VOYAGES AUX AYGALADES Livret n°1 : Récit d’attachement à un lieu
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Je ne veux pas diagnostiquer Marseille car elle n’est pas malade. Je ne veux pas aborder la ville par la seule critique, je l’ai déjà trop fait durant quatre ans. Je veux découvrir un ruisseau malmené, des jardins secrets, un passé glorieux ou non. Je veux raconter les Aygalades. Comment travailler sur un lieu que je n’aime pas, ou pire, que je ne connais pas ? Une expérience d’attachement à un lieu, voilà ce que raconte ce carnet.
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Théorie du voyage, Poétique de la géographie Michel Onfray Ed. Le livre de poche, 2007
« Le touriste compare, le voyageur sépare. Le premier reste à la porte d'une civilisation, il effleure une culture et se contente d'en apercevoir l'écume, d'en appréhender les épiphénomènes, de loin, en spectateur engagé, militant de son propre enracinement ; le second tâche d'entrer dans un monde inconnu, sans prévenance, en spectateur désengagé, soucieux ni de rire ni de pleurer, ni de juger ni de condamner, ni d'absoudre ni de lancer des anathèmes, mais désireux de saisir de l'intérieur, de comprendre – selon l'étymologie. » « L’innocence suppose l’oubli de ce qu’on a lu, appris, entendu. Non pas la négation, ni l’économie, mais la mise à l’écart de ce qui parasite une relation directe entre le spectacle d’un lieu et soi. » (p. 62)
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Le Dépaysement, Voyage en France, Jean-Christophe Bailly Ed. Seuil, 2011 « Dépaysement : lorsque j’ai pensé à ce mot pour le titre, j’ai aussitôt vu sa richesse polysémique, mais le sens premier était le plus simple et le plus immédiat, celui qui arrive lorsqu’on dit que l’on est « dépaysé » devant telle scène de genre ou paysage, soit parce que l’on se retrouve effectivement ailleurs, transporté très loin de ce que l’on connaît, soit au contraire parce que ce que l’on connaît ou croyait connaître s’est transporté de soi-même dans un ailleurs indiscernable mais présent. Quel est donc, se demande-t-on alors, quel est donc cet ailleurs qui est ici ? Ce que j’ai tenté, au fond, c’est de creuser cette question, c’est de sonder, le long des pistes d’identification qui venaient à ma rencontre, les étranges et imprévues bifurcations qui survenaient toujours, qui toujours emmenaient le pays au-delà de lui-même, le rendant en quelque sorte infini. De cet infini, seuls des îlots, des pièces détachées, des fragments pouvaient donner la mesure. Opus incertum, archipel, puzzle inachevé dont bien des pièces ont été perdues – toutes ces images me conviennent. A travers elles en effet se dessine tout autant ce qui m’a échappé que ce que j’ai perçu : le point de fuite n’est pas seulement celui d’une idée politique dont j’aimerai être sûr, c’est aussi, en chaque point du territoire abordé comme sur la carte dépliée, l’immense réseau latent des destinations non suivies : tout ce que je n’aurais fait que frôler et, plus encore, tout ce que j’aurais oublié de suivre ou de connecter. » (p. 409)
SOMMAIRE Chaque carte correspond à un récit et l’accompagne.
VOYAGE 1
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Tourner en rond
VOYAGE 2
VOYAGE 3
13
Suivre un fil
D’île en île
29
43
VOYAGE 4
VOYAGE 5
79
Avant il y avait...
Patrimoine intégré
VOYAGE 6
Demi-tours
61
13
TOURNER EN ROND
VOYAGE 1
De Noailles aux Aygalades - 14/10/2012
Tourner en rond
CMA CGM
LA VISTE
CITÉ DES ARTS DE LA RUE SAVONNERIE BOUGAINVILLE
NOAILLES
TRAVERSE DU CIMETIERE CITÉ DES AYGALADES
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Récit de voyage 1 De Noailles aux Aygalades 14/10/2012
PARTIR AU NORD Cela fait plusieurs jours que je repousse mon départ, que l’envie d’aller sur place ne vient pas. L’idée du voyage me plaît plus que sa concrétisation, ce moment où le rêve est permis... Je pars. Je prends le métro à Noailles, le bruit répétitif des escalators, puis celui du métro qui part, j’ai raté celui-ci, j’attends. Après quelques minutes d’attente au son d’un téléphone diffusant une musique que je ne connais pas, le métro arrive. Il descend la pente, s’arrête sur le quai. Tout le monde s’installe. Première station, « Saint Charles », tout le monde descend. D’une rame abritant une cinquantaine de personnes, nous ne sommes plus qu’une quinzaine. Personne ne monte. Je me laisse bercer par le bruit du métro, m’évade dans mes pensées, je suis anxieuse. Peut-être la rencontre avec le lieu, la fatalité d’une déception qui se rapproche... Le métro devient aérien et dévoile un paysage vertical où trône la tour CMA CGM de Zaha Addid. Ah ! Cette fameuse tour qui a mis des années à se construire, coûté des millions et menace déjà de s’enfoncer dans le remblai du port selon la légende urbaine. J’ai à peine le temps d’observer ce lieu, ce périmètre Euromed que je connais déjà, que j’arrive au terminus. - Bougainville, tout le monde descend ! La masse se dirige uniformément vers les arrêts de bus, seuls quelques-uns sont arrivés à destination.
J’arrive sur le quai du bus numéro 30, le dernier vient encore une fois de partir, j’attends. Pendant vingt minutes, j’observe cette plateforme multimodale. Il y a beaucoup de gens qui attendent. Ils parlent de racisme, de politique, c’est du moins les seules conversations audibles. Sur le vaste espace central, un jeune homme fait des tours de scooters, à croire que les scooters n’ont plus qu’une seule roue à partir d’ici. Il revient régulièrement vers ces amis qui s’ennuient et s’occupent comme ils peuvent. Pendant un moment je fais le rapprochement entre ce mec qui tourne en rond pour passer le temps et ceux qui le font en jet ski sur la côte. Le bus arrive et se remplit rapidement. Je suis entourée de familles. Un homme parle des Droit de l’Homme à sa fille, lui expliquant que le premier article concerne la liberté de culte, et qu’elle doit le respecter. Les conversations deviennent ensuite plus banales, beaucoup se connaissent et se retrouvent ici. Le trajet est agréable, je suis assise et regarde le paysage défiler. Nous traversons les Crottes, passons l’usine Haribo et je me dis que ce paysage sera complètement différent dans vingt ans. Plus rien, plus aucun repère actuel ne subsistera lorsque Euromed 2 sera terminé. Pourtant, ce trajet sera peut-être le même. Cette impression est accentuée par le fait que, comme souvent dans les bus, je ne sais pas bien où je suis et quand je vais devoir actionner ce foutu bouton « demander l’arrêt ». Finalement je reconnais les lieux, quelqu’un me devance et je descends ainsi qu’une dizaine de personnes.
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UN LIEU MARQUÉ PAR LABSENCE A partir de là commence une sensation de malaise. Je suis arrivée, j’ai un objectif, un parcours et pourtant je ne me sens pas légitime d’être là. Je commence mon tour du mur d’enceinte. Il est haut, les brèches sont rares et grillagées. Le passage se rétrécit en arrivant devant la savonnerie. Je n’ai croisé personne à pied depuis que je suis descendue du bus et, pour la première fois, je suis contente de croiser des voitures. Tout est silencieux, le temps se dégrade. Je suis partie sous le soleil, il fait maintenant gris. Tout cela participe à mon malaise grandissant. Je passe entre des maisonnettes et observe audessus de moi les barres d’immeubles qui s’enchaînent. Il y a un barbecue dans un recoin de trottoir. Je croise ensuite un bus visiblement abandonné, rideaux tirés. Il n’y a toujours personne, mais je ne suis pas seule : des poules gloussent dans le talus. Ces petits détails me détendent un peu. Je continue à longer ce mur d’enceinte qui n’en finit pas, suivant mon petit trottoir. Je croise enfin quelqu’un, il est de l’autre côté de la route, il m’appelle, me siffle et utilise toutes les onomatopées possibles. Je continue. En arrivant en bas de l’avenue, finissant la boucle vers mon point de départ, je croise le bus 30 qui redescend. Et voilà, encore raté. Je remonte en me disant que c’est peut-être un signe et que je dois encore profiter de l’endroit et peutêtre me risquer à emprunter d’autres chemins. Mais le malaise persiste.
HÉSITATION C’est la première fois que je viens seule et je ne suis pas sûre d’apprécier l’expérience. Finalement je me sens encore moins libre qu’en me promenant avec quelqu’un. Je passe le trajet du retour à réfléchir. Peut-être dois-je juste me faire accompagner? Mais au fur et à mesure je doute de ma capacité à aimer un lieu comme celui-ci où l’absence laisse place à l’inquiétude. J’envisage de changer de lieu mais cette constatation du vide me semble à la fois un thème passionnant. L’arrêt de bus est devant un autre mur d’enceinte qui abrite plusieurs immeubles. Dans la cour, des enfants jouent au foot. Je m’attarde à regarder l’espace autour des tours et suis frappée et même amusée par des détails. Au milieu des voitures il y a quelques bateaux, en bien meilleur état que lesdites voitures. Un homme attend. Des gens regardent par leurs fenêtres. Un couple sort de chez lui et discute avec un autre. Les enfants crient. Ces lieux sont habités, vivants, rassurants. L’entre-deux murs en paraît d’autant plus inhospitalier. Ce retour passe lentement, je suis vidée, comme fatiguée, déçue, dans le doute. Je sors à la station Noailles et rentre chez moi. Il se met immédiatement à pleuvoir et je me dis que j’aurais au moins réussi ce timing- là. Je me mets à écrire ce récit qui me permet de revivre ce voyage, plus sereinement, chez moi et au sec. Mes doutes se dissipent petit à petit. Les voyages seront peut-être plus difficiles à appréhender que je ne le pensais mais ils valent le coup. Je me ferai accompagner pour me libérer de l’inquiétude, ou l’atténuer en la partageant.
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VOYAGE 2
L’avenue des Aygalades - 01/03/2013
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RÉSIDENCES MONTLÉRIC
C.A.R. CITÉ DES AYGALADES
PARC BILLOUX
BOUGAINVILLE
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Récit de voyage 2 L’avenue des Aygalades Du parc Billoux au cimetière des Aygalades 01/03/2013
Je décide de retourner sur le site mais cette fois accompagnée de mon amie Gwen. Nous prenons le métro pour arriver à Bougainville puis nous commençons à marcher. Se repérer à la sortie du métro n’est pas facile. Tout le monde se dirige massivement vers les bus et nous prenons le chemin inverse. Nous arrivons sur une route infranchissable que nous longeons jusqu’à passer sous l’autoroute. Nous nous engageons ensuite sur la rue de Lyon, sans le savoir, toujours dans le doute car je ne vois aucun de mes repères habituels, ni la mer, ni Notre Dame de la Garde. Le paysage est proche et étagé, entre passerelles et bâtiments. Nous traversons des ersatz de noyaux villageois qui semblent abandonnés, squattés enfin, pas en grande forme.
TRAVERSÉE DES QUARTIERS INDUSTRIELS Nous arrivons au parc Billoux après dix minutes de marche et le traversons. Je suis étonnée, ce parc est plus grand que ne le laisse paraître les vues aériennes. Il y a des enfants qui jouent et mon amie me dit que c’est un lieu très fréquenté le weekend. Ce parc comprend deux bastides, il est bordé par une voie ferrée encaissée, la rue de Lyon, l’usine Saint Louis et l’avenue des Aygalades. Nous arrivons à l’autre bout, l’accès à l’avenue. Nous traversons le ruisseau canalisé et arrivons sur la route. Ici commence notre longue traversée des quartiers industriels longeant le ruisseau des Aygalades, derrière les murs et les grillages. Une ouverture cependant retient mon attention : les boues rouges, au sommet desquelles nous apercevons un homme, les vêtements rougis par la terre, installant une chaise longue d’un geste presque poétique. Ce dépôt de terres polluées par les entreprises d’alumines et couvert de végétation prend tout à coup un air d’oasis. Je me souviens d’une promenade urbaine durant laquelle nous avions arpenté cette butte. Elle offre effectivement un point de vue sur les alentours. Cet homme, assis à côté d’une étrange machine semble privilégié.
Avenue des Aygalades
ARRIVÉE AUX AYGALADES Nous franchissons un tunnel étroit que nous devons emprunter prudemment en suivant un zébra au sol. Les voitures elles-mêmes ne peuvent se croiser. De l’autre côté nous rencontrons encore un simili noyau villageois. Nous y croisons une boulangerie et un garage. Qui vient y chercher son pain ? Comment ? La boulangerie paraît réservée aux voitures, comme tout le quartier d’ailleurs. Nous arrivons ensuite au carrefour à l’extrémité sud de ma première excursion. Nous remontons l’avenue en discutant, les trottoirs sont larges, trop larges même. Ils semblent réservés au stockage de quelques containers et camions. Après tout ce temps, cadrée par des murs, la vue se dégage enfin en arrivant sur le pont des Aygalades. Tout Marseille est dans cet étagement de plans, de Notre Dame de la Garde à la Cité des Arts de la rue en passant par la tour CMA CGM. Le rythme de nos pas ralentit, nous observons les alentours, la vie de la Cité des Aygalades, les enfants jouant au foot entre les bâtiments. Ce lieu d’habitation m’apparaît toujours comme un îlot de vie perdu dans une mer de bâtiments hors d’échelle. Tout ici prend des proportions gigantesques : les habitations, les entreprises, les murs qui segmentent le tout... Nous empruntons la traverse du cimetière. Devant nous s’étage le paysage de ce quartier surplombé des grandes tours d’habitations de la Viste dont la vue nous fait rêver tant nous étions étouffées dans le vallon asphalté.
