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JUST, DO IT Caroline Garnier Mémoire réalisé pour l’obtenion du D.N.S.E.P. Design grade Master École Supérieure des Beaux-arts d’Angers - Esba- TALM Novembre 2013
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IntroductIon
résIster/ BrIcoler Do it Résistance, pauvreté, subsistance et création Le plaisir de bricoler « Allons bricoler » L’outil autonomie créatrice
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démocratIsatIon/ VulgarIsatIon des compétences Une culture amateur libérée de l’idéologie du professionnalisme AOL Dial Up Sound La production / la reproduction L’Open Source Révolution et les sites de partage La sublimation de l’amateur Professionnels VS amateurs
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la montée en puIssance des amateurs FabLabs des espaces de productions Le mouvement « Makers » une révolution en marche ? L’imprimante 3D et ses fantasmes ? Toujours vers un culte de la machine?
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conclusIon
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Iconographie Glossaire Bibliographie
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Introduction
Une école d’art est un lieu de formaion où se mêlent des praiques muliples. Aujourd’hui, ces formaions arisiques tournent autour de la praique des arts plasiques et graphiques, de l’architecture d’intérieure, des méiers d’art, de la mode et du design. Ce lieu dispense un enseignement supérieur dont les diplômes naionaux, agréés par l’état, sont reconnus par les diférentes instances académiques et professionnelles. Une école d’art est selon moi un lieu d’échange, un lieu propice à la rélexion, un lieu où il s’agit avant tout de développer une praique personnelle. Au cours de mes années, j’ai dû faire face à des remises en quesion et j’ai appris à appréhender le monde qui m’entoure sous un nouvel angle. Dans une école de design (comme dans toute école du reste), on se demande de quoi doivent être consitués les enseignements, comment les pondérer, les ariculer, et, ici, comment organiser les trois composantes d’un modèle ternaire contemporain. Mais il y a une autre façon d’aborder l’enseignement du design qui pourrait s’avérer plus fructueuse. Plutôt que de construire un corpus ne faut-il pas plutôt metre en place une démarche, pour chaque élève,
Sans cesse, je cherche, j’expérimente, je « bricole », je m’iniie à de nouvelles praiques, mais souvent à itre personnel et en qualité d’amateur. Suis-je un designer ? un bricoleur ? Ou les deux ? Lévi-Strauss nous dit que l’art s’insère à mi-chemin entre la connaissance scieniique et la pensée mysique ou magique ; car tout le monde sait que l’ariste ient à la fois du savant et du bricoleur : avec des moyens arisanaux, il confecionne un objet matériel qui est en même temps objet de connaissance.2 L’ariste serait savant et bricoleur. Le bricolage3 regroupe les occupaions exercées hors du cadre professionnel en tant qu’amateur et liées à la créaion, l’amélioraion, la réparaion et l’entreien de toutes choses matérielles.4 « Ce tour d’esprit se révèle par l’apitude aux jeux, la débrouillardise, l’apitude à se irer de diicultés complexes ou à irer pari de moyens de fortune, l’apitude à établir des plans, parfois le goût de fabriquer, de réaménager, le goût du bricolage »5. D’un fait esseniel et lié à la pauvreté et à l’obligaion de se débrouiller en début du siècle dernier, il est passé aujourd’hui à une sorte de loisir, c’est le fameux « bricoleur du dimanche ». Le bricolage répond à des besoins uilitaires et nécessaires : il répare, dépanne, il est avant tout une acivité manuelle6, le bricoleur reste celui qui oeuvre de ses mains, en uilisant des moyens détournés.7 Le bricoleur est touche-à-tout, selon Philippe Jarreau historien « il zigue zague d’acivités en
une démarche singulière qui serait inalisée ? Elles s’appuieraient sur des foncions fondamentales pour éveiller les possibilités latentes, les potenialités comme : penser, chercher, ressenir, vouloir.1
Etant étudiante en design, je me revendique comme une autodidacte et de ce fait, je m’interroge sur ma formaion de designer ou d’ariste.
Bernard Stiegler, Le design de nos existences à l’époque de l’innovation ascendante, Paris, Mille et une nuits, 2008, p.69
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Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage [1962], Paris, Plon, Presses Pocket, 1985, p.37 3 Avec quelque 70.000 emplois et un chiffre d’affaires de 24 milliards d’euros, le secteur du bricolage est un poids lourd de l’économie française, un récent sondage Ifop (Fédération des magasins de bricolage, Fmb) conirme que cette tendance au « faire soi-même » perdure malgré la crise, mais que la demande des bricoleurs ne cesse d’évoluer. 4 Dictionnaire Larousse 5 http://www.cnrtl.fr/deinition/ Mounier, Traité du caractère, 1946, p. 640 6 http://fr.wikipedia.org/wiki/Bricolage.(Consulté le 2/02/2013) 7 Claude Lévi-Strauss, op.cit. p.30 2
techniques, de procédés en savoir-faire. Le bricoleur veut comprendre : j’aime bricoler s’il y a quelque chose à comprendre … . L’apprenissage du savoir-faire décompose les acivités du bricolage de telle sorte qu’il y a les tâches nobles et les tâches viles qui déterminent les hiérarchies de presige correspondant au degré de maîtrise technique. La tâche comportera du plaisir dès qu’elle exigera des compétences, un savoir-faire, un doigté ». 8 Comme le dit C.Levi-Strauss, le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversiiées, mais, à la diférence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtenion de maières premières et d’ouils conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec « les moyens du bord », c’est-àdire un ensemble à chaque instant ini d’ouils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composiion de l’ensemble n’est pas nécessairement en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet pariculier, mais est le résultat coningent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de construcions et de destrucions antérieures.9 Anthropologiquement, le bricolage implique une part de détournement, il permet d’assigner aux choses d’autres foncions. A travers le bricolage il y a la pensée du « faire avec », « faire en foncion de », le bricoleur, doit « s’arranger avec les moyens du bord ». Les démarches du bricoleur possèdent certains points communs avec celles du designer. La créaivité, la présence d’esprit, la capacité à cerner le problème et à trouver des soluions. Le bricoleur produit de nouveaux signes, il réinvente des procédés, mais peut-il court-circuiter les ilières de la producion industrielle ? Le veut-il ?
Philippe Jarreau, Du Bricolage : archéologie de la maison, Paris, Centre Georges-Pompidou, C.C.I, 1985, p.124 9 Claude Lévi-Strauss, op.cit. p.31 8
L’internet de masse du début du XXIe siècle a permis aux amateurs d’occuper le devant de la scène, le web contemporain est devenu le royaume des amateurs. Internet est devenu un temple voué au culte de l’amateurisme. Wikipédia et les autres sites de références aux contenus générés par l’uilisateur sont en train de supplanter les dicionnaires oiciels et les grandes encyclopédies. Le professionnel cède désormais le pas à l’amateur. Internet est un ouil propice à une transformaion de l’équilibre entre les producteurs et les consommateurs, c’est-à-dire à une redéiniion des techniques de suggesion du markeing et à l’autorité des experts. Issu des travaux de plusieurs auteurs, un nouveau type de producion économique et de paricipaion sociale se met en place, impliquant de prendre part sous des formes variables et hétérogènes à la producion.10 Nous entrons dans une société où chacun peut accéder aux savoirs qu’il recherche et les metre en praique. Aujourd’hui, grâce à l’intelligence collecive fournie par le réseau, un simple amateur peut mobiliser des connaissances ideniques à celle de l’expert. Selon Patrice Flichy, professeur de sociologie, « l’amateur se ient à mi-chemin de l’homme ordinaire et du professionnel, entre le profane et le virtuose, l’ignorant et le savant, le citoyen et l’homme poliique ». La montée en puissance des amateurs s’inscrit aussi dans un mouvement de difusion et d’élargissement des compétences et des savoirs. L’amateur se disingue de l’individu ordinaire par l’efort d’apprenissage et de formaion qu’il réalise. L’experise qu’il accumule est essenielle dans son atachement à telle ou telle praique ; elle est aussi un élément crucial de sa construcion idenitaire.11 La démocraisaion des ouils de producion va-t-elle déclencher une nouvelle révoluion (industrielle) ? Aux quatre coins du monde, un
Bernard Stiegler, op.cit. p.91 11 Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur, Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, Paris, Seuil, La république des idées, 2010, p.11 10
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mouvement est en train d’émerger, celui des Makers. Le bricolage, l’amateurisme procurerait un épanouissement personnel, la saisfacion de faire par soi-même. Par le biais des nouvelles technologies, l’acte manuel s’amenuise pour laisser une part toujours plus grande à la machine, à l’automaisaion, dans tous les aspects de notre vie. Le bricoleur peut être apte à tout faire, moimême je bricole, mais qu’est-ce que bricoler ? Le bricolage peut-il être source de créaion ? Que procure-t-il ? L’amateur avec l’ère numérique a accès à toutes les données possibles, il peut dès lors concurrencer le système. Sa voiture est cassée, il la réparera sans l’aide de professionnel, mais avec l’aide de la communauté. La igure de l’amateur prend une place de plus en plus importante dans notre société, mais qu’est-ce qu’un amateur ? Les amateurs deviennent-ils des spécialistes ? L’amateur peut-il efacer la igure du designer ? Sommes-nous tous créateurs ? Cete société des amateurs ouverte à tous les savoirs, débouche-t-elle sur des acivités et des œuvres de qualités ? Des amateurs de copier-coller ?
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Dans mes études, pour metre en œuvre mes idées, mes projets, je suis souvent appelée à bricoler, à bidouiller, à « faire face », à me débrouiller, à faire « avec », « faire avec les moyens du bord » on parle de Do it yourself (DIY) « le faire-soi-même » mais quelle est cete appellaion ? Et d’où ire-t-elle son origine ? Qu’est-ce que le bricolage inalement ? DiY Culture’s a combinaison of inspring acion, narcissim, youthful arrogance, principle, ahistoricism, idealism, indulgence, creaivity, plagiarism, as well as the rejecion and embracing alike of technological innovaion. There is now quite a lot of wriing about it that says ‘We are new, we are diferent, we are great, cheeky, acive’ ; there’s surprisingly lite wriing, especially from within, that starts ‘Are we ? Is this new ? 12
Le Do it yourself émerge en réacion à l’aliénaion de l’individu, à la dépossession des savoir-faire qui nous ont rendus progressivement dépendant de la société de consommaion. L’émergence de l’appellaion DIY est en parie liée au mouvement punk. Pour ce mouvement, la philosophie DIY est liée à une vision ani-conformiste, ani-consumériste ; le punk manifeste son rejet pour la société, il rejete la nécessité d’acheter des objets ou d’uiliser des systèmes ou des procédés existants. La musique punk était considérée comme une alternaive à l’industrie de la musique et a fourni quelque chose de nouveau et de libérateur grâce à son indépendance et à son approche Do
12 George McKay, Diy Culture: Party & Protest in Nineties Britain, London & New York, Edition George McKay, Verso Books, 1998, introduction
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it yourself. Celui-ci ne se traduit pas par le « faisle toi-même » mais par « fais-le avec toi » car le sujet réléchit par lui-même. L’individu prend conscience de sa capacité à agir, il prend concrètement les choses en main. C’est dans les années 1970 que ce mouvement contestataire apparaît, il est le commencement d’une révolte où les individus se rebellent contre les valeurs établies. Cete émancipaion conduit à l’expérimentaion d’alternaives économiques et sociales face au système dominant. De nombreux groupes vont émerger tels que The Clash, The Damned, The Buzzcocks, etc. Des labels de musique indépendants vont voir le jour. Ce mouvement développe l’apprenissage par l’expérience et remet en cause le système éducaif. Ainsi, il déploie de nouvelles formes de transmission. Des squats se développent à Londres, principalement dans le quarier de Noing Hill. Près de Portobello (à Londres), des centaines de jeunes vont se rassembler, exprimer leur musique et organiser des concerts dans des peites salles, ou dans leur garage. Ils établissent des réseaux parallèles. La musique punk est une musique qui reste très accessible, n’importe qui peut s’improviser musicien, à noter que dans le groupe des Sex Pistols, aucun d’eux ne savait jouer d’un instrument au préalable. Au Royaume-Uni, le mouvement donne naissance à une nouvelle énergie, synonyme d’une liberté de créaion maximum qui s’exprimera à travers la musique, les fanzines qui privilégient l’expression brute et spontanée. Pour Chris Wheelchair, éditeur de fanzines, depuis les années 1930, les fanzines ont fait parie intégrante de la créaion d’un réseau de communicaions en plein essor de la culture underground. L’aspect esthéique des fanzines de 1970 (textes grifonnés à la main, dactylographiés, letres découpées) a eu un impact sur le style visuel des fanzines ; l’esthéique visuelle du mouvement naissant était atachée au noir et blanc (les photocopies couleurs étant trop chères). L’écrivain américain et universitaire Stephen Duncombe décrit un fanzine comme étant « une publicaion
au design chaoique » où le producteur privilégie le Do it yourself « faîtes votre culture et cesser de consommer ce qui est fait pour vous ». Pour Duncombe, les fanzines ne représentent pas seulement une « créaion partagée » ; c’est aussi une « nouvelle forme de communicaion ».13 Une pléthore de fanzines vont émerger au cours de la première vague punk en Grande-Bretagne (1976 - 1979). Au Royaume-Uni, il y aura Sniin’Glue, aux États-Unis les plus connus seront Maximumrocknroll et Flipside. Il s’agissait d’une période culturelle substanielle, sociale et poliique, le punk réagit autant contre le « moderne » qu’à la culture hippie. Selon l’historien et écrivain Roger Sabin « Même si le mouvement punk n’avait pas de programme déini, il était reconnu parmi les classes ouvrières, les poliiques, et les anarchistes, il y avait dans ce mouvement un enthousiasme, une spontanéité ». 14 Les Sex Pistols et leur single Anarchy in the UK sori en 1976 résume la posiion radicale du punk au Royaume-Uni : c’est une airmaion de l’autonomie et de l’indépendance ulime, du Do it yourself, de la résistance. Stéphane Duncombe, suggère qu’à travers le processus de résistance, nous sommes libérés des « limites et des contraintes de la dominante culture. À son tour, la « résistance culturelle » nous permet d’ « expérimenter de nouvelles façons de voir et d’être, de développer des ouils et des ressources pour la résistance ». 15 Le mouvement punk relète une acion collecive qui résulte d’une dynamique paricipaive, réduisant l’écart entre acteur, spectateur, consommateur et producteur par le rôle de chacun dans la communauté. In the eighies, a lot of people who were hacked of with the way we were living, or were just plain bored, got of their arsres and did something about it… DiY culture was born when people got together and realized that the only way for-
Teal Triggs, Scissors and Glue: Punk Fanzines and the Creation of a DIY Aesthetic, Journal of Design History Vol. 19 No. 1 14 Teal Triggs, ibid. 15 Teal Triggs, ibid.
ward was to do things for themselves… Ingenuity and imaginaion are the key ingredients… Free paries, squat culture, the traveller movement and later Acid House paries pay testament to the energy and vision of people who decides it was now ime to take their desines into their own hands. 16 Cosmo, DiY acivist
Mais le DIY, c’est aussi selon Paul Atkinson, designer industriel, une manifestaion moderne des Arts and Crat, quand l’individu prend sur luimême pour créer quelque chose, une parie de l’individu s’exprime d’une manière personnelle. Les Arts and Crat, est un mouvement esthéique de la seconde moiié du XIXe siècle, né en Angleterre, (premier état capitaliste). Il fut fondé, entre autres, par John Ruskin, et William Morris. Dans l’Angleterre victorienne, la pensée capitaliste de Karl Marx se propage, le monde s’industrialise. La révoluion industrielle transforme l’ouvrier en prolétaire, une main-d’œuvre non qualiiée, déconnectée de son objet. John Ruskin et plus pariculièrement, William Morris opèrent alors une pensée réformiste radicale de l’architecture anglaise et des aménagements intérieurs. Selon eux, c’est par le biais des arts décoraifs que la société va pouvoir améliorer la vie quoidienne et domesique des classes défavorisées. Ce mouvement prône l’idée selon laquelle tout édiice ou objet devrait être créé avec plaisir pour avoir de la valeur, l’objet physique raconte l’histoire de son créateur et est marqué par son empreinte. Selon P. Atkinson, le DIY est coninuellement renouvelé grâce à une culture de créaion personnelle, celle-ci peut être divisée en quatre types: premièrement le bricolage est avant tout une nécessité économique, l’individu doit subvenir à ses besoins, cete posiion s’organise historiquement au XXe siècle à la in de la Première Guerre Mondiale. Le DIY est alors encouragé principalement par la propagande épousant parcimonie et économie de la maison. En second lieu, le bricolage devient un style de vie, plus
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couramment appelé Lifestyle (c’est celui du loisir, de l’aménagement intérieur). Puis il s’inscrit dans une demande de réacion, le bricolage est une manière d’agir, de réagir au monde, le mouvement punk est en cela réacif, il donne naissance à de nouveaux idéaux et agit comme un mouvement de révolte contre la société. Enin le bricolage, quatrième point, est une acivité proacive car l’individu par le biais du bricolage prend en main ses responsabilités, il agit de lui-même. Néanmoins, le bricolage Lifestyle n’est pas fondé sur une nécessité, mais il est né de « l’ostensible consommaion » c’est celui que l’on nous vend, celui qui nous pousse à consommer et à produire du superlu. Les slogans comme « C’est bon de changer », tels que le proposent les magasins traduisent surtout « Allez-y consommer ! ». Le bricoleur planiiera son « projet » comme nous le font croire les magasins de bricolage. Le mot « projet » est constamment uilisé dans les catalogues et les publicités des chaines de grande distribuion de matériel de bricolage. Il se procurera par achat, les bons ouils et les matériaux appropriés. Ce bricoleur ne fait pas avec les moyens du bord mais se renseigne suisamment pour metre à son bord les moyens adéquats selon son budget dans l’objecif de réussir son « projet ». Ce bricolage-là est un loisir, qui appâte le consommateur et lui fait croire à une acivité de créaion. Le bricolage Lifestyle ateint son apogée dans les années 1990 et poursuit sa propagaion, encore aujourd’hui. Les magazines de bricolage, de décoraion n’ont jamais été aussi nombreux, les programmes de télévision prônent « la constante rénovaion des intérieurs et des jardins ». En France, le bricolage est le premier poste d’équipement des Français, selon les chifres de la Fédéraion des magasins de bricolage et de l’aménagement de la maison : en 2011, ils y consacraient en moyenne 1.058 euros par an et par famille. Le marché représente 24 milliards d’euros et 70.000 emplois.17 Avec l’appari-
17 http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/services/ distribution/221170081/--laissze-magasins-bricolage-ouvrir-dimanche
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ion du bricolage Lifestyle, les fabricants ont vu là une nouvelle manne inancière en créant des « kits » pour cete nouvelle espèce d’arisans. Dès 1953, la célèbre irme suédoise jaune et bleu en fait même son atout majeur. IKEA, propose des meubles en kit, à monter soi-même. Il s’agit d’un véritable produit industriel conçu ain de minimiser les coûts de main-d’œuvre, et d’opimiser l’ouil de producion et l’emballage. IKEA n’est pas le seul à proposer le « à monter soi-même ». En 1994, Phillipe Starck commercialise via les 3 Suisses, une maison : un cofret contenant des plans, une cassete VHS… au prix de 4900 francs, à l’époque. On vous vendait un concept, c’était à vous de construire votre maison. Ce projet fut un véritable lop, seulement deux maisons furent construites (et quelques unes à des collecionneurs de design, qui n’avait pas le moindre projet construcif de cet ordre). Cependant, on peut relever ici l’idée de la part du designer de faire pariciper le consommateur ain que celui-ci puisse recouvrir une certaine part d’indépendance, d’autonomie. Nous reiendrons donc surtout, ici, deux types de bricolage : le premier étant le bricolage Lifestyle, qui émerge dans les années 1950. Ce bricolage est alors considéré comme un mode de vie, c’est un loisir associé au temps libre, avec les congés payés toujours plus long, le temps libre se démocraise, une parie de la classe ouvrière va populariser la praique du bricolage. La décoraion des intérieurs populaires, l’accumulaion d’objets hétéroclites sont le relet des créaions personnelles et bricolées. Le bricolage semble être un moyen d’occuper ce temps libre nouvellement acquis par l’ouvrier. Le bricolage devient l’instrument par lequel l’ouvrier peut embellir sa vie, améliorer son univers quoidien, échapper à la rouine. Les individus sont toujours prêts à se précipiter dans les innombrables grands magasins de bricolage, culture du temps libre, d’un temps toujours plus long, qu’il faut bien occu-
(consulté le 20/04/13)
per des mains oisives de l’homme. Aujourd’hui, ce bricolage est un hobby « chic » desiné à des passionnés. Il est provoqué, planiié le dimanche, c’est un loisir cadré, diverissant et propre, où chacun doit faire la preuve de sa dextérité, de sa capacité d’entreprendre. Le bricolage doit faire vendre et cher. Le second type de bricolage que nous reiendrons est celui de la nécessité quoidienne, celui de la résistance, qui est un moyen de luter au jour le jour, de résister aux problèmes de l’existence. Ce bricolage peut-il être source de créaion ?
