre mondiale par les nazis. Cette base sous‐marine fait partie d’un réseau bien plus large, le mur de l’Atlantique, qui s’étend du nord de la Norvège jusqu’au sud de l’Espagne. Véritables outils militaires, les différents éléments de ce grand ensemble sont autant de dispositifs de défense, d’attaque et de ciblage. La façade atlantique française compte cinq bases sous‐marines, soit les plus importants fragments de cette infrastructure archipelisée : Dunkerque, Lorient, Saint‐Nazaire, La
25
SOLA‐MORALES Ignasi, Terrain vague, Quaderns, n°212, 1995, p. 78.
Figure 28 Plan de la base sous marine, 1944, Saint Nazaire. Atlantic linear museum
Figure 29 Saint Nazaire sous les bombes, 1945. MusÊe de l’histoire Saint Nazaire
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Rochelle et Bordeaux. Malgré la construction éclair de la base sous‐marine par le système Todt, « son obsolescence fonctionnelle survint avec une rapidité unique dans l’histoire de la fortification moderne » 26.
Dénué de sens, hors échelle et simplement indestructible, le monument de béton reste et demeure à la sortie de la guerre, le symbole de cette période d’horreur. Elle a ce poids emblématique dans la mémoire collective d’être à la fois l’élément responsable de la destruction totale (la base sera la cible à abattre par bombardements) de Saint‐ Nazaire, mais qui subsiste comme le seul témoin, continuant de regarder le désastre, imperturbable. La base porte en elle les raisons de la chute nazairienne (fig. 28). Elle sera l’objet du contournement. Le plan urbain de reconstruction orchestré après‐guerre par le prix de Rome Noël Le Maresquier va tourner le dos à la mer et se construire autour de l’avenue de la République. Urbanistiquement en effet (fig. 29), cette base représente une monumentalité, un « hors échelle » face au tissu nazairien : 300 m de longueur, 130 m de large, 18 m de haut pour une surface d'environ 39 000 m2 et un volume de béton coulé d'environ 480 000 m3.27 « ... la spatialité des arsenaux... il ne s’agit en l’occurrence ni d’une forme ni d’un modèle ni même d’un vocabulaire ou d’un style que l’on retrouverait dans tous les projets d’arsenaux, mais d’une manière de répartir les vides et de marquer les pleins, de dilater l’espace et de le découper partout où il peut être utile, d’effacer les typologies sous des régularités plus diffuses et de dématérialiser les constructions pour en faire de simples écrans. D’imaginer en somme, un parfait négatif de ce qu’avaient été les villes classiques »28
26
SANTANGELO, Andrea. Le mur de l’Atlantique en représentation, Gennaro Postiglione (dir.) The Atlantic Wall, linear museum, EU Programme Culture 2000, multigrafié, octobre 2005. 27 Panneau d'exposition sur le toit de la base. "Une véritable forteresse". Consultation : 2007. L'épaisseur du toit de la base est d'environ 8 m. La base comporte 14 alvéoles (sorte de garage pour sous‐marin), numérotés de 1 à 14 du nord au sud : les alvéoles 1 à 8 constituent chacun un bassin de radoub de 92 m de long par 11 m de large, pour un sous‐marin ; les alvéoles 9 à 14 sont des bassins à flot, de 62 m de long par 17 m de large, pour deux sous‐marins chacun. Par ailleurs, la base est équipée de 62 ateliers techniques, 97 magasins de stockage, 150 bureaux, 92 chambres pour les équipages, 20 stations de pompage, quatre cuisines, deux boulangeries, deux centrales électriques, un réfectoire et un bloc opératoire4. 28 DEMANGEON, Alain et FORTIER, Bruno. Les vaisseaux et les villes. Bruxelles : éditions Pierre Mardaga (collection Architecture + Archives), 1978.
Figure 30 Plans “Ville port”, 1996. AIVP
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Dans les années 1990 donc, la base sous‐marine est l’articulation du projet ville‐port(fig. 30). Si la base est réappropriée alors la ville pourra se retourner enfin vers son port. Voilà en quelques mots l’enjeu de cette reconversion. Pour cela il faut se demander si la base peut être démilitarisée et réinscrite dans une histoire commune. Peut‐elle assumer sa valeur mémorielle, tout en n’étant plus la métaphore de ce passé ? Notre postulat serait l’importance du rôle du programme culturel et de loisir dans la reconquête des vestiges, des ruines militaires. C’est dans la question de la monumentalité que l’on trouve l’élément patrimonial. Comme le décrit Claude Prelorenzo « Les ouvrages les plus spécifiques du Mur relèvent du camouflage, de l’enfouissement, et de ce fait, sont peu ou mal visibles. Ils ne possèdent donc pas à priori les attributs habituels de la monumentalité : localisation emblématique, visibilité, lien affiché avec des valeurs sociales »29 Pourtant la base sous‐ marine a ces potentiels là. Virilio30 insiste peu sur cette question de la monumentalité mais insiste sur le symbole et le décalage dans lequel un bunker de cette envergure s’inscrit. A une autre échelle, cette base est comprise dans le musée du Mur de l’Atlantique (fig 31), que Gennaro Postiglione développe31. L’idée d’un musée linéaire, montre bien comment ce patrimoine fait l’objet d’études, et donc de ce fait est un élément patrimonial non négligeable. La reconversion urbaine fait de l’édifice le cœur et donc la qualifie en tant qu’élément remarquable et significatif. Elle n’a d’ailleurs pas encore été labellisée patrimoine du 20ème siècle, contrairement à celle de Lorient – base de Keroman – au début des années 2000.
« L’enjeu était simple, aménager la croisée de la ville, faire d’une route nationale une avenue, mais il fallait inventer des pratiques, mettre au point des outils. En France, à l’époque il n’y avait aucune démarche sur les espaces publiques. Il n’y avait même pas de catalogue. Il fallait piocher dans les catalogues allemands simples et gris ou parmi les produits barcelonais ». Chacun des plans successifs ville‐port s’est donc attaqué de façon urbaine et architecturale à ce monstre de béton nazairien. Manuel Sola‐Morales tout d’abord en 1996 est choisi. Son projet prendra forme en 2003. Puis Finn Geipel sera 29
PRELORENZO Claude « Patrimonialiser les bases de sous‐marins et le Mur de l’Atlantique », In Situ [En ligne], 16 | 2011, mis en ligne le 22 juin 2011. URL : http://insitu.revues.org/312 30 VIRILIO Paul, Bunker archéologie (1975), Editions Galilée, collection l’espace critique, 2008 31 http://www.atlanticwall.polimi.it/museum/project/project_presentation.php
Figure 31 Carte et plans des Bunkers c么te atlantique. AW Bunkers, Milan
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Figure 32 Tempelhof. Finn Geipel
Figure 33 Rampe d’accÊs, ville port 1. M. Sola Morales
Figure 34 Ville port 2, VIP life, Finn Geipel. Document personel
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l’architecte de la phase 2. On note deux influences donc, dont parle plus haut l’urbaniste Gérard Penot, l’une espagnole ‐ Barcelone comme projet urbain de ville maritime ‐, et l’autre allemande, avec toutes les références à Hambourg ainsi qu’aux projets de parcs urbains allemands (EMSCHER park, exemples de réhabilitation d’éléments militaires ou post‐industriels). Le dôme géodésique greffé sur le toit de la base sous‐marine de Saint‐ Nazaire est en effet une citation de l’expérience faite à Tempelhof à Berlin (fig 32.). Les axes de circulation, les percées créées dans certaines alvéoles par le premier plan de Manuel Sola Moralès, la place publique, la rampe (fig 33), donnent à voir le fleuve au travers de lui. Mais surtout les programmes seront à chaque fois des enjeux culturels qui permettent de relire l’édifice autrement, de changer le regard comme l’avait fait Yann Kersalé, lors de la mise en lumière de la base, un évènement qui avait réellement modifié la perception des nazairiens.
Escal’Atlantique sera le premier programme de loisir et de culture mettant en scène l’histoire des escales des grands paquebots transatlantiques. Il occupe l’alvéole est de la base. Cette réalisation a drainé quelques 2500 personnes dans les seules journées du patrimoine 2011. Pour l’étape suivante, ville‐port 2, Finn Geipel installe dans les alvéoles ouest en 2007 deux programmes liés à la culture contemporaine. Il s’agit tout d’abord du LIFE (fig. 34) , destiné à promouvoir les nouvelles esthétiques. Ce Lieu International des Formes Émergentes se signale par une programmation artistique, transdisciplinaire et internationale. C’est un outil de fabrique et de diffusion des nouvelles scènes de l’art, capable d’accueillir jusqu’à 2000 spectateurs. Le deuxième programme se nomme VIP. Le VIP est la salle de concert des «musiques actuelles» de Saint‐Nazaire. Elle propose chaque année plus d’une trentaine de concerts ‐ rock, pop, métal, musiques du monde, électro, reggae, blues, hip‐hop, chanson – à plus de 13 000 visiteurs.
Mais ces programmes contiennent néanmoins certains paradoxes. Tout d’abord, ils sont très expérimentaux. Les formes émergentes de l’art, de la musique sont des domaines éminemment élitistes et très spécifiques. Ils ne sont pas forcément révélateurs d’une expérience ou de modèles préexistants dans le territoire de Saint‐Nazaire (au contraire de ce qui se passe à Nantes où l’on ne fait que rassembler des propositions déjà en
Figure 35 Base sous marine. Document personel
Figure 36 Projet urbain, Ville port. place publique
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présence). Peuvent‐ils supporter alors efficacement un projet urbain dont ils doivent être les socles ? Quel en est le public ? Mais c’est néanmoins un moyen sûr de toucher au local, tout en attirant des visiteurs extérieurs à Saint‐Nazaire, une façon de créer du dynamisme par l’attractivité. Ensuite, ces programmes sont disproportionnés. La capacité d’accueil aux vues des proportions de la base est gigantesque (fig. 35). Mais sachant qu’il y a 67 000 nazairiens et que le bassin de population qui doit être touché par le projet ville‐port est de 250 000 habitants32, on comprend aisément alors leur ambition. Enfin, comparé à Nantes, ce sont des lieux moins institutionnalisés qui tirent leur force de leur caractère expérimental. Le renouvellement quotidien de leurs moyens d’actions est aussi le caractère inhérent d’un lieu comme la base sous‐marine. L’affluence du public témoigne d’un réel impact.
A cette ville dans la ville qu’est la base sous marine, s’ajoute aussi le Cinéville (fig. 36) ouvert en 2001. Le complexe cinématographique de 9 salles, l’Alvéole 14, est situé face à l’entrée des deux autres programmes. Il a accueilli 420 000 spectateurs en 2011. Le futur théâtre, Le Fanal, scène nationale complète cet ensemble culturel. Il ouvre ses portes en 2012, dans l’ancienne gare haussmannienne de 1965 réhabilitée. Structuré de la sorte, ce paysage culturel est à la fois une volonté d’équilibre face au rayonnement artistique de la scène nantaise, et donc un moyen de partager les événements au travers d’une structure capable de les porter. Tous ces éléments sont intéressants à relier parce qu’ils participent intrinsèquement à l’infrastructure territoriale, comme à Nantes. Par exemple, le centre commercial « ruban bleu » dont le slogan est « Une autre idée du monde » va porter le reste du projet urbain. Il fait face à la base sous‐marine : de tous nouveaux logements et secteurs tertiaires vont s’installer. Le réel impact de ces infrastructures culturelles réside dans le fait d’avoir créé ce quartier « Saint‐Nazaire, ville port » de toutes pièces. C’est l’un des nouveaux atouts de cette ville longtemps méconnue, même des nantais.
C
L’absence de monuments, réinvention d’un patrimoine Une ville culturelle, donc, une ville créative : c’est ce que ces nouvelles centralités
32
http://www.mairie‐saintnazaire.fr/urbanisme‐habitat/ville‐port/
Figure 37 Jean Blaise. tibobarbier.com
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tentent d’opérer, de faire ce pari de la culture comme levier d’une nouvelle économie et d’un renouveau d’image. Cette désindustrialisation est porteuse en elle‐même d’un projet culturel. Nous remettrons en question plus loin cette notion qu’il est important de citer ici : le monument dispersé. C’est l’expression que Jean Blaise, conseiller de la culture de Nantes et aujourd’hui chargé du grand ensemble « culture tourisme », s’atèle à développer pour promouvoir en 2012 Nantes comme capitale créative, avec le support du « voyage à Nantes ». Si aujourd’hui unifier le patrimoine fragmenté et le considérer comme une unité est l’objectif, c’est qu’il est l’enjeu d’un processus démarré à l’arrivé de Jean Blaise, qui, d’évènements en évènements, va transformer l’image de la métropole. Il s’agit, avant de revenir sur le postulat fondateur de ce cheminement culturel, d’examiner la difficulté d’identifier un patrimoine.
