Le Vin du Recteur de Coatascon… Grammaire vinicole… 1904. - 277 p. [Doare gwenn ha du]

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R e n é M id y & C h a r le s G w e n n o u

LE VIN

du Recteur de Coatascorn E N

B A S S E -B R E TA G N E

Préfaces de MM. A. Le

B raz

et L.

Berthaut

SAINT-BRIEUC IM P R IM E R IE -LIB R A IR IE -L IT H O G R A P H IE DE RENE PRUD’ HOMME 1904



LE VIN

DU RECTEUR DE COATASCORN EN

( G w in

BASSE-BRETAGNE

P e rson K o a ta scor n )



Comment je devins... Rimeur

L E V IN

du R ecteur de Coatascorn En

B asse- B re ta g n e

W (G IN

P ERSON

par

René

K O A TA S C O R N )

M ID Y ( d ’A r b e l )

Officier de l’instruction Publique et

Ch .

P réfaces d e

GW ENNOU

MM.

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A n a t o l e L e B raz e t L é o n B e r t h a u t

LES GRANDS VINS DE FRANCE CURIOSITÉS

LITTÉRAIRES

D is-m oi, connais-tu le pays où, sur le rocher, s’élève le chêne ; — où le Barde chante sur le seuil de sa porte ; — où, sur le rivage, b r u it la m er ? L uzel.

SAINT-BRIEUC RENÉ

PRUD’HOMME

IMPRIMEUR-ÉDITEUR

RUE P O U L A IN -C O R B IO N TOUS

D R O ITS

RÉSERVÉS



PRÉFACES ------------- >4. «

P r éface de M . A natole L e B r a z

Rennes, 5 décembre. Ch er M

o n s ie u r ,

J’ai lu avec le plus v if intérêt votre hum oristique poème. Votre bonhomme de curé, — en Bretagne, nous disons : recteur, — est un Celte de la vraie race. Je reconnais en lu i le p u r type trégorrois, dont la candeur exquise ne va pas sans une pointe de douce ironie. Mais surtout, je vous sais gré d ’a voir réhabilité Coatascorn, en lu i donnant une existence litté ra ire . Souvestre, qui ne savait le breton qu’à demi, imagina, un jo u r, de traduire C o a t a s c o r n par « le bois des osse­ ments » ; c’était appliquer une désignation bien funèbre au plus ria n t des pays. Grâce à vous, on saura désor­ mais que ce jo li coin rustique n’a rien de la tristesse 1


PRÉFACES

li

d ’un ossuaire. J’ai revu, en vous lisa n t, les coteaux om breux, les petites vallées sinueuses, toutes b ru is ­ santes d ’un c la ir gazouillis de ruisseaux, et, dans cette fraîcheur verte, les grises maisons du village, le pres­ bytère avec sa tre ille , l ’église moussue avec son hum ble clocher. C’est un n id de braves gens q u i ne fo n t pas grand tapage ; mais on y v it, sim plem ent, à la m anière antique, q u i était peut-être la bonne, et, au besoin, — vo tre curé le prouve, — on ne laisse pas d ’y a v o ir de l ’esprit. Puisse le légendaire v in de Coatascorn vous être un é lix ir de succès ! Vous y avez, en to u t cas, puisé une verve heureuse. V euillez en re ce vo ir mes com plim ents les m e illeu rs, et croyez, je vous prie, à ma très p a rti­ culière estime. Anatole L e B r a z .


P r éface de M . L é o n B e r t h a u t

Rennes, 18 mars. C h e r M o n s ie u r ,

Votre fin poème a pour m oi, Norm and d’origine et Breton par alliance, un charme qui me porte à dire, une fois de plus, que Bretons et Normands sont beau­ coup plus cousins qu’on ne pense. L ’histoire d’ailleurs nous apprend qu’à l ’époque des grandes invasions anglaises, deux cent m ille fam illes normandes allèrent se fixer en Bretagne : il en résulterait que le Français d’A rm or qui blaguerait le voisin, p o u rra it bien s’exposer à ra ille r ses aïeux, sexe faible ou sexe laid. Et puis, que de ressemblance même dans les deux belles provinces de l ’Ouest I Votre Coatascorn, dans son nid de verdure où babille un ruisseau, je l ’ai vu cinquante fois au pays de Caux et au pays d’Auge, tout comme je connaissais les rochers de Bretagne et leur bruyère jo lie avant de les a voir vus, car j ’avais admiré cette fière et puissante nature au pays de ma mère, dans les cirques verdoyants, parm i les hauts rochers du Calvados. Qu’on n’aille pas dire que les Normands n’ont pas


IV

PREFACES

de v in : je me rappelle qu’un m ien oncle en eut, et de bon, s’i l fu t rare, dans sa vigne de Sanvic, au-dessus du Havre. Votre « recteur » appelle son verjus « le vin de l ’amitié. » Ce seul m ot-là en fa it un norm and. J’en appelle aux Bretons de la a Pomme » : à Caen, au Havre, à Rouen, n ’o n t-ils pas tro u vé l ’hospita lité digne des rôtisseurs artistes comme notre bon et sim ple Paul H arel, cet exquis poète. Le curé de Coatascorn est poète aussi : nouvelle raison p o u r que je me plaise en votre sp iritu e lle h is ­ to ire . Si la « Bretagne est poésie », la même fle u r de beauté pousse à to u t bout de champs dans les cam­ pagnes normandes : au pays d ’A la in C hartier, de Basselin, de Malherhe, de C orneille, la rim e chante dans la tête des gens ainsi que le cidre au cœ ur des futailles. E t savez-vous que, avec sa m alice finaude, votre recteur de Coatascorn est un v ra i Bas-Normand. En vérité, et je m ’en réjouis en mon cœ ur de F ran­ çais, cidre et poésie, vaillance et finesse, les Bretons et les Norm ands, quoi q u 'ils disent et quoi q u ’ils fassent, ont to u t ce qu’i l faut p o u r s’entendre. Au reste, ils se tiennent pa r la Manche ! A vous, bien cordialem ent. Léon B e r t h a u t .


CIDRE ET V IN

A M. René MIDY.

Certes, Bordeaux ou Bourgogne, le vin, Quand i l est bon, nous fait boire à plein verre L ’illu sio n , chère au cœur du trouvère ; Le vin , c’est vrai, reste un nectar d ivin . Mais, nonobstant, on ne b o it pas en vain La liq u e u r d’or que le Breton révère : Tel G irondin, au cidre pur, sévère, Pour un bol bu en vo u lu t boire vingt ! Or, auquel donc donner la préférence... Corton, Yquem, ou... champagne normand ? Comment cho isir avec quelque assurance ? Je suis d’avis de boire lentement, Avec respect, comme on b o it l ’espérance, L ’un à la fin, l ’autre au commencement. Léon

Berthaut


NO TE y v /v w v «

L ’h isto ire du V in de Coatascorn, sur laquelle on a greffé diverses parodies, est authentique et vraie dans ses m oindres détails. J’ai vu, de mes yeux vu, à Coatascorn, bourg du canton de La R oche-D errien, arrondissem ent de Lannion (C .-d.-N .), l ’un des tro is ceps gigantesques qu i com posaient, i l n ’y a pas longtem ps encore, le fameux vignoble. Le v in de messe, le v in offert à Mgr l ’Evêque de Saint-Brieuc, le dîner des Boulevards, Yétiquette im p ri­ mée du Restaurant, etc., sont des faits réellem ent vécus. L ’aventure rem onte à e n viro n quarante ans. E lle m ’a été contée, dans le pays même, par plus de v in g t Ecclésiastiques tém oins contem porains des faits, et, notam m ent, par le savant abbé Le Bourdellès et par le vénérable recteur de Coatascorn. P lusieurs convives du dîner de Paris existent encore et peuvent attester la fid é lité de mon ré cit. I l n ’y a, ic i, de convention que deux choses : la v e r­ sification et la mise en scène. Au reste, l ’anecdote est extrêm em ent connue et populaire p a rm i to u t le Clergé bas-breton.

René M idy.


LE VIN

du Recteur de Coatascor n EN

BASSE-BRETAGNE

(Histoire authentiquej

I

AU PAYS BAS-BRETON a O Breiz Izel, ô kaera b ro ! « Koat enn he c’hreis, in o r enn lie zro ! » O Bretagne, ô le plus beau des pays ! Bois au m ilie u , m er alentour ! Brizeux.

Une histoire attrayante et déjà légendaire, Court le Trégor, de presbytère en presbytère, Des bouches du T rieux (2) aux sources de l ’E lorn (3) ; Le héros ? un abbé, recteur de Coatascorn. (1) Coatascorn, — de coat, bois, et ascom, os. Ce lieu, p a ra ît-il, était ja d is planté d'ifs, bois d u r comme l ’os; d’où vie n d ra it le m ot Coatascorn. (2) Le Trieux prend sa source près de B ourbriac, passe à Guingamp, et se jette dans la m er par un large estuaire, en face de l ’ile de Bréhat. (3) U E lo rn naît près de Commana, passe à la gare de L a n d ivisia u , et se jette dans la rade de Brest au-dessous de Landerneau.


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LE V IN DU RECTEUR DE COATASCORN

Sur les bords du Jaudy (1), ce fleuve aux eaux lim pides, Où se m ire n t de n o irs M enhirs, Dieux des Druides, Non lo in du Ménez-Bré, dont le torse géant Semble couver la Plaine et b ra ve r l ’Océan, Dans un va llo n caché, béni de la nature, Coatascorn apparaît comme un n id de verdure. Ajoncs to u jo u rs en fleurs, vergers, fru its savoureux, Genêts, rochers touffus, gazons, bosquets om breux. T el est ce coin charm ant dans ta noble campagne, O pays du contraste, ô changeante Bretagne ! O ui, la te rre m ystique, au vieux pays d ’A rm o r, Etale, to u r à to u r, un magique décor. Plus sombre q u ’une aïeule en pleurs su r des* ruines, Quand la bise d ’h iv e r y chasse les bruines, A ussitôt que re vie n t ce charm eur, le printem ps, E lle rayonne, ainsi q u ’une vierge à v in g t ans (2) !

II L E VIGNOBLE DE COATASCORN Coatascorn... ce grand nom , de celtique structure Ne vous d it rie n , sans doute, ô fervents d ’E picure (3) ? (1) Le Jaudy sort de la com m une de Tréglam us, passe à L a RocheD e rrie n , et se jo in t au G uindy, à T ré g u ie r. (2) Lisez le Printem ps en Bretagne, p a r C hateaubriand. (3) E p icu re enseignait que le p la is ir était dans la c u ltu re de l'e s p rit et la p ra tiq u e de la vertu. Ses sectateurs dé naturère nt sa d o ctrin e .


LE BAN DES VENDANGES

3

Or, une T re ille antique, agreste, sans renom, Brusquement illu s tra ce discret T rianon. C’est que, dit-on, Noë, vigneron-patriarche, En v in t greffer le cep quand il s o rtit de l ’Arche, Et que naguère on v it le ru tila n t Bacchus Presser sa grappe d’o r et trin q u e r à Brennus ! Alerte ! garde-toi, vigne de la Gironde, Dont le vin va couler aux quatre coins du monde : A l ’ombre des Dolmens, un vignoble nouveau Surgit et fait déjà glouglou dans Landerneau !

III LE BAN DES VENDANGES DE COATASCORN Au Gui Van neuf ! Fredonne, vieux Jaudy, ton argentin m urm ure ! Répète aux doux échos : « Recteur, ta vigne est mûre ! » Entonne l ’Evohé ! de Bacchus triom phant, Du vin qui, même aux vieux, donne des cœurs d’enfant ! 1

Eguinané !... Pâtres et Bardes, Debout ! du T rieux à l ’E lo rn ... Claironnez, corn-bouds et bombardes, Les vendanges de Coatascorn I


LE V IN DU RECTEUR DE COATASCORN

2 Quittez vos Forêts, ô Druides ! Brandissez votre Serpe d ’o r : Déjà frém issent les Bacchides, E t M e rlin va chanter encor !./. Bretons aux form es athlétiques, — Muscles d ’acier, p o itra ils velus, — Descendants des Celtes antiques, D ebout! les hommes chevelus... 3 Eguinané !... Pâtres et Bardes, Debout ! du T rie u x à l ’E lo rn ... C laironnez, corn-bouds et bombardes, Les vendanges de Coatascorn ! 4 Vendangeurs, le Coteau ruisselle ! Son flanc vineux semble fum er ; L ’ardente haleine q u ’i l recèle, Comme l ’éclair va s’enflam m er ! Vierges, promenez les corbeilles ! Oiseaux picoreurs de pépins, Fuyez au concert des abeilles, Dispersez-vous sur les grands pins ! 5 Retentissez, refrains des Bardes, Saluez le Roi du Caveau !


LE BAN DES VENDANGES

Claironnez, corn-bouds et bombardes, V oici le petit v in nouveau ! 6

Enfant perdu de la Montagne, Tu vas naître joyeux, verm eil, Du sein puissant de la Bretagne Fécondé par le gaî soleil ! Et plein de la brûlante flamme Que t ’octroya le Dieu du jo u r, Aux m ortels viens verser ton âme, Et faire des Dieux à ton to u r ! 7 Eguinané !... Pâtres et Bardes, Debout! du T rieux à l ’E lo rn ... Claironnez, corn-bouds et bombardes, Les Vendanges de Coatascorn ! 8 Celtes et Gaulois, nos ancêtres, Sablaient le v in couleur de feu, Et, défiant tyrans et maîtres, Chantaient gaîment sous le ciel bleu ! Nous, fils de la race héroïque Que rien n’abat dans sa fierté, Nous chantons la vie ille A rm orique, La Patrie et la Liberté !


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LE V IN DU RECTEUR DE COATASCORN

IV

L E VIN DE L ’A M IT IÉ -

L E V IN DE MESSE

Au centre du hameau paisible et so litaire, E t près du potager de l ’hum ble presbytère, Sur le flanc d ’un coteau tapissé de gazon, D ont la ligne joyeuse ondule à l ’h o rizo n , Le pam pre déroulant sa verdoyante nappe, A ux rayons du soleil laisse pendre la grappe, E t son fr u it m ûrissant, découvert à m oitié, Elabore en secret le v in de l ’am itié. « S’i l est un rôle noble et bien digne d ’envie, Un agréable em ploi dans le cours de la vie, C’est celui d ’un m o rte l q u i fa it en sa maison Les honneurs de sa table en digne a m p h itryo n . On dévore les mets que sa grâce assaisonne ; Des regards caressants fixés sur sa personne Semblent lu i demander de nouvelles faveurs ; Sa généreuse m ain captive tous les cœ urs... » Or, i l est, à la Cure, un respectable usage, C’est d ’o ffrir au passant le M argaux du village. L ’hôte, désabusé, mais franchem ent reçu, R aille discrètem ent le p e tit v in du cru. O v in de Coatascorn ! verjus ou quintessence, Sied-il de ravaler ta douteuse naissance,


LE V IN D ’HONNEUR

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A lors que, recevant un honneur sans égal, Tu parais sur l ’autel en v in théologal (1) ? Le jo u r où le pasteur te p rit pour v in de messe, D’un destin glorieux il te fit la promesse...

V LE VIN D’HONNEUR Breuvage triom phal, dans la coupe d’honneur, Le curé certain jo u r l ’o ffrit à Monseigneur. « Que Sa Grandeur, d it-il, experte par naissance (2), Daigne du Coatascorn proclam er l ’excellence, Attester qu’il est franc, v ir il, riche, verm eil, Plus chaleureux, plus p u r qu’un rayon de soleil, Que, dès lors, tout Breton du pays de saint Yves Est tenu d’honorer tant de vertus natives ; A ces fins, condamner mes confrères voisins Sceptiques et railleurs devant le Roi des Vins. Tel, jadis, Monseigneur, Saint Louis, à Vincennes, Dispensait la Justice à l ’ombre des grands chênes, Tel, faites-la ja illir de votre cœur sans fiel, Semblable au « Coatascorn », vin bleu comme le ciel ! (1) V in théologal et sorbonique. (Montaigne, Essais.) (2) Mgr M artial, évêque de St-Brieuc, était o rig in a ire de la Gironde, et p ro p rié ta ire de vignobles à Saint-C hristoly.


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LE V IN DU RECTEUR D E COATASCORN

De ce jo u r, M onseigneur, cette insigne sentence, Par vo tre a utorité « fera ju risp ru d e n ce » (1). Sans crainte alors m on v in , au fin dégustateur, O ffrant son co lo ris et son bouquet vainqueur, S’en ira , p o ursuiva n t sa b rilla n te odyssée, De Brest à Pétersbourg, de Rome à l ’Elysée !... Sur le plus beau ruisseau des cla irs ruisseaux d’A rm o r, Mon verre parfum é de ce v in d ’ambre et d ’or, Narguant des faux buveurs les blasons apocryphes, Je bois à Monseigneur, la perle des Pontifes ! »

VI MONSEIGNEUR M A R TIA L Evêque de Saint-Brieuc. « Ce pays, cher Curé, d it l ’ém inent prélat, A cent titre s divers b rille d ’un v if éclat, Salut aux verts pom m iers de la v ie ille Bretagne ! G loire au cidre doré, doux C licquot de campagne ! V ivent les épis blonds, vos ja rd in s , vos p rim e u rs, Vos landiers embaumés de l ’arome des fleurs ! Mais la Terre des vins, c’est la « sainte » Bourgogne, La Montagne de Reims, les Coteaux de Gascogne ; (1) F aire ju ris p ru d e n c e , term e de palais : A v o ir force de lo i.


LE V IN M ONDIAL

C’est Saumur, Beaugency, l ’Hermitage, Bourgueil, Ce sont les crus royaux : Suresnes, Argenteuil !... Pour charmer nos palais offrez-nous à la ronde La classique liq u e u r qui vient de la Gironde, Le v in de Malvoisie et celui de Palma, Le Champagne mousseux, le C hristi-Lacrym a, Le Chypre, l ’Albano, le Tokay, le Sauterne, Joyaux devant lesquels tout gourmet se prosterne !... Versez Johannisberg, Constance, Richebourg, Madère, Marsala, Rivesaltes, Presbourg... Faut-il vanter encore : Yquem, Vougeot, que sais-je ! Tant d’autres qui le u r font un splendide cortège ! A quoi bon ? Le Margaux, le Romané-Conty, Jamais ne m û riro n t sur les bords du Jaudy !... Puisse le « Coatascorn », nectar en sa vieillesse, Egaler, quelque jo u r, cette haute noblesse ! Mais à présent, je dis, — car cela saute aux yeux : I l ne vaut pas grand’chose... et votre cœur vaut m ieux !

V II LE VIN MONDIAL Or, jamais un Breton, tant que sa cause est bonne, Ne se tient pour vaincu : j ’en atteste Cambronne ! Et la « tête de fe r », le Breton bretonnant, Rêve sur l ’impossible un triom phe éclatant.


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LE V IN DU RECTEUR DE COATASCORN

« Mes hôtes, d it le prêtre, en déversant le blâme De concert sur m on v in , lu i fo n t une réclam e... Car si Dieu n ’en d it rie n , sans doute a -t-il raison ; E t sa m arque, je pense, est encor de saison ! Bravant, par cet appui, la suprême trib u n e , Au Paris des gourmets j ’ira i chercher fortune. E t d ’emblée illu s tra n t le grand A rm o ria l, Le v in de Coatascorn deviendra m ondial ! »

V III A PARIS D îner sur les grands Boulevards. Donc un jo u r, éloigné de la terre natale, N otre Recteur se trou ve en pleine Capitale, Avec de bons amis, alertes voyageurs, De l ’exposition v is ita n t les splendeurs. Le pieux Presbytère au progrès rend hommage, Et, gardant de la F oi l ’intégral héritage, I l vie n t examiner, sans reproche et sans peur, Les problèmes posés par ce siècle chercheur.... Sur les Grands Boulevards, un beau so ir on se risque A faire grand gala : vins, sorbets et la bisque.


A PARIS

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Agape fraternelle où la franche gaîté B rille sur tous les fronts, malgré le u r gravité. Mais point de vains propos, fo rt peu de politique ; L ’idéal, en un mot, du v ra i « Dîner Celtique » (1). Dame ! c’est qu’on n’est pas tous les jo u rs à Paris ; Et puis... c’est un devoir de fêter ses amis ! « Le m ortel fortuné que la faim im portune N ’est point venu chercher au sein de la fortune, Celui-là, mes amis, inhabile à jo u ir, Peut-être ne sent pas tout le p rix du pla isir. I l n ’éprouve jamais, endorm i dans le faste, Ce sentiment exquis que fait naître un contraste... Il faut, lo in du palais où languit le bonheur, A vo ir bu quelquefois le vin du voyageur ; A voir, en fu g itif surpris par la misère, Partagé le pain n o ir pétri dans la chaumière : Alors quand le destin vous présente au hasard Un banquet em belli des prestiges de l ’art, Ce bien inattendu double vos jouissances ; Vous savourez l ’oubli des plus vives souffrances. L ’orage rend plus p u r l ’heureux jo u r qui le suit : J’ai connu ce p la isir que le m alheur p ro d u it (2). » (1) Chaque année, les Bretons lettrés de Paris se réunissent en un dîner fraternel appelé : Dîner Celtique. (2) Berchoux.


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LE V IN DU RECTEUR D E COATASCORN

IX LE VICAIRE DE COATASCORN Un abbé, — de son nom plusieurs ont souvenance, w A dm ira du festin la superbe ordonnance », Le bon goût des salons et leurs riches décors, Le gaz aux m ille feux iris a n t les vieux ors, Le linge damassé, la fine porcelaine, E t des plats assortis à p la ire au vieux Silène !... (1) « Mets succulents, d it-il, savamment préparés, V ins plus rares encor, grands crus secs ou sucrés... Ils n ’ont pas cependant la sève franche et vive, La vigueur, la souplesse et la grâce naïve De ce fie r P iccolo q u i nous charme to u jo u rs, E t que notre curé nous sert dans les grands jo u rs . »

X LE RECTEUR DE COATASCORN L ’Eloge du Vin. « Messieurs, d it le recteur, acclamez mon vicaire, Cet expert connaisseur même en l ’a rt cu lin a ire ! (1) Silène, d e m i-d ie u ; père n o u rric ie r et com pagnon de Bacchus.


LE RECTEUR DE COATASCORN

I l pense en hum oriste et parle en orateur ; Mais i l tient sur ma cave un propos tro p flatteur, Comme s’i l regrettait, dans ce Paris magique, Mon « Pommard indigène » et ma table rustique. Distinguons !... Si du vin j ’estime la saveur, Je suis un philosophe et non pas un buveur ! Le bon vin nous ra v it dans l ’extase profonde « Qui nous transporte lo in des misères du monde. « Comme une panacée aux maux de notre corps, « Il ranime sa force, en trempe les ressorts, « De l ’homme vigoureux entretient l ’énergie, « Et du v ie illa rd caduc combat la léthargie (1). » O vin, charm eur puissant, sublime inspirateur, Talisman d’amitié, p h iltre réparateur ! Tu rends l ’esprit subtil et la bouche éloquente, L ’âme par tes vertus est plus compatissante ; Enfin, de sa nature oubliant le néant, Par toi, l ’homme triom phe et se cro it un géant ! Vous prêtez à mon v in des qualités pareilles, Et dans Paris, cité de toutes les m erveilles, Je veux réaliser votre intim e désir, C’est du vra i « Coatascorn » que je vais vous o ffrir. Frères, voici la coupe et la source bénie Où les Preux vont puiser la force, le génie... Coupe des du Guesclin, verse-nous à pleins bords, Le souffle, l ’énergie et la vertu des forts !

(1) Biarnès, Les Grands Vins,


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LE V IN DU RECTEUR DE COATASCORN

Verse-nous la gaîté, le rêve, l ’espérance Que l ’on b o it à longs flots sous le soleil de France ! Verse-nous, du Passé, le pieux souvenir, L ’am our d u V ra i, du Beau, la fo i dans l ’A v e n ir ! »

XI L E GARÇON DE RESTAURANT On a lla it a p p la u d ir la plaisante boutade, Mais le prêtre aussitôt p o ursuivan t sa tirade : — « Garçon, nous vou drio ns un v in tro p peu flatté Mais dont nous prisons fo rt l'exquise qualité. Nous ne demandons pas le vieux v in de Falerne (1), Celui que nous voulons est un cru plus moderne : Avez-vous, dites-m oi, du v in de Coatascorn ? »

[H orn.

Le garçon, sans b ro n c h e r: — « Oui, Monsieur... du CapUn Cap-Horn ! un ! ! Très vieux !!!» — «Co-a-tas-corn ! vous E stro p ie r ce nom , vra im e n t cela m ’afflige ! »

[dis-je.

« —Bien ! M onsieur : Castacorn ! ce v in m ’est bien connu. Incontestablem ent c’est un célèbre c ru .... (1) Horace p la ça it le Falerne au-dessus de tous les autres vin s. C’est dans le vi* siècle que d is p a ru re n t les anciens vignobles de Falerne. Le Falerne m oderne, récolté près de Pouzzoles, est u n v in parfum é, d ’une co u le u r pâle de b o u illo n blanc, avec u n goût de f r u it très prononcé et agréable.


LA CHANSON DU V lN DE COATASCORN

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Mais de ce m ot baroque et d’allure exotique, Veuillez me rappeler l ’orthographe authentique (1). » Et le garçon pensait en son esprit blagueur : A votre aise, Monsieur, tranchez du grand seigneur ! Nous dérouter? Oui-dà ! Votre erreur est profonde ; Nous avons pour enseigne : « A tous tes vins du monde! »

X II LA CHANSON DU VIN DE COATASCORN Ce sont les Bardes de Cornouailles, D u T régorrois, du Goëlo...

Silence ! paroissiens du pays bas-breton Le vin de Coatascorn va chanter sa chanson. 1

Voici le v in de Coatascorn Qui fait p â lir Château-Margaux ; Avec des airs de capricorne, V oici le vin de Coatascorn ! Parti par bon vent du Cap-Horn, Il nous arrive « en trois bateaux » : Voici le vin de Coatascorn Qui fait p â lir Château-Margaux ! (1) Le garçon se fit donner le m ot par écrit.


LË V ÎN t)U RECTEUR DE COATASCORN

R E FR A IN

H ollaïka ! Cloers et Bardes ! Sonnez, binious î Sonnez, bombardes ! Roule, tam bour ! Ronfle, saxhorn ! V o ici le v in de Coatascorn !

2 P h iltre , nectar, ju s de vio rn e , V in des Ducs et des Sénéchaux, I l supporte q u ’on le flagorne, P h iltre , nectar, ju s de vio rn e ; C ham bertin de la M aritorne, Des Paladins et des Rustauds ; P h iltre , nectar, ju s de vio rn e , V in des Ducs et des Sénéchaux ! R E F R A IN

H ollaïka ! Cloers et Bardes ! Sonnez, binious ! Sonnez, bombardes ! Roule, tam bour ! Ronfle, saxhorn ! Buvons le v in de Coatascorn 1 3 Roi du panache et du tric o rn e , Racleur de gosier, tord-boyaux ; C’est V ulcain frappant la bigorne, Roi du panache et du trico rn e .


LA CHANSON bU V IN DE CÎOATASCOftN

I l assomme le buveur morne Qui s’attarde dans ses caveaux, Roi du panache et du trico rn e , Racleur de gosier, tord-boyaux ! REFRAIN

Hollaïka ! Cloers et Bardes ! Sonnez binious ! Sonnez bombardes ! Roule tam bour ! Ronfle saxhorn ! Vive le vin de Coatascorn !

4 V oici le vin de Coatascorn Qui détrône Château-Margaux ; Parfumant la coupe sans borne, V oici le vin de Coatascorn ! Palsambleu ! Corne de licorne ! Debout ! Messires et Marauds... Voici le vin de Coatascorn Qui détrône Château-Margaux ! REFRAIN

Hollaïka ! Cloers et Bardes ! Sonnez binious ! Sonnez bombardes I Roule tam bour ! Ronfle saxhorn ! Honneur au vin de Coatascorn !


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LE V IN t>U RECTEUR t>E dOATASdORN

5 Versez le v in de Coatascorn Qui passe « Bourgogne et Bordeaux ! » Vive la Bretagne qu’i l orne ! Versez le v in de Coatascorn ! De la Néva ju s q u ’à l ’E lo rn , Qu’i l fasse o u b lie r tous les maux !... Versez le v in de Coatascorn Qui passe « Bourgogne et Bordeaux ! y> R E F R A IN

H ollaïka (1) ! Cloers et Bardes ! Sonnez b iniou s ! Sonnez bombardes ! Roule tam b ou r ! Ronfle saxhorn ! V ive n t la France et Coatascorn ! ! !

X III L ’HOTE. — SA HARANGUE A lors, majestueux, paraît l ’a m phitryon, P ortant comme re liq u e , avec précaution, Un vieux flacon poudreux, — indice incontestable, — D ont le seul aspect fa it se ré jo u ir la table. (1) H ollaïka, — titre d ’une v ie ille chanson bretonn e re c u e illie p a r M de la V ille m a rq u é (Barzaz-Breiz) . A va n t de la com m encer, les pâtres, m ontés su r des arbres, se je tte n t p a r tro is fo is ce m ot, d ’une m ontagne à l ’autre en gardant leurs tro u p e a u x.— Cloer, v ie u x m o t b re to n s ig n ifia n t Clercs, m ais dans le sens d’écoliers. On é crit, en b re to n , K lo e r, sans S.


L*HOTE —

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SA HARANGUE

Ht notre homme a cet a ir grave, m ystérieux, Qu’on prendrait pour se rvir les Césars ou les Dieux. Pour comble de bonheur, ô surprise ! ô m erveille ! On lit distinctem ent sur la sainte bouteille, — T rouvaille de génie et chef-d’œuvre de l ’art, — Cette amorçante annonce, aubaine du regard, En fines lettres d’or, sur flambante étiquette : « Grand cru de Coatascorn. — V rai v in de la Comète ! » L ’industrieux Vatel (1), su b til escamoteur, Ayant dressé son plan, s’im provise orateur. « Messieurs, annonce-t-il, j ’apporte à votre table Ce vin de Coatascorn, essence incom parable... C’est un velours liquide, un sucre parfumé Qui ré jo u it d’abord le palais embaumé, Et va tout doucement porter, avec sa flamme, Le p la isir et la joie au tréfonds de votre âme. De son flot rubescent, le Romain Lucullus F it des libations au dieu païen Bacchus. P étillant et fumeux au temps du Patriarche, I l v ie illit si longtemps sous les fagots de l ’Arche (2), Que, de nos jou rs, Saint Pierre en Paradis le sert, Et le Père-Eternel s’en régale au dessert ! (1) Vatel, célèbre m aître d’hôtel. Se tua de désespoir pendant une fête que le prince de Condé donnait à Louis X IV , parce que la marée avait manqué (1671). (2) Si l ’exagération est ic i évidente, i l est à rem arquer, néanm oins, que le v in peut se conserver, p o u r ainsi dire, in défin im ent. En 1850, on a trouvé dans les Arènes de Nîmes, une am phore en verre soudé q u i rem o ntait à près de 2,000 ans. Cette am phore contenait un v in en p a rfa it état de conservation. 1


LE V IN D U RECTEUR D E COATASCORtf

Quand, de ce ju s fameux, les coupes se rem plissent, C orton, L a to u r, Margaux, tous ses riv a u x pâlissent !... L o rs q u ’i l s’exhalera dans ce b rilla n t cristal* F lairez et savourez : c’est le v in idéal ! E t, su rto ut, songez-y, fo rtune sans pareille, Vous avez devant vous ma dernière bo ute ille !... » Cet hom m e, sans conteste, avait un p a rle r d ’o r ; On ne l ’entendait plus, on l ’écoutait encor. Doctement débité, ce discours pathétique E ut le don de toucher même le plus sceptique. L ’é lix ir ta nt vanté, l ’odorante liq u e u r A pparut à chacun comme un p h iltre enchanteur....

X IV RÉPONSE DU VICAIRE « J’adm ire, d it l ’abbé, ce m e rve illeu x langage, Eloge m érité du plus d iv in breuvage. On se sent dom iné par un si noble ton ; Maître, vous parlez presque aussi bien qu’un Breton ! E t je veux, p o u r un jo u r, o u b lia n t la Bretagne, Ses chênes, ses M enhirs, l ’Océan, la Montagne, Me jo in d re à mes amis subjugués et su rp ris, E t c rie r, convaincu : Bravo ! Vive Paris ! »


TOAST A LA BRETAGNE

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XV TOAST A LA BRETAGNE Alors, levant son verre, un convive s’écrie : « Je bois à toi, Bretagne, ô ma v ie ille patrie ! A ta noble bannière où toujours doit b rille r La devise : « P lutôt m o u rir que se souiller ! » « Oh ! nous sommes encor les hommes d’A rm orique, « La race courageuse et pourtant pacifique, « Comme aux jo u rs p rim itifs , la race aux longs cheveux « Que rien ne peut dom pter quand elle a d it : « Je veux î » « Nous avons un cœur franc pour détester les traîtres ! « Nous adorons toujours le Dieu de nos ancêtres ; « Les chansons d’autrefois, toujours nous les chantons, « Oh ! nous ne sommes pas les derniers des Bretons ! « Le vieux sang de tes fils coule encor dans nos veines, « O terre de granit recouverte de chênes (1) ! »

XVI TOAST A LA CORNOUAILLES Un barde, montagnard de Châteauneuf-du-Faou (2) Se lève et va sonner un zônn sur son biniou ; Mais, pour prendre le ton, il b oit au Finistère, La perle des pays, le plus beau de la terre : (1) Brizeux, Marie. (2) On prononce Châteauneuf-du-Fou.


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LE V IN DU RECTEUR DE COATASCORN

« Au pays des pom m iers et des fru its savoureux, « Paradis des buveurs, Eden des am oureux 1 « Au pays où jam ais le pays n ’est le même ! « Au pays où l ’on chante, où l ’on danse, où l ’on aime « Où la femme est plus belle et plus beaux sont les jo u rs « Le soleil plus doré, plus douces les am ours ; « Au pays dont le nom fa it que le cœ ur tressaille ! « Au pays des pays bretons, la C ornouaille (1) !

X V II TOAST PHILANTHRO PIQ UE Liberté. — E g a lité . — F ra te rn ité . Comme s’i l évoquait l ’âme de saint Yvon, A in si parle à son to u r le Doyen du canton : « Le Breton, par p rin cip e , a la fo i des ancêtres. Mais docile to u jo u rs à la v o ix de ses prêtres, I l sait q u ’i l est sur terre une autre trin ité Qui d it à tous : « Unis dans la F raternité, Soyons Libres, Egaux !... » Exaltons la d ro itu re , Acclam ons la vaillance, ou Noblesse ou Roture ! Saluons le gardien de l ’ancestral berceau, Du p e tit coin de te rre où m u rm u re un ruisseau ; Chantons les défenseurs de toute noble cause, P our la Patrie en paix, rêvons l ’apothéose ! (1) F ré d é ric Le G uyader, Voyage de la Heine Anne.


LE VRAI V IN DE COATASCORN

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Sur les temps accomplis fêtons un nouveau jo u r, Jour de Sincérité, de Justice et d’A m our !... Amis, versez le v in qui donne l ’espérance Et porte en sa liq u e u r les couleurs de la France : Son éclat est plus p u r que celui du cristal, Et ce sang de la Vigne au Nectar est égal ! « Que le ciel garantisse et préserve d’orage Les ceps de la Champagne et ceux de l ’Hermitage ; Garde le clos Vougeot, celui de Chambertin, Des ardeurs de l ’été, des fraîcheurs du m atin ! Puissions-nous, affranchis des fureurs politiques, N ’être plus séparés de nos dieux domestiques !... Puissions-nous dans cent ans, aussi vieux que Nestor, A ce même couvert nous ré u n ir encor !... » « Oui, buvons ; et passant notre coupe à la ronde, « Aux convives nouveaux du festin éternel, « Faisons boire après nous tous les peuples du monde « Dans le calice fraternel (1) ! »

X V III LE VRAI VIN DE COATASCORN En toute occasion i l est bon d’être juste ; Le vin était, ma foi, de qualité robuste. (1) Lam artine, Recueillements poétiques, Toasts.


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LE V IN DU RECTEUR DE COATASCORN

Même i l corsa la note ; on peut y regarder ; Mais q u i veut du bon v in ne d o it pas m archander. « N otre hôte, d it le prêtre en se levant de table, Le v in de Coatascon est un v in respectable : Parfumé, délicat, nerveux, p le in de saveur ; Nous le reconnaissons, ce v in vous fa it honneur. Le p rix im porte peu ; mais un seul p o in t nous pique Ce v in de « Coatascorn » e st-il bien authentique ? » — « Messieurs, la probité fa it lo i dans ma m aison ! J’ai p o u r fière devise : « Au ro ya l Echanson ! » Je suis un dieu du jo u r que sa grandeur oblige... Dites, risqueriez-vous de perdre un te l prestige ? De mes Eden-Salons les hôtes sont connus : Fine fle u r de gourmets et buveurs de grand crus. Je les tiens p o u r garants q u ’en toute circonstance I l n ’est servi chez m oi que des vins de naissance ! » — « Enchanté ! m on cher hôte. Au m om ent des adieux Semblable témoignage est p o u r m oi précieux. Votre parole est nette et paraît sans réplique ; Mais je dois objecter un fa it géographique. Le fa it parle lui-m êm e et sans argum enter, A ce tém oin, sans doute, i l faut s’en rapporter. Coatascorn est un nom ... unique au sol de France, Retenez ce détail, — i l a son im portance. Le village se cache au pays bas-breton, Près La Roche-Derrien, non lo in de Lann-H uon (1).

(1) O rthographe bretonne de L a n n io n .


LE VR A I V IN DE COATASCORN

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Sans plus épiloguer, abrégeant votre angoisse, Je suis, pour vous servir, curé de la paroisse. Le vin breton, — le vin de la Terre d’A rm or, — C’est le cidre mousseux, le jus des pommes d’or. Mais placer nos grands crus au pays de la pomme, C’est prendre le Pirée ou Bordeaux pour un homme ! Ma commune n’est pas terre de Chanaan (1) Et la vendange y compte un bien maigre bilan. Mon vignoble, — le seul — vignoble fantastique, Aux automnes heureux donne un quart de barrique ! Or, là-bas, il se peut que mon vin soit connu ; Mais à Paris « pour sûr » on n’en a jam ais bu ! A moins que, par m iracle, échappé du Déluge, I l n’ait pris vos Salons pour trône et pour refuge ! » René MIDY.

(1) On sait que Moïse, a rrivé sur les frontières du pays de Chanaan, envoya douze espions p o u r reconnaître la contrée. A u bout de qua­ rante jo u rs, ils re v in re n t et rapportèrent des fru its m agnifiques, et particulièrem ent une grappe de ra is in si grosse que deux hommes p ouvaient à peine la porter.



APPRÉCIATIONS de d i v e r s

Ch er M

E c r iv a in s P u b licste

e t

o n s ie u r ,

J’ai lu votre spirituelle histoire : Le Vin du Recteur de Coatascorn. Tous mes compliments : l ’œuvre est fine, charmante ; les vers coulants. Charles Gwennou ne manquera pas d’en faire passer un peu du charme dans sa traduction, et c’est une excellente idée que vous avez eue de lu i demander ce service. Charles Le

M

o n s ie u r e t c h e r

G o f f ic .

Confrère,

J’ai reçu votre jo lie pièce de vers, pleine d’entrain, d ’hum our et d’esprit. Je l ’ai lue avec infinim ent de p la isir ; et j ’y ai pris tant d’intérêt que j ’ai le désir d’en déguster d’autres. Je vous assure, en toute sincérité, que votre poème est fo rt bien conçu, fo rt bien exécuté et très intéressant. E. E.

A

dam

,

Secrétaire de la Société Artistique et Littéraire de VOuest.


APPRÉCIATIO NS

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M

o n s ie u r

,

Je me fais un p la is ir d ’être votre correspondant à l ’Académie des Jeux F loraux. Votre poésie me p la ît à ce p o in t que je ne laisse pas échapper l ’occasion d’être son p a rra in . Quant à la retouche des détails, perm ettez-m oi, mon cher F ille u l, de ne p o in t oser vous l ’in d iq u e r. L ’expres­ sion de l ’idée poétique est chose si personnelle que, même avec la m eilleure in te n tio n du monde, la m oindre in te rve n tio n

étrangère p ro d u it un contre-sens ;

et,

d ’a illeurs, ma form e de vers, plus réaliste et brisée, s’harm oniserait m al avec la vôtre dont les qualités sont la souplesse et la douceur iro n iq u e . Abbé J.

D

o m in iq u e

,

Professeur à l’Ecole Dom inicaine, d Toulouse.

M

o n s ie u r e t c h e r

C o m p a t r io t e ,

J’ai lu votre charm ant poème : Le Vin du Recteur de Coatascorn, et les chansons enlevantes qu i le suivent, et je vous en fais tous mes com plim ents. Vos vers ont une saveur des plus agréables, et je d ira i même des plus bretonnes ; c’est le d e vo ir de to u t bon bretonnant de vous a p p la u d ir et de vous encourager. Le p u b lic français, lu i aussi, saura apprécier vos vers, que vous publierez, j ’en suis sûr, et qu i auront un légitim e suc­ cès p arm i tous les connaisseurs. Jaffrennou

(Le Barde TaldirJ.


t)E DIVERS ECRIVAINS ET PUBLICISTES

M

o n s ie u r e t c h e r

C o m p a t r io t e ,

Je connaissais cette jo lie histoire du Vin de Coatas­ corn ; je Fai relue avec un nouveau p la is ir sous la forme originale et plus ample que vous lu i avez donnée. Elle peut faire son chemin non seulement en Bretagne où beaucoup ne la connaissent pas encore, mais aussi en France. Je lu i souhaite, cher com patriote et ami, tout le succès qu’elle mérite. Elle est pétillante d’esprit ; comme un bon vin , elle engendre la gaîté. Yves

Ch e r M

Berthou.

o n s ie u r ,

J’ai lu avec un réel p la is ir votre poème héroï-comique : Le Vin de Coatascorn. I l est d’une allure très franche et fera la joie des Bretons autour de vous. Tâchez de tro u ve r un musicien pour mettre en m usi­ que les chansons. Edouard

Pesch,

Bibliographe de Z'Autorité.


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A PPR ÉC IA TIO NS DE D IVER S ÉC RIVA IN S

M

on

cher

P oète,

J’ai passé ma matinée du 14 J u ille t à lire votre jo lie plaquette : c’est plein d ’esprit et de bon sens. De plus, j ’ai beaucoup de m otifs p o u r savourer votre saine poésie : elle est sim ple, claire et bien française. On se moque beaucoup de Boileau, dont vous êtes évidem m ent un disciple très fidèle. Je suis lo in d’a vo ir p o u r cet esprit si lucide et si d ro it, si pondéré, le m épris que professent à son égard les faiseurs d ’au­ jo u rd ’h u i. Je suis un peu m oins attaché que vous à sa façon sim pliste d ’écrire les vers ; mais, c ro y e z -m o i, cela vaut m ieux verser de son côté que du côté des im pressionnistes fin-de-siècle. Vous avez p o u r vous le bon sens et l ’h u m o u r gaulois. Ce n ’est pas à dédaigner. Frédéric

*****

L

e

Gu y a d e r .


COMMENT JE DEVINS RIMEUR OU L A GENÈSE

DU V I N

DE COATASCORN ------------> * < -------------

I

A LAN N-HU O N A p o llo n , à portes ouvertes, Laisse in différe m m ent c u e illir Les belles feuilles toujours vertes Qui gardent les noms de v ie illir ; Mais l ’a rt d’en faire des couronnes N’est su que de quelques personnes, E t tro is ou quatre seulement, P a rm i lesquelles on me range, Peuvent donner une louange Qui demeure éternellem ent. Malherbe.

Me trouvant, un jo u r, chez un très sp iritu e l ecclésias­ tique des environs de Lannion, je vins à lu i dire que je préparais, sur les Grands Vins, un ouvrage u tile et hum oristique. — Comme tra it de fine hum our, relatez donc, me dit2


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COMMENT JE D EVIN S R IM EU H

il, la piquante anecdote du Vin de Coatascorn, qu i est en quelque sorte classique dans ces contrées. C’est une h isto ire devenue populaire vin g t-cin q lieues à la ronde et q u i a le don de pro vo qu e r in fa illib le m e n t une douce et franche gaieté. Très récréative, in s tru c tiv e même par certains côtés, elle m érite à coup sûr les honneurs de l ’im pression, et je puis vous assurer que, dans toute la Bretagne bretonnante, nous la lirio n s avec un réel p la is ir. Sa couleur locale intense, et, à un m om ent, presque mondaine, la mise en scène qu’elle com porte, son caractère d ’authenticité ; — ce concours, enfin, de circonstances inattendues au m ilie u desquelles elle se déroule, en font un sujet o rig in a l, suggestif, et, d ’un bout à l ’autre, vra im e n t plein d ’intérêt. — I l me semble, dis-je, M onsieur le Recteur, a vo ir une notion confuse de cette h isto ire m erveilleuse ; mais, entre nous, j ’ai to u jo u rs pensé que ce n ’était là q u ’un conte purem ent fantaisiste, né de l ’im agination populaire, autrem ent d it, une ingénieuse légende. I l en est, vous le savez, un fonds inépuisable dans chaque canton du p la i­ sant pays de France, et en p a rtic u lie r, dans votre vieux Trégor, terre privilégiée des Conteurs et des Bardes. — Eh bien ! p o u r une fois, re p rit-il, i l ne s’agit pas d ’une h isto ire de brigands. Mais, d ’abord, connaissezvous Coatascorn ? — Pas précisém ent. J’ai seulement ouï d ire à un m agistrat de mes amis, qu’en a rriv a n t dans cette b o u r­ gade perdue, et au nom bizarre, i l fa lla it aussitôt « faire machine en arriè re, et d ’un siècle ! »


EN ROUTE POUR COATASCORN

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— Entendons-nous... Coatascorn, vous le pensez bien, n’est pas un petit Paris, n i même Pontoise. C'est une localité simplette, au type celtique tout à fa it p rim itif, ce qui justem ent en fa it le charme pour un touriste. Elle se trouve sur les bords gazouillants du Jaudy, au centre d’un paysage pittoresque, bossué, mamelonné, orienté à la diable, où le soleil et l ’ombre se jouent, et où il y a surprise et distraction constantes. Offrez-vous quelque jo u r cette riante excursion ; vous en reviendrez édifié sur les faits, et, croyez-le bien, plein d’adm iration pour cette forte nature bretonne, à la fois sauvage, mélancolique et gracieuse. — Monsieur le Recteur, répondis-je, vous parlez d’or. Votre idée me séduit. Je l ’adopte d’enthousiasme, et, pas plus tard que dem ain, en chroniqueur sincère, désireux de se documenter sur les lieux mêmes, je p a rtira i pour Coatascorn.

II EN ROUTE POUR COATASCORN PAYSAGE BRETON

Plusieurs routes conduisent de Lannion à Coatascorn. Je suivis d’abord la vallée du Léguer, pour visite r, en passant, les ruines imposantes du château de Tonquédec, puis je passai par Pluzunet et Bégard.


