Zanskar L'espace bleu entre les nuages

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L’ESPACE BLEU ENTRE LES NUAGES


10 juillet 2008

- Sur les traces de Jonathan…

Zanskar 2008, tout a commencé il y a longtemps déjà avec Jonathan. « Le berceau de Bodhisattva » et l’espace bleu entre les nuages. Ou un rêve romantique de montagne et d’altitude, d’air pur et de transparence, de rébellion et de fierté. Sans le savoir, nous avons été nourris par la même histoire écrite par le dessinateur et scénariste suisse Cosey dans les années 70.



Samedi 26 juillet 2008 - Roissy- 6 heures du matin. L’aventure commence déjà. Finnair, la compagnie du Père Noël nous transporte vers New Dehli. Vol magique audessus d’un dédale d’îlots boisés et de la mer. Les nuages de la vieille Europe sont derrière. Nous survolons le désert du Kazakhstan et ses immensités de pierres et de sable, sans habitation, sans âme qui vive. Soudain se dessine une tache bleu turquoise bordée d’étendues grises et de dunes de pierres. La vue est précise, ciselée, comme si l’air ambiant anéantissait la distance. La mer d’Aral. Rêve ou cauchemar? Je me souviens de photographies de bateaux de pêche échoués au milieu des sables. Ce paysage fait froid dans le dos. Et si notre avenir se dessinait ici ?

23h00 heure locale : plongée dans la chaleur de New Dehli. Je savoure d’avance la sortie de l’avion. J’adore cet instant où la température m’entoure, légère comme un foulard de soie et me projette dans un monde inconnu. Il est minuit et il fait 27°. En fait de foulard de soie, c’est plutôt la version couverture chauffante ! La foule indienne est massée à la sortie. Des pancartes de toutes sortes sont brandies à bout de bras, le plus haut possible. « Himalaya trekking », « Extreme Aventure »…les cris couvrent le tohu-bohu de la ville. L’Himalaya à portée de voix. Notre guide Sonam devrait être là, lui aussi. Mais pas de zanskari en vue. Une journée de rab à New Dehli ne serait pas pour nous déplaire. Soudain le voilà ! Un solide gaillard aux traits tibétains, des yeux rieurs et un large sourire dévoilant deux rangées de dents blanches. Il inspire immédiatement la confiance avec son mélange de gentillesse et de solidité. Direction l’hôtel Highland. Il est 2 heures du mat. Nous nous écroulons dans notre chambre climatisée. Réveil prévu à 5h30…

Transport collectif à New Dehli



Dimanche 27 juillet-Dehli Manali 6h00. Le petit déjeuner est royal. Les serveurs indiens enturbannés me propulsent dans un décor de roman anglais. Nous y sommes ! Le voyage extraordinaire commence. Dehli-Manali ou comment passer de l’Inde bigarrée, en mouvement perpétuel, chaude comme la braise à la montagne, rassurante, calme et immuable.

Des jambes dépassent dangereusement sur la route, celles du chauffeur transformé en mécano. Les motos transportent généralement le pilote et sa passagère, le sari volant au gré du vent.

C’est sans compter sur l’art indien d’occuper la plus petite parcelle d’espace. Car à ces deux aventuriers, il faut ajouter une deuxième belle en sari et un bébé coincé entre les deux femmes. C’est Première surprise, la conduite. La route complètement dingue ! est encombrée de camions colorés qui se doublent à toute allure en klaxonnant. Quelques kilomètres plus loin un homme alNotre voiture zigzague entre les gros longé, recouvert d’une couverture. Vraicamions, les touc-touc (petits trans- semblablement déjà dans l’autre monde. Il ports locaux bondés), les bus débordant parait que les chocs entre les vélos et de têtes, de bras et de regards per- les camions sont fréquents. dus, les bicyclettes, les mobylettes et les Ils font quotidiennement la une des jourmotos surchargées. Ici et là un camion naux. en panne.



Nous nous arrêtons dans un bar. Un indien sec comme un vieil arbre, aux yeux vert émeraude, propose ses services. Massage ayurvédique. Il tient dans sa main un truc qui ressemble plus au service « huile-vinaigre » de ma grand-mère pour assaisonner la salade qu’à un kit de massage. Personne n’a confiance. Il ne fera pas d’affaires avec nous… Un peu plus loin, un type exhibe des serpents. Nous fuyons… Tout le long de la route, des centaines de petites échoppes se succèdent, toutes plus improbables les unes que les autres. Odeurs, sons, bruits, chaleur, frissons…nous jubilons. C’est cela le voyage. Cet incroyable sentiment d’être propulsé dans un monde nouveau, absorbant, qui nous imprègne et qui réveille en nous une grande curiosité, une envie de découvrir, de s’enfoncer toujours plus loin dans l’inconnu. Le bruit de fond est largement couvert par les klaxons. Ici, il n’est pas « conseillé » de klaxonner… C’est obligatoire. Pour signaler qu’on a l’intention de doubler, il faut impérativement appuyer longuement sur le klaxon. Le camion se pousse alors à gauche (eh oui, c’est la conduite anglaise, héritage de la colonisation) et on double à droite. Ce qui chez nous provoque au premier doublement un grand effroi, le temps qu’on intègre cette nouvelle donnée dans notre cerveau déjà soumis à rude épreuve. Ouf, on est passés, une fois de plus !



Nous passons de région en région. La plus remarquable, l’Himachal Pradesh, le pays des Sikhs. Les hommes enturbannés inspirent le respect. Il y en a de toutes les couleurs ; mais très vite mon sens de l’humour les rend un peu moins impressionnants. Ils ont souvent d’immenses moustaches recourbées (et au fait, ça tient comment ?). Le plus marrant c’est que lorsqu’ils sont sur leur moto ou leur scooter, ils attachent leur moustache et leur jolie barbe avec un grand ruban blanc. On dirait des œufs de Pâques… Progressivement, les maisons changent. Aux blocs indiens empilés dans tous les sens succèdent les premières maisons de bois. Un petit air de montagne vient nous rafraîchir la mémoire. Nous traversons une région appelée la Suisse himalayenne. S’il n’y avait pas de singes et de plans de cannabis au bord de la route, on pourrait se croire à Interlaken. La circulation devient de plus en plus effrayante. A chaque virage surgit en face de nous un camion ! Comme dit Etienne, le plus dangereux dans ce voyage, ce n’est pas la haute montagne mais ces deux jours de route. Une route qui devient de plus en plus montagneuse et toujours aussi encombrée de bus et de camions… Les villages changent. Nous remarquons, au bord de la route, des échoppes exposant de bizarres et longs manteaux à capuche en fourrure acrylique. Il y en a pour tous les goûts, du rose indien à l’imprimé léopard, du brun teddy bear au vert pomme. Un peu plus loin, sur des cintres pendent…de vieilles combinaisons de ski délavées. Certaines échoppes vendent même des skis ! Esprit vintage garanti, Rossignol années 70, semelles en tôle ondulée, vendues avec les fixations d’origine!



Les brumes du Rohtang La – 3975 mètres. Au passage du col, nous avons toutes les réponses à nos questions. Un brouillard à couper au couteau, pas de vue mais un spectacle ahurissant ! Les indiens en week-end ont tous enfilé les longs manteaux et les drôles de combinaisons. Dans la brume, on dirait une armada de pénitents ! Des chevaux attendent dans le froid pour promener ces touristes décidément très surprenants. Un stupa recouvert de drapeaux à prière nous indique clairement que nous passons en terre bouddhiste. Direction Manali ! La descente vaut largement la montée. A Manali, nous nous installons au-dessus de la ville dans un vieux lodge en bois. Jonathan n’est pas loin ! Crevés, cassés, fourbus par les heures de route, nous nous écroulons en rêvant déjà aux sommets himalayens.



Lundi 28 juillet – Manali- Udaipur Notre trek doit débuter à Udaipur à une journée de voiture. En fait il faut 7 heures pour avaler les 175 km du trajet ! La route est de plus en plus cabossée. Les villages font désormais penser au Tibet si proche. Les gens croisés ont le teint hâlé, les pommettes hautes et les yeux bridés. Et ne sourient tout le temps! A proximité d’un petit village, nous sommes stoppés par deux camions arrêtés en plein milieu de la route. Des hommes pèsent de gros sacs de petits pois apportés par de jolies paysannes. Je m’assieds avec elles. Notre langage commun est celui du rire. Ca marche et je repars les poches pleines de succulents petits pois ! La route ne ressemble plus à rien. C’est un chemin avec de grosses pierres qui mettent à mal les suspensions. Crevaison ! Réparation sans broncher, toujours avec le sourire! Nous dépassons Udaipur pour installer notre campement à une quinzaine de kilomètres dans la montagne dans le hameau de Chimrat, le premier village bouddhiste de la vallée de la Miyar. C’est notre premier bivouac. Notre équipe nous attend au grand complet. C’est toujours un moment émouvant. Ces hommes sont là pour nous faciliter la vie. J’hésite entre plusieurs sentiments à commencer par la honte de savoir qu’ils vont porter mes affaires, mes petits trucs inutiles et chers, mes vêtements de montagne dont le prix dépasse sûrement l’entendement pour eux ( même achetés chez Décathlon !) alors qu’ils sont habillés de vieux pulls et chaussés de bottes, de chaussures aux semelles ouvertes quand ce ne sont pas de vulgaires tennis en toile élimée. Mais leurs sourires et leur apparente joie d’être là me rassurent un peu. Sonam nous présente le cuisinier et ses aides, 5 au total ! Puis vient le tour des porteurs, 19 ! Le sentiment de malaise revient. Mais la douceur des regards croisés me rassure. Le campement est royal : une tente cuisine, une tente repas qui sert de dortoir à l’équipe de cuisine et à Sonam. Les autres se débrouillent avec ce qu’ils ont ! Nous dormons dans trois petites tentes igloo qui sont déjà montées. Ah j’oubliais, la tente-chiottes que pour ma part j’ai détesté illico. En voyage, j’ai toujours préfèré la nature !



Mardi 29 juillet – Chimrat-Urgos C’est la première étape du trek. Le temps d’acclimatation est réduit à…zéro ! Nous allons rejoindre la vallée de la Markha Nous remonterons pendant trois jours le long de cette belle rivière tumultueuse qui descend des grands glaciers. Objectif : le camp de base sur le glacier de Miyar avant de passer le Kang La à 5400 mètres d’altitude. Ces trois jours sont féériques. Nous longeons des eaux impétueuses à la stupéfiante couleur rose. Le premier jour, nous traversons de petits villages bordés de jardins entourés de murs construits avec les gros galets de la rivière. Magnifique ! Des jeunes filles nous vendent de très jolies chaussettes de laine tricotées à la main. Rapidement, nous nous retrouvons seuls dans cette immensité. La vallée est très large. On y croise quelques rares bergers et leurs troupeaux de moutons ou de zous ( un croisement entre le buffle et le yack).



