ARCHITECTURE & BIDONVILLES LA POSSIBILITÉ D’UN CERCLE VERTUEUX
LAUBER Ketsia
MASTER 2 | Mémoire | Densité, urbanité, intimité. Les défis du vivre ensemble
ENSAS | Année universitaire 2014/2015
sous la direction de :
BORGHI Roberta
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REMERCIEMENTS Je souhaitais avant tout remercier mon enseignant référent, Roberta BORGHI pour son suivi attentif et très encourageant tout au long de cette année. Un grand merci également à Valérie LEBOIS pour ses conseils et son accompagnement. J’aimerai par ailleurs remercier toutes les personnes qui m’ont accordé un peu de leur temps pour m’aider et partager avec moi leur(s) expérience(s). Enfin, je tenais à remercier Patrick ainsi que ma famille pour leurs relectures et leurs conseils, pour leurs encouragements et leur soutien, pour leur patience et leur présence...
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SOMMAIRE Remerciements
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Introduction
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Méthode de travail
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Architecture et bidonvilles, regards croises
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1. Définitions 2. Une situation mondiale préoccupante … 3. … et réaction des architectes
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La transmission d’un savoir au service de l’intégration de l’habitat informel dans l’urbain 1. Une génération impliquée 2. Favela cloud, construire pour les habitants 3. Elemental, construire avec les habitants
Une source d’inspiration pour un renouveau de la culture architecturale 1. Vers une évolution de la pratique de l’architecture 2. L’habitat informel, moteur d’innovations 3. Une croissance urbaine porteuse d’opportunités
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Conclusion
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Bibliographie
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Annexes
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Tables des illustrations
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Table des matières
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INTRODUCTION Si pour beaucoup le 19ème siècle se résume à la révolution industrielle et à ses avancées techniques, cette époque est également marquée par l’apparition d’une toute nouvelle forme d’urbanisation souvent qualifiée de parasite. En effet, c’est autour des grandes villes d’Angleterre qu’apparaissent les premiers bidonvilles dans lesquels viennent se masser les travailleurs, attirés par les promesses de la ville. Le phénomène se répand alors rapidement à tous les pays en plein essor industriel et la demande de main-d’œuvre des nouvelles usines entraine un exode rural sans précédent. Près d’un siècle plus tard, le courant hygiéniste et les grands projets de logements d’après-guerre auront raison de ces habitats précaires dans la plupart des pays développés. Malheureusement, dans les pays du Sud, la tendance n’est pas la même et une grande partie d’entre eux sont désormais confrontés à une explosion urbaine qu’ils peinent à contrôler. En effet, la récession mondiale du milieu des années 1970 est à l’origine d’un second exode rural d’une telle ampleur qu’à ce jour plus de 50% de la population mondiale habite en zone urbaine. Ainsi ce sont déjà plus d’un milliard1 de citadins qui vivent dans des bidonvilles et chaque jour des milliers de migrants viennent gonfler ce chiffre. Ainsi, qu’ils soient nommés bidonvilles (France), slums (pays anglophones), favelas (Brésil), campamentos (Chili) ou villas miserias (Argentine), partout le constat est identique : la cité a trouvé son antonyme en ces villes parallèles. Le phénomène a dorénavant pris une telle ampleur qu’il est devenu illusoire, voire utopiste, d’espérer pouvoir encore résorber ce que l’Organisation des Nations Unies (ONU) défini comme des «groupements de plus de dix logements situés sur des terrains publics ou privés – construits sans autorisation du propriétaire – en dehors de toutes formalités juridiques et sans respect des lois de planifications urbaines»2.
1. ONU Habitat, 2010 2. ONU Habitat, The Challenge of Slums : global report on human settlements, Earthscan publications, Londres, 2003
Malgré cela, depuis plus d’une cinquantaine d’années, le foisonnement de constructions atypiques de ces «non-villes» commence à attirer l’attention des architectes. L’originalité et l’audace de ces microsociétés sont non seulement fascinantes, mais également préoccupantes et l’on assiste à une véritable prise de conscience de la part de ces professionnels de la construction. Ainsi, de nombreuses agences et étudiants en architecture développent peu à peu des propositions destinées à intégrer ces lieux marginaux à la ville elle-même et à améliorer les conditions de vie de leurs habitants. Pourtant, comme le souligne l’architecte Jean Paul LOUBES, les formes urbaines générées par l’habitat informel ont sans doute une double vocation vis-à-vis de l’architecture et représentent bien plus que de simples réceptacles aux interventions des architectes. Les bidonvilles seraient également une réelle source d’inspiration et de renouveau pour leur pratique et mériteraient de ce fait leur intégration dans la culture architecturale.
Dans ce contexte, bidonville et architecture peuvent-ils être amenés à profiter l’un de l’autre pour susciter une nouvelle forme de dynamique urbaine ? Ainsi, si l’on suppose qu’un tel cercle vertueux peut fonctionner, l’architecture pourrait permettre d’améliorer les conditions de vie des plus démunis. Elle apporterait, non seulement, un savoir constructif professionnel et précis, mais également des connaissances plus complètes en terme de maitrise des espaces. Par ailleurs, plutôt que de percevoir le bidonville comme un parasite qui vient gêner le développement de la ville, celui-ci pourrait devenir un vecteur de sa régénération. L’habitat informel serait ainsi une source d’innovations à la fois techniques (solutions constructives audacieuses et atypiques) et urbaines (microsociétés aux organisations exemplaires) qui pourraient enrichir la pratique de l’architecture.
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Ces hypothèses permettent ainsi de structurer ce travail selon deux axes de développement introduits par l’étude parallèle des contextes et enjeux propres à l’architecture et aux bidonvilles. Le premier axe s’oriente autour des mesures avec lesquelles l’architecte peut mettre son savoir au service de la réintégration de l’habitat informel. Tandis que le second s’appliquera à mettre en avant l’influence des bidonvilles sur la pratique et la culture architecturale actuelle.
—— MÉTHODE DE TRAVAIL À travers ce travail, j’ai souhaité dépasser ma première idée selon laquelle il est de la responsabilité de l’architecte de mettre ses compétences au service des plus démunis. En abordant cette thématique à travers le prisme d’un cercle vertueux, j’ai également cherché à comprendre les enseignements qu’il était possible de tirer de l’habitat informel pour enrichir la pratique de l’architecture. Bien qu’une grande part des projets réalisés dans les bidonvilles soit plutôt de l’ordre de la création d’espaces et équipements publics, j’ai préféré me concentrer sur la question de l’habitat. Celle-ci représente selon moi l’un des éléments clés de l’amélioration possible des conditions de vie des résidents des bidonvilles. Par ailleurs, afin de vérifier mes hypothèses j’ai choisi d’une part de réaliser un sondage auprès d’une douzaine de jeunes architectes et d’autre part d’analyser deux projets conçus pour les bidonvilles. Ainsi, l’enquête avait pour but de m’aider à comprendre la motivation et l’intérêt de la nouvelle génération d’architectes par rapport aux bidonvilles3. L’étude comparative des projets devait quant à elle me permettre d’expliquer les enjeux et les conditions de l’intervention d’un architecte dans des milieux aussi particuliers que les bidonvilles. Ainsi, le premier projet est un projet participatif réalisé au Chili en 2004 par l’agence ELEMENTAL, tandis que le second, qui peut sembler plus utopique, a été mis au point par des étudiants pour les favelas de Rio de Janeiro. Tous deux ont été notamment sélectionnés en
3. La méthodologie retenue pour cette étude est développée en introduction de la seconde partie.
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raison de leur localisation sur le continent sud-américain. Il s’agit en effet d’une région du monde où les bidonvilles sont un phénomène relativement ancien et particulièrement médiatisé. À travers leur longue évolution, ces bidonvilles sont devenus les supports privilégiés pour des projets expérimentaux de plus en plus adaptés. Ainsi, le choix de deux études de cas sur ce continent découle de l’envie de m’inspirer de ces prémices de solutions et d’idées pour comprendre les possibilités d’une sortie de crise. Au-delà de leur proximité géographique et en vue d’englober différents aspects de l’intervention de l’architecte dans le bidonville j’ai donc souhaité procéder par le biais d’une étude comparative. Et ce en sélectionnant deux projets qui avaient abordé la problématique de l’habitat informel de deux manières diamétralement opposées. D’un côté, le projet de l’équipe ELEMENTAL très terre à terre, mais concret et bien reçu par ses habitants ; de l’autre un projet peut-être plus ambitieux et novateur imaginé par les étudiants danois Johan KURE, Kemo USTO et Thiru MANICKAM. La principale différence entre ces deux projets réside donc dans la démarche adoptée par les architectes. Le premier a été réalisé en collaboration complète avec les résidents tandis que le second résulte d’une intervention qui pourrait être qualifiée d’extérieure dans la mesure où elle se base uniquement sur les études et analyses des architectes. La comparaison d’un projet réalisé et d’un concept était enfin une opportunité de souligner les différences qui peuvent exister entre les espoirs projetés et la réalité construite.
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ARCHITECTURE ET BIDONVILLES REGARDS CROISÉS
À première vue, bidonville et architecture sont deux domaines qui ne semblent avoir partagé que peu de relations et leurs évolutions se sont bien longtemps faites dans une ignorance réciproque. Une étude comparative des termes employés par chacune de ces deux formes d’architecture permet en effet de souligner les principales caractéristiques qui les distinguent. Pourtant, la lecture parallèle de leurs histoires respectives prouve que depuis près d’un demi-siècle leurs évolutions se progressivement et peu à peu, apprennent à s’enrichir l’une l’autre.
1. DÉFINITIONS —— Bidonville et ville formelle
4. Le Monde, édition du 9 septembre 1953 5. MERLIN Pierre, CHOAY Françoise (dir), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Presses Universitaires de France, Paris, 1996, pp 113114 6. HARDY VAUX James, Vocabulary of the Flash Language, 1812
Bien qu’il définisse une forme architecturale et urbaine connue depuis plusieurs centaines d’années, le terme bidonville est un mot relativement récent du lexique français. Il n’apparait pour la première fois dans la presse qu’au tout début des années 50, dans un article publié dans le quotidien Le Monde4. Il sert alors à désigner un campement installé par des paysans marocains arrivés à Casablanca dans l’espoir d’y trouver un travail. Le nom employé découle des matériaux utilisés pour la construction des baraquements, essentiellement composés de bidons de pétrole aplatis. L’utilisation du terme s’est ensuite généralisée comme en témoigne la définition donnée par Françoise CHOAY et Pierre MERLIN dans le Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement5 : «Le bidonville résulte d’une occupation de fait, illégale, du sol dans les secteurs des périmètres urbains ou suburbains considérés comme inutilisables ou dangereux : fortes pentes, sols ravinés, zone inondable et de décharges, anciennes carrières, lagunes et littoraux et d’une façon générale, zones laissées vacantes par leurs propriétaires ou par les municipalités. Elles sont alors occupées, sans qu’aucune viabilisation ne soit assurée, par des populations fréquemment sans emploi et sans ressource ou revenu de l’extérieur ; souvent de régions rurales, et attirées par l’espoir d’un travail en ville.» En Angleterre, l’utilisation de l’équivalent du terme français remonte à l’apparition des premiers taudis ouvriers en périphérie des grandes villes industrielles. Le mot slums apparait en effet au cours de la première décennie du 19ème siècle, mais possède à l’origine un sens très péjoratif et relativement éloigné de celui qu’il a actuellement. Défini pour la première fois par l’écrivain James HARDY VAUX6 il est utilisé comme un synonyme du terme racket et
désigne alors une forme de commerce criminel. Peu à peu, sa définition évoluera au fil des années pour être utilisée par l’écrivain Charles BOOTH pour décrire un «ensemble constitué d’habitations délabrées, de surpopulation, de misère et de vices». Perdant cette connotation dépréciatrice, il sert désormais à définir un «secteur de ville misérable, caractérisé par des conditions de vie inférieures et généralement pas un surpeuplement»7. À l’instar de la France et de l’Angleterre, une grande partie des pays confrontés à la croissance des bidonvilles ont adopté un nom qui leur est propre pour désigner ces quartiers d’habitat précaire. Ceux-ci illustrent certaines caractéristiques de ces zones urbaines qui peuvent être organisées selon trois thématiques comme représentées sur le graphique ci-contre. La première regroupe les termes qui désignent la formation des bidonvilles, la seconde fait référence à la matérialité des constructions qui les composent et la troisième enfin rassemble les noms qui illustrent les conditions de vie de leurs habitants. Qu’ils soient nommés gecekondu en Turquie, favela au Brésil, invasiones en Equateur et Colombie, población callampa au Chili, Aashwa’i en Egypte ou encore pueblos jovenes au Pérou, tous font référence à la rapidité et à la spontanéité de l’apparition des baraquements. De la même manière que le terme français bidonville, les mots choisis en Angola, au Pakistan, au Portugal au Liban ou en Serbie font référence aux matériaux qui sont utilisés par les habitants pour composer leurs abris. Tous évoquent des matériaux sans valeur, récupérés ou issus des environs proches des constructions comme la terre, les cartons ou les bidons. Enfin, la ciudad perdida du Mexique, le bario feo de République Dominicaine, l’asentamiento guatémaltèque, le precario du Costa Rica, l’Elendsviertel allemand et la villa miseria argentine témoignent des conditions misérables existant dans ces secteurs urbains. Ainsi, la variété des terminologies employées offre un panel riche de significations qui permet de proposer une première définition de l’habitat informel.
10 FAVELA
Plante envahissante - Brésil
GECEKONDU
Il s’est posé cette nuit - Turquie
INVASIONES
FORMATION Invasion - Equateur et Colombie
POBLACIÓN CALLAMPA Population champignon - Chili
PUEBLOS JOVENES Jeune quartier - Pérou
AASHWA’I
B
Qua
MA
Aléatoire - Egypte
BIDONVILLE VILLA MISERIA
Ville misère - Argentine
ELENDSVIERTEL
Quartier misérable - Allemagne
ASENTAMIENTO
CONDITIONS Campement provisoire - Guatemala
BARIO FEO
Quartier laid - République dominicaine
CIUDAD PERDIDA Ville perdue - Mexique
PRECARIO
Précaire - Costa Rica
Figure 01 | Noms donnés aux bidonvilles selon les pays
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11 TANAKE
Tôle ondulée - Liban
BAIRRO DE LATA
artier de boîtes - Portugal
ATÉRIAUX MUSSEQUES
Quartier de terre rouge - Angola
KARTONSKO NASELIJE Ville en carton - Serbie
KATCHI ABADI
Maison de terre - Pakistan
7. HANKS Patrick, HILL LONG Thomas, URDANG Laurence (dir), The Collins English dictionary, Collins, Glasgow, 1988, p.1438 8. ONU Habitat, op.cit., p.42 9. MERLIN Pierre, CHOAY Françoise (dir), op. cit., pp. 843-845 10. ONU Habitat, ibidem., p.45
Cependant, la diversité des dénominations utilisées pour désigner les bidonvilles témoigne également de la difficulté de les réunir tous en une unique définition. En raison de leur complexité, de l’influence de leurs contextes d’implantation et de la rapidité avec laquelle ils évoluent, l’ONU insiste sur la difficulté de livrer une définition précise de ce phénomène. Dans son rapport de 2003, The Challenge of Slums, elle qualifie le bidonville comme une «zone urbaine très densément peuplée caractérisée par un habitat inférieur aux normes et/ou des conditions de vie misérables» 8. Cette proposition souligne ainsi trois spécificités de ces secteurs, que l’on retrouve également dans les thématiques dégagées précédemment : densité, insalubrité de l’habitat et mode de vie précaire des occupants. Celles-ci s’intègrent aux sept caractéristiques physiques et sociales élémentaires relevées par ONU Habitat à propos de ces secteurs urbains : absence des équipements de base, insécurité du régime foncier, surface d’implantation minimale et enfin, pauvreté et l’exclusion sociale des habitants. L’ensemble de ces caractéristiques permet d’affiner la définition générale donnée aux bidonvilles. Celle-ci peut également être précisée au travers d’une confrontation entre la ville informelle qu’ils constituent et la ville dite conventionnelle ou formelle. Si l’on s’en tient à la définition de la ville donnée par le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement9 elle se caractérise par l’agglomération de constructions, certains traits sociaux et une certaine dimension. Bien que ces trois attributs puissent également caractériser la plupart des bidonvilles, les sept traits relevés par l’ONU et cités précédemment permettent de mettre en relief les nombreuses disparités qui les opposent à la ville conventionnelle. Ainsi, la densité qui est un élément commun aux deux définitions se manifeste de deux manières divergentes dans ces deux formes urbaines. Dans les bidonvilles, elle s’observe à travers un phénomène de surpeuplement horizontal et subit par les habitants qui occupent le moindre espace laissé libre. D’après le rapport d’ONU Habitat10, ce serait en moyenne un minimum de cinq personnes qui se partagent un logement d’une unique pièce. À l’inverse, pour la plupart des villes conventionnelles, la densité est perçue comme une solution d’évolution urbaine durable et économique et se traduit généralement par une croissance verticale. Cette première différenciation se traduit généralement par un écart des conditions de vie entre les populations de ces deux secteurs urbains. L’habitat informel implique trop souvent des logements insalubres, exigus et en dessous des normes fixées par leur ville d’établissement. À l’inverse, dans la ville formelle ces règlementations sont supposées superviser le domaine de la construction pour assurer aux utilisateurs un minimum de confort. Cette disparité est d’autant plus accentuée par les inégalités existant au regard de l’accès aux équipements de base. La ville convetionnelle offre une qualité de services qui s’étendent rarement jusqu’au cœur de l’habitat informel (évacuation des eaux usées, traitement des déchets, pavage des chaussées ou éclairage public…). Enfin, l’une des principales différences entre ville conventionnelle et bidonville réside dans la gestion du régime foncier. Si la première est régie par de nombreuses lois encadrant l’achat des terrains et la location, dans le second, rares sont les habitants qui possèdent un réel droit de propriété. Les abris sont souvent construits illégalement et les résidents soumis aux risques
d’expropriations ou contraints de verser des droits d’occupations dont les sommes sont fixées par les propriétaires et rarement encadrées légalement. Ainsi, bien qu’il soit relativement complexe de proposer une définition précise du phénomène des bidonvilles, l’ensemble des caractéristiques relevées par l’ONU et les disparités qu’ils entretiennent avec la ville formelle permettent de souligner ses principales composantes. Celles-ci peuvent également être affinées grâce à l’étude de l’architecture caractéristique des bidonvilles.
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—— Architecture informelle et architecture savante Bernard RUDOFSKY disait à propos de l’architecture qu’il nomme sans pédigrée qu’elle est «si mal connue que nous ne savons même pas quel nom lui donner»11. Il est en effet tout aussi complexe de trouver un terme générique permettant de définir le type d’architecture qui est pratiqué dans les bidonvilles que de les définir eux-mêmes. Produit de l’habitat spontané, elle est souvent nommée architecture informelle en raison de son indépendance au regard des formes habituelles, règles et législations qui guident la plupart du temps l’architecture. Elle échappe en effet à toute forme d’encadrement ou de prévision et peut de ce fait prendre autant de formes distinctes qu’il existe de bidonvilles de par le monde. Dans son Traité d’architecture sauvage, l’architecte et anthropologue Jean-Paul LOUBES12 s’inspire de cette diversité pour définir l’architecture des bidonvilles par analogie avec l’architecture vernaculaire. Il se base sur les deux principales caractéristiques de cette dernière et analyse d’une part, la relation étroite entre les constructions et le site dans lequel elles s’insèrent et d’autre part, l’influence de la communauté sur la forme architecturale et urbaine produite. Ainsi, tout comme l’architecture vernaculaire définie par l’auteur comme «liée à un territoire et à un groupe ethnique localisé» celle pratiquée dans les bidonvilles s’inspire et se nourrit du site sur lequel elle s’implante. Ce dernier influence la forme des constructions non seulement par sa topographie et par le biais de ses caractéristiques géographiques et climatiques. Par ailleurs, le lien entre site et architecture se manifeste également à travers la sélection des matériaux opérée par les habitants. Dans l’architecture informelle comme dans l’architecture vernaculaire, les constructions découlent de l’utilisation des ressources locales. Dans le cas des bidonvilles, c’est cette caractéristique qui prime et ce bien souvent au détriment de la qualité des matériaux choisis. Qu’il s’agisse de terre, de cartons, de bidons ou de rebuts divers, tous sont sélectionnés en raison de leur proximité avec le site de construction. Mais, au-delà de cet aspect pratique, ces matériaux offrent généralement l’avantage d’un faible coût justifiant la proximité comme une nécessité bien plus qu’un choix. Par ailleurs, tout comme dans l’architecture vernaculaire, l’organisation et la répartition spatiale des habitations dépendent avant tout des règles implicites fixées par la communauté. Elles résultent de l’apport d’éléments issus des différentes cultures et savoirs techniques de
11. RUDOFSKY Bernard, Architecture sans architecte, Academy Edition, Londres, 1974, p.7 12. LOUBES Jean-Paul, Traité d’architecture sauvage, ed. du Sextant, La roue de bicyclette, Paris, 2010, p.39
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leurs occupants. Ces paramètres sont adaptés et réinterprétés en adéquation avec le lieu d’établissement du groupe et génèrent ainsi de nouvelles figures architecturales et urbaines. En intégrant toujours plus les processus actuels de la construction, la pratique dite vernaculaire de l’architecture dans les bidonvilles s’est modernisée pour constituer désormais ce que Jean Paul LOUBES définit comme l’architecture vernaculaire contemporaine. 13 Cette pratique de l’architecture peut également être définie par les grandes caractéristiques qui la différencient de ce que l’on peut qualifier d’architecture générique ou savante. Elle s’en distingue à la fois à travers ses acteurs, mais également au regard des approches constructives diamétralement opposées qui les caractérisent. L’architecture informelle repose en effet sur des initiatives individuelles et populaires tandis que dans l’architecture savante, c’est un groupe de spécialistes et de professionnels qui est responsable de la construction. L’architecte brésilien, Oscar NIEMEYER définissait d’ailleurs cette dernière comme l’architecture des élites, car si les architectes et des institutions spécialisées se sont progressivement emparés de l’art de bâtir, ils peinent désormais à assumer cette fonction face à une demande de plus en plus conséquente. À l’échelle mondiale, seuls peu de privilégiés vivent dans des logements construits par des professionnels du bâtiment et l’architecture pratiquée dans les bidonvilles est l’une des manifestations évidentes d’une nouvelle inversion des rôles. Les individus se réapproprient peu à peu la responsabilité de construire leurs logements. Cette première distinction entre architecture savante et architecture informelle implique en toute logique deux formes de pratiques particulièrement contrastées en termes de méthodes constructives. La première étant le fruit d’un travail de professionnels formés et spécialisés dans le domaine, elle résulte généralement d’un processus de projection et de détermination préalable. Là où l’architecte va imaginer et dessiner un bâtiment avant de la construire, pour l’individu autodidacte du bidonville, la construction résulte plutôt d’une accumulation d’éléments constituée au gré des besoins et des ressources disponibles. Dans le premier cas, la construction se fait également dans le respect d’un certain nombre de normes et de règles usuelles (relative à l’implantation, à des exigences structurelles, à un confort minimal…) tandis que pour le second elle est spontanée avec pour seules contraintes celles de son site d’implantation et de son voisinage. Ce sont précisément ces caractéristiques bien distinctes entre les deux pratiques qui peuvent compliquer les interactions entre elles. En effet, les formes urbaines et construites qui découlent de l’architecture informelle sont si particulières qu’elles peinent encore à trouver leur place dans la culture architecturale.
13. LOUBES Jean-Paul, op.cit., p.43
—— Culture et architecture Dans l’optique de confronter le phénomène des bidonvilles à la pratique de l’architecture, il est relativement important de rappeler les enjeux et le rôle que peut jouer cette dernière dans une société en tant que domaine, art et discipline dotés d’une culture qui lui est propre. D’après le Larousse, la culture se définit par un «ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe ethnique ou une nation, une civilisation, par opposition à un autre groupe ou à une autre nation»14. Ainsi par le biais d’édifices emblématiques ou d’architectes reconnus, l’architecture peut donc être définie comme un élément représentatif de la culture d’une société. Elle est d’ailleurs souvent considérée comme le reflet de la technologie, de l’histoire et des canons esthétiques de celle-ci. Visible partout et par tous, elle fait partie de la culture de chacun en tant que représentation matérielle du passé et du présent de la société comme le souligne la loi du 3 janvier 1977 : «L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public.» 15 Cette loi, toujours en vigueur, témoigne de la volonté de préserver et promouvoir l’architecture en tant qu’élément représentatif de la culture française. Elle se traduit par la reconnaissance du travail de l’architecte, la protection de son titre, mais également par la création des premiers Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE). L’institution de ces organismes dans chaque département a pour vocation d’offrir un meilleur accompagnement des maîtres d’ouvrages publics et privés et de cette façon de «développer la culture architecturale, paysagère et environnementale des collectivités et du grand public» 16. À travers cette ambition, le CAUE du Bas-Rhin atteste donc de l’existence d’une culture propre à l’architecture dont il est possible d’ébaucher une définition par analogie avec celle proposée précédemment pour le terme culture.