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COMMENT JE D E VIN S ÎU M EU R

Les chemins sont accidentés, tortueux, le plus souvent encaissés profondém ent, entre des parois et sur un sol de g ra n it « Où sont monceaux de rochers Tassés les uns sur les autres, E t q u i fo n t d ire aux cochers De te rrib le s patenôtres. » Mais de temps en temps, sur les hauteurs, on découvre à perte de vue, de ravissants panoramas aux horizons superposés, de vastes plaines parsemées de charmants villages, un océan de feuillage, de végétation et de v e r­ dure. Au sud, les m onts d ’Arrée p ro je tte n t leurs mame­ lons verdâtres sur un ciel tantôt p u r, tantôt brum eux et n o ir. Vers le nord et l ’ouest, les hautes falaises d ’une côte granitique extraordinairem ent tourm entée, émer­ gent dans le lo in ta in . E t quand le vent souffle du large, on entend distinctem ent les grondements tum ultueux de la m er qu i vie n t se b ris e r avec fracas contre les rochers. Cette contrée fe rtile et fo rt bien cultivée, est, sans co n tredit, l ’une des plus séduisantes de la Bretagne. « L ’œ il plane sans obstacle sur les terres mouvementées du Trégor, du Penthièvre et du Goëlo. Zone heureuse entre toutes, justem ent saluée du nom de « Ceinture d'or ». E lle ondoie comme une écharpe de féerie, tissée des plus riches nuances. Au printem ps surtout, le spec­ tacle est unique. La broderie des ajoncs et des genêts fa it c o u rir ses arabesques éclatants parm i la m oire verte


A COATASCORN

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des jeunes blés. Dans le creux des vallées, sous le voile léger des frondaisons nouvelles, les quatre rivières sœurs, le Jaudy, le Guindy, le T rieux et le Léguer, a llu ­ ment de ci de là de frémissantes clartés qui b rille n t, à travers les replis changeants du paysage, ainsi que des reflets épars d ’une gigantesque agrafe d’argent. La mer, enfin, déroule au dernier plan sa large bande d’azur vif, dont on d ira it du ciel condensé. C'est un décor à la fois très harm onieux et très ample, mais qui plaît à l ’âme et qui la touche, plus encore qu’il ne la saisit. « On a écrit de cette région qu’elle était l ’Attique bre­ tonne. Son charme est d’essence sobre et fine : c’est une terre spiritualisée (1). »

III A COATASCORN Le monde celtique. — Un vignoble bas-breton. Bientôt, j ’a rriva i sans encombre à Coatascorn. C’est ic i la vraie Bretagne bretonnante, le monde celtique. « C'est un autre peuple, un autre goût, une autre âme. Mais en est-il dont le mystère soit plus poignant, puisqu’il renferme et conserve pieusement (1) Anatole Le Braz.


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COMMENT JE D EVIN S RIM EUR

le génie des races m aternelles de la v ie ille Gaule ? Au fond des forêts, sous un ciel changeant où le vent du large amoncelle les masses lourdes et lentes des nuages q u i naissent et voyagent sur les mers, p a rm i les pierres des dolmens et sur les bords des fontaines sacrées, la pensée d ru id iq u e garde son secret. « C’est là que reposent les croyances m ystiques, les in stin cts sans mélange, les im pulsio n s vigoureuses, l ’esprit de sacrifice et de désintéressement, cette noble pureté des âmes p rim itiv e s que la race gauloise porta à travers le monde ; et c’est là q u ’est caché, à l ’extrém ité de la terre, l ’arcane m uet et réservé de nos plus lo in ­ taines ém otions (1). » Mais je n ’avais pas le lo is ir de m ’attarder en de lo n ­ gues considérations philosophiques, et, in co n tine n t, je me fis in d iq u e r le presbytère. Le pasteur, to ut en lisa n t, se prom enait dans son potager, le long d ’une haie bourdonnante d ’un m urm ure d ’abeilles, et plantée, çà et là, d ’arbres de haute futaie de superbe venue. Je l ’abordai sans cérémonie. —

M onsieur le Recteur, lu i dis-je, je viens à Coatas­

corn p o u rv o ir le fameux vignoble dont le v in est devenu ja d is , s e m b le -t-il, dans un restaurant des « Grands Boulevards », à Paris, le riv a l des Château-Yquem et des M ontrachet... Je vous serai d ’autant plus reconnaissant de ce que vous voudrez bien m ’apprendre à ce sujet, (1) G abriel H anotaux.


A COATASCORN

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que j ’ai l ’intention d’en faire une relation destinée à la publicité. — Hélas ! mon cher Monsieur, vous arrivez tro p tard, me répondit-il. Adieu paniers, vendanges sont faites !... — Les vendanges, soit ! Mais la vigne ? — La vigne ? Elle n ’existe plus... Elle a disparu, comme celles q u i, au temps d’Horace, donnèrent le célèbre Falerne, le Cécube et le Massique.... — Je croyais, interro m p is-je , qu’il s’agissait non d’histoire ancienne, mais bien d’une histoire moderne, et même tout à fait contemporaine : des témoins vivants des faits existent encore, m ’a-t-on d it... — C’est juste ! Mais la vigne était déjà presque sécu­ laire lorsque son vin fit du b ru it dans le monde, et je ne puis o ffrir à votre curiosité qu’une bien faible satis­ faction . Contemplez p lu tô t ce vieux tronc moussu, rugueux et décrépit : c’est l ’unique survivant des tro is ceps gigantesques qui form aient, i l n ’y a pas longtemps encore, le légendaire domaine. — Mais, qui donc créa, ou du moins popularisa le vignoble de Coatascorn ? — si je suis bien renseigné, il y a de cela quelque quarante ans, tout au plus. — Ce fu t un de mes vénérables prédécesseurs. Il aurait dû naître en Bourgogne ou en Gironde, — car c’était un vigneron convaincu, un croyant, et peut-être même un gourmet, en dépit des apparences. C’était aussi un philosophe, « pour sûr », et un poète à ses heures, par-dessus le marché ! Il aurait pu sans peine composer lui-même ce couplet de prédilection qu’on


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COMMENT JE D EVIN S R IM EU R

l ’entendait fredonner doucement, lo rs q u ’il se rendait à sa vigne : « Cette côte à l ’a b ri du vent Qui se chauffe au soleil levant Comme un v e rt lézard, c’est ma vigne ; Le te rra in en pierre à fu s il Résonne et fa it feu sous l ’o u til ; Le plan descend en d ro ite ligne Du fin bourgeon qu i fu t planté Par notre bisaïeul Noé. Mes amis, quand je vois mon verre Plein de son v in couleur de feu, Je songe, en rem erciant Dieu, Qu’i l n ’en ont pas en Angleterre ! » Le v in du Recteur était p o u r lu i comme une tro u v a ille précieuse, une création, une m erveille. I l en exaltait à to u t venant les qualités passablement im aginaires. I l s’en servait p o u r la messe, et même un jo u r, ne s’avisat - il pas d ’en o ffrir à Monseigneur de Saint-Brieuc, en tournée de C onfirm ation ? Or, l ’Evêque était précisé­ m ent Mgr M artial, o rig in a ire de S aint-C hristoly, dans la Gironde. Le brave homme avait affaire a un expert de la plus irrécusable compétence. —

M onsieur le Recteur, d it l ’ém inent prélat, songeriez-

vous à faire concurrence à ces excellents Gascons, mes com patriotes qui, d ’ailleurs, aim ent tant la Bretagne ? Je vous préviens, en ce cas, que le Coatascorn a du chem in à faire avant d ’atteindre à la hauteur d ’un p re ­ m ie r cru de S aint-E m ilion ou sim plem ent de ce doux


LE CIDRE A « CHEVEUX »

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Saint-Christoly, récolté, vous le savez, dans ma com­ mune natale. Allons, à votre santé ! Le vin ne vaut pas cher... le Recteur vaut mieux ! —

Grand m erci du com plim ent, Monseigneur ! Mais

si mon vin de Coatascorn a du chemin à faire, i l en fera. Et si votre Grandeur apprend un jo u r qu’il est allé ju sq u ’à Paris, qu’Elle me permette de le lu i dire : il n’en reviendra pas pour le ro i de Prusse !

IV LE CIDRE A « CHEVEUX » Le digne Recteur cum ulait. I l récoltait encore un excellent ju s de pomme, baptisé par lu i — sans calem­ bour — du nom bizarre de « Cidre à Cheveux ! » Certain auteur — gascon, sans doute — prétend que, dans tous les pays du monde, les buveurs de cidre sont querelleurs. Cette assertion malicieuse me paraît sujette à caution, pour la Bretagne, tout au moins. La précieuse liq u e u r ambrée des crus célèbres de La Guerche, de Plouër, de Pleugriffet, de M ûr et de Fouesnant, rend plu tôt le buveur expansif et particulièrem ent affectueux. Mais, le « Pommard » de Coatascorn était tellem ent fo rt et capiteux qu’après en avoir bu quelques écuellées, les paroissiens du cru se prenaient aux cheveux comme par plaisir, et le bon Recteur ne parvenait à ré ta b lir la concorde qu’à grand renfort d’arguments frappants !...


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COMMENT JE D E V IN S R IM EU R

V oilà, me d it mon hôte, p o u r la partie topographique des faits. Si, m aintenant, vous tenez à savoir au juste ce q u i se passa dans la Capitale, au sujet du v in de Coatascorn, je puis vous in d iq u e r, comme on d it, une source autorisée, un tém oin v iv a n t et oculaire des faits. Rendez-vous au pittoresque pays de Goëlo, sur la baie de Paim pol, au village de K é rity . Demandez M. F*** ; c’est, dit-o n , l ’un des convives du « D iner de Paris ». I l est, en to u t cas, fo rt au courant de cette h isto ire , et se fera un p la is ir de vous in itie r à tous les détails de l ’Odyssée du « Vin de Coatascorn ». Je rem erciai cordialem ent mon

obligeant et très

aimable cicerone, puis je m is le cap sur Paim pol où j ’a rriv a i le surlendem ain.

V A PAIMPOL Le Pardon des Islandais J’aim e P a im p o l et sa falaise, Son Eglise et son grand P ardon ; J’aim e surtout la Paim polaise Q ui m ’attend au pays breton. Théodore

Botrel.

Qui ne connaît, d it Théophile Janvrais, la poétique Paim pol, im m ortalisée par L o ti dans sa captivante id y lle de m er : « Pêcheurs d’Islande » ?...


A PAIM PO L

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Paimpol est une petite v ille d’un aspect bizarre, dont l ’origine se perd dans la n u it des temps. Au centre, on la prendrait pour une cité antédiluvienne. Mais, depuis quelques années, sur ses contours, s’élèvent, comme par enchantement, des villas et des châteaux superbes, presque des palais. Merveilleusement placée dans un cadre pittoresque, incomparable par ses sites agrestes, comme par ses belles vues de la mer, Paimpol est le grand p o rt m aritim e du pays de Goëlo : c’est la patrie des « Islandais ». Le héros de Pierre Loti, « Yann d’Islande », en chair et en os, demeure dans ces parages, non lo in de la baie, dont l ’éminent écrivain a tracé le tableau suivant : « Un lac « d’eau marine à l ’heure de la basse mer, un lac vide, « creusé dans des assises de granit, prairies profondes « d’algues et de varech, avec une île au m ilieu. Ile « étrange, en granit tout d ’une pièce, polie comme un « dos, ayant la forme d’une grosse bête assise. » Le jo u r de mon arrivée, avait lieu, à Paimpol, la grande fête m aritim e annuelle des côtes bretonnes, la célèbre et populaire bénédiction des goélettes paim polaises qui vont p a rtir pour la grande pêche. Elle s’ap­ pelle ic i, comme sur tout le litto ra l, le « Pardon des Islandais ». « Ce qui fait sa renommée et attire tant d’étrangers amateurs d’un spectacle unique, c’est non seulement le coup d’œil incomparable d’une splendide cérémonie religieuse et m aritim e, ayant pour décor un paysage océanique de toute beauté ; mais, c’est encore que ce


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COMMENT JE D EVIN S R IM EU R

Pardon est le suprême

rendez-vous des véritables

Pêcheurs d ’Islande. C’est la dernière réunion de fam ille de ces partants sym pathiques q u i vo n t s’em barquer p o u r de longs m ois, peut-être p o u r le « grand voyage ». (T h. Janvrais). Comme une forêt de squelettes, Les mâts entrechoquent leurs os... C’est le départ des goélettes P our le cim etière des eaux. La c ro ix d ’argent dans l ’a ir se dresse, E t le C hrist, les bras étendus, Dans un long geste de détresse, Bénit d’avance les « perdus ». A n a to le L e B r a z .

Sous l ’im pression q u ’avait fa it naître en m oi cet ém ouvant spectacle, je m ’achem inai lentem ent vers K é rity . Sur la route, des bandes de m arins pêcheurs clam aient à tue-tête cette chanson de bord, dont l ’a ir monotone et cadencé me conduisit ju s q u ’à destination : Nous étions deux, nous étions tro is. Nous étions tro is m arins de G roix, Embarqués sur le « Saint-François ». I l vente ! C’est le vent de la m er qui nous tourm ente !... J’eus la bonne fortune de re n co ntre r le personnage objet de mon in te iv ie w . Avec une grâce parfaite il se m it à ma disposition, et je re cu e illis de sa bouche des


AU PAYS DE BRIZEUX

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détails circonstanciés sur le « Voyage à Paris » et sur l ’épisode du « Restaurant des Grands Boulevards ». A insi documenté, di prim o cartello, je m ’occupai, sans retard, de la narration des faits, me proposant de l ’intercaler dans mon ouvrage en préparation.

VI AU PAYS DE BRIZEUX La Rade de Lorient et la Corne-d’Or A quelque temps de là, je me trouvais à Lorient, la grande et toute moderne v ille m aritim e du Morbihan. Un m atin, je revenais pédestrement du petit village de Larm or, situé à droite de la Rade, sur la pointe avancée, vis-à-vis de Port-Louis. Par un fortuné hasard, j ’avais pour compagnon de route un officier de marine de très grande distinction — M. de Montvern — qui, quoique tout jeune encore, avait fait trois ou quatre fois le to u r du monde. A m ichemin de Lorient, nous nous arrêtâmes sur une hau­ teur d’où la vue domine complètement la Rade, et s’étend sur le paysage environnant, jusque dans l ’extrême lointain. Ce frais et pu r matin de printem ps éclairait de ses premières splendeurs une scène vaste, saisissante, que


COMMENT JE D EVIN S R IM EU R

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je n’o u b lie ra i jam ais. Vers la terre ferme, L o rie n t, coquette et blanche, légèrement étagée, apparaissait comme une cité italienne ou orientale. « Avec ses maisons empourprées « Se p ro fila n t sur le ciel pur, « La v ille , aux teintes diaprées, « Emerge de ses flots d ’azur. « C’est la fille de l ’A rm orique, « La plus belle et q u i garde encor « Son aspect ria n t et féerique, & Ses rêves bleus aux reflets d ’o r !... Au-delà, un immense cirque de verdure et de fe uilage, où les horizons se m êlent, s’entrecroisent, laissant p o in te r, de distance en distance, des clochers sveltes q u i p ro file n t sur le ciel leurs vives arêtes. En face de nous, la rade, sillonnée de barques et de navires, m agnifiquem ent encadrée de populeux villages, de rochers granitiques et de bois touffus. D ’un côté, le Scorff, qui form e le p o rt de guerre proprem ent d it ; plus lo in , l ’embouchure du Blavet, puis P ort-Louis avec sa citadelle et ses débris gallo-rom ains. Un peu à droite, la m er sauvage, l ’im m ensité ; — et, à une faible distance, l ’île

de G ro ix,

flanquée de gigantesques

falaises. En cette saison, et à cette heure encore m atinale, la végétation confuse q u i entoure la rade, se teignait de m ille nuances plus ou m oins sombres, mais distinctes, q u i contrastaient avec la surface éclatante des eaux.


AU PAYS DE BRIZEUX

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« Secouant sa morne névrose, « Aux premières splendeurs du jo u r, « L ’eau transparente semblait rose, « Comme les lèvres de l ’Am our. « La Rade était calme et sereine, « Si resplendissante au soleil, « Qu’on eût d it un écrin de reine « Sur un large plateau verm eil (1) ! » J’étais tout entier à la contem plation de ce tableau vraim ent em preint d’une majestueuse grandeur, lorsque mon compagnon v in t tout à coup m ’arracher à ce charme. — Vous n’avez, sans doute, jamais vu Constantinople, me d it-il ? Les excursionnistes fin de siècle s’y rendent pour adm irer son p o rt que le Bosphore découpe dans la rive européenne, et qui, de toute antiquité, s’est appelé la Corne-d’Or. Appellation à lu i donnée, vraisem ­ blablement, à cause de sa configuration et de la richesse de ses rives. Châteaubriand en a fait une description magistrale dans YItinéraire de Paris à Jérusalem, et, de nos jo u rs, Pierre L o ti, dans Aziyadé. Eh bien ! vous pouvez m ’en croire, la perspective que vous avez là sous les yeux, rivalise de beauté et de magnificence avec la Corne-d’Or. Et peut-être, en ce qui me concerne, lu i donnerais-je la préférence. Je gage que, tout à

£1) René Asse.


COMMENT JE D EVINS RIM EUR

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l ’heure, vous songiez à l ’Italie , peut-être à Naples. Et, en effet, i l ne manque à la rade de L o rie n t « Qu’un éternel printem ps sous un ciel toujours bleu î »> La Bretagne entière, d ’a ille u rs, présente une suite in in te rro m p u e de sites et de tableaux ravissants ou sublim es. Mais, il faut connaître à fond la v ie ille A rm o riq u e, être un peu artiste ou poète p o u r la com prendre et l ’aim er comme elle le m érite.

V II PREMIÈRE IDÉE DE VERSIFICATION Nous v o ic i à L o rie n t, me d it M. de M ontvern. J’ai une conférence avec le Préfet m a ritim e ; vous m ’excu­ serez si je vous quitte. Mais, faites-m oi l ’am itié d’être ce so ir mon commensal ; nous reprendrons cet en­ tretien. M. de M ontvern, — je le note en passant, — est un causeur incom parable, un esprit fin, un fils d ’Athènes. I l s’exprim e avec une rare élégance, une surprenante facilité, et donne à ses phrases un to u r expressif, imagé, que rehausse encore un organe d ’une singulière sono­ rité . I l était, je le sus plus tard, p e tit-fils d ’un poète, et on sentait que, lu i aussi, i l avait foulé la p ra irie en fleurs de TArcadie. Ce fu t pour m oi un réel enchante­


PREMIÈRE ID É E DE VERSIFICATION

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ment de le suivre dans ses pérégrinations à travers les mers et les continents des cinq parties du monde. Insensiblement, la conversation re v in t sur notre p ro ­ vince natale . Avais-je parlé avec enthousiasme, ou fa it allusion aux velléités littéraires qui depuis quelques jo u rs me hantaient ? Je n ’en sais rien. Toujours est-il qu’à un moment, M. de Montvern me d it : — Vous paraissez épris de la Bretagne, et, autant que je puis en juger, vous l ’avez étudiée très sérieusement sous de m ultiples aspects. Le côté artistique semble, d’ailleurs, vous intéresser au plus haut point. Comment se fa it-il que vous n’ayez pas songé à composer une œuvre quelcon­ que sur cette vie ille terre arm oricaine si féconde en sujets de toutes sortes ? — La remarque est vraim ent flatteuse, répondis-je. Mais, à mon avis, mon cher hôte, vous en parlez bien à votre aise. Pour écrire, il faudrait a voir d’abord du talent, et ensuite des loisirs, deux choses qui, par paren­ thèse, ne sont guère à ma disposition. Vous l ’avoueraije, cependant, j ’y ai bien un peu songé. Mais en fait de travaux intellectuels proprem ent dits, mon bagage est à peine sorti de ses limbes originels. I l comprend, tout juste, une élucubration minuscule et encore manuscrite : Le Vin du Recteur de Coatascorn en Basse-Bretagne.

— Parfait, ré p liq u a -t-il. Je ne déteste pas les histoires patriarcales, surtout quand il y a du vin à la clef. Allons ! je vous écoute.... Je m ’exécutai, à mon corps défendant,


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COMMENT JE D EVINS R IM EU R

Au bout de ma n a rra tio n, mon auditeur me d it à brûlep o u rp o in t : — L ’anecdote est curieuse, to u t à fa it char­ mante et non sans à-propos. I l im porte de lu i donner une form e plus intéressante encore, plus durable : en un m ot, i l vous faut la m ettre en vers. T o u t ce q u i vie n t de l ’homme est rapide et fragile ; Mais le vers est de bronze et la prose d’argile (1). A cette réflexion prim esautière, et, ma foi, légèrement excentrique, je restai un in sta nt interloqué, me deman­ dant si ce n ’était pas là une boutade de m arin, plaisante peut-être, mais d ’une iro n ie à peine déguisée. — Mettre cette h isto ire en vers ! m ’écriai-je. Voilà, certes, une idée pas banale et q u i, je le proclam e, vaut royalem ent son pesant d’o r ! Je me perm ettrais seule­ m ent de la tro u v e r hardie, si je ne devinais que vous voulez rire , et to u t bonnem ent vous amuser de ma naïve confiance. — En aucune façon, re p rit-il. L ’idée est to u t à fa it sérieuse, parfaitem ent réalisable. — Je ne comprends pas, dis-je. N ’ayant jam ais fa it d ix vers de ma vie, ce n ’est pas spontanément, je sup­ pose, par la seule force de ma volonté, que je vais m ’in p ro vise r poète, to u t au m oins versificateur !... — Essayez, homme de peu de fo i ! V o u lo ir c’est pou­ v o ir ; et le génie, a d it Bufton, n ’est qu’une longue patience. A l ’œuvre donc, sans perdre un temps précieux (1) Lam artine,


a

l ’œ u v r e ,

mon

cerveau

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à réfléchir ! Courage et confiance ! Si vous réussissez une vingtaine de vers, cela suffira pour vous mettre en verve : le reste ne sera plus qu’un’jeu. A votre santé ! Je bois au fu tu r poème : « Le Vin de Coatascorn ! »

V III A L'Œ UVRE, MON CERVEAU ! « Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rim e ! »

Cette nouvelle conception, il faut en convenir, était véritablem ent séduisante. Seulement, direz-vous, le moyen de faire des vers pour qui n’a pas été le nourisson des Muses ? C’est *en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur Pense de l ’art des vers atteindre la hauteur ; S’il ne sent pas du Ciel l ’influence secrète, Si son astre en naissant ne l ’a formé poète. Après tout, que risque-t-on d’essayer ? Je voulus en a voir le cœur net, et le soir même, ou p lu tô t la nuit, je me mis à l ’œuvre, résolument. Par exemple, j ’étais assez semblable à un manœuvre qui entreprend de construire un édifice d’une savante architecture, mais qui ignore ju sq u ’aux prem iers élé­ ments de son art. Vous ne serez pas surpris, dès lors,


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si je confesse que mes d ix prem iers vers fu re nt d'un enfantement extraordinairem ent la b o rie u x. Ce fo rm i­ dable effort, toutefois, m ’avait comme ouvert la porte du sanctuaire. Je m ’y in s ta lla i crânement, et séance tenante, je parvins à coucher sur le papier environ quarante vers. Cela m ’avait demandé tro is heures : de onze heures du so ir à deux heures du m atin. En pareille occurrence, l ’enthousiasme est facile, pres­ que de rig u eu r. P our m oi, je me voyais déjà rim e u r et poète. Je m ’endorm is plus heureux q u ’un ro i ; et, cela se devine, je ne manquai pas de faire les plus beaux rêves. Le charme ne fu t pas de longue durée. Le lendem ain, dès mon ré ve il, i l fa llu t en rabattre, — et de beaucoup, je vous p rie de le cro ire ! Mes rim es se suivaient sans alternance ; la p lu p a rt des termes étaient im propres ; les phrases, dénaturées, torturées, n ’avaient plus n i sens n i suite. C’était peut-être des vers, — et quels vers ! mais à coup sûr, ce n ’était rie n m oins que de la poésie. Bref, ce tra v a il d ’Hercule ne tenait pas debout : il était à refaire de fond en comble. Certes, pensais-je, que Boileau avait donc raison : M audit soit le p re m ie r dont la verve insensée Dans les bornes d’un vers renferm a sa pensée I Je sentais amèrement mon impuissance. J’en éprou­ vais non seulement une grande déception ; mais encore de l ’h u m ilia tio n , une sorte de rage. E st-il donc vra i, me


NOUVEL ASSAUT A LA RIME

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disais-je, que l ’on naît poète, qu’on ne le devient pas ? Et, s’il en est ainsi, n’est-ce pas folie pure de se creuser la tête sur un problème insoluble, de se consumer sur une chimère, de s’acharner enfin à v o u lo ir décrocher la lune ?...

IX NOUVEL ASSAUT A LA RIME « Allons ! d’elle ou de m oi, lequel sera vainqueur ? » Depuis un mois je ne pensais plus à ce malencon­ treux accès de versification, lo rsq u ’un jo u r, revenant de Paris en Bretagne, je me remém orai le fameux pré­ cepte : Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, Vingt fois sur le m étier remettez votre ouvrage. J’avais de longues heures devant m oi : c’était le moment de tenter un effort nouveau et peut-être décisif. Installé dans un coin de mon com partim ent, je relus d’abord la narration p rim itiv e que j ’avais faite en prose ; puis je passai sévèrement au crible les premiers passa­ ges versifiés. Jamais tra va il n’avait plus complètement absorbé mes facultés. Je corrigeai, m odifiai, transfor­ mai ; et peu à peu, à ma grande surprise, je vis mes vers prendre tournu re , exprim er un sens logique,


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devenir enfin à peu près présentables. Cette fois, la rim e, dans son caprice, paraissait consentir à faire bon ménage avec la raison. Je me tins alors ce raisonnem ent : P our un débutant, ce n ’est pas en bloc, d ’un seul effort et d ’un seul tra it, que la réussite est possible. I l faut, de toute nécessité, procéder m éthodiquem ent : 1° Chercher, in ve n te r la m atière et s’en bien pénétrer ; en un m ot, m û rir le sujet. — 2° Présenter ce sujet sous son jo u r le plus favorable ; le rédiger en prose, ou to u t au m oins en faire un canevas substantiel. — 3° Com­ mencer le tra v a il en vers, le dégrossir, le p o lir, et enfin lu i donner la dernière m ain. Cette seconde vacation m ’avait, comme on d it, rem is du cœ ur au ventre. J’enfourchai de nouveau Pégase ; je le tro u v a i m oins ré tif, et le lendem ain, d ’une haleine, j ’alignai allègrem ent le reste de mes vers. Je les relus chaque so ir pendant une semaine, faisant de-ci, de-là, quelques retouches, et c’est ainsi que je parvins, non sans peine, à p ro d u ire ma prem ière rédaction en vers du Vin de Coatascorn. J’ignorais ou j ’avais oublié depuis longtemps les règles mécaniques de la ve rsification. C’est d ’in stin ct, p o u r ainsi dire, mais surto u t à force de volonté que je suis devenu rim e u r. Vous le voyez, La Fontaine a raison : Patience et longueur de temps Font plus que force n i que rage.



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Et de toute peur exempte, Je la vois q u i se présente E t qui, douce et com plaisante, F ait l ’échelle sur mes doigts ! P artant de ces principes, et suivant le conseil de mon M entor Lorien ta is, je suis tenté de répéter à ceux qu i éprouveraient quelque velléité de faire des vers : Essa­ yez ! V o u lo ir c’est p o u v o ir. Un penseur n ’a -t-il pas d it : « Aimez ! — ayez une passion ou un idéal, et faites ce que vous voudrez ! » Choisissez un sujet q u i vous intéresse, q u i vous pas­ sionne ; et creusez-le : en prose d ’abord, en vers ensuite. Le v ra i poète pense et é crit en vers, je le sais ; mais, i l ne s’agit p o in t ic i des maîtres. I l s’agit de ceux q u i en sont à leurs prem ières armes, c’est-à-dire à l ’enfance de l ’art. Je prétends que to u t le monde peut faire des vers, m oyennant une sim ple co n d itio n : y m ettre ce qu’i l faut de patience, de réflexion, de cœur et d ’âme. Sans doute, p o u r le com m un des m ortels, on n ’y a rrive pas d’emblée. Sous toute couronne, dit-on, i l y a un fro n t qu i ru is s e lle ... et ce n’est, parfois, que la seconde, troisièm e ou qua­ trièm e rédaction qui peut devenir d éfinitive. On n’en sera que faiblem ent su rp ris, si l ’on se rappelle le vers célèbre de Boileau, et si, comme je l ’ai entendu d ire à un é ru d it, le classique Télémaque — p o u r ne p a rle r que de la prose — n ’est que la onzième rédaction de l ’auteur ! V irg ile lui-m êm e, le d iv in V irg ile , ne com posait-il pas, dit-on , cinq à six vers le m atin, passant le reste de la journée à les p o lir !...


PAS DE SCRUPULES EXAGÉRÉS

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PAS DE SCRUPULES EXAGÉRÉS « Toute œuvre, si vigoureuse soit-elle en sa sponta­ néité, ne recevra que de la m éditation et du tra va il son achèvement et sa beauté complète. I l im porte donc aux écrivains, qui ont le juste souci du style, de donner leurs soins aux délicatesses de la langue autant qu’au fond des choses. « Cependant, il faut se garder des scrupules exagérés de certains éplucheurs de syllabes qui, à force de p o u r­ suivre le mieux, sacrifient souvent le bien. I l est bon de ne pas im ite r de trop près l ’épistolier Balzac passant trois mois à p o lir une de ses lettres ; Patru lim an t cent et cent fois ses plaidoyers ; M illevoye remaniant sans cesse ses m eilleurs vers et finissant par les gâter; Flaubert épuisant son cerveau à poursuivre une répé­ titio n de mots jusqu’à quarante lignes de distance, et une foule d’autres auteurs que nous pourrions nommer, ceux-là tourmentés aussi à l ’excès par la monomanie de la correction et de la retouche. A force de regarder les phrases au microscope, on rapetisse, à ses yeux, de plus en plus, l ’idée même. On oublie, en pesant les mots et les diphtongues, la force de la conception, la valeur de la pensée ; et le style, trop de fois regratté, a perdu ses qualités vitales, c’est-à-dire le nerf et la chaleur (1). » (1) Ch. Gidel.


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XI POURQUOI APPRENDRE A FAIRE DES VERS ? L a Poésie. — L a R im e . — Le Poète.

Je suis certain que p a rm i vous, très honorés lecteurs, plusieurs déjà se sont posé cette question : P ourquoi apprendre à faire des vers ? Je répondrai : I l faut apprendre à faire des vers p o u r de m u ltip le s raisons, presque toutes concluantes. D ’abord p o u r m ieux apprécier, savourer, déguster nos Poètes q u i sont la gloire de la France, et leurs écrits im m o rte ls qui sont la plus b rilla n te partie de notre langue. Qui n ’a pas entendu d ire à nom bre de personnes, même lettrées : « Je n ’aime pas la poésie ! » Soit ! Mais si vous n ’aimez pas la poésie, c’est que, vraisem blable­ m ent, vous ne voulez pas ou ne savez pas l ’apprécier. Ce n ’est pas m oi q u i le dis, mais A lfre d de Musset lu imême : « J’aime su rto u t les vers, cette langue im m o rte lle . C’est peut-être un blasphème, et je le dis to u t bas ; Mais je l ’aime à la rage. E lle a cela p o u r elle Que les sots d ’aucuns temps n ’en ont pu faire cas, Qu’elle nous vie n t de Dieu, q u ’elle est lim p id e et belle, Que le monde l ’entend, et ne la parle pas. »


POURQUOI APPRENDRE A FAIRE DES VERS ?

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La poésie est l ’art par excellence, celui qui surpasse tous les autres, parce qu’i l est incomparablement le plus expressif. « La prose, d it Lam artine, ne s’adresse qu’à l ’idée ; le vers parle à l ’idée et à la sensation. La poésie est l ’incarnation de ce que l ’homme a de plus intim e dans le cœur et de plus d ivin dans la pensée, — de ce que la nature visible a de plus magnifique dans les images et de plus mélodieux dans les sons ! C’est à la fois senti­ ment et sensation, esprit et matière. Et voilà pourquoi c’est la langue complète, la langue par excellence qui saisit l ’homme par son humanité tout entière : idée pour l ’esprit, sentiment pour l ’âme, image pour l ’im agination et musique pour l ’oreille ! Voilà pourquoi cette langue, quand elle est bien parlée, foudroie l ’homme comme la foudre et l ’anéantit de conviction intérieure et d’évidence irréfléchie, ou l ’enchante comme un p h iltre , et le berce im m obile et charmé, comme un enfant dans son berceau, aux refrains sympathiques de la voix d’une mère ! » De la poésie passons à la rim e, et voyons ce qu’en d it Amédée Pommier. Rime ! oh ! combien je te goûte ! Quand la prose avec to i joute, Combien ta musique ajoute A l ’enchantement des mots ! Par toi, tout saisit, tout frappe, Reflet d’ambre de la grappe, Pourpre dont un ro i se drape,


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COMMENT JE D E VIN S R IM EU R

T rou s du gueux ensaboté ; Botte où sonne une m ollette, Frange d ’o r de l ’épaulette, Ou légère escarpolette Qui va berçant la beauté. Grâce à to i, le vers des Bardes F a it m ieux ro n fle r les bombardes, M ieux b r ille r les hallebardes En éclairs étincelants. T u sais aiguiser les haches ; T u sais bom ber les rondaches E t pla nter les hauts panaches Sur les casques ru tila n ts . O rim e, à p iquant commerce, Sois le seul a rt que j ’exerce, Sois la barque où je me berce, Sois l ’hippodrom e où je cours ; Sois l ’autel de ma détresse, Sois le tem ple et la prêtresse, Mon idole et ma maîtresse, Jusqu’au d e rn ie r de mes jo u rs ! Si vous apprenez à faire des vers, vous acquerrez par cela même l ’am our de la poésie. Vous en sentirez m ieux le charme, et la lecture de nos poètes vous sera une source inépuisable de hautes jouissances intellectuelles. « N u l pays, je crois, d it Ernest Legouvé, n ’offre une telle variété de grands écrivains que la France. Ils sont là, m ultiples, tous marqués d ’un tra it p a rtic u lie r et


POURQUOI APPRENDRE A FAIRE DES VERS ?

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d’un tra it commun. Les esprits sont différents, l ’esprit est pareil : ce sont enfants de même race. « Si l ’on me permet une comparaison fam ilière, je d ira i qu’une des gloires du pays de France est dans ses vins. L ’Allemagne a son Johcinnisberg, la Sicile son Marsala , l ’Italie son Lacryma-Christi, l ’Espagne son Madère et son Malaga ; la France les a tous ! Le vin de

Bordeaux est fo rt, sain et sage. Le v in de Bourgogne généreux et fougueux. Le vin de Champagne a le p é til­ lement et la légèreté. Les vins de Provence, la chaleur concentrée et puissante. Les vins fins du m id i ont em­ prunté aux vins espagnols le u r couleur et leur liqueur. Or, toutes ces saveurs, tous ces arômes, toutes ces ivresses, je les ai retrouvées dans la dégustation de nos divers écrivains. Et encore, suis-je lo in d’avoir visité tous nos grands crus. » V ictor Hugo se faisait une haute idée du poète et de la poésie. I l a d it : Peuples, écoutez le poète ! Ecoutez le rêveur sacré ! Dans votre nuit, sans lu i complète, L u i seul a le fro n t éclairé. Il rayonne ! il jette sa flamme Sur l ’éternelle vérité ! I l la fait resplendir pour l ’âme D’une merveilleuse clarté ! Il inonde de sa lum ière V ille et désert, Louvre et chaumière,


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E t les plaines et les hauteurs ; A tous d ’en haut i l la dévoile ; Car la poésie est l ’étoile Qui mène à Dieu ro is et pasteurs. L ’un de nos plus éloquents prosateurs, J.-J. Rousseau, a d it encore, avec raison, qu’un des m eilleurs moyens d ’apprendre à écrire en prose, c’est de s'exercer à to u rn e r des vers. Dans cet exercice, l ’esprit s’assouplit à la me­ sure, l ’o re ille s’in s tru it à l ’harm onie et la pensée p arvient à se développer avec fa cilité , sous les formes heureuses d ’un style plus coulant, plus a rro n d i, plus doux, plus précis et plus vigoureux. « La sentence, pressée aux pieds nom breux de la poésie, s’eslance bien plus brusque­ ment et me fie rt d ’une plus vifve secousse. » (Montaigne). P arlerai-je des agréments que les vers p rocurent aux amateurs habitués à rim e r des couplets ou de petites pièces fugitives, dans certaines circonstances q u ’on se pla ît à célébrer ; par exemple, dans les fêtes de fa m ille et dans les réunions de l ’a m itié? Ces jo u is ­ sances de l ’esprit et du sentim ent ne sont pas, à coup sûr, à dédaigner.

LA MORALE DE L ’HISTOIRE Deux mots, m aintenant, du sujet lui-m êm e. Chanter le v in sans chanter l ’am our, le p la is ir et autres mondanités ; m ettre en scène, par contre, des


LA MORALE DE L ’HISTOIRE

personnages d’un caractère particulièrem ent

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grave,

cela ne sem ble-t-il pas, au prem ier abord, une ano­ malie, une sorte d ’anachronisme? C’est, en tout cas, — je le crois, du moins — une très réelle difficulté. Le lecteur dira, en dernier ressort, si j ’ai su ou non me tire r à mon honneur de cette épreuve périlleuse. Pour moi, je crois avoir prêté à chaque acteur un langage de circonstance, naturel, mesuré, et, si j ’ose le dire, de parfait bon ton. Le Vin du Recteur de Coatascorn est une anecdote hum oristique, sans doute, et c’est justem ent là ce qui en fait le charme et aussi la difficulté. « L ’hum oriste est rarement bienveillant : sous sa plum e se tra h it, d’ordinaire, une maligne satisfaction à surprendre ses semblables en flagrant d élit de ridicule. C’est une impression contenue de tristesse et de colère sous le mot qui fait rire . Néanmoins, lorsque le flegme est jo in t à la douceur, ce genre d’esprit est aussi agréable que piquant. On y cède avec une complaisance entière ; on est surpris, on est charmé de v o ir si bien fondues deux qualités contraires qui semblaient s’exclure : la tenue sérieuse et la bonne hum eur (1). » Cette anecdote, on voudra bien le reconnaître, sait ne point dépasser les bornes d’une aimable gaîté et d’une décente raison. La morale, les convenances y ont été scrupuleusement respectées. Elle ne choquera donc personne : peut-être même fera-t-elle quelque (1) Ch. Gidel.


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bien en excitant de nobles ém ulations, ou en p ro cu ra nt au lecteur une sim ple récréation inte lle ctue lle . La muse badine ne sait-elle pas quelquefois être plus agréable et aussi bienfaisante que la muse sérieuse ? Saint Jean Chrysostome fu t un jo u r rencontré, au m ilie u des champs, par un chasseur p o rte u r d'un arc qu’il tenait au repos. L ’illu s tre Père de l ’Eglise s’am u­ sait à caresser une p e rd rix apprivoisée. Le chasseur en fu t scandalisé. —

Comment, s’é cria -t-il, un personnage de votre

caractère et de votre va le u r inte lle ctue lle ose s’amuser avec un oiseau !... — Mon ami, ré p o nd it l ’Evêque, voulez-vous me dire p o u rq u o i vous tenez en ce m om ent votre arc débandé ? — Mais, d it le chasseur, évidem ­ m ent p o u r ne pas le fatiguer. S’il restait to u jo u rs tendu, i l p e rd ra it de sa force et de son élasticité. — Eh bien, re p rit le célèbre P atriarche, il en est de même de l ’in ­ telligence. P our conserver toute sa vigueur, elle a besoin de repos et de récréation ; elle ne d o it pas être to u jou rs tendue. Je laisse de côté les aperçus m oraux et p h ilo s o p h i­ ques répandus à dessein dans cet ouvrage, et sur les­ quels i l y a u rait peut-être utilem ent à épiloguer. Quant à la p o litiq u e , à peine effleurée, — et encore si discrè­ tem ent ! — ce n ’est pas du to u t mon fait. Mon Pégase n ’est pas un cheval de bataille q u i sache battre la pous­ sière et h e n n ir pathétiquem ent dans le combat des partis. Aussi bien, je rends à César ce qu i est à César, et à Dieu ce q u i est à Dieu. Apôtre passionné de la ju s ­


LA MORALE DE L ’HISTOIRE

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tice, j ’ai toujours été sincèrement lib é ra l, tolérant et patriote. J’admets volontiers toutes les idées, toutes les opinions, pourvu qu’elles soient basées sur la dignité, sur le respect de soi-même et l ’honnêteté absolue. Je me fais gloire d’appartenir à ce grand x ix e siècle qui est ma patrie dans le temps, comme la France est ma patrie dans l ’espace. Je salue l ’aube du siècle qui vient de naître, et je forme des vœux ardents pour qu’il réalise les promesses grandioses de son aîné. Mais toujours je resterai Breton de cœur et d’âme. Je suis l ’enfant de « ces landes mélancoliques où fle u rit l ’ajonc, et où souffle encore, parfois, l ’esprit des temps passés. » J’aime à p a rco u rir les sentiers perdus de nos landiers, à respirer l ’a ir p u r de nos Ménez, à hum er la brise vivifiante et saline de nos grèves armoricaines ! 0 Bretagne à la blanche Hermine, O Bretagne de Du Guesclin Dont la figure s’illu m in e D’un rayon rose à son déclin, Bretagne qui portes l ’épée Et qui sonnes le ralliem ent, Bretagne toute enveloppée D’héroïsme et de dévouement, Tu le sais bien, guerrière auguste, Toujours prête aux nobles combats, Qu’en to i re vit l ’âme du juste, Que les tiens ne se rendent pas.


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COMMENT JE D E VIN S R IM EU R

E t q u ’en vain la tempête gronde Ou m ug it l ’Océan glouton, I l n ’est rie n dans le vaste monde De si Français q u ’un cœ ur Breton !!! (1) J’aime mon village plus que ton village, J’aime ma province plus que ta province, J’aime la France plus que to u t ! J’ai la co n victio n que ce p e tit poème est de nature a être récité dans une soirée du m e ille u r monde. Je pense également q u ’i l peut être pris., à l ’occasion, comme exercice de lecture et de déclam ation. Je m ’estim erai largem ent rém unéré de mon effort, si, m ’étant essayé à suivre — fût-ce de lo in — la trace des b rilla n ts rim e u rs bretons contem porains, je pouvais m é rite r cet éloge, précieux entre tous, que, par le fond comme par la form e, les lignes de cet opuscule sont à la fois bretonnes et françaises.

René (1) G abriel V icaire

MIDY.


La Langue Bretonne va-t-elle périr ? Son antiquité. — Son état actuel. — Son génie. — Le mouvement celtique. — Renaissance de la langue bre­ tonne. — Son avenir. rfV V V V V W

V V V W

V V V '

Un peuple qui change de langue, change en quelque sorte d’âme. J. L

oth.

La langue bretonne est une des plus anciennes lan­ gues de l ’univers. Son antiquité tient à celle des Celtes, et l ’origine de ces peuples remonte aux siècles les plus reculés. « Le Celte se parlait, dans sa beauté première, Sous le ciel d’Orient, d’où vient toute lum ière. Il a couru le monde avec les Conquérants. Il a suivi le flot des vieux peuples errants. Et fier, libre, invaincu, farouche, et solitaire, S’est fait une patrie aux confins de la terre. N ul dialecte humain n’est plus noble que lu i. Vieux comme l ’Homme, il est encor jeune aujourd’hui. Aussi, quelle vigueur, quelle force est la sienne ! Dans ses v irilité s , on sent la sève ancienne,


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LA LANGUE BRETONNE V A -T -E L L E P É R IR ?

On c ro it entendre comme un écho souverain. Des peuples q u i, naguère, ont vu l ’Age d’a ira in (1). » A l ’heure actuelle, six millions d ’in d iv id u s habitant l ’Irlande, l ’Ecosse, le Pays de Galles et la Bretagne, s’exprim ent encore en dialecte celtique. La date in itia le du breton d ’A rm o riq u e ne rem onte pas plus haut que la venue des Bretons en France, au v iie siècle après J.-G. A ntérieurem ent à cette époque, le breton v iv a it, mais en Grande-Bretagne où, du reste, comme on vie n t de le v o ir, i l ne s’est pas éteint. Le breton n ’a pas to u jo u rs été relégué dans les chaumières et les églises de campagne. C’était la langue des maîtres de cette péninsule, d it M. L o th , de ceux dont la m ain vigoureuse a p é tri à nouveau, en y ajoutant de nou­ veaux ferm ents, la m atière arm oricaine, et en a fa it ce to u t solide et consistant q u ’on appelle la Bretagne. I l d e vra it suffire, p o u r le rendre sacré à to u t Breton, q u 'il a it été la langue de ses ancêtres.

E TA T ACTUEL DE LA LANGUE CELTIQUE EN BRETAG NE

Le breton est divisé en quatre grands dialectes : 1° Le Léonais ou Léonard , parlé dans le Finistère ; (1) Fréd. Le Guyader, YEre Bretonne.


LE BRETON E S T -IL UNE LANGUE ?

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2° Le Cornouaillais, dans le Finistère, les Côtes-duNord et une petite portion du Morbihan ; 3° Le Trégorrois, dans les Côtes-du-Nord et le Finistère ; 4° Le Vannetais, dans le Morbihan et une petite p o r­ tion des Côtes-du-Nord. Ces dialectes se subdivisent, à le u r to ur, en un nombre indéfini de sous-dialectes, de variétés et de sous-variétés (1).

LE BRETON EST-IL UNE LANGUE, UN DIALECTE OU UN PATOIS ? L ittré définit ainsi un patois : « Un patois n ’a pas d’écrivains qui le fixent dans le sens où l ’on d it que les bons auteurs fixent une langue ; un patois n ’a pas les termes de haute poésie, de haute éloquence, de haut style, vu qu’i l est placé sur un plan où les sujets qui comportent tout cela ne lu i appartiennent plus. » Aucun des termes de cette définition ne s’applique à la langue celtique ; il est évident que le breton est une langue, et une langue bien vivante. Je n’en veux pour preuve que les admirables œuvres des Brizeux, des Proux, des M ilin , des Quellien, des Gwennou, des Herrieu, des Jaffrennou, des Le Moal, des Le Bayon, (4) Em ile Ernault. — Cette grande variété de sous-dialectes dont parle M. Ernault consiste le plus souvent en des divergences de prononcia­ tions, de désinences, et, par suite, d’orthographe, mais sans nuire en rien à l’unité prim itive de notre langue.

3


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LA LANGUE BRETONNE V A -T -E L L E PÉ R IR ?

dans les formes poétiques, rom antiques et tragiques ; que les travaux magnifiques des Le Gonidec et des Vallée dans le domaine gram m atical. T out au plus peuton nom m er le breton un dialecte , comme on le fait dans les docum ents officiels ; encore cette expression n’a-telle aucune signification précise, puisque quatre dialectes ont cours en Bretagne (1).

