FRONT DE SEINE: INSULARITÉ D’UN PAYSAGE EN ÉPAISSEUR Ken Spangberg Mémoire de fin d’études 2018-2019 Président de Jury: Christophe Degruelle Directeur de mémoire: Lolita Voisin Professeur encadrant: Olivier Gaudin
19h35 UTC+1
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UN OBJET URBAIN Il est 19h35, les surgissements verticaux rythment le ciel et semblent être portés par une végétation dense et généreuse qui s’enracine dans le cours d’eau au premier plan. Détaché de toute autre forme d’architecture, cet ensemble se démarque par sa densité, sa matérialité et ses volumes qui se perdent dans l’horizon semblent fonctionner de manière autonome et autarcique. Espace figé, immobile… les seules formes nomades se résultent à une péniche qui semble remonter le cours d’eau et aux automobiles qui circulent sur les berges en contrebas. Sommes nous dans l’une de ces villes tentaculaires Nord américaines dont le centre se définit par des bâtiments de grande hauteur? Sommes nous dans une banlieue périphérique d’une grande ville française ou européenne? Sommes nous à la frontière d’une limite entre ville et espace boisé? Aucune piste ne semble ici nous diriger vers une réponse précise…
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PRÉAMBULE
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13h44 UTC+1
INSTAGRAM Regards croisés
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A la fois énigmatique et captivant, le quartier du Front de Seine ne laisse pas indifférent le visiteur qui se retrouve confronté à un environnement qui rompt avec la forme traditionnelle de la ville et qui se détache du paysage urbain par ses surgissements verticaux d’une centaine de mètres de hauteur. Ce lieu est avant tout un espace perçu et arpentable par tous et c’est pourquoi j’ai voulu en premier lieu rendre compte par la photographie et les réseaux sociaux comment l’automobiliste, le piéton, le cycliste, le coureur, le touriste, perçoivent le site par l’intermédiaire de l’application. D’abord considéré comme futuriste dans les années 60 puis décrié dans les années 80 pour être réhabilité en 2010, ce quartier qui reçoit l’affluence d’environ 500 000 visiteurs par semaine a toujours suscité un intérêt particulier. Alors qu’Instagram est souvent utilisé dans l’idée de développer son image personnelle et son sentiment d’existence auprès d’autrui, les clichés suivants se démarquent par le fait d’être exaustif n’ont pas sur la personne mais surtout sur le lieu. En retrouvant surtout les notions d’échelle, de verticalité, de texture et de lumière les pages #Beaugrenelle et #Front de Seine rendent compte du regard que les usagers portent sur le quartier et nous renseignent sur les éléments qui vont marquer leur visite, leur parcours quotidien, leur promenade, leur shopping.
#xilag974 ‘Rue Beaugrenelle’
#angusdaper ‘Ambiance 70’s’
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#thgfroy ‘Statue of liberty-14 Octobre’
#jolun64 ‘Front de Seine Matinal’
#murray_titop ‘Front-de-Seine’
#_ffotografica ‘Looking up’
#alexandre_alari ‘Tour Mirabeau’
#thgfroy ‘Hôtel vintage...’
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#nano_s_manchild ‘Capture paris’
#bloodysire_lau ‘Beautiful’
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#remi_joseph_b ‘cite du futur’
aurelie_3 ‘Décoration de noël’
VIGNETTES Paysage brut L’application Instagram nous a permis d’avoir une première vision du site. Arpenté par plusieurs centaines de milliers de personne par semaine, il fut d’abord important de rendre compte du regard que portent les usagers sur ce quartier du Front de Seine.
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Par le biais d’un exercice d’interprétation de photos de terrain, ce travail personnel permet de représenter les éléments ayant le plus marqué mes premières déambulations. A l’échelle du piéton, ces photographies tentent de représenter le caractère brut, rigide et immobile du quartier. Sans livrer une approche globale du site, l’idée est de rester fidèle à la première appréhension que j’ai pu avoir du lieu. Partagée entre un sentiment d’isolement et d’oppression, la visite fut rapidement accompagnée par une perte de repère dans le labyrinthe architectural de la dalle et des rues souterraines. En conservant une approche partielle du site, ces vignettes ont l’objectif de saisir les principaux éléments qui m’ont d’abord frappés. Toujours classé selon des thématiques, nous pouvons être marqué par la monumentalité de la Tour Reflet et de la Tour Nikko ci-contre ou encore par les lignes fuyantes qui ornent les plafonds des espaces souterrains. Souvent obstrué par des batiments ou une dense végétation, la question des percées est quasi inexistante ce qui participe au sentiment d’isolement que nous pouvons éprouver au sein du quartier du Front de Seine.
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ECHELLE Ce cliché temoigne de la monumentalité du site. En culminant à prés de cent mètres de hauteur, il est difficile de penser que ces deux tours se trouvent dans le centre historique de Paris. La répétition des fenêtres et l’utilisation du béton nous renseigne d’autre part sur le style
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DESSOUS Pris dans l’un des nombreux passages des bâtiments bas de la dalle, ce cliché témoigne du caractère anxiogène de ces lieux. Les nombreuses lignes qui parent les plafonds ou le sols renforcent le sentiment d’écrasement et incite le piéton à retrouver la lumière du jour.
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USAGES Les usages de la dalle se résument souvent à des trajets linéaires où le piéton s’empresse d’aller acheter à manger ou de retrouver la terre ferme. Dénuée de toute forme d’aménagement, elle est aussi régie par un règlement stricte qui vise à réduire les nuisances sonores.
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PERCÉE Souvent occulté par des bâtiments ou par une végétation dense l’horizon est difficilement perceptible. Pris dans la dynamique verticale de ce ‘cocon’ architectural, nous nous détachons progressivement des éléments qui caractérisent la ville traditionnelle (odeurs, sons...)
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REPÈRES Située à quelques mètres du Front de Seine, la tour Eiffel joue à cache cache entre les tours de verre ou de béton.
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TABLE DES MATIÈRES 5 6 20
Objet Urbain Préambule Introduction
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1. Front de Seine: Organisation
Propriétaire de la dalle Diversité et quantité Utilisation de l’espace public Aménagements de l’espace public
Conclusion
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2. Un quartier figé dans le temps
Une histoire marquée par l’utopie et les grands travaux Les trente glorieuses Développement d’un paysage en épaisseur
Conclusion
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3. Un socle en déshérence
Paysage traversé Espaces interstitiels immobiles Des flux isolant la dalle Oubli de la Seine
Conclusion
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110 112 115
4. Vers un outil de conception
Le paysagiste et le Front de Seine Le Front de Seine dans Paris Les signes d’un système urbain? Vers le renouvellement d’un système? Rattacher le Front de Seine à son socle Le temps: Une dimension constitutive du projet
Ouverture Bibliographie et ressources Remerciements
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INTRODUCTION Traverser le dessus Déambulation piétonne sur la dalle
Tour Cristal
Dirigeable Parc André Citroën Centre Commercial Beaugrenelle
Fresque en céramique (Olivier Debre)
La Seine
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Dalle Keller
Par son feuilletage architectural, le Front de Seine offre au piéton une multitude de paysage urbain à arpenter. Le niveau de la dalle s’articule de manière plurielle. La monumentalité des 20 immeubles de grande hauteur
Îlot Centaure et Verseau
(IGH) va tout d’abord marquer une première rupture d’échelle entre les bâtiments bas et les bâtiments hauts ce qui va rythmer la déambulation piétonne sur la dalle. Les différentes passerelles, escaliers, rampes qui
Tour Novotel (ancienne tour Nikko)
Cheminée CPCU
«Champignons plantés»
Immeuble Hachette
Rue Emeriau
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Îlot Cassiopée et Orion
Square Béla Bartok
connectent le site au socle de Paris créent des ruptures, ce qui désolidarisent l’espace et morcelle la dalle en différentes entités. Perché à 6 mètres de hauteur, nous tentons d’établir
des liens visuels et physiques avec l’environnement mais l’accumulation des éléments qui ponctuent la dalle entraine une perte de repère et participe au sentiment d’isolement.
Traverser le dessous Déambulation piétonne dans les rues souterraines
Tour Novotel (ancienne tour Nikko) Vers la dalle
9 Rue Rober de Flers
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Les rues souterraines marquent une rupture dans le quartier du Front de Seine. En opposition au paysage clair et lumineux de la dalle, nous trouvons ici une atmosphère sombre et oppressante.
A l’origine conçues pour assurer des fonctions de servitude et d’évacuation des ordures, les rues font aujourd’hui l’objet d’un palimpseste d’éléments décoratifs. Entre les moulures néo-baroques des devantures
Tour Totem
15 Rue Gaston de Caivallet
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d’immeubles ou les dorures des inscriptions des tours, nous sommes face à une accumulation de pastiches architecturaux. A plusieurs reprises réhabilitées, elles accueillent aujourd’hui des commerces et des restaurants orientaux et asiatiques dans le but d’attirer les nombreux visiteurs
du centre commercial attenant. Rarement bondées, elles sont surtout traversées par des voitures et des passants pressés de retrouver la lumière du jour. Réduites à un espace traversé et continuellement éclairées par des néons lumineux, les rues marquent une franche rupture avec le reste du quartier.
A la fois énigmatique et captivant, le paysage urbain du Front de Seine marque une franche rupture avec le reste du tissu bâti parisien. En s’étendant sur une surface de 19 hectares le long des berges du XVe arrondissement, il se définit par le périmètre de sa dalle, qui se détache de six mètres du sol naturel de Paris. Ce véritable paysage en épaisseur offre la possibilité au piéton et à l’automobiliste de traverser des atmosphères insolites, et souvent contradictoires. Au paysage ouvert et lumineux de la dalle, s’oppose l’environnement sombre et parfois anxiogène des rues souterraines, le tout étant relié par des coutures peu lisibles. 24
Conçu dans les années 1950 par Raymond Lopez et Michel Holley selon le principe de l’urbanisme de dalle, le Front de Seine repose sur les bases posées par le zonage vertical et horizontal, qui prônent l’interdépendance des espaces et la segmentation des niveaux. Engagé par la politique volontariste du Général de Gaulle, cet urbanisme résulte d’un plan de restructuration globale de Paris qui visait à refonder les principes de la forme de la ville, notamment par l’ouverture d’axes de circulation à grande échelle. Initialement développé à une échelle territoriale, il devait faire sens dans le paysage parisien par ses relations (physiques et visuelles) avec d’autres projets sur dalle, notamment situés dans le XVe arrondissement.
Avec un chantier échelonné sur une période de 30 ans, ce projet directement issu d’une commande de l’État sera bouleversé par les crises économiques, sociales et politiques qui ponctueront les années 1970 et 1980. Inabouti, le Front de Seine semble aujourd’hui flotter au-dessus de Paris. En se déployant sur plusieurs niveaux, il se trouve déconnecté du reste du quartier Beaugrenelle et semble dans l’incapacité de participer aux dynamiques qui rythment son socle. Il assiste en tant que spectateur à la frénésie du centre de Paris, dans les rues en contrebas. Son isolement relatif à l’égard des flux touristiques attirés par la proximité de la Tour Eiffel, n’est guère compensé par la fréquentation de son centre commercial intégré, dont l’affluence approche pourtant 12 millions de visiteurs par an. Le site, érigé face aux berges de Seine, se retrouve dans l’incapacité de trouver une relation même visuelle avec le fleuve. A la fois hors sol et hors temps, ce site semble être une pièce architecturale insulaire et solitaire, coupée des enjeux économiques sociaux et paysagers qui ponctuent le socle. Comment répondre à l’insularité du paysage en épaisseur du Front de Seine?
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ORGANISATION MB
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En élargissant progressivement le cône de vue, l’organisation de ce travail tente de rester fidèle à mon approche personnelle du site. En dressant un portrait partiel et presque énigmatique du lieu, le préambule a permis de rendre compte de ce que pouvait percevoir le piéton lors de sa première déambulation. Par un élargissement de notre champ de vision, la première partie s’intéresse aux dynamiques sociales qui s’exercent sur le site et permet de tirer les problématiques relatives à son fonctionnement interne. Ce paysage traversé semble confronté à un phénomène de « désertification » ; pour le comprendre, nous essaierons dans un second temps d’étudier les éléments relatifs à sa configuration structurelle. Enfin, la dernière partie étudiera les répercussions de cet élément architectural sur le contexte à large échelle.
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28
Situés au cœur du XVe arrondissement de Paris, à quelques pas de la Tour Eiffel, les 19 hectares du Front de Seine sont soumis à une immense pression urbaine. En plus d’avoir un statut juridique atypique vis-à-vis de la Mairie de Paris, ce site suscite un intérêt particulier compte tenu de sa localisation privilégiée. Côtoyé par plus de 500 000 personnes par semaine, il est aussi traversé par une grande diversité d’acteurs qui animent, modèlent, façonnent le site en ayant des pratiques spatiales différentes. Alors comment fonctionnent-ils, quelles sont leurs relations, comment se positionnent t-ils spatialement ? Cette première partie permet d’aborder le site par l’intermédiaire du public qui le côtoie et de déceler les premières pistes de projet.
1. FRONT DE SEINE: ORGANISATION
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Au 9 Rue Robert de Flers, à quelques mètres du centre commercial, se trouvent un «laser game»: l’une des quelques attractions de loisirs des rues souterraines. A 14h48, les parents entendent la fin de la partie
PROPRIÉTAIRE DE LA DALLE La SemParisSeine
C’est en 1961, lors de la première présentation public du projet ayant eu lieu à l’exposition Demain Paris que la SEMEA XV (aujourd’hui Sem Paris Seine), prend la charge de la gestion du projet et de l’approfondissement des études de faisabilité.
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Dans les années cinquante, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le Général de Gaulle lance une politique de grands travaux dans Paris; les sociétés d’économie mixte permettent aux administrations publiques une gestion plus souple de leurs activités tout en conservant un certain contrôle sur celles-ci. Pendant les Trente Glorieuses, de nombreux grands projets d’aménagement tel que le Front de Seine sont suivis et gérés par des SEM. Même si elles sont à majorité détenues par une ou plusieurs collectivités locales, leur capital est aussi composé d’investisseurs privés ce qui soulage l’Etat de certaines dépenses et ce qui permet d’apporter des fonds supplémentaires dans la réalisation des projets. Le capital de la Sem Paris Seine Mairie de Paris
70,29%
Fédération du bâtiment
2,24%
Syndicat entrepreneurs construction
1,00%
Société hôtelière de Paris
0,90%
Coopération et Famille
0,17%
SMAVBTP
7,40%
Banque du bâtiment
7,26%
Société civile des Halles
7,24%
SNCF
3,33%
M. Jacques Dalloz
Fédération du bâtiment Grand Paris
0,17%
0,005%
Le rôle d’une SEM Les rôles des sociétés d’économie mixte sont multiples. Alors qu’elles sont connues pour leur savoir-faire en qualité d’aménageur, elles peuvent aussi exercer les compétences de maître d’ouvrage et de gestionnaire.
SEM Maître d’ouvrage
Aménageur
Gestionnaire
A l’échelle du Front de Seine et selon les termes de Madame Giuglaris, directrice de l’antenne Front de Seine, la Sem Paris Seine joue le rôle de « promoteur public et de gestionnaire de site complexe ». D’une manière plus concrète, la société va concentrer son activité sur la gestion et la rénovation de l’ouvrage dalle en entretenant les espaces plantés et en réalisant les travaux d’étanchéité et de peinture. Au titre de bailleur, elle va aussi avoir la charge de louer l’ensemble de ses 4500 places de parking (situés sous la dalle) et des bâtiments bas qu’elle possède. Via l’outil des ‘Baux commerciaux’ ( bail allant de 30 à 99 ans), elle doit en effet trouver des promoteurs susceptibles de louer les locaux des bâtiments bas pour y implanter des activités.
Remarque: Il est aujourd’hui possible d’observer sur la dalle que de nombreux bâtiments bas sont vides de toute activité. En effet, le statut juridique de location imposé par la SEM date des années 70 et manque de flexibilité, ce qui peut refroidir certains investisseurs. En raison de la multiplication des transports en commun et par une politique de réduction de l’impact de la voiture menée par la Mairie de Paris depuis quelques années, une baisse des locations des places de parking est aussi observée au sein du Front de Seine, ce qui pousse la SEM à adopter une vision prospective en se penchant sur l’idée d’une éventuelle reconversion de ces derniers.
