La retouche photographique : moyens et moyennes.

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La retouche photographique : moyens et moyennes. Julie CHU SIN CHUNG

DNSEP Communication 2011 École Régionale des Beaux-Arts de Besançon


« Évidemment, il y a là un nez, des yeux, une bouche, mais tout ça n’a pas de sens, ni même d’expression humaine »

Jean-Paul Sartre La Nausée, 1938


Sommaire.

Les débats sur la retouche • La photo de presse • La photo de mode et de publicité • Le monde numérique, un monde parallèle ?

La « re-présentation » • • • •

La Beauté Évolution Réification Du particulier à l’universel.

Introduction Conclusion La retouche photographique • La retouche dans l’histoire • De la retouche argentique à la retouche numérique • Démocratisation & banalisation de la photographie • La photographie partagée • « Vous n’avez plus à prendre la photo parfaite, pour faire une photo parfaite. » • Du laboratoire photo à la trousse de maquillage.

Bibliographie


Introduction

Durant mes dernières années d’études aux BeauxArts, je me suis intéressée à l’image, et plus particulièrement à sa retouche. Le fait de manipuler, de découper, de rassembler, de modifier une ou plusieurs images, offre des possibilités et une potentialité infinies aux créations vi­su­elles. Mon projet de DNAP se basait sur les expressions idiomatiques anglaises et françaises, leur illustration, et leur confrontation linguistique et visuelle. Cette démarche était avant tout technique et ludique. Cette année, je voudrais questionner les causes et les conséquences de la retouche de l’image photographique. L’appareil photo n’a cessé d’évoluer depuis sa création, du daguerréotype,


au compact numérique. Sans parler uniquement de l’outil de la prise de vue, la notion même de photographie a changé. La démocratisation de l’appareil photo, la banalisation de l’image numérique et des nouvelles pratiques offertes par le Web 2.0, (réseau, partage, base de données gigantesques et indexation des contenus) les ont rendues accessible à tous. Dans notre ère numérique, la retouche est souvent associée à la photographie elle-même. En même temps que la photographie, la retouche photographique se vulgarise. Le grand public a de plus en plus accès à des outils de retouche et chacun peut les utiliser. Mon travail, cette année, est de questionner cette pluri-démocratisation qui s’effectue autour de la photographie numérique, des enjeux et des raisons de sa retouche, alors que nous sommes submergés par un flux d’images.

La retouche photographique


La retouche dans l’histoire

La retouche photographique existe depuis les débuts de la photo. Bien avant les logiciels de retouche graphique, les images étaient savamment modifiées afin d’altérer les représentations et même l’histoire. Les premières retouches et les premiers trucages photo ont sans doute été artistiques. Les régimes totalitaires ou autoritaires ont largement usé de ce genre de pratique, et ont naturellement su remodeler les images pour leur propagande. L’exemple le plus fameux reste celui de la harangue de LénineA du 5 mai 1920, en pleine guerre civile. Sur la photo originale, on voit Trotski et Kamenev, à droite de Lénine. Après la prise de pouvoir par

Staline, la même photographie est publiée, mais les deux adversaires du nouveau chef d’état ont été effacés. L’entre-deux-guerres devient une période de production et de publication importante, grâce aux améliorations techniques des modes de reproduction et d’impression. Les mouvements avantgardistes tels que Dada, le Constructivisme russe, et le Futurisme fabriquent également des images politiques à l’aide de photomontage ou de photocollage. Les situationnistes détournent les images politiques et publicitaires pour servir un combat. Retouches et trucages vont progressivement quitter l’univers de la propagande pour gagner la photographie courante, à des fins esthétiques ou commerciales. Celle-ci tend à se généraliser à partir des années 1990, avec l’apparition de la photographie numérique.


De la retouche argentique à la retouche numérique

Lorsque nous prenons une photo argentique, l’image est figée sur une pellicule, le négatif. Le développement est l’étape, en chambre noire, qui consiste à convertir ce négatif en positif sur le papier photo. La retouche consiste à corriger des défauts d’aspect, éclaircir ou assombrir l’image, augmenter ou diminuer les contrastes, saturer des couleurs, etc. Ces modifications se font postérieurement à la prise de vue, en laboratoire. En laboratoire, plusieurs techniques comme la repique1 ou 1 La repique est l’action qui consiste à corriger les défauts mineurs d’un inversible, d’un négatif ou d’un tirage : poussières, fils, etc. Cette opération s’effectue à l’aide d’un pinceau très fin chargé d’une encre adaptée (appelée le gris-film), à l’aide de gouache ou encore, sur les papiers barytés, au crayon noir ou gris.

la retouche,2 peuvent être utilisées pour modifer une image.

« La plupart des modifications possibles et faciles avec le numérique ne sont pratiquées que par une minorité de grands professionnels de l’argentique, à cause de la complexité de ces opérations. La retouche argentique était extrêmement rigide, les trucages et les retouches toujours longs, difficiles et nécessairement limités ; l’image numérique est toujours déjà retouchée, les appareils numériques étant d’ailleurs vendus avec des logiciels de traitement d’image, c’est à dire de retouche. »3

2 La retouche consiste à améliorer en profondeur les photographie à l’aide d’outils tels que ceux qui sont utilisés en repique, auxquels on peut ajouter l’aérographe, des bains chimiques divers ou encore le grattoir. Parmis les utilisations typiques de la retouche, citons  : la correction du grain ou des imperfections de la peau ; l’accentuation de certains traits du sujet photographié ; le détourage d’une image (suppression du fond) ; la modification de caractéristiques physiques du sujet (affinement des jambes par exemple.) ; la suppression d’éléments indésirables ; le montage photographique. 3 Rouillé, André, La Photographie. Entre document et art contemporain, 2005, Paris, Gallimard


En argentique, le travail de laboratoire était régulièrement délégué à un professionnel extérieur. La photographie numérique a permis aux amateurs et aux professionnels de gérer cette étape, qui succède à la prise de vue. Avec Photoshop, le logiciel de retouche le plus populaire (apparu en 1988), les possibilités de retouches sont infinies, et ne requièrent plus la même habileté ni le même savoir-faire.

Nous trouvons une analogie flagrante avec les ou­ tils utilisés par les graphistes, dessinateurs et artistes dans notre monde matériel afin de modifier des images. Photoshop devient alors la simulation du laboratoire photo, avec des manipulations beaucoup plus rapides et précises.

L’arrivée de ces logiciels et leurs interfaces ont révolutionné notre rapport à l’image surtout dans le domaine de la publicité et de la mode. Toute l’imagerie publicitaire a été massivement transformée depuis l’apparition de l’outil tampon ou de l’outil correcteur qui permettent d’un clic de masquer une imperfection de la peau, d’étirer un bras, une jambe, de coller une tête sur un autre corps, etc.

« La palette graphique, logiciel informatique sur ordinateur, soutient une idéologie néoplatonicienne de la création comme copie, par le simulacre d’un environnement de travail savamment orienté, par la fourniture d’outils et de procédures induisant un travail manuel d’imitation par le dessin, donc valorisant la copie, et même par la fourniture des modèles, dans des styles très variés mais représentatifs, que l’apprenti peut décalquer ; ainsi, la boucle est achevée puisque cette idéologie de la création est soutenue par une idéologie de l’apprentissage, lui-même par imitation. »4

Mais ces logiciels restent spécialisés et s’adressent aux professionnels, aux scientifiques ou aux artistes. Les interfaces de ces logiciels sont dotés d’innombrables outils tels que des cutters, des ciseaux, des baguettes magiques, des pots de peintures, des gommes, des pipettes, des gouttes d’eau, des éponges... 4

Pelé, Gérald, Art, informatique et mimétisme, Paris, Harmattan, 2002.


L’environnement du logiciel est donc conçu de façon à ce que son utilisateur ne soit pas dépaysé en passant de son atelier, son établi ou sa table à dessin, à ceux, virtuels, qu’il propose. En résulte donc toute une série d’analogies du même genre. Le champ lexical de ces logiciels (copier, coller, couper, calque, masque, couche, corbeille, dossiers, fichiers, bureau, etc.) sont autant de termes empruntés aux mondes de l’édition, de la photographie, ou du cinéma. Avec Adobe Photoshop, les images numérisées peuvent désormais avoir plus de matière, de luminosité, de saturation, de contraste, être isolées d’un élément gênant, être recadrées, grâce à des filtres, des calques, des courbes, des masques... D’ailleurs, cette liberté infinie de manipulations sur l’image a donné lieu à de nombreuses reprises, à des excès de la part de photo-journalistes et de publicitaires. La retouche photographique ne cesse de susciter le débat, à l’ère où quasiment la totalité des images qui nous entourent sont numériques.

Démocratisation & banalisation de la photo­graphie

Siècle de tourmentes et de confusions, de guerres, de progrès technologiques, de communications accélérées, de découvertes révolutionnaires, d’espoirs, d’utopies et de mondialisation, le xxe siècle fait entrer la photographie dans une ère nouvelle. Son apparition dans la presse ainsi que sa médiatisation massive ouvrent ce medium à de nouvelles et multiples orientations et applications commerciales. Profitant des progrès techniques qui voient les appareils devenir de plus en plus petits et maniables, le photo-journalisme témoigne de l’état du monde et des événements abondamment diffusés par la presse illustrée.


