Mémoire de PFE

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LES PAROLES GELEES

Analogies du camps au campus au travers du mur de l’Atlantique

Mémoire de PFE

Juliette Guichard



LES PAROLES GELEES

Analogies du camps au campus au travers du mur de l’Atlantique

Mémoire de PFE

Juliette Guichard R10- 2013 enseignants

Luca Merlini Elias Guenoun Virginie Lefebvre


1.Visions sous-marine vues du pĂŠriscope


LES PAROLES GELEES

Analogies du camps au campus au travers du mur de l’Atlantique

Préambule 1.Au travers du mur

.8 a. MONUMENT DISTENDU Ancrage d’une ligne Une côte-monument ? Devenir Ruines

b. TOPOGRAPHIE DE LA GUERRE Assimilition géologique Climat artificiel, les paroles gélées Instrumentaliser le paysage Dispersion et dissimulation Champs de bataille

2.Du camp...

.17 a. L’enclos en jachère Formes résistantes Entre-milieux Champs sémantiques

b.L’ESPACE-CAMP Du déploiement à la permanence La place du commun Un espace de négociation Exclusion/Inclusion

3...au campus

.23 a.RE-OCCUPATION UNIVERSITAIRE, Du soldat à l’étudiant. Les génies du lieu Ouvrir le quadrangle Le Campus herbier, l’antenne du paysage

b.TRILOGIE MILITAIRE Archipel de caméras obscuras La tranchée – figure du chercheur Le siège – L’enclos ouvert L’enceinte – Les couloirs du savoir


1 - Positions stratÊgiques des ouvrages du mur de l’atlantique. Cartes de Saint Nazaire, et de la Rochelle, Source The atlantikwall as military Archeological landscape.


PREAMBULE

7

C’est en arpentant les côtes Atlantiques

d’attitude qui sont chacune des fabrica-

que ce travail a débuté. Entre les frag-

tions, des lectures du paysage : la tran-

ments de la ligne du littoral et celle de

chée, le siège, l’enceinte. Ces trois

l’horizon. Successivement des sites, ja-

figures de projet, une fois manipulées

chères d’un conflit, celui de la seconde

permettent au site étudié de muter dans un

guerre mondiale. Disséminées, des mas-

nouvel état, une nouvelle correspondance

ses échouées, surplombant l’étendue de ce

avec son environnement.

paysage. Anciennement tous ces fragments fonctionnaient en interdépendance, abri de

A ces télescopages militaires s’ajoute une

l’occupation des Allemands. Il ne reste de

réflexion sémantique nécessaire à la trans-

cette occupation que les mystères enfouis

position programmatique. Comment manipuler

en pleine mutation géologique d’un retour

une forme spatiale ? Le champ toponymique

à la terre de ces objets sur lesquelles les

du camp, statut du lieu depuis la seconde

roches ont déteint. Autour, en les reniant

guerre mibdiale est ici travaillé par ana-

ou en usant de leurs positions, tantôt le

logies successives, formelles, conceptuel-

paysage tantôt la ville ont continué de

les pour aboutir à son double : le campus.

s’étendre. Un ensemble de mémoire résident dans cette infrastructure militaire, dans

Nous étudierons l’hypothèse qu’un lieu

ces abris d’attente, dans ce que Virilio

conserve une mémoire propre dont les formes

assimile à un vêtement. Plusieurs échelles

spatiales peuvent se transposer. Proposer

servent de théâtre à ce projet.

le glissement de l’espace camp à celui du

Un seul site en sera le catalyseur, un

campus représente dans le projet comme une

ancien camp situé à l’extrême pointe da

étape de re-personnification du site au

Saint-Nazaire, fin de l’estuaire de la

travers de ses codes intrinséques.

Loire et commencement de l’Atlantique. Un site métonymie, où chacune des étapes du

Nous verrons tout d’abord comment l’étude

processus s’imbriquent. Un projet n’est-il

des dispositifs du réseau du mur de l’at-

pas toujours cette partie du tout, ce frag-

lantique fondent la mémoire d’édifices

ment censé porter les métaphores des récits

ruines. Après avoir défini ces sites aux

qui nous habitent ?

temps encore suspendus, nous nous interesserons au basculement sémantique du camp

Aborder ce territoire par la connaissance

militaire jusqu’au campus, où comment le

du militaire m’est apparu comme une es-

fragment choisi propose de regarder la

cale nécessaire pour entamer sa mutation,

forme fermée de la fortification militaire,

pour le ré-affecter, pour qu’il se raconte

celle de l’enceinte. Enfin

à nouveau. Lorsque John Brinckerhoff Jack-

ches sera extraite une trilogie, soit trois

son définit les états du paysage, c’est

entités de projet qui fondent le campus ici

aussi comme militaire topographe, géogra-

dévelopé. S’y méleront les stratégies mili-

phe, botaniste qu’il l’interroge. Au delà

taires et les registres universitaires, au

de la guerre en elle-même, l’occupation de

travers des notions communautaires d’indi-

ces sites se racontent au travers de ses

viduel/collectif, de rapports d’intériorité

récits, ses mythologies. Ces différentes

du hors et du dedans, ainsi que de préser-

stratégies sont les fils conducteurs qui

vation de la trace mémorielle comme socle

fondent l’architecture du projet. Autant

d’un re-devenir du terrain.