Syndic’
Baux commerciaux Sem Paris Seine Hôtel
Commerce
Habitants
SemParisSeine
Mairie de Paris
SemParisSeine Spatialisation des interlocuteurs de la SEM
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Un interlocuteur majeur Propriétaire et gestionnaire de la dalle et détenu à 70% par la Mairie de Paris, la Sem Paris Seine est un interlocuteur primordial et fait le lien entre beaucoup d’acteurs du site. Elle se trouve en effet à la frontière entre les syndics d’immeubles (portant les contestations habitantes), l’ensemble des acteurs jouissant des bâtiments bas (commerçants, écoles, hôtels…), la Mairie de Paris (qui détient la majorité des rôles décisionnels) et enfin la Mairie du XVe arrondissement (qui joue plus le rôle de conseil et qui organise les comités de quartier). Nous voyons donc que la Sem Paris Seine est un acteur majeur du site, en plus d’être propriétaire et gestionnaire des 5 hectares de dalle et de parking, elle essaye à l’échelle du Front de Seine d’exercer un rôle fédérateur entre les différents acteurs, usagers et les pouvoirs publics.
Promoteurs Habitants Syndic’
SEM Entreprises (soustraitance)
Mairie du XVè
Bailleurs sociaux
Qui dialogue avec la SEM?
DIVERSITÉ ET QUANTITÉ
Quels sont les acteurs du Front de Seine? Le quartier du Front de Seine à la particularité de jouir d’une large quantité d’acteurs. Outre les services d’hôtellerie et de restauration, le quartier regroupe une dizaine d’écoles et de nombreux commerces allant de la grande distribution aux loisirs. Conçu dans les années 50 au milieu de l’essor du mouvement moderniste, ce quartier se démarque par son caractère multifonctionnel. Même si son principe de conception reste basé sur l’idée du zonage, le Front de Seine peut s’apparenter à un village autarcique où il est possible de subvenir à l’ensemble de ses besoins quotidiens dans un périmètre réduit.
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Spatialiser les acteurs a rapidement été une nécessité. Ce travail permet en effet de repérer des points de tension comme un manque d’acteurs à certains endroits ou des conflits d’usage (étudiants/habitants), ou au contraire des potentiels leviers de projet (par exemple un regroupement de complexes étudiants aux extrémités de la dalle).
Par ses couleurs, le premier schéma ci-contre atteste d’une grande quantité et d’une large diversité d’acteurs présents sur l’ouvrage dalle. Ponctués par quelques commerces ou restaurants, le très résidentiel XVe («territoire de cadres et aisés» selon les terme de l’INSEE) est rythmé par la dalle du Front de Seine qui se démarque de son environnement en représentant un pôle dynamique et polyvalent où il est possible d’habiter, de travailler et de consommer. Alors que les rues souterraines furent conçues pour des fonctions de services telles que les servitudes et l’évacuation des ordures, nous pouvons voir, par le biais du second schéma l’implantation de commerces, de restaurants, d’infrastructure sportive… Presque quarante ans après sa construction, le niveau inférieur du Front de Seine tente de se renouveler en implantant des activités susceptibles de booster son dynamisme économique et social.
Légende Emprise dalle Centre commercial
Logements
SEMParisSeine
Ecoles
Entreprises
VNF
Radio France
Lafarge
Port de Paris
Hors emprise dalle SNCF
CPCU
Il est intéressant de noter la position du centre commercial qui s’insère presque au milieu de la dalle. Notons aussi le regroupement d’écoles (primaires, maternelles, écoles supérieures) aux extrémité de celle-ci. Selon la directrice de la SemParisSeine, Mme Sophie Giuglaris, des écoles supplémentaires seront amenées à s’installer dans les prochaines années.
Spatialisation des acteurs du niveau dalle
0
100
200 M
0
100
200 M
Conçu pour assurer des fonctions de servitude, les rues souterraines comptes aujourd’hui une une grande diversité d’institutions (publiques ou privées) et profitent de l’affluence du centre commercial atteignant 12 millions de visiteurs par an.
Spatialisation des acteurs du niveau rue
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Un manque de relation Malgré la large diversité d’acteurs que compte le Front de Seine, nous pouvons observer un manque de tension qui s’exerce entre ces derniers. Le schéma d’acteur ci-dessous exprime une segmentation des niveaux et une absence de relation entre les protagonistes qui se justifie par l’urbanisme de
DEGRÉS D’IMPLICATION DES ACTEURS DANS LE QUARTIER
dalle et sa logique de zonage des usages. En ayant dédié une fonction spécifique par étage, les niveaux du quartier n’ont pas été conçus pour être perméables aux échanges de flux physiques et d’usage ce qui isole les acteurs et réduit les interactions. Outre l’insularité ‘verticale’ qui s’exprime entre chaque niveau, nous pouvons aussi observer un manque de
EMPRISE DALLE Propriétaires
+
SEM Paris Seine
Office du tourisme et des congrés de Paris
Touristes
Hoteliers
Salariés entreprises
Adhérents associations de quartier
Retraités
Associations de quartier
Forte implication
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Entreprises
Parents d’élèves
Coureurs/cyclistes
Clubs sportifs
Visiteurs centre commercial
Mairie du XVe arr
Propriétaires
SCI Beaugrenelle
Salariés entreprises
Ecoles
Commerces
Etudiants (lycée)
Locataires
Riverains
Restaurants
Neutres
Mairie de la ville de Paris
Automobilistes Ecoliers (collège)
Peu d’implication
-
Promoteurs
Bailleurs sociaux
SNCF Transilien
Adhérents club sportif Ecoliers (maternelle)
Ecoliers (primaire)
Locataires
Riverains
Restaurants
relation entre les acteurs in-situ et ex-situ. Toujours liées à des problématiques spatiales (lévitation de la dalle, importance des axes routiers); les ruptures qui s’exercent entre la dalle et la Seine compliquent les mises en relation avec le Port de Paris ou la bouche du RER C Javel un peu plus à l’Ouest (SNCF). Les promeneurs arpentant les berges ou encore l’île
LE
aux Cygnes (entité artificielle se situant sur la Seine) qui assistent au spectacle offert par la monumentalité des tours sont dans la quasi incapacité d’accéder au quartier. D’une manière multiscalaire, nous voyons bien que cette structure isole, confine les acteurs dans leur propre périmètre d’action, ce qui a tendance à inhiber les dynamiques spatiales notamment sur l’ouvrage dalle et les rues souterraines.
HORS EMPRISE DALLE
SEM Paris Seine
Office du tourisme et des congrés de Paris
Adhérents associations de quartier
Promeneurs Riverains
Retraités
Photographes
Associations de quartier
Cinéastes
Promeneurs
35 Visiteurs centre commercial
du arr
SCI Beaugrenelle
Salariés entreprises Etudiants (lycée)
Bailleurs sociaux
Locataires
SNCF Transilien Ecoliers (primaire)
Coureurs/cyclistes
Touristes fluviaux
Opérateur touristique de péniche
Restaurants
Adhérents club sportif Ecoliers (maternelle)
Riverains
Locataires
Riverains
Voies navigables de France
Automobilistes
Touristes Tour Eiffel Touristes jardin André Citroën
Restaurants
Port de Paris
Commerces
Conducteurs des péniches commerciales
Schémas d’acteurs
UTILISATION DE L’ESPACE PUBLIC Un manque cruel d’usage
«Moi les tours j’aime pas, j’espère que vous allez nous enlever tout ça»
«IL Y A SOUVENT DU BRUIT AVEC LES JEUNES QUI JOUENT AU FOOT ET QUI FONT DU SKATE-BOARD! ÇA RÉSONNE AVEC LES TOURS» Georges - retraité et habitant de la Tour Panorama
Délia - retraitée
«On fume juste une clope pendant la pause sur la dalle, sinon il y a rien à faire» Mathilde - étudiante
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«C’est calme, c’est agréable d’être sur cette dalle je trouve. On oublie presque les voitures en bas»
«OUI C’EST SYMPA LES BERGES POUR COURIR, EN PLUS ON N’EST PAS LOIN DE VINCENNES! PAR CONTRE JE VIENDRAIS PAS ICI POUR ME PROMENER»
Eugène - coureur
Véronique - salariée
«Je viens souvent faire des shootings ici! Il y a des super prises de vues à faire avec les tours»
Maxime - photographe amateur
«Je viens juste ici pour promener mon chien» Michelle - retraitée et habitante de la Tour Perspective 1
« Les seules fois où je suis allé sur la dalle c’était pour passer un coup de téléphone» Jonathan - étudiant et habitant de la tour Avant-Seine
Le travail d’enquête de terrain permet de rendre compte de l’avis des usagers sur le quartier qu’ils côtoient. En ayant davantage orienté les questions sur le thème des ‘usages’ (quels type d’usage pratiquez vous sur la dalle?/ dans les rues souterraines?) les interviews donnent un état des lieux de l’utilisation de l’espace public. Parmi les personnes sondées, la majorité ont une utilisation de l’ouvrage dalle très réduite. Que ce soit pour aller du bureau au supermarché ou de l’appartement à l’escalator reliant la rue, les usagers arpentent l’espace dans le seul but d’aller d’un point A à un point B. Alors que la dalle fut conçue dans le but d’accueillir les différents flux piétons, les rues souterraines sont beaucoup plus empruntées que l’étage supérieur. Situées au même niveau que le reste du tissu urbain, les usagers arpentent ces rues beaucoup plus aisément que la dalle qui est difficile d’accès. Même si elles sont peu appréciées, la plupart des habitants les empreintent pour accéder à leur appartement et au reste du quartier Beaugrenelle.
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INSTAGRAM Sport et shooting photo Contrairement au préambule où j’ai utilisé Instagram pour rendre compte des particularités du quartier (échelle, verticalité, monumentalisme...), l’application permet ici de dévoiler à ses «Followers» ses occupations et ses hobbies. En tournant l’objectif en leur direction, les utilisateurs nous livrent un bel outil d’analyse qui nous permet de repérer certaines pratiques spatiales qui s’exercent au sein du Front de Seine
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La thématique du sport est la plus représentée. La structure spatiale en niveau du Front de Seine fait l’objet de plusieurs pratiques sportives telles que le VTT, la course à pied voire l’escalade... La seconde thématique la plus récurrente est la pratique de la photographie. Via Instagram et au cours des différentes visites de site, j’ai pu croiser sur la dalle de nombreux photographes et cinéastes amateurs et professionnels. Relégué à l’arrière plan, le Front de Seine s’illustre par ses lignes brutalistes et s’apparente à un tableau où les tours sont perçues comme une toile de fond issue des années 70. En opposition avec le dynamisme du modèle du premier plan, le quartier apparaît comme une entité figée, immobile, à l’écart des fluctuations influant la ville.
#_paul_rembert ‘Shooting’
#trendyparis16 ‘Skater’
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#here are wings ‘Canyon’
#zinzolines‘ Runcamp’
#murray_titop ‘Front-de-Seine’
#_ffotografica ‘Looking up’
#alexandre_alari ‘Tour Mirabeau’
#thgfroy ‘Hôtel vintage...’
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AMÉNAGEMENTS DES ESPACES PUBLICS Critique de l’ornementalité Le manque cruel d’usage qui s’exerce au sein du Front de Seine peut s’expliquer par la politique d’aménagement de la dalle. «N’est-il pas délicieux de finir la journée, un drink en main, le regard jouant sur la Seine? Ou encore de flâner çà et là, à dix mètres au-dessus de la circulation, sur la terrasse fleurie du Front de Seine! Hêtres, bouleaux, platanes, une foison de fleurs, des hectares de pelouse donneront à chaque saison sa palette de couleurs et de parfums. Ces véritables jardins supendus, au pied de votre tour, redonneront au mot «promenade» une saveur perdue à Paris depuis longtemps» , 25 Septembre 1968, Le Figaro dans Le Front de Seine, Thomas Clerc, Lionel Engrand, p.71
Comme l’attestent les arguments de vente développées par le Figaro, le principe d’aménagement de la dalle a été largement guidé par la volonté de développer l’aspect ornemental du paysage soulevé de la dalle.
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Depuis la réalisation du projet qui a débuté en 1968, la SemParisSeine a conservé la même logique d’aménagement de l’ouvrage dalle. Que ce soit en 1980 ou plus récemment en 2014, les travaux de réaménagement ne se sont basés que sur la restructuration des jardinières en ne développant que l’aspect ornemental du site. Même si la végétation créée aujourd’hui des zones intéressantes d’intimité ou d’ouverture, nous restons très proches du paysage développé dans les perspectives imaginées cinquante ans plus tôt. Malgré les 67 millions d’euros investis, le dernier réaménagement n’a fait que poursuivre cette dynamique de ‘verdissement’ sans réellement requestionner les problèmes de fonds de la dalle tels que la monofonctionnalité des lieux et le manque d’usage. «Certaines villes continuent à débattre sérieusement des erreurs des architectes - par exemple, de leur proposition de créer des réseaux piétonniers surélevés, dont les tentacules conduisent d’un bloc à l’autre, comme solution à la congestion - mais la Ville Générique se contente de jouir des bienfaits de leurs inventions: terrasses, ponts, tunnels, autoroutes - une immense prolifération des accessoires de la connexion - souvent drapés de fougères et de fleurs, comme pour prévenir le péché originel, créant une congestion végétale plus austère qu’un film de science-fiction des années cinquante»
La dalle est soumis à un règlement établi par la SemParisSeine. Composée de 8 articles elle interdit notamment: 8.5: De pénétrer dans les jardins hors les passages prévus à cet effet, d’enlever ou détériorer les végétaux ou éléments décoratifs 8.6: D’introduire des animaux sur la dalle (hormis les chiens tenus en laisse) 8.7 De troubler la jouissance paisible de la dalle par des cris ou chant ou par l’intermédiaire d’un quelconque appareil. La SemParisSeine sous-traite avec une entreprise de sécurité dans le but de veiller à l’application du règlement. En interdisant toute intrusion, les différents ‘espaces verts’ sont souvent ponctués par des panneaux excluant différentes pratiques tels que les jeux de ballons, les animaux...
En tablant sur une dégénérescence de la société moderne, l’architecte et écrivain hollandais dresse dans ce livre le portrait de la ville futuriste «post-effondrement» de nos civilisations. Loin de vouloir qualifier le Front de Seine «d’erreurs d’architectes» ou de «péché originel», il est intéressant de constater les points de ressemblances avec le quartier et de noter la critique établie sur le verdissement des espaces architecturaux. Dans un style tendu, souvent provocateur, l’auteur semble dénoncer le caractère superficiel de la végétalisation.
Sans aller vers une abolition de toutes les règles et une restructuration totale de la dalle, l’idée est simplement de requestionner le rôle et la nature de ces espaces plantés. Les problématiques environnementales ou de pression des sols, nous poussent aujourd’hui de plus en plus à penser des espaces polyvalents et multifonctionnels. Ce qui nous amène à la question suivante, l’ornementalité suffit-elle à répondre à la problématique des milieux urbains? Ne faut-il pas aujourd’hui voir dans le paysage une certaine polyvalence des lieux dans l’idée de répondre aux problématiques environnementales et de pression des sols?
Interdits et réglementation dans les espaces plantés
Junkspace, Rem Koolhaas,Urbansime, 6.11, p.59
Prises à presque 30 ans d’écart ces deux photographiés rendent compte de l’aménagement de la dalle avec les jardinières plantées d’arbustes d’agrément. Sans le légendage, il serait difficile de dater les photos. Hormis les essences végétales et les matériaux de revêtement, l’aménagement de l’espace reste identique. Notons aussi l’absence d’usager.