La question du statut artistique de la photographie se pose plus précisément, à l’image, entre autres, de l’enseignement de Lazlo Moholy-Nagy au Bauhaus, ou des photomontages constructivistes de El Lissitzky ou les expérimentations surréalistes de Man Ray. Le statut artistique de la photographie est désormais reconnu à travers son langage propre, découvrant le réel sous un angle nouveau et inattendu. Elle traverse les mouvements des avantgardes européennes, futurisme, dadaïsme, constructivisme, surréalisme … élargissant ses potentiels, enrichissant notre vision et notre perception du monde. Les démarches personnelles d’auteurs se multiplient ainsi et sont présentées dans des galeries et sur le marché de l’art, dans des sections de musées et des institutions spécifiques aux ÉtatsUnis, puis en Europe à partir de la fin des années 1960. Les ouvrages historiques, esthétiques et théoriques se multiplient, les démarches d’auteurs font l’objet de monographies, d’études approfondies. Le pictorialisme, qui ambitionne d’élever la photographie au niveau des autres arts, est le premier mouvement international en photographie et connaît un large succès, assuré par des expositions, des salons internationaux ou encore par la publication de revues luxueuses, comme Camera Work,

revue fondée en 1903 par le photographe Alfred Stieglitz. Aujourd’hui, la photographie fait partie intégrante des arts plastiques et entretient un dialogue stimulant avec les autres moyens d’expression. La photographie d’amateur se développe plus largement avec la commercialisation en 1889 du Kodak, le premier appareil dont l’usage ne requiert aucune connaissance technique et disponible pour l’usage de masse des consommateurs. La pratique photographique fait son entrée dans les familles dans les années 1930. En 1948 apparaît le premier appareil photo instantané, le Polaroid. Imaginé par Edwin Land, il intronisa, bien avant l’ère numérique, le règne du tout en un et la magie de l’immédiateté. Le Polaroid change les pratiques car c’est une photo sans témoin, qui ne transite plus par un laboratoire de développement. Plus tard, dans les années 1980, c’est l’appareil photo jetable qui envahit les foyers européens et américains. Appareil à usage unique vendu avec une pellicule déjà chargée, il devient le modèle de prédilection des débutants et des vacanciers, en raison de son faible coût, de son encombrement réduit et de sa simplicité d’utilisation.


Dans les années 1990, l’usage de plus en plus répandu des scanners a permis de pratiquer la retouche numérique à partir de clichés argentiques. Mais c’est avec l’apparition des premiers appareils photos numériques1 (APN) qui a provoqué l’évolution la plus marquante. Sur le plan de la démocratisation de son usage, d’abord : même si l’investissement reste relativement plus important que pour un argentique bon marché, la perspective de prises de vues illimitées et gratuites a contribué à rendre l’APN très populaire. Facile d’utilisation, ils sont maintenant dotés d’un mode automatique de prises de vues avec des paramétrages et des réglages prédéfinis. L’informatique à domicile, Internet et le courrier électronique et la facilité de partager ses photos avec ses proches ont probablement beaucoup contribué à cet engouement. Sur le plan du processus photographique, ensuite : les photographies numériques font d’emblée l’objet 1

En 1981, Sony lance le Mavica (Magnetic Video Camera). Il est doté d’un capteur CCD de 279 300 pixels (l’Amstrad D950 qui arrive en même temps sur le marché en possède dix fois moins) et stocke les photos numériquement sur une mini-disquette d’une capacité de cinquante photos. Avec des accessoires supplémentaires, il est possible de visualiser les photographies sur un téléviseur, les imprimer ou les envoyer par le réseau téléphonique, sans possibilité de retouche.

d’un codage digital. La dimension analogique a disparu, y compris celle du tirage papier qui est devenu marginal, face à l’avalanche de photographies produites par les utilisateurs. C’est également une révolution dans la notion d’instantanéité, les appareils photos numériques, souvent dotés d’un écran, permettent de voir la photo dans la seconde après qu’elle ait été prise. Ils permettent de multiplier les essais à moindre coût. La photographie amateur connaît donc une profonde mutation avec un nombre d’images qui s’accroît fortement. Enfin, le fait que l’appareil photo intègre de nouveaux terminaux (en particulier les téléphones portables), qui sont en permanence dans la poche de l’utilisateur, a encore augmenté la démultiplication vertigineuse des images photographiques. Accroissement qui provoque une banalisation considérable de l’image, qui à la suite de Benjamin, perd de son aura2.

2

Benjamin, Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductivité technique, Paris, Éditions Allia, 2003


La photographie partagée

public dans les années 1990, il s’agit non seulement d’un outil d’information, mais d’un outil de communication à part entière entre des individus, où qu’ils soient à la surface du globe. La diffusion et la consultation des photographies personnelles et privées deviennent de plus en plus fréquentes sur le réseau Internet : des photos de vacances, de famille, portraits, photos d’identités... En 1934, Paul Valéry écrivit dans son texte prémonitoire, La conquête de l’ubiquité :

La dernière étape de la digitalisation du processus photographique est celle de sa médiatisation. Le fort accroissement des images pose la question de leur stockage, de plus en plus problématique. Des gestionnaires d’images permettent de classer, archiver et annoter les clichés, pour faciliter la navigation. Des versions publiques de ces outils, d’une puissance remarquable, vont apparaître sur Internet. L’utilisateur va pouvoir stocker en ligne ses clichés personnels à l’intérieur de gigantesques albums photos. La différence majeure est que ces objets, particulièrement intimes deviennent alors publics, accessibles à tous. Avec la démocratisation d’Internet, et depuis son ouverture au grand

« Comme l’eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin, dans nos ­demeures, répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissant et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe.1 »

Depuis la vulgarisation de la photographie, grâce aux appareils grand public, et à l’ère numérique, la diffusion et le partage de ces photographies ont 1

Valéry, Paul, La conquête de l’ubiquité, Paris, Gallimard, 1934.


également connu un essor considérable. Outre les énormes banques d’images tel que Google, qui peuvent brasser et délivrer des centaines de millions d’images à travers le net, il existe également des sites de partage de photographies en ligne, dédiés avant tout aux amateurs de photographie. Le site de partage de photo Flickr2 est un des sites web les plus populaires auprès des photographes amateurs pour partager leurs photos personnelles, et il est aussi souvent utilisé par des photographes professionnels. Créé en février 2004, racheté par Yahoo! en mars 2005, Flickr héberge aujourd’hui plus de 5 milliards de photos3. Cette réussite exemplaire tient au principe même sur lequel repose cet outil : créer de l’interaction avec les images. FlickrB s’appuie sur le fait qu’on fait des photographies pour les montrer. Ce facteur si simple est pourtant souvent oublié par la plupart des histoires ou des réflexions générales sur le médium de la photographie. Flickr offre de nombreuses fonctionnalités élaborées pour faire dialoguer les usagers à partir des images, et qui construisent autour d’elles un Giles, Richard, How to use Flickr. The Digital Photography Revolution, Cambridge, Course Technology PTR, 2006 3 http://www.mediaventilo.com/30-chiffres-cles-social-media-pourl%E2%80%99annee-2011/ Date de consultation: janvier 2011

réseau étendu de légendes, commentaires, motsclés, contacts ou signalements. Flickr s’est développé au fil des années à la manière des anciens photo-clubs ou des sociétés d’amateurs, sur les bases du partage et de l’émulation, avec une puissance démultipliée par l’extension mondiale et la dimension ludique du web interactif. Chaque utilisateur peut y trouver son compte. Certains y exposent leur album familial, attendent des commentaires de leur réseau de contacts, d’autres s’inscrivent à des groupes thématiques, ou se livrent à leur tour à l’exercice de la critique en direct. Flickr fonctionne à la fois comme une galerie ouverte et comme un formidable outil pédagogique. Mais le site est aussi caractérisé par sa capacité à se prêter à toutes les appropriations : qu’il soit militant, politique, culturel, artistique, chacun peut créer ou adapter grâce à lui son propre usage des images. Depuis le mouvement anti-CPE, en France4, on a commencé à prendre conscience de ses potentialités en termes de diffusion d’information. Durant les manifestations, plusieurs photos ont été prises

2

4 http://www.liberation.fr/cahier-special/010144076-a-l-image-desamateurs/ Date de consultation: janvier 2011


à l’aide d’appareils photo compacts ou de téléphones portables. Ces photos amateur ont pu témoigner des évènements lors de leur diffusion sur Flickr. De plus, grâce à ses fameux tags, ou mots-clés, les images de Flickr se prêtent parfaitement à des recherches élaborées. Plutôt que d’encourager la restriction de l’accès aux photos, Flickr favorise une culture du partage, à travers la possibilité de créer des groupes et des albums collectifs. L’application garantit un dialogue avec le monde des blogs et l’environnement dynamique en plein essor. Ce qui m’intéresse ici, c’est l’objectif de Flickr. En deux mots, Flickr est simplement un gigantesque album photo universel, en ligne, et ouvert à tous. Une immense vitrine où sont exposées des centaines de milliers d’images. Il est un outil intéressant grâce à ses qualités d’indexation, de recherche par motsclés, de sauvegarde, de stockage et de liens directs vers d’autres sites tel que Facebook, MySpace ou Twitter. Nous avons là un parfait exemple de ce qu’est le Web 2.0, un web social, qui facilite l’interaction entre les utilisateurs, et la création de réseaux sociaux. La fréquence et la nature des photographies « postées » tous les jours, soulèvent plusieurs questions aussi bien sur la maîtrise des images données à voir à

tous, que sur la vie privée et l’intimité des personnes qui sont volontairement ou involontairement sur les photos. Avons-nous les moyens de maîtriser notre propre image dans ce monde numérique ? Sur le site de Flickr, nous trouvons plusieurs catégories de photos, de la photo ne représentant personne directement (paysages, créations, objets, animaux, reproductions de dessins, de peintures ... ), photographies impliquant des personnes prises de plein gré ou non (portraits, photos de vacances, de famille, de groupe, photos d’actualité, de manifestations ... ).