Figure 02 | Quelques édifices emblématiques construits au cours de ces 100 dernières années
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La culture architecturale pourrait ainsi être définie par un «ensemble de phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent l’architecture telle qu’elle est perçue par un groupe ethnique ou une nation par opposition à un autre groupe ou une autre nation.» Ici, les marqueurs matériels peuvent être assimilés à l’ensemble des édifices et monuments spécifiques construits au cours de l’évolution d’une société et qui composent d’une certaine manière son patrimoine architectural. En poursuivant cette démarche, les différentes théories, doctrines et attitudes adoptées par les architectes d’un même groupe ethnique peuvent être associées aux phénomènes idéologiques cités par la définition. Ainsi, la culture architecturale d’un individu, et plus largement d’une société réunit l’ensemble des éléments reconnus comme faisant partie de sa culture et de ses traditions ou capables de l’évoquer et la diffuser auprès d’un autre groupe ethnique. Ces différents éléments sont à la fois marqués par les évènements historiques, politiques et sociétaux qui ont jalonné l’évolution de la société, mais également par l’ensemble des normes et législations (relatives à la construction ou à la profession) qu’elle a pu mettre en place pour encadrer la discipline. Si chaque architecte possède ses propres références et des centres d’intérêts qui lui sont propres, sa formation et la culture dans laquelle il évolue le sensibilisent à un certain nombre de projets et architectes emblématiques de cette culture. En guise d’exemple, et pour n’en citer que quelques-uns, la société et la culture architecturale occidentale se sont construites sur les traces de noms célèbres comme Le Corbusier, Franck Lloyd Wright ou plus récemment Herzog et De Meuron ou l’agence MVrDV. Malheureusement, il est encore trop rare de voir l’architecture telle qu’elle est pratiquée dans les bidonvilles figurer au rang des éléments composant la culture architecturale moderne. Alors que sa pratique et sa forme sont en passe de devenir le type de logement caractéristique des 20ème et 21ème siècles, il est peut-être temps de «faire éclater notre étroite conception de l’art de bâtir, en explorant le domaine de l’architecture non codifiée» 17 comme le suggérait déjà en 1965 l’architecte Bernard RUDOFSKY.
2. UNE SITUATION MONDIALE PRÉOCCUPANTE … 14. Le Petit Larousse Illustré, 2000, p.289 15. Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, art.1 16. CAUE Bas-Rhin, « Qui sommesnous », CAUE Bas-Rhin, décembre 2014, 12.12.14, http://www.caue67. com/qui-sommes-nous/le-caue/ 17. RUDOFSKY Bernard, Architecture sans architecte, ed. Du Chêne, 1980
—— Apparition des premiers bidonvilles Avec la révolution industrielle initiée en Angleterre au 19ème siècle, une toute nouvelle forme d’urbanisation parasite apparait et se répand progressivement. Pourtant, ce sont les progrès techniques et mécaniques qui sont sans doute les éléments les plus marquants de cette ère, et l’on oublie souvent que c’est précisément aux abords des usines de production métalliques flambant neuves que sont nés les premiers bidonvilles. Des taudis de bric et de
broc qui étaient les refuges de tous ces hommes venus tenter leur chance à la ville après que le développement économique les ait contraints à quitter leurs campagnes pour pouvoir survivre. À cette époque, la mécanisation du travail agricole prive d’emploi toute une partie de la population rurale. Dépourvue de moyens de subsistance, elle se bouscule aux portes des grandes villes, en quête d’emplois souvent peu gratifiants et mal rémunérés.
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Alors qu’à la fin du 19ème siècle, beaucoup de grandes villes sont encore contenues par leurs enceintes et leurs fortifications, ce n’est que sous la pression de l’exode rural déclenchée par cette nouvelle ère industrielle que celles-ci vont s’ouvrir pour accueillir un flot de migrants toujours plus important. Elles s’entourent peu à peu de faubourgs ouvriers offrant à leurs habitants des conditions de vie particulièrement précaires et somme toute relativement similaires à celles que l’on peut observer autour d’un certain nombre de métropoles de la plupart des pays du Sud. La description qu’en fait le philosophe allemand Friedrich ENGELS alors en visite à Manchester est particulièrement frappante : «Il est impossible d’imaginer l’amoncellement désordonné des maisons, entassées littéralement les unes sur les autres, véritable défi à toute architecture rationnelle. On a rebâti et rafistolé jusqu’à ce qu’enfin il ne reste plus entre les maisons un pouce de libre. […] Comment voulez-vous que les gens se lavent, alors qu’ils n’ont à proximité que les eaux sales de l’Irk et que les canalisations et les pompes n’existent que dans les quartiers honnêtes.» 18 L’explosion urbaine générée par cette révolution industrielle prend un nouvel essor à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Une seconde grande vague de migrants, principalement en provenance du Maghreb, afflue vers des villes déjà saturées et incapables de les accueillir décemment. Ces populations s’entassent alors dans des campements précaires sur des terrains vagues ou en périphérie. Quelques années plus tard, le phénomène prend encore plus d’ampleur avec le début de la récession et les premiers chocs pétroliers des années 1970 et 1979. Ces évènements
Figure 03 | Les bidonvilles de Nanterre _ 1959 Figure 04 | Représentation caricaturale des slums de Londres _ 1872
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signent l’apparition d’un premier ralentissement de l’économie mondiale et avec lui une inflation significative des prix. Les populations démunies sont les plus touchées et beaucoup de familles sont alors contraintes d’abandonner leur logement pour survivre. À leur tour, elles viennent gonfler le nombre d’habitants massés dans des bidonvilles qui se sont peu à peu pérennisés autour des métropoles. Cette augmentation massive de la population urbaine est à l’origine de l’un des éléments parmi les plus marquants de l’évolution des villes. Au 20ème siècle, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la population urbaine surpasse en nombre la population rurale. Malheureusement, comme le souligne l’ethnologue et sociologue urbain Mike DAVIS, «au lieu de devenir des foyers de croissance et de prospérité, les grandes villes sont devenues une décharge pour une population en trop qui survit grâce à des emplois mal payés et précaires dans les secteurs marginaux des services et du commerce.»19 En effet, à travers le développement d’un secteur unique centralisant l’ensemble des disciplines de la construction, la plupart des États ont été dépassés par l’explosion du nombre de bidonvilles. Dans la majorité des cas, les politiques adoptées ne permettront pas de produire suffisamment de logements pour rattraper la demande.
—— Nord et Sud, deux évolutions contraires
18. Friedrich ENGELS, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845. 19. DAVIS Mike, Planète bidonvilles, Ab Irato ed., Paris, 2005, p.35 20. MERLIN Pierre, CHOAY Françoise (dir), op. cit., pp. 374-376
Dans les pays actuellement parmi les plus développés où ils sont apparus, les bidonvilles se sont progressivement résorbés, et ce grâce à des politiques particulièrement interventionnistes. En effet, à la suite de la Seconde Guerre mondiale, l’accroissement massif de ces quartiers d’habitat précaire constitue l’un des éléments déclencheurs d’une grande vague de mesures plus ou moins radicales en matière de logement. Les conditions sanitaires dans lesquelles vivent leurs occupants inquiètent et les États prennent conscience de la nécessité de trouver des solutions rapides pour contenir leur développement. Ainsi, en France, la loi dite Debré du 14 décembre 1964 est créée dans le but de «faciliter aux fins de reconstructions ou d’aménagements, l’expropriation des terrains sur lesquels sont édifiés les locaux d’habitations insalubres et irrécupérables, communément appelés «bidonvilles». Si cette loi autorise les communes à exproprier les habitants d’un bidonville pour reconstruire des logements ou proposer des aménagements urbains d’intérêt public elle ne fait pas état de mesures spécifiques destinées à reloger les anciens résidents. Dans de nombreux pays, des politiques similaires sont adoptées et les populations souvent déplacées dans des logements sociaux toujours plus loin des centres-ville. Si ceux-ci offrent généralement des conditions sanitaires bien supérieures à celles des bidonvilles, «l’éloignement, l’uniformité, les dimensions démesurées et le caractère impersonnel du cadre de vie [sont] souvent mal ressentis par ses habitants, soumis à un complexe d’isolement pénible».20
Parallèlement à ces politiques en matière de logement, le recours à des mesures de plus en plus drastiques en matière d’immigration influe également sur l’évolution des bidonvilles dans les pays les plus développés. Depuis une dizaine d’années, la plupart d’entre eux ont durci leurs frontières et ainsi progressivement ralenti les arrivées massives de migrants sur leurs territoires. Ils ont par conséquent été en mesure de contenir le développement incontrôlé des bidonvilles. Ainsi, bien que les solutions adoptées soient parfois discutables, les pays les plus développés ont souvent été en mesure d’amorcer une diminution significative du développement des quartiers informels qui bordaient leurs métropoles. Malheureusement, cette tendance est loin d’être identique dans le reste du monde et c’est au phénomène inverse que sont actuellement confrontés la plupart des pays en cours de développement. Alors que dans les années 60, les bidonvilles n’y sont pas encore considérés comme une fatalité, une dizaine d’années plus tard, une grande partie des gouvernements a déjà abandonné la lutte. La plupart des initiatives lancées par les états (notamment en Amérique latine ou en Afrique du Nord) s’essoufflent rapidement et les gouvernements renoncent à intervenir. À cette déresponsabilisation viennent s’ajouter les conséquences de modèles économiques imposés par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) à la plupart de ces pays débiteurs. À travers la mise en place des Programmes d’Ajustements Structurels (PAS), ils imposent généralement aux nations une réduction de leurs programmes étatiques et la privatisation d’un certain nombre de secteurs parmi lesquels le domaine du bâtiment. Chargée d’octroyer des prêts en vue d’encourager et de soutenir le développement urbain, la Banque Mondiale récupère alors progressivement le pouvoir décisionnel abandonné par les États, mais malgré une augmentation conséquente de son budget alloué au logement, elle ne peut endiguer le phénomène qui prend rapidement des proportions impressionnantes par manque de moyen.
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Figure 05 | Grands ensembles de Vélizy Villacoublay (Île de France) _ 1964
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En effet, depuis plus d’un demi-siècle les pays du tiers-monde sont confrontés à un phénomène quasi semblable à celui rencontré par les métropoles qui se sont industrialisées au cours du 19ème siècle. Pour ces pays dits du Sud, c’est leur intégration forcée dans les stratégies économiques du marché mondial qui a eu des conséquences désastreuses sur les populations. Tout comme lors de la révolution industrielle en Europe, la majorité des ruraux ainsi privés de moyens de subsistance s’entassent aux abords des grandes cités dans des quartiers précaires si vastes que leurs proportions dépassent bien souvent celles de la ville conventionnelle. Malheureusement, au regard de l’accroissement des villes à l’échelle de la planète, ce phénomène ne semble pas prêt à s’estomper ou à amorcer un déclin comme celui vécu par les pays du Nord. On estime en effet que d’ici à 2030, c’est précisément dans le Sud que se concentrera la majorité des urbains de la planète.
—— L’enlisement Si la croissance urbaine a longtemps été le reflet du de progrès et de l’évolution d’un pays, dans la plupart des nations du Sud, elle peut souvent représenter un réel obstacle à leur développement. L’augmentation du nombre de bidonvilles témoigne ainsi de l’effet pervers que cette croissance démesurée peut avoir sur les populations, et ce, tout particulièrement lorsqu’elle est trop peu ou mal encadrée. En effet, d’après ONU habitat21, ce sont chaque année plus de 25 millions d’individus qui viennent gonfler le nombre déjà affolant de citadins installés dans des bidonvilles. D’après ce constat, le secteur de l’habitat informel concernera plus de 2 milliards d’habitants d’ici une vingtaine d’années, soit près d’un tiers de la population mondiale. À ce jour, dans certains pays comme l’Éthiopie, le Tchad, l’Afghanistan ou le Népal, la proportion de population urbaine vivant dans les bidonvilles dépasse d’ores et déjà les 90% et les répercussions de ce surpeuplement sur l’organisation urbaine sont généralement désastreuses.
21. ONU Habitat, Sounding the Alarm on Forced Evictions, communiqué de presse, 20ème session du Conseil d’Administration, Nairobi, 04-08.04.2005
Ainsi, bien que la densification des villes soit considérée comme une solution à la crise écologique mondiale, elle atteint dans certaines métropoles du Sud de telles proportions qu’elle a plutôt tendance à fragiliser l’écosystème urbain en place et à perturber le fonctionnement de la cité. Afin d’offrir un minimum de qualité de vie aux citadins, celle-ci a besoin de préserver dans son tissu des espaces non construits et le plus naturels possible. Malheureusement, dans la plupart des villes du Tiers-Monde, la densité a atteint son paroxysme et ces zones se font de plus en plus rares. Si elles ne sont pas envahies par de nouveaux migrants venus tenter leur chance en ville, elles sont très souvent utilisées comme des décharges sauvages. Plutôt que d’offrir à la cité des aires de respiration et de loisirs, elles contribuent donc à son asphyxie tout en étant à l’origine d’un certain nombre de problèmes sanitaires causés par les rats et insectes attirés par les monceaux de déchets.
De la même façon, les rares ceintures vertes encore présentes en périphéries des villes subissent ce même phénomène. Au Nord comme au Sud, elles sont progressivement dévastées au rythme des nouvelles arrivées de migrants en quête d’une parcelle de terre pour se loger. Dans les pays du Tiers-Monde, cette destruction et la pollution entrainée par ces installations sauvages contribuent à la disparition des résidus d’agriculture périurbaine qui y subsistaient encore. Dans les pays développés, les grandes métropoles sont à nouveau confrontées à un phénomène similaire. La recrudescence d’arrivées de migrants entraine l’apparition de bon nombre de campements informels qui s’installent en périphérie des centres et le long des principales infrastructures. Bien souvent, ils exploitent les ressources offertes par les ceintures vertes et y entassent des déchets urbains récupérés pour leurs constructions. Le surpeuplement lié à une densification trop extrême entraine donc non seulement l’asphyxie des villes, mais les prives également du peu de moyens de subsistance de proximité qui leur restent.
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La diminution du nombre de terrains vacants et constructibles a également de lourdes conséquences sur le prix des terrains et des loyers. Depuis les années 80 et les crises du logement aggravées par la pression du FMI sur les états, les bidonvilles sont de plus en plus soumis au marché de l’immobilier, qu’il soit légal ou non. En effet, bien que l’habitat informel s’implante régulièrement en dehors de toutes contraintes légales, il n’a jamais été épargné par les spéculations foncières. Les exploiteurs de taudis sont ainsi apparus à la même période que les taudis eux même. Comme le soulignait l’auteure Margaret PEIL à propos de la ville de Lagos, «loger les pauvres est une affaire qui marche […] c’est l’investissement le plus sûr de tous, et il offre un retour rapide sur investissement»22. Alors que le fait de squatter illégalement un terrain a longtemps offert l’avantage de la gratuité d’implantation à ses occupants, il est désormais de plus en plus compliqué de trouver une parcelle à faible coût. Ainsi, l’augmentation croissante des loyers a pour principale conséquence d’éloigner les populations les plus démunies des centres-ville. Installées sur des terrains dans des périphéries trop lointaines, celles-ci sont coupées de leurs principaux secteurs d’emplois et ne peuvent plus subvenir à leurs besoins. Elles s’enfoncent ainsi dans une misère qui semble sans issue. Par ailleurs, la rareté des terrains accessibles a également pour conséquence de pousser les migrants à s’installer sur des sites à risques, loués à bas prix par des exploitants peu scrupuleux. Qu’ils soient pollués, en zones inondables ou sur des pentes trop abruptes, ces secteurs sont généralement jugés non constructibles et leur occupation peut avoir de lourdes répercussions sur les populations. La fragilisation du milieu impliquée par les constructions et les déchets produits par les habitants sont souvent à l’origine de catastrophes naturelles particulièrement destructrices : glissements de terrain, inondations… En plus de toucher les résidents installés sur le site même, il arrive qu’elles touchent également les quartiers environnants et privent ainsi de logement un nombre toujours plus important d’individus. Si ce cas de figure peut sembler extrême, ce cercle vicieux et les conséquences de l’extrême densification de certaines villes sont malheureusement assez représentatifs de l’enlisement mondial du
22. PEIL Margaret, Lagos : The city is the people, Macmillan Publishers, Londres, 1991, p.146
phénomène des bidonvilles. Il souligne ainsi la nécessité et l’urgence de trouver des solutions durables auxquelles les architectes ne commencent à réfléchir seulement depuis une cinquantaine d’années.
3. … ET RÉACTION DES ARCHITECTES —— Un phénomène longtemps négligé par les professionnels Si le 19ème siècle est marqué par l’apparition des taudis aux abords des plus grandes villes des pays développés, il offre en revanche à l’architecture, les nouveaux outils qui lui permettront d’esquisser les bases du modernisme. Les nouveaux matériaux mis au point à cette période sont à l’origine d’une amélioration des techniques constructives, mais également de la pratique et de ses ambitions. L’utilisation de l’acier, du fer et de la fonte produits de plus en plus rapidement et le recours à la préfabrication cristallisent ainsi l’attention des architectes sur de nouveaux types de bâtiments et infrastructures. Ils se passionnent notamment pour la construction de grands équipement telles des bibliothèques, des gares ou des halles marchandes dont les structures toujours plus audacieuses tirent parti des progrès réalisés par l’industrie. L’architecture connaît alors une période faste de son évolution et rares sont les professionnels qui se préoccupent des problématiques liées au développement trop rapide de l’habitat informel. Les bidonvilles qui apparaissent progressivement sont tout au plus considérés comme des sujets de curiosités, mais sont rarement intégrés à des projets concrets, comme l’atteste le passage de Le Corbusier au Brésil.
Figure 06 | Le Crystal Palace construit pour l’exposition universelle de Londres _ 1851
Lors d’un séjour à Rio de Janeiro, l’architecte est invité à animer un cycle de conférences dans des clubs littéraires ou auprès de sociétés d’architectes et d’ingénieurs. En 1929, à l’occasion de l’une de ces conférences il raconte sa visite des favelas de la ville : «il n’y a ni rues, ni chemins, c’est trop
raide, mais les sentiers qui sont autant le torrent que l’égout […] ; le nègre a sa maison presque toujours à pic, juchée sur des pilotis au-devant, la porte étant derrière, du côté de la colline ; du haut des «favellas» on voit toujours la mer, les rades, les ports, les iles, l’océan, les montagnes, les estuaires ; le nègre voit tout cela ; le vent règne utile dans les tropiques ; une fierté est dans l’œil du nègre qui voit tout çà ; l’œil de l’homme qui voit de vastes horizons est plus hautain, les vastes horizons confèrent de la dignité ; c’est une réflexion d’urbaniste.»23 Malgré cette visite et malgré le temps passé dans une ville où les bidonvilles sont omniprésents, son projet pour Rio de Janeiro en fait totalement abstraction. Les autoroutes qu’il dessine relient les mornes de la ville, mais ignorent totalement les favelados qui y logent depuis si longtemps.
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Cette démarche est assez représentative de la posture des architectes au regard des bidonvilles à l’époque de leur apparition. Si les quartiers d’habitat informel constituent un sujet d’étude prisé pour de nombreux domaines des sciences humaines, il n’existe que très peu de travaux relatifs à l’architecture des abris dans les bidonvilles. La complexité des formes urbaines et architecturales qui les composent est rarement étudiée en détail. Dans les rares cas où cette forme d’architecture attire l’attention des architectes, ceux-ci projettent sur elle des idées ou concepts théoriques propres à l’architecture savante. Ainsi, certains voient dans les bidonvilles une réinterprétation moderne du mythe de la cabane introduit au 18ème siècle par le théoricien français Marc Antoine LAUGIER. En 1755, dans son essai sur l’architecture celui-ci définit cette construction comme l’un des archétypes de l’architecture. Près d’un siècle plus tard, les similitudes existant entre la cabane et l’abri construit dans le bidonville attirent l’attention des architectes. Bien que la forêt ait été remplacée par la grande ville et ses rebuts, tous deux résultent d’une démarche empirique plaçant le lieu au cœur même du pro-
Figure 07 | Projet de Le CORBUSIER pour la ville de Rio de Janeiro _ 1929
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cessus de construction. Dans l’abri du bidonville comme dans la cabane, les seuls codes et contraintes admis par la conception sont ceux fixés par le site tandis que l’aspect et la structure finale de la construction dépendent uniquement des capacités et du savoir-faire du bâtisseur. Ce sont donc plutôt le chaos apparent des constructions et le recours à une démarche empirique qui intéressent les architectes. Outre cette approche généralement cantonnée à une analyse esthétique et théorique, peu d’entre eux investissent leurs compétences dans les bidonvilles et il faudra attendre le 20ème siècle pour que cette profession s’ouvre à ces nouvelles préoccupations
—— Opérations de relogements et prise de conscience La crise du logement et la période de récession qui font suite à la Seconde Guerre mondiale attirent enfin l’attention des architectes sur les problématiques introduites par les bidonvilles. Les années 50 et les grandes opérations de reconstruction constituent ainsi le premier pas de l’architecture savante vers l’architecture informelle. À cette époque, la mise au point des structures en béton armé offre de nouvelles possibilités au domaine du bâtiment. Grâce à ce matériau, il est désormais possible de construire des édifices de grande taille, rapidement et à des prix relativement bas. De nombreux bâtiments surnommés «grands ensembles» sont édifiés dans les périphéries des grandes villes et permettent de pallier progressivement au manque de logements de l’après-guerre. Pouvant accueillir jusqu’à plusieurs milliers de personnes ils sont décrits par le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement comme des «programmes d’urgence [établis] dans le cadre d’une politique officielle de construction visant à réduire la crise du logement apparue après-guerre»24. Généralement construits en lieu et place des bidonvilles, ils n’offrent malheureusement pas nécessairement une solution adaptée pour résoudre cette crise. Ces opérations de relogement ont malgré tout le mérite d’attirer l’attention des architectes sur des problématiques d’une amplitude plus large que le logement social. Ainsi, en 1953 puis 1956, la thématique de l’habitat informel est à l’ordre du jour des IXème et Xème Congrès Internationaux de l’Architecture Moderne (CIAM) grâce aux études de l’architecte Roland SIMOUNET (analyse des bidonvilles d’Alger) ou de la team X (architecture participative et vernaculaire). Ces congrès, qui regroupent les architectes internationaux parmi les plus célèbres de leur époque, traduisent ainsi la volonté collective de s’intéresser à de nouvelles formes d’architecture.