Sur cette perspective réalisée au début des années 60 par Raymond Lopez et Henry Pottier, nous pouvons retrouver les même jardinière plantées que sur les photographies ci-contre. Même si les essences végétales ont changé (liées aux phénomènes de mode), nous restons aujourd’hui dans le même principe de verdissement développés cinquante ans plus tôt. A l’image des photos, il est interessant de noter l’absence de personnes représentées.Source: Archives SemParisSeine
24/09/2018
12/08/1988
43
CONCLUSION Avec une moyenne d’âge approchant les 55 ans, le XVe arrondissement de Paris est majoritairement constitué d’une population issu des classes sociales aisées (INSEE, 2018). Hormis ses berges qui ont accueilli pendant prés de 200 ans des usines et des industries, cet arrondissement a souvent été caractérisé comme majoritairement résidentiel. Ponctuées par quelques restaurants ou commerces, ces rues ne différent pas des standards traditionnaux du reste du tissu urbain parisien.
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Remarquable avant tout par sa structure spatiale, le Front de Seine constitue un amer dans le paysage du XVe arrondissement. Avec une affluence annuelle de 12 millions de visiteurs, le centre commercial Beaugrenelle représente une attraction à l’échelle de tout Paris. En dehors de cet ensemble à l’architecture « iconique », le Front de Seine attire aussi par sa localisation géographique (RER C Javel, Ligne 10 Charles Michel - Ligne 6, Bir Hakeim) et par les nombreuses institutions (publiques ou privées) qui le composent. Avec 9 écoles, 2 piscines municipales, 1 bibliothèque, 6 restaurants, 3 hôtels…. le quartier permet par sa configuration spatiale en niveau, d’accueillir sur une superficie de moins de 19 hectares plus de 50 institutions publiques ou privées. En attirant de nombreux touristes, étudiants, retraités, sportifs ou promeneurs le Front de Seine jouit donc d’une large diversité d’acteurs. Malgré la quantité d’acteurs qui fourmillent autour de la dalle, les paysages du Front de Seine se résume à des lieux traversés où un manque cruel d’usage est a constater. Enfin, la segmentation en étage rend difficiles les relations entre les différents acteurs. Avec une dalle se détachant de 6 mètres du sol naturel et un feuilletage de plusieurs niveaux, le quartier se caractérise par une structure complexe et imposante. Issus de l’urbanisme de dalle, ses étages n’ont pas été conçu pour être perméables ce qui peut expliquer le manque de dynamique spatiale et sociale au sein du quartier.
Vers Tour Eiffel
L’île aux Cygnes
Maison de la Radio
CALQUE 45
Ecoles
La
ine
Centre commercial
Se
Tours d’habitation Hôtels Tours d’entreprises Métro/RER (sncf) Cimenterie Port de Paris
Vers Parc André Citroën
0
75
150 M
La spatialisation et la hiérarchisation des acteurs (en fonction de leur degrés d’implication sur la dalle et leur degrés d’influence) permet de témoigner de leur interaction ou de leur isolement. Ce travail permet de déjà déceler les premières pistes de projet.
46
Conçu par les architectes Raymond Lopez et Michel Holley à la fin des années 50, le Front de Seine s’inscrit dans le mouvement moderniste et répond au principe du zonage vertical et horizontal. Véritable paysage en épaisseur, il s’organise sur plusieurs niveaux et se caractérise par une structure massive qui s’impose au reste du quartier Beaugrenelle. Fidèle à certains principes de la Charte d’Athènes (Le Corbusier, 1941) et du mouvement hygiéniste (développé au milieu du XIXe siècle), le Front de Seine se développe dans un contexte politique marqué par l’émergence de la Ve République du Général de Gaulle et de Georges Pompidou qui porte de grandes ambitions dans la restructuration urbaine de Paris dans une France portée par le dynamisme économique des Trente Glorieuses. En contextualisant l’origine de l’émergence du quartier et en étudiant l’idéologie qui soutient l’urbanisme de dalle, cette partie met en évidence les dysfonctionnements structurels qui sont à l’origine de la segmentation des usages et des acteurs. Pensé à l’échelle territoriale, les ambitions du projet ont été découpé par un phasage long de 30 ans ce qui isole aujourd’hui le Front de Seine de son environnement.
2. UN QUARTIER FIGÉ DANS LE TEMPS
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Véritable feuilletage architectural, ce cliché pris en juillet 1968 témoigne de l’imposante complexité de la structure du Front de Seine. Ce chantier reflète la construction du Front qui s’érige face à la Seine
UNE HISTOIRE MARQUÉE PAR L’UTOPIE ET LES GRANDS TRAVAUX
La Se ine
Exploitation agricole et extraction de sable et d’argile Sous le contrôle de l’Abbaye SainteGeneviève, les terres de la plaine de Grenelle sont occupées par des exploitations agricoles et maraîchères et les berges de Seine sont occupées par des activités d’extraction de sable.
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XVIIIe siècle
Tracé des chemins vicinaux au XVIIIe siècle superposé sur un plan actuel du quartier de Grenelle Source: Front deSeine: Histoire Prospective, Bresler,Genyk,p.29
1749
LÉGENDE PLAINE ET BERGES DE GRENELLE PARIS
Avec une histoire souvent commune, il est important de mettre en parallèle Paris et les plaines de Grenelle Projets ou grands travaux non réalisés Projets ou grands travaux réalisés
Louis XV et Paris Alors que Versailles est la capitale de la France, Louis XV s’intéresse de plus en plus à Paris en construisant la place Louis XV (place de la Concorde) et l’école militaire
1777
Naissance de l’industrie sur les berges Une manufacture de produits chimiques s’installe au moulin de Javel en bord de Seine
1789
Révolution française Remplacement de la monarchie absolue par la première république.
«Ville Nouvelle» Trois communes sur les plaines et les berges de Grenelle
Jean-Léonard Violet (conseiller municipal de Vaugirard) acquiert 105 hectares de terrain pour développer le projet d’une «Ville Nouvelle» (Beaugrenelle) s’implantant sur les anciens chemins vicinaux et dédiée à une classe sociale bourgeoise
Nomachie Sous l’impulsion de Napoléon 1er, l’ingénieur Naudy Perronet propose de transformer les plaines de Grenelle et de Passy en une rade de navigation pour les navires militaires
Lim
ites
actu
elle
s
En dehors des limites administratives de Paris et de ses 12 arrondissements, la plaine et les berges de Grenelle sont divisées par trois communes: Issy (contenant le quartier de Javel), Grenelle et Vaugirard
1795
1 2
3
1: Commune de Grenelle - 2: Commune d’Issy (incluant le quartier Javel - 3 - Commune de Vaugirard
1812
Plan de transformation des plaines de Grenelle et de Passy proposé par Naudy Perronet Source: Société Historique Paris XV
1824
La «Ville Nouvelle» de Jean-Léonard Violet s’oppose aux chemins vicinaux du XVIIIe siècle Source: Société Historique Paris XV
1827
12 arrondissements à Paris Le 11 Octobre 1795, Paris se divise pour la première fois en 12 arrondissements IX
VIII
I
VII VI
X
II
XI
III IV
XII
V
Plan des 12 premiers arrondissements de Paris L’implantation du Front de Seine de trouve en dehors de ces limites
Canalisation de la rive gauche «Présenté pour la jonction de la Marne à la Seine, la dérivation de la Seine et les docks ou bassins éclusés dans les plaines de Choisy, d’Ivry et de Grenelle», Joseph Cordier, polytechnicien Afin de faciliter la navigation sur la Seine, il était question de canaliser la rive gauche (y compris en dehors des limites administratives du Paris de l’époque)
49
1825
1832
Choléra et tuberculose Le prolétariat ouvrier en forte expansion s’entasse dans les quartiers centraux de Paris avec plus de 100 000 habitants au kilomètre carré. D’importantes épidémies se déclare et font plus de 20 000 victimes en 1832
1860
50
Port commercial Dans le but de dynamiser les échanges commerciaux de la commune de Beaugrenelle, JeanLéonard Violet décide de construire un port sur les berges de Seine. L’île aux Cygnes se transforme en ‘gare d’eau’ et est traversée par un pont qui relie désormais les deux rives
1852
Le Second empire et le Baron Haussmann Les transformations de Paris sous le Second Empire constituent une modernisation d’ensemble de la capitale française menée à bien de 1852 à 1870 par Napoléon III et le préfet de Paris, le Baron Haussmann.
Naissance du XVe arrondissement La commune de Grenelle, d’Issy (incluant de quartier Javel) et de Vaugirard sont donc annexées par Paris et deviennent le XVe arrondissement Annexion de Paris Le 1er Janvier 1860 une loi permet à Paris d’annexer plusieurs communes voisines. La capitale française passe ainsi de douze à 20 arrondissements et de 3288 à 7802 hectares. Elle connaît alors une hausse démographique passant de 1,17 à 1,69 millions d’habitants. XVIII
XVII
XIX
XX XVI
XV XIV
XIII
Paris s’agrandit et crée 8 arrondissements supplémentaires. Les villes de Issy, Grenelle et Vaugirard font parties intégrantes du XVe arrondissement
1893
Élargissement du Pont Mirabeau Travaux de rénovation et d’élargissement du Pont Mirabeau
1910
1888
Haussmannisation des berges Sous la Troisiéme République et faisant suite à l’haussmannisation de Paris, les chemins vicinaux de la plaine de Grenelle seront aussi sujets à des travaux de restructuration. Dans le prolongement du Pont Mirabeau, trois grands axes sont crées: la rue de la Convention, qui sera suivie de la rue Balard, l’Avenue Emile Zola.
Activité industrielle ralentie Les berges de Grenelle sont touchées par la crue et l’activité industrielle des usines chimiques (Javel) encore éléctriques (Thomson) est ralentie pendant plus d’un mois.
Quai de Grenelle inondé: interruption de l’activité industrielle pendant plusieurs semaines Source:Archives SemParisSeine
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Crue Centennale La crue centennale de 1910 est l’un des plus importants débordements de la Seine depuis 1658. Elle a touché une grande partie de la vallée parisienne et a ralenti l’activité économique pendant prés de 35 jours (durée de la décrue)
Les différentes crues qu’a connu Paris et le quartier de Grenelle et de Javel Source: Société Historique Paris XV
52
1912
Production d’aéroplanes Armand Deperdussin, passionné d’aviation et disposant d’importants capitaux, créa les premiers ateliers d’une société de production d’aéroplanes
1914
1915
Début de la 1ère guerre mondiale L’assassinat de l’archi duc François-Ferdinand par un nationaliste Serbe déclenche le début de la «Grande Guerre»
André Citroën En 1915, d’autres industriels s’installent sur le site dont André Citroën. L’usine est d’abord destinée à la production d’obus. Suite à un voyage à Détroit, André Citroën applique le principe de production fordiste et reconvertit son usine en production automobile
1918
Expansion industrielle Les implantations des usines Citroën marquent l’expansion industrielle des quartiers Javel-Grenelle
1922
Fin de la première Guerre Mondiale Signature de l’armistice le 11 Novembre 1918 qui met fin aux combats
Sur ce plan issu de la Semea XV (aujourd’hui SemParisSeine) nous pouvons noter la taille des parcelles industrielles Source: Société historique Paris XV
1929
Crise économique et sociale Le crack boursier de New York ne tarde pas à se répandre dans tout le monde occidental capitaliste à économie de marché. Entre les deux guerres, la situation sociale parisienne est catastrophique. Avec une densité démographique extrême, Paris intramuros avoisine les 2,9 millions d’habitats et est marqué par des épidémies de tuberculose et de choléra
«Aéroparis» Imaginé par l’architecte André Lurçat, le projet de l’implantation d’une piste d’envol et d’atterrissage pour les avions de petit gabarit est proposé sur l’île aux Cygnes
1932
Ce photomontage témoigne du caractère insolite du quartier. Au début du siècle, la question du déplacement et du transport étaitent déjà abordés Source: Société Historique Paris XV
Pavillon des colonies L’exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne transforme l’ïle aux Cygnes en pavillon des colonies
1ére cimenterie sur les berges Première usine à béton française. Établie par la société «Le béton rationnel contrôlé», elle s’étendait sur un linéaire de cent mètre sur les berges de Seine. La cimenterie Lafarge occupe aujourd’hui cet emplacement
1933
1937
Notons ici les installations flottantes qui se tenaient sur la Seine Source: Le Front de Seine: Histoire prospective, Bresler, Genyk,p.33
1939
Début de la seconde Guerre Mondiale
53
1961
54
1945
Fin de la 2nd Guerre Mondiale Le temps est à la reconstruction. Le général de Gaulle est au pouvoir et impulse une politique de grands travaux
1954
Plan Lafay
Le conseil municipal de Paris se réunit ici pour traiter de la rénovation urbaine de Paris Source: Société Historique Paris XV
Bernard Lafay, président du conseil municipal de Paris et assisté par l’architecte Raymond Lopez, prône un nouvel urbanisme basé sur de vastes démolitions dans Paris et sur le développement des voies de circulation.
1958
Le Front de Seine précurseur Sept ans après la présentation du Plan Lafay, la Commission des sites du Conseil d’architecture et d’urbanisme de Paris valide l’un des premiers grands projets de restructuration de Paris: le Front de Seine
Naissance de la Ve République Gouvernement de Georges Pompidou avec comme ministre de la reconstruction Pierre Sudreau
Juillet 68 Début des travaux du Front de Seine dans un contexte politique et sociétal chahuté. A l’échelle du quartier, ils marquent la destruction progressive des maisons basses et des petits commerces alimentaire. La disparition des usines marque la fin d’une ère industrielle vieille de plus de 200 ans.
1965
Fournit par l’IGN, il est intéressant de remarqué les berges de Seine occupé par des péniches de stockage de sable et le passage d’une voie de chemin de fer Source: Société historique Paris XV
1968
Usines Citroën Quelques années avant leur destruction (qui se fera progressivement), nous mesurons ici l’ampleur des usines Citroën
Opposition entre les fondations d’une tour au premier plan et les usines bientôt relocaliser au second Source: Archives SemParisSeine
Mai 68 Enclenché par une révolte de la jeunesse étudiante, puis gagnant le monde ouvrier, Mai 68 constitue le plus important mouvement social de l’histoire de France du XXe siècle. Il est caractérisé par de vastes révoltes antiautoritaires, de nature à la fois culturelle, sociale, politique et dirigés contre le capitalisme, le consumérisme, l’impérialisme américain et le pouvoir gaulliste en place.
Vers un phasage long de 30 ans...
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LES TRENTE GLORIEUSES Contexte politique et social
Porté par le MRP et ses valeurs libérales, il s’installe sur les berges de Grenelle qui ont été modelées par l’influence ouvrière au cours des siècles. A une population modeste d’ouvriers s’impose le projet libéral du Front de Seine.
Une scission politique et sociale Au milieu des années cinquante, les Trente Glorieuses concernent la plupart des membres de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) et se traduisent par forte croissance qualifiée de « révolution invisible » par l’économiste J.Fourastier.
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Les vingt-sept années qui séparent la fin de la seconde guerre mondiale et le premier choc pétrolier de 1973 se traduisent par un dynamisme économique important marqué par une situation de plein emploi et une forte croissance industrielle permise par un accès aisé aux énergies fossiles comme le pétrole. En abandonnant plus de 7000 kilomètres de voies ferrés, la France développe par une politique du « tout-routier » son réseau d’autoroute convergent vers la capitale (non décentralisé) parisienne. Le contexte économique et social est en revanche plus mouvementé. A la sortie de la guerre la Quatrième République est marquée par le tripartisme, c’est à dire une coalition gouvernementale formée par le SFIO (section française de l’Internationale ouvrière), le PCF (parti communiste français) et le MRP (mouvement républicain populaire). Face à l’ultralibéralisme portée par des valeurs capitalistes reposant sur le consumérisme, le déplacement ou l’épanouissement individuel (Self Made Man), s’oppose une population d’ouvriers et de classe moyenne représentée par un parti communiste atteignant les 30% au début des années cinquante. Le projet du front de Seine reflète bien la scission qui s’opère en France à cette époque.