« Nous dévoilons de plus en plus sur Internet notre vie, nos goûts, nos occupations et nos comportements. Nous révélons notre intimité tant par les traces que nous laissons lors de nos navigations, qui sont collectées par les gestionnaires de sites web à des fins de valorisation marketing, que par les informations que publions nous-mêmes sur les sites des réseaux sociaux. Mais combien d’entre nous sont-ils véritablement informés de l’exploitation de leur intimité à des fins commerciales ? Dans quelle mesure pourrons-nous être rattrapés plus tard par les turpitudes que nous avons mises en ligne en toute naïveté ? Face à ces


questions, on invoque désormais de plus en plus souvent un “ droit à l’oubli ”. »5

S’il ne s’agit pas ici simplement de représentations visuelles des individus mais plus généralement de leur présence sur le réseau Internet, ce questionnement peut être appliqué plus particulièrement aux photos diffusées. C’est une question encore en débat actuellement, les avis étant encore partagés entre la loi Hadopi6 ( Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Production des droits sur Internet ) et la liberté d’expression et d’opinion de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

5

Quéau, Philippe, Virtuel, vertus et vertiges, Éditions du Champ Vallon, Paris, 1993 6 http://www.lexpress.fr/actualite/media-people/media/la-loi-hadopiqu-est-ce-que-c-est_512898.html Date de consultation : janvier 2011

« Vous n’avez plus à prendre la photo parfaite, pour faire une photo parfaite. »

Ce qui est également intéressant, c’est la qualité des photos qui sont postées tous les jours sur ce site de partage. En ce qui concerne les différentes classi­ fications de photos, nous trouvons absolument tout, sauf peut-être des photos pornographiques. Mais ce qui est étrange, c’est comment ces photos sont traitées avant d’être postées. Si nous allons dans la rubrique le meilleur des 7 derniers jours1,

1 http://www.flickr.com/explore/interesting/7days/ Les photos qui s’affichent ici ont été sélectionnées de manière aléatoire parmi les découvertes les plus remarquables faites sur Flickr au cours des 7 derniers jours. Si vous cliquez sur le bouton « recharger », une planche de 9 nouveaux clichés s’affichera au hasard. Date de consultation : janvier 2011


nous y trouvons des photos certes parfois intéressantes mais souvent retouchées à profusion. La couleur des paysages est exagérée et saturée à un point où les bleus et les oranges en deviennent fluos, nous sentons un désir d’effet « vintage » dû aux trop plein de filtres utilisés ou des photographies qui deviennent des images peintes à raison de trop de montages ou de trucages. Ceci est une indication non négligeable de comment les images sont perçues aujourd’hui. Tandis que la retouche « professionnelle » est souvent indécelable, avec des réglages d’une grande subtilité, la retouche amateur est la plupart du temps excessive. La séduction de l’effet, de la transformation quasi-magique d’un cliché, amène les utilisateurs à des interventions exagérées, presque grotesques. Ces images retouchées sont entrées dans les mœurs, cultivées par l’abondance des photos venant de la mode et de la publicité. Les codes esthétiques sont renouvelés et il n’est plus choquant de voir les couleurs de paysages dénaturées, des peaux lissées au point de ressembler à de la cire, ou des photos totalement fabriquées.

De plus, un logiciel de retouche d’image est quasisystématiquement inclus avec l’appareil photo numérique, devenu désormais, un outil grand public. Avec ces logiciels de traitement de l’image, d’un maniement de plus en plus facile, chacun dispose désormais de son propre laboratoire. Il est maintenant facile d’effacer un ex-mari de ses photos de vacances, d’ajouter un cousin à une photo de mariage, de gommer ses cernes, ou un bouton disgracieux. Dans un article du New York Times, Madame Horn déclare avoir effacé son mari sur toutes ses photos après sa mort :

« Sans lui sur les photos, je peux les regarder. Je peux regarder ces images et penser aux bons moments que nous avons partagés, aux endroits où nous sommes allés, c’est ma propre réalité. »2

Afin de faire correspondre ces codes esthétiques à leurs photos, les utilisateurs n’hésitent plus à s’essayer à la retouche, qui était au départ, domaine réservé aux professionnels ou aux artistes. 2

The New York Times, p. ST1, New York Edition, 17 août 2008


À l’époque de la manipulation numérique, de nombreuses personnes pensent que les photos de famille ne doivent plus nécessairement évoquer ce qui a été, mais ce qu’on souhaiterait avoir vécu, explique Alex Williams, l’auteur de l’article. Sans compter que la motivation à truquer et idéaliser les images de soi ou de ses proches est plus forte à l’heure où les albums de photos familiaux passent de l’espace domestique à Internet. Au niveau de la famille et des amis, il y a beaucoup moins de résistance aux images modifiées. À croire que dans un monde où la plupart des images sont retouchées, les gens sont de plus en plus enclins à accepter les trucages en photographie, car ils y sont de plus en plus exposés et pensent parfois qu’ils doivent embellir leur propre image juste pour suivre le rythme. Ici, il est intéressant de constater que même la photographie amateur privée, qui est la plupart du temps liée au souvenir, qui est dans l’idée de fixer un moment important (vacances, voyages, mariage, baptême, réussite...) est aussi remaniée. Comme le montrait John Berger3, la nature de la photographie est un objet de mémoire qui nous permet d’oublier. On remplace l’expérience par le fac-similé. Ces fausses photographies idéalisées ne finiraient-elles pas par 3

Berger, John, Ways of seeing, London, Penguin books, 1990

altérer notre propre mémoire au fil des temps ? Il nous faudra désormais apprendre à ne plus considérer la photographie comme preuve d’un évènement.


Du laboratoire photo à la trousse de maquillage.

Cosmétique : Du grec ancien kosmetikè (« l’art de la parure ») dérivé de kosmos (« ordre », « bon ordre », « organisation », « discipline », « parure », « ornement », « gloire », « honneurs », pour les pythagoriciens : « ordre de l’univers » d’où « univers », « cosmos »).

Il existe également un moyen à la portée de tous de modifier ses photos : la retouche d’image en ligne. Une solution qui se développe de plus en plus et qui s’adresse aux personnes étrangères aux courbes

de Béziers, masques et autres ustensiles de la cuisine d’Adobe, mais aussi aux gens pressés ou attirés par la facilité. Désormais, nul besoin de télécharger un logiciel de traitement d’image ou de payer des licences ruineuses pour bricoler ses photos. En même temps que la révolution de la mise en ligne de photos, l’internaute peut trouver sur des sites des logiciels lui permettant de recadrer ses photos, d’en améliorer les couleurs, et d’organiser son album. Tous ces services sont la plupart du temps gratuits. Les pionniers de cette nouvelle génération de « retoucheurs » en ligne sont les entreprises comme Ofoto, Shutterfly ou PhotoAccess. Aujourd’hui, des dizaines de sites proposent de la retouche en ligne, souvent gratuite, et sans inscription préalable (Pixlr, Aviary, Photoshop Online, Windows Live, Splashup, Pixenate et Picnik pour en citer quelques uns). N’importe quel internaute peut se confronter à l’expérience. Ces logiciels encore une fois proposent une gigantesque palette d’outils, qui sont mis à jour quotidiennement, accompagnés de leurs batteries de démonstrations, de tutoriels, qui font de plus en plus d’émules sur Internet. J’ai choisi de parler plus particulièrement de PicnikC, qui est le logiciel de retouche en ligne appartenant à


Google. Picnik est un outil ludique et assez agréable à utiliser. En plus des corrections courantes de la luminosité, des couleurs, du contraste et de la netteté, on peut y trouver tous les styles d’images rétro possibles et imaginables grâce à des filtres variés. Les fonctions de ce genre de logiciels permettent aux utilisateurs de redonner un punch ou un style à des photos quelconques ou sans relief, qui auraient été laissées de côté ou effacées. D’ailleurs, cette nouvelle notion de recyclage de photo est de plus en plus acceptée et même encouragée. Le slogan du nouveau logiciel de traitement d’image en ligne de Windows Live est « vous n’avez plus à prendre la photo parfaite, pour faire une photo parfaite.1 »

découlent du vocabulaire du maquillage. Ainsi, nous trouvons des rouges à lèvres, des mascaras, du blush, des effets bronzés, des mèches, des régimes instantanés, comme outils de retouche. Il est étonnant de constater comment les concepteurs de ce logiciel guident l’utilisateur vers un résultat formaté sur les canons d’une esthétique à travers une interface dirigiste et axée sur le maquillage. Cela démontre aussi le besoin de ce même utilisateur d’avoir accès à ce genre d’outil qui lui permettra de se rendre plus beau afin d’être dans les normes imposées par la société.