C1
Les acteurs d’une régénération culturelle Comment se construit un patrimoine ? Le patrimoine crée‐t‐il une nouvelle identité ? Nous l’avons vu plus haut, les résidus d’un passé, celui d’une désindustrialisation pour Nantes ou d’une démilitarisation pour Saint‐Nazaire, induisent de nouvelles cibles de patrimonialisation, de reconquête et d’appropriation par les éléments du loisir et de la culture. Mais finalement ils sont symptomatiques d’un fait sous‐jacent : ne pas avoir d’édifices, d’éléments‐monuments. Jean Blaise (fig 37) déclare en effet que « Nantes n’est pas forcément une ville remarquable, alors que Bordeaux est connue pour son architecture ou ses vins »33. Cette phrase est le point de départ de l’entreprise colossale menée par jean Blaise, investigateur d’une structure complexe de réinvention d’un patrimoine. Selon lui, la capitale des Pays de la Loire est plus difficile à caractériser du fait de l’absence de monuments internationalement reconnus. Dominique Sagot‐ Duvauroux34, spécialiste de l’économie culturelle, montre ce qu’est ce pari de la métropole sur la culture avec « un patrimoine architectural moins riche ». Le seul élément qui est accepté comme tel est le Château des Ducs de Bretagne. Pourtant, depuis l’arrivée de jean Blaise, lieutenant de longue date de Jean‐Marc Ayrault, et qui fait figure d’oracle de la culture, Nantes affirme son succès. A l’origine de celui‐ci, « une activité culturelle bouillonnante qui a su redonner vie à toute une cité », note Le Point 33
Interview de Jean Blaise, par Héléne Hamon, pour le magazine internet Fragil, Voyage au centre d’une ville, 10 décembre 2011, http://www.fragil.org/focus/1832#nb1 34 GRANDET M., PAJOT S., SAGOT DUVAUROUX D. GUIBERT G., Nantes la belle éveillée,Le paris de la culture.Les éditions de l’attribut, 2010
Figure 38 Hangars vides. Archives ville de Nantes
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du 24 avril 2008 dans son classement des villes où l’on vit le mieux, et dans lequel Nantes se place pour la troisième fois consécutive en première position. En questionnant certains vétérans nantais, au détour d’une rue, c’est le discours qui est tenu. Dans les années 80, le soir rien n’était ouvert. On pouvait à peine aller boire un verre au retour d’une séance de cinéma. Rien ne laissait présager donc le dynamisme futur qui allait s’y développer.
Jean ‐ Marc Ayrault marque un tournant dans l’histoire nantaise. A partir de 1989 il est élu maire de Nantes. Très vite, il instaure dans sa ville une politique culturelle qui va se matérialiser par une suite d’évènements. « Quand j'ai été élu à Nantes, j'ai cherché à provoquer un électrochoc afin de réveiller la ville. Je pensais que la culture pouvait être un élément fédérateur et un levier permettant d'agir tout de suite. 35 » Avec Yannick Guin, son adjoint à la culture, ils mettent en place une politique culturelle qu’ils nomment double mouvement, à la fois local et global. Faire confiance aux talents Nantais d’un côté, et renouveler le paysage culturel de la ville en installant durablement des artistes et collectifs importés, de l’autre. C’est le cas notamment de Royal Deluxe, une compagnie de théâtre de rue d’Aix en Provence, fondée dans la tradition des idées de Mai 68, et que Nantes accueille dans l’un de ses Hangars vacants (fig. 38) de 10 000 m2 qui deviendront les grandes Nefs. Ce double mouvement s’illustre aussi dans la volonté de toucher la population et la ville tout en faisant venir lors de festivals aux thématiques spécifiques des artistes, poètes, musiciens internationaux. Jean Blaise, en parallèle, dès 1982, crée la dernière maison de la culture de l’ère Malraux à Nantes. A l’arrivée de la droite en 1984, elle disparaît. Seul alors, hors institution, il crée le CRDC, le Centre de Recherche pour le Développement Culturel. Le maire va le financer et ensembles ils vont petit à petit créer les évènements qui vont faire la renommée de Nantes. Il sera aussi l’investigateur de la première Nuit Blanche parisienne.
Quel est le dispositif que ces acteurs mettent en place pour concrétiser cette régénération urbaine ? Il faut situer leurs actes en opposition avec l’exemple de Bilbao, même si les caractéristiques et le climat post‐industriel, de cette ville à la difficile reconversion, peut être similaire à l’ensemble Nantes, Saint‐Nazaire. Dans la
35
Ivan RIOUFOL, Dominique HERVOUËT à Nantes, la culture en bataille, Le Figaro, 2 décembre 2000
Figure 39 Affiche festival des AllumĂŠes. CRDC
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problématique : l’outil culturel est au service du renouveau urbain, ils sont aux deux extrêmes. A travers le développement d’entreprises appartenant au champ de la création, il s’agit de favoriser l’émergence d’une « atmosphère créative », destinées à construire des villes dont le dynamisme est marqué par l’existence d’une « classe créative ».36 Recomposer un patrimoine et une attractivité par le monument, c’est donc bien ce sur quoi Bilbao a misé avec le musée Guggenheim : faire de lui un symbole, une force commerciale, un flagship. Un mono‐élément qui diffuse l’attractivité escomptée aux vues des chiffres : pour 135 millions d’euros investit dans le musée, 735 millions sont engendrés pour être ensuite réinvestis ( Les Echos, 1er décembre 2005). Mais ici, à Nantes, Saint‐Nazaire, le contraire opère : construire un archipel par le renforcement de potentiels en présence. Un monument immatériel.
L’investissement se fait sur l’intervention qui va révéler, sur un temps long. C’est cette pratique du « monument dispersé » comme le nomme Jean Blaise, que nous allons décrire pour comprendre les spécificités d’une politique culturelle made in Nantes.
C2
De l’événement au monument, une temporalité de la festivalisation Même si Nantes possède les emblèmes d’un fort équipement culturel ‐ un opéra, un orchestre national, un conservatoire national, un centre chorégraphique national, des scènes nationales, un théâtre universitaire ‐, ce sont les initiatives qui sont plutôt porteuses du projet culturel. Des initiatives devenues des modèles internationaux et qui rejaillissent sur l’identification d’une force nantaise. Les « folles journées », journées de démocratisation de la musique classique dans l’espace public s’exportent aujourd’hui à Lisbonne, à Tokyo ou encore à Bilbao. Des connexions internationales s’opèrent par le simple fait de mettre une ville à l’honneur, de créer des échanges sur les devenirs des villes portuaires, comme c’est le cas dans le cadre des « Allumés » (fig 39). Ces festivals sont les monuments itinérants de la métropole. Ils imposent des modèles qui se déplacent. En s’inscrivant dans des lieux, ils irriguent et se ramifient à chaque édition des festivals. L’initiative crée une descendance, comme celle du Lieu Unique. Des interventions de Royal Deluxe, spectacle de rue, est né le projet permanent des Machines de L’île. Deux points capitaux réunissent toutes ces manifestations : 36
FLORIDA Richard, The Rise of the Creative Class : And how it’s transforming Work, Leisure, Community and Everyday Life, New York, Basic Books, 2002
Figure 40 Affiche festival des AllumĂŠes. Les AllumĂŠes dans les hangars frigoriphiques. CRDC
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l’importance de l’obsolescence programmée qu’on retrouvera dans Estuaire, et le principe de décalage. Chacun de ces évènements joue sur plusieurs tableaux, plusieurs statuts : sur l’œuvre d’art pièce de musée, sur le déplacement, transports en commun et signalétiques, sur le territoire et ses éléments du paysage urbain ou naturel. Cette diversité d’approche qui rend ces structures temporaires indéfinissables et difficilement comparables à d’autres outils culturels est aussi leur force. C’est la voie vers un patrimoine évolutif et mouvant, qui existe par une re‐territorialisation d’éléments connectés et re‐contextualisés.
Trois festivals sont donc issus du partenariat de Jean Marc Ayrault et de Jean Blaise. Leur première collaboration se concrétisera dans le cadre des « Allumés », un festival de 6 nuits sur 6 ans dont la première édition a eu lieu en octobre 1990, et ce jusqu’en 1995. Les manifestations durent chaque fois de 6 heures du soir à 6 heures du matin. Chaque année une ville portuaire est à l’honneur, mise en parallèle entre l’actualité internationale et le rapport local de Nantes concentré sur elle‐même. Barcelone sera la première, puis Saint Petersburg en 1991, Buenos Aires en 1992, Naples en 1993 (fig 40) puis Le Caire en 1994. Ces villes à l’honneur sont autant de prétextes pour transformer la ville, le temps d’une semaine. Le festival se relocalise constamment . Respectivement pour chaque édition, il réinvestit d’abord les 2800 m2 de la Fabrique à Glace du quai Wilson, puis l’ancienne usine de phosphates Delafoy, la cale de l’ancien cargo Melquiades, le réservoir de la Contrie, vieux château d’eau de 1905, les dortoirs du Blockhaus démilitarisés de l’île de Nantes, et pour finir l’usine Lu. Autant de sites révélateurs d’un passé industriel et mémoriel aujourd’hui en mutation. Ces édifices amenés à être requalifiés, deviennent monument le temps de l’événement. Ils sont les supports de ce festival éphémère et itinérant. L’accessibilité à ces lieux pour les Nantais et les visiteurs internationaux, permet, en se les réappropriant, de leur donner une nouvelle identité, lors d’un usage provisoire. C’est une manière d’imposer pour le maire une approche culturelle de la ville, à la fois sociale par son accessibilité aux lieux non institutionnels, mais aussi régénératrice d’un patrimoine désaffecté.
Cette temporalité programmée construit l’événement et fait en sorte qu’il ne s’essouffle pas dans le temps. Si l’accent est mis sur ce chiffre 6 pour ce premier festival, c’est pour
Figure 41 L’évennement fait l’architecture. Grenier du siecle, Lieu Unique. Document personel
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affirmer la singularité de l’objet et le rendre unique. L’itinérance va néanmoins laisser une trace importante dans le paysage Nantais. En témoigne Le Lieu Unique, redécouvert par la dernière édition et accueillant l’événement suivant Fin de Siècle (fig. 41). Il est alors l’articulation entre l’éphémère et le pérenne, une transition entre l’offre culturelle dispersée et une scène nationale installée. Il est en effet important de montrer la progression de ce renouvellement de temporalité, de morcellement territorial ou non, qui sont les données intrinsèques de l’événement culturel qui nous occupe : Estuaire.
Grâce à l’apport culturel dont bénéficie les différentes entités du parcours festivalier chaque année, ce qui était ancré socialement comme traces négatives d’un déclin industriel est réintégré comme patrimoine. Qu’il s’agisse alors d’une démilitarisation ou d’une décommercialisation des espaces, cette politique tend à construire une nouvelle identité. Le lieu Unique va en être le catalyseur, l’emblème. Conservant les initiales de l’ancienne activité de production, celle des biscuits Lu, la notion de singularité est mise en avant par le nom : « Lieu Unique » (fig. 41). L’ascension de sa renommée tient à sa découverte par un phénomène de festivalisation, donc l’acte éphémère est forcément lié à l’art expérimental. Dans son livre, Christophe Catsaros développe la genèse du projet et questionne l’ambition de départ, remise en cause par Patrick Bouchain. Les notions de prestige d’une scène voulue nationale furent « déconstruites ». La façade devant être vitrine de l’édifice, face au Palais des Congrès est conçue comme aveugle. Elle sera le reflet de l’argument de la politique d’action dont se réclame Jean Blaise, alors directeur du lieu. Un rayonnement national par une action locale. C’est du moins ce qu’illustre la façade remplie de ce que Patrick Bouchain appelle le Grenier du Siècle. Chaque Nantais pouvait venir le jour de l’inauguration avec ce qu’il considérait comme significatif de son temps : une manière de rendre l’événement pérenne ainsi que participatif. C’est pour Patrick Bouchain une manière de proposer « une autre image de l’espace public » face au Palais des Congrès. Cette donnée participative mise en avant est représentative du point de vue critique sur la « rigidité institutionnelle » que développe Jean Blaise autour du Lieu Unique. Il est intéressant de voir que cet ouvrage sur le Lieu Unique (cité ci‐dessus) entame une critique sur la sacralisation de l’objet commercial entrant dans la narration même de la démarche artistique. En effet, selon les chiffres,
Figure 42 Lieu Unique. Christophe Catsaros
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80 % des 550 000 visiteurs pour la saison 2008‐2009 n’ont ni vu de spectacles vivants, ni visité les expositions. Qu’en déduire ? Le lieu vit‐il au‐delà même de son programme culturel ? Développe‐t‐il une autonomie, et génère‐t‐il de la vie quotidienne ?
Le Lieu Unique, dont Jean Blaise est directeur, a été le point d’arrivée d’une série de dispositifs culturels. Il va être le point de départ d’Estuaire. Cet enjeu de patrimonialisation décrit ici est à une autre échelle que nous détaillerons, une problématique encore plus présente le long de l’Estuaire de la Loire. Car cette absence de repères culturels est plus significative le long de l’Estuaire, par ses dimensionnements et ses discontinuités. Nous verrons donc comment Estuaire s’inscrit dans la continuité de ces gesticulations culturelles et utilise les mêmes outils, les mêmes enjeux cette fois‐ci à l’échelle d’un territoire. Il ne s’agit pas seulement de revaloriser un patrimoine en latence d’être lisible à nouveau, mais bien de générer du patrimoine, générer les balises qui révéleront le paysage. Voici cet arpentage d’un genre nouveau. Saura t‐il donner corps aux enjeux métropolitains que les comités de perspectives tentent de définir ?