résistance, pauvreté, subsistance et création
Comme nous allons le voir et le considérer ici, le bricolage est avant tout une nécessité, le bricolage est un acte de résistance. Le Oxford English Dicionary déinit la « résistance » comme l’acte de « résister, un refus d’obtempérer », par exemple qui pourrait être déini comme étant
une forme de résistance à l’autorité. Beaucoup d’êtres humains se débrouillent, malgré les soucis de l’existence, et même dans des condiions de précarité radicale, certains consacrent une part de leur vie à produire des choses plus ou moins uiles à leur condiion, le bricolage crée le plus souvent du superlu, néanmoins il peut être ingénieux et améliorer la vie de certains. La survie même de l’homme est souvent appuyée sur la capacité à réparer et à réuiliser des ouils et des matériaux. Les sociétés modernes s’opposent au principe de l’autonomie de la producion. Car le consommateur ne peut pas se déparir de la société de consommaion, sans cesse matraqué par la pub, la pression sociale. Néanmoins, les individus dans le monde coninuent de créer et de modiier des objets de leurs propres mains. La pauvreté, le dénuement le plus total donnent naissance à des formes de producions alternaives. La réparaion, la re-foncionnalisaion, la réinvenion traduisent l’ingéniosité de son constructeur et uilisateur. En Inde, le génie bricoleur se nomme Jugaad et désigne la façon dont les individus surmontent les diicultés en improvisant des soluions eicaces avec des ressources limitées. Le bricolage est à la merci des aléas, les aléas sont alors soit externes par les contraintes et les adversités du monde extérieur, ou internes, sous la forme de l’idiosyncrasie du créateur. Ce qu’illustrent bien les trois cas que nous allons étudier maintenant. Notre premier cas se situe à Cuba auprès de la populaion, le second se situe dans un lieu clos, l’enfermement, la prison. Puis pour inir, nous étudierons un projet dans le champ de l’art et du design à travers les Global Tools. Cuba, paradis des uns, enfer des autres. Derrière l’image de carte postale tourisique, Cuba est un bon exemple d’improvisaion de soluions faites avec des ressources limitées. L’île confrontée à une grave crise, née de l’efondrement de l’Union soviéique, a produit une mentalité, un être social
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selon Ernesto Oroza, designer et ariste cubain. Avec ce qu’il appelle le « modulor moral », un individu, une famille réduis au niveau zéro de pauvreté aurait la possibilité d’une réinvenion morale. Leurs acions se passeraient alors sur un seuil ou une fréquence morale où les vieilles valeurs historiques et esthéiques ne sont pas visibles tout comme le statut social, les normes urbaines, les codes de comportement citoyen en général. L’individu inscrirait cete libéraion dans ses espaces et ses objets, qui acquièrent une dimension morale inédite. Dès lors, Oroza introduit la noion de Maison Potenielle, la maison considérée comme une enité inie n’existe plus, elle évolue, elle annonce des futures métamorphoses, des escaliers qui ne mènent nulle part pour le moment, des murs qui zigzaguent et se répandent un peu partout. Les Cubains ont créé un espace producif parallèle, ils ont construit des machines dans leurs maisons, des ateliers, des ouils. Certains objets sont indispensables, d’où la nécessité permanente de réinventer les objets du quoidien. « Si le produit est cassé, le Cubain le réparera. Si cela lui sert pour réparer un autre produit, il le prendra aussi, tout ou parie, cela lui est indifférent »18. Le Cubain accumule beaucoup d’objets pour pouvoir prévoir et afronter les crises. Il accumule aussi tout le savoir technologique, les soluions d’assemblages que les produits portent en eux. Ici « Faire avec les moyens du bord » témoigne de l’intelligence dont certains hommes font preuve ain de s’afranchir ou de résoudre une situaion complexe. Ils sont dans un objecif de survie, dans la quête d’une forme d’indépendance. Ils veulent reprendre le dessus sur les éléments. Les réinvenions de Cuba sont nombreuses, la réparaion, est la praique la plus répandue à l’échelle familiale. Elle se projete comme une stratégie gouvernementale pour faire face aux besoins de la populaion.
La réparaion peut être déinie comme le processus par lequel nous rendons à un objet, en totalité ou en parie, les caractérisiques techniques, structurelles, d’usage, de foncionnement ou d’apparence, que cet objet a pariellement ou complètement perdues. Réparer est une façon de reconnaître, de resituer et dans une certaine mesure, de légiimer les qualités des objets. Le poteniel de la réparaion résiderait dans la possible concepion ouverte du produit contemporain, en démocraisant sa technologie, en favorisant sa longévité et sa versailité.
Le bricolage est en contact direct avec le quoidien, avec les incidents et les accidents qui peuvent détériorer les objets de la vie courante, auxquels le bricoleur doit rendre l’usage et la foncion iniiale.20 Car si l’on bricole, c’est pour conserver un objet le plus longtemps possible ou pour se procurer un objet. La réinvenion, quant à elle, permet de créer un objet nouveau en se servant de paries ou de systèmes d’objets démontés. La réinvenion donne une nouvelle dimension à quelque chose qui existe déjà. L’individu tente d’ateindre un objecif, peu lui importe comment et avec quoi. Les réinvenions ne montrent pas seulement un produit qui correspond à un besoin, mais elles conservent l’ensemble des gestes manuels, conceptuels et économiques que l’opérateur-créateur y a déposé. Notre second cas s’aricule autour de l’univers carcéral. Dans ce lieu la pauvreté, c’est l’absence de moyens de procuraions. De juillet 2000 à décembre 2001, Catherine Réchard photographe, réalise un travail photographique dans divers établissements pénitenciers. Les prisonniers y développent un réseau parallèle fait de trucs, de trouvailles et de combines. Les matériaux et les objets disponibles sont détournés de leur foncion iniiale pour remplacer ceux qui font défaut. Ils s’eforcent de maîtriser l’espace
Ernesto Oroza., ibid. p.28 20 Marielle Magliozzi, Un art du bricolage - Art Brut, Architectures Marginales , Orléans, L’Écarlate, 2008 , pp. 324 19
Ernesto Oroza, Rikimbili, Publications de l’Université de Saint-Etienne Broché, 2009, p.21
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et le temps en bricolant le quoidien. L’enfermement et le manque donnent naissance à des objets propres à la prison, ces objets deviennent des actes de revendicaion sociale. Dans ce milieu hosile et marqué par une pénurie généralisée, tout est récupéré, chaque emballage désossé, décoriqué, opimisé. On récupère des cagetes de fruits, les pics de brochetes, les emballages de toutes sortes : boîtes de conserve, canetes et boîtes de Ricoré. La boîte de Ricoré est un objet mythique dans l’univers carcéral, c’est un exemple frappant de ce principe de récupéraion (cendrier / boîte de Ricoré). Bricoler c’est metre en œuvre des moyens de rechange ain de récupérer ou de réaliser quelque chose d’uile. Enin dans le champ arisique et du design, à Milan de 1974 à 1976 21, Global Tools avait pour projet de faire des recherches dans diférentes villes pour étudier certains aspects inexplorés des ressources humaines et créatrices locales. Riccardo Dalisi, architecte et designer mena plusieurs expériences avec des enfants dans un quarier pauvre de Naples. Celles-ci consistaient à représenter la créaivité des enfants, celles-ci permirent d’obtenir des structures de « technologie pauvre ». Ces créaions conirmaient les théories sur le poteniel créateur du public. Ses recherches s’appuyaient sur ce qu’il appelait une théorie de la « technologie pauvre ». Il pensait qu’on pouvait uiliser la technologie en faisant i temporairement de sa logique interne et des ceritudes techniques : des énergies nouvelles pouvaient être libérées, des couches de populaions jusque-là laissées pouvaient accéder à la démarche de la créaion et de la construcion. Il s’agissait d’expérimenter sur le terrain une
Global tools était une contre-école d’architecture et de design qui se proposait de regrouper autour d’un même programme tous les groupes et tous les individus constituant, au sens large, l’avant garde de l’architecture radicale italienne. Il s’agissait de fonder une école pour se libérer de l’école, d’enseigner pour apprendre. Cette contre-école voulait être un lieu stratégique commun pour des forces créatrices diverses et aux orientations théoriques différentes. Global Tools proposait une organisation libérée et rejetait la production culturelle.
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créaivité collecive libérée. L’uilisaion de cete expérience des enfants pauvres était une tentaive pour trouver des sujets qui ne soient pas déformés par la culture et dont le rapport à la créaion soit donc le plus proche possible de la spontanéité totale. Les producions de la technologie pauvre étaient en ce sens des modèles de travail pour la réappropriaion des processus de créaion culturelle, à travers une expérience de communicaion menée en dehors des codes insitués par les langages culturels. 22 Ces projets vont à l’encontre du concept d’innovaion favorisée par l’industrie. La réparaion devient pourtant de plus en plus courante dans les sociétés occidentales. Nous essayons peu à peu de faire face à l’obsolescence programmée de nos objets. Ces praiques proposent un nouveau regard sur notre relaion avec les objets. Le bricolage répond donc à des besoins uilitaires et nécessaires, il répare, dépanne. Le bricoleur va rétablir, réparer un objet qui est en état de précarité, de détérioraion, et ce, même de façon provisoire et approximaive, en vue d’une uilisaion précise et uile. Le bricolage de la nécessité est créateur de nouvelles intenions, de nouveaux signes, de nouvelles mentalités. Il est l’émergence d’une nouvelle acivité créatrice, ingénieuse, parfois maladroite. D’une certaine manière, ces individus bricolent et s’afranchissent du système producif actuel. Ce bricolage révèle l’apitude à la débrouillardise, à se irer de diicultés complexes ou à irer pari de moyens de fortune. Mais derrière le discours de la « nécessité », n’est-ce pas aussi d’accomplissement individuel qu’il s’agit ? Car bricoler, c’est aussi prendre du plaisir, s’accomplir dans quelque chose, en tant qu’individu, découvrir qui nous sommes. Bricoler, c’est prendre du plaisir à la tâche !
Andrea Branzi, Le Design italien, sous le titre original « La Casa Calda », trad. F. Brun, Paris, L’Equerre, 1985, p. 81
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le plaisir de bricoler « allons bricoler »
À l’école, au travail, j’éprouve, j’expérimente, je cherche, j’exécute des travaux qui réclament ingéniosité, habilité manuelle et je bricole. Mais qu’est-ce que bricoler ? À l’origine, le verbe « bricoler » désigne une acion commune à différentes praiques sporives. C.Levi-Strauss dans La Pensée Sauvage nous dit ceci : « Dans son ancien, le verbe bricoler s’applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l’équitaion, mais toujours pour évoquer un mouvement incident : celui de la balle qui rebondit, du chien qui divague, du cheval qui s’écarte de la ligne droite pour éviter un obstacle. Et, de nos jours, le bricoleur reste celui qui oeuvre de ses mains, en uilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme et de l’art ».23 Bricoler est un travail manuel. J’agis de moimême, le bricoleur se contente de ce qui est là, avec ce qu’il rencontre. Le bricoleur comme le designer va interroger, uiliser, faire le bilan et interroger à nouveau. Selon Philippe Jarreau historien, bricoler, c’est une aventure, une découverte : on touche à des domaines que l’on ne connaissait pas, on découvre des règles à respecter. Le bricolage
ne va pas sans ce qu’on pourrait appeler une esthéisaion du savoir technique. Un des temps forts du bricolage est en efet le moment où le bricoleur comprend telle technique, l’instant où le savoir-faire est transmis. La maîtrise intellectuelle du procédé est un temps de plaisir.24 Le bricoleur accède donc à certains savoir-faire. Le bricoleur est par déiniion celui qui exerce hors du cadre professionnel. Néanmoins, nous pouvons nous servir du bricolage dans le monde professionnel. On peut être designer et bricoler. Le bricoleur comme le designer est un éternel opimiste. Pour Ezio Manzini designer « Etre un designer signiie être un opimiste : face aux problèmes, tous les problèmes, même les plus diiciles. Tout ce que nous pouvons faire c’est parir du principe qu’il existe un moyen de les résoudre. Ce n’est pas que nous ne voyons pas les diicultés (les designers se doivent aussi d’être réalistes), c’est que nous n’avons pas d’autre choix. Pour être designers, nous faisons des proposiions, et nous ne pouvons nous empêcher de saisir ce type d’opportunités lorsque nous les rencontrons ».25 Le bricoleur comme le designer est prêt à essayer de résoudre les problèmes auxquels il peut être confronté. Il met toujours dans ses projets quelque chose de lui-même. Le bricoleur s’invesit dans sa relaion aux objets, à leur créaion, à leur manipulaion. Le bricoleur, bricole pour le plaisir, mais il le fait avec maîtrise, il met en rapport les maières et les formes. Néanmoins, nous pouvons disinguer une diférence nonnégligeable, pour le designer c’est un méier, tandis que pour l’autre, c’est avant tout une façon d’aborder la vie. Si nous reprenons la pensée des Arts and Crats, c’est en se livrant à des tâches épanouissantes que l’homme accède à des capacités physiques, intellectuelles et spirituelles.
24 Philippe Jarreau, op.cit. p.123
Ezio Manzini, introduction to the Design conference Changing the Change (Torino 10th, 11th, 12th July 2008), (consulté le 28/05/2013)
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Claude Lévi-Strauss, op.cit. p.30
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Le plaisir qui devrait aller de pair avec la fabricaion de chaque objet arisanal s’enracine dans l’intérêt que chaque homme sain montre pour une vie saine, et il se compose principalement, me semble-t-il, de trois éléments : la diversité, l’espoir qui accompagne la créaion et l’amour-propre qui provient d’un seniment d’uilité, auxquels il convient d’ajouter ce mystérieux plaisir corporel qui va de pair avec l’exercice habile des facultés physiques... Quant au plaisir lié à la diversité, quiconque parmi vous à produit quelque chose se souviendra du plaisir resseni à l’émergence du premier spécimen. Que serait-il advenu de ce plaisir si vous aviez été contraints de le reproduire perpétuellement sur le même modèle ? Quant à l’espoir lié à la créaion, l’espoir de produire une
apparient. Le capitaliste veille soigneusement à ce que la besogne soit proprement faite et les moyens de producion employés suivant le but cherché, à ce que la maière première ne soit pas gaspillée et que l’instrument de travail n’éprouve que le dommage inséparable de son emploi. Il faut que chaque procédé pariel par lequel l’objet de travail passe, soit exécutable comme maind’oeuvre qu’il forme, pour ainsi dire, à lui seul un méier à part. Précisément parce que l’habileté de méier reste le fondement de la manufacture, chaque ouvrier y est afecté à une foncion parcellaire pour toute sa vie.27
oeuvre digne voire excepionnelle qui sans vous, les arisans, n’aurait jamais existé, une chose qui à besoin de vous et pour la fabricaion de laquelle on ne peut se passer de vous, qui n’en comprend pas le plaisir? Il est sans doute aussi facile de voir que l’amour-propre né de la conscience d’être uile adoucit le travail. Senir que l’on doit faire une chose pour saisfaire la lubie d’un imbécile, mais parce qu’elle est vraiment posiive en soi, autrement dit uile, sera sans aucun doute d’une grande aide pour accomplir sa tâche.26
Pour que le travailleur soit heureux, celui-ci doit être libre d’exercer les acivités de son choix, de fabriquer des objets uiles à tous, déterminer son propre rythme de travail, bénéicier de longues périodes de repos et de loisirs, varier le type de ses acivités dans la journée, accomplir l’ensemble des tâches nécessaires à la fabricaion des objets et avoir le loisir d’embellir ces produits selon ses propres goûts. Les hommes doivent luter pour faire en sorte que les marchandises uiles qu’ils produisent soient aussi belles que les oeuvres de la nature, et ils doivent luter pour que leur fabricaion même soit agréable. Selon W. Morris, ouvrier ou arisan, l’homme doit regagner sa dignité et ceci implique qu’il échappe à l’instrumentalisaion où l’enferment le capitalisme et l’industrialisaion, car l’ouvrier travaille sous le contrôle du capitaliste auquel son travail
L’idée de W. Morris va totalement à l’encontre du système industriel, étant donné que celui-ci obéit à une organisaion centralisée, et à une division du travail. Morris considère qu’une vie de travail d’où serait exclue la joie de la créaion équivaut à la in de la civilisaion et que le principal danger de l’industrialisaion est la déconstrucion non seulement de la beauté, mais aussi de la vie.28 Ruskin plaidait pour l’individualisme en maière de créaion arisique à une époque où l’importance de la producion industrielle s’ampliiait d’année en année, isolant de plus en plus le concepteur d’un objet de son fabricant. Le retour de l’arisanat, hier comme aujourd’hui est une revalorisaion du travail manuel, mais rabaisse le travail en usine. Ce retour de l’arisanat est sans doute, une défense de valeurs et une façon de soustraire l’objet de décoraion à l’afadissement de la producion en série. C’est en travaillant lui-même, que l’individu découvre le plaisir de créer. C’est le capitalisme qui a aliéné la liberté créatrice des hommes. Mais c’est aussi en bricolant que l’homme peut retrouver une liberté de créaion. Le bricolage n’est pas un acte irréléchi,
Karl Marx, Le Capital, tome II, Chapitre VII: Production de valeurs d’usage et production de la plus-value, (1885), Paris, Folio, Gallimard, 2008 28 Alexandra Midal, Design – introduction à l’histoire d’une discipline, Paris, Agora, Pocket, 2009, p.58 27
William Morris, L’art et l’artisanat [1889], trad. T. Gillyboeuf, Paris, Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2011, p.65-66
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il n’est pas le fruit de l’insinct. Il peut être un besoin, mais pas un besoin de premier ordre, il n’y aura pas de spontanéité. Le bricolage, le DIY permet à l’individu de récupérer son autonomie, autonomie dont il a été dépossédé. Ceci n’est pas s’en rappeler le travail d’Ivan Illich sur la société conviviale que nous allons étudier maintenant.