« Même s’il peut fasciner, écrit André Gunthert2, ce genre de logiciel formate encore plus notre perception de l’image, puisque l’image s’alignera d’elle-même sur des critères esthétiques préconçus. L’infinie variété des techniques de post-traitement, qui rapproche désormais la photographie du cinéma, met aujourd’hui un terme à la mythologie de la retouche comme mesure du photographique. »

Picnik dispose d’une interface attrayante et instinctive. Nul besoin d’avoir des connaissance en matière de retouche d’image pour comprendre ses fonctionnalités. En ce qui concerne les outils, Picnik propose des possibilités de manipulations allant du diaporama au collage fantaisie. Je m’attarderai plus longuement sur les potentialités de retouche qu’offre ce logiciel. Les outils proposés

1 http://www.youtube.com/watch?v=Tis_G1loFto « you no longer have to take the perfect picture, to make the perfect picture. » Date de consultation : février 2011

2

Gunthert, André, Sans retouche, Histoire d’un mythe photographique, Études photographiques, no.22, Septembre 2008


Mise à part les possibilités de retouche que procure Picnik, les photographies éditées peuvent également être directement partagées sur d’autres sites sociaux tels que Flickr, Facebook ou MySpace. Ce logiciel a été conçu non seulement pour altérer les photos, mais aussi pour qu’elles soient vues par les autres. Entre donc en jeu une multitude de choix dans la représentation que l’on donne de soi. Ils dépendront de la façon dont nous nous voyons, de l’intérêt particulier que nous avons à poster cette photo sur le web et du contexte dans lequel celle-ci sera diffusée. À l’ère des réseaux sociaux et des sites de rencontres nous postons généralement notre image dans le but d’attirer les regards des personnes susceptibles d’avoir des points en commun avec nous. Ainsi, se développe depuis quelques années toute une typologie d’avatars, c’est-à-dire une image particulière nous représentant au moins pendant quelques jours, mis en avant, dans le monde entier à travers le web. Dans le but d’un projet artistique, deux artistes ont créé le site de rencontre Lovely-faces3-D grace au piratage des profils Facebook où ils ont volé plus d’un 3 http://lovely-faces.com/ Date de consultation : mars 2011

million de photos de profils, les ont flitrés grâce à un logiciel de reconnaissance faciale, et les ont classés d’après les expressions faciales, pour les exposer ensuite sur leur site. L’action de ces protagonistes, le théoricien des médias, Alessandro Ludovico et l’artiste Paolo Cirio, avaient comme but d’attirer l’attention des adeptes des réseaux sociaux sur ces informations sensibles qu’ils publient, sujettes à la manipulation et au vol d’identité. Sur Internet donc, on a le loisir de se créer une image, une deuxième vie virtuelle, simplement en cadrant la photo d’une certaine manière, en jouant avec les ombres, les couleurs... Avec ces logiciels de retouche libre d’accès, chacun a désormais la possibilité de modifier le réel, avec une précision, une efficacité et un réalisme impressionnants, à tel point que l’on peut en venir à confondre le virtuel et le réel, avec la sensation de se déplacer dans l’espace et le temps sans bouger de son fauteuil. Nous pouvons voir s’opérer un glissement évident du laboratoire photographique technique (Photoshop), dédié à l’amateur éclairé, au salon de maquillage (Picnik), dédié à tous.


« On donnera de soi des images plus abondantes, mieux ajustées, mais aussi plus abstraites, moins charnues. On touche là le paradoxe des mondes virtuels, leur caractère essentiellement hybride, à la fois concrètement formés sur le modèle des espaces réels, mais également structurés selon la nature abstraite des contenus informationnels. D’où les conflits de plus en plus difficiles à arbitrer entre les divers niveaux de réalité et de virtualité superposés. 4»

Guy Debord écrivit en 1967, La société du spectacle5, une critique radicale de la marchandise et de sa domination sur la vie, de l’« aliénation » de la société de consommation. Son concept de « spectacle » est une idéologie offrant une vision unique de la vie, en l’imposant au sens et à la conscience de tous, à travers des manifestations et des influences audio-visuelles, bureaucratiques, économiques et politiques. Ce livre, pourtant écrit il y a plus de quarante ans, dresserait un portrait assez fidèle de notre société actuelle, une société où l’on se plie aux codes et aux lois, dans une recherche incessante de reconnaissance, afin de faire perdurer le spectacle. 4 5

Quéau, Philippe, Virtuel, vertus et vertiges, Paris, Éditions du Champ Vallon, 1993 Debord, Guy, La société du spectacle, Paris, Éditions BuchetChastel, 1967


Les dĂŠbats sur la retouche


La question de la retouche est une des plus anciennes et des plus passionnantes mythologies de l’univers photographique. Pendant plus de 150 ans, les théoriciens de la photographie ont perçu la retouche comme la négation de la nature de l’enregistrement visuel. La retouche serait une pratique menteuse, dont la visée est de ne pas faire apparaître la photo comme telle. Elle serait aussi une pratique honteuse, puisque sa condition autorise et refuse simultanément son intervention. Pendant la majeure partie du xxe siècle, la retouche sera perçue comme un tabou social et sa pratique ne sera qu’occasionnelle. Elle sera considérée comme acceptable dans la photo de mode ou dans la publicité, sans pour autant que sa condamnation soit remise en cause sur le plan des principes. Dès son apparition, la photo a nourri le mythe de la vérité. L’éthique de la photographie serait donc de représenter la réalité. Mais il faut comprendre que ce qui sort d’un appareil photo, qu’il soit argentique ou numérique, ne peut être objectif, ne serait-ce que par le


choix du sujet, de la prise de vue, ou du cadrage.

« En dépit de ce qui s’est beaucoup dit et écrit par naïveté, cécité ou esprit polémique, ni l’exact ni le vrai ne sont inhérents dans la photographie. Si les images peuvent passer pour être exactes, et même vraies, elles ne puisent pas en elles seules leur exactitude ou leur vérité. “ La vérité étant inséparable d’une procédure qui l’établit ”, on aura à comprendre selon quelles procédures les photographies-documents, qui sont de part en part construites, conventionnelles et médiates, ont pu apparaître comme réalistes, immédiates, exactes, vraies. Ou comment la chaîne des transformations qui conduit de la chose à l’image peut culminer dans l’exact et le vrai. En un mot, on aura à comprendre une production de certitudes, ou de croyances, et à décrire les mécanismes des énoncés et des formes qu’elle met en jeu. »1

Avec l’arrivée de la photographie numérique, un autre débat est récurrent sur le sujet. Si la photographie se doit de représenter le réel, la photo numérique serait déjà retouchée, dès lors que l’appareil photo numérique contient des réglages prédéfinis comme le mode automatique, qui régule de lui même l’ouverture, l’exposition, etc. De plus, il est régulièrement vendu avec des logiciels de retouche. La question qui 1

Rouillé, André, La Photographie. Entre document et art contemporain, Paris, Éditions Gallimard, 2005

se pose aujourd’hui est : irons-nous à l’encontre des possibilités techniques, aujourd’hui massivement disponibles, afin que la photographie représente le plus possible la réalité, ou est-ce que la retouche est un outil contemporain nécessaire dans une période digitale ? Avant de condamner ou d’approuver la question de retouche, tentons de replacer la démarche dans son contexte. Si l’action de la retouche intervient dans une démarche artistique, pour un témoignage ou une critique sociale, il faut la voir comme essentielle comme dans tout travail créatif. Pour un travail de commande, il faut déterminer quel est le message à transmettre et qui sont les interlocuteurs, afin d’y adapter le comportement éthique de cette retouche, simplement mettre l’image en conformité avec son projet. De plus, il ne faut pas négliger le fait que c’est sur un écran que toutes les images contemporaines sont finalisées et façonnées. Les outils et les compétences techniques sont incroyablement plus puissants qu’ils ne l’étaient pour l’argentique. Il est aussi question de culture visuelle, or, la caractéristique essentielle de l’information numérique est qu’elle peut être manipulée aisément et très rapidement grâce à l’ordinateur. Comment faire face à un monde d’images où règne Photoshop? Bien que la retouche a été pratiquée depuis des décennies, la retouche numérique attire systématiquement la méfiance. Les raisons seraient-elles que nous avons été témoins de trop d’exagérations ? D’un autre côté, ce ne sont pas les logiciels qui font les images, mais c’est l’usage qui en est fait qui détermine la portée de son sens.


La photo de presse

Reste un territoire où la question de la retouche conti­nue à se poser à la façon d’une condamnation morale : celui du journalisme, même si la retouche a été au cœur de ses pratiques depuis l’apparition de la presse illustrée. Longtemps, la photographie d’actualité a semblé reposer sur une règle simple : on ne doit pas modifier le réel. En août 2006, la publication sur Internet d’une photographie retouchée d’un raid aérien sur Beyrouth fait scandale. Les nuages de fumée suite au bombardement ont été maladroitement dupliqués afin d’accentuer la catastrophe. L’agence Reuters rectifie donc le tir en congédiant l’auteur des photos et en proclamant désormais la tolérance zéro à l’encontre de toute retouche2. En avril 2009, le photographe Klavs Bo Christensen, se voit disqualifié du concours de la photo de l’année en photojournalisme en raison de son 2 http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=968 Date de consultation : décembre 2010

abus de Photoshop sur ses images. Le candidat présentait une série de photos sur Haïti. En saturant les couleurs, en jouant sur les contrastes, il a magnifié, amplifié et dramatisé ces images de détresse déjà immense3. Le photojournalisme emprunte de plus en plus les codes de la publicité ou du cinéma. Publiée dans un magazine, nous ne savons plus s’il s’agit d’une publicité ou d’une information. Le débat de la question de retoucher ou non les photos de presse est loin d’être clos. Cette année encore, au festival annuel de photojournalisme  Visa pour l’image à Perpignan, plusieurs tables rondes ont été organisées autour de ce sujet. La question est récurrente, jusqu’où une photo retouchée ne trahit-elle pas le réel? L’intense concurrence entre photographes pour placer une image encourage les améliorations de toutes sortes, qui vont de la retouche à la mise en scène pure et simple. L’argument de la retouche a constitué longtemps un indicateur fiable du rapport d’une époque au photographique. Cette mythologie reposait dans une large mesure sur la méconnaissance du grand public des techniques de correction ou d’amélioration des résultats. Depuis la vulgarisation des logiciels de traitement d’image, n’importe quel amateur peut aujourd’hui faire l’expérience déroutante, non de la disparition du photographique, mais de la manipulation de sa substance même. C’est bien une autre photographie qui se teste aujourd’hui sur Flickr ou dans les journaux spécialisés. Il suffit de feuilleter les magazines pour y trouver 3 http://behindthephoto.org/klavs-bo-christensens-too-much-photoshopdisqualification Date de consultation : décembre 2010