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ESTUAIRE, REVELER POUR S’APPROPRIER UN PAYSAGE
“La culture devient un « emblème », c’est-à-dire un critère d’identité, objet de « représentations mentales, d’actes de perception et d’appréciation, de connaissance et de reconnaissance, où les agents investissent leurs supposés et leurs présupposés, et de représentations objectales, dans des choses (emblème, drapeaux, insigne, etc.) ou des actes, stratégie intéressée de manipulation symbolique qui visent à déterminer les représentations (mentales) que les autres peuvent se faire de ces propriétés ou de leurs porteurs ») “
BOURDIEU Pierre « L’identité et la représentation éléments pour une réflexion critique sur l’idée de région »,Actes de la recherche en sciences sociales, 1980 n°35, pp. 63-72
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Figure 43 Lieu Unique. Christophe Catsaros
1ER JUIN au 1ER SEPTEMBRE 2007 LE PAYSAGE, L’ART et LE FLEUVE
Figure 44 Lieu Unique. Christophe Catsaros
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A
L’art à ciel ouvert38, un outil territorial
A1
S’inscrire dans le modèle des biennales Les arts plastiques sont aujourd’hui convoqués par les politiques nationales et territoriales pour participer à la fabrique du territoire, par sa requalification et son aménagement. En France, ce phénomène fait suite au processus lancé dans les années 80 par le ministère de la culture : de la commande publique aux projets d’action culturelle. Il est également marqué par les modèles de transformation urbaine de Barcelone, Londres et Miami où la création d’institutions prestigieuses a été importante, et par le fort développement des politiques événementielles. Ici, le modèle de la biennale,(fig 43) depuis une vingtaine d’année est à l’échelle internationale. Le terme de biennale et de triennale, qui s’appuient sur les expériences de Venise, mais aussi de la Documenta de Kassel, commence à se répandre autour de l’année 1993. Pour Emanuelle Chérel39, cela s’explique par la facilitation et l’amélioration des domaines de la communication, de l’information ainsi que de celui du déplacement. « Il s’agit de faire connaître et donner prestige à des lieux négligés, créer des nouveaux centres sur le système de la foire. Elles s’insèrent dans des bâtiments, qu’elles recyclent, esthétisés par la culture». Ce rapport temporaire entre industrie / loisir / tourisme dans lequel est impliqué le système de biennale n’est pas sans rappeler les outils des expositions universelles tissant des rapports entre industries et tourisme, dès 1851, à l’Exposition de Londres ou à Paris en 1937.
Ces événements ont un statut particulier qui se confronte avec celui de l’institution stable d’une culture muséale. Estuaire (fig 44), en effet, se positionne différemment puisqu’il invente sa propre structure, son propre rapport au visiteur. Toujours pour cette historienne de l’art, le musée représente, dans le cheminement artistique, le passé, et la biennale, le futur : des oppositions dedans / dehors, mort / vie. Il faut alors se questionner sur les nouvelles pratiques de l’art public, de l’art à ciel ouvert ? L’événement Estuaire fait plus de la récurrence plutôt que de la permanence. La
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KAEPPELIN Olivier, préface de L'Art à ciel ouvert: commandes publiques en France 1983‐2007, auteurs : CROS Caroline, LE BON Laurent, Flammarion: Centre national des arts plastiques, 2008, p.6‐7. 39 CHEREL Emmanuelle, Quand l’art travaille nos lieux communs, Place publique, n°16, Juillet 2009
Figure 45 Couverture du Catalogue Le temps d’une marÊe. 2005 / 2007. AWP
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permanence serait la temporalité de cette culture institutionnalisée, tandis que la récurrence représenterait l’obsolescence programmée : les trois éditions de la biennale jusqu’en 2012 où tout s’arrête, départ d’un nouveau cycle et d’une réinvention du dispositif. Cet événement commence donc en 2007. Suivront les éditions de 2009, puis de 2011. Il a lieu tous les deux ans. La dernière édition, marquant la fin du cycle, sera finalement décalée en 2012, année apothéose de la rencontre entre Estuaire, et la nouvelle formule Le voyage à Nantes, pensée par Jean Blaise. Quels sont, au‐delà, de cette inscription dans un modèle de revalorisation des territoires par le système binaire de la biennale, les interventions qui peuvent être comparées, être les références de ce projet là ?
Nous ferons deux rapprochements. Le premier sera l’Olympic Sculpture Park de Seattle, permettant de comprendre l’importance de l’art à l’échelle d’un paysage comme support d’une attractivité. Il questionnera Estuaire, malgré ses disproportions, comme la mise en place d’un parc péri‐urbain. Mais d’abord, regardons la biennale de Dieppe qui a démarré en 2005. Comment a‐ t‐elle pu être une source d’influence ?
La première édition de cette biennale, proposée par Marc Armengaud et Alice Schyler Mallet, est titrée Le temps d’une Marée, The Tide is High( fig 45). Elle n’est, à ce moment‐là, non pas qualifiée de biennale, puisqu’il s’agit d’une première édition, mais d’exposition parcours. Il faut s’arrêter sur ce thème car il parle de l’événement qui nous intéresse de plusieurs façons. Tout d’abord à travers la notion de temps qui la régit, qui n’est pas un dispositif planificateur, mais bien une tentative d’approche contemporaine dans un temps donné, dont on ne connaît pas réellement l’issue. C’est une expérimentation qui dure un été. Et ensuite, le deuxième point significatif avec Estuaire réside dans le type d’œuvres présentées. Pour la plupart, ce sont des installations in situ, utilisant plusieurs médias, notamment photographies, vidéos, son, volume ou musique. L’archive, le document, ou la trace ont valeur d’œuvre. Quel meilleur moyen donc que d’aborder Estuaire en le comparant à cette exposition‐parcours.
Quelques remarques, donc. Le type d’œuvre, principalement de l’ordre du média, pourrait être qualifiée de type immatériel. Au contraire, le long de la Loire les œuvres de
Figure 46 PARCOURS de la Biennale Le site et le contexte disparaissent Le Temps d’une marée Catalogue 2007
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la biennale tentent parfois avec difficulté, d’assumer une échelle inhabituelle : celle du paysage. Ce sont réellement des sculptures, des interventions, qui, pour certaines, ont vocation à être pérennes, durables. La caractéristique justement de ces réinterprétations dieppoises est d’être éphémère. Le titre ‐ le temps d’une marée ‐ est univoque. Il est difficile néanmoins d’ancrer au sein de la ville ces œuvres‐médias, le dispositif de l’image ne marquant pas, de façon pérenne, le contexte urbain. L’installation in situ montre bien ce processus d’insertion dans un lieu nouveau à redécouvrir. Si l’archive, la trace a plus d’importance, c’est qu’il s’agit de collecter ces visions du territoire. Alors l’épaisseur existe. Sur le temps de la biennale de Dieppe c’est le parcours, l’itinéraire qui fait œuvre (fig 46).
Malgré certaines spécificités, qui participent d’une différente ambition et surtout d’une différence notoire d’échelle, la date de l’événement dieppois, bien moins relayé dans le monde de l’art et dont la communication a été bien moins forte, précède celle de la première édition estuarienne. En cela, il est capital de montrer que les enjeux, les discours sont très proches. On peut mettre en corrélation leur contextes socio‐ économiques, urbains et historiques : celui d’un espace portuaire. Le maire de Dieppe interroge le paradoxe d’une pareille manifestation.
« Au départ l’idée m’a surpris … Comment deux mondes si peu semblables et aux codes si peu communs, aux approches divergentes pouvaient‐il se relier ? Principalement sans doute à travers les activités portuaires qui sont celles de l’effort, de la pénibilité et de la rigueur du temps qui fait subir aux hommes ses pires caprices. Elles sont aussi et surtout celle du silence car, à terre, les marins sont des « taiseux ». Comment alors des artistes venus du monde entier pouvaient‐ils faire dire à ces hommes et à ces femmes leurs univers quotidiens ? « J’ai entrevu la possibilité de la rencontre, et bien plus, l’enrichissement mutuel qu’elle apporterait aux parties en présence. »40 C’est ainsi qu’Edouard Leveau, député‐maire de Dieppe, décrit les enjeux d’un projet ambitieux. Au regard de la date donc, on comprend que le festival estuaire prend évidemment racine dans cette typologie de manifestations. L’évolution du nom de l’exposition parcours de
40
AWP, Catalogue de l’exposition parcours dans le port de Dieppe, le temps d’une marée, the tide is high, dirigé par Marc Armengaud et Alice Schyler Mallet, 2005, Cybèle
Figure 47 Le Parc de Seattle avant / après Site post industriel Blog: Caribou2010
Figure 48 croquis conceptuel Olympic Sculpture Park Weiss/Manfredi Architects
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l’autre côté a muté, en 2007, lors de la première édition de la biennale estuaire : « Biennale de Dieppe, Le temps d’une marée 2 ». Elles s’interinfluencent et les discours sur l’originalité du concept se redéfinissent. Le sous‐titre est assez important, comme « le temps d’une marée » qui montre le caractère expérimental et éphémère. Estuaire, le paysage, l’art, le fleuve montre à quel point le territoire, le paysage en est le support.
C’est le lieu qui conditionne l’œuvre et sa production. Le fleuve, l’estuaire, le paysage, sont les thèmes d’approche de ces œuvres. Selon Jean‐Marc Poinsot41, la signification d’une œuvre ne lui est pas intrinsèque, mais est plutôt induite par son contexte social, politique et formel. On citera les références incontournables du Land Art, Fluxus, ainsi que l’avènement de la performance. Ces mouvements, ainsi qu’Estuaire qui se situe dans leur continuité, s’inscrivent dès les années 60, dans un refus d’une culture muséale figée. Pourtant l’exemple de l’Olympic Sculpture Park à Seattle (fig 48), construit en 1999, réhabilitant une friche délaissée en un paysage (fig.47) , permettant de franchir et de réunir une zone, s’oppose justement d’une certaine manière à cette vision de l’œuvre dépendante de son environnement. Même s’il s’agit bien sûr d’œuvres qui font résonner le paysage, qui caractérisent des points de vues et des rapports d’échelles à l’étendue du site, la valeur intrinsèque de l’œuvre d’art, et par glissement son attractivité internationale reste prépondérante.
L’ambition internationale est visible dans l’instauration d’une collection composée d’artistes de renom, dont on sait qu’ils vont attirer naturellement les visiteurs. Parmi les vingt œuvres monumentales, citons les noms de Alexander Calder (Eagle 1971), Richard Serra, (Wake, 2004), Louise Bourgeois (Eye Benches I, II and III, 1996–1997 and Father and Son, 2004–2006). Les artistes précèdent le processus de réinterprétation du paysage de Seattle, puisque ces œuvres sont antérieures à la construction du parc. Même si l’œuvre est mise en regard avec son environnement, elle n’est finalement pas si spécifique à Seattle. On retrouve en effet les mêmes trois artistes dans toutes les opérations culturelles de grande envergure, notamment à Bilbao, où l’œuvre in‐situ de Richard Serra est l’une des attractions majeures pour des millions de visiteurs, allant 41
POINSOT Jean‐Marc, Quand l’œuvre a lieu – L’art exposé et ses récits autorisés (1999) Les presses du réel – domaine Critique et théorie de l'art, 2008
Figure 49 De haut en bas : CALDER A., 1971 BOURGEOIS L., 1996 SERRA R., 2004 Oeuvres de l’Olympic Sculpture Park Google images
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peut‐être même au‐delà de l’attrait exercé par l’architecture de Franck Gehry. Des noms stars aux œuvres fortement cotés par le marché de l’art assurent à la manifestation la certitude d’une réussite. (fig 49 ) Dans ce rapport à chaque fois redéfini d’interdépendance entre l’œuvre et le paysage, comment se définissent alors les enjeux de la biennale Estuaire ? Nous allons comprendre comment celle‐ci peut être la métaphore culturelle d’une planification territoriale d’un nouveau genre.
A2
Entre rayonnement international et démocratisation populaire, un outil politique Les ambitions d’Estuaire se lisent en regard avec les personnes qui le soutiennent. Jean Blaise résume l’attractivité escomptée : « le besoin de Jean‐Marc Ayrault, c’est d’identifier la ville, de trouver quelque chose qui aille vite parce que le tramway ça prend dix ans. Il n’y a que la culture qui puisse aller aussi vite ». Cette volonté culturelle découle irrémédiablement donc d’une ambition politique, ce qui se confirme aux vues de l’étendue du territoire qu’elle convoque. Les financements et partenaires sont révélateurs de cette vision politique. « Au fil des ans, la métropole Nantes Saint‐Nazaire se constitue avec l’ambition de devenir à l’échelle européenne le pôle économique et culturel du Grand Ouest de la France. […] Estuaire accompagne la construction de l’identité de cette métropole. »42 L’objectif consiste donc à accroître la visibilité de la ville dans un espace que l’on souhaite le plus vaste possible, national mais surtout européen. Associer la culture à ce territoire doit permettre de l’identifier plus facilement et de favoriser son développement. Plusieurs échelles décisionnaires investissent dans ce projet, et y placent l’espoir d’un avenir florissant. Selon le budget d’estuaire, l’état participe à hauteur de 11%. Le Ministère de la Culture appuie bien sûr ce statut culturel de la manifestation. Sont aussi représentés le conservatoire du littoral et le Plan Loire Grandeur Nature, tournés tous deux vers la conservation de l’estuaire comme espace naturel. L’échelle de participation régionale ainsi que communale à hauteur de 57%, montre bien l’influence escomptée par l’événement. C’est aussi une des forces de la proposition de Jean Blaise : travailler sur un territoire aussi grand permet de récupérer des financements d’un grand nombre de communes et de conseils locaux répartis le long de l’estuaire.