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LE CIMETIERE ACCROCHÉ AU TALUS DE LA VISTE Nous décidons de faire une petite excursion au cimetière devant lequel nous passons régulièrement en voiture. Visible depuis l’autoroute c’est un fabuleux point de repère. Je me souviens que lorsque je suis arrivée à Marseille pour la première fois, en voiture, c’est le moment où je me suis rendu compte que j’étais entrée dans la ville. Notre Dame de la Garde en point de mire, les immeubles des quartiers Nord servent de porte à la ville. J’aime habituellement beaucoup le calme des cimetières et la vue qu’ils offrent. Pourtant ici, tout est plus compliqué. Je me dis que même dans la mort, ces gens continuent de subir le supplice moderne. La vue est encore plus dégagée que du pont. En cherchant un point de vue nous découvrons une cascade sur les Aygalades. Une vasque s’est formée dans la pierre. Derrière, un immeuble abandonné au bord de l’autoroute et les Résidences Montléric rehaussant la crête du vallon. Nous quittons le cimetière, redescendons la rue en passant devant deux bus. Je me souviens en avoir vu un la première fois, je l’avais cru abandonné. Avant de retomber sur le carrefour, je m’arrête prendre une photo du vallon devant une entreprise. Deux hommes passent devant et prennent la pose en souriant. Ils se dirigent vers un club de sport. Je trouve cet emplacement incongru, entre des plates-formes logistiques et une déchetterie. Le sport m’évoque généralement un corps sain et un environnement sain faute d’esprit.
UNE AVENUE INHOSPITALIERE
Cette visite est plus détendue, plus agréable. Nous décidons pourtant de rentrer en pressant le pas car le temps est en train de tourner. Durant le trajet nous suivons un homme et son chien que nous finissons par dépasser. Il nous regarde étrangement et semble nous suivre. Mais que pourrait-il bien regarder d’autre étant donné la monotonie du parcours ? L’inhospitalité des lieux transforme chaque petit détail en sensation persistante. Nous accélérons encore la marche et décidons, épuisées de cette longue promenade, de repartir directement avec le bus 70 jusqu’au Centre. Arrivées devant l’arrêt, nous constatons qu’il ne passe en fait que le dimanche et à des horaires très limités, certainement pour ne desservir que le parc. Nous prenons donc un autre bus qui nous ramène à Bougainville d’où nous reprenons le métro. Durant ce trajet nous nous laissons bercer par les vibrations, pour rentrer, encore une fois, juste avant la pluie.
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D’ÎLE EN ÎLE
VOYAGE 3
De Saint-Joseph à La Viste - 02.05.2013
D’île en île
MONTLÉRIC
CITÉ DES AYGALADES
LA VISTE
GRAND LITTORAL
LA SAVONNERIE
SAINT JOSEPH LE CASTELLAS
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Récit de voyage 3 De Saint Joseph à la Viste 02/05/2013
VOYAGE EN TRAIN Cette visite s’apparente plus encore à une promenade que les précédentes. Je sais maintenant qu’attaquer le site par le sud m’a montré les lieux sous l’angle le plus rude et désenchanté. Je demande à Julien de m’accompagner. Il est Paysagiste et a déjà travaillé dans le secteur notamment sur la cascade de la Cité des Arts de la Rue. Nous nous donnons rendez-vous à la gare. Aucun de nous n’est encore arrivé sur le site par la voie ferrée. Il n’y a pas beaucoup de trains qui desservent la gare de Saint-Joseph-le-Castellas. Peut-être parce que cette ligne est empruntée par les TGV pour Aix et Paris. Nous prenons le train de 9h05 et arrivons sur place à 9h15, je ne suis jamais venue ici aussi vite. Pourtant je connais cette ligne, je la prenais pour aller jardiner à Saint Antoine il y a deux ans. Je pensais que le Castellas était loin des Aygalades. Le gigantisme de toutes les constructions, barres d’immeubles et industries, brouille complètement la lecture des cartes. Tout parait hors d’échelle sur le papier. Je m’aperçois qu’il est pourtant très facile de circuler à pied en arrivant par le nord- est. Nous traversons le parking de Saint-Joseph-le-Castellas où des chats gardent les voitures, chacun la sienne. Assis sur les capots, ils nous regardent passer. C’est étrange, je ne m’attendais pas à tant de vie. Mais aujourd’hui il fait beau et nous sommes venues plus tôt qu’à mon habitude. Des mousses se sont formées sur un muret devant lequel nous passons. Julien m’explique qu’il a toujours vu de l’eau couler à cet endroit et que c’est la manifestation d’une fuite du canal.
Saint Joseph le Castellas
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LES JARDINS DE L’ÉTOILE Nous remontons vers le nord, chercher le début du massif de l’Étoile et le canal de Marseille. Après le passage sous la voie ferrée, nous arrivons face à un portail. - Chouette, des jardins partagés! Un homme âgé nous fait entrer et nous partons explorer les lieux. Les jardins sont étagés en terrasses un peu bricolées. Il y a beaucoup de dénivelé, la Cité de Saint-Joseph-le-Castellas est en contrebas et tout Marseille sert de toile de fond, on voit même le Frioul. Nous avançons au hasard jusqu’à arriver devant le mur de soutènement du canal de Marseille. Le propriétaire de cette parcelle nous interpelle, il pense que nous sommes perdus. Il nous indique le chemin pour accéder au canal. Personne ici ne semble s’inquiéter de notre présence, tout le monde nous salue. Nous ne croisons que des hommes relativement âgés qui s’occupent de leur potager ou contemplent leur jardin depuis leur cabanon. Chaque parcelle est singulière contrairement à des jardins partagés plus récent que j’ai visité à Montolivet. Làbas les cabanons sont identiques, les barrières uniformément blanches. Ici, tout s’est construit avec le temps, paraissant entrer dans une forme de pérennité supérieure, s’est gravé dans les mémoires et dans les cœurs, tout en continuant à dépendre de leur jardinier. Le chemin s’assèche et nous arrivons au canal, ultime frontière avec la garrigue naturelle. Le fil d’eau est bien sûr grillagé, nous ne pouvons le suivre que sur quelques mètres. Un peu déçus, nous rebroussons chemin pour continuer notre promenade vers les Aygalades. Nous passons par le parc de l’Oasis, un jardin sans prétention où un groupe de femmes fait des étirements. Le nom du parc représente bien l’idée, c’est une enclave verte au cœur des cités, à l’abri de l’autoroute dont on oublie le brouhaha pour quelques instants.
Marseille depuis les jardins familiaux de l’Étoile
CITÉ DES AYGLADES L’allée sinueuse débouche à l’arrière de la Résidence des Aygalades que nous traversons. C’est un lieu à l’apparence tranquille. Une place accueille quelques magasins de proximité. Un passage sous l’autoroute nous mène à la Cité des Aygalades. Nous y croisons Dominique, un habitant qui s’occupe des jardins partagés « Ça coule de source » installés entre les bâtiments et le talus de l’autoroute. On discute de Marseille 2013, il n’est pas très convaincu. Il dit qu’on dépense beaucoup d’argent mais que les petites associations n’ont rien, que les dossiers sont compliqués et prennent un temps fou pour n’aboutir qu’à des subventions ridicules. Il préfère faire à la marseillaise et profiter du système clientéliste pour financer son projet. - On essaie de faire les choses carrées mais ça marche pas. Alors on sort de la loi, on s’arrange, à la marseillaise, c’est comme ça que c’est le mieux. Pourtant le lieu fonctionne, Dominique garde espoir et rigole de tous ces politiques qui veulent s’accaparer le projet et amènent des télévisions. Le talus est aménagé avec des planches de bois portant les noms des jardiniers comme délimitation de parcelle. A côté, une tonnelle fait de l’ombre sur un coin pique-nique et barbecue. Un bar est installé au bout du terrain de pétanque. Ils y organisent des tournois de boules et font quelques fêtes. Julien m’explique que dans le dossier de Marseille Capitale de la Culture, il était mentionné son fonctionnement par un système associatif très développé et effervescent. Finalement, l’argent aura fait sortir de terre des musées en enterrant ses petites associations qui font partie intégrante de l’identité marseillaise. Nous partons ensuite découvrir le village des Aygalades. En se promenant un peu au hasard, nous tombons sur les Résidences Montléric que j’ai pour habitude de voir depuis le cimetière, de l’autre côté de l’autoroute. Pour la première fois, un groupe de personnes âgées bien habillées nous interpelle pour nous demander ce que nous faisons là. - C’est une propriété privée ! Vous cherchez quelque chose ? - Non ! On fait du tourisme !
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PATRIMOINE ABANDONNÉ Cette réponse a l’air de les rassurer, ils pensaient que nous étions « perdus » ou errants... Nous passons dans une partie plus ancienne des résidences, le bruit de l’autoroute résonne plus nous approchons du ravin. Arrivés au bout, nous trouvons une faille dans un grillage qui bordait une porte aujourd’hui murée. Des escaliers descendent vers la Bastide de la Guillermy en contre bas. Nous empruntons ce petit sentier, magnifique si l’on oublie le vacarme, où nous nous intéressons aux plantes. Il y a du colza, des coquelicots, des arbres de Judée, des euphorbes... La Guillermy a été mise aux enchères récemment, pour la somme dérisoire de 10 000€ mais il paraît qu’elle n’a pas pour autant trouvé acquéreur. Pourtant, des ouvriers travaillent sur un bâtiment. Le bâtiment s’est très vite dégradé après le déménagement de la gendarmerie en 2004. Nous sommes ici pour chercher un passage qui mènerait soi-disant de l’autre côté de l’autoroute. C’est un homme qui a parlé de ce passage à Julien. Mais il ne voulait pas lui révéler l’emplacement exact, car il avait un jour donné les coordonnées de sources à quelqu’un et l’année suivante, elles étaient taries. Il lui avait volé ses sources. Du coup il ne partage plus. Toujours est-il que nous n’avons jamais trouvé ce passage. Julien me dit qu’on pourra toujours emprunter une conduite d’eau qui passe sous l’autoroute suivant un tunnel assez large. Mais là aussi, impossible d’ouvrir l’entrée du tunnel qui a été entre temps sécurisée par un verrou. Nous escaladons un grillage pour repartir en longeant l’autoroute. La situation a préservé ces lieux mais les a aussi rendus invivables. Peut-être qu’un jour lointain, les voitures seront remplacées par des transports en commun ou deviendront simplement silencieuses... L’avenir des lieux en serait chamboulé et ce fond de vallon deviendrait peutêtre aussi urbanisé que le reste de la ville. Des groupements d’habitants réclament que ce lieu devienne public car la bastide fait partie du patrimoine commun, elle témoigne de l’histoire de Marseille.
Cascade du cimetière
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Nous empruntons le passage de l’avenue des Aygalades pour nous rendre au cimetière. Nous passons devant la maison du gardien et contournons un grillage au fond de la partie musulmane. Les musulmans sont généralement enterrés en pleine terre mais ici, c’est seulement un compromis, les tombes sont plantées. Nous descendons dans un talus de terre rouge très meuble en nous accrochant aux branches de figuiers. Nous arrivons aux pieds d’une des cascades du ruisseau des Aygalades. J’ai déjà vu des cartes postales de cet endroit datant du début du siècle. Je me souviens d’une femme avec un grand chapeau et une ombrelle au bord de la vasque. Je ne retrouve pas cette ambiance dans les embâcles de déchets qui se trouvent devant moi. Après quelques photos nous remontons (difficilement) jusqu’au cimetière en nous agrippant à des cerclages métalliques abandonnés là depuis un certain temps, à en croire la rouille et leur ancrage dans le talus. Nous reprenons l’allée principale pour arriver encore une fois devant un portail, puis un second, qui ferment le chemin de la grotte des Carmes, suspendue au talus de l’A7. Julien me raconte que personne n’avait fait attention aux grottes en dessinant les parcelles cadastrales des propriétés au-dessus. Elles s’en retrouvent privatisées. De là, nous surplombons l’autoroute d’une quinzaine de mètres et apercevons une branche canalisée des Aygalades, s’enfonçant entre la route et nous. En face, les résidences Montléric surplombent la voie. - Et voilà, il y a une heure, on était en face ! C’est vrai qu’il est difficile de traverser par ici, entre les autoroutes et les voies de chemin de fer, sans compter les parties entièrement clôturées, il faut connaître son chemin. En même temps, quelque chose de magique se dégage de ce fonctionnement en îles. Passer de l’une à l’autre rythme le parcours, au contraire de l’Avenue des Aygalades où tout est lissé par les murs. On passe de barres d’immeubles à un noyau villageois, à des jardins, aux industries, à la garrigue, sans autres transitions que des routes.
Autoroute A7 vue depuis la grotte des Carmes
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LA VISTE : LA VUE Nous remontons directement vers la Viste. C’est un lieu très différent de ce que j’avais imaginé. J’appréhendais. Peut-être à cause du mauvais temps des autres visites ou de leur aspect écrasant. Finalement c’est assez aéré, la vue est superbe, il y a beaucoup de voitures mais comme partout dans Marseille. Des jeunes filles retournent en cours en discutant. Des gens passent, un homme nettoie sa voiture. Des ouvriers posent des plaques de polystyrène pour isoler les tours d’habitations. Les bâtiments sont de l’architecte Georges Candilis et font partie du patrimoine du XX° siècle. Les couleurs rafraîchies donnent un aspect nouveau aux barres. Elles ressemblent de plus en plus aux immeubles résidentiels qui se construisent en Centre-Ville. Les espaces extérieurs se limitent à des pelouses résiduelles entre les places de parking. Le lien à la butte et au cimetière est interrompu par un mur. Nous avons pourtant d’ici, vue sur toute la ville, la Bonne Mère veillant sur les quartiers sud, la Viste sur les quartiers nord et la CMA CGM sur Euroméditerranée. Nous avons un peu faim. Il n’y a pas grand-chose à manger dans le coin et nous finissons par acheter un sandwich dans une boulangerie. Nous allons manger sur la coulée verte ou « la coulée jaune » selon Julien, et encore il a plu ces derniers temps. Nous passons de l’autre côté de la butte de la Viste et tombons face au Centre Commercial Grand Littoral. C’est vrai qu’il est imposant surtout posé là, au milieu de rien. - Nous allons manger en regardant Leroy Merlin ! Au loin, l’Estaque, les bateaux gigantesques, les grues du port... A côté de nous, un petit muret avec une marque rouge et jaune. - Ah, le GR 2013 passe par là ! Nous discutons un peu et repartons en prenant le bus de la Viste jusqu’à Bougainville. Nous avons bien marché mais je n’ai toujours pas l’impression d’avoir épuisé le lieu. Je suis rassurée, ce site est aimable sous le soleil. Je me rends compte que la vie n’y est pas morne, elle se développe juste à l’écart du Ruisseau des Aygalades et de son avenue, lieux de mes premiers voyages.