aujourd’hui des couleurs surprenantes, des ciels violets et parfois même des nuages fluo qui n’ont jamais existé. Avec les logiciels de traitement de l’image, la tentation est grande d’en rajouter dans les effets, de rendre une scène un peu plus spectaculaire qu’elle ne l’est. Certains professionnels s’inquiètent de cette pratique. Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’image, estime que certains photographes vont trop loin mais reconnaît qu’il est incapable de délimiter les règles du jeu4. Pour le festival de l’année suivante, les photographes seront priés de soumettre leurs fichiers raw5. Le grand reporter Olivier Laban-Mattei considère que nous tombons à chaque fois dans les mêmes malentendus. Le choix du cadrage fait par le photographe exclut inévitablement une partie de la scène. D’après lui, la photo ne peut être donc, que le point de vue du photographe :

jamais être objectif, il doit respecter l’esprit de ce qu’il a vu. »6

Dans la photographie de presse, l’usage abusif de la retouche vise à dramatiser, accentuer ou isoler un élément, pour induire un sens particulier chez le lecteur. Le but final reste quand même commercial : plus les photos feront sensation, plus le magazine ou le journal sera vendu. Ceci témoigne aussi des contraintes stylistiques qui pèsent sur le photojournalisme professionnel aujourd’hui. Plutôt qu’une image authentique, il faut à la presse une image intéressante, quitte à la retoucher. Paradoxalement, ce sont les photos démasquées qui demeureront dans les annales de l’histoire de la retouche numérique, comme le bourrelet gommé de notre Président de la République chez Paris Match7.

«  Aujourd’hui, la concurrence entre photographes est féroce. Il faut viser l’excellence, travailler ses images sans trahir ce que l’on voit mais en l’exprimant au plus juste. On est dans une civilisation de l’image. Elle a ses codes, son vocabulaire, ses expressions. Pourquoi ne peut-on pas les utiliser ? Et si ce regard ne peut

4 http://www.lemondedelaphoto.com/Visa-pour-l-image-2010-gare-a-la,4399. html Date de consultation : février 2011 5 RAW est un format de fichier pour les images numériques. Ce n’est pas un format standard, mais plutôt la désignation d’un certain type de fichier, assimilé à un négatif, créé par des dispositifs tels que les appareils photo numériques ou les scanneurs et caractérisé par le fait de n’avoir subi que peu de traitement informatique. Le fichier contient toutes les données enregistrées par le capteur qui sont inutilisables directement.

6 http://formats-ouverts.org/blog/2010/09/21/2484-a-t-on-le-droit-de-retoucherune-photo-d-actualite Date de consultation : décembre 2010 7 http://www.liberation.fr/medias/010119434-paris-match-gomme-les-poigneesd-amour-de-sarkozy Date de consultation : février 2010


La photo de mode et de publicité

La retouche des photographies dans la mode et la publicité est si omniprésente que l’on voit depuis quelques temps apparaître dans la presse féminne des dossiers garantissant des « photographies garanties sans retouches », pour assurer une photographie authentique. Ces labels seront, eux aussi, vrais ou mensongers. Les enjeux de la retouche, mise à part la retouche artistique et critique, convergent essentiellement dans le but d’attirer le regard, de se dénoter des autres et de faire rêver. Dans le monde commercial (publicité, mode, show-biz), ce phénomène apparait comme un réflèxe chez les publicitaires. Peu de photos commerciales, pour ne pas dire aucunes, sont naturelles. Dans les publicités où sont mises en scène les femmes, les photographies sont toutes passées au scanner et dans les laboratoires de retouche. Photoshop est utilisé systématiquement en modifiant l’aspect de ces

femmes, leur donnant une allure irréelle, créant ainsi une image de femme lisse proche de la perfection. Cette malheureuse réalité montre à quel point ces méthodes sont essentielles dans les entreprises lucratives, représentant un stéréotype de la femme, belle, grande, mince, bronzée, avec des formes parfaites. Ce stéréotype s’est développé et subsiste grâce aux images qui nous entourent et qui sont devenues la norme. La question de superficialité et d’artificialité peut être ici interrogée. Mais le plus extraordinaire, c’est que vendre du superficiel est devenu naturel, banal. Les magazines d’actualité ou de potins mondains sont aussi friands de ce genre de pratique. De façon perfide et sournoise, ils garantissent même le caractère non retouché des photos, mais pour dénigrer l’apparence physique de telle ou telle personnalité. La retouche est considérée comme plus acceptable dans ces domaines. Seules les retouches des ces types de photos sont entrées dans les mœurs, même si elles sont encore désapprouvées en ce qui concerne la morale. Considérant qu’on est dans le domaine du rêve, on supprime les rides, on rallonge les jambes... Ce rêve, cette beauté idéalisée, ne dupe que celles qui désirent l’être. Cette situation ambiguë a pu avoir plusieurs conséquences fâcheuses. Le poids du tabou concernant la retouche a empêché ses professionnels de reconnaître publiquement le caractère banal de la correction des images, car nous sommes dans le royaume du faux-semblant. La longue habitude de cette hypocrisie dans les usages publics de la photographie a permis à l’édition et à la presse


d’étouffer la révolution Photoshop1, si bien que nous nous rendons compte que la manie du lissage imposée par les annonceurs et les retoucheurs a bel et bien créé une nouvelle norme visuelle, à laquelle nous nous sommes insensiblement habitués. Déroger à la convention se voit et paraît bizarre. Cette peau de visage, avec des pores, du duvet, des imperfections, s’est progressivement absentée des magazines. Une bonne retouche doit rester invisible, et devrait corriger le défaut d’une photographie, et non les défauts d’une personne. Le moment où l’intervention devient perceptible signe son échec. Quand le lissage se voit trop, c’est le dessin qui gagne sur la photographie. Certaines campagnes publicitaires comme Dove sont connues pour encourager les femmes à cultiver l’estime de soi. Elles présentent des femmes de tous âges, formes et tailles, afin de s’opposer aux stéréotypes de la beauté dans notre société. La publicité Dove Evolution, sortie en 2006, dénonce l’usage abusif de Photoshop dans le but de faire correspondre les femmes aux canons de beauté contemporains et comment cela peut avoir une influence sur la jeune génération. Revers de la médaille, bien des gens ont spontanément vu dans le clip un message plus optimiste et encourageant : n’importe quelle femme peut devenir belle grâce au maquillage et n’importe qui peut devenir parfait avec des retouches numériques. Pire encore, pour sa cam1

Lancé en 1990 par Adobe Systems pour les ordinateurs de la marque Apple, le logiciel de retouche créé par Thomas et John Koll a livré, d’abord aux professionnels, puis au grand public, les clés de manipulations graphiques qui n’étaient jusque là réalisables que dans des conditions d’exception. Dans les milieux spécialisés du graphisme ou du design, les potentialités de ces nouveaux outils sont clairement identifiées.

pagne Real Beauty2-E, Dove base sa communication sur le slogan « Nous, nous ne mentons pas ». Or, leur retoucheur de photo professionnel Pascal Dangin a déclaré avoir lissé la peau d’orange, ou gommé quelques bourrelets des ces femmes voluptieuses. Pour une marque qui diabolise les retouches, elle perd sa crédibilité dans un discours idéaliste qui prône le 100% naturel. Loin de servir la cause de celles qui se sentent cannibalisées par le marketing de la beauté, Dove s’est juste faufilé dans un créneau porteur, avec beaucoup de cynisme et de démagogie, sans se soucier d’accorder ses actes avec ses paroles. Nous sommes clairement dans un discours démagogique que pourraient avoir certaines marques qui elles-mêmes ont contribué à l’élaboration de telles esthétiques. Depuis le mois de janvier de cette année, Make Up Forever3-F a lancé une nouvelle campagne de publicité qui révolutionne le monde de la publicité de cosmétiques : une campagne garantie sans retouche. Tel que l’indique le slogan : « You are looking at the first un-retouched makeup ad.4 » Cette campagne pour la gamme de produits Haute Définition, antérieurement dédiés aux maquilleurs professionnels des plateaux de tournage ou des studios photo, met en scène quatre mannequins dont le visage n’a pas été retouché par un logiciel photo. Un huissier a confirmé qu’aucune retouche n’avait été effectuée sur les clichés. Les photos ont été prises dans une 2 http://www.pourtouteslesbeautes.com/dsef07/t5.aspx?id=8893 Date de consultation : mars 2011 3 http://hd-not-retouched.com Date de consultation : mars 2011 4

« Vous regardez la première publicité de maquillage non-retouchée. »


boîte de nuit et montrent les mannequins en train de se photographier elles-mêmes, habitude vraisembablement très tendance actuellement.

« Avec l’explosion des réseaux sociaux, le culte de l’image et le phénomène de partage de photos en haute définition sur Internet, la perfection au quotidien est vraiment un besoin des jeunes femmes d’aujourd’hui » explique Marie-Laure Dubuisson, Directrice Image chez Make Up Forever.

loi5 qui rend obligatoire la mention « apparence corporelle modifiée » pour les photographies publicitaires retouchées. Ce projet de loi, proposé par Valérie Boyer, sera essentiellement destiné à lutter contre l’anorexie, cette dérive qui témoigne à sa manière du problème qu’entretient notre société avec l’image que nous devons avoir pour être beau. Néanmoins, je pense qu’il est peu probable qu’une mention informative sur les publicités puisse avoir un effet sur cette pathologie, dès lors qu’on n’aura rien modifié aux codes esthétiques de la représentation, sans parler de toute l’économie qui dépend de ce mythe de la beauté idéale et qui la nourrit.