LE GÉNIE DE LA LANGUE BRETONNE Par suite du concours de m u ltip le s circonstances provenant du tem péram ent, de la race, du clim at, de l ’atmosphère m orale et religieuse, i l se fa it comme une sorte de form e générale et universelle q u i s’adapte à tous les esprits et dans laquelle se moule la pensée. C’est l ’em preinte de l ’esprit populaire, c’est là ce qui constitue l ’o rig in a lité , la m arque caractéristique d’un peuple comme d ’un in d iv id u . E t la langue q u i n ’est rien autre que l ’expression de la pensée, fr u it elle-même de l ’esprit tout entier, sera frappée au cœur du génie national et portera l ’em preinte des m ille et une pa rticu la rité s q u i constituent l ’in d iv i­ dualité d’un peuple. C’est Tâme bretonne, une âme triste et rêveuse qui a fa it la langue bretonne, cette langue aux finales tantôt (1) Iann Morvran, rédacteur à la République française.


LE GÉNIE DE LA LANCUE BRETONNE

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brusques et rudes, tantôt gracieuses et naïves, aux inflexions indéfinies, qui se prête si bien au rythm e mélancolique des com plaintes. Tout cela est sorti vivant et naturel des profondeurs de l ’âme du Breton. Et cette langue, fru it spontané de son génie qn’elle tra ­ duit, conserve le génie lui-m êm e contre les influences qui tendraient de l ’altérer. La pensée qui l ’a créé s’est astreinte à s’en servir, et l ’esprit, par cette heureuse contrainte où il s’est mis de ne penser que dans cette langue, renouvelle pour ainsi dire en lui-même l ’état d ’âme d’où elle est sortie. I l en résulte une influence réciproque, en tout point avantageuse, de l ’esprit sur la langue et de la langue sur l ’esprit (1). Confiants dans l ’avenir, inquiétons-nous davantage de notre si vie ille et si belle langue bretonne, d it M. Luzel, car, si nous la laissons p é rir, c’en est fait, hélas ! de notre nationalité, quoique la plus ancienne et la plus tenace de toutes celles de l ’Europe. Honoronsla comme un héritage sacré auquel sont attachées nos destinées : étudions-la avec amour, et que tous ceux qui sont assez heureux pour la connaître et la parler, se regardent comme obligés de faire quelque chose pour elle... Les vieux Morts tressailleront au fond de leurs tombes de granit, dans tous les cimetières de Breiz, le jo u r où le p u r breton sera partout écrit et parlé, et remis en honneur !... « Que diraient au Breton la mer et la montagne, et les (1) Henri Briel, concours du Terroir Breton.


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LA LANGUE BRETONNE V A -T -E L L E PÉ R IR ?

vents im pétueux, et la n u it te rrifia n te, s’il n ’y avait plus p o u r les dépeindre la langue bretonne ? « La perte de sa langue bénie serait la m o rt de toutes ses joies ; i l ne saurait plus n i rire , n i aim er, n i p rie r ; ses vieux saints dans les églises lu i tourneraient le dos, et ses défunts pleureraient en le u r couche dernière. « Que d ira ie n t à son cœur bombardes et binious, danse et jeu, cloches et pardons ? Ses costumes euxmêmes n ’auraient plus aucun sens : le Breton resterait en Bretagne comme un étranger. « Si donc nous avons, Com patriotes, le désir de garder au to u r de nous to u t ce q u i fa it ju s q u ’ic i la force et la beauté de notre pays, préservons notre breton, lu tto n s p o u r le défendre, comme lu tta ie n t nos pères au c ri de : « Casse-lui la tête ! » (1).

LE MOUVEMENT CELTIQUE En 1870, M. Gaidoz fonda la Revue Celtique . Six ans plus tard, i l m ontait dans la chaire de celtique créée p o u r lu i à l ’école des Hautes-Etudes. Une autre chaire de celtique était fondée, en 1882, au Collège de France et confiée à l ’homme de ce temps q u i fa it le plus auto­ rité en la m atière, M. d ’A rbois de Jubainville. Deux autres classes de celtique étaient ouvertes peu après, à Rennes et à P oitiers, p o u r MM. Loth et E rn a ult. En (1) T. Le Garrec


LE MOUVEMENT CELTIQUE

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1896, les collèges ecclésiastiques de Saint-Charles, à Saint-Brieuc, de Guingamp et de Plouguernével, étaient dotés de chaires de celtique arm oricain. Déjà avaient paru les Annales de Bretagne, VHermine, la Revue de Bretagne, le Clocher Breton, le Terroir Bre­ ton, etc., etc. En 1898 enfin, VUnion Régionalistc bretonne

fu t fondée à M orlaix, sous la présidence de M. Anatole Le Braz. L'Union Régionaliste vo u lu t être quelque chose de plus qu’une ligue pour la défense du breton, et c’est à la reconstitution de la vie bretonne sous toutes ses formes, qu’elle voua son activité future. Six sections furent créées à cet effet dans la nouvelle association : historique, économique, administrative, artistique, de lan­ gue et littérature française,de langue et littérature bretonne.

L ’idée bretonne n’est pas née à Ploujean, où fu t repré­ senté, alors, le Mystère de Saint Guénolé. Mais, si elle avait jeté des racines en bien des âmes, c’est là qu’elle s’est épanouie magiquement, triom phalem ent, dans je ne sais quelle irrésistible poussée de sève collective. Aucun de ceux qui collaborèrent à cette belle manifes­ tation ne couvait de sentiments séparatistes, mais tous auraient pu prendre pour devise les fortes paroles que Michelet adressait un jo u r à Guillaume Le Jean : « L ’im ­ portant, c’est d’être Français, sans cesser jamais d’être Breton. » (E x tra it de l ’Ame bretonne, de Charles Le Goffic.) « La France est une et indivisib le , mais elle est com­ posée de parties qui ont le u r unité. Nous sommes Français, mais nous sommes aussi Bretons, Normands, Picards, Flamands, Lorrains, Bourguignons, Proven­


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LA LANGUE BRETONNE V A -T -E L L E P É R IR ?

çaux, Languedociens, Gascons. Nous avons tous une petite patrie dans la grande, une petite patrie dont nous aimons les paysages fa m ilie rs, les costumes, les cou­ tumes, l ’accent, et dont nous sommes fiers. A im er cette petite patrie, rie n n ’est plus légitim e, rie n n ’est plus naturel, rie n n ’est plus pro p re à fo rtifie r l ’am our de la France, notre patrie commune. » (Ch. Langlois.)

RENAISSANCE DE LA LANGUE ET DE LA LITTÉR A TU R E BRETONNES AU X IX e SIÈCLE La v ie ille langue celtique des Bretons bretonnants avait été parlée obscurém ent pendant le moyen-age. Au début du x v n e siècle, le Père M aunoir en réform a l'orthographe, et é c riv it en breton un certain nom bre de cantiques et d ’ouvrages de piété, tra d u its du français. On fit aussi des dictionnaires et des gramm aires de la langue bretonne. Mais c’est seulement au x ix e siècle que des poètes ont commencé à composer en breton des œuvres originales. C’est seulement au xix® siècle que le breton est devenu vra im e n t une langue littéraire , sous la plum e de Brizeux, de Prosper P roux et de Luzel. Du reste, la plus grande gloire litté ra ire de la Bretagne bretonnante, c’est sa collection de légendes et de chants populaires (Giverz , SonnJ ; la poésie p a rticu liè re du peuple breton parfum e ces légendes et ces chants. On cro ya it autrefois que ces chants étaient très anciens, et que les


RENAISSANCE DE LA LANGUE BRETONNE

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bretons se les étaient transm is de génération en généra­ tion depuis l ’âge de Noménoë, ou même de Gildas ; ils sont au contraire assez modernes, et le peuple les rajeu­ n it continuellem ent en même temps qu’il en augmente le trésor. Les principaux de ces chants ont été recueillis de la bouche des paysans et publiés par M. Luzel dans le Gwerziou. Breiz-Izely et dans le Soniou Breiz-Izel. En outre, au x ix e siècle, des Bretons comme Brizeux et Souvestre ont fa it connaître et aim er au pu blic fran­ çais la noblesse, la douceur et la force passionnée de l ’âme bretonne. La Bretagne est devenue à la mode, et des hommes étrangers au sol et à la race des Bretons ont merveilleusement ressenti et exprimé la grâce sau­ vage de cette terre, la grandeur de son peuple idéaliste. A u jo urd’h u i la langue bretonne est étudiée par les savants ; ils comparent ses dialectes, la rattachent aux autres langues celtiques, et écrivent son h is to ire . (Charles Langlois, Histoire de Bretagne).

LE GÉNIE BRETON « Une seule province de France est à la hauteur, dans sa poésie, de ce que le génie des plus grands poètes et celui des nations les plus poétiques ont jamais p ro d u it : nous oserons dire qu’elle les surpasse. Nous voulons parler de la Bretagne. « Le Tribut de Nomenoë est un poème de 140 vers,


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LA LANGUE BRETONNE V A -T -E L L E PÉ R IR ?

plus grand que l'Iliade, plus com plet, plus beau, plus p a rfa it qu aucun chef-d’œuvre so rti de l ’esprit hum ain. L a Peste d’E llia n t , les Nains, Lez-Breiz , et vin g t autres

diam ants du Barzaz Breiz de M. de la V illem arqué, attestent la richesse la plus complète à laquelle puisse prétendre la litté ra tu re ly riq u e ... « Qu’est-ce donc que cette race arm oricaine qu i s’est n o u rrie depuis le druidism e ju s q u ’à la chouannerie, d ’une telle m oelle ? Nous la savions bien forte et fière, mais pas grande à ce p o in t, avant qu’elle eût chanté à nos

oreilles.

Génie épique, dram atique, amoureux,

g u errie r, tendre, triste , sombre, m oqueur, naïf, to u t est là ; et, au-dessus de ce monde de l ’action, de la pensée, planent le rêve, les sylphes, les gnomes, les djin n s, tous les fantômes, tous les génies de la m ythologie païenne et chrétienne sur ces têtes exaltées et puissantes. En vérité, aucun de ceux qu i tiennent une plum e ne devrait re n contre r un Breton sans lu i ôter son chapeau (George Sand, L a Filleule).

L ’AVEN IR DE LA LANGUE BRETONNE Le français, à l ’étude duquel personne, en Bretagne, n’est opposé, n ’a pas gagné un pouce de te rra in sur le bre­ ton. Les lim ite s des deux langues sont les mêmes a u jo u r­ d ’h u i q u’au x v ie siècle. La fro n tiè re de la langue celtique su it une ligne oblique et tortueuse, à p a rtir de Plouha, par Châtelaudren, Loudéac, P ontivy, Elven et Syrzur,


l ’a v e n i r

DE LA LANGUE BRETONNE

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«r II y a de celà quatorze siècles, saint Gildas de Rhuys faisait entendre d’éloquentes lamentations sur la fin im m inente de la Bretagne. Depuis le temps, cette corde a été pincée avec moins d’art et de force par beaucoup de gens. Elle fait actuellement partie de la guitare des commis-voyageurs m éridionaux vexés de ce que l ’ignorance de notre langue est parfois un obs­ tacle à l ’accomplissement de la tâche qu’ils se sont assignée de nous ro u le r pour le plus grand p ro fit de la Gascogne et de la Provence. « Cette endurance remarquable, à l ’encontre de toutes les épreuves, et cet entêtement séculaire à dém entir l ’interm inable série des présages funèbres devraient suffire à nous défendre de tout pessimismé en ce qui concerne la destinée future de notre langue. « A u jo urd ’hui, la noblesse et le clergé, disait récem­ ment un éminent écrivain, se sont constitués les défen­ seurs du breton que l ’une, autrefois, avait abandonné comme langue usuelle, et que l ’autre n’em ployait qu’à regret dans ses sermons. L ’abandon de la langue bre­ tonne par les gentilshommes, et spécialement par les gentilshommes campagnards, si nombreux chez nous, ne me paraît pas avoir été aussi général qu’on veut bien le dire, et l ’un d’eux, Hersart de la Villem arqué, s’est élevé assez haut dans la litté ra ture bretonne pour se rvir au besoin de paratonnerre aux autres contre toute excommunication trop globale. « Quant au clergé, il est plus facile encore de le défendre de l ’accusation portée contre lu i. Tout au plus


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LA LANGUE BRETONNE V A -T -E L L E PÉ R IR ?

serait-elle vraie p o u r certaines régions des Côtes-duN ord et du M orbihan, où i l faut quelquefois faire appel dans les paroisses de langue bretonne, au m inistère de prêtres originaires du pays Gallo. Mais, dans le F in is ­ tère, où plus des neuf dixièmes du clergé sont com po­ sés de bretonnants d ’origine, ce n ’est pas avec regret, mais avec am our que la langue des aïeux a été cons­ tam m ent cultivée par les prêtres. Au s o rtir des prom e­ nades moroses dans l ’austère ja rd in des racines grec­ ques, voire dans les frais bocages v irg ilie n s , c’est avec le p la is ir du re to u r aux endroits chéris et fa m ilie rs, q u ’ils

se rem ettent à fréquenter le rustique c o u rtil

breton où s’est égayée le u r enfance... « La verdeur avec laquelle la langue bretonne porte ses vin g t siècles de vieillesse perm et d ’augurer qu’elle peut attendre longtemps encore, sans p é rir, le jo u r de la revanche. » (Hervé D iraison). « La langue des Césars, des B rutus, des Catons, Est m orte, et nous parlons le Celte, nous Bretons (1) ! » Les extraits ci-dessus, d’auteurs bretons contem po­ rains dont la compétence et l ’autorité ne sauraient être mises en doute, ne m anqueront pas, j ’en suis sûr, d ’in ­ téresser tous les fervents de la v ie ille langue a rm o ri­ caine. René (1) Fréd. Le Guyader.

MIDY.


TAL-HOUARN

UNE EXISTENCE BIEN REMPLIE ^ /V V W

W

W

V W

V W

A la liste déjà longue de ses œuvres poétiques bre­ tonnes (1), qui sont autant de petites m erveilles, l ’excel­ lent barde Tal-Houarn (Ch. Guennou) vient, sur nos instances, d ’ajouter un nouveau poème : « Gwin Person Koataskorn. » Ce poème est digne en tout de ses aînés, si

l ’on en juge par les suffrages spontanés qu’il a recueillis de la part de personnages fo rt compétents en celtisme. En effet, la nouvelle œuvre du barde que nous présen­ tons au public, n’est pas de ces productions quelconques, indigentes de fond comme de form e, et qui, suivant l ’énergique et expressive parole de M. Anatole Le Braz, ne sont « qu’une mise à la to rtu re de notre pauvre cher Brezonek. » Au surplus, tout le bien que MM. Loth, Le Braz, Le Goffic, Glanmor, etc..., ont d it et écrit de Gwin Person (1) Traductions du P ater de Coppée et du L iv r el Labourer de G uillôme, M ort du Roi M orvan , Sainte-Tréphine, Vieux P a u l de l’île Verte, le Gouffre de la Rivière, M ardi-gras, H ie r un berceau a u jo u rd ’h u i une tombe, la N u it des Morts, M arivo n ik, le Roi des Aulnes, la Terre de l’île Modé> etc.


78

TA L-H O U AR N

Koataskorn, tous les amateurs du p u r et beau breton,

q u i le lir o n t à tête reposée, le penseront et le d iro n t, s’ils ne l ’écrivent pas. Mais laissons la parole à nos « Hérauts du p a rle r breton. »

Cher

M

o n s ie u r

M

id y

,

La tra d uctio n de votre poème, en breton, par Charles Gwennou, me paraît digne de la réputation de l ’A uteur. E lle est exacte, d ’une bonne langue, sans exagération de purism e. E lle ne po urra q u ’aider au succès de votre p ublication. L

oth

,

Doyen de la Faculté des Lettres.

Rennes, 28 novem bre 1903.

A M.

Charles Gw

ennou

,

a

P a r is ,

J’ai été fo rt heureux de m arquer à M. M idy en quelle estime je vous tiens comme poète de langue bretonne, mais n ’ai nullem ent exagéré les éloges que je lu i ai faits de votre traduction. Ce n ’est pas ma faute si je trouve chez vous seul, ou presque seul, le maniem ent aisé et large de la langue bretonne, tel que je le comprends et tel que je l ’aime. Vous, au m oins, vous composez de source : on sent


TAL-HOUARN

79

que l ’expression ja illit toute vive, toute spontanée, des profondeurs de votre conscience poétique. Et cela est rare par le temps qui court où tant de poétereaux, d’ailleurs bien intentionnés, se tra va ille n t à suer péni­ blement des œuvres qui sont une perpétuelle mise à la to rtu re de notre pauvre cher Brezonnec ! Anatole Le

Braz.

Rennes, 30 novembre 1903.

Voici les éloges auxquels le Maître fait allusion. Port-Blanc, par Penvénan (C.-d.-N.) ce 19 septembre 1903. Cher M

o n s ie u r

M

id y

,

Je viens de lire le poème de Charles Gwennou. Vous ne pouviez tro u ve r un interprète celtique plus avisé et mieux inspiré. Son œuvre est charmante et forte. La langue en est d’une souplesse et d’une pureté que l ’on trouve rarement chez nos Bardes les plus illustres, ou soi-disant tels. Et quant à en élaguer quoi que ce soit, gardez-vous en bien. Vous détruiriez la conduite du poème qui est d’un mouvement si vivant et si ferme. Anatole

L

e

Braz.


TA L-H O U A R N

80

Paris 30 jan vier 1904.

I l appartenait bien au barde T al-H ouarn de chanter les vertus du v in de Coatascorn. I l est v ra i qu’i l avait céans p o u r guide et m agister un charm ant poète français, M. René M idy. E t i l est v ra i encore que c’est le contraire q u i eût été logique et naturel. Si jam ais anecdote embauma son te rro ir, n ’est-ce p o in t celle de ce v in de Coatascorn prom u à la dignité de grand cru par un ecclésiastique facétieux? V oilà bien l ’esprit de nos desservants bretons, un e sp rit un peu gros, mais si franc, si honnête, sans om bre de méchanceté, l ’esprit même de la race ! A d ’autres les raffinem ents, la préciosité, les pointes ! Ce sont monnaies de Paris et d ’aille u rs q u i n ’auront jam ais cours en Bretagne, et l ’on peut com pter que le barde T al-H ouarn ne les y m ettra p o in t en circu la tio n . I l n ’est que de le fe u ille te r p o u r en a v o ir l ’assurance. Sa lib re adaptation restitue à l ’anecdote si vivem ent troussée par M. M idy, le caractère qu’elle devait a vo ir à la fin d ’un solide repas de « conférence », sur les lèvres du bon recteur de Coatascorn. P our to u t dire, elle a « l ’accent. » Charles Le

Go

f f ic

.

Rennes, le 22 octobre 1903.

A

M

o n s ie u r

Ch a r les Gw

ennou

, P a r is ,

Vous me demandez, M onsieur et cher Com patriote, mon avis sur votre œuvre. Je ne suis qu’un jeune poète


81

TAL-HOUARN

(de 23 ans), dont les seuls avantages sont d’aim er éper­ dument, avec passion, puis-je dire, notre petite patrie, et d’avoir eu le bonheur insigne d’apprendre sur les genoux de ma grand’mère cette langue bretonne que nous chantons tous deux. Vous êtes mon aîné ; mais puisque l ’appréciation de votre jeune frère d’armes ne vous est pas indifférente, la vo ici bien franchem ent. Vous avez su donner au poème de M. M idy une note plus bretonne encore, s’il était possible : cette cordiale fa m ilia rité plus accentuée entre le Recteur et ses paroissiens ; ces vers tout vibrants d’amour que vous savez, dès que l ’occasion vous en est offerte, consacrer à la chère Bretagne et à sa langue ; ju sq u ’à certains mots d’une couleur toute locale — chez nous on dira toujours « Monsieur le Recteur » — ce sont pour ainsi dire autant d’harm oni­ ques qui p la iro n t aux oreilles bretonnes, en y recon­ naissant une voix des leurs. Votre vers, simple et agréable, est d’une large sono­ rité ; je les comparerais volontiers, vos alexandrins bretons, aux vagues du From veur qui, sous le souffle du vent aux odeurs salines du large, roulent majestueu­ sement, tantôt se brisant en écume blanche, comme sous l ’empire de la colère, tantôt ondulant paisibles avec leurs molles caresses sur la coque d’un navire ou les plumes d’un oiseau. Honneur à la langue susceptible de tant de beautés ! Honneur au poète qui en saisit l ’âme £t sait les rendre et les faire aim er ! Gl a n m o r ,


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TA L-H O U A R N

P our ceux qu i ne connaissent pas T a l-H o u a rn , les quelques notes biographiques q u i vont suivre, recueillies de la bouche d’un de ses plus vieux et plus intim es amis, ne seront pas dépourvues d ’intérêt. Charles Guennou naquit à Lézardrieux le 14 mai 1851, huitièm e enfant d ’un pauvre douanier né à Lanmodez, et de la fille d ’un p ro p rié ta ire -cu ltiva te u r née à Pleubian. C’est-à-dire que c’est un véritable enfant de cette p itto ­ resque « presqu’île » à laquelle i l a voué un am our qui tie n t presque d ’un culte et q u i ne s’est jam ais démenti. Nascuntur poetæ, a-t-on d it ; i l n’est pas exagéré d’af­

firm e r que Guennou naquit « poète breton ». C’est au p o in t que, to u t enfant, lo rs q u ’on l ’interrogeait en fra n ­ çais, langue que de très bonne heure i l com prenait et é criva it fo rt convenablement, i l ne m anquait jam ais de donner la réplique en breton et ce, au plus grand cha­ g rin de ses parents et de son m aître d ’école. Cela ne l ’empêchait nullem ent d’aille u rs de re m p o rte r chaque année tous les prem iers p rix de langue française. Entré au Petit Séminaire de Tréguier, en qualité de dem i-pensionnaire, le jeune Guennou ne tarda pas à co u rtiser la Muse bretonne, dont le bon Iann ar Minouz lu i avait fait, par ses chansons abruptes et pittoresques, deviner quelques-uns des charmes pénétrants. En 1865, le barde am bulant et le gamin étaient déjà de grands et vieux amis, à tel p o in t que Iann était ra v i quand i l pouvait apporter à celui que déjà i l appelait son « con­ tin u a te u r et son successeur », quelques exemplaires de ses plus récentes chansons. I l y a plus, et le vieux


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rhapsode alla it ju sq u ’à permettre à son élève préféré de c ritiq u e r et même... le croirait-on ? de corriger ses œuvres, avant de les remettre à l ’im prim eur. C’est pré­ cisément cette condescendance du bon Iann, dont l ’am our-propre était chatouilleux à l ’extrême, ce sont aussi ses encouragements réitérés qui inspirèrent à notre adolescent l ’idée de composer, lu i aussi, quelques chansons bretonnes et, si possible, d’apprendre les règles de notre orthographe que son Mécène ignorait complètement. Son prem ier essai, A r gonlmik wenn, fut composé pendant une récréation, dans la cour du Petit Séminaire de Tréguier, sur un a ir français ! Essai tim ide et bien naïf, dont M. Ch. Le Goffic a cru cependant devoir faire l ’éloge dans sa préface de Sainte Tréphine. A titre de document, vo ici le prem ier couplet de cette romance : D iw ar lein da goumoulen Doughet gand an a ve l, Lavar d’iü, ma c’h o u lm ik wenn Dont a rez euz Breiz-Izel ? Te zo leun a dudi (bis) Komz d’in euz ma bro garet, Ma c’halon a zo m antret Enn eur zonjal enn-hi ! Cette première romance, le jeune Guennou la soum it à l ’examen et à l ’appréciation de M. Le Jean (Eostik koat afin nozj , à cette époque in stitu te u r à Pontrieux,


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Le Barde tro u va cette prem ière élucubration tellem ent de son goût que, sans y faire la m oindre retouche, i l se chargea de la faire p a rv e n ir à M. Le Goffic, im p rim e u r à Lannion et père de notre ém inent com patriote Ch. Le Goffic. Le Jean fu t même aimable au p o in t d’o ffrir à notre fu tu r barde un recueil de ses poésies et un exem­ p la ire de YAncien Testament , tra d u it en breton par Le Gonidec, en jo ig n a n t à ces témoignages de sympathie ses pressants encouragements à étudier notre langue. Ceci se passait en 1865 et Guennou n ’avait que 14 ans ! Là s’arrêtèrent les relations entre l ’apprenti-barde et le barde a rriv é ; on peut donc a ffirm e r que Guennou n ’eut d ’autre m aître que lui-m êm e. Pendant les années q u i su ivire n t et ju s q u ’à sa sortie du P etit Séminaire, notre com patriote é c riv it et adapta à de vieux airs bretons de nombreuses poésies fugitives q u ’i l a eu le grand to rt de ne pas conserver ; i l y avait même, entre autres, un certain nom bre de chœurs que ses camarades et lu i chantaient soit à la promenade, soit en récréation, et dont plusieurs avaient, p a ra ît-il, une réelle valeur litté ra ire . En 1871, nous perdons presque de vue le barde. Quelques poèmes re ligieux seulement tom bèrent de sa plum e, et ces poèmes q ui, à eux seuls, form eraient un gros volum e, ont a u jo u rd ’h u i disparu. Pas to u t à fa it cependant : Guennou en a conservé un, la Vie de saint Jean-Baptiste y où, en de superbes vers bretons, l ’auteur

serre de très près le texte sacré ; la vie du Précurseur, grâce à l ’Archaïsme vo u lu de la m usique, bien bretonne


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celle-ci, se grave insensiblement mais de façon indélé­ bile dans l ’âme de celui qui entend chanter ce poème magistral. Cela nous change fo rt avantageusement de ces cantiques, ou soi-disant tels, où rien n’est respecté, ni la pureté de la langue, ni la décence du style, ni la vérité historique, n i même la véritable légende. La Vie de saint Jean, non encore terminée, très proba­ blement, demeurera à l ’état de m anuscrit, comme tant d’autres poèmes de grande beauté dont nous avons pu lire les b rou illon s au coin du feu hospitalier de notre v ie il am i... L ’œuvre litté ra ire de Guennou, depuis 1888 ju s q u ’à ce jo u r, est d’environ 80.000 lignes tant en prose qu’en vers, tant en français qu’en breton ! C’est un chiffre considérable, si l ’on considère, d’une part, que le brave Tal-Houarn d o it dix heures par jo u r de son temps à l'A d m in istra tio n qui l ’emploie, d’autre part la diversité des sujets traités et l ’insuffisance des moyens dont il dispose, soit pour se documenter, soit pour se faire im p rim e r. Peu d’existences, on peut l ’affirm er, auront été mieux et plus utilém ent remplies. Cependant Tal-Houarn n ’est pas décoré : il est vra i que, par le temps qui court, i l ne suffit pas toujours du « labor improbus » pour être à l ’honneur ; si j ’étais Guennou, je ne m ’en plaindrais pas trop. E u r Breizad.



G win person K o a ta s c o rn (1) (TAOL-BOURD PERSON KOATASCORN E PARIZ) Rimet e Gallek gand an A. René Midy.

Troet e rimou

Brezonek, urzet hag hirraet gand ar Barz Tregheriad T a l- H o u a r n (Ch. Guennou). -----------3 S € -----------

KENTA

LODENN

E KOATASCORN

I EUR ZELL WAR VREIZ Enn h o ll bresbitaliou bro Dregher, a gredañ, Ez eo anavéet an taol-bourd iskiz-m añ, (1) Koataskorn : Hervez eur rum m ad tu d , el leac’h hanvet hirie Koataskorn a oa gwechall goz eun ivinek, da laret eo eur c’hoat gwez iv in h irr, ledan, koz ha kaër meurbed... Hoghen, ar c’hoat iv in a zo, an holl hen goar, eur c’hoat kaled meurbed, eur c’hoat « Kaled evel askorn ». Ha chetu perag hon c’hentadou, eveziek dalc’h-m ad da skeudenna enn o c’homziou sonjezonou o spered, o deuz laret : « Koataskorn » e-leac’h laret et Koativin », pe a Iv in e k «... Gwir pe c’haou eo ar skleridighez-man ?... N ’ounn doaré ! Klaskit, skrivagnerien Breiz !


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G W IN PERSON KOATASCORN

Adal aber an Treo (1) da vammen an E lo rn ... (2) Piou a reaz an taol-ze?... Koz person Koatascorn !... T o stik-to st d ’ar Ieodi (3), ar ster d our-sklear meurbed E p e h in i M ein-hir, douéou an Druzed A zistaol o skeud ru st, ha rez da Vené-Bré, Enn eun d ra o uien n ik flo u r binnighet gand Doue, Chetu b o u rc’h Koatascorn !... Na koañta nezik glaz ! Eno, ar g h irzie r-lan n a vleuñ e-pad ar bloaz ; Eno, e kresk balan kaër-tré, hag e kaver Bodigou gwez disheol, parkou druz, lanneier Leun a beul-vein (4) : eno, e kresk e peb beurjez Dindan bannou an heol, bep ploaz, ar gw ella frouez !... A r c’h o rn ik douar-ze a ziskw el, Breiz-Izel, Peghen kemmesket oud ha peghen disheñvel (1) A n Tréo (e gallek « Le T rie u x *). A n Tréo eman é vam m en tost da Vourc’h B riak (e gallek Bourbriac). T re u zi a ra a r ster-ze Gwengamp, P ont-Treo, Lez-an-Tréo (e gallek, Lézardrieux), ha, goude, ec’h a d’en em deurel er m or-braz rak-eeu n da enezi B riad ha Modéz. (2) A n E lo r n a drem en e -ta l an ti H en t-H o u arn , e L a n n -T iv izio u (Landivisiau), hag en em daol er m or, e ra d Brest... (R ad , e Brezonek, « L e u r-V o r »). (3) A r Ieodi. M am m en a r ster-ze en em gav e Treglam us, adre da Venez-Bré... Goude beza douraet a r Roc’h -D e rrie n , en em vesk gand a r G hin di, e Landregher. (4) P e u l-V e in . Kals a skrivagnerien e fe ll d’heze lakât kenver-oc’h kenver M e a n -h irr ha P e u l-V e an . T ra amzéré kren n ! Eur m e a n -h irr a zo, hervez sonj ha la va r an dud w iziek, eur p ik o l mean, zavet enn é za, hag e kavet, gwechall d reist-holl, re a il henvel out’han tostik-tost d’hezan, evel e K a r n a k ... E u r m e a n -h ir r , p eu rvu ia, na vije ket p e n n -h e r !...

E u r Peul-vean (Peulvan), avad, a zo eur p ik o l mean, peurvuia p e n n h e r , peurvuia ledet w a r an douar, w a r e hed, ha taolet, stlejet el leac’h m ’hen gweler, den lia o a r evit p e tra ... E Gallek, a r Peul-vein a ve, peurliesa hanvet gand an dud w iziek « Blocs erratiques » !


G W IN IEK KOATASCORN

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Diouz-id da unan..... Pa zeu ar Gouañ digar Da skigna g riz il, erc’h ha skorn w a r an douar, Pa c’houez avel gwalarn cr c’hoat, el lanneier, Pa glever enn touriou nioueziou s k iltr ar c’hleier O tiñsa truezuz, me az k w c l, ma Broïk, Dindan skeud eur Vamm-goz, o ouela reuzeudik W ar an h o ll dism añtrou dastumet enn-dro d ’id ... Mes d’an Nevez-amzer, pebez kemm, pebez lid !... E ur burzud a zo great enn da gheñver, ma Mamm ! Chetu te koañt dindan da zilad neve-flamm, Koañt evel eur plac’h ik a ugheñt vloaz oajet, Ha war-nez da veza gand hé « dous » eureujet !...

II GW INIEK KOATASCORN Koatascorn !!! Eun hano dianaf d’e-hoc’h, m ’oarvad, Aotronez kaër Bro-C’hall ?... Eun hano g w ir Vreizad, Eun hano dudiuz hag helavar e Breiz... Ken c’houek hag lien, e Gall, na gaver ket e-leiz !!! Mes, deomp gand hon m arval !... E l leac’h-se a savaz, Meur a gantved aboué, ha frouez kaër a daolaz, E ur w in ie n dispar, a seurt na ve kavet Nemet e bro an Heol hiniennou brudet.... Piou hé flañtaz ?... Noé, tad-koz an h o ll w in i !... Chetu am euz klevet ! N’hen kredafl ket ! Ha c’houi ?...


m

G W IN PERSON KOATASCORN

En é c’houde, a la r eur c’h ra c’h koz a-wechou, Bakus, gand é f r i ruz hag é gofad stripou, A zeuaz da waskañ eur b a rr rezin, melen Evel an aour neve, kro u e t w a r ar w ezen.... A zour-rezin gant’han eur p ik o l gwerennad, A laraz da Vrennus : « Ha d ’id , paotr ! Iec’hed mad ! » Brennus, gwaz digabestr ha zeac’h é gorzalen, A d ro c’haz eur b a rr a il w a r ar goz w in ie n , Ha, lem m é zaoulagad, o klevet gw ella c’houez A oa gand an douren : « N ’am euz ket aliez « Tanvaet ar seurt-m añ !... Zell, Bakuz, é lio u aour ! « Na gw ella louzaouen ouz kleñvejou ar paour !!! « D’az iec’hed, Bakus koz ! Daoust d ’an h o ll deodou fa ll, « Ebad braz e ve d ’iñ eva t r i c’hemend a il !... *> T r i c’hemend a il, Brennus ?... N ’eo ket red kement-se Da d e rri d ’id da benn ha da ziou c’har ive !... Chetu te astennet w a r eul letonen c’hlaz E -ta l Bakus fri-ru z !!! Petra a c’hoarvezaz L iv ir it d ’ifl, m ar p lij, goude m ’ho poa evet D our g w in i Koataskorn, barro u gan-e-oc’h tro c ’het, A r c’haëra, a gleviz... « Chetu, eme Vakuz ! « E u r pennadik goude, me hag ar paotr Brennuz, « Kamm pe gammoc’h hon daou, amañ, w a r ar braden, « Hon daou ez omp kouezet !... Chetu hon abaden !... — « Tam m souez ! Roc’hal a r it evel ar c’hurunou ! « Spouñta a r it deñved, zaout, kezek er p a rko u... « An evned, p ’ho klevont, a n ij a-denn-askel !... » — « Bevet g w in Koataskorn ho bevet Breiz-Izel !... » ( Euez. — A r rim a d e ll diveza : « Bevet g w in Koataskorn


§1

EMBANN EOST G W IN I KOATASKORN

ha bevet Breiz-Izel », a zo iouc’het a bouez-penn gand eur vandenn dud iaouañk, paotred ha m erc’hed, a w eler o toñt w a r al leur-ghear, eur brañk balan bleuniet gand peb h in i anez’he enn é zorn deou. Eun hanterkelc’h a réont e gweled al leur-ghear ha, rak-tal e stagont da gana).

III EMBANN EOST GW INI KOATASKORN D IS K AN

H ollaïka, ho !!! Mesaërien ha Barzed, Adal beg an Treo da vamm an E lorn, Em bannit d’an h o ll gand bombard ha rebed Eost rezin g w in i parrez Koataskorn !... 1 D ilezit ho koajou douñ, Druzed !... Heol Doue a skul w ar bep tra E dommder, é sklerder binighet !... D ired it p rim ! H ollaïka !... (Diskan). 2

Gorennit ho strap aour gand foughé, Da c’hortoz tro c ’ha ar rezin, Dirag Bakuz hag é vugalé, Dirag ar Varzed ha Marzin !... / Diskan) . 3'


G W IN PERSON KOATASCORN

3 M arzin !... An h o ll en krede m aro, Gant p e ll zo gher na lavaraz...... Beo buek eo !... Emañ enn hon Bro !... E m berr, mechañs, a kano c’hoaz !!! (Diskan). 4 Astignet eo kerden é delenn, Hag é vouez, kre ñ v evel gw echall, W a r ar menez kouls hag enn draouienn, A s k iltro e Breiz, e Bro-G’h a ll ! (DiskanJ. 5 Nann ! nann !! nann !!! Na dlé biken m ervel Hon « iez aour », iez hon c’hentadou !... D ifennom p-hañ ha, bete m ervel, D iskom p-hañ d’hon bugaligou !!! (Diskan). 6

Anez he iez, Breiz a zo m aro ! Hoghen Breiz na dlé ket m ervel !... P’eman M arzin enn hon touez d istro , Bevet, bevet c’hoaz Breiz-Izel !!! (Diskan). 7 W ar-zao Breiziz kre ñ v ha kalonek ! W ar-zao, tu d Tregher, tud Léon, T ud Gwened ha tud Kerne blevek ! C hilaouit ar c’horn-boud o son ! (Diskan).


EMBANN EOST G W IN I KOATASKORN

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8

War-zao, paotred ! W ar veg ar grec’hen Redit da droc’ha ar rezin !... Luc’ha a ra evel aour melen... Em berr gant’han c’houi a raï gw in ! (Diskan). 9 Merc’hed, kem erit ho panerou !... Dastumit eveziek ar frouez è.** N ’ho bloñsit ket enn ho c’hoariou !... Anez, d’e-hoc’h h o ll d ro u k -k o f ha mez ! (DiskanJ.

10 Ha c’houi, evned, laëron askellet, Tec’h it pell, pell diouz ar g w in i ! N ijit h o ll d’ar c’hoat piñ, me ho ped !... Mes c’houi, gwenan, tost, tost d’eomp-ni !... (DiskanJ.

11 Gand dour ar rezin, loenedigou, G’houi a raïo d’eomp mel dispar, Mad d’hon zud koz, d’hon bugaligou !... Amañ, gwenan !... N i h o ll ho kar !... (Diskan).

12 Kanit ho kaëra zoniou, Barzed, Enn enor da vestr ar g w in i !... Zonit, korn-boud, bombard ha rebed !... Gouel ar Person eo hoc’h h in i !... (Diskan).


G W IN PERSON KOATASCORN

13 K a nit, zonit ! H o ll g w e ll pe w e llo c ’h K asit brud-vad ar g w in névé !... E Bro-C’h a ll h o ll ne z’euz ket flo u ro c’h... Kanom p, zonom p !... Eghinané !!! (Diskan). (Barzed ha zonerien enn eur vouez).

14 Z e llit mad ar rezin alaouret Kresket w a r douar hon mamm Breiz, Dindan tom m der an heol b in ig h et... E m b e rr e roïo g w in e-leiz !... (Diskan). 15 Tanvaït ar gwin-ze, me ho ped, Doujuz ha w a r ho korreghez !... E dom m der iac’h ha nerzuz bepred A roïo d’e-hoc’h nerz ha furnez !... (Diskan). 16 L is t an h o ll evachou m ilig h e t A w erzer enn h o s ta liri !... D ’ho sec’hed z is tr ha g w in mad bepred, Ha peb unan a dalvo t r i !... (Diskan). 17 T ud Breiz ha tu d Bro-C’h a ll, hon Tadou, Oc’h eva g w in ruz evel tan, A c’hoarze gwap w a r ar fa ll vestrou, A gane dindan an heol splann... (Diskan),


GWIN AR VIG NO NIACH. — GW IN AN OFERENN

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18

Ni, bugale o gouenn galonek, Dispouñt ha nerzuz evel-t-he, N i a gan enn hon iez Brezonek Hon Mamm-Bro, hon G w iriou ive !!! (Diskan).

IV GWIN AR VIGNONIACH. -

GWIN AN OFERENN

E kreiz bourc’h Koataskorn, didrouz, nebeud pleustret, Ha tost da lio rz ik ar c’hoz person karet, W ar zinaou eur grec’hen goloet a ieot glaz, Gwinien ar barrez, re verr, re voan, siouaz, A led dindan an heol he brañkou alaouret... Z e llit ! Du-mañ, du-hoñt barrou rezin kuzet Adre d’an deliou pers... C’hoaz eun nebeud deiziou Hag ar rezin a vo darev w a r ar brañkou Ha gant’haü, ma Breizik, m ’hel la r e gw irione, A r person mad a raï gw in flo u r ar garante !...

a) G h i z i o u

koz

B r e iz

Na koañt a oa gwechall da c’hiziou, Breiz-Izel !... Diaviz oud, m’hen tou, p’o lezez da vervel ! .


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G W IN PERSON KOATASCORN

Ghiziou ar c’haëriou braz d ’id na dalvont netra, Ha c’hoaz na ghemerez nemet ar re falla E-touez ar ghiziou-ze !... Ma Bro gher, taol evez ! M ir ghiziou da dud koz, h o ll kel leun a furnez... M ir, koustet pe gousto, da Feiz ha da Iez aour Lealded hon Tadou, ho zruez ouz ar paour, Ha, da zell lem m ha fra ñ k zavet w a r-zu an Ee, Laosk, pa vo red, da c’harm spouronuz: « D’am B ue!!! »

E-touez an h o ll ghiziou a réné c’hoaz gw echall Enn hon B re izik-Ize l, unan dreist ar re-all A b lije d ’hon zud koz... N ’eo ket peur-varo c’hoaz, Mes m oñt a re w a r-g o ll ta m m ik ha tam m , siouaz, Gand kalz a il a draou mad !... Pa gaveñt eun dro vad, Hon Tadou, gwech hag ail, a zave gand ebad E u r pred-fest enn o z i... Badiziañt, Leur-Neve, Eureud ar Benn-herez, Gwastell-Eost, Iar-Héré, Pardon Zañt ar barrez, M eurlarjez, Plommadek, Koadach eun t i nevez, Eost ar Foenn, Nezadek, Gwadeghennou, Gouel Iann, Gouel M a rim iz C’houevrer, Gouel M ikel, Pardon braz zañt E rw an Landregher, Ha kals a oueliou a il a oa digaré mad D’ober eur « pred F rik o ! » N ’eo ket pec’hed, m ’oarvad, W a r-le rc’h la b o u riou stard eur bloavez hed-da-hed, D iskuiza eun devez hag, ouz taol azéet, Gand ar ghereñt nesa hag an amézéien, Ankouât eur pennadik k riz d e r ar blanedenn !...


GWIN AR VIG NO NIACH. — GW IN AN OFEREN

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Eur pred , e Breiz-Izel, da vihana gwech ail, A oa, am euz klevet, heñvel ouz kañt pred a il !... Enn h o ll d ier kristen, keñt staga gand ar boed, Bennoz Doue war-n-hañ e vije goulennet... A r c’hosa, enn é zâ hag é benn diskabell, Groet gant’han ziñ ar Groaz, a vouez kreñv hag huel A laré : « Teurvezit, mar p lij, K rouer ar bed, « Skul ho kw ella bennoz war-n-om p ha w a r hon boed... « G rit ma kavim p enn-hañ nerz, fïziañs ha kalon « E vit Ho servija e bugale w irio n !... » Hag an h o ll enn eur vouez : « Evelse bezet groet !... » Neuze ar penn-tiek : « Stagomp gant’hi, paotred !... « Debromp, evomp, c’hoarzomp evel tud a zoaré... « Ha, w a rc’hoaz, d ’al labour, kalonek, adarré !... » Keñt kuitât ar « fest-leac’h », enn tie r kristen c’hoaz, A r c’hosa, diskabel, a zav da laret : « Gras !!! » — « Gras da Grouer ar bed evid é vadelez, « E vit o dighemer d’ann daou benn-tieghez !... « P lijet gand an Aotro a bep drouk hon d iw a ll « Ha derc’hel pell diouz-im p kleñved ha peb seurt [gwall !... « Bremañ, to rre t gan-e-omp hon sec’hed hag hon naouñ, « E ur bedenn, ma zud keiz, evid ar paour Anaouñ ! « Gras d’e-omp d’en em gavout h o ll, da vloaz, e iec’hed !... Hag ann h o ll enn eur vouez : « Evelse bezet groet !... » Chetu ar ghiziou koz !... Tud ar « ghiziou névé, » Tud fu r ha tud gwiziek, « troé w ar ar Progrê, »


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G W IN PERSON KOATASCORN

A ve dizenoret o kerzet w a r roudou A r Vretoned didreac’h a oa o C’hentadou !... « Gras, Benedisité !... Bah ! ro d ’ifl peoc’h, Jakez !... « Nemet da z ib ri io t, kram pouez-dû, patatez, « Da ghereñt ha ma re na dalvezeñt netra, « Pe, c’hoaz, noz ha beuré, met da « Baterata !... » .... « A r P rogrê !... E u r begad P ro g rê, ma m ignon ker, « A dalvo d’id ha d’iñ ouspenn kañt m il Bâter !... « Troé w a r a r P rogrê !... » Chetu ma h o ll lezenn,

« Ha tu d « a r ghiziou koz » n ’iü t h o ll nemet ezenn ! ! ! » Chetu prezeghennou « paotred a r c’hiz névé !... » Nag ofern, nag iliz , na belek, na Doue !!!. An diotachou-ze e vit mad diskaret, A r Peoc’h, an Uñvaniez a reno w a r ar bed !... K re d it se, ma Broîz, hag e vit d o u r goudé ! Petra eo ar « P rogrê ?... » An h o ll babored-sé « Troé w a r a r gallek », koeñvet gand ar fouglié,

D igor braz o ghenou, pa la ro n t ar gher-zé, H in i ane-z-he h o ll d ’e-hoc’h na lavaro sklear, Petra eo ar « Progrê !... » Eun den paour ha dister, Person koz Koataskorn, o len é v re v ia l, Hen kavaz, hel lakaz da ren er presbital !... Dre be stum ? Silaouit, ha g rit h o ll evel-t-han !... Enoruz a vo d ’e-hoc’h beza heñvel out-han !!! b) E u n n

den

a

« c’hiz koz »...

Presbital Koataskorn a oé, e peb amzer, Brudet mad e Breiz h o ll, evid an dighem er


AR G W IN A ENOR

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Groet d’an drem enidi, enn-hañ, gand ar person !... He-mañ d’an tremeniad a g hinnik a galon E ur werennad gw in gwenn, « Gwin Margaux », eme-z[hañ, E u r gw in, n’euz ket eun a il a ve c’heüvel out’hafi !... An tremeniad avad, p’hen tañva, a-wechou, A choum sebezet krenn, a astenn e c’henou... « Gwin Margaux an dra-mañ?... Gwin egras, emichañs !... — « N ’euz fors, evel m ’eman, dispar eo bet é chañs !... « A r gwin-m añ, Aotro ker, eo ma gw in oferenn... « Ac’hendall, na koañt eo ha flo u r enn ho kw erenn !!! « Ouspenn, m ’hen kin n ig d’e-hoc’h, Aotro, a galon vad... « Z iko u r gaër da gavout gant’haü blaz déréad !... » Salo ma vijem p c’hoaz heñvel ouz hon Tadou, Ouz person Koataskorn !... Keuz am euz d’ho ghiziou ! Lagad eeuñ ha leal, dorn ha kalon digor A gavet enn hon Bro, gwechall, adre peb dor !... E ur gador ouz an daol, eur gador tost d’an tan Hag an tammou gwellan da verenn ha da goan... Chetu panaoz gwechall a roet dighemer D’eur broad o tremen, w a r ar meaz hag e kear !... H irié, na pebez kemm !!! E ur c’har tost, eur mignon A gav, peurliesa, kloz an dorn, ar galon, E ti é ghereñt nez, e ti é vignoned !!!... « A r Progrê », ma zud keiz, gant’han m ’ho kw el dallet !...