Nous faisons un brin de toilette dans l’eau glacée. La flore est extraordinaire. Nous reconnaissons les fleurs que Léna avait récupérées au Jardin d’altitude du Haut-Chitelet et que nous avons transplantées dans notre jardin alpin. Elles sont partout … les blanches anaphalis qui ressemblent à de minuscules immortelles blanches, les petits iris bleus, les potentilles rouges, des fleurs roses à foison, des champs d’edelweiss à portée de vue…c’est grandiose ! Nos porteurs nous observent, nous jaugent. Malgré l’altitude (3500- 3800 m), nous avançons bien. Le test suprême approche : le passage des rivières ! Depuis quelques temps, nous sommes à la recherche des pavots bleus. Etienne est obsédé par cette fleur. Nous en avons entraperçus en passant le Rohtang La mais il faudra attendre jeudi pour qu’à quelques dizaines de mètres du chemin dans un chaos de rochers descendus du glacier, Etienne trouve son Graal ! Il faut reconnaitre que cette fleur est tout à fait splendide. Sa fragilité apparente contraste avec la rudesse des coins où elle pousse. C’est surtout ce bleu indéfinissable qui lui donne cette beauté particulière .Photos, soupirs, admiration…nous laissons là ce trésor au botanique. Sonam nous promet des champs de pavots bleus après le Kang La ! Mercredi 30- Vallée de la Miyar – Urgos- Tharang Le miracle continue. Nous croisons quelques bergers et leurs troupeaux. Ils sont vêtus de très jolies vestes en laine tissée agrémentées de passementeries brodées. Il y a quelque chose de noble chez eux qui nous renvoie à la vulgarité de notre monde. Les longues traînées roses des « réponces » se mêlent au vert cru des prairies humides. La rivière est partout présente et le bruit de l’eau gronde en permanence jour et nuit. Des troupeaux de yacks et de zous paissent de part et d’autre du lit. Parfois ils traversent lentement. Le paysage et la scène sont magiques. Je ne me sens pas très bien. Sûrement les premiers effets de l’altitude …


Sonam et son équipe


Jeudi 31 –Tharang – Gumbah Nullah Nous approchons lentement du glacier de la Miyar en montant à travers les pâturages couverts de fleurs sauvages. Nous franchissons les torrents sur de solides ponts de bois. La marche devient plus chaotique. Long de 28 km, ce glacier est bordé d’énormes moraines. Je sens les difficultés arriver ! Nous quittons un jardin d’Eden pour un monde minéral, dur et beaucoup moins accessible. Pourtant, ce soir encore, notre campement sera parfait. Tsering nous annonce qu’il a trouvé un joli coin un peu plus loin. Mais les porteurs, sûrement fatigués, décident de poser tout leur barda à l’endroit où nous sommes arrêtés. Visiblement, inutile d’insister, ils n’iront pas plus loin ce soir. C’est plutôt paisible. Une prairie borde la rivière. En explorant un peu plus haut, nous découvrons trois petits lacs glaciaires d’un vert turquoise entourés d’énormes blocs. Nous ne tenons plus : nous laver entièrement est un vrai luxe. Nous entrons dans l’eau glacée, faisons trois brasses et remontons très vite sur la berge. Un petit tour qui aura duré trois minutes chrono mais quel plaisir ! Une baignade himalayenne à 4000 mètres d’altitude, ça ne se refuse pas ! Le soir tombe et des chiens aboient. Sans doute, ceux des rares bergers qui vivent si haut… Ce soir, les bouchons d’oreille sont de mise. Un comble dans cet endroit perdu…



Camp de Gaddi et lacs glaciaires



Vendredi 1er août - Camp de base – Camp du glacier Nous attaquons la montée du glacier. Je ne sais pas si c’est le bain glacé de la veille mais je ne me senspas très légère. J’ai la tête proche de l’explosion, une nausée carabinée et les jambes dans du coton. Heureusement les sourires de l’équipe de Sonam me donnent du courage. De toute façon, ce serait vraiment malvenu de se plaindre. Ils sont tous zanskaris, hormis trois népalais recrutés au dernier moment à Udaipur. Les népalais sont très mal équipés, nous nous demandons comment ils vont franchir le col à 5400 mètres ? Nous montons doucement dans un chaos de pierre et de glace. Le glacier semble sans fin. C’est comme si l’horizon se dérobait à chaque pas. Le chemin de glace serpente entre de majestueuses montagnes. Certaines semblent chapeautées de petits cornets de crème blanche… Nous avançons sur un chemin central bordé d’énormes blocs alignés comme par magie. C’est féérique mais nous n’en voyons pas le bout. Ce soir, c’est bivouac sur la glace. L’air est froid et l’ambiance un peu sombre. Nous installons tous nos vêtements sous les sacs de couchage, vieille technique d’alpiniste pour les garder au sec. Nous sommes à 4750 mètres soit pratiquement l’altitude du Mont Blanc. Je ne peux rien avaler et ma tête continue à flamber... Mais bon, quand faut y aller, faut y aller ! Même Françoise, super entraînée, commence à ressentir la fatigue. Eric tombe à son tour sous l’effet conjugué de la fatigue et de l’altitude. les autres tiennent bon. Le plus dur reste à faire : passer le col et descendre directement sur le Zanskar et quitter l’Himachal Pradesh indien. La nuit va être difficile. Heureusement, les petites pilules de Françoise ont un effet magique : je passe ma première vraie nuit depuis le début de notre voyage !


Sur le long glacier de la Miyar


Samedi 2 août – Camp du glacier – Kang La – Camp de base versant Nord Réveil 5h00- Départ 6h30 –Le temps est très clair et nous démarrons tranquillement. Se concentrer, oublier l’altitude, ne pas craquer et avancer. Nous commençons à douter de notre choix et rêvons tout haut de plages bretonnes et d’escapades corses. Le paysage est absolument sublime. La fin de la vallée s’ouvre sur le glacier et des sommets enneigés couronnent le tout. Nous avançons difficilement. Les porteurs sont crevés et personne ne parle. Soudain, le col apparaît sur la gauche. Méfiance…Il a l’air si proche ! Nous remontons le glacier jusqu’à la cassure. Dasn cette nature sauvage, un tas de détritus nous étonne. Sonam nous explique qu’il s’agit des restes d’une expédition norvégienne qui s’est perdue dans la tempête au moment du passage du col. Il reste des vêtements, des cartes, des gourdes, des objets que je n’ose pas regarder…Triste ambiance. Mon moral n’est pas loin de flancher. Il va falloir gravir les 400 derniers mètres de dénivelé pour passer le col à 5400. Nous avançons lentement mais sûrement, portés par toutes les découvertes qui nous attendent. Finalement, je vais plutôt bien hormis le mal de tête persistant qui frappe à son tour Bertrand.

Nous passons quelques crevasses mais la progression est plutôt facile. Nous ne sommes pas encordés et cela nous donne un grand sentiment de liberté. A nos côtés, les porteurs sont mal équipés. Nous sommes en haute-montagne et ils sont en pull, avec de mauvaises chaussures. Nous avons honte d’être si bien protégés. Petite pensée pour Laura… je marche avec ses chaussures de rando ! Les miennes ont explosé deux mois auparavant en redescendant du refuge du Couvercle dans le massif du Mont Blanc et je n’ai pas osé partir avec des chaussures neuves.





A 15h00, nous arrivons au Kang La ! 5400 mètres d’altitude. Kang signifie glace en tibétain. Les porteurs, qui avaient subitement filé devant nous, sont tous là. Ils ont déployé au sommet des drapeaux de prières, les lung-ta, traduction tibétaine des chevaux de vent ! Ils offrent à chacun d’entre nous un petit morceau de ce tissu très symbolique. C’est une offrande au dieu de la montagne qui a su nous protéger. Ce geste, très profond pour eux, nous touche bien plus que le passage du col lui-même. Nous ne restons pas longtemps car il fait froid. La descente peut commencer. Elle va s’avérer très pénible ! Crevasses, glace puis chaos, rochers, neige et cailloux. Il nous faudra plus de trois heures pour arriver au camp de fortune installé sous d’inquiétants blocs de rochers. Nous sommes épuisés par ces 12 heures de marche en altitude - 4700-5400-4700- et nous nous écroulons, heureux d’en avoir terminé avec cette étape.





Dimanche 3 – Camp versant Nord L’étape sera courte. Ainsi en a décidé Sonam. Cet homme sait observer. Il a compris que nous étions crevés et sans doute ses porteurs aussi. Nous descendons une très belle vallée minérale avec un énorme torrent central. Il est alimenté par de petits « spring water », des sources d’une eau pure et excellente. Petit à petit apparaissent les premiers pâturages. Nous croisons quelques yacks. Nous nous arrêtons à midi. Altitude 4100 mètres. Nous resterons là cette nuit. bien décidés à profiter du soleil, du paysage et de la gaieté retrouvée. Je demande à Rengzen s’il veut bien que je fasse son portrait. Un peu gonflé car je ne suis pas certaine d’y arriver. Nous nous installons sur un rocher un peu à l’écart du groupe. Je dois lui demander de me regarder dans les yeux. Je dessine sa bouche une dizaine de fois. Ce qui est simple chez nous devient tout à coup gênant ici. Finalement, je dois dessiner très vite. Les yeux sont ressemblants mais pour le reste, il y a du boulot ! Je mets quelques couleurs et range mon dessin. Expérience difficile… L’endroit est assez paradisiaque Curieusement, la nuit est difficile : crampes, courbatures, manque d’oxygène. Nous nous réveillons complètement cassés.