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AVANT IL Y AVAIT...
VOYAGE 4
De Saint-Antoine aux Aygalades - 06.05.2013
Avant il y avait...
LA VISTE
HOPITAL NORD
GROTTE DES CARMES
SAINT ANTOINE
CITÉ DES AYGALADES
LA GUILLERMY RUISSEAU DES AYGALADES LE CARAVEL
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Récit de voyage 4 De Saint Antoine aux Aygalades 06/05/2013
L’appréhension des premiers voyages s’est dissipée, je profite à présent de chaque occasion de me rendre aux Aygalades. Je me joins donc à une promenade organisée par Hôtel du Nord. C’est aussi l’opportunité de rencontrer Christine Breton, conservatrice honoraire du patrimoine des quartiers Nord. Aujourd’hui à la retraite, elle reste très active, organisant des promenades, écrivant des livres et faisant partie de diverses associations. C’est une spécialiste de l’histoire des XIV° et XV° arrondissements de Marseille. Elle est d’ailleurs l’auteur d’une série de livres nommée : « Récits d’hospitalités » (réalisée avec des artistes) qui sont le fil rouge de ces promenades du Lundi. Elle guide un groupe à travers un lieu et un livre, accompagnée d’un artiste, chaque mois. Ce qui aurait pu s’apparenter à un voyage organisé m’amène à un voyage dans le temps.
UN VOYAGE DANS UN LIVRE RDV Gare Saint-Charles. Quai D. Accueil à 8h30. Départ à 8h45. Je suis en retard, je cours en apercevant Christine Breton qui me fait signe sur le quai et j’arrive essoufflée dans le wagon. - Vous venez pour la promenade ? On ne part que dans 4 minutes, vous pouvez reprendre votre souffle ! Les participants sont regroupés dans le sas. Il y a une forte proportion de personnes âgées. Mais qui d’autre, à part des étudiants à l’emploi du temps aussi souple que le mien, pourrait être présent un lundi à 8h45 ? Nous arrivons à Saint-Antoine, arrêt que je connais déjà. Les parcelles de jardinage dévolues à ma promotion de l’Ecole du Paysage se trouvaient à quelques minutes d’ici, près de la Gare Franche. C’est un lieu particulier, une petite enclave entre le plan d’Aou et le village de Saint Antoine, sur la frange, entre deux entreprises. Nous avions récupéré un terrain, jusqu’alors utilisé comme décharge, pour en faire des jardins partagés. Expérience bancale puisque de vingt nous sommes passés à dix jardiniers, de moins en moins présents. Et je me souviens qu’il y a 4 ans, c’était Christine Breton qui nous avait fait découvrir Saint-Antoine. Après l’énoncé de quelques règles concernant le respect du rythme « parfois soutenu » et de la sécurité, nous entamons notre marche qui durera trois heures à travers le recueil « Imagine un Désert ».
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LE CIMETIERE PASSAGE En face de la gare, ou plutôt de l’arrêt puisque ce n’est qu’une simple dalle de béton, nous prenons une petite rue traversant le bourg pour déboucher sur le cimetière. Nous entrons par une extension récente de celui-ci, qui se restreignait à quelques tombes au début du siècle. L’arrivée de nombreux ouvriers durant la révolution industrielle a induit son expansion. Derrière l’alignement des tombes, l’hôpital Nord. Les malades ont-ils réciproquement le cimetière comme horizon ? - Nous allons prendre cet escalier. Mais ce n’est pas un escalier ordinaire, c’est une formidable machine à remonter le temps. Concentrez-vous durant la descente. Une fois en bas, nous nous trouverons au IV° siècle, annonce notre guide en montrant une petite grille au fond de la parcelle. Nous empruntons l’escalier dans le plus grand silence, chacun cherchant à se plonger dans l’état approprié. La structure est très sommaire : quatre piliers de béton armé, des marches préfabriquées et une rambarde en métal rouillé. Cette forme aérienne sur trois niveaux laisse apparaître d’une part la falaise de tuf que nous allons suivre toute la matinée et de l’autre, une vue dégagée sur le vieux cimetière et le village. - C’est ici le vrai Saint Antoine !
LE DÉSERT DE SAINT ANTOINE En face de nous, sur l’autre rive du ruisseau, trône l’église du vieux Saint-Antoine, à l’époque où le village se nommait encore les Baumes, signifiant grotte en provençal. A sept kilomètres de la ville, ce territoire était autrefois considéré comme un désert favorable à l’installation des ermites, les premiers à investir les grottes de tuf. Cette histoire nous projette bien loin d’ici. « EREMOS (grec) : désert, se mettre à l’écart de la société. » Saint-Antoine était un des ermites les plus illustres du III° siècle. Pendant la persécution des chrétiens, les ermites s’étaient réfugiés au désert pour échapper aux tortures et à la mort. Certains ont fui pour sauver leur vie et sont restés par vertu, tandis que la plupart retournaient dans les villages après la persécution. A cette époque l’Égypte se convertit en masse. Les chrétiens égyptiens - les coptes - n’ont pas peur du désert, ils sont même attirés par lui : ils en sont voisins, le désert fait partie de leur pays. De plus, ils se souviennent que Dieu a mené son peuple au désert pour le faire entrer ensuite dans la Terre Promise : le désert est un passage obligé de la vie chrétienne. Le désert impressionne, si bien que des chrétiens fervents décident de rester célibataires pour le Seigneur et de mener une vie chrétienne ascétique aux abords de leur famille, un peu en marge, aux confins de leurs villages, c’est-à-dire aux confins du désert. Ainsi, à la fin du IIIe siècle y avait-il tout au long de la vallée du Nil et des bras du delta des ermites qui vivaient soit dans des grottes à flanc de falaise surplombant le fleuve, soit dans des cabanes construites à proximité. Ceux qui y vivaient depuis un certain temps voyaient arriver auprès d’eux un plus jeune chrétien qui venait s’initier à cette vie solitaire, passait là deux à trois ans puis partait à son tour s’installer aux abords de son village.
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A côté de l’église trône un grand bâtiment blanc qui tient son nom d’une fameuse montagne palestinienne, le Thabor. Il abrite aujourd’hui la communauté des pères blancs. Ils ne constituent pas réellement un ordre religieux mais un institut missionnaire (fondé en 1882). Ils ajoutent à leurs trois serments (chasteté, pauvreté et obéissance) celui d’œuvrer à l’évangélisation de l’Afrique. Ils se sont installés dans ce quartier en 1994 dans le but de rencontrer des musulmans et des africains vivants dans les pays occidentaux.
Puis nous revenons au mur de tuf à côté de nous. Il est creusé, sculpté par l’eau et le vent et recouvert de diverses plantes. Nous posons notre regard sur la Cité de l’Américaine au bout du cimetière. Elle date des années 1970 et arbore une architecture particulière surtout au niveau de la disposition des fenêtres. - Mais ils ont modifié les couleurs depuis qu’ils l’ont rénové, elles avaient pourtant du sens ! Ils ont aussi changé le nom. Nous traversons la partie la plus ancienne du cimetière en longeant la falaise de tuf ponctuée de columbariums et sortons de l’autre côté.
AXE DE CIRCULATION Nous suivons la route longeant le ruisseau des Aygalades, toujours canalisé. Nous empruntons une petite ruelle en pas d’ânes sur la droite et montons sous le viaduc. D’ici nous voyons le massif de l’Étoile. Nous rejoignons la route impériale, léger détour dans le temps, imposé par l’urbanisme actuel pour éviter le ruisseau. Cette route principale traverse Saint-Louis et la Viste pour arriver à Saint Antoine. C’est un axe majeur autour duquel se sont développés les noyaux villageois. Le village des Aygalades est d’ailleurs à l’écart de cet axe, de l’autre côté du ruisseau. L’avenue est en travaux. Christine Breton pose quelques questions à des ouvriers du chantier qui nous expliquent qu’ils sont en train de faire les aménagements nécessaires à la mise en service du futur Bus à Haut Niveau de Service. Enfin un lien efficace au centre-ville. Il y a bien les rails, mais les trains sont peu nombreux, il y a bien les bus mais il y a trop de changements et ils sont irréguliers. - Vous ne sentez pas cette odeur de gaz ? Un voisin est sorti de chez lui, il est inquiet, les ouvriers rigolent à couvert, ce n’est pas la première fois qu’il fait des remarques. Nous redescendons vers nos grottes érémitiques un peu plus loin, en pénétrant dans un lotissement. La conservatrice attire notre attention sur un ensemble de maisons toutes identiques, dans les tons d’ocres jaunes avec des préaux en arcs surbaissés. Cette forme me rappelle vaguement les haciendas de Zorro, une esthétique sortie de nulle part que je ne comprendrai jamais et que je retrouve dans le style néo-provençale. Christine Breton nous raconte que les premiers à construire ici ont vu leur piscine atterrir cinq mètres plus bas dans une grotte. Le passé se venge de l’oubli.
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Au bout de la rue nous entrons dans « Le domaine des salons de l’Hermitage ». Un palmier de plastique orange nous accueille et nous suivons un épais grillage bordant une route d’asphalte jusqu’à une petite esplanade/parking. C’est un lieu où l’on organise des mariages et autres réunions, ça n’a pourtant rien de charmant. Une des grottes sert de remise pour ranger le matériel d’extérieur (chaises, tables, etc...). Sur la paroi, au bout du domaine, se dessinent d’autres grottes. L’une d’elles est semi close par un mur en brique. Ces grottes ont servi de cachettes en tout temps.
Nous repartons en traversant un lotissement de petites villas où se dévoile de temps à autre une bastide. Celle-ci a d’ailleurs donné le nom au lotissement. Nous arrivons à la Viste par le côté nord, surplombant l’autoroute. Ici, Christine Breton laisse la parole à Imke Plinka qui est dans notre groupe. Elle s’occupe d’un Quartier Créatif sur la Viste depuis l’an dernier. Il est mené par Civic City et Rudy Baur en collaboration avec le Centre Social Del Rio de la Viste. L’an dernier, ils ont construit un belvédère avec vue sur les Aygalades, à l’endroit même où Julien et moi avons franchi le mur lors de notre promenade. Cette action avait pour but de préfigurer un aménagement, conçu comme une maquette à l’échelle 1, simple et éphémère. Mais nous en reparlerons plus tard.
LES GROTTES ÉRÉMITIQUES : EXPÉRIENCE D’URBANISME ? Nous nous glissons dans un trou du grillage et descendons jusqu’au portail menant à la grotte des Carmes. Pas de problème, Christine Breton a les clés. Nous nous arrêtons un moment dans la grotte pour écouter l’histoire des lieux, guidés par des traces reconstituant un décor passé. Au XII° siècle, cette grotte était un grand ermitage. On voit deux espaces, deux grottes/chapelles qui se distinguent. La plus grande, celle de l’ermite, possède une loge dans le mur portant des traces de coquilles d’Ormeaux « les Oreilles de la mer ». Autour du renfoncement, des trous sont tout ce qui reste de la mise en place de décors peints qui encadraient la loge jusqu’à la moitié du XX° siècle. En suivant le mur qui referme la grotte, on fait un saut dans le temps avec un conduit de cheminée datant de la Seconde guerre mondiale. Par terre, un protège genou Hello Kitty et une bouteille de bière nous ramènent au présent. La deuxième cavité, plus en profondeur était celle du disciple de l’ermite.
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Selon la légende, Marie Madeleine serait venue ici se mettre au désert. Son départ pour la Sainte Baume aurait été motivé par l’extension de la ville qui menaçait et un désir d’isolement grandissant. La Cité des Arts de la rue, « ce vilain bâtiment » est installé sur deux autres grottes, sur l’autre rive du ruisseau des Aygalades. « LAURA (grec) : succession de solitudes » Christine Breton a beaucoup étudié ce type d’habitat, notamment dans le désert de Judée dont elle nous montre quelques plans. Le mot « laure » désigne un chapelet de grottes érémitiques. - Une laure, c’est de l’urbanisme, une façon de penser la ville. Les laures se faisaient face. Les jardins prenaient place en bas, autour du ruisseau. Au-dessus, sur le plateau de Malmort, s’élevait une tour et des hospitalités (lieux d’accueil de ceux qui venaient consulter les ermites). Ce plateau était aussi le lieu du commun, là où les ermites mettaient en commun leurs réflexions. « MONOS (grec) : seul » C’est pourtant la racine de monastère ou monacale qui désignent des groupements. « La solitude est la condition du vivre ensemble » disait Roland Barthes. Je trouve assez cocasse que des cités, symboles de l’habitat en « grands ensembles » soient venus s’implanter ici.
DRAME CONTEMPORAIN DES CRÉNEAUX En redescendant, Christine Breton s’arrête pour saluer Youssef, le gardien du cimetière. C’est lui qui fait en sorte que le portail soit ouvert quand elle vient. - Je n’ouvre que sur ses ordres, c’est elle la patronne ! dit-il en rigolant. La plus grande partie du cimetière est en fait assez récente. Youssef l’a connu quand il était jeune, il y avait une casse à la place du cimetière musulman et la garrigue recouvrait les villas au-dessus. Il vivait dans la Cité des Créneaux où nous nous rendons. La savonnerie en bas du cimetière était une usine de produit chimique. - Et avant il n’y avait pas d’autoroute, mais ça, j’ai pas connu. En effet, la première autoroute urbaine de France, celle qui nous assourdie, date des années 30. Le tronçon final sous nos yeux date lui, des années 60. Un homme de notre cortège me dit que la savonnerie n’est plus en fonction malgré son rachat. Je pensais qu’elle fonctionnait encore, il faudra que j’y aille pour en avoir le cœur net car on me dit des choses contradictoires. Julien m’avait assuré que non seulement elle fonctionnait depuis peu mais qu’en plus c’était la seule à encore produire du savon de Marseille à Marseille.