23. LE CORBUSIER, Précisions sur un état présent de l’Architecture et l’Urbanisme, G. Crés, Paris, 1930, p.235 24. MERLIN Pierre, CHOAY Françoise (dir), op. cit., pp. 374-376
À l’aube des années 60, les premiers constats dressés après une dizaine d’années d’exploitation des grands ensembles viennent appuyer cette première étape de réflexion abordée lors des CIAM. Alors qu’un mouvement critique mondial se dessine contre l’excès de rationalisme de l’architecture moderne, quelques architectes cherchent à redonner du sens à leur art. Ils s’orientent ainsi vers des techniques traditionnelles tout en s’efforçant de rendre toute
sa légitimité à l’architecture vernaculaire. Dans cette optique, en 1964, l’architecte Bernard RUDOFSKY présente une exposition polémique intitulée «architecture sans architecte» au MOMA à New York. À travers l’étude d’un panel de formes architecturales typiques et empruntées à différentes cultures, il remet ainsi en question la pertinence de l’architecture et de l’urbanisme de son époque. L’architecte affirme «qu’il y a plus à apprendre de l’architecture avant qu’elle ne devienne l’art d’un expert»25 et n’hésite pas à critiquer sa pratique : «Une partie de nos problèmes résulte d’une tendance à attribuer aux architectes – ou à tous les spécialistes d’ailleurs – une perspicacité hors-norme concernant la question de l’habitat, en vérité, la plupart d’entre eux sont préoccupés par des questions de business et de prestige»26 La remise en question ici amorcée prend un nouvel essor dans les années 70 avec la promotion des idées de l’architecte égyptien Hassan FATHY. À travers le projet qu’il mène en 1945 pour la ville égyptienne de Gourna27, il expérimente un retour à une architecture vernaculaire portée par une démarche participative qui inclut les habitants dans le processus constructif. Selon lui, «un homme ne peut pas construire une maison, mais dix hommes peuvent construire dix maisons très facilement, même une centaine de maisons. Nous devons soumettre la technologie et la science à l’économie des pauvres et des sans argent. Nous devons ajouter le facteur esthétique.»28 Souvent surnommé l’architecte aux pieds nus, Fathy HASSAN est convaincu que les architectes doivent réapprendre à construire avec les habitants en leur donnant l’opportunité de revaloriser par ce biais leurs conditions de vie. Il prône une architecture «pour les êtres humains» qui replace la culture de l’individu et les savoir-faire locaux au cœur même du procédé constructif. Bien que son expérience de reconstruction du village égyptien soit peu concluante, les idées et les ambitions qu’il défend en 1973 dans son ouvrage Construire avec le peuple s’inscrivent dans la lignée de celles proposées par Bernard RUDOFSKY quelques années auparavant et trouvent ainsi un véritable écho à l’échelle internationale.
—— La possibilité d’un cercle vertueux entre l’architecte et le bidonville Ayant pris conscience de l’ampleur de la crise du logement et de leurs responsabilités dans ce phénomène, les architectes ont progressivement choisi de s’engager à rechercher des solutions pour pallier au développement incontrôlé des bidonvilles. L’évolution des relations entre architecture savante et architecture informelle peut cependant se résumer en une tendance générale dans la méthode de travail adoptée. Dans la plupart des cas, la démarche retenue constituait en une mise à disposition du savoir et des compétences des architectes pour offrir aux plus démunis des conditions de vie décentes. Que ce soit en prenant part à la construction des grands-ensembles ou en s’engageant dans une pratique plus sensible
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25. “There is much to learn from architecture before it became an expert’s art”, RUDOFSKY Bernard, op. cit., p.10 26. “Part of our troubles results from the tendency to ascribe to architects – or, for that matter, to all specialists – exceptionnal insight into problems of living when, in truth, most of them are concerned with problems of business and prestige”, RUDOFSKY Bernard, ibid., p.10 27. Village commandé en 1945 par le Departement des Antiquités égyptiennes pour reloger les habitants de l’ancien Gourna en vue de préserver un site archéologique. Hassan FATHY y met en pratique des théories et construit avec les habitants en s’appuyant sur la technique ancestrale des voutes nubiennes en terre. Malgré l’ambition louable du projet, seule une partie du village est bâtie en raison des connotations négatives des matériaux et type de construction choisi. 28. HASSAN Fathy, Discours d’acceptation du prix Nobel alternatif, 9.12.1982 29. CONRAD Ulrich, Programmes et manifestes de l’architecture du XXème siècle, ed. de la Villette, Paris, 1991, p. 193
comme celle introduite par Hassan FATHY, la plupart d’entre eux sont toutefois restés dans une démarche à sens unique de transmission de leurs savoirs. C’est précisément cette attitude que l’architecte Ulrich CONRAD va remettre en question dans les années 90. Il écrit ainsi que : «l’inhabilité matérielle des bidonvilles est préférable à l’inhabilité morale de l’architecture utile et fonctionnelle. Dans ces quartiers misérables qu’on appelle bidonvilles, l’Homme ne peut sombrer que physiquement, alors que l’architecture planifiée qu’on prétend faite pour lui le fait sombrer moralement. C’est donc le principe du bidonville, c’est-à-dire du foisonnement architectural sauvage, qu’il faut améliorer et prendre comme base de départ et non pas l’architecture fonctionnelle».29 À travers cette affirmation, il souligne donc ce qu’il considère comme un dysfonctionnement dans la pratique de l’architecture. Selon lui, les architectes se sont contentés de travailler avec des notions et des savoirs qui leur étaient propres en oubliant de chercher à comprendre la logique des formes architecturales des bidonvilles. La seule issue durable qu’il envisage pour endiguer le phénomène consiste donc à renverser la logique adoptée jusqu’alors, et choisir l’habitat informel comme base de transformation plutôt que l’architecture savante. Dans une démarche proche de celle de CONRAD, le chercheur canadien Nicolas REEVES, confirme la nécessité d’adopter des solutions alternatives à celles longtemps adoptées après la Seconde Guerre mondiale. Il explique notamment que la transformation d’un bidonville en quartier se fait au travers d’un processus long qui s’étend sur une 20ène d’années. Cette période correspond précisément au temps nécessaire à ce qu’un bâtiment de type grand ensemble se détériore et se transforme progressivement en taudis. Ainsi, malgré une volonté partagée de sortir les plus démunis de la misère, les méthodes employées peuvent mener à des résultats diamétralement opposés. Dans le premier cas, le relogement des habitants dans un grand ensemble conduit à une amélioration brusque des conditions de vie, mais reconduit à long terme à une situation similaire, voire amplifiée et dégradée. À l’inverse, la transformation d’un bidonville en quartier est plus lente, mais mène à une solution plus durable et adaptée sur le long terme. Le chercheur souligne ainsi que la démarche qui a longtemps été retenue n’est pas nécessairement la plus appropriée et propose d’adopter une attitude centrée sur le contexte du bidonville. Allant plus loin dans la réflexion, l’architecte Jean Paul LOUBES replace quant à lui l’architecture informelle et l’architecture savante dans un processus d’échange et d’enrichissement réciproques. Selon lui, l’amélioration des conditions de vie des habitants des bidonvilles doit passer par une démarche qui ne peut fonctionner si elle est à sens unique comme celles décrites précédemment. Il propose ainsi de réintégrer dans l’urbain les formes générées par l’habitat informel tout en les réintégrant également dans la culture architecturale. Comme l’avaient déjà compris CONRAD et REEVES, les bidonvilles doivent donc retrouver dans la cité une place «au même titre que les autres entités urbaines qui composent la ville», mais ils
offrent également de nouvelles opportunités à l’architecture. D’après Jean Paul LOUBES, «ces objets urbains ont une histoire, ils contiennent des structures, obéissent à de lois, logent et font travailler des collectivités humaines»30. Ils constituent donc des éléments complets qui gagnent à être intégrés à la culture architecturale et peuvent donc enrichir sa pratique. Cette démarche à double sens proposée par Jean Paul LOUBES pourrait ainsi être illustrée par une certaine forme de cercle vertueux où architecture savante et bidonville s’enrichissent réciproquement.
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30. LOUBES Jean Paul, op. cit., p.45
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LA TRANSMISSION D’UN SAVOIR AU SERVICE DE L’INTÉGRATION DE L’HABITAT INFORMEL DANS L’URBAIN
Selon Mike DAVIS «seul le bidonville demeure une solution totalement admise au problème de stockage de l’humanité excédentaire au 21ème siècle»31 L’habitat informel constituera donc sans doute l’un des enjeux principaux de l’architecture contemporaine. Dans ce contexte, la jeune génération d’architecte est particulièrement consciente de ses responsabilités et engage progressivement ses compétences dans les bidonvilles. Par ailleurs, de nombreux projets de plus en plus audacieux voient le jour, comme l’illustrent ceux des architectes danois Johan KURE, Kemo USTO et Thiru MANICKAM ou encore de l’agence ELEMENTAL.
1. UNE GÉNÉRATION IMPLIQUÉE —— Prise de conscience Alors que la coupe du monde de football vient tout juste de s’y terminer, le Brésil se prépare activement à accueillir l’édition 2016 des Jeux olympiques d’été. Dans ce pays où les favelas semblent faire partie du paysage depuis toujours, la couverture médiatique internationale attirée par de tels évènements sportifs a eu le mérite de relancer le débat autour du phénomène des bidonvilles. Si les préoccupations générales se portent essentiellement sur des thématiques sociales ou politiques, la question de l’impact de ces quartiers informels dans la croissance et le développement urbain prend de plus en plus d’ampleur. Dans un contexte de crise écologique mondiale, l’explosion urbaine dont ils sont l’une des principales manifestations, commence à préoccuper. Dans cette optique, le nombre croissant de publications d’articles, de travaux de recherche ou de projets de fin d’études sur des sites web traduit l’intérêt grandissant de toute une génération d’architectes. En cherchant à comprendre les enjeux architecturaux relatifs à ce phénomène, j’ai choisi de réaliser une enquête auprès de ces professionnels.
31. DAVIS Mike, op. cit., p.42 32. Voire Annexe 1 _ p.70
Afin de mieux saisir leurs motivations et les raisons de leur implication, j’ai subdivisé mon questionnaire32 en trois thématiques. La première partie était orientée autour des origines de leur intérêt pour les bidonvilles et de la manière dont ils y avaient été sensibilisés. Cette étape m’a permis de commencer à discerner l’impact réel du débat dans le domaine de l’architecture. La seconde partie était axée sur le contexte de leur travail, et, de ce fait, sur le cadre de leur implication. Enfin, dans une troisième partie je me suis intéressée aux enseignements qu’ils avaient pu tirer de ces expériences.
Profitant de la rapidité des nouveaux moyens de communication, j’ai préféré réaliser mon enquête par le biais d’un questionnaire court et interactif hébergé sur un site web. Au-delà du côté pratique de cette méthode de sondage, le choix de la diffusion par internet me permettait d’espérer viser un éventail plus large de personnes qu’à travers des interviews plus classiques supposant une rencontre ou un rendez-vous téléphonique. Le choix de ces interlocuteurs s’est fait au hasard de mes consultations de publications sur la plateforme d’édition numérique issuu33. Ce site offre l’opportunité aux particuliers de publier des productions personnelles et est de plus en plus utilisé par des étudiants ou professionnels qui y diffusent le résultat de leurs travaux ou leurs portfolios. Ainsi j’ai pu obtenir les contacts d’une dizaine de personnes avec pour seul critère de sélection que leur production soit en lien avec la thématique des bidonvilles. Afin de viser un maximum de personnes, j’ai décliné mon questionnaire en trois langues (français, anglais et espagnol) et selon deux orientations. La première était destinée aux architectes ou étudiants ayant réalisé un travail de recherche ou de rédaction sur le sujet, tandis que la seconde était plutôt consacrée à ceux ayant proposé ou participer à des projets concrets. À travers la diffusion par internet de mon questionnaire j’ai pu bénéficier de la participation d’une douzaine de personnes aux profils très variés et toutes diplômées au cours de ces 10 dernières années. Comme le montre le planisphère cicontre, une grande partie de leurs sujets d’étude se situent en Inde ou en Amérique latine hormis quelques projets en dehors de ces deux secteurs. Ceux-ci sont les témoins d’une prise de conscience de l’importance du phénomène dans sa totalité et au-delà des bidonvilles les plus médiatisés.
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Figure 08 | Répartition des sites de projets / d’étude
—— Un engagement volontaire et solidaire À l’origine de la plupart de ces projets ou travaux de recherches, on retrouve généralement une réflexion émanant d’une initiative personnelle de la part des architectes
33. Plateforme gratuite de publications, disponible sur : http://issuu.com/
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consultés. Comme le montre le graphique ci dessous, la majorité d’entre eux expliquent avoir choisi de travailler sur ce thème suite à un voyage ou à une expérience qui les aurait sensibilisés aux problématiques que suscitent les bidonvilles. Alors que certains jeunes architectes ont enrichi leurs connaissances en assistant à des conférences ou à travers leur participation à des workshops, rares sont les travaux qui découlent d’un enseignement qui aurait été suivi dans le cadre de leur formation. L’insuffisance des enseignements proposés dans les écoles d’architectures à ce sujet constitue d’ailleurs l’un des trois éléments principaux à l’origine de la motivation de ces jeunes professionnels à engager leurs compétences dans de nouvelles démarches de réflexion et de projet.
LECTURE(S) CONFÉRENCE(S) EXPÉRIENCE(S) / VOYAGE(S) PERSONNEL(S) PARTICIPATION À UN WORKSHOP ENSEIGNEMENT Figure 09 | Modes de sensibilisation à la question des bidonvilles
La volonté d’approfondir des connaissances limitées sur le sujet mêlée à une certaine curiosité a conduit une partie des sondés au besoin de vérifier des informations répandues par les médias ou à confronter des idées reçues plutôt naïves à la réalité de la situation actuelle des bidonvilles. Ceux-ci sont tantôt idéalisés en tant que berceaux d’auto construction et de vie communautaire tantôt stigmatisés en raison de la pauvreté de leurs habitants et des problèmes de drogues qu’ils évoquent. Dans les deux cas, ces espaces d’habitats informels sont trop souvent victimes des clichés qu’ils véhiculent. Au-delà de cette démarche de vérification, certains témoignent d’une remise en question de leur rôle et du sens même de leur profession. Lassés par la surmédiatisation de quelques architectes stars et d’un panel limité de projets, ils expliquent avoir eu besoin de trouver un sens plus profond et une utilité réelle à leur travail et à leurs projets. Que ce soit lors d’un voyage touristique, dans le cadre d’une année d’études réalisée à l’étranger, ou à travers un projet d’agence, la confrontation avec la dure réalité des conditions de vie dans les bidonvilles a été pour la plupart des personnes sondées un élément déclencheur. Cette prise de conscience a suscité chez elles la volonté de se positionner en tant qu’architecte dans une démarche solidaire. Les conditions sanitaires déplorables subies par la plupart des habitants de ces milieux ont encouragé ces jeunes professionnels à mettre leurs compétences et leurs acquis au service de l’humain. En effet, si les bidonvilles se développent essentiellement à travers la pratique de l’auto construction c’est avant tout par nécessité et non par choix. Les abris qui en résultent ne peuvent que rarement assurer la sécurité et des
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conditions sanitaires minimales à leurs occupants. Dans ce contexte, l’architecte qui, au cours de l’histoire, a acquis un rôle de plus en plus important au regard de la construction de l’habitat a le devoir d’assumer cette fonction et de mettre son expertise à la disposition de tous. Ainsi sensibilisés aux conditions de vie précaires dans lesquelles vivent la plupart des habitants des bidonvilles, ces architectes ont pris conscience de l’importance de placer les besoins de ces populations au cœur même de leurs préoccupations et inspirations en tant que maîtres d’œuvre. Cette ambition témoigne de la volonté de cette nouvelle génération de donner du sens à son travail. Comme le fait remarquer l’une des personnes interrogées, «l’architecte construit avant tout pour les autres»34. En ce sens, il doit être capable de comprendre la culture locale pour s’y adapter au mieux et proposer un projet qui soit utile et appropriable par ses futurs occupants. Bien loin de l’œuvre architecturale destinée à vanter les qualités de son concepteur et pétrie de préoccupations individualistes, cette remarque souligne la pratique désintéressée vers laquelle s’orientent ces jeunes architectes.
—— Vers de nouveaux enjeux pour l’architecture Pour la plupart des architectes consultés, la démarche engagée n’était qu’une première étape de leur réflexion. Comme représentée sur les deux graphiques ci-contre, elle est souvent prolongée par l’approfondissement d’un travail de recherche, l’application d’une théorie à travers un cas concret ou encore la mise en œuvre d’un projet. Parmi ces derniers, près de 70 % ont eu ou auront l’occasion d’assister ou de participer à la mise en œuvre de leur projet. Construis ou non et, quelle que soit la nature de leur travail, tous ont pu confronter leurs connaissances et leurs méthodes de travail à un contexte aussi particulier que celui des bidonvilles.
DÉMARCHE COMPLÉTÉE PAR UN PROJ OU UN AUTRE TRAVAIL DE RECHERCHE RÉFLEXION PONCTUELLE AUTRE
COMMANDE PUBLIQUE / PRIVÉE CONCOURS DÉMARCHE PERSONNELLE AUTRE Figure 10 | Cadre dans lequel s’inscrit le choix du projet ou du sujet
34. Voire annexe 1.3 _ p.73
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ET
Motivés par la volonté de construire un environnement de qualité aux habitants des bidonvilles, il leur a fallu apprendre à s’adapter à des conditions d’exercice bien différentes de celles auxquelles ils étaient habitués dans leur pays d’origine. Beaucoup expliquent que cette expérience leur a fait prendre conscience des enjeux auxquels ils avaient à faire face en tant qu’architectes dans ce type de situations de projet. La question du financement figure notamment parmi les éléments les plus sensibles dans ce contexte. Elle implique jusqu’à une remise en question de la méthode de travail de l’architecte qui doit être capable de proposer un projet de qualité malgré un budget bien plus restreint qu’à l’accoutumée. Au-delà même de la somme allouée, c’est la collaboration avec les entités responsables de ces financements qui a été particulièrement complexe pour certains architectes interrogés. Les projets sont souvent commandés par des communautés ou par des instances peu sensibilisées aux enjeux urbains et sociaux réels que représentent les bidonvilles. Leur réhabilitation fait encore trop souvent office de sujet anecdotique et toutes les parties qu’elles mettent en relation n’en ont pas les mêmes attentes. Dans un autre domaine, et suite à leurs interventions dans les bidonvilles, les architectes interrogés ont relevé diverses problématiques sociales auxquelles ils avaient rarement été confrontés. Là où ce sont généralement des règles d’urbanisme qui conditionnent un projet, les bidonvilles posent la question de la propriété du sol et de la légalité des constructions. Pour ces jeunes professionnels, la résolution de ces problèmes récurrents influence bien plus que la forme du projet, mais peut bien souvent remettre en question jusqu’à son existence. Dans ce contexte, il arrive que la réaction des populations puisse également être un obstacle à l’intervention de l’architecte. Bien que son action ait généralement pour vocation d’améliorer les conditions de vie des habitants, elle rencontre souvent une certaine méfiance et résignation de leur part. Celles-ci sont d’autant plus accentuées que l’architecte intervient sur le lieu de vie et dans le quotidien des résidents. Cette démarche diffère là encore de celles auxquelles étaient habitués les jeunes professionnels interrogés qui relèvent la complexité de reconstruire un quartier sur lui-même tout en étant capable de préserver la culture et les pratiques de ses occupants. Concrètement, les réponses au questionnaire soulignent donc l’importance de proposer un projet appropriable et adapté à la population qu’il vise. Que cela se traduise par une réflexion autour des matériaux, du type de construction choisi ou de la meilleure façon de travailler les accès au bidonville ces problématiques restent toutefois relativement proches de celles rencontrées dans la ville conventionnelle. Comme le souligne l’une des personnes interrogées, la principale différence entre les deux pratiques réside sans doute dans l’intensité des enjeux qui sont particulièrement exacerbés dans le contexte des bidonvilles. Consciente de ces difficultés, la jeune génération propose donc des projets de plus en plus innovants comme en témoigne le projet de fin d’études de trois architectes danois conçu pour s’intégrer aux favelas de Rio de Janeiro.
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2. FAVELA CLOUD, CONSTRUIRE POUR LES HABITANTS —— Contexte : la favela Santa Marta À Rio de Janeiro, plus de 22% des habitants vivent actuellement dans l’une des 763 favelas qui en ponctuent les mornes35. Cette forme urbaine existe déjà depuis plus de deux siècles et est devenue aujourd’hui l’une des figures emblématiques de la 2ème plus grande métropole du Brésil. En 1897, une garnison revenue de la guerre de Canudos est autorisée à installer ses baraquements sur les pentes du Morro Da Providencia faute de place ailleurs. Renommé Morro da Favella par les soldats, le campement provisoire se pérennise et grandit. L’abolition de l’esclavage quelques années plus tôt (le 13 mai 1888 au Brésil) et la politique menée par les institutions locales entraineront alors la multiplication de ces installations informelles depuis lors nommées «favelas» par les médias. En effet, c’est à cette même époque que Pereira PASSOS alors préfet de la région de Rio de Janeiro, entreprend de grands travaux d’embellissement de la ville. Au nom de l’esthétisme et de l’hygiénisme, de nombreuses percées sont réalisées dans le centre, la plupart des cortiços36 sont rasés et un nouveau zoning repousse les plus pauvres toujours plus loin du centre. Malgré une politique très stricte à l’égard de l’autoconstruction, toutes ces mesures n’auront pour autre effet que de faire exploser le nombre de campements illégaux, notamment à proximité des secteurs fournisseurs d’emplois (zones industrielles et quartiers riches). À la suite des initiatives de Pereira PASSOS, les gouvernements brésiliens qui se sont succédés ont appliqué les politiques parmi les plus virulentes au monde à l’égard des favelas avec pour unique résultat un développement d’autant plus rapide de celles-ci. Il faudra attendre le début du 20ème siècle et l’émergence du mouvement moderne brésilien pour que l’avis des pouvoirs publics évolue. Berceaux du samba et du carnaval, les favelas ont su gagner la reconnaissance de leurs influences sur la culture et la société brésilienne. Elles bénéficient depuis quelques années du programme Favela Bairros initié par l’État en vue de leur valorisation et de leur conservation esthétique et culturelle.
Parmi toutes les favelas que compte la métropole de Rio de Janeiro, celle retenue pour le projet Favela Cloud est l’une des plus célèbres au monde. À mi-chemin entre la statue du Christ rédempteur et l’entrée de la baie de Guanabara, la favela Santa Marta est visible depuis la plupart des principaux sites touristiques de la ville. Elle s’est d’ailleurs développée parallèlement à la construction du quartier de Copacabana : au début des années 20, de nombreux
35. Relief d’une île ou d’un littoral, nom généralement donné aux collines qui ponctuent la ville de Rio de Janeiro 36. Bâtiment utilisé comme habitat collectif multifamilial et présentant comme principale caractéristique un nombre très élevé de personnes 37. Équivalent CE2 français 38. Soit 210€
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migrants arrivent à Rio de Janeiro, attirés par les emplois proposés sur les chantiers de son développement touristique. Ces ouvriers et leurs familles s’installent alors sur le morne Doña Marta et fondent une communauté solidaire et organisée, ce qui lui évite de figurer en 1960 sur la liste des sites à éradiquer. Quelques années plus tard, l’installation et la lutte de plusieurs gangs de narcotrafiquants pour son contrôle viendront fragiliser son équilibre et annihiler tous les projets entrepris par la mairie.
Figure 11 | Localisation de la favela Santa Marta
Ce n’est qu’à la fin des années 90 que les instances de la ville se préoccupent à nouveau de la situation du quartier et investissent peu à peu dans la favela pour améliorer les conditions de vie et la sécurité de ses habitants. En 2004, un funiculaire est construit pour assurer une liaison plus rapide avec le centre-ville. En 2008 une Unité Policière Pacificatrice (UPP) est installée pour une durée indéterminée sur le site lui valant le titre de première favela pacifiée de la ville de Rio de Janeiro. Santa Marta a également servi de décor à de nombreuses manifestations artistiques parmi lesquelles le tournage du clip de Michael Jackson They Don’t Care About Us en 1996 ou encore le projet Favela Painting du duo hollandais Haas & Hahn en 2005. Concrètement, la favela Santa Marta s’étend sur un site de près de 55 000 m² et compte environ 1 370 logements construits malgré le dénivelé de plus de 200 m. La favela n’est accessible que par une unique entrée ou via la ligne du funiculaire qui y dessert cinq stations. On estime sa population aux environs de 6 000 personnes dont la plupart se situent dans une tranche d’âge comprise entre 25 et 50 ans. En termes d’éducation, la plupart des résidents ont atteint au minimum le 3ème grade37 à l’école et une grande partie des habitants possèdent un emploi, pour un salaire mensuel moyen de 650 R$38, soit moitié moins que celui de la moyenne des Cariocas. La majorité de ces emplois sont situés au cœur même de la favela dans l’un nombreux des cafés, bars et petits commerces qu’elle compte. Avec l’aide d’ONG ou de l’État, la communauté s’est progressivement dotée de plusieurs églises, de crèches, d’une école tech-
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nique et d’une école de samba, d’un centre culturel et depuis quelques années d’un terrain de football très apprécié. Comme dans la plupart des favelas de Rio de Janeiro, les procédés constructifs ont peu à peu évolué pour mener au style qualifié par Jean Paul LOUBES de nouvelle architecture vernaculaire39 située à mi-chemin entre des techniques d’inspiration européenne et des stratégies constructives issues de l’architecture vernaculaire tropicale. Les baraques, généralement de 3 à 4 pièces se composent d’une structure en béton armé et de murs en briques. Elles disposent en moyenne de 2 à 3 fenêtres, matérialisées soit par une simple ouverture soit par un cadre en aluminium. Pour les toitures, dalles, sols et murs intérieurs, les habitants ont majoritairement recours à du bois, du zinc, de la céramique ou encore des dalles. Cette amélioration progressive des techniques constructives a permis d’accroitre la sécurité des habitations notamment face aux incendies particulièrement craints dans les favelas. Cependant, et malgré des stratégies de construction dans la pente toujours plus innovantes, la communauté est encore victime des nombreux glissements de terrain et coulées de boues qui accompagnent généralement les orages sur le site. La déforestation engendrée par le développement de la favela a trop fragilisé l’équilibre du milieu naturel du morne et la terre, autrefois retenue par les racines des végétaux, n’est plus maintenue en cas de fortes pluies. En termes d’aménagements urbains, Santa Marta fait figure de quartier pilote. Il illustre la mise en pratique des objectifs gouvernementaux de peu à peu réurbaniser les favelas. Santa Marta profite de ce fait d’un raccordement à l’eau courante et à l’électricité, aux réseaux d’assainissement et de drainage. Par ailleurs, certaines de ses rues sont pavées et peu à peu éclairées. Ce sont ces premiers pas engagés en vue d’une réurbanisation de la favela qui ont inspiré le projet Favela Cloud.