42
Citation issue de la plaquette de présentation du programme Estuaire 2007 Nantes/ Saint‐Nazaire, p. 3
Figure 50 Groupe Coupechoux Oeuvre Angela Bulloch google image
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« Je suis allé là où il y avait le vent, des intérêts et donc de l’argent […] Si les collectivités territoriales soutiennent Estuaire, c’est qu’elles sentent ce que cette manifestation pourra leur rapporter, et pas seulement en terme d’image, mais tout simplement en retombées économiques, directes ou indirectes »43. Ce rayonnement international voulu, s’accompagne donc d’un fort investissement local, auquel s’ajoute, de façon plus inhabituelle, la participation du secteur privé, et plus particulièrement celui des nombreuses entreprises et industries présentes le long de l’estuaire. Ces derniers, en assumant environ 30 % de la manifestation, expriment un enjeu de communication certes, mais plus encore, une volonté de modifier l’image d’estuaire, celle de « rue d’usine ». Ces partenariat réunissent réunissent entre autres Total, Coupechoux, Suez, Nexity, SFR, EDF. Ils sont les fervents supporters de la culture. Coupechoux consacre par exemple 1 % de son chiffre d'affaires de 28 millions d'euros à son mécénat. « Forcément, il ne faut pas attendre d'amortissement. L'enjeu est ailleurs. » Le groupe Coupechoux, dans tous ses évènements en Europe et internationaux, a relayé l'événement Estuaire. « Participer à l'aventure relève de la démarche culturelle au sens large ». 44 Si ces entreprises locales participent activement à l’événement c’est que chaque œuvre y trouve résonance par son positionnement, ses références, et ses rapports d’échelles. Elles sont autant d’outils pour mettre en valeur ce patrimoine économique, le transformer en monument vivant le temps de la biennale. Il s’agit avant tout de faire découvrir ce qui fait vivre l’estuaire, un bassin d’emploi capital de la région. « Plus elle sera visible, plus elle pourra prétendre accueillir les sièges sociaux de grandes entreprises, attirer des chercheurs, permettre de développer des activités de conception et de direction qui ont un effet stimulant sur les activités de production et de services… » (SCOT, 2004) Cet accent mis sur la visibilité du développement local est le rôle d’Estuaire 2007/2009/2012. C’est du moins ce que montrent les chiffres. Ce rapport local/global est la condition d’une entreprise comme celle‐ci. Ainsi, la culture anime les aspects politiques et économiques régionaux, en visant la plus grande attractivité possible. Celle‐ci est à deux échelles.
43
BLAISE Jean, débat organisé par Place Publique BUREAU élisabeth, Ouest France, Mercredi 12 septembre 2007
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sur l’estuaire / la croisière fluviale / collectif la valise /
23
la croisière fluviale NANTES <> SAINT-NAZAIRE
Collectif la valise Création
Informations pratiques, horaires de départ, tarifs, voir “Comment visiter l’événement” (page 52)
Le bateau affrété pour Estuaire offre un point de vue unique sur les œuvres, les sites, la Loire et le paysage de l’estuaire. Investi par La Valise, il devient pour les passagers embarqués une interface entre les œuvres proposées et leur environnement. Les artistes proposent diverses visions, interprétations, d’une réalité à la fois artistique, patrimoniale et environnementale. La croisière offre ainsi une lecture de l’ensemble de la manifestation à travers une documentation bibliographique et vidéographique, des retransmissions en temps réel d’images de l’estuaire, mais aussi des cartes, photos aériennes, interviews, données techniques ainsi qu’un audioguide qui donne à voir et à entendre les étapes et les processus de création du projet et ce dans l’intervalle de temps donné pour cheminer d’une œuvre à l’autre. À l’extérieur, grâce à un effet miroir, le bateau devient un objet flottant potentiellement furtif mais aussi “tape à l’œil”. Reflétant le paysage traversé, entre ciel et fleuve, son aspect change en fonction du point de vue de l’observateur, de la lumière et de l’environnement. Créé en 1997, La Valise est actuellement un collectif composé de trois Nantais, architectes et artistes : Boris Cochy, Pascal Leroux et Samia Oussadit. Aux frontières entre art, architecture, design, leurs actions placent la création contemporaine au cœur de l’espace public. Les premières actions de La Valise ont eu lieu dans la gare désaffectée de Oudon (30 km de Nantes), avec pour objectif de créer un espace de diffusion dédié à la jeune création. L’implantation à Oudon leur a permis de travailler au contact de la population du village et d’imaginer des projets capables, sans compromis artistique, de créer des liens entre les publics, dits initiés et non-initiés. La notion de déplacement joue un rôle majeur dans leur processus de création, que ce soit le déplacement de l’artiste, celui de l’œuvre, ou celui du public. La croisière fluviale Estuaire a été réalisée grâce au soutien de Total, Partenaire Officiel, avec le concours des Chambres de Commerce et d’Industrie Nantes Saint-Nazaire, Partenaire Projet, et avec l’appui technique de Sennheiser, Partenaire Services.
À découvrir aussi sur le bateau, “Tune in”, une création sonore de Georgia Nelson. Fascinée par la météo 5 marine radiophonique, elle endosse le rôle de présentatrice pour quelques minutes de poésie et de langage
© Collectif La Valise
secret, codé (“Midnight, low Shannon 974 expected German Bight”). Un voyage virtuel et abstrait.
estuaire.2007
Figure 51 La croisière, La valise Plaquette communication Estuaire 2007
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Le premier impact immédiat de cette attractivité est la fréquentation. Plus de 769 525 visiteurs ont été comptés pendant la période estivale de l’événement. Au niveau de la revue de presse, Estuaire 2007 a été bien relayée, au niveau de toutes les échelles et de façon croissante : d’abord par la presse internationale (91 Parutions et 5 reportages audiovisuels), puis dans la presse nationale (150, 40), et enfin dans la presse régionale (513, 75).45 Nulle part ne sont publiées les provenances de ces visiteurs, mais il est intéressant de voir néanmoins que sur les visites recensées sur l’édition de l’été 2007, moins d’une centaine de personnalités issues du monde de l’art ont été accueillies46, malgré cette ambition de l’organisateur d’une diversité de profils. « Si vous êtes amateur d’art, vous pouvez ne pas être totalement déçu quand même en ayant fait les trente installations proposées. Si vous n’êtes pas amateur d’art, du moins pas un spécialiste, mais que vous êtes curieux de tout, vous allez, là encore, avoir de vraies satisfactions. Et puis si vous n’aimez vraiment pas l’art, il vous restera la découverte de paysages que vous ne connaissez pas. […] Pourvu qu’il fasse beau ». Sven Jelure, sur son blog insiste sur le fait qu’il s’agirait en majeure partie d’habitants régionaux. Pour lui, tout professionnel du tourisme le sait : Estuaire n'a attiré aucune fréquentation touristique particulière à Nantes. Les touristes étrangers auraient d’ailleurs été 14 % plus nombreux à Nantes en 2008, année sans Estuaire. Mais les chiffres du tourisme habituel sont difficiles à séparer de ceux réservés à la manifestation. L’un des arguments phares étant une démocratisation populaire de l’art contemporain habituellement élitiste, passant par le libre accès aux œuvres, il est délicat de dénombrer les passages. Seule la croisière (fig 50) et de fait, la billetterie du transport en est l’indicateur. Néanmoins, l’argument contre ce rayonnement international tant désiré peut être utilisé pour défendre la thèse ici présentée : celle d’un outil territorial impactant sur une sphère plus locale. Une métaphore de la construction métropolitaine en train de se faire, un projet commun à toutes les communes, un objet de redécouverte de son territoire culturel et de son paysage.
45
rapport de la manifestation ESTUAIRE 2007, http://snalternance.pagesperso‐orange.fr/piecesjointes/36‐ dossier‐estuaire‐2009.pdf 46 DELAVAUD Laura « Espace politique/espace culturel : les intérêts d'une alliance », Terrains & travaux 2/2007 (n° 13), p. 136‐148.
Figure 52 Paysages humides de lâ&#x20AC;&#x2122;estuaire de la Loire Philippe Graindorge Gerpho
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A3
Œuvres éphémères, œuvres pérennes, dispositifs d’une planification ? Ce territoire, celui de l’estuaire, est dans la pratique quotidienne des habitants de la région avant tout un obstacle à franchir. Un inatteignable lieu, tellement invisible dans tous les trajets que l’on peut effectuer, que très peu l’imaginent comme un but. Le train, les routes, les sentiers restent très éloignés de l’estuaire dont les abords naturels (fig 52) sont infiltrés par l’eau, qu’elle soit sous forme de marais, de ruisseaux ou de rigoles. L’objectif de la manifestation réside aussi et surtout dans la constitution d’une série de haltes dans ce territoire fragmenté. Nous aborderons plus loin la notion de rives et d’impact paysager de chacune de ces haltes. Il s’agit de comprendre mieux ici comment la manifestation s’insère dans une temporalité précise et que nous tenterons de comparer à une planification territoriale.
L’obsolescence programmée de l’événement sur trois ans sous forme de biennale est le premier élément important. 2007, 2009, 2012 sont les échéances d’un plan triennal. Cette prévision dans le temps situe l’action dans une récurrence et non plus comme une permanence. Ceci confère à chaque édition un caractère unique. Sept ans ont permis de pérenniser une structure, qui à terme générera un musée d’œuvres d’art à ciel ouvert, et créera indéniablement un patrimoine. D’un autre côté, chaque édition, puisque renouvelée, amènera une nouvelle vague de visiteurs, relançant l’événement comme une re‐découverte de cette collection publique. Cette planification agit donc comme un quadrillage du site de l’estuaire, chaque élément du réseau en construction étant une balise. Ils sont finalement des catalyseurs avec un plus large impact. Au regard des théories sur l’ « acupuncture architecture »47, utilisée notamment par Roland Castro lors du débat sur le Grand Paris comme acupuncture urbaine, chaque œuvre pourrait être vue comme le lieu d’une articulation importante du territoire, destinée à faire beaucoup avec ce qui pourrait apparaître comme peu.
47
ASCHER François, Métapolis, ou, l’avenir des villes, Odile Jacob, 1995. p.237. Il définit le définit aussi comme « urbanisme métastatique » « Les pouvoirs publics peuvent enclencher des mécanismes de valorisation avec des interventions ponctuelles modestes mais bien choisies et ayant des effets de catalyse : à tel endroit un espace vert réalisé dans un espace disponible ( une dent creuse ) peut entrainer la requalification de plusieurs blocs, à tel autre endroit un équipement public peut créer du flux qui attireront des commerces. »
Figure 53 L’usine d’engrais d’Indres Google image
Figure 54 Pecherie géante de SaintBrévin les Pins revue 303
Figure 55 Usine thermique EDF de Cordemais Catalogue Estuaire 2007
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Au vu de cette analogie, les urbanistes seraient ici les commissaires d’exposition, ceux qui régissent ce système linéaire territorial sont les organisateurs du festival Estuaire. Parmi eux, notamment Jean Blaise et ses assistants sont comme des urbanistes qui établissent les règles du jeu sous forme d’un plan local territorial. David Moinard48, co‐ programmateur artistique de l’événement raconte les dessous de cette planification programmatique. En effet, la mise en adéquation d’un artiste avec un lieu d’intervention fait figure d’étape fondatrice. C’est ce processus d’élaboration qui détermine la valeur du « plan », qui donne la mesure de la future valorisation du paysage réinterprété. Après plusieurs mois de repérages, que l’on pourrait apparenter à un diagnostique des potentiels de l’estuaire, une sélection d’artistes internationaux, que Jean Blaise nomme « doubles »49 est faite et associée à ces lieux. « Avec eux, nous circulions sur la quasi‐ totalité du territoire, mais nous nous sommes rendus compte que cette méthode ne fonctionnait pas : les artistes étaient confrontés au gigantisme. Nous avons repéré des endroits singuliers qui définissaient l’estuaire, territoire complexe aux caractères communs : urbains, naturels, industriels, portuaires. A partir de ces sites, nous avons pensé à des artistes, invités ensuite à réagir précisément à un contexte. » Cette notion de singularité et de contexte marque l’attention qui est portée sur la nécessité d’un outil spécifique. Malgré cela, certains sites initialement prévus n’ont pas été porteurs du projet voulu. On note par exemple que Daniel Buren avait été pressenti pour intervenir sur l’usine d’Indres (fig 53), énorme unité de production d’engrais installée les pieds dans l’eau. Edwin van der Heide, lui, devait réinterpréter l’usine de Cordemais (fig 54) en 2007. Une pêcherie géante sur la plage de Saint‐Brévin les Pins (fig 55) était réservée à Tadashi Kawamata. Dans ces cas là tous ont dû choisir d’autres sites. Toutes ces tentatives qui sont le récit des quelques échecs d’une quête programmatique révèlent néanmoins des points importants. D’abord il s’agit bien là d’une volonté de pré‐ territorialisation des œuvres par les programmateurs qui associent en amont lieux, artistes et thèmes. Ensuite, leur intérêt réside dans le fait de révéler un patrimoine industriel et une économie locale en marche, d’assembler éléments d’art, à valeur, si ce n’est esthétique, tout au moins conceptuelle, en tout cas porteurs d’une amplification 48
Propos issus d’un entretien avec Eva Prouteau, « le rêve du minotaure », dans revue 303, n° 106, Estuaire 2009, 2009, p.78‐81 49 artistes « doubles », ce qui signifie qu’ils peuvent jouer un double jeu : être présent dans le monde de l’art – ils exposent dans des centres d’art – et répondre à des demandes politiques, être des acteurs de l’espace publique.