l’outil autonomie créatrice
fecionnement des ouils suppose une capacité à penser et, très vite, s’établissent des relaions de complémentarité entre l’acivité et la rélexion « la main à l’origine était une pince à tenir les cailloux, le triomphe de l’homme a été d’en faire la servante de plus en plus habile de ses pensées de fabricants ».30 Ivan Ilich, penseur et criique de la société industrielle, introduit dans La convivialité, le concept de société conviviale. L’alternaive à l’aliénaion de l’homme par la société industrielle est cete société, donnant à l’homme la possibilité d’exprimer sa créaivité, dans l’acion, grâce à des ouils correspondant à ses valeurs. Pour cela, l’homme doit redéinir ses ouils au sens large. Pour Illich, il faut se soustraire de la société industrielle, dominée par la croissance économique et inancière, mais il nous faut une société dans laquelle les condiions d’une vie humaine seront assurées. Selon lui, une société conviviale serait une société qui donnerait à l’homme la possibilité d’exercer l’acion la plus autonome et la plus créaive, à l’aide d’ouils moins maîtrisable par autrui. J’appelle société conviviale une société où l’ouil moderne est au service de la personne intégrée à la collecivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est
Mais pourquoi l’homme s’embêterait-il à construire une bibliothèque lui-même, quand une version auto-assemblée existe et dont le prix est plus faible que le coût des maières premières ? Ce n’est pas tant l’objet qui est important, mais bien l’acte en lui-même, l’acte de créaion. L’ouil est un prolongement du corps et de l’énergie physique, sa mise au point fait intervenir des capacités intellectuelles.29 Selon André Leroi-Gourhan concevoir un ouil, c’est aniciper son uilisaion, mais aussi déterminer sa forme relaivement à l’usage qu’on en atend ainsi qu’à l’énergie qu’on lui appliquera. Le per-
http://www.universalis.fr/encyclopedie/outil/ (consulté le 08/11/2012) 29
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la société où l’homme contrôle l’ouil. C’est l’ouil qui est convivial et non l’homme.31
Pour Illich, l’homme est de plus en plus soumis à l’uniformisaion réglementée, à la dépendance, à l’exploitaion et à l’impuissance. Il nous propose alors une société plus ou moins utopique fondée sur le respect de l’autre et la liberté créatrice de chacun.
30 André Leroi - Gourhan, Le geste et la parole.T2. La mémoire et les rythmes [1965], Paris, Edition Albin Michel, coll. Sciences d’aujourd’hui, 1969, p.61 31 Ivan Illich, La convivialité [1975] in Oeuvres complètes. Vol.1 Paris, Fayard, 2004
L’ouil est convivial dans la mesure où chacun peut l’uiliser, sa diiculté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des ins qu’il détermine lui-même. Personne n’a besoin d’un diplôme pour s’en servir ; on peut le prendre ou non. Entre l’homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d’intenionnalité .32
L’ouil, entendu au sens large, c’est un objet, un service, le moyen uilisé comme in. L’ouil convivial est maîtrisé par l’homme et lui permet de construire le monde. C’est un ouil qui rend autonome, et qui est à la portée de chacun. Dans ce sens, nous pouvons dire que bricoler est un ouil, un ouil qui rend autonome, car bricoler, c’est contempler son acte individuel dans l’objet. Comme le dit Pierre Michel Menger, sociologue au CNRS, l’acivité créatrice est un instrument de criique sociale et économique radicale, puisque les formes actuelles de l’acivité humaine peuvent être étalonnées selon leur proximité, et plus souvent leur éloignement, avec ce modèle d’accomplissement.33 La créaion est un ouil d’acion, de changement, d’amélioraion, de déformaion, et de transformaion. L’ouil est esseniel à la relaion sociale. Quand nous agissons, nous nous servons d’ouils. L’ouil nous relie au corps social, nous façonne et nous informe sur nous-mêmes. Il nous confère une idenité, il aide à nous connaître. C’est bien par le biais d’ouils divers que tout acion humaine et relaion sociale se font. Aujourd’hui, l’ouil a pris le pas sur l’homme, il écrase l’individu, nous perdons notre autonomie. Mais c’est en bricolant que nous pouvons la retrouver. Bricoler est un moyen, et un moyen est perçu comme un ouil pour Ivan Illich. Bricoler, permet à l’individu de se senir valorisé dans un monde gueté par l’anonymat et à la passivité. Le but est de se servir du bricolage comme d’un ouil dans le monde professionnel. Bricoler, je peux le faire en étant
Ivan Illich, op.cit. p.485 Pierre Michel Menger, Portrait de l’artiste comme travailleur, Métamorphose du capitalisme, Paris, Edition du Seuil, La République des Idées, 2002, p.14
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professionnel, designer, arisan, amateur. Bricoler, c’est trouver un autre chemin qui conduit à la créaion. Ainsi bricoler, c’est se débrouiller et se servir des compétences déjà acquises. On est bricoleur quand on bricole au travail, à l’usine, à l’atelier, tout est propice à bricoler. Même les intellectuels ou certains philosophes ou écrivains aiment à dire qu’ils bricolent un texte ou des concepts. Il ne s’agit pas là d’une vision dévalorisante de leur acivité, mais au contraire de la capacité qu’ils ont a faire, au moyen d’ouils, leurs connaissances avec le matériau « pensée » ou le matériau « texte ». Bricoler permet donc de recouvrer et d’agir dans une certaine autonomie. En reprenant l’idée du DIY, nous allons voir que des designers proposent à l’usager de terminer l’objet. Certains d’entre eux choisissent de proposer un produit non ini, l’individu est alors chargé de donner vie à l’objet. Mais paricipe t-il vraiment à un acte de créaion ? Le designer industriel Tord Boontje, avec son projet, Rough-and-ready en 1998 propose une collecion complète comprenant des bibliothèques, des armoires, des lampes, des tables ou des chaises. Grâce à un kit de dessins et d’instrucions, vous pouvez fabriquer vous-même ces objets. Mais la noice de fabricaion est volontairement loue notamment lorsqu’il s’agit du choix des matériaux. Le designer souhaite en efet que le consommateur maîtrise l’esthéique, mais aussi le coût de son objet. La structure de la chaise peut, par exemple, être faite à parir de morceaux de bois trouvés ou de métal, l’assise peut être recouverte à l’aide d’une vieille couverture ou d’une longue corde. Ainsi, le designer n’a, inalement, qu’une idée très vague des formes que les diférentes chaises vont prendre. Mais cete idée n’est pas nouvelle : en 1934, Gerrit Rietveld proposait déjà une « caisse » (caisse en bois) contenant une brochure, la caisse en bois issue d’un emballage permetait de construire des meubles et Enzo Mari proposa en 1974 Proposta per un’autoprogetazione.
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Pour Paul Atkinson « Toutes les formes de bricolage ont permis au consommateur de pester contre les édits de concepion prescrite. Le DIY peut être considéré comme l’expression ulime du goût de chacun, et donc comme un critère précis par lequel l’esthéisme populaire peut être mesuré ».34 Le bricolage ne donne pas seulement à l’individu la capacité de se manifester lui-même, mais il lui donne aussi une voix dans le cadre d’un dialogue. Le consommateur n’est plus seulement passif, il est acif. Nous retrouvons bien cete idée avec Do Create (1996), regroupant des designers internaionaux. Ils s’approprient le verbe do, le verbe faire du concept Do it yourself « All we have to do, is doing something ». Ils prônent une nouvelle approche de la créaion design. Ainsi, pour s’asseoir sur le fauteuil Do hit de Marijn van der Poll, son propriétaire doit embouir l’assise grâce au marteau fourni avec « Frappez-le et martelez-le, jusqu’à ce que bon vous semble, et sculptez pour vous-même la forme que vous souhaitez qu’il ait. Plus ou moins creuse, le choix dépend de vous ». L’acheteur customise totalement cete assise qui peut être plus ou moins haute.35 Lui revient aussi la responsabilité ergonomique, le confort reste enièrement à sa charge. Le consommateur, passe alors d’un statut passif à un statut acif, sans la paricipaion acive du consommateur l’objet n’acquière pas de foncion. Exoisme, esthéisme, bonheur du faire soimême, efet « relaxant ». Ce Do it yourself tente à faire croire à une acivité de créaion, qui n’en est pas une. L’uilisateur est limité par le montage lego, le kit de bricolage « ani-stress », on lui indique une marche à suivre, il paricipe à cete idée, mais il n’en est pas le créateur. Ces objets tentent de vous amener à un retour d’individuaion, mais il est contrôlé, dirigé. Le consommateur est, en efet acif, mais il n’est pas l’iniiateur du projet.
34 Teal Triggs, op.cit. 35 http://studio.droog.com/projects/collaborations/do-create/ (consulté
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Comme nous avons pu le voir, les acivités de bricolage sont diverses. Bricoler montre bien le besoin d’inventer, de créer. Bricoler est avant tout un acte manuel. Bricoler est un ouil. Bricoler, c’est luter. Bricoler nous permet d’une manière ou d’une autre de réinterroger le monde qui nous entoure. Je peux être designer et aussi bricoleur, bricoler est un ouil qui m’aide dans mon travail. Cependant, si nous abordons la noion de bricolage, celle-ci interroge inévitablement la quesion de la igure de l’amateur. Or qu’est-ce qu’un amateur aujourd’hui ? Le web, les médias, permetent aujourd’hui à tout à chacun de jouer les « stars ». Ils ont donné naissance à l’amateur 2 .0. L’ère du numérique permet à tous d’apprendre et de partager des connaissances. Les amateurs occupent désormais le devant de la scène brouillant ainsi les limites dans le monde des professionnels. Leurs praiques bouleversent la manière dont nous produisons de la connaissance, la manière de difuser de l’informaion, de créer. L’amateur aujourd’hui, est-il une nouvelle igure de la société ? Qui est-il ? Que fait-il ? Que veut-il ?
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démocratIsatIon/ VulgarIsatIon des compétences Une culture amateur libérée de l’idéologie du professionnalisme
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aol dial up sound
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Vous souvenez-vous de votre premier ordinateur ? Octobre 1993 : j’ai en ma possession une machine que je n’avais jamais vue auparavant, un Macintosh Classic, mon jeune âge me permet seulement de comprendre que ce n’est qu’un début… Durant l’automne 1995, ma famille fait l’acquisiion d’un nouvel ordinateur, celui-ci est un Windows 95, accompagné d’un modem qui prend son temps, tout son temps… avec ce son plus ou moins magique le Dial up Sound et une première connexion à internet, une première page apparaît sous mes yeux, c’est un livre inini et des milliers de possibilités qui s’ofrent à moi… Nous pouvons déinir trois âges de la micro-informaique : la première est celle du micro-ordinateur : celui-ci est alors uilisé pour des puissances de calcul, comme serveur et comme publicaion assistée par ordinateur. Ces systèmes ont donné naissance à une économie, à des méiers d’informaiciens, de développeurs. La seconde marque l’arrivée du web en 1994, qui devient accessible à tous. Tout le monde peut alors publier, via les blogs, ses idées. Il se met en place une coconstrucion du savoir, de la connaissance, et l’économie du numérique. Enin, c’est l’ère de la fabricaion numérique personnelle, tout un chacun peut plus ou moins fabriquer des objets, avec des imprimantes 3D, découpe vinyle, via des communautés ou des services en ligne.
36 www.dialupsound.com - Relive the excitement of connecting to the internet with the noise of a 56k modem (consulté le 04/03/2013)
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En ce début de XXIe siècle Internet a révoluionné le monde. Il est un moyen de difusion dans le monde enier, un mécanisme de distribuion de l’informaion, un moyen de paricipaion et d’interacion entre les individus et leurs ordinateurs 37, peu importe l’emplacement géographique. Internet touche tous les domaines techniques de la communicaion. Tous les jours, un peu plus nous nous dirigeons vers une uilisaion croissante d’ouils virtuels en ligne, aussi bien dans le domaine commercial que communautaire. Tous ces ouils ont un impact et une inluence sur notre vie quoidienne et nos relaions sociales. L’ordinateur ofre des potenialités considérables de traitement et de stockage de l’informaion. Internet ofre de larges possibilités d’échanges et de coopéraion entre les individus, il est un ensemble de communautés et de technologies, son succès est en parie dû à la communauté, qui fait progresser sans cesse cete infrastructure. Cet esprit communautaire a une longue histoire en commençant par les débuts d’ ARPANET.38 Le World Wide Web 39 dans les années 1990 à permis aux individus de créer une nouvelle culture, celle de la publicaion personnelle et coopéraive. Internet permet avec une certaine facilité de créer son propre blog, de metre en ligne des photos, d’avoir accès à une encyclopédie libre comme Wikipédia. Depuis 2004, le Web 2.0 est apparu, c’est une évoluion du web plus simple et interacive, il permet à chacun, de contribuer, d’échanger des informaions sous diférentes formes.
http://www.internetsociety.org (consulté le 04/03/2013) 38 ARPANET « Advanced Research Projetcs Agency Network » est les premier réseau à transfert de paquets développé aux Etats-Unis. 39 Le World Wide Web (WWW), littéralement la « toile (d’araignée) mondiale », communément appelé le web, le Web, et parfois la toile, est un système hypertexte public fonctionnant sur interbet qui permet de consulter, avec un navigateur des pages accessibles sur des sites. L’image de la toile d’araignée vient des hyperliens qui lient les pages web entre elles. Source Larousse 37
L’arrivée des nouvelles technologies numériques dans le champ culturel contemporain marque l’exaspéraion des tendances décrites par Adorno et Horkheimer 40 : technicisaion, industrialisaion de la culture, et aliénaion des individus. Si les technologies informaiques ont su si bien s’introduire dans la vie des individus, c’est aussi dû à leur design. Ce que résumait bien le président d’IBM Thomas Watson « Good design is good business ». Eliot Noyes, directeur design 1953 à 1977 avait pour objecif de créer un programme de design couvrant la totalité de l’univers d’IBM. Il it appel à de nombreux aristes, designers et architectes, comme Charles et Ray Eames, Eero Saarinen, Paul Rand et Isamu Noguchi. Les Eames ont marqué la pensée d’IBM, ils ont conçu la présence de la compagnie à l’Exposiion universelle de 1964, le ilm Powers of 10, l’exposiion Mathemaica (1961) et des dizaines de ilms pédagogiques pour l’école et la télévision. Le but était surtout de sensibiliser plusieurs généraions aux mathémaiques, à la science, aux nouvelles technologies et d’en laisser un souvenir impérissable. Et c’est avec la même ligne directrice d’IBM qu’Apple fera peau neuve. Avec le retour de Steve Jobs en 1997 et l’arrivée de Jonathan Ive, l’ordinateur entrera dans la vie de tous et n’en sorira plus. Ces objets suivent les principes du Good Design dont le designer allemand Dieter Rams est l’insigateur : le design doit être innovant, uile, esthéique, compréhensible, discret, honnête, durable, précis jusque dans les moindres détails, respectueux de l’environnement et le design c’est aussi le moins de design possible. L’informaique est une technique qui a bouleversé notre quoidien, elle est devenue un des principaux ouils cogniifs de notre société. Dans La mécanisaion au pouvoir, Sigfried Giedion nous dit ainsi que :
Theodor W.Adorno et Max Horkheimer, Kulturindustrie [1947], trad. E.Kaufholz, Allia, Petite collection, 2012,
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La technique ne serait pas une pure instrumentaion qui ampliierait l’eicience du travail humain, son pouvoir transformateur sur la nature matérielle. Elle bouleverserait les relaions de l’homme, non-seulement avec le monde naturel, mais avec lui-même. Produisant ses efets sur l’être humain, sur un mode de vie, sur son environnement, sur son habitat, sur sa relaion au travail, elle modiierait la nature du lien social. 41
Le Web a profondément modiié le processus d’accès au savoir. Les moteurs de recherche comme Google, Bing, AltaVista, indexent automaiquement tous les documents accessibles sur le web. « Les uilisateurs experts ou profanes peuvent ainsi trouver par eux-mêmes les informaions qu’ils recherchent. Avec les sites de partage et les réseaux sociaux, le web permet aujourd’hui de connecter les compétences des amateurs ». 42 L’informaique a nourri et nourrit toujours un peu plus une praique amateur. Les quidams ont conquis Internet. Cent millions de blogs existent dans le monde. Cents millions de vidéos sont visibles sur You Tube. En France, dix millions de blogs ont été créés. 43
Internet a permis aux amateurs d’occuper le devant de la scène, le web contemporain est devenu le royaume des amateurs. Internet seraitil devenu un sanctuaire dévoué au culte de l’amateurisme ? Les technologies cogniives et les technologies de l’individuaion se développent sur le Web, elles deviennent un milieu paricipaif où échangent des amateurs « pour le meilleur et pour le pire »44 : l’amateur peut devenir ce qu’on appelle au Japon, un otaku45. Selon Bernard
Sigfried Giedion, La mécanisation au pouvoir [1948], Paris, Centre Georges Pompidou - Ircam, 1995, p.7 42 Patrice Flichy, op.cit. p.15 43 Patrice Flichy, op.cit. p.7 44 Bernard Stiegler, op.cit. p.96 45 Otaku : en japonais, terme qui signiie « maison ». Il désigne aujourd’hui les populations souvent jeunes qui se consacrent presque exclusivement à une seule activité, dont la passion monomaniaque est en lien avec les nouveaux medias (mangas, web, réseaux). On considère qu’il 41
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Siegler, l’User Proiling aggrave la désindividuaion ; il empoisonne les systèmes d’informaion. Dans le même temps, les technologies d’autoproducion et de difusion qui deviennent de plus en plus largement accessibles font apparaître une nouvelle forme d’atenion appareillée, une atenion acive. Ce milieu technologique devient de plus en plus paricipaif, le consommateur devenu praicien ne peut plus être appréhendé comme un simple uilisateur inal (end user) 46. La cyberculture est née et avec une forme de culture amateur, celle-ci émane des spectateurs et des lecteurs qui se passionnent pour ces technologies numériques, s’y forment s’ils ne sont pas déjà informaiciens et bricolent leur propre site. « L’internaute se déinit forcément comme un amateur : un passionné et un praicien plus tout à fait profane ».47 Avec le développement informaique, des télécoms, et des ouils virtuels, la reproducibilité devient accessible à presque tous et à coût presque nul, ce qui permet subitement à toutes sortes d’acteurs d’accéder à des foncions qui n’étaient jusqu’alors accessibles qu’à des professionnels.