A. VIRILIO Paul, Bunker archéologie, Galilée, 2008 B. BRINCKERHOFF JACKSON, John, A la découverte du paysage vernaculaire,Actes Sud, Ecole nationale supérieure du paysage, 2003. «le territoire vu par l’oeil du militaire»

de ces recher-


2 - Typologies des bunkers du mur de l’Atlantique. BRUNELLI,BASSANELLI L’Atlantikwall : Mappe, tipologie, disegni, propaganda, fotografie, 2011


1.AU TRAVERS DU mUR

MONUMENT DISTENDU

9

lité d’imperméabilité au site qu’il proté-

Ancrage d’une ligne

ge. Cette occupation du littoral en France

De l’attente interminable face à l’océan

a donné lieu à une zone interdite longtemps

de ces millions de guetteurs de la seconde

inaccessible. Aujourd’hui elle est marquée

guerre mondiale, il ne reste aujourd’hui

par son caractère indestructible, et doit

que ce qui semble être les fragments

alors être réinterprété.

d’abri, d’habitacles. Autant de points d’appui sur l’extrême côte ouest du ter-

Une côte-monument ?

ritoire européen confrontés à l’étendue

Il s’agit de se questionner sur la valeur

de l’Atlantique. Ce sont donc douze milles

patrimoniale d’un édifice comme celui-ci,

bunkers occupants qui siègent sur leurs

sur son statut de monument qu’ Aurélien Ma-

positions stratégiques du nord de l’Espa-

surel qualifie de paradoxal.

gne aux côtes Norvégiennes. Ce qui n’est

Gennaro Postiglione a amorcé depuis 2004

plus qu’une série de vestiges dépréciés des

une recherche autour de «the Atlantikwall

visiteurs est l’ancienne armature d’une

linear museum». Ce projet a donné lieu tout

infrastructure territoriale d’une ampleur

d’abord à un atlas, témoignage documentaire

rarement connue au XXe siècle.

de la valeur de l’infrastructure, puis à

« C’était une frontière qu’une armée venait

une exposition éponyme itinérante attes-

à peine d’abandonner et la signification de

tant de l’importance d’une mémoire commune

cette immensité marine était inséparable de

à l’échelle européenne. Une convention

cet aspect de champ de bataille déserté »1.

internationale cloture le projet, en reconnaissant l’enjeu de cet héritage histo-

Cet ouvrage s’inscrit dans l’histoire de

rique et son identité culturelle commune.

la fortification militaire, avec son dou-

Autant d’étapes qui l’institue comme un

ble enfoui à l’est du territoire français :

patrimoine culturel, comme un paysage ar-

la ligne Maginot. Errart Bar le Duc consi-

chéologique mais qu’il s’agit de réinter-

dère que « l’art de fortification n’est

préter. Il est important de procéder à une

que l’art de cliner et décliner les lignes

désacralisation, à une «profanation» comme

sur lesquelles sont jetés les fondements du

en parle Giorgio Agamben, au sens de la

contour et du circuit d’une place » 2.

«neutralisation de ce qu’elle profane. Une

Si en effet le système de Vauban position-

fois profané, ce qui n’était pas disponible

nait des places fortes, les nouvelles for-

et restait séparé perd son aura pour être

mes de lignes de défense, que sont ces en-

restitué à l’usage» 3. Cet usage ne doit

tités (ligne Maginot, mur de l’Atlantique)

pas détruire le bunker, le masquer, mais

établissent des frontières, des limites

bien réfléchir à une nouvelle destination.

ancrées indéfiniment dans le terrain qu’el-

Comment se servir de la mémoire intrinsèque

les occupent.

des bunkers tout en les redefinissant pour se réapproprier ces sites occupés et cris-

Il ne s’agit plus donc de point, mais bien

pés.

d’un système de lignes, impliquant une qua1.VIRILIO Paul, Bunker archéologie, Galilée, 2008 2.ERRART Jean, l’art des fortifications 3.AGAMBEN Giorgio, «Profanations», Rivages poche – 2009 4.MASUREL Aurélien, Maginot la ligne en fuite, «la reconnaissance de cette ruine moderne, dans un parcours improvisé entre l’objet et sa mémoire lacunaire révélera la nature de ce monument paradoxal».


1 - Effacement de la trace de la ruine La faculté des techniques militaires en ruines à Berlin en 1953 2 - Teufelsberg 12 millions de mètres cubes de gravas qui font de l’enfouissement des ruines le monument de la victoire. 3 - Dunepark Cyprien Gaillard, 2009 Excavation d’un bunker de la seconde guerre mondiale, Scheveningen, La Haye, Pays-Bas

1

2

3


1.AU TRAVERS DU mUR

11

La force du dit monument se joue surtout

Albert Speer. « Imposer les décombres aux

dans la gigantesque mise en réseau de ces

vaincus c’est couper court à la chronolo-

objets, la révélation de ce patrimoine doit

gie patiente de sa mythification » 5, c’est

mettre en scène l’unification du paysage

l’impossibilité de laisser la trace de la

conçue lors du chantier européen. En effet,

puissance que l’esthétique de la ruine ca-

chacun des sites entre en résonance avec

talyse pour ses concepteurs.

les autres, soit un maillage continu du

C’est au regard de ce principe qu’il est

territoire côtier, un système d’interdépen-

important de re-considérer ces objets qui

dance. Cette linéarité transnationale fan-

balisent la côte Atlantique. Y est per-

tasmée, qui sera aussi l’objet d’une propa-

pétuée cette occupation des sols, il est

gande, est en réalité celle de la côte. Le

alors nécessaire de procéder à leur ré-in-

littoral est une fortification naturelle,

terprétation.

un socle des différentes émergences monolithiques du mur, soit le véritable monu-

TOPOGRAPHIE DE LA GUERRE

ment linéaire que pourrait être cette ligne de côte sur laquelle le réseau de bunkers

Assimilition géologique

prend place.

La ruine est résistante, ces sites suspendus. Le bunker entretient avec son en-

Devenir ruines

vironnement propre une relation ambiguë.