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Nous dépassons la Savonnerie et remontons une route d’asphalte fermée par de gros blocs de pierres. Nous arrivons sur une esplanade où la végétation commence à reprendre entre les fissures du revêtement. Ce site nous permettra de revenir de notre voyage dans le temps en passant par un drame contemporain. La destruction des Créneaux a été un acte de violence extrême. Cette cité avait été construite par la Logirem, à l’époque étiquetée comme une association de gauchistes chrétiens qui luttaient contre les bidons-villes (les derniers bidons-villes de Marseille ont été détruits en 2003 et le problème reste récurrent). On a fait miroiter aux habitants des relogements dans des villas au sud de la ville mais seuls les premiers ont profité de cet appât. Une fois les papiers signés, ils ont pour la plupart été relogés dans d’autres cités non loin d’ici. Une tour subsiste mais elle sera bientôt détruite. Elle était le refuge des derniers résistants à la démolition. Mais tout sera bientôt fini.
LES QUARTIERS CRÉATIFS - On est des chercheurs ! Ce qu’on peut faire c’est travailler sur le mal d’image. C’est ici que Civic City intervient cette année. Ils travaillent sur la préfiguration d’un sentier qui reliera le site du belvédère de la Viste (aujourd’hui démonté) à la Cité des Aygalades en passant par les Créneaux. La cité détruite et sa tour restante abriteraient à terme une école d’artisanat et de design, mais pour l’instant, dans cette maquette échelle 1, une salle sera construite faisant office de mur délimitant la future extension du « Cimetière des cultures du monde » (appellation par Civic City), de sentier et d’habitacle pour recevoir le workshop. Dans l’esquisse idéale, le sentier rejoindrait la Guillermy, enjambant l’autoroute par une passerelle. On fait ici un plaidoyer pour les Quartiers Créatifs, qui sont effectivement souvent attaqués, moi-même j’ai un avis mitigé sur ce projet. L’artiste photographe qui a participé au livre que nous suivons aujourd’hui est elle-même en charge d’un autre Quartier Créatif à La Ciotat. Celui-ci porte sur la fiction pour inventer et ouvrir les lieux par un geste poétique, en l’occurrence le tournage d’un film intégrant de la danse. Mais ce qui l’intéresse le plus c’est d’être là. - Il est grand temps qu’il y ait des étrangers à la cité. Il faut bousculer tout ça !
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Les Quartiers Créatifs sont éphémères et ponctuels, le travail qui y est réalisé est toujours mené avec de bonnes intentions. C’est plus souvent la position donnée aux artistes par la ville et les financements qui font problèmes. Effectivement, donner des budgets pareils, les exhiber en quelque sorte aux habitants en leur demandant de participer ou seulement d’accueillir sans jamais répondre à leur préoccupations concrètes, sans jamais leur donner un peu d’argent pour entretenir leur quartier explique la situation ambiguë voir tendue. Je repense à Dominique de la Cité des Aygalades qui, étouffé par la paperasse, préfère ne plus rien demander à personne. « C’est toujours ça ! » versus « C’est pas assez ! » ou « C’est pas ce qu’on a demandé ! », un combat de toujours, des arguments difficiles à départager. La ville met en place des projets rouleau compresseur (type Euromediterranée) ou des initiatives éphémères qui, malgré leurs qualités, montrent le désarroi de la ville face à ses quartiers dits difficiles. Ces actions posent la question de ce qu’on fait dans les quartiers Nord qu’on ne fait pas ailleurs.
LES PROMENADES D’HOTEL DU NORD - On est fondé sur du symbolique, pas sur du foncier, et ça, ça a du sens. Ces promenades constituent un musée du XXI° siècle, un MUCEM extérieur, une nouvelle façon de faire vivre le patrimoine en le racontant. Je trouve cette initiative et la vision du patrimoine qu’elle véhicule, assez pertinentes et proches des questionnements du paysagiste. Comment garder une place au patrimoine devenu ordinaire ? Conserver sans muséifier ? Valoriser un potentiel de réinvention ? La prochaine promenade aura lieu à la Cité des Aygalades et partira à la recherche de l’Oratoire Carme basée sur le récit « Sous l’Étoile » d’Hôtel du Nord.
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PATRIMOINE INTÉGRÉ
VOYAGE 5
De Saint Joseph le Castellas à la cascade de la savonnerie - 03.06.2013
Patrimoine intégré
LES AYGALADES
SAINT JOSEPH LE CASTELLAS RESIDENCES DES AYGALADES
CITÉ DES AYGALADES ÇA COULE DE SOURCE SAVONNERIE DU MIDI
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Récit de voyage 5 De Saint Joseph le Castellas à la cascade de la savonnerie 03/06/2013
Je repars avec Hôtel du Nord pour une marche accompagnée du récit d’hospitalité « Sous l’Étoile ». Aujourd’hui, la RTM est en grève. Christine Breton change de plan et nous nous retrouvons une fois de plus à la gare Saint Charles. Je l’ai contactée hier et lui ai envoyé quelques cartes de mes parcours. Elle me présente donc au petit groupe d’habitués. Cette introduction est très utile car tout le monde vient me parler durant la promenade. Moi qui ne savais pas quoi leur raconter, comment les aborder, voilà une chose réglée. Nous descendons à la gare de Saint-Joseph-le-Castellas. Cette gare est en réalité une halte ferroviaire créée en même temps que la ligne. Cette cité tire son nom de la bastide du Castellas qui trônait ici au siècle dernier. De la campagne et de son système bastidaire cher à Marseille ne persiste que quelques alignements de platanes. Nous empruntons un petit sentier sur le côté, entre les rails et le parking, histoire de marcher le plus possible sur la marge. Ce bout de nature débouche sur la fameuse cascade que Julien m’avait indiquée.
Fontaine moussue de Saint Joseph le Castellas
CONSTRUCTION D’UNE VILLE HORS SOL Nous franchissons ensuite le Chemin de Saint-Antoine à SaintJoseph, qui se trouve en réalité être une imposante deux fois deux voies. Une dame du groupe me dit que cette route est une sacrée barrière et qu’elle est bien trop grande d’ailleurs. Pourquoi ce calibrage ? Il y a déjà bien assez des autoroutes (A7 et A 55 sur le littoral). Cette même personne m’explique sa théorie de la ville hors-sol. - Aujourd’hui on ne fait plus de la ville, on fait des réseaux ! Elle n’a pas tort. Moi qui me disais que la rue n’existait pas dans ce quartier, tout n’est que routes ou traverses privées. Chemins rectilignes efficaces où les automobilistes se font le plaisir de rouler à soixante-dix kilomètres/ heure au bas mot. Cette ville hors-sol n’accueille plus le piéton. - Pourquoi faire un trottoir puisque personne ne passe par là ? Mais s’il n’y a pas de trottoir qui pourrait bien passer ? De l’autre côté nous suivons l’Allée des laitiers. On imagine qu’on était ici dans la réserve agricole de la ville. Banlieue qui est devenue contemporaine. Passée de productive et nourricière à lieu de réalisation du fantasme contemporain de la maison individuelle. On a divisé cette nature pour en donner un petit bout à chacun. Je reviens à cette histoire de ville hors-sol car l’exemple est intéressant. Ce modèle de lotissement, c’est comme ça que l’on réinvente la ville aujourd’hui. Les résidences privatives haut de gamme sont aussi une forme récurrente. Ce sont des formes du « bien habiter ». Dans ces quartiers-là plus encore qu’ailleurs, car le foncier n’est pas très cher, on n’invente plus rien, on juxtapose des tissus urbains. Je ferme la parenthèse pour en revenir à notre voyage.
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IMAGINE UN DÉSERT Ce petit sentier donc, nous mène directement au cœur du village des Aygalades. Devant, nous retrouvons le père Antoine qui vient saluer Christine Breton. - Je peux prendre les lieux quelques minutes pour une explication ? - Bien sûr ! Tu es ici chez toi ! A l’intérieur, elle nous raconte sa théorie sur les lieux et sa démarche de travail. Il existe trois traditions qui partent de l’ordre des Carmes, un ordre érémitique chassé de Marseille au XVIII°. Pour en connaître l’histoire, il faut donc recouper les informations présentes dans les récits de fondation de l’ordre luimême, les faits historiques et les écrits d’érudits. Or, les trois ne s’accordent pas et peu de traces subsistent de l’existence de cet ordre. Christine Breton nous livre alors sa lecture des faits. L’ordre des Carmes s’est fondé au – IX° siècle, près du mont Carmel, sur les hauteurs d’Aïfa en Palestine. Les Carmes seraient venus s’installer à Marseille au XIII°. On trouve pourtant un accord de l’évêque Reynier de Marseille en 1207 pour construire un oratoire des Carmes sur la route d’Aix, aux Aygalades. - Ce qui signifie, si l’administration était telle qu’aujourd’hui, qu’ils étaient installés et reconnus avant. Pourquoi n’y a-t-il pas de traces ? En 1240, l’évêque de Marseille est Benoît d’Alignan. Il arrive du Languedoc où se tenaient les guerres albigeoises. C’était un fervent défenseur des croisades contre les hérétiques, notamment les cathares. En 1247, il installe effectivement les Carmes à Marseille, sur la butte des Carmes, mais il ne s’agit que de leur installation intra-muros, du moment où ils sortent du désert cet ordre pour le briser. Les tensions étaient telles que les Carmes, Ordre du désert, se sont résolus à partir en ville, tout en maintenant leur monastère aux Aygalades, à sept kilomètres du centre. Ils installèrent des moulins le long du ruisseau. En réalité, ce site servait de lieu de production pour alimenter la communauté palestinienne pendant les croisades. Benoit d’Alignan fit la même chose avec tous les ordres du désert « par mesure de sécurité » soi-disant pour protéger les ordres des sarrasins. Il fut ensuite très actif dans la lutte antimusulmane. Voilà pourquoi il n’y avait pas de source « c’est une forgerie », on a écrit ce qu’on voulait faire apparaître et non la réalité des faits. Le monastère a été transformé en église mais on voit encore les traces du passé. Une fresque a été retrouvée dans une des salles latérales de la nef. - Pourquoi mettrait-on une fresque dans une chapelle latérale ?
Grotte de l’Église des Aygalades
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Les trois salles se succèdent et font référence au modèle palestinien. Dans la dernière salle, une petite porte mène à une grotte de tuf qui abrite une statue de Marie Madeleine. Cet objet pourrait être la trace du repli des ermites dans le monastère. Les grottes prennent un rôle important dans diverses religions. Ce sont des lieux portant une charge symbolique universelle en rapport avec la question de l’origine et la création . Nous quittons l’église en passant par le jardin du père Antoine, « un parfait petit jardin de curé ». En face il y a la place des Aygalades. Elle respire le calme. Des micocouliers jettent une ombre dense sur la place. Les habitants des logements sur la droite utilisent la rangé d’arbres comme limite de leur terrasse. Ils y étendent leur linge, y mettent leurs poubelles.
CHATEAUX DISPARUS Nous descendons ensuite jusqu’aux Résidences des Aygalades. Les alignements de platanes sont encore les traces de la présence du Château Falque, de l’autre côté de la rue. Les Falque étaient une grande famille du XIX° siècle, le patriarche a notamment créé l’avenue du Prado pour valoriser les terrains qu’il avait achetés autour pour une bouchée de pain. On voit que les règles du lotissement ont toujours existé. On trouve parfois ce lieu sous la désignation Château du Roi René, mais c’est encore une forgerie. D’après Christine Breton, Falque aurait cherché voir inventé des papiers qui insinueraient que le terrain eut servi de relais de chasse au roi. La fin de l’avenue des Aygalades était à l’époque une traverse entourée du mur de la propriété Falque et de celle des Castellas, une famille encore bien plus puissante. A la place de leur château se tient aujourd’hui la Maison municipale des Aygalades. Comme quoi certains lieux ne se départissent jamais d’une certaine charge symbolique. En traversant la cité, nous croisons l’équipe d’entretien des espaces verts. Le responsable nous dit que la plupart des travaux font l’objet de chantiers d’insertion. C’est bien entretenu, mais ils aimeraient que cela soit encore mieux. Apparemment il manque d’arrosage, la mairie ne veut pas payer. Christine Breton leur répète (elle avait eu la même conversation l’année précédente) qu’il y avait un puits vers la Cité des Aygalades, en bas, foré à l’époque des châteaux. Il est d’ailleurs utilisé pour l’arrosage des jardins partagés « Ça coule de source ».