Lundi 4 août – Bivouac- Pipsha/Bardan Bertrand a une infection à l’œil. Dans la nuit, sa tête a gonflé. Il me renvoie le compliment car moi aussi je suis toute boursouflée. Fou rire : Mongolita et Hulk, le couple parfait ! Nous descendons sur un joli chemin de dalles en pierre, construit pour les mules et les yacks qui sont plus en plus nombreux. Puis nous progressons dans de très raides pierriers. Plus bas la Tsarap, une rivière grise et sableuse, roule dans d’étroites gorges. Soudain, nous nous retrouvons sur une route. Plutôt une piste. Encore quelques kilomètres et le miracle : entre les rochers et les « puddings » qui menacent de s’écrouler à chaque instant, sur la piste, au loin, nous apercevons une tache verte. Dans cette immensité de poussière grise et sable, c’est comme un mirage. Pipsha. Plus nous approchons, plus le village se dévoile à nos yeux ébahis. Chortens, mosaïques de champs verts et jaunes et maisons hautes. Juste en contrebas avant de traverser la rivière : notre camp est déjà monté, à côté d’une minuscule école où les enfants des villages alentours viennent deux fois par semaine. Deux instituteurs se relayent et les moines du proche monastère de Bardan viennent y distiller les principes du bouddhisme. Nous visitons le village qui est un mélange de moyen-âge et de début de modernité. Nous sommes à la fois choqués et fascinés. Choqués par l’extrême pauvreté et bluffés par la force et la vie qui se dégage du lieu. Une école toute neuve est presque terminée. Des maisons se construisent, chacun voulant aujourd’hui son propre « chez soi », contrairement aux traditions qui veulent que toute la famille habite sous le même toit. La visite se poursuit, riche d’enseignements. Les enfants nous accompagnent en riant et en demandant des « kakas » (bonbons) et des crayons. Notre équipe de porteurs nous quitte. Nous sommes un peu tristes en les voyant monter dans les 4x4 qui les ramènent chez eux, dans le village de Sani près de Padum, la capitale du Zanskar. Nous venons de partager des moments forts avec ces hommes et quelque chose d’indéfinissable nous lie à eux.


Nous décidons de monter au monastère, appelé « gompa » en tibétain. Perché sur son rocher, le monastère de Bardan a fière allure. Nous entrons sur le site par une première porte immense et colorée. Au-dessus trônent la roue du dharma, le cerf et la biche, symboles bouddhistes. Ensemble, ils symbolisent les étapes de la voie du tantra du yoga suprême. Nous montons un joli chemin et passons une seconde porte, plus simple mais très belle. L’entrée dans le monastère est plutôt sympa. Nous sommes accueillis par un jeune moine d’une vingtaine d’années portant la traditionnelle robe bordeaux. Il nous conduit dans une cour intérieure auprès d’un autre moine qui nous fait visiter son temple avec une infinie douceur. Nous l’appelons « merci beaucoup » car ce sont les seuls mots de français qu’il connaisse et il les répète à tout bout de champ en rigolant. Ce petit monastère de montagne recèle de véritables trésors. Les peintures qui ornent les murs sont vieilles de plusieurs siècles. Du 17ème plus précisément, date qui est aussi celle de la fondation du monastère. La visite dure longtemps. Etienne, passionné par l’histoire du bouddhisme est intarissable sur les représentations de Bouddha. De la terrasse, nous avons une vue imprenable sur la vallée et la Tsarap qui coule bien en contrebas. Au loin, les derniers rayons du soleil éclairent le village de Pipsha. C’est grandiose. « merci beaucoup » nous ouvre lesportes d’une pièce toute décorée de boiseries avec de larges fenêtres s’ouvrant sur la montagne et le village. Pour une nuit, nous abandonnerions bien nos tentes! « Merci beaucoup » nous propose d’ailleurs gentiment de dormir chez lui. Nous hésitons et les fenêtres s’ouvrant sur les grands espaces nous attirent…Finalement, nous redescendons dans la cour où « merci beaucoup » nous offre un excellent thé au gingembre. Une belle parenthèse d’humanité et de gentillesse. Nous rentrons à pied au camp dans les ors du soleil couchant. Quiétude et tranquillité, le voyage est plein de surprises et de rebondissements ! Demain, c’est la tournée des monastères.




Mardi 5 août- Journée de repos à Pipsha C’est la journée de repos ! Visites en 4x4 ! Nous démarrons assez tard pour une fois. Direction Pipiting où nous devons retrouver Mimi & Bernard dans l’école de l’association italienne à laquelle ils appartiennent. Nous leur avons fait passer un message la veille par la « mule postale » en espérant que le système soit efficace. Nous sortons de l’étroite vallée de la Tsarap pour arriver dans la large plaine de Padum, la capitale du Zanskar. Nous arrivons sur une autre planète. Après dix jours de hautes solitudes en montagne, nous voici propulsés au pays du bruit, des voitures, des petits commerces. La capitale est un gros village mais quelle animation ! Après la visite du gompa de Pipiting perché sur un drôle de promontoire cônique, nous nous dirigeons vers l’école. Un grand portail où sont inscrites des paroles contre l’ignorance. Langdom Pipiting School - Nous entrons dans une vaste cour très propre et tel le maître des lieux, nous voyons arriver Bernard tout sourire, suivi de Mimi. Nous sommes très heureux de les retrouver ici, un peu déroutés par ce rendez-vous inattendu au bout du monde. La « mule postale » a bien fait son boulot ! Nous décidons de nous revoir en fin d’après-midi pour ne pas retarder le programme des visites. Non sans avoir fait un petit tour dans une salle de classe où de jolies petites filles, dont celle de Sonam, et de petits garçons bien sages écoutent attentivement leur professeur. L’uniforme bleu marine, bordeaux, gris et blanc permet de cacher la misère de ces enfants. Sonam nous explique que sa petite fille qui n’a même pas six ans est hébergée dans une famille pendant toute l’année scolaire et qu’ils ne la voient pas pendant cette période. Le coût de son éducation est pris en charge par des parrains du bout du monde comme le sont Mimi et Bernard pour Lobsang, le fils de leurs amis. Il nous tend d’ailleurs la perche pour aider sa fille. Mais Mimi nous explique qu’elle a déjà un parrain. Sonam est un gentil filou !



De Pipiting, nous filons vers le monastère de Karsha, accroché au-dessus de la vallée. Une longue montée d’escaliers interminables nous fait découvrir les cellules des moines posées comme de petits cubes dans la pente. Petites boîtes fragiles, jardinets fleuris et portes basses et mystérieuses. Nous continuons notre ascension jusqu’au temple qui ceinture une cour splendide aux peintures extraordinaires. Sans oublier un passage par la cuisine très « moyenageuse ». Odeurs et ambiance !







Nous repartons maintenant dans la plaine vers Gompa où se trouve la maison de Sonam. Il nous a gentiment invités à déjeuner chez lui. Nous nous arrêtons dans un champ au bord de la rivière et continuons à pied. Sonam nous raconte alors son histoire. Quand il avait dix ans, alors qu’il était à New Dehli avec son oncle, une énorme avalanche a détruit sa maison emportant ses parents, ses frères et sœurs. Aujourd’hui, il habite toujours dans le même hameau mais il a construit sa maison un peu plus loin. Dolma sa femme nous accueille avec un large sourire. Très belle femme tibétaine, elle tient dans ses bras une adorable petite fille de 18 mois, Tsomo. Pour nous faire honneur, sa mère lui enfile, au-dessus de son pull et de son pantalon, une robe de fête, pleine de froufrous et de rubans. Une belle attention qui nous touche. L’intérieur de la maison est très simple. Un petit fourneau central, quelques étagères avec de la vaisselle en cuivre et en fer blanc, quelques bibelots chinois… Des tapis servant à dormir sont enroulés dans un coin de la pièce. Dolma nous prépare le thé salé au beurre de yack. Dans une grande marmite, elle agite à la louche un liquide rosâtre. Le goût est très particulier, entre le lait caillé, le thé et l’eau salée. La petite Tsomo se cache

derrière un pilier. Elle mettra du temps à se laisser apprivoiser mais après une heure de risettes, elle éclate enfin de rire. Une cascade de cristal. Malgré la barrière de la langue, nous échangeons avec Dolma. Sonam et sa femme sont très fiers de partager leur quotidien avec nous.



Direction le monastère de Sani, un des plus anciens du Zanskar. Nous sommes surpris de retrouver une bonne partie des porteurs qui nous ont accompagnés pendant la première partie du voyage. Ceux qui nous avaient quitté à Pipsha habitent à Sani. C’est autour d’une puja qu’ils officient. C’est une sorte d’assemblée laïque au sein du monastère. Rengzen dirige la cérémonie bouddhiste ! Mélopées, chants, sons des gongs et des conques, l’ambiance est forte et la concentration des hommes totale. Nous restons assez longtemps assis à leurs côtés mais ne connaissant pas la durée d’une telle cérémonie, nous décidons de nous esquiver. Dehors, dans le village, il y a beaucoup d’animation. Dans la cour d’une maison, des femmes font la fête, mangent et rient sous les arbres. Nous croisons d’autres porteurs, des enfants qui rentrent de l’école. Rien à voir avec l’austérité des villages de montagne ! Retour à Padum. Dans l’unique boutique du village possédant un téléphone nous cherchons à rentrer en contact avec nos filles en France. Léna est au Brésil et Perrine aux Pays Bas. Nous tentons donc notre chance avec Fanny et Laura sans succès. Nous avons rendez-vous avec Mimi & Bernard dans le bar d’un vieil hôtel. Nous buvons notre première bière du voyage, une God Father. Quel délice !





Mercredi 6 août Pipsha - Ichar Nous partons de Pipsha très tôt après quelques échanges avec les élèves de la petite école du village. Les jeunes enfants dorment sur place et un vieil homme leur prépare à manger. Ils sont adorables et nous apprennent quelques mots de tibétain en échange de quelques mots de français. Nous marchons longtemps sur la route mais souvent dérangés par le passage des 4x4 des trekkeurs « version motorisée », nous décidons de monter dans la pente pour éviter la poussière. Elle est si fine et si sèche qu’elle s’infiltre partout. Nous longeons un monastère en réparation et arrivons près d’un lac où se baignent deux jeunes moines. Déjuener sur l’herbe dans une quiétude parfaite. Un petit ruisseau coule au milieu d’une prairie bordée de saules. Bertrand et Eric en profitent pour piquer une tête dans le petit lac au milieu des chevaliers gambettes. Après avoir longé d’interminables murs de manis, ces gros galets sculptés depuis des générations avec la prière traditionnelle Om mani padme Om, nous arrivons à Ichar, un village perché à 3650 mètres.


Dans les champs tout le monde travaille avant l’hiver. Nous voyons les dos courbés dans les ondulations blondes de l’orge. De temps en temps un visage émerge suivi d’un grand sourire et d’un « Jule jule », le bonjour tibétain, lancé dans l’air cristallin… Devant les maisons accrochées dans la pente, les enfants jouent en riant. Un tout petit bonhomme qui n’a même pas quatre ans nous suit sur le chemin. Il s’arrête avant une longue descente sur de très grandes dalles près d’un vieux moulin. Nous profitons de l’eau fraîche du torrent pour nous désaltérer et nous laver. Après toute cette poussière c’est un vrai bonheur ! Nous campons au-dessus de la rivière, la Lungnak. Les hommes traversent sur un pont suspendu avec les chevaux et sur le versant d’en face, ils les lâchent pour la nuit. C’est magnifique de les voir galoper dans la montagne !