Ce document publié en 1962 par la SEMEA XV (ancienne SemParisSeine) informe les habitants, commerçants, industriels de la destruction de leurs biens. Souvent locataire, nous devinons que les ouvriers n’auront pas les moyens de se reloger dans les IGH (immeuble de grande hauteur) de haut standing et seront contraints à être reloger en banlieue. Source:Société historique de Paris XVe
Delirious Front de Seine La structure du Front de Seine pourrait nous rappeler par sa densité ou sa verticalité la configuration spatiale new yorkaise que décrit Rem Koolhaas dans Delirious New York. Au milieu des années 50 Michel Holley se rend aux Etats-Unis où il est invité a visiter la modernité « made in USA » où il découvre les travaux d’architectes (issus du Bauhaus ou du Modernisme) comme Eero Saarinen, de Mies van der Rose ou de Skidmore, Owen et Merill. « Ce fut un choc, évidemment. Mais ma génération a également été très influencé par l’univers des comics américains des années 1930. Nous étions fascinés par ces villes verticales avec leur super-héros, ces villes avec des routes suspendues et des ponts invraisemblables qui nous faisaient rêver… La dalle, dans tout cela, n’était en aucun cas une religion, mais la conséquence d’une approche volumétrique de l’espace urbain, nourrie de cet imaginaire où se mêlent des références architecturales et cinématographiques, mais aussi des références populaires. » Citation de Michel Holley dans Le Front de Seine: Lionel Engrand, Thomas Clerc, p.84
En ayant stimulé l’imaginaire des architectes concepteurs, nous saisissons par les références auxquels fait allusion Michel Holley, la dimension utopique dont est issu le projet du Front de Seine. « La Ville Générique quitte l’horizontalité pour la verticalité. Le gratte-ciel sera, semble t-il, le type ultime, définitif » Junkspace, urbanisme, 6.4, p.56
Comme Holley, Raymond ou Pottier, Koolhaas voit dans la ville de demain l’expansion des grattes-ciels et de la verticalité. Avec des références et des inspirations communes les architectes avaient aussi pour conviction de concevoir un ensemble propre à la ville de Paris et à son histoire.
«La hauteur uniforme des tours est un hommage à la régularité plafonnée des îlots haussmaniens» Le Front de Seine , Lionel Engrand, Thomas Clerc, p.83
Il est amusant de noter le parallèle établi entre le Front de Seine et l’haussmannisation. En réponse à la forte densité démographique du milieu du XIXe siècle, la rénovation de Paris par Haussmann s’est justifiée par des raisons sanitaires et s’est développée selon un axe hygiéniste en impliquant la délocalisation des basses classes sociales en périphérie des enceintes de la ville. Cent ans plus tard intervient un schéma similaire où les usines sont délocalisées pour laisser place à un quartier moderniste et hygiénique, dédié à une classe sociale aisée.
Un projet politique? Bénéficiant d’une localisation privilégiée face à la Seine et à quelques pas de la tour Eiffel, nous pouvons imaginer la nécessité pour le pouvoir politique en place de relayer en périphérie, les industries polluantes toujours présentes au milieu des années 50 dans le centre de Paris. En pleine croissance économique et démographique et dans un bloc occidental porté par les valeurs libérales, le quartier du Front de Seine joue le rôle de vitrine et atteste par sa verticalité, de la modernité économique, sociale et urbaine de la France et de Paris. Presque en concurrence avec la hauteur de la tour Eiffel, ces surgissements verticaux rompent avec le paysage industriel considéré comme insalubre et marquent, selon certains magazines de l’époque une «révolution» urbaine.
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Une propagande médiatique? Il est intéressant de remarquer via les différentes citations ou représentations iconographiques, l’engouement dont font part certains magazines ou journaux de l’époque. Se définissant souvent par des orientations politiques de droite, Paris Match ou encore le Figaro ne cachent pas l’intérêt qu’ils portent au projet du Front de Seine, en allant même jusqu’à magnifier les perspectives originellement produites par les architectes. En Juillet 1967, le magazine Paris Match s’adressant à un lectorat majoritairement issu de la classe sociale aisée publie un numéro spécial dédié à la restructuration urbaine de Paris. A l’image d’une propagande, il présente toute une série de plans, de perspectives et de coupes visant à défendre la politique de grands travaux qui s’opère dans la capitale et dans le but de répondre à des enjeux de ventes et de promotion marketing.
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Publié en 1967, Paris Match présente dans son numéro spécial «Paris dans 20 ans», dédié au plan de restructuration urbaine de la capitale. Nous pouvons voir sur la couverture, l’ensemble des 50 secteurs concernés par une rénovation ou une reconstruction. Source: Archives de la SemParisSeine
«Une révolution est actuellement en cours sur les quais du XVe arrondissement: on construit le premier gratte-ciel, la tour de Seine. Elle ouvre officiellement le Paris de l’an 2000 avec trente ans d’avance.» 25 Septembre 1968, Le Figaro Notons ici que cette citation est publiée seulement trois mois après les événements de Mai 68. Dans un contexte social mouvementé Paris est divisé par les révoltes étudiantes et ouvrières ayant rassemblé plus de 800 000 personnes le 13 Mai et les rassemblements de soutien au général de Gaulle ayant mobilisé plus d’1 million de personnes le 30 Mai. Dans ce contexte social fragmenté, le rôle des médias est capital et il est amusant de souligner les termes de «révolutions» ou de «Paris de l’an 2000» qui traduisent, chez le lectorat de Paris Match, la quête de modernité par le biais des grands projets urbains.
Paris en mutation Dés la libération de Paris, se pose le problème de la rénovation urbaine. Même si la capitale n’a pas subi beaucoup de destruction, elle doit tout de même répondre à l’augmentation de la démographie et aux problèmes de pollution et d’insalubrité qui, même après l’haussmannisation, persistent toujours dans certains îlots. Rédigée à l’issue des Congrés internationaux d’architecture moderne (CIAM, 1933), la Charte d’Athènes (publiée en 1941) qui présente les principes du mouvement moderniste, ne sera appliquée qu’aprés la fin de la guerre, surtout en périphérie des grandes villes (aboutissant à la notion de «grands ensembles»)
et dans les arrondissements ouvriers de Paris (XIIe,XIIIe, XVe, XXe). Même si l’architecte Joseph Belmont soutient que le Front de Seine est directement influencé par les principes corbuséens, nous verrons que les concepteurs soutiennent des idées différentes comme le principe du «zooning vertical», qui n’a jamais été développé dans la Charte. Le plan de restructuration urbaine marqué par l’urbanisme «triomphant», tente donc de s’installer dans une capitale divisée socialement, portée par une quête de modernité impulsée par la classe aisée d’une part et par une protection des usines et des industries issue du monde ouvrier d’autre part.
Cette perspective présentée dans le numéro spécial de Paris Match, est le fruit du travail du perspectiviste Tanguy de Remur. Volontairement modifiée par le magazine, elle illustre l’image d’une société moderne aisée, se déplaçant par la voie terrestre, par la voie maritime ou encore par la voie aérienne avec un hélicoptère au premier plan. Outre l’idée du déplacement, elle témoigne aussi de l’enjeu touristique qui se cache derrière le projet. En rupture avec les industries, il est possible de découvrir la Seine par ses berges, sa dalle ou encore par les bateaux péniches. Enfin, le titre (titré par le magazine) nous renseigne sur l’échelle des travaux de restructuration et aussi sur l’attention qui est portée au fleuve (axe directeur des projets). Source: Archives SemParisSeine
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Les protagonistes En Décembre 1954, Bernard Lafay (président du conseil municipal de Paris), reprend les grandes lignes de l’ancien schéma directeur de Paris (plan Thirion) en collaborant avec le duo Lopez-Holley. Ce plan oppose le centre de Paris qualifié de « cristallisé » à sa périphérie où se joue la plupart des rénovations de l’époque.
Plus qu’une rénovation urbaine, l’objectif est ici de requestionner la condition de vie des habitants en ville et par la même occasion leur comportement social. «Décristalliser Paris» En référence au «Paris cristallisé» (Plan Lafay 1954), il est important de libérer la capitale de ses petites industries en incitant les ouvriers à s’installer en périphérie afin de pouvoir librement refonder les principes de l’urbanité parisienne. « Notre enquête concluait graphiquement que sur les sept-mille hectares de surface de Paris, environ mille cinq cents seraient, tôt ou tard, libérables (…): petites industries, artisanats obsolètes, constructions anciennes, (…) îlots semi-insalubres, logements sans sanitaires. » Michel Holley, Urbanisme vertical et autres souvenirs,Paris, Somogy, 2012
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Schéma organique proposé par Pierre Sudreau en 1954 Se situant à la frontière de la zone «cristallisée», le Front de Seine s’illustre comme un secteur charnière de la restructuration parisienne. Face à la Seine, il devait symboliser la transition entre le secteur patrimonialisé (en quête de modernité) et la périphérie, elle aussi soumise à d’importants travaux de restructuration. Source: Le front de Seine: histoire prospective, Henri Bresler, Isabelle Genyk, p.24
Quatre ans plus tard, l’élection du « président bâtisseur » (Général de Gaulle), développe la tendance énoncée par Bernard Lafay. En développant une politique de grands travaux en France et à Paris, le ministre de la reconstruction Pierre Sudreau soutient une restructuration profonde de la capitale: « Si la rénovation n’avait pour but que de substituer des logements neufs à des logements anciens elle manquerait totalement son but» Pierre Sudreau en 1962, Le Front de Seine: histoire prospective, Henry Bresler, Isabelle, p.22
A l’image des usines Citroën qui s’implantaient sur l’exacte emprise du Front de Seine et qui ont dû être délocalisées à Rennes en 1975. Le chantier de reconstruction de Paris s’illustre par une politique de délocalisation et annonce la volonté de «décristalliser» le centre parisien dans le but de développer les grands travaux de restructuration.
Panorama et photomontage qui présentent la délocalisation des usines et l’implantation des IGH (présentés à l’occasion de la Commission des sites en 1961). Source: L’architecture aujourd’hui, n°97, septembre 1961, p.26
Ensemble Pleyel Boulevard périphèrique La Défense
Montmartre
Métro express Les Halles
Front de Seine
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Montparnasse Bercy
Education Nationale
Même si tous les projets n’ont pas été réalisés, ce document présente 50 secteurs soumis ou ayant été soumis à une restructuration en 1967
DÉVELOPPEMENT D’UN PAYSAGE EN ÉPAISSEUR Projet à échelle territoriale
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Une vision globale Le Front de Seine s’inscrit dans les années cinquante dans une vision globale de la rénovation de Paris. Initialement pensé à une échelle territoriale, le projet devait faire sens dans le paysage urbain parisien au regard des autres sites devant subir les mêmes restructurations. En effet, l’opération devait aller bien au delà des limites actuelles en prévoyant la création du Front de Seine II s’implantant bien en aval de la Seine (aujourd’hui la ZAC Citroën-Cévennes). De la même façon, le XVe arrondissement devait aussi accueillir des projets similaires au Front de Seine sur les secteurs Sablonnière et Procession. Dans la même logique de conception, ces derniers prévoyaient des logements d’habitation en barre, des commerces, des équipements publics, le tout s’organisant sur une dalle. Au terme de leur réalisation, ces trois «opérations d’envergure» devaient être reliées par le biais de passerelles dans l’idée de fédérer l’ensemble du XVe arrondissement autour d’une déambulation aérienne. «Les routes son réservées aux voitures. Les gens (les piétons) sont conduits sur des pistes (comme dans un parc d’attractions), sur des «promenades», qui les élèvent au-dessus du sol». Junkspace, Rem koolhaas, urbanisme, 6.12,p.59
Le parallèle avec Junkspace témoigne encore du caractère utopique que peuvent représenter les projets de rénovation dans le centre historique de Paris. Le Front de Seine: précurseur A l’étude dés le début des années 50, le projet du secteur Beaugrenelle peut être considéré comme la première véritable opération de rénovation urbaine parisienne. Suite à l’approbation de la commission des sites et du Conseil d’architecture et d’urbanisme en décembre 1961 les travaux du Front devaient débuter en 1962. Mais retardés par des complications juridiques et administratives qui s’expliquent par le fait que le site s’installe sur 187 parcelles, les travaux ne débuteront en réalité que 5 ans plus tard. Avec une superficie s’étendant sur une surface large de 29 hectares et par la diversité qui devait définir le futur tissu urbain (mélange d’habitation, d’industrie, de commerce, d’artisanat…), le Front de Seine était l’un des projets phares du plan d’aménagement de Paris. Remarque: La superficie indiquée est bien plus importante que celle du quartier aujourd’hui. Les limites strictes de la dalle s’étendaient de plus de 10 hectares par rapport à l’emprise actuelle.
Maquette illustrant le paysage vertical du secteur Beaugrenelle culminant à 100 mètres de hauteur et amorcant l’écriture urbaine qui devait se poursuivre jusqu’au quartier Citroën-Cevennes et représenter un linéaire de plus d’1,5 km de tours faisant front à la Seine (le quartier s’étend aujourd’hui sur environ 400m le long des berges). Sources: Archives SemParisSeine
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Superposé sur le tissu urbain actuel, ce document met en scène les trois premières opérations de rénovation (Front de Seine I, Sabonnière et Procession) lancées par la société d’économie mixte, la Compagnie Foncière XV. Pouvant s’assimiler à un archipel, ces trois projets devaient faire sens dans le paysage urbain et unifier par une déambulation piétonne le e XV arrondissement
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Une dalle dans son environnement Vues, percées et panorama: la question de l’horizon Au début des années soixante, le phénomène de délocalisation des usines sur le secteur Beaugrenelle marque un réel tournant dans l’histoire du quartier. Sous l’influence de l’industrie depuis la fin du XVIIIe siècle, il a pendant longtemps été occupé par des classes sociales modestes et ouvrières. Avec des loyers élevés et de large superficie de logement, les IGH (immeubles de grande hauteur) marquent un embourgeoisement soudain avec l’arrivée d’une population issue des classes aisées.
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Outre le chamboulement social radical, s’opère avec le développement du projet une prise en compte du paysage et de l’environnement par l’émergence d’une dalle fleurie s’apparentant à un « jardin suspendu », qui permet d’épouser du regard la Seine par la création de multiples panoramas. « N’est-il pas délicieux de finir la journée, un drink en main, le regard jouant sur la Seine? » « Ces véritables jardins suspendus, au pied de votre tour, redonneront au mot « promenade » une saveur perdue à Paris depuis longtemps.» 25 Septembre 1968, Le Figaro dans Le Front de Seine, Thomas Clerc, Lionel Engrand, p.71
Érigé à 6 mètres au dessus du sol, l’ouvrage devait offrir aux parisiens la possibilité de profiter du paysage lointain à l’écart des nuisances olfactives et sonores laissées en contrebas. Henry Pottier (architecte ayant participé plus tard au développement du projet avec Michel Holley) précise même que ce projet avait pour mission «d’équilibrer par rapport au fleuve la masse de la Colline de Chaillot, sans
pour autant créer en bordure de Seine une muraille continue de constructions qui aurait constitué une barrière massive masquant tout le quartier de Beaugrenelle.» Cité par M.Tilmont,J-C Croizé, les IGH dans la ville,op.cit
Il est ici passionnant de noter la quantité de référence aux entités paysagères environnantes (le fleuve, le côteau..). En abordant la question de l’horizon, les architectes voulaient en réalité rendre la structure perméable en créant des interrelations physiques et visuelles entre le quartier Beaugrenelle, la Seine et le XVIe arrondissement. Produite au début des années 60 par le trio Lopez, Holley, Pottier, cette perspective nous renseigne avant tout sur la localisation du site dans Paris. La perspective fuyante vers la tour Eiffel rappelle la proximité du très chic VIIe arrondissement et pose les bases d’un projet réservé à une classe sociale aisée. Cette coupe axonométrie renseigne aussi sur la stratification de la structure en marquant de franches limites entre les étages et rappelle par une imperméabilité
des niveaux le principe du zonage vertical et de l’urbanisme de dalle. Marqué par l’omniprésence des véhicules, train, ou péniche, le socle se réserve à la problématique des déplacements et s’oppose aux usages se définissant sur la dalle ou une végétation hors-sol agrémente la déambulation piétonne.