Jardins partagés « Ça coule de source »
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UN RÉSEAU HUMAIN ACTIF Nous passons par le tunnel et nous installons dans l’herbe de la Cité des Aygalades. Josette nous parle de sa mission de présence pour ATD Quart Monde. Elle vit ici depuis 10 ans et a pour objectif de créer des liens avec les habitants. Elle est concernée par la branche Enfance de l’association. Son but est de les sensibiliser à la citoyenneté. Pour cela elle utilise le jardinage avec Dominique, elle y avait même installé une bibliothèque, elle intervient auprès des écoles. Mère de trois enfants elle est particulièrement concernée par la question de la réussite scolaire dans ces quartiers. - Les enseignants sont compétents, il y a une bonne équipe, mais il y a encore des gens qui ne veulent pas mettre leurs enfants ici. Nous avions vu son mari Justin lors de notre précédente promenade. Ils font tous les deux parties de la communauté patrimoniale des Aygalades, une initiative dans le cadre de la mission de patrimoine intégré mis en place par Christine Breton en 2006. Dominique nous a vus arriver et il est descendu de chez lui pour nous saluer. Il nous parle un peu du jardin et de son combat. Il a failli baisser les bras plusieurs fois depuis qu’il s’est lancé làdedans. Il a même laissé tomber son travail pendant 8 mois pour mettre en route ce projet, mais le bailleur Habitat 13 n’a jamais voulu lui donner de statut, il se contente de payer l’eau. Mais aujourd’hui il est fier des lieux. Le jardin est plein, il n’y a pas de liste d’attente, il accueille même des gens de l’extérieur de la cité (parents, amis...). Donc le lieu fonctionne mais la demande ne grandit pas encore. La Cité des Aygalades se compose de trois parties : le plateau (les deux barres et la place), les Aygalades du Haut (nommés Résidences sur les cartes) et les Aygalades du bas (Cité des Aygalades). Elle a été conçue comme un seul et même ensemble malgré l’autoroute qui préexiste à la cité. - Elle aurait été parfaite cette cité si c’était qu’ici (en parlant de la partie basse). Ça fait 43 ans que j’habite ici, et j’en ai 47. J’aime vivre ici. Quand j’étais gamin il y avait une forêt à la place de ce jardin et il n’y avait pas de mur anti-bruit. C’était sympa. »
La Viste vue depuis la Savonnerie du Midi
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UN QUARTIER AUTONOME Dominique a des choses à faire et remonte chez lui tandis que nous continuons notre chemin vers la savonnerie. Cet endroit est effectivement en fonction, enfin en partie du moins. Dans le bâtiment proche de la route plane une odeur de fleur d’oranger. On est tout de suite ailleurs. Ça me donne faim, c’est la même odeur que les navettes (gâteaux marseillais). A croire que tous les produits typiquement marseillais ont la même odeur. Nous nous asseyons devant le bâtiment en attendant que les lieux se libèrent. Le responsable de l’ADAP 13 nous parle un peu de son travail. Il dirige des chantiers de restauration du patrimoine avec des jeunes. Le but est de les mettre en contact avec le patrimoine en menant des actions au présent. Le patrimoine est ici désigné et restauré par les habitants. - C’est quoi le rôle de la mairie la dedans ? -La mairie centrale s’en fout et la mairie de secteur a seulement relayée l’initiative des communautés patrimoniales en signant la convention de Faro. La communauté s’est fixée pour objectif majeur de restaurer « l’axe de sens » du quartier, le ruisseau des Aygalades. Ce ruisseau a été oublié depuis bien longtemps, si bien que même son nom a été perdu. Il s’appelait à l’origine : Le Caravel. Ne sachant plus comment le désigner on l’a appelé Ruisseau des Aygalades à cause du village. Pour finir, il est devenu le Biaou qui signifie caniveau en provençal. On cherche à lui redonner une valeur de sens depuis sept ans mais la réalité prendra corps plus en aval avec Euroméditerranée. Christine Breton trouve le projet « plutôt très bien », en plus le parc servira de bassin de rétention. - François Leclerc a de bonnes idées, après il est un peu contraint par la demande quand même... Par contre elle me confirme que rien n’a été prévu pour l’amont, pas même le nettoyage. L’eau est polluée par une usine qui fabrique des batteries à Septème. Ce parc sera donc une opportunité mais elle prendra du temps à se matérialiser.
La Savonnerie du Midi
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LE RUISSEAU DES AYGALADES - UN AXE DE SENS
Nous partons enfin pour la cascade. Nous entrons dans un bâtiment très sombre. Au fond, une petite porte ouverte sur du vert. Nous passons dans cette espèce de passage magique pour arriver à l’arrière de la savonnerie, entre le ruisseau et l’autoroute. Nous longeons par un petit sentier aménagé par l’ADDAP 13. Ils y ont découvert un ancien escalier en béton qui signifie que l’on pouvait circuler ici. Maintenant c’est un peu dangereux parce qu’il y a des lâchers d’eau l’été pour nettoyer le cours d’eau. Mais nous sommes pile en face de l’autre escalier de béton qui remonte de la Guillermy aux résidences Montléric. Ce lien est si évident. Il y a une ancienne minoterie qui sert d’entrée au passage sous l’autoroute. Nous étions restés coincés à l’autre bout avec Julien. Nous marchons jusqu’à la cascade et arrivons sur la partie que je voyais depuis le cimetière lors de ma deuxième visite. Nous sommes au-dessus de celle que j’ai vue avec Julien. Cet endroit est très beau. Nous faisons demi-tour, reprenons le sentier, repassons la petite porte et c’est ainsi, dans le noir, que le voyage se termine.
La Savonnerie du Midi
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UNE VISION PARTAGÉE Ce que je retiens de cette promenade c’est qu’il règne une forte solidarité dans ces lieux. Tous ont abandonné l’idée que la solution viendrait de la mairie, viendrait d’ailleurs. Ils font tout par euxmêmes et ils aiment leur quartier. Certes je n’ai rencontré que des gens assez engagés jusqu’ici, des habitants actifs, des entreprises ouvertes à la discussion, mais ils sont tout de même nombreux à partager une vision des lieux. Une vision incomprise si on en croit le projet des Créneaux, qui n’est qu’un exemple parmi d’autres.
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DEMI TOURS
VOYAGE 6
De Saint Joseph le Castellas à la Viste - 07/06/2013
Demi-tours
MONTLÉRIC
RÉSIDENCE DE L’OLIVERAIE
CRÉNEAUX
RÉSIDENCE DES FIGUIERS
SAINT JOSEPH LE CASTELLAS
TRAVERSE DE L’OASIS
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Récit de voyage 6 De Saint Joseph le Castellas à la Viste 07/06/2013
Aujourd’hui c’est moi le guide. Je vais faire découvrir les Aygalades à Rémi. Nous nous retrouvons à la gare et prenons le train, c’est finalement la manière la plus rapide de s’y rendre. Je lui montre la « fontaine moussue » de la Cité du Castellas, le parc de l’Oasis et la Cité Haute des Aygalades (ou Résidence des Aygalades). Nous prenons ensuite la route désaffectée longeant la cité et la zone d’activité pour emprunter la traverse de l’Oasis. La végétation a envahi les talus. On y trouve de tout, de la bouteille de gaz au sac plastique en passant par des enjoliveurs. Rémi est intrigué par toutes les plantes qui poussent ici. - Je n’ai jamais vu cet endroit depuis l’autoroute ! Je ne vois pas du tout où on est. Le passage sous l’A7 est large et plus lumineux que les autres. Pourquoi cette route a-t-elle était abandonnée ? C’est vrai qu’elle ne relie pas grand-chose, elle borde. Mais les tunnels me paraissent si rares et précieux que je ne comprends pas qu’on en abandonne. De l’autre côté, nous faisons un petit détour par la Cité Basse des Aygalades. Du monde s’active dans les jardins partagés. Je n’ai pas le temps de m’arrêter, nous avons un programme chargé, tant de lieux que je veux explorer.
UN GRAND VIDE En reprenant la traverse nous tombons face à un portail avec un panneau indiquant EPIDE. Après quelques recherches j’apprends que ce sigle signifie Établissement Public d’Insertion à la Défense. Un établissement qui donne une seconde chance à des jeunes en difficulté en utilisant les méthodes militaires. « Le projet conjugue simultanément un travail en profondeur sur le savoir-être, une formation générale comprenant une mise à niveau scolaire et la mise en œuvre d’un projet professionnel devant déboucher sur l’emploi. » Extrait du site internet de l’EPIDE. Je comprends enfin ce qu’est cette parcelle semi-abandonné à l’Est de l’avenue des Aygalades, c’est une emprise militaire dont seule une partie est utilisée. Il n’y a pas si longtemps (on le voit encore sur les vues aériennes), il y avait beaucoup de constructions ici, sûrement une base. Les bâtiments ont été détruit pour je ne sais quelles raisons. Persiste une large emprise avec quelques bâtiments dans la partie la plus proche de l’autoroute. Au sud de cette grande parcelle, des tours d’habitation viennent former une petite enclave en face de ce qui ressemble à un bourg. L’arrêt de bus associé à ces logements indique Saint-Louis Picardie. Nous entrons dans le stade de l’Oasis. Il est grand, vide, rouge. Il fait chaud, la poussière vole, un vrai désert. Des escaliers nous mènent devant les vestiaires qui bordent le stade. Nous surplombons l’avenue mais ne pouvons pas y descendre, de grandes grilles encerclent le périmètre. Pourtant nous sommes entrés sans difficulté, il n’y a pas de sécurité particulière. Demi-tour ! Ce sera le premier d’une longue série de chemins en cul de sac.
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Au bout de la traverse, nous rejoignons enfin l’avenue des Aygalades. En face, une entreprise de stockage nous attire. De grands containers rouges nous intriguent et nous demandons à visiter. Le gérant nous explique le concept venu de Suède. Les containers sont commandés, découpés en box et superposés sur deux rangées. Celle du bas est accessible 24h/24, souvent louée à des entrepreneurs. Celle du haut, desservie par un grand escalier mobile, sert au stockage longue durée. L’esthétique de ce lieu est incroyable. Ces ruelles intérieures rouges, cadenassées et éclairées la nuit ressemblent à une ville Légo. En sortant l’impression s’accentue lorsque nous croisons un local de stockage de la poste et les alignements de voitures jaunes. Nous repartons et longeons la longue enceinte du côté de la rue Chatelier jusqu’à sa perpendiculaire Augustin Roux. La route passe au-dessus du ruisseau, il est canalisé entre de grands murs de béton et de métal. Le talus au-dessus est abrupt. Les déchets des entreprises autour dégoulinent le long de la pente pour finir dans l’eau, chemin qui leur permettra une escapade jusqu’à la mer avec un peu de chance, pour qui ?
ENTRE RUINES ET RÉSIDENCES - RIEN NE SE PERD S’en suit notre longue tentative de remonter le talus de la Viste. Nous prenons la première à gauche et montons aux résidences Le Clos des Figuiers. Je cherche à accéder à un ensemble de bâtiments en briques à côté mais le chemin se termine sur un mur. Derrière, des bruits métalliques résonnent. Nous repartons et essayons la deuxième à gauche, passant par l’ancien chenil municipal. La pancarte indique encore ce nom, suivi d’un numéro de téléphone sans indicatif. Je me suis renseignée auprès de Christine Breton sur ces hautes constructions de briques. Elle m’a dit que c’était une usine d’extraction de moelle osseuse d’animaux, base de la fabrication de gélatine. L’entreprise a été bâtie au début du siècle dernier et abandonnée au bout de quelques années. Cette activité générait une odeur insupportable et les animaux du chenil, sentant les carcasses se mettaient à hurler à la mort, ce qui entraîna rapidement le mécontentement des habitants des villages alentours. Nous passons le grand portail d’entrée et arrivons sur une petite esplanade bordée d’un quai de chargement. Deux hommes sont sous un préau en train de discuter. Derrière eux on aperçoit de grandes portes de garage dissimulant des voitures. Ils nous regardent et, sans parler, nous font comprendre que nous leurs devons une explication. On ne se comprend pas très bien. L’un nous dit que c’est privé et qu’on ne peut pas accéder à l’ancienne usine, que c’est dangereux, et finalement que l’on peut quand même. Je crois qu’ils gagnent du temps pour nous jauger. Ils finissent par comprendre que nous ne venons pas pour un quelconque contrôle et nous laissent continuer notre route. Les abords sont jonchés de déchets d’entrepreneurs du genre pots de peinture, restes de béton, carrelage... Nous passons derrière le bâtiment et les ordures se transforment. Ici c’est la partie casse automobile. Une déchetterie sauvage a tout de même le droit d’être organisée !
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D’abord des véhicules presque entiers, un avant de mini-van, un bateau, puis des montagnes de pièces mécaniques. Entre les vieux bâtiments irrécupérables nous croisons un, deux puis trois petits garages clandestins. Des hommes qui s’affairent dans les montagnes de matériaux et sous les capots de quelques voitures. Ils ne se soucient pas trop de notre présence, nous les saluons et prenons un air de touriste un peu bêta. Nous nous retrouvons de l’autre côté du mur des résidences Le Clos des Figuiers et devons une fois de plus repartir d’où nous venons. Troisième à gauche. Nous remontons la rue pour arriver entre la tour des Créneaux et la nouvelle résidence de l’Oliveraie. Le périmètre de cette dernière est bien délimité. Elle est sur une terrasse, vue sur une friche en contrebas qui la sépare de l’ancien chenil. Devant la porte, j’évite de justesse la nourriture pour chat répandue par terre. Nous partons explorer les Créneaux pour trouver les fameux escaliers remontant vers la Viste. Pour cela nous grimpons le talus à différents endroits, traversant les graminées qui se fichent dans nos chaussures, nous grattent les pieds et les yeux. Une scène étrange nous arrête quelques instants. Au sol est disposée une robe de prêtre ainsi qu’une écharpe violette et des petites photos d’un vieil homme avec un slogan religieux. Est-ce un autel, une installation artistique ou une blague d’un élève du lycée privé de la Viste non loin de là ? Nous nous heurtons toujours au grand talus et pas d’escaliers. Nous retombons inlassablement sur cette grande dalle de béton craquelée où la végétation crée des stries vertes. Au bout il y a un ancien stade entouré de filets duquel nous avons vue sur la savonnerie et le cimetière.
UN TALUS INFRANCHISSABLE ? Je me rends à l’évidence et décide de remonter par le chemin habituel. A l’entrée du cimetière, une bande d’adolescents s’active dans le coffre d’une voiture. Ils font du tri dans un tas de disques durs et autres objets. Ceux qui ne les intéressent pas finissent dans le talus derrière eux. J’essaie de me rappeler comment accéder au sentier en traversant le cimetière. Il y a du monde aujourd’hui. Je finis par repérer le petit portail qui est bien sûr fermé. Plus de demi-tour, celui-ci n’est pas infranchissable ! Nous sautons furtivement le portail, des gens nous regardent. Nous remontons le talus, il fait chaud, les graminées sont hautes et jaunies par le soleil. Des enfants jouent derrière le mur de la Viste. Rémi aperçoit des caméras et un attroupement. Nous passons à travers le trou du grillage et nous trouvons nez à nez avec Rudy Baur et Eugène Caseli. Ils sont ici pour tenter de donner un futur concret au quartier créatif. Comble de l’improbable, Rémi aperçoit une amie de la Cité des Arts de la Rue, perdue de vue depuis quelques années. Nous rencontrons aussi la directrice de l’APCAR et discutons en rejoignant l’arrêt de bus.