Jeudi 7 août – Ichar- Khalbok Le chemin surplombe la rivière. Nous dépassons les maisons très isolées et délabrées du village de Pepul. Le Zanskar profond se dépeuple. Les jeunes ne veulent plus vivre dans les conditions terribles de leurs aînés et malgré l’immense amour qu’ils nous témoignent pour leur pays d’altitude, ils choisissent souvent de partir vers les villes. Leh, Srinagar, Dehli… Pas sûr qu’ils y soient plus heureux mais leur envie de profiter du monde moderne justifie, à leurs yeux, cet exil pendant que les anciens rêvent d’un Zanskar où ils pourraient vivre dignement. Les chevaux avancent dans un flot de poussière fine qui s’infiltre partout. Nous avons du mal à respirer malgré les foulards qui nous protègent. Nous passons sous des parois de « pudding », d’énormes blocs retenus par une multitude de petits galets compactés dans du sable, le tout ressemblant à une matière qui paraît bien friable en suspension au-dessus de nos têtes. Equilibre précaire comme dirait l’autre ! Inutile de s’attarder. Nous pressons le pas et arrivons devant une maison qui ressemble à une épicerie. Une vitrine remplie de bric à brac, de nourritures, de fils, de boîtes en plein milieu de ce paysage désert, c’est un peu comme une peinture de Dali. Il ne man,que que les «montres molles»... Nous allons camper dans les champs d’orge, sous les maisons, près du village de Surle. Le camp installé, nous remontons vers cette étrange épicerie. Un groupe de femmes s’avance vers nous. Une grand-mère et une jeune femme portant une petite fille dans ses bras et un garçonnet nous accueillent avec de grands sourires et nous invitent à nous asseoir à une table installée devant l’épicerie. Nous sortons notre matériel de dessin et la jeune femme me fait comprendre qu’elle a envie d’essayer. Elle peint avec délicatesse un dessin déjà tracé d’une femme portant son bébé dans le dos. Elle s’applique et nous touche par la joie qu’elle montre à peindre, à mélanger les couleurs. C’est une très jeune maman et elle n’a pas eu la chance d’aller à l’école.


Le petit garçon est tellement fatigué qu’il s’endort sur son cahier, le crayon entre les doigts. Soudain Sonam nous appelle Bertrand et moi. La grand-mère veut nous parler et nous découvrons horrifiés qu’elle veut que nous emmenions sa petite fille avec nous. Ce joli bébé potelé doit avoir un an à peine. Cette triste requête me glace le sang.b et donne toute la mesure de la difficulté vivre ici. Comment lui expliquer que nous aimerions tant que ce soit simple de lui dire oui et d’offrir à cette enfant l’éducation et le confort qu’elle mérite, comme tous les enfants du monde. Cet évènement me remplit d’une grande tristesse mêlée de la culpabilité de ne faire que passer...


Vendredi 8 août – Kalbok- Puktal La marche se poursuit dans une gorge accidentée où le chemin est bien précaire là aussi. La rivière Lungnak gronde en dessous. Puis nous arrivons dans le village de Purne. Il y a là un véritable camping, vide à cette époque de l’année. L’endroit est très agréable et de belles et grandes maisons, bordées de jardins lui donne un petit air de paradis. Cet endroit respire la sérénité et deux enfants suivent Bertrand à la trace, très intéressés par ses dessins.



Soudain au détour du chemin, après avoir traversé un petit plateau, apparait le monastère de Puktal. Ce monastère Gelugpa est construit autour d’une source sacrée qui coule toute l’année même quand les autres sources gèlent. Seul problème, elle est interdite aux femmes ! Comme un vaisseau accroché à la paroi, le monastère veille sur la vallée et sur la rivière qui gronde une centaine de mètres au-dessous. Il semble incrusté dans une immense falaise comme un coquillage accroché sur son rocher. L’effet vertical est saisissant. Nous avançons sur un chemin bordé de dizaines de chortens. Tsering et Sonam nous font découvrir, par une petite ouverture, l’intérieur de ces temples blancs. Ils sont remplis de statuettes d’une dizaine de centimètres, les tzatza, faites de terre blanche et grise. Ce sont les cendres des lamas. Les jeunes novices doivent en faire des milliers pour accéder au statut de moine. La montée jusqu’à l’entrée du gompa est très très raide. Et surprise ! Le chemin qui traverse le monastère est en fait un étroit et sombre couloir qui serpente entre les maisons, à l’intérieur même du temple. Il faut décharger les chevaux et porter le matériel à dos d’homme tant ce passage est étroit. Les chevaux reculent devant l’obscurité. Nous montons des dizaines de marche en aidant les porteurs et les moines à trimballer tout notre barda.



De temps en temps, nous aperçevons le bonnet jaune d’un moine à travers une porte. L’atmosphère est très étrange. Il fait sombre et j’essaie d’imaginer la vie des moines, jeunes et vieux, derrières toutes ces petites portes.

mains noires…eux aussi ont une vie difficile qui, nous le verrons plus tard, contraste étrangement avec les conditions de vie dans les grands monastères proches de Leh. Décidément la vie en montagne est dure pour tous.

Nous ressortons de l’autre côté sur une terrasse, totalement crevés. Je repense à Alice aux Pays des merveilles quand elle rentre dans l’arbre… Depuis toute petite, cette image mefascine et finalement c’est un peu ce que nous venons de vivre. Une drôle de plongée dans un univers inconnu.

Nous apprenons aussi que ces moines travaillent aux champs avec les paysans et que s’ils ne sont pas tous là, c’est que c’est la période des moissons. Au-dessus du monastère, le temple est extraordinaire. Il est installé dans une grotte immense dont l’entrée est protégée par un genévrier centenaire.

Nous installons notre camp. De très jeunes moines, des enfants de 7 ou 8 ans, viennent nous rendre visite. Ils rigolent beaucoup en nous observant. Un des plus grands vient vers nous et nous demande du dentifrice et du savon… C’est vrai qu’à l’intérieur du monastère, l’état de crasse est assez saisissant. Arrachés à leurs familles, ces jeunes enfants ne se sont pas encore fait à la seconde peau du moine de montagne, la saleté ! Bertrand échappe de peu à un seau d’eau sale (ou peut-être pire) envoyé par une fenêtre. Nous sommes choqués par le contraste entre la gentillesse de ces hommes et leur pauvreté. Robes déchirées, recousues, rafistolées,


Malheureusement des travaux de réfection sont en cours et nous ne pourrons pas assister à une puja à Pukhtal. Nous visitons la cuisine et un jeune moine nous parle en anglais. Il nous emmène sur une terrasse où tous les enfants sont assis en tailleur. Leur professeur s’adresse à eux dans sa langue inconnue. Les enfants répondent très vite. Puis ils se parlent tour à tour et se répondent. Ces joutes verbales sont des cours de philosophie destinés à augmenter leurs capacités de réflexion. Impressionnant.




Samedi 9 août– Phuktal – Tantak Nous marchons sur des chemins escarpés surplombant la rivière. L’effort est permanent et nécessite une grande concentration. Car nous évoluons sur d’immenses pentes de pierres et de poussières où une glissade serait fatale. Car quelques centaines de mètres plus bas, la rivière grise et verte n’offre aucune berge. Nous entrons enfin dans le Zanskar sauvage. Ici notre voyage sort des sentiers battus et des parcours habituels de la Grande Traversée du Zanskar. Tantak, un temple et trois maisons, semble vivre ses dernières années. Il y a de nombreuses grottes, d’anciennes habitations. L’endroit est très isolé. Tout semble un peu à l’abandon…Les champs, les maisons et même le mur de manis qui s’écroule. Nous marchons tranquillement en nous enfonçant dans des gorges étroites.



Dimanche 10 août – Tantak-Shade-Rotang La Après un dernier coup d’œil au hameau de Tantak, nous prenons la direction de Shade, le dernier village avant longtemps. Des ouvriers népalais installent des canalisations pour amener l’eau à Tantak. Ces tubes en plastique blanc paraissent bien fragiles et bien dérisoires dans cet univers de parois et de blocs qui doivent dévaler les pentes à la fonte des neiges. Soudain, des champs. Les couleurs changent et deviennent plus chaudes. Des femmes croisent notre route. Elles vont travailler. L’une d’elles nous montre ce qu’elle cueille : le curcuma, un genre de cumin très parfumé que Tensing Gyaltsen, notre « cuisinier chef » utilise avec talent dans ses préparations. Nous avons remarqué qu’il avait toujours dans son sac des herbes ramassées sur le chemin. Comme dit Françoise, c’est le Veyrat local ! Le village de Shade apparaît. C’est un joli village et nous sommes accueillis par les sourires des femmes et des enfants. Comme c’est frustrant de ne pas pouvoir bavarder un peu. Sonam nous a réservé une surprise. Nous sommes invités dans une maison zanskari. C’est un grand moment. Nous sommes heureux d’être là et nos hôtes sont très fiers de nous recevoir. Une jeune femme prépare le thé dans une sorte de grand tube en bois, pendant qu’un vieillard, son épouse et deux hommes sont assis autour du poêle. Thé salé au beurre de yack, tsampa, arak, tchang, yaourt maison…ils nous offrent tout avec une gentillesse et une générosité incroyables. Recette de la pema Prendre un bon morceau d’environ 40 grs de beurre de yack. Dans un bol, l’arroser généreusement de fromage de yack râpé, sorte de parmesan local au goût beaucoup plus fort ! Ajoutez du sucre et du thé. Malaxez avec les doigts. Une fois que le mélange est fait, ajoutez la tsampa jusqu’à obtention d’une boule homogène. La pema est prête. Elle se déguste avec les doigts, par petits morceaux. C’est excellent et certainement très utile lorsqu’il fait très froid.