Figure 12 | L’aire de loisirs ombragée et redessinée par les architectes
39. Voire p.13
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—— Le projet : Favela Cloud Le projet Favela Cloud résulte de la réflexion proposée par trois jeunes architectes danois, Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM à propos de la favela Santa Marta de Rio de Janeiro. Il a été présenté le 31 mai 2010 dans le cadre de leur diplôme de fin d’étude à l’institut d’Architecture et de Design de l’université d’Aalborg au Danemark. C’est, intrigués par l’apparente complexité urbaine des favelas que les architectes décident de partir pour une période de trois mois d’études dans la grande ville brésilienne. Ils ne connaissent alors des favelas que ce que les médias en rapportent : des idées très générales et souvent trop naïves. Une fois sur place, ils découvrent l’unicité et les qualités sociales de ces communautés. Ils cherchent alors à comprendre leurs impacts face au développement de la ville particulièrement accéléré par la coupe du monde de football de 2014 et les futurs Jeux olympiques de 2016. À travers leur projet ils commencent également à esquisser leur rôle potentiel en tant qu’architectes, dans l’essor des favelas et la mise au point de projets innovants pour le développement urbain. Le site choisi dans le cadre de ce projet résulte d’une observation attentive du terrain et des habitudes des résidents de Santa Marta. Au cours de leurs visites, les architectes ont découvert un secteur particulièrement apprécié de la population, mais peu exploité en raison d’une exposition quasi continue à un trop fort ensoleillement. Situé au sommet de la favela et ne profitant d’aucune ombre le site est inaccessible à de nombreuses heures de la journée malgré les équipements et services qu’il propose : terrain de football, dancehall, commerces, église… En s’inspirant de ce constat, les architectes ont ainsi souhaité proposer un projet qui permettrait de redynamiser cet espace public tout en offrant de nouvelles possibilités de croissance à la favela. Leur intervention se développe selon deux axes. Le premier consiste à remodeler le site d’implantation tandis que le second prolonge cet espace grâce à l’installation d’une mégastructure surélevée. Sur le site, les trois architectes ont souhaité proposer un nouveau design à l’espace public existant tout en conservant une partie des programmes déjà sur les lieux. Ils redessinent l’ensemble du fonctionnement de l’aire en accord avec les besoins des habitants de la favela. Ce remodelage leur permet d’intégrer les locaux de l’UPP au site tout en optimisant les accès à celui-ci. Le nouvel espace de loisirs ainsi crée est destiné à devenir un lieu clé de la partie nord de la favela grâce à l’extension du complexe sportif. Le terrain de foot existant est non seulement conservé, mais également enrichi par la création de vestiaires, d’une piscine, d’un espace fitness et d’un mur d’escalade. L’église et le café ne sont pas modifiés. Afin d’offrir de l’ombre aux espaces ainsi réhabilités, les architectes ont imaginé une mégastructure évoquant les travaux d’Archigram ou de Yona FRIEDMAN. Sa forme inspirée du paysage carioca rappelle les nuages qui s’accrochent certains jours sur les mornes de la ville de Rio de Janeiro et en cachent les sommets. Tout en facilitant l’usage en continu des lieux
de loisirs qu’elle surplombe, le projet propose une nouvelle forme d’occupation et de croissance pour la favela. Plutôt que de s’étendre verticalement à travers des constructions toujours plus dangereuses, la structure se développe horizontalement en reliant les reliefs et aspérités du morne. Ce type de croissance permet d’encourager la préservation de l’écosystème existant et ainsi de protéger la favela des glissements de terrain meurtriers qu’elle subit en cas de fortes pluies. À travers le Favela Cloud, les architectes proposent une architecture hybride qui mixe les programmes publics et privés. La structure imaginée par les architectes est basée sur la logique d’organisation autonome des favelas. Les formes et volumes qui la composent résultent d’une analyse précise des dimensions, échelles et connexions existant à Santa Marta. Ces éléments ont tout d’abord été représentés grâce au modèle mathématique de Voronoï qui leur a permis d’exprimer les relations entre les baraques et les cheminements du bidonville. Le modèle étant trop complexe à adapter à la 3D, les architectes ont imaginé leur propre système algorithmique basé sur la figure géométrique du dodécaèdre. Le choix de cette forme possède l’avantage de permettre le développement ultérieur du nuage en connectant de nouvelles unités face contre face. Le cloud généré par l’accumulation de 68 éléments offre 3 985 m² pour 11 logements, une médiathèque, une bibliothèque, un studio d’enregistrement, des espaces d’enseignement ainsi que des salles de danse, théâtre et art (voire annexe 2.2 _ p.86). L’ensemble de ces programmes est desservi par un système de circulation complexe inspiré de la vie dans les rues de Santa Marta. Pensé comme un espace de rencontre et d’activité, il relie le projet à la favela en trois points dont le principal mène à un parc panoramique au sommet de la structure. Chaque accès est associé à un raccordement aux réseaux et situé au niveau de l’une des séries de colonnes porteuses. Ces éléments forment le support des plateformes composant la structure secondaire du cloud sur laquelle se greffent les unités d’habitations.
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Figure 13 | Assemblages et combinaisons des dodécaèdres qui structurent le projet
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Figure 14 | Exemple de cobogo
Les logements proposés découlent de la forme du dodécaèdre et se déclinent selon deux formats (voire annexe 2.1 _ p.84). Les plus restreints sont contenus par un élément unique et offrent une chambre et un espace de vie en duplex. Les seconds, en duplex également, résultent de l’association de deux dodécaèdres. Plus généreux en termes de surface, ils se composent de deux chambres, d’un salon et d’une cuisine. Chaque logement est équipé de sanitaires privés et profite d’un accès via une plateforme autour de laquelle sont disposées 2 ou 3 unités d’habitation. Conçues comme des espaces libres, ces habitations sont dotées de parois mobiles en bois qui permettent aux habitants d’adapter leur logement aux conditions climatiques extérieures. Afin d’offrir des espaces lumineux et bien ventilés aux habitants, les architectes se sont inspirés d’un élément constructif issu de l’architecture vernaculaire brésilienne : le cobogó. Cette brique perforée assure la circulation de l’air et régule la luminosité des espaces qu’elle contient tout en leur offrant une plus-value esthétique. En réinterprétant cet élément à l’échelle urbaine, les architectes ont imaginé une peau dentelée en polycarbonate qui réfléchit une partie des rayons du soleil et dont les perforations assurent une ventilation naturelle aux différents espaces. Dans une stratégie esthétique et environnementale, les dodécaèdres en périphérie de la structure sont tronqués de sorte à protéger leurs occupants d’un trop fort ensoleillement. Les surfaces qui en résultent sont utilisées comme support à plus de 15 000 panneaux solaires destinés à compléter l’alimentation énergétique de la mégastructure.
—— Méthode d’intervention des architectes Le projet imaginé par Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM est le résultat d’une démarche entièrement basée sur l’observation et l’apprentissage de la favela Santa Marta. L’immersion dans cet environnement et son étude en deux temps ont été des éléments cruciaux de leur réflexion. Dans une première étape, ils se sont attachés à comprendre le contexte et les différences culturelles que leur offrait la favela, en vue d’y déceler un site potentiel pour leur projet. Suite au choix de leur secteur d’intervention, les trois architectes ont entamé une seconde étape d’observation en se concentrant essentiellement sur les circulations et chemins qui sillonnent le morne. Leur fascination pour ces espaces leur a permis de discerner et d’analyser trois éléments clés. Ceux-ci les ont aidés à poser les bases de leur problématique de projet tout en influençant leurs orientations et leur démarche. Dans un premier temps, ils ont pu noter que le réseau de ruelles et de passages est avant tout une composante essentielle de la vie sociale de la favela. Pratiqué comme un espace de rencontre et d’échange il reflète l’ouverture et l’esprit communautaire qui rapproche ses habitants. Par ailleurs, la complexité de ces circulations et leur apparente désorganisation résultent des conditions particulières de l’apparition de l’habitat informel. Santa Marta, comme de nombreuses favelas, s’est longtemps développée dans un affranchissement total des ré-
seaux. N’ayant aucun impératif de raccordement, les baraquements se sont déployés dans une quasi-liberté avec pour seules contraintes les aspérités du terrain et les constructions déjà existantes. Enfin, les architectes ont analysé ce qu’ils ont perçu comme un paramètre clé de la formation de la vie sociale de la favela : l’importance de la relation entre l’échelle, la densité et la connexion ambiguë des espaces. Ces trois éléments clés les ont conduits à proposer une architecture qui serai capable d’anticiper les besoins futurs de la favela et qui se détacherai du schéma classique des projets entièrement pré dessinés. À travers le Favela Cloud ils souhaitent proposer une nouvelle configuration architecturale qui ne serait pas une simple copie de l’existant, mais un organisme vivant dans et pour la favela.
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Conscient que leur projet peut paraître ambitieux voire utopique les trois architectes le proposent avant tout comme une base de travail. Resté à un stade conceptuel il est présenté comme une proposition d’amélioration et de développement des stratégies urbaines dans les favelas et plus généralement dans les bidonvilles. Par leurs idées, ses concepteurs espèrent inspirer les futurs projets de réhabilitation de l’habitat informel. Ils offrent donc un support de travail en attente d’une réinterprétation. Par ailleurs, à travers le choix d’un site surplombant la favela et d’un design reconnaissable, les architectes revendiquent leur volonté d’orienter les réflexions vers une réintégration de la favela à l’organisation urbaine. Visible depuis de nombreux quartiers de la ville de Rio de Janeiro le projet serait un témoin du renouveau engagé et assurerait un lien visuel entre Santa Marta et la ville conventionnelle en contre-bas. Cependant, la liberté d’un projet aussi conceptuel occulte souvent certaines problématiques rencontrées sur le terrain. Dans cette optique, le projet de l’agence Elemental permet donc d’apprécier avec plus de réalisme toutes les composantes d’une intervention en site déjà construit.
Figure 15 | Lo
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3. ELEMENTAL, CONSTRUIRE AVEC LES HABITANTS —— Contexte : le bidonville Quinta Monroy Pendant près de 50 ans, le bidonville de Quinta Monroy a progressivement grandi au cœur de la ville d’Iquique au Chili. Avec ses 200 000 habitants, cette cité côtière est la capitale de la région de Tarapacá et compte parmi les villes les plus importantes du nord du pays. Elle s’est essentiellement développée au début du 20ème siècle grâce à l’exploitation de ses multiples mines de salpêtre et à travers le développement de son activité portuaire. Depuis une vingtaine d’années, elle a axé sa croissance économique sur la création d’une zone franche destinée à attirer les entreprises étrangères. La station balnéaire aspire également à devenir une version latino-américaine de la ville de Miami en vue d’attirer toujours plus de touristes dans sa région. C’est précisément dans ce contexte de croissance économique qu’est né le projet de réhabilitation de Quinta Monroy. Le terrain occupé par le bidonville est originellement acquis par une société privée au début des années 60. Celui-ci reste longtemps inutilisé si bien que l’un des membres de l’entreprise, monsieur Monroy, obtient l’autorisation d’y installer temporairement une famille dans le besoin. Peu à peu d’autres migrants viennent s’ajouter aux premiers occupants et l’ensemble du site est divisé et loué à des résidents qui s’installent de plus en plus durablement. En 1995, à la mort de monsieur Monroy, personne ne reprend la gestion du site et une véritable bataille judiciaire s’engage entre les habitants du bidonville et la société. Les premiers estiment avoir un droit de propriété sur les lieux au vu de leurs longues années d’occupation, tandis que la seconde réclame la libération ou le rachat du terrain qui lui appartient. L’opposition entre les deux partis est d’autant plus tenace que les habitants de Quinta Monroy ont conscience de la valeur du secteur qu’ils occupent. Sa situation en plein cœur du centre-ville et non loin des plages font de ce site l’un des terrains parmi les plus convoités dans le développement amorcé par la ville d’Iquique.
ocalisation du bidonville de Quinta Monroy 40. Habitat social dynamique et sans dette
Au total se sont donc près de 100 familles qui s’engagent dans une procédure judiciaire qui durera 5 ans. Il faudra ainsi attendre le début des années 2000 et une initiative du gouvernement chilien pour qu’une issue soit enfin trouvée au conflit. C’est en effet à cette époque que le Chili, qui figure parmi les pays les plus riches d’Amérique latine, se lance dans une politique de redressement de son habitat social. Ce domaine est encore peu développé dans le pays contrairement à d’autres, tels la santé, l’environnement ou l’éducation. Ainsi, en 2001, le ministère de l’habitat et de l’urbanisme met en place un programme destiné à améliorer les conditions de vies des Chiliens les plus démunis et à endiguer l’apparition des bidonvilles sur le territoire. Nommé Vivienda Social Dinámica Sin Deuda40 (VSDSD) celui-ci propose une aide de 650$ aux familles les plus pauvres pour les aider à construire un logement sans s’endetter à vie. L’habitation créée doit offrir une surface minimum 25 m² et avoir la capacité de doubler
au fil du temps. À travers cette nouvelle politique, le gouvernement chilien espère réduire son déficit de logement sociaux et encourager la création d’habitations combinant quantité et qualité. C’est dans le cadre de ce programme que sera développé le projet de transformation du bidonville Quinta Monroy.
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Avant sa réhabilitation, le site de près de 5 000 m² accueillait jusqu’à 600 personnes regroupées dans une centaine de baraques. Jusqu’en 1995, chacune d’elles louait le terrain sur lequel elle était installée, mais suite au décès de monsieur Monroy la situation évolue. De nombreuses familles, qui pensaient avoir acquis le droit de propriété de leur terrain, commencent alors à louer des extensions réalisées contre ou sur leurs baraques. À l’origine, le bidonville était essentiellement un lieu d’habitat où quelques initiatives locales avaient permis de créer un point de consultation médical périodique, une école, un théâtre/cinéma, et une chapelle. Lors d’un incendie majeur en 1980 la plupart de ces installations sont détruites. Les deux premières ne seront jamais reconstruites et le cinéma ne perdurera que jusqu’en 2003. La grande proximité avec le centre-ville et la mise en place des transports en commun permettent alors aux habitants de se rendre dans les quartiers alentour. Il en va de même pour l’accès à l’emploi. Le bidonville ne comptait aucune micro-entreprise ou commerces mais profitait de sa localisation au milieu d’un réseau d’opportunités d’emplois et d’activités diverses. Ce site idéal a longtemps constitué la principale menace pesant sur les habitants. Ceux-ci risquaient à tout moment d’être expropriés de leur lieu de vie et déplacés vers des campements loin de toutes opportunités d’intégration à la vie urbaine. À Quinta Monroy, les constructions agglomérées en un dédale labyrinthique se développaient pour la plupart sur plusieurs étages avec un accès systématique à la «rue». En moyenne, on comptait deux chambres par familles bien que près de 40% d’entre-elles devaient se contenter d’une seule et 21% d’une unique pièce d’habitation. Au total près d’un tiers des habitants vivaient dans moins de 30 m² dans des conditions de surpeuplement41. Ces baraques étaient particulièrement insalubres et vulnérables aux incendies, car construites avec des matériaux légers récupérés sur les chantiers des environs : panneaux de bois agglomérés, tubes métalliques, tôles ondulées… À mesure que l’on progressait dans le bidonville, les constructions étaient raccordées de façon de plus en plus incertaine aux réseaux d’égout et d’assainissements présents sur les pourtours du terrain. Ce sont ces conditions de vie alarmantes et la lutte engagée pour la propriété du site qui ont attiré l’attention du programme Chile Barrio et permis la réalisation de l’un des projets de réhabilitation de bidonville parmi les plus médiatisés.
41. D’après un indice défini par le ministère de la planification chilien : 3 personnes ou plus vivant dans une même pièce 42. Institution étatique en charge de l’éradication des bidonvilles au Chili et responsable de l’application concrète du programme VSDSD
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—— Le projet : Elemental Chile Le projet débute en 2002 lorsque des responsables du programme Chile Barrio42 prennent contact avec l’agence Elemental. La commande initiale stipule la construction d’une centaine d’habitations destinées à reloger durablement les résidents du bidonville Quinta Monroy. Cette agence, dirigée par l’architecte Alejandro ARAVENA, a été sélectionnée pour son expérience, mais également pour ses méthodes de travail. Elle est notamment spécialisée dans la recherche et le développement de projets ayant pour objectif d’élever le niveau de vie au Chili, en utilisant la ville comme ressource illimitée pour construire l’égalité. Pour cela, l’agence compte sur la coordination entre acteurs privés et publics dans un processus participatif de prise de décisions. Le projet sera également soutenu et encouragé par le gouvernement régional de Tarapacá et par l’université du Chili. Suite à cette première prise de contact, l’agence débute une phase de conception au cours de laquelle elle sera confrontée à deux problèmes majeurs. D’une part, le budget restreint accordé pour le projet et d’autre part la forte densité du site existant. Ainsi, dans le cadre du programme Chile Barrio, un budget de 7 500$ par famille est attribué à la réalisation du projet. Cette somme est supposée couvrir l’achat du terrain, la gestion des infrastructures et les constructions. Malheureusement, dans le cas de Quinta Monroy, ce budget est beaucoup trop restreint compte-tenu du prix du terrain qui représente près de trois fois plus que ce que le logement social pourrait supporter. Les architectes ont donc travaillé différemment pour proposer un projet viable, et ce, en se basant sur un budget global de 750 000$ pour les 100 familles. Celui-ci est destiné à l’achat du terrain et la construction d’une partie de chaque logement. L’agence Elemental a ainsi fait le pari de ne construire que les éléments structurels et sanitaires tandis que le reste des habitations et les divers aménagements sont confiés aux soins des habitants. Les murs et dalles séparatifs entre les logements ainsi que les sanitaires et escaliers sont donc réalisés sous la tutelle de l’agence et avec le concours d’entreprises spécialisées. Ce choix a permis à l’agence à la fois de respecter le budget imposé, mais également de proposer des logements solides et durables à chaque habitant.
Figure 16 | Les typologies écartées
La typologie retenue par les architectes émane quant à elle d’une réflexion menée autour de la densité optimale à conserver sur le site. Les 100 familles devant pouvoir être relogées sur un terrain de seulement 5 000 m², il a donc fallu trouver une proposition innovante. En implantant un logement par lot ils ne pouvaient reloger que 33 familles. En choisissant une typologie plus répandue dans l’habitat social, à savoir deux étages de logements sur un lot, c’est 66 familles qui pouvaient retrouver un toit. Enfin, en proposant un bâtiment de 100 logements sur un unique lot ils étaient en mesure de reloger toutes les familles, mais les privaient de toute opportunité d’adaptation ou d’extensions de leurs appartements. Les architectes ont finalement opté pour une solution combinant les deuxièmes et troisièmes options. Ainsi, sur un lot deux logements sont construits et se développent sur trois niveaux. Les habitations dé-
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coulant de cette typologie sont suffisamment poreuses pour permettre à chaque famille de réaliser une extension de son lieu de vie. Édifiés entre 2003 et 2004, les logements ont donc été imaginés pour offrir aux résidents un habitat évolutif et extensif. Les 36 premièrs mètres carrés sont construits par l’agence Elemental et 34m² peuvent être ajoutés selon besoins et possibilités des propriétaires (voire annexe 2.1 et 2.3 _ p.88 et 91). La structure en béton armé a été conçue spécialement pour accueillir ces futures extensions et l’ensemble des choix constructifs a été fait dans l’optique d’offrir aux habitants de meilleures conditions de vie que celles connues jusqu’alors. Pour les dalles et murs principaux, les architectes ont privilégié l’emploi de matériaux résistants et solides tels les parpaings et briques de ciments afin de proposer une meilleure isolation phonique aux logements. Ceux-ci sont également dotés de grandes baies assurant une ventilation et un éclairage naturel optimal à chaque pièce. Afin d’offrir une atmosphère plus chaleureuse aux espaces, les menuiseries intérieures et les escaliers sont réalisés en bois. Chaque unité d’habitation créée se compose de deux logements (voire annexe 2.2 _ p. 90). Le premier est construit de plain-pied et relié à un patio. Le second est implanté en duplex au-dessus du précédent. Tous deux disposent des mêmes équipements et d’un accès privé depuis l’espace public totalement réaménagé. Soucieux d’offrir des espaces extérieurs généreux, les architectes ont choisi de regrouper les habitations et de les répartir selon quatre secteurs d’une vingtaine de logements. Chaque groupe se développe autour d’une cour centrale qui fonctionne comme un espace collectif dont l’aménagement est là encore du ressort des résidents. Ces cours disposent d’un unique accès à la rue et servent autant de parking que d’espaces de rencontre et de jeu sécurisé pour les enfants.
Figure 17 | Le projet lors de sa livraison
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—— Méthode d’intervention des architectes
Figure 18 | Le projet habité quelques années plus tard
À l’origine, le projet Elemental est un concours international lancé par Alejandro ARAVENA et Andrés IACOBELLI dans le but de savoir construire un habitat social bon marché, évolutif et capable de s’intégrer dans un quartier sans générer de surdensité. Les deux architectes ont travaillé à l’organisation du concours parallèlement au projet d’Iquique. Celui-ci représentait donc une opportunité idéale pour affiner les modalités et exigences du concours en les confrontant à la réalité d’une première expérience. En 2004 suite à la transformation de Quinta Monroy, l’équipe d’Elemental soumet son projet au FONDEF43 et gagne le financement nécessaire pour le mettre en œuvre. Lancé officiellement en juillet 2004, le concours avait pour but de centraliser les idées de grands architectes internationaux au service du développement de l’habitat social au Chili. Au total, 520 équipes (étudiants ou professionnels) en provenance des 5 continents répondront à l’appel. 7 candidats seront retenus afin de réaliser dans chacune des 7 régions chiliennes, un complexe de logements répondant aux critères du programme VSDSD : BOG arquitectos (Espagne), Office dA (Etats-Unis), Pasel & Kunzel (Pays-Bas), Fernández. Hernández & Labbé (Chili), ONA arquitectes (Espagne), Baptista & Equipo(Uruguay), Makowski, Dojc & Rosas (Venezuela). L’intérêt de choisir la commande d’Iquique comme projet de vérification du concours résidait dans les deux des conditions fixées par Chile Barrio. En effet, cette institution imposait à la fois à Alejandro ARAVENA et son équipe d’impliquer les habitants dans la réalisation de leur logement et de proposer un projet sur le site de l’ancien bidonville.
Figure 19 | Plan du quartier organisé autour des quatre cours 43. Fond pour la promotion du développement scientifique et technologique 44. Un quartier pour ma famille
Concernant la participation des habitants, l’agence choisira d’aller plus loin et de les faire participer à la totalité des étapes du projet, de la phase de conception à la construction des logements. Afin d’assurer le lien entre les architectes et les habitants, un projet de type Do Tank nommé «Un barrio para mi familia»44 a été mis en place. Les réunions organisées dans ce cadre se sont déroulées en trois phases.