Enfin, notons aussi l’avancée de l’ouvrage sur la Seine, s’étendant presque 100 mètres au delà des limites actuelles. Avec une position de surplomb visà-vis du fleuve, nous pouvons facilement imaginer la naissance des percées visuelles sur le coteau du XVIe arrondissement (lui aussi représenté) dont parle Henry Pottier dans son interview par M.Tilmont. Ce document issu de l’agence Lopez-PottierHolley fut publié par la société d’économie mixte en charge du site du Front de Seine, la SEMEA XV (aujourd’hui SemParisSeine). Nous imaginons l’importance marketing de ce document dédié à séduire les potentiels acheteurs. Rappelons aussi qu’une SEM est possédée à majorité par un établissement public. L’Etat n’est donc jamais très éloigné du projet du Front de Seine. Source: Archive de la SemParisSeine
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Pluralité scalaire de la mobilité
Large échelle: Le Front de Seine dans Paris
Outre les relations visuelles, le duo Raymond Lopez et Michel Holley ont aussi largement développé la question des déplacements et des relations physiques entre le Front de Seine, le XVe arrondissement et Paris. Remarque: Rappelons que ce même duo a élaboré sur la demande de Bernard Lafay, le nouveau plan d’urbanisme de Paris en 1954 qui se caractérise par un large réseau d’autoroute et d’infrastructure
«décristallisant» alors le Paris intra-muros. Sur le Front de Seine, notons que les relations à large échelle ont aussi été traitées par le biais de l’automobile. Les différentes autoroutes, voies express, rocades, bretelles présentes au sein du site permettent de rentrer dans la logique de déplacement voulu à l’époque à Paris.
Notons l’interessante ressemblance entre un croquis de Eugène Hénard (rue du Futur, 1910) et une coupe du Front de Seine (Henry Pottier). Les principes de la circulation à large échelle, sont bien plus guidés par les utopistes du début du siècle comme Eugène Hénard ou Ludwig Hilsbreimer que par la Charte d’Athènes qui n’oblige pas à la stratification verticale des différentes circulations. Source: Conférence Eric Alonzo (19.02.18,ENP) - Le Front de Seine:Histoire prospective, Henri Bresler, Isabelle Genyk, p.112
La revue urbanisme présente le plan de circulation de l’opération Front de Seine. A l’image des travaux de Hénard, le socle est réservé au déplacement individuel et à l’automobile. Ponctués d’un important réseau d’infrastructure, le projet du Front de Seine rentre dans la logique du plan d’urbanisme de Paris développé en 1954. Source: Le Front de Seine:Histoire prospective, Henry Bresler, Isabelle Genyk, p.112
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Échelle intermédiaire: Le complexe dalle-bâtiment
A l’échelle piétonne, outre les interconnexions des différents quartiers sur dalle du XVe arrondissement que nous avons évoqués, il est important de remarquer comment la dalle s’insère dans le quartier Beaugrenelle. Les nombreuses passerelles et rampes témoignent en effet d’une réelle prise en compte du tissu urbain aux alentours et une recherche de la stratification des bâtiments à été prise en compte afin de relier plus aisément le socle à la dalle.
Petite échelle: La place du piéton
Enfin, la question des relations à l’échelle même de la dalle a aussi été abordé. Les nombreux percements de celle-ci témoignent d’une prise en compte d’une interrelation entre les différents niveaux. Même si la logique de conception fut guidée par la logique du « zonage vertical », les concepteurs ont pensé ce quartier comme un ensemble polyvalent et fonctionnel.
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Outre les formes cubiques pouvant faire référence au Bauhaus, notons les différents percements de la dalle qui permettent une prise en compte des niveaux inférieurs. Les limites de la dalle sont aussi traitées par des passerelles ou des rampes afin de s’insérer au mieux dans le quartier Beaugrenelle. Source: Revue Urbanisme, 1963
Cette coupe produite par Henry Pottier met en lumière la cohabitation entre le piéton et l’automobile sur le socle. Même si elle rappelle par le nombre de gens représentés sur la dalle qu’il est préférable de circuler sur le niveau supérieur, elle nous informe qu’il est aussi possible de descendre sur le socle (escalier et trottoir). La vision n’est donc pas strictement unilatérale. Source: Le Front de Seine:Histoire prospective, Henry Bresler, Isabelle Genyk, p.56
Un projet jamais abouti Dés sa conception le projet du Front de Seine fut prévu sous la forme d’un long phasage. Compte tenu de l’ampleur des réalisations (plus de 20 IGH de 98 mètres de hauteur) et du fait que le projet s’étend sur une emprise occupant plus de 187 parcelles, il est légitime de penser, même avec l’appui du gouvernement, qu’il ne se réalisera pas du jour au lendemain. En outre, un document issu des archives de la SemParisSeine (malheureusement non daté et non titré), nous renseigne aussi sur la polyvalence du futur tissu du Front de Seine qui devait prendre en compte
une délocalisation progressive des usines Citroën (fin en 1975). Mais malgré le fait d’avoir prévu une réalisation lente et progressive du projet, Lopez et Holley n’ont pas pu prévoir les différentes crises et changements politiques qui ont ponctués le reste de la fin du chantier. Dés le début des années soixante-dix, les tours et les barres des périphéries des villes et les grands projets gaullistes symboles d’un urbanisme « triomphant » sont de plus en plus contestés. En 1972, le ministre de l’Aménagement du territoire de l’Equipement, du Logement et du Tourisme, Olivier Guichard, signe la fin de la planification des « grands ensembles » afin de « lutter contre les formes de ségrégation ». En octobre 1973, la crise du choc pétrolier suivie un an plus tard de l’élection du président Valéry Giscard d’Estaing signe la fin des trente glorieuses et de l’urbanisme de dalle et ouvre la nouvelle ère d’une politique urbaine dite « à échelle humaine ». Ces différents mouvements politiques et économiques auront des répercutions importantes dans la poursuite des travaux. La finalisation de la construction des tours aura du mal à se concrétiser et de nombreuses modifications initiales du plan (tracé de la dalle, passerelle, rampe…) confirment les ruptures qui s’opèrent aujourd’hui entre la ville et un projet jamais abouti.
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Avec des usines encore présentes, la photographie nous renseigne sur la délocalisation progressive de celles-ci et sur une certaine polyvalence des lieux devant acceuillir des espaces aux fonctions plurielles (productives, commerciales, residentielles, productives...) Source: Archives SemParisSeine
Probablement prise dans les années 70, la photographie ci-contre témoigne de l’impact de l’automobile. Dénudée de toute forme de vie, elle saisit l’espace interstitiel situé entre le «village» (premier plan) et la tour Hachette (bâtiment convexe) devant accueillir une voie express. Presque cinquante ans plus tard, ce lieu accueille le Square Béla Bartok qui n’a pas été prévu dans le projet initial et qui se retrouve aujourd’hui dénudé de tout usage, répondant à la seule logique ornementale. Source: Archives SemParisSeine
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70
Outre les photomontages, la maquette a été un moyen de communication majeur dans la présentation initiale du projet. Importante pour comprendre l’organisation structurelle et l’emboîtement des volumes , elle trouve ses limites par sa fixitude et son manque d’adaptation. A part la Seine, notons aussi que le contexte n’est pas representé. Sans accroche les éléments flottent et paraissent se détacher du socle de Beaugrenelle .Source: Archives SemParisSeine
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Une rupture dalle/ville En questionnant la planification globale et les lignes directrices du projet, les chamboulements économiques et politiques ont redéfini l’essence du projet qui fut pensé à une échelle beaucoup plus large. Les répercussions sont aujourd’hui multiscalaires et se manifestent tant à
Confronté à une acrotère, le piéton est ici dans l’incapacité de poursuivre sa déambulation
l’échelle du piéton que dans l’implantation globale du projet au sein du quartier Beaugrenelle. Alors qu’elle devait bénéficier d’une emprise plus importante afin de s’insérer dans le tissu bâti existant, la dalle qui a dû être rééquilibrée se retrouve aujourd’hui
La double voie du Quai de Grenelle représente un franche rupture physique et isole la structure de la Seine
Le regard se heurte au feuillage des marronniers du parc linéaire (non prévu dans le programme initial)
72 La voie express entrant dans une logique de connexion à large échelle devait être enfouie sous terre
La dalle est fragmentée et les passerelles peu visibles
Centre commercial Beaugrenelle
Les bâtiments bas devaient constituer une relation entre les bâtiements hauts, la dalle et la rue
0
4
8M
Coupe centre commercial
morcelée, déconnectée de son contexte. La déambulation piétonne est fragmentée, discontinue et les transitions entre la dalle et la ville ne sont pas assumées. Les divers escaliers, rampes, passerelles sont difficilement perceptibles ce qui rend difficile les
relations entre le sol et l’ouvrage. Les ruptures s’opèrent aujourd’hui tant sur le plan physique (relation dalle/ville) que sur le plan visuel (relation dalle/Seine) et se justifient surtout par le caractère non abouti de la dalle.
100 mètres plus large que son emprise actuelle, la dalle constituait un belvédère sur la Seine afin d’épouser du regard l’horizon et le côteau de Chaillot. L’idée de son prolongement fut abandonné au milieu des années 70
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4
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Coupe Quai de Grenelle
Dans la prolongation de la dalle devait s’inscrire une continuité urbaine Les infrastructures sportives du Front de Seine sont isolées, incapables d’établir une relation avec les squares ou parcs environnants
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4
8M
Coupe Square Pau-Casals
CONCLUSION Conçu au milieu des années cinquante, le Front de Seine est le résultat d’une volonté politique à une époque où il fut question de refonder la structure urbaine de Paris. A l’origine du plan d’urbanisme de 1954, Raymond Lopez et Michel Holley ont voulu concevoir sur le secteur Beaugrenelle un ensemble urbain global en cohérence avec son environnement. Par une approche multiscalaire, les deux architectes ont développé les relations lointaines qui s’expriment par les voies express et l’utilisation de la voiture et les relations proches qui se définissent par l’ouvrage dalle et son insertion dans le quartier. 74
Cependant, les différentes variations sur le plan économique et politique ont considérablement fait évoluer le projet au fil du temps. Initialement conçu à une échelle globale, le projet s’apparente aujourd’hui à une pièce architecturale qui se détache de son environnement. Le caractère flottant de la dalle déconnecte le Front de Seine de son socle et l’isole de toutes les fluctuations qui ponctuent la ville en contrebas. L’ouvrage est aujourd’hui morcelé et le manque de lisibilité des accès justifie la désertification et le manque d’usage évoqués dans la première partie. A la fois hors sol et hors temps, le paysage en épaisseur du Front de Seine apparait aujourd’hui comme un objet insulaire qui stagne au dessus de Paris et qui engendre des répercutions importantes sur le reste du quartier Beaugrenelle qui entre à son tour en situation de déshérence.
Vers Tour Eiffel
Maison de la Radio
L’île aux Cygnes
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La
ine
Se
Emprise initiale dalle
Vers Parc André Citroën
Se superpose à la photographie aérienne l’implantation de la dalle telle quelle fut dessinée dans le projet initial. En créant un belvédère sur les berges, son emprise devait être presque deux fois plus grande que celle actuellement 0
75
150 M
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Complexe, massive, monumentale, la structure du Front de Seine entre en opposition avec les berges et le reste du tissu bâti du XVe arrondissement. En plus de ses dysfonctionnements internes, elle engendre de larges répercussions sur le reste du quartier Beaugrenelle. En formant un front, les surgissements verticaux et l’ouvrage dalle séparent radicalement la Seine du reste du tissu bâti et les infrastructures de transport (RER C, Quai de Grenelle) isolent encore davantage les berges. Les différents ensembles végétaux du site sont aussi impactés par le projet ou plus particulièrement par le fait qu’il n’a jamais était abouti. A l’origine conçu pour devenir des voies express, ces lieux se sont progressivement transformés en ‘espace vert’ n’ayant qu’un simple intérêt ornemental et dénués de toute autre forme d’usage. A l’image de ces deux exemples, la troisième partie sert à montrer que le Front de Seine, par son histoire ou sa structure a des répercussions importantes sur le reste du secteur Beaugrenelle. En inhibant les dynamiques paysagères, économiques, environnementales ou encore touristiques, le projet entraîne à son tour le socle en situation de déshérence.
3. UN SOCLE EN DÉSHÉRENCE
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Ayant été photographié dans l’espace interstitiel qui sépare le Front de Seine du Parc André Citroën, ce cliché représente les différentes barrières visuelles et physiques qui se heurtent à nous. La double voie du Quai de Grenelle, les rails du RER C, ou les nombreux grillages occultent la percpetion de la Seine qui se trouve pourtant à quelques mètres
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PAYSAGE TRAVERSÉ Les rues souterraines
Recouvert d’une nappe de béton épaisse de presque un mètre, les rues souterraines furent à l’origine conçues pour assurer les accès aux parkings de stationnement, aux locaux techniques ou encore aux entrées de service des hôtels. Plongées dans l’obscurité, elles sont constamment illuminées par des néons qui éclairent les réseaux de tuyauterie ou les câbles électriques qui pendent depuis le dessus de la dalle. Les bouches de ventilation ou le vibrement des moteurs de voiture résonnent sur les parois des bâtiments et les ordures qui ponctuent les trottoirs rappelle l’usage initial de ces rues ainsi que la présence des 10 000 habitants du quartier. «C’est honteux ces rues, c’est moche, ça pue, c’est sombre ... je ne sais pas pourquoi ils laissent ça comme ça» Christelle, habitante de la tour Avant Seine
Ces paysages souterrains ont rapidement été requestionnés. Dés les années 1980, ils subissent les premiers travaux de réhabilitation sous le poids des contestations habitantes. A contrario de la dalle, elles se situent sur le même Ce cliché pris à l’angle de la Rue Robert de Flers et de la Rue du Théâtre témoigne de l’imposante structure de la dalle, épaisse de presque un mètre. Les rues souterraines pensées comme des dessertes de services ont été réalisées en conséquences. Les poutraisons laissant apparaître les câblages et les conduits divers, se parent d’un alignement de néons qui éclaire les nombreux véhicules.
niveau que le reste du tissu bâti et ont rapidement été emprunté par les habitants dans le but d’accéder directement aux logements. Au fil du temps, ces entrées d’immeubles qui n’étaient à l’origine conçues que pour des fonctions de services, ont été réhabilitées et décorées à l’image de celles se trouvant sur la dalle. Face à cette fréquentation importante, quelques commerces comme des agences immobilières, un bowling, des épiceries se sont développés et ont été suivis par quelques restaurants asiatiques et orientaux. Malgré les différentes enseignes, il est facile de constater que les usagers ne s’y sentent pas à l’aise. Même si les parties souterraines sont relativement courtes et sont rythmées par des puits de lumière, cet environnement se réduit à un paysage traversé où les passants, pourtant nombreux, s’empressent de retrouver la lumière naturelle. Les rues souterraines sont soumises à de nombreux enjeux. Compte tenu de leur localisation, elles ont la possibilité de jouer un rôle dans les transitions dalle/ ville et pourraient profiter de l’effervescence du centre commercial. Reposant sur le socle du quartier Beaugrenelle, elles peuvent aussi tisser des relations plus larges avec l’environnement et minimiser l’impact visuel et physique de la structure du Front de Seine.
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Martine, retraitée, habitante du quartier Beaugrenelle et membre de la société archéologique et historique de Paris XVè
«Ça doit faire dix ans que je n’y suis pas passée, j’essaye toujours de les éviter»
Même si les différents puits de lumière permettent de réduire le caractère anxiogène de la Rue du Théâtre, nous restons cependant dans un entre-deux étrange partagé entre lumière artificielle et lumière naturelle. Le traffic incessant des nombreux véhicules (environ 500/h), rappelle la fonction de desserte initiale et insiste sur le fait qu’elle ne fut pas conçue pour la déambulation piétonne. La manque d’accès et le caractère labyrinthique de la dalle ont rapidement participé à sa désertification. Pour des raisons pratiques les usagers divers (habitants, promeneurs, touristes...) ont intuitivement emprunté les rues inférieures ce qui a permis le développement de quelques commerces, restaurants ou infrastructures de loisir. Les panneaux informatifs relatifs aux livraisons et aux issues de secours, se mêlent aux moulures des entrées d’immeubles ou aux enseignes des queqlues restaurants. Partagées entre la fonction de desserte et celle de commerce et de loisirs, les rues constituent une réelle rupture dans le tissu urbain du secteur Beaugrenelle.