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UNE VILLE QUI SE RÊVE Le trajet de retour est un peu long, nous sommes debout car il y a du monde dans le bus. En sortant du métro à la gare Saint Charles nous retrouvons le brouhaha de la ville. Je m’aperçois soudain de que les habitants collés à l’autoroute, situation qui me paraissait inhumaine, sont finalement logés à la même enseigne que les marseillais en ce qui concerne le bruit des voitures. Vivre avec les nuisances sonores n’est pas un thème particulier aux quartiers Nord. Cette ville est bruyante, agitée, et a un caractère de cochon. Marseille possède une urbanité, les calanques, la mer et les montagnes. La population est métissée, active et attachée à sa ville. Je me dis souvent que Marseille pourrait être une ville parfaite mais qu’elle ne le souhaite pas.
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PHOTOGRAPHIES
Canal de Marseille
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Allée des laitiers
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Village des Aygalades
Place de l’Église des Aygalades
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Sous Montléric - Escalier de la Guillermy
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Montléric depuis la Guillermy
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Cité des Aygalades (partie haute)
Christine Breton et le Chateau Falque
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Cité des Aygalades (partie basse)
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Montléric depuis la Savonnerie
La Viste depuis la Savonnerie
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Sentier de la cascade de la Savonnerie
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Grotte des Carmes
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La Viste depuis le cimetière
Montléric et haut de la cascade de la Savonnerie vus depuis le cimetière
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Parc Billoux
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INDEX DES PHOTOGRAPHIES 22 30 32 36 38 62 66 68 70 72 74 92 94 95 96 98 100 102 103 104 106 107 108 113 115 116 117 118 119
Avenue des Aygalades Saint Joseph le Castellas Marseille depuis les jardins familiaux de l’Étoile Cascade du cimetière Autoroute A7 vue depuis la grotte des Carmes Fontaine moussue de Saint Joseph le Castellas Grotte de l’Église des Aygalades Jardins partagés « Ça coule de source » La Viste vue depuis la Savonnerie du Midi La Savonnerie du Midi La Savonnerie du Midi Canal de Marseille Allée des laitiers Village des Aygalades Place de l’Église des Aygalades Sous Montléric - Escalier de la Guillermy Montléric depuis la Guillermy Cité des Aygalades (partie haute) Christine Breton et le Chateau Falque Cité des Aygalades (partie basse) Montléric depuis la Savonnerie La Viste depuis la Savonnerie Sentier de la cascade de la Savonnerie Grotte des Carmes La Viste depuis le cimetière Montléric et haut de la cascade de la Savonnerie depuis le cimetière Parc Billoux Box de stockage La Poste
REMERCIEMENTS Merci à ceux qui m’ont accompagné dans ces voyages : Julien Rodriguez, Christine Breton et Hôtel du Nord, Gwen, Rémi Duthoit et toutes les autres personnes que j’ai pu croiser sur mon chemin. Merci à Marie-Claude pour la relecture.
juliette.loquet@gmail.com
VOYAGE 7
Traverser les Aygalades - 08.07.2013
Avancer
CIMETIERE DE LA GUILLERMY TALUS DE LA VISTE
TRAVERSE DU CIMETIERE
CASCADE MUNICIPALE
PARC ET JARDINS DES AYGALADES
CITÉ DES AYGALADES
RUE AUGUSTIN ROUX
rR-AYGALADES Livret n°2 : Démarche et perspectives d’avenir
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SOMMAIRE Introduction 3 Vouloir le voyage
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Marseille 7 Portrait de marseille 9 Le(s) Marseille(s) : des villes imaginaires
Quartiers nord
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Histoire schématique du developpement urbain Deux attitudes : Rénover et Être là 22
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La démarche
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Inventer une innocence 27 Voyages aux aygalades 29 Les outils de la narration 31 Paysage et représentation 33 Euroméditerranée : le nord en projet Les Aygalades 41 Ouvrir les Aygalades 47
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R-Aygalades 49 Je vois, je vois... 51 Garder le meilleur ? 53 Propositions 55
Pourquoi pas ? 73 Apprivoiser les lieux 73 Être juste ? 75 Aimez le site, il vous le rendra bien Trouver sa place 75
75
Bibliographie 77 Remerciements 78
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VOULOIR LE VOYAGE J’ai construit ce sujet de TPFE en réunissant deux envies qui me semblaient, à priori, contradictoires : - Le désir d’évasion, d’exploration d’un nouveau terrain de jeu qui me permettrait d’éviter tout automatisme. - L’envie de laisser une trace de mon passage à Marseille, d’aboutir l’histoire de quatre années passées dans cette école et cette ville, toutes deux découvertes un peu par hasard. Travailler à Marseille, faire le deuil de tous les autres lieux possibles, fut une décision délicate. Elle m’a pourtant permis de rattacher un questionnement plus latent sur la place de la pratique artistique dans le métier de paysagiste. L’approche sensible peut être un moyen de redécouvrir un endroit que l’on pensait connaître, de rester attentifs aux petites choses et d’apprendre à aimer le lieu durant un travail de longue haleine. Cette expérience de dépaysement dans la ville met en valeur chaque décalage entre le site et sa représentation, entre l’imaginaire et le réel. Autant d’éléments qui ont produit un projet né de ma rencontre avec les Aygalades.
MARSEILLE
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PORTRAIT DE MARSEILLE Marseille est une ville aux multiples facettes où l’imaginaire est à l’œuvre. Une ville méditerranéenne, bordée de grands espaces naturels (même si la ville n’est jamais loin). Une ville fière et paresseuse comme un lion, tentaculaire comme une pieuvre. Une ville comparable au gabian qui s’élève dans les airs pour un vol stationnaire. Une ville mythique ou mythomane à l’image de la panthère des calanques que personne n’a jamais vu. Une cité des possibles qui se fantasme et nous donne des envies d’ailleurs tant elle en contient.
LE(S) MARSEILLE(S) : DES VILLES IMAGINAIRES Après avoir travaillé sur Marseille, avoir cherché à en comprendre le fonctionnement parfois obscur, je crois déceler une tare majeure : l’envie d’un changement total et brutal de la ville. Il est évident qu’on ne fera jamais rien à Marseille sans frapper un grand coup, mais il l’est aussi que ce changement doit se rattacher à la réalité de la ville pour fonctionner. Le projet urbain doit être soutenu par ses habitants, ce qui ne se fera pas s’il se conduit à leur détriment. La condition bicéphale de la ville paraît parfois la rendre inerte. Entre une municipalité développant tous les stratagèmes pour tenir la ville et rattraper son retard dans la course aux métropoles à coups de grands projets, et un fourmillement d’initiatives individuelles ou collectives, par lesquelles les habitants (citoyens, artistes, associations...) se réapproprient la ville, la fabriquent au jour le jour. Une population qui prend sa place, qu’on lui laisse ou non. Les habitants rêvent leur ville tandis que les grands projets la fantasme. Il ne faut pas pour autant opposer ces deux visions qui participent l’une et l’autre à la fabrication empirique de la ville.
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Cartographie de la côte bleue par Mathias Poisson
Vacarmes et Stratification, photographies de Doog tirées de la série «Mes villes invisibles» évocant Marseille.
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Je prendrais l’exemple de deux lieux emblématiques : La Friche Belle de Mai et le Mucem. Le premier a été soutenu et rénové dans le cadre de MP 2013 Capitale de la Culture. Les travaux ont permis d’affirmer ce lieu pré-existant comme acteur de la vie culturelle marseillaise, conservant sa multiplicité (concerts, ateliers d’artistes, conférences, restaurant et événements en tout genre) tout en lui donnant les moyens de s’organiser.
Le Mucem représente une façon de vivre la culture qui n’a jamais été très chère aux marseillais aux vues de l’état des musées de la ville. Le centre regorge pourtant de salles d’expositions et de galeries aux allures plus intimistes. La mise en scène de ces deux structures dépasse les lieux eux-même et donne l’occasion de réorganiser des morceaux entiers de la ville. Amorcer la transformation du quartier de la Belle de Mai ou retravailler le lien au littoral près du port.
QUARTIERS NORD
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QUARTIERS NORD Le choix de travailler dans les quartiers nord m’est apparu comme une évidence dans ma recherche de dépaysement. Ces quartiers cherchent à se réinventer, ça leur est vital. Ils souffrent d’une mauvaise réputation. Quand on dit « Quartier nord » une image s’impose : des barres d’habitations hors d’échelles entourées d’un vaste rien où la figure humaine est absente. Ces barres sont peut-être nées d’un concept de tabula rasa, le sol n’en a pas moins une histoire.
2 km
HISTOIRE SCHÉMATIQUE DU DEVELOPPEMENT URBAIN Petit retour en arrière : La ville se résume tout d’abord à un petit port au fond de la calanque du Lacydon. Elle est au cœur d’un vaste bassin, limité par les massifs de l’Étoile, du Garlaban et des Calanques, où coulent le Caravellele, le Jaret et l’Huveaune. Avec la croissance des échanges maritimes, les familles ayant fait fortune grâce au négoce s’éloignent du centre devenu trop dense et bruyant, pour profiter de la campagne. La périphérie est le terrain des bastides, une banlieue de villégiature où les fleuves irriguent les vastes domaines agricoles. Ces cours d’eau sont des appuis pour les grands axes de circulation, facilitant les passages dans la géographie tumultueuse. Marseille continue de s’étendre et de nombreux noyaux villageois se forment autour des axes historiques. Les témoins restent nombreux (l’Estaque, les Aygalades, Saint-Louis, etc...) et s’intégreront plus tard dans le tissus de la ville contemporaine. La construction du canal de Marseille (mi-XX°) permet d’irriguer les terres, si bien qu’on en oublierait presque les cours d’eau. Le Caravelle, soumis au régime méditerranéen, est en crue au printemps et quasi sec en été. Il ne peut irriguer les cultures de façon régulière, son nom est peu à peu oublié. Ne sachant plus comment le désigner on lui attribue le nom d’un des villages qu’il traverse, il devient le ruisseau des Aygalades. Au début du XX° siècle, le port autonome de Marseille commence à se déplacer vers le nord pour s’agrandir, redessinant tout le littoral nord. L’arrière port s’industrialise suivant le ruisseau des Aygalades qui devient le « Biaou » (signifiant caniveau, égout, canalisation, en provençal). De grandes infrastructures viennent s’ajouter à ces activités à la fin du siècle. Le réseau d’autoroutes et de voies ferrées pérennise des activités de stockages malgré la désindustrialisation. Marseille est un port, un lieu de passage. La décolonisation provoque une augmentation de la population. Les grands ensembles se construisent sur toute les terres disponibles (souvent agricoles), dans l’urgence et sans se soucier du raccordement au centre-ville. Les dernières terres cultivables sont au pied du massif de l’Étoile et continuent de disparaître. Le rêve de nature s’individualise et s’exprime par le développement du pavillonnaire. Ce qui abouti à la situation actuelle : un habitat d’urgence vieillissant, constitué en poches au milieu de terrains dont l’industrie se désengage.
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Bati dense Logements collectifs Maisons individuelles Activités
N 1 km
DEUX ATTITUDES Face à cette situation, il existe deux grandes attitudes visant à améliorer les lieux, à réparer les erreurs passées.
RÉNOVER Cette approche compte résoudre les problèmes des cités par l’aménagement. La forme des grandes barres devaient être la source de toutes ces mésententes. On avait d’abord tenté de découper les barres et même de faire passer des routes en plein milieu des ensembles, de façon à ouvrir les cités de manière un peu littérale. Des commerces ont été ajouté au rez-dechaussé des immeubles reproduisant la forme urbaine du centre-ville. Pourtant ce modèle n’est pas adapté dans un contexte où les commerces comme les logements se regroupent (centres commerciaux et grands ensembles).
J’illustrerais la politique de rénovation urbaine actuelle (ANRU) par le projet des Flamants récemment terminé à Marseille. Les barres ont été divisées en immeubles plus petits, mimant encore une fois le centre-ville. Mais changer la forme de la densité ne résout pas tout si ce n’est rien. Dans le cas des Flamants, les critiques fusent. Après avoir « appris » à la population à habiter selon les concepts de l’architecture moderne, les aménageurs veulent détruire ces logements auxquels les habitants se sont attachés et identifiés durant cinquante ans, pour les obliger à connaître le vis à vis, retirant le seul avantage des tours et le peu d’intimité permise.
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ÊTRE LÀ Je regroupe sous ce terme les différentes initiatives qui travaillent sur les représentations. Quelques exemples dans les Quartiers nord : Hotel du Nord
GR 2013
Hôtel du Nord, une association qui regroupe des chambres d’hôtes dans les quartiers nord et y organise des promenades. J’ai notamment suivi Christine Breton dans plusieurs marches aux Aygalades. Elle raconte l’histoire de ces lieux sans se déconnecter de la vie actuelle, mettant à profit les connaissances et les talents de conteurs des habitants. L’Histoire devient une histoire transcendant les époques, la rendant vivante en rappelant que malgré l’urgence un patrimoine est là et dialogue toujours avec le présent. Le GR 2013 est un autre exemple de promenade organisée, tracée de façon à traverser la ville et ses territoires, manifestant un travail sur le regard. Pourquoi un GR serait-il exclusivement naturelle ? N’y a-t-il rien de contemporain qui soit digne d’être regardé ? Ce sentier
Quartiers Créatifs Ici, belvédère de la Viste par Civic City et Ruedi Baur
met en exergue le paysage contemporain et sa fabrication. Enfin, les quartiers créatifs qui expriment une volonté d’être là et de faire quelque chose. L’un d’eux met en place des prototypes d’espaces à échelle un aux Aygalades. Un belvédère a été installé à la Viste en 2012, et un chemin traversant le talus jusqu’aux Aygalades est en cours. Le but est d’amorcer une transformation, de proposer en construisant. Je n’oppose pas ces deux attitudes qui me semblent complémentaires malgré leur dissociation (la première aux budgets conséquents émanant de l’État, la seconde organisée par la population dans le temps, parfois avec l’aide de la ville). J’ai donc eu besoin d’être là pour ensuite proposer une transformation de l’espace.