Dans un premier temps, les habitants étaient invités à venir dessiner ou décrire leur logement et quartier idéal afin de permettre aux architectes de saisir leurs attentes et les enjeux du projet. Suite à cela, une première proposition concernant le choix des typologies d’habitation a été soumise aux résidents. Des réunions régulières leur ont permis de choisir et améliorer leur logement tout en mettant en place les premières règles de voisinages. Cette phase s’est déroulée pendant toute la durée des travaux et était ponctuée de visites de chantier. Celles-ci ont permis aux habitants de suivre l’avancement de la construction et de rencontrer les entreprises. Enfin, après la livraison et la réception de leur acte de propriété, les résidents ont été invités à prendre possession de leur logement en s’investissant dans l’aménagement et les extensions dont ils avaient besoin ou envie.
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La mise en place du Do Tank a également été essentielle pour permettre le bon déroulement du projet sur le site même de l’ancien bidonville. Au vu des nombreuses années de bataille judiciaire pour la propriété du site, les architectes ont dû faire preuve de beaucoup de patience pour gagner la confiance des habitants. Déplacés pour un temps dans un camp provisoire en périphérie de la ville ou chez des proches, la plupart d’entre eux se sont opposés au projet de peur qu’il ne s’agisse d’un leurre pour les exproprier. Grâce à l’organisation régulière des réunions d’informations, les architectes ont su convaincre peu à peu les habitants de prendre part à la démarche de projet qu’ils leur proposaient. Bien que l’objectif de reloger les habitants sur le site de leur bidonville ait été imposé, elle s’intègre à la vision de l’agence Elemental. Celle-ci a en effet axé son travail sur le respect de l’habitat original des résidents, soucieuse de leur fournir des logements durables et confortables. La typologie retenue et les possibilités d’extensions des logements respectaient le mode de vie qui préexistait et était donc familier aux habitants. L’ensemble de cette démarche peut se résumer par le leitmotiv de l’agence hacer mas con lo mismo45 qui décline bien les objectifs de l’agence, à savoir, proposer une architecture innovante et de qualité au service de projets ayant un réel impact social. Une architecture qui résulte avant tout de la coordination des tous les acteurs regroupés dans la conception d’un bâtiment qu’ils soient clients, constructeurs, ingénieurs, ou financeurs.
45. Faire plus avec la même chose
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UNE SOURCE D’INSPIRATION POUR UN RENOUVEAU DE LA CULTURE ARCHITECTURALE
Le témoignage des architectes et les deux projets analysés ont donc permis de mieux cerner les différents enjeux de l’intervention d’un architecte dans les bidonvilles. Ainsi, s’il a de nombreuses compétences à faire valoir dans un tel contexte, il doit également être prêt à se confronter à des problématiques souvent bien différentes de celles qu’il rencontre en agence. Pourtant, en se référant au cercle vertueux évoqué, il est possible d’envisager ces enjeux du point de vue inverse. De cette façon, ils peuvent être une source d’innovation tant à l’échelle de la pratique de l’architecte qu’à celle des constructions ou de la ville elle-même.
1. VERS UNE ÉVOLUTION DE LA PRATIQUE DE L’ARCHITECTURE —— Remise en question de la démarche de projet À travers son intervention dans les bidonvilles, l’architecte est avant tout confronté à une tout autre démarche de projet que celle qui lui est familière. S’il est habitué à travailler en s’appuyant sur une méthode et un planning précis, l’architecture qu’il rencontre dans les quartiers informels résulte à l’inverse d’un processus généralement non planifié ou déterminé. Ainsi, dans l’architecture savante, la construction d’un bâtiment découle d’une démarche en deux temps. Avant la phase de construction qui permet la concrétisation de son travail, l’architecte procède à une phase préparation qui lui est spécifique et caractéristique. Au cours de cette première étape, le projet est conceptualisé dans sa volumétrie, son organisation spéciale, sa matérialité ou encore sa structure. Dans l’architecture savante, cette phase préparatoire possède une double vocation. Elle permet, non seulement, de guider la phase de construction, mais également de fournir les outils nécessaires à tous les ajustements souhaités par les clients, entreprises ou structures impliquées dans le projet. Dans l’architecture informelle, cette phase conceptuelle est totalement absente du processus de construction. L’habitant du bidonville étant à la foi client, architecte, ingénieur et constructeur, il ne passe que très rarement par une étape d’avant-projet. La structure bâtie ne dépend pas de plans préétablis, mais répond plutôt à des besoins et contraintes simples. Chaque abri est construit en fonction des matériaux trouvés, de l’agencement adopté et des contraintes du site. Aucun autre paramètre ne vient influencer le projet et ce sont précisément ces élé-
ments qui font la richesse et l’originalité de l’architecture informelle. En effet, puisqu’elle ne cherche pas à répondre à un plan déterminé, elle peut être en constante évolution, et ce, au gré des trouvailles des habitants. Cette démarche conduit indéniablement à une forme d’architecture profondément fonctionnelle et calquée sur les besoins concrets des habitants.
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Au-delà de ces deux méthodes de travail, ce sont deux temporalités bien distinctes qui sous-tendent l’architecture savante et l’architecture informelle. L’architecture générique se construit en effet à travers une démarche de réflexion très linéaire. Différentes étapes s’enchainent, se chevauchent parfois, et ce, dans une temporalité totalement dirigée qui ne souffre que peu de digressions. Tout projet débute ainsi par une rencontre entre client et architecte. Celle-ci est destinée à établir un programme précis et à lister les contraintes ou le cadre du projet. L’étape suivante consiste en la réalisation d’esquisses permettant de fixer les premières intentions de l’architecte. Celles-ci sont ensuite affinées et ajustées aux contraintes du site, des clients et de la structure au cours d’une étape d’avant-projet. La phase de construction commence enfin et fait suite au choix des différentes entreprises intervenant sur le chantier. À l’issue de ces étapes, l’architecte procède alors à la livraison du bâtiment qui marque alors la fin définitive du processus architectural. Les objectifs et les ambitions initiales doivent être atteints et l’édifice ressembler aux projections établies. Ce fonctionnement est là encore très particulier à l’architecture savante. Le début et la fin précis de la démarche architecturale sont sans doute les éléments qui la distinguent le plus de la démarche adoptée dans les quartiers d’habitat informel. Ainsi, dans les bidonvilles, la pratique de l’architecture se fait à travers un processus beaucoup plus long qui ne souffre pas réellement de fin. Puisqu’elle n’est ni planifiée ni dessinée, l’architecture informelle débute dès lors qu’un individu a besoin de se loger. Il accumule alors des matériaux récupérés dans des décharges publiques ou des chantiers et commence à composer une première structure. Sur celle-ci, il greffe progressivement toiture et parois. L’abri va ensuite évoluer au gré des intempéries, des besoins des habitants, et de la découverte de nouveaux matériaux. L’architecture est donc pratiquée dans un processus de va et viens, rythmé soit par le remplacement et l’amélioration d’éléments déjà assemblés, soit par l’ajout de nouvelles compositions destinées à agrandir l’habitation. Même une fois construite «en dur», la maison est encore susceptible d’évoluer et de s’équiper. De cette façon, l’habitation observée à un moment précis n’est qu’une étape résultant d’un cumul de tentatives et d’essais que Jean Paul LOUBES identifie à une forme de bricolage. Ainsi, si l’architecte procède dans une démarche qui consiste à créer ou transformer un espace dans un temps précis, dans le bidonville c’est le temps qui est à l’origine de l’évolution de la construction. D’après l’architecte Paula BERENSTEIN JACQUES : «Les architectes ont l’habitude de spatialiser le temps tandis que les favelados agissent plutôt en temporalisant l’espace»46. La temporalité de l’architecture informelle est une richesse qui offre une grande liberté dans la construction, mais elle est sans doute également l’une des données les plus complexes à intégrer à la pratique savante.
46. BERENSTEIN JACQUES Paula, Esthétique des favelas, L’Harmattan, esthétiques, Paris, 2002, p.97
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Bien qu’ils aient également agi par contrainte financière, les architectes de l’agence Elemental ont su prendre en compte caractéristique de l’architecture informelle dans leur projet pour les habitants de Quinta Monroy. La construction partielle des logements à permis de laisser aux résidents le soin de faire évoluer leur habitat selon leurs moyens et leurs besoins. De cette façon, l’équipe d’Alejandro ARAVENA a été à même de renoncer à livrer des bâtiments entièrement finis et figés en acceptant de ne maîtriser qu’une partie infime de la forme finale des habitations.
—— La fin de l’architecture signée La question de la temporalité de projet évoquée précédemment soulève également une problématique en relation directe avec le tournant pris par l’architecture au 21ème siècle. Celle-ci bénéficie d’une toute nouvelle couverture médiatique qui entraine une transformation profonde dans le rapport entretenu par certains architectes avec leurs projets. Considérée comme le premier des 9 arts définis au 20ème siècle, l’architecture savante offre l’opportunité à chaque architecte d’exposer le fruit de son travail aux yeux de tous. Comme dans la peinture ou la sculpture, l’objet architectural a très tôt été utilisé comme un élément de représentation et est souvent signé. Il représente ainsi l’identité et le style de son concepteur. Si cette signature a longtemps été le symbole de la propriété artistique de l’objet architectural, elle s’est peu à peu transformée sous l’impulsion d’un nouveau type de médiatisation du domaine. Ainsi d’un simple nom gravé discrètement sur un élément de l’édifice, la signature de l’architecte a progressivement évolué au point d’être désormais incarnée par le bâtiment tout entier. L’émergence de techniques constructives toujours plus perfectionnées et l’usage des nouvelles technologies dans la conception ont apporté une certaine forme de liberté au projet architectural. Pour se démarquer, les architectes composent des bâtiments audacieux aux formes de plus en plus spécifiques et caractéristiques de leur style. L’objet architectural a désormais une nouvelle fonction et peut être utilisé comme un outil de communication et de publicité en faveur de son concepteur. À travers une signature qui leur est propre, certains architectes se sont ainsi hissés au rang de stars et il n’est pas rare que l’un d’entre eux soit sélectionné au regard de son identité plastique bien plus que pour la qualité des espaces qu’il compose. Il est également de plus en plus fréquent qu’il soit commandé à un architecte un bâtiment dans le style de ceux qui ont fait sa renommée. Une fois livré, cet édifice possède l’identité et les qualités attendues par les maîtres d’ouvrages, mais est bien souvent également contraint par un certain nombre de règles d’entretien et d’usage. En tant que représentation de l’intervention de tel ou tel architecte célèbre, le bâtiment est figé dans l’état du jour de sa livraison et privé de toute possibilité d’évolution dans le temps.
Dans le bidonville, l’architecte est confronté à une tout autre problématique. Il est très rarement choisi par les habitants, mais leur est plus généralement imposé et doit de ce fait être capable de gagner leur confiance. Plutôt que de travailler pour un client avec des exigences précises, il est appelé à composer avec une communauté souvent méfiante et dans un environnement qu’elle a déjà construit. Comme le soulignent la plupart des architectes interrogés dans le cadre de ce travail, dans cette situation, l’architecte doit se défaire de sa quête de prestige pour se mettre au service des habitants et de leurs besoins. Cette réorientation semble plus qu’essentielle dans un contexte où la solution la plus adaptée est sans doute celle qui consiste à s’effacer au profit de l’architecture et de l’organisation communautaire déjà en place. Plutôt que de produire un bâtiment signature dans le bidonville, l’architecte est appelé à travailler dans un rapport étroit avec les résidents pour trouver des solutions adaptées avec eux et pour eux, dans le but de valoriser leur architecture. En plaçant la démarche participative et communautaire qui préexiste dans les bidonvilles au cœur de sa stratégie de projet, l’architecte et urbaniste Lucien KROLL avait déjà compris l’importance pour l’architecte d’abandonner son rôle de bâtisseur omniscient. Il écrit ainsi : «Laisser faire est bien plus efficace que tout cadrer. Ce que nous appelons participation des habitants est un moyen de rassembler des intentions diverses, en désordre, contradictoire même. Elles nous font échapper à l’artifice rationaliste, mais elles ne sont utiles qu’à ceux qui sont décidés d’y obéir et qui possèdent un style d’architecture qui les tolère : il faut être prêt à tout…»47
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D’après cette affirmation, l’architecte qui travaille dans le bidonville est appelé à renoncer à son rôle d’unique concepteur de la forme architecturale. Il doit plutôt apprendre à continuer tout simplement ce que les habitants ont déjà commencé, sans nécessairement imposer de nouvelle construction ou copier celles qui préexistent. À travers ce renoncement, il accepte de travailler à des projets qui ne sont plus figés, mais destinés à évoluer, et ce dans la même dynamique que celle qui caractérise le bidonville. Ces derniers ont de ce fait d’autant plus de chances d’être acceptés et réappropriés par leurs occupants. Ainsi, la pratique de l’architecture dans les bidonvilles peut enrichir la culture architecturale en replaçant l’architecte dans un autre rapport à son œuvre. Il n’est plus l’artiste et le concepteur unique qui en détient toute la propriété, mais celui qui, à travers un travail en collaboration avec d’autres acteurs, réapprend à concevoir des bâtiments au service de leurs usagers.
—— Une nouvelle définition du rôle de l’architecte Avec l’émergence et le développement croissant de l’habitat informel et plus généralement de l’auto construction, il est de plus en plus courant d’entendre des théoriciens annoncer la disparition probable de la figure de l’architecte. Habitué au rôle de constructeur il est en effet confronté à une époque de redistribution des savoirs qui lui impose de reconsidérer son rôle. Dans le cadre de son travail de recherche autour des favelas de Rio de Janeiro, Paola
47. «Comment intervenir sans empêcher l’autre de construire, entretien avec Lucien KROLL», in Enfin l’architecture (LE DANTEC JeanPierre), Autrement, Paris, 1984, p.140
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BERENSTEIN JACQUES a rencontré le responsable de chantier de l’agence Casé, en charge de l’un des premiers projets réalisés sous l’égide du programme «Favela Bairro» et destinés à ré urbaniser les favelas. Au cours de cette interview, l’architecte Frederico PAIONE, interrogé sur les principales difficultés de cette entreprise, reconnaissait le «tort des architectes de vouloir toujours construire quelque chose de nouveau quand, dans ce projet, l’idée principale était plutôt celle d’un simple réaménagement urbain, sans prévision de bâtiments nouveaux ou sans récupération d’anciens.»48 En s’appuyant sur ce constat, Paola BERENSTEIN JACQUES explique que ce n’est donc pas l’architecte qui est voué à disparaître, mais plutôt l’ancienne figure de l’architecte. En abandonnant sa fonction de concepteur démiurge, il est désormais appelé à remplir un nouveau rôle répondant à ce qu’elle nomme un «architecte-urbain». Ces nouveaux architectes seraient «amenés à intervenir dans l’espace urbain, non comme des urbanistes, car leurs interventions se situent dans des échantillons beaucoup plus réduits […] Il s’agit en effet d’une façon de faire de l’architecture sans le «souci de construire», c’est là une conception de l’urbanisme de proximité»49. Dans une démarche très proche, Jean Paul LOUBES considère que les architectes vont progressivement devoir abandonner la poursuite des grosses interventions architecturales pour se concentrer sur des améliorations plus simples, mais plus concrètes opérées dans les bidonvilles. Parmi ces actions, l’architecte va être amené à travailler autour de la question des titres de propriété et de l’accès à une adresse, sans lesquels l’habitant ne peut se construire un projet de vie pérenne et stable. Ainsi, à l’heure où de plus en plus d’individus se passent de son expertise, l’architecte devra donc être capable de s’affranchir de la construction systématique pour étendre la mise à disposition de ses compétences vers un domaine plutôt orienté vers l’observation et l’accompagnement des habitants. Conscients de la complexité des formes urbaines composées par les bidonvilles, de nombreux architectes se sont progressivement engagés dans ce processus de renouvellement de leur pratique. Plutôt que de répondre seuls aux diverses sollicitations rencontrées dans des contextes urbains aussi diversifiés et complets, ils choisissent de s’associer à des professionnels spécialisés dans des domaines complémentaires au leur : urbanistes, géographes, sociologues, anthropologues… En travaillant dans des équipes pluridisciplinaires, ils profitent ainsi de l’expertise de chacun pour apporter des solutions toujours plus pertinentes. À travers ce type de démarche, la culture architecturale s’enrichit donc d’une nouvelle forme de pratique qui offre aux architectes la possibilité de se projeter toujours plus loin, et de cette façon, de mieux comprendre et composer avec les enjeux de la ville de demain.
49. BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio, un enjeu culturel, L’Harmattan, Nouvelles études anthropologiques, Paris, 2001, p.170 48. BERENSTEIN JACQUES Paola, op. cit., 2001, pp.150-151
2. L’HABITAT INFORMEL, MOTEUR D’INNOVATIONS —— Une fascination esthétique Les bidonvilles sont dotés d’une esthétique particulière et fascinante reconnue depuis bien longtemps dans divers domaines artistiques. Celle-ci dépend avant tout de la capacité de la personne qui les regarde à se détacher des clichés pour s’intéresser à d’autres éléments qu’à la misère des constructions et des habitants. Si dans chaque pays, voire chaque ville, l’aspect de l’habitat informel peut sensiblement varier, une caractéristique les rapproche tout particulièrement. L’irrégularité des constructions et leur organisation génèrent une forme de labyrinthe urbain qui possède une esthétique qui lui est propre, et qui née de l’accumulation. Ainsi, quelles que soient l’époque et l’échelle (urbaine ou architecturale), les objets du bidonville s’apparentent à des patchworks de matières, de couleurs et de formes distinctes. Chaque construction est une œuvre d’art en formation et en évolution perpétuelle. Elle s’insère dans une composition encore plus vaste que Paola BERENSTEIN JACQUES défini comme une «réserve d’art, un potentiel artistique»50 qui est révélé par le regard qui lui est porté. Bon nombre d’artistes ont ainsi utilisé ces espaces urbains non seulement comme une source d’inspiration dans leur pratique, mais également comme un support pour leur art. Les bidonvilles sont peints, travaillés sous forme de sculptures ou réinterprétés à travers divers types d’installations. À Rio de Janeiro, les favelas sont particulièrement représentatives de cette réappropriation artistique. Leur développement vertical le long des mornes de la ville les rend visibles depuis la plupart des quartiers et leur esthétique si caractéristique est devenue un outil d’exposition idéal. Au cours des deux dernières décennies, elles ont accueilli un certain nombre de projets artistiques. La plupart d’entre eux ont donc permis aux favelas de bénéficier d’une couverture médiatique internationale plus positive qu’à l’accoutumée
Figure 20 ▲ Bidonville City _ Sculpture en polyrethane de l’artiste belge Arne QUINZE Figure 21 ► Projet 28 Millimètres, Women are heroes au Brésil _ JR- 2012
Figure 22 ▼ Projet Favela Painting à Santa Marta_ Haas&Hahn- 2010
50. BERENSTEIN JACQUES Paola, op. cit., 2002, p.19 51. BERENSTEIN JACQUES Paola, idem., 2002 52. HOLLIER Denis, La prise de la Concorde, Gallimard, Paris, 1993, p.66
en faisant enfin abstraction des problèmes de criminalité qui les caractérisent trop souvent. Parmi ces projets, les images produites dans le cadre de l’aventure Favela Painting ont fait le tour de la planète. Mené par le duo d’artiste Haas&Hahn (Jeroen Koolhaas et Dre Urhahn), ce projet débute en 2005 suite à un film qu’ils tournent dans les favelas. En observant la diversité des constructions de l’une d’entre elles surnommée Villa Crusero, ils ont l’idée d’en repeindre les façades afin de composer une œuvre d’art géante au vu de tous. Au-delà de la motivation artistique, ce projet a également pour ambition d’aider les habitants à terminer leurs habitations en ajoutant crépis et couleurs à leurs murs de briques nus. Avant de se lancer dans la transformation de la favela, Haas&Hahn ont réalisé quelques œuvres ponctuelles, dont l’une se situe à Santa Marta. Celles-ci leur ont assuré une meilleure connaissance de leurs milieux d’intervention tout en leur permettant d’établir un premier contact avec les habitants. Toujours en cours de réalisation, Favela painting utilise donc les favelas comme une source d’inspiration et un support à l’œuvre artistique, mais également en tant que surface d’exposition et médium d’automédiatisation. De nombreux projets de cette envergure sont régulièrement menés dans les bidonvilles et le regard de ces artistes souligne et révèle ainsi tout le potentiel esthétique dont ils sont dotés. Dans l’architecture savante, les exemples de réappropriation de l’esthétique des formes architecturales du bidonville restent plus rares. En effet, si l’esthétique si particulière de l’habitat informel fascine, elle est également l’aspect sur lequel il se distingue le plus de l’architecture conventionnelle. Que ce soit dans la démarche de projet ou dans l’aspect final de la construction, le caractère esthétique est une donnée qui est envisagée de deux façons diamétralement opposées dans ces deux pratiques de l’architecture. D’après Paola BERENSTEIN JACQUES51, l’architecture savante s’affirme depuis toujours comme un art à travers un geste esthétique affirmé qui est souvent à l’origine d’un projet. Comme l’a écrit le sociologue français Denis HOLLIER : «l’Architecture serait ce qui dans un édifice ne se ramène pas à la bâtisse, ce par quoi une construction échappe à l’espace purement utilitaire, ce qu’il y aurait en elle d’esthétique»52. Cette donnée est donc primordiale pour l’architecte qui cherche à dépasser les attentes fonctionnelles d’un espace et y adjoint une interprétation traduite par un sens artistique qui lui est propre. L’aspect définitif de la construction est donc généralement pensé dès l’origine du projet et agit comme un fil conducteur dans toute la conception de celui-ci. À l’inverse, dans le bidonville, l’esthétique des objets architecturaux résulte avant tout de la composition aléatoire des différents éléments. De la même manière que le projet n’est pas imaginé au préalable, son aspect esthétique ne guide pas la construction, mais se dessine plutôt au gré des trouvailles des résidents. De concert avec l’habitation, l’apparence extérieure de celle-ci évolue en permanence et s’adapte aux besoins des usagers. Ainsi, contrairement à l’architecture savante où ce sont des règles esthétiques qui qualifient ou valorisent un projet, dans l’architecture informelle seules les caractéristiques fonctionnelles de l’habitation priment. En effet, l’esthétique ne fait que très rarement partie des préoccupations du
constructeur et est ainsi souvent qualifiée d’accidentelle. Tout comme celle du bidonville tout entier, la beauté de l’abri est éphémère et est prise dans un mouvement permanent et insaisissable. Pourtant, comme le soulève Paola BERENSTEIN JACQUES, pour l’architecte, accepter l’existence d’une esthétique dans l’architecture informelle nécessite de bousculer un certain nombre de ses préjugés et de ces certitudes. Il doit être capable de céder le «monopole esthétique de l’architecture»53 pour pouvoir intégrer les formes esthétiques du bidonville dans sa pratique et sa culture architecturale. Certains ont déjà franchi ce pas comme le prouve le projet de l’agence hollandaise MVRDV pour un nouveau quartier d’habitations à Liuzhou (Chine). Encore en phase d’étude, cette mégaconstruction s’inspire non seulement de l’esthétique, mais également des stratégies d’implantations du bidonville de la ville de Caracas au Venezuela.