la production / la reproduction
y a 1 million d’otaku au Japon. 46 Bernard Stiegler, op.cit. p.97 47 Laurence Allard, L’amateur: une igure de la modernité esthétique, In: Communications, 68, 1999. p. 9-31
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Avec la révoluion industrielle l’œuvre d’art va entrer dans l’ « ère de la reproducibilité technique » avec l’invenion de la photographie puis du cinématographe. Comme le dit Walter Benjamin48 c’est le développement des techniques de reproducion de masse, comme l’imprimerie et la photographie qui ont contribué à la perte de l’aura de l’œuvre. L’aura a perdu de son mystère, il y a une désincarnaion du mystère lors de la rencontre avec l’œuvre. Mais selon lui, c’est par cete perte de la rencontre avec l’œuvre que paradoxalement, une autre forme de révélaion s’ofre enin à nous. Au XXe siècle, le cinéma et l’art sont l’emblème d’une mutaion culturelle, ils sont paris prenants de cete « culture de loisirs » qui marque une nouvelle phase de l’histoire de l’art et de la culture. Nous sommes face à l’émergence des masses, due aux techniques de producion, l’existence de ces masses transforment l’art mais aussi la manière dont on le perçoit. C’est aussi la rencontre du public avec l’industrie et la technique, marquant une logique de technicisaion et de division du travail exacerbée, qui viendra traduire une nouvelle catégorie, celle de l’amateur. Adorno et Horkheimer, reprochent aux médias de transformer les citoyens en consommateurs objecivés, déshumanisés. Le spectateur devient un être aliéné, comme l’était l’ouvrier de Marx. Le public se conforme à être ce que l’industrie culturelle lui impose. Les médias, empêchent les individus de penser par eux-mêmes et de produire des opinions indépendantes. Selon, José Ortega y Gasset, philosophe et sociologue, l’Occident, aurait engendré une nouvelle forme d’humanité : l’ « homme-masse »49. Le plus grand danger, est l’État auquel les masses, incapables de se gouverner, s’en remetent. Néanmoins, c’est l’émergence du phénomène de masse qui va ainsi permetre à des peites communautés de se diférencier, qui elle justement ne feront pas masse. En ce sens, l’amateur ofre donc
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée [1935], trad.M.de Gandillac, Paris, Alia, 2003 49 Ortega y Gasset, La révolte des masses [1937] trad. L. Parrot, Paris, Belles Lettres, 2010, pp. 314 48
une igure de résistance qui le fait converger assez logiquement avec la igure du bricoleur. A sa manière l’amateur contourne le système, il fait diféremment pour se diférencier, il trouve d’autres alternaives. Le mouvement de contre-culture aux Etats-Unis, dans les années 1960, voit émerger le World Earth Catalog entre 1968 et 1972. Ce catalogue américain publié par Stewart Brand, biologitse, et inspiré par les idées de Buckminster Fuller50, foncionnait comme un disposiif d’évaluaion et d’accès. Il voulait fournir des ouils d’accès et d’éducaion pour que les lecteurs puissent trouver leur propre inspiraion et créer leur propre environnement. Ce catalogue ne cherchait pas seulement à renseigner mais également à inléchir l’opinion. Il faisait une déiniion large du mot ouil. Ce pouvait être des ouils informaifs, livres, journaux professionnels, cours, ouils de jardinage, premiers ordinateurs. Le catalogue était un guide décrivant une panoplie d’ouils, d’équipements de plein-air et de manuels de bricolage. Il incarnait une aitude Do it yourself, une vision de la technologie comme une source de transformaion individuelle et collecive. Il était un ouil d’informaion et donc un analogue de l’ordinateur, et un précurseur d’internet. Les technologies de l’informaion et de la communicaion ont accentué le phénomène d’apprenissage, permetant à la mise en réseau de faire émerger une intelligence collecive. L’amateur devient acif. En devenant acif, cet individu marque l’arrivée de nouvelles compétences. Ces nouvelles compétences sont devenues des savoirs d’amateurs qui échappent aux professionnels. Les savoirs informaiques se répandent à une telle vitesse que l’on voit se développer
Richard Buckminster Fuller, 1895-1983, architecte, designer, inventeur futuriste, et activiste environemental mit au point de nombreuses inventions dans la conception architecturales, dont le dôme géodésique reste le plus connu. Lloyd Kahn, éditeur en chef du Whole Earth Catalog sera très inluencé par le travail de Fuller et publiera en 1970 le Domebook One et 2
toutes sortes de compétences qui n’ont même pas été anicipées par les écoles, car ces savoirs se forment plus vite que ne s’écrit et ne se conçoit un cours et parce qu’ils sont de plus en plus le fruit de l’acivité de passionnés et d’amateurs. Pekka Himanen, philosophe inlandais, travaillant sur les aspects philosophiques et sociologiques de l’informaique et du numérique les appelle des Hackers .51 L’informaique libre repose sur la culture hacker, ou hackerisme, déinie par six principes-clés, l’accès aux ordinateurs devrait être illimité et total, l’informaion devrait être libre et gratuite il faut se méier de l’autorité et promouvoir la décentralisaion (à l’époque, il s’agit de luter contre le monopole d’IBM), les gens devraient être jugés en foncion de la valeur de ce qu’ils créent, et non en foncion de leur posiion sociale ou des diplômes qu’ils déiennent, il est possible de créer de l’art et de la beauté sur un ordinateur, les ordinateurs peuvent améliorer la vie humaine.52
Le hacker est plus qu’un pirate, il est avant tout un bricoleur ou plus précisément un « bricodeur » car c’est sur le code qu’il travaille. C’est une personne qui aime explorer les possibilités techniques des systèmes d’informaion pour en tester les limites, les améliorer, en détourner les usages. Le hacker au départ uilise ces méthodes dans le monde informaique, dans le virtuel, mais cete idée a proliféré dans le monde du design. On bidouille, on détourne, mais dans le réel. Les designers Samuel Bernier et Bhends Andreas se sont inspirés du site IkeaHackers.net ; l’idée de celui-ci est de proposer des modiicaions et réuilisaions des produits IKEA. Les uilisateurs soumetent leurs créaions, avec l’espoir de fournir des idées alternaives sur les produits IKEA. À parir de cete idée ils ont conçu Draisienne en 2013, un vélo pour enfant, développé en uilisant une série de hacks IKEA avec des pièces sur mesure en 3D et des instrucions imprimées, en uilisant des composants modiiés du tabouret
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Bernard Stiegler, op.cit. p.35 Marie Coris, « La culture du don dans la modernité. Les communautés du logiciel libre », in : Réseaux, n°140, 2006 (extrait p.8 - selon Levy, 1984)
51
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Frosta. On voit bien là l’émergence d’un intérêt pariculier de la part des designers pour le hacking. D’autres designers se sont penchés sur le hacking IKEA comme Helmut Smits avec Flamma (a basic need, 2008). Durant la guerre, les gens brûlaient leurs meubles ain de se chaufer. Flamma renvoie à l’un des besoins fondamentaux de l’humanité : faire du feu. « J’ai pensé qu’il serait intéressant d’aller chez IKEA comme si j’étais un être humain primiif et faire du feu en uilisant des produits qui s’y trouvent ».53 L’Atelier de design belge Atelier 4/5, composé de Jean-François Glorieux et Florent Grosjean a créé la bibliothèque Artav, une bibliothèque imaginée à parir des pièces d’un meuble standard IKEA, en l’occurrence la commode Tarva, mais ce projet fut commandité par IKEA lui-même, l’entreprise en irant alors largement un bénéice publicitaire. Toujours en termes de reproducion et de producion, la musique est un des éléments les plus plébiscités sur internet. La radio est inondée avec des remix et des reprises de chansons classiques, la télévision et le cinéma proposent des adaptaions et interprétaions d’œuvres litéraires interminables et YouTube présente un lot apparemment sans in de remixes vidéo et mashups divers, enrichissant la culture du remix. Les sites de partage tels que ; You Tube, Soundcloud, MySpace permetent aux musiciens amateurs de difuser leur musique. L’amateur de l’ère numérique occupe ainsi un nouveau rôle sur la scène musicale. La musique électronique est l’une des plus accessible pour des amateurs qui acquièrent, par la praique et la confrontaion collecive, les savoir-faire nécessaires. Etant une grande fan de musique, mais n’ayant qu’une formaion succincte, je peux facilement trouver à ma portée des logiciels comme DJ pro ou encore Audacity et composer ma propre musique, en prélevant des sons et en les recomposant, les transformant, je créée « ma » musique. Par la suite, je peux diffuser une parie de cete musique composée via
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http://helmutsmits.nl/ (consulté le le 04/04/2013)
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internet, tout en ne subissant pas les contraintes d’un éditeur ou du marché, je suis plus libre que le professionnel. Mais combiner des sons pour créer une nouvelle œuvre se heurte tout de même aux limites du droit d’auteur, qui interdit que l’on reproduise, modiie une œuvre protégée sans l’autorisaion du itulaire du droit. Cependant la praique amateur de la musique, peut être une voie vers la professionnalisaion. Des disposiifs sont mis en place pour accompagner l’amateur vers le méier, ses acions en faveur des musiciens amateurs consituent en quelque sorte des passerelles vers le marché du disque. En France My Major Compagny, est un label paricipaif qui propose de soutenir inancièrement de jeunes aristes, les internautes invesisseurs touchent une rémunéraion sur les ventes de musique digitale et disques. Le compositeur amateur dispose d’ouils techniques équivalents à ceux de professionnels. Nous sommes face à une certaine hybridaion des praiques amateurs et professionnelles. Par le biais des réseaux communautaires, comment l’amateur se fait-il « sa place » parmi les sites de partage ? Comment y contribue-t-il ? Et quel intérêt a-t-il à partager avec les autres et pourquoi ?
l’open source révolution et les sites de partages
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Si l’on pense site de partage, on pense Wikipédia. Chacun d’entre nous a au moins uilisé une fois cete applicaion, chaque uilisateur peut y contribuer. Comme le dit Wikipédia à son propre sujet, c’est une encyclopédie mulilingue coopéraive, universelle et librement difusable. Ce site est devenu le plus consulté au monde et en France, Wikipédia réunit environ un million d’aricles. Il obient des inancements via les internautes. Wikipédia n’a pas pour objecif de produire de la science, car l’encyclopédie refuse les travaux inédits. Les logiciels libres respectent soi-disant la liberté de l’uilisateur et de la communauté. Les uilisateurs ont la liberté d’étudier, d’exécuter, de distribuer, de copier, de modiier et d’améliorer le logiciel. Avec ces libertés, les
uilisateurs à la fois individuellement et collecivement contrôlent le programme et ce qu’il fait pour eux. Le logiciel libre est un artefact créé et maintenu par des contributeurs décentralisés, le plus souvent comme un hobby. Néanmoins quand les uilisateurs ne contrôlent pas le programme, c’est le programme qui les contrôle. Le développeur contrôle ainsi le programme, et par ce biais contrôle les uilisateurs.55 C’est sur ce principe que foncionne Wikipédia, il met en valeur une collecion d’artefacts, savoirs populaires, tradiionnels, autochtones, endogènes, savoirs locaux, quoidiens, savoirs ordinaires, ce sont des savoirs considérés comme non-scieniiques. Bons nombres de contributeurs sont moivés par l’idéologie selon laquelle l’informaion devrait être libre, cependant les informaions transmises via le web par l’uilisateur seront plus ou moins autorisées, car c’est le système qui vous contrôle et vous surveille. Wikipédia est une entreprise du web vernaculaire. Il existe d’autres logiciels libres comme Apache, Perl et Sendmail qui sont un exemple de l’hybridaion entre l’amateur et le professionnel. Ces logiciels, dont le code source est accessible à tous, touchent diférents domaines de l’informaique. La plupart des contributeurs sont des amateurs. Cependant s’y ajoutent des informaiciens professionnels venant de l’université (étudiants, enseignants) ou d’entreprises. Techniquement, le logiciel libre suit les noms de l’Open Source Iniiaive56. Eric Raymond hacker américain disingue uilement deux types de logiciel gratuit : le premier, le modèle « cathédrale », dans lequel un groupe fermé de programmeurs développe le code et le met à la disposiion de tous. Et le second, le modèle « bazard », où tout le monde peut pariciper à la producion du code via l’In-
http://www.gnu.org (consulté le 11/03/2013) L’Open Source Initiative (OSI) est une société à but non lucratif avec une étendue globale formé pour éduquer sur, et de plaider pour les avantages de l’open source, et de construire des ponts entre différents groupes de la communauté open source.
55 56 54 Le logiciel libre est imaginé dans les années 80 par Richard Stallman (programmeur). Il afirme que les programmes informatiques doivent pouvoir être librement utilisés, et surtout étudiés et modiiés
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ternet.57 Parmi ces projets, seule une minorité donnera naissance à des logiciels opéraionnels. Le système Linux est public. Le noyau du logiciel sous-jacent en code Linux est ouvert à tous, chacun peut l’employer, l’adapter, et l’améliorer.
que l’existence de l’homme ne se réduit pas à gagner sa pitance à force de travail, que l’homme n’est pas seulement une machine intéressée à accroître ses gains ou à garanir sa survie matérielle. Que nos lointains ancêtres aient su trouver la disponibilité d’esprit suisante pour peindre des animaux sur les murs des grotes, que de tout temps et en
Les nouvelles techniques dont l’impact est actuellement le
toute société humaine, des hommes et des femmes consa
plus fort sur le social sont sans doute celles qui concernent
crent une parie de leur vie à la créaion, malgré la précarité
l’informaion : la cybernéique, l’informaique, la téléma-
et les vicissitudes de l’existence, voilà qui devrait nous faire
ique, et les ordinateurs qui consituent leur “ouillage”. Or
réléchir à la perinence des théories qui montrent l’homme
le stockage de l’informaion dans les banques de données
comme une machine à produire et consommer pour l’amé-
et leur traitement rapide par ordinateurs n’est pas pur phé-
lioraion de son bien-être.59
nomène quanitaif. Plus qu’aucune technique du passé, celles-ci changent ou sont en voie de changer la relaion entre les individus, les groupes sociaux et les Etats. Elles modiient même la nature du savoir et son statut : au lieu d’être l’objet d’une accumulaion dont l’eicace réside dans la complexité toujours plus grande et cependant uniiée des connaissances, le savoir informaisé semble devenir un objet de marchandage et un enjeu pour les pouvoirs.58
Ces techniques sont avant tout un énorme enjeu. Dans le monde du logiciel libre, il y a de nombreux professionnels. Mais les individus gérant les stratégies du libre sont loin d’être des philanthropes. Leur seul but n’est pas seulement de prendre plaisir à développer gratuitement des logiciels pour le bonheur de tous. La grande majorité des développeurs du logiciel libre sont des professionnels. Les sociétés comme IBM, font la promoion du logiciel libre, tout en restant discrètes. Elles ont invesi des millions de dollars pour développer et difuser l’open source. Le but étant évidemment de briser le monopole de Microsot. Outre l’argent, qui convie les professionnels à travailler dans le logiciel libre, quels intérêts trouvent les amateurs, universitaires, informaiciens dans ces systèmes de partage ?
A l’intérieur de la communauté des sites de partage, nous sommes face à un système d’atentes réciproques. Ces amateurs ont une culture du don. La valeur des individus, leur statut social se fait en foncion de ce qu’ils donnent. Le don est donc une moivaion qui les pousse à pariciper et à contribuer. Alain Caillé, sociologue et anthropologue, propose deux disincions : l’ « intérêt à » s’entend comme le moif de l’acion qui conduit l’individu à agir, à faire quelque chose non par plaisir, mais parce qu’il y a un intérêt. L’« intérêt à » relève de l’ordre de l’instrumentalité, de l’extériorité par rapport à l’acivité considérée, de l’individualisme méthodologique ; de ce que l’acion rapporte à l’individu en terme d’usage, de salaire ou de notoriété. Et l’ « intérêt pour » qualiie, quant à lui, le moif de l’acion de l’individu qui agit, qui fait quelque chose, parce qu’il a un intérêt pour quelqu’un ou pour cete acivité. L’acion est efectuée pour elle-même, elle est à elle même sa propre in. Par opposiion à l’ « intérêt à », l’« intérêt pour » relève du plaisir et « l’intérêt pour », où l’acion est à elle-même sa propre in (on est alors dans l’ordre du plaisir pour l’acion ou pour le desinataire de cete acion). 60
Qu’il y ait des aristes amateurs, je crois qu’on devrait toujours s’en étonner, et même s’en réjouir : c’est la preuve
57 Richard Sennet, Ce que sait la main [2008], trad. P. - E. Dauzat, Paris, Albin Michel, 2010, p.39 58 Sigfried Giedion, op.cit. p.7
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Dana Hilliot, Professionnels versus amateurs, Essai, 2006 Marie Coris, op.cit. p.8
Les amateurs seraient donc conduits par l’« intérêt pour », ils font parie d’une communauté, ils donnent et ils reçoivent, c’est un contre-don « Je te donne, tu me donnes ». Les développeurs du libre s’inscrivent dans un schéma maussien où la percepion du contre-don est supérieure à celle du don. Ils ont un intérêt « pour » , mais, « intérêt à » aussi, un intérêt à être reconnu par les autres, car les amateurs cherchent une forme de reconnaissance, à être connu et reconnu par des professionnels pour exister aux yeux du monde, à la manière des réseaux sociaux : je suis reconnu par l’autre, donc j’existe. L’amateur se consitue des repères pour exister, se poser comme individu, se situer et créer son idenité. Les amateurs agissent a contrario de logique imposé par l’économie. Ils ont plaisir à partager leurs trouvailles, leurs savoirs, leurs passions et sont moivés par cete quête de reconnaissance auprès des autres amateurs plutôt que par la perspecive d’une rétribuion monétaire.