Figure 56 Oeuvres pĂŠrennes le long des communes de lâ&#x20AC;&#x2122;estuaire estuaire.info/010/
Figure 57 La maison dans la Loire Jean-Luc Courcoult Estuaire communication
Figure 58 Le canard de bain Christophe Catsaros
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du regard, et, si l’on peut le qualifier ainsi, de (futur) monument entreprenarial. Mettre en lumière ces lieux, c’est avant tout les rendre significatifs dans la reconstitution d’un territoire morcelé dont les seuls indicateurs sont ces masses hors échelle de l’industrie. En parallèle de ce système d’artistes invités, est ouvert un appel à projet pour toutes personnes susceptibles de suivre la ligne directrice des organisateurs, artistes architectes ou associations.
Deux temps se chevauchent à travers ces œuvres. Un temps court est celui de la période estivale de la biennale. Sur trois mois est renouvelée une offre d’environ 8 œuvres pérennes et 20 œuvres éphémères. Un temps long est celui, plus caractéristique, de cette planification de l’estuaire. Un quadrillage stratégique du territoire est développé par cette écriture binaire, comprenant d’un côté des œuvres pérennes (fig 56) de l’autre certaines éphémères, des choses qui se perpétuent et se consolident, de l’autre, des éléments temporaires qui font la récurrence que nous citions plus haut. Ces deux mouvements ‐ impact local d’un côté, et volonté d’attractivité globale de l’autre ‐ sont interdépendants. Ils se nourrissent l’un de l’autre. Les œuvres pérennes s’installent dans une durabilité qui leur confère une possible appropriation, comme les futures centralités d’un développement urbain, tandis que les œuvres renouvelées à chaque édition sont destinées à la visibilité de l’événement. Ce sont elles qui assurent de la présence des visiteurs tous les deux ans. Elles rendent unique l’événement et qualifient la manifestation dans sa temporalité.
Mais cette programmation du territoire n’utilise pas les mêmes outils qu’un urbanisme prospectif traditionnel. C’est aussi là son avantage. « Il n’y a que la culture qui aille aussi vite » insiste Jean Blaise. On assiste aux échecs de deux œuvres durant 2007 : un canard gonflable monumental ( Canard de bain, Florentijn Hofman, fig 57)50 ingonflable, ainsi qu’une maison enfouie à moitié dans le fleuve (La maison dans la loire, Jean luc Courcoult, fig 58) qui s’y est noyée. Elles sont significatives d’un caractère expérimental. Il faut réinventer les modes d’actions et des écritures à l’échelle du projet. La notion de laboratoire est importante dans Estuaire, car chaque édition se réinvente à partir des acquis de la précédente manifestation.
50
BLAISE Jean, BONNET Frédéric, LUNEAU Dominique, Estuaire, l’art et le fleuve, Gallimard, 2007
Figure 59 Le labyrinthe artistes et thèmes estuaire 2009
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Pour parler de l’estuaire, c’est la forme du labyrinthe (fig 59) qui sera la trame narrative de la programmation. Le fleuve est au cœur de ces cheminements. Comment construire la mythologie d’Estuaire ? Le diagramme programmatique utilise le champs lexical de l’arpentage, comme pèlerinage, expédition, initiation, égarement, trace, marche, guide, fil. Cet arpentage de l’estuaire donne à appréhender la mesure de ce territoire à travers ses balises spatiales. Cette mise en scène du paysage, ciel, terre, énigme, refuge, mirage, expérience, vertige, temps, est une expérience vécue : une histoire de points de vues. Le fleuve et le paysage étant des éléments mouvants, comment être signifiant à cette échelle ? En allant plus loin dans les détails de certains cas particuliers des œuvres d’estuaire, nous verrons que cette planification réside dans la mise en place d’un véritable récit du paysage.
B
Révéler le fleuve, faire exister le paysage
Ce récit se superpose à l’existant. C’est celui d’un nouveau rapport, celui d’un lien réinventé avec des emprises fragmentées. L’ambition même de la manifestation se situe donc au‐delà de « l’œuvre pour l’œuvre », mais bien dans le dispositif qui permet d’apporter la constitution d’une nouvelle vision, manufacturée et construite d’un paysage commun, de Nantes à Saint‐Nazaire. Quel est l’enjeu de ce nouveau regard ? Nous observerons sa construction à travers les notions de parcours, d’échelles, et de recul.
B1
Arpenter, relier des fragments. Une « exposition parcours », sous‐titre la biennale « le temps d’une marée » à Dieppe. Ce terme n’est pas celui d’Estuaire. Mais néanmoins la simple mention « le Paysage, l’Art, le Fleuve », invite à suivre un chemin, condition sine qua non de la rencontre entre les éléments déterminants de ce paysage. L’aller‐retour Nantes/Saint‐Nazaire existe mais aucune des haltes ne permet de s’approcher de l’Estuaire. Mettre en scène l’objet étudié oblige à s’y rendre. Les haltes sont, en quelque sorte, sujettes à observer plutôt l’entre‐deux, à vivre la transition d’un espace non qualifié, naturel ou industriel.
Figure 60 Parcours estuaire 2007 Oeuvres estuaire2007.com
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On observe justement sur la carte (fig 60) du parcours d’Estuaire que la manifestation ne se greffe pas sur les voies existantes principales. Seules les départementales relient de façon ponctuelle les différentes communes qui sont le long de l’estuaire. Une distance, minimum d’environ 3 kms ‐ quand ce n’est pas 10 ‐ sépare l’axe ferroviaire de l’Estuaire. En suivant les étapes programmées, c’est une nouvelle accessibilité du territoire qui est proposée, une injonction de faire de cet axe, non pas un trajet linéaire où Nantes et Saint‐Nazaire seraient les seules polarités lisibles, mais bien une myriade d’entités interconnectées. Malgré une axialité géographique non négligeable, le parcours indiquerait la possibilité de concevoir cet espace comme polycentrique, finalement déhiérarchisé, les deux extrémités ne représentant que le départ et l’arrivée de l’expérience durant le temps du chemin. La navette crée la déviation, une voie cyclable est identifiée sur la rive sud. Le festival crée ici la condition de l’accessibilité à un site déconnecté.
Il la crée, certes, mais on peut y lire aussi une critique du territoire et de ses lacunes, qui sert l’objectif de révéler le fleuve. Finalement, devant l’incapacité des axes préexistants à qualifier l’estuaire, à s’en approcher : n’est‐il pas lui‐même le support de ce nouveau parcours ? Il possède les potentiels nécessaires à la circulation puisqu’il est éminemment fluvial. Pointer des paradoxes comme celui‐ci est l’un des atouts de la biennale. Car l’estuaire peut‐être vu alors comme le cœur du parcours, un véritable trait d’union. Après les dynamiques ville‐port, un territoire‐fleuve est concevable, les communes retournant vers leur estuaire. Voilà semble‐t‐il une piste. Cette révélation de la Loire par l’arpentage de ses environs amène aussi un autre point : la délimitation d’un nouveau territoire. Le Schéma de cohérence territoriale de Nantes Saint‐Nazaire, établi en 2007, ne comprend pas dans son aire administrative la rive sud, notamment le pays de Retz, Le Pèlerin, Paimboeuf, et Saint‐Brévin les Pins. Ce sont pourtant autant de communes qui, contrairement à l’autre rive, établissent un rapport de grande proximité avec les berges du fleuve. La mise en réseau culturelle du site propose alors de faire de la rupture proclamée par les technocrates une entité fédératrice. La croisière fluviale est organisée et prise en charge par le collectif d’artistes La valise. Elle est pensée comme une action artistique. Ce statut est à relativiser car le caractère artistique est ici détrôné
Figure 62 Lâ&#x20AC;&#x2122;observatoire. Tadashi Kawamata Le cheminement commune fleuve estuaire 2009
Figure 61 Lavau sur Loire Rapport lointain au fleuve Capture Google Earth
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lorsque l’on comprend qu’il s’agit aussi ici de la possibilité d’une recette économique, le thermostat de la participation, puisque le seul élément estampillé « billetterie ».
Le parcours prend sens et corps sur le terrain et sans doute plus encore dans la marche, qui permet de s’insérer dans une temporalité : celle du paysage. Se créé alors une nouvelle mobilité de l’estuaire, une infrastructure de l’arpentage en tant qu’instrument de mesure géométrique par « un corps en mouvement, un corps à l’oeuvre, porteur de perceptions »51 Prenons Lavau‐sur‐Loire (fig. 61) La toponymie est intéressante. Elle questionne au regard de la géographie actuelle, le rapport historique au fleuve. Elle était au 19ème siècle au contact de l’eau. Aujourd’hui elle en est éloignée, et le territoire qui la sépare du fleuve est très peu praticable notamment à cause de son caractère humide et inondable. L’œuvre de Tadashi Kawamata (fig 62) est une des œuvres pérennes qui évolue au fil des éditions. L’observatoire, issu de la première phase constitue dans la seconde un cheminement, depuis la commune déconnectée jusqu’à lui, mais surtout jusqu’à l’eau. L’œuvre permet de refaire le cheminement inverse de l’histoire. Finalement, on ne peut discerner autrement ce que pourrait être le statut de l’œuvre. Entre le patrimoine de cette grande pêcherie de Saint‐Brévin‐les‐Pins (fig 54) où Tadashi Kawamata aurait dû intervenir au début, et l’œuvre superposée au paysage, l’artefact et le témoin de l’histoire confondent leurs codes. Est‐ce dans la seule fonction, d’être guide, de montrer la relation au fleuve que son rôle opère ? « Le site devient l’idée régulatrice du projet et presque le sujet ou le générateur du programme »52. Sébastien Marot, développe la notion de sub‐urbanisme – qui ne renvoie pas au sub‐urbain et qui s’oppose au sur‐urbanisme. Le sur, explique qu’il faut générer une augmentation du paysage en présence : creuser en dessous, retrouver la terre, l’eau, le sol. Il souligne que d’une certaine manière, le site doit précéder le programme et non l’inverse. Là réside l’enjeu. Cette pratique permet d’instaurer une conscience de ces espaces, de cette distance, en vue de se les approprier.
51
BOUCHIER Martine, « Le corps à l’oeuvre », Chris Younès, Philippe Nys et Michel Mangematin [éd.], L’architecture au corps, Bruxelles, Éditions OUSIA, 1997, p. 156. 52 MAROT Sébastien, « Sub‐urbanisme/sur‐urbanisme » Marnes, documents d’architectures, éditions de la Villette, Ecole d’architecture de la ville et des territoires de Marne‐la‐Vallée, 2011. p.301‐353
Figure 63 Le Pendule. Roman Signer Rezé , Trentemoult Centrale à béton estuaire
Figure 64 Grue Titan, Chantiers Dubigeon, Nantes vus depuis La pendule document personnel
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Marcher, c’est manquer de lieu , c’est le procès indéfini d’être absent et en quête d’un propre53. Michel de Certeau, dans ses « réthoriques cheminatoires », nous propose une vision qui pourrait parfaitement décrire comment ses œuvres sont autant de redéfinitions des espaces. Lorsque Kawamata, Gilles Clément, Kinya Maruyama et Roman Signer proposent leurs visions de l’Estuaire, il ne s’agit pas d’objets figés mais bien de « ponts » : des transitions. Autant de structures arpentables qui donnent au site des qualités nouvelles, des champs qui n’y étaient pas présents. Chacune des œuvres participe à mettre en état de subjectivité le territoire. L’œuvre in‐situ proposerait alors le passage, chez De Certeau, de la relation entre le lieu, comme origine, et la nouvelle interprétation (« non‐lieu ») qu’il produit. L’identité symbolique trouve sa place dans ce réseau de demeures empruntées par une circulation, un piétinement à travers les semblants du propre, un univers de location hanté par des lieux rêvés. Le parcours compose et génère une série d’ « œuvres‐lieu »54.