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—— Des techniques constructives innovantes et audacieuses Comme le prouve le projet de l’agence MVRDV cité précédemment, les méthodes constructives et les stratégies urbaines des bidonvilles peuvent également être source d’inspiration pour les architectes. Bernard RUDOFSKY insistait déjà en 1964 sur l’importance de savoir dépasser l’aspect esthétique de l’architecture sans architecte pour pouvoir y déceler des qualités constructives : «La beauté de cette architecture a longtemps été rejetée puisqu’accidentelle, mais aujourd’hui nous devrions être en mesure de la reconnaître comme le résultat d’un rare bon sens dans la gestion des problèmes pratiques.»54 Les quartiers d’habitat informel sont ainsi devenus des lieux propices au développement d’innovations techniques bien souvent fortuites. En effet, avec la réappropriation progressive des responsabilités constructives par des individus novices il n’est pas rare de trouver dans les bidonvilles des solutions architecturales très audacieuses. Celles-ci sont le résultat de la nécessité de construire malgré les contraintes du site et en dépit des difficultés liées à l’association de matériaux de seconde main. À travers son étude de l’architecture vernaculaire, Bernard RUDOFSKY a souligné que la plupart des grandes innovations techniques de ces 50 dernières années sont en réalité des procédés déjà éprouvés depuis des siècles dans des communautés traditionnelles. L’architecture vernaculaire se construit dans un tel rapport avec le site qu’elle sait tirer parti de chacun de ses avantages et se protéger des nuisances qu’il crée. Ainsi de nombreuses solutions techniques que nous employons sont en réalité inspirées des méthodes de ventilation ou de chauffage, des stratégies d’orientation ou de contrôle de la lumière ou encore des modes d’implantation dans le terrain éprouvés depuis des siècles dans l’architecture vernaculaire. L’architecture informelle ayant été définie comme la version contemporaine de cette
53. BERENSTEIN JACQUES Paola, op. cit., p.19 54. “The beauty of this architecture has long been dismissed as accidental, but today we should be able to recognize it as the result of rare good sense in the handling of practical problems”, RUDOFSKY Bernard, op.cit., p.10
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dernière, elle est en quelque sorte une actualisation de ces techniques ancestrales. Les matériaux employés ont ainsi évolué, mais les procédés architecturaux relatifs au site sont toujours aussi efficaces. L’utilisation du cobogó dans les favelas de Rio de Janeiro est un exemple des plus concrets. Par ailleurs, ces techniques se sont également enrichies à travers la mise en commun des traditions et savoirs ancestraux issus de la culture de chaque individu de la communauté. Les constructions audacieuses qui en résultent commencent ainsi à intéresser les architectes. De cette manière, l’architecture informelle s’intègre d’une certaine façon d’ores et déjà dans notre culture architecturale dans le sens où elle fait appel à des techniques et des procédés constructifs inspirés de l’architecture vernaculaire et que l’architecture moderne se réapproprie progressivement. Pourtant, cette reconnaissance n’est encore que très partielle, et gagnerait à trouver aux yeux des architectes un intérêt réel, notamment à travers les matériaux qu’elle met en œuvre. À l’heure d’une crise écologique mondiale sans précédent, les techniques constructives employées dans les bidonvilles gagnent de plus en plus à être étudiées. De nombreux architectes ont déjà compris que la diminution de l’impact du domaine de la construction sur l’environnement pouvait passer par une modification de nos réflexes en matière de choix de matériaux. En ce sens, de petits collectifs s’organisent progressivement avec pour objectif de promouvoir l’emploi de matériaux de seconde main non seulement dans le domaine de l’ameublement, mais également dans le celui de la construction.
Figure 23 | Le projet de l’agence MVRDV en Chine... Figure 24 | ... et les bidonvilles de Caracas dont il s’inspire
Si la première utilisation est de plus en plus courante avec la reconversion de mobilier ou la transformation de matériaux industriels en objet design, dans le domaine de la construction, la pratique est encore très rare. Le collectif d’architectes belges ROTOR explique pourtant que le recours à de nouvelles techniques constructives est devenu indispensable et qu’il n’est désormais plus possible de continuer à bétonner qu’importe les conséquences. Si certains prônent le retour à des matériaux constructifs ancestraux comme le bois ou
la paille, les membres du collectif ROTOR ont plutôt choisi de s’orienter vers l’usage de rebus et de matériaux de seconde main. Ils s’inspirent de cette manière des pratiques du bidonville malgré l’impopularité de ces techniques. En effet, l’absence de garanties et d’assurances peut être relativement rebutante pour les architectes qui chercheraient à s’y intéresser. Par ailleurs, malgré la quantité de déchets produits par le domaine du bâtiment chaque année, l’usage de ces matériaux apporte certaines contraintes supplémentaires à l’exercice de projet. La disponibilité d’un même matériau en quantité suffisante et doté de qualités structurelles suffisantes à une date précise n’est jamais garantie. Elle limite ainsi les projets de trop grande envergure ou implique d’adopter une démarche de conception calquée sur celle des habitants du bidonville en acceptant que ces projets soient amenés à évoluer. En vue de développer le recyclage des matériaux par l’architecture, ROTOR s’emploient donc à former les architectes à l’usage de ces rebus du bâtiment et propose un inventaire des matériaux disponibles. Ainsi, si dans les bidonvilles l’usage des rebus comme matériaux constructifs se fait par contrainte financière, la démocratisation et l’organisation de cette pratique dans l’architecture savante tendent elles aussi à devenir une nécessité environnementale. Cette première étape d’une interaction entre les deux pratiques prouve que l’architecture informelle a une place toute légitime dans la culture architecturale.
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—— Une autre manière d’habiter D’après Jean Paul LOUBES, «Le Mouvement Moderne, mondialisation du phénomène de l’habitat, précédait de quelque soixante-dix ans celle de l’économie. Universaliste, il travaillait à l’édification d’un homme nouveau qui transcenderait les cultures.»55 Cette critique du mouvement moderne est une remise en question des convictions trop universalistes des architectes du début du 20ème siècle. Convaincus que tous les Hommes ont les mêmes besoins, ils répandent peu à peu un modèle d’architecture unique calqué sur leur propre culture architecturale et leurs attentes personnelles. La machine à habiter56 s’exporte aux quatre coins du monde sous des formes des plus discutables, et ce sans se préoccuper des cultures locales. C’est donc une architecture hors sol et totalement déconnectée du lieu et des traditions qui devient alors le modèle architectural le plus répandu. Aussi intelligents et doués qu’ils l’aient été, les architectes du siècle dernier n’ont pas pu anticiper les conséquences que pouvait avoir cette uniformisation de l’architecture si bien qu’au milieu des années 70 l’architecte britannique James STIRLING expliquait à l’université de Yale que «99% de l’architecture moderne est ennuyeuse, banale, aride et incongrue». En effet, en généralisant l’usage d’une architecture type, qu’importe le contexte, elle a perdu une grande partie de ce qui faisait sa richesse à commencer par la notion d’habiter. L’habitat tel qu’il s’est répandu dans beaucoup de sociétés est dépossédé de tout son héritage culturel et tra-
55. LOUBES Jean Paul, op.cit., p.32 56. Nom utilisé par Le Corbusier pour définir l’importance et le rôle que devrait jouer l’habitat dans la vie d’un individu. Il en propose une interprétation très fonctionnaliste.
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ditionnel ainsi que de son rapport avec le génie du lieu où il s’implante. La notion d’habiter se résume actuellement aux fonctions primaires : se nourrir, se reposer, circuler, s’oxygéner. Pour Paola BERENSTEIN JACQUES, le favelado n’habite pas, mais il s’abrite. Elle explique que la distinction entre habiter et s’abriter se situe dans l’aspect temporaire et provisoire du second. Bien que dans la plupart des cas, la situation se pérennise, les constructions établies dans les bidonvilles sont imaginées comme des structures qui ne sont pas supposées s’établir durablement. Pourtant, en observant leur organisation architecturale, urbaine et sociale ; les secteurs d’habitats précaires semblent bien plus proches de la notion d’habiter que ne le sont une grande part des constructions modernes. En effet, dans le bidonville les baraques s’apparentent plutôt à des maisons qu’au modèle de logements du type appartement qui est le plus répandu dans la ville conventionnelle. Cette forme d’habitat s’inspire notamment de l’habitat rural et de l’architecture vernaculaire hérités des origines campagnardes d’une grande partie des résidents des bidonvilles. Ces formes architecturales sont ainsi le reflet du parcours, du mode de vie et de la culture de leurs occupants transposés dans un nouveau site périurbain. En ce sens, les bidonvilles pourraient être le lieu d’une redécouverte du sens profond de la notion d’habiter avec tous les impacts bénéfiques que cela peut avoir sur l’Humain. L’une des représentations parmi les plus remarquables de cette différence entre habitat de la ville et habitat dans les secteurs informels réside notamment dans le rapport à l’espace public développé par chacun. Là où de plus en plus de quartiers riches se murent derrière des barbelés et des systèmes de sécurité high-tech, les bidonvilles sont résolument organisés autour de l’espace public considéré comme lieu de rencontre par excellence. Ainsi, il n’est pas rare de retrouver des cours dans l’habitat informel. Celles-ci jouent à la fois le rôle tampon entre espace public et espace privé, et servent de prolongement à toutes les activités que l’abri ne peut accueillir. Elles sont des lieux de vie pour les occupants, mais également des zones de rencontre entre les résidents d’un bidonville. En l’absence de cours, ce sont les espaces de circulation qui accueillent l’ensemble des activités de socialisation et se comportent ainsi comme des éléments tout aussi importants que les habitations elles-mêmes. Comme le soulignait Paola BERENSTEIN JACQUES, «Les portes des baraques sont toujours ouvertes par lesquelles entre ou sort toujours quelqu’un, comme si les rues étaient des couloirs et les abris les chambres d’une grande maison sans toiture». Ainsi, dans le bidonville, la notion de l’habitat passe également par une attitude où le vivre ensemble est primordial et l’espace public un élément tout aussi important que l’espace privé.
3. UNE CROISSANCE URBAINE PORTEUSE D’OPPORTUNITÉS —— Un village dans la ville La plupart des bidonvilles se comportent comme des structures quasi autonomes dont l’organisation s’apparente à celle d’un village. Initialement installés dans des périphéries éloignées des villes, ils sont peu à peu happés par la croissance de celles-ci. Les tissus urbains se développent de part et d’autre des secteurs d’habitat informel, mais sans se préoccuper de leur existence. Malgré cette coexistence géographique, la rencontre entre bidonville et ville conventionnelle se fait le plus généralement dans une ignorance mutuelle. Bien que les réseaux urbains se déploient autour de ces villes parallèles ils ne s’y raccordent que très rarement et contribuent au contraire à renforcer les limites existant entre ces deux formes urbaines. Souvent, de nombreuses routes ou voies ferrées encerclent les bidonvilles et il n’existe que peu d’infrastructure permettant de le franchir. Cette absence de lien avec la ville conventionnelle est également renforcée par l’inexistence de continuité dans la desserte des réseaux de transport en commun. Les habitants des secteurs informels sont donc toujours plus marginalisés et les bidonvilles s’organisent alors dans une autonomie qui leur est propre. Ainsi, bien loin de l’idée chaotique qu’ils relayent généralement, la plupart des bidonvilles se développent à travers des structures de gestion bien précises. À défaut d’être intégrés au schéma d’organisation de la ville conventionnelle, ils adoptent un fonctionnement indépendant et parallèle. Ils se comportent comme des espaces organisés spatialement et politiquement. En l’absence d’espaces publics clairement définis, il existe dans chaque bidonville une certaine hiérarchie des voies de circulation. Piétonnes pour la plupart, elles se subdivisent entre rues, ruelles et impasses et définissent de cette façon plusieurs degrés d’accessibilité publique et d’entretien. Plus un espace est considéré comme privé, plus il est entretenu et personnalisé par ses occupants. Contrairement à l’organisation de la ville conventionnelle, les voies de circulation du bidonville découlent du développement des constructions et ne sont pas planifiées. Ce sont donc les abris, qui composent les éléments principaux de la constitution du tissu urbain du bidonville. D’une certaine manière, ils s’apparentent aux parcelles de ville conventionnelle et sont généralement attribués par un leader désigné ou autoproclamé qui prend le rôle de meneur de la communauté. Celui-ci incarne l’autorité politique dans le bidonville et est souvent secondé par une milice chargée d’assurer la sécurité des habitants étant donné que la police locale n’y assure pas cette fonction. Grâce à une organisation spatiale et politique qui découlent de leurs besoins spécifiques, ces micros sociétés développent de cette manière une vie communautaire basée sur l’entraide et proche de celle que l’on retrouve dans un village. À l’image des techniques
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constructives des abris, celle-ci s’inspire très souvent du vécu et des origines de chacun. Dans le bidonville, la notion de signature si chère aux architectes n’existe pas et celle de propriété y est totalement différente. Au-delà de l’absence de propriété foncière, l’ensemble des constructions résulte d’un effort solidaire. Elles sont réalisées par tous et appartiennent à tous dans une démarche de solidarité générale. Paula BERENSTEIN JACQUES explique à propos des favelas que «l’idée d’une création collective et anonyme est une caractéristique majeure qui aide à comprendre la façon de construire (et aussi de vivre) dans les favelas»57. Les bidonvilles forment donc des entités quasi autonomes fonctionnant comme des foyers de résistance à l’acculturation. Leur logique d’organisation très communautaire y favorise les rencontres et la vie sociale tandis que dans la ville conventionnelle, est organisée pour et par des sociétés de plus en plus individualistes.
—— Croissance urbaine aléatoire L’organisation de la ville conventionnelle s’apparente à une forme de pensée qui, d’après Paola BERENSTEIN JACQUES : «est assez simple, binaire, et les architectes deviennent donc incapables de réfléchir d’une façon plus complexe, multiple»58. Elle peut être assimilée à un système en arbre souvent employé dans divers domaines. La ville conventionnelle se déploie ainsi autour d’un premier axe de circulation que l’on peut assimiler au tronc et qui ordonne et structure l’ensemble du développement de la ville. Autour de celui-ci, les premières constructions apparaissent et, peu à peu, de nouvelles ramifications sont créées pour offrir toujours plus de parcelles d’implantation. À mesure que l’on s’éloigne du centre névralgique, les voies s’affinent et desservent de moins en moins de constructions. Ces ramifications sont assez similaires aux branches de l’arbre et soulignent la hiérarchie existant dans l’organisation de la ville. L’ensemble de la structure dépend de ses subdivisions inférieures dans la mesure où l’apparition de nouveaux axes dépend généralement de l’état de saturation des précédents. Par ailleurs, tout comme l’arbre dépend de ses racines pour croitre, le développement urbain est bien souvent encadré et conditionné par son patrimoine et son l’héritage historique. La ville conventionnelle fonctionne donc comme un système centré dont le processus de développement est très linéaire. Le modèle sur lequel elle repose peut se reproduire à l’infini, mais ne peut être aisément interrompu.
57. BERENSTEIN JACQUES Paola, op. cit., 2001, p.140 58. BERENSTEIN JACQUES Paola, op. cit., 2002, p.144
De son côté, le bidonville peut plutôt être interprété à travers une analogie avec la mauvaise herbe qui se développe dans tous les interstices qui le lui permettent. Comme les herbes folles, le bidonville s’installe sur tous les terrains que la ville conventionnelle a délaissés, souvent car trop chers à exploiter ou trop complexes à occuper. Les abris des nouveaux arrivants en ville s’installent d’abord sur la périphérie de ces sites, et, comme la mauvaise herbe, se développent pour peu à peu l’envahir dans sa totalité. Dans ce contexte, c’est donc
la périphérie qui possède le plus de valeur et non le centre. C’est elle qui assure le lien avec la ville conventionnelle et concentre souvent la plupart des activités commerciales du bidonville. Par ailleurs, à l’image de l’herbe folle qui repousse un peu plus loin une fois coupée, l’habitat se reconstruit en suivant le même processus. En dépit des destructions et des expropriations, les habitants des bidonvilles sont capables de rebâtir leur logement, souvent en l’espace d’une seule nuit, sur un terrain proche qui serait resté vacant. Les bidonvilles échappent ainsi à toute planification et se développent là où personne ne les attend. En assimilant l’habitat informel à cette image de l’herbe folle, il est donc possible de restituer sa dynamique et le mouvement permanent de son évolution. Au vu de ses principales caractéristiques, le bidonville ne peut donc que très difficilement s’expliquer par un système de pensée en arbre, bien trop rigide et trop contraignant. Paula BERENSTEIN JACQUES propose un modèle plus ouvert basé sur la forme biologique du rhizome. L’analogie avec ces tiges souterraines des plantes vivaces (bulbes, tubercules…) semble particulièrement appropriée pour expliquer les bidonvilles dans le sens ou comme elles, ils ne prennent pas une forme précise. En effet, le bidonville est toujours en train de se constituer ou de se reconstituer et ne peut être contraint par l’idée d’un axe génératif comme dans le système de pensée en arbre. Il s’apparente plutôt à un réseau dont aucun point n’est réellement fixe, mais tous se déplacent à mesure que la structure générale évolue. Les différents lieux clés d’un bidonville se décentralisent en permanence et permettent ainsi l’accueil de nouvelles connexions sur le réseau. C’est précisément ce système d’évolution aléatoire que les trois architectes danois ont cherché à intégrer au projet Favela Cloud. En s’appuyant sur la forme géométrique du dodécaèdre, ils proposent une structure adaptable et capable de grandir avec la communauté. Ainsi, le système de pensée du rhizome vient compléter l’image de la mauvaise herbe pour retransmettre avec le plus de fidélité la complexité spatiale et la temporalité très spécifique propre au bidonville.
—— Pour une autre approche de la ville Dans son ouvrage Le pire des mondes possibles, Mike DAVIS explique que depuis les années 70, on enregistre la plus forte croissance urbaine dans les bidonvilles de la périphérie des villes du Tiers-Monde. D’après lui, «les aires suburbaines de nombreuses villes pauvres sont désormais si étendues qu’il serait peut-être utile de repenser la notion même de périphérie.» 59 En effet, étant donné que ce sont désormais les bidonvilles qui concentrent la plus haute densité d’habitat, les zones d’activités se déplacent progressivement vers l’extérieur de la ville conventionnelle. À mesure que les secteurs d’habitat informel se développent dans des zones qualifiées de suburbaines, c’est donc le centre de la ville conventionnelle qui devient périphérique. La notion de périphérie ne se rattache plus qu’à des éléments relatifs
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59. DAVIS Mike, Le pire des mondes possibles, de l’explosion urbaine au bidonville global, ed La Decouverte, Cahiers Libres, Paris, 2006, p.39 60. SIEVERTS Thomas, Entre-ville, Une lecture de la Zwischenstadt (trad. De l’allemand par DELUZE Jean-Marc et VINCENT Joël), Parenthèses, Marseille, 2004, p.17 61. SAUNDERS Doug, Du village à la ville, comment les migrants changent le monde, Seuil, Paris, 2012, p.20 62. SAUNDERS Doug, ibid., p.13 63. SAUNDERS Doug, ibid., p.65
à l’histoire de la formation de la ville. Le développement des bidonvilles est peut-être une invitation à définir de nouveaux termes pour qualifier les différentes zones urbaines et ainsi accompagner l’évolution structurelle de la ville. L’architecte et théoricien de l’urbanisme allemand Thomas SIEVERTS propose de nommer la nouvelle forme urbaine induite par les bidonvilles, l’entre-ville.60 D’après lui, ce type d’urbanisme diffus est en passe de devenir le paysage type de la plupart des villes du 21ème siècle, qu’elles soient riches ou pauvres. En effet, ni ruraux ni urbains, les bidonvilles constituent des secteurs dont l’organisation se situe à mi-chemin entre les deux. Une sorte de fusionnement s’opère entre le développement urbain et l’organisation quasi rurale de ces secteurs si bien que la distinction entre l’urbain et le rural s’estompe de plus en plus au profit d’une interdépendance toujours plus forte entre les deux. Par conséquent, aussi misérables que puissent être les conditions de vie dans les bidonvilles, il ne faut pourtant pas oublier le potentiel que représente la ville pour migrants venus y tenter leur chance. Pour la plupart d’entre eux, le niveau de vie qu’elle propose y est malgré tout plus haut et les conditions sanitaires moins déplorables dans les campagnes. En effet, en dépit de ses nombreuses inégalités, la ville représente un foyer de développement, d’équipements et de services. Selon le journaliste et chroniqueur canadien Doug SAUNDERS, le bidonville se comporte comme une ville tremplin. Pour lui, «la fonction principale de ce lieu est d’arriver»61. Il explique avoir constaté que «ces anciennes populations rurales façonnaient des espaces urbains semblables partout dans le monde : des espaces dont l’apparence physique variait, mais dont les fonctions premières, incluant les réseaux humains étaient claires et identifiables.»62 Bien que de nombreux bidonvilles ne remplissent plus leurs fonctions de tremplin social pour les nouveaux arrivants, le journaliste explique que leur vocation première est de les accueillir temporairement et de faciliter leur insertion dans la vie urbaine. Il a en effet pour rôle principal d’être, un lieu d’adaptation et d’acclimatation pour les migrants. Ceux-ci sont ainsi initiés aux pratiques de la cité par la communauté déjà installée dans le bidonville. De cette façon, l’agriculteur arrivé à la ville, qui n’y a plus de qualification, peut s’appuyer sur un réseau informel de relations susceptibles de lui donner accès à un nouvel emploi. Le bidonville peut donc se comporter comme un lieu de transition dans la progression vers la ville et vers le centre. Au-delà de cette vocation d’aide à l’insertion des migrants, les secteurs d’habitat précaire peuvent également être considérés comme les lieux du renouvellement de la ville. «Ce ne sont pas seulement des bidonvilles abritant les parias et les ratés de la société urbaine ; ce ne sont pas non plus des campements temporaires pour la main d’œuvre en transit. Ce sont des mécanismes essentiels de renouveau urbain»63. À travers cette définition, Doug SAUNDERS affine sa perception des bidonvilles en qui il voit des communautés humaines capables de tirer la société vers le haut. En effet, pour subsister les résidents de ces formes urbaines sont sans cesse appelés à faire leurs preuves. Bien qu’à la ville, l’opportunité de trouver ou
de se créer un emploi ne se vérifie pas toujours, il subsiste néanmoins cet espoir de devenir quelqu’un. De cette façon, la population qui réside dans le bidonville est plus habituée à se battre, et est généralement plus ambitieuse, inventive et volontaire que la moyenne des citadins déjà établis. Ainsi et à condition qu’ils soient soutenus et encouragés efficacement par les pouvoirs politiques en place, les bidonvilles semblent posséder toutes les caractéristiques nécessaires pour offrir à la ville conventionnelle des solutions d’évolution réalistes et durables que ce soit pour les populations ou face à la crise environnementale.
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CONCLUSION Les diverses études et analyses menées dans le cadre de ce travail permettent donc de souligner les fortes interactions existantes entre l’architecture informelle et l’architecture savante. Conscients de posséder un savoir et des connaissances techniques pouvant faire défaut dans les bidonvilles, les architectes s’engagent peu à peu auprès des populations démunies. Cet axe du cercle vertueux représente sans doute la démarche la plus logique : puisque l’architecte est un professionnel et qu’il est formé pour savoir construire, il se doit de mettre ces compétences au service de tous. Ainsi, depuis près d’un demi-siècle l’architecte reprend progressivement son rôle de constructeur dans les bidonvilles et les différentes méthodes mises en œuvre sont des témoins de l’évolution de son engagement. À l’origine, ses interventions sont plutôt maladroites et consistent plutôt en un simple transfert du problème. Encouragé par les municipalités et les pouvoirs en place, il imagine des bâtiments novateurs et très bien équipés, mais dépourvus d’âme. Les logements sont totalement uniformisés et les espaces de rencontre négligés si bien que ces édifices novateurs se transforment rapidement en taudis modernes. Sous l’impulsion de quelques architectes curieux et conscients de leurs responsabilités, les projets évoluent peu à peu et s’adaptent toujours plus aux besoins réels des habitants. Les deux projets étudiés attestent de cette progression, mais soulignent également la diversité des réponses possibles. Le favela Cloud incarne ainsi les préoccupations urbaines et sociales des architectes danois. Ceux-ci ont su s’intéresser à la dynamique communautaire des favelas et ont tâché de la restituer dans leur projet. De son côté, l’équipe ELEMENTAL s’est essentiellement focalisée sur les besoins et les procédés architecturaux propres aux résidents du bidonville. À travers un projet capable d’évoluer, ils ont su proposer des logements appropriables et personnalisables aux habitants si bien que la réhabilitation de la Quinta Monroy s’impose comme une intervention architecturale exemplaire. Cette dernière a été particulièrement bien accueillie par les habitants si bien que 5 ans après avoir reçu leurs clés, 85% des familles avaient déjà réalisé une extension de leurs logements et près de 70% d’entre eux s’en déclarent satisfaits. Le seul bémol à relever est relatif aux iniquités de distribution des espaces extérieurs et à la difficulté de gérer ces derniers en communauté. D’après ce constat, les deux équipes ont abordé la même problématique à travers de deux angles qui pourraient gagner à devenir complémentaires. Plutôt que de répondre par un projet pertinent dans sa compréhension des formes urbaines ou dans sa réinterprétation de l’architecture existante, l’architecte devrait apprendre à avoir recours à une démarche combinant ces deux aspects. Pourtant, les typologies de l’habitat informel ainsi que son organisation spatiale et sociale sont parfois si complexes qu’il est de plus en plus fondamental d’apprendre à considérer le bidonville comme le point de départ du projet et d’accepter qu’il puisse enrichir l’architecture savante.