Ces édifices sont irrémédiablement marqués

L’absence de fondations qui le caractérise

par l’obsolescence de l’armature militaire.

oblige un ancrage dans la terre. Seule la

Il est important de reconsidérer leur sta-

gravité exercée par sa masse permet de

tut de ruine, puisqu’il est au coeur d’un

trouver l’équilibre de l’édifice. Il est

processus de domination, d’une anticipation

donc d’abord minéral, et se confond avec

de la chute.

une forme géologique naturelle. Ces infrastructures sont atténuées par l’érosion

Jean-Yves Jouannais insiste sur ce deve-

et gagnées par la végétation, comme si la

nir-ruine fondateur de l’entreprise du IIIe

nature avait su assimiler ces entités à son

Reich. Il l’exprime au travers de l’exemple

propre patrimoine.

de Teufelsberg, à Berlin, terril artificiel destiné à la mise en scène par les Alliés

Climat artificiel, les paroles gélées

de la disparition de la domination na-

Dans le même temps c’est une cavité qui

zie. C’est par l’enfouissement de la ruine

est enfouie dans le sol et en cela, selon

que cette inversion des pouvoirs se re-

les lignes défensives qu’il crée sur les

joue. Selon une théorie de G.Semper, toutes

différents champs de bataille que sont les

constructions devaient être conçues en vue

batteries côtières, il creuse et déforme le

de sa promesse de vestiges futurs. Erri-

sol. Se dessine alors une nouvelle topogra-

ger alors comme monument de la victoire les

phie artificielle, une mémoire en négatif

décombres des ruines détruites interrompt

d’un conflit passé.

le processus des édifices infinis chers à 5.JOUANNAIS, Jean-Yves, L’usage des ruines, portraits obsidionaux, Ed Verticales, 2012. 6.RABELAIS, Pantagruel, quart livre, Folio, 1998, Episode des paroles gelées


1 - Camouflage Coupe fantasmée de la ligne Maginot. Une ville militaire dans les profondeurs de la ligne de défense ayant épaissie le paysage. 2 - Surface/Epaisseur Camouflage d’une caserne près d’Hollywood La caserne sous la ville tapis


1.AU TRAVERS DU mUR

13

Il est pour moi comme une caisse de réso-

sud. On peut alors imaginer que le climat,

nance contenue et enfouie. Cette analogie

les matériaux, c’est à dire ce qui fait la

n’est pas sans rappeler le récit de Rabe-

spécificité d’un site, ne modifie en rien

lais, lorsqu’au beau milieu de l’océan,

la nature de l’élément défensif.

Pantagruel entend les échos des conflits passés que le dégel a libéré .6. Cette mé-

Nous sommes dans une écriture générique

taphore explore le sentiment qui nous ha-

de l’objet. Pourtant chacune des situa-

bite lorsque l’on part à la recherche de

tions, qu’elle soit en milieux forestiers

ces vestiges. Ce sont les degrés de dis-

(dissimulé de l’aérien), côtiers (position

simulation et de camouflage qui permettent

d’exécutif), dans l’hinterland (replis et

de déterminer deux aspects du bunker, celui

direction), diffère. C’est en cela que le

de la surface perçue par rapport à l’espace

territoire et les dispositifs des uns par

contenu. L’épaisseur est souvent suggérée

rapport aux autres montrent la complexité

par un accès qui creuse la masse ou le sol

du système. Ce rapport générique/local a

présent au regard, tandis qu’un marquage,

été l’enjeu d’un premier travail de relevés

une cloche cuirassée, une dalle indique que

et d’inventaire.

nous sommes en réalité au-dessus de, soit, sur un toit. Souvent la forme polie de

Dans topographie de la guerre .7, exposi-

l’habitacle ne permet pas de lire la volu-

tion éponyme, le photographe Donovan Wylie

métrie intérieure, difficile à projeter aux

montre le même équipement militaire ins-

vues des épaisseurs des parois.

tallé tout d’abord à Belfast,en Irlande du Nord puis en Afghanistan. Il évoque la

Instrumentaliser le paysage

façon dont les équipements militaires fa-

Les photos du livret associé en témoi-

çonnent un paysage, ensuite délocalisé. Ce

gnent. Chacun des sites observés montre

déplacement transforme à son tour un autre

l’adaptation du bunker à un milieu diffé-

lieu. Pour lui, c’est un télescopage des

rent, toujours dans un rapport nouveau au

regards de guerre. En effet il s’agit ici

camouflage. Il est important de préciser

de tours d’observation qui viennent instru-

qu’existe une multitude de typologies, et

mentaliser le paysage comme un théâtre de

sont en réalité, selon les fonctions des

guerre.

casemates, des déclinaisons. Nous ne ferons pas ici l’inventaire des différents usages

Dispersion et dissimulation

(dortoirs,réserve de munitions,casemate à

L’intelligence militaire ne jette pas seu-

canons, abri à radar, batteries défensives,

lement les bases d’un nouveau paysage,

chambres de télécommunication, postes de

celui de la guerre, en organisant le terri-

tir, bunker de commandement, postes d’ob-

toire, social avec ses voies stratégiques

servations.. ), néanmoins les mêmes élé-

et ses forts. Elle produit aussi son at-

ments récurrents, quelle que soit la nature

mosphère. Il est utile de remarquer que les

du terrain qu’ils occupent, se retrouvent

progrès de la topographie sont issus, de-

à l’extrême nord de l’Atlantique jusqu’au

puis le XVI e siècle, des nombreuses guer-

7.JOUANNAIS, Jean-Yves, DUFOUR, Diane, Topographie de la guerre, Catalogue de l’exposition éponyme, Steidl, LE BAL, 2011. 8.BRINCKERHOFF JACKSON, John, A la découverte du paysage vernaculaire,Actes Sud, Ecole nationale supérieure du paysage, 2003. «le territoire vu par l’oeil du militaire»


1- Lignes de résonances Photos argentiques extraites du travail photographiques préliminaire. Sites, Pointe de l’Eve, Saint Nazaire, Pointe de Chay, Royan.