B2
Du recul, prendre de la hauteur L’estuaire se caractérise par son horizontalité. Ce qui fait la force de son paysage est son étendue. Elle se transmet irrémédiablement par le regard. Il faut d’abord l’aborder par la notion de rive. Atteindre la berge est la condition pour penser le fleuve. C’est en effet un dispositif scénique qui se met en place lorsque l’on se rend à Rezé, dans la commune de Trentemoult, qui fait miroir à Nantes sur la rive sud. L’une des œuvres d’Estuaire est Le Pendule de Roman Signer (fig 63). Il signe ici une de ses premières œuvres in situ qui propose de se positionner dans ce paysage. Le choix même du lieu, une ancienne usine à béton sur laquelle est suspendue l’aiguille mécanique du temps, est déterminant : à la fois dans le pèlerinage qui y mène ‐ un enchaînement des différents ponts qui traversent l’île de Nantes ‐, et dans le cadrage qu’il propose ‐ celui du point de vue sur la première grue du chantier célèbre Dubigeon (fig 64) ‐. Il montre le territoire palimpseste dont nous parlions plus haut, réactive le lieu abandonné et crée une perspective sur l’autre (chantier naval fermés) à réveiller. Il augmente la capacité de mise à distance des éléments du site, capacité inhérente à la géographie d’un fleuve, et les fait se résonner. Le choix du site remet en scène l’outil fleuve comme un dispositif du paysage.
53
De CERTEAU, L’invention du quotidien, Art de Faire, coll Folio essais ed Gallimard, 2005, (1990) BOULANGER Christophe, « Capital d’absence » Lam, Habiter Poétiquement, Catalogue de l’exposition éponyme, Lille métropole Musée d’art Moderne et d’Art Brut, 2010, 54
Figure 66 Misconceivable Erwin Wurm Canal de la Martinière Le pÊlerin estuaire
Figure 65 Serpentine Rouge, Jimmie Durham Indres estuaire
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Ce rapport‐là est également renforcé par le fait de placer les œuvres proches du fleuve dans une relation du voir/être vue. Si les rivages ne sont plus atteignables, alors on déplace le regard. On le renverse. C’est l’un des « dogmes » des conditions de participation, que l’œuvre soit visible depuis l’Estuaire. Dans ce rapport de frontalité d’une rive à l’autre, on se place au centre et on décuple alors la force de proposition de l’Estuaire. L’œuvre devient landmark55, à l’origine un élément de repère, soit une entité géographique qui permet de trouver pour les explorateurs leur chemin, leur « way‐ back ». Les œuvres de Jimmie Durham (Serpentine rouge à Indres fig 65), Roman Signer (Le pendule), Erwin Wurm (Misconceivable fig 66), Tatzu Nishi ( Villa cheminée ) sont autant d’œuvres‐empreintes, parce qu’elles font signes et marqueurs. Par leur rapport temporel au patrimoine mis en lumière, elles permettent de s’ancrer dans une histoire, de s’approprier un patrimoine révolu‐révélé, un champs lexical propre à l’estuaire avec des codes communs. « Le concept de scénographie sert à montrer la cohérence pouvant exister entre les déictiques de temps, d’espace et de personne au sein d’un discours, créant ainsi le simulacre de ses conditions d’énonciation, c'est‐à‐dire son contexte.»56.
Ce renversement est une question de recul. Ce terme permet en effet de donner une autre portée à cette collection in situ. Face à cette étendue ‐ cette horizontalité ‐, la mise en distance agit aussi de façon verticale. Une attitude de projet que beaucoup d’artistes ont utilisée. Il s’agit de prendre de la hauteur pour englober un paysage et le comprendre. Cette idée du belvédère est symptomatique, notamment dans les phasages de projet qu’a subit la base sous‐marine de Saint‐Nazaire. On peut voir les deux rénovations comme des outils pour monter et grimper. Chez Manuel Sola‐Morales comme pour Finn Geipel, la partie visible de leur intervention est légère dans la modification de l’édifice. La masse parle d’elle‐même. Il est difficile de la contraindre. Chez le premier, la greffe est celle d’une passerelle urbaine, et reconnecte non seulement la base, mais surtout son toit (fig 67), qui requalifié, devient
55
définitions :1. Une caractéristique importante d'identification d'un paysage./ 2. Un repère fixe, un marqueur qui indique une ligne de frontière./ 3. Un événement marquant une étape importante du développement ou d'un tournant dans l'histoire./ 4. Un bâtiment ou un site d'importance historique, notamment utilisé pour la conservation par une administration municipale ou nationale. 56 "Scénographie épistolaire et débat public" qui a paru dans l'ouvrage La lettre entre réel et fiction, J. Siess éd., 1998, Paris, Sedes
. ESTUAIRE, REVELER POUR S’APPROPRIER UN PAYSAGE b. révéler
le fleuve, faire exister le paysage
Figure 68 Projet ville-port 2 Finn Geipel ascenseur/escalier Axonométrie LIN
Figure 67 Rampe et terasse Toit de la base sous-marine Saint-Nazaire Document personnel
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un espace publique non négligeable par sa taille, mais aussi, par les potentiels de perception de la ville de Saint‐Nazaire qu’elle révèle. Chez le deuxième, Finn Geipel, apparaît la même question : celle de réinventer un espace panoramique en y installant une structure géodésique (fig 68) importée de Berlin, qui, quand elle n’est pas exploitée pour des concerts ou expositions, sert de lanterne urbaine. Elle s’accompagne d’un ascenseur, nouveau dispositif pour accéder à la plateforme visuelle. Si l’acceptation de la base est difficile par les arpenteurs nazairiens, quelle n’est pas sa surprise, lorsque son potentiel ainsi développé, elle est le moyen de voir sans être vue. Elle se fait oublier en quelque sorte, comme si cela était la condition de son intégration paysagère : un nouveau sol, comme une table d’observation à l’échelle du paysage.
A Nantes, les nouvelles opérations sur l’île de Nantes, ont en commun d’être praticables jusqu’aux toits terrasses. Deux exemples : la réalisation du parking de Barto+Barto, qui est au cœur de toutes les mutations de l’île, et La Fabrique, les Nefs, les grandes Halles Alstom, la pointe de l’île, avec les Anneaux de Buren, œuvre d’Estuaire 2007. L’école d’architecture de Lacaton et Vassal offre aussi le même cheminement libre de droit : comme si la vue d’un point haut, souvent propriété privée et symbolique d’un pouvoir ou d’une place privilégiée, parfois élément de contrôle d’un territoire, était ici l’essence de l’espace public. Les œuvres d’Estuaire usent des mêmes ressorts. Elles sont une kyrielle de belvédères. La définition d’observatoires éclaire l’enjeu que pourrait être celui de la biennale : celui de renouer avec son environnement. Une culture de la nature. En effet, la notion d’observatoire se définit par son caractère analytique issu de sa première fonction astronomique, celle d’étudier les étoiles, donc de poser le regard sur une géographie. De plus, au‐delà de cette fonction d’outils d’optique, cet objet met en jeu des rapports au sol déterminants en fonction d’un positionnement et d’une orientation. L’une des œuvres emblématiques est bien sûr celle de Tadashi Kawamata, « L’observatoire », reliée à Lavau‐sur‐Loire par un cheminement. Les références sont multiples et prennent leur sens en regard avec l’histoire portuaire et navale du site : la notion de phares tout d’abord, ayant trait à la localisation pour se déplacer, l’outil inhérent à la navigation, sans oublier, ainsi que les tables d’observations (fig), grandes récurrences des routes
Figure 68 Port autonome Saint-Nazaire Google image
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Figure 69 bis Bunker archĂŠologie, Virilio bunker/cible
Figure 69 Comparaison Observatoire dessin original Tadeshi Kawamata Phare STIFF Ouessant Archives Nationales 1931
Figure 70 Lâ&#x20AC;&#x2122;observatoire Kawamata Estuaire
Figure 71 Suite de triangles Felice Varini document personnel
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d’altitudes, outil éminemment touristique. Ces procédés impliquent cette question du point de vue, et par là même, la place du spectateur dans une relation au site. L’espace est habité par l’œuvre et, corollairement, par celui qui la regarde et l’active. Il serait plus juste de préciser que l’œuvre n’existe et ne se manifeste qu’à travers sa possibilité de manipulation ou de projection. Entre l’œuvre et son producteur, c’est un tout indissociablement lié. 57En quelque sorte, l’observatoire aurait parmi ses différentes fonctions, celle de rappeler à l’homme sa « place » par rapport à son environnement, et de le questionner par conséquent sur la présence même de l’architecture dans la nature. Cette activation de la perception est utilisée dans une œuvre que Felice Varini a créée dans l’enchevêtrement des industries portuaires. Contrairement à l’œuvre de Kawamata (fig 70), Suite de Triangles, œuvre pérenne d’Estuaire 2007 (fig 71), n’est pas une structure qui permet de voir, mais qui fait devenir belvédère une partie de la base sous‐ marine. A l’approche du port, en marchant, on découvre petit à petit dans l’atmosphère terne des monstres industriels, cette œuvre discontinue composées de fragments rouges disséminés, et qu’il s’agit de recomposer, de ré‐assembler une fois l’objectif atteint : un mirador du bunker entre terre et mer.
B3
Occuper, une confrontation d’échelle. De toutes ces expériences de l’itinérance comme processus culturel, résulte un « devenir paysage »58. Cette approche prend en compte un temps désormais discontinu, ralenti, qui rappelle aussi le thème central du poète Friedrich Hölderlin (1770‐1843), le « habiter poétiquement». Un être au monde qui finalement pourrait signifier : prendre la mesure de la démesure. Estuaire manie les échelles, les confronte. « In the perception of relative size the human body enters into the total continuum of sizes and establishes itself as a constant on that scale. […] The awareness of scale is a function of the comparison mode between that constant, one’s body size, and the object. »59. Ces relations au temps ainsi qu’aux
57
VERHAGEN Erik, « Une œuvre praticable, Dispositifs individuels », Habiter Poétiquement, Catalogue de l’exposition éponyme, Lille métropole Musée d’art Moderne et d’Art Brut, 2010, 58 RILKE Rainer Maria, Essai sur le paysage, Worpswede, œuvres complètes, Seuil, 1966, (1902). P ;373 59 MORRIS Robert, « Notes on Scupture part II », ArtForum, Los Angeles V, n°2, p20, octobre 1966 « Dans la perception des tailles/grandeurs relatives, le corps humain entre dans le continuum des dimensions et s’établit comme une constante sur cette échelle. […] La conscience de l’échelle est une fonction du mode de comparaison entre cette constante, la taille du corps de quelqu’un, et un objet. »
Figure 72 Rapport à l’industrie La Villa Cheminée Tatzu Nishi Estuaire
Figure 73 Instant Carnet Island Time Capsule Estuaire
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échelles de l’espace et du corps, cristallisées par des réalisations d’envergures monumentales, constituent les points de départ de la réflexion artistique de Robert Morris. Comment prendre la mesure d’un paysage hors échelle, un hyper paysage ? Face à l’étendue, les industries sont‐elles les seuls « monuments » à l’échelle de l’estuaire ?60 La Villa Cheminée de Tatzu Nishi à Cordemais (fig 72) est une confrontation intéressante. Sur un socle pré‐existant, l’artiste a posé une maison en préfabriqué. Il réutilise les codes couleurs striés de rouge de la centrale thermique EDF en arrière‐plan. Cette structure est surdimensionnée lorsqu’on la confronte à l’habitat, qui, durant la saison de la biennale, accueille chaque nuit, comme une chambre d’hôtel, des visiteurs. L’artiste japonais montre les rapports d’échelle intrinsèques à ce paysage et y insère une strate supplémentaire. Comme cette œuvre, chaque élément d’Estuaire se réfère à l’un de ces monstres géants qui constituent l’étrange patrimoine des rivages du fleuve. La mise en commun des échelles comme la superposition de ces différences temporelles de l’estuaire passe aussi par l’occupation du territoire, par le fait de demeurer au cœur même de l’entité géographique après l’avoir parcouru. Cette occupation se lit dans l’installation de microarchitectures, qui, comme la Villa Cheminée, propose de demeurer dans le no man’s land estuarien pour faire l’expérience du temps long. A chaque édition, I.C.I., littéralement l’Instant Carnet Island (fig 73), prend place dans le lieu qui aurait dû accueillir une énième centrale et qui s’est transformé en lieu de militantisme anti‐nucléaire, avant d’être transformé en espace de « rave » dans les années quatre‐vingt. Ce sont ces cellules qui forment des « campements utopistes d’architectes, designers, et artistes »61. Autour de la Time Capsule de Ant‐Farm, les micro‐ structures abordent les questions du nomadisme, de l’individualisme, de la prise en compte de son environnement, mais surtout, expérimente l’occupation presque militante de ce lieu.