C’est précisément dans ce sens du cercle vertueux que les échanges entre habitat informel et architectes sont les plus délicats et gagneraient encore à s’étoffer. Il demande en effet à l’architecte de remettre en question non seulement sa démarche de projet, mais également d’accepter de faire évoluer sa pratique son rôle auprès des habitants. Bon nombre de ces professionnels ne sont pas encore capables de délaisser l’aspect populaire et médiatique de la profession pour accepter de collaborer avec les habitants à l’amélioration et la valorisation de constructions dont ils ne sont pas les créateurs. Pourtant, à travers cette démarche l’architecte pourrait enrichir ses propres acquis prenant exemple non seulement sur les méthodes constructives, sur les matériaux et sur l’agencement des espaces retenus par les habitants des bidonvilles. L’ensemble de ces choix étant fait dans un tel affranchissement des règles et planifications urbaines qu’ils conduisent à des formes architecturales si audacieuses qu’elles ne peuvent qu’offrir une nouvelle perspective à l’Architecture.
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Par ailleurs, à travers les bidonvilles, l’architecte est amené à réapprendre l’essence même de son métier pour construire des édifices destinés à combler les attentes et les besoins de leurs occupants en s’affranchissant de la recherche esthétique qui lui est propre. Dans ce sens, l’architecture informelle qui s’apparente à une architecture vernaculaire contemporaine possède donc une place tout à fait légitime dans la culture architecturale. Elle a recours à des procédés employés depuis des siècles et parfois plus légitimes que de nombreuses constructions «savantes». Enfin, la proportion croissante d’habitats informels dans les périphéries des grandes villes tend à en faire l’un des éléments essentiels du paysage urbain de demain. Si leur aspect esthétique est désormais identifiable par tous ils gagnent donc également à être considérés comme des éléments intégrés à la ville et non comme des zones blanches ni cartographiées ni desservies par les équipements urbains. En somme, il est donc possible d’affirmer qu’il existe déjà une forme de cercle vertueux entre l’architecte et les bidonvilles, mais que celui-ci gagnerait à être toujours plus renforcé. Comme l’exprimait Jeremy SEABROOK : «Il serait stupide de passer d’une vision fausse – selon laquelle les bidonvilles sont des foyers de criminalité, de maladie et de désespoir – à la vision fausse inverse – selon laquelle on peut sans problème les laisser se débrouiller tout seuls».64 Ainsi, sans un enrichissement conséquent des échanges entre architecture savante et architecture informelle, les bidonvilles risquent de continuer à se développer avec deux uniques issues à la crise du logement. Dans une première hypothèse, les bidonvilles pourraient être amenés à imploser et à s’autodétruire eux même sous la pression d’une densité croissante. Dans une seconde, la ville conventionnelle pourrait avoir à faire face à une explosion des secteurs informels qui mènerait à des affrontements destinés à renverser l’ordre établi et à gommer par la force les inégalités sociales et urbaines. 64. SEABROOK Jeremy, In the cities of the South : scenes from a developping world, Londres, 1996, p.197
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Afin de proposer une troisième alternative à ces cas extrêmes, il est donc primordial que les habitants des bidonvilles et les architectes puissent apprendre à travailler ensemble. C’est de cette unique manière que l’habitat informel pourra réellement être intégré aux villes et que les disparités sociales s’estomperont. Cette étroite collaboration ne pourra cependant se faire que par le biais d’une prise de conscience bien plus nette de la part des pouvoirs publics et des municipalités impliquées. Sans leurs interventions et leurs financements, rares sont les projets qui pourront voir le jour. Il est par ailleurs important que leurs investissements soient appropriés afin d’éviter de reproduire les erreurs du siècle passé où les éradications n’avaient pour autre effet que de pousser simplement les populations à se déplacer. Ainsi, ce n’est qu’au travers des investissements adéquats de ces instances que les résidents des bidonvilles pourront avoir les moyens de renouveler leurs lieux de vie avec l’appui de l’architecte.. Par conséquent, celui-ci devra toujours plus apprendre à composer avec l’existant et à s’en imprégner pour guider et suivre de manière efficace les habitants. Ainsi si l’existence et le bénéfice d’un cercle vertueux ne sont plus à prouver, il serait peut être d’autant plus enrichissant d’y inclure les politiques et municipalité détentrice du pouvoir décisionnel et de budget. Ce n’est qu’au travers de leur sensibilisation et grâce à leur mobilisation que pourront enfin s’estomper les limites entre la terre battue et l’asphalte.
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BIBLIOGRAPHIE Situation mondiale des bidonvilles DAVIS Mike, Planète bidonvilles, Ab Irato, Paris, 2005 DAVIS Mike, Le pire des mondes possible ; de l’explosion urbaine au bidonville global, Editions La Découverte, Cahiers Libres, Paris, 2006 ONU Habitat, The Challenge of Slums : global report on human settlements, Earthscan publications, Londres, 2003
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La vie dans les bidonvilles SAUNDERS Doug, Du village à la ville ; comment les migrants changent le monde, Editions du Seuil, Paris, 2012 SEVILLA Jean-Jacques, Rio de Janeiro en mouvement ; des innovateurs dans la ville, Editions Autrement, Villes en mouvement, Paris 2005
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ELEMENTAL, Quinta Monroy, Elemental Chile, dernière consultation : 05 janvier 2015 URL : http://www.elementalchile.cl/proyecto/quinta-monroy/
ARCHDAILY, Quinta Monroy - Elemental, Archdaily, dernière consultation : 05 janvier 2015 URL : http://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental/
CASTILLO Paula, Quinta Monroy, Doti Donoso, 30 minutes, 2005
—— DIVERS CIVA / A16, Rotor, A16 & CIVA, Jeunes Architectures, Bruxelles, 2010
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ANNEXES Annexe 1 : Enquête 1. Questionnaire destiné aux architectes/étudiants ayant réalisé un projet ou PFE en lien avec les bidonvilles 2. Questionnaire destiné aux architectes/étudiants ayant effectué un travail de recherche en lien avec les bidonvilles 3. Réponses
Annexe 2 : Favela cloud 1. Plans des logements 2. Plan et coupe de la mégastructure
Annexe 3 : Quinta Monroy 1. Plans des logements 2. Coupes et élévations du projet 3. Exemples d’extensions
Annexe 4 : Tableau comparatif des études de cas
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84 84 86
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ANNEXE 1A _ SONDAGE DESTINÉS AUX ARCHITECTES / ÉTUDIANTS AYANT RÉALISÉ UN PROJET OU PFE EN LIEN AVEC LES BIDONVILLES
ANNEXE 1.1
1. Comment avez-vous été sensibilisé à la problématique des bidonvilles Lecture(s) Conférence(s) Experience(s) / Voyage(s) personnel(s) Participation a un workshop Enseignement Autre 2. Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce thème ? 3. Sur quel(s) bidonville(s) avez-vous axé votre travail et pourquoi ? 4. Votre projet résulte : D’une commande publique / privée D’un concours D’une demarche personnelle Autre 5. Avez-vous eu l’occasion de réaliser votre projet ? Oui Non C’est en cours 6. Quelle(s) a/ont été votre/vos principale(s) inspiration(s) dans votre travail autour des bidonvilles ? 7. [question bonus] A votre avis, quels sont le ou les principaux enjeux que posent les bidonvilles à l’architecte ?
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ANNEXE 1B _ SONDAGE DESTINÉS AUX ARCHITECTES / ÉTUDIANTS AYANT PUBLIÉ OU RÉDIGÉ DES TRAVAUX DE RECHERCHE OU MEMOIRES
ANNEXE 1.2
1. Comment avez-vous été sensibilisé à la problématique des bidonvilles Lecture(s) Conférence(s) Experience(s) / Voyage(s) personnel(s) Participation a un workshop Enseignement Autre 2. Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce thème ? 3. Sur quel(s) bidonville(s) avez-vous axé votre travail et pourquoi ? 4. Sous quel angle avez-vous abordé ce sujet ? 5. Le choix du sujet s’inscrit : Dans une démarche complétée par un projet concret Comme une réflexion ponctuelle Autre 6. Quelle(s) a/ont été votre/vos principale(s) inspiration(s) dans votre travail autour des bidonvilles ? 7. [question bonus] A votre avis, quels sont le ou les principaux enjeux que posent les bidonvilles à l’architecte ?
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Lectures Expériences | Voyages personnels Enseignements
Expériences | Voyages personnels Participation à un workshop Enseignements
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COMMENT AVEZSENSIBILISÉ À LA PR TIQUE DES BIDONV
Expériences | Voyages personnels
Expériences | Voyages personnels
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Lectures Conférences Expériences | Voyages personnels
-VOUS ÉTÉ ROBLÉMAVILLES ?
Expériences | Voyages personnels
Lectures Expériences | Voyages personnels
Lectures Conférences Enseignements
Expériences | Voyages personnels Enseignements
Expériences | Voyages personnels Participation à un workshop Lectures Conférences Expériences | Voyages personnels
J’ai été rapatriée d’un voyage en Inde pour des raisons sanitaires et, même si mon état le nécessitait, j’ai eu l’impression de bénéficier d’un «traitement de faveur» que la majorité des indiens ne pourraient jamais se permettre. Je suis retournée en Inde le lendemain de mon PFE et j’ai eu envie de tenter d’apporter mes compétences, (ou mon temps ou n’importe quoi d’autre) qui puisse aider à améliorer les conditions de vie dans les bidonvilles et plus particulièrement les conditions sanitaires.
74 J'ai choisi de travailler sur le sujet comme un facteur important influençant l'écologie urbaine (qui est mon sujet). La proportion de bidonvilles peut être très importante dans les villes indiennes c'est également pour cela que je me suis intéressé à ce sujet. Les bidonvilles sont souvent défavorisés écologiquement et plus enclin aux dangers écologiques que d'autres types d'habitations. Aussi le conflit réhabilitation- délocalisation porte beaucoup de questions à résoudre .
Avant de venir étudier en France , j'étais peu sensibilisé aux implications sociales de l'architecture et la plupart de mes références étaient européennes. Tous les projets que j'ai choisi en cours à La Villette étaient des projets internationaux (de préférence sur un autre continent), et c'est de cette façon que j'en suis venu à découvrir d'autres façons de pratiquer l'architecture. Mon intention première était de voyager (ce que je ne pouvais pas payer en Roumanie), et c'est en voyageant que j'ai découvert la réalité des villes (les bidonvilles) que je n'avais jamais considérée comme faisant partie des intérêts d'un architecte. Cela m'a permis de m'interroger sur le rôle d'un architecte et de remettre en question les architectes que j'appréciais (Frank Gehry ou Zaha Hadid par exemple). Je compris que les gens ont toujours construit leurs propres abris, alors que la notion de l'architecte est apparu longtemps après. Donc ce que j'essaye de faire est de répondre à ces questions : quel est le rôle de l'architecte dans le développement informel? Nos connaissances sont-elles suffisantes pour faire une différence? Quel type de collaborations (entre quels acteurs) pourrait-on imaginer pour répondre à ces problèmes?
Connaissance du terrain par un ami Goût pour le terrain Choix d’un sujet plus "engagé" pour mon diplôme avec pour but de poser la question de mon positionnement en tant qu’architecte vis-à-vis d’une situation de marge.
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POURQU CHOISI D LER SUR C
Il s’agissait d’un projet au sein d’une agence d’architecture Camerounaise qui avait pour mission de proposer une réflexion pour la réhabilitation du plus gros bidonville d’Afrique centrale. Ce thème et ce travail concret me paraissaient des plus actuels et ce type d’habitat n’avait jamais été abordé durant mes études, raison pour laquelle j’ai souhaité enrichir ma culture professionnelle.
75 C’est un thème qui n’est pas souvent abordé dans le cadre des cours à l’école d’architecture de Strasbourg ou alors brièvement survolé. Il a un aspect bien trop péjoratif dans l’esprit des gens à cause de son sens même (excroissance de l’urbanisation faites de produits précaires) alors que ce n’est pas si simple à résumer et qu’on y trouve une architecture vernaculaire et donc unique. Je voulais tout simplement enrichir mes propres connaissances sur le sujet par moi même et donc trouver des réponses à mes questionnements en les approfondissant au maximum. Le mémoire m’a permis tout ça : c’est un sujet passionnant bourré de références exemplaires.
UOI AVOIR DE TRAVAILCE THÈME ? J'ai obtenu une bourse pour aller en Argentine et y réaliser mon projet de fin d'études. J'ai eu un entretien avec le directeur de la FADU (Faculté d'urbanisme et d'architecture) et nous avons choisi ensemble le thème de mon travail.
Opportunités de mémoire Curiosité personnelle Intérêt pour les problématiques environnementales (humain + nature)
Après un an d'erasmus en Argentine et un stage d'architecture à Rio de Janeiro dans une agence intervenant dans les favelas. Alors, l'essence même et la raison d'être du métier d'architecte sont remis en question et chamboulés par la problématique du bidonville. Il existe des villes entières où un urbanisme spontané est pratiqué par l'ensemble de ses habitants. En étudiant ces villes, où l'organisation s'est façonnée au fil du temps, et dans lesquelles parfois, la seule loi est celle du voisinage et du bien vivre ensemble- on peut se demander si elles n'ont pas à enseigner, aux architectes et aux concepteurs de villes d'aujourd'hui.
J’ai voulu travailler sur les bidonvilles pour mieux comprendre ce mode d’habitat et pour pouvoir confronter mes idées reçues, et ma vision plutôt positive (auto-construction, densité, généralement localisation de choix dans les villes) à la dure réalité (aucunes infrastructures, temps consacré à la reconstruction de l’habitat car de mauvaise qualité...)
Je pense que le principal objectif de l'architecture est de fournir un abri à ceux qui en ont besoin. A travers ce travail, j'ai vu la possibilité de terminer mes études avec un projet qui pourrait servir plus que d'être simplement exposé sur une étagère .
J'ai eu la chance de partir vivre un an complet à Caracas dans le cadre d'un échange universitaire et il m'est apparu évident de choisir un atelier d'architecture ainsi que des enseignements théoriques travaillant sur les bidonvilles qui sont un peu partout dans la ville.
76
Nirmal Nagar, Dharavi et Shiivaji Nagar Mumbaï _ INDE Oshivara River Mumbai _ INDE
El Alto _ Bolivie Kiremithane _ TURQUIE
3
SUR QUEL(S) BIDO AVEZ-VOUS AXÉ V VAIL ET POURQUO
Nord-Pas-de-Calais _ FRANCE
Mokolo _ CAMEROUN
77
23 de Enero Caracas _ VENEZUELA
Rio de Janeiro _ BRESIL
Quinta Monroy Iquique _ CHILI
Salvador de Bahia_ BRESIL
Dharavi Mumba誰 _ INDE Ben U Sen Diyarbakir _ TURQUIE
ONVILLE(S) VOTRE TRAOI ?
Dharavi Mumba誰 _ INDE
Dharavi Mumba誰 _ INDE
San Augustin del Sur Caracas _ VENEZUELA
Villa Miseria 21-24 Buenos Aires _ ARGENTINE Mont Sina誰 Guayaquil _ EQUATEUR
d’une démarche complétée par un projet ou un autre travail de recherche
d’un workshop et n’a pas été réalisé
78 d’un enseignement à l’université et a été réalisé
4
LE CHOIX DE C DE VOTRE PROJET DANS LE CADRE :
d’une démarche personnelle et est en cours de réalisation
d’une commande privée/publique et est en cours de réalisation
79
d’une réflexion ponctuelle d’une démarche complétée par un projet ou un autre travail de recherche
CE SUJET / S’INSCRIT
d’une démarche complétée par un projet ou un autre travail de recherche d’une démarche complétée par un projet ou un autre travail de recherche
d’une démarche personnelle et n’a pas été réalisé
d’une démarche personnelle et est en cours de réalisation d’un projet de fin d’étude et n’a pas été réalisé
80 A l’origine, les articles de Sundar BURRA et Sheela PATEL. Plus tard, mes expériences personnelles et les gens avec qui j’ai travaillé lors des voyages de mon agence.
5
L'architecture locale Divers plateformes pluridisciplinaires composées d'architectes travaillant en collaboration avec des ingénieurs, des sociologues des ONG et les habitants des bidonvilles.
L’existant et le terrain
QUELLES VOS PR INSPIRAT VOTRE TR
Les pratiques culturelles locales
81 Les faits divers (dangerosité des bidonvilles avec des effondrements, des meurtres pour expulser les bidonvillois...), les actualités (JO par exemple), les films (le plus connu et "récent" Slumdog millionnaire), l'experience personnelle d'avoir pu en voir de près (Asie), de nouveaux projets publiés en référence à l'architecture vernaculaire des bidonvilles, etc.
S ONT ÉTÉ RINCIPALES TIONS DANS RAVAIL ?
Les écrits de Didier DRUMMOND, Architecte des favelas, 1981 - Paola BERENSTEIN, Les favelas de Rio et Esthétique des favelas - Yona FRIEDMAN, Utopies réalisables Et les architectes : Alejandro ARAVENA et Elemental - Lucien KROLL - Patrick BOUCHAIN - HUNDERTWASSER
Ce sont les bidonvilles qui ont été une source d'inspiration.
A cette époque (j'étais une jeune étudiante) je me suis beaucoup appuyée sur les évaluations des services écosystémiques (la littérature de la World Bank) et sur la thèse de Pauline Texier.
La thématique de projet est un programme de régénération urbaine. Les travaux de Alborde, Julian Salas, Ichab, Shigeru Ban et Tyn.
Ma première inspiration fut nos entretiens avec la communauté vivant sur place dans l’objectif de répondre le plus justement à leurs besoins. Le projet n’est pas réalisé mais je sais qu’ils conservent tous les projets de l’atelier EPA et que certains ont déjà été réalisés par les habitants du bidonville
Améliorer des conditions de vie. Augmenter l'espérance de vie. Retrouver dignité (et sécurité). Intégrer le bidonville au reste de la ville formelle. Concevoir un projet de qualité à moindre cout. Adaptabilité et pérennité des constructions. Apporter une sécurité contre le risque d'expulsion. Privilégier une démarche participative...
L'entêtement des municipalités et le fait que dans de nombreux cas, même si elles ont le pouvoir décisionnel, elles ne sont pas disposées à coopérer ou même à reconnaître les problèmes auxquels elles sont confrontées. Principalement la vitesse à laquelle ces quartiers développent (ce qui rend presque impossible de les cartographier). Mais également le sentiment de résignation ou d'hostilité de la part des habitants.
L'un de ceux auquel j'ai été confronté : le travail avec les acteurs publiques, la question de la légalité.
82 Je vois que de nombreux architectes sont intéressés par les bidonvilles et y recherchent du potentiel, ce qui est une bonne évolution. Je pense que d’autres composants de la ville méritent le même intérêt que les bidonvilles, comme par exemple les friches industrielles, les établissements de la classe moyenne , les zones et voies dédiés aux infrastructure etc. Certains de ces autres domaines méritent également d’attirer l’attention (par exemple, patrimoine bâti ou les espaces verts urbains) mais il manque encore des liens pour comprendre la ville dans son ensemble.
+
SELON VOUS, QU LE OU LES PRINCIP JEUX QUE POSENT LE VILLES À L’ARCHITE
Conserver la richesse des pratiques culturelles et façons de vivre propres à ces lieux, qui restent liées à la physionomie même du bidonville et qu'il faut donc tenter de maintenir.
83 La résolution et le traitement du vivre ensemble, du caractère social qui habite l’architecture. L’évolution des logements au fil du temps (adaptation par l’usager, extensions pour combler les besoins familiaux.) La prise de conscience des intérêts et des limites de l’autoconstruction. Les limites de la sacralisation de l’œuvre architecturale et l’appropriation de l’architecture par ses usagers. L’urbanisme auto-géré en communauté.
UELS SONT PAUX ENES BIDONECTE ? Lorsque nous parlons d'architecture sociale il nous faut penser les espaces afin d'améliorer les conditions de vies des habitant, plus que jamais dans les bidonvilles comme dans tous les types de constructions informelles.
Je travaillais sur l'environnement, la relation avec la rivière toute à côté ; donc pour moi les questions de santé publiques priment! La question de l’accès à l'eau potable, aux sanitaires est fondamentale, la gestion des déchets. Oui je crois que ces trois point doivent être traités en priorité...
Ce sont des espaces très actifs. Le manque d'équipements de base offre la possibilité à tout projet, aussi petit soit-il, d'avoir un impact réel sur les habitants .
L'architecture In situ, c'est à dire comment reconstruire un bidonville sur lui-même sans exproprier les habitants et tout en arrivant à construire des infrastructures (accès pompiers, réseaux d'eau et d'électricité).
L’enjeu principal est l’appropriation du lieu par la communauté, la question aussi de l’accès car à Caracas les bidonvilles sont dans des zones très difficiles d’accès, la question du type de construction est des matériaux est aussi très importante. Je crois que tous les enjeux sont proches de ceux de la ville formelle mais de façon encore plus exacerbée. Mais les architectes construisent avant tout pour les autres et doivent s’adapter au site et à la culture locale.
84
ANNEXE 2.1
Logement 1 chambre Single dwelling
bedroom
WC kitchen
Logement 2 chambres
welling
Living room
Ill. 55
Dwelling Cluster Level -01
85
49 -
Single dwelling
en
Logement 1 chambre Single dwelling
kitchen WC
latform
WC
bedroom
WC
bedroom
entry platform
Logement 2 chambres
Double dwelling
path
Double dwelling
path
bedroom
bedroom
Figure 25 | Plans des deux types de logements proposĂŠs dans le Favela Cloud
ANNEXE 2.2
86
Figure 26 | Répartitions des différents programmes dans la mégastructure
87
Figure 27 | Coupe sur l’un des trois points d’accès à la mégastructure
R+1
Module de base
R+1
Module de base
Extension 1
Extension 1
Extension 2
Extension 2
ANNEXE 3.1
88
RDC
Module de base
Extension 1
Extension 2
89
Figure 28 | Plans de la structure originale et des amĂŠnagements / extensions possibles
ANNEXE 3.2
90
Figure 29 | Coupe et élévations des logements sans extensions
91
ANNEXE 3.3
Figure 30| Exemples d’extensions réalisées par les habitants après la réception de leur logement
92
ANNEXE 4
PROJET : Quinta Monroy Elemental – Chile
PROJET : Favela Cloud KMK – Brasil
Chili, Tarapacá, Iquique, Iquique – quinta Monroy Nord-Ouest du pays, sur la côte pacifique Capitale de la région de Tarapacá et ville la plus importante du nord du pays avec 56% de la population régionale Environ 185 000 habitants 2012 dont quasi 9.2% sont des immigrés Environ 7 430 hab/km² - Ville ouverte au commerce international puisqu’elle est l’un des plus grands ports d’Amérique du Sud (parmi les 6 plus grands du Chili). Elle possède également une ZOFRI : Zone Franche qui attire les industries internationales. - Ville qui s’est développée grâce à ses mines de salpêtre - Station balnéaire qui génère une forte attractivité touristique : la ville aspire à être la Miami latino-américaine Rq_ le Chili possède le plus haut PIB de toute l’Amérique latine Le Chili étant l’un des pays les plus développé d’Amérique latine, il a adopté au début des années 2000 une politique de développement de l’habitat social. Depuis 2001, le Ministère de l’habitat et de l’urbanisme (MinVU) a initié un programme pour améliorer la qualité de l’habitat social : surface, intégration des habitants …
Brésil, Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Botafogo – Santa Marta Sud-Est du pays, côte Atlantique Deuxième plus grande ville du Brésil après São Paulo et capitale de l’état de Rio de Janeiro. Environ 6 350 000 habitants 2014 et 12 000 000 en comptant l’aire urbaine au total Environ 4 781 hab/km² Deuxième ville à l’échelle du Brésil, elle contribue à 10% du PIB du pays grâce : - Au tourisme (ses plages et son carnaval figurent parmi les attractions touristiques les plus prisées au monde) - A ses industries (essentiellement sidérurgie, métallurgie, industrie pétrolière et automobile)
Années 1960 - 1970
Ses origines remontent au 17ème siècle avec l’installation d’une communauté jésuite qui y crée une chapelle et une
> CONTEXTE ×
Lieu d’implantation – la ville
Localisation pays, province/région, ville… Importance capitale, ville de province… Nombre d’habitants Densité Situation économique
Politique de l’État vis-à-vis des bidonvilles
Autres remarques
×
Trois politiques successives qui se sont parfois chevauchées : - Volonté d’éradiquer les favelas par soucis d’hygiène mais également d’esthétique : sous la présidence de Pereira PASOS et sous l’influence des régimes totalitaires qui ont suivi, ambition de redorer l’image de la ville, influencé par les modèles européens - Acceptation de leur rôle culturel notamment sous le mouvement moderne brésilien où les favelas sont utilisées comme symbole du Brésil via le samba et le carnaval - Valorisation esthétique et culturelle des favelas qui sont peu à peu considérées comme des éléments urbains à conserver (programme Favela Bairros) ème Dans la région de Tarapacá près de 93% de la population est 24 ville à l’échelle mondiale en terme de population et urbaine. 3ème d’Amérique du Sud 22% des habitants de Rio de Janeiro vivent dans l’une des 763 favelas de la ville
Lieu d’implantation – le bidonville
Date / époque de formation
22% des habitants de Rio de Janeiro vivent dans l’une des 763 favelas de la ville ×
Lieu d’implantation – le bidonville
Date / époque de formation
Années 1960 - 1970
Motif de l’apparition
A l’origine le terrain appartient à une société privée dont l’un des membres va peu à peu autoriser des familles démunies à y louer, temporairement, un lot de terre. La solution de dépannage perdure et de plus en plus de familles s’installent durablement sur un terrain de plus en plus contraint
Superficie Densité
Environ 5 000 m² Sur site environ 100 familles d’une demi-douzaine de personnes soit 8 m²/personne environ. On constate un « haut niveau d’entassement » qui est défini par la cohabitation de plus de 3 personnes dans une même et unique pièce. En plein cœur du centre-ville : proximité avec un centre commercial, opportunités de travail proches, éducation à deux pas… Ce type de site est donc relativement cher et particulièrement prisé de par sa localisation dans la ville. Tout le nécessaire est accessible à pieds ou via les transports en commun situés à proximité
Situation par rapport à la ville
Accès à la ville
Contraintes géographiques
Quasi aucune : la ville est construite sur la plaine littorale et protégée par la Cordillère de la Côte. Elle se situe à une altitude moyenne de 52m au-dessus du niveau de la mer.