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G W IN PERSON KOATASCORN

V AR GW IN A ENOR O g w in flo u r Koataskorn, dianaf n ’euz ket pell, G w in ken bru d et h irie , d re -h o ll, e Breiz-Izel, E u r b urzud braz, mechañs, az tiskle ria z d’ar bed ?... — Nep tam m burzud, m ’hel la r, ma c’henvroïz karet !!! Chetu amañ panaoz ann dro a c’hoarvezaz......

a)

Eskop

Zaüt

B r ie k K

a z e u d a g o n fir m a b u g a le

oataskorn

Eun deiz, Koataskorniz abred a zihunaz O klevet ar c’h le ie r o son boleadou Evel na ve zonet met d ’ar c’haëra goucliou... — « Petra zo a neve, a lavaré Jakez, « Ma tis k w e l ar c’h le ie r kemend a levenez ?... » — « Petra ?... N ’ouzoud-te mann, eme Job ar F rie k ?... « E m berr, e Koataskorn, paotr, Eskop Zañt-Briek a A dlé donet da re i ar Gonfirmasion « Ha, goude, m oñt d ’é le in da d i hon c’hoz Person !... « Kea d’ar ghear, Jakez koz, g w isk da gaëra d ila d ... « Arabed eo d ’id m oñt d ’ar p a rk da labourat !... » — « Moñt d’a r park ? Ne d ’ifl ket ! C’hoaüt am euz da w elet v Hon Eskop eur wech c’hoaz ! » — « Kea ha deuz enn

[eur red !!! » Ne fe ll ket d’iü , ma zud, choum pell da zisplega Panaoz a tremenaz an traou enn devez-ma


AH GW IN A ËNOR

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Enn iliz Koataskorn... A w alc’h eo (Tiñ laret Na oé biskoaz enn-hi lid o u kaëroc’h gwelet Aboue tost da gañt vloaz... Gand ar « prosesion », Ouz mouez drañt ar c’hleier hag ar « muzik » o son, Eskop ha beleien a ieaz d ’ar presbital !... Pa oañt dastumet h o ll tost d’an Eskop, er zal, A r person a laraz a vouez kreñv hag huel : bj P re ze g h e n

ar

P e rs o n

d ’a n

Eskop

— « Eun enor braz eo d’iñ, belek paour ha vuhel, (1) « Ober euz ma gwella da dad hon Eskopti « Ha d’e-hoc’h, ma ’heüvreudeur, dighemer enn ma zi ! « Ma dighemer, Aotro, a zo frañk ha g w irio n , « Dighemer mab doujuz, dighemer g w ir Vreton... « Rak-se, p lije t gan-e-hoc’h, er w erennik striñk-m a, « Tañva gw in Koataskorn ha gan-e-omp h o ll triñ k a ... « Da iec’hed hon Eskop ! Ra choumo gan-e-omp pell !... « Da c’hloar hon mamm Bro-C’hall, hon mamm-goz Breiz[Izel !... » « Ma gw in, Aotro n ’Eskop, gw elloc’h evit den ail, « E c’h e llit laret d’e-omp pe vad-tré eo pe fa ll... « Ganet e bro ar gw in, frouez ho kw iniegou (Strakl daouarn ha trinkadek).

« A zo, am euz klevet, brudet enn h o ll broïou... (2) (1) « Vuhel », e Gallek « Hum ble ». — « Huel », e Gallek « fier, or­ gueilleux. (2) An Ao. Marsial, Eskop Z a n t-B rie k , a oa p e r -c ’henn, e Zant Kristoly, w ar-hed eun nebeud leoïou diouz Bourdell, da W inniegou brudet diw ar-benn ar frouez e taolent ha diw ar benn ar gwin e reer gand ar frouez-zé.


102

G W IN PERSON KOATASCORN

L iv ir it d’e-omp eta, d ’iñ ha d ’am breudeur ker, Petra a dalv, d ’ho soñj, evach person dister P arrezik Koataskorn !... Mar hen k a v it léal, Nerzuz, p iñ v ik ha flo u r evel m eur à w in a il ; Mar hen k a v it iac’h-pesk, sklear evel aour névé Enn ho k w e re n n ik -s triñ k ; ma lez enn é c’houdé E u r v la z ik vad dispar, A o tro, w a r ho muzel, Blaz ar g w in ar gw ella kro u e t é G all-Huel, N i, Bretoned dispouñt, keñvroïz zañt E rw an, A skigno é vru d -va d kemend ha ken bihan Enn hon Bro B reiz-Izel, ken an dud d is k rid ik A c’hoaütao, keñt p e ll, tañva g w in personik Ho parrez Koataskorn !... Dindan eur goz dervenn, E « Vinsenn », Zañt Loeiz, Roue ar Fransizien, A varne paour, p iñ v ik , ha d ’é c’h o u rc’hemennou An h o ll, e tie r-p lo u z kouls hag el lojennou, A bleghé gand doujañs !... E-touez ma h o ll vreudeur Dastumet enn dro d’e-omp, ne w elañ ket nem eur N ’ho défé, gwech pe wech, goapaet ho person D iw ar-benn é w in fa ll !... Ho parn a vo g w irio n Hag a vo, a gredañ, A otro, gand peb unan Kemeret da lezen, e bro gaër zañt E rw an !... K o m zit eta, m ar p lij, ha liv i r it h irie Gand piou emañ ar gaou, gand piou ar w irio n e !... Mar bec’h a-du gan-eñ, d ’an h o ll everien vad Ma g w in , lu fr evel aour, gand é vlaz déréad, « Skignet dre a r bed h o ll ha m uioc’h -m u i brudet, « A Yrest da Betersbourk a raïo tro ar bed...


AR G W IN A ENOR

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E Rom, enn Elizé, dalc’h-mad er penn kenta, E-touez ar gwella gw in hen a vo ar gwella !... W ar r ib l ar skleara ster euz hon Bro Breiz-Izel, T riñ ko m p c’hoaz, Aotronez, hag h o ll a vouez huel K riom p : Ra vevo pell an Aotro Marsial, Hon tad m uia karet, skouer eskibien Bro-C’h a ll !... » c] R e s p o n t a n

Eskop

d ’a r P e r s o n

Person ker, a laraz an Eskop, Breiz-Izel A zo brudet er bed a-dost kouls hag a-bell !... Salud d’ar gwez aval, enor ho peurjeziou ! Gloar d’ar zistr alaouret, « C licquot » flo u r ho maeziou ! Bevet tamouez melen ha pouner ho k w in iz ! Bevet ho lio rzo u hag ho frouez m ad-iskiz, Ho lanneier karghet a c’houez-vad ar bleuniou, Ho koajigou disheol, ho m or glaz, ho prajou !... Mes douar ar gw in mad, klaskit-han e Bourgogn, Pe e Champagn, pe c’hoaz w a r greac’hiou ar Gascogn, E Beaujensy, Saumur, enn Erm itach, Bourgheuil !... Chetu gw in Rouane, gand Surên, A rjenteuil !... Gwin Iquem, gw in Voujot, da betra o c’henvel?... A r bed h o ll o anaf, beteg e Breiz-Izel... Mes n’iü t ket Gwin ho Pro ! Margaux, Bleuñ S illeri Biken na zarevint w a r r ib l ster ar Ieodi !... Salo ma teui ho k w in , war-bouez koza, person, Da w e llâ t eun tam m ik, da laouennat kalon Kement en tañvao ! H irié (ze zo anat !) Na dalv ar fo e ltr netra ! Eun dra a ouzouñ mad, 4


104

G W IN PERSON KOATASCORN

« A galon, person ker, oc’h euz en kinnighet, « Hag ho kalon out-hañ n ’eo heñvel lam m e-bed... « Ho kalon a zo mad, m ar d’eo ho k w in dister !... « Rak-se, buez h ir r d ’e-hoc’h, ha iec’hed, person ke r !

VI GW IN AR BED H O LL O selaou kom ziou treud é Eskop, ar person A gleve o sevel kounnar enn é galon... E u r zalad d o u r skornet w a r é benn o kouézan N ’he d iv ije ket great kem ent a boan d ’hezaü... A c’hendall, an h o ll dud er zal vraz dastumet A c’hoarzé g w e ll pe w e ll !... « Foughéer m ilighet, « Chetu tapet gan-id, er wech-mañ, da bakad ! « Ha n ’eo ket re abred !... Paouez a r i, m ’oarvad, « Da brezek ac’h euz g w in mad dreist d ’ar g w in mad a il.. « E u r g ri w a r da c’henou gand da dour-egras fa ll !!! » Biken eur Breton mad, pa vo ar g w ir gant’han, N ’anzavo bout tre c’het !... Beteg ar penn pellan E tifenno é benn ! Mar d ’eo Brezoneker A Léon, a Ghernev, a Wened, a Dregher, Kaër ho pezo prezek, kaër ho pezo laret, A r gwaz a dalc’ho mad ! Biskoaz na oé pleghet


GW IN AR BED HOLL

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Eur g w ir Vrezoneker, kaër e zeuz kemer poan, Gand kaled eo é benn, ken kaled ha mean-tan ! Ha person Koataskorn a oa euz an dud-se !... « Gand an A otro n’Eskop h o ll oc’h euz, Aotrone, « Laret eo fa ll ma gw in !... Ho parn a zo garo !... « N’euz fors ha d’ar varn-ze pleghet neb a garo, « Me, biken, na blegañ !... Me a la r c’hoaz ouspenn ! « N ’am euz kredet biskoaz, na grediñ b irv ik e n « En défé ar Mestr braz groet labour fall, enn dé « Ma krouaz ar g w in i a ro ar seurt gwin-ze... « C’houi en kav fall-daonet ha me en kav mad-mad... « Doué na lavar gher !... Mechañs, en kav d’e c’hrad !... « Ac’hendall, Aotronez, em penn am euz laket « Moñt da Bariz, penn-kear an Everien douet... « A r re-ze a anav dre ar vlaz hag ar c’houez « Pe seurt gw in a ve groet gand ar brudeta frouez... « Tañva gw in Koataskorn d ’an dud-se a vo red, « Hag o barn a vo mad a du gan-eñ, me gred !... « Ma na faziañ ket, d’iü-m e kaëra d ig o ll !!! « Keñt pell gw in Koataskorn a vo « G win ar bed h o ll !!! 3>

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EILVED

LODENN

E PARIZ

I EUR GOAN ENN EUNN « T I-D IB R I » <i) W AR AR BALIO U BRAZ Eun devez hañv eta (n ’eo ket pec’hed m arvel !) Hon ferson a lezaz Koataskorn, Breiz-Izel, Kereñt ha mignoned, lio rz ha presbital, E v it m oñt da Bariz, penn-kear brudet Bro-C’h a ll... C’hoaüt en doa da w e lo u t an h o ll draou kaër kaset D ’an D iskw elidighez (2) gand h o ll broïou ar bed... An traou kaër ha névé a b lijé d ’ar person, E vit-han da choum stard, e g w ir velek breton, E feiz doujuz ha kre ñv ar zeñt, hon C’hentadou !... « Kaër a vo, eme-z-hañ, d iskw e l d ’in burzudou, « Na w e liñ mann enn-he met ar pez a vo mad !... « A gostez an traou fa ll, an traou amzéréad ! » (1) « T i-d ib r i », e Gallek « Restaurant ». (2) « Diswelidighez » Gher evit gher, e Gallek, « E xh ibition », concours de M ontres , de choses montrées en public. A r gher « Diskwelidighez », d’am sonj a la r m uioc’h a draou, a zo kals m uioc’h helavar, evit a r gher gallek < Exposition ».


KOATASKORNIZ HAG O FERSON

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II KOATASKORNIZ IIAG O FERSON Da c’heul o c’hoz Pastor, cun nebeud tud diskuiz A barrez Koataskorn a zeuaz da Bariz, Aketuz evel-t-hañ ha c hoañtek war-eun-dro Da c’hallout displega d’ho zud choumet er Vro Burzudou ar Ghear-Veur... W ar ar Baliou braz, A r Person, o valé, gant’he en em gavaz, Eun devez d’abardaë... « Koañta tro, eme-z-hañ ! « Eun eur-vad, ha n’eo g w ir, p’en em gavomp amañ, « Ken pell diouz Koataskorn ?. . Ac’hanta, mignoned, « Chetu amafi eun dra a b lijo d ’e-hoc’h, me gred !... « Perag n’affemp-ni ket da goania w ar-eun-dro « Enn eun ti-dibri mad ?... Komzet neb a garo, « War-bouez balé amañ, du-hoñt, am euz naoñ braz, Ha c’houi ive, mechañs ?... Ouspenn, a la riñ c’hoaz, « C’houez boed «c lip » a b lij d’in, mes, ma zud keiz, ar <l Blaz ar madigou-ze, dianaf d’in, siouaz, [vlaz, <i A blichfé d’iii m uioc’h, kouls ha d’e-hoc’h hoe’h-unan...

« Na ve ket gouel bemdeiz !!! Na dalfé ket a boan a Choum pelloc’h e Pariz, lieb beza tañvaet

« Gand eur c’hegliiner mad eur « Pred Frico » aozet !... « An den ganet, maghet e-kreiz madou ar bed, « Ha na oar ket petra eo an naoñ, ar zec’hed, « An den a gav, bemdeiz, kempennet dira-z-han « A r gwella tammou boed, ar gw in ar brudetan,


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G W IN PERSON KOATASCORN

« An den-ze, ma zud keiz, gand traou mad stambouc’het, <( O tib r i boed dispar, na gav d u d i e-bed !... « N atam m souez, ha n ’eo g w ir? Gand boed mad e skuizer, « Hervez m ’am euz klevet, kouls ha gand boed d is te r... « Buanoc’h marteze !... N i, avad, kouerien, ;

« O veva gand ho foan, daoust nédomp ket peorien « Barnet da glask hon boed, n ’hon euz, peurliesa, Nemet z is tr h ir r ha tre ñ k, pe d o u r sklear da eva !... « Ha da z ib ri nemet eun tam m bara-zegal, <( Soubenn ar c’haol, kram pouez, eur begadik kik-sa l !!! « Iac’h-pesk omp, koulskoude, ha k re iiv o c ’h enn hon stad « E v it tu d a r c’hestell, gand o h o ll blajou mad !... « Mes, pa c’hallom p d ib ri, eur véach enn amzer, « Eun tam m « boed lip e bao », e-leac’h d ’hon boed dister, « N i en debr gand doujañs ha w a r hon gorreghez, « E v it m iro u t pe lloc’h hag e vlaz hag e c’houez !... « — Ha g w ir, A otro Person !... Komz a r it déréad ! ! ! « Deomp eta da goania d ’eun t i a vo d ’ho krad !!!... »

III ENN « T I-D IB B I » -

EUR C’HURÉ BEGHET MAD

Da d i biou ec’h éjont ?... D ’e-hoc’h n ’hel la va riñ ket !... Ha, goude, fors a zo ?... Enn eun t i mad bepred !...


EN « T I-D IB R I » — EUR C’HURÉ BEGHET MAD

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Pa oë Koataskorniz enn eur zal azéet, A r c’huré, (eur paotr lemm lia dieub a spered) : « — Ma zud keiz, eme-z-han, dirag hon daoulagad, « Chetu berniet amañ kalz a draou déréad !... « Kaër hon befé, mechañs, o c’hlask er pcvar c’horn « N’hellfemp ket o c’havout e parrcz Koataskorn !!! « Z e llit a-uz d ’ho penn ! Chetu eur volz-eñvou <l W ar-n-hezi piñtet kañt lia kañt ail a vleuniou ! « Z ellit ! Enn-dro d’ar zal chetu eur c h o u riz aour !!! cl Enn ti-m añ, w a r ma soñj, na zeu ket an dud paour <l Da breja aliez !... Hag an arc’h a n tiri ?... <l N’ac’h euz ket ar seurt-mafi enn da lio s ta liri, <l Evid-oud da veza eur paotr a lo rc ’h, Jakez !... » <i — Nann avad, w a r ma feiz, a respont ar paour keaz ! ! ! » « Hag al lienach, Iann, a la r c’hoaz ar c’huré... « Na gwenn eo, na c’houez-vad a zo gant’han ive !... » « — E Koataskorn, A otro, e kanner marteze « Ker gwenn hag e Pariz ha gw elloc’h c’hoaz bemde, « Hep kement a zispign !... Du-mañ, Fañt ha Joben * À oar panaoz gwenna roched, bragou, chupen « Ha gand hon dilad koz ober dilad neve !... «; — Chetu c’houi tost d’ar gher, tapet, Aotro kure, « E m eJob!...» « — Tamm e-bed,eme a rc ’hure c’hoaz... « D re-holl, tost d’eun tech mad e sav tech fall, siouaz ! € Ha ne ve ket a draok er c’haëra gw inizou?... « Koañta lis tr i keghin, paotred !... Hag ar boejou, « Gand c’houez-vad e taolont, e sav dour em ghenou !... « Hag ar gw in !... Dispar krenn, kouls gw in c’houek ha [gwin dous, « Darn, tomm evel tan-glaou, darn heñvel ouz voulouz.,,


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G W IN PERSON KOATASCORN

« G w in taoliou Rouané, m ’hel la r a vouez huel !... t

Ha koulskoude, paotred, enn hon bro Breiz-Izel,

<( Ez euz eur g w in a il c’hoaz kals m uioc’h talvouduz, « Kals flo u ro c’h da eva, m uioc’h iac’h ha nerzuz « E v it an h o ll gw in-m añ... » « — Farsal a r it, kure ! « Ober goap ac’hanom p e fe ll d ’e-hoc’h marteze !... » « — Ober goap?... Tam m e-bed ! A r gw in m arvaluz« E kao ho person mad, e kaver anez’han !...

[man

« Mes gand e w in , paotred, ez eo g w a ll dost, siouaz !... « Na ra d’eomp en tanvat nemet d ’ar goueliou braz !... »

IV AR PERSON a)

M e u l o d i A R G W IN

« Klevet hoc’h euz, ma zud, prezeghen ar c’huré ?... « He-mañ a zo eur m al a oar kom z a zoare « D iw ar-benn ar « boed-lip », diw ar-benn ar gw in m ad... « Braoa teod, ha n ’eo g w ir, begheta avokad !... <l Mes, re a lo rc ’h a ra d ’am c’hao, ma broïz ker,

c Pa la r eo g w e ll gant’han gw in dinerz ha dister « Person paour Koataskorn evit g w in mad Pariz !... « N ’eo ket gaou, koulskoude, é brezeghen iskiz


AR

111

PERSON

« Penn-da-benn ! Chilaouit !... Hen nac’h e vé tra fall, a P lijo u t kaër a ra d ’iñ c’houez ha blaz gw in Bro-C’hall,

« Mes, ma zud keiz, ma ia lc’h a zo kals re zister, « Ha w a r ma zaol, siouaz, ne vé ket a w in ker !... € Ac’hendall, gw ell a ze !... E-touez an everien

« Ne venn ket pell, mechañs, o k o ll krenn ma neudenn ! « A r gw in mad, koulskoude, a ro nerz d’ar c’hlaüvour « Kerkouls ha d’an den iac’li, a ro kalon d’ar paour, « A ziko u r an den koz gand an oad daoubleghet cc Da stourm ouz e zrougou beté m oñt d’ar vered !... <l O gw in, toueller iskiz, gand eun den dilavar « Te a ra, pa b lij d’id, eur pabor helavar « Te a vag, er galon, tan zakr ar Garañté !... Bevet ar gw in eta, pa zeu a beurz Doué !!!... « Dre glevet ar c’huré, ma gw in, Koataskorniz, « A ra an traou kaër-ze, ha traou a il ken iskiz ! c <Ac’haüta, bremaïk, d’e-hoc’h a vo kinnighet « E ur voutalad gw in koz em c’hao, pell-zo, kuzet... « Salo ma p lijo d’e-hoc’h gw in Koataskorn, paotred, « Ha ma vo, er bed h o ll, dre-z-hoc’h anavéet !...

bj A r

P e rs o n

ha

p a o tr -ta o l an

T i-D ib r i

Da strakal o daouarn an h o ll a oa w a r nez Ha da grial « Brao,brao ! » d’ar person, enn eur vouez... Mes he-mañ d’ar paotr-taol : « Ma mignoned ha me n E fell d’eomp eur seurt gw in, dianaf marteze


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G W IN PERSON KOATASCORN

« Enn ho ti, eur seurt g w in a b lij d’eomp dre é vlaz, « Dre é c’houez hag é lio u !... N ’hen kaver ket, siouaz, « Enn h o ll dier-dibri, war-bouez en paea ke r !... « Ha, koulskoude, hen-nez, e fe ll d ’eomp, ma fa o tr k e r... « Enn ho kao, l i r i t d ’iñ , kuzet e ko rn pe gorn, « Ha kavout a rafec’h g w in brudet K oataskorn?... » — « G w in ar « C’hap-H orn », A otro ? E u r g w in euz an [dibab !!! » — « N ’eo ket gw in ar « C’hap-H orn » am euz laret, ma mab ! « N ’eo ket g w in Beaujensi, Saumur, na g w in Gascogn, « N ’eo ket g w in an Naoned, ha n ’eo ket gw in Bourgogn « Hon euz c’hoant da dañva ! Ro d ’eomp g w in Koataskorn a Hen-nez eo a fe ll d’e o m p !... » — «la, ia ,g w in a rC ’hap[H orn, « E u r g w in brudet d re -h o ll !... » — « Ro peoc’h d ’ifl, [ghenaouek, « E iez Breiz e komzez !... Komz eta e Gallek !!! « A r gw in a c’houlennom p ez eo gw in Koataskorn /// » — « S k riv it d’iñ an hano, m ar p lij, w a r balv ma d o rn !... « Gand iskiz eo d’am skouarn an hano, Aotrone, « Ec’h hallfenn, kaër am bé, en ankouât, marteze !... « Kap ar C’horn ! Koataskorn ! ! ! Koulskoude an ti-m añ « A zo eun t i brudet e-touez ar brudetan, « Eun ti e pe hini an everien douet « A zeu da dañva gw in a bevar c’horn ar bed !... » Hag hen, raktal, da voñt da gaout ar penn-tiek... Ne oa ket eat p e ll c’hoaz : « Na pebez ghenaouek, « Emé an h o ll, evit eur paotr Parizian !... » « — Ober eun hañter-fars? Netra !!! Paotred, hon c’hoan


AR

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PERSON

« Mar am lis tr mestr a-grenn d’ober liervez ma c’hoaüt, « En ho spercjou h o ll a lezo soñjou drañt... « Mes, arabed c’hoarzin !... Am gortoz a vo red !... « Tud Breiz, pe tud Pariz, a dlé beañ paket a Tan ha moghed gant’he, keñt ku itâ t ann daol-m añ !!! « C’hoaüt oc’h euz e vem p-ni ar re c’henaouekan ?... j> — a A r fo e ltr biken, Aotro, emé Goataskorniz !... »

— « Ma lis t eta d’ober peb tra liervez ma gliiz !... »

cj E u r

c ’h a v a l a d

(e G a l l e k

p a o tr-ta o l ha

<l C o m p l o t » )

P E N N -T IE K

Lezomp eur pennadik ar person, ar c’hure Ha paotred Koataskorn da ziviz etre-z-he Diwar-benn an amzer, an eost, an avalou, A r foenn ha kement-tra, en ho ziegheziou, E-pad ar blavez-krenn, a douellé o spered, Diwar-benn o c’hezek, o zaout hag o deñved... A r person, ar c’hure, o veva enn o zouez, A anave peb tra hag a gave, liez, An dro da rei d’heze kuzuliou talvouduz, Hag ar c’huzuliou-ze, paour ha p iñ v ik , doujuz, A rae o mad gant’he !... A r paotr-taol, o redek, A oa eat da gavout é vestr, ar penn-tiek, Evel am euz laret, hast gant’han da brezek... Ghilaouit, ma zud keiz, komziou ar Ghenaouek » !...


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G W IN PERSON KOATASCORN

Mes na c’h o arzit ket ré ac’hann ma v iñ er penn, Rak aouñ na zeufé da lu ia e gudenn !... « Kelo braz, eme-z-hañ, A otro ar Penn-Tiek !... « A-uz d ’eomp, er zal c’hlaz, pemp pe c’houec’h babouzek « A zo o te rri d ’iñ ma fenn abouê eun heur « W ar-bouez goulenn eur g w in n ’anaver ket nem eur... « G w in Koataskorn !... » « — Petra ?... » « G w in Koataskorn, A otro !!! « Z e llit ! Gand aouñ am boa d ’ankouat eur seurt hano, « Me am euz en skrive t, amañ, w a r balv ma dorn !... « Lennit-han, me ho ped !... » « — G w ir eo ! gw in Koataskorn ! ! ! ! « Na gleviz, fo e ltr biskoaz, m ’en tou, an hano-ze... « Ha petra ac’h euz-te respountet d ’an dud-sé ?... » « — Petra?... Ma feiz, A otro, e kaffcheüt enn ho ti « A r gwin-ze, a réont kemend é veulodi !... « Amañ, am euz laret, g w in h o ll b ro io u ar bed « A ve kavet dalc’h-m ad, d re is t-h o ll pa veñt brudet !... « G w in Koataskorn a zo e-touez ar re w ellan, « Hag aliez am euz klevet kom z anez’han !... « — A r fo e ltr gan-id, Iann-Zot ! ! ! Peleac’h e kaviñ-m e « G w in K a p-H orn ?... » « Koataskorn, A otro ! S oüjit enn ze ! (( Koataskorn », nann « Kap-H orn » !!! En kavout?... Tra [aezet ! « Enn ho kao g w in a zo (me am euz o gwelet !) « Eunn nebeud boutalou ugheñt via, pe ouspenn, « Gand gw iad kefnid tco hag eur meudad poultren


AR PERSON

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<* Goloet a bell zo... A r gw in a zo enn-he « A zo ken koz ha me ha kosoc’h marteze !... « W ar h in i anez’he, dre eur chañs, nep s k rite ll !!! « Eun tam m ik paper koañt, ha me na viñ ket pell, « Am bo great skritellou alaouret ha bleuniet « Ha w a r diou voutalad am bezo o staghet !... « E-kreiz ar skritellou, « Koataskorn », ar gher red, « E lizerennou aour gan-eñ a vo skrivet !... « C’houi a welo, Aotro, peghen skañv eo ma dorn, (( Ha panaoz a v o u lliñ ar gher zakr « Koataskorn ! » « Tud ar zal c’hlaz, mechañs, gand o c’homziou iskiz, « O doa c’hoant da werza skiañt da dud Pariz... « Divezad iü t zavet, ha, m ar p lij d’e-hoc’h, emberr, « Friou ar ganfarded a vo h irr... j> — « Ma faotr ker, « Gra evel ma ka ri ! Ma teu an taol da vad, « Az pezo gwerz butun !... » — Ha ma zud, er zal c’hlaz, na w e lo iñ t netra !... » — « A gredez?... y>

« An ta

— « Nann, netra ! Me o c’hle « Gand stad a zo enn-é o veza, e Pariz, « Kavet « gwin Koataskorn », eur seurt gw in ken iskiz : « Ha, mechañs, enn o bro pa voïnt distroet, <l Brud-vad ho ti gant’he dre-holl a vo kaset... « Mes, evit se, Aotro, teurvezit hoc’h-unan « Dont d’an neac’h, p’ho kalviñ, ha w ar-dro divez koan, « D’ar zal c’hlaz !... A r voûtai w a r eur plad arc’hantet « A dlé d’ar ganfarded gan-e-oc’h bout kinnighet...


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G W IN PERSON KOATASCORN

« G w is k it ho chupenn gaër hag ho kouzoughenn wenn ! « Red eo c’hoarzin eun tam m gand ar seurt abadenn !... » « — Me a raï, w a r ma feiz, ar pez a lavarez !... « Kea ! Dalc’h peb tra enn urz ! D re ist-h o ll, choum w a r [evez !... » Na braoa kavalad, ha n ’eo g w ir, ma Broïz ?... E m berr, me gred, a vo dû drem m K oataskorniz... « A r skiant prenet ke r eo an h in i gw ellañ !... * Ha, koulskoude, w a r-v a r emouñ bete vrem añ !... Paotred Breiz, evit-é da gaout pennou kaled, A gav c’hoaz d io to c’h evit-é w a r ar bed... « Lezomp an traou da gas », ha distroom p d ’ar zal... « E u r ribotadenn leaz, w a r diou, ec’h aï d a fa ll », (1) H in i ar penn-tiek pe h in i ar Person ?... « Gand piou ec’h aï ar maout ? » Doan am euz em c’ha[lon !!! Pa zistroïz d ’ar zal, w a r zeuliou « paotr an daol » E kle viz eur vouez ru s t o la re t enn eun taol : u Peoc’h d ’in , Koataskorniz ! Ma lis t eur pennadik « Da gana d ’hon gw in mad eun tam m kanouennik ! » (Ann holl a choum dilavar.)

(1) T r i c’her koz, anavéet m ad e-touez ar Vrezonekerien.


KANOUENN IA N N

V II KANOUENN IANN D ISKAN

Hollaïka !!! Zonerien, Barzed, War-nez d’an Treo ha d’an E lorn, Ivanit, noz-deiz, hep skuiza kammed, Meulodi gw in flo u r Koataskorn !... 1 A r gwin-ze, siouaz, re zisprizet, A greskché gloar hon Breiz-Izel, Ma vijé gw elloc’h anavéet... Kasomp é vru d d’ar broiou pell !... 2

P’am be gant’han karghet ma gwerenn Pa lu c ’h dira-z-ouñ é liv aour, Rak-tal, chetu me p iü v ik , laouen, Ha pa venn eñkrezet ha paour... 3 Enn é gheñver, m ’hel la r, na divlaz A kavañ-me gw in ar Gascogn !... Na dinerz ive, d’arn grad, siouaz, p w in kreac’hiou brudet ar Bourgogn !


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G W IN PERSON KOATASCORN

4 Ha kaër e ve m euli dira-z-ouñ Saumur, Beaujensi ha Naoned, F o e ltr fors na rañ !... G rit-h o ll evel-d’-ouñ, An treac’h d ’ar « C’hoataskorn » bepred !!! 5 Hen-nez eo g w in ar g w ir everien, E Breiz kerkouls hag e Bro-G’h a ll !!! W ar é le rc ’h, nemet al louñkerien A ra faë euz an h o ll g w in a il !!! »

M

are

ar

m e n n o z io u

A r C’hure.

N ’az poa ket laret d ’iü , Job, e wiez kana !... Peleac’li ac’li euz diskct ar ganaouenn gaër-ma ?... Red e vo d ’id, ma faotr, hé skriva w a r baper, Ma c’h a llifl he d iski araog d is tre i d ’ar gher !!!... Bremaïk, enn hon gw er, gand evez diskarghet, A lu c ’ho ar gw in mad a zo d ’eomp prom etet, A r gw in-ze, talvouduz e Breiz hag e Bro-G’h all, Ken, g w e llo c’h evit-han, na gaver ket eun a il... A r gwin-ze gand doujañs a vo dighemeret Ha w a r hon fouez gan-eomp a vezo blasaet !... Chetu eun dra hep m ar !... Mes perag, mignoned, P’en en gavomp, eur wech, dre eur-vad, dastumet


KANAOUENN IANN

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Enn-dro d’an daol goant-mañ, perag, e g w ir Vreiziz, Na c’heuliefem p-ni ket eun tamm ghiziou Pariz ?... A r Person.

la ! Gand ma voïñt mad !... A r C'hure. Tamm aouñ e-bed, Aotrou !... Ghiziou Pariz a zo m ad-dispar a-wechou, D reist-holl pa veñt heñvel ouz re hon Tadou-Koz... Ac’hendall, chilaouit ! Red mad eo d’eomp gortoz Ma teuio w a r an daol ar t< C’hoataskorn » brudet, Ha, da c’hortoz, tremen an amzer a zo red A r gwella ma c’hellfom p !... Eun tam m ik diduel A ve, hervez ghiziou Bro-G’hall ha Breiz-Izel, Ma karje peb-unan displega é w estlou... Emomp, e gw irione, e kouls « ar mennoziou !... > Ma ! keñt en em gw itât, hep dale pell, fenoz, Ra vo gand peb unan displegliet he vennoz !... Chetu ma soñj !... A r Person.

Ha mad a kavañ ar soñj-se !... Ha c’houi, paotred ?... (Holl, enn eur vouez.)

Ha n i! N ’euz m ar e-bed w a r ze !!! A r C’hure.

Iann en deuz kanet d’eomp w a r eun ton déréad Ha gand mouez eun eostik meulodi ar gw in mad...


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G W IN PERSON KOATASCORN

D ’az tro brem añ, Jakez !... Te zo, am euz klevet, E u r c’haüfard helavar ha mad distaghellet, P’en em gavez a-du (1) !... L a r d ’eomp da vennoziou E Brezonek leal ha c’huek... e b e rr gomziou !... Jakçz.

C’hoaüt ho poa, marteze, d ’am lakat enn enkrez : Mes k o ll a r it ho poan, m ’hel la r d ’e-oc’h, ma zud keiz ! Ne vo ket me avad a raï ma frezeghen Mes eun a il gw iziekoc’h, eur g w ir Yreizad, eun den Hag ema é hano w a r an h o ll vuzellou B riz-E ok (2) ar Barz ko a üt... Chelaouit é gomziou !!!

a) B e v e t B r e i z !

« N i a zo c’hoaz m ibien gouenn goz ar Vretoned, <i Gouenn didreac’h, e v it-h i da glask ar peoc’h bepred,

« M ibien an dud blevek na harze den o ut’he « P’o dije lavaret : « C'hoaüt am euz d ’ann dra-ze ! » a Ouz an h o ll Judazed, enn hon c’halonou-ni * K erkouls hag enn o ré, e ve rv ar gasoni... <l Doue hon C’hentadou a zo c’hoaz hon Doue !

« Dira-z-Haü e stouomp da noz ha da veuré, « E bugale doujuz, dalc’h-m ad, hag anaoudek... « Gant ’Han eo e tiskom p beza tud kalonek ! (1) « P’en em gavez a du... » E Gallek « Quand tu es de bonne hum eur, bien luné ! (2) « B riz-E o k » (saumon blanc). E Gallek « Brizeux », le V irgile blond de notre Bretagne.


KANAOUENN IANN

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« Gwerziou ar goz Vreiziz a zo c’hoaz hon gw erziou... « Gand ar brasa preder e viro m p o lidou « Hag e komzomp o iez !... Nann ! kaër a zo laret, « N ’eo ket peur-deuzet c’hoaz gouenn g re iiva r Vretoned... « Breiz ! enn hon gwazied goad da vibien a red, « Douar ar minerez (1) hag a zerv goloet !... (2) » <l Chetu komziou Briz-Eok e Brezonek troet

« A r gwellan ma c’hellenn... D'ho krad iü t, emichans, « P’hoc’h euz o chilaouet gand kemend a zoujañs ! « E ur gherik c’hoaz !... Bevet hon bro gher Breiz-Izel ! « Ra choumo da viken skrivet w a r he banniell « Gher morgañt hon Tadou : « Keñt beza mastaret, « Gwell e ve d’in mervel !... (3) » (Ann lio ll, enn eur vouez).

Bevet hon Breiz karet !... A r Person.

Komziou Briz-Eok, Jakez, e kalon peb Bretoun Adal ma teu er bed, a dlé bout (4) m oullet douñ Mes, enn hon amzer-ni, siouaz, an traou gwella Gand darn a zo zellet evel an traou falla ! (1) « Douar ar minerez ». E Tregher e c’hanver « Mein minerez » ar vein a ve groet diou-t-he, e Gallek « Granit ». (2) Rimadennou Briz-Eok, laret gand Jakez e Brezonek, a zo skrivet e Gallek gand hon barz brudet, enn e levr « M ari ». (3) Kent beza mastaret; gwell e ve d’in m ervel ! « Gher ar Vretoned koz : M alo m o ri quant jœ dari ! » e Latin, hag e Gallek : « Plutôt la m ort que la souillure ! » (4) « Bout », gher kernevad, hag a dalv da lavaret, e Léon, Beza , hag e Tregher Bean (être).


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G W IN PERSON KOATASCORN

Chetu perag, ma zud, w a r Vreiz ha w a r Y ro-C ’h a ll A kouez kemend a reuz hag a zarvoudou fa ll !... « Peur e tig o ro c’hoaz an dud o daoulagad « Da lezel an heñt-treuz, da zoüt w a r an heñt mad ?... « Da zibab ar ghevier diouz ar g w irio n e z io u ?... (( Ha peur e paouezo da vad hon enkreziou ?... « Mes, d ’ober eur zarm on (1) n ’eman tam m ar mare ! « Ha red eo d ’eomp klevet m ennoziou ar c’h u re ... « K om zit eta d ’ho tro w a r-le rc ’h hon mignoned, u Ha liv ir it d ’eomp sklear arpez hoc’h euz gw estlet... » A r C’hure.

« Ma mennoz, ma zud keiz ?... Bemdeiz, em oferen, « M’hel la va r a galon ?... E u r gher, eur gher hebken « Mes eur gher heb é bar, ha chetu achuet « A r gaëra prezeghen gand eun den biskoaz groet !... bj

A r P e o c ’h ....... w a r a n n d o u a r !

« Enn huelder an Eñv d ’an H oll-G alloudek gloar, « Ha d ’an dud a ioul-vad ar Peoc’h w a r ann douar ! « Oh ! na kaëra mennoz !!! Gloar da Vestr ar V is tri ! « Peoc’h d ’é grouadurien doujuz, evel-d-om p-ni !!! « Peoc’h d ’ar bughel bihan, pa zigor é lagad !... <l D ’hezan laez eur vam m vad, pokou tener é dad !...

« Peoc’h d’an emzivaded ! Ra ka vo iñ t digor « E r c’hastell, enn ti-p lo u z, war-bouez skei w a r an o r, (1) « Zarm on ». E u r gher Brezonek didalvez... A r gher gallek « D is­ cours » a dalv da laret « Prezeghenn » e Brezonek.


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KANOUENN IA N N

« E ur skañv e-tal an tan d’ober eun dommaden, T o rte ll foenn da wélé ha skudellad souben !... « Peoc’h d’an den koz, d’an d a ll, d’ar paour keaz [mac’hagnet « A rañk, dre beb amzer, redek w a r le rc’h o boed !... <l Peoc’h d’ar glañvourien baour w a r o gwele a boan !... « D’ar re a dlé mervel, Peoc’h enn o zremeñvan !... « Peoc’h d’an den p iü v id ik gand é ia lc’hadou aour !... « Evit-sé, ra vezo mad e-keñver ar paour !... « Peoc’h ive d’an den paour ! Ra choumo heb erez ! (1) « An den p iñ v ik a ve reuzeudik, aliez ! ! ! « Peoc’h é peb tieghez !... Tad, mamm ha bugale, « Ra vo uñvaniez-vad, é peb kouls etre-z-he !... « Da dad, da vamm divlam , arvugale doujuz ! « Chetu ar gwella stum da veva evuruz ! ! ! « la ! d’an Holl-Galloudek, enn Eñv, enor ha gloar, « Ha d’eomp, é vugale, ar Peoc’h w a r ann douar !!! » (Azeza a ra.) A r Person.

Trugare vraz, Kuré !... A r pez hoc’h euz laret E komziou helavar, ni, ho k w ir vignoned, Hen skrivo douñ, m ’hel lar, e gweled hon c’halon !!! Evel-d-hoc’h e tlé komz eur g w ir velek Breton !... Ha bremaü, ma zud vad, ma lis t e b e rr gomziou Da laret dira-z-oc’h ma gwella mennoziou !...

(1) « Erez », e Gallek, « Envie, jalousie ».


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G W IN PERSON KOATASCORN

c) AN DIOU DREINDED D K

oué,

e n d ie u b

B r e iz

, K

ha

enhenvel

B r o - C ’h , K

a ll

.

envreudeur

!

« Doué, Breiz ha B ro-C ’h a ll !!! Ma zud keiz, peb Breton « E vid an Dreinded-se, e gwéled é galon, « A v ir eur garañtez b ir v id ik ha doujuz, « E u r garantez w irio n , dighem mesk ha paduz, « E u r garantez ken kre ñ v hag h in i eur mab mad, « E u r bughel anaoudek, e-keñver mamm ha tad !... « Chetu perag Breiziz, e pevar c’h o rn ar bed, « A zo bet, a zo c’hoaz e-touez an h o ll brudet !... « Evel hon G’heütadou, karom p an Dreiñded-se, « Ha bezomp, dre bep heñt, tud leal evel-t-he ! « Eno emaü, paotred, a r G w ir hag an E n o r ! « Daou c’h e r a ra trid a l kalonou tu d A rv o r !... « Doué, er penn kentañ ! W ar é le rc ’h, Breiz-Izel !... « Hou-nez eo hon « Mamm-Goz ! » D ’hezi, bete m ervel, « Hon c’harantez domma, hon gwella m ennoziou !... « Dalc’hom p mad d’hé « Iez aour », ha m irom p he ghiziou ! « Lezomp «r Furlukined » d ’ober « Furlukinach », « Ha karom p, ma zud keiz, leac’h hon bugaleach !... « Mar gw elom p, a-wechou, displeghet hon baniell « K rio m p h o ll a-bouez-penn : « D ’azpuez, B reiz-Izel !... .... « Doué, hon Breiz karet ha, d ’ann drédé, Bro-C’h a ll !... « L is t, ma m ignoned ker, lis t an h o ll deodou fa ll « Da la re t w a r bep ton, da skriva e peb iez, « Ez omp « B riz-F ransizien » ! la ! list-hë gand o niez...


KANAOUENN IANN

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« Gaouiaded, netra ken ! 1! Keñteliou an Istor, « A zo, dre c’hras Doue, dira-z-om p h o ll digor... « Hag an Isto r a la r e oe gand Breiz-Izel « Bro-C’hall tennet a boan, pa oa tost da vervel... « la, Breiz war-bouez skula he goad enn emgannou, « Ken pul hag an dour-red, w a r bouez paea talou, « A lakaz Bro-C’h all treac’h w a r hec’h enebourien... « Gras da Vreiz, marteze, mar d’omp c’hoaz Fransizien... « H irié c’hoaz, ha n’eo ket enn hon B reizik karet « E teu Bro-C’hall da glask he gwella zoudarded, « Hé gwella tud a vo r ?... Chetu ar w irio n e ! « Ha, gand lo rc ’h he larañ e kreiz Pariz, h irie !... « Doue, Breiz ha Bro-C’h all ! Bevet an Dreiñded-se, « An nerz hag an enor , ar g w ir a zo aze !!! <i E r bed, mignoned, c’hoaz ez euz eun Dreiñded ail,

(( Gand an h o ll brudet kaër e Breiz hag e Bro-C’hall... « Peur e vo gand ann h o ll doujet ann Dreiñded-se, <l Hag, evel m ’eo dléet, karet e gw irione?... « An tr i c’her helavar w a r ar vein kizellet, « E r c’halonou, siouaz, gw all stañk n’o c’haver ket !... « H oll, er bed-mañ, Dieub, Kenhenvel ha Breudeur, a Kaëra huñvre ! Ra vo sevenet keñt nemeur !!! c< Chetu, ma mignoned, mennoziou o person !!! « C’houi h o ll, da vihana, g rit ma vezo g w irio n « Ma huüvré dudiuz !... Keñt kuitât an daol-maü, « Touomp d’en em garout, e g w ir, d iw a r vremañ !... Touomp d’en em zifenn, da zifenn hon Gwiriou. « E peb maré, dre gomz ha dre hon oberou !...


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G W IN PERSON KOATASCORN

« Touom p d ’hon C’heüvroïz da brezek, hep paouez, « A l lezenn-ze enn-omp gand Tad ann h o ll Furnez « Ken douñ m erket, a-dal ma teujom p w a r ar bed !!! « Heulia al lezenn-ze eo m ont d ’ann Eüruzted ! ! ! « E u r wech c’hoaz, ma zud keiz : Doué, Breiz ha B ro -C ’hall, « Ha goude : « H o ll Dieub, Breudeur ha Keuatal » !... « Chetu, e c’houec’h gher b e rr, dre be stum ar c’hristen « A c’h e ll bevan eüruz !!! Gand hon amézéien « Lezomp ho Gwiriou h o ll, e vit m iro u t hon ré ... « Kouls evel-d-om p, ez iñ t bugale da Zoué, « Ha dre-zé, e tléom p o c’harout a galon !... » A n holl, enn eur vouez. <l G w ir a lir it , A otro ! Bevet pell hon ferson !!! » A r Person.

« Mes chetu an tie k !... Petra zo a neve ?... « G w all zouñn a toug é benn ! Chilaouom p é doaré ! » (Ann tie k, gw isket gant’han é gaëra d ila d , a zeu gorrek er zal, enn é raok « Paotr an daol » o toughen, w a r eur plad arc’haütet, eur voutalad w in , goloet krenn a w ia d kefnid hag a b o u ltr... « Paotr an daol » a zoug ar voutalad-se gand kemend a zoujañs evel ma laké ar Person da zoughen ar Zakram añt er prosesion, deiz e ouel !!! T ra vurzuduz ! W a r gof ar voûtai e lenner, e lizerennou aour, a r c’hom ziou dispar-m añ : « G w in dispar gw inniegou braz Koataskorn !... « G w in léal ha g w ir ar « Steredenn lostek !!! »)


KANAOUENN IANN

dj P r e z e g h e n

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T

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ie k

Laket gant’han, dousik ha gand preder, ar voûtai w ar an daol, an T iek a lavar ;

An Tiek .

« L o rc’h braz a zo enn-ouñ, pa c’hallaü, Aotrone, « Rei da dud evel-d-oc’h, tud fu r hag a zoare, « A r pez a c’houlennont, rei d ’heze o mennad... « P lijo u t d’am hostizien a zo d’in déréad !!! « Chetu amañ eta « Gwin douar Koataskorn ! ! ! » « War-bouez furchal Pariz, dre-holl, er pevar c’horn, « Nemet em zi, m ’hen tou, na gheffot ar gwin-mañ, « Ha chetu, siouaz d’in, ma boutai divezañ ! ! ! a Pell zo, em c’hao douña, me am boa he c’huzet « D’ober tañva, eun deiz, d’am gwella mignoned, « Rak ar gwin-mañ, m ’hel la r a vouez frañk, Aotroné, « Eo gw in an Noblañs vraz, Duked ha Rouane... « Koataskorn ! » N ’hen kaver met a-wechouigou (( W ar daol Impalaëred, Eskibien, er broïou « A r pella diouz Pariz !... Ma gw in, oc’h en tañva, « A zo d’ar gorzalen ar voulous ann dousa... « Pa gouez w a r ar galon, en deuz nerz eun tan-gwall, <l Hag, heñvel krenn out’han, mar be kavet eunn ail, c< Ac’hanta, w a r ma feiz, ha koustet pe gousto, « Raktal, dek boutalak, laouen, me a baeo !... « Gwin Koataskorn, gwechall, hervez am euz klevet, « A oa brudet dreist-holl e-touez ar Romaned, « Ha d’hezan enor braz a roé Lucullus, a Pa deurvezé triñ ka gand al louñker Bakus..,


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G W IN PERSON KOATASCORN

« Kaëroc’h c’hoaz ! Enn e le str, Noé goz, pa bignaz, <i Adré d’eur bern fagot, gand evez, el lakaz !...