1.AU TRAVERS DU mUR

15

res européennes. L’intelligence du terri-

environnement. Pour Jean Yves Jouannais,

toire par le militaire peut-être assimilée

l’inventaire, lorsqu’une défaite survient

à celle du géographe. (cf Yves lacoste)

disparaît comme un trésor de guerre. Se

John Brinckerhoff Jackson dans le terri-

perd alors l’ultime maîtrise du sol et ce

toire vu par le militaire définit un pay-

regard omniscient sur le territoire.

sage comme « une organisation de l’espace rendue lisible par des signes et des sépa-

« Un champ de bataille n’a pas été ou ne

rations» .8. C’est cette lecture à laquelle

sera pas au travers des siècles que le

il s’agit de s’intéresser.

champs d’une seule bataille. S’il a été champ c’est qu’il réunissait certaines

Comment les éléments structurants du pay-

conditions de situation géographique de

sage, les lignes directrices sont autant

nature géologique. Donc il l’a été, il le

d’espaces pour se dissimuler. Autant d’obs-

sera. » 9

tacles. Le paysage de bocage notamment permet le ralentissement de troupes par une

Ces sites habités de cette mémoire, ici dé-

succession de haies. La connaissance exacte

crite, sont le cadre de ce projet. Le récit

d’un massif forestier devient alors l’outil

de l’approche militaire est aussi une fa-

d’un art de la dissimulation.

çon d’aborder le territoire et le tapis de trajectoires dont ces lieux montrent encore

Chaque lieu devient propre à des trajectoi-

l’empreinte. Ces 6000 bunkers inoccupés,

res spécifiques, l’attaque et la défense

indestructibles sont autant d’énigmes occu-

déterminent des mouvements opposés. Finale-

pantes, localement.

ment J.Brinckerhoff Jackson se demande : La sédimentation de ces corps étrangers met «si le paysage et la société militaires ne

en jachère des sites aux qualités d’éten-

sont pas tous deux essentiellement, des

due, de climat, d’environnement exception-

variantes exacerbées et exaltées du temps

nels. Un lieu peut-il comme Proust le dit

de paix par un but unique et dominant, qui,

être l’unique théâtre d’un moment ponctuel,

nécessairement, entraîne une relation plus

le laissant retourner ensuite à son état

étroite entre l’homme et l’environnement et

éteint ? L’enjeu est ici de superposer à ce

des hommes entre eux. » 8.bis

repos une nouvelle bataille, du moins une stratification supplémentaire, superposée à

Champs de bataille C’est cette collection de territoires, comme un herboriste pourrait le faire qui m’intéresse ici, comme si chacun de ces édifices militaires venait sonder le paysage et ses résistances. Le rapport de la carte au territoire est donc capital comme la transmission de la codification d’un 8.bis. Ibid 9.PROUST, A la recherche du temps perdu, Gallimard, 2008

la résonance intrinsèque du Genius loci.


1 - Site de projet, Camp de la torpille, site et trajectoires corps étranger dans ce site péri-urbain et balnéaire.


2. DU CAMP ...

L’enclos en jachère

17

nkers destinés à stocker les munitions, véritable réserve pour la base sous-marine.

Formes résistantes

Les avants postes défensifs et points d’ap-

Devant l’immensité de l’infrastructure

pui de visée et de tir complètent le pay-

transnationale qu’est le mur de l’Atlan-

sage côtier. Le site est en correspondance

tique, une forme spatiale spécifique à ces

avec le sémaphore militaire de la pointe de

recherches militaires préliminaires a re-

Chemoulin, extrême point marquant la limite

tenu particulièrement mon attention : celle

entre deux milieux, estuarien (fin de l’es-

du camp. Cette image résistante, qui avait

tuaire de la Loire) et océanique (limite de

motivé ce choix de la fortification euro-

gouvernance Atlantique). Le site entretient

péenne, celle du continuum, se rejoue, à

un rapport de communication et de contrôle

une autre échelle, dans le cas de la forme

aérien dans sa mémoire, puisque le vestige

camp. Si la succession des bunkers consti-

d’un abri à radar trône au centre du site,

tue un camp linéaire, il était important de

comme l’oeil pinéal.

réduire cette globalité à un ensemble local. La forme ouverte de la ligne se trans-

Il faut préciser que le travail établit

forme ici dans celle de l’enclos. Si le mur

autour de ce terme de camp est fondamental

de l’Atlantique déterminait un front, les

pour le projet. L’analogie sémantique ayant

notions de dedans/dehors se rejouent, mi-

été un outil de projet, tant programmatique

niaturisées par la figure de l’enceinte.

que formel.

Quant au réseau de correspondances et de complémentarités inhérentes aux fragments

Champs sémantiques

dispersés, l’enjeu en est ici la reacti-

Le camp est tout d’abord issu de cette ra-

vation avec des entités effectives et non

cine campo, qui détermine le champ et la

plus une série de jachères longeant le lit-

plaine par rapprochement. La racine latine

toral.

amène plusieurs relations importantes dans la construction du champ lexical du projet.

Entre-milieux

Tout d’abord c’est ce rapport à la plaine

Saint Nazaire était l’articulation princi-

(campestra), au terrain cultivé, manufac-

pale de la fortification côtière, avec com-

turé, ensuite la référence au champ de mars

me infrastructure principale, sa base sous

ou campo marzio, domaine public, où les

marine, seule résistante dans la ville-port

exercices militaires (campicursio), le lieu

après les bombardements. L’une des cibles

politique et les jeux publics prenaient

donc, du conflit. Il est caractérisé par

place en un ensemble fragmentaire juxta-

l’homogénéisation les différents milieux,

posé. Le champ de bataille, lui, est inévi-

terrestre, maritime, et aérien, et est dé-

tablement un état du camp, son état tempo-

terminé par un risque à trois dimensions.

raire ponctuel du moins.