Après un petit tour dans le village, escorté par les enfants, nous quittons Shade. Direction le Rolang La à 5000 mètres. Un des garçons de la maison doit aller faire des courses à Padum (à 5 jours de mule) et nous accompagne. Nous montons doucement au-dessus du village dans une belle vallée très ouverte. Il me propose de monter sur sa mule. Je ne suis pas très rassurée. Pour lui faire plaisir (et parce que je me dis que ce sera toujours ça de gagné dans la montée au col), je reste une petite heure sur la mule. Il l’appelle Ta ( j’apprends plus tard que ça veut dire cheval en tibétain) et elle me paraît bien nerveuse. Mais son maître a l’air de l’avoir bien en main. Les étriers sont trop hauts et j’ai les genoux complètement tordus. Je ne vais pas tenir longtemps. Bertrand a pris son temps pour dessiner le village et il nous rejoint. J’en profite pour sauter de la mule et retrouver mes deux jambes avec bonheur. Nous attaquons la montée. Le temps s’est énormément refroidi. Je ne sens plus mes doigts. Après trois heures d’efforts, nous arrivons à 5000 mètres d’altitude. Au col, l’équipe a installé de nouveaux « lung-ta », les drapeaux de prière. En face de nous d’incroyables montagnes s’éclairent. Nous n’avons jamais vu ça, des couleurs entre le violet pur et le rouge, le beige et l’or. Des chaînes qui n’en finissent pas comme si elles allaient aux confins du monde et tout en bas un énorme torrent qui gronde. Pas âme qui vive. Pas de village avant 7 jours. Ici nous sommes au royaume des loups, des léopards des neiges et qui sait, peut-être du yéti ? La descente du col est très longue. 15h30, nous arrivons au camp installé dans les saules au bord du torrent sauvage. Lavage intégral et…glacial ! Il était temps ! Sonam a acheté un mouton à Shade. Ils lui ont passé un joli ruban rose autour de la tête et nous pressentons le pire. Doute confirmé quand nous retrouvons les muletiers en train de faire griller la tête sur un feu de bois tandis qu’à la cuisine, les hachoirs sont en action ! Devant la tente, deux gigots sortent d’une bassine. Ce soir, c’est festin avec, pour la première fois depuis notre départ, de la viande. Nous nous régalons... 20h30 : extinction des feux.





Lundi 11 août – Rolang La – Niri Sumdo Ce matin, au réveil, nous découvrons que Ta a fait des siennes. Elle s’est fait la malle. Nous commençons par grimper, le Lar La, un petit col pas très élevé (juste l’altitude du Mont Blanc !) et nous assistons à la scène de la capture de Ta. Encerclement, rapprochement, tout le monde s’y met et les gars semblent bien rôdés à la manœuvre. Nous avançons dans un univers minéral aux couleurs fascinantes, presque irréelles. Nous marchons sur un étroit sentier qui surplombe de 200 mètres le torrent. Autour de nous, c’est une ambiance de début du monde.

Falaises flamboyantes, pentes poussiéreuses…nous amorçons la descente. Commence alors un nouveau jeu, le passage de rivières. Par endroit, les bords sont si escarpés qu’il faut zigzaguer dans l’eau, s’accrocher sur de petites rebords, passer d’une berge à l’autre. Petit à petit, Bertrand et moi affinons notre technique. en formant un bloc qui résiste à la force de l’eau. Le courant est puissant et l’eau glacée mais nous avançons sereinement. La journée est très longue. Nous sommes partis ce matin à 7h30 et il est déjà 15 heures. Et toujours pas de camp en vue !



Nous bifurquons dans une petite vallée sur la gauche et là, surprise. Nous tombons sur un campement d’alpagistes. L’alpage de Niri Sumdo est situé à 4500 mètres. Petite grimpette et nous voilà au milieu de toute une famille qui garde les yacks pendant l’été. Deux tentes sommaires sont installées et quatre femmes (sûrement quatre générations) nous accueillent. Grands sourires et rigolade en voyant le trou dans le pantalon de Bertrand. Je crois que c’est le slip à rayure blanches, turquoise et orange qui les fait rire. Le courant passe immédiatement.


Les yeux brillent et en quelques minutes, ce sont des tonnes de chaleur humaine qui se déversent sur nous. Nos courbatures et notre fatigue disparaissent par enchantement. Les femmes nous servent de grands bols de fromage blanc frais et délicieux. Le soleil cogne. Elles chantent et l’une d’elles esquisse quelques pas de danse en m’entrainant avec elle. Mais vite, la plus âgée rappelle que le travail n’attend pas. Il faut redescendre les yacks qui sont montés dans la montagne, les traire, faire le fromage. Il sera vendu à Leh quand les hommes viendront le chercher. Les femmes s’éparpillent dans la pente en riant. L’envie de revenir ici me traverse l’esprit. Un jour peut-être.


Nous remontons le torrent jusqu’à notre camp. Il est 16h30. Au total, sans compter les arrêts, nous avons marché 7 heures aux alentours de 4000 mètres. Pas étonnant qu’on soit un peu fatigués ! Petit tour à la cuisine. Les hachoirs ont repris du service, les quartiers de mouton pendent, le festin promet d’être grandiose. Je suis fascinée par la capacité de Tsering Gyaltsen et de son équipe à cuisiner des plats excellents dans des conditions plus que précaires. Heureusement qu’ils nous dorlotent car les 2 jours qui arrivent vont être difficiles. Ce soir, c’est « momos à l’agneau », de grosses ravioles cuites à la vapeur et servies avec une sauce épicée. C’est un délice ! Le mouton nourri dans les alpages, gavé d’herbes himalayennes a un goût incroyable. Notre Veyrat local sait en plus ajouter les herbes qui parfument. L’équilibre entre le goût assez corsé de la viande et la subtilité des herbes est parfait. 19h30 : je ne tiens plus debout. Dodo car demain, nous nous levons à 6 heures. Les cuisiniers nous ont concocté un petit feu aux bouses de yack car il fait très froid. Le fumet est… très particulier.



Mardi 12 août – Niri Sumdo – Pandang La ( 5100) – Camp Nord du Charchar La Cette nuit, nous nous sommes levés à 2 heures. Le ciel est plein d’étoiles. Il faut avancer pieds nus en évitant les bouses de yack et les crottes de mule. Ca nous fait marrer ! Devant nous se dressent les 5100 mètres du Pandang La, éclairés par la lune. Je ne veux plus partir d’ici... Le matin, réveil maussade (pas envie de sortir de mon sac de couchage). Pourtant la journée s’annonce bien. Après Françoise hier, c’est à mon tour de monter Ta. 7h30- C’est l’heure du départ et pas de Ta, ni de maître en vue. Apparemment, cette nuit, elle a de nouveau pris la poudre d’escampette et son maître galope derrière elle. Ce mec doit avoir une forme olympique à force de courir derrière sa mule à des altitudes pareilles ! Sonam me propose de les attendre mais je préfère commencer à marcher. 3 heures de montée difficile mais je serre les dents. Ta ne montre toujours pas le bout de son museau. 10h30 –Nous sommes au col et nous voyons arriver le maître de Ta tout seul. La mule rebelle est rentrée à Shade. Mais comment circulent ces informations ? C’est un grand mystère. 10h30- 18h00 – très longue descente vers l’alpage de Zangla Sumdo. Soudain, nous tombons sur un champ de fleurs bleues. Elles ressemblent à du coton. Les porteurs se mettent à les cueillir frénétiquement. Ils remplissent leurs sacs. Ce sont des «piankuru ». Ces fleurs au parfum sucré de bergamotte et de citronnelle sont très recherchées par les « amches », les médecins tibétains. Elles auraient des vertus contre l’hypertension. Nous traversons plusieurs fois la grosse rivière qui coule dans la vallée. Toujours ces falaises rouges et ces impressionnantes gorges.


Au fond de l’alpage, des jeunes filles écorcent de branches des saules. Il y en a des murs complets. Ces fagots seront vendus à Leh et serviront à faire des toits et des plafonds. Une dizaine de yacks est accrochée à la pente. Les filles chantent. Pour un peu, on oublierait que la vie est si dure ici. Ce soir, une fois de plus, nous ne trainons pas.


Mercredi 13 août – Zungla Sumdo ( 3800)- Charchar La (4950)- Camp Nord ( 4450) C’est sans doute une des plus belles journées de ce voyage. Elle commence bien puisque je vais faire une partie de la montée à cheval. Un peu cassée, je m’apprête à monter Kemo, un grand cheval brun très doux (quand même, je pense que c’est lui qui a bouffé mes semelles de chaussures cette nuit). La montée est longue, 3 heures, et j’en passe plus de deux à cheval, ce qui me laisse le temps d’admirer le paysage. La chaîne de l’Himalaya se déroule devant nous, somptueuse. Les pentes violettes, ocres, jaunes, hérissées de rochers rouges et parcourues de gorges mystérieuses…le jeune Tséring qui est resté avec moi me raconte dans son anglais laborieux qu’ici il y a beaucoup de loups et qu’il a vu des léopards des neiges. La nature est terriblement sauvage, intacte. Nous sommes à des années-lumière de toute vie organisée. Je dois descendre de cheval car la dernière grimpette avant le col est très raide. Je marche donc pour rejoindre Bertrand, Françoise, Etienne et Eric, déjà arrivés. 10h30 – nous sommes au Charchar La à 4950 mètres. Youpi ! Sonam nous annonce 2 heures de descente, ce qui dans son langage signifie 4 heures. C’est très exactement le temps que nous allons mettre pour descendre dans une gorge fascinante. Nous délaissons le chemin du dessus (cette voie aérienne sera celle des chevaux et des porteurs) pour progresser directement dans le Zumling Chu. L’eau est à 4 ou 5° et je commence pieds nus. La gorge se resserre très vite et le temps se couvre. Nous sommes minuscules entre ces deux immenses parois. C’est un peu angoissant mais très vite l’émerveillement prend le pas sur le froid et la crainte. Nous progressons dans l’eau sur un parterre de cailloux de toutes les couleurs, verts, rouges, roses, oranges, bleus, ocres. C’est hallucinant. Autour de nous des parois parfois rouges, souvent oranges se dressent et nous empêchent de voir le ciel. Très vite, je remets mes chaussures. Tant pis, elles sécheront peut-être ce soir. Nous arrivons au Camp Nord trempés et frigorifiés. La pluie s’est mise à tomber, fine et glaciale comme nos pluies d’automne. Nous nous endormons bien au chaud dans nos duvets.




Cadrage avec une raquette locale!






Jeudi 14 août Camp Nord- Chupchak Ce matin, le ciel est plus clément. Nous descendons le Zumling Chu. Le soleil joue à cache-cache et c’est comme s’il fuyait devant nous. Françoise, Bertrand et moi galopons comme des chamois pour arriver le plus vite possible au soleil. Nous progressons dans ces gorges étroites, clapotant des heures durant dans l’eau glacée. Le corps s’habitue à tout.