qu’est-ce qu’un amateur ? La déiniion tradiionnelle du mot est celle-ci : un amateur est une personne qui s’adonne à une acivité en dilettante, par plaisir et non par profession. L’amateur peut avoir une bonne connaissance du domaine qui l’intéresse, mais il ne gagne pas sa vie en le praiquant. C’est un profane, un touche - à - tout qui n’a aucune compétence ou crédibilité professionnelle.61 Le Oxford English Dicionary déinit le mot amateur de la façon suivante : une personne qui aime, culive, recherche certaines choses, une personne qui culive un art, une science, pour son seul plaisir et non par profession, un athlète, joueur qui praique un sport sans recevoir de rémunéraion directe, une personne qui exerce une acivité de façon négligente ou fantaisiste. La igure de l’amateur consitue l’idéal type du contributeur ( au sens où Weber parle d’un idéal type intrinsèquement utopique, qui n’existe donc pas en fait, qui est une idéalité dynamique organisant un milieu social et permetant précisément d’en éclairer et d’en écrire la dynamique) , est une igure de l’économie libidinale parfaitement réalisée, et telle qu’elle repose elle-même, précisément, sur un processus d’idéalisaion ( qui se traduit dans l’appareil psychique par ce que Freud appelle l’idéal du moi). La libido est ce qui, comme énergie consituée par son économie et sa mise en
la sublimation de l’amateur
réserve, transforme la saisfacion des pulsions, par essence asociale, en un acte social qui conduit dans ses formes les plus socialisées à ce que l’on appelle la sublimaion. Et l’amateur, qui est une igure idéale de cete sublimaion elle-même idéalisante, est ainsi celui qui peut accéder à ce que l’on appelle le sublime. L’amateur est celui qui aime en ce sens – au sens où, comme tout amant, il est bien plus possédé par ce qu’il ne le possède lui-même. L’économie de la contribuion de même, est moins une économie de la possession ( et donc de la priorité) qu’une économie de l’implicaion et de la circulaion d’une énergie libidinale qui est engendrée par l ’échange au cours duquel se produit une
Comme nous l’avons vu l’amateur s’aiche partout. L’amateur se proile donc à la fois comme un interlocuteur, il propose, contribue à l’émergence de nouvelles formes d’organisaion des savoirs, des connaissances, des praiques. Mais
accumulaion distribuée plutôt que captée.62
61 Andrew Keen, Le culte de l’amateur : Comment Internet tue notre culture [2007], trad. J. -G. Laberge, Paris, Scali, 2008, p.56 62 Bernard Stiegler, op.cit. p.25
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Comme le dit Bernard Siegler, les objets créés par les desinataires sont des objets de désir, ils font donc appel à leur libido, ce ne sont pas des objets du besoin. Les amateurs paricipent donc à une économie de contribuion, le bénéice que reirent les contributeurs se trouve dans la saisfacion à. Les amateurs retrouvent donc une saisfacion à partager et à pariciper à une œuvre de bien commun. Mais l’amateur ne viendrait-il pas menacer la culture (celle qu’on nous impose) ? Car qu’elle est votre premier geste lorsque vous cherchez une déiniion : d’aller chercher votre dicionnaire Peit Robert ou votre Oxford English Dicionary tout en haut de l’étagère, au risque de tomber par terre, ou d’aller sur internet, et obtenir en un clic, la ou les déiniions possibles. La facilité du « demande à Google » est à son summum, Wikipédia et les autres sites de références au contenu généré par l’uilisateur sont en train de supplanter les dicionnaires oiciels et les grandes encyclopédies. Jours et nuits, ils sont des milliers à œuvrer gratuitement « Chacun est beaucoup trop occupé à projeter son ego dans le cyberespace pour se préoccuper de ce genre de détail. Dans la grande lute darwinienne de la communion des esprits, personne n’écoute personne. Au sein des médias démocraisés, chacune s’aiche telle une star, et il est vrai que nous en sommes les vedetes. Nous sommes les écrivains amateurs, les producteurs amateurs, les techniciens amateurs et le public amateur du cyberespace ».63 Les sites de téléchargement ont déiniivement assassiné le disque (mais pas le vinyle). En un clic aujourd’hui, vous voulez voir un ilm, regarder-le en streaming. Les encyclopédies se font englouir par Wikipédia, quant à la presse, les blogueurs ont pris le pas sur elle, ne parlons pas des émissions de télévisons qui vont bientôt être subsituées par les vidéos « made in web ». Selon
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Andrew Keen, op.cit. p.54
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Lewis Mumford, historien américain, spécialisé dans l’histoire des sciences et des technologies, ces sites nous plongent dans un état de privaion et d’anémie intellectuelle proche de l’ignorance chronique. Que ce soit dans les domaines culturels, journalisiques ou scieniiques, nous avons besoin des experts, car eux seuls peuvent nous aider à disinguer l’esseniel de l’anodin, le vrai du faux, l’informaion digne d’intérêt de celle qui ne mérite pas notre atenion.64 Mais pourquoi les amateurs préoccupent-ils tant les experts ? Les experts ont-ils tout simplement peur de perdre leur place ?
professionnels Vs amateurs
L’amateur soulève la sympathie, l’indiférence, parfois le mépris, mais surtout une crainte pour les professionnels. C’est dans un contexte de crise du marché qu’il représente une menace pour les professionnels. Les professionnels ont tout simplement peur de se faire prendre leurs places. Car les amateurs sont des passionnés à l’égard d’une acivité qui occupe une grande parie de
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Andrew Keen, op.cit. p.69
leur temps libre. Ils ont du temps pour se consacrer à ce qu’il souhaite faire, et ils le font gratuitement. Si l’insituion s’intéresse de près aux praiques amateurs, c’est qu’elles sont avant tout des praiques privées échappant au contrôle de l’administraion, de l’État. Les modes de médiaisaion sont le plus souvent indépendants et ne sont pas dominés par les médias dominants. « L’ariste amateur, contrairement au professionnel, ne se déclare pas publiquement et administraivement, il n’est pas inscrit en tant qu’ariste à la chambre des méiers ou à la maison des aristes. Il consitue pour l’État une énigme ».65 La professionnalisaion vient sancionner une compétence, un savoir faire, le professionnel vit de son méier, il en ire des revenus. Etre professionnel c’est une démarcaion sociale : le professionnel fait un choix que l’amateur ne fait pas, celui de consacrer une part de son existence à un travail voulu ou non, et d’apparaître en place publique, il assume sa posiion sociale. La qualiicaion professionnelle vient sancionner une compétence, un savoir-faire uile dans l’univers professionnel. Les amateurs contribuent donc à l’émergence de nouvelles formes d’organisaion de savoirs, de connaissances, de praiques. L’amateur s’engage souvent par intermitence : il s’agit d’un engagement irrégulier, riche en diversité. L’amateur, c’est celui qui n’est pas professionnel, ou, qui ne l’est pas encore et on suppose donc qu’il aspire à le devenir. L’amateur n’étant pas reconnu en tant que professionnel, a besoin d’une autre graitude, celle de la reconnaissance. Néanmoins, l’amateur et le professionnel ont en commun le plaisir de l’expérimentaion, de la connaissance, de la maîtrise d’un objet technique et d’une praique, la saisfacion de surmonter les obstacles. Comme nous allons le voir certaines praiques amateurs peuvent être empruntée par des professionnels. L’ariste
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Gerhard Richter travaille dans l’hétéroclite. Ce qui est propre à l’amateur qui ne travaille pas avec l’idée de série. Il trouve sa cohérence dans le muliple, le divers, l’ouvert, il propose un travail sur l’expérimentaion incessante de médiums et de supports. Le designer Jerszy Seymour joue sur la noion d’amateur et ses praiques. Un designer doit produire et, comme individu, pariciper à une rélexion sur le monde. Le mode de producion paricipaif qu’il établit, dans son atelier ou dans les lieux où il intervient, rencontre ainsi des processus ouverts au travail collecif. Pour son projet Living system (2007) il travaille sur plusieurs noions, il met en place la noion d’« amateur » et d’utopie. La quesion qu’il pose avec ce projet est celle-ci : comment aujourd’hui est-il possible de produire ses propres objets en vivant en autonomie ? Ce projet permet d’interroger la quesion d’autonomie, d’économie personnelle, de moyens. Jerszy Seimour explore l’idée de l’économie de moyens, et comment à parir de matériaux renouvelables que l’on peut trouver chez nous, nous pouvons produire des objets. Pour Living system, il a uilisé du plasique biodégradable produit par l’atelier, fabriqué à parir de pommes de terre, plantées, culivées par lui. Les objets ont été moulés dans des plâtres fais de sable et d’argile. Avec cete expérience, le designer renonce aux processus complexes et coûteux nécessaires à la confecion des moulages d’aujourd’hui. Le designer emprunte à l’amateur l’idée d’autonomie, d’individualité, qu’il projete dans son travail, car qu’est-ce qu’être designer, si ce n’est vouloir repenser le monde, comme l’amateur ? Néanmoins, le designer n’est pas un amateur, car il a une démarche de projet, il travaille dans l’idée de besoin. Cependant l’amateur peut-il devenir un spécialiste ? Quelle est la fronière entre l’amateur et le professionnel: l’amateur travaillerait pour la reconnaissance tandis que le professionnel travaillerait pour vivre ? La déiniion de l’amateur se caractérise par une dualité consituive faite de valorisaion et de dévalorisaion. Valorisaion du personnage de l’amateur qui se fonde sur un
Laurence Allard, op.cit. p.9
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goût, sur une passion, sur un savoir-faire, et qui culive un art pour son seul agrément dans une tradiion marquée par la référence aristocraique de celui qui n’oeuvre pas dans la perspecive d’une contreparie rétribuive ; dévalorisaion du quidam qui n’aurait pas le talent ni la maîtrise du professionnel et qui produirait un « travail d’amateur », médiocre et négligé, situé en deçà des critères de reconnaissance coopéraifs.66 Dans le ilm Faites le mur (2010) de l’ariste Banksy, celui-ci retrace le parcours de Thierry Garcia, un français vivant aux Etats-Unis qui ilme les exploits nocturnes de plusieurs grafeurs. Son but à l’origine était de faire un documentaire sur le Street art, en interviewant des aristes, mais l’homme n’est pas très doué dans la réalisaion, et son documentaire est très médiocre. Banksy décide alors de monter un ilm plus cohérent. Il envoie le français faire une exposiion à Los Angeles sur le thème des graiis, celle-ci est un succès, mais tout le monde s’accordera à dire qu’il n’a absolument aucun talent, néanmoins cet amateur devient un ariste et se fait un nom dans le monde de l’art. Comme nous le voyons dans cet exemple, cet homme n’a absolument aucun talent. Mais ce qui fait sa force ici, c’est la volonté et la force qu’il a d’agir pour se faire connaître et les moyens qu’il met en œuvre pour y parvenir. Néanmoins, Richard Sennet nous montre que chaque individu qui déient des savoirs et des compétences à une « experise quoidienne ». Comme nous allons le voir, le mot expert a deux signiicaions : la première, est celle qui est rendue habile par l’expérience. La deuxième, considère l’expert comme un spécialiste. Richard Sennet essaie de réhabiliter l’experise acquise par l’expérience. Son approche rejoint les analyses que Michel de Certeau proposait, sur les « arts de faire », cete « invenion du quoidien » accomplie par l’individu ordinaire qui braconne dans les
savoirs et développe des praiques réfractaires et originales, des bricolages qui peuvent déboucher sur des trouvailles.67 Ainsi, on peut devenir expert avec l’expérience. Son apprenissage se base sur l’autodidacie, ce qui fait de l’amateurisme une experise, acquise au moyen de l’expérience, et joue un rôle fondamental dans la construcion de son statut. Sans passer par l’école, l’amateur accède donc à des savoirs à travers de nouvelles formes d’apprenissage, l’amateur fait de l’auto-apprenissage. L’amateur possède donc des parcelles de compétence. Un amateur peut devenir ariste, designer, s’enseigner par lui même, et trouver la rigueur du professionnel. C’est somme toute ce que prône dans une certaine mesure, Ivan Illich pour qui les individus doivent reconquérir leur capacité de se prendre en charge eux-mêmes et ne pas s’en remetre à des « professions incapacitantes, qui empêchent l’homme de se comprendre ». Les individus doivent acquérir par plaisir, par envie par eux-mêmes des compétences et les partager. Les partager, pour pouvoir les échanger. L’acivité de créaion, de producion doit bénéicier des enrichissements que peuvent apporter des médiaions entre les professionnels et les amateurs. Mais comme nous l’avons vu auparavant, c’est bien par les nouveaux instruments de notre ère informaique, que les amateurs ont pu acquérir des savoirs, mais aussi des savoir-faire. Les amateurs peuvent donc rivaliser avec les professionnels. Ils sont devenus des Pro-Am, des professionnels amateurs, des individus qui développent leurs acivités d’amateurs selon les standards du professionnel. Le Pro-Am est sur tous les fronts, sciences, poliique, arts. Pour Charles Leadbeater, écrivain, le Pro-Am est un amateur qui praique son acivité avec un niveau d’exigence de professionnel, néanmoins il n’en ire aucun revenu.
66 Laurent Creton, « L’économie et les marchés de l’amateur », in :
Communications, 68, 1999, p.143-167.
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Patrice Flichy, op.cit. p.84
Karl Marx était peut-être le prophète original de l’économie Pro-Am. Dans l’Idéologie allemande, écrit, entre 1845 et 1847, Marx soutenait que le travail - travail forcé, et mené - serait remplacé par l’auto-acivité. Il a évoqué une société communiste dans laquelle: chacun n’a pas une sphère d’acivité exclusive, mais chacun peut devenir accompli dans n’importe quelle branche qu’il souhaite. . . 68
Le développement de la culture Pro-Am a une grande signiicaion sociale. Les gens ont envie de trouver leur propre déiniion de l’accomplissement de soi. L’intérêt des amateurs est celui de la résistance, d’aller à l’encontre de la société qui est imposée. Les Pro-Am sont aussi source d’innovaion, ils inventent de nouveaux usages, ces usages répondent le plus souvent à leurs besoins. Le pro-amateur s’invesit corps et âme dans sa passion, et développent des compétences aussi valables que le professionnel, il accède aussi à une capacité de créaion que souvent les professionnels n’ont pas. Cependant, n’oublions pas que le Pro- Am, même si il développe les capacités du professionnel, n’en est pas un pour autant, tant qu’il n’exercera pas une acivité qui lui délivrera une rétribuion monétaire. Avec le web paricipaif, les amateurs accèdent à tous les aspects de la culture contemporaine. Nous sommes face à une véritable démocraisaion des compétences. Les amateurs contrebalancent l’éliisme de nos sociétés. L’amateur brouille toutes les fronières. L’amateur n’agit plus seulement virtuellement, mais il agit dans des espaces physiques en collaboraion avec d’autres amateurs. L’amateur devient une nouvelle igure dans notre société. Un nouveau règne s’annonce pour lui, il est autodidacte, proamateur, citoyen-acteur, créateur à part enière. Créateur de qualité ?
68 http://www.demos.co.uk/iles/proamrevolutioninal.pdf The Pro-Am Revolution. How enthusiasts are changing our economy and society (consulté le 12 /05/2013)
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la montĂŠe en puIssance des amateurs
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Fablabs, des espaces de productions
Comme nous l’avons vu, pour l’amateur, le réseau social prime. De nouvelles potenialités semblent se dessiner pour lui, grâce à des collaboraions en réseaux, qui permetent d’échanger et de partager les idées, de comparer les expériences réalisées. Les réseaux d’internautes consituent un phénomène encore plus diicile à appréhender, même pour le plus compétent des experts. Des dizaines d’iniiaives individuelles sont prises chaque jour, des réseaux se consituent au gré des rencontres et des intérêts communs, mais la toile n’est pas le seul champ d’acion des amateurs. Brésil, France, Inde, Italie, USA, aux quatre coins du monde, les FabLabs sont en plein essor. Ces « espèces » d’espaces collaboraifs sont en train de naître un peu partout, des ateliers orientés le plus souvent vers les nouvelles technologies, mais accessibles à tous. Ils metent à disposiion des ouils avancés, habituellement disponibles dans le monde industriel, ain que leurs uilisateurs puissent fabriquer leurs propres objets. L’appellaion FabLab est une abréviaion de Fabricaion laboratory, laboratoire de fabricaion ou encore « fabuleux laboratoire » car ces ateliers permetent de concevoir et de construire tout et n’importe quoi. C’est à la in des années
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1990, que Neil Gershenfeld69 directeur du Center for Bits and Atoms du MIT (Massachusets Insitute of Technology), créé le programme FabLab, d’après ses cours : How to Make Something that Makes Almost Anything. L’idée de ce programme est de permetre à un groupe d’individus de pouvoir se retrouver dans un même lieu et de pouvoir concevoir, et répondre à des demandes locales, en donnant accès à des technologies plus ou moins issues de l’univers industriel, par le biais d’interfaces informaiques simpliiées, plus faciles à uiliser pour les non-spécialistes. L’équipement est gratuitement mis à disposiion, mais le plus souvent une contribuion est demandée. Les uilisateurs documentent, partagent avec les autres et il faut contribuer aux projets des autres, les metre en ligne et ainsi les faire évoluer au il du temps. Mais cassons le mythe, il n’y a rien de nouveau là dedans, déjà dans les années 1970, au sein de nombreux centres sociaux, ont été créés des ateliers équipés de machines-ouils disponibles et ouverts aux habitants-bricoleurs. Cet esprit a depuis perduré au travers des réseaux d’échanges de savoirs au sein desquels les paricipants donnent et/ou reçoivent, fabriquent ensemble. Ces dernières années les professionnels, designers, ingénieurs, se sont intéressés à ces espaces Mais ces lieux veulent-ils repenser l’avenir de la producion ? Révoluionner le monde de la distribuion ? Veulent-ils « repenser le monde » ? La seconde révoluion industrielle a indéniablement changer notre monde. Nos sociétés se sont organisées autour d’un statut à dominante commerciale et mécanisée, renforçant toujours un peu plus le capitalisme. Le design se développera dans les puissances capitalistes et impérialistes.