« Monument paradoxal, car il ne tient que tant qu’existe ce paysage industriel qui nécessairement mute. Un monument à la tension entre transformation et permanence,
60
ARMENGAUD Marc, « L’estuaire est une région bien intéressante », Estuaire 2009, 303, la revue culturelle des pays de la Loire, n°106, 2009, p.11 61 TRAN Mai, « Green Utopia », Estuaire 2009, 303, la revue culturelle des pays de la Loire, n°106, 2009, p.23‐24
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une ruine programmée »62. C’est l’aboutissement et le résultat de toutes ces confrontations : un monument temporaire, où il faut prendre le temps de regarder un patrimoine en marche (mutations industrielles), s’identifier à une construction. Durant les discours portant sur l’éco‐métropole, la nécéssité de percevoir le territoire naturel et de le valoriser, paraît être capital dans sa constitution. Olivier Mongin tente de déterminer aussi ce patrimoine commun qu’a établi Estuaire : « Aujourd’hui, ce qui fait monument, ce qui fait espace public, ce sont aussi des parcs, des paysages, et ce que vous avez aussi » 63. On remarque que les sous‐titres de la biennale ont évolué : en 2007, il n’y avait que « l’art et le fleuve », en 2009 on y ajoute « le paysage ». Pourquoi appeler la biennale Estuaire ? Peut être justement pour en faire un monument. Il faut se rappeler que baptiser les rues, c’est rappeler une mémoire, faire anamnèse, faire « remonter les monuments ». Monument vient de « monere », qui signifie justement rappeler. C’est ce que fait le titre de l’événement : insister comme pour nommer Estuaire une seconde fois et dire ses deux statut, l’un géographique, l’autre patrimonial.
Cet espace tente d’être révélé comme un paysage doublement culturel. Tout d’abord il devient ce musée territorial, une collection d’œuvres à l’image d’une nouvelle politique de la culture. Plus encore, il offre, par cette nouvelle occupation qui en est faite, la capacité de s’en ressaisir, de se le réapproprier. En présentant comme fil conducteur plusieurs éléments hétérogènes, d’ordre naturel et industriel sur lesquels il porte un regard réunifié, l’estuaire devient enfin le support d’un récit commun : un patrimoine culturel. Mais si les ambitions sont clairement établies, quelles sont les réalités de cette appropriation ? La limite entre la notion de culture par l’art public, et celle du tourisme est infime dans le cas ici étudié. Les liens sont à remettre en question ainsi que l’impact de l’enjeu politique qui le précède et l’initie : la constitution d’un métropole commune. La visibilité d’un événement culturel suffit‐elle à la lisibilité d’un espace territorial en construction ?
62
Ibid 58, page précédente. MONGIN Olivier, propos issus d’une conférence en ouverture à la conférence métropolitaine écometropole, il est écrivain et directeur de la revue Esprit.
63
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CONSTRUIRE L’ARMATURE D’UN TOURISME CULTUREL
“ A quoi tient le pouvoir de ces modèles de rencontre, qui s’installent d’emblée aux carrefours de la mémoire et de l’imagination, qui prennent d’eux-mêmes les commandes du mécanisme par lequel sont projetés, sur tel ressouvenir abstrait, sur telle lecture, une figure matérielle qu’ils n’ont en fait appelée que très directement ? J’ai tendance à croire qu’ils sont, presque tous des figures exemplairement, puissamment surdéterminés, et par là créatrices d’un champ de forces qui magnétise tout ce qui s’approche de lui : dans le cas de l’ancien Observatoire.”
GRACQ Julien , La forme d’une ville, José Corti, 1985
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A
Une identification territoriale métropolitaine
A1
Identification d’un territoire, une réappropriation à mesurer Nous avons comparé plus haut Estuaire 2007/2009 à une version culturelle de ce qu’est l’acupuncture urbaine. Or, justement, Jean Blaise déclare que chacun des objets « exposés » a provoqué des « micro‐bouleversements, des microphénomènes de société, extrêmement forts à l’échelle de petites communes »64. Quels sont‐ils ? Comment mesurer l’impact local de ces interventions ? C’est tout d’abord l’appropriation des œuvres qu’il faut questionner, par les modalités de participation des habitants et l’utilisation qu’ils en font. Quel est l’impact indirect généré par ces évènements et de quelle façon cela peut‐il être visiblement quantifié dans l’économie de ces communes ?
L’impact donc. Jean Blaise le vend premièrement par la soi‐disant non négligeable participation de 500 000 visiteurs avec une croisière fluviale rentabilisée à 100 % soit environ 45 000 voyages. Mais regardons du côté des détracteurs de l’événement. Nombreux sont ceux qui attaquent cette politique nantaise, et, de fait, Estuaire qui en est l’extrême symbole. C’est une vieille histoire politique. Aujourd’hui en temps de crise, que signifie de consacrer environ 20 % de son budget (Nantes) pour la culture , de consacrer huit millions trois cent quatre vingt milles euros à un événement, qui plus est, ne rapporte que très peu en terme de recette, puisque les œuvres sont en accès libre ? Selon le magazine Capital, journal économique, la prochaine version d’Estuaire en 2012 n’a pas encore finalisé ses budgets. Ceci expliquerait que l’édition 2011 ait été reportée. Toujours selon le magazine, les chiffres de participation n’atteindraient que 170 000 visiteurs… Les passages ont en effet été comptabilisés par Estuaire par œuvre et non par parcours, tout le monde n’arrivant pas par bateau. Il ne s’agit pas, de toute façon, de s’appuyer sur des chiffres dont la véracité est complexe à vérifier. Si ce n’est pas le nombre de visiteurs qui fait le réel impact, il est donc d’autant plus nécessaire de regarder ce qui se passe avec chacune des œuvres pérennes.
64
BLAISE Jean, propos issus de l’interview, « The future is now », recueillis par Eva Prouteau, Estuaire 2009, 303, la revue culturelle des pays de la Loire, n°106, 2009, p.6‐11
Figure 74 Le jardin ĂŠtoilĂŠ Kinya Maruyama vu par estuaire et Ouest France
119
L’œuvre de Tadashi Kawamata « l’observatoire », qui « fait maintenant partie intégrante de notre paysage »65, a été d’abord le socle d’une rencontre entre l’équipe d’une quinzaine d’étudiants venus du monde entier pour assister l’artiste, et les habitants. C’est la commune elle‐même qui a demandé à ce que l’œuvre évolue en un cheminement complet du centre vers l’estuaire. Elle est aujourd’hui un lieu de promenade, de pêche : un lieu de rencontre. « Rêvons à ce que nous promet 2012 dans cette aventure engagée entre un artiste et les lavausiens ». La manifestation a aussi permis de développer indirectement un emblème, celui de la crêperie de la maison du port, dont la réplique a été mise en scène par Jean Luc Courcoult, (La maison dans la Loire). Ce lieu abandonné est devenu attractif et demeure maintenant vivant, en dehors du support fédérateur du festival. Le « Jardin Etoilé » (fig 74) est aussi un des exemples phares de cette réappropriation. Kinya Maruyama a installé ici une structure arpentable faite d’une multitude de signes issus de l’environnement estuarien et qu’il a réintégrés dans une nouvelle configuration. L’étonnement réside dans l’utilisation qu’en a fait la commune de Paimboeuf. L’emplacement de cette sculpture circonscrit désormais la place publique du village. Un renouveau urbain est ainsi advenu. Les événements qui s’y déroulent – comme la fête de la musique ‐ sont autant de témoignages de ce nouveau sentiment d’appartenance. Lorsque l’on s’y ballade, « il n’est pas rare de voir des mariés s’y faire photographier »66. On peut considérer ces différentes identifications aux œuvres comme des récits anecdotiques. Néanmoins, chacune des pérennisations estuariennes, instaure une transformation urbaine : un nouvel espace de sociabilité. La libre interprétation qui en a été proposée, au contraire d’un plan urbain, laisse place à une conscience d’appartenir à un ensemble fédérateur, ici généré par la culture. L’œuvre d’Erwin Wurm « le bateau mou » a été renommée par les concitoyens et chaque commune met en avant désormais l’œuvre qu’Estuaire lui a apportée comme un monument. Ce phénomène n’est pourtant pas applicable à l’ensemble des œuvres. Certaines ne s’installent pas comme des landmarks aux yeux de ceux qui y vivent. Le pendule de Roman Signer par exemple fait aussi état d’une appropriation bien particulière qui ne passe pas par l’intérêt direct de la commune occupée par cette
65
propos issus d’un habitant sur le site de la commune de Lavau‐sur Loire http://lavau‐sur‐loire.fr/Estuaire‐ 2009‐et‐ses‐equipements.html?recherche=L%27observatoire 66 propos issu d’une discussion avec un habitant de Cordemais, en face de Paimboeuf sur l’autre rive.
Figure 75 Le Pendule Roman Signer Appropriation
Figure 76 Lille 3000 ambition 2012 Tripostal, lieu dâ&#x20AC;&#x2122;exposition Google image
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œuvre. En effet (fig 75 ), il est le lieu d’une zone d’accueil pour « les gens du voyage ». Paradoxalement, c’est eux qui se l’approprient en vivant au rythme de ce pendule autour duquel ils étendent même leur linge… Le désintérêt de la commune peut peut‐ être s’expliquer par le fait qu’elle possède déjà un certain nombre d’éléments patrimoniaux comme la cité radieuse de Le Corbusier ainsi que de plusieurs éléments architecturaux et équipements culturels remarquables. Existe aussi la multitude d’offres que Nantes toute proche propose. Les plus petites communes de l’Estuaire sont sans doute plus réceptives, ayant peu d’atouts culturels préexistants. Elles se saisissent alors avec détermination de ces symboliques à apprivoiser pour renforcer leur identité.
A2
Impact, une image métropolitaine ? « Je suis allé là où il y avait le vent, des intérêts, et donc de l’argent, si les collectivités territoriales soutiennent Estuaire, c’est qu’elles sentent que cette manifestation pourra leur rapporter une image avec des retombées économiques directes et indirectes. »67. C’est un point aussi sur lequel le SCOT insiste clairement : « Plus elle sera visible, plus elle pourra prétendre accueillir les sièges sociaux de grandes entreprises, attirer des chercheurs, développer des activités de conception et de direction qui ont un effet d’entraînement sur les activités de production et de services. » La création d’espaces de consommation est souvent considérée comme une recette, sorte de formule magique qui aide à valoriser l’image locale. Ces espaces toutefois, même s’ils sont conçus à l’échelle locale, doivent trouver leur place au sein « de stratégies urbaines globales »68. La métropole Nantes –Saint Nazaire en construction développe ainsi sa visibilité. Laurent Théry, grand prix d’urbanisme 201069, a été directeur de la SAMOA, Société d’Aménagement de la Métropole Ouest‐Atlantique. Il a été l’urbaniste qui s’est occupé tout d’abord de Saint‐Nazaire ville‐port, puis ensuite de l’Île de Nantes, et enfin du projet Eco‐métropole Nantes/ Saint‐Nazaire. Il est aujourd’hui à Lille et poursuit le projet d’EuraLille avec notamment Lille 3000 (fig 76) dont il est l’investigateur. Il est intéressant de situer ces deux projets sur une même ligne directrice, car ces villes affirment leur nouveau statut d’ensemble européen comme une marque, un sigle dont la culture serait 67
BLAISE Jean, Propos cités par DELAVAUD Laura, « un art contemporain sur mesure » dans « Estuaire, Pour en finir avec le café du commerce », Place publique Nantes Saint Nazaire, n°16, juillet 2009 68 INGALLINA Patrizia, « L’attractivité des territoires », dans l’attractivité des territoires regards croisés, créativité et attractivité des villes, Actes des Séminaires, fev‐juil 2007, PUCA, février 2009 69 THERY Laurent, La ville est une figure libre, Sous la direction de Ariella Masboungi, Editions Parenthèse et Direction générale de l’Aménagement, du logement et de la Nature, Coll Grand prix de l’urbanisme, 2010
Figure 77 Plan et mutualisation des transports metropolitains mĂŠtrocĂŠane
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le support. Laurent Théry considère que l’art contemporain, et la culture particulièrement, sert de levier d’aménagement. Un bref inventaire est nécessaire qui liste les projets au travers desquels Laurent Théry a fait progresser cette idée : celle d’une métropole à géométrie variable et avec des acteurs divers : ‐ L’Acel : Association communautaire de l’estuaire de la Loire réunit les grands acteurs publics et a abouti à la mise en place de Métrocéane (fig 77), un système de mutualisation de toutes les mobilités à l’échelle de la métropole. C’est l’élément territorial le plus important et surtout le plus palpable par les habitants. ‐ Le GIP : groupement d’intérêt public Loire Estuaire, est un observatoire indispensable pour penser l’avenir du fleuve et qui développe l’idée d’autoroute maritime avec le port autonome. ‐ L’évolution progressive des Chambres de commerce et leur fusion est déterminante. ‐ La revue Place publique est le seul exemple d’une revue à l’échelle de la métropole. Elle a contribué à amener cette idée de collectiviser les entités urbaines bien avant la fondation officielle du Scot. Elle est indépendante de tout support politique depuis 1997. ‐ Atlantic Event est un organisme économique et touristique commun pour vendre la destination Nantes, Saint‐Nazaire, La Baule. ‐ La Conférence Métropolitaine qui en est à sa cinquième édition. ‐Le Syndicat mixte du Scot est enfin la première institution métropolitaine à s’occuper d’un territoire à cette échelle.