LA DÉMARCHE
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INVENTER UNE INNOCENCE Peut-être faut-il une utopie pour cette partie de la ville... Pourtant, cette utopie ne me semble pas juste tant les problèmes économiques et sociaux sont présents ici. Mais pour me dépayser moi même, pour parler de l’abandon de ces lieux, ne faudrait-il pas les idéaliser quelques peu ? Je dois pouvoir me donner cette liberté. Toute la difficulté est de se défaire du regard du Saint-Bernard qui veut sauver les quartiers nord de Marseille. Pourquoi ne pas prendre le problème par un autre bout, celui du sensible ? C’est ici que la formulation des chapitres du livre « Théorie du Voyage » de Michel Onfray fait écho. « Inventer une innocence » signifie poser un regard sans jugement. Dans ce contexte, je me souviens d’une remarque de Luigi Snozzi, architecte suisse rencontré lors d’un workshop à Sospel, qui nous disait : « Plus de problèmes on se pose, plus on se rapproche de la solution ? C’est faux. Je suis architecte et je me préoccupe de l’espace, pas de la sociologie ni de l’agriculture. » En nuançant ce propos, je dirais que ma quête se situe dans ma position de paysagiste. Quel regard puis-je poser sur ce lieu ? Quelle proposition singulière ressortirait de ma rencontre avec le site ?
VOYAGES AUX AYGALADES Livret n°1 : Récit d’attachement à un lieu
« Ce mouvement et les vues qu’il découvre favorisent semblet-il l’apparition d’objets qui occupent l’esprit, et c’est par là que la marche est une activité ambigüe et infiniment fertile : elle est en même temps un moyen et une fin, un voyage et une destination. » L’art de marcher, Rebecca Solnit
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VOYAGES AUX AYGALADES Je suis donc partie marcher aux Aygalades, arpenter le site dans un premier temps. La marche est à la fois voyage et destination. C’est une ligne constituée d’une infinité de points, un paysage plein de détails et de pratiques. Par ces voyages, j’ai pu expérimenter le site sous un angle qui n’est ni celui de l’aménageur ni celui de l’habitant. Les détails amassés dans le carnet de voyages me permettent de sortir le site de ses limites, de raconter les lieux en mettant l’accent sur une expérience sensible. Vient le moment de la spatialisation de cette expérience, j’ai besoin de savoir où je suis, de me représenter l’espace par moimême au lieu de faire passivement confiance au regard de l’IGN ou de l’INSEE. La photographie est instantanée, la carte se veut objective et omnisciente, je préfère me fier à mes propres outils, plus proches de ma pensée qui se déploie dans le temps. Je raconte dans ce carnet un site tel qu’on peut le découvrir. Je crois que la réalité des lieux n’est pas absente d’un récit constitué d’anecdotes. Le récit est une façon de partager le site et ses dynamiques. Le paysagiste travaille avec le vivant, nous sommes des êtres mobiles, ce qui ne peut se représenter dans l’immédiateté. Une vision percole de ces descriptions, plus juste qu’un portrait brossé par des chiffres ou l’étude des formes urbaines.
« Le discours à au moins un point commun avec la route : comme elle, il se déploie dans le temps et ne peut donc être saisi instantanément dans sa globalité. » L’art de marcher, Rebecca Solnit
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LES OUTILS DE LA NARRATION Le récit est directement prolongé dans le geste lent de la cartographie subjective. Cet acte est réfléchi mais pas entièrement maîtrisé, linéaire et empirique il se rapproche de la marche ou de la narration. Cette pratique me permet à la fois de revivre l’expérience, manipulant l’espace de manière familière, et de la partager. Les cartes se succèdent et s’enrichissent, leur lecture et leur comparaison dévoilent l’essence du lieu. Elles permettent une vue d’ensemble que le discours exclu, d’où l’appellation de carte. Chaque carte apporte de nouvelles informations, traces d’une pensée en un moment donné. Je dessine comme je pense, un paysage d’assemblages et de désirs. Le basculement du détail à l’ensemble c’est la vue que je peux avoir à mon échelle, lorsque j’arpente l’espace. En cela elles complètent le récit. Ces dessins cartographiques me servent aussi d’aides mémoire, racontant la genèse de mon regard sur un lieu. Ils sont des amarres lorsque les problématiques affluent et que mon esprit se brouille ou s’évade dans la théorie. Ils me retiennent, me font revenir à l’essentiel et me rappellent pourquoi j’apprécie un lieu. Ils sont des témoins précieux comme des prises de notes inconscientes. Ce carnet de Voyages aux Aygalades me sert de base de travail, d’analyse du site comme de pistes de projet. Ma façon d’utiliser le dessin me permet de décloisonner les étapes, de sortir du schéma linéaire : analyse, enjeux, stratégie, projet... La pensée ne fonctionne pas de cette manière. Elle se promène entre les impressions passées et les envies futures, se déforme à force de remises en questions et d’intuitions. Les liens apparaissent, formant une image cohérente. Tout est là mais tout reste à faire, c’est un projet qui s’esquisse.
Cartographie des interstices Mur d’enceinte Mur de soutènement Friche végétalisée Friche imperméabilisée Bordure de parcelle Talus autoroutier Ripisylve
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PAYSAGE ET REPRÉSENTATION Grâce aux promenades d’Hôtel du Nord avec Christine Breton, je m’aperçoit que le ruisseau des Aygalades traverse un désert qui ne date pas d’hier. Des lieux délaissés et en attente qui ne sont pas à l’abri d’une destruction soudaine non sans une certaine violence. Chaque cité, chaque entreprise, chaque village abrite une vie propre. Ils sont porteur d’une capacité à vivre ensemble malgré des contextes urbains et sociaux difficiles. Mais qu’en est-il des interstices entre ces unités autonomes ? L’avenue des Aygalades ? Le ruisseau ? Les talus ? Leur vide d’usage en fait des lieux abandonnés, en proie aux dégradations et pollutions diverses. Une ruinification volontaire qui laisse la porte ouverte au désarroi et aux opérations immobilières de type lotissement. Ces dernières ne sont, à mon sens, porteuses que de tensions supplémentaires et de valeurs individualistes. Les épaisses limites entre les îlots font de ces interstices des non-lieux repoussant pour le passant et inutiles à l’habitant, si ce n’est comme espace tampon.
GROTTE DES CARMES GUILLERMY
CASCADE
LES CRENEAUX
USINE ABANDONNEE
Cartographie du site arpenté Mur d’enceinte Mur de soutènement Lieux repères Opportunités pour le projet
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Ces aménagements, ces restes, ce patrimoine que l’on m’a fait découvrir racontent une autre histoire des lieux. Ils parlent de la succession, du temps qui passe, du réemploi. Voir et raconter cette autre histoire des lieux, c’est lui redonner vie et importance. Une protection non pas physique mais une sauvegarde de la mémoire. Le patrimoine a une importance et je crois déceler dans les promenades patrimoniales que les représentations priment sur la forme. Bien souvent, c’est pourtant uniquement cette matérialité que nous parvenons à protéger. La pérennité de la forme dépend de la persistance du sens. Sans le discours les pierres restent inertes comme à leur habitude, se laissent oublier sous la falaise. La méthode adoptée par Christine Breton et les membres du GR 2013 à pour objectif d’ouvrir les yeux en passant par les pieds, arpentant le territoire, racontant son histoire et son identité. Changer l’image par l’orientation du regard.
Périmètre Euromed 1 Périmètre Euromed 2 Bati dense Bati Activités
La Viste Les Aygalades Saint-Louis
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N 100 m
Carte du projet Euroméditerranée 2 : tirée du site officiel de l’opération.
EUROMÉDITERRANÉE : LE NORD EN PROJET Un ruisseau est aujourd’hui un atout pour une ville. On le voit à travers les nombreux projets d’aménagements des berges et quais de Bordeaux, Paris ou Lyon. A Marseille c’est via Euroméditerranée, grande opération d’intérêt national ayant pour but de rénover et reconstruire le nord du Vieux Port, que l’on prévoi (dans la deuxième phase en cours) de valoriser le ruisseau des Aygalades avec un grand parc de 14 hectares. La qualité de vie se mesure aujourd’hui au mètre carré d’espaces verts par habitants. Cette Opération d’Intérêt National est basée sur un partenariat public privé (avec 80% de privé) ayant pour but de ré-aménager plus de 400 hectares dans la ville. Le projet est en cours de réalisation et a pour ambition de faire de la Joliette un grand quartier d’affaire. L’extension du périmètre, Euroméditerranée 2 (financements principalement publics), contient un parc de 14 hectares qui s’appuiera sur le ruisseau des Aygalades jusqu’ici canalisé sous la gare d’Arenc.
La Viste Les Aygalades Saint-Louis
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La mise en valeur du cours d’eau montre une volonté de la ville de retrouver des espaces publics et de la végétation dans son centre, même à grands frais. Le parc a pourtant été positionné sur la seule partie canalisée en souterrain du ruisseau. Plus en amont, il se découvre pour traverser les quartiers industriels. Rien n’a été prévu en ce qui concerne l’amont du ruisseau, malgré une usine de batterie qui le pollue à partir de Septèmes. Il a pourtant été désigné comme colonne vertébrale nord de la Trame Verte et Bleue dans le Schéma de Cohérence Territorial. Comment expliquer que l’on remette à jour un ruisseau pour le plaisir des yeux et que l’on ne s’occupe pas de rendre tout son cours accessible ou de la qualité de son eau ?
Photomontage du futur parc Euroméditerranée : tiré du site officiel de l’opération.
Photographie actuelle : gare du Canet Vue inclinée du parc : tirée du site officiel de l’opération.
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RU E
LE
CH
AT E
LIE R
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RÉSIDENCES MONTLÉRIC LA GUILLERMY CITÉ DE LA VISTE CIMETIERE NOYEAU VILLAGEOIS DES AYGALADES SAVONNERIE DU MIDI LES CRÉNEAUX
CITÉ DES ARTS DE LA RUE CITÉ DES AYGALADES HAUTE BASSE RUISSEAU DES AYGALADES DÉCHETTERIES EPIDE
N
100 m
Bastide de la Guillermy
Montléric
Talus autoroutier
La Viste
Talus
Friche Les Créneaux Friche industrielle
Ruisseau des Aygalades
Marseille est comme une vaste maison que l’on rénove morceau par morceau : elle a refait le salon et la salle de bain par coquetterie mais devra tout de même un jour s’occuper de la cave où elle a stocké tout ce qui prenait trop de place et la dérangeait. Ma proposition aura pour but de changer le statut de cette nature présente aux Aygalades, de la rendre qualitative et plus seulement stigmate de l’abandon. Je propose d’améliorer l’image des Aygalades non par le récit du passé mais par celui d’un futur possible. Raconter l’avant c’est montrer que l’après peut être différent.
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Friche Industrielle
Ancienne industrie
Friches sèches fauchées fauchées Friches sèches
Cité des Aygalades La Viste
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Friche de longue date arborée
Montléric
La Viste Bastide de la Guillermy A7
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OUVRIR LES AYGALADES Je m’intéresse à la transformation de ce quartier, à son avenir. « La ville accélère ! » Euroméditerranée 2 promet un changement de l’aval du ruisseau, mais il faudra en passer par le traitement de l’amont. Comment instaurer les conditions d’une ré-invention ? Chacun à droit à un espace privé, commun ou individuel, un jardin, une cour, une entrée, un pas de porte. Le droit de profiter de l’extérieur pour tous est aussi un enjeu fondamental en méditerranée. Ce qui fait ville c’est de pouvoir être ensemble, une sensation d’appartenance à un même lieu. « Aygalades », c’est le nom d’un village, d’une avenue, d’une cité et d’un ruisseau, il marque une identité commune. Le ruisseau des Aygalades, ou le Caravelle comme préfère l’appeler Christine Breton (c’est après tout son véritable nom!) est déjà l’objet de questionnements et de désirs. La communauté patrimoniale officialisée par la convention de Faro s’est d’ores et déjà fixée comme objectif majeur de restaurer cet axe de sens. Étant reconnu localement comme élément identitaire, matérialisation de la mémoire du quartier, il sera donc le point de départ de mon projet, le point d’accroche de la réinvention de ce morceau de ville.
R-AYGALADES
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Montléric La Viste
Extension du cimetière
Une Zone Artisanale
Logements
JE VOIS, JE VOIS...
J’ai commencé par me pencher sur les projets en cours qui dévoilent une vision des lieux, une attitude, un futur possible. Les Créneaux ayant été détruit, un ensemble de projets vient remplir la parcelle. Des projets que je n’ai pu m’empêcher de critiquer tant ils font preuve d’une volonté de combler le vallon et d’y déverser le tout venant. Ils répondent à une logique purement foncière.
Des logements en vis à vis
Logements
Un belvédère pour les morts Montléric
La Viste Viste La
Extension du cimetière
La Guillermy
Une Zone Artisanale enclavée
LaLa Viste Viste
Cité des Aygalades
Z.A.
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GARDER LE MEILLEUR ?