Neil Gershenfeld . Dans son livre, FAB, la prochaine révolution sur votre bureau , il afirme, utopiste, qu’au lieu « de fournir les technologies de l’information aux masses, les FabLabs leur montrent qu’il est possible de leur donner des outils qui leur permettent de développer et de trouver des solutions technologiques locales à des problèmes locaux. » (source ted.com et ng.cba.mit.edu ) 69
Certains mouvements arisiques tenteront de criiquer la montée en puissance de l’industrialisaion comme l’ani-design et les mouvements radicaux. Le design entreient un lien étroit avec le système économique capitaliste. Certains designers ont par le passé cherché à changer la logique du marché. En 1974, l’architecte et designer Enzo Mari tentait déjà de révoluionner le monde de la distribuion avec son projet Proposta per un’autoprogetazione, il proposait un design ani-industriel. Il suggérait de donner aux pariculiers un accès direct aux plans construcifs d’une série de meubles soi-disant réalisables par tous. Les plans étaient distribués gratuitement durant l’exposiion, puis ils furent ensuite réunis sous forme de livre. N’importe qui pouvait, pour son usage personnel, s’approprier ces dessins et réaliser soi-même un mobilier à prix minimum. À l’aide de planches standard et de matériel de bricolage usuel (marteau, scie, clous et colle) on pouvait construire des tables, chaises, bancs, armoires, bibliothèques, bureaux et lits. Par ailleurs, le système de construcion laissait à l’uilisateur une forme de liberté, celui-ci pouvait modiier les plans d’origine, ainsi le designer laissait à l’uilisateur une certaine maîtrise sur la concepion de l’objet. Enzo Mari encourageait les pariculiers à lui envoyer des dessins, des photographies des diférents mobiliers produits. Il propose ainsi une méthode pour fabriquer un ensemble de meubles, avec pour seul matériel des planches de bois et des clous. En prônant une technique élémentaire, il proposait de retrouver le geste de faire, celui-ci étant annihilé par le système capitaliste. Proposta per un’autoprogettazione voulait instaurer une nouvelle relaion entre le créateur designer et l’acheteur. Ce projet se voulait aussi plus démocraique, permettant alors de court-circuiter les diférents acteurs de l’industrie et de la distribuion. Cependant, le projet fut peu réalisé. Les plans étaient diicilement compréhensibles pour un pariculier n’ayant aucune connaissance dans ce domaine. Nous retrouvons dans les FabLabs, cete idée de démocraisaion, de partage. L’objecif de ces
lieux, c’est d’être proche des gens pour favoriser des échanges de savoirs, sans segmenter. On vient passer de l’idée à l’objet, tout un chacun vient le faire. Ce lieu est censé accueillir tout le monde… Étudiants, professionnels, chercheurs, ingénieurs. Les idées sont partagées, chacun a accès à l’informaion pour faire évoluer un projet. Lors de mes recherches, j’ai trouvé une annonce « Les quinzaines de la Fabrique » l’annonce paraissait alléchante, proposant à tout un chacun de venir pariciper à la créaion d’un FabLab. Je partais donc en visite à Chemillé en Pays de Loire à la découverte de ce lieu temporaire dans un endroit appelé « l’usinete », un grand espace installé au bout d’un chemin dans une peite ville rurale. Dans cet espace on trouve beaucoup d’équipements, fraiseuse de précision, découpe vinyle, imprimante 3D, découpeuse laser. On y trouve aussi des scies sauteuses, des scies rubans, des ponceuses, des perceuses à colonne, des machines à coudre. C’est une place publique de fabricaion. Dans ce lieu, on parle surtout de « communauté », chacun apporte ses connaissances au groupe et partagent des objecifs communs et des intérêts. C’est le collecif qui prime, ce lieu veut réinventer la société, les individus y sont des « résistants » qui essayent de se réapproprier des savoir-faire existants ou nouveaux, il y a une certaine forme de lute contre la société actuelle. Par-dessus tout, les paricipants contribuent aux communautés de bricolage ain d’obtenir l’inspiraion et de nouvelles idées pour les projets à venir et apprendre de nouveaux concepts. Les paricipants soulignent également les moivaions tournant autour de l’échange d’informaions ; comme par exemple recevoir des commentaires sur des projets personnels. Les personnes interrogées sont là pour en apprendre davantage, apprendre autrement, en partageant avec les autres « Chaque fois que je donne de l’informaion à quelqu’un d’autre, il contribue à ancrer cete connaissance dans ma tête, même simuler le désir d’en savoir plus ». En outre, les paricipants ont également souligné l’uilité d’enseigner aux autres, d’aider l’autre. Le partage est la moivaion clé pour contribuer
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à l’échange d’informaions, recevoir des commentaires sur les projets, éduquer les autres, et la présentaion de ses idées personnelles et les compétences sont les principaux facteurs. Ces liens créés, ces objets créés servent de points de rélexion sur leur idenité ainsi que sur l’expression des objecifs futurs et des désirs. Mais nous pouvons nous demander si ces « espèces » d’espaces ne sont-ils pas un remède à la crise ? Non, car le monde est en crise depuis les années 1970-1973 qui marquent le 1er choc pétrolier, depuis cete date le monde s’est installé dans une crise permanente.
vailler en y prenant du plaisir. Le inancement de ces ateliers se fait via des organisaions locales et par l’argent public, cependant les inancements sont liés à des critères de rentabilité, d’innovaion. Par ailleurs n’oublions pas que ce sont des lieux de prototypage et de pré-producion industrielle. Les industriels s’intéressent de très près à ces espaces, ils n’hésitent pas à invesir dans ces lieux qui sont propices à de nouvelles idées, à de nouvelles innovaions technologiques et qui ne coûtent rien à trouver, car les gens y travaillent gratuitement, ils ne doivent pas être là pour simplement subir la technologie, mais au contraire pour la créer. Ces lieux permetent de récolter une puissance de recherche, de rélexion.
Les symptômes d’une crise planétaire qui va s’accélérant sont manifestes. On a de tous côtés cherché le pourquoi. J’avance pour ma part l’explicaion suivante: la crise s’enracine dans l’échec de l’entreprise moderne, à savoir la subsituion de la machine à l’homme. Le grand projet s’est métamorphosé en un implacable processus d’asservissement du producteur et d’intoxicaion du consommateur. 70
Ces espaces veulent nous faire croire qu’ils veulent repenser le monde de la civilisaion industrielle, mais ils sont avant tout devenus des espaces de micro-industrialisaion. De nouveaux objets et services, de nouvelles manières de travailler ensemble apparaissent. Mais pour pouvoir fabriquer dans ces FabLabs, il faut tout de même avoir des noions d’électronique ou d’ingénierie, de concepion industrielle. Ces espaces sont surtout un appui pour les populaions. Ces lieux reposent en très grande parie sur l’échange de ressources dans un contexte en général très peu organisé, souvent éphémère, et très souvent lié à la moivaion des personnes qui composent cet endroit. Ce concept permet non pas à tous de s’approprier des ouils et des procédés de producions longtemps réservés à des privilégiés, mais à des individus somme toute formés de concevoir un espace de producion qu’ils ouvrent mais dont ils sont aussi les tenanciers. Chacun peut y tra-
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Ivan Illich, op.cit. p.469
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Les amateurs qui remplissent ces « espaces » sont à la recherche d’une nouvelle forme d’enseignement, de savoir, idée propre à Illich, qui criique le système insituionnel de l’école qui uniformise les individus. Selon lui, l’école déforme plus qu’elle n’éduque, le monopole de l’école, en tant que source d’éducaion, lui permet de décider seule de ce qui vaut la peine d’être enseigné ou non, il faut arrêter de sacraliser l’école, car elle n’enseigne plus, l’éducaion universelle par l’école obligatoire est impossible. De nouveaux systèmes éducaifs sont sur le point d’évincer les systèmes scolaires tradiionnels. Ces systèmes sont des ouils de condiionnement puissants et eicaces qui produiront en série une main-d’oeuvre spécialisée, des consommateurs dociles, des usagers résignés. De tels systèmes rentabilisent et généralisent les processus d’éducaion à l’échelle de toute une société. Ils ont de quoi séduire. Mais leur séducion cache la destrucion : ils ont aussi de quoi détruire, de façon subile et implacable, les valeurs fondamentales. Une société qui voudrait réparir équitablement l’accès au savoir entre ses membres et leur donner la possibilité de se rencontrer réellement devrait reconnaître des limites à la manipulaion pédagogique et thérapeuique qui peut être exigée par la croissance industrielle et qui nous oblige à maintenir celle-ci en deçà de certains seuils criiques.
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Ivan Illich, op.cit. p.451
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Une école d’art est-elle justement un système éducaif à part ? Un système diférent, un lieu donnant à l’homme la possibilité d’exercer l’acion la plus autonome et la plus créaive possible. « Dans les premiers écrits de Marx dans ses Manuscrits de 1844, le travail arisique est conçu comme le modèle du travail non aliéné par lequel le sujet s’accomplit dans la plénitude de sa liberté en exprimant les forces qui font l’essence de son humanité. Le travail devrait être pour chacun le moyen de déployer la totalité de ses capacités ».72 L’homme réalise donc son humanité par l’acion créatrice et par le travail. Nous pouvons nous demander ce qu’Ivan Illch aurait pensé des FabLabs ? Comme nous l’avons vu auparavant, pour Illich une société conviviale est une société où l’ouil moderne est au service de la personne intégrée à la collecivité. Dans la logique des FabLabs l’individu s’empare du savoir sans atendre que l’école le lui transmete et développe l’apprenissage par l’expérience, remetant ainsi en cause la pédagogie de l’école. Ces espaces seraient la base d’un modèle social organisé autour de l’entraide, la difusion des savoirs et l’autoproducion. L’autoproducion désigne toutes les acivités desinées à produire des biens et des services pour sa propre consommaion et celle de son entourage, sans échange monétaire. C’est une producion qui se fait par le biais d’individus qui au départ n’ont pas vocaion à cela. Si ces espaces sont basés sur l’autoproducion, plusieurs communautés pourraient fabriquer leurs propres objets. Les FabLabs au départ se voulaient comme des lieux permettant à tous d’apprendre autrement et de donner accès aux ressources, l’idée était de donner à chacun la possibilité de donner son opinion et de se faire entendre. Chacun devenant à son tour « apprenant » et « appreneur ». On retrouve bien là l’idée dont parlait Illich à propos d’une société sans école. Seulement, l’utopie d’un tel système
est déjà caduque, les FabLabs ne renverseront pas la société, ils ne « sauveront pas le monde ». Les Fablabs ne permetent pas le contournement du parcours éducaif, ni l’émancipaion de la maîtrise, mais ils permetent une expérimentaion accompagnée de machines et de techniques. Le MIT a seulement rajouté là, la culture du réseau, les licences, le cadre « légal », donc contrôlé ! Dans un FabLabs, vous travaillez énormément, mais vous vous ennuyez rapidement, car il n’y a rien de vraiment concret. L’efervescence des débuts n’est rapidement plus là. Cet espace se proposait comme espace d’expérimentaion de nouveaux processus de créaion d’objets mais ressemble plus à un centre de loisirs, où vous apprenez le tricot, une veille dame vous ofre des gâteaux, vous apprenez à vous servir d’une carte graphique arduino… Mais après ? Certains ont crû à l’utopie des Fablabs, d’autres ont compris que ce n’était pas assez. Le concept de FabLabs est en train d’être dépassé par ceux qui au départ remplissaient ce même espace. Ces individus sont appelés Makers, ceux qui font…
Pierre Michel Menger, Portrait de l’artiste comme travailleur, Métamorphose du capitalisme, Paris, Editions du Seuil, La République des Idées, 2002, p.9
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le mouvement Makers, une révolution en marche ?
Que se passerait-il si demain tout le monde pouvait fabriquer presque tout ce qu’il voulait ?73 « We are all Makers » Dale Dougherty, fondateur de Make Magazine et de Maker Faire.
L’idée de Make Magazine, c’est d’encourager la créaivité individuelle car elle est porteuse de plus de conscience et responsabilité sociale.74 Cet autre mouvement en marche est lui aussi né aux Etats-Unis. Il traduit aussi un changement, le maker ne développe plus seulement dans le monde virtuel, mais il développe ses idées dans le monde réel. « Ceux qui font » veulent tout faire. Les Makers veulent renverser la producion des biens, ils veulent déier et résister à l’obsolescence programmée, arrêter les délocalisaions, et réindustrialiser les villes. Vont-ils réinventer le capitalisme ? Une fois encore, c’est internet et ses réseaux qui ont contribué à structurer ce mouvement. Les Makers sont les innovateurs du quoidien. À travers le monde, existe diférentes Tedglobal.blog.lemonde.fr - Le mouvement des makers va-t-il sauver le monde? (Consulté le 12/12/12) 74 Ted.com Dale Dougherty
communautés ; les Hackerspaces, qui sont des lieux de fabricaion numérique desinés à de peits groupes, (Noisebridge à San Francisco). Les Techshops, plus accessibles à tous, ces ateliers deviennent des entreprises de référence en maière de lieu de fabricaion personnelle.75 De plus en plus de Techshops, foires, ateliers se développent. Ils permetent de redéployer des acivités dans les centres-villes, ces lieux favorisent le développement des écoles, des musées, des entreprises… Contrairement aux FabLabs, les TechShops sont des lieux privés portés par des sociétés. Les membres ont accès au TechShop via un abonnement mensuel ou annuel, il y a donc bien un enjeu économique. Nous pouvons nous demander si à long terme, ces espaces ne deviendront pas comme des « club de itness » un lieu où l’on se rend chaque semaine pour bricoler, développer ses projets. Ces lieux deviennent-ils des mini-usines de quarier ? Ces lieux de fabricaion numérique sont un terrain d’expérimentaion pour l’Open Source Hardware (composants électroniques libres de droit), la créaion d’objets dont la concepion et fabricaion sont ouvertes à tous. Leurs membres partagent aussi des créaions, ils metent eux aussi en ligne des plans, des instrucions, des listes de matériaux, des recommandaions. Toutes ces informaions permetent de reproduire l’objet chez soi, de le réuiliser, de le détourner, de l’améliorer. Des sites comme Instructables.com vous permetent d’échanger vos tutoriaux, c’est une «plate-forme de documentaion sur le Web où des passionnés partagent sur ce qu’ils font et comment ils le font, Instructables a été lancé en 2005 par Eric Wilhelm, lui aussi issu du MIT Media Lab. Ce sont des projets partagés sur le web, souvent accompagnés d’instrucions, d’images et de vidéos. Avec plus d’un demi-million d’uilisateurs, les projets sont variés. Les uilisateurs sont en mesure d’évaluer, de criiquer, de quesionner et commenter sur chaque pro-
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http://www.internetactu.net/2011/05/25makers-12-faire-societe/ (consulté le 12/12/12)
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jet. Etsy.com permet de vendre vos producions, Thingiverse.com d’échanger vos maquetes et vos plans en 3D. A l’université de Berkeley (San Francisco) des départements sont dédiés au Design, Interacion & Technologies. Cependant, pour bien comprendre toutes les ressources, il faut avoir un minimum de connaissances en ingénierie, et rares sont les projets qui arrivent à terme. Pour la plupart des Makers, ces lieux deviennent peu à peu une réelle opportunité de faire de leur passion ou de leurs bonnes idées un business, pour un coût accessible, n’importe qui peut venir esquisser son objet, voire même le produire à peite échelle.76 Tout cela reste très american dream, de quoi coninuer le rêve de sa peite entreprise, et d’entreprendre sa sucess story. Certains sont bien paris d’une pomme… Mais ces lieux sont avant tout des espaces de fabricaion pour soi et les autres. Descartes dans son Discours de la méthode77 nous montre que l’acion de l’homme, c’est de penser, « je pense donc je suis ». Il nous faut penser par nousmême, sinon, nous perdons notre humanité, et notre individualité, l’acte de penser nous fait exister. Penser, c’est en quelque sorte savoir que j’existe, que je suis. C’est alors, donc par l’acte de créaion, et de faire que je prends conscience de qui je suis. Charles Taylor a montré comment les individus sont désormais dotés d’une forme d’intériorité inédite : L’individualité de chacun est fondée sur les caractérisiques pariculières de sa personnalité qu’il faut préserver de l’imitaion et de l’inluence d’autrui. Chacun peut, grâce à la rélexivité du rapport conscient à soi, chercher à accéder aux profondeurs inimes de sa personnalité. La réalisaion de soi ne devrait être, dans l’idéal, entravée ni par le conformisme social ni par les inégalités qui interdisent de reconnaître la juste valeur de la personnalité de chacun et
76 Tedglobal.blog.lemonde.fr - Le mouvement des makers va-t-il sauver le monde? (Consulté le 12/12/12) 77 René Descartes, Discours de la méthode [1637], Paris, Garnier Flammarion, 2000, pp. 190
l’épanouissement complet de celle-ci. Si chacun a une façon originale d’être humain, chacun doit encore découvrir ce soi qui ne se laisse rapporter à aucun modèle préexistant.78
Par ailleurs, dans ces lieux, la technique est omniprésente. Nous irons de celle-ci des bénéices, la technique nous éblouit et nous fascine. Cependant, ces lieux restent illusoires pour l’homme, ils lui permetent de coninuer une part de rêve techniciste, consistant à espérer qu’un ouil, une machine, un appareillage pourront en euxmêmes résoudre un problème ; cet espoir étant d’ailleurs renforcé par l’étendue des applicaions possibles de l’informaique et de la roboique que l’on retrouve dans ces lieux. Les Makers fabriquent leur propre machine, développent leur propre praique, l’amateur devient-il un spécialiste ? Comme nous l’avons vu auparavant les individus déiennent des savoirs et des compétences, et c’est par l’expérience que l’on peut devenir spécialiste. Cete culture Makers, c’est avant tout vouloir sorir du monde de l’industrie, sorir du système ! La igure de l’amateur ne va pas détrôner le professionnel, mais l’amateur devient un sujet central dans nos sociétés, car il annonce un mouvement important. L’amateur, acteur important, est aujourd’hui l’individu lambda qui peut acquérir des compétences, aussi bien au niveau poliique, économique, informaique et ces compétences peuvent permetre de dialoguer avec les experts. L’amateur est un nouvel acteur, une igure hybride, mêlant un individu à la fois passionné, mais aussi professionnel dans son acte de faire. L’individu Maker devient souvent un pro-amateur, c’est-à-dire un individu qui prend part à ce qu’il va consommer. Cete aitude de pro-amateur nous sort de notre aitude passive de consommateur, elle nous pousse à nous réapproprier les savoirs, les techniques pour devenir des acteurs responsables de l’univers que nous façonnons. Cependant, l’idée d’un monde où nous serions tous créateurs et
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producteurs suscite un certain scepicisme: car l’efort de créaion demande un apprenissage, une connaissance des matériaux qui ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Toutefois l’amateur pourra au il du temps devenir spécialiste, si celui-ci acquiert au fur et à mesure les compétences nécessaires. Mais ce qui donne une âme, ce qui donne vraiment corps à ces espaces, ce sont bien les machines, sans elles, le monde porterait peu d’intérêt à ces lieux. La machine la plus connue, et dont tout le monde ne tarit pas d’éloges, c’est l’imprimante 3D, alors efet de mode ? Ou réelle avancée technologique ?
l’impression 3d et ses fantasmes
La révoluion industrielle de la in du XVIIIe siècle a rendu possible la producion de masse de biens. Des économies à grandes échelles ont vu le jour, elles ont changé l’économie de notre société. Aujourd’hui, une technologie pourrait bien produire l’inverse : c’est l’impression tridimensionnelle. L’imprimante 3D est l’ouil qui donne corps au FabLabs et à l’utopie de l’autoproducion coopéraive. Mais l’impression 3D n’est pas complètement nouvelle, il faut remonter en 1984, en France pour voir apparaître la
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première stéréolithographie dans les usines. En 2005, Adrian Bowyer, ingénieur et mathémaicien, invente l’imprimante RepRap, celle-ci est conçue sur le mode du logiciel et du matériel libre. La RepRap forme des objets par addiion de couches faites d’un mince ilament de plasique fondu. Cete machine est capable de s’autoréparer en produisant ses propres pièces de rechange (on parle de machine auto-réplicante). Cete technologie foncionne sur le principe de l’addiion, et non du moulage ou de la soustracion. Elle rematérialise ce qui est dématérialisé.