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ESPACES INTERSTITIELS IMMOBILES Les espaces verts A l’origine conçus pour devenir des voies express, des autoroutes ou des bretelles d’insertion automobiles, les différents espaces verts que nous retrouvons aujourd’hui ne possèdent pas la fonction qui leur étaient destinés. Dans le projet, le socle qui était réservé à la circulation et aux déplacements motorisés devait s’opposer à la dalle qui était dédiée à la flânerie et aux déambulations piétonnes. Mais l’annonce du député Jacques Marette qui s’oppose, en 1963 à la construction d’autoroute, marque un changement radical dans la poursuite de la réalisation du chantier. 82
«Jacques Marette affirme avec véhémence qu’il n’acceptera jamais 1cm2 d’autoroute sur le XVe arrondissement» Entretien avec René Galy-Dejean (membre du RPR) le 8 octobre 2002 (Le front de Seine: histoire prospective, Henry Bresler, IsabelleGenyk,p.58)
Sans avoir vraiment été reconsidérés, les espaces interstitiels devant accueillir les infrastructures de transport n’ont pas été requalifiés et ont été transformés, à défaut, en espace vert. Alors qu’ils n’étaient pas prévu dans le programme du projet initial, le square Béla Bartok ou le parc linéaire longeant le quai de Grenelle ont des fonctions troubles et peu définies. Coincés entre deux axes de circulation ou s’insérant entre deux fragments de dalle, ces espaces sont dénudés de tout usage et sont davantage considérés comme des points de rupture que des lieux transitoires. « La nuit et même parfois le jour, j’évite de passer par là… il n’y a jamais personne » Pauline, étudiante à l’ESPI (Ecole supérieure des professions immobilières)
La reconversion des espaces devant acceuillir les voies express ne s’est faite que dans le courant des années 70, soit 10 ans après la déclaration du député Jacques Marette. Le premier projet de «jardin» situé sur l’emplacement de la rocade a lieu en 1976 et aboutit a l’actuel square Béla Bartok. Notons que les stigmates du «projet-infrastructure» sont toujours visibles avec les curieux triangles résiduels plantés à l’intersection de la Rue Emeriau ou le tracé des cheminements correspondant à l’emplacement des voies d’insertion. Sources: Archives SemParisSeine
Rue Emeriau
Reconverti en «espace vert», le square Béla Bartok se pare de pelouse intensive à l’entretien coûteux et chronophage. Dénué d’usage et souvent déserté, il répond, tout comme la dalle, à la simple fonction d’agrément. Cette maquette ayant été produite dans le courant des années 60, laisse encore apparaître le tracé des rocades et des voies express et témoigne de l’importance dédiée aux infrastructures de transport. Il est net que la place du piéton se situait sur la dalle Source: Archives SemParisSeine
Le parc linéaire du Quai de Grenelle fait face à l’imposante structure de la dalle et se retrouve coincé entre deux voies carrossables. En totale situation de déshérence, il est aujourd’hui difficile de comprendre la fonction, même initiale, de ce lieu.
1 Apparaît ici la «Rocade XVI - Rive gauche», abandonné dés 1963 et transformé en 1978 en «espace vert»: le square Béla Bartok
2 Notons aussi la présence d’une voie express sur le Quai de Grenelle.
Aujourd’hui une bande végétale d’une vingtaine de mètre de large occupe cet espace
3 La Rocade prévoyait aussi la construction d’un nouveau pont sur la Seine 4 Pont Mirabeau
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1 2 3
4
L’île aux Cygnes
C
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A’
Square Béla Bartok
La
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Parc linéaire (non nommé)
Square Pau-Casals B B’
0
50
100 M
Plan de localisation des parcs et squares du secteur Beaugrenelle
Situation écologique Tout comme les espaces plantés de la dalle, les parcs et squares à proximité du projet garde la même vocation ornementale. Avec des strates végétatives et une palette peu diversifiée, ces lieux sont pauvres en terme d’habitat écologique, ce qui implique peu de variété dans les communautés faunistiques ou floristiques. Malgré les politiques de surdensité des sols et des pics de pollution souvent atteints à Paris, ces espaces situés en plein coeur de la capitale ne sont conçus Strate arborée constituée de groupement de conifères (Abies, Picea, Cedrus)
que dans une logique d’agrément et restent inflexibles aux adaptations sociales (plus de regroupements, de concertation) ou environnementales (création d’habitat écologique) que peut préconiser la Mairie de Paris (Plan biodiversité) ou celle du XVe arrondissement. Remarque: En 2018, à Paris, la qualité de l’air a dépassé le seuil «moyen» (concentration de SO, CO, NO 2 dangereuse pour la santé) fixé par l’agence AirParif durant 135 jours, soit plus de 35% du temps sur l’année. Source: https://www.airparif.asso.fr
En forme de cuvette, le square Béla Bartok, accumule les eaux de ruissellement au niveau des cheminements piétons
Avec une à deux espèces de gramineae, les engazonnements sont pauvres écologiquement
Les populus forment un rideau opaque
85 0
2.5
5M
Coupe AA’ Béla Bartok
La diversité arborée des squares ou des alignements se réduient souvent à 3 ou 4 essences arborées sur tout le secteur (Tilia, Aesculus, Cedrus, Platanus)
0
2
Les engazonnements monospécifiques sont encore très nombreux. Ils nécessitent un entretien hebdomadaire et souvent des traitements phytosanitaires
4M
Coincé entre deux voies de circulation, nous nous demandons presque si cet espace est un parc. Les quelques massifs ne semblent plus entretenus et le revêtement minéral se délite sous l’effet du temps
0
2
4M
Le pavage constitue un revêtement quasi imperméable (coeff impermabilité de 7) et amplifie le phénomène de ruisselement
Alors qu’ils ont failli disparaître lors du phasage du chantier, ces «champignons plantés» constitue presque la signature de ce projet. Notons la volonté de l’époque de constamment chercher à élever le socle au niveau de la dalle
Coupe BB’ Square PauCasals
Coupe CC’ Parc linéaire (non nommé)
*Les chiffres correspondent au traffic horaire de véhicule
37 00
Vers la Tour Eiffel
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Vers Parc André Citroën
CARTE DES FLUX
DES FLUX ISOLANT LA DALLE Les infrastructures de transport Le projet du Front de Seine fut pensé pour et par la voiture. L’implantation des bâtiments a été définie selon une trame structurelle (9,45 x 9,45m) qui résulte intégralement de la mise au point des parkings. L’automobile se retrouve donc au centre des réflexions de l’époque et l’enjeu de développer des infrastructures de transports était primordial pour connecter le Front de Seine au reste de Paris. Presque 30 ans après la fin des travaux, l’impact de
Ce plan, publié en 1968, représente la trame structurelle (9,45x9,45m) basée sur la rentabilisation optimum des parkings. Elle permet aussi de définir le phasage et d’organiser le chantier tributaire de la libération progressive des parcelles. Omniprésente, nous voyons que la voiture sert même de base pour composer l’organisation générale du plan. Source: Le Front de Seine: histoire prospective, Henri Bresler, Isabelle Genyk, p.59
l’automobile est toujours très notable à l’échelle du quartier. Entre les deux niveaux de parking qui séparent la dalle du socle du quartier ou encore la double voie de circulation du quai de Grenelle qui s’additionne à l’axe du RER C, la voiture isole d’avantage le Front de Seine de son environnement. Exclusivement piétonne, la dalle s’insularise alors au dessus de ces nombreux axes de circulation et les berges de Seine deviennent presque inaccessibles.
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OUBLI DE LA SEINE Problématique des berges La Seine comme dénominateur commun La Seine est soumise à des problématiques et des enjeux importants. Pour prendre conscience de ces derniers, il est tout d’abord nécessaire de changer d’échelle. Le plan ci-contre permet de voir que le Front de Seine est entouré par des polarités plurielles qui se définissent par des caractéristiques historiques, culturelles, paysagères ou encore touristiques différentes. Même si le projet se positionne spatialement comme une centralité, il est aujourd’hui difficile de voir les liens entre ces différents espaces. 88
Hormis le fait qu’ils aient été conçus à une époque quasi similaire et qu’ils se répondent par leur architecture moderniste, les relations entre le Front de Seine et la Maison de la radio sont inexistantes. Se situant pourtant à quelques mètres, les connexions avec le Parc André Citroën ne sont pas lisibles en raison d’un espace interstitiel, perturbé par des voies de circulation anarchiques et l’entrée du tunnel CitroênCévennes. Enfin la Tour Eiffel n’est accessible depuis le Front de Seine que par un trottoir longeant la double voie de circulation et l’affluence horaire de ses 3500 véhicules.
Même si ces lieux s’opposent par leurs fonctions (résidentielles, culturelles, touristiques), leurs typologies spatiales (monument, quartier, parc, bâtiment publique) ou leurs publics (fonctionnaires, habitants, touristes, promeneurs), le plan ci-contre nous révèle qu’ils possèdent cependant un point commun: celui de la Seine. Malgré un espace décousu, ce territoire est riche par ces polarités de nature différente. Même si elles ne se répondent pas aujourd’hui, le fleuve peut avoir un rôle fédérateur permettant de trouver une logique globale, une continuité territoriale afin de rattacher le quartier du Front de Seine à son environnement.
VIIIe Arr
XVIe Arr
Trocadéro C’
C r Ar
e XV
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VI r Ar
Maison de la Radio
Champs de Mars
L’Île aux Cygnes B’
B
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FRONT DE SEINE
A’ A
Cimenterie Lafarge
La
Sei
ne
Parc André Citroën
0
175
350 M
Plan de localisation des polarités
Continuité spatiale fragmentée Se détachant du reste du tissu parisien par des voies de circulation et rythmé par des activités diverses et des parkings, il est difficile, même sur les berges de Seine de trouver une relation physique et visuelle avec le fleuve. Nous retrouvons une grande influence du trafic fluvial et du transport de marchandises, avec plusieurs péniche Vers Parc André Citroën
de stockage ou le siège du Port de Paris, cette portion de quai rappelle que la Seine est un axe fluvial de transport de marchandise majeur. Grace à la Seine et son statut de «voies à grand gabarit», plus 4,50 milliards de tonnes de marchandises passent par Paris. Les infrastructures liées aux transports fluviaux
Vers tunnel CitroënCevennes
Cimenterie Lafarge RER C
Stockage de sable
Vers Front de Seine
90
Île aux Cygnes
Restaurants, Hôtels ...
RER C Parking
Vers Tour Eiffel
Promenade d’Australie Parking de bus, ou de camion de livraison RER C
sont donc nombreuses et isolent la Seine de son environnement. A quelques mètres des berges, le piéton perd toute relation avec l’eau et est par endroit dans la quasi incapacité d’y accéder. Les relations visuelles ne sont pas non plus évidentes. Même à l’échelle du Front de Seine et de sa dalle perchée
à 6 mètres au dessus du sol, les percées sont, surtout en été, obstruées par l’épais feuillage des marronniers du parc linéaire en contrebas (qui rappelons le, ne faisait pas partis du programme du projet initial).
Quai Louis Blériot Parc des rives de Seine
Coupe AA’ Cimenterie 0
Parc des rives de Seine
Parking Pont de Grenelle (site «Réinventer la Seine»)
7.5
15 M M
Parvis Maison de la radio
Coupe BB’ Front de Seine 0
7.5
15 M M
Avenue de New York
Port Debilly
Coupe CC’ Tour Eiffel 0
7.5
15 M M
91
Barrière écologique
92
Avec une imperméabilisation quasi totale, les berges de Seine sont ponctuées par des activités en tout genre, cimenterie, revendeur de matériaux, vente de bateau, siège du Port de Paris, restaurants… En étant souvent liées au domaine fluvial, elles sont directement issues de l’histoire de la Seine et plus particulièrement du site. Alors que s’est tenue sur les quais une activité industrielle longue de plus de 200 ans, les berges ont été dédiées dés le XVIIIe siècle à l’extraction de sable et d’argile. Ayant permis l’essor économique et commercial de Grenelle (édifié par Jean-Léonard Violet), nous voyons par les activités actuelles que la Seine conserve toujours aujourd’hui son rôle de transport fluvial ce qui crée des ruptures paysagères en scindant l’espace en différentes parties. La continuité piétonne entre le Parc André Citroën et le Pont Bir-Hakeim est par exemple rythmée par de nombreux parkings et par des rangs de péniches et de bâtiments qui occultent les perceptions du fleuve. Enfin le revêtement bitumineux, annonce définitivement la logique d’aménagement de cette séquence Tour Eiffel - Parc André Citroën qui répond d’avantage à des
questions de fonctionnalités et des problématiques de dessertes. L’ïle aux Cygnes, qui scindent le fleuve en deux et qui profite d’une localisation rare et presque unique dans Paris s’assimile d’avantage à un parc urbain où l’on pourrait presque oublier le présence de la Seine. Même si le tronc des marronniers rythment de façon intéressante les vues sur le Front de Seine d’une part et sur le XVIe arrondissement d’autre part, nous cherchons encore la relation que ce lieu entretient avec le fleuve. Hautes de 4 mètres, les digues exclusivement minérales s’apparentent presque à des remparts et la végétation présente ne constituent ni un lien écologique, ni un lien paysagé avec l’idée d’un environnement fluvial liés à l’eau. Enfin, les berges de la rive droite sont elles animées par une double voie de circulation et le belvédère de la Maison de la radio en contre-haut est occupé par un immense parking et une large étendue uniforme d’asphalte. Un intérêt subsiste cependant, celui du panorama qui s’ouvre au premier plan sur l’île aux Cygnes puis sur les silhouettes imposantes des bâtiments qui ponctuent la dalle du paysage en épaisseur du Front de Seine.
Un espace figé dans le temps?
Derrière les marronniers de l’île aux Cygnes, se dessinent les péniches transportant du sable ainsi que les hautes cheminées des usines. (Milieu des années 60) Source: Archives SemParisSeine
Les mêmes péniches de transport se dresse encore aujourd’hui sur les berges de Seine. Face au pont Mirabeau, une succession de bétonnières du groupe Lafarge occulte la perception de l’eau. (27/11/18)
Hormis la cimenterie ou les autres activités liées à l’eau, les quais sont aussi rythmés par de large espaces de stationnement
Le revêtement et le profil des quais empêchent le développement d’une diversité écologique (de ripisylve par exemple)
Les espaces plantés déjà très réduit ne comptent aucune végétation liée à l’eau
Espace planté 2.50m
0.5
Bitume
Pavage
Variable (entre 10 à 25m)
3m
0.6
Coupe Quai de Grenelle 93
Les essences végétales sont communes et n’ont aucun lien avec l’idée d’un paysage fluvial
Les troncs des marronniers créent un rythme visuel interessant sur les rives de Seine
Les digues sont une barrière pour l’installation d’une végétation de ripisylve. Les usages sont aussi limités et l’accés à l’eau impossible
4m
Digue pavée 5m
Espace planté 2m
Cheminement piéton 0.3
2.50m
Coupe île aux Cygnes
CONCLUSION
94
Le socle qui soutient l’imposante structure du Front de Seine subit de nombreuses contraintes. Pensé au milieu des années cinquante, ce projet basé sur l’urbanisme de dalle et le zonage vertical et horizontal est aujourd’hui obsolète. Déconnectée de son socle cette pièce architecturale lévite au dessus du XVe arrondissement et inhibe par sa présence les dynamiques écologiques, paysagères, touristiques ou encore sociales du quartier Beaugrenelle. En recouvrant les rues du secteur, la dalle s’impose par sa masse et marque une rupture dans les dynamiques qui peuvent caractériser le reste du tissu urbain. Continuellement éclairés par des néons lumineux, ces axes s’apparentent davantage à des tunnels et se résument souvent à des paysages traversés marqués par l’omniprésence des véhicules motorisés. Alors conçu pour devenir des autoroutes ou des voies express et dans le but de relier le projet au reste de la capitale, les différentes réserves foncières ont été à défaut, transformées en ‘espace vert’. Avec un aménagement ne préconisant que la logique ornementale, ces lieux sont dénudés de toutes dynamiques sociales et écologiques, où les habitants fuient souvent leurs atmosphères anxiogènes et où les communautés faunistiques manquent de refuges écologiques. Les nombreux axes de circulation et les différentes strates de parking nous rappellent aussi la vocation première du socle: celle de se déplacer par le biais de la voiture. Privant définitivement la dalle de toutes affluences piétonnes, ces axes isolent aussi la Seine de son environnement. Presque inaccessibles, les berges rythmées par des activités fluviales ou des parkings rappellent que la Seine est un important axe de transport de marchandises. En opposition avec la logique d’aménagement initié en amont de la tour Eiffel, le secteur Bir-Hakeim - Parc André Citroën marque aujourd’hui une rupture dans la continuité paysagère et piétonne des berges qui s’est initiée dans la capitale.