Tout autour de Saint-Nazaire s’établit donc

L’image persistante associée à toutes ces

un archipel d’antennes, dont le site retenu

notions étant indéniablement une notion

pour procéder à ce projet. Il est encore

d’occupation, d’habiter le lieu, que ce

appelé camp de la torpille. C’est un site

soit par le labourage et la transformation

circulaire enceint, réunissant vingt bu-

d’un état de la terre, par la délimitation


2 - Hierarchie spatiale du camp, entre singulier et générique. Collage La grille du camp face à la vision panoptique du site circulaire. 1 - Une double ruine palimpseste destinée à s’inverser. Collage superposition de l’état-ruine d’un camp romain,Timgad, Algérie sur celle du camp de la torpille. 3 - castrum romain. Rapport d’échelle de l’élément tente.

1

3

2


2. DU CAMP ...

19

d’aires de maîtrise des sols dans une ba-

permet d’extraire un type spatial spécifi-

taille, de déplacement de la ligne de force

que. Quelles sont les caractéristiques de

entre deux troupes de soldats (campigeni),

l’espace-camp ?

ou encore dans l’établissement temporaire ou pérenne d’un campement ou tout du moins

Du déploiement à la permanence

d’une forme d’organisation collective de

Pour ma part, l’exemple du castrum romain

structure hiérarchisée.

démontre ce basculement d’une forme mili-

Organiser un terrain, l’assujettir à de

taire à celle d’un fragment urbain. Plu-

nouvelles limites spatiales ou structures,

sieurs types de camps, celui d’été, comme

toutes ces attitudes modifient l’état du

celui d’hiver montrent des mouvements dif-

lieu et cette racine commune du camp permet

férents. Tandis que le camp d’été se dépla-

de rassembler ces notions. Le champ d’ac-

ce chaque soir, se déploie et se démonte,

tion pourrait aussi correspondre à l’unité

le camp d’hiver lui, se pérennise le temps

d’action, donc un rapport théâtralisé, où

d’une saison. Chacun est caractérisé par un

les trois unités, de temps, de lieu et

plan propre, une hiérarchie qui vient se

donc d’action pourraient, en fait, être un

plaquer sur chacun des territoires occupés.

préambule au projet.

La forme répétée de l’élément générique de la tente destinée aux soldats de garnison,

L’espace-camp

entourant une place où l’élément de gouvernance est lui spécifique par sa taille,

Charlie Hailey, dans un ouvrage paru au

par l’espace extérieur qui l’entoure dans

MIT press, s’interroge sur cette forme-

la grille rigoureuse de l’organisation. Un

camp. Il le détermine comme l’espace clé du

rapport déjà présent de hiérarchie public/

XXIe siècle et s’attache dans son ouvrage

individuel avec des seuils, des délimita-

‘Camps’ à le définir comme le problème cen-

tions.

tral de notre temps contemporain.11.

Le contrôle de l’espace est établi tout

Comment malgré la diversité des fonctions

d’abord par ses axes, le cardo decumanus

ou postures et pratiques de la figure du

qui oriente le camp. Mais c’est le bascule-

camp en définit les caractéristiques com-

ment d’une forme mobile temporaire à celle

munes ? y en a-t-il ? Il tente de démon-

pérennisée d’une forme urbaine, d’un frag-

trer que l’on assiste à la généralisation

ment de ville, qui complexifie les rapports

de cette forme spatiale. Ils sont, après

à la grille.

les avoir inventoriés, les révélateurs d’un environnement construit

(contexte trans-

La place du commun

formé radicalement par la globalisation,

Le campo marzio gravé et constitué par Pi-

mobilité, flux politiques) par un groupe,

ranèse montre le camp à l’échelle de Rome,

ou du moins un collectif (détenus réfugiés,

où l’espace est fragmenté d’éléments re-

migrants, pèlerins, activistes, touris-

composés à la symbolique militaire, public,

tes, hédonistes, et avatars). Ils retirent

politique. L’espace-camp est cette fois–ci

leur force et leur impact de leur rapide

montré sous la forme sociale et spatiale,

déploiement et de leur nature temporaire.

un ensemble d’événements qui implique une

Quelle relation ces groupes fabriquent ?

série de typologies programmatiques qui se

L’étude de ces dynamiques complexes lui

contractent en un seul monument. Pour Man-

11.HAILEY, Charlie, CAMPS, A guide to 21st- Century Space, the MIT press, 2009.


1 - Collages suite. L’échelle du monument dans le Campo Marzio, Elements publiques et programmatiques face à l’échelle du site. 2 - Campo marzio, Piranese, fragment

1

1 2


2. DU CAMP ...

21

fredo Tafuri, « c’est la bataille engagée

symbole. À propos du champ, il exprime la

par l’architecture contre elle-même : la

capacité que possède la clôture à produire

typologie s’y affirme comme une instance

une différenciation spatiale. « D’une ma-

d’ordre supérieure mais la disposition des

nière générale, le système, baraquements,

types singuliers aboutit à la destruction

se retrouve dans tous les camps, On peut

du concept même de typologies. ». 12 Le

avancer que l’élément de central de la

singulier du monument public l’emporte ici

construction d’un camp est paradoxalement

pour délaisser la forme répétée de celle

la clôture de barbelés. »

plus commune de l’élément générique. C’est

Ce rapport d’autonomie est augmenté lors-

un camp de contractions programmatiques qui

que les règles, les valeurs sont propres

se définit par cette imbrication et non

à l’intérieur de la limite. Les exemples

plus par sa structure autonome.