À la quête du Graal Dans les années 1990, ces technologies étaient exclusivement réservées au prototypage des industriels. Dans le milieu industriel, la fabricaion d’un moule coûte très cher, ce genre de machine, permet de produire plus rapidement et de diminuer les coûts de fabricaion. De nos jours, ces technologies sont de plus en plus accessibles. L’impact de l’imprimante 3D - devenue l’innovaion de notre époque - sera-t-elle plus grand que le web 2.0 ? L’imprimante 3D s’invite dès aujourd’hui dans vos salons, serat-elle dès demain au pied du sapin ? Ce type de machine ramène des possibilités de fabricaion dans la sphère domesique et pour les non-professionnels. Les professionnels s’y intéressent de près, ils produisent à peite échelle et peuvent ainsi maîtriser toute la chaîne de producion. Les ingénieurs, architectes, designers peuvent créer des prototypes plus rapidement. Mais en tant que designer, quels types d’objets pouvons-nous imaginer à parir de ces nouveaux procédés ? Récemment, c’est dans le monde de la mode, que l’impression 3D s’est fait remarquer, le créateur Francis Bitoni et le designer Michael Schmidt, ont créé une robe consituée d’une structure ariculée en nylon. La styliste Iris Van Herpen s’est emparée aussi de cete technologie, elle a créé deux robes, l’une fut élaboré avec l’architecte autrichienne Julia Koerner et la seconde fut réalisé en collaboraion
avec Neri Oxman79 du Media Lab du MIT. En architecture, le Dutch Architecture Studio en collaboraion avec Enrico Dini, expert en roboique et l’ariste Rinus Roelofs envisage de construire une maison Landscape House avec une imprimante 3D D-Shape géante qui imprimera des secions allant jusqu’à 6 x 9 mètres en uilisant un mélange de sable et d’un liant. Habitat imprimé (2013) de François Brument designer et Sonia Laugier spécule sur l’ouil numérique et sur sa capacité à développer une chaîne coninue de la concepion à la fabricaion. Une spéculaion qui bouscule les règles tradiionnelles de l’aménagement intérieur où gros oeuvre, second oeuvre et iniions fusionnent grâce aux technologies les plus avancées de l’impression 3D. Ainsi, paramétrées selon l’épaisseur variable des parois, la prise en compte du mobilier et des équipements techniques, de ines couches de maière (plasique, sable ou béton) se superposent, pour créer un aménagement sur-mesure pouvant se moduler au cours de la réalisaion. Outre le fait que cete technologie soit en pleine efervescence du côté des créateurs, l’imprimante 3D est une technique. Une technique révèle l’état d’une société. Derrière la révoluion de dupliquer un objet dans l’instant, y aurait-il une révoluion en marche ? Une technique peutelle engendrer une nouvelle société ? Au XXe siècle, le capitalisme industriel a été la base du développement de la producion industrielle. La producion en grandes séries, la standardisaion des objets, se sont basées sur l’organisaion du travail. Demain, le taylorisme pourrait être vite oublié, si chacun peut fabriquer ce dont il a besoin chez lui au lieu de les acheter. Ces machines fabriquent un objet sans moule, sans être un spécialiste, on peut imprimer un objet. Cela remetrait en cause notre système économique dépendant des grosses unités produc-
79 Neri Oxman est designer, architecte en bioclimatique et morphogénèse climatique. Elle est enseignante au MIT Media Lab, et a fondé le MaterialEcology DesignLab.
ives. À la diférence du capitalisme tradiionnel, ces machines metent en place une économie collaboraive, basée sur un inancement paricipaif, chacun peut y contribuer et y pariciper. Les imprimantes ne metront pas in aux grandes manufactures, mais elles pourraient réduire leur nombre. Car de telles machines pourraient donner lieu à un retour de producion de proximité. Par ailleurs, ces machines peuvent-elles nous permetre une réappropriaion d’autonomie ? La producion peut-elle être au service des individus ? Cete technologie permetrait une réappropriaion de la producion, chacun pourrait avoir une maîtrise sur ce qu’il fait, et avoir une maîtrise sur ce qu’il fait, et réaliser en foncion de ses besoins. Ainsi, les individus pourraient reconquérir une part de leur connaissance et de leur orientaion. Avec ce type de technologie on abolit la fronière entre le consommateur et le producteur. L’individu devient alors un « prosumer » pour reprendre l’expression du futurologue américain Alvin Toler, le consommateur est de plus en plus engagé dans la producion. Un consommateur peut donc poteniellement modiier les objets par rapport à ses besoins. Dans les écrits de Marx, le prolétaire, est un travailleur qui est réduit à vendre sa force de travail car celui-ci ne possède pas ou plus d’ouils de producions. Dès lors nous pourrions penser que celui-ci peut ainsi recouvrer son autonomie avec cet ouil qu’est l’impression 3D, l’individu aurait un contrôle sur l’ouil, celui-ci restant à son service. Mais cete technologie marque l’avènement du futur capitalisme : elle permetra plus de lexibilité dans les processus de producion, et elle metra en place de nouvelles formes de soustraitance. Le futur capitalisme se fera peut être à la maison. Nous nous dirigeons vraisemblablement vers une exploitaion de type « économie de l’atelier » avec le retour de la proto-industrialisaion80.
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Terme économique conçu par Franklin Mendels en 1969, décrivant de
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L’image du château de sable ? Lors de mon immersion dans le FabLabs « l’usinete », j’ai monté une imprimante 3D auprès de Emmanuel Gilloz, designer et créateur de la FoldaRap, une imprimante 3D en version transportable. Sur le même principe que la RepRap, elle est conçue pour refabriquer certains morceaux ideniques qui la composent. Cete machine ne s’appuie pas sur les brevets, mais s’appuie sur un open source logiciel, celui-ci permet à tous de créer sa machine, de la redistribuer, et d’y apporter des innovaions. Ce concept fait référence au logiciel libre, le programme du logiciel donne le droit à toute personne de le compiler, de le modiier, de le copier et de le difuser. Dans le cadre de la producion d’objets, ce partage du libre donne accès aux choix de concepion, aux plans et aux méthodes de producion. Après une recherche rapide sur wiki81, vous aurez à votre disposiion des informaions techniques, permetant, pour les plus moivés, de suivre l’évoluion du projet et les muliples tentaives d’amélioraion. L’intérêt de ces machines, résulte surtout dans leur construcion, dans l’acte de faire. L’amateur trouve un intérêt ludique dans cet assemblage type « lego » et mode d’emploi, quant à la quesion, que comptez-vous en faire ? La réponse reste pour le moins surprenante : ils n’en ont aucune idée (pour le moment)... À ce jour à « l’usinete » certains créent des peits vases, des triangles qui s’assemblent… Dès lors nous pouvons considérer que ces objets sont avant tout des objets de désirs, pour le desinataire, mais c’est la machine qui en a fait des objets de besoin. L’imprimante 3D vous fait croire qu’il est facile de produire des produits parfaits à la simple pression d’un bouton. Qu’il suit de créer à parir d’un logiciel 3D, l’objet dont vous avez « besoin », ou encore de le télécharger et de le modiier à votre guise, mais pour le faire, il faut avoir des compétences et tout le monde n’est pas apte à le faire.
très petits ateliers situés en milieu rural. 81 http://www.reprap.org/wiki/RepRap (http://www.reprap.org/ wiki/RepRap) (consulté le 18/04/2013
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Malgré l’engouement suscité, ces machines restent chères : pour une imprimante 3D il faut compter environ 350 euros, 650 euros, et très peu de gens sont capables de les construire eux-mêmes. Actuellement, imaginer que les gens possèderont chez eux de plus en plus d’ouils efectuant un travail longtemps réservé aux industries relève du fantasme. Ce type de machine ne va-t-il pas encourager à produire toutes sortes de gadgets, et à jeter encore et plus facilement…La machine en elle-même n’est-elle pas un gadget ? Et n’estce pas un nouveau business ? De nouvelles Startup comme Sculpteo, ont bien vu là l’émergence d’une nouvelle demande, les individus étant toujours à la recherche de « la nouveauté », le principe est de donner au grand public la possibilité d’imprimer en 3D, et d’ajouter sa touche personnelle. L’individu est happé par le côté « magie » de la machine et de l’instantané. Sommes-nous à l’aube d’un nouveau culte machiniste, qui pourrait laisser place à de nombreux gadgets, ou encore à une société de plus en plus contrôlée par les machines ?
toujours vers un culte de la machine?
L’œuvre des designers du streamline souligne les bénéices d’une technologie au service de tous. Cependant, cete dernière est à la fois source d’inquiétude et de fascinaion, car elle peut contribuer à la prise de pouvoir de la machine sur l’homme et la nature, tout en prétendant apporter le progrès à tous. Mais comment résister à la machine ? Elle est partout, elle nous séduit, elle est toujours plus ou moins obéissante, ses organes peuvent broyer, composer, décomposer, isser, découper, imprimer, transformer tous les éléments qu’on lui donne à transformer. La machine promet d’alléger toujours plus le travail, d’améliorer la vie de tous. La machine parcourt les routes, traverse le ciel et les océans, notre système solaire. Elle capte nos voix et les transmet. Séductrice, elle l’est, elle est à la fois obéissante et dominatrice. Depuis la Révoluion industrielle du XVIIIe siècle, la machine a paru menacer le travail des arisans-cratsmen. La menace paraissait physique ; les machines industrielles ne se faiguaient jamais, exécutaient la même tâche heure après heure sans se plaindre. La menace que la machine moderne fait courir audéveloppement des compétences est d’une autre nature.82
Le dilemme auquel est confronté l’individu ient à la machine. Est-ce un ouil amical ou un ennemi qui remplace le travail de la main de l’homme ? Pour exemple les logiciels de CAO sont rapides et infaigables, contrairement à la main. Dans l’histoire économique du travail manuel qualiié, les machines qui sont apparues en amies ont souvent ini en ennemies. Dans le ilm de Chaplin, Les temps modernes83, l’homme est prisonnier de la chaîne de montage. L’idée centrale de ce ilm, c’est la révolte de l’homme contre toute subordinaion à la machine et c’est une criique cinglante du travail à la chaîne. Il s’agit d’un individu qui, huit heures par jour, des années durant, doit faire le même geste. La monotonie du travail et le rythme imposé par le tapis roulant ont
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Richard Sennet, op.cit. p.57 Charles Chaplin, Les temps modernes, Format : 35 mm, 1,33:1, 1936
raison de son équilibre psychique. L’homme est un automate, ayant des mouvements rélexes pour serrer des vis, les ouvriers de l’usine portent la machine dans leur propre démarche. Dès le début de l’industrie l’homme a peur de ce renversement de la machine, et si elle inissait par les contrôler ? Les ouils mis à disposiion et pilotés par des machines, exécuteront toujours des tâches plus précises que la main de l’homme, mais la machine n’aura jamais cete part de sensible propre à l’homme. « La main saisit, ient, presse, pousse, façonne sans efort. Elle peut fouiller et palper. Elle est merveilleusement souple et agile. Mais les moteurs de ce travail cohérent, sont l’esprit qui gouverne, et les seniments qui lui donnent vie, chaque geste prend sa source dans l’esprit. Mais la main est mal adaptée à l’automaisaion et ne peut travailler de manière ininterrompue. Celle-ci pourra acquérir un certain degré d’automaicité, mais elle ne pourra jamais répéter le même geste sans in ». 84 L’Arisan électronique, conçu par le studio de design belge Unfold et Tim Knapen en collaboraion avec la communauté Rep Rep, interroge sur le processus de producion tout en gardant la main sur la machine, une main qui est pourtant réduite à peu de gestes, cete machine propose aux visiteurs de modeler virtuellement leurs propres poteries. Proche d’une imprimante 3D, ce tour de poier numérique s’appuie pourtant sur un principe arisanal simple qui consiste à superposer des colombins d’argile. Combiné à un scanner et un logiciel de modélisaion, il permet d’imprimer en trois dimensions les formes modelées virtuellement par les visiteurs. Mais où est vraiment l’intérêt si ce n’est la technologie ?! J’ai pu tester cete machine, et ma main ne déclenchait qu’un processus, elle n’était présente que pour modeler dans l’air l’irréel de ce qui devait se matérialiser dans le réel. Mais faire une poterie, n’est-ce pas de prime abord se servir de ses mains pour modeler dans la terre l’objet de ses besoins, d’être en contact direct avec
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l’objet. En imitant le travail arisanal, la machine rabaisse les valeurs expressives de la main. Moins glamour, et si on s’imprimait une arme à la maison ? Aux Etats-Unis, où le port d’armes est légal, The Defense Distributed, organisaion anarchiste américaine a créé dernièrement une arme The Liberator ; pour ce groupe chacun à le droit d’avoir accès à une arme…et il est possible de télécharger le ichier pour la confecionner. Demain, vous n’aurez pas seulement une imprimante 3D au pied du sapin…
rions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maître et possesseurs de la nature »87 ainsi l’homme est comme maître et possesseur de la nature, mais il ne le devient jamais. L’exploitaion du monde par la technique reste une réussite dangereuse. Et tout au contraire, c’est elle qui se retourne contre nous. On pense peut être se libérer du système de producion actuel, alors qu’au contraire, ces machines sont juste une mutaion du capitalisme, elles ne vont pas l’enrayer, au contraire, il le nourrit toujours un peu plus tel un monstre jamais rassasié.
La mécanisaion est un agent, au même itre que l’eau, le feu et la lumière. Elle est par elle-même aveugle et passive ; il faut la canaliser. Comme les éléments naturels, elle atend de l’homme qu’il l’uilise et qu’il se protège de ses dangers inhérents. Parce qu’elle est née tout enière du cerveau de l’homme, elle n’en est, pour lui, que plus dangereuse. Moins aisément contrôlable que les éléments naturels, la mécanisaion réagit sur les sens et l’esprit de son créateur.85
La mécanisaion peut être dangereuse et c’est à l’homme de la canaliser. Selon Gilles Deleuze86, chaque société correspond à des types de machines. Aujourd’hui, nous sommes dans une ère informaique, et c’est par ces machines que la société vous contrôle. La société de surveillance que nous appréhendons est déjà là, tout autour de nous. Le laboratoire Media du MIT ne fait qu’accentuer cete tendance, toutes ces applicaions roboiques n’anicipent pas seulement nos choix, mais ils nous contrôlent, toutes nos données sont déjà enregistrées par Google et la grande grille invisible de l’internet, l’informaion est omniprésente, l’individu entreient déjà un dialogue constant avec la machine. Descartes toujours dans le Discours de la méthode avec sa funeste formule nous dit que « les acions du feu, de l’eau , de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi disinctement que nous connaissons les divers méiers de nos arisans, nous les pour-
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Sigfried Giedion, op.cit. p.582 Gilles Deleuze, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle, 1990
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87 René Descartes, Discours de la méthode [1637], Paris, Garnier Flammarion, 2000, pp. 190
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conclusion
Le faire est l’acion la plus puissante que nous ayons pour résoudre des problèmes, exprimer nos idées et façonner notre monde. Pourquoi et comment et ce que nous faisons déinissent qui nous sommes, et communiquent sur ce que nous voulons être. Pour beaucoup de gens, ceci est esseniel à leur survie. Pour d’autres, c’est une vocaion choisie : une façon de penser, d’inventer et d’innover. Et pour certains, c’est tout simplement une manière de faire, de dire « j’ai fait cela ». Le Do It Yourself a rejeté la producion de masse en faveur de la producion individuelle. Cependant, comme toute alternaive, elle s’épuise face à la colonisaion par l’économie. Nous sommes loin d’un mouvement contestataire, visant à émanciper l’individu, qui encourageait la créaivité, simulait la débrouillardise. Durant les années 1970, la contestaion et le besoin d’agir se sont fait entendre au sein du prolétariat et des classes moyennes dans les pays industrialisés. Le DIY est très coûteux en termes de temps et d’énergie, et son applicaion va à l’encontre de la logique de surconsommaion mise en place par les sociétés capitalistes. À une époque où l’informaion sur Internet est le principal canal par lequel les idées sont transmises. Les contraintes de temps et de lieu physique disparaissent. Grâce au partage de l’open source, les professionnels, arisans, amateurs sont capables de passer d’une discipline à l’autre, ou de fusionner des disciplines, dans le cas où ils désirent élargir leur répertoire. Il ne fait aucun doute que les changements technologiques ont accéléré ce mouvement.