Vers Tour Eiffel
Maison de la Radio
L’île aux Cygnes
95
La
ine
Se
Flux «Espaces verts» Imperméabilisation des berges
Vers Parc André Citroën
0
75
150 M
Les problématiques contextuelles résultent du caractère non aboutit et des principes de conception du projet. Tel un cercle vicieux le projet impacte le socle qui à son tour impacte la dalle
96
4. VERS UN OUTIL DE CONCEPTION
97
Depuis le belvédère qui s’étire devant la Maison de la Radio, nous sommes face à plusieurs Fronts. Celui de notre secteur d ‘étude, celui des berges de l’île aux Cygnes ou encore celui de la rive droite
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La base évasée de la Tour Panorama témoigne d’une des caractéristique architecturale du Front de Seine: la «taille de guêpe» qui consiste à réduire l’emprise des bâtiments sur la dalle. Sa matérialité semble écraser les jardinières plantées qui lui font face et marque une rupture d’échelle avec la végétation.
LE PAYSAGISTE ET LE FRONT DE SEINE Le Front de Seine est suit la logique de l’urbanisme de dalle et se définit par le style architectural brutaliste issu du mouvement moderne. « Le brutalisme se distingue notamment par la répétition de certains éléments comme des fenêtres, ainsi que par l’absence d’ornements et le caractère « brut » du béton ». Ces quelques mots descriptifs que fournis le site Wikipédia pourraient servir de termes introductifs à une présentation du paysage urbain du Front de Seine. Même si ces derniers ne font référence qu’à l’aspect du quartier et ne rentrent en aucun cas dans les caractéristiques interne de son fonctionnement, il est cependant intéressant que son image pourrait être retranscrite par la définition d’un style architectural. Ce quartier fait l’objet d’une attention architecturale particulière où la profession contemporaine (comme nous la connaissons aujourd’hui) du paysagiste (et d’autant plus en milieu urbain) n’était pas encore née. L’analyse a pu montrer que le Front de Seine lévite audessus de Paris. Déconnecté de son contexte, le site se résume à un objet urbain, à une pièce architecturale qui est à la fois hors-sol et hors-temps. Victime d’un phasage jamais abouti et conçu selon des principes architecturaux peu flexibles, le site se retrouve figé, incapable de se requestionner et de retrouver une dynamique vertueuse d’adaptation. Le temps est pour lui un ennemi qui ne fait qu’amplifier le phénomène d’insularité auquel il est soumis.
Via une approche multidisciplinaire et multiscalaire, le paysage met ici à notre disposition de nombreux outils permettant de reconsidérer le site dans une perspective temporelle et spatiale. La prise en compte du contexte En ouvrant notre champ de vision, l’idée est recontextualiser cette « pièce architecturale » dans son environnement. A l’échelle de Paris ou du quartier Beaugrenelle, l’objectif est de saisir les enjeux et les problématiques que le site entretient avec son contexte. La prise en compte du vivant et du temps Alors qu’il est un ennemi pour l’architecte, le temps est un allié pour le paysagiste. En considérant les évolutions faunistiques et floristiques dans la conception du projet, l’objectif est de dessiner des espaces flexibles et évolutifs afin de rompre avec la rigidité et l’immobilisme auquel est soumis le quartier du Front de Seine. La prise en compte des acteurs De différentes natures, importances, influences… les acteurs sont les protagonistes qui rythment le tissu urbain parisien.En considérant leur influence sur l’espace public, le paysagiste permet de dessiner des ensembles multifonctionnels en lien avec les dynamiques sociales qui s’exercent à différentes échelles. Par les intentions de projet, il sera aussi question de stimuler les inter-relations entre les acteurs in et ex-situ (Maison de la radio - écoles / entreprises - habitants...)
99
Trocadéro
r Ar Ie rr VI e A XV
Maison de la Radio
VIIIe Arr
XVIe Arr Archipel des berges de Seine Niki-de-SaintPhale Jardin du Quai Branly
3
Champs de Mars
L’Île aux Cygnes
1 100
FRONT DE SEINE
Continuité piétonne et paysagère Créer une transversalité 2
Nouveau parcours urbain
Parc André Citroën
Parcours au bord de l’eau
La
Sei ne
Donner à voir la Seine et Paris Projets à l’étude 0
175
350 M Carte des enjeux à l’échelle globale
LE FRONT DE SEINE DANS PARIS Paris change. En ayant amorcé le processus de piétonnisation des berges il y a quelques années, elle développe en 2016 son « Plan Biodiversité » qui préconise la préservation et la stimulation de la biodiversité en ville via des actions d’aménagement, de financement et de coopération citoyenne. Un an plus tard, le Ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot présente le « Plan Climat de Paris » qui vise à faire de la capitale une ville entièrement neutre en émission de carbone. Outre les grands appels à projets comme « Réinventons Paris » (impulsé en 2014, sous Anne Hidalgo) ou « Inventons la Métropole du Grand Paris 2 » (impulsé en 2018 sous Anne Hidalgo) qui ont pour but principal de développer l’aire urbaine parisienne à l’échelle départementale voir régionale, la capitale est aussi soucieuse de réaménager des sites dans le secteur intra-muros, notamment en vue des J-O de 2024. L’ambitieux appel à projets « Réinventons la Seine » (axe Paris - Rouen - Le Havre, impulsé en 2009 par Mr Dalanoë, Mr Philippe, Mme Fourneyron), qui a pour but de rendre le fleuve baignable et de favoriser l’accès aux berges, concernent plus de 10 secteurs dans Paris dont deux inclus sur notre site d’étude (à large échelle). Avec le projet « Parking Pont de Grenelle » (1) et « Port de Javel-Bas » (2), les berges de Seine font l’objet d’une requalification importante et il est interessant de noter qu’ils font face à deux de nos polarités (Maison de la Radio, Parc André-Citroën). Enfin, le « Grand site » de la tour Eiffel (3) est aussi soumis à un appel à projet qui préconise une étude à large échelle avec l’axeTrocadéro - Champs de Mars dans le but de valoriser l’espace public et les aménagements touristiques.
La biodiversité et le climat deviennent des enjeux majeurs pour la capitale. En définissant de plus en plus les programmes des concours, ils deviennent des éléments qui guident la restructuration et la rénovation de Paris. Avec trois secteurs soumis à des études de projet se situant dans notre site d’étude, le Front de Seine se retrouve en marge d’une dynamique qui concerne ses polarités attenantes. A la fois hors sol et hors temps, le site est exclu de ces restructurations urbaines et des répercutions économiques, sociales, touristiques, écologiques, qu’elles pourraient avoir sur le site. En considérant l’ensemble de ces dynamiques nouvelles, il est donc important de développer les premières intentions de projet à une échelle globale dans le but de rattacher le Front de Seine à son environnement et aux dynamiques plurielles qui le concernent. La Seine comme entité fédératrice Véritable théâtre de la vie des hommes et de l’exercice du pouvoir, la Seine pourrait retranscrire à elle seule l’histoire de Paris. A l’aube du XXIe siècle, les parisiens et les pouvoirs publics commencent à tisser une relation plus intime avec leur fleuve par le biais de nouveaux usages et des projets d’aménagement . A l’échelle de Paris, la Seine sert de dénominateur commun à un espace urbain pluriel marqué par des quartiers ayant une histoire, une forme, une sociologie ou une économie différente. Il est donc important de considérer le fleuve comme une entité fédératrice des polarités qui ponctuent notre carte à grande échelle. En requalifiant les berges dans une optique piétonne et paysagère, l’idée est de connecter des éléments forts (Parc André-Citroën, Champs de Mars, Jardin du quai Branly...) afin de trouver une cohérence urbaine globale. Par le chemin de l’eau, l’objectif est aussi de connecter le Front de Seine aux différentes dynamiques auxquels le site est soumis (appels à projets, usages...) et de retravailler les berges afin de les rendre plus perméables à l’installation d’un écosystème lié à l’eau.
101
LES SIGNES D’UN SYSTÈME URBAIN?
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Qu’est ce qu’un système? Le site wikipédia, livre une définition pouvant être assimilée au quartier du Front de Seine: un système est un ensemble d’élément interagissant entre eux selon certains principes ou règles. Un système est déterminé par: Sa frontière (le critère d’appartenance au système) Sa mission (ses objectifs et sa raison d’être) Ses interactions avec son environnement Ses fonctions (définies par l’organisation ou l’interaction des parties du système) Ses ressources, qui peuvent être de nature différente (humaine, naturelle, matérielle, immatérielle…) Il est amusant de voir que cette définition aborde de nombreuses thématiques tels que l’espace, les interactions, les fonctions, les acteurs ou encore l’environnement et pourrait nous servir de base pour définir les caractéristiques plurielles que nous avons démontré dans l’analyse. Le Front de Seine fut construit dans le but répondre à la croissance démographique de Paris du début des années cinquante et dans l’idée de moderniser l’image d’une capitale considérée comme « cristallisée » (mission). Le quartier a été construit dans le but de « circuler », « travailler », « habiter » ou encore « consommer » au sein d’un espace restreint (fonction) qui se définit par l’emprise de l’ouvrage dalle (frontière). Avec une large diversité d’acteurs et une localisation unique dans la capitale (ressources), la dalle permet à 6 mètres de hauteur de saisir le paysage urbain aussmanien du XVIe arrondissement (relation avec son environnement).
En reprenant la structure de la définition du « système », il est amusant de voir que nous pouvons en quelques lignes définir les intentions premières du projet. Conçu par des architectes et des urbanistes selon le principe de l’urbanisme de dalle, il est possible de penser que le projet fut conçu selon les bases d’un fonctionnement systémique.
Un système obsolète? Conçu dans les années 50, l’analyse a pu nous montrer le caractère insulaire de ce paysage en épaisseur qui se détache temporellement et physiquement du reste du quartier Beaugrenelle. Jamais aboutis, les éléments de projet (composant la définition du système précédemment énoncé) se lisent difficilement dans le paysage actuel. Certains ont disparu (comme la relation avec le paysage lointain), d’autre subsiste (zonage vertical) mais sont aujourd’hui obsolète par leur incapacité d’adaptation. Le caractère inachevé du projet et la désuétude de ses principes urbanistiques aboutissent à un système obsolète et non aboutit qui n’arrive plus à s’insérer dans le contexte urbain contemporain et qui est dans l’incapacité de trouver une logique locale et territoriale.
VERS LE RENOUVELLEMENT D’UN SYSTÈME? Inspirations et perspective L’exercice de projet fera aussi l’objet d’un requestionnement de ce système urbain. Sans être persuadé de la cohérence de cette intuition, l’idée sera d’en premier lieu de chercher des inspirations dans d’autres domaines d’études. L’écologie, les sciences sociales, l’astronomie, ou les phénomènes économiques sont tous rythmés par des dynamiques plurielles régis par l’idée de système. En tentant de ne pas se perdre dans cette notion très large, l’idée sera ici de surtout s’intéresser à la représentation de ces derniers (la forme, la nature des échanges....), plus qu’à leur propos.
Quelle base pour un nouveau système? Sans pouvoir aujourd’hui représenter le système urbain que nous voulons projeter, nous pouvons cependant dresser les fondements qui pourraient le définir. Compte tenu de l’analyse et de son constat et aussi des premières intentions spatiales de projet, il sera important de concevoir un système: Ouvert Flexible Polyvalent Résilient
Forme circulaire fermée
Forme circulaire ouverte
La forme circulaire de ce schéma représentant notre système solaire se traduit par un ensemble clos. L’absence d’élément extérieur met en valeur un système autarcique où même les éléments internes ne semblent pas communiquer. Source: www. astrofiles.net
Même si ce schémas conserve une forme circulaire il est intéressant de remarquer, à contrario de l’image de gauche qu’il n’est pas clos. En représentant le principe de l’économie circulaire, il s’ouvre sur l’extérieur et multiplie la nature et la diversité de ses relations. Il est aussi plus apte à réagir à des évolutions temporelles. Source: http://instituteddec.org
Forme en nuage
Forme concentrique
En représentant les interactions biotiques et abiotiques dans un sol, ce schéma est intéressant par la diversité et la nature de ses échanges. Il met aussi en valeur le fait qu’il ne possède pas de frontière et que d’autres éléments peuvent être continuellement ajoutés. Source: http://www.tinkuy.fr
De forme concentrique les éléments sont dépendant du point central et les échanges sont unilatéraux. Ce type de système montre une hiérarchie forte entre ses éléments.Source: http:// www.transitions2.net
103
Vers Tour Eiffel et jardin du Quai Branly
L’île aux Cygnes
Créer une transversalité
Pa (no rc li n n néa om ire mé )
104
Point de regroupement
Square Béla Bartok
Adoucir les transitions dalle/ ville Percement de la dalle sur les axes souterrains
Square Pau-Casals
Nouveau parcours urbain
La
Sei ne
Aménagements liés aux polarités sociales Continuité piétonne et paysagère en bord de Seine Requalifier l’île aux Cygnes
Vers Parc André Citroën
Pouvoir se rapprocher de l’eau 0
75
150 M
Carte des enjeux à l’échelle locale
RATTACHER LE FRONT DE SEINE À SON SOCLE Isolé des fluctuations spatiales, économiques ou sociales qui rythment le socle du quartier Beaugrenelle, le Front de Seine se retrouve en marge des nombreuses dynamiques qui ponctuent le tissu urbain. L’enjeu principal du projet serait donc de raccorder cette imposante structure qui se détache des berges de Seine à son environnement. En créant une passerelle permettant de connecter le quartier Beaugrenelle à la rive droite du fleuve en passant par l’île aux Cygnes et bien évidement par la dalle, l’idée serait de créer une transversalité permettant de connecter le Front de Seine à son environnement. En facilitant l’accès à l’ouvrage et en améliorant sa lisibilité, l’objectif est de susciter chez l’usager un intérêt plus grand à emprunter le quartier. En plus de sa fonction de connectivité, cette déambulation aérienne sert aussi à découvrir le quartier dans son ensemble et son caractère atypique rythmé par les surgissements verticaux brutalistes, le fleuve scindé par une insularité ou encore par les silhouettes haussmanniennes qui se dessinent sur le côteau de la Seine. Toujours dans le but de rattacher la dalle à son environnement, il est aussi important d’adoucir les transitions entre la ville et la dalle Le caractère inachevé de l’ouvrage entraine aujourd’hui des ruptures très marquées où deux entités se démarquent: Le niveau supérieur et le socle. En profitant des « sur-épaisseurs » créées par les ‘espaces verts’ actuels, l’objectif est de redessiner les transitions physiques par l’intermédiaire de gradines, passerelles, paliers et de réduire les fractures qui s’opèrent aujourd’hui entre ces deux niveaux. Les interventions physiques et le fait de rattacher la dalle à son environnement impliquent une lisibilité et une possibilité d’accès plus importante.