de forme camp autarciques tant formellement que socialement sont nombreux. Le hors

Un espace de négociation

société peut être porté par des camps d’op-

L’aspect social du camp, au-delà de celui

positions, dits politiques, des camps de

juste militaire, mais aussi dans les autres

détention, ou d’exclusion, jusqu’au summer

cas, est primordial, car il se constitue

camp. À l’extrême la situation concentra-

autour d’un vouloir collectif, d’un devenir

tionnaire dont parle Agamben est régi par

commun. Au sein même de l’espace partagé,

la loi d’exception qui devient la norme.

une série de seuils doit être pensée. C’est

14. Il définit lui l’espace camp comme

dans ce cadre d’une communauté quelle que

la matrice cachée de l’espace politique

soit la raison de son rassemblement, qu’il

contemporain. Selon Charlie Hailey, le camp

s’agit de penser la vie publique d’un es-

est régi par trois grandes notions qui lui

pace autonome comme celui du camp. Eileen

permettent de les classifier, Autonomie,

Gray, à propos de la conception d’un camp

nécessité, et contrôle.

de vacances, fera la critique de ces espaces résolument ceux de l’indifférenciation.

L’autonomie sur le site qui sera le cataly-

L’enjeu d’un « camp » serait ici la négo-

seur de cette réflexion est l’objet d’une

ciation et l’autonomie de l’espace domes-

remise en question. Tout d’abord le camp

tique face à celui partagé. Il faudra donc

de la torpille pourrait être la métonymie

dans le projet établir les degrés

du corps étranger. Il est en opposition

d’inté-

riorité et d’extériorité de la vie collec-

avec son milieu naturel, puisque laissé en

tive face à l’intimité.

jachère face à un paysage sub-urbain, pavillonnaire, balnéaire à sa limite sud,

Exclusion/Inclusion

quant à sa limite nord il est bordé d’une

« Le fermier délimite un extérieur pola-

forêt. Les vingt stèles qui l’occupent

risé comme menaçant, un intérieur polarisé

s’organisent dans une logique spatiale di-

comme rassurant parce que protégé. »13 Dans

vergente de son environnement alentour.

son ouvrage Histoire politique du barbelé, la prairie, la tranchée, le camp, Olivier Razac examine selon trois situations ce que porte le barbelé comme signification et 12.TAFURI Manfredo, Projet et utopie, Espace et architecture, Bordas, 1979 13.RAZAC Olivier, histoire Politique du barbelé, la prairie, la tranchée, le camp, la fabrique éditions, 2000 14.AGAMBEN Giorgio, Homo Sacer. I, Le pouvoir souverain et la vie nue, Le Seuil, Paris, 1998


1.Le Campus vu par Franck LLoyd Whright, éléments dispersés, autonomes 2.Le Campus Jeffersonien. 2.Campus à l’américaine, le modèle Jeffersonien, Université de Virginie. (voir plan collage page précédente)


3. ..Au CAMPUS

23

RE-OCCUPATION UNIVERSITAIRE,

téorologique. Cette série de savoirs ainsi

Du soldat à l’étudiant.

rassemblés fait échos aux diverses techniques militaires observées dans la mise en

Les génies du lieu

place du mur de l’Atlantique. La connais-

Camps of autonomy confront, retreat, teach

sance militaire ayant souvent précédé, dans

and celebrate,15 écrit Charlie Hailey en

l’histoire des découvertes scientifiques,

introduction de son inventaire des camps

l’usage civil.

observés. Et si le camp militaire déchu

Si le risque était celui de l’impact, du

devenait le cadre d’un campus. Il s’agit

conflit, l’enjeu du grand territoire de

de la même racine latine définissant de «

Nantes Saint Nazaire est aujourd’hui in-

vastes étendues ». Cette analogie d’abord

dustriel (port/aéronautique/éoliennes offs-

sémantique prend son sens au regard des

hore), climatique, environnemental.

différents points explicités en amont.

faut donc voir le camp de la torpille comme

Cette typologie est avant tout basée sur

devenant une entité laboratoire d’un ter-

le modèle américain. C’est en développant

ritoire plus grand qui viendrait se té-

la généalogie de cette spatialité que nous

lescoper à l’intérieur. Le programme de

comprendrons comment l’université peut-

l’université fonctionnant comme une suite

être le modèle régénérateur du site latent,

d’étapes ou plutôt d’antennes interdépen-

ancienne trace militaire et comment les

dantes dans des territoires périurbains, le

recherches des différentes stratégies mi-

site continuerait alors d’établir des rela-

litaires peuvent être productrices d’archi-

tions de dépendance à d’autres lieux monu-

tecture.

ment de l’enseignement, liens qu’il n’éta-

On peut observer, parmi les appels d’of-

blit plus dans l’espace continu du mur de

fre de Saint-Nazaire que les deux campus

l’Atlantique.