« Goude ann diroll-dour (1) (eun dra d’an h o ll anat !) « Gant’han en em vezvaz wrar venez A ra ra t... « Kaëroc’h c’hoaz, A otroné ! Enn Eñv, pa ve banvez, a Zañt Per en ro d ’a r zeñt da vare ar meuz frouez (2) !

« Ac’hendall, me ho ped, pa vezo brem aïk « Diskarghet enn ho k w e r, ch o um it eur pennadik € Da glevet é c’houez vad ha da daüva e vla z... « N ’eo ket stañk w a r ar bed a r seurt gw in-m an, siouaz ! « P lije t gan-e-hoc’h eta, d istro e t enn ho pro, « D iskle ria é vru d -va d d ’o kereñt tro w a r dro !... « G w in douar Koataskorn, a zo g w in talvoudek « Hag em zi en gw erzer !... Ho mevel anaoudek !... »

e) R espont

a r

G ’h u r é

Pa davaz an hostiz : « Ma ! emé ar c’hure, a A otro, c’h o u i zo eun den helavar a zoare !...

« P’ho klevenn o v e u li g w in hon fa rre zik paour <î E kredenn klevet mouez ar zañt braz « Iann teod aour » (3)

« Trugare vraz eta e vit ho kom ziou mad, « E v it an dighem er aketuz, déréad, « Hoc’h euz groet enn ho t i da baotred Breiz-Izel !... « Pa v im p d istro d ’ar ghear, d ’an h o ll a vouez huel (1) « D iro ll-d o u r », e Gallek, « Déluge ». (2) « Mare a r meuz-frouez », e Gallek, « le m om ent des mets de fru its , le m om ent du dessert. » (3) « Iann-teod-aour », e Gallek, « Jean Chrysostome ».


KANAOUENN IANN

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« Ni a laro hon euz kavet e kear Pariz, « W ar ar Baliou braz, eun ti hag eun hostiz « Ha na ve, w a r bouez klask, d’heze kavet o far... » « Hag an h o ll : « G w ir a la r ar c’huré, g w ir a la r !... * — « Mar d’eo g w irm a c ’hom ziou,ho kwerenn enn h o to rn , « Da iec’hed an hostiz ! Bevet gwin Koataskorn !!! » An hostiz sebezet : « D’ho iec’hed, Aotrone !... « Gras d’eomp d’en em gavout, abenn bloaz, adarre !... » fj

A l a z ! p o o r I o r i k !!!

Hostiz ha Person.

Red eo beza léal, laret ar w irio n e ... A r gw in a oa nerzuz, tommuz, flo u r a-zoare ! Chetu perag, mechañs, an hostiz hen gwerzaz Ken ker d’hon c’henvroïz !... Ze a c’hoarvé, siouaz, Aliez, gand an dud a c’hoaüta, er c’haeriou, Tañva gw in a zibab ha d ib ri madigou... Mes petra e fe ll d’e-hoc’h ? ... Marc’hata ?... K o ll amzer! Red eo paea bepred, an dra-ze a zo sklear !... A r person a baeaz hep chuchual... Goude, O sevel diouz an daol : « Evel-d-ouñ, Aotrone, Hoc’h euz kavet mad-mad ar gwin hon euz evet, Ha gand hon penn-tiek Gwin Koataskorn hanvet... « Ker, gw all gher eo avad !... Ne vé ket mad bemdé « Da beorien evel-d-omp eva ar seurt gwin-ze... « Na badfé ket hon ia lc’h !... Mes chetu ma spered « Strafilet gand eun dra... L ir it d’eomp, ni ho ped ;


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G W IN PERSON KOATASCORN

(( G w ir mad ez eo ho k w in « Gwin Koataskorn touet », <l Ha groet gand d o u r rezin enn douar-ze kro u e t ?...

« E Pariz, a la re r, da « Iann an Trém éniad » « Liez e k in n ig h e r g w in flo u r ha déréad « B ourdell, Naoned, Bourgogn, Spagn, Ita li hanvet a Evit-he da veza er m a rc’had-gwin (1) aozet !... » A n hostiz d iw ar fae...

« Poan a r it d ’iü , A o tro !... E v it é lealded « A nn ti-m an a viskoaz d re -h o ll a oé b ru d e t... « Gand lo rc ’h hel lavarañ dira-z-hoc’h, Aotroné !... « An dud an huela, Priñsed ha Rouané, « Pa fe ll d ’heze tañva g w in iac’h ha déréad, « G w in léal ha g w irio n ha, d re is t-h o ll, g w in d ’o grad, « Amañ e tire d o n t !... Hag e fe ll d ’e-hoc’h, tud ker, « E ko llfe n n b ru d ma zi o la re t d ’e-hoc’h ghevier ?... « M a nerz em lealded ! Zevel a rañ ma dorn « Da doui am euz d ’e-hoc’h roet Gwin Koataskorn !... y> A r Person. a E ul lé fa ll ha divez, hostiz, eo hoc’h h in i, a Rak douar Koataskorn n ’eo ket douar g w in i !!!

« Ha pa véfé gan-e-hoc’h enn eur bern dastumet « An h o ll rezin bep ploaz enn douar-ze krouet « N ’ho péfé ket aw alc’h, ma ch ila o u it erfad, « E v it ober gant-he a w in dek boutalad !... » (1) « Marc’had gwin », e Gallek « Halle-aux-Vins ».


KANOUENN IA N N

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An hostiz, drouk braz cnn-han.

« Gand piou ar foeltr, Aotro, oc’h-hu bet keñteliet ?... « Bet oc’h, eur wech hebken, er Vro-ze, me ho ped ?... » A r person, o vousc’hoarzin,

« Dam-dost da Goataskorn ouñ ganet, ma mignon, « Hag er barrouzik-se, pell a zo, ouñ person... « Ouspenn, eun taol lagad w a r an dud-mañ, hostiz ! « A r re-mañ, penn ha troad, a zo Koataskorniz !... « A r beleg iaouañk-mañ, ken helavar d’ho krad, Ganet em farrouzik a zo kuré e Prat... « Prat a zo ar barrouz tostik-tost d’am h in i, € Hag enn-hi kennebeud na vev ket ar g w in i !... « Petra a dalv bragal, oker e zen gw iziek ?... « Petra a dalv, dreist-holl, fals-toui heb abek ?... « Ha, bremañ, g rit ho mad, m ar p lij, gand ma c’hefltcl ! « Koataskorn, hostiz ker, a zo e Breiz-Izel, « Kanton arRoc’h Derrien, e ilra n n -B ro (l)L a n n -H u o n !... « Kaëra douar gw ini, ha n’eo g w ir, ma mignon ?... a Ho lezel pell e poan e ve tra amzéré, « Ha tamallet e venn, varc’hoaz, gand ar c’huré !... « Tra spouñtuz da soñjal ! Gwin ma farrezik paour <l A ve groet, hostiz ker, gand avalou liv-aour, a Ha e Breiz h o ll, pe dost !!!... Koataskorn, a gredañ, « A zo disheñvel krenn diouz douar Kanaan !... (1) « Eil rann-bro », e Gallek, « Arrondissement »,


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G W IN PERSON KOATASCORN

« A r rezin, em b ro Breiz, siouaz, na zarev ket, « Hag an eost-gwin, enn-hi, gand bizier e ve groet !... <l Ma g w in n ie k, A otro, g w in n ie k penn-herez,

<i Em farrez ha w a r-d ro anavet (na tam m souez !) « A r fo e ltr biskoaz rezin na zougas, ma den mad, « A w a lc’h d’ober gant’han nao pe dek boutalad !... a N ’eo ket deuet, m ’oarvad, da gouls an D o u r-d iro ll (1) <i Gwin Koataskorn, hostiz, enn ho t i d ’en em goll !... <i Ha brem aü, kenavo !!! Na dlé ket tu d Pariz

« C’hoarzin goap, heb abek, euz ac’hanom p, Breiziz !... « N i a zo tud a beoc’h, mes hon deñt a zo lem m «. Da greghi, pa ve red !... M ar chilaouom p heb klem m <l D iotachou F ulu p , E rw an, Per hag Efflam ,

« Hon diskouarn d ig o r fra ñ k hag hon spered dinam « A zisk d ’eomp dre be stum eo mad en em d iw a ll !... « Kenavo d ’e-hoc’h, hostiz ! Bevet Breiz ha Bro-G’h a ll !!! » Ch.

Gw

ennou

Pariz, 26 a viz Kerdu 1903.

(1) « D o u r-d iro ll », e Gallek, « Déluge ».

(barz Tal-HouarnJ.


LES GRANDS VINS de F

ance et de l ' E t r ange r ou

GRAMMAIRE VINICOLE DU CONSOMMATEUR PA R

R E N É

M ID Y

O fficier de l 'Instruction

Publique

Membre de la Société des A griculteurs de France

I l vaut mieux boire un seul verre de bon vin qu’un litre d’une teinture qui provoque l’ivresse et peut occasionner les maladies les plus graves. Docteur F o n s s a g r iv e s .



PRÉFACE <vwww\/

S’approvisionner de vins purs et d'origine authentique a été de tout temps une affaire délicate, parfois même dangereuse. C’est, en effet, de confiance, uniquement sur des promesses, que s’achètent les v in s , et l ’acheteur n’a d’autre garantie que la loyauté du fournisseur dont la valeur réelle lu i est le plus souvent inconnue. Or, il faut bien l ’avouer, le vendeur ne ju stifie pas toujours la confiance de l ’acheteur. Cet état de choses durant depuis des siècles, il sem­ blerait que c’est un mal nécessaire, et que l ’on rencontre là, sous une nouvelle forme, la pierre philosophale, le mouvement perpétuel ou la quadrature du cercle. Le problème n’est cependant pas aussi foncièrement inso­ lu b le . Je d ira i même, — ce qui peut paraître un paradoxe, — que le consommateur, lu i aussi, a sa part grande de responsabilité, et j ’en donnerai la raison. Les fournisseurs, assurément, ne sont pas toujours irréprochables. S’i l en est beaucoup dont la probité scrupuleuse et la compétence supérieure sont notoires, il en existe d’autres, malheureusement, dont les qualités restent problématiques, sinon tout à fait négatives.


136

PRÉFACE

Ceux-là fo n t to rt aux autres et ju s tifie n t amplement toutes les appréhensions de l ’acheteur. Quant au consommateur, disons-le franchem ent, i l ne sait pas acheter. T ro p souvent, i l n'a q u ’une notion insuffisante des qualités propres des vins, ainsi que des p rix en ra p p o rt avec les crus authentiques. T rop sou­ vent, i l ne sait pas d istin g ue r le fournisseur sérieux du charlatan sans vergogne, ou donne la préférence à ce d ernier, parce qu’i l invoque des titre s sensationnels et prom et des avantages fantastiques qu i ne sont autre chose qu’un piège tendu à sa crédulité. C’est que, — i l faut bien s’en convaincre, — savoir acheter les vin s avec intelligence, constitue une science véritable, q u i exige im périeusem ent deux qualités essen­ tielles : 1° Du discernem ent personnel ; 2° Quelques connaissances au m oins élémentaires sur les vins. Le discernem ent, autrem ent d it le degré de confiance que l ’on d o it accorder au vendeur, à raison de ses titre s, est à la portée de chacun. E t pourtant, de ce chef, que de choses à d ire !... Quant aux connaissances spéciales, q u i ind iq u en t à l ’acheteui les qualités natives des vins et les prétentions q u ’i l peut émettre p o u r son argent, elles ne s’acquièrent, naturellem ent, que par la théorie ou la pratique, car, comme d it le poète : « P our savoir quelque chose, il faut l ’a v o ir appris ! »


137

PRÉFACE

Or, la pratique offre, en général, pour beaucoup, si peu d’éléments d’études, qu’il devient indispensable de la renforcer de la théorie. C’est pour permettre aux amateurs de bons vins de satisfaire à ces exigences que j ’ai entrepris la publica­ tion de ce liv re , fru it de longues années d’observations strictem ent consciencieuses. I l a pour but de fo u rn ir les éléments d’une éducation vinicole nécessaire à tout acheteur réellement soucieux de sa cave, de ses intérêts et de son bien-être. I l comble une lacune regrettable, car, à ma connaissance, i l n’existait, ju sq u ’ic i, aucun ouvrage à l ’usage p a rticu lie r du consommateur. Traité spécial, — à la fois pratique, scientifique et hum oristique ; — enrichi de poésies d’actualité dues à nos plus spirituels gourmets ; parsemé d’anecdotes curieuses ou piquantes destinées à en rendre la lecture attrayante et instructive, il ne peut manquer, j ’en suis convaincu, d’être accueilli avec intérêt et satisfaction.

René

M

id y

.


r

*

LES VINS D’HORACE ET DE MECENE F a le r ne, Cécube, M a ssique

Sais-tu po urqu o i, lecteur, sais-tu p o urqu o i, dans Rome, Mécène (1) o b tin t ja d is un brevet de grand homme, E t placé près d ’Auguste (2), au siècle des beaux vers, Partageait avec lu i l ’encens de l ’univers ; P ourquoi les beaux esprits, lu i consacrant leurs veilles, D ’un ryth m e adulateur chato u illaie n t ses oreilles, Célébraient ses talents, vantaient tous ses aïeux, E t le faisaient m onter au rang des dem i-dieux ? Sais-tu p o u rq u o i sou nom , éloge magnifique, A ux protecteurs des arts même a u jo u rd ’h u i s’applique? C’est que Mécène avait un fo rt bon cu isin ie r, Un c u is in ie r artiste, expert en son m étier. Des mets les plus fria n ts sa table était fournie ; Horace bien repu s’é cria it : Quel génie ! Ce que chez lu i surto u t i l tro u v a it de d iv in , C rois-m oi, ce n’était pas ses aïeux, mais son vin . (1) Mécène , am i, conseiller et p rin c ip a l m inistre d’Auguste. I l p ro ­ tégea les lettres, les sciences et les arts. (2) Auguste, neveu et fils a d o p tif de César. Changea son nom d’Octave» lorsqu’il se fit p roclam er em pereur. Régna de 29 av. J.-C. à 14 ap. J.-C.


LÈS VINS D ’HORACE ET DE MÉCÈNE

139

Sans cet heureux nectar qu’à grands flots il fit boire, Mécène aurait perdu tous ses droits à la gloire ; Des poètes à jeun, les Muses aux abois, Alors pour le chanter n’auraient plus eu de voix ; Plus de vers, plus d’encens ; à des tables nouvelles Horace eût récité ses odes im m ortelles !... Colnet

(L ’A r l de dîner en ville).



LES GRANDS VINS de F r a n c e et de l 'E t r a n g e r ----------------- ------------------------ --

L E V IN « L ’homme qui boit du vin est un homme gai, dont la bonne hum eur et l’énergie sont un bonheur pour les siens et une force pour la société. Le liquide malfaisant, la bête noire qui rôde au­ tour de notre monde, qui le ronge et le perd, c’est l ’alcool. » Charles M a y e t ( Les vins de France).

De toutes les boissons, la plus aimable, la plus bien­ faisante, la première, sans contredit, est le ju s fermenté du raisin, c’est le Vin. Le vin a de tout temps été célébré comme la liq u e u r de prem ier ordre. Les poètes, depuis Horace, et avant lu i, l ’appelaient divine, et chantaient sa gloire en cou­ ronnant leurs coupes de vers et de fleurs. Le vin est à la fois rafraîchissant, réparateur et vivifiant ; il développe les facultés du corps et exerce


142

LES GRANDS VINS

visiblem ent une influence majeure sur toutes les m ani­ festations de l ’intelligence, du courage, de l ’in itia tiv e et de l ’esprit. A C TIO N

P H Y S IQ U E

Par son alcool, i l active toutes les fonctions de l ’orga­ nisme et entretient la chaleur animale du corps. I l p ro d u it, par cela même, une d isp a ritio n ou une d im i­ n u tio n notable de la fatigue. Par son tanin, par ses sels de chaux, de potasse, de soude ; par ses phosphates et par la silicate q u ’i l contient, i l concourt puissamm ent au renouvellem ent des substances salines de nos tissus. E nfin, ses matières azotées et son eau servent à réparer les déperditions aqueuses que fa it sans cesse notre corps. a c t io n

m orale

Le bon v in ré jo u it le cœ ur de l ’homme, d it l ’E criture. I l accroît, en effet, rapidem ent l ’énergie vitale, double l ’activité, ba nn it la crainte et les soucis. I l est la force de l ’entendement, la jo ie du cœur et la santé du corps.

A C TIO N

SO CIALE

« Le v in jouera to ujou rs un rôle prépondérant dans la vie des peuples civilisés, et sera toujours un tra it d ’union entre gens de bonne compagnie. Que d ’heures enchanteresses nous lu i devons. Sous sa magnétique influence, l ’âme s’ouvre aux sentiments généreux, l ’es­


LES TROIS COULEURS DES VINS

143

p rit devient plus subtil, la parole plus éloquente. I l a le don de développer les délicatesses du goût et de spiritualiser les plaisirs de la table. » A. Réal (Les Grands Vins.1

LES TROIS COULEURS DES VINS Vin blanc. — « Plus léger que le vin rouge, i l contient

moins d’alcool, et cependant porte plus vite à la tête. On s’est rendu plus ou moins compte de ce phénomène en supposant que le tanin contenu dans le vin rouge m odifiait l ’action de l ’alcool, tandis que le vin blanc n’en contenant que des traces, cette m odification ne pouvait avoir lieu. « Le vin blanc est un excisant diffusible du système nerveux. Quoique plus léger que le vin rouge, il est moins facile à digérer. Son action sur le cerveau est rapide, mais passagère ; i l active d’une manière notable la sécrétion urinaire. » (Dr Debay.) Vin rouge. — Le vin rouge est cordial et stomachique. Les vins rouges sont les vins de grand goût, les vins français par excellence. Ce sont ceux qui, plus p a rti­ culièrement, réjouissent le cœur et le cerveau, dilatent l ’esprit, et, comme le disait Désaugiers, savent faire v o ir tout en rose. Réhabilitation du vin rouge. — Un congrès de méde­

cins réunis à Pauillac, en 1895, y a solennellement


144

LES GRANDS VINS

prononcé la ré h a b ilita tio n du v in rouge. Un médecin, le D r Rabère, s’est levé et a d it : « N otre conviction in tim e , absolue et scientifique, est que, — soit pour l ’hygiène, soit p o u r la thérapeutique, — rie n ne vaut la bouteille de Médoc... De to u t temps, la médecine s’est laissé ravager par des systèmes ; nous avons eu le système Broussais, nous avons m aintenant le système du régime au v in blanc. I l est temps de réagir ! » Vin bleu. — Les vins bleus sont les vins du pauvre,

les vins du tra v a ille u r et aussi de ceux qui préfèrent ne pas tra v a ille r. C’est le gros v in vigoureux et raclant, celui q u i convient aux gosiers populaires.

QUALITÉS D ’UN GRAND VIN Les qualités qu i font un grand v in : corps, moelleux, goût de fr u it et parfum spécial, tiennent au sol, au soussol, à l ’exposition parfaite du vignoble, au clim at ; mais il faut encore le choix et la com binaison des cépages pré­ cieux q u i form ent les grands crus de France. I l faut enfin et surtout, les soins savants et prolongés du m aître de chai, lesquels constituent l ’élevage des grands vins, a rt porté a u jo u rd ’h u i au plus haut degré de perfectionnem ent. Un v in laisse à désirer, même lo rs q u ’i l est so rti de la plus haute origine, s’i l manque de couleur, de corps, de sève et de bouquet; — s’i l est âcre, sec et sans goût de fru it.


DE LA PRÉÉMINENCE DES VINS

145

Il est parfait quand, arrivé à m aturité, il jo in t à une couleur vive et pleine, du corps, du moelleux, de la finesse, le goût de fru it et son parfum spécial.

DU ROLE DES VINS DANS L ’ALIMENTATION Pour être potable, le vin doit avoir au moins un an. « Les vins nouveaux sont pénibles à digérer et peu­ vent donner lieu à des diarrhées, à des excitations des voies digestives. Moins excitants que les nouveaux, les vins vieux sont plus toniques, plus agréables ; ils aug­ mentent les forces digestives et répandent dans tout le corps une douce chaleur. Plus un vin est vieux, moins il est fo rt et plus il est bienfaisant. » (D r Debay.) « Un v in relativem ent jeune est plus nourrissant qu’un vin très vieux ; mais ce dernier est de digestion plus prompte, plus facile, et p ro d u it plus rapidement ses effets bienfaisants. » (Dr Fonssagrives.)

DE LA PRÉÉMINENCE DES VINS Bordeaux et Bourgogne. — Qualités hygiéniques.

Le Bordeaux est toujours bienfaisant, jamais nuisible. Par ses proportions admirablement combinées d’alcool,


146

LES GRANDS VINS

de tanin et de fer, i l possède des vertus cordiales qu i le rendent p a rfa it p o u r des p o itrin e s délicates et les tempéraments nerveux. C'est le vin hygiénique et médical pa r excellence. Le Bourgogne convient m ieux aux

tempéraments

robustes ; c’est un v in autrem ent stim ulant et chaud que le Bordeaux. I l est plus tonique, plus astringent, plus généreux. Le Bordeaux est le v in des enfants, des convalescents et des v ie illa rd s ; le Bourgogne est celui de la jeunesse, de la force, de la gaîté. Le Bordeaux est un v in académique, et le Bourgogne un v in de gala !

DE L ’ART DE BOIRE LES VINS Stratégie d’un grand diner.

Savoir boire le v in n ’est donné q u ’à un gourmet exercé ; savoir le faire boire à ses convives, n ’appartient q u ’à un m aître de maison d ’un tact exquis et d ’un goût éclairé. I l s’agit ic i d ’un grand dîner. L ’œ il d o it être to u t d ’abord flatté par la mise en scène de la table. L ’éclat du linge blanc, de l ’argenterie et des cristaux, d o it être agréablement relevé par des fleurs habilem ent choisies comme com binaison d’harm onie et de ton,


DE L ’ART DE BOIRE LES VINS

14 7

Devant chaque convive, six ou sept verres doivent être rangés en bataille. Le grand verre ordinaire ; Le verre à madère ; Le verre à bordeaux ; Le verre à bourgogne ; Le verre à grands vins ; Le verre à vin du Rhin ; Le verre ou la coupe à Champagne. Ne pas m onter sans précaution les bouteilles de vin vieux, en les transportant de la cave à l ’office. Les vins rouges de Bourgogne seront bus à la température de la cave ; ceux de Bordeaux doivent être, au contraire, à la température de la salle à manger, pour que leur arôme se volatilise et que le bouquet se dégage ; mais, en aucun cas, il ne faut chauffer les vins. L ’ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées. Voici la marche des vins en usage général pour la stratégie d’un grand repas : Après le potage, le Madère ou Xérès sec. Avec les huîtres ou hors-d’œuvre, au choix, les m eilleurs vins blancs de Graves, Barsac, Sauternes, Chablis, Meursault ou Montrachet. Au prem ier service, les grands ordinaires et bourgeois du Médoc, pleins de moelleux et de corps, à la robe purpurine, au bouquet parfumé. Au rô ti, les vins corsés et capiteux de Saint-Em ilion ou de la Bourgogne, puis enfin les grands crus de Bordeaux, de Bourgogne et des côtes du Rhône.


148

LES GRANDS VINS

A ux entrem ets, les grands vins blancs de France et les vins du R hin. A la fin du repas, champagne frappé des m eilleures marques, les vins de liq u e u rs. Le m aître d ’hôtel chargé de verser les vins aura soin de prononcer distinctem ent le nom de chaque cru proposé au convive. I l sera bon de désigner l ’année, ce q u i n ’est p o in t une vaine form alité. L ’âge, appliqué à un cru, en double ou trip le la valeur aux yeux de l ’adepte, et m iro ite puissam m ent à l ’im agination de celui qui, sans être un fin gourm et, sait les choses et connaît le u r valeur. Un dîner conduit de telle sorte, au p o in t de vue des vins, est un dîner de grand style et de p re m ie r ordre, et fera le plus grand honneur à la maîtresse de maison.

LES VINS DE LA GIRONDE Le v in de Bordeaux a une belle couleur pourprée, une grande finesse, un bouquet très suave ; i l a du corps sans excès, une sève prononcée qui, en embau­ m ant la bouche, la laisse franche de toute odeur vineuse. I l fo rtifie l ’estomac sans p o rte r à la tête et n ’incommode pas, même à haute dose. Il

ne redoute n i les variations de tem pérature ni les

longs voyages.


LES VINS DU MÉDOC

14 9

LES VIGNOBLES DE LA GIRONDE La Gironde comprend 5 catégories de vins : 1° 2° 3° 4°

Les Les Les Les

vins vins vins vins

da Médoc ; de Graves ; de Sauternes ; de Cotes (Saint-Em ilionnais, Bourgeais,

Fronsadais, Blayais et entre-deux-Mers) ; 5° Les vins de Palus.

LE S V IN S DU M É D O C (Classification officielle]

Les vins du Médoc (environ 50 communes) sont divisés en crus paysans, artisans, bourgeois et grands crus. Les grands crus sont divisés, à leur tour, en cinq classes : 1er, 2e, 3e, 4e et 5e crus. C’est à ces crus seu­ lement qu’est réservée la dénomination de vin classé. Les crus bourgeois, malgré leur m érite réel, ne sont pas appelés crus classés. Mais ce serait une profonde erreur de considérer comme dépourvus de qualités remarquables les vins non compris dans cette catégorie hors ligne. Les vigno­ bles non classés donnent d’excellents vins, quoique moins délicats et moins aristocratiques.


150

LES GRANDS VINS

Cette classification

officielle

des grands vins du

Médoc n ’exclut pas, d’a illeurs, le classement local par le commerce, des vins de S aint-E m ilion, de Graves, de Sauternes, du Fronsadais, du Bourgeais et du Blayais. Ce classement découle des p rix obtenus, p rix n aturelle­ m ent basés sur la qualité des produits. P our le consom m ateur, le classement rationnel est le suivant : 1° Les grands vins. — Ceux qui, par l ’ensemble de leurs qualités : finesse, sève, bouquet, ont une supé­ rio rité au-dessus de toute contestation. 2° Les vins fins et d!entremets. — Vins qui se d is tin ­ guent pa r la délicatesse de la sève, l ’agrément du bouquet, la netteté du goût et de la couleur, la perfec­ tio n de l ’ensemble portée à un degré plus ou moins grand. 3° Les grands ordinaires. — Ceux q u i ne proviennent pas de crus renommés p o u r le u r finesse, mais qu i ont de la légèreté, de la force, un bouquet prononcé, et auxquels l ’âge fa it développer toutes les qualités qui le u r sont propres, de manière à les rapprocher sensi­ blem ent des vins fins. 4° Les ordinaires bourgeois. — Vins légers, agréables et hygiéniques par excellence. L o rsq u ’ils ont été bien soignés, ils peuvent se conserver 8 et 10 ans. 5° Les vins communs. — Ce sont des vins lourds, grossiers, plus ou m oins

indigestes et insalubres,

parce qu’ils sont presque invariablem ent m aquillés, plâtrés et alcoolisés.


PR IX APPROXIMATIFS

151

Les grands crus classés sont au nombre de : Les crus bourgeois supérieurs —

62 150

Les crus artisans et paysans (très nombreux). Les crus suprs des Graves rouges au nombre de : Les 1ers et 2lScrus deS ^E m ilionetP om erol — Les 1ers crus de Sauternes —

70 75 10

Les 2es

40

PRIX APPROXIMATIFS

Les ordinaires bourgeois se vendent : 135 à 200* Les grands ordinaires Les vins fins

— —

200 à 300 300 à 500

Les grands vins

500 à 3000

Ainsi, pour ces derniers (vins classés) , Les 5es crus valent, en moyenne, de Les 4es — —

5 à 600f 6 à 800

Les 3es 800 à 1000 Les 2es 1000 à 1200 Les 1ers grands crus — 1200 à 3000 La barrique, prise en gare de Bordeaux.


152

LES GRANDS VINS

APPRÉCIATIONS P R E M IE R S

GRANDS

CRUS

C h â te a u -M a rg a u x . — Ses v in s ,

dans les années

réussies, sont les prem iers vins rouges du monde. Extrêm e finesse, bouquet suave. Château-Lafite. — V ins pleins de sève, de bouquet,

de finesse et de d istin c tio n . Château-Latour. — Ses vins m archent de p a ir avec

les deux précédents. Les Allem ands et les Anglais ont p o u r eux une p ré d ile ctio n p a rticu liè re . C hâteau-H aut-B rion-Larrieu. — Couleur vive et b r il­

lante, grande finesse, beaucoup de sève, longue durée. Se vendent avec une p rim e sur le p rix accordé aux tro is prem iers grands crus du Médoc. D E U X IÈ M E S GRANDS CRUS

Mouton-Rothschild. — Richesse de sève, grande finesse,

longue tenue. Léoville. — V in m erveilleux sous le ra p p o rt de la

finesse, du goût, de la richesse de sa sève et de son bouquet si abondant. Gruaud-Larose. — Ses vins ont une très grande répu­

tation due à le u r élégance et à le u r grande finesse. Ce cru a obtenu des médailles de 1er ordre dans toutes les expositions où i l a figuré.


APPRÉCIATIONS

153

Brane-Cantenac. — Vins généreux, élégants, bouquetés,

moelleux. Pichon-Longueville. — Ses vins, après Lafite, Latour

et Mouton, sont les plus distingués de Pauillac. Ducru-Beaucaillou. — Des plus recherchés du Médoc. Nombreuses médailles d’or. Cos-d’Estournel. — Léger, extrêmement fin, bouqueté, moelleux, aromatisé. Montrose. — A les mêmes qualités que le Cos-d’Es­ tournel. TRO ISIÈM ES GRANDS CRUS

Châteaux Kirivan, d’Issan, Brown-Cantenac. — Bouquet

abondant, élégance, finesse. Nerveux et moelleux ; réu­ nissent la finesse des Margaux au charme des Saint-Julien. Lagrange et Langoa. — Savoureux, pleins, très par­ fumés. Palmer, Desmirail. — Grande finesse, couleur pleine

d’éclat, bouquet délicieux. Calon-Ségur. — Extrêmement fin, moelleux, distingué. Q UATRIÈM ES GRANDS CRUS

Saint-Pierre , Duluc,

Talbot-d’A u x , Beychevelle.

Richesse de sève rare, beaucoup de souplesse, délicieux parfum, grande fermeté. Duhart-Milon. — Voisin de Château-Lafite ; vin très remarquable. Latour-Carnet. — Bouquet prononcé, longue tenue.


154

LES GRANDS VINS

C IN Q U IE M E S GRANDS CRUS

Pontet-Canet. — Des plus fameux ; obtient une prim e

sur les p rix accordés aux autres crus de sa classe. Grand-Puy, L ynch , Mouton-d’Armailhacq, Le Tertre , etc. — Fins, bouquetés, m oelleux et pleins de sève. Ce

sont des vin s supérieurs, absolum ent parfaits dans les bonnes années.

l ies COMMUNES DU MÉDOC A P P R É C IA T IO N S

Pauillac. — V in corsé, m oelleux, plein de sève, de

finesse et de d istin ctio n . M argaux. — Belle couleur, extrême finesse, bouquet

suave ; savoureux et velouté, généreux sans être capiteux, le Margaux, dans les années réussies, est sans contredit le prem ier v in du monde. Saint-Julien.

— F o rt belle couleur, du corps, un

parfum délicieux, une grande richese de sève et un bouquet p a rtic u lie r très abondant. Saint-Estèphe. — F o rt aromatisé, très bouqueté, léger,

fin , m oelleux. Cantenac. — P articulièrem ent élégant, parfum é, séveux

et fin . Longue tenue. Touche le Château-Margaux.


GRAVES ROUGES

15 5

Labarde, Listrac. — Bouquet, sève et finesse rem ar­

quables. Ludon. — Corsé, coloré, moelleux, sève particulière

le distinguant des autres Médocs. Apprécié en Hollande. Parempuyre. — Sève très agréable, bon dévelop­ pement. Macau. — Couleur, plénitude, moelleux ; recherché

en Hollande et en Angleterre. Arsac. — Vin analogue à ceux de Margaux et de Cantenac. Sciint-Laurent, Saint-Sauveur. — Vins très fins, bouquet prononcé, longue tenue. Lamarque, Soussans, Moulis. — Moelleux, corsés, très

bouquetés, recherchés pour le Nord. Les autres principales communes sont : Cussac, Avensan,

Vertheuil, Saint-Seurin de Cadourne, Saint-

Christoly donnant des vins remarquables comme finesse

et bouquet.

GRAVES ROUGES Corsés, colorés, très fins ; sève prononcée et agréable, longue tenue. l res communes. — Pessac, Talence, Mérignac, Léognan et Villenave-d’Ornon. Château-Haut-Brion-Larrieu (1er grand cru, Pessac). —

Couleur vive et brillante, grande finesse, beaucoup de


156

LES GRANDS VIN S

sève. Plus corsé et de plus longue durée que les Châteaux L a to u r, Lafite et Margaux. 1ers crus de la région : La M ission, Pape-Clément, H a u t-B rio n -L a rrive t, Carbonnieux, etc.

GRAVES BLANCS Vins agréables, fins, parfum és, plus ou m oins liq u o ­ reux, alcooliques et distingués, mais ayant tous beau­ coup de charme. l res Communes

:

Cérons,

Podensac,

Toulenne,

Langon, P ujols, La Brède, M artillac, Langoiran.

PAYS DE SAUTERNES 5

communes : Bommes, Barsac, Fargues, Preignac

et Sauternes. « Marquez ce coin de terre d’une pierre blanche : i l est unique au monde. Le C iron coule au pied d ’une ligne de collines, s’ofFrant comme des épou­ sées au soleil du m id i. De cette union de la terre et du ciel est né le vin d’Yquem, le ro i des vins m erveilleux, dont on d it q u’ils sont du soleil en bouteille. Ils ont, en effet, une lim p id ité de pierres précieuses, une coloration


VINS DE COTES DE LA GIRONDE

157

chaude, une robe d’une richesse et d’une distinction rares, toute d’or, avec une broderie de perles fines. « Sève unique, parfum p a rticu lie r, couleur et lim p id ité merveilleuse, onctuosité et velouté, telles sont les qua­ lités qui font du vin de Sauternes plus que du vin : une liqueur, une essence, un nectar qu’on ne peut comparer à ’rien, sinon à d’autre vin de Sauternes. C’est l ’idéal du v in blanc, ou, comme l ’a d it un poète : « L ’extra­ vagance du parfait. » (Ed. Féret, Bordeaux et ses Vins). Les principaux crus sont, après Yquem, La T ourBlanche, Coutet, Suduirant, Climens, etc. La Gironde p ro d u it encore d’excellents vins blancs : 1° Sur les coteaux faisant face à ceux de Sauternes, à Sainte-Croix-du-Mont, Loupiac, Tabanac, qui donnent un vin gras, liquoreux et fin, ayant un bouquet tout p a rticu lie r très agréable ; 2° dans les Graves, ainsi que nous l ’avons noté ; 3° dans l ’Entre-deux-Mers (Langoiran, Rions, Cadillac) ; 4° dans le canton de SainteFoy-la-Grande.

VINS DE COTES DE LA GIRONDE 1° Saint-Emilion. — Le prem ier des vins de côtes. A

du corps, une belle couleur, une sève agréable, de la générosité et un bouquet p articulier. La caractéristique est un cachet d ’amertume qui flatte le palais,


158

LES GRANDS VINS

Les S aint-E m ilion se vendent : 3es crus de 200 à 300f 2es —

de 300 à 450

1ers —

de 500 à 800

2° Pom merol. — Fins, m oelleux, corsés, bouquetés. Plus coulants, plus vite buvables que le S aint-E m ilion. 3° Fronsac (Côtes et Palus). — Fermes, corsés, sou­ ples et fins. V ie illisse n t vite, to u t en conservant le u r chair et le u r fru it. P rix : de 160 à 600 fr.

4° Bourg. — Fins, corsés, colorés, se rapprochant des S aint-E m ilion et des Bourgognes. Se conservent 30 à 40 ans. 5° Blaye. — F ru it, m aturité, souplesse et m oelleux. Vite buvables et se conservent néanmoins longtemps. Contiennent du ta nin et du fer, ce qu i les rend très hygiéniques. Absence complète de goût de te rro ir. 6° Entre-deux-M ers.

— Partie

com prise

entre

la

Garonne et la Dordogne. Vins rouges très estimés qui peuvent riv a lis e r avec ceux de nos m eilleures côtes. Les vins blancs sont encore plus estimés que les vins rouges. 6° S a in te -F o y -la -G ra n d e .

— Vins

rouges corsés,

colorés, d ro its de goût ; vins blancs ayant du moelleux, de la douceur, de la finesse. 8° Palus. — Très colorés ; plus ou m oins fins, longs à se faire.


CLASSIFICATION DES VINS DE BOURGOGNE

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LES VINS DE BOURGOGNE

Exquise finesse dans le bouquet, saveur profonde, à la fois chaude et délicate, qui laisse après elle une haleine pure et embaumée ; — couleur verm eille, lim ­ pidité parfaite, action directe et bienfaisante sur les organes de la digestion ; — point, ou presque point d’action sur le cerveau : voilà le v ra i v in de Bourgogne. Il donne la force du corps, la chaleur du cœur, la viva­ cité de l ’esprit au plus haut degré.

CLASSIFICATION DES VINS DE BOURGOGNE On distingue : 1° Le vin Tête de cuvée. — Supériorité incontestée : b rillan te couleur, bouquet très développé, arôme spé­ cial, très grande vinosité. 2° Première cuvée. — Mêmes qualités un peu moins prononcées. 3° Deuxième cuvée. — Moins de finesse, plus de cou­ leur ; ce sont encore de très grands vins. 4° Troisième cuvée. — Vins de belle couleur, ayant du corps, de la vinosité, une certaine finesse ; vins de garde par excellence.


160

LES GRANDS VIN S

5° Quatrième cuvée. — Grands ordinaires, m oins alcoo­ liques et m oins fins, mais corsés, colorés, francs, très rem arquables.

APPRÉCIATIONS d ’a p r è s

les

D

octeurs

M

orelot

et

L

avalle

Romanée. — Corsé, m oelleux, extrêmement fin, bou­

quet élevé, ré u n it toutes les qualités. Chambertin. — Belle couleur, beaucoup de sève, de

m oelleux et de finesse, goût parfait, bouquet le plus suave. Richebourg. — Plus riche en couleur, mais un peu

m oins fin que le Romanée-Conti. « Baume des vie illa rd s, q u i re n d ra it la vie aux m ourants. » Musigny. — Corsé, suave, m erveilleux de finesse et

de d istin ctio n . Clos-Vougeol. — Très grand v in ; spiritueux, corsé,

savoureux, vigoureux ; possédant un bouquet exquis (églantier), p a rtic u lie r, unique. Cet illu s tre vignoble — 50 hectares — a été vendu en 1889 ; i l appartient a u jo u r­ d ’h u i à 15 propriétaires. Nuits. — Vins particulièrem ent vineux, corsés, riches

en couleur. Saint-Georges est l ’honneur de la commune. C’est un v in superbe, qu i ressemble au Cham bertin et va de p a ir avec le Corton.


APPRÉCIATIONS

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Corton. — Corsé, coloré, vigoureux, plein de tanin,

de bouquet et de sève. Long à se faire ; peut se conserver 40 ans. Beaune. — Ferme, franc, coloré, plein de feu et de

bouquet. « Les vins des Hospices de Beaune (100 à 125 pièces), vendus tous les ans en vente publique, quelques jo u rs après les vendanges, servaient autrefois de base aux transactions suivantes. Mais, aujourd’hui, ces vins sont achetés à titre de réclame et à des p rix tellem ent élevés qu’ils ne servent plus de base dans l ’acceptation exacte du mot. Néanmoins, c’est toujours à la suite de la vente des Hospices que les cours s’établissent : cette vente fixant l ’opinion sur la valeur commerciale de la récolte » (Ed. Féret). Pommard. — Vin « loyal, verm eil et marchand », frère de ceux de Chambolle et de Yolnay, avec plus de corps, de couleur et de durée. Volnay. — Le plus léger, le plus fin, le plus délicat et le plus agréable de la côte de Beaune. Puligny-Montrachet. — Le plus grand vin blanc du monde avec le Château-Yquem. M erveilleux comme finesse, saveur et distinction. Les vins rouges sont francs, fins et bouquetés. Meursault. — Les premiers vins blancs de Bourgogne

après ceux de Montrachet. Santenay, Chassagne, Morey. — Vins corsés, très

vineux, contiennent quantité de fer et de tanin. Acquiè­ rent en vieillissant un bouquet sui generis.


LES GRANDS VINS

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BASSE- BOURGOGNE (Y O N N E )

Vins généreux dans les 1ers crus, ayant une belle robe, beaucoup de corps, de finesse et de bouquet. Longs à se faire, mais se conservent 50 à 60 ans. La Côte SaintJacques fo u rn it un v in robuste, généreux et apéritif. Chablis. — Vins blancs légers, secs, vifs, b rilla n ts ,

sapides, p é tilla n ts et capiteux. Qualités hygiéniques et digestives. 1ers crus : Moutonne, les Clos, M illy.

VINS DU MAÇONNAIS Moulin-à-Vent, Romanèche, Thorins. — Remarquables

pa r le u r finesse, le u r sève et le u r bouquet. Dès 3 à 4 ans ils ont atteint le u r perfection. Ils sont alors couleur pelure d ’oignon. Les vin s blancs de Pouilly, Fuissè, Solutré sont capi­ teux, fins, bouquetés, presque incolores.

COTE DU CHALONNAIS Ses vins ressem blent à ceux de la Côte de Beaune, mais ils

sont plus secs. Les m eilleurs crus sont :

Mercurey, Givry, Rully. Les vins blancs de Chagny, Givry, Ruxy, etc., sont de grands ordinaires.


VINS DE LA DROME

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VINS DU BEAUJOLAIS Corsés, spiritueux, solides, frais, de très bon goût. Peuvent être bus de 2 à 6 ans. 1ers crus : Chénas, Fleurie, Saint-Léger , Morgon. Pas de vins blancs. Le Rhône p ro d uit les vins de Côte-Rôtie, bouquetés, délicats, très généreux. Condrieu fo u rn it les m eilleurs vins blancs du Lyonnais.

VINS DE LA DROME Hermitage. — Grand vins de luxe, commune de Tain,

arrondissement de Valence. Généreux au suprême degré, saveur puissante et veloutée ; couleur vive, éclatante, parfum des plus agréables. Les vrais vins rouges de l ’Hermitage, ayant de 5 à 10 ans, ne valent pas moins de 10 à 15 francs la bouteille. L ’Hermitage blanc a les mêmes qualités. CrozeSj Lamages, Mercurol, etc., donnent des vins

grands ordinaires et quelques vins fins. Saint-Péray (Ardèche). — V in blanc spiritueux, très

agréable. On le champagnise sous le nom de grand mousseux de Saint-Péray. Château-Neuf du Pape (Vaucluse). — Vins recherchés

pour leur vinosité et le b rilla n t de leur robe. Ils sont


164

LES GRANDS VINS

fins et délicats, quoique chauds, et pourvus d ’un bouquet spécial. 1ers crus ; Coteau-Brûlé, château de la Nerthe, de Condorcet, etc. Vins du Gard. — Vins de Tavel et Chusclan, peu

colorés, mais corsés, fins et agréables. Vins de la Touraine. — Les vins de B ourgueil, Saint-

A ve rtin , ont un parfum de fram boise s u b til et fin qui les rapproche un peu du Médoc. Rabelais les recommande dans ses œuvres à plusieurs reprises. Les vins blancs de V ouvray sont dorés, capiteux, au léger goût de pierre à fu s il, p é tilla n ts comme le cham ­ pagne, ou liq u o re u x comme le v in d ’Espagne le plus riche. Vins de Saumur.

— Ils sont fins, agréables, mais

su rto u t corsés, très capiteux, sont expédiés en grande partie comme vins mousseux en Angleterre et en A lle ­ magne. 1er cru : Coulée de Serrant. Les vin s rouges les m eilleurs viennent de Champigny. Corsés, colorés, d ’un goût agréable, ils v ie illis s e n t 5 ou 6 ans en bo uteille en s’am éliorant.

LE COGNAC Quel palais n ’a savouré avec délices l ’arome de cette liq u e u r délicate et généreuse, inconnue de l ’antiquité, et que le bon Horace a u ra it assurément appelée le « Nectar des dieux » ?


LE COGNAC

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Le Cognac ! le Cognac !... Or potable qui dort en futaille et qui semble Fait avec des rayons de l ’aube distillés... Le vra i cognac se distingue des autres eaux-de-vie par sa finesse, son bon goût, son arôme exquis, p a rticu lie r, unique, d’autant plus agréable et délicat qu’il provient d’un cru mieux classé. Les cognacs sont divisés en 5 catégories : 1° la Fine champagne ; 2° les Borderies ; 3° les Fins bois ; 4° les Bons bois ; 5° les Bois ordinaires, ou Saintonge, Surgères, la Rochelle. La Fine Champagne a une exquise finesse de sève, un séduisant bouquet de noisettes qui se développe plus encore sur les parois du verre que dans la mousse du liquide. Champagne signifie : plaine cultivée, par opposition à bois ou bocage, lieux autrefois plantés d’arbres. Le cognac des Borderies a du nerf, du ton, mais acquiert beaucoup de douceur en vieillissant. Les cognacs Bois ont un peu moins de finesse que les précédents, mais plus de corps, autant de sève et de bon goût. Les Surgères, Saintonge, Aigrefeuille, La Rochelle, etc., quoique moins fines, ont une sève vigoureuse et sont de très remarquable qualité. Le Gers, les Landes fabriquent les eaux-de-vie d’A rmagnac, dont quelques-unes le cèdent peu en finesse et en bon goût à celles de Cognac. Un bouquet et une


166

LES GRANDS VINS

saveur p a rticu liè re très agréable les caractérisent ; elles ont une grande neutralité. L ’H érault fo u rn it des eaux-de-vie plus communes vendues sous le nom de M ontpellier. La Bourgogne fabrique quelques amateurs

l ’eau-de-vie de Marc que

estim ent particulièrem ent. Cette

eau-de-vie a un goût p a rtic u lie r q u i lu i vie n t des éthers que la d is tilla tio n fa it dégager des rafles, des pépins et des pellicules.