Il est donc important dans un second temps de reconsidérer les espaces supérieurs en redessinant des ensembles plus flexibles et plus ouverts à des usages pluriels. En prenant en compte la spatialisation des acteurs que la première partie a pu nous révéler, l’idée sera de lier les aménagements aux institutions in et ex-situ. En profitant des 5,4 hectares de dalle piétonne, il sera question de se baser dans un premier temps sur les acteurs déjà présents pour créer un large espace public où il est possible d’apprendre (école), de consommer (commerces). Pour dans un second temps utiliser les espaces vides des bâtiments bas pour créer de nouveaux usages (se divertir, cultiver, contempler) et inciter l’arrivée de nouveaux acteurs (guinguette, ferme urbaine, «observatoire de la Seine»...) Enfin, dans un contexte de pression extrême des sols et toujours dans une logique de polyvalence et de flexibilité l’idée serait de poursuivre la dynamique de végétalisation des toits des bâtiment bas. En suivant la démarche impulsée par le centre commercial, l’hôtel Yooma ou l’école de cuisine Cordon bleu, qui ont reconsidéré leurs toits bas en prairie extensive ou en espace de production maraîchère, l’objectif est de définir un usage pour chaque toit des bâtiments. En plus d’une considération écologique et d’une diversification des habitats faunistiques, l’idée serait aussi d’élargir le panel d’usages que l’on pourrait trouver dans le quartier. En reconvertissant les toits en lien avec la fonction de leurs bâtiments (école, entreprises…) l’objectif serait de créer un parcours où chaque entité serait reliée physiquement. En dessinant une passerelle reliant certains toits, à une hauteur variant de 6 à 10 mètres, l’idée serait aussi de créer une dimension supplémentaire dans la déambulation urbaine. En plus de la dalle, il serait question d’avoir une autre approche physique et visuelle de ce paysage vertical en multipliant les points de vue et la question de l’horizon.
105
Les berges de Seine: Afin de créer des relations à plus larges échelles, reconsidérer les berges dans une optique paysagère et écologique, tout en stimulant les usages liés à l’eau
Les parcs et squares: Considérer cet espace comme une «épaisseur» supplémentaire pour améliorer les transitions entre la dalle et la ville. Créer un ensemble polyvalent capable de favoriser l’écologie urbaine et d’assurer des usages changeants en fonction du temps (jour/nuit, semaine/weekend, saisons)
Relation Ville/Dalle: Adoucir les transitions entre la ville et la dalle afin de rattacher le Front de Seine à son socle et de minimiser les ruptures qui s’opérent entre ces deux entités.
Segmentation des niveaux: Requestionner l’idéologie du zonage vertical et horizontal en créant des relations physiques entre les niveaux. Créer un système d’inter-dépendance où les usages, les pratiques et les acteurs entre en interconnections afin de tisser des coûtures paysagères, économiques et sociales entre les différents étages Espaces de la dalle: Créer des espaces multifonctionnels (espaces ornementaux, écologiques, sociaux...). Retrouver une continuité d’usage entre les bâtiments bas et la dalle afin de fédérer les entités (ou «objets»). Perméailité du front: Fidèle aux volontés initiales des architectes, travailler sur les questions des relations physiques et visuelles avec Tour Eiffel l’environnement
Tou
Tour de Seine
Imme Hach
106
XVIe Arr Île aux Cygnes
Vers Maison de la Radio
Colline de Chaillot
Port de Grenelle
La Seine
Quai de Grenelle Axe RER C
ur Avant Seine
euble hette
e
107
Vers Beaugrenelle
Parc LinĂŠaire
Contre-allĂŠe
Rue Robert de Flers
Temps 1 (Structure rattacher le socle à la ville)
A
5 à 10 ans
Temps 2 (Aménagements dalle et socle)
B 108 5 à 10 ans
Temps 3 (Aménagements niveaux intermédiaires)
C
D Intentions de projet Dynamiques inpulsées par Paris («réinventons la Seine»)
A
Intentions de projet en constantes évolutions et intéragissants entre elles
B
Aménagements des extrémités de la dalle en lien avec les écoles (campus...)
Passerelle transversalle reliant Beaugrenelle, à la Maison de la Radio en passant par la dalle et la Seine
C
Reconversion des parkings en espace appropriable par tous pemettant de lier physiquement le socle à la dalle
LE TEMPS: UNE DIMENSION CONSTITUTIVE DU PROJET
En incluant la question du temps aux intentions, l’idée est de ramener le Front de Seine à une réalité temporelle, à des élément changeants et évolutifs qui romperont avec sa fixitude actuelle.
Alors qu’il fut souvent critiqué pour sa fixitude, son extrême patrimonialisation et son centre «cristallisé», le tissu urbain de la capitale est aussi rythmé par des projets inédits tel que le centre Pompidou ou encore la tour Montparnasse. Avec des relations plurielles au temps, la ville de Paris au cours de son histoire a constamment essayé de composer entre patrimonialisation et modernisation.
En plus des intentions, la dimension temporelle intervient aussi dans la mise en place spatiale du projet. Au contraire de la pièce architecturale du Front de Seine qui, par sa masse et sa matérialité s’est imposé au site, l’idée est d’organiser le projet de paysage autour des questions de la temporalité et de créer un lien entre les dynamiques d’évolution du quartier Beaugrenelle et du XVe arrondissement à celles du Front de Seine. Alors comment les intentions de projet vont-elles s’appliquer au site? Dans quel ordre? Dans quelle logique? Voici les questions auxquelles nous essaierons de répondre dans la seconde partie de ce travail de fin d’étude.
Le Front de Seine se place en opposition à ces relations. Construit il y a prés de 50 ans, le quartier s’est imposé au site en effaçant toutes les traces de la riche histoire de Grenelle et se retrouvant, en partie à cause de sa structure, figé dans les années soixante-dix incapable de s’adapter aux fluctuations rythmant son socle. En dressant un front, il s’oppose aussi aux mouvements de la Seine symbolisés par ses méandres mais aussi et surtout par son rapport avec l’histoire de Paris. Espace partagé, contesté, remodelé, le fleuve incarne aussi le façonnement d’une partie de la vie urbaine parisienne. L’un des enjeux majeurs de la suite de ce travail de fin d’étude sera donc de composer un projet autour de la question de la temporalité afin de rattacher le Front de Seine a une réalité d’espace et de temps. Lecture plurielle de la temporalité Une journée, une saison, une année, une décennie... plusieurs «échelle» de temps sont à notre disposition. En explorant la question de la temporalité, nous voyons qu’il est possible de jouer avec différentes échelles et d’imaginer les développer via les propositions de projet.
Sans être définitif, le plan ci-contre explore comment il serait possible d’appliquer la question du temps à la mise en place du projet et de ses intentions. L’idée est que chaque application spatiale implique la nécessité d’en enclencher une autre. A titre d’exemple, l’idée serait d’appliquer en temps 1 les interventions concernant la structure du site permettant de le rendre plus accessible mais aussi plus lisible, ce qui stimulerait sa fréquentation. Avec une diversité et une quantité plus large d’usager (la demande), intervient la nécessité de passer au temps 2 et de réaménager ses espaces supérieurs (l’offre). Enfin, le temps 2 enclenchant la nécessité de développer le temps 3. A terme et comme l’illustre le plan schématique cicontre, l’idée serait d’arriver à une multitudes de rouages interagissants entre eux et formant une mécanique en constante évolution.
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OUVERTURE Le Front de Seine bénéficie d’une localisation géographique privilégiée soumis à de nombreuses dynamiques touristiques, économiques, foncières, ou encore paysagères avec la proximité du fleuve. Mais l’analyse a pu montrer en détail le caractère insulaire de son paysage en épaisseur.
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En ayant qualifié et dressé un portrait des acteurs (in et ex-situ), la première partie a mis en évidence le fait que le Front de Seine jouit d’une large diversité d’institutions et d’une pluralité d’usagers susceptibles de dynamiser ses espaces extérieurs. Malgré cette potentialité, les 5,4 hectares de superficie piétonne de la dalle sont souvent désertés et les rues souterraines, initialement conçues comme de simples dessertes, se résument à des paysages traversés. Issu des principes de l’urbanisme de dalle, le quartier du Front de Seine est conçu dans une logique de zonage vertical et horizontal où chaque espace doit remplir une fonction précise. Segmentés et inter-dépendants, les différents niveaux n’ont pas été prévu pour être perméables aux interactions sociales ou même physiques, ce qui entraîne un manque de relations cruel entre les acteurs du site. Conçu à l’échelle territoriale, le projet subit tout au long de son phasage les divers bouleversements économiques et politiques des années 1970 et ne sera en définitive jamais abouti. Issu de l’urbanisme « triomphant » des années 1960, les différents éléments programmatiques devant donner au site un sens dans le paysage
fluvial et urbain ne seront jamais réalisés. En se caractérisant aujourd’hui par des ruptures physiques et visuelles avec le reste du tissu urbain, la structure en épaisseur du Front de Seine s’impose par sa masse, sa monumentalité et sa rigidité. Prévu au départ pour devenir des voies express ou des autoroutes, les espaces accueillant aujourd’hui des parcs ou des squares semblent eux aussi figé dans le temps et subissent la même logique de verdissement auquel la dalle a été soumise dans les années 1960. Souvent déserté, il sont dénués de tout usage et forment une barrière écologique et physique à l’échelle du quartier. Conçu pour et par la voiture, le quartier subit encore aujourd’hui la problématique des flux qui isolent la dalle des fréquentations piétonnes et marquent une rupture entre la structure et les berges du fleuve. A la fois hors sol et hors du temps, cet espace bâti semble resté figé dans les années 1960 : il est aujourd’hui incapable de réagir aux multiples dynamiques qui transforment le reste du tissu urbain. Dans une logique de polyvalence et de flexibilité, il est donc indispensable de faire redescendre cette « pièce architecturale », dans le but de la connecter à son environnement à large échelle et de la confronter aux enjeux écologiques, paysagers, touristiques que la ville de Paris souhaite développer dans les années futures. Enfin, dans la suite de la réflexion sur le projet à venir et sa mise en chantier progressive, il sera aussi crucial de prendre en compte la notion de la temporalité afin de « décristalliser » le site et de le rendre plus flexible.
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BIBLIOGRAPHIES ET RESSOURCES Ouvrages et articles
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- Le Front de Seine:1959-2013, Thomas Clerc, Lionel Engrand, Pavillon de l’Arsenal, 2013 - Le Front de Seine: Histoire Prospective, Henri Bresler, Isabelle Genyk, Semea XV, 2003 - L’avenir des villes, Raymond Lopez, Construire le monde, 1963 - Paris, biographie d’une capitale, Pierre Pinon, Hazan,1999 - Junkspace, Rem Koolhaas, Manuel Payot, 2014 - La ville dans la ville: Berlin un archipel vert, Florian Hertweck, Sebastien Marot, Lars Müller Publishers, 2013 - New York Délire: Un manifeste rétroactif pour Manhattan, Rem Koolhaas, Parenthèses, 2002 - Déclin et survie des grandes villes américaines, Jane Jacobs, Parenthèses,2012 - Bulletin de la société historique et archéologique du XVè arrondissement de Paris: Vaugirard-Grenelle, François de Béru, Société historique et archéologique de XVè arrondissement,N°41, 2013 - Bulletin de la société historique et archéologique du XVè arrondissement de Paris: le passé industriel du XVè arrondissement, François de Béru, Michel Perin, Société historique et archéologique de XVè arrondissement, Tiré à part d’articles publiés dans les bulletins n°31 et 49, 2018 - L’urbanisme de dalle: continuités et ruptures, Actes du colloque des ateliers de Cergy, Presses de l’école nationale des ponts et chaussées, 1993 - 15 côté Seine, Jacques Baudrier, Étienne Mercier, SemParisSeine, 2017 - Paysage en partage, sensibilités et mobilisations paysagères dans la conduites du projet urbain, collections Boruillons Braillard, 2014 - Les habitants du Front de Seine en quête de rénovation, Le Parisien, 2003 - N°11-Le sol, Openfield, Guillaume Portero, Lena Soffer, 2018 - Les publications de l’AUEG: l’urbanisme hier et aujourd’hui. Et demain...?, Jean-Claude Poutissou, alliance université entreprise de Grenoble, 2014 - Chiffres-Clés de la région Île-de-France 2018, CCI Paris Île-de-France, 2018 - Inventons la métropole du Grand Paris: Consultation internationale, Pavillon de l’Arsenal, 2017
Sites web - https://www.parisfrontdeseine.fr/ - http://www.sempariseine.fr/ -https://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/urbanisme-et-architecture/projets-urbains-et-architecturaux/cartedes-projets-urbains-et-architecturaux-4111 -https://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/urbanisme-et-architecture/projets-urbains-et-architecturaux/cartedes-projets-urbains-et-architecturaux-4111 - http://www.reinventerlaseine.fr/fr/sites/1311-parking-pont-de-grenelle-75.html - https://www.airparif.asso.fr/indices/resultats-jour-citeair#jour -https://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/environnement-et-espaces-verts/nature-et-espaces-verts/laseine-2406 - http://www.bassindelaseine.vnf.fr/IMG/pdf/vnf_chiffres_cle_s_2017_web_2_.pdf - http://www.vnf.fr/sigfed/carto/ -https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me - http://37.187.226.65:81/MARKETING/Pages_AAMS/Pages_demo/trafic_Paris.html 113
Rencontres et contacts - Arnaud, gestionnaire de la ferme urbaine des toits de l’hôtel Yooma, le 7 novembre 2018 - François de Béru et le comité de la société historique et archéologique du XVè arrondissement, le 8 Novembre 2018 - Lionel Engrand, architecte et auteur du livre Le Front de Seine: 1959-2013, le 23 Novembre 2018 - César Maretheu, professeur d’art plastique et les élèves de CM1 de l’école Emeriau, le 30 Novembre 2018 - Sophie Giuglaris, directrice de l’antenne Front de Seine de la Sem Paris Seine, le 30 Novembre 2018 - Lena Soffer, paysagiste et interviewée dans le N°11 Le Sol (Openfield), le 7 décembre 2018
Photographies et autres documents Tous les documents non sourcés ont été produits par mes soins.
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REMERCIEMENTS Je tiens en tout premier lieu à remercier chaleureusement mes deux encadrants de mémoire Olivier Gaudin et Lolita Voisin pour leurs regards précis et juste, leur franchise et surtout leur enthousiasme. Grâce à eux j’ai pu outrepasser mes inquiétudes liées à la complexité de ce site et prendre beaucoup de plaisir dans l’accomplissement de ce travail. Je tiens aussi à remercier mon directeur de jury, Christophe Degruelle qui m’a éclairé par ses questions et ses remarques qui m’ont beaucoup aidé dans la rédaction de certains sujets. Je tiens aussi à sincèrement remercier Mme Giuglaris (de l’antenne Front de Seine de la SemParisSeine) pour son assistance éclairée et son vif intérêt vis à vis de mon travail. Un immense merci à mon maître de stage d’échange Erasmus, David Kloet pour m’avoir soutenu dans le choix de ce site et m’avoir enrichi depuis Amsterdam par son regard fin et subversif. Je tiens aussi à remercier Bruno Ricci, qui par son enthousiasme et sa passion a pu guider mon travail grâce à des conseils précis et toujours justes. En suivant ses recommandations j’ai pu découvrir des nouvelles pistes de projets particulièrement stimulantes.
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RÉSUMÉ Le Front de Seine: Insularité d’un paysage en épaisseur Situé sur les berges du XVe arrondissement, le quartier du Front de Seine s’insère entre la Tour Eiffel et le Parc André Citroën tout en profitant d’une localisation privilégiée face à l’île aux Cygnes qui scinde le fleuve en deux. Conçu au milieu des années cinquante, il est issu de l’urbanisme de dalle et répond aux principes énoncés par le zonage vertical et horizontal. Véritable paysage en épaisseur s’organisant sur plusieurs niveaux, il marque par sa masse et sa monumentalité une rupture dans le paysage parisien, en se détachant du socle et en se retrouvant isolé des fluctuations qui ponctuent le reste du secteur Beaugrenelle. A la fois hors-sol et hors-temps, cette « pièce architecturale brutaliste » périclite au dessus de Paris et inhibe les dynamiques sociales, touristiques et paysagères contextuelles. Par les outils du paysagiste, l’idée est ici de remédier à l’insularité du Front de Seine en le rattachant à son socle et en le soumettant aux enjeux urbains contemporains.