Le but n’est toutefois pas de prouver que les femmes sont plus belles au naturel, mais de démontrer qu’en utilisant les bons produits, il devient inutile de retravailler les clichés. Cette campagne démontre encore une fois que nous vivons dans un monde où la retouche, surtout celle de mode, est devenue quasiment systématique et est entrée dans les mœurs, à un tel point que la seule façon de s’en démarquer est de faire l’inverse. Cette campagne reflète à elle seule ce phénomène de société dans lequel nous vivons. Une société où nous sommes soumis au culte de la beauté, où nous nous prenons nous-mêmes en photo avec des appareils photo numériques de haute définition, et où nous les diffusons sur les réseaux de partage. Cette campagne est loin de dénoncer ou de banir cette nécessité d’être beau et de le montrer, mais au contraire propose des produits qui faciliteraient encore plus l’accès à cette esthétique. L’Assemblée nationale étudie actuellement un projet de 5 http://www.liberation.fr/vous/0101592719-mais-que-fait-la-peau-lisse


Le monde numérique, un monde parallèle ?

« Every lie creates a parallel world. The world in which it is true.1 » Momus

L’emploi des technologies numériques nouvelles a largement altéré notre rapport à l’image. Cette dernière était d’abord employée pour composer un fond, habiller ou illustrer un texte, mais peu à peu, elle s’est affichée en tant que telle, pour son graphisme et son esthétisme propres.

au centre d’un échange foisonnant entre professionnels, artistes, informaticiens, dispositifs techniques et public lambda. La manifestation des images réside désormais dans cette articulation d’une configuration technique et d’une occasion sociale ritualisée. Le couple d’artistes New Yorkais Anthony Aziz et Sammy Cucher réalise depuis le début des années 1990 des photographies retouchées par ordinateur dans lesquelles est questionné le devenir de l’homme dans le contexte d’une reconfiguration identitaire facilitée par les nouvelles technologies. La série DystopiaG nous confronte à des visages dont les orifices sensoriels et communicationnels tels que la bouche, le nez et les yeux ont été enveloppés d’une membrane charnelle à la fois protectrice, autistique et mortifère. Le nom de la série peut être traduit comme l’antonyme du mot utopie. Aziz et Cucher entendent donc reformuler un devenir de l’Homme qui se précipite vers un certain désenchantement, une déchéance pouvant mener à la perte totale d’humanité.

Mais plus encore, elle ressort transfigurée de cette confrontation à l’informatique. L’image est modifiée, manipulée, reproduite, dupliquée ... De plus, Internet place cette image

Ces artistes posent un regard critique sur certains progrès techniques en photographie, précisant que « la disparition de la vérité en photographie s’accompagne parallèlement d’une perte de confiance [...] Chaque image, chaque représentation est devenue aujourd’hui une imposture potentielle. »2 Ils ont créé des portraits photographiques déshumanisés en effaçant les yeux et la bouche de leur sujets par retouche numérique.

1

2

« Chaque mensonge crée un monde parallèle, un monde dans lequel il est vrai. »

Rush, Michael, Les nouveaux médias dans l’art, Paris, Éditions Thames and Hudson, 2000


L’artiste allemand Oliver Laric développe, quant à lui, une œuvre protéiforme faite de manipulations d’images prélevées sur le net, souvent transformées à l’aide de logiciels informatiques. Il considère la toile à la fois comme une vaste banque de données et un nouveau terrain d’exploration. Internet induit de nouvelles pratiques et offre de nouvelles possibilités que l’artiste tente de décrypter. Sa pratique artistique est faite d’emprunts, de références, de prolongements et de ruptures. Sa dernière œuvre VersionsH (2010) est une sorte d’essai visuel sur la manipulation de l’image, la réalité et le scepticisme de l’image, les questions d’autonomie et de récupération, de copie et de copyright, de pouvoir et de vérité. Au cours de la vidéo, une voix monocorde lance une phrase on ne peut plus claire : « Just about everything has been photoshopped. »3 Défilent alors des images de lancements de missiles en Iran, qui n’avaient été diffusées au monde qu’en 2008 et manipulées quelques temps après : au moins un des quatre missiles avaient été copié via Photoshop puis rajouté sur la photo. Par la suite, de nombreuses autres images manipulées avaient déferlé sur la toile. En 2009, Laric avait déjà utilisé une partie de ces images, dans une version précédente de Versions. Avant de les réutiliser, il les avait d’abord fait repeindre par une artiste aérographe puis scannées à nouveau. Ce dernier exemple prouve clairement que Versions se conçoit comme une mise à jour constante et un état bêta permanent. Des variations et permutations infinies d’images les ont remplacés, des

3

« À peu près tout a été retouché (à travers Photoshop). »

citations perpétuelles de citations et des réinterprétations sans fin d’interprétations. Depuis longtemps, les images ne représentent plus rien d’autre qu’elles-mêmes et qu’une suite infinie d’autres images. Elles deviennent des versions modifiées à l’infini d’elles-mêmes, à la fois réelles et irréelles comme toutes les autres. Les images se sont toujours référées à d’autres images. Il n’y a plus de différence substantielle entre les médias et l’espace, entre les images, les sculptures et les performances, entre les maquettes 3D et les photographies, ni entre le World Wide Web et le White Cube. Tout peut être traduit et des travaux semblables peuvent sans problème exister en plusieurs versions, sans qu’il n’y ait de différenciation dans leur valeur. Ils peuvent circuler à travers différents canaux. Par exemple, une même vidéo peut être visionnée gratuitement sur Internet ou être vendue en version limitée pour une grosse somme d’argent dans une galerie d’art, sans qu’il s’agisse de disparité conceptuelle. Le message de cette œuvre est un appel à une prise de conscience de cette culture de références et de copies infinies avec en arrière plan la structure organisationnelle d’Internet. Ces differents travaux nous démontrent que nous sommes dans une période où les concepts du réel et de l’authentique sont révolus. Il n’existe désormais plus un seul monde, mais des mondes différents qui co-habitent et où les notions de « réalité » sont divergentes. Car quand le contenu et la forme ne forment plus qu’un, ce qui compte c’est le médium du moment, avec sa singularité et ses règles de distribution spécifiques.



La « re-présentation »


La Beauté

C’est un vieux débat que celui de l’essence du beau. On s’interroge depuis longtemps sur les critères du beau et sur les règles qui permettraient de comprendre pourquoi nous tombons d’accord quand il s’agit de juger de la beauté et de laideur. Selon le sens commun, nous jugeons belle une chose bien proportionnée. Dès l’Antiquité, on a identifié la Beauté à la proportion — même s’il faut rappeler que, dans la définition commune de la Beauté, les mondes grec et latin unissaient toujours la proportion au charme des couleurs (et de la lumière). Quand, dans la Grèce Antique, les philosophes dits pré-socratiques (Thalès, Anaximandre et Anaximède — viie et vie siècles avant J.C) commencent à débattre du principe de toutes choses, ils entendent définir le monde comme un tout ordonné et gouverné par une seule loi. La Beauté proviendrait du cosmos. Ce sera Pythagore, avec son école, dès le vie siècle avant J.C, qui sera le premier à soutenir que le principe de toutes choses est le nombre. Avec Pythagore, naît une vision esthético-mathématique de l’univers: toutes les choses existent parce qu’elles sont ordonnées et elles sont ordonnées parce que en elles se réalisent des lois mathématiques, qui sont condition à la fois d’existence et de Beauté. La position de Platon donnera naissance aux deux conceptions majeures de la


Beauté élaborées au cours des siècles : la Beauté comme harmonie et proportion des parties (dérivée de Pythagore), et la Beauté comme splendeur, exposée dans le Phèdre, qui influencera la pensée néoplatonicienne.

et divine, et dont la connaissance n’appartient pas à l’homme ; et cependant il ne serait pas possible qu’aucune des choses qui sont et sont connues de nous, arrivassent à notre connaissance, si cette essence n’était que le fondement interne des principes dont le monde a été formé, c’est-à-dire des éléments finis et des éléments infinis. »2

« Car, comme c’est au plus beau des êtres intelligibles, c’est à dire à un être parfait entre tous, que le dieu a précisément souhaité le faire ressembler, il a façonné un vivant unique, visible, ayant à l’intérieur de lui tous les vivants qui lui sont apparentés par nature. [...] Or, de tous les liens, le plus beau, c’est celui qui impose à lui-même et aux éléments qu’il relie l’unité la plus complète, ce que, par nature, la proportion réalise de la façon la plus parfaite. »1

Héraclite proposera une solution différente : s’il existe dans l’univers des opposés, des réalités apparemment inconciliables, comme l’unité et la multiplicité, l’amour et la haine, la paix et la guerre, la calme et le mouvement, l’harmonie entre ces deux opposés ne se réalisera pas en annulant l’un d’eux, mais en les laissant vivre tous les deux en une tension continuelle. La Beauté de serait donc pas absence, mais équilibre de contraste. Ainsi naît l’idée d’un équilibre entre deux ou plusieurs entités opposées qui se neutralisent l’une l’autre, la polarité entre des aspects contradictoires ou différents qui deviennent harmonieux uniquement parce qu’ils s’opposent et qui, transposés sur le plan des rapports visuels, se font symétrie.