ALCOOLS ET 3/6 Les alcools de vins sont connus sous la désignation de 3/6 du M idi ou de M o ntpellier. Ils sont à 86°. La dénom ination de trois-six s’applique à la classe générale des esprits : vins, grains, mélasses, betteraves, pommes de terre, riz, carottes, asphodèles, etc., dont le degré varie de 85 à 95° centésimaux. Cette expression trois-six signifie de l ’alcool dont 3 volum es mêlés à 3 volum es d ’eau, produisent six volum es d ’eau-de-vie. Tous les alcools, ceux de vins exceptés, sont appelés 3/6 d ’in d u strie . Les èaux-de-vie sont le p ro d u it de la d is tilla tio n (vins ou autres liq u id e s) à un faible degré : 65° et au-dessous. Le degré hygiénique des eaux-de-vie de consom m ation est de 45 à 50°.


LES FALSIFICATIONS

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EFFETS DE L ’ALCOOL SUR L ’ÉCONOMIE HUMAINE « L ’alcool est un alim ent. I l est retenu en partie par l ’organisme, et rejeté pour l ’autre partie. A rriv é dans l ’estomac, il y détermine une augmentation de circu ­ lation salutaire quand elle s’exerce sur des aliments à digérer. (Docteur Foveau de Courmeilles. » L ’alcool pris à jeun est néfaste, et les apéritifs, quels qu’ils soient, ne sont utiles que pris juste au moment du repas. L ’usage ordinaire de l ’alcool (cognac, liqueurs) n’est, d’ailleurs, avantageux que lo rsq u ’on se trouve dans des conditions normales de santé. Un estomac délicat ou fatigué ne peut tro u ve r dans cette boisson qu’une aggravation de son malaise. Choix. — L ’alcool de vin et l ’alcool in d u strie l sont

essentiellement différents eomme propriétés chimiques et physiologiques. Ce dernier renferme un principe toxique, l ’acide am ylique, qui n ’existe pas dans l ’alcool de vin.

LES FALSIFICATIONS Comme tout ce qui possède une valeur et une supé­ rio rité , le Cognac a été outrageusement copié, im ité, plagié de toutes parts. L ’alcool d’industrie, traité d’une


168

LES GRANDS VIVS

certaine façon, a joué le rôle du v ra i Cognac, depuis 30 ans, p o u r l ’u n iversalité des consommateurs. Des in d u strie ls de tous pays ont créé de toutes pièces un type de Cognac, comme les marchands de v in un type de v in de Paris, et, à p a rt quelques hygiénistes q u i ont crié à l ’empoisonnement, personne ne s’est aperçu de la su b stitu tio n . Le peuple, qu i ne p o u rra it a cq u é rir le véritable Cognac, mais qui a besoin, néanmoins, de ces excitants alcooliques, s’y résigne, faute de p o u v o ir faire autre­ ment. Mais la v o ix publique le u r a donné sans vergogne le nom que ces p ro d u its m éritent : I l y a le p e tit verre de d u r, ou p e tit verre de cogne ; Le fil-en-quatre ; Le casse-gueule ; Le tord-boyaux. Toutes ces dénom inations se fondent, dans la bouche du m archand de v in , du mannezingue ou du café borgne, en l ’expression euphémique de Cognac.

UN PEU DE STATISTIQUE Le v ra i Cognac n ’existe plus, disent certains esprits. Or, vo ic i, — d ’après les documents officiels — le stock des eaux-de-vie de Cognac dans les Charentes, en 1894 : 5.519.289 hectolitres.


rhums

et

t a f ia s

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A 500 fr. l ’hectolitre, en moyenne, cela donne la somme respectable de 2 m illia rd s, 759 m illions, 644 m ille, 500 francs. Ces chiffres sont extraits du Manuel du Négociant en vins, de M. Ed. Féret, dont l ’autorité en la matière est indiscutable. Depuis 1894, à raison de la reconstitution progressive du vignoble, ce stock n’a fait qu’augmenter. I l peut donc, évidemment, satisfaire à toutes les demandes. Deux conditions seulement sont à observer: 1° mettre le p rix ; 2° s’adresser à un fo u r­ nisseur compétent et consciencieux.

RHUMS ET TAFIAS Un seul et même produit, ayant la même origine : la canne à sucre. Le Rhum est obtenu par la d is tilla tio n des résidus pressés de canne, ou par la d is tilla tio n du sucre b ru t lui-même. Le Tafia est obtenu par la d is tilla tio n des mélasses provenant de la fabrication du sucre. Le rhum est donc plus fin, plus agréable que le tafia, et devient, en vieillissant, un p ro d u it incontestable­ ment supérieur. Le tafia est plus âcre, plus ardent, plus commun. Avec du trois-six, on fait encore une im itation de rhum et de tafia en y laissant infuser du vieux cuir, et en d istilla n t cet étrange produit.


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LES GRANDS VINS

Rhums et tafias les plus estimés : Jamaïque, M a rti­ nique, Guadeloupe, Cayenne, Réunion. Degré de con­ som m ation : 46 à 48°.

LE VIN DE CHAMPAGNE Le v in de Champagne est le v in français par excel­ lence, le plus séduisant, le plus poétique des grands vins. Qu’il soit d’o r ve rt, d ’o r jaune ou de m iel, q u ’il garde ce te in t « fauvelet » cher à nos ancêtres, le Champagne demeure le v in léger et fria n d dont on peut to u jou rs boire sans dommage, même avec excès : son ivresse est fumée légère ; un vent frais la dissipe ; elle laisse l ’esprit dispos et la tête sans douleur. Ses résultats sont m erveilleux ; I l entraîne, charme, électrise ; I l rend le courage aux peureux, Aux diplom ates la franchise. I l donne de l ’esprit aux sots, A ux poètes un gai délire, A ux m agistrats quelques bons mots, E t même aux Anglais un sourire. Ed.

Vicq, avocat-poète , d’Epernay.

Par le monde entier, en quelque pays que ce soit, il n ’est pas de fêtes, de réjouissances, pas d ’agapes p o li­ tiques ou privées, pas de banquet litté ra ire , com m ercial,


LE V IN DE CHAMPAGNE

171

diplom atique, pas de festin d’empereur ou de ro i, qui ne viennent demander au Champagne d’apporter comme bouquet final l ’explosion de sa pétillante gaîté. Salut au Champagne ! Les vins de Champagne gagnent à être frappés, c’està-dire à être mis dans de la glace et portés à une très basse température. On les divise en vins secs (d ry et extra-dry), en demisecs et en doux. Vinification. — Le tra v a il des vins de Champagne est

tout un art. Les vins rouges ou blancs servent in d istin c­ tement à la confection des vins de Champagne. Depuis le moment où elle est sortie de la verrerie ju sq u ’à celui où elle a été placée dans un panier à votre adresse, la bouteille dosée, puis bouchée, ficelée, étiquetée, emballée et expédiée, a passé par les mains de 45 ouvriers ou manœuvres ! L ’usage du vin de Champagne mousseux ne remonte qu’à la fin du x v n esiècle. Ce fu t un moine, Dom Pérignon, de l ’abbaye d’H autvillers, près d’Epernay, qui découvrit le moyen de faire mousser les vins blancs. Depuis cette époque, le v in mousseux a conquis le monde. « Parfum du Champagne, parfum exquis, v in d é li­ cieux, vin sans riv a l, vieux et cher vin de notre chère et douce France, combien je comprends que les femmes t ’aiment et que les poètes te chantent ! » (Ch. Mayet). Principales marques de vins de Champagne. — Louis Rœderer, Vve Clicquot, Pommery et Greno, G. H. Mumm, Moët et Chandon, Montebello, Périer, Mercier, etc,


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LES GRANDS VINS

LES GRANDS VINS ETRANGERS Ces vins étant assez rarem ent achetés p a rle consom­ m ateur français, nous nous bornerons ic i à une sim ple nom enclature. Etats allemands. — Johannisberg, Steinberg, Rudes-

heim , Hochheim , Grafenberg, M arcobrunner, Liebfraum ilc h . A utriche-H ongrie. — Tokay, Mada, T allya. Espagne. — Rota, Xérès, Paxarète, Pedro-Ximénès,

Malaga, A licante, M alvoisie, etc., et Porto, en Portugal. Grèce. — Vino-Santo, M alvoisie. Turquie. — Vins des îles de Candie, Rhodes, Samos,

Chypre. Perse. — Shiraz, Cachemire. Cap (A frique). — Constance, l ’un des m eilleurs vins

de liq u e u r du monde. Ita lie . — L acrym a-C hristi, Falerne, Marsalla, Syracuse,

Zucco. Madère (île). — Madère, M alvoisie, Sercial.

FABRICATION ET FALSIFICATIO N DES VINS La p lu p a rt des vins communs et à bas p r ix sont, en général, surchargés de plâtre, dédoublés, c’est-à-dire


MISE EN BOUTEILLES

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additionnés d’eau puis remontés avec des alcools d’in ­ dustrie, et colorés au moyen de bois de Campêche, de fuchsine, de baie de sureau, etc. « A Béziers et à Cette, les fabrications se font osten­ siblement sur une vaste échelle, non seulement pour les vins français, mais encore pour les vins célébrés de l ’Etranger, en se servant, comme base, des vins récoltés dans le pays. On y fabrique le Madère, le Malaga, le Lacrym a-Christi, l ’Alicante, le Chypre, le Constance, le Xérès, le Tokay, etc., etc... « Ces deux villes sont comme le chapeau de Robert Houdin : il n’y a qu’à demander pour se faire servir, et pour en tire r ce que l ’on veut. » (Bertal, la Vigne).

MISE EN BOUTEILLES Cette opération est très im portante et exige des soins m inutieux. Les vins de Bordeaux et de Bourgogne venant de chez un négociant à la hauteur, ont reçu dans ses chais tous les soins nécessaires : soutirages, collages, etc. Sous ce rapport, le consommateur n’a donc à se préoc­ cuper de quoi que ce soit. En recevant le vin on veillera à ce qu’il ne reste pas exposé aux intempéries, aux courants d’air, aux brus­ ques variations de tem pérature. On fera placer la


174

LES GRANDS VIN S

fu ta ille dans une cave, sur des chantiers, bonde de côté, et légèrement penchée en avant, de manière à ne pas a v o ir à la rem uer à nouveau au m om ent de la mise en bouteilles. Après quinze jo u rs de repos, le v in a dû reprendre sa lim p id ité , et on peut procéder à la mise en bouteilles. Mais si la b a rriq u e est en bon état et sans vidange, on peut, sans inconvénient, la laisser telle quelle pendant plusieurs m ois. P our m ettre en bouteilles, i l faut : 1° C h o isir un temps c la ir et calme où les vents vie n ­ nent de la d ire ctio n q u i, d ’o rd in a ire , amène le beau temps dans le pays que l ’on habite. 2° Quelques heures avant de tire r, s’assurer de la lim p id ité du v in , en plaçant le ro b in e t à la barrique. 3° Prendre des bouteilles de parfaite qualité, rincées et égouttées avec le plus grand soin, et boucher au fu r et à mesure, p o u r évite r autant que possible le m oindre contact du v in avec l ’a ir. 4° En tira n t le v in , d irig e r le je t de la cannelle contre les parois de la bo ute ille, de façon à a m o rtir le choc du v in contre lui-m êm e, car i l en résulte une agitation qui a p o u r effet de p rovo qu e r une ferm entation plus ou m oins sensible. Les maladies que les vins fo n t en bou­ teilles n ’ont souvent pas d ’autres causes. 5° Se p ro cu re r des bouchons de bonne qualité, de 2 à 3 fr. le 100. P our les assouplir et les rendre plus propres, on les fera tre m p e r quelques heures dans de l ’eau chaude, puis dans du v in ou de l ’eau-de-vie.


DE LA SCIENCE D ’ACttETER LES VINS

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Pour préserver les bouchons de l ’hum idité, de la piqûre des insectes ou des morsures de rats, on pourra re co u vrir l ’extrémité du goulot d’un corps gras, cire, mastic ou goudron. Les bouteilles devront être placées sur le flanc, dans un endroit frais, à l ’abri des courants d’air. La mise en bouteille fatigue momentanément le v in ; celui-ci n’est bon à boire ou à déguster qu’après 3 à 4 mois de repos dans les bouteilles. Un vin très vieux ou mis trop tô t en bouteilles, forme parfois un dépôt qui peut nuire à sa qualité. I l faut alors le décanter au moment de le boire, afin de le se rvir avec sa saveur entière, dans un état de lim p id ité parfaite.

DE LA SCIENCE D’ACHETER LES VINS Pour obtenir des vins pars et d'origine garantie, à qui fa u t-il s’adresser : au producteur ou au commerçant ? Problème depuis longtemps posé, et qui, pour plusieurs, paraît aussi insoluble que le mouvement perpétuel, la pierre philosophale et la quadrature du cercle. Il s’agit de s’entendre, et, avant toute réponse, d’éta­ b lir une distinction. On peut s’adresser au producteur pour certains vins. On doit, sous peine de mécompte, s’adresser au com­ merçant pour certains autres. 6


176

LES GRANDS VINS

D ésire-t-on sim plem ent des vins communs du M idi, du Centre ou d ’Algérie, on peut sans inconvénient les tir e r de chez le p ro p rié ta ire même. Mais lo rs q u ’il s’agit des vin s de Bordeaux et de Bourgogne, la question change radicalem ent. I l est indispensable de re c o u rir au négociant, in te rm é diaire nécessaire, p o u r ces deux vins, entre le pro d u cte u r et le consom m ateur. Ceci demande une explication. Les vins de table autres que les Bordeaux et B our­ gognes, peuvent être liv ré s et consommés dans l ’année de la récolte. N ’ayant besoin n i de soins spéciaux n i de cu ltu re , ils sont, par cela même, susceptibles d ’être achetés chez le p ro d ucte u r directem ent. En ce q u i concerne les vins de Bordeaux et de B our­ gogne, ce n ’est plus du to u t la même chose. P our le u r réussite, ils exigent des soins complexes, m in u tie u x et prolongés ; en un m ot, ils ont besoin d ’une éducation, d ’un élevage. I l faut de 4 à 6 soutirages et 2 ans de soins pour les vin s les plus ordinaires ; — 5 à 8 soutirages et 3 à 5 ans de soins p o u r les vins fins. Ces soins, presque jo u rn a ­ lie rs , nécessitent un m atériel com pliqué et un personnel à connaissances spéciales q u i ne se tro u ven t, sauf de rarissim es et m iraculeuses exceptions, que chez le « m archand » devenu éleveur de grands vins. Le négo­

ciant sérieux est donc à peu près seul en mesure de fo u rn ir les Bordeaux et Bourgognes, dans la plénitude de leurs qualités, c’est-à-dire avec la garantie de le u r parfaite réussite en bouteilles.


SYNDICATS DE PROPRIÉTAIRES

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Au reste, en Bourgogne et en Gironde, il y a pour ainsi dire im possibilité m atérielle de s’approvisionner chez le récoltant. Dans ces pays, le propriétaire — de son propre aveu — a plus d’avantage à vendre sa récolte en bloc, sans aléas, au Commerce de gros qui la lu i paie comptant. Pour vendre au consommateur, i l faut un personnel et un matériel dispendieux, un capital ro u ­ lant, des agents de vente ou voyageurs, une com ptabi­ lité, etc., etc., en un mot, des frais généraux qui ne deviennent rémunérateurs que répartis sur un large chiffre d’affaires. A procéder ainsi, le producteur ne trouve pas son compte. Telles sont les raisons positives, péremptoires, qui l ’ont de tout temps déterminé à vendre sa récolte aux grandes Maisons de commerce. Ceci n’est pas une thèse, encore moins une apprécia­ tion personnelle. C’est la constatation d’un fait notoire, existant depuis des siècles, et qui, vraisemblablement, durera toujours, uniquement parce qu’i l est dans la nécessité des choses.

SYNDICATS ET ASSOCIATIONS DE PROPRIÉTAIRES « Ces associations, d it M. Th. Malvezin, ont été essayées à diverses reprises et n’ont pas réussi à raison de leur principe même. Le fonds social n’a pas


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LES GRANDS VINS

tardé à être com prom is, puis perdu ; les ventes ont été désastreuses. « Chaque producteur apporte son v in à la société ; mais q u i en fixe le p rix ? C’est lui-m êm e, et il n’en peut être autrem ent. Si c’est, en effet, la société qu i le fixe, elle devient acheteur vis-à-vis de ce co-associé, et i l n’y a plus une association de propriétaires, mais un acte de commerce. Le v in de l ’un vaudra com m ercialem ent 1.000 francs, et celui de l ’autre 100 francs. L ’associé q u i apporte son v in en fixera un p rix tro p élevé ; c’est là la co ndition secrète de son apport, le m o tif réel de sa p a rticip a tio n sociale. Mais tel vin pla ira et sera enlevé ; tel autre, inconnu ou méconnu, ne po urra se vendre. De là, ré crim in a tio n s, discorde et liq u id a tio n désastreuse. »

LE COMMERCE HONNÊTE E T LA TO URB E D E

« FA IS E U R S » SANS SCRUPULES

E x tr a it textuel d’un article du Figaro, sous la signature de M . Jules H uret, après enquête, 23 octobre 1900.

« La p ro d uctio n moyenne annuelle de la Gironde se monte à 2 millions et demi d hectolitres. Mais la consom­ m ation demande, par an, 6 millions d’hectolitres de vins de Bordeaux. « On vend donc annuellem ent sous le nom de vin de


LE COMMERCE HONNÊTE

179

Bordeaux, 2 ou 3 m illio n s d’hectolitres d’autres vins !...

Le vin vra i reste dans les caves pendant que des quais de la Gironde, de Hambourg, d’Anvers, de Bercy, etc., des bateaux chargés de m illie rs de barriques de vins frelatés, mélangés ou fabriqués, s’en vont porter à travers

le monde la marque d’un Bordeaux de contrebande ! « Une partie du commerce bordelais, — la moins hono­ rable, — n’hésite pas à falsifier le vieux vin girondin, et à envoyer aux quatre coins du monde, sous le nom de « vin de Bordeaux », ces vins lourds, épais et rêches, qui jetèrent la déconsidération sur sa marque originale. Ic i il faut faire une distinction bien tranchée entre le commerce honnête de Bordeaux, qui est l ’honneur et l ’aristocratie du négoce français, et la tourbe de « fa i­ seurs » sans scrupules qui inonde la capitale du SudOuest. Malheureusement, ce sont eux qui constituent la m ajorité du commerce bordelais... Depuis vingt ans, ils ont poussé comme des champignons. Pour lu tte r contre les bonnes maisons, ils ont baissé leurs p rix , et pour gagner quand même leurs bénéfices illic ite s , ils n’ont pas craint de galvauder les marques en vendant comme vins de Bordeaux des vins de sucre, empoisonnés d’alcool fabriqué et d’autres produits chimiques. Et ce sont ces fripons qui, peu à peu, grâce à ces procédés sans nom, ont accaparé la plus grande partie de l ’expor­ tation et même de la vente en France. Les commerçants qui tiennent à leur réputation, continuèrent à vendre du vin de Bordeaux authentique, à m aintenir, par consé­ quent, les p rix moyens ; mais le public, ignorant et naïf,


180

LES GRANDS VINS

a ttiré naturellem ent par le m e ille u r marché, s’adresse de préférence aux voleurs. Qu’a rriv e -t-il alors ? C’est que les v itic u lte u rs et les négociants honnêtes souffrent ensemble, les prem iers de ne pas vendre le u r v in q u ’on ne le u r demande plus ou qu’on le u r achète à des p rix dérisoires, les

seconds de v o ir

le u r clientèle le u r

échapper sans p o u v o ir lu tte r à armes égales avec les forbans et les chim istes... « Les trucs imaginés par ces fraudeurs sont in c ro y a ­ bles et in fin is . I l en est q u i vo n t acheter dans une commune du Médoc, à Margaux par exemple, une rangée de vigne à un paysan, de quoi fa b riq u e r une demib a rriq u e de v in . Dès lo rs, ils in sta lle u t une boîte à lettres à le u r nom à la poste, fo n t im p rim e r des factures, des prospectus, des prix-co u ra n ts avec la vignette d ’un château im aginaire, envoient des centaines de m ille de lettres datées et tim brées de Margaux, et offrent à des p rix im béciles, q u i devraient faire sourire les gogos les plus candides, les plus grands crus de la Gironde. Ceuxci sont encore bien scrupuleux ! Des centaines d’autres ne possèdent même pas un pied de vigne n i une masure. Ils ont une boîte aux lettres dans les communes célè­ bres, et habitent l ’Auvergne ou les Pyrénées ! « Et ces gens fo n t des affaires. Ils en fo n t même beaucoup. La banlieue de Bordeaux est empoisonnée de ces in d u strie ls de l ’escroquerie. Talence, c’est la maison mère. I l y a là, p a ra ît-il, de véritables usines de filo u te rie . Là, dans des bureaux obscurs, de jeunes garçons q u’on paie un franc par jo u r, écrivent du m atin


CONSEILS AUX CONSOMMATEURS

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au soir des lettres bordées de n o ir où sont détaillés minutieusement les pseudo malheurs de leurs fam illes : lettres d’orphelins ou de veuves éplorées qui offrent, à des p rix remarquables de bon marché, trois barriques de Saint-Estèphe autrefois héritées d'un oncle. Ces tro is barriques sont offertes ainsi par dizaines de m ille aux curés, aux notaires, aux fonctionnaires du B ottin ! « Quels vins sont proposés ainsi aux consommateurs crédules ? Des vins fabriqués ou des vins de deuxième cuvée, mélangés de sucre, ou des vins d'Espagne ou d’A lg érie , ou des vins mouillés.

Ces vins partent à

travers la France, à travers l'Europe, vont empoisonner les palais délicats, abîmer les estomacs les plus sains et je te r la déconsidération sur l ’admirable et salutaire nectar, pendant que les caves des viticu lte u rs et des commerçants probes restent bondées de produits purs. « Et voilà la principale cause de la mévente des « vins de Bordeaux. » (Jules H uret.)

CONSEILS AUX CONSOMMATEURS Pour bien acheter, consultez votre bourse d’abord, votre goût ensuite, et laissez de côté la vanité. Si vous vous inquiétez plus de l ’étiquette que de la liqueur, si vous voulez éblouir vos convives par l ’éclat de grands noms usurpés, vous deviendrez la proie des marchands


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LES GRANDS VINS

de vin au rabais, et vous m ériterez les ra ille rie s de vos

convives. Rendez-vous compte du p rix que vaut le v in , et payez-le à sa valeur. Vous n ’aurez pas un F rom entin, un Diaz ou un Corot, p o u r le p rix d’une image d ’E pinal n i un cheval de sang p o u r le p rix d ’une rosse. Les bons vin s sont comme les objets d ’a rt et les chevaux ; i l faut se m éfier des brocanteurs et des maquignons. V o ici des p rix approxim atifs au-dessous desquels il est à peu près im possible d ’o b te n ir des vins de Bordeaux purs, authentiques et complètement soignés. Un v in com­ plètement soigné est celui qu i a reçu 4 à 6 soutirages, et

dont la réussite est assurée dans la bouteille. Les O rdinaires bourgeois se vendent 135 à 200 fr. Les Grands ordinaires

200 à 300

Les Vins fins ou d ’entremets

300 à 500

Les Grands Vins

500 à 3000

la b arrique, prise en gare de Bordeaux. V in de Bordeaux d ’o rd in a ire n ’est pas synonym e de vin commun, épais et lourd. C'est un v in de noble origine,

corsé, coloré, bouqueté, fin et susceptible d ’acquérir de très réelles qualités, en vie illissa n t. Provenant d ’une bonne année, i l peut se conserver 10 à 20 ans. Une fois fixé sur le p rix que vous voulez m ettre à vos vin s, i l faut encore connaître votre goût. Préférezvous les vins chauds, séveux, corsés, colorés, parfumés, ou les vins plus légers, plus m oelleux, à l ’arome plus suave et plus délicat ? P our les vins blancs, aimez-vous


CONSEILS AUX CONSOMMATEURS

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les vins doux, légèrement liquoreux, ou les vins secs ou demi-secs, chauffant agréablement la langue à la dégustation ? Enfin, les vins offrent, suivant les années, une très grande différence de qualités, et par conséquent de p rix. I l est donc beaucoup plus im portant pour l ’acheteur de connaître l ’année que d’in diquer le nom du cru. Pour élucider ces diverses questions, toutes de très haut intérêt, il est indispensable de s’en rapporter aux soins spéciaux des fournisseurs. Mais ces fournisseurs, il faut les connaître ; car, s’il en est plusieurs qui ont une réputation bien établie de probité commerciale, il en existe un trop grand nombre dont i l faut se méfier et qui vendent fo rt cher d’affreux mélanges pompeusement décorés et étiquetés. Il faut surtout se méfier de ceux d’entre eux qui prennent faussement la qualité de propriétaires de vignobles, et tout autant, sinon plus, du propriétaire modern-style qui vend sous le nom de son cru lillip u tie n des vins quelconques achetés par lu i de deuxième ou troisièm e main chez le prem ier négo­ ciant venu. « Il en est plus de trois que je pourrais citer, d it M. Th. Malvezin dans sa Lettre sur les Grands Vins. Ils ne se contentent pas d’inventer le nom de leur fantastique domaine ; la lithographie et la gravure ne manquent pas de complaisance et leur permettent d’étaler sur leurs étiquettes les tourelles d’un château dont la construction n’a jamais tourmenté l ’architecte, occupé le cadastre, ni enrichi les cotes foncières de la commune. Il va sans


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LES GRANDS VINS

d ire que l ’heureux possesseur de ce « cru en Espagne » annonce fièrem ent q u ’i l en a le m onopole. Quelques-uns de ces Messieurs ne se contentent pas d ’un château illu s tré ; i l le u r en faut un dans chaque contrée vin ico le renommée. Ils aim ent aussi à s’a ttrib u e r plusieurs noms — quelquefois de haute résonance, — et lorsque vous avez été trom pé par la maison Robert-Macaire et Cie, vous êtes retrom pé par la maison Gobseck et Mercadet, ou pa r le gérant-directeur des vignobles réunis de Gogoville, q u i sont le même charlatan sous des noms différents, mais avec la même piquette. » L ib er apertus est, et nunc eradim ini.

T ra du ction lib re : Un bon averti en vaut deux.

MOYEN RATIO NNEL DE S’APPROVISIONNER I l n ’y a q u ’un seul moyen ra tio n n e l de s’a p p ro vi­ sionner de vins sincères et authentiques (Bordeaux et Bourgognes], c’est de s’adresser aux bonnes et loyales

maisons de commerce de prem ière m ain. « Nous avons en France, dans les centres des grands vignobles, d it M. A ntony Réal, des maisons spéciales, d ’une p ro bité héréditaire, qu i s’appliquent à « l ’élevage des grands vins ». Adressez-vous là et ne marchandez

pas. Vous trouverez chez ces « marchands » les grands*


F A U T -IL BOIRE DU V IN ?

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vins dans toute le u r plénitude. C’est aux soins qu’ils leur ont donnés, autant qu’à la nature, que ces vins glo­ rieux doivent le développement de leurs qualités. « Un grand vin est comme un diamant b ru t ; donnezle au lapidaire et il en fera un b rilla n t. Le marchand de grands vins est le lapidaire de ces diamants qui coulent bruts des pressoirs. »

FA U T-IL BOIRE DU VIN ? Opinion de quelques membres de VAcadémie de Médecine et de sommités médicales de Paris et des départements. (E x tra it de /Illu s tra tio n , nosdes 12,19 e t26 octobre 1901).

Depuis quelques années un mouvement très sensible s’est p ro d uit contre l ’usage non seulement des boissons distillées : alcools, liqueurs de toutes sortes, mais encore des boissons fermentées elles-mêmes, et notamment du vin. Nombre de médecins le déconseillèrent à leurs mala­ des, le p ro scriviren t même absolument, lu i déclarèrent une guerre à peine moins violente que celle qu’ils avaient entamée contre l ’alcool. Ce fu t une véritable croisade, avec peut-être des excès de zèle. Les conseils d’abstention trouvaient dans le public *

un terrain d’autant mieux préparé que les maladies qui


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LES GRANDS VINS

s’étaient abattues sur la vigne, en encourageant la sophistication du v in , vo ire sa fabrication de toutes pièces, l ’avaient déjà m is en défiance contre ces produits q u ’on lu i liv ra it. E t puis, la mode aussi dut s’en m êler un peu, la mode et l ’esprit d ’im ita tio n , car très rapide­ m ent les abstinents devinrent légion. A u jo u rd ’h u i, les causes qu i légitim èrent un temps les recom m andations ont disparu. Le vignoble français, guéri de ses maux, reconstitué, p ro d u it désormais une quantité de v in supérieure aux besoins de la consom­ m ation. En présence de cette surabondance de vin n aturel, loyal, l ’o pinion des médecins, ou du m oins de

ceux d ’entre eux q u i com battaient, i l y a quelques années, l ’usage du v in , a-t-elle changé ? I l nous a paru intéressant de le savoir, et nous avons ouvert à ce sujet une enquête. Nous avons interrogé d ’abord un certain nom bre de membres de l ’Académie de Médecine ; puis notre enquête s’est étendue aux médecins des hôpitaux de Paris, aux professeurs ou agrégés des Facultés et des Ecoles de médecine des départements. A tous, nous posions cette trip le question : L ’usage du v in naturel, à la dose d ’environ un litre par jo u r, est-il : Favorable à la santé ? N u isible à la santé ? In d iffé re n t ? Nous avons re c u e illi les opinions de 42 médecins parisiens et de 120 médecins des départements. Au to ta l, 162 réponses à nos questions.


F A U T -IL BOIRE DU V IN ?

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Sur ce chiffre, 100, exactement, déclarent favorable à la santé l ’usage modéré du vin naturel ; 18 le déclarent nuisible ; 44 le déclarent indiffèrent ou hésitent à se prononcer catégoriquement. Conclusion. — La grande m ajorité des médecins, pris

dans les régions les plus diverses, dans celles qui produisent du vin comme dans celles qui en sont p r i­ vées, — et qui le regrettent, peut-être, — se prononce pour l ’usage du vin à dose modérée. M. le D r Brouardel. — I l n’est guère qu’un petit nom­

bre de personnes auxquelles il faille interdire le vin : des malades, ceux qui souffrent de l ’estomac, des reins, du foie. M. le D v Debove, médecin de l ’hopital Beaujon. — Je

ne prétends pas qu’on se condamne à boire de l ’eau. Ce serait peut-être l ’idéal ; mais, comme d it un p h ilo ­ sophe de mes amis, si l ’on supprim ait de la vie ce qui est mauvais, il ne resterait rien de bon ; l ’excès d’hygiène d é tru ira it tout plaisir. I l faut donc transiger. M. le D v Dieulafoy, médecin de l ’Hôtel-Dieu. — Dans

le cas d’une alim entation insuffisante, le vin est un stim ulant qui peut être d’un utile secours. Mais ses effets sont très divers suivant les tempéraments. Des dyspeptiques vous d iro n t : « Je ne digère pas le vin blanc ! — Buvez du vin rouge, alors ! » D’autres, au


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LES GRANDS VINS

contraire, so u ffriro n t du v in rouge. L ’estomac de cer­ tains autres exigera, p o u r digérer, un verre de Porto. Qu’ils en boivent ! I l est de fa it que le v in , en excitant la sécrétion gastrique, peut être bienfaisant à certains. T o u t cela, question de tem péram ent et aussi d’accou­ tumance. M . le D v Lancereaux, ancien médecin de la Pitié. —

Buvez du v in naturel, si votre estomac le supporte. Seulement, vo ilà !... où est le v in naturel ? Je ne suis pas l ’ennemi du v in . Je suis l ’ennemi du v in falsifié, du v in sulfaté, du v in auquel on a ajouté du plâtre ou de l ’acide sulfureux, parce que ce v in donne la cirrhose (1). Ce n ’est pas l ’alcool, c’est le plâtre q u i p ro d u it la c ir ­ rhose. Cela, je l ’ai dém ontré. C’est le sulfatage. On m ’a objecté que les vins blancs, les plus dangereux parfois au foie, ne sont p o in t plâtrés. C’est v ra i ; mais j ’ai appris depuis que, p o u r les conserver, on y ajoute de l ’acide sulfureux ; au contact du v in , i l se transform e en acide sulfu riq ue, puis form e du bisulfate de potasse. Or, j ’ai dém ontré la n o civité de ce sel, que p ro d u it pareillem ent, dans le v in rouge, la réaction du tartrate de potasse du v in sur le plâtre, sulfate de chaux. Ce sont les p ro d u its sulfureux seuls qu i amènent les lésions graves du foie. M . le D r A lbert Robin qu i porte un des noms reten(1) Cirrhose, granulations du foie, du rein, etc., quand ils sont malades.


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tissants de la médecine contemporaine, pense du vin et de son usage ceci : On a fait contre le vin , en général, une campagne injuste, ou plutôt, pardon ! justifiée par le v in qu’on liv ra it au commerce, par ces vins du M idi, tous plâtrés, saturés de sulfate de chaux. Ce plâtrage est toléré, d’ailleurs, ju sq u ’à la dosé de 2 grammes p a r litre. Si bien que tout in d iv id u qui b o it un litre de ce vin absorbe, tout compte fait, 2 grammes de sulfate de potasse. C’est la maladie certaine en plus ou moins de temps. Mais si vous prenez du vin vraiment naturel, à condi­ tion, pourtant, qu’il ne soit pas acide, car l ’acidité du v in est dangereuse autant que son plâtrage, — qui n ’a d’ailleurs pour but que de dim inuer l ’acidité, — si vous prenez du Bourgogne, du Bordeaux, certains vins de Touraine, qui ne sont pas suffisamment acides pour occasionner des désordres, avec ces vins-là, je réponds oui à votre première question. Ces vins sont favorables à la santé. En résumé, l ’hygiène moderne a raison de combattre l ’abus du v in , l ’usage des vins falsifiés d’une façon quelconque ; elle aurait to rt de combattre l ’usage du vin vraim ent naturel, à condition que ce vin réunisse les qualités dont je parlais tout à l ’heure. M. le D r Huchard, médecin de l ’hôpital Necker. —

L ’usage du vin non frelaté, non plâtré surtout, est, à mon avis, favorable à la santé. J’ajoute que le « régime


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LES GRANDS VIN S

sec », né de la crainte exagérée de la dilatation d'estomac

(m aladie rare, dont on a tant abusé), a fa it bien des victim es, a créé bien souvent des affections rénales et la gravelle !... La crainte d ’un m al vous fa it tom ber dans un pire. I l faut su rto u t com battre l ’e rre u r de ceux — médecins ou autres — q u i cro ie n t que l ’usage du v in à dose modérée peut conduire à la maladie désignée sons le nom d 'artériosclérose. Ce qui p ro d u it cette maladie, ce n ’est jam ais l ’usage du v in ; c’est le régime alim entaire de nos jo u rs . (Lisez empoisonnement alim entaire par l ’usage de la viande, et su rto u t de la viande faisandée, par l ’abus des dîners en v ille , où l ’on s’empoisonne en bonne compagnie, etc., etc.) M . le D v Vallin, médecin inspecteur de l ’armée, en

re tra ite , déclare : Le v in naturel et sans coupage est sans inconvénient à dose modérée. M . le D r Monin, q u i s’est fa it un nom comme hygié­

niste et spécialiste des maladies du tube digestif et de la n u tritio n , donne à son avis cette form e piquante : Riche en tannin et en alim ents m inéraux, en principes arom atiques et en alcool à l ’état naissant, le v in est la boisson hygiénique p a r excellence. C’est dans le bouquet du v in que réside le p rin cip e excito-m oteur de l ’estomac. Aussi les fines essences de nos cépages français repa­ ra îtro n t sur nos tables lorsque la Mode (épidém ique en


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médecine comme en chapeaux) aura mis fin à un accès, injustifiable, de snobisme pseudo-hygiénique. Pour ce qui est des vins ordinaires (vins de table), depuis que je pratique les maladies de l ’estomac, c’està-dire bientôt un quart de siècle, je ne cesse de répéter aux malades : « Vin blanc ou v in rouge, si vous l ’étendez suffisamment d’eau, vous n’en retirez que de bons effets, à condition que le vin soit naturel ». M. le D r Moreau, de Tours, aliéniste distingué, répond :

Non seulement favorable, mais absolument u tile et nécessaire, à condition sine quâ non d’user, mais de ne pas abuser. M. le D r Legrain, président de Y Union française anti­ alcoolique :

Votre enquête est un peu prématurée. Il n’y a pas encore assez longtemps que le médecin français s’inté­ resse à la cause de la tempérance pour qu’il sache à quoi s’en te n ir scientifiquement et pratiquement sur la question posée. Il est encore im bu, et les maîtres le sont aussi, des vieilles erreurs qui fo u rm ille n t encore dans nos livres classiques. M. le D r Delineau, président de la Société médicale

des praticiens, donne à sa réponse cette forme hum o­ ristique : La mode anémiante de boire de l ’eau passera comme toutes les modes ridicules. Faites une enquête et vous verrez que les médecins qui conseillent à tout le monde


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LES GRANDS VINS

de boire de l ’eau sont, p o u r la p lu p a rt, des êgrotanls. M oralité : ne consultez jam ais un praticien d ’une cons­ titu tio n débile et d’un tem péram ent m aladif. M. le D r D reum ont , de Savigny-lès-Beaune (Côte-d’Or), donne à sa réponse pleine d’h u m o u r, cette raison topique : Un philosophe de l ’a n tiqu ité p ro u v a it l ’existence du m ouvem ent en m archant. T ro is cent cinquante m ille Bourguignons de m on département ne boivent que du v in depuis le u r enfance et à tous leurs repas. Ils ne s’en p o rten t pas plus m al, n ’en déplaise aux éminents m aîtres et confrères qu i ont enfourché le dada de la vinophobie. Ils sont la preuve vivante et éloquente de l ’inanité des attaques portées contre le v in .... L ’Arabe ne b o it que de l ’eau ; i l ne v it pas plus vieux que nous, Français. Le Chinois ne connaît pas le la it, — i l n ’y a pas de vaches en Chine ; — i l v it aussi vieux que nous. M . le D v Deroye, de D ijo n :

C’est au v in que le Français d o it ce caractère enjoué, cette gaîté de bon aloi, cette jo v ia lité spéciale qu i don­ nent à l ’esprit français son cachet p a rtic u lie r, p o u r ne pas d ire son « bouquet sui generis », M . le D r Boinet, de M arseille :

Bien plus nocifs que le v in naturel sont ces nom breux vins médicamenteux, souvent fabriqués de toutes pièces avec des alcools in d u strie ls, et ces é lix irs , digestifs ou autres. C’est souvent ainsi que le malade s’alcoolise


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BOURGOGNE ET BORDEAUX

inconsciemment, avec l ’assentiment de son médecin, et c’est contre l ’alcoolisme pharmaceutique qu’il convien­ d ra it aussi d’a ttire r l ’attention. Je connais pas mal de gastrites rebelles qui relèvent surtout de cette dernière cause. Pour extrait conforme :

René M i d y .

BOURGOGNE ET BORDEAUX SONNET

Au seul Bordeaux toujours fidèle, Buveur d’h ie r et d’aujourd’hui, J’admets que pour plus d’un rebelle L ’éclair d’un autre vin ait lu i. A quoi bon fu ir le parallèle Avec un loyal ennemi ? Disons que le Bordeaux, c’est E lle, Et que le Bourgogne, c’est L u i . A L ui, les airs fiers et superbes ! Coquelicot parm i les herbes, Il se cro it l ’honneur du bouquet. Elle, plus discrète en sa flamme,

Sourit d’un sourire coquet... Le vin de Bordeaux, c’est la femme. Charles

M

onselet,


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LES GRANDS VINS

FUSION -

LES GRANDS VINS

I l est une heure où se rencontrent Tous les grands vin s dans un festin, Heure fraternelle où se m ontrent Le Lafite et le C ham bertin. Plus de querelles à cette heure E ntre ces va illa n ts compagnons ; Plus de discorde in té rie u re E ntre Gascons et Bourguignons. On fa it trêve à l ’h um eur riva le , On éteint l ’esprit de p a rti. L ’appétit veut cet in te rva lle . Cette heure est l ’heure du rô ti ! Comme aux réceptions royales Que v ire n t les deux Trianons, C ircule n t à travers les salles Ceux q u i p o rten t les plus beaux noms. A des gentilshomm es semblables, E t non m oins arm oriés q u ’eux, Les grands vins, aux airs agréables, Echangent des saluts pompeux,


FUSION —

LES GRANDS VINS

Ils ont dépouillé leurs astuces, Tout en conservant leur cachet. — Passez, Monsieur de Lur-Saluces ! — Après vous, mon cher Montrachet ! Pommard, en souriant regarde Glisser le doux Brane-Mouton. N ul ne d it à Latour : « Prends garde ! » Pas même le b ouillant Gorton. Volney raconte ses ruines Au digne Saint-Em ilion, Qui l ’entretient de ses ravines Et des grottes de Pétion. Jamais les vieilles Tuileries, Dans leurs soirs les plus radieux, Ne vire n t sous leurs boiseries Hôtes plus cérémonieux. On cherche le feutre à panache Sur le bouchon de celui-ci, Et sous la basque qui la cache, L ’épée en acier aminci. Voici Monsieur de Léoville Qui s’avance en habit brodé, Et qui, d’une façon civile, Par Chablis se soit abordé


LES GRANDS VINS

M usigny, que d ’orgueil on taxe, D it à Saint-Estèphe : « Pardieu ! « J’étais chez Maurice de Saxe « Quand vous étiez chez R ichelieu ! « — Moi, sans que personne s’en blesse, « J’ai, d it M onsieur de S ille ry, « Conquis mes titre s de noblesse « A ux soupers de la Du B a rry ! » Un autre encore m oins sévère : « J’ai parfois déridé le fro n t « Du fameux proconsul B arrère... » A ussitôt chacun l ’in te rro m p t. Destournel se ta it et se guindé, Destournel, am i du flo t bleu, Qui voyagea deux fois dans l ’Inde, Coloré par un ciel de feu. « Sans chercher si lo in mon baptême, « Prophète chez m oi, d it Margaux, « A la duchesse d ’Angoulême <v J’ai fa it les honneurs de Bordeaux. » Le jeune et rougissant Montrose, A yant quitté p o u r un instant Le bras de son tu te u r Larose, Jette un regard inquiétant,


FUSION — LES GRANDS VINS

Et cherche, vierge enfrissonnée, Rouge comme un coquelicot, Mademoiselle Romanée Auprès de la veuve Clicquot. Certaine d’être bien lotie, Malgré son a ir un peu trem blant, Dans un coin la Côte-Rôtie Sourit à l ’Ermitage blanc ; Tandis qu’avec un doigt qui frappe, Im patient de se m ontrer, Le fougueux Châteauneuf-du-Pape Demande si l ’on peut entrer. Meursault estime l ’o r moins jaune Que Barsac ; — lorsque Richebourg Recommence sur ceux de « Beaune « Et de Nuits » un vieux calembour. Rauzan découvre m ille charmes Chez Mercurey, ce fin rougeaud. J’entends le c ri de « Portez armes ! » On acclame le Clos-Vougeot. Il en est du temps des comètes, Qui, dépouillés, usés, fanés, Sont dans des fauteuils à roulettes Respectueusement traînés.


LES GRANDS VIN S

Un tel, souffrant q u ’on le décante, Fat, dans sa fraise de crista l : « A h ! d it-il, plus d’une bacchante « M’aima dans le Palais-Royal ! A ce rendez-vous pacifique Aucun ne manque ; ils sont tous là. O le spectacle m agnifique ! O le resplendissant gala ! E t quel bel exemple nous donnent Ces vins, dans le u r rare fierté, Qui s’acceptent et se pardonnent L e u r triom phante égalité. Charles

M

onselet.


La M

arque

R o y a l e de Vins :

« LAVAU-LE-BRETON, de Saint-Emilion »(1) --------------- --------------------------

Les grands vins seront toujours un tra it d’union entre gens de bonne com­ pagnie . Sous leur magnétique influence l’âme s’ouvreaux sentiments généreux, l’esprit devient plus subtil, la parole plus éloquente. Ils ont le don de déve­ lopper les délicatesses du goût et de spiritualiser les plaisirs de la table. A n to n y R é a l .

Le vin réjouit Dieu et les hommes. (Le Livre des Juges, Ch. 9, v. 13).

Discrets et fins gourmets qui, par goût et science, Des plus subtils nectars cherchez la quintessence ; Nobles et Gentlemen, hôtes des vieurs Manoirs Où passe, chevauchant, l ’ombre des Beaumanoirs, Avez-vous souvenir de la célèbre « Marque » Qui naguère embaumait les festins d’un Monarque, Et pour qui l ’Esprit-Saint dicta ces mots bénis : « Bonum vinum laetificat cor hominis ? »

Des bouches de la Rance à l ’une et l ’autre Sèvre (2), Cinquante ans un grand v in fit claquer toute lèvre (1) M. L a v a u -B r e t o n m ourut en 1870, laissant pour successeur son fils, Paul L a v a u , surnommé le « Chasseur ». Ce dernier, m ort il y a sept ans, négligea, puis perdit la clientèle patrim oniale, ainsi que ses pro­ priétés qui, toutes, furent vendues. (2) Dans la Bretagne et la Vendée.


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LES GRANDS VINS

E t conquit renommée au plus lo in ta in canton : Messeigneurs, saluez le vieux v L avaa-B reton » ! Si vous réalisez quelque jo u r le beau rêve De goûter de ce v in la m erveilleuse sève, Vos créneaux clam eront q u ’i l reste sans égal : V in des Rois, v in d ’honneur, et v in Théologal ! (1) Un Savarin (2) breton, seigneur de v ie ille roche, Proclam e ex cathedra le « Lavau » sans reproche : « A m e r, apéritif, et flatteu r au palais, « Comme Veut vénéré le jo y e u x Rabelais, « On le d ira it mêlé d’un semblant d’Erm itage, « De Châteauneuf-du-Pape, ou d'un tel parentage, « Tant il est plein de feu ! C’est le sang du lion , « Ce vin, ce vieux « L a v a u de S aint-E m ilion » !

Jugement m agistral ! Ajoutez la rem arque Que l ’on n ’altère pas un v in de telle « Marque ». Mais issu du te rro ir d ’un antique Château, E t d ’un sous-sol de fer, au versant d’un coteau Où c ro it le p la n t fameux de Conti-Romanée (3), I l possède une essence, une saveur innée Qui fo n t de ce Falerne (4), au soleil reparu, Une liq u e u r à part, ce q u ’on appelle un « cru » ! (1) M. L a v a u - B r e t o n avait fo u rn i de son c S a in t-E m ilio n » à la Cour d’Angleterre ; c’était le v in de gala dans les châteaux, les curés bretons se servaient de son v in blanc pour la Messe. (2) B rillat-S avarin, célèbre gastronome, auteur de la Physiologie du goût. L ’appréciateur en question était un des plus fins dégustateurs du M orbihan. (3) Les vignobles L a v a u contiennent quelques cépages venant de Rom anée-Conti. (4) Falerne, le vin d’Horace. Les anciens vignobles de Falerne dis­ parurent au vi* siècle de notre ère.