L’amateurisme s’inscrit dans le mouvement de l’individualisme, il relète la volonté de l’individu de construire son idenité, tout comme moi, à travers cete école, je me construis, je construis mon idenité. Néanmoins une école d’art est dirigée par l’État, le développement de l’administraion de l’art et sa professionnalisaion apparaissent à Adorno comme deux des leviers les plus sûrs de sa neutralisaion. En d’autre terme, pour pouvoir contrôler les aristes et mieux les neutraliser, il a fallu créer une administraion pour les encadrer. « Lorsque le monde est secoué de crises économiques, de conlits sociaux, le développement arisique, le diverissement, la jouissance individuelle sont alors des véhicules idéologiques de la dominaion. Et si le conservaisme des auditeurs et des spectateurs dominés par les habitudes de consommaion et manipulés par les industries culturelles a coniné les créateurs progressistes dans un douloureux isolement social, leur marginalité paraît suisamment dangereuse à la société bourgeoise pour qu’elle cherche à en neutraliser les efets en absorbant la créaion dans la sphère de l’administraion culturelle ». 88 En étant amateur, l’individu favorise son épanouissement personnel, il développe des acivités qui lui sont propres, l’individu peut trouver là des saisfacions que ne lui apportent pas toujours ses acivités professionnelles. L’élaboraion de son idenité numérique lui permet à la fois de se disinguer, d’être reconnu et de construire des liens. L’individu en tant que tel, unique fait peur à l’État car il n’est sous aucun contrôle, il agit seul et un individu qui n’est pas « maîtrisé » est un danger pour l’insituion, et encore plus si celui-ci commence à agir en collecif pour luter contre la société. C’est à travers de nouvelles formes d’apprenissage qui passent rarement par l’école, mais plus par l’auto-apprenissage, que l’amateur acquièrt des parcelles de compétences. L’acivité des amateurs n’est pas orientée vers la réalisaion de produits arisiques excepionnels ou de
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trouvailles scieniiques. Ils privilégient l’acivité productrice, le plaisir, l’apprenissage, le cheminement, l’expérimentaion, le « faire avec », « faire avec les moyens du bord ». Détroit, ancienne capitale de l’automobile des Etats-Unis dès la in du XVIIIe siècle est en ruine. Depuis les années 1950, la ville s’est enfoncée dans la crise. Elle serait même à vendre, elle a en tous les cas fait faillite. Au milieu des ruines, les gens se prennent en main. Bricoleur, amateur, proam, maker et maintenant « doer ». Ces individus sont des doer, face à leur ville délaissée par les poliiques, les habitants de Détroit ont décidé de faire eux-mêmes leur ville, de reprendre possession des ruines, des espaces abandonnés. Des jardins communautaires leurissent un peu partout, on y trouve de nombreux lieux dédiés aux makers. Cete ville montre-t-elle le prémisse d’une nouvelle société ? D’une nouvelle manière de vouloir faire ? Elle est porteuse d’un modèle économique singulier qui tend à proposer une alternaive au système dominant. Ces mouvements à travers le monde, nous montrent l’émergence d’une nouvelle manière de concevoir. Aujourd’hui, n’importe qui avec un ordinateur et un bon logiciel a accès aux moyens de créer et de produire. Les ingénieurs et les concepteurs ont recours à des imprimantes 3D depuis plus d’une décennie. Dans un proche avenir, les consommateurs téléchargeront-ils des produits à imprimer à la maison comme ils le font déjà avec la musique numérique ? Est-ce là une culture du clic fait pour et par soimême ? Il vous suira seulement de cliquer pour imprimer, comme nous le faisons déjà avec une imprimante classique. Certains auront la capacité de pouvoir modiier un produit en foncion de leur besoin. La producion de masse pourrait céder la place à la personnalisaion de masse pour toutes sortes de produits, des chaussures aux lunetes en passant par les ustensiles de cuisine. Dans le domaine de la personnalisaion, le site tel que NikeID ofre aux consommateurs la possibilité de personnaliser leurs propres pro-
duits. Nous nous dirigeons vers une culture du moi appelée The me, me, me generaion. La généralisaion d’ouils comme les imprimantes 3D peuvent amener à nous interroger sur le rapport aux objets que nous allons avoir dans un proche avenir. L’ouil arrive en efet dans une société consumériste, dont un des moteurs est la simulaion du désir de possession d’objets. Le capitalisme encourage toujours un peu plus le développement des machines, le développement de l’économie. De ce fait, la quanité de bien consommés ne peut pas être réduite, pire encore cet ouil pourrait l’augmenter. Néanmoins, nous n’allons pas tous nous metre à produire des objets. Mais nous pouvons nous demander si la relaion entre designers, uilisateurs et objets va changer ? L’explosion des technologies de communicaion a profondément bouleversé la façon de travailler des designers et en leur permetant d’échanger, de partager. En réduisant les barrières de fabricaion, l’impression 3D alimente un peu plus le système. Si vous concevez une forme sur un ordinateur, vous pouvez la transformer en un objet. Dès lors, vous pourrez imprimer un objet, le modiier si vous en avez les capacités. Un consommateur pourra réparer les produits, mais aussi poteniellement les modiier. Grace à l’open source, l’objet pourra sans cesse être amélioré et tout cela gratuitement. Pour les entreprises créer un nouveau produit coûtera donc moins cher. Mais si l’objet est appelé à changer, les designers pourraient ne jamais voir ou même être au courant des résultats de leurs eforts. La relaion entre l’uilisateur et le produit est en train de changer, les uilisateurs passent de plus en plus à un rapport acif de leur propre concepion. Les designers devront apprendre à développer des systèmes qui seront uilisés et modiiés par les autres. Lors de la Design week de Milan, en 2011, Droog a proposé un concept de design numérique Design for download. Droog a demandé à quelques designers de dessiner des objets, qui pouvaient être fabriqués par tous et notamment dans les FabLabs. Les objets conçus pouvaient dès lors
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être facilement adaptables par l’uilisateur pour ces besoins personnels. Le produire soi-même laisse supposer une posture plus acive, et donc un changement dans la manière de consommer. D’une certaine manière, nous retrouvons bien là, une des idées du design radical des années 1960, celui-ci visait à briser les principes de bonne concepion, et s’ataquait aux structures idéologiques publiques. Les radicaux remetent ainsi en cause les valeurs établies par la société de consommaion tout en proitant de ses failles ou de ses intersices de liberté. Ce n’était pas contre mais tout contre. Le mouvement des architectes et designers radicaux italiens cherchera à s’échapper de la standardisaion du monde en s’engageant dans des projets expérimentaux et des édiions limitées, voulant ainsi réformer le mode de penser des habitats et des villes, en proposant un environnement non standardisé. Pour exemple Ugo La Pietra, ariste, architecte, designer, développa une approche anthropologique des phénomènes urbains, permetant de redéinir les relaions individu / environnement. La ville devient un territoire que l’homme doit reconquérir à travers sa propre expérience, ses intervenions sont la manifestaion de la vie dans la ville. Le design radical était fermement opposé à la doctrine du Good Design et le style comme ouil de markeing. Ses représentants visaient à changer l’aitude des gens à l’élaboraion de l’environnement, metant souvent, l’accent est mis sur l’intervenion de l’uilisateur, la modiicaion de l’objet pour répondre aux besoins pariculiers des consommateurs. Le rôle du consommateuruilisateur était au centre de leur rélexion. Le DIY qui portait en lui les germes de son détournement, est devenu rapidement une mode et un produit de consommaion, succombant au capitalisme. Cet esprit de débrouillardise, du faire soi-même, d’auto-prodcuion sont devenues des ressources très lucraives au il du temps. De plus elles sont faciles à manipuler pour façonner un individu adaptable et capable de consenir aux aliénaions des sociétés. Sa récupéraion commerciale est bien en marche, ainsi, on récu-
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père les codes de ce mouvement du « faire soi-même » et l’on considère le consommateur comme un « demandeur de soluions ». Pour le consommateur, le design est devenu un vecteur d’expression individuelle, l’esthéisme des objets dont nous choisissons de nous entourer est signiicaif de nos goûts, de notre mode de vie, statutaire. Au travers de toutes ces considéraions, les ouils informaiques ou l’impression 3D ne doivent pas être perçus comme une menace, mais comme une possibilité, le rôle du designer va changer plutôt que de disparaître, et ce changement de rôle apportera avec lui, la nécessité d’un changement dans l’aitude du concepteur en ce qui concerne sa relaion avec l’objet ini, et sa relaion avec l’uilisateur amateur. Un consommateur devenu auto-producteur peut presque espérer construire l’ofre recherchée. Le designer quant à lui se tourne de plus en plus vers l’auto-entreprenariat. L’impression 3D pourrait renforcer la posiion du designer. Auparavant il devait uiliser des procédés coûteux comme le moulage, à présent il peut fabriquer à domicile. Nous sommes peutêtre à l’aube du retour de la proto-industrialisaion, ou même encore du proto-design. Nous nous dirigeons, vers un design du libre. Mais le designer est-il prêt à cela ? Et comment est-il prêt à communiquer sur des objets ouverts ? Dans le design du libre où les valeurs de l’Open Source sont appliquées dans le monde des objets. Un ichier numérique est publié sur internet sous une licence Creaive Commons. Celui-ci est alors téléchargeable, il peut être produit, téléchargé, copié et recopié, transformé. Etant moi-même étudiante en design, comment serais-je prête à laisser mes idées ouvertes au plus grand nombre ? Internet ouvrent d’innombrables portes, mais il n’en reste pas moins virtuel. Comment peut-on évaluer un matériau, un poids sans rapport charnel. Internet ne créer pas de contact physique.
Nous tournons-nous vers un co-design ? Ce processus de développement encourage et guide les uilisateurs à développer des soluions pour eux-mêmes. Le but est de metre en commun la parole des experts et des usagers. Mais cete co concepion favorise la confusion du rôle entre l’uilisateur et le concepteur. Néanmoins ce processus encourage le concepteur et l’uilisateur à créer des soluions ensemble. Il permet aussi de trouver de nouvelles façons de résoudre les problèmes. Le résultat inal sera plus approprié et acceptable pour l’uilisateur. L’usager est au cœur du processus de concepion, mais aussi bientôt de la producion. Avec l’émergence de la culture du réseau, le designer devient un designer hacker, lui aussi contourne le système par des processus intermédiaires. Le piratage donne au designer une autre voix. L’émergence d’une culture de piratage physique plutôt que numérique est la preuve d’un désir de vouloir établir une nouvelle relaion avec les objets. Le hacking représente un retour à la réacion entre le besoin et la soluion. Ces nouveaux pirates jetent-ils les prémisses d’un nouveau design ? Ou est-ce simplement un remix en version évoluée de l’Adhocism89 ?
Livre paru en 1972 par Charles Jencks théoricien de l’architecture et Nathan Silver architecte et écrivain. Ce livre est un manifeste, permettant à l’époque de déinir une nouvelle façon de penser prête à aller au-delà des doctrines puristes et des modèles formels de la modernité. Manifeste pour une génération qui a pris plaisir à faire les choses ad hoc, en utilisant des matériaux à portée de main pour résoudre les problèmes du monde réel. Le livre fut adopté comme un guide de bricolage.
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IconograpHIe 1. Rasoir - Ernesto Oroza, Objets réinventés : La créaion populaire à Cuba, Paris, Alternaives, 2002 2. NIKE ID - htp://store.nike.com/fr – Personnaliser vos chaussures 3. Whole Earth Catalog, Hiver 1969. Le Whole Earth Catalog est un catalogue américain publié par Stewart Brand entre 1968 et 1972. Le célèbre message d’adieu de l’édiion de 1974 « Stay hungry. Stay foolish » sera reprit par Steve Jobs lors d’une conférence à Sandford en 2005. 4. IBM - Internaional Business Machines. La célèbre aiche « Eye-Bee-M » de Paul Rand, en forme de rébus, représente des letres avec des images. Elle fut créée en 1981 pour accompagner la devise d’IBM, THINK. Vers la in des années 1980, l’informaique se démocraise (grâce aux idées d’IBM), pour le plus grand mal de l’entreprise américaine. La société n’a en efet pas su se réinventer ain de s’adapter aux ordinateurs grands publics et sera détrônée par Apple et Microsot. 5. Logo d’Apple de 1977 à 2001 dessiné par Rob Janof. 6. Enzo Mari, Proposta per un’autoprogetazione, 1974 7. IKEA, table INGO 8. TIME, The me me me generaion, Mai 2013 9. KLAPS, Joe Scanlan, 2008 10. À l’ « usinete » montage de la foldrap, imprimante 3D transportable, conçu par Emmanuel Gilloz.
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11. IKEA, plan de montage 12 . Makerbot, Replicator 2 13. Machine à coudre Singer 14. Séance de tricotage, photographie, Alice Courilleau 15. Le designer Michael Schmidt, l’architecte Francis Bitoni et la société Shapeways ont conçu cete robe porté par Dita Von Teese. La robe est composée de 17 panneaux, de 3000 ariculaions en nylon et de 13.000 cristaux noirs de Swarovski. 16. Une arme à la maison ? Arme réalisé en impression 3D conçu par The Defence Distributed, organisaion à but non lucraif, htp://blog. sciencemuseum.org.uk, juillet 2013 17. Demain dans nos assietes, une entrecôte imprimée ? La start-up américaine, Modern Meadow va metre au point une imprimante 3D capable d’imprimer de la viande. Au lieu de l’encre, la cartouche d’impression biologique en trois dimensions coniendrait donc des milliers de cellules souches. Une fois imprimées, ces cellules fusionneront pour former un issu vivant…
glossaIre ARPANET : « Advanced Research Projetcs
L’Open Source : C’est le projet GNU, imaginé
Agency Network » est le premier réseau à transfert de paquets développé aux Etats-Unis. Le réseau ARPANET est le premier réseau au monde et est à l’origine du réseau Internet. Le réseau ARPANET provient d’un programme de recherche gouvernemental américain, ARPA (Advance Research Products Agency) dont le but était de faire interagir des ordinateurs entre eux. Cete recherche gouvernementale était desinée au départ au Départment of Defense des USA.
dans les années 80 par Richard Stallman (programmeur) et des hackers. Il airme que les programmes informaiques doivent pouvoir être librement uilisés, et surtout étudiés et modiiés. De très nombreuses communautés de développeurs, dont des fondaions, se sont ensuite créées dans le monde, composées de bénévoles, d’étudiants, de chercheurs, etc. Elles ont ensuite évolué - pour certains - vers des ensembles de contributeurs consitués en société.
Creaive commons : est une organisaion à but non lucraif, dont le but est de proposer une soluion alternaive aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle.L’organisaion déient plusieurs licences qu’elle a créées, connues, sous les noms de licences Creaive Commons, elles régissent les condiions de réuilisaion ou de distribuion des œuvres.
L’Open Source Iniiaive : L’Open Source Iniiaive (OSI) est une société à but non lucraif avec une étendue globale formée pour éduquer sur, et de plaider pour les avantages de l’open source, et de construire des ponts entre diférents groupes de la communauté open source.
Hacker : le hacker est un passionné d’informa-
ique, souvent très doué, dont les seuls objecifs sont de «bricoler» programmes et matériels (sotware et hardware) ain d’obtenir des résultats de qualité pour lui-même, pour l’évoluion des technologies et pour la reconnaissance de ses pairs.
Otaku : en japonais, terme qui signiie maison.
Il désigne aujourd’hui les populaions souvent jeunes qui se consacrent presque exclusivement à une seule acivité, dont la passion monomaniaque est en lien avec les nouveaux medias (mangas, web, réseaux). On considère qu’il y a 1 million d’otaku au Japon.
Punk : le terme « punk » fut employé pour la
première fois par Peter Townshend, guitaristeparolier des Who, dans une chanson écrite pour l’album Quadrophenia et initulée The Punk and the Godfather.
World Wide Web : Le World Wide Web (WWW), litéralement la « toile (d’araignée) mondiale », communément appelé le web, et parfois la toile, est un système hypertexte public foncionnant sur internet qui permet de consulter, avec un navigateur des pages accessibles sur des sites L’image de la toile d’araignée vient des hyperliens qui lient les pages web entre elles.
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- Hal Foster, Design & crime, [2002] trad. C. Jacquet, L. Manceau, Gauthier, Paris, Les prairies ordinaires, 2010
- Enzo Mari, Autoprogetazione, Italie, Corraini, 2010
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- Marielle Magliozzi, Un art du bricolage - Art Brut, Architectures Marginales , Orléans, L’Écarlate, 2008
- Theodor W.Adorno, Max Horkheimer, Kulturindustrie [1947], trad. E. Kauholz, Paris, Allia, 2012
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essais dans ouvrages
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- Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », in : Lʼautre journal, n°1, mai 1990 - Dana Hilliot, « Professionnels versus amateurs », in : Essai, 2006 - Marin Heidegger, « La quesion de la technique », in : Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958 - Charles Leadbeater, Paul Miller, « The Pro-Am Revoluion », London, in : Demos Publicaion, 2004
romans - Daniel Defoe, Robinson Crusoé, Paris, Gallimard, 1959 - Jules Verne, Le Tour du monde en quatre-vingt jours, [1873], Paris, Folio, 2004
catalogue - Gaetano Pesce, Le temps des quesions, textes de Nicole Pénicaut, Raymond Guidot, François Barré, Richard Buchanan, catalogue de l’exposiion. 3 juillet au 7 octobre 1996 au forum du Centre naional d’art et de culture Georges Pompidou / [catalogue par Jocelyn de Noblet, Raymond Guidot, François Barré, et al.], Paris, Ediion du Centre Pompidou, 1996
- Simone Weil, La condiion ouvrière [1951], Paris, Gallimard, 2002
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articles universitaires
articles de journaux et d’internet
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- Paul Atkinson, « Home truths on DIY then and now », Yorkshire Post Magazine, 6 May 2006
- Laurence Allard, « L’amateur: une igure de la modernité esthéique », in : Communicaions, 68, 1999. pp. 9-31. - Marie Coris, « La culture du don dans la modernité. Les communautés du logiciel libre », in : Réseaux, n°140, 2006 (extrait p.8 - selon Levy, 1984) - Laurent Creton, « L’économie et les marchés de l’amateur », in : Communicaions, 68, 1999, p.143-167. - François Flahault, « Créer / faire avec », in : Communicaions, 64, 1997. pp. 221-247 - Marc Ferniot, « Mon oncle et le poulet noir », in : Communicaions, 68, 1999. pp. 119-141. - Anne Marie Guenin, « Quand l’ingéniosité de l’uilisateur ire proit de l’ingénierie industrielle », Documents pour l’histoire des techniques, 2009 - Gérard Leblanc, « Le peit autre », in : Communicaions, 68, 1999. pp. 33.45. doi : 10.3406/ comm.1999.2029 - Abraham Moles, « Objet et communicaion », in : Communicaions, 13, 1969. pp. 1-21. - Morgan Meyer, « Bricoler, domesiquer et contourner la science : l’essor de la biologie de garage », in : Réseaux, 2012/3 n° 173-174, pp. 303-328 - Florence Weber, Lamy Yvon, « Amateurs et professionnels », in : Genèses, 36, 1999. pp. 2-5.
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Remerciements Je remercie Catherine Geel sans qui ce mémoire n’aurait pas vu le jour, je la remercie également pour ses conseils avisés. Je remercie l’équipe enseignante. Je remercie Véronique Peit pour ses conseils. Je remercie « l’usinete ». Merci, à Aude-Marine Beuzelin pour ses précieux conseils, à mes amis, à mes parents et à mes frères pour leur souien sans faille et leur paience !
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JUST, DO IT Direcion : Catherine Geel Equipe – Opion Design : Sophie Breuil Denis Brillet, David Énon Graphisme ou Design graphique : Papier / Typographie : Calibri, Futura Std Soutenance le 29 janvier 2014 Jury composé de : Présidence : Olivia Bianchi, Docteur en philosophie de l’université de Paris 1 Pantheon-Sorbonne et maître de conférences. Chargée de cours en Letres et Arts à l’université de Paris 7 Denis Diderot. Denis Brillet, architecte, professeur à l’Esba-Talm. Catherine Geel, historienne, professeur itulaire des écoles naionales supérieure d’art, co-directeur Dirty Art Department, Sandberg Insituut - Master of RIetveld Insitute, Amsterdam. Chargée de cours en histoire et théorie du design à l’Ecole normale supérieure de Cachan.
Résumé En réacion à l’inerie, à la bureaucraie et face à l’éloignement de l’État, les années 1970 ont vu émerger un mouvement d’une ampleur considérable, le Do it yourself. Celui-ci est très vite devenu un passe-temps naional et un marché très lucraif. Aujourd’hui chacun peut accéder à l’informaion, et metre en praique ces nouveaux savoirs. Les igures émergentes de ces acivités sont d’une part, le bricoleur et d’autre part l’amateur. Le bricoleur peut être apte à tout faire (moi-même je bricole), mais qu’est ce que bricoler ? Qui bricole et pourquoi ? Grâce à l’intelligence collecive fournie par le réseau, le simple amateur du départ peut également mobiliser des connaissances ideniques à celles de l’expert et changer de statut (l’amateur comme expert). La démocraisaion des ouils de producion va-t-elle déclencher une nouvelle révoluion ? Les amateurs deviennent-ils des spécialistes ? Le travail d’amateur débouche-t-il sur des acivités et des œuvres de qualités ? L’amateur peut-il efacer la igure du designer ? Le bricolage, l’amateurisme procureraient un épanouissement personnel, la saisfacion de faire par soi-même. Par le biais des nouvelles technologies, l’acte manuel s’amenuise pour laisser une part toujours plus grande à la machine, à l’automaisaion, dans tous les aspects de notre vie. Qu’en est-il alors de la place du designer aujourd’hui, lui qui ne se revendique historiquement, ni bricoleur, ni amateur mais comme concepteur et généraliste ? Abstract As a reacion to percepions of the ineria, bureaucracy and remoteness of the State, in the 1970s, a movement emerged with a considerable magnitude, Do it yourself, it quickly became a naional hobby and a very lucraive retail market in materials and equipment. Today everyone can accessed informaion, and to pracice these new
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skills. Emerging igures of these aciviies are the handyman and other the amateur. The handyman may be able to do everything, myself I “bricole”, but what is it “bricoler”? Who “bricole” and why? Thanks to the collecive intelligence provided by the network, simple amateur departure may also raise idenical skills to that of the expert knowledge and change of status (as an amateur expert). Democraizaion of producion tools will trigger a new revoluion? Amateur become specialists? Amateur work leads there on aciviies and works of qualiies? Amateur can it erase the igure of the designer? DIY, amateurism would provide personal fulillment, saisfacion of doing for yourself. With the news technologies, the manual act diminishes and leave a place ever greater in the machine, automaion in all aspects of our lives. What about the place of designer today, who claims to be historically, not handyman not amateur but like designer and generalist?
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Édiion Blurb Achevé d’Imprimer en 2013 Édité à 8 exemplaires © Caroline Garnier Esba –Angers / TALM www. angers.esba-talm.fr