Nous repartons tous ensemble pour l’alpage de Tilat Sumdo situé à 3750 m d’altitude. Il faut suivre la rivière, puis la traverser, la retraverser, grimper sur les berges quand les parois sont trop abruptes, puis redescendre…

C’est épuisant. Et il est de plus en plus difficile de traverser. Même les mules et les chevaux peinent à la tâche. Une petite grotte dans la Dans le sable, nous apercevons notre falaise contient une roche en forme première trace de léopard des neiges. de lingam, le symbole de Shiva, que les Toute fraîche. Sans doute nous sur- femmes stériles viennent adorer. veille-t-il du haut des rochers. Soudain devant nous une large plaine ensoleillée. Hourra ! Quel bonheur après ces deux jours d’ombre et de froid. Nous décidons de nous arrêter pour profiter de cette douce chaleur. Sonam doit aider les muletiers dans les passages difficiles du chemin d’en haut. Résultat : un cadeau d’une heure et demi de bulle au soleil ! Inestimable et rare. J’en profite pour construire de petits cairns que Françoise a vite fait d’analyser. Il est question de femmes, d’hommes, d’enfance, de désir, de liens et de passages. La vie quoi ! Ou des trucs d’intello à 4200 mètres d’altitude…Nous rigolons un bon coup de nos élucubrations.


Vers 15h00 nous faisons une ultime tentative en tendant une corde pour rejoindre les mules. Sonam perd ses chaussures qui dévalent dans les flots.

d’énormes torrents glaciaires. Nous n’en sommes qu’à la première rivière et il en reste une autre encore plus déchainée parait-il.

La bonne humeur disparait. Par L’ambiance devient très sérieuse. Le deux fois nous traversons difficile- danger pointe le bout de son nez et ment la rivière grossie par l’arrivée nous restons très concentrés.


Finalement, nous décidons de remonter un peu plus haut pour camper en attendant un état des lieux de la rivière. Sonam rapatrie tout le monde, hommes et animaux ayant à l’esprit une expérience passée où les animaux avaient traversé la rivière très tôt quand elle était encore basse. Le groupe de marcheurs arrivé plus tard s’était trouvé coincé de l’autre côté de la rivière qui entre temps avait doublé de volume. Résultat : tentes, bagages et nourriture d’un côté et trekkeurs de l’autre, obligés de passer une nuit à la belle étoile à 4000 mètres. Brrrr rien que d’y penser je suis frigorifiée. Nous nous installons sur une petite terrasse au bord de la rivière. Il n’y a pas beaucoup de place. Les chevaux et les mules se prennent les pattes dans les cordes des tentes. J’ai même cru qu’une mule blanche allait entrer dans notre tente. C’est assez impressionnant d’être couchée et de voir l’ombre du cheval passer sur la toile. Et si les muletiers avaient la bonne idée de leur enlever les clochettes, ce serait canon ! Nuit quasiment blanche pour tout le monde.



Vendredi 15 août – De Chupchak vers Tilat Sumdo…puis Chupchak et Camp Nord ! Lever 5h30 ! Pour passer les rivières en direction de Tilat Sumdo, il faut se lever tôt avant que la fonte des glaciers ne les transforme en barrières infranchissables. Sonam et Tsering Gyaltsen semblent sceptiques et décident de partir en éclaireurs pour vérifier que la deuxième rivière descendant de la barrière himalayenne est franchissable. Nous les suivons avec le reste de l’équipe et les mules un peu plus tard. Si ça passe, nous aurons avancé suffisamment et sinon, demi-tour ! Il est très tôt et nous n’avons pas envie de nous tremper les pieds dans l’eau glacée. C’est pourtant ce que nous faisons (les sportifs sont-ils masochistes ? comment définir la notion de plaisir dans de telles circonstances…mon cerveau s’emballe.) Traverser les rivières transformées en énormes torrents est très fatigant. Il faut résister au courant. Je pense à nos filles, à mon petit-fils qui grandit dans le ventre de sa mère. Malgré la beauté des paysages, le mystère de la nature qui nous entoure, les grottes, les cascades…je ne me sens soudain plus concernée par ce projet. Heureusement Bertrand veille au grain et me redonne confiance. Sa présence et sa connaissance, son expérience de la montagne me donnent la force d’avancer.


Finalement, nous rattrapons Sonam qui remonte. Le verdict tombe : le passage de la rivière est encore possible pour quelques heures mais très dangereux. Il va falloir faire vite et il n’est pas sûr que les mules puissent passer. Conciliabule en zanskari avec son équipe. Nous attendons, respectueux de leur décision. Ce sont eux qui sont les plus à même de juger des conditions. Notre idée est qu’il serait idiot de prendre des risques. Nous n’avons aucun enjeu majeur, aucun défi à relever. La décision tombe : nous faisons une croix sur l’ascension du Kang Yatze, de l’autre côté de cette rivière... Il était prévu de remonter la vallée de la Markka et de tenter cette ascension avant de rejoindre Hemis, le plus grand monastère Drukpa fondé en 1630 ! Il va falloir remonter jusqu’au Camp Nord du Charchar La !!! Petit récap de la journée : lever à 5h30 – Départ à 7h30. Notre tentative aller-retour de passage de rivière s’est faite en 4h30. Arrivée au Camp Nord après avoir remonté toute la rivière : 18h30. Total de la course : 11h00 de marche ! Une heure d’arrêt. La bonne nouvelle : notre dernière semaine de trek sera plus cool. Pour célébrer ce retour à la douceur, je me lave les cheveux à l’eau chaude en arrivant au camp. On imagine des célébrations plus glamour mais je fais ce que je peux ! Il fait très froid sur ce camp Nord.


Samedi 16 août – Camp Nord – Zangla Sumdo. Et c’est reparti dans l’autre sens…on remonte la rivière. Les premiers bains glacés ne sont pas franchement agréables. Puis nous remontons les gorges franchies la veille. Puis la remontée vers le Charchar La. En chemin, nous avons aperçus Tsering Gyaltsen déguisé en Père Noël, un petit genévrier himalayen sur le dos. Il filait plus bas dans le torrent. C’est au col que nous avons compris. Le Chorten est garni de deux immenses lignes de lung-ta et le genévrier trône au sommet. Sonam nous explique que cet arbre sacré est placé là pour nous protéger. Il faut maintenant redescendre les 900 mètres de dénivelé qui nous mènent à l’alpage de Zungla Sumdo. Nous choisissons l’option « droit dans la pente », préférant laisser le sentier aux mules. Amusant mais terrible pour les muscles des cuisses et pour les genoux !Cette grande descente se termine par de petits sentiers qui serpentent entre les saules et au détour d’un virage, nous tombons nez à nez avec un dzo (peut être une dzomo). Sympa, bucolique, cette balade contraste avec l’univers minéral que nous avons traversé.. La douceur du paysage calme nos esprits. Nous arrivons assez tôt et c’est du pur bonheur. Soleil, rangement, lessive, peinture…Le fait de savoir que les grosses difficultés sont derrière nous change la donne et donne une saveur particulière à cette fin de journée. Pourtant, je me sens maintenant parfaitement acclimatée à l’altitude.



Dimanche 17 août Lever serein. Nous avons environ 4 heures de marche pour rejoindre Zongla. Les coupeuses de saules sont déjà au travail, toujours en chantant. L’ambiance est cool. Notre balade démarre par des passages de torrents mais plus rien à voir avec les jours précédents. Nous descendons tranquillement dans une très jolie vallée. De chaque côté, les montagnes nous renvoient des camaïeux de couleurs incroyables. Nous apercevons un troupeau de « blue sheeps », un animal de montagne entre l’antilope et le chamois. Petit à petit la vallée s’élargit. Nous longeons une très longue bisse jusqu’à un promontoire qui accueille les ruines d’un château, celui du roi du Zanskar. Plus bas, la vallée s’ouvre le long du fleuve Zanskar. Enorme ! Et soudain, sur une petite colline apparait la nonnerie de Zongla. Au premier plan, le petit village avec au centre une maison plus imposante que les autres bien que très simple, celle du roi du Zanskar. Celui-ci est d’ailleurs en train de construire une maison neuve à côté de l’ancienne. Des enfants viennent jouer avec nous. Nous sommes invités à boire le thé » dans une des maisons du village. Une femme très gentille nous accueille dans sa cuisine qui est en fait la pièce centrale. Et sur une étagère, je remarque des pots remplis d’épices. Je reconnais les « piankuru » cueillis quelques jours plus tôt en descendant le Pandang La.



Bertrand et moi décidons de filer tous les deux au monastère de Zongla sans attendre le reste du groupe afin de pouvoir aller à Paddum avec Sonam. Nous avons très envie d’avoir des nouvelles de notre famille et entendre nos filles. Finalement, nous avons du mal à rester complètement coupés des nôtres. La visite de la nonnerie est un petit moment de pur bonheur. Contrairement aux monastères masculins, cette gompa est joyeuse, propre et les nonnes nous accueillent avec beaucoup de joie. Nous visitons la salle de classe colorée et joyeuse. Les femmes rient, nous parlent beaucoup (sans que nous comprenions un traitre mot mais nous savons que c’est chaleureux). Les jardins sont fleuris et tout respire la sérénité. C’est un peu rapide car nous devons rejoindre Sonam mais quelle belle chaleur humaine. Nous les quittons avec regret.



16h00 : nous partons pour une heure de « taxi » afin de rejoindre Padum. En, fait de taxi, c’est un 4x4 bien rempli qui décharge les paysans au fur et à mesure de son avancée. Nous arrivons à Padum bien contents de plonger dans l’activité de ce gros village. Un seul téléphone dans une sorte d’épicerie. Il faut donner le numéro à un jeune homme dans un coin de la boutique et il le compose lui-même. Nous essayons de joindre les filles sans succès. Seule Mutti décroche. Mais elle ne comprend pas. Je l’entends parler mais elle ne sait pas que la liaison satellite demande un peu de patience. Finalement elle raccroche en râlant. Je suis dépitée ! Deux heures de taxi pour rien… Nous allons boire une bière dans un très joli bar aux colonnes peintes de motifs tibétains. De grandes tables sont occupées par les moines venus à la capitale. Nous nous offrons une sorte de crêpe locale aux pommes, délicieuse. Deux jeunes enfants se jettent sur des bols de momos. L’ambiance est sereine et ça nous fait du bien d’être tous les deux. Nous traînons un peu dans l’unique rue de Paddum et nous amusons à regarder les gens tous différents : la vieille femme appuyée sur sa canne, les jeunes habillés à l’occidentale, T Shirt D&G, lunettes Armani et casquettes siglées, les moines dans leur robe traditionnelle et avec leurs bonnets jaunes, en attente d’un taxi pour rentrer au monastère, les femmes qui vendent de jolis bijoux de turquoise et de lapis lazzuli à même le sol… Retour dans un vieux 4x4 brinquebalant. Nous jubilons avec l’impression de commencer un second voyage ! A côté de Bertrand, une nonne qui sent le lait caillé, devant une vieille zanskari qui chante, un muletier qui connait quelques mots de français et le chauffeur. En toile de fond, de la musique indienne version « bollywood ». C’est parti pour une heure de plongée dans un monde où le voyage prend toute sa dimension humaine. Le monastère de Karsha est tout illuminé. Les cellules des moines ressemblent à de petits lampions accrochés à la montagne. Plus nous nous enfonçons dans la nuit, plus les lumières faiblissent. De petits panneaux solaires fournissent l’éclaireage minimum. Ces petites lumières sont bien douces au cœur de la nuit noire de la montagne. Nous arrivons à notre camp les bras chargés de « God Father » pour notre équipe ravie de l’aubaine !