LAVAU-LE-BRETO N, DE SA IN T-É M ILIO N

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O Saint qui nous enchante, honneur à ta bouteille De vin vieux... Marguery (1) n’en a p o in t de pareille ! P hiltre enivrant, breuvage aux adeptes prom is, Et régal que l ’on sert au m eilleur des amis, Par to i, le fin buveur, l ’âme tout attendrie, Célèbre la Beauté, l ’Am itié, la Patrie !... Lavau, le grand Lavau n’eut p o in t de successeur : L ’h é ritie r de son nom vo u lu t être « Chasseur ». C’est ainsi que souvent Tel que nomme l ’H istoire, Déçu dans ses enfants a vu p â lir sa gloire.... Moi, fa m ilie r jadis de l ’illu s tre Maison, Et disciple pieux (2), j ’arbore son blason. Déjà — depuis vingt ans — l ’antique Clientèle Se groupe sur mon nom, empressée et fidèle ; Comme l ’ancien Lavau, je suis le vieux Breton Vénérant to u r à to u r Epicure et Caton. Je veux, pour in sp ire r quelque moderne Horace, Perpétuer ces vins de généreuse race ; Et le fils des Lavau (3), — car le nom v it toujours, — Par ses crus renommés m ’apporte son concours : Ce sont les « Guillemot, les Remparts, les Plaisance », Trois cadets de Gascogne, Altesses de naissance !... Descendants des anciens Clients « Lavau-Breton », A m phytrions mondains et buveurs de bon ton, (1) Tout le monde connaît M. Marguery, le célèbre Restaurateur du boulevard Bonne-Nouvelle, à Paris. (2) Je fus, il y a 25 ans, collaborateur de la fam ille L a v a u . (3) M. L a v a u Aîné, parent, ancien secrétaire de M. Lavau-Breton, 1" Adjoint au Maire de Saint-Em ilion pendant 20 ans, et propriétaire des châteaux : Guillemot, les Remparts et Petit-Bois-Plaisance.


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LES GRANDS V IN S

Si vous voulez un jo u r o ffr ir à vos convives Un v in p u r et n ’ayant que des vertus natives, Splendide, chaleureux, p le in de suavité, Qui procure à la fois la jo ie et la santé, Renouez avec m oi le pacte séculaire ; Je pretends être u tile , et m on b u t est de plaire : A u centre de Bordeaux, vaste Capharnaüm, Je m aintiens la devise : « H on o r ante lucrum » ! (1) Videz votre hanap au soleil qui se lève ; « Tout bonheur que la m ain n ’atteint pas n'est qu'un rêve ! »

Entonnez l'Évohé ! de Bacchus trio m p h a n t, Car m on v in , même aux vieux, donne des cœurs d ’enfant !

Amateurs et gourmets de Bretagne et de France, On peut trouver encore, ayez-en l ’assurance, Ces principes constants de ponctualité, De zèle bienséant, de stricte p ro b ité... Si des titres acquis excusent ma demande, Gardez-moi de bon cœur une prom pte commande, E t, confiants, comptez sur l'entier dévouement De celui qui se dit, respectueusement,

Votre co rd ia l S erviteur, René M i d y (Breton), Officier de l’in s tru c tio n Publique, M em bre de la Société A rtistiq u e et L itté ra ire de VOuest, M em bre de la Société des A griculteurs de F ra n c e .

(1) L’honneur avant le gain J


LAVAU-LE-BRETON, DE SA IN T-ÉM ILIO N

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Notice historique. — Cet exposé en vers de la « Marque Lavau », ne relate que des faits précis, avérés, absolu­

ment authentiques. Il s’agit donc ici, non d’une fantaisie litté ra ire , mais d’une Circulaire commerciale parfaite­ ment sérieuse et positive. Le nom Lavau, — L A V A

U, — est le v ra i et seul

nom « Lavau-Breton », populaire depuis 80 ans dans tous les châteaux de la Bretagne et de la Vendée. M. L a v a u , originaire des environs de Brest, créa vers 1820 cette * Marque spéciale » si hautement appréciée par les connaisseurs. I l signait : « D . Lavau-Breton fils de l’Aîné ». Je prie instamment mes très honorés lecteurs

et clients de ne pas confondre ce vieux nom historique avec d’autres d’orthographe à peu près sim ilaire, mais qui n’ont jamais eu n i relations

n i parenté avec

M. Lavau-Breton. Cette « Marque Lavau » ainsi rétablie, est une spécialité pour le Saint-Em ilion ajoutée à notre vie ille et grandiose

organisation à Bordeaux, Beaune et Cognac, où — comme on le sait — nous avons Maisons en propre, et d’où nous expédions directement. E crire : M . René M i d y , à Bordeaux. — Le prénom est de rigueur.



LA POMME A TRAVERS LES AGES REVUE

H U M O R IS T IQ U E ------------------' ? -------------------

SOMMAIRE

:

Le Paradis terrestre. — Le Jardin des Hespérides. — Cidre normand, Cidre breton. — L a Pomme dans les cinq Parties du Monde. — Noé et la Vigne. — Les Bergers de Virgile. — L a Pomme de Discorde. — Marchand à Fachoda. — L a boîte de Pandore. — Le Nectar et VAmbroisie.

I LE PARADIS TERRESTRE Sur terre bretonne ou normande, Dès la naissante humanité, Grand’mère Eve, fine et gourmande, A proclamé ma royauté. Et depuis, parcourant le monde, Comme en un record triom phal, Dans une allégresse profonde J’exerce un pouvoir sans riva l.


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LA POMME A TRAVERS LES AGES

Ma lib re et fantasque nature, En quête d ’incessants exploits, C ourt d’aventure en aventure, A l ’univers d icta n t ses lois.

II LE JARDIN DES HESPÉRIDES G u il l a u m

e

T

e ll

. — N

ew ton

Dans le Jardin des Hespérides, Au p re m ie r concours de beauté, Je fis connaître pleurs et rides A plus d ’une D iv in ité . J’ai p o u r devise : « A la plus belle ! » Du beau sexe dans le to u rn o i, Je rends fo lle m ainte cervelle, Chacun pense : « E lle est à m oi ! ! » Je fus la to rtu ra n te cible Imposée à G uillaum e T e ll ; Mais si Gessler fu t inflexible, Le fie r tire u r est im m o rte l ! Par m oi, N ew ton, vaste génie, Sous un vieux pom m ier d ’A lbion, P erçoit l ’étonnante harm onie Des lo is de gravitation.


CIDRE NORMAND — CIDRE BRETON

III CIDRE NORMAND. -

CIDRE BRETON

Calvados

Je suis cidre de Normandie, Haut en couleur et capiteux ; Gare à qui b oit à l ’étourdie : Je terrasse le malheureux ! Plus souvent je charme et restaure : Versez ce robuste pom mard Qu’à la table de Félix Faure Savourait notre ami le Tzar ! Frêle, mais flatteur en Bretagne, Je sais bannir chagrins et pleurs ; Aux belles filles de campagne Je donne leurs fraîches couleurs. Je deviens un esprit, une âme, Fine-Bretagne ou Calvados,

Alors pour éteindre ma flamme, De la mer il faudrait les flots !

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LA POMME A TRAVERS LES AGES

IV LA POMME DANS LES CINQ PARTIES DU MONDE Grenade. — Orange. — M

a n d a r in e

Je suis la « Pomme fraternelle » E ntre gars Norm ands et Bretons ; Je foisonne sur la Moselle, Chez les Russes, chez les Teutons. Jadis Française en Am érique, Dans les plaines du Canada, Je fus Espagnole au Mexique, A l ’Equateur, à La Plata. J’orne les ja rd in s de l ’Asie, Carminée au soleil b rû la n t ; J’abonde aux vergers d ’A ustralie, J’e n rich ira is le Groenland !... Les fringants m andarins, en Chine, Ont un culte p o u r ma beauté : La ru tila n te m andarine (1) Y prend des airs de Majesté.

(1) L a pom m e d’orange appelée ; M andarine.


NOÉ ET LA VIGNE

Je suis la splendide grenade Aux bords des fleuves africains, Où la Nymphe de la cascade Jette mes graines aux Sylvains. Doux et capiteux vin d’oranges, J’ai charmé les belles houris ; Je serais l ’é lix ir des anges Si l ’on buvait au paradis !

V NOÉ ET LA VIGNE Non, il n’est pas ju sq u ’à la vigne Qui, jalousant ma qualité, N ’ait pris mon nom comme un insigne De son « Pom m ard » si réputé. Noé, le très saint Patriarche, Avec le vin batifola ; Il venait de s o rtir de l ’Arche : J’excuse cette frasque là. Mais il méconnut son grand-père, Franc Normand, loyal Bas-Breton ; Il fit injure à sa grand’m ère.... Papa Noé fut un Gascon !

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LA POMME A TRAVERS LES AGES

VI POMONE. -

LES BERGERS DE VIRG ILE

Je me plais aux métamorphoses, Comme un L u tin facétieux, E t je rêve d ’apothéoses Dans des édens m ystérieux. « Là, je plane dans la lum ière, « Plus haut que l ’Alpe ou l ’Apennin, « Reflet de la beauté prem ière, « Sœur de 1’ « éternel fé m in in . » (1) Chez les Anciens je fus déesse : A Pomone on sa c rifia it....

J’avais des temples dans la Grèce, E t dans Rome l ’on m ’adorait ! Symbole du bonheur tra n q u ille Au cœ ur fervent des amoureux, C’était m oi, d it le doux V irg ile , Que les Bergers s’offraient entre eux ! (2)

(1) Théophile Gautier, E m a u x et Camées. (2) .... Sunt nobis m itia poma, Gastaneae molles, et pressi copia lactis... « Nous aurons des fruits m ûrs, nouvellem ent cueillis ; « Ceux de m on châtaignier sous la cendre am ollis ;


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LA POMME DE DISCORDE

V II LA POMME DE DISCORDE La pomme antique de Discorde, Egérie au siècle nouveau, Bat le rappel de la Concorde Eperdument place Beauvau ! — Pomme ou poète, on te dispense De sonder ce terrain fatal.... — Eh ! honni soit qui mal y pense ! Mon « Bloc » est un p u r Idéal ! Parm i les peuples en délire, Dont je voudrais b riser les fers, Je m ’élance, armé de ma lyre, Comme Orphée au sein des enfers ! (1)

« Du lait qu’un sel piquant durcit dans mes corbeilles, « Et le m iel onctueux de mes jeunes abeilles. » B u c o l i q u e s , Eglogue i. Malo me Galatea petit, lasciva puella ; E t fugit ad salices, et se cupit antè videri. « Souvent m a Galatée, une pomme à la main, « Me poursuit, me la jette, et me fuyant soudain, « Sous des saules épais se dérobe à ma vue ; « Mais avant la folâtre a soin d’être aperçue. » B u c o l i q u e s , Eglogue, m. Traduction de Langeac. (1) Im ité de Victor Hugo, Odes et Ballades.

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LA POMME A TRAVERS LES AGES

Je vais prêchant la tolérance, La d ivin e F ra te rn ité ; A m on vieux c ri : Vive la France ! L ’écho répond : H um anité !

V III MARCHAND A FACHODA L a P a m p le m o u s s e

Marchand me tro u va « pamplemousse », A ux lagunes de Fachoda : Qu’à son cœ ur ma sève soit douce Et le suive en son Golgotha ! J’entends v ib re r l ’âme de France ; J’ira i d ire à chaque Français : « I l est un baume, l ’Espérance !... » S erviteur ! Messieurs les Anglais ! Salut ! vallons d ’Abyssinie, Verts coteaux du Mazandéran ! V o ici les pom m iers d ’Arm énie : Adieu, ja rd in s de Téhéran !


LE NECTAR ET L*AMBROISIE

IX LA BOITE DE PANDORE Parcourez le temps et l ’espace, Rivage idéal ou réel, Je suis partout forte et vivace : Mon empire est universel. Je suis la boîte de Pandore ; Je d istille le jus bénin : A insi qu’une magique amphore, Je recèle baume et venin....

X LE NECTAR ET L ’AMBROISIE F ru it recherché de tous les âges, Que tant d’assoiffés ont m ordu, F ru it des édens ou des bocages, Tu n’es pas le fru it défendu !


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LA POMME A TRAVERS LES AGES

Doux nectar, exquise am broisie, D élicieux fr u it velouté, Va î... désaltère et rassasie La fam élique hum anité !

A u plus beau fr u it du monde mords Gloutonnement, Jacques Bonhomme ! Que sa sève coule à pleins bords... Allons, Croquant, croque la Pomme !

R ené M i d y .


Q u i veut devenir Poète ?

Les lettres sont de l’argent pour les Roturiers, de l’or pour les Nobles, et des diamants pour les Princes. Le Pape J u l e s II.

LETTRE EXPLICATIVE A MES LECTEURS

T

r è s h o n o r é s e t b ie n v e il l a n t s

L ecteurs,

Je vous entends d’ic i me faire sommation d’avoir à vous expliquer, hic et nunc, ce que signifie au juste ce titre flamboyant : Qui veut devenir Poète ? Car, pensez-vous, je ne suis pas la Muse en personne, et, vraisemblablement, je n’ai pas le pouvo ir de vous transform er en Poètes par la vertu d’une baguette magique. Alors quoi donc ? Votre impatience me touche. Je suis d’ailleurs bon prince, et sans autre préambule, je vais satisfaire de mon mieux votre légitim e curiosité. Mais, d’abord, qu’est-ce qu’un Poète ? Lorsque j ’étais au collège, un fantaisiste à qui je


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

posai cette question, me ré p o nd it à b rû le -p o u rp o in t : « Le Poète, c’est le Cygne q u i vogue sur la mare de l ’im agination ! » Certes, ce n ’était pas tro p m al — comme fantaisie — et aussi, peut-être, p o u r ceux qu i sont déjà dans le secret des dieux. Seulement, p o u r les profanes, c’est-à-dire le com m un des m ortels, cette pittoresque d é fin itio n n ’en resterait pas m oins, je suppose, radicale­ m ent nébuleuse. Efforçons-nous donc d ’être plus cla ir. Le Poète, disent les dictionnaires, est l ’écrivain qui fa it des vers, q u i s’adonne à la poésie. Ceci est m oins vague déjà ; mais, par contre, terre à terre, prosaïque, en un m ot, sans expression. Si nous consultons les lettrés, ils nous d iro n t que le poète est un voyant, un prophète, — le chantre in té rie u r q u i dégage le sentim ent p ris o n n ie r au fond de l ’âme et s’élève ju s q u ’au monde in visib le . « Le Poète est l ’esprit qu i chemine en rêvant, « E t dont l ’âme résonne au vent comme une ly re ! » Cette fois, nous vo ilà en plein dans le pathétique ! N ’allons pas ju s q u ’à demander aux poètes de se d é fin ir eux-mêmes ; nous n’en fin irio n s pas. A rrêtonsnous donc ; et p o u r être parfaitem ent compréhensible, disons, si vous le voulez, que le Poète est celui qu i conçoit les choses dans le u r beauté idéale, et qu i sait les exprim er en des vers plus ou m oins parfaits. Cela étant, peut-on, par un apprentissage quelconque,


LETTRE EXPLICATIVE A MES LECTEURS

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devenir Poète, comme on devient, par exemple, maçon, charpentier ou ta ille u r ? Entendons-nous, et distinguons. Le vra i Poète est — par la grâce de Dieu, dit-on — un être supérieur désigné et choisi entre tous. Le Poète crée ; créer est un a ttrib u t de la d ivin ité . Le Poète a quelque chose de plus qu’humain. N ’est pas Poète celui qui n’a pas le cœur d’un héros et que ne b rûlent pas une immense charité et un immense amour !... Etre Poète, c’est comprendre Ce que le cœur a d’in fin i ; Plaindre le pauvre et le banni, A v o ir la main prête à se tendre. Etre Poète, c’est souffrir D’une espérance inassouvie ; C’est donner m ille fois sa vie Et pourtant n’en jamais m o u rir (1) ! « Le Poète est un monde enfermé dans un homme », a d it V. Hugo. Le Poète, en effet, s’adresse à l ’âme qui peut directement être en contact avec Dieu. I l est à la fois musicien, statuaire, peintre, orateur. I l charme l ’oreille, enchante l ’esprit, représente les sons, im ite les couleurs, rend les objets visibles, et excite en nous les mouvements qu’il lu i plaît d ’y produire. I l possède enfin l ’art d’écrire d’une manière si absolue, si parfaite (1) BouteJIeau.


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Q U I VEUT D E V E N IR POÈTE ?

et si dé finitive, q u ’on ne peut faire à sa com position aucun changement, quel q u ’i l soit, sans la rendre m oins bonne et sans en atténuer le sens. S’i l en est ainsi, je dois avouer hum blem ent qu’i l n’y a rie n à faire de ce côté : i l nous faut chercher ailleurs. Mais, en d éfinitive, cela ne paraît pas une si mince besogne ; et comme le cadre de cette étude ne permet p o in t une longue d isse rta tion , je me résume et je conclus. Résumé. — Le m ot poésie, du grec 7roie<v, faire, fa b ri­

quer, im p liq u e création ; mais toute création n ’étant pas poétique, i l faut ajouter un élément caractéristique qui est Y inspiration. Le Poète est le créateur inspiré. Créer — p o u r l ’intelligence de l ’homme — c’est em­

p lo ye r à réaliser une conception, des éléments donnés par la nature. U in sp iratio n est la plénitude de la pensée et l ’exalta­

tio n des forces de l ’intelligence. Ce q u i vie n t de Dieu, chez le Poète, c’est la vocation, l ’étincelle sacrée ; i l a, de plus, le privilège de p o u vo ir d ire naturellem ent de grandes choses. Or, dans la pensée commune, ces grandes choses, i l les exprim e forcém ent en vers, puisque la poésie n ’a pas d ’expression plus digne de la représenter que les beaux vers. Sans doute, la poésie éclate çà et là dans la prose d ’un Bossuet et d ’un Chateaubriand ; sans doute, les grands p eintres, les grands architectes, les grands m usiciens sont des Poètes ; mais l ’adm iration des


LETTRE EXPLICATIVE A MES LECTEURS

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hommes ne s’est pas méprise en donnant exclusivement ce beau nom aux chantres inspirés qui ont choisi et cadencé les mots de manière à en form er, dans chaque idiome, ce qu’on appelle le « langage des dieux ». Conclusion. — Lorsque, en tête de ce chapitre, j ’ai écrit sans hésiter : « Qui veut devenir Poète ? » il est certain que j ’ai dû exagérer, à seule fin de mieux faire comprendre ; — que, tout au plus, j ’ai voulu dire clai­ rement et simplement ceci, et pas autre chose : « Qui veut savoir comment, sans être réellement Poète, on peut a rrive r à faire des vers ? — le Poète n’étant pas seulement un prophète et un penseur, mais aussi un o u vrie r qui, comme tous les ouvriers, doit a voir appris son m étier par im itation, et en connaître la tra d itio n com­ plète. » Dans ces lim ites précises et dès lors rationnelles, mon titre se justifie. Il n’a plus rien d’excessif, rien d’illusoire. L ’art des vers est accessible à chacun, et s’il en faut une preuve modeste, mais pourtant péremptoire, j ’oserai sans fausse honte me citer comme exemple. Je ne dis pas comme modèle : à bon entendeur salut ! Bien avant moi, Théodore de Banville, avec son autorité de Poète subtil et de versificateur émérite, a proclamé cette vérité : « On peut, sans être Poète, faire des vers supportables : nous sommes assez singes de notre nature pour tout im ite r, même la beauté et même le génie, et je suis homme à donner comme un autre, cette consultation em pirique ! »


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

LE SECRET DE L ’ART DES VERS

« Ceci va vous paraître étrange et n’est pourtant que strictem ent v ra i : on n ’entend dans un vers que le mot q u i est à la rim e, et ce m ot est le seul qui tra va ille à p ro d u ire l ’effet vo u lu par le Poète. Le rôle des autres mots contenus dans le vers se borne donc à ne pas c o n tra rie r l ’effet de celui-là et à bien s’harm oniser avec lu i, en form ant des résonances variées entre elles, mais de la même couleur générale. « Seulement, comme il y a les règles de l ’art, il y en a aussi de l ’artisan. Celles de l ’a rt sont communes à tous ceux q u i le professent ; mais les règles de l ’artisan lu i sont particulières, parce q u ’i l les a trouvées dans sa propre in d u strie , à force d’observation et d ’expérience. « Donc, vous n ’êtes pas Poète ; vous voulez cependant écrire en vers. Prem ièrem ent, i l faut ic i détruire un des préjugés les plus en faveur q u i s’opposent à ce que vous atteigniez le b ut proposé. Presque tous les é cri­ vains qu i de le u r propre autorité se sont in titu lé s les législateurs du Parnasse, vous conseillent unanim em ent d'étudier les modèles. I l n ’y a pas de conseil plus faux et

plus pernicieux que celui-là. Car, com m ent pourriezvous, d ’aventure, vous, ignorant, deviner et pénétrer à la fois les procédés de vin g t Poètes différents, vous d é b ro u ille r parm i le chaos de ces procédés si divers, et écouter vin g t leçons q ui, p o u r un écolier, se contredi­


LE SECRET DE L ’ART DES VERS

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sent et se détruisent l ’une l ’autre ? Tout au contraire, vous choisirez parm i les grands Poètes, celui pour lequel vous vous sentez la plus forte et la plus étroite sympathie, puis, parm i les ouvrages de ce grand Poète, celui de tous que vous sentez et admirez le mieux. A lors, ayant pris ce liv re , fermez tous les autres et ne lisez plus que celui-là. Lisez-le sans cesse, sans repos, sans trêve, comme un Luthérien lit sa Bible, ou comme un bon Anglais lit son Shakespeare, et, croyez-moi, cette fré­ quentation obstinée d’un maître vous vaudra mieux que tous les enseignements possibles. « A force de lire sans cesse votre Poète, vous a rrive ­ rez à le v o ir effectivement tra v a ille r sous vos yeux, car vous ne tarderez pas à rem arquer les mêmes moyens employés pour amener les mêmes effets. Le mouvement du vers qui est toute une musique savante et co m p li­ quée, entrera dans votre cerveau sans que vous y preniez garde, tandis que les théories abstraites les mieux développées ne vous l ’enseigneraient pas. Bientôt la phrase versifiée se chantera d’elle-même dans votre tête, et vous écrirez en vers inconsciemment, comme on marche sans se rendre compte de chacun des m ou­ vements dont se compose la marche. Dans l ’un comme dans l ’autre cas, la volonté agit et fait m ouvoir les organes sans a voir conscience de ses actes. « I l nous reste à faire deux exercices indispensables. « Etant donnés un objet ou un ensemble d ’objets, un aspect de la nature, un ou plusieurs personnages dans telles ou telles conditions pittoresques, même une idée,


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

une sensation, un ensemble d’idées ou de sensations, une couleur, un effet de lum ière, habituez-vous à carac­ té rise r chacune de ces choses par un mot unique. Votre m ot caractéristique est trouvé, et vous savez que vous devez le placer à la Rim e. Reste à tro u v e r la rim e qui sera la ju m e lle de celle-ci.Vous la chercherez ou, comme la prem ière, dans votre m ém oire, ou dans un bon d ic ­ tio n n a ire des rim es que, d’a illeurs, vous ne tarderez pas à savoir p o u r ainsi d ire par cœur. Mais ic i pas de vaine g lo rio le , et sachez vous tra ite r vous-même avec la dernière sévérité. Un grand Poète, un Poète quelcon­ que même, fa it ce qu’i l veut et ce que son in sp ira tio n lu i dicte. Mais vous devez n ’em ployer jam ais que des rim es absolum ent brillantes, solides et riches, dans les­ quelles on tro u ve to u jo u rs la consonne d ’appui, et qui soient d ’autant plus vigoureuses que vous aurez choisi une consonance qui term ine dans le dictio n na ire un plus grand nom bre de mots. »

MON

RO LE

E x c it a t e u r ,

D ’ E N S E IG N A N T non

P rofesseur

Tels sont, à grands tra its , d ’après Théodore de B anville, les moyens rudim entaires, et en quelque sorte, le secret de la versification. I l ne s’agit plus que d ’in i­


MON ROLE D ’ENSEIGNANT

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tiative personnelle. Liber apertus est, et nunc erudim ini : le liv re est ouvert, et maintenant lisez ! Si, d’aventure, il vous prend fantaisie de m ’objecter qu’en dépit de ce fier langage la vérité qui nous im porte n’apparaît qu’à demi, je n’oserai pas trop en disconvenir. La vérité de M. de Banville est une demoiselle tim ide qui va toujours le visage en partie masqué : c’est à nous à deviner si la demoiselle est belle ou laide. Pour moi, amené à faire des vers inopiném ent, sans études préalables, et, pour ainsi dire, par suggestion, j ’éprouve le désir légitim e de faire part de mes im pres­ sions aux futurs candidats, escholiers et adeptes de la Muse. Ce n’est pas pour en tire r vanité : je viens sim ­ plement prêcher d’exemple. Aussi bien, je ne saurais, non plus que personne, indiquer matériellem ent, direc­ tement, l ’art de composer les vers ; ce serait entre­ prendre de faire un cours de génie. Mais je puis trouver un autre moyen pour re m p lir mon rôle d 'enseignant. Or, ce moyen, quel est-il ? C’est de jeter un grand mouvement dans l ’esprit du lecteur, de lu i o u v rir des horizons nouveaux, d’éveiller en lu i de vives ambitions, de l ’exciter au tra va il personnel, d’en faire, en un mot, mon collaborateur dans l ’œuvre de son éducation de rim eur. A vrai dire, c’est plu tôt une initiation qu’un enseignement. Je ne suis pas un professeur, je suis un

simple excitateur. Je viens vous o ffrir en réalité, chers lecteurs, de faire ce que j ’ai fait moi-même pour mon édification person­ nelle; je viens ensuite partager avec vous la joie, l ’illu ­


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

sion de se cro ire Poètes ! Et quel grand service je vous rendrais, si je pouvais vous souffler au cœur un peu de cette passion p o u r la Rime à qu i j ’ai dû de si bons moments !

L ’Œ UF DE COLOMB

L ’a rt n ’est pas to u jo u rs le fr u it défendu, l ’arche sainte, le problèm e insoluble. La d ifficu lté p rim o rd ia le , la véritable pierre d ’achoppement, c’est d’avoir Vidée d ’une entreprise courageuse, et d ’en poursuivre ensuite l ’exécution avec une volonté persistante et inflexible. Vous connaissez l ’œuf de Colomb. « Les transports d ’enthousiasme causés par la décou­ verte de l ’Am érique étaient à peine calmés que la m a li­ gnité et l ’envie commencèrent à lever la tête. On chercha par des insinuations perfides à a ffa ib lir le m érite de cette im m o rte lle découverte. « Après un prem ier pas, « le monde était venu en quelque sorte à lu i ; to u t son « génie n ’avait été q u’une longue et vulgaire patience ; « en un m ot, p o u r d é co u vrir l ’A m érique, i l n ’avait fallu « q u ’y penser !... » Telle était la hardiesse des détracteurs, que ces propos m alveillants circu la ie n t tout haut, un jo u r, à la table d ’un grand d ’Espagne où avait été in v ité Colomb. Le grand homme resta silencieux durant toute la discus­


A UN JEUNE POÈTE

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sion ; seulement, après un instant de réflexion, il se fit apporter un œuf et le présenta aux nobles convives. « Qui de vous, Messieurs, se sent capable de faire te n ir cet œuf debout sur une de ses extrémités ? » L ’œuf circule, passe de main en main et revient à Colomb sans que le problème ait été résolu. Alors celui-ci prend l ’œuf, le frappe légèrement sur son assiette, et l ’œuf reste en équilibre. Chacun se récria : « Ce n’était pas difficile. — Sans doute, répliqua Colomb, avec un sourire ironique ; mais il fa lla it y penser. » (Larousse).

A UN JEUNE POÈTE Il m ’est donc permis, chers lecteurs, de deviner en vous plus d’un nouveau Poète touché du rayon de la grâce, prêt à lancer une strophe vibrante au désert de la foule, ou à m urm urer à voix basse une poésie héroïque le long d’une grève de Bretagne. A cet être p rivilégié, je ferai lire les jo lis vers ci-dessous, débuts d’un jeune talent, d’un fu tu r génie, si Dieu lu i eût donné d ’accom­ p lir sa carrière dans les lim ites ordinaire de la vie : Puisque tu veux faire à ta tête, Et devenir un apprenti Dans le fier m étier de Poète, Au nez du bourgeois abruti,


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

Ecoute le conseil d ’un frère, Conseil que tu n ’as pas cherché, Car tu te moques au contraire De mes grands airs de sphinx penché. A vant to u t, jeune am i, relève Ton noble fro n t vers le soleil : Dieu le fit p o u r p o rte r un rêve E t regarder le ciel verm eil. Quand tu passeras dans la v ille , Marche vite , mais en m o n tra n t A la populace servile Ton talon de rapsode errant. Vis dans la solitude calme, La grande ly re dans ta m ain : E t tu sentiras une palme Ombrager ton fro n t surhum ain. Tu deviendras l ’aède sombre Qui regarde, surnaturel, Dans le crépuscule où to u t sombre, Son rêve devenir réel. Chante ta jo ie ou tes alarmes, Rends-nous joyeux, fais-nous p le u re r : Nous trouverons to ujou rs des charmes Aux vers q u i nous feront v ib re r. Lup J a n .


LES DEUX CODES DE VERSIFICATION

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LES DEUX CODES DE VERSIFICATION

On sait qu’il existe deux genres absolument distincts d’alexandrins : le vers classique, si bien défini et codifié par Boileau, et le vers du x ix e siècle ou vers romantique, créé par V icto r Hugo. L ’alexandrin classique présente une grande harmonie générale par la régularité du rythm e, et par l ’observance exacte de la césure à la sixième syllabe. La lo i du vers romantique se résume, au contraire, dans les tro is points suivants : Libre arrangement des mots dans le cadre des douze syllabes ; — richesse implacable de la rim e ; — jaillissem ent, de temps en temps, d’un grand vers qui sert de base à toute la période. « M. de Banville nous d it que les Poètes du xvn e siècle ont été grands malgré leur instrum ent poétique, que cet instrum ent était misérable, mesquin, tronqué. Je réponds à l ’illu stre maître par les vers d’Athalie : J’ai mon Dieu que je sers, vous servirez le vôtre. Ce sont deux puissants dieux. « Chacun de ces dieux veut son culte p articulier. L ’alexandrin du xvn e siècle est un vers magnifique, dont la forme a enchanté la France pendant près de deux siècles, et dont la juste adm iration n’est pas près de fin ir. L ’alexandrin du x ix e siècle, tel que V icto r


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

Hugo l ’a co n stru it, est un in stru m e n t nouveau et puis­ sant, mais dont le maniem ent est plus d iffic ile et pour le Poète et p o u r le lecteur. » (Legouvé). J’allais o u b lie r le vers décadent, créé par les impres­ sionnistes fin de siècle, et qu i n ’est, en

réalité, que

Youtrance, Vanarchie dans la versification.

« En fa it d ’écoles, chaque génération se c ro it en possession du présent et de l ’avenir et prétend person­ n ifie r l ’art. Souvenons-nous seulement q u ’il y a par­ dessus to u t une lo i véritable : la droite raison, conform e à la nature universelle, invariable, éternelle, qui n’est pas autre dans Rome, autre dans Athènes, autre dans le monde moderne, autre a u jo u rd ’h u i, autre demain, et qu i s’impose à toutes les nations et à toutes les époques. » (Ch. Gidel).

UTOPIE. -

R É A LITÉ

J’ai rêvé maintes fois de faire une élégie, Digne de prendre place en quelque anthologie, Un de ces m orceaux fins, longuem ent travaillés, Polis, damasquinés, incrustés, ém aillés ; Œ uvre de patience, œuvre hum ble, œuvre petite, Formée avec lenteur, comme la stalactite, Valant un gros poème en sa ténuité, Et faite p o u r d u re r toute une éternité \ . . t


UTOPIE —

RÉALITÉ

229

Mais hélas ! le parfait, même en petit, n’est pas Chose facilement accessible ici-bas. Ce modèle idéal qui dans notre esprit flotte, De l ’art qu’il décourage intangible asymptote, On veut en vain l ’atteindre et le réaliser ! Quand même notre cœur viendrait à se briser, Nous ne pleurons pas tous de ces larmes divines Que le temps cristallise et change en perles fines !... Ainsi s’exprime Amédée Pom m ier dans une pièce de vers intitulée : Mon Utopie. Certes, et à plus forte raison, je n’ai pas davantage, moi, chétif, la superbe am bition d’embaumer un de ces pleurs divins dans l ’ambre de mon vers. Mais j ’affirme qu’en offrant au lecteur de le transporter d’emblée en plein pays de la rim e, ce n’est point une utopie dont je bercerais, comme par m ystification, son esprit bénévole. E crire des vers spontanément, c’est une épreuve déjà faite, une réalité en exercice. Je tiens la chose pour démontrée, pour vérité mathématique. C’est parce qu’il existe quand même d’éternels réfractaires, des frondeurs et des mécréants que je reviens à la charge avec une si persistante ténacité. « L ’homme de conviction, d it Eugène Pelletan, a toujours plus ou moins une âme d’apôtre ; il habite la vérité comme une maison, pour en faire noblement les honneurs. Il ne parle pas pour convertir ceux qui sont déjà convertis, il parle pour appeler à lu i les âmes dans l ’attente ; et comment viendraient-elles, si elles ne tro u ­


230

Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

vent au seuil de sa porte une parole de bienvenue ? Entrez donc, vous tous q u i ne redoutez pas l ’obstacle ; c’est l ’obstacle, en définitive, q u i provoque l ’effort, et c’est l ’effort suprême q u i constitue l ’héroïsme. Chacun de nous a plus ou m oins en lu i la monnaie d ’un héros ou d ’un poète ; i l n ’a q u ’à v o u lo ir. » Jusqu’au jo u r donc de la v ic to ire pacifique de mon idée, je n ’ai pas le d ro it de modestie. Nous avons tous, petits ou grands, m ission d ’enseigner, car la société to u t entière n ’est qu’une immense école m utuelle. Nous agissons tous et nous réagissons tous à l ’in fin i les uns sur les autres, et nous n ’avons satisfait à la consigne q u ’autant que nous avons donné notre mesure. P our tra n ch e r ainsi la question dans le v if, p o in t n ’est besoin, dès lo rs, d ’être un grand clerc, un poète de talent, un versificateur émérite. Poète. . . c’est un beau nom ; i l vaut bien celui de grand trib u n dont p lu ­ sieurs ont goûté et q u i en ont encore la bouche amère. Mais hélas ! je suis si peu poète, qu’i l vaut m ieux, par modestie et conscience, n ’en p o in t p a rle r : je m ’in titu ­ le ra i to u t au plus, un vague rim e u r. Quant à mes vers, quels sont-ils ? J’aurais mauvaise grâce aussi bien à vanter qu’à déprécier moi-même ma « marchandise ». J’ai fa it des vers, v o ilà to u t. « Bien ou m al, je les laisse à ju g e r aux experts ! » Mais si je dois garder le silence, il me sera perm is de re p ro d u ire ic i, sans com m entaires, deux lettres qui m ’ont été adressées à propos de mon poème : Le Vin


UTOPIE — RÉALITÉ

231

du Recteur de Coatascorn. La première est de M. Frédéric

Le Guyader, le poète breton par excellence, l ’éminent auteur de 1’ « Ere bretonne » ; la deuxième, du savant abbé Joseph Dom inique, professeur à l ’Ecole D om ini­ caine à Toulouse, plusieurs fois lauréat de l ’Académie des Jeux Floraux. V oici ces lettres :

« M

on

cher

Confrère,

« Stanislas M illet vous fa it le reproche d’être fidèle à la vie ille Ecole ; à certains égards il n’a pas to rt, puis­ qu’il est d it qu’il faut m archer avec le Progrès. « Pour ma part,,je suis ennemi enragé de certains progrès, de certaines Ecoles nouvelles où je vois plus de tapage que de bonne besogne. Je suis, comme vous, attaché aux vieilles traditions, qui veulent que le fran­ çais soit franc dans sa langue, simple, naturel. J’ignore tous les procédés nouveaux dits « décadents ». Les « Décadents » sont des gens malades qui m ’h o rrip ile n t et qui sont tout simplement des Fumistes (V o ir la suite de cette lettre page 30). « Je ne désespère pas de vous re vo ir tô t ou tard, et nous causerons alors de ce que nous aimons tous deux, les bons vers et les bonnes gens. « Veuillez agréer, mon bien cher Confrère, l ’expres­ sion de mes sentiments affectueusement dévoués.

« Frédéric

L e Gu y a d e r . »


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

« Bagnères de Bigorre, 4 février. « M

o n s ie u r

,

« On m ’a rem is, h ie r seulement, votre lettre. Veuillez donc excuser mon retard qu i a dû vous paraître si long. « Je me ferai un p la is ir d ’être votre correspondant. Votre poésie me p la ît à ce p o in t que je ne laisse pas échapper l ’occasion d'être son p arrain. Aussi, je vais me perm ettre de p a rle r sincèrement et sans métaphore à m on fille u l. Ceci, cher M onsieur, d o it vous laisser entendre déjà que je n ’ai pas grands reproches à lu i adresser. « Cependant, en v o ic i un qu i est très grave : vous avez atteint la lim ite perm ise, — 200 vers. Or, l ’Académie qu i se place au p o in t de vue de son Recueil à im p rim e r, tie n t ce raisonnem ent :

« Avec le même

espace, nous im p rim e ro n s tro is pièces, et nous satis­ ferons deux personnes de plus. » Je suis d ’autant plus autorisé à exprim er cet avis, que j ’en ai souffert m oimême. « H a u d ignara m ali, miseris succurrere disco ! »

« Aussi, je vous conseillerai fo rt de réduire votre pièce à cette idée très piquante q u i est exprimée aux vers 195-198 (1), q u i doivent être les derniers de la pièce, et provoquent un rire très naturel. Je commencerais au vers. . . (1) Actuellem ent, m on poème com prend 472 vers.


UTOPIE —

RÉALITÉ

233

« Je ne prends pas l ’autorité de proposer ces sup­ pressions au p oint de vue poétique. Certainement le récit a plus d ’hum our et de vie dans toute son inté­ grité. Mais je me place au p o in t de vue de son succès aux Jeux Floraux. Or, i l faut com pter : 1° avec la satiété des examinateurs qui, après avoir lu 6 ou 800 pièces, pourraient être effrayés par une lecture de 200 vers, si bonne qu’elle puisse être ; 2° avec la séance, — car on cherche à la rendre aussi courte et intéressante que possible ; 3° avec l ’im pression. « Quant à la retouche des détails, permettez-moi, mon cher Monsieur, de ne point oser vous l ’indiquer, quelque envie que j ’en aie. L ’expression de l ’idée poéti­ que est chose si personnelle que, même avec la m eilleure volonté du monde, la m oindre intervention étrangère p ro d uit un contre-sens. Et, d’ailleurs, ma forme de vers, plus réaliste et brisée, s’harm oniserait mal avec la vôtre dont les qualités sont la souplesse et la douceur ironique. « Je suis heureux, Monsieur, d’avoir eu l ’occasion d’entrer en relations avec vous, d’une aussi charmante façon. Permettez-moi de vous rem ercier de votre con­ fiance et de m ’excuser de mes indications qui ne sont pas des conseils. « Abbé Joseph

D

o m in iq u e

. »


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Q UI VEUT D E V E N IR POÈTE ?

L ’ID É A L POÉTIQUE F u turs rim e u rs , versificateurs et Poètes, écoutez Lam artine : « Une d ouleur que vos vers ont pu e n d o rm ir un m om ent, un enthousiasme que vous avez allum é le p re m ie r dans un cœ ur jeune et p u r, une prière confuse de l ’âme à laquelle vous avez donné une parole et un accent, un so u pir q u i a répondu à un de vos soupirs, une larm e d ’ém otion q u i est tombée à votre vo ix de la paupière d ’une jeune femme, un nom chéri, symbole de vos affections les plus intim es, et que vous avez consacré dans une langue m oins fragile que la langue vulgaire, une m ém oire de m ère, de fem m e, d ’amie, d ’enfant, que vous avez embaumée p o u r les siècles dans une strophe de sentim ent et de poésie ; — la m oindre de ces choses saintes consolerait de toutes les critiques, et vaut cent fois, p o u r l ’âme du Poète, ce que ses faibles vers lu i ont coûté de veilles ou d ’amertumes I » Jeunes gens, c’est encore A lfre d de Musset qu i vous le d it, aimez la poésie, faites des vers : Qu’im p o rte le u r va le u r ? La Muse est toujours belle, Même p o u r l ’insensé, même p o u r l ’im puissant ; Car sa beauté p o u r nous, c’est notre am our p o u r elle. Mordez et croassez, corbeaux, battez de l ’aile ; Le Poète est au ciel, et lo rs q u ’en vous poussant I l vous y fait m onter, c’est qu’il en redescend !


l ’i d é a l

p o é t iq u e

« Aim er, c’est la m oitié de croire », a d it le plus grand de nos Poètes modernes. C’est aussi la m oitié de com­ prendre et de savoir. Aimez donc la poésie, et peutêtre deviendrez-vous Poètes ! En dépit de ses temples renversés et des faux dieux adorés sur leurs ruines, la Poésie est im m ortelle comme le parfum des fleurs et la splendeur des cieux. L ’idéal poétique est le refuge et la consolation suprême de l ’intelligence au sein d’une vie de trouble et de misère. C’est notre im agination qui relève, em bellit tout, le monde m oral comme le monde matériel. « Heureux, a d it Pasteur, celui qui porte en soi un dieu, un idéal de beauté, et qui lu i obéit : idéal de l ’art, idéal de la science, idéal de la patrie, âme de l ’humanité. Ce sont là les sources des grandes pensées et des grandes actions. Toutes s’éclairent des reflets de l ’in fin i. (( Dans les temps tum ultueux où nous sommes enga­ gés, par dessus la rum eur contradictoire des intérêts et des haines, la grande voix des Poètes peut encore interpréter l ’éternel désir de la vie. Qu’elle éclate donc enfin, cette grande voix, et qu’elle lance sur notre nou­ veau monde les appels divins de l ’Am our, de la Pitié et de la Beauté ! » Je vous salue, très honorés lecteurs, et je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

René

M id

y

--------' 2 / s / a ------7

.



HISTOIRE D'UNE GRAPPE DE RAISIN PREAMBULE Mon arrivée à Libourne, comme Volontaire, en 1870 ( h is t o r iq u e ) En mes coupes d’un prix modique, Veux-tu tenter m on hum ble v in ? Je L’ai scellé dans l’urne Attique, Au sortir du pressoir Sabin. I l est un peu rude et moderne : Cécube, Calés ni Falerne Ne mûrissent dans mon cellier ; Mais les Muses me sont amies, E t les Muses font oublier T a vigne dorée, ô Formies ! (Horace, Ode XX. Trad. Leconte de Lisle).

C’était « Soixante-dix », cette époque te rrib le Où l ’homme encore, hélas ! prenait l ’homme pour cible ; Où deux Peuples géants s’étreignant corps à corps, A llaient se relever sur Deux cent mille morts ; Et tous deux laissaient vo ir, au s o rtir des batailles, Leur sang qui ruisselait de profondes entailles ! Témoin de ces malheurs, je n’avais pas vingt ans... L ’armée, à ma jeunesse, avait ouvert ses rangs ;


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H IS T O IR E D ’UNE GRAPPE DE R A IS IN

E t q u itta n t mes amis, délaissant la Bretagne, Je b rû la is du désir d ’entamer la « campagne », Mais je criais tro p tô t : Sus aux Envahisseurs ! Longtemps j ’allais m o is ir au « D ixièm e Chasseurs » (1).

LES REMPARTS DE SAIN T-EM ILIO N Silentia noctis.

Dans mes lo is irs forcés, vaguant à l ’aventure, J’a rriv a i, certain soir, près d'une crénelure : Gigantesque débris d ’un ancien bastion ; Je reconnus les m urs de S aint-E m ilion. La n u it envahissait lentem ent la campagne. La lune se le va it d errière la montagne ; Mais, sous mes yeux, déjà, la plaine s’effaçait ; E t dans le crépuscule, au lo in , to u t s’apaisait. « Je recueillais, pensif, de vagues harm onies, Concert accoutumé de ces heures bénies, Longs frissons, dans les bois, des vents alternatifs, E t tous ces b ru its confus des mystères fu rtifs Qui, dans l ’éther sans borne où l ’esprit se balance, Préludent, dans la n u it, au suprême silence (2) ». Longtemps je restai là, seul, dans l ’ombre, rêvant. Je m ’endorm is, bercé par la chanson du vent. (1) Engagé volontaire, fin août 1870, je ne fus habillé que deux mois plus tard, et ne pus p a rtir en campagne qu’en ja n v ie r 1871. (10* chas­ seurs à cheval, armée des Vosges). (2) A utran : six vers modifiés.


UNE APPARITION

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UNE APPARITION - CEPS FRANÇAIS ET AMERICAINS

Je dorm ais... et pourtant je revoyais la plaine, Le vent rafraîchissait mon fro n t de son haleine ; Des chants autour de m oi prolongaient le u r accord : Sur mes sens endormis, l ’esprit v e illa it encor ! Je me mis à rêver des prochaines vendanges, Et ma pensée, alors, p rit des formes étranges. Certain G rappillon d’or, aux opulents contours, M’àpparut et me tin t un m erveilleux discours. C’était un vra i Cadet, un rude patriote, Un Déroulède, ou bien encore un Don Quichotte. Rejeton, me d it-il, d’un Cépage français, Orgueil des vieux Coteaux saint-ém ilionnais, Je n’ai qu’un fier dédain pour ces Plants d’Amérique Dont on cro it ra je u n ir notre lignée antique (1). Mon père était un Tronc rugueux, et si velu, Que Bacchus, pour son sceptre, un jo u r l ’aurait voulu ! L ’arbuste vétéran se recouvre de mousse, Il porte le chevron des âges dans sa pousse. Et ce royal blason que mon père arbora, Parut en imposer, même au Phylloxéra ! (1) Depuis 20 ans, on a importé dans la Gironde des plants am éri­ cains, assez robustes, d is ait-o n , pour résister au phylloxéra. Ces plants, bien que greffés de fins cépages français, n’ont pas donné tous les résultats désirables, et le phylloxéra, d’ailleurs, combattu sans relâche, a complètement disparu du vignoble girondin.


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H IS T O IR E D ’UNE GRAPPE DE R A IS IN

L E GRAPILLON PHILOSOPHE Pendant to u t un été, m ollem ent sous l ’ombrage, Je grandis, protégé par un puissant feuillage, E t chantai le grand a ir, iv re de lib e rté . Des coups du sort, parfois, spectateur attristé, J’ai vu, comme les flots d ’un océan q u i gronde, M onter au to ur de m oi tous les méfaits du monde : L ’in ju stice, le m eurtre et la férocité, Monstres m ordant au cœ ur la grande H um anité ! Contem plant to u r à to u r les berceaux et les tombes, J’ai vu la terre et l ’a ir se n o irc ir d ’hécatombes ! J’ai su ivi, plein d ’eftroi, les tim ides p e rd rix Fuyant les rabatteurs, les chiens et les fusils ; E t les taupes, la n u it, glissant sur le sol sombre, Gris fantômes passant et repassant dans l ’ombre !