« Voici ce qu’il en est de la nature et de l’harmonie : L’essence des choses est une essence éternelle ; c’est une nature unique 1

Platon, Timée, Critias, Paris, Éditions Flammarion, 1992

2

Eco, Umberto, Histoire de la Beauté, Paris, Éditions Flammarion, 2004


Évolution

Les canons de beauté existent depuis l’aube des temps. Ils sont variables selon les civilisations, suivent l’évolution de la mode et sont dépendants de l’évolution des techniques. Je parlerai plus précisément de la femme, car je pense qu’elle est au cœur des représentations actuelles de notre société. De la Vénus de Boticelli, à Kate Moss aujourd’hui, un long chemin a été parcouru. Depuis toujours, les femmes tiennent une place importante dans le paysage des images, que ce soit dans la peinture, la sculpture, la presse ou la photographie. Ces femmes mises en image sont ainsi toutes ramenées à leur corps, corps esthétisé, qui correspond aux canons contemporains de beauté, de jeunesse, de santé ... Cette féminisation extrême de l’image témoigne non seulement d’une tradition masculine de mise en image de l’objet du désir, mais d’un moyen d‘identification de la part du public féminin, ce qui contribue à la reproduction des archétypes, reproduction accentuée par la répétition de cette mise en image. Aujourd’hui, la beauté s’apparente à un devoir culturel. Les hommes se trouvent également de plus en plus sur la scène esthétique. Les valeurs de la modernité mises en avant par la publicité, les médias, sont celles de la jeunesse, de la séduction, du visage lisse et parfait, d’un ventre plat, de jambes interminables. Le corps

est livré aux regards extérieurs, à des jugements. Nous sommes dans le culte du corps, la dictature de la beauté. Se développe aussi de plus en plus un marché de l’apparence, avec l’accès à une palette de soins, de produits, et d’interventions esthétiques fournis par la société de consommation permettant de nous rapprocher du modèle idéal. En présentant un idéal difficile à atteindre et à maintenir, on assure la croissance et la rentabilité de l’industrie des produits amincissants et des cures de jouvence. Chacun peut désormais s’inventer soi-même. L’artiste Orlan interroge le statut du corps et des pressions politiques, sociales et religieuses auquel il est soumis. Elle dénonce la violence faite au corps, et en particulier au corps des femmes afin de répondre à un certain code esthétique. Dans son travail La réincarnation de Sainte Orlan, elle entame une procédure d’hybridation, en mélangeant différents traits de figures célèbres de la peinture occidentale ( Vénus de Botticelli, Joconde de De Vinci, Diane, Psyché, Europa ... ) aux siens. Elle fait de son corps l’instrument principal de son art, et lui inflige maintes opérations chirurgicales. Elle incorpore littéralement dans sa chair des éléments de l’histoire de l’art, tandis qu’elle vient elle-même ajouter son propre corps à celui de l’art. À travers ces démonstrations, elle affiche à la fois sa position pour la liberté de disposer de soi et pour dénoncer cette dictature des canons de beauté assignés à la femme dans notre société. Elle déroge au nouveau narcissisme dominant, celui de l’éternelle jeunesse et de la beauté standard, qui associe chaque corps à l’identité profonde d’une personne. Confondre ainsi son visage et son corps avec ceux de l’art, assimiler matière artistique et matière vivante, brouiller les distinctions entre public et privé, intérieur et extérieur, ici et là, sont autant de processus par lesquels le visage et le corps perdent leur consistence réelle, quittent l’intimité subjective, passent à l’extérieur, et viennent se fondre dans l’immense hypercorps hybride et mondialisé de l’art. Orlan questionnera aussi les standards de beauté dans d’autres


civilisations et époques, en comparaison à ceux de l’occident. Elle passe du réel (les opérations-chirurgicales-performances) au virtuel à l’aide de l’image numérique, de la vidéo et du traitement informatique, et produit les Self-hybridations. Ces images proposent ainsi de nouveaux critères de beauté en dehors des normes actuelles. Le monde des médias contribue largement aux changements sociaux qui sont en cours. Nous sommes aussi dans l’ère de l’occidentalisation, y compris l’occidentalisation de la beauté. Il n’était pas choquant de voir quelqu’un se défriser les cheveux, mais qu’en est-il de quelqu’un qui s’éclaircit la peau, qui se débride les yeux, ou qui se rallonge les jambes ? Le photographe londonien, Zed Nelson1 pointe ce phénomène social et culturel à travers sa série de photo qui s’intitule Love meI. Cette série s’attaque à la beauté et à sa place dans notre société occidentale et met en évidence certaines de ses facettes et les chemins que plusieurs empruntent pour l’atteindre, afin de se faire accepter ou aimer. Les portraits proposés montrent tour à tour des gens beaux naturellement, des gens voulant être beaux, des gens qui les aident à devenir beaux, et les références auxquelles toutes ces personnes se réfèrent. Les clichés nous renvoient à l’objectif de cette superficialité de plus en plus présent et important dans notre société.

Je ne saurais dire si ce phénomène reflète un besoin, une recherche de reconnaissance ou de spectaculaire, ou si ce type d’images est tout simplement devenu la norme et que nous nous embellissons uniquement pour suivre le rythme, comme le dit Pascal Ory, dans sa théorie sur Le Corps :

« L’ordinaire du corps est soumis à l’influence général des sociétés. »3

Néanmoins, il est certain que notre société actuelle est soumise à un modèle de Beauté que proposent les magazines, le cinéma, la télévision, bref, les mass media. Ils suivent les idéaux de Beauté promus par la société de consommation.

La démocratisation de la photographie, la banalisation de la retouche numérique, et les nouveaux réseaux de diffusion abordés précedemment, témoignent et en même temps génèrent cette nouvelle pratique de l’image qui est de se photographier, de se retoucher, et de se montrer. Comme le souligne Cédric Biagini, « l’avènement du numérique et des canaux de diffusion haut débit ont démultiplié l’enregistrement de la vie et les exhibitions narcissiques .»2 1 2

Bright, Susan, Nelson, Zed, Love me, Rome, Éditions Contrasto, 1999 Biagini, Cédric, L’emprise des écrans, Paris, Éditions l’Échappée, 2007

3 Corbin, Alain, collectif, Histoire du corps, les mutations du regard. Le xxe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2006


Réification

Avec maintenant la vulgarisation des outils de retouche, le débat qui s’attache à décider la photographie représente ou non le réel serait presque obsolète. Si nous avons maintenant la possibilité de retoucher systématiquement nos photos, et avec une aisance absolue, qu’en est-il de ce que Walter Benjamin appelle l’aura de la photographie ?

« Ainsi se trouve fixé le prix de la beauté et de l’expérience moderne : la destruction de l’aura par la sensation du choc. »1

La culture occidentale a longtemps considéré le visage comme un destin, figé et immuable. Grâce à la chirurgie esthétique, à la cosmétique et au génie génétique, il peut être maintenant restructuré, rajeuni, voire remplacé. La photographie retouchée est-elle complice d’un tel système ? Les mondes de la publicité et de la mode ne nous offrent-ils pas l’image triomphante d’une jeunesse 1

éternelle ? Au même rythme que les scientifiques se dotent de technologies sophistiquées, les artistes procèdent à un renouvellement de la représentation. Les photographes ont développé une batterie de stratégies sur le plan subversif. Certains accentuent la matérialité du visage alors que d’autres, se moquant des notions d’identité et de vérité photographique, remplacent le réel par la cyber-réalité. Dans ses photographies, Valérie Belin2-J nous confronte à des portraits qui peuplent les magazines de papier glacé. A l’ère du corps formaté et du visage botoxé, elle pousse l’art de l’esthétique dans ses retranchements à travers des séries où les visages et les bustes capturés sur fond noir tiennent davantage des spectres ou des robots que des êtres humains. Elle prolonge son questionnement sur la morphologie et les codes de représentations. Les séries réalisées en couleur suite à une sélection des modèles sur catalogue d’agences de mannequins, placent le visiteur dans une situation de joueur. A lui revient le rôle de décrypter la supercherie du réel présent dans chaque visage à la beauté plastifiée. L’ambivalence du mot mannequin est ici exploitée à juste titre, puisque les identités lisses et impersonnelles cèdent leur place au mannequin de plastique, comme un aveu d’échec face au rôle de la représentation humaine. Chez Valérie Belin, l’être humain est tiraillé entre les réalités de la chair et les idéaux de beauté. Le spectateur passe de la fascination au malaise. Le doute plane : s’agit-il d’hommes ou de femmes ? De corps réels ou virtuels ? D’êtres organiques ou de sculptures ? Les recherches que mène l’artiste portent sur l’identité, la représentation, la beauté, la métamorphose. Sans artifice ni retouche, elle crée des figures issues apparemment d’un même moule, icônes d’un monde qui ressemble étrangement à celui dans lequel nous vivons.

Benjamin, Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductivité technique, Paris, Éditions Allia, 2003 2

Herschdorfer, Nathalie, Valérie Belin, Londres, Éditions Steidl Verlag, 2007


Comme le précise l’artiste : « À ces modèles, j’ai demandé d’avoir le buste face à la caméra, la tête légèrement de trois quarts, et de regarder droit devant eux, sans rien observer de particulier. Je les voulais proches d’un dessin en trois dimensions, irréels, comme les avatars que l’on choisit pour se représenter dans les mondes virtuels. Avec cette série, je m’éloigne d’un discours social dans lequel l’être appartient à un genre, une classe – culturiste, sosie, transsexuel, mannequin. »

le spectateur du coin de l’œil. Les fonds charbonneux des photographies semblent s’enfoncer, emportant avec eux le contour des visages parfaits saisis par l’artiste.