Il

universitaires à proximité du site étudié sont déficitaires. La nécessité est bien

Le Campus herbier, l’antenne du paysage

réelle d’en augmenter la capacité. C’est

Sébastien Marot pour définir le sub-urba-

l’IUT qui sera l’objet de la réinvention de

nisme, utilise le campus de Cornell.16. à

ce lieu-jachère. Ce programme qui concerne

Ithaka comme le lieu d’articulation d’une

le système éducatif français se différencie

construction du paysage. Il exprime le cam-

des matières académiques enseignées. Les

pus comme la troisième nature, à la manière

domaines ici étudiés sous forme de départe-

de la villa suburbana renaissante. Ce sont

ments distincts seront les différents gé-

les figures du géographe tout d’abord, puis

nies technologiques. Le terme génie renvoie

du botaniste qui fondent le campus dans son

à cet esprit du lieu (Genius loci). Ils

rapport à l’environnement qu’il construit.

sont les métaphores du paysage, le génie

C’est donc par le paysage que se construit

biologique, génie civil, génie mécanique,

le campus, par métonymie. C’est ici par les

génie informatique, génie thermique, génie

éléments environnants, climatiques, cô-

chimique, génie logistique, génie des télé-

tiers, marins, portuaires, que par carotta-

communications et des réseaux, génie mé15.HAILEY, Charlie, CAMPS, A guide to 21st- Century Space, the MIT press, 2009. 16.MAROT Sebastien, «Palimpsestuous Ithaca : Un manifeste relatif du sub-urbanisme», Conférence au pavillon de l’arsenal


1.Quadrangle à l’anglaise, College, Wadham College, Oxford, construit en 1610-1613 (Loggan, Oxonia Illustrata, 1675). 2.Laboratoires comme disciplines, série de cabinets de curiosités, géologie et fonds marins, analyses climatiques, recherches sonore, chambre anéchoique, laboratoire électromagnétique, photomontages


3. ..Au CAMPUS

25

ge du sol et des fragments récoltés que se

de connexions spécifiques, de la colonnade

fabrique un aller-retour de l’intérieur du

de Jefferson (Virginie), à la galerie cou-

campus sur les deux autres natures, celle

verte de Stanford, enfin ce qui marque le

vierge du lointain, ainsi que celle culti-

rapport interne à une nouvelle gouvernance,

vée, assimilée.

l’entrée, soit sous forme de portique, ou de pavillons.

Ouvrir le quadrangle Ithaka 17. verra se superposer trois états

TRILOGIE MILITAIRE

du campus, allant du quadrangle, tourné vers l’intérieur du savoir commun, si-

Archipel de caméras obscuras

tué dans les terres rurales éloignées de

Une série de pavillons-bunker marque le

la ville, donc imperméable à son contexte

site et en retrace le passé. De l’obser-

jusqu’à l’ouverture des éléments sur le

vation de ces vingt stèles ne peut être

territoire. En témoigne la volonté de Bay-

évacuée la sensation d’être face à un mo-

ley, le dernier grand homme de l’univer-

nument funéraire d’une échelle déconnectée

sité de Cornell qui organisera le « camp du

des lotissements alentour qui caractérisent

savoir » comme un arboretum, où ce qu’il

la côte atlantique. Ces différentes enti-

appelle plantations sort vers la ville.

tés organisées en cercle ne sont pas sans

C’est au regard de l’histoire de la pensée

rappeler les rapports paysagers des campus.

architecturale et urbaine du campus amé-

Cette succession de masses capables (100

ricain que l’on remarque le retour d’une

m2 et une hauteur de 4 mètres) ont été au

sémantique utilisée en amont, de la dis-

démarrage du projet comme des caméras os-

simulation (quadrangle, autonomie raccor-

bcuras, soit une série d’énigmes. Etant

dée) à la diffusion ou dispersion. C’est

l’objet d’une cible pendant le conflit de

en s’opposant au modèle anglais du qua-

la Seconde Guerre mondiale, il s’agit ici

drangle (Whadam college, 1600), au collège

de renverser le risque depuis l’intérieur

enclos que le campus américain se fonde,

du bunker, et y instaurer le lieu ultime de

comme à Harvard à Cambridge où le corps de

l’expérimentation.

bâtiment prend de l’amplitude créant une cour ouverte, un modèle déjà beaucoup plus

Le bunker devient le laboratoire, le lieu

urbain. Né le campus si spécifique, amé-

des manipulations, des climats artificiels

ricain, fait de bâtiments indépendants,

selon les différents génies. Chacune des

élevés librement sur un site paysager, le

disciplines occupe un des pavillons, utili-

tout dans un esprit s’opposant au modèle

sant l’art du confinement comme neutralité

anglais de fermeture et de repli sur soi.

de l’hypothèse scientifique. Des systèmes

Nous ne décrirons pas plus en profondeur ce

d’artificialisation de l’atmosphère (ciel

que Paul Turner 18. amène dans son article

artificiel, chambre acoustique, chambre

si ce n’est qu’il détermine quelques récur-

anéchoique, tests chimiques, turbines) per-

rences qui peuvent aisément faire lien avec

mettent de simuler des environnements dans

les caractéristiques du camp. Un modèle

chacune des entités qui ponctuent le site.

spatial qui génère une cour plus ou moins

Ils sont comme les miniaturisations du

ouverte, de l’échelle de la place de vil-

grand territoire qu’ils analysent.

lage, à celle urbaine, ensuite des systèmes 17.ibid.16 18. Paul V. Turner, « Quelques réflexions sur l’histoire et l’aménagement des campus américains », Histoire de l’éducation, 102 | 2004, 71-86.