UN ORAGE. — LA FAUVETTE DE LA VIGNE Et puis, un jo u r, ce fu t un drame plein d ’h o rre u r. Près de m oi s’élevait un chant avant-coureur De lum ière, le chant d ’une jeune Fauvette Saluant le m atin de sa note coquette. Son nid se balançait au tro n c d ’un églantier ; A ses amours l ’oiseau se donnait to u t entier. Pendant qu’il gazouillait, un grand coup de tonnerre Eclata dans la nue et l ’étendit par terre.


LES VENDANGES

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Je tournai vers le nid mon regard anxieux, Car ce n’est pas pour m oi que j ’avais peur : mes yeux Ne découvrirent plus que poussière et fumée, Puis la Fauvette, hélas ! sanglante, inanimée I Le frêle oisel avait dans sa chute effleuré Les lobes mûrissants de mon fru it empourpré. Mais, toute la saison, dans les nuits demi-closes, Je le vis ranimé par le parfum des roses ; Une autre, près de lu i, balbutiait tout bas, Des mots m ystérieux que je ne comprends pas. « Divins propos d’amour, me d it un joyeux merle, Plus doux qu’aux soirs d’été la vague qui déferle ! C’est la chanson qui chante au plus profond du cœ ur... » Mais un merle, dit-on, est volontiers moqueur !

LES VENDANGES Les temps sont accomplis : je suis grappe verm eille, Et ma sève gonflée en mes veines sommeille. . . ft L ’automne qui blanchit sur les coteaux voisins, D’un fin givre a voilé la pourpre des raisins, Là-bas, voyez-vous poindre au haut de la montée, Les ceps aux feuilles d’or, dans la brume argentée ? L ’horizon s’éclaircit en de vagues rougeurs, Et le soleil levant guide les vendangeurs (1)... » Grappes des coteaux verts, lorsque nous sommes mûres, On ne nous laisse point p o u rrir dans nos ramures. (1) De Laprade. Vers légèrement modifiés.


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H IS T O IR E D ’UNE GRAPPE DE R A IS IN

Une robuste fille aux trio m p h a n ts regards, Me lança, palpitante, à la tête d ’un gars, Conquérant de village à face réjouie, Ce je u fu t le début de ma lente agonie. ..

L E PRESSOIR. -

FERM ENTATIO N

Passant de l ’herbe hum ide encor to u t maculé, Dans un vaste pressoir m on ra is in fu t foulé. « Là, coupes de T itans, s’o uvrent d ’énormes cuves Où la liq u e u r m u g it comme dans des étuves. Douze à quinze garçons, du m atin ju s q u ’au soir, Nu-jam bes et nu-pieds, dansent dans le pressoir, Sous leurs talons nerveux les grappes s’é p a rp ille n t, Les raisins écrasés éclatent et p é tille n t ; Le danseur exalté les brise sans les v o ir, E t la liq u e u r s’égoutte au fond du ré se rvo ir (1). » Je jo ig n is m on m u rm u re à ceux des autres grappes Qui, comme m oi, saignaient le u r pourpre en rouges nappes. Des plaintes, des sanglots, de longs cris angoissants Se b risa ie n t dans la cuve en efforts im puissants. Sans trêve n i m erci, lentem ent nous coulâmes, Sous le pressoir b ru ta l s’exhalèrent nos âmes ! Nos vo ix, dans le to rre n t de notre sang verm eil, Chantèrent triste m e n t leurs adieux au soleil, Au Père lum in e ux, dont la chaleur bénie Nous avait enseigné la douceur de la vie. (1) H u it vers de Ch. Monselet, légèrement modifiés.


ÉVOCATION

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EDUCATION DU VIN Que de fois, depuis lors, je changeai de prison, Pour m ’enfermer enfin dans un étroit flacon, Au fond d’un souterrain poudreux, humide et sombre! Là, je me m orfondis pendant des nuits sans nombre. Morose, abandonnée, et recluse toujours, Je n’avais d’autre espoir que d’y fin ir mes jours. Quelquefois, cependant, une faible lum ière C irculait vacillante, à travers la poussière ; Un flacon s’en a lla it alors furtivem ent, Puis la n u it retom bait sur mon isolement.

EVOCATION Cette captivité dont le destin m ’accable, Les premiers temps, surtout, me fu t insupportable. Et, cependant, pourquoi me plaindre ? Ai-je raison D'en v o u lo ir aux bourreaux qui m ’ont mise en prison ? Le vin n’est-il pas fait pour v ie illir en bouteille ? Qu’im porte ! Rendez-moi les splendeurs de la tre ille ! Qu’êtes-vous devenus, soleil d’or, beau ciel bleu, Et vous, riants matins qui vous faisiez un jeu De semer vos rubis sous mon large feuillage, Pendant que, des oiseaux, j ’écoutais le ramage, Et que se découvrait — ô spectacle charmant — Des couples amoureux le doux enlacement ?


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H IS T O IR E D ’ UNE GRAPPE DE R A IS IN

SÉJOUR DE D IX ANS EN B O U TE ILLE Du poids de mes destins, lourdem ent oppressée, Je sentais la vengeance envahir ma pensée ; E t certes, sans rem ords, j ’aurais porté m alheur A q u i m ’eût prise alors en vantant ma couleur. Plus calme, cependant, lib re d’inquiétude, J ’en vins à supporter l ’om bre et la solitude. Lentem ent sur les bords de ma m ince p riso n , Une fine poussière entassait son lim o n . Un anim al étrange, aragne m onstrueuse, V in t tisser ses réseaux sur ma paroi poudreuse, Surprise, captivée, ad m ira n t le talent A mes yeux déployé par un tra v a il si lent, Je pus, avec le temps, me passer de lum ière. J’espérai le bonheur, et, pauvre prisonnière, Me croyant destinée à quelque m ission, Sans m érite, au destin, je fis soum ission.

PARFAITE M ATURITÉ. -

UN BANQUET

La souffrance est le lo t des grandes destinées... La Grappe de ra isin , après bien des années, A ccom plissant ainsi la volonté des Dieux, E tait l ’esprit s u b til d ’un nectar radieux (1). (1) Les grands vins n’ont toutes leurs qualités qu’à dix ans d’âge : 5 ans en barriq u e et 5 ans de bouteille.


A LA PATRIE ! A LA BEAUTÉ !

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Sans cesse, près de m oi, s’évadaient les bouteilles, Et bientôt, à mon to ur, je suivis mes pareilles. Dans un riche salon, temple d’urbanité, Je revoyais enfin la joyeuse clarté. Les lustres d ’un festin, après la prison noire ! Je sentis qu’ils allaient rayonner sur ma gloire. Depuis d ix ans au moins je vivais dans la n u it, Et voilà que, soudain, je rentrais dans le b ru it. Lorsque l ’on me versa dans la coupe brillante, J’exhalai prestement ma liq u e u r scintillante, Et laissai savourer au palais enchanté Le suc si capiteux de mon ju s velouté. Le grand a ir caressait mes ondes mordorées, Gomme aux champs, autrefois, mes graines empourEt moi, pour consacrer le céleste présent, [prées. Je semblais m urm urer : Buvez ! voici mon sang !...

A LA P A T R IE !... A LA B E A U TÉ !... A lors, portant un toast, un convive s’écrie : Salut ! Je bois à to i, glorieuse patrie ! Levons à la beauté l ’étincelant cristal ; A longs flots versons-y le nectar idéal. Que, dans ses doigts charmants, le verre en mousseline Agite m ollement la liq u e u r purpurine !... Madame, un sens puissant saura vous révéler Le parfum délicat qui va s’en exhaler (1). (1) A Bordeaux, les connaisseurs agitent le vin dans le verre, avant de le déguster, afin de mieux développer son parfum.


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H IS T O IR E

d ’u n e

GRAPPE DE R A IS IN

Savourez le baiser que votre lèvre rose Donne au tendre Bacchus en sa métamorphose ! S urtout ne craignez rie n de cet adorateur Fervent q u i s’insinue au fond de votre cœur. Le p u r Médoc, Madame, est un d iv in génie Au charme pénétrant comme une sym phonie, C’est le L u tin d ’A rg y ll aux brises du lac bleu (1), Un Sylphe q u i soupire en retenant l ’aveu ! I l sait, de la gaîté, ne p o in t fra n c h ir la pente, E t garde, doux rêveur, une raison décente. I l auréolera votre fro n t gracieux, I l fera m iro ite r les perles de vos yeux ; E t s’i l vie n t échauffer la légère étincelle Qui, dans le cœ ur profond, chastement se révèle, En lu i vous trouverez un confident discret ; Laissez-lui deviner votre in tim e se cre t!... A celui q u i me p rit, je p a rla i de la France. J’a llu m a i dans son âme une ardente espérance, E t m ourus satisfaite en m on p u r dévoûm ent, T ant le d e vo ir sublim e est un enchantement ! A dm irez cette Grappe en ses métamorphoses ; Sachez com m unier avec l ’esprit des choses ! René

M

id y

[René d’ArbelJ.

(1) Le L u tin que N odier nous a m ontré soupirant auprès de la douce Jenny, dans les brises du lac bleu.


EXPLICATIONS NÉCESSAIRES S u r l ' Ort h o g r aphe B r etonne de m on P oème

Si nous possédions, nous, les Bretonnants, un alphabet unique et accepté p a r tous ; si nous avions adopté une orthographe « ne varietur », les quelques explications qui vont suivre seraient complètement inutiles. Malheu­ reusement, il n’en est pas ainsi, et, suivant la parole de Luzel, « chacun écrit le Breton à sa fantaisie, suivant son « caprice, sans qu'on puisse lui en faire un crime, à défaut « de règles orthographiques uniformes, à défaut de textes « acceptés p a r tous et qui fassent loi pour tous !... »

Certains écrivains bretons contemporains, devant qui j ’ai proclamé l ’urgente nécessité, si nous voulons réelle­ ment restaurer notre littérature nationale, d’unifier tout d’abord notre alphabet et notre orthographe ; certains écrivains ont eu l ’a ir de se gausser de m oi et de hausser (*) REMARQUE IMPORTANTE. — Les caractères L et l barrés n’existent pas dans les casses d’im prim erie. Par suite, les mots G rizil, D ila d , M a ro a l , Gorzalen, Skul, Z a la d , Boutai, Boutalad, Boutalou, M al, Skula, Talou, que les lecteurs rencon­ treront dans les pages 89, 90, 91, 97, 100, 104, 109, 110, 111, 114, 115, 125, 126, 127,129 et 130 sont imprimés d’une manière incorrecte. Dans ces mots l simple doit se prononcer comme l barré , c’est-à-dire comme l mouillé du français. *


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EX PLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

dédaigneusement les épaules en tra ita n t de « Vétilles et « de Minuties » des réform es dont l ’im portance ne sau­

ra it échapper q u ’à des esprits prévenus et aveuglés par le p a rti-p ris .... Or, l ’im portance de ces réform es, ces écrivains se chargent eux-mêmes de la souligner a u jo u r­ d ’h u i, à le u r insu p e u t-ê tre ....N ’avons-nous pas appris, en effet, que, p a rm i les diverses questions q u i doivent être traitées au Congrès Panceltique de Caërnarvon, figure au p re m ie r rang celle de l ’adoption d ’une langue unique p o u r tous les pays Celtisants ?.... Or, à mon

sens, l’unification du langage panceltique ne sortira du domaine de VUtopie, ne deviendra une réalité palpable et tangible, qu’autant qu’elle aura été précédée de l’unification des alphabets et des règles d’orthographe dans ces mêmes pays !

N ’est-ce pas là l ’évidence même ? Quel est le sort réservé à la tentative d ’u n ifica tio n de tous les idiom es celtiques que vo n t faire les Congres­ sistes de Caërnarvon ? L ’ave nir nous le d ira ! Mais, p o u r que cette tentative réussisse, i l faut q u ’elle soit préparée de longue m ain, et que chacun des pays intéressés y apporte son concours le plus large, le plus désintéressé et le plus persévérant : i l faut que chacun de ces mêmes pays soit disposé à faire quelques légers sacrifices, à fa c ilite r cette u n ifica tio n d ’alphabets et d ’orthographes, sans laquelle l ’u n ifica tio n des divers idiom es celtiques n ’existera jam ais q u ’en théorie ! T ra va illo n s, nous les Celtisants d ’A rm o riq u e , à ré a li­ ser chez nous cette prem ière et indispensable réform e, p o u r nous m ettre en mesure de coopérer d ’une manière


SUR L ’ORTHOGRAPHE BRETONNE

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plus efficace à la réalisation de Vunique langage Panceltique, ou dix moins de rendre cette réalisation moins

problématique et plus prochaine ! Cette digression, que je prie mes lecteurs de me pardonner, m ’amène tout naturellem ent à leur expliquer comment, pour ce qui me concerne, je n’ai jamais cessé de tra va ille r à la réalisation de ce desideratum, et par quelles légères modifications dans les divers alphabets qu’il m ’a été donné d’étudier, j ’en suis arrivé à form er un alphabet unique n’offrant aucune difficulté aux nonbretonnants désireux d’apprendre notre langue, et don­ nant, par ailleurs, toute satisfaction aux bretonnants les plus érudits et les plus difficiles, à condition toutefois qu’ils veuillent bien se m ontrer im partiaux dans leurs critiques et qu’ils consentent, avant de condamner ma manière d’écrire, à l ’étudier attentivement, l ’esprit dé­ gagé de tout préjugé et de tout p a rti-p ris. Que la langue française prenne en Bretagne une influence chaque jo u r plus considérable, au point que les bretonnants soient habitués, à quelques rares excep­ tions près, à lire « à la française » les textes bretons eux-mêmes et à orthographier « à la française », quand il leur arrive par hasard d’écrire en notre idiome national ; c’est là un fait que nul aujourd’hui ne saurait sérieusement contester. Cela étant, le problème à résoudre se présentait sous les deux formes suivantes : F a lla it-il se m ontrer puriste au point de conserver rigoureusement toutes les formes archaïques de notre Brezonek, formes dont nos contemporains, s’ils les ont


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EX PLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

jam ais connues, se sont depuis longtem ps déshabitués, et que la génération actuelle, par je ne sais quel am ourp ro p re incom préhensible, affecte de ne pas v o u lo ir connaître ?... Si oui, lo in de les encourager à étudier notre « langue d ’o r », nous les éloignions de plus en plus de cette étude ! F a lla it-il, au contraire, to u t en respectant scrupuleu­ sement le génie de notre langue, faire quelques conces­ sions aux exigences de l ’époque, é lim in e r de notre alphabet certaines lettres ou com binaisons de lettres dont le m aintien est in u tile et q u i ne servent qu’à rendre l ’étude de notre langue plus pénible et m oins attrayante? Dans ce cas, et constatant que la lecture du Breton est on ne peut plus commode, que son orthographe se rapproche très sensiblem ent de l ’orthographe française, beaucoup de nos com patriotes, a u jo u rd ’h u i indifférents à l ’égard de notre langue, consentiraient peut-être à v o u lo ir se fa m ilia ris e r avec elle et à l ’étudier. Or, s’ils l ’étudient, ils en v ie n d ro n t fatalem ent à l ’aim er et à s’efforcer de la faire aim er autour d ’eux. La deuxième hypothèse me paraissant beaucoup plus favorable que la prem ière, c’est to u t naturellem ent à elle que je me suis arrêté. L ’étude comparée que nous avons faite des alphabets des PP. Grégoire, M aunoir, Bleuzen, de l ’abbé Roudaut, de Le B rig a n t, de Le G onidec, de l ’abbé Hingant, de MM. E rn a ult, Vallée, etc... nous a perm is de cons­ ta te r : 1° Que ces mêmes alphabets renferm ent un certain nom bre de lettres, simples ou doubles, qui les surchar­


SUR L ’ORTHOGRAPHE BRETONNE

251

gent sans aucune u tilité et dont, par suite, nous pouvons les débarrasser sans aucun inconvénient ; 2° Qu’un certain nombre d’autres lettres, acceptées par quelques-uns des auteurs que nous venons de citer, sont rigoureusement, par quelques autres, exclues de leurs alphabets, sans que l ’acceptation de ces mêmes lettres par les premiers ou leur exclusion par les seconds, soit justifiée par des arguments bien précis et bien convaincants.... Une double conclusion s’im posait, dès lors, tout naturellem ent : 1° E lim ine r rigoureusement de notre alphabet toutes les lettres parasitaires ou simplement inutiles ; 2° En ce qui concerne les lettres litigieuses, s’efforcer d’établir un accord entre les divers auteurs à leur sujet, et form er un alphabet qui se confondît dans la mesure du possible avec l ’alphabet français. Dans cet ordre d ’idées, j ’ai élim iné de mon alphabet les deux doubles lettres PH et TH (Phi et Têtha des Grecs), et je les ai remplacées par leurs analogues sim­ ples F et T. J’écris donc Filosofi, Téoloji, au lieu de Philosophi, Teologi (par G), im itant en cela les Espa­ gnols qui, eux aussi, o nt, depuis longtemps, cessé d’employer le PH et le TH, sans que leur noble et harmonieuse langue en ait éprouvé le moindre dommage. De même, nous avons supprimé l ’Y, qui ne nous est d’aucune u tilité , qui est d’introduction récente dans notre alphabet, et auquel certains grammairiens bretons, après Grégoire, font jouer, un peu au gré de leurs fan­ taisies, tantôt le rôle de voyelle et tantôt celui de con­


252

EX PLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

sonne. Ce d e rn ie r rô le (de consonne) a ttrib u é à l ’Y, nous paraît, au surplus, absolum ent incom préhensible, étant donné que, dans la pratique et dans la prononciation, cette le ttre form e à elle seule une voix , un son, comme les autres voyelles A, E, I, O, U, et qu’elle ne peut jam ais être confondue avec la consonne J. E nfin, l ’I sim ple rem place avantageusement l ’Y dans tous les cas possibles. Dans les cas où Y a le son et la va le u r de l ’I simple , i l est naturel et logique de le rem placer par cette voyelle. Dans les cas où Y a le son et la va le u r de l ’I double, p o u rq u o i ne pas re c o u rir à l ’I trém a ? Je n ’insiste pas davantage su r ce p o in t : mais, d ’après les arguments q u i précèdent, mes lecteurs com pren­ d ro n t com bien peu j ’ai dû éprouver de regrets à me séparer de cette m alencontreuse et in u tile le ttre . J’aborde m aintenant des points to u t p a rticu liè re m e nt délicats à tra ite r et à résoudre. E n ce qui concerne les consonnes C et K. — Deux

systèmes diam étralem ent opposés : Le Gonidec exclut le C et le remplace p a r K . E rn a u lt exclut le K et le remplace p a r C.

Tous les deux ont to rt de se m o n tre r intransigeants et irré d u ctib le s dans leurs manières de v o ir. « A p r io r i », cependant, i l faut reconnaître que le système de Le Gonidec présente beaucoup plus d’avan­ tages et beaucoup m oins d ’inconvénients que celui de M. E rnault. Le K breton se prononcera, en effet, forcém ent, dans les mots Kaled (d ur), K er (cher), K ild a ñ t (dent m olaire),


SUR L ’ORTHOGRAPHE BRETONNE

253

K o ll (perte), Kula (reculer), comme il se prononce dans les mois français ou francises Kamstchatka, Keller, K illarney, Kolb, K ulturkam pf. De même, devant A, O, U, le G breton aura forcément le son fo rt du K. Mais, n’est-ce pas demander aux personnes, bretonnantes ou non, habituées à lire « à la française », un effort excessif en voulant les contraindre à donner au G le son du K devant les voyelles E, I, et à prononcer Céméner, Ciger, comme s’il y avait Quéméner, Quiger, ou bien encore Kéméner, Kiger ? I l convient de rem arquer, d’autre part, que les règles concernant l ’em ploi des consonnes G et K, formulées par Le Gonidec et E rnault, deviennent inapplicables, dès qu’il s’agit de noms propres de personnes ou de lieux. L ’on écrit bien par G in itia l les noms propres Carrer (charron), Coarer (cirie r), Cnn (tranquille) ; mais l ’on écrit Kerroux (Rousseville) par K et Quéméner (ta ille u r) par Qu, etc., etc.... Les deux auteurs que nous venons de citer voudraient-ils bouleverser l ’orthographe des noms propres de personnes qui ne s’écrivent pas de la manière qu’ils préfèrent ? Je ne le pense pas î Pour ces diverses raisons, j ’estime qu’il faut repousser les deux systèmes de Le Gonidec et d ’E rnault, tout du moins pour ce qui concerne les noms propres, et qu’il

convient de conserver à ces noms leur orthographe actuelle, établie souvent depuis des siècles, pour ne pas exposer ceux qui les portent à une foule de désagré­ ments et de procès.... En ce qui concerne les noms communs et les autres


254

EXPLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

mots dont, par le fa it, l ’orthographe reste encore l i t i ­ gieuse, p o u rq u o i ne pas adopter un moyen term e, un tra it d ’union entre les deux systèmes de Le Gonidec et d ’E rn a ult, en em ployant le G devant les voyelles A, O, U, et le K devant les voyelles E, I ?... Aux amis du Breton à décider en de rn ie r ressort ! Je ne prétends pas, tant s’en faut, im poser un système... le m ien m oins que to u t autre ! J’ai voulu to u t sim plem ent rechercher un te rra in de co n cilia tio n entre deux systèmes, à mon avis, tro p exclusifs, et, par cela même, condamnables ju s q u ’à un certain point. Les observations que je viens de faire à propos de l ’em ploi des consonnes G et K, s’appliquent parfaitem ent a l ’em ploi du G devant nos cinq voyelles, l ’Y étant, d ’après ma méthode, remplacé, dans tous les cas, soit par I simple, soit par I trém a. Le G (et en cela, M. E rn a u lt se trouve d ’accord avec M. Le Gonidec !) conserve le son g u ttu ra l fo rt, aussi bien devant les voyelles E, I, que devant les voyelles A, O, U ! Eh bien ! à mon p o in t de vue, c'est réelle­ m ent excessif, comme nous allons le dém ontrer. I l est évident, en effet, que le G se prononcera correc­ tem ent, c’est-à-dire « à la Française », dans les mots Gag (bègue), Goap (m oquerie), Gurlaz (lézard ve rt) : mais com m ent amènerons-nous les Bretonnants , h abi­ tués, dès m aintenant, à lire « à la française »

tous

les

textes, même bretons ; com m ent les amènerons-nous à

écrire, en breton, Genou (bouche), Ger (parole), Gin (chagrin), Giz (coutum e), etc., et à prononcer comme s’i l y avait Ghenou, Gher, Ghin, Ghiz, etc. ? N ’est-ce


SUR L ’ORTHOGRAPHE BRETONNE

255

pas, sans nécessité aucune, le u r demander l ’impossible? N ’est-ce pas, de parti-pris, les éloigner de plus en plus de notre merveilleuse « langue d’or » ? Que l ’on ne s’y trompe pas ! Les langues (comme tout ce qui est purement hum ain) sont soumises aux lois fatales de « l ’E volution », et telles lettres, telles prononciations acceptées par tous et faisant lo i pour tous en Van mil, par exemple, deviennent aujourd’hui, de par cette même lo i fatale « d’évolution », de vérita­ bles anachronismes ! Archaïques ? Soit ! Soyons-le, il le faut, mais pas à l ’excès ! L 'archaïsme irréductible tuerait sûrement notre « brezonek », tandis qu’un modernisme bien entendu et bien raisonné peut en assurer la durée, la survivance, pour bien des siècles encore ! Donc, et pour me résumer sur ce point, je prononcerai « à la française » la consonne G devant les tro is voyelles

A, O, U. Mais, devant E, I, je suis en complet désaccord avec M. E rnault, Grégoire, Bleuzen, Le Gonidec, etc... Voici pourquoi : 1° E rnault et Le Gonidec sont d’accord pour conserver le son guttural fo rt à la consonne G, même devant E et I. D’après eux, i l faudrait donc écrire : Ger (parole), Giz (coutume), tout en prononçant Gher, Ghiz.... Encore une fois, c’est... excessif et, partant, inacceptable, malgré l ’appel qu’ils semblent faire aux Allemands, notamment ! Grégoire, et, après lu i, Bleuzen, sentant bien tout ce que ce système avait d’im praticable en pratique, ont imaginé d’intercaler une apostrophe ( ’ ) entre la consonne G et les voyelles E, I. Ils écrivent


256

EXPLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

donc : G’er (parole), G’iz (coutum e), Bug’el (enfant), G’in id ik (n a tif de), e tc... P ourquoi ? « Sic volo, sic jubeo ! » C’est quelque chose, sans doute, qu’une pareille o rth o ­ graphe soit préconisée par de pareilles autorités ! Mais, à y regarder d ’un peu plus près, force nous sera bien de con ven ir que ce n ’est pas assez p o u r im poser à 1.600.000 bretonnants de la Bretagne A rm oricaine une m anière d ’o rthogra p h ie r q ui, dans l ’état actuel de leurs connaissances, uniquem ent basées sur l ’orthographe française, d o it le u r paraître absolum ent déraisonnable, peut-être mêm e... quelque peu rid ic u le ! E ntre ces deux systèmes, q u i m ’ont paru également inacceptables, p o u r les quelques raisons que je viens d ’esquisser ci-dessus, i l m ’a semblé q u ’un troisièm e p o uva it être proposé q ui, to u t en ménageant les lé g i­ tim es susceptibilités de leurs auteurs, sans v io le r en rien le génie de notre langue, et to u t en lu i conservant son antique, noble et glorieuse o rig in a lité , p û t donner une légitim e satisfaction à tous les celtophiles écrivant et lisa n t a u jo u rd ’h u i « à la française » de par la force in co e r­ cib le des choses et de la lo i fatale de « l ’E vo lu tio n » ! Ce troisièm e système consiste en ceci : Au lie u de conserver à la consonne G, devant A, I, le son g u ttu ra l fo rt, comme le veulent Le Gonidec et E rn a u lt ; Au lie u , comme les PP. Grégoire et Bleuzen, d ’in te r­ caler une apostrophe entre la consonne G et les deux voyelles E, I, et d ’écrire, par exemple, Bug’el, g’in id ik ; nous avons pensé q u ’i l était préférable, en intercalant la consonne H entre la consonne G et les voyelles E, I, de m ettre le lecteur dans la nécessité de prononcer


sur

l ’o r t h o g r a p h e

bretonne

257

correctement les mots où il rencontrerait cette com bi­ naison de lettres. Il est évident, en effet, que toute personne sachant lire n’hésitera pas plus à prononcer Bughel (enfant), Ghinidik (n a tif de), etc., d’une façon

satisfaisante, qu’à prononcer les mots français ou fran­ cisés Ghetto, Larghetto, Enghien, Ghika, etc... Pour en term iner avec la lettre G, je prie mes lecteurs de rem arquer que, dans ma manière d’écrire, cette consonne ne prend jamais le son du J. En d’autres termes, toutes les fois qu’en français le G se prononce comme J, par exemple, dans les mots Religion, Géogra­ phie, etc..., je le remplace en breton par cette même consonne J. Par suite, j ’écris Relijion, Jeografi, au lieu d’écrire Religion, Geographi.... L (sim ple) et L L (double) ont, en breton, la même valeur qu’en français. L simple se prononcera donc dans les mots bretons Tal (front), mel (m iel), zil (passoire), askol (chardon), disul (dimanche), comme il se prononce dans les mots

français Bal, sel, fü, sol, recul. De même, L double [L L ] se prononcera dans les mots bretons D ali (aveugle), p e ll( loin), hillig (chatouillem ent), foll (fou), bull (bulle), comme il se prononce dans les

mots français Balle, belle, ville, folle, bulle. Ces deux règles ne comportent aucune exception. Mais, dès qu’i l s’agit de l ’L m ouillé, divers systèmes se présentent, parm i lesquels il faut nécessairement faire un choix, ce qui ne laisse pas que d’être quelque peu embarrassant. Certains auteurs, comme MM. Ernault, Vallée, après


258

EX PLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

le P. Grégoire, représentent l ’L m o u illé par L H . Ils écrivent donc B alh (étoilé), melh (m ulet, poisson), pilhou (loques), skrolh (sorte de râle par suite d ’oppression asthm atique), pulh, et ils veulent que nous prononcions B aill, meill, pillou, skroill, p u ill...

Mais, en adoptant cette m anière d ’écrire, ces auteurs me sem blent a v o ir perdu de vue que la langue bretonne ne possède à proprem ent p a rle r aucune le ttre muette, pas même la consonne H, et que les bretonnants seront presque in vin cib le m e n t amenés à donner à cette con­ sonne H, dans les mots où elle se com binera avec la consonne L p o u r fo rm e r l ’L m o u illé , la p rononciation aspirée q u ’elle garde dans les mots français héros, Hollande, h a ricot, etc. Ces mêmes bretonnants, p o u r peu q u ’ils soient in a tte n tifs en lisa n t un texte breton, p ro n on ­ ceront Balc’h, melc’h, p ilc ’hou,skrolc’h, pulc’h, dénaturant ainsi le sens de certains mots et en rendant d ’autres absolum ent incom préhensibles. E t la faculté que donne M. E rn a u lt d ’ajouter, dans certains cas, la voyelle I devant les deux consonnes L H , lo in de constituer une s im p lific a tio n d ’orthographe, doit, au contraire, être considérée comme une com plication au m oins in u tile . Quant aux non-bretonnants, avec le u r habitude de to u t lire « à la française », ils considéreront la lettre H comme muette dans les mots Balh, melh, etc., etc., et prononceront ces mots comme ils prononceront les mots français : l’habitude, l’hérésie, Vhistoire, Vhorizon, l ’hum a­ nité, ,.. Ceci me paraît inévitable, dans la p lu p a rt des cas.

P our ces diverses raisons, i l m ’a paru im possible de


sur

l ’o r t h o g r a p h e

bretonne

259

représenter, dans mon orthographe, l ’L m ouillé du breton par L H ou I L H de M. Ernault. Restait à examiner le moyen imaginé par Le Gonidec pour rendre im possible, en breton, toute confusion entre L simple, L L double et L m ouillé. Ce moyen (beaucoup de mes lecteurs le connaissent déjà) consiste dans l ’introduction dans notre alphabet d’un nouveau caractère que j ’appellerai L souligné ou L. Ce caractère supprime toutes les difficultés de lecture, sans constituer une surcharge pour notre alphabet, déjà sim plifié, comme nous l ’avons vu, par la suppression des doubles lettres PH et T H et de la lettre hybride Y (tantôt voyelle et tantôt consonne !). J’écris donc Bal, mel, pilou, skrol, p u l, etc... Espérons que nos im prim eurs bretons, se

rendant enfin compte des grands services que ce carac­ tère L rendrait à nos écrivains, ne tarderont pas à l ’in ­ tro d u ire dans leurs casses. Quelques-uns d’entre eux le possèdent déjà, comme ils possèdent le b ( k barré), dont le maintien dans notre alphabet nous paraît indispensable, ne fût-ce que pour respecter l'orthographe, souvent séculaire, d’un certain nombre de noms propres. Pourquoi les autres ne suivraient-ils pas l ’exemple donné par un certain nombre de leurs confrères ? La question vaut d’être examinée sérieusement, et, d’autre part, la dépense à engager, pour l ’acquisition de cet L ne peut pas être bien considérable ! Pourquoi Le Gonidec et quelques autres, après le P. Grégoire, ont-ils emprunté à l ’espagnol sa consonne ñ (égné) pour remplacer le Gn du français ?


260

EXPLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

J’avoue n ’a vo ir pu d é c o u v rir les raisons im périeuses qu i ont pu le u r im poser cette su b stitu tio n : par contre, j ’en sais d ’autres qu i auraient dû les déterm iner à con­ server le Gn du français. La égné espagnole (h ) nous est étrangère, et nous aurions grand peine à nous y habituer. Tandis que nous sommes fam iliarisés, depuis des siècles, avec le Gn de notre alphabet national ! Cette raison est pérem ptoire, me sem ble-t-il. F a u t-il ajouter que, si l ’o p i­ nion de Le Gonidec, etc... venait à p ré v a lo ir et à se géné­ ra lise r, nos im p rim e u rs se ve rra ie n t bientôt forcés de se p ro cu re r ce nouveau caractère, sous peine de renoncer à im p rim e r les œuvres de nos écrivains bretons. P our ces diverses raisons, et vu Vinutilité absolue de l ’adjonction de n à notre alphabet breton, je m ’en tiens au Gn de notre alphabet français et j ’écris m ignon, kignen, krig n , etc., donnant au Gn, dans ces mots, la va le u r q u ’il a dans les mots français mignon, m agni­ fique, gagner, etc.

Une dernière observation à propos des lettres U ,V,W . Les Bretons du Léon n ’acceptent pas le W dont T réco rro is et C ornouaillais fo n t un si fréquent usage : ils rem placent cette consonne par U , et ils

écrivent

Guerc’hez, guin, guir, etc., to u t en prononçant Güerc’hez, güin, g ü ir, par u trém a. Cette manière de faire n ’est pas sans o ffrir un inconvé­ nient aux personnes q u i lise n t le breton « à la française ». Ces personnes, en effet, seront to ujou rs tentées de p ro ­ noncer gue et gui dans les mots bretons ci-dessus, comme ils prononcent les mots français gué, gui. P ourquoi ne pas dissiper leurs hésitations et leurs doutes en surm ontant


sur

l ’o r t h o g r a p h e

bretonne

26 1

la voyelle U du tréma, dans les mots déjà cités et autres analogues, comme cela se la it dans les mots français : aigiie, cigiïe, cxigiie, etc. ? C’est là une réforme bien

simple et immédiatement réalisable, dont l ’adoption ne p o u rra it qu’être très utile aux non-br étonnants et dont les bretonnants eux-mêmes tireraient grand profit. En com position, les Léonais remplacent la voyelle U par la consonne V, et ils écrivent : ar Verc’hez, ar Yêren, ar Virionez, pour ne pas se v o ir forcés, en employant le W, d’écrire : ar Werc’hez, ar Wéren, ar Wirionez, et de donner à cette in itia le W la valeur de

la diphtongue OU, à l ’exemple des Trécorrois et des Cornouaillais. Cette antipathie de nos frères du Léon pour le W m ’a toujours paru injustifiable et réellement outrancière. Un de leurs m eilleurs poètes, M. Gabriel M ilin , était cependant d’avis que le maintien de cette lettre dans notre alphabet et dans notre orthographe était absolument indispensable. Avec lu i, nous pensons que ses compatriotes, pour fa cilite r encore l ’unification si nécessaire de nos alpha­ bets, sans laquelle le retour à l ’unité d’orthographe ne s’accomplira peut-être jamais ; avec M ilin , disons-nous, nous pensons que les Léonards pourraient, dans leurs écrits, faire du W un judicieux emploi, sauf, dans leurs conversations, à lu i conserver la prononciation de l ’U ou du V simple, suivant les cas. Puissent ces quelques explications convaincre mes lecteurs bretonnants et in stru its de la nécessité qui s’impose à tous les amis de notre langue, non seulement de la conserver telle qu’on la parle aujourd’hui, mais


262

EX PLIC A TIO N S NÉCESSAIRES

encore de la restaurer, de lu i donner cette form e une, à défaut de laquelle elle ne peut que s’abâtardir, s’étioler, s’a ffa ib lir chaque jo u r davantage ! L ’effort à faire p o u r replacer notre adm irable Brezo­ nek p a rm i les divers parlers de l ’u n iv e rs , au rang d ’honneur que notre indifférence seule a pu lu i faire perdre, est de ceux que notre p a triotism e nous fa it un d e vo ir de tenter. Un peu de bon v o u lo ir chez tous nos écrivains, et les quelques faciles réform es indiquées cidessus s’a cco m p liro n t insensiblem ent et comme d ’ellesmêmes. De l ’accom plissem ent de ces réform es dépend, ne l ’oublions pas, la renaissance de notre litté ra tu re nationale ! A l ’œuvre donc p o u r la Bretagne et p o u r son adm irable langue ! Confiance, courage et persévérance ! A ces tro is co n d itio n s, nous sommes sûrs de re m p o rte r dans un avenir prochain, une v ic to ire éclatante et défi­ n itiv e sur tous les adversaires, sur tous les persécuteurs de notre cher « Brezonek » !

Ch . Guennou

Paris, septembre 1904.

(T a l-H o u a rn ) .


Le Ban des Vendanges de Coatascorn CHANSON

Poésie de René MIDY

Musique de C. A. COLLIN

REFRAIN

*

R e-ten-tis-

BarBar-

ñ

des des

lo rn !

Clai-ron-

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L

DeSa- lu-

sez î

Re-frains des

bouP&u T rieux à 1Eez le ro i du ca-

nez, cornbouds et bom-

des Les Ven- dan- ges de Coa-tasVoici le pe-tit vin nou-

i

1

corn ! veau î

l_ J = ñ


264.

LE BAN DES VENDANGES

1er COUPLET A tempo ï

Quit-tez vos fo-rêts r

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^ = y.

ô D ru-i-des î B randis­

h— i

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.... ,,,

h

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sez votre serpe d’o r

Dé-jà frém issent les Bac-

chides E t M er-lin va chanter en-cor !...

tons aux form es a-thlé-

ti-

Mus-cîes d ’acier p o itra ils ve-

d a n i des Cel-

tes an-

b o u t les hom-mes che- ve-

E-

gui-

na

ques

lus

ti-

Bre

ques

lus.

Descen

De


265

DE COATASCORN

2e COUPLET r-y Ven-dati-

geurs le

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j

flanc vi-neux sem- ble fu-

mer L ’ar- dente ha-

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cè- le Gom-me l ’é-

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qu’il

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s’en-

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jï ~i * \-r

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Vier- ges pro-me- nez

beil-les !

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de

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Fu-

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yez au con- cert des *

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r e f r a in

t

beil-les Dis- persez-vous sur les grands pins.

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266

LE BAN DES VENDANGES

3e COUPLET

m e il

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Du

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Bre-

t

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Et

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p le in de

la b rû - îan-

Que t ’oc- tro -ya

:

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Et

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te

Dieu du

■ *'

jo u r aux m o r- tels viens v e r-

â- me

so-

ser

ton

fai- re des Dieux à ton to u r.


207

DE COATASCORN

4e COUPLET

É

£

tes et

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s

V -

Gau- lois

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Sa- blaient le vin couleur de

Et

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5

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ce-

ë=É ë

V

dé- fi-

ant ty - rans

et

rr~ T mai- très

bleu

Clian- taient gaîment sous le ciel

Nous fils de

ï-

que

Nous chan- tons

la race hé-

Que rien n*a- bat dans

.

la vieille Arrall... * rail...

.

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ro

sa

fier-

moR Aiw IN v %■ wEFR ü rn A

ü d i- h U i i.< * n ri- que

La

Pa-trie et la

îi- ber-

té !


La Chanson du Vin de Coatascorn

Poésie de René MIDY

Musique de C. A. COLLIN

1er COUPLET

V oi- c i

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corn Q ui fa it pâ-

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de

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LA CHANSON DtJ VIN DE COATASCORN

269

î ï

Horn,

Il nous ar-

rive

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vin

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Coa-tas-

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Un peu plus largemepl

REFRA IN

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a— Bar-des !

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# “T bar- des î Rou- le tam- bour ! Ron- fie

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vin vin vin vin France

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CoaCoaCoaCoaCoa-

tastastastas^tas-


270

LA CHANSON DO VIN

Ç

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271

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274

LA CHANSON DU VIN DE COATASCORN

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TABLE DES MATIÈRES

Pages

Préfaces de MM. A. Le Braz et L. B e rth a u t......... I et III Cidre et vin (s o n n e t)............................................... V Note de l ’A u te u r........................................................ VI Le Vin du Recteur de Coatascorn en Basse-Bretagne. Le Ban des Vendanges. Le vin de messe. Le vin d ’honneur. Le v in m ondial. Dîner sur les grands boulevards, à Paris. Toast philan­ thropique : Liberté, Egalité, F ra te rn ité ..........

1

Appréciations de divers Ecrivains et Publicistes sur le poème de M. René M id y ...........................

27

Comment je devins Rimeur. Coatascorn. Le monde celtique. Le Pardon des Islandais. La rade de L o rie n t et la Corne d ’Or. Première idée de ver­ sification. Pourquoi apprendre à faire des vers ?

31

La langue Bretonne va-t-elle p é r ir ? Son antiquité. Son état actuel. Son génie. Son a v e n ir.............

65

Biographie de Ch. Gwennou................................... Appréciations de divers Ecrivains et Publicistes

77

sur le poème de M. Ch. Gwennou..................... Gwin Person Koatascorn, par Ch. G w e n n o u ....

78 87

Les Grands Vins de France et de l ’Etranger........

133

Les vins d’Horace et de Mécène.............................

138


276

TABLE DES M ATIÈRES

Le V in. A ction physique, m orale, s o c ia le ...........

142

De la prééminence des vins (Bordeaux et B our­ g o g n e ) ................................................................ . .

145

De l ’a rt de boire les vins. Stratégie d ’un grand d în e r ..........................................................................

146

Les vin s de la Gironde. Médoc, Graves, Sauter­ nes, Côtes, P alus.....................................................

148

Vins ordinaires. Vins fins. Grands vins. A ppré­ c ia tio n s ......................................................................

149

Les vins de Bourgogne. C lassification et appré­ c ia tio n s .....................................................................

159

Le Cognac. A lcools et 3/6. Rhums et ta fia s .........

164

Le Champagne...................................... .......................

170

Les grands Vins étrangers........................................

172

Mise en b o u te ille s .......................................................

173

De la science d ’acheter les v in s ................... ..

175

Le Commerce honnête et la tourbe de « faiseurs » sans scrupule. Pseudo p ro p rié taires et négo­ cia n ts........ .................................................................

178

Moyen ra tio n n e l de s’a p p ro v is io n n e r...................

184

F a u t- il b o ire du v in ? O pinions de sommités médicales de Paris et des Départem ents........ .

185

Bordeaux et Bourgogne (s o n n e t)............................

193

Fusion. Les grands Vins (poèm e).......... ................

194

La Marque Royale de V ins : Lavau-le-Breton, de S aint-E m ilion (p o èm e )...........................................

199

La Pomme à travers les âges, depuis le Paradis terrestre et le Ja rd in des Hespérides, ju s q u ’à nos jo u rs (p o è m e ).. ................... ...........................

205


TA B LE

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V e n d a n g e s

C o a ta s c o r n

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L ib o u r n e ,

p h ilo s o p h e .

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b a n q u e t.

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2 4 7

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2 6 3


ACHEVÉ

D'IMPRIMER

A S A IN T - B R IE U C PAR

René

PRUD’HOMME

LE 10 NOVEMBRE 1904



LES GRANDS CRUS DE BOURGOGNE

A P P R É C IA T IO N

D ’A P R È S J U L E S

LAUSSEURE

COTE DE BEAUNE

V O L N A Y . — Champan, C ailler ets, Fremiers, Clos-des-Chênes, Bouchesd’Or et autres.

S A N T E N A Y . — Vignoble très étendu, qui produit quelques qualités nssez fines dans la direction de Chassagne, mais beaucoup de vins ordi­ naires et communs.

Les vins de Volnay sont exquis pour leur finesse, leur pureté de goût et de bouquet; ce sont, selon nous, les premiers vins de la côte de Beaune, sauf le Santenot.

Là finissent les vins bien classés; aussi remarque-t-on que le bouquet de la Côte-d’O r manque souvent ou disparait tout à fait dans beaucoup de produits de ce vignoble.

G H A S S A G N E -M O N T R A G H E T . — Morgeot,- la M altroye et autres bons vins rouges. L ’excès de produit n u it souvent à la qualité des vins de cette commune,

P O M M A R D . — Arvelets, Grèves, Comarène, Rugiens, Epenaux, B e rlin , Frem iers, Clos-de-Citeaux. La partie de ce vignoble qui avoisine V olnay est la meilleure.

B E A U N E . — Clos-des-Mouches, Grèves, Cras, Fèves et autres. V in s fins., purs de goût, excellents. V ignoble étendu. Beaucoup de vins secondaires.

S A V IG N Y . — Dominodes, B ataillères, Vergelesses. Ce vignoble produit des vins très fins, mais beaucoup de qualités très secondaires.

P U L IG N Y - M O N T R A C H E T . — Grands vins blancs de Monlrachet, Chevalier-Montrachet et Bâtard-M ontrachet.

A L O X E -C O R T O N . — Corton, Charlemagne et autres bons vins qui tiennent encore de la nature de ceux de la Côte de Nuits.

Cette commune produit beaucoup de bons vins blancs et de vins rouges communs.

M E U R S A U L T . — Santenot, vin rouge, prem ier cru de la côte de Beaune ; vin qui réunit presque la richesse des grands crus de la côte de Nuits à la finesse du Volnay qu’il avoisine. Le Santenot excepte, Meursault ne produit que des vins rouges très secondaires, mais beaucoup de vins blancs très distingués.

M O N T H E L I E . — Vins un peu au-dessous de ceux de Volnay mais très bons et très agréables.

V O S N E -R O M A N É E . — Grands crus de Romanée-Conti, T â c h e R o m a n é e , Richebourg, Malconsorts, Romanée-Saint-Vivant, Beaumont, Echézeaux et autres. Ce vignoble est sans contredit le premier de la Côte ; corps moëlleux, extrême finesse et bouquet élevé, il réunit toutes les qualités désirables.

N U IT S . — B otidol, Cras, Murgers, Thoreg, A rg illa ts, P ru lie rs , P orrets, Perrières, Cailles, V aucrain, et enfin le grand cru de Saint-Georges ; vin très riche, plein de goût, mais manquant un peu de finesse et de bouquet. Tous ces crus approchent des plus grands vins de la C ô te -d ’O r.

P R E M E A U X . — Forêts, Corvées et A rg illiè re s. V ignoble peu étendu, mais fo rt distingué par la finesse de ses vins et un bouquet particulier.

D IJ O N . — Cru des Marcs-d'Or, vin assez fin, mais sans bouquet. G E V R E Y - C H A M B E R T IN . — Grand cru de Chambertin, Clos-SaintJacques, Mazy et autres. A Gevrey commence le bouquet de la C ôte-d’O r ; mais i l est' peu abondant, même dans le Cham­ b ertin, ce qui place ce grand v in au-dessous des Romanée-Conti, T â c h e - R o m a n é e et Musigny,

COTE DE NUITS V O U G E O T . — Clos-de-Vougeot, grand vin possédant un bouquet particulier qui résulte de la combinaison des différentes parties réunies. Ce v in , quoique très bon, n’atteint cependant pas en finesse et en bouquet les crus de RomanéeConti, T â c h e - R o m a n é e et Richebourg. La Vigne blanche (Clos blanc de Vougeot) et La Perrière (anciennes propriétés O uvrard), vins blancs possédant corps, finesse et bouquet.

M O R E Y . — Clos-de-Tart, Clos-Saint-Denis, Clos-la-Roche, Lam bray, Bonnes-Mares et autres bons crus. M orey est un vignoble productif et excellent ; ses vins se conservent généralement bien, mais ils n ’ont n i la finesse n i l ’extrême pureté de goût des vins de Vosne et de N uits.

C H A M B O L L E - M U S IG N Y . — Cru de Musigny, vin remarquable par sa finesse. C ette commune produit les vins les plus délicats de la côte de N uits.









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