Lundi

18 août – Zongla-Ramdung

Ce matin, les mules et leurs deux discrets muletiers nous quittent. J’ai compris en bavardant avec l’un d’eux qu’il était étudiant et que nous accompagner lui permettait de gagner un peu d’argent pour vivre. Progressivement, nous revenons à la civilisation. Nous partons en 4x4 pour Ramdung. Nous traversons des paysages de montagne très impressionnants. Nous profitons de larges panoramas. Fini de regarder ses pieds ! C’est à la foi une sensation agréable mais aussi la fin d’une belle aventure que je commence déjà à regretter. Notre trek se termine. La nature nous a renvoyés gentiment mais fermement sur la route. Nous progressons dans un pays de plus en plus pauvre. Les campements au bord de la route sont très sommaires. Des femmes ramassent des bouses de yack. Aucune trace de forêts ou de végétation. Il y a beaucoup de vent et le paysage est de plus en plus désolant malgré la majesté des montagnes. Et puis subitement des sommets étincelants percent les nuages. La hautemontagne s’invite à la fête et nous nous apprêtons à passer un col, le Pensi La ( 4400 m) surplombant un énorme glacier dont le nom résonne joyeusement, le Drang-Drung ! La descente vers Ramdung est très longue et nous passons de grandes landes désolées et désolantes Il fait froid. Ou plutôt nous ressentons le froid beaucoup plus qu’en marchant. Cette première journée sur la route est difficile. Nous passons par le monastère de Taschi, juché sur sa colline, et descendons dans la plaine de Ramdung. Nous installons notre camp à un kilomètre du village. Sur cette grande plaine où rien n’arrête le vent froid, il nous reste la marche pour nous réchauffer.



La prairie est constellée d’edelweiss. Il y en a de milliers. Des enfants rentrent de l’école et tentent de nous parler. Leur gaieté est communicative et c’est en nous tenant par la main tous les 6 que nous faisons une entrée triomphale dans le village de Ramdung, sous l’œil étonné de militaires indiens en faction. La frontière pakistanaise n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres. Les enfants nous font traverser le village dans un sens, puis dans l’autre. Soudain, ils nous plantent là et filent par-dessus les murs de pierre. Petit moment de grâce dans ce paysage austère ! Nous décidons d’en faire autant et de rentrer au camp. En chemin, nous croisons le plus jeune porteur, Tsering, beau comme un sou neuf, habillé de propre et tout souriant. Il nous explique que Ramdung est son village natal et qu’il va passer la soirée chez lui. Il nous propose de nous montrer sa maison et nous ne pouvons pas lui refuser cette joie. Demi-tour et nouveau passage devant les troupes indiennes, de plus en plus intriguées par nos aller et venues. Tsering vit avec son père, sa soeur et son frère. Il passe l’hiver à l’école à Manali. Nous arrivons devant une grande bâtisse tibétaine, belle et solide, bien gardée par un énorme chien. Sa grand-mère nous fait visiter la demeure où rien n’est superflu. Nous sommes touchés par leur gentillesse mais décidons de les laisser en famille. Dernier passage devant les soldats indiens et retour au camp.



Mardi 19 août – Ramdung-Mulbek Un camion de l’armée indienne s’est arrêté et notre équipe, qui nous précédait, également. Il s’agit en fait d’un voisin de Sonam qui a raté son virage. Plus de peur que de mal ! Une fois de plus, étonnamment, ce pays est petit. Les gens se connaissent et sans moyen de La route et longue et chaotique. Nous communication se trouvent, se reremontons la vallée de la Suru et trouvent… sommes fascinés par les sommets à 7000m qui nous entourent. Fran- Pendant que les zanskaris essaient çoise se voit déjà à la tête d’une expé de sortir la voiture de sa mauvaise féminine pour atteindre le sommet du posture, nous filons dessiner un peu Kun ! Il faut dire que cette crème gla- plus loin. Le paysage ressemble à une cée fait envie…Rêve pour Françoise grande tourbière verte et lumineuse, et regrets pour moi car je ne pense entourée de pentes caillouteuses. plus avoir assez de force pour ce Après une heure d’efforts et de discussions, tout le monde se rend à genre de truc. soudain, au détour d’un virage, nous l’évidence, c’est impossible de sortir apercevons une voiture dans le bas- la voiture de l’endroit où elle est tombée. côté. Ce matin, c’est grand soleil. Heureusement car la journée va être longue. Nous sentons Sonam très tendu. L’impression que le passage par la ville de Kargil ne lui plaît pas. D’ailleurs, sans nous expliquer pourquoi, il ne veut pas s’y arrêter.



Nous repartons vers Kargil. Les villages changent et les premières mosquées apparaissent. Nous entrons en terre musulmane. Le jeune chauffeur zanskari et Sonam sont de plus en plus nerveux. Leurs téléphones portables sonnent sans arrêt et les conversations sont animées. Nous ne comprenons pas ce qui se passe mais sentons confusément que quelque chose ne tourne pas rond.

seule chose que nous obtenons c’est de n’utiliser qu’une seule des deux voitures imposées. Piètre victoire car bien vite nous nous entassons, serrés comme des sardines, dans une des voitures. Le chauffeur est désagréable et nerveux. Nous quittons Kargil contrariés. Sonam nous explique que les habitants de cette région refusent que les zanskaris traversent avec leurs clients sans qu’ils puissent eux aussi profiter de cette manne touristique… D’où ce racket organisé qui cette fois ci, ça c’est plutôt bien passé. Certains zanskaris ont déjà été passés à tabac, une fois les touristes partis.

Kargil : des échoppes au bord de la route, des femmes voilées, des hommes en turbans… Soudain au milieu de la route, une dizaine d’hommes nous arrêtent. Sonam est très contrarié. Les hommes sont nerveux. Notre chauffeur et les hommes de Kargil ont une conversation très animée. La violence est dans Un peu plus loin, à la sortie de la ville, l’air comme un coup de chaleur dans nous retrouvons notre chauffeur la fraîcheur de la montagne. zanskari. Tenace, il essaie une ultime négociation sans succès. Nous le quitNous comprenons très vite, avec l’ar- tons à regret et il repart chez lui. rivée de deux 4x4 rutilants, qu’ils sont en train de « voler » sa course au La route continue à travers champs jeune zanskari. Impossible pour lui d’al- et villages. Nous sommes fatigués et ler plus loin. Nous sommes en colère notre chauffeur conduit très mal. Il mais prudents devant la nervosité des roule vite, freine brutalement avant hommes. Nous tentons une discussion les virages, klaxonne sans arrêt. mais Sonam nous fait comprendre qu’il ne faut pas insister. Nous sommes de plus en plus barbouillés. Heureusement, comme une Nous allons être priés d’utiliser les onde de douceur, chortens et stuvoitures des hommes de Kargil… La pas réapparaissent. C’est un peu


comme si nous revenions chez nous. Nous entrons de nouveau en terre bouddhiste et arrivons assez tard à Mulbek. Un immense bouddha directement sculpté dans la roche veille sur les lieux et le temple. Ce soir, c’est notre dernière nuit sous la tente. Nous campons dans les jardins d’une auberge de jeunesse en plein travaux. C’est le bazar mais nous sommes heureux de retrouver notre équipe. Tsering Gyaltsen a préparé un énorme gâteau.

Comme le veut la tradition, nous distribuons les « pourboires »à chaque membre de l’équipe, le cœur un peu serré à l’idée de les quitter demain. Bertrand et moi leur chantons une chanson et soudain, comme un ultime cadeau, Tsering, le plus timide d’entre eux se met à chanter. D’une belle voix douce, il chante une chanson hindi en nous regardant fier et bienveillant. C’est très émouvant et nous recevons ce cadeau comme un trésor.


Mercredi 20 août – Mulbek-Alchi Nous faisons nos adieux à la Flying Cooking team. Je suis un peu triste car une majeure partie de l’humanité de ce voyage est venue de cette équipe soudée autour de Sonam et Tsering Gyaltsen, prête à se mettre en quatre pour nous. Pour les plus jeunes d’entre eux, ce trek était leur première expérience. Nous remercions Sonam pour le justesse de ses choix ! Nous repartons avec notre tête de mule de chauffeur. J’essaie de lui trouver des circonstances atténuantes mais décidément le courant ne passe pas. La route est très mauvaise. Nous traversons des déserts puis des gorges et il conduit toujours aussi mal. Il est à deux doigts d’envoyer promener les piétons croisés. Plus personne ne parle. L’ambiance se dégrade. Je me dis intérieurement que ce serait ballot de mourir sur la route après tous ces cols passés et ces montagnes avalées. La tension est palpable. Nous arrivons au Monastère de Lamayuru, un des sites bouddhistes les plus réputés. L’endroit est magique, la gompa grandiose. Nous nous promenons dans un jardin de méditation au dessus du monastère.





Nous arrivons à Alchi et ce village a l’air bien tranquille. La bonne surprise : Sonam nous a réservé une chambre dans une sorte de gîte entouré d’un admirable jardin de fleurs. Nous allons passer notre première nuit depuis longtemps dans un vrai lit. C’est fou comme ça nous réjouit ! Nous déchanterons un peu à l’essai du matelas, bourré d’une paille dure et piquante mais tant pis, c’est bon quand même ! Nous allons nous promener tranquillement au-dessus du village avec nos carnets de dessin pendant que le reste de la troupe poursuit sa visite des monastères. C’est ici qu’est caché le plus célèbre monastère de la vallée, construit au onzième siècle ! La campagne autour d’Alchi est très belle. Le village est entouré de montagnes bleues d’où dévalent des pentes aux couleurs incroyables oscillant entre le violet et l’orange. Les abricotiers croulent sous les petits fruits bien mûrs. Nous découvrons d’étonnants chortens peints avec des couleurs brique. Nous dessinons une partie du village puis redescendons tranquillement en nous reposant sur des murets bordant de jolis petits champs. Première douche et première nuit sans nous réveiller toutes les heures. Le luxe!