Les portraits d’enfants de la photographe allemande Loretta LuxK sont figés et intemporels et donnent l’image qu’on peut se faire des mannequins de cire. Il s’en dégage une mélancolie froide et inquiétante. Leur tête et leurs yeux semblent disproportionnés, leur teint blême, et leur corps sont posés dans des espaces inhabités. Nous ne pouvons rester indifférents face à ces portraits. La démarche de Loretta Lux est pleinement tributaire des nouveaux outils numériques, même si elle a une formation de peintre à la base. Elle mélange ainsi les différentes techniques en utilisant des paysages peints en guise de décor. Elle désamorce en quelques sortes cet indice de vérité avec l’utilisation de procédés numériques comme la retouche, mais aussi pour en souligner les limites. Les silhouettes des enfants sont découpées de façon trop nette pour se fondre naturellement dans leur environnement. Les éléments rapportés dans le décor ne provoquent que peu ou pas d’ombres. Ces imperfections de montage sont voulues, et contribuent à créer une atmosphère particulière où l’irréel le dispute à l’objectivité. Encore une fois, nous sommes sur une frontière entre réalité et fiction.

Cette frontière évoquée par Désirée Dolron se retrouve ainsi sous diverses formes, ne parvenant cependant pas à séparer le caractère vivant de l’inerte, comme le réel du fictionnel. C’est toujours entre ces deux états, ces deux mondes que Désirée Dolron invite le spectateur, lui donnant ainsi l’impression de décider du sort ou du statut de chaque être représenté.

La photographe néerlandaise Désirée Dolron fait appel aux nouvelles technologies de retouche d’images dans sa série XteriorsL. Les longues silhouettes brunes aux cheveux tressés, noués, lissés, se dressent alors les unes faces aux autres, systématiquement dépourvues de sourcils et à la peau de marbre blanc, dévisageant

« J’aime à me dire que les visages apparaissent comme l’image sur la pellicule, je m’inspire principalement des peintres de la tradition flamande et de la technique du sfumato pour créer cette absence de frontière entre le visage et l’arrière-plan. »

L’artiste contemporain allemand Thomas RuffM traite le portrait de manière documentaire et objective en reprenant les codes de la photographie d’identité. L’éclairage est diffus éliminant les ombres, le point de vue est frontal, la composition symétrique et centrale. Thomas Ruff parvient à faire de la figure humaine un module minimal, un objet à la surface lisse comme la photographie. Ces images ne livrent rien de plus que leur propre réalité, l’image d’une image. C’est dans l’Allemagne des années 1970 que sont nés ces portraits. Les services secrets surveillaient et arrêtaient les militants anti-nucléaires et les professeurs soupçonnés de propagande démissionnaient. Face à cette surveillance omniprésente, Thomas Ruff effectue une forme de résistance en réalisant ces portraits sans expression. Ruff affirme l’incapacité de la photographie à capturer le réel. En choisissant ses modèles parmi ses amis, il évacue toute trace de cette relation en réalisant des portraits anonymes. L’attitude du modèle est insignifiante et toute émotion y


est systématiquement gommée. Développées en grand format, les photographies suggèrent que le portrait photographique est incapable de représenter la vie intérieure et l’âme des modèles et que la technique est toujours une manipulation.

Du particulier à l’universel

Thomas Ruff ne cesse de s’interroger sur ce que peut véhiculer une image au-delà de la perception rétinienne, recourant de plus en plus souvent à l’image numérique collectée sur l’infinie banque de données d’images fournie par internet.

Les traits associés à la beauté sont ceux que l’on assimile souvent à un corps jeune, symétrique, lisse, droit, mince, grand. Reste à savoir si ces canons sont universels. Pour les historiens comme Georges Vigarello, « rien de plus culturel que la beauté physique. »1 La peinture fournit des preuves évidentes de la relativité des canons de beauté selon les époques. Les études anthropologiques démontrent différents critères de beauté selon les cultures, les sociétés et les époques (pieds bandés et atrophiés des chinoises, femmes mursi aux lèvres à plateau ...) Néanmoins, en dépit des différences nationales, des variations dans le temps et des explications qu’on en donne, tout le monde s’accorde au moins sur un point : certains standards de beauté transcendent désormais les frontières géographiques, les cultures, les milieux sociaux et les sexes. Le modèle occidental s’est en effet imposé jusqu’en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. S’imposent ses normes esthétiques, via la publicité, la télévision, le cinéma ou la presse. Des psychologues ont certifié, après de nombreuses expériences, qu’il existerait effectivement des critères de beauté universels. La

1

Vigarello, Georges, Années folles, le corps métamorphosé , Sciences Humaines numéro spécial, n° 4, nov.-déc. 2005


méthode la plus courante durant ces expériences consiste à proposer à des personnes de comparer deux portraits pour choisir le plus attirant. Il est même possible de modifier les paramètres d’un visage par ordinateur pour voir comment telle ou telle modification opère. Plus ou moins rond, plus ou moins jeune …, à ce jeu, des constantes se dégagent nettement. Tout d’abord, il apparaît que les traits néoténiques d’un visage (petit nez et grand yeux) sont plus attractifs que d’autres. La globalité des personnes préfèrerait en général les visages sans bajoues et aux pommettes saillantes. Une autre caractéristique est la symétrie. Un visage globalement symétrique est jugé plus beau. Ce critère serait régulièrement utilisé pour la sélection des mannequins dans les agences. Enfin, la forme moyenne de l’ovale fait référence en matière de beauté. Un visage normal n’est ni rond ni carré. Ainsi, selon le professeur de l’Université du Texas, Judith Langlois2, les visages se rapprochant le plus de la moyenne étaient jugés plus attirants que ceux ayant des particularités physiques marquées :

résultat sera édifiant. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, un individu « parfaitement moyen » n’est donc pas banal et sans charme. Au contraire, il paraîtra étrangement parfait et beau. Comme quoi les canons de la beauté respectent la loi de Gauss4 et les plus grandes beautés ne sont jamais que des personnes littéralement moyennes.

« [...] composite faces were judged as more attractive than almost all the individual faces comprising the composites. A strong linear trend also revealed that the composite faces became more attractive as more faces were entered. »3

Donc, si nous prenons deux photos représentant deux personnes différentes du même sexe, que nous réalisons une synthèse d’images de manière à obtenir une troisième photo et que nous faisions évaluer les trois photos, la troisième sera préférée aux deux premières. Plus le nombre de photos est grand au départ, plus le 2 3

Langrois, Judith, Roggman, Lori, Attractve faces are only average, Austin, Psychological science research article, 1990 « [...] les visages composites sont jugés plus attirants que la quasi-totalité de tous les visages particuliers qui constituent les composites. Une forte tendance linéaire a également révélé que plus des visages étaient insérés, plus les visages composites devenaient attirants. »

4

Selon le mathématicien allemand, Carl Friedrich Gauss, dans une population donnée (les salariés d’une entreprise, des haricots dans un sac, etc.), si on classe les individus selon une caractéristique (leur taille, leur poids, leur QI, leur niveau de compétence), on s’aperçoit que, plus on s’approche de la moyenne sur le critère considéré, et plus il y a d’individus. Plus on s’en éloigne, et moins il y en a. Aux deux extrémités, il n’y a presque personne. La représentation graphique de cette réalité s’appelle une courbe de Gauss et prend la forme d’une cloche. La courbe de Gauss est appliquée pour représenter la réalité d’un marché. Sur le marché de la chaussure, les clientes qui chaussent du 35 ou du 43 vont, par exemple, se retrouver placées en dehors de la cloche, à chacune des extrémités de la courbe.


Conclusion

«  Ma proposition est qu’aujourd’hui le monde entier s’archipélise et se créolise. »1

Ce travail de recherche plastique et théorique m’a permis d’approcher les éléments fondamentaux d’une grande mutation contemporaine — celle du numérique — dans sa capacité à abolir les différences, à augmenter d’une manière infinie les occurences et les possibilités, et m’a invité à poursuivre cette recherche précisément autour de la question du métissage dans l’espace de la communication et du graphisme. La démocratisation de l’outil photographique et des outils de retouche a conduit inexorablement à une banalisation d’image numériquement modifiée dans le but d’approcher la beauté idéale. Et si cette beauté idéale, considérée comme inaccessible, inatteignable, rarissime, était tout simplement le standard, l’ordinaire, 1

Glissant, Édouard, Traité du Tout-Monde, Paris, Éditions Gallimard, 1997

le neutre, le non particulier ? L’idée que la moyenne puisse être une forme de perfection, en gommant les aspérités de chacun me semble une idée intéressante. Une beauté universelle ne pourraitelle pas découler de la diversité des individus ? Et si l’on accepte que cette beauté est issue d’une moyenne d’individus, un « métissage global » conduirait-il à ce résultat ?


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Notes iconographiques A. Lénine s’adressant à la foule, 1920 B. Site Internet Flickr (www.flickr.com) C. Interface du logiciel Picnik (www.picnik.com) D. Site Internet Lovely-faces (lovely-faces.com) E. Publicité Dove Real Beauty, 2006 F. Publicité Make-Up Forever, 2011 G. Aziz & Cucher, Dystopia, 1994 H. Oliver Laric, Versions, 2010 I. Zed Nelson, Love me, 2009 J. Valérie Belin, Untitled, 2003 K. Loretta Lux, The Drummer, 2004 L. Désirée Dolron, Xteriors, 2001-2008 M. Thomas Ruff, Portraits, 1980-1990


Julie CHU SIN CHUNG DNSEP 2011 — option Communication École Régionale des Beaux-Arts de Besançon Texte composé en Parisine et en Angie de Jean-François Porchez


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