1.Plan masse de la tranchée, laboratoire des chercheurs 0

4

8

m

2.Coupe de principe du projet de la tranchée 0

2

m

1.Double Negatif Michael Heizer, La tranchée et le rapport au sol. Image constructrice du projet


3. ..Au CAMPUS

27

Le campus, ici, fonctionne comme un ensem-

nouveau, par la relecture, l’action fait

ble réunissant une trilogie, chacun des

apparaître le site. Il cherche notamment

trois édifices interrogeant différemment la

cette relation d’appartenance réciproque de

posture face au bunker selon les stratégies

l’œuvre et du site.

militaires étudiées comme trois lectures du paysage. Puis sont en question pour chacun

Le siège – L’enclos ouvert

d’eux, autant le rapport individuel/col-

Ce projet-ci est le pendant de l’indivi-

lectif, que celui de la mise en repli, des

duel, il est la force publique de l’univer-

notions d’autonomie du camp-us.

sité, ce qui fait du campus le lieu ouvert sur la ville, un espace de diffusion. Il

La tranchée – figure du chercheur

réunit les programmes collectifs, les lieux

Six laboratoires destinés aux enseignants

du commun, soit l’amphithéâtre, le restau-

chercheurs sont présents sur le site au sud

rant, l’administration. Paradoxalement il

dans une relation d’isolement par rapport

prend la forme de l’enclos puisqu’il as-

au domaine public de l’université. Nous

siège la ruine du cœur du site. Il contient

nous situons dans un rapport individualisé

l’ancien socle à radar destiné à couvrir

au bunker-laboratoire, où chacun des locaux

les fréquences aériennes et marines du-

est en correspondance avec eux. Ce réseau

rant le conflit. Ce bunker d’une échelle

de chambres de réflexion est semi-enterré

similaire aux autres est néanmoins le seul

et dissimulé à la vue du passant par l’en-

élément singulier. Une différenciation qui

fouissement. Le bunker, comme si le site

l’a amené à être celui qui catalyserait le

était encore vierge, continu d’habiter le

monument au sens de sa portée public. Il

sol, tandis que son volume en négatif lui

reprend la typologie du cloitre, et ainsi

donne accès. La métaphore de la tranchée

un portique vient créer une première cir-

est importante puisqu’elle vient montrer

culation tout autour de la ruine. Des lo-

les épaisseurs enfouies du site palimp-

giques propres à chacun des programmes qui

seste. C’est ici un processus de mise à

donnent sur la circulation centrale s’y

distance face à la ruine puisque seules les

superposent, mettant en scène le batiment

nouvelles fondations (contenant les bureaux

comme une série de voies juxtaposées. Les

et chambres d’appoints pour enseignants

quatre façades encerclent la ruine donnant

voyageurs) ont l’exclusivité pour attein-

à voir par système fragmentaire tantôt son

dre l’entrée du bunker. Les seuils succes-

émergence (tourelles et socle), tantôt son

sifs qui mènent au bunker sont travaillés

rapport au sol (talus végétation). La ruine

en coupe dans le sol, véritable matériau du

ici détermine l’intériorité du quadrangle

projet. Michael Heizer à propos de double

et constamment le passant contournera cette

négativ (fig.) se demande « Que dire d’une

boîte noire où il ne pourra accéder, comme

œuvre d’art qui n’est pas même pas visible.

une question autour de laquelle il tour-

Les tranchées ont simplement pour but de

nera.

suggérer un volume, ou de persuader de son

Michael Heizer qui restera l’une des ré-

existence.»19 Le lieu trouve ici un sens 19.TIBERGHIEN, Gilles A., Land Art

DOMINIQUE CARRE EDITIONS, 2012


1.Coupe du siège, vue du portique, rapport à la mase intérieure 0

4

8

2.L’enceinte. le mur Plan du rez-de chaussé fragments Perspective de projet, le mur comme figure du quadrangle ouvert, stratégie militaire et dispositifs universitaires.


3. ..Au CAMPUS

29

férences principales dans l’élaboration du

réapproprié selon ses limites. Didon à qui

projet « met en jeu plusieurs espaces de

l’on confie une peau de bête définissant

référence qui obligent à passer sans cesse

l’emprise qu’elle détenait, la décompose

d’un extérieur à un intérieur. L’intérieur

en morceaux pour encercler un site d’une

du cercle étant l’extérieur de l’autre. Le

envergure amplifiée. C’est le passage de

corps reste l’unité de mesure. » dans son

l’aire au périmètre qui importe ici. En ef-

œuvre complex city.

fet modifier la ligne en un couloir confirme la posture d’une université où l’échange

L’enceinte – Les couloirs du savoir

n’est pas dans l’antichambre, mais plutôt ce serait le hors champs du couloir,

« On a beau se reculer ou se rapprocher,

qui devient le cœur de l’interaction. Cet

on est jamais à la bonne distance. On est

axe permet, en s’insérant sur les anciens

dedans, et quand on en fait le tour, on ne

tracés du camp, de desservir la suite des

voit que (ce qui ) nous ramène au centre.

laboratoires-bunkers. Le mur les englobe,

» 19 Si le centre est ici déterminé par

devenant l’entre-deux, scindant le bunker

l’élément public (qui dans une autre tem-

entre le dehors et le dedans. Ils transper-

poralité notamment estivale et balnéaire

cent la linéarité comme impactant la nou-

pourrait être le lieu d’un espace culturel

velle frontière de leur présence.

appropriable par la commune alentour) il est cerné par l’élément majeur de l’université, un bâtiment linéaire où se superpose tant l’espace d’enseignement que celui de la résidence. Un édifice à deux temporalités donc, qui suggère deux circulations parallèles et qui réunit l’extrême individualité et

son double collectif. L’édifice

fonctionne depuis l’intérieur du camp comme un mur et redéfinit au nord une façade plus anguleuse qui s’oppose à la lisibilité interne côté sud. Reprenant la généalogie des fortifications, des enceintes, il s’agit ici d’habiter la limite, de la révéler en l’intensifiant. Faire d’une ligne séparatrice l’enjeu d’une intériorité, questionnant les regards portés sur ces deux aspects du paysage qui se juxtaposent. Au travers du mythe de la fondation de Carthage .20. que l’on pourrait évoquer comme la maîtrise d’un territoire

19. Ibid 20.VIRGILE, Eneide, Gallimard , 1991, mythe de Didon et de la fondation de Carthage.


Michael Heizer -Complex City -Mass diplaced/replaced


31

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