Jeudi 21 aout – Alchi-Leh Avant de quitter le village, nous visitons le monastère d’Alchi, un des plus anciens du Zanskar. Dans un joli jardin, plusieurs temples aux très anciennes boiseries finement sculptées se succèdent. A l’intérieur les murs sont recouverts de très vieilles peintures, des alignements sans fin de bouddhas, taras et autres divinités. De magnifiques mandalas, des boiseries travaillées comme des dentelles…Bref, une découverte historique et artistique exceptionnelle. Deux chauffeurs zanskaris nous ont rejoints et ça change tout. Leur conduite souple et tranquille nous fait vite oublier la méchante humeur du type de Kargil. La route se poursuit à travers des paysages de dunes et de sables. Nous longeons l’Indus qui a pris sa source là-haut dans l’Himalaya.



Soudain, surgi d’un oasis de verdure, le monastère de Likir. Magnifique et moderne, marqué par la présence d’un immense bouddha doré trônant au beau milieu du gompa. Des chants étranges nous parviennent, rythmés par des sons lourds et mats. Ca ressemble au roulement de la mer sur les galets. Il s’agit d’une grande puja dirigée par un vieux lama. C’est très beau. Ici, les moines ne ressemblent pas du tout à ceux que nous avons rencontrés dans les montagnes. Là-bas, ils semblaient pauvres et miséreux. Ici, ils ressemblent à des intellectuels avec leurs lunettes rondes et leur peau fraîche. Certains ont même des téléphones portables. Cela donne un étrange sentiment d’inégalité peu conforme aux préceptes bouddhistes, que nous idéalisons sûrement.





Nous continuons notre progression vers Leh, la capitale du Laddakh. Nous nous arrêtons en chemin dans un vieux château en ruine. Il s’agit de la citadelle de Basgo qui est en fait une immense maison forte appartenant au roi du Zanskar. C’était autrefois au 15ème siècle la capitale du Bas-Ladakh et c’est là que fut construit le premeir « mendong » ( mur de manis) à l’initiative du grand roi Sengge Namgyal au début du 17ème siècle. Nous y croisons deux européens en plein rénovation, seuls dans cette grande maison de terre. Nous arrivons à Leh en début d’après-midi. Sonam nous installe dans un bel hôtel sur les hauteurs de la ville. Françoise, Etienne et Eric décident de poursuivre leurs visites de monastères. Bertrand et moi préférons prendre notre temps, goûter avec délice à ces moments de découverte, seuls et sans contrainte. Et prendre la température de la vieille cité. Nous avons besoin de regards, de sourires, de contacts. Nous nous promenons tranquillement, savourons l’ambiance sur une terrasse surplombant une rue encombrée de fils électriques qui font un véritable filet au-dessus des passants. Nous visitons quelques échoppes, bref c’est le bonheur ! Dans la boutique d’un vieil homme, nous découvrons de magnifiques antiquités, de véritables trésors. Un peu plus loin, un atelier de couture. Ici, les couturiers sont les hommes. Dans ce quartier populaire, tibétains et zanskaris sont assis derrière de vieilles machines à coudre. L’ambiance de ce vieux quartier est vraiment sympa ! Nous montons vers le Palais Royal qui surplombe la ville. Il a un air de Potala, le palais de Lhassa qui sera construit 50 ans plus tard ! Malheureusement, celui de Leh est plutôt mal en point!


Vallée de l’Indus




Vendredi 22 août - Leh-Hemis-Leh Ce matin, nous continuons nos découvertes seuls. Etienne, Françoise et Eric sont toujours autant motivés par les visites de monastères. C’est très beau mais l’idée d’en visiter un grand nombre les uns derrière les autres nous fatigue. Par contre, avec l’aide d’Etienne, nous construisons un petit programme surmesure avec les visites des 3 trésors du coin : Shey, Thikse et Hemis. Ce serait dommage de rater ça. Sonam organise notre petite expédition avec un taxi et un guide. Nous démarrons tranquillement à 8 heures du matin. Notre guide est très cultivé. Il vient de Ksazar au Zanskar où il est instituteur en hiver. La visite des trois sites avec lui est un régal. Il nous explique des tas de choses sur le bouddhisme, les symboles qui ornent les murs des temples, sans jamais nous lasser. Il a une certaine distance par rapport à la religion due sans doute à sa profession. Shey fut la capitale du Ladakh jusqu’au 15ème siècle. A Thikse, sur la rive droite de l’Indus, nous assistons à la prière du matin. Des petits moinillons, âgés de sept ans environ, virevoltent aux sons de la puja. Ils ne tiennent pas en place, se chamaillent pour savoir lequel soufflera dans une grosse conque sous l’œil amusé des adultes pendant que les vieux moines égrènent leur litanie. Plutôt rassurant de voir qu’ici les moines restent avant tout des enfants. 13h00-Nous pique-niquons dans le beau jardin d’une maison en contrebas du monastère d’Hemis. Il fait doux et l’atmosphère est paisible. En face de nous, la route qui file vers le Tibet si proche…Nous rentrons à Leh pour une petite sieste car le soleil (nima) commence à taper dur ! L’après-midi est consacrée à la poursuite de notre carnet de voyage. Nous dessinons sur la terrasse de l’hôtel et ça commence à ressembler à des vacances ! Un couple d’indiens vient bavarder. Leur fils travaille pour Decathlon en Inde. Nous sommes poursuivis par la mondialisation jusqu’ici !





Nous retrouvons Sonam et décidons de « descendre en ville » avec lui. Son bureau est très sympa, à son image. Nous quittons assez rapidement le quartier touristique pour nous enfoncer dans les ruelles populaires pleines de monde. L’étal du boucher avec destas de cervelles de mouton, des tripes et des têtes coupées en deux renforce l’idée qu’ici, c’est mieux d’être végétarien ! J’adore les échoppes remplies à ras bord de casseroles, de petits fourneaux et de tas d’ustensiles dont j’ignore l’utilité. Nous faisons le tour d’un marché et atterrissons chez un marchand de tissu. Résultat : l’achat de 3 mètres du tissu traditionnel local ! 120 roupies le mètre (soit 2 euros), c’est bien moins cher que de l’autre côté de la ville dans le quartier touristique… Nous dînons tous ensemble dans un restaurant tibétain. Tsering Gyaltsen nous a rejoint. Bière, plats épicés, notre dernière soirée à Leh est vraiment très chaleureuse. Notre trek est terminé. Samedi 23 août – Leh-Dehli Lever à 4h50 du matin pour un départ de l’hôtel à 5h00…Juste le temps d’enfiler un pantalon, un T-shirt et de sauter dans le 4X4 qui nous attend devant l’hôtel. Direction l’aéroport militaire de Leh qui sert aussi d’aéroport civil. Trekkers, indiens se mélangent allégrement les pinceaux. Nous ne comptons plus les contrôles et les fouilles. Le clou «sécurité» de la matinée : juste avant d’embarquer, les policiers prennent au hasard des bagages et appellent leurs propriétaires qui doivent venir les reconnaître. Si personne ne répond, les bagages restent sur place ! Mais les appels en anglais avec l’accent indien ne ressemblent à rien. Mister Itine est appelé plusieurs fois avec insistance. Une fois, deux fois, trois fois…Soudain Etienne a un flash. Sur nos cartons d’embarquement sont inscrits nos prénoms à la place des noms. Mrs Catherine, Mrs Françoise…et Mr Etienne. Avec l’accent local, Mr Itine, c’est lui ! Il bondit et reconnait ses bagages. Ouf ! Tous les sacs sont chargés. Le vol sur Air Deccan est très impressionnant. Nous survolons les montagnes avec un brin de nostalgie et atterrissons à Dehli heure et demie plus tard.



Taxi et hôtel pour la journée. Ce sont les bonnes idées de Sonam qui nous a réservé deux chambres pour la journée en plein cœur de New Dehli. Nous prenons une douche, piquons un petit roupillon après avoir avalé un excellent petit déjeuner. Nous n’avons que quelques heures pour nous promener. Et vu la taille et l’activité de la ville, nous préférons nous offrir les services d’un guide. Pas de temps à perdre ! Ramesh nous sert de guide à travers sa ville. Nous visitons un grand temple sikh, un temple hindu. Nous nous baladons dans le quartier du parlement sur la Grande avenue Royale. Plus loin, un drôle d’immense bâtiment en forme de fleur de lotus vient d’être construit. C’est un espace de méditation en pleine ville, ouvert à tous. Ramesh nous conduit dans une coopérative d’artisanat. Une vraie caverne d’Ali Baba mais nos moyens de fin de trek ne nous laissent guère le choix. Retour à Gonnaugh Place pour une petite séance de repos avant le départ pour l’aéroport. Dehli nous plaît. La chaleur, la moiteur, le bruit et les couleurs, c’est une immersion directe dans un univers dynamique, en perpétuel mouvement. Il ne se passe pas une minute sans qu’un son, une odeur, une sensation ne vienne percuter nos sens. Pas toujours agréable mais terriblement efficace pour garder l’esprit en alerte ! Les enfants font la manche et une fillette, les yeux larmoyants, nous tend la main. Ramesh nous explique qu’il s’agit de bandes organisées, souvent par les parents. L’argent donné ne va jamais dans leur poche. Mieux vaut leur donner à manger… Nous passons la soirée dans un restaurant chinois dont le chef est un vrai as de la cuisine de son pays. Rien à voir avec ce que nous connaissons chez nous. Je n’ai jamais mangé de plats aussi épicés même en Amérique Latine. Nous transpirons tous à grosses gouttes ! 20h30 : départ pour l’aéroport. Dommage, nous commencions à nous habituer à cette ville. Une heure du mat : notre avion décolle. Direction Helsinki puis Paris. Vol de nuit et déjà une belle nostalgie qui s’installe.



Ce voyage extraordinaire a été imaginé et organisé par Etienne Principaud. Spécialiste du bouddhisme et de l’histoire de l’Himalaya, Etienne a réalisé un magnifqiue album de photos sur les paysages minéraux du Zanskar et un livre sur les tambours des gompas. Les images de ce carnet ont été prises par Eric, Etienne et Françoise Principaud, Bertrand Lebert et Catherine Claude. Vous pouvez retrouver les plus belles d’entre elles sur le site d’Eric : http://www.ericprincipaud.fr

Eté 2008 - Catherine Claude et Bertrand Lebert - 74290 Talloires


Si l’aventure vous tente, nous vous recommandons les services de Sonam Dawa qui, du Spiti au Mustang, en passant par les coins les plus reculés du Zanskar, connaît l’Himalaya comme sa poche. http://www.trekkingladakhzanskar.com



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