On peut donc dire qu’Estuaire 2007, 2009 est bien l’expression publique et culturelle de la mise en commun des potentiels urbains et territoriaux de la métropole. On peut voir que dans le projet de l’éco‐métropole Nantes/Saint‐Nazaire, Estuaire a essaimé quelques images qui s’inscrivent de manière réelle sur le territoire. Un des points qui semble très important, est celui des projets en cours de réalisation : les aménagements des rives le long de l’estuaire. « Des projets urbains visant à concevoir la ville dans un rapport privilégié au fleuve. Cette reconquête urbaine passe par la poursuite de grands projets emblématiques (l’île de Nantes et Ville‐Port à Saint‐Nazaire),
Figure 79 Vues du train extraits dâ&#x20AC;&#x2122;un film personnel
Figure 78 La station Jean ProuvĂŠ doc.pers.
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mais aussi par une « contagion » sur l’ensemble des rives de l’estuaire, dont attestent la vitalité et la qualité des projets de Couëron à Paimboeuf, d’Indre à Rezé… »70 L’exemple est ici flagrant d’une interdépendance totale, entre l’image révélée par la biennale dans tous les lieux cités où il y a eu interventions, et les futures projets de valorisation. Difficile alors de savoir si la biennale influence, énonce, par un autre type de discours des choix dont la métropole se saisit, ou si elle est l’expression, l’outil de la diffusion politique. La culture devient donc un élément non négociable dans la construction de cette métropole, économique, politique, territoriale et bien sûr touristique.
B
Un marketing culturel du territoire
B1
Les limites d’une formule touristique « Notre discours porte sur la constitution d’un patrimoine de demain dont notre région a besoin. » Seulement comment vit ce patrimoine en dehors de la temporalité de l’événement ? Plusieurs éléments à ces moments‐là sont représentatifs des lacunes d’un système. Ils démontrent à quel point Estuaire est un outil touristique. Ces remarques me sont personnelles et font suite à une visite des lieux réalisée en octobre. Les discours sur le fleuve comme une centralité et un moyen de percevoir le territoire en mouvement sont efficients pendant le temps de la biennale mais lorsqu’il s’agit au quotidien d’accéder aux sites de ce paysage, la chose se complique. A Nantes, l’édifice de Jean Prouvé, « La station » (fig 78), remontée en 2007 au centre de l’île, est l’office du tourisme particulier d’Estuaire. Hors Estuaire, il n’est ouvert qu’un jour par semaine. Il est par ailleurs impossible de circuler sur l’estuaire, car aucune navette, ni instaurée par le festival à l’année, ni pérennisée par la communauté d’agglomérations, ne propose de faire le lien entre les différentes haltes. L’infrastructure, condition d’arpentage de ce nouveau patrimoine, est inexistante. Seul le train permet une mobilité (fig 79). Mais de la voie, on ne peut à aucun moment ni percevoir l’élément liquide dont on vante tant les mérites, ni même atteindre les communes en question. Le circuit cyclable n’a pas non plus été reconnecté, ni vraiment étendu. Il longe seulement le canal de la 70
extrait de la conférence métropolitaine 2009, « La réponse des élus du Syndicat mixte du SCOT aux citoyens de l’Atelier de la métropole Nantes Saint Nazaire », septembre 2009
Figure 80 Canal de la martinière, cyclable. Estuaire
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Martinière sur la rive sud (fig 80). De là, on peut certes enfin observer quelques unes des réalisations sur l’autre berge. Il connecte bien certaines des œuvres mais pas les principales. Cette piste est empruntée depuis longtemps par les usagers de l’estuaire n’est, en aucun cas, une résultante de la biennale. Seule la signalétique et la cartographie montre la réappropriation par Estuaire de cette possible mobilité. Que dire donc de cette infrastructure qui se veut durable dans l’impact, mais qui demeure plus qu’éphémère ? Certains l’argumenteraient par la volonté d’une infrastructure de la légèreté, respectant l’environnement, prônant la marche et la lenteur naturelle dans la découverte du paysage. Il est certain que les œuvres ne sont pas l’objet d’une visite quotidienne, ni par les locaux ni par les touristes. Le système de la « saison » éminemment touristique situe cet entre‐deux de latence (octobre à mai) comme sans valeur économique. On est pourtant en droit d’attendre que ce qui est promu comme un nouvel espace public auquel on pourrait s’identifier, puisse être accessible. Or à Saint‐Nazaire, la « terrasse panoramique » n’est pas ouverte au public sauf le dimanche. Impossible alors de recomposer la « suite de triangle » de Felice Varini. Impossible aussi de monter au sommet et de résider dans « la Villa Cheminée » de Tatzu Nishi, ou d’observer la Centrale thermique comme l’on observe une carte postale !
Regardons maintenant quelle est la participation des spécialistes de l’art contemporain. Les chiffres ne sont pas une fois de plus à la hauteur des enjeux exprimés. A peine 300 personnes parmi les sommités du monde de l’art se déplacent pour participer à la manifestation. On est alors en droit de se demander quel est le statut de l’art dans Estuaire ? Quand l’œuvre est l’outil même du marketing, n’est‐elle pas dépossédée de sa qualité première « d’œuvre d’art » ? Cette qualité réside t‐elle dans une esthétique, une valeur critique ? C’est peut‐être dans ce rapport d’une vision distanciée et subjective par rapport à un réel, que nous pourrons faire se rencontrer les œuvres d’estuaire avec leur valeur dite artistique. Les œuvres se présentent ici comme les totems des lacunes d’un territoire qu’elles servent à révéler. Elle tendent la main aux nécessaires aménagements futurs, aux infrastructures qui pérenniseront leurs parcours
Figure 81 Images issues du film de communication du Voyage à Nantes Une étrange façon de revisité le patrimoine Nantais. LVAN.com Nantes Le lieu Unique Chateau des ducs de Bretagne La cathédrale
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2012, Le monument dispersé, un guided tour culturel Nous l’avons vu, Estuaire est un archipel d’éléments patrimoniaux qui prend racine dans une politique culturelle forte qui le précède. Même si l’événement porte en lui les espoirs d’une mutualisation des territoires, Nantes conserve inévitablement la main mise sur la majeure partie des éléments artistiques. Elle possède déjà les structures pérennes d’une culture à la fois institutionnalisée et évènementielle. Elle n’a cessé de diversifier ses offres, à tel point qu’on pourrait l’accuser de gesticulation culturelle. Elle tente de s’effacer pour laisser Estuaire accomplir sa tâche réunificatrice, mais ne peut s’empêcher d’en avoir le monopole. Au‐delà des œuvres à ciel ouvert, elle connecte toutes les programmations muséales. On le voit, lorsque, pour cause de financement, la date de l’édition 2011 est reculée. Il ne s’agit pas d’une décision commune, mais bien de celle venue du Lieu Unique, de Jean Blaise, et, on l’imagine, de Jean‐Marc Ayrault. Saint‐ Nazaire est prévenue 15 jours seulement avant la date d’ouverture officielle de la saison estivale. Elle ne peut alors qu’accepter les directives de sa jumelle. Le maire Jean Marc Ayrault a autoproclamé sa ville, Nantes, capitale européenne de la culture 2012. Or Marseille est la prochaine ville française sélectionnée en 2013, et non Nantes… L’effet d’annonce est un des atouts de la communication nantaise. Plusieurs articles ont d’ailleurs déjà paru avec pour titre : « Nantes Capitale Européenne de la Culture ». On ne peut s’empêcher de rattacher cet effet de surprise, qui utilise l’atout culturel, à l’échéance des présidentielles 2012. Le soutien que Jean‐Marc Ayrault revendique pour François Hollande est significatif. Il a à cœur de créer un événement à la hauteur d’un électorat conséquent et qu’il ne veut pas décevoir. L’élément conclusif de l’aventure Estuaire, comme un outil de campagne résolument à gauche, est le monument dispersé que Jean Blaise continue encore à ce jour à concevoir.
Pour renforcer la formule Estuaire, vient de naître le nouveau concept de la manifestation : « le voyage à Nantes » ( fig 81) ou LVAN71, Voici comme il est défini : « UN PARCOURS PERENNE / Le Voyage à Nantes. C’est un parcours urbain de 8,5 kms, du lieu unique à la pointe Ouest de l’Ile de Nantes. Sur votre chemin, laissez‐vous conduire d’une œuvre signée par un grand artiste d’aujourd’hui à un élément 71
http://www.levoyageanantes.fr/fr/le‐voyage‐a‐nantes/presentation/, site internet qui vient tout juste d’être ouvert, le 29 décembre 2011
Figure 81 Images issues du film de communication du Voyage à Nantes Une étrange façon de revisité le patrimoine Nantais. LVAN.com Les grandes Nefs Tour de Bretagne Musée de Nantes
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remarquable de notre patrimoine, des « incontournables » de la destination à des trésors méconnus, d’une ruelle historique à une architecture contemporaine, d’un point de vue étonnant sur la ville à un incroyable coucher de soleil sur l’estuaire…Au total, c’est une trentaine d’étapes, d’Est en Ouest, réunies en un parcours sensible et poétique : Le Voyage à Nantes, c’est toute la multiplicité et la singularité d’un monument dispersé. »
Une impression de déjà vu ? Il s’agit pourtant d’une toute nouvelle structure au statut particulier. Unique en France, elle allie valorisation culturelle et développement touristique. Elle gère le musée à ciel ouvert d’Estuaire au travers de la délégation du service public Nantes Tourisme, tout comme le Château des ducs de Bretagne (fig 82)(dirigé par Bertrand Guillet), ou Les Machines de l’île (dirigées par Pierre Orefice). « Le Voyage à Nantes » est une société publique locale dont le capital est détenu par Nantes Métropole, la Ville de Nantes, la Région des Pays de la Loire, le Département de Loire‐Atlantique, la Ville de Saint‐Nazaire, les Communautés de Communes Cœur d’Estuaire, Loire et Sillon et Sud Estuaire. Elle bénéficie également du soutien de partenaires économiques et institutionnels du territoire. En effet, tous les principes que Jean Blaise a imaginés et testés dans le cadre d’Estuaire sont tout simplement déplacés et adaptés à la ville de Nantes. Ceci est très symptomatique de ce que nous avons tenté de définir durant la continuité de cette démonstration, c’est à dire dans ce rapport tourisme et culture, ambigu. Dans cette gestion des territoires dits post‐ industriels, Jean Blaise, directeur artistique, puis conservateur artistique du territoire, « homme culture » de Nantes, revêt la double veste de Chargé de tourisme et de culture. « Nantes, renversé par la culture »72. C’est le postulat de départ qui trouve ici une résonance. Comment constituer un patrimoine fragmenté, disséminé qui contient à la base un peu de ce qu’on nomme monument, tout en inventant un concept touristique ? Que devient Estuaire ?
« Le voyage à Nantes » se réapproprie ses codes. Comme si le packaging que représentait Estuaire, dans les connections qu’il proposait entre patrimoine présent et œuvre ajoutée, ne suffisait plus, il faut l’entourer dans une autre formule. Une mise en
72
Sous titre du voyage à Nantes, figure
Figure 81 Images issues du film de communication du Voyage à Nantes Une étrange façon de revisité le patrimoine Nantais. LVAN.com Les Géants. Royal Deluxe L’éléphants, La Machine LE théatre
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abyme d’une formule touristique, qui connectera encore plus un archipel d’éléments sous le terme de culture et patrimoine. Huit œuvres pérennes vont s’ajouter à la collection du fleuve et à celle de ce nouveau monument dispersé. On observe une parfaite continuité dans la politique culturelle nantaise qui renforce toujours plus son offre et ses formules pour amener les gens à découvrir le territoire. Ainsi se renforce l’image de la métropole du grand ouest comme renouvelée et redécouverte par la culture. Deux points de vues se confrontent alors dans cette récupération d’Estuaire par le Voyage à Nantes. Est ce qu’Estuaire, ayant rempli son contrat, celui de la conscientisation de la métropole, passe le flambeau ? Ou est‐ce que Nantes veut se réapproprier la formule pour réaffirmer son rôle central ? Mais la métropole devra sans doute néanmoins compter avec Saint‐Nazaire pour assumer pleinement ses enjeux. Faudra‐t‐il pour cela changer de modes de gouvernance, imaginer un seul représentant commun pour l’entité géographique de l’estuaire ? Homogénéiser les compétences et l’importance de chacune des polarités, démographiquement, est pour l’instant impensable, et à terme, pas forcément souhaitable. La culture a succédé au passé industriel et naval de Nantes. Sa reconversion patrimoniale et identitaire en est le résultat. Saint‐Nazaire de son côté, représente toujours la force productive, navale et industrielle, maintenant environnementale par l’installation des plateformes d’éoliennes offshore et les chantiers de ces dernières. La complémentarité et la diversité de ces polarités spécifiques est donc la force de cette métropole. L’échange d’une attractivité et d’un rayonnement culturel nantais contre une force économique en action nazairienne.
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