La loi oblige tout d’abord le bailleurs à proposer des relogements sur place. Comme dans l’exemple des Flamants, les logements proposés sont de petites tailles, disposés en rangée qui se regardent en chien de faïence. L’extension du cimetière sur le talus me paraît étendre encore ce linéaire limitant (puisque un cimetière doit être fermé d’après la loi) tandis que Civic City et Ruedi Baur, par exemple, travaillent sur la traversée de ce talus. Il existe des astuces pour clore sans fermer un cimetière, on peut le diviser en plusieurs partie pour n’en citer qu’une. Soit, mais un élément me gêne encore, la vue depuis ce lieu est si ouverte, si agréable - on trouve d’ailleurs un ensemble de maisons individuelles construites à côté. Pourquoi réserver la vue au cimetière tandis que les habitants sont envoyé au coin en fond de vallon ? Au bout, on prévoit tout de même quelques jardins partagés et familiaux. Mais maintenant ce n’est plus la vue la priorité, mais l’eau. Pourquoi mettre des jardins tout en haut d’un talus alors qu’en bas coule une rivière ? L’installation d’une ZA scelle définitivement l’avenir du vallon comme déversoir des activités que le centre urbain ne veut pas accueillir. Elle sera de plus un peu à l’étroit au fond du vallon et fixera le large gabarit automobile de la rue Augustin Roux qui n’est pourtant pas si passante. J’ai donc réfléchie à quelques m’affranchissant des règles foncières.
propositions
en
Un cimetière / parc
’ BB
’ AA
AA’ Coupe nord/sud du cimetière possible
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PROPOSITIONS
Bastide de la Guillermy
Talus de Montléric
BB’ Coupe ouest/est du cimetière possible
RAVIN DE LA MEMOIRE
Plan de principe de végétalisation du cimetière : alterner les rangées plantées et les tombes
Le ravin étant déjà celui de la mémoire, mis sous cloche par la présence de l’autoroute, l’espace de la Guillermy est naturellement fermé. On pourrait donc en profiter pour installer le cimetière, les morts ne sont pas gêné par le bruit des voitures, qui soit dit en passant n’est pas si insupportable. Régulier, il rappelle plus la mer que les klaxons du centre ville. Ce cimetière pourrait d’autant plus être vécu comme un parc étant donné la végétation déjà existante. Je propose ici quelques exemples de végétalisation du cimetière en lui même. La Guillermy serait au centre de quelque chose, se confondant dans ce lieu de l’intemporel.
Bastide de la Guillermy
Grotte des Carmes
Montléric
La Viste
A7 Cascades
atelier Rue le Ch
La Zone Artisanale
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Structurer les entreprises par le végétal et permettre les traversées
VIVRE ET TRAVAILLER
La ZA pose la question de ces lieux que l’on ne veut pas voir. Une trame végétale et la présence de différents niveaux de terrassements serait parfait pour son implantation. Elle sera plus proche de la rue le Chatelier, axe majeur déjà calibré pour une forte circulation et permettra de dégager la rue Augustin Roux des nombreux camions.
La Zone Artisanale
Habitat
Ruisseau des Aygalades
Allée
Entreprises
Avenue des Aygalades
Habitat dans la pente
Habitat dans le vallon
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La Viste
Cité des Aygalades
Habitat dans la pente
Habitat dans le vallon
LES CONDITIONS DU VIVRE ENSEMBLE
Dans cette situation le talus devient un parfait belvédère pour les habitations. L’A7 ouvre une vue sur toute la ville. Les logements peuvent être implanté de façon a ce que chacun profite de la vue, conservant cet atout des grands ensembles, tout en développant des logements plus petits, avec moins de voisins. Comme les systèmes de terrasses on peut même imaginer que les toits participent à la vie, devenant des espaces extérieurs quasi individuels.
Dessin d’une géographie Cascades Travail de la roche
Méandres
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AU RYTHME DE L’EAU
Mais vivre ensemble implique aussi de circuler, de pouvoir se retrouver. Notre ruisseau reste pour l’instant une fracture. Il a modelé le ravin et son rythme, sa rencontre avec la topographie a créé différents espaces comme des cascades, des berges et un couvert végétal majestueux.
Sentier + Eau = Passerelle
Route + Trottoir = Passage piéton
D’un bras de fer à une rencontre
Rencontre avec les usages
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UN LIEU DE VIE
Il a créé les ambiances et je m’en suis inspiré. La rencontre entre des linéaire n’est pas toujours égale. Elle ressemble parfois à un bras de fer ou le plus fort des deux écrase le plus faible et parfois elle crée autre chose ou les deux se mêlent. La rencontre des usages et de l’habitat avec le ruisseau et la nature peut créer quelque chose de profitable aux deux : élargir le lit des Aygalades, laisser le cours d’eau respirer et en faire un espace de flânerie ou de rencontre pour les habitants. La flânerie, la vacance, la gratuité qui manque tant à ces lieux construits à la va-vite. Certes dans ces lieux à fort taux de chômage, l’ennui et l’économie souterraine qui occupe les lieux sont source de violence. Mais ce n’est pas à l’espace de régler ce problème et encore moins pas la seule interdiction. L’empêchement est un outil de non-projet.
Situation actuelle : Recouvrir
Proposition : Marquer le passage
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TRAVERSER UN COURS D’EAU
Je prends l’exemple du pont de la Traverse du Cimetière, c’est aujourd’hui une route ni plus ni moins, ce pourrait simplement être une passerelle, en profitant pour faire une place au piéton et marquer le passage du ruisseau, élément de repère au même titre que l’A7.
Allée traversante vers le ruisseau
Jardins
Ruisseau
Allée
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TRAVERSER DES AMBIANCES
Cette trame permet aussi de relier des parcelles isolées comme la Cité des Aygalades. La partie basse étant déjà isolée du reste de la cité.
Av. des Aygalades
Cité des Aygalades
Le ruisseau vécu comme une barrière
Ruisseau
Entreprises
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LA PLACE DU VÉGÉTAL : D’ISOLANT À
VALEUR AJOUTÉE
Le ruisseau et sa ripisylve sont pour l’instant contraint entre des entreprises. Abandonnés au bord de l’eau, de grands platanes sont envahi par le lierre. Les parties les plus hautes des talus sont entretenues par les entreprises, simplement fauchées pour limiter le risque incendie.
Un dégradé d’espaces publics
SE RASSEMBLER OU S’ISOLER
Autour de ce cours d’eau, on pourrait jardiner (il y a de l’eau autant en profiter), se promener, jouer au foot ou juste passer. La végétation serait entretenue pour renforcer les talus redessinés, faire de l’ombre et profiter de la fraîcheur et de la lumière en hiver (les arbres perdant leurs feuilles).
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LE RUISSEAU
Sélection de plantes pour consolider les talus. (Saules, iris, carex...)
LES ALLÉES
Eclaircir tout en conservant quelques grands sujets pour faire de l’ombre à l’allée principale.
LES JARDINS PARTAGÉS
Eclaircir tout en conservant quelques grands sujets de façon à permettre le renouvellement du peuplement et le jardinage.
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POURQUOI PAS ? « - Pourquoi comme ça et pas comme d’habitude ? - Et pourquoi pas ? Les habitudes ne sont pas toutes bonnes, certaines sont juste de la fainéantise. »
Lasse de la prédominance du discours sur le fond, voir sur la forme, présent dans tous les domaines (artistiques, commerciaux...), et pourtant tellement passionnée de belles histoires, j’ai voulu raconter ce diplôme de la façon la plus juste, la plus proche possible de ce que j’ai vécu. J’ai retrouvé dans l’une de mes premières notes d’intentions ces questionnements pêle-mêle : Comment éviter l’ennui et les automatismes ? Comment redécouvrir la ville et la raconter ? Comment me dépayser ? Quel projet serait le fruit d’une rencontre avec le site ? Qu’est-ce qu’être juste ? Ils restent tous d’actualité en cette fin de voyage et j’entrevois quelques pistes de réponses que voici. APPRIVOISER LES LIEUX
Christine Breton parle « de prendre le site à bras le corps, de le porter, de prendre charge son histoire... ». Tant d’expressions actives et signes d’un profond investissement, d’une volonté de partager ses connaissances mais surtout son émotion au sujet des quartiers nord. Être là, c’est ce qui importe. Apprendre, rester ouvert, accepter les perturbations et les remises en question, s’astreindre à une connaissance du territoire, autant d’attitudes qui permettent d’aborder le site de façon éthique. Mais comprendre le site, n’est pas encore suffisant pour échanger avec les lieux. C’est d’ailleurs ce qui me déplais dans la méthode du diagnostique classique, qui s’acharne à extraire les données, à mener un interrogatoire musclé du site jusqu’à tout savoir sans forcément en proposer une lecture ou lui rendre la pareille. A travers les récits et cartographies, j’ai voulu poursuivre l’investissement des arpentages du site même derrière mon bureau. Rester en action sans pour autant me disperser. Le digérer lentement.
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ÊTRE JUSTE ?
J’ai parlé d’inventer une innocence et j’apprécie toujours autant la pertinence de ce terme employé par Michel Onfray. J’en propose une définition relative à cette expérience de paysage : se faire sa propre image. Ce qui suppose de ne pas tenter de changer celle que l’on en a au préalable mais d’en construire une nouvelle. D’aller sur place, de regarder, d’être attentif et naïf dans un certain sens. Ce qui nous mène à l’étape suivante : se faire son opinion. Une image est un premier pas mais ça reste une image, une carte postale un peu frivole. L’opinion se forge dans le temps, à force de rencontres, de buttées et d’erreurs. Ces longs récits et ces cartes vont à l’encontre d’un esprit synthétique, qui m’est par ailleurs très cher, mais à dessein. Ils matérialisent une temporalité, celle de la marche, de la mémoire, du récit. AIMEZ LE SITE, IL VOUS LE RENDRA BIEN
Tout ça pour mettre en évidence ce qui est déjà là, en utilisant des moyens de représentation qui sont les miens, souvenirs des Aygalades. Transmettre ces paysages désirés autant que ces possibles en montre une autre facette, une histoire secrète. Un premier pas vers une reconnaissance et une transformation, espérons-le, positive. TROUVER SA PLACE
Ce diplôme n’a jamais eu pour objectif de ressembler à une commande réelle, d’être un pré-travail d’agence ni un travail de recherche, c’est le fruit d’un intérêt pour un lieu et d’une réflexion au fil du temps et des envies. Une démonstration de ce que peut produire une démarche de projet atypique pour des lieux qui n’ont plus d’autres choix.
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BIBLIOGRAPHIE
Le dépaysement de Jean-Christophe Bailly. Théorie du voyage de Michel Onfray. L’art de marcher de Rebecca Solnit. La France sensible et Éloge de la lenteur de Pierre Sansot. Les villes invisibles de Italo Calvino. Paysages en devenir sous la direction de F. Costa et D. Méaux. Projet urbain de David Mangin et Philippe Panerai. Nouveau portrait de la France de Jean Viard. Des mots de paysage et de jardin de Pierre Donadieu et E. Mazas Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement sous la direction de Pierre Merlin et Françoise Choay. Les Récits d’hospitalités d’Hôtel du Nord : La ville perchée, Christine Breton, Martine Derain & Zohra Adda Attou Sous l’Étoile, Christine Breton et Giuseppe Caccavale
REMERCIEMENTS Merci aux membres de mon jury : à Rémi Duthoit pour son enthousiasme et sa confiance absolue, à Christine Breton pour toute la matière apportée et son travail remarquable, à Julien Rodriguez pour avoir été présent dans des moments clés, à Jean-Luc Brisson pour sa présence au cours de ces quatre années, son discours toujours pertinent et son laisser faire, à Jean-Bernard Martel pour sa participation au jury et un stage dans un environnement incroyable. Merci aux copains et plus particulièrement à : Val et Dodo mes accolites d’APR et autres actvités plus détendues, Élodie pour sa bonne humeur qui illumine les journées pénibles, Charlotte pour son écoute, ses conseils et ses chansons!
juliette.loquet@gmail.com
rR-AYGALADES
J’ai profité de ce dernier travail d’école, et de toute la liberté que cela implique, pour mettre à l’essai une méthode de projet qui m’a toujours séduite, menant ce diplôme comme un récit. Comme la pensée, la narration se construit par fragments et de façon non linéaire, se déformant au fil des réécritures et des intuitions. J’ai commencé sans trop savoir qui serait le personnage principal, n’ayant qu’une vague indication de lieu et me refusant de connaître la fin de l’histoire avant de l’avoir écrite. J’ai choisi comme terrain d’expérimentation le quartier des Aygalades dans le nord de Marseille. Cette moitié de ville stigmatisée nécessite un nouveau regard pour se transformer sans disparaître, dans une « ville qui accélère » (slogan de la Capitale de la Culture) quitte à s’oublier. Quand on parle des quartiers nord de Marseille, une image s’impose : des barres d’habitations hors d’échelles entourées d’un vaste rien sans vie. Ces barres sont peut-être nées du tabula rasa, le sol n’en a pas moins une histoire. Comprendre et raconter ces lieux pour éviter les raccourcis néfastes a constitué la première partie de ce diplôme de fin d’étude. À travers l’analyse de la fabrication de ces paysages urbains ainsi que le récit des lieux tels qu’ils sont vécus et perçus, une image du quartier des Aygalades apparaît. J’ai constitué un carnet de voyages qui m’a servi de base de travail, d’analyse du site comme de pistes de projet. Chaque visite du quartier y a été retranscrite en texte, consignant sur le papier les informations recueillies au gré des rencontres lors de mes marches (conservatrice honoraire du patrimoine, habitants, aménageurs...). Une carte dessinée vient illustrer chaque récit, comme une autre forme d’écriture décrivant l’espace. Au cours de cette histoire, je me suis aperçue que ces lieux souffraient avant tout du profond désintérêt des uns et de l’incrédulité des autres. J’ai rencontré des projets et un fleuve oublié sur mon passage, et les ai retravaillés pour donner une vision cohérente du site, me dégageant d’une logique purement foncière. Mettre ce paysage en désir est une première étape dans la reconnaissance du patrimoine de ce quartier et dans son évolution.
Juliette LOQUET TPFE 2013 - ENSP Marseille Encadrée par Rémi DUTHOIT