Climat
Climat désertique côtier : beaucoup de nuages et peu d’amplitude thermique d’avril à octobre (automne – début du printemps) ; beaucoup d’humidité et une amplitude thermique plus accentuée entre novembre et février (été). Globalement, peu de précipitation dans l’ensemble et des
Ses origines remontent au 17ème siècle avec l’installation d’une communauté jésuite qui y crée une chapelle et une école. Durant la construction les ouvriers sont autorisés à loger sur place et peu à peu le site accueille de plus en plus de migrants notamment à partir des années 1920 Les années 1920 correspondent à la « belle époque » pour Rio de Janeiro. Pereira PASOS entreprends de grands travaux de "nettoyage" et d’embellie de la ville. Il détruit les cortiços (grands immeubles délabrés type HLM) par soucis hygiéniste et prive ainsi de logement les plus pauvres de la population. En parallèle les travaux entrepris attirent de nouveaux ouvriers en quête d’emploi qui se retrouvent sans logement. Tous se réfugient sur les mornes qui ponctuent la ville et leur assurent une proximité à l’emploi (chantier, quartiers riches au sud, industries au nord) Dans cette dynamique, le quartier de Copacabana se développe et attire son lot de migrants qui cherchent refuge sur le morne de Santa Marta et viennent gonfler le nombre d’habitants de la favela. Environ 55 000 m² On estime la population du bidonville à 6 000 habitants soit 9 m²/personne. Au total on compte environ 1 370 logements soit environ 3/4 personnes par logement. A mi-chemin entre la statue du Christ Rédempteur et l’entrée de la baie de Guanabara (au Sud-Ouest de la ville), la favela se situe à proximité du centre-ville et d’une grande partie des sites hyper-touristiques de la ville : pain de sucre, Copacabana, statue du Christ Rédempteur… Deux accès motorisés permettent de rejoindre la favela : l’une au sud (accès principal) et l’autre au sommet du morne (essentiellement utilisée par les unités policières installées sur le site). En 2008, un funiculaire est mis en service pour permettre aux habitants de relier plus facilement et rapidement le centre-ville (autrefois accessible via un unique escalier de plus de 1300 marches). Le funiculaire dessert 5 stations sur la totalité de la hauteur de la favela. La principale contrainte réside dans la topographie du site dont la forte déclivité lui confère les caractéristiques d’un site non constructible : près de 200 m de dénivelés soit l’équivalent du Mirante do Vale, l’un des plus hauts immeubles de la ville. Au-delà de la complexité de construire sur un terrain aussi abrupte, les mornes brésiliens constituent des écosystèmes fragiles particulièrement sensibles aux agressions liés à ces constructions invasives : la végétation joue un rôle de maintien de la topographie existante et sa disparition entraine de nombreux glissements de terrains et coulés de boues particulièrement destructeurs pour les installations précaires des favelas. Climat tropical (tropique du Capricorne) : saison sèche ("hiver") de juin à septembre ; saison humide ("été") d’octobre à mai. Dans les deux cas l’amplitude thermique est faible (1°C de variation pour la saison sèche et 3°C pour la saison humide)
altitude moyenne de 52m au-dessus du niveau de la mer.
d’un site non constructible : près de 200 m de dénivelés soit l’équivalent du Mirante do Vale, l’un des plus hauts immeubles de la ville. Au-delà de la complexité de construire sur un terrain aussi abrupte, les mornes brésiliens constituent des écosystèmes fragiles particulièrement sensibles aux agressions liés à ces constructions invasives : la végétation joue un rôle de maintien de la topographie existante et sa disparition entraine de nombreux glissements de terrains et coulés de boues particulièrement destructeurs pour les installations précaires des favelas. Climat tropical (tropique du Capricorne) : saison sèche ("hiver") de juin à septembre ; saison humide ("été") d’octobre à mai. Dans les deux cas l’amplitude thermique est faible (1°C de variation pour la saison sèche et 3°C pour la saison humide) avec des températures moyennes comprises entre 18.8°C (juillet) et 21.6°C (janvier)
94
Climat
×
Climat désertique côtier : beaucoup de nuages et peu d’amplitude thermique d’avril à octobre (automne – début du printemps) ; beaucoup d’humidité et une amplitude thermique plus accentuée entre novembre et février (été). Globalement, peu de précipitation dans l’ensemble et des températures moyennes comprises entre 18.5°C (janvier) et 15.4°C (juillet) Fonctionnement
Gestion du bidonville
Le terrain appartenant à une société privée, c’est l’un de ses membres (Ernesto MONROY ROZANI) qui prendra le rôle d’administrateur du site. Il facilite l’accès à un lopin de terre pour les familles dans le besoin mais à sa mort (1995) personne ne reprend la gestion du bidonville. Une procédure judiciaire est entamée avec d’une part les habitants qui estiment avoir un droit de propriété au vu de leurs longues années d’occupation du site, d’autre part la société qui réclame la libération ou le rachat du terrain qui lui appartient. En dehors de cela, il ne semble pas y avoir de règles de gestions particulières hormis la débrouille et l’entraide.
Avis de l’État
Avant 1995, aucune information. En 2000, suite à la bataille judiciaire engagée et dans le cadre du programme Chile Barrio, l’état soutien le rachat du terrain pour y reconstruire des logements salubres et sains.
Fonctionnement installation provisoire permanente…
Les installations théoriquement provisoires sur le site deviennent peu à peu pérennes sachant que les seuls risques auxquels doivent faire face les habitants sont les menaces d’expropriations et les incendies. Il existe un service minimal d’accès à l’éclairage public, à l’eau potable et à aux égouts pour la majorité des habitants mais ces services se dégradent de plus en plus à mesure que l’on s’éloigne des voies publiques bordant le site et que l’on pénètre plus profondément dans le bidonville. Le réseau d’assainissement étant peu/pas entretenu les égouts et l’évacuation des déchets sont souvent entravés.
Equipements existants
Activités / entreprises
Jusqu’en 1965, organisation et gestion communautaire de la favela (constructions commune d’équipements d’utilité publique). Grâce à la stabilité du voisinage qui en résulte, la favela n’est pas inscrite à la liste des sites à éradiquer. Au milieu des années 1960 divers narcotrafiquants s’installent dans le quartier et fragilisent son équilibre en essayant d’obtenir l’exclusivité de son contrôle. Ce n’est seulement à la fin des années 1990 que la ville se préoccupe de la situation et investit peu à peu dans la favela pour améliorer les conditions de vie et la sécurité des habitants : en 2008 une unité policière pacificatrice est installée pour une durée indéterminée sur le site. Celle-ci assure depuis la sécurité à la sérénité du quotidien des habitants. En 1960 la favela est épargnée des sites à éradiquer En 1985, les premières discussions avec la population locale laissent espérer une amélioration des conditions de vie mais l’arrivée des narcotrafiquants interrompt les démarches et l’état se désintéresse de la situation A partir de 2004 la ville et l’État investissent progressivement dans la favela pour assurer son développement urbain : eau, funiculaire, sécurité … En 2009 le président Lula réalise une visite sur le site Installation initiale d’ouvriers à titre provisoire (pendant les travaux). Avec le temps les installations se consolident et de nouvelles familles s’installent.
-
Funiculaire (5 stations) 3 crèches et une école (technique et professionnelle) 1 école de samba 1 espace culturel 1 terrain de football Plusieurs églises 1 poste d’orientation urbain
Côté urbain, la favela est équipée en eau courante, profite d’un système de drainage et d’égouts. Elle est raccordée au réseau électrique et profite de l’accès au WIFI. Une partie des rues est pavée. Activités : La favela compte de nombreux bars et commerces crées et avant le grand incendie de 1980 (20 familles sans logements) tenus par les habitants qui travaillent essentiellement dans le quelques initiatives locales avaient permis de créer : un point bâtiment, le commerce, la restauration ou les services.
95 Activités / entreprises
Présence d’ONG, associations…
Autres remarques
×
potable et à aux égouts pour la majorité des habitants mais ces services se dégradent de plus en plus à mesure que l’on s’éloigne des voies publiques bordant le site et que l’on pénètre plus profondément dans le bidonville. Le réseau d’assainissement étant peu/pas entretenu les égouts et l’évacuation des déchets sont souvent entravés.
-
3 crèches et une école (technique et professionnelle) 1 école de samba 1 espace culturel 1 terrain de football Plusieurs églises 1 poste d’orientation urbain
Côté urbain, la favela est équipée en eau courante, profite d’un système de drainage et d’égouts. Elle est raccordée au réseau électrique et profite de l’accès au WIFI. Une partie des rues est pavée. Activités : La favela compte de nombreux bars et commerces crées et avant le grand incendie de 1980 (20 familles sans logements) tenus par les habitants qui travaillent essentiellement dans le quelques initiatives locales avaient permis de créer : un point bâtiment, le commerce, la restauration ou les services. de consultation médicale périodique, une école (gérée par l’une des femmes du bidonville), un théâtre/cinéma (qui a perduré jusqu’en 2003), et une chapelle. Depuis, peu d’informations sur le sujet Entreprises : aucune activité notable. La localisation du bidonville permettant sans doute un accès à l’emploi dans les environs proches Il existe des associations locales créées et gérées par les Plusieurs associations locales ont été créées et se sont habitants et soutenues par des associations étrangères : succédées dans la favela : Dona Marta (1965), Grupo Eco - des pères oblats canadiens (financement et création de la (1979) … chapelle San Pedro) Des associations soutenues par l’État œuvrent également sur - les Peace corps (création de l’école) les lieux. Parmi elles, une ONG chargée de promouvoir les festivals et visites touristiques destinées à faire évoluer l’image des favelas. Depuis le début de l’érection d’un mur de délimitation de la favela en 2009, de nombreuses manifestations des habitants ont également attiré l’attention de l’ONU. Bien que peu d’écrits ne le mentionnent, le bidonville est A l’origine, les installations sur le morne étaient plutôt également exposé à des problèmes récurrents à ce type de situées à son sommet, cachées et protégées par la secteurs. Il se situe dans un zone particulièrement vulnérable végétation. de la ville et est victime de la consommation de drogues, des micros-trafiques et de la délinquance.
Habitants
Nombre Moyenne d’âge
Catégorie sociale / moyens financiers
100 familles environs pour une moyenne de 6 personnes par Environ 6 000 personnes selon les chiffres familles soit près de 600 personnes sur site Peu d’informations, mais il s’agit d’une population plutôt La majeure partie de la population se situe dans une tranche familiale allant du plus jeune enfant aux grands parents d’âge comprise entre 25 et 50 ans avec très peu des personnes âgées de plus de 65 ans. Globalement la moyenne d’âge des habitants est plutôt jeune avec, dans l’ordre de leur représentation dans la population : 25-50 ans – 15-25 ans – 10-15 ans – 0-5 ans – 50-65 ans – 5-10 ans – plus de 65 ans Peu d’informations, le plus souvent les hommes travaillent, Beaucoup d’habitants possèdent un emploi donc des parfois les femmes revenus. Ils travaillent généralement dans la favela même pour un salaire mensuel moyen de 650 R$ (210€ environ) Beaucoup de familles vivent avec un salaire inférieur à 350 R$ (115€ environ) et moitié moins avec un salaire supérieur à 700 R$ (225€ environ). Côté éducation, la majeure partie de la population de 25 à 50 ans a atteint le 3ème grade (?). Globalement le nombre de personnes illettrées ou "peu éduquées" est relativement moins important que le nombre de personnes instruites.
96 ×
Architecture
Type de constructions
État
Propriété, locatif, autre
Matériaux
Techniques constructives
Autres remarques
> LE PROJET
Constructions légères organisées en un dédale de type labyrinthique. La plupart des constructions se développent sur plusieurs étages avec un accès systématique à la « rue » (plutôt des ruelles, des passages ou des impasses). En moyenne, on comptait deux chambres par familles même si près de 40% des familles devaient se contenter d’une seule et 21% d’une unique pièce d’habitation. Au total près de 33% des habitants vivaient dans moins de 30 m² La plupart des constructions sont relativement insalubres car difficilement raccordées aux services d’égouts et d’assainissement. Par ailleurs la densité entraine des cas de sur-entassement et la fragilité des constructions les rend plus vulnérables aux incidents tels que les incendies.
Globalement la plupart des constructions se composent de 4 pièces pour un éclairage moyen de 2-3 fenêtres. Ces logements abritent majoritairement des familles ou groupes de 3 à 4 personnes.
A l’origine les constructions sont particulièrement précaires et exposées aux risques liés à leurs implantations (coulées de boues, éboulements…) L’évolution progressive des techniques constructives a permis d’accéder à des constructions plus solides et plus faciles à entretenir. A l’origine, une cinquantaine de familles étaient installées sur ? le site et possédaient un bout de terrain en échange d’une petite contrepartie financière versée à la compagnie possédant le terrain. Certains n’avaient déjà pas de quoi payer et vivaient donc gratuitement sur le site. Avec le temps et le décès de M. MONROY, les habitants se sont octroyé le droit du sol et ont construits des extensions (étages) supplémentaires à leurs abris en vue de les louer. Les habitants possédaient donc un statut ambigu puisqu’à la fois locataires et propriétaire d’un sol qui ne leur appartient pas réellement. Matériaux légers récupérés sur les chantiers environnants et Évolution des techniques constructives inspirées des au port : techniques constructives européennes : - Panneaux de bois aggloméré ou contreplaqué - Structure en béton armé - Tubes métalliques - Murs en brique - Tôles ondulés - Ouverture : béantes ou cadres en aluminium - (rarement) parpaings Les habitants ont également recours à de l’amiante, du plâtre, de la céramique, du zinc, du bois et des dalles pour la conception des murs et toitures de leurs habitations. Peu de renseignements, débrouille essentiellement. A mi-chemin entre l’architecture vernaculaire tropicale et les influences des techniques constructives européennes importées sur le continent par les colons. Technique constructive que l’on pourrait qualifier de "nouvelle architecture vernaculaire" : open-space, espaces adaptables et capables de supporter divers programmes dans la même structure. Utilisation de briques issues de l’architecture vernaculaire brésilienne : les cobogós. Ces éléments sont perforés de sorte à laisser filtrer la lumière toute en assurant ombre et aération naturelle aux espaces qu’ils délimitent
influences des techniques constructives européennes importées sur le continent par les colons. Technique constructive que l’on pourrait qualifier de "nouvelle architecture vernaculaire" : open-space, espaces adaptables et capables de supporter divers programmes dans la même structure. Utilisation de briques issues de l’architecture vernaculaire brésilienne : les cobogós. Ces éléments sont perforés de sorte à laisser filtrer la lumière toute en assurant ombre et aération naturelle aux espaces qu’ils délimitent
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Autres remarques
> LE PROJET ×
Présentation
Agence / architecte qui, expérience
Autres intervenants
État Date de réalisation / conception
Exécution Type de projet participatif, imposé…
Mandataires
Alejandro ARAVENA pour et avec l’agence ELEMENTAL Chile [Alejandro ARAVENA – Alfonso MONTERO, Tomás CORTESE – Emilio de la CERDA – Andrés IACOBELLI] associée à l’université catholique de Santiago du Chili Agence spécialisée dans la recherche et le développement de projets ayant pour objectif "d’élever le niveau de vie au Chili, en utilisant la ville comme ressource illimitée pour construire l’égalité". Leurs initiatives requièrent la coordination des acteurs publics et privés dans un processus participatifs de prise de décision et avec pour leitmotiv "Hacer mas con lo mismo" Leurs projets s’étendent à tous les domaines de la construction (habitat, infrastructure, équipement, espace public…) et sont reconnus et demandés à l’internationale. Ingénierie : José GAJARDO Juan Carlos de la LLERA Urbanisme : Proingel Abraham GUERRA Construction : Loga Programme "Chile Barrio" Mandaté par le MinVU, le programme est né en 1996 sous la tutelle du programme national de résolution de la pauvreté et en collaboration avec l’Université du Chili. Son principal objectif est de trouver une solution durable à la question des familles vivant dans les "camps précaires" en proposant des solutions d’amélioration de l’habitat et des conditions de vies. Réalisé et habité depuis une dizaine d’années - 2002 : Première prise de contact de Chile Barrio avec Elemental et début de la phase de conception - 2003 : début des travaux - 2004 : livraison du projet et remise des clés aux habitants 9 mois L’une des conditions posée par Chile Barrio étant d’impliquer les habitants dans le projet, l’agence Elemental propose de mettre en place un projet de type Do Tank : l’avant-projet est réalisé avec le concours des habitants ainsi que la construction partielle des logements. Ce fonctionnement a été soutenu et encouragé par le programme "Un barrio para mi familia" mis en place afin de faire le lien entre les habitants et l’équipe de réalisation - Le MinVU (Ministère de l’habitat et de l’urbanisme chilien) via le Programme "Chile-Barrio" - Le gouvernement régional de Tarapacá
Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM Le projet Favela Cloud a été présenté dans le cadre de leur diplôme de fin d’études à l’institut d’Architecture et de Design à l’université d’Aalborg (Danemark) Pour ce projet les trois étudiants ont vécu 5 mois à Rio de Janeiro dont 3 à proximité de la favela Santa Marta
Enseignants référents : Victor ANDRADE Dario PARIGI
Avant-projet conceptuel Conçu entre 2010 et 2012 et présenté le 31 mai 2012
/ Projet proposé par les trois architectes pour les habitants d’après une immersion dans leurs conditions de vies. Il s’inspire de leurs besoins ainsi que des contraintes du terrain mais n’inclue pas les habitants eux-mêmes à la conception ou à la potentielle réalisation du projet.
/
État Date de réalisation / conception
Réalisé et habité depuis une dizaine d’années - 2002 : Première prise de contact de Chile Barrio avec Elemental et début de la phase de conception - 2003 : début des travaux - 2004 : livraison du projet et remise des clés aux habitants 9 mois L’une des conditions posée par Chile Barrio étant d’impliquer les habitants dans le projet, l’agence Elemental propose de mettre en place un projet de type Do Tank : l’avant-projet est réalisé avec le concours des habitants ainsi que la construction partielle des logements. Ce fonctionnement a été soutenu et encouragé par le programme "Un barrio para mi familia" mis en place afin de faire le lien entre les habitants et l’équipe de réalisation - Le MinVU (Ministère de l’habitat et de l’urbanisme chilien) via le Programme "Chile-Barrio" - Le gouvernement régional de Tarapacá 750 000 $ US soit 7 500 $ par famille [budget alloué pour : le terrain, les infrastructures et les bâtiments] soit environ 205 $/m² Budget très restreint compte-tenu du prix du terrain (près de 3 fois plus que ce que le logement social peut supporter) A l’origine Elemental est un concours internationnal lancé par Alejandro ARAVENA et Andrés IACOBELLI dans le cadre du FONDEF accordé ici dans le cadre du programme VSDSD pour le développement de nouvelles typologies d’habitats sociaux. Le but de ce concours et de centraliser les idées de grands architectes internationaux au service du développement de 7 complexe d’habitats sociaux dans les 7 régions chiliennes. Le projet réalisé à Iquique est une sorte de première expérience pour affiner les modalités du concours.
Avant-projet conceptuel Conçu entre 2010 et 2012 et présenté le 31 mai 2012
Programme
100/93 logements
Capacité Type de logements proposés
100/93 familles Il s’agit de logements évolutifs et extensifs : 36m² sont construits dans le cadre du projet – 34m² peuvent être ajoutés selon besoins et possibilités des propriétaires. Concrètement il existe deux types de logements les uns étant en rez-de-chaussée et les autres des duplex au premier étage. Tous sont équipés de la même façon (cuisine, sanitaires, accès privé) mais seuls les logements en rez-de-chaussée possèdent un espace extérieur privé (patio)
Surfaces site, bâti
Site : 5 700 m² Bâti : 3 620 m²
Gestion des extérieurs
Les logements sont disposés selon 4 secteurs regroupant 20 familles. Les habitations s’organisent autour de ces quatre espaces collectifs (petites places) qui servent à la fois de
Habitations Bureaux Bibliothèque Centre d’art et culturel (école de danse de musique) Parc public Lieux d’enseignements Église Équipements sportifs (piscine, centre de fitness…) Café et stockage attenant Une vingtaine de logements Le projet comporte deux types de logements en duplex : - 1 chambre (30-45 m²) > 1 dodécaèdre - 2 chambres (75-85 m²) > 2 dodécaèdres Tous les logements sont équipés d’une cuisine et de sanitaires et sont contenus dans un ou deux éléments de la structure générale du projet. Une plateforme accueille la/les chambres et une seconde plateforme est destinées aux espaces de vies. Un escalier central relie les deux espaces. Les pièces ne sont pas cloisonnées de façon rigide et fixe mais sont équipées de panneaux de bois mobiles permettant de se protéger des intempéries au besoin (inspirés de l’architecture japonaise) Site dont équipements sportifs, café et église : 2530 m² Logements : 920 m² Équipements : 2080 m² Les plateformes qui relient les logements sont conçues comme des espaces qui peuvent grandir avec la structure et accueillir des rassemblements "informels" générés par le
Exécution Type de projet participatif, imposé…
Mandataires Budget
Autres remarques
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/ Projet proposé par les trois architectes pour les habitants d’après une immersion dans leurs conditions de vies. Il s’inspire de leurs besoins ainsi que des contraintes du terrain mais n’inclue pas les habitants eux-mêmes à la conception ou à la potentielle réalisation du projet.
/ /
Le projet est à un stade conceptuel et est présenté comme une proposition d’amélioration et de développement des stratégies urbaines dans les bidonvilles. Il n’a pas nécessairement la prétention de devoir être conçu tel quel mais ses concepteurs espèrent inspirer par leurs idées les futurs projets initiés dans les bidonvilles.
Réalisation
un espace extérieur privé (patio)
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Surfaces site, bâti
Site : 5 700 m² Bâti : 3 620 m²
Gestion des extérieurs
Les logements sont disposés selon 4 secteurs regroupant 20 familles. Les habitations s’organisent autour de ces quatre espaces collectifs (petites places) qui servent à la fois de parking, d’espace de rencontre et d’aire de jeux sécurisée pour les enfants (un seul accès à la rue). L’aménagement et la décoration de ces espaces fonctionne comme une sorte de propriété : il est laissé aux choix et aux initiatives des habitants.
Prise en compte du fonctionnement Les habitants ont été consultés pour la composition des préexistant secteurs afin de préserver les liens sociaux et liens de voisinages existants avant la transformation du bidonville. Par ailleurs, la typologie proposée et la possibilité d’étendre librement les logements permet de retrouver un mode d’habitat proche de celui qui préexistait et était donc familier aux habitants. Intégration des habitants
Site de projet
Méthode d’intervention
Autres remarques
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Architecture
La création du programme "Un barrio para mi familia" a permis aux habitants de suivre de s’impliquer pleinement dans le projet. Des réunions ont été organisées pour : - Informer la population - Consulter chacun et permettre à tous de s’exprimer à propos de ses souhaits pour sa future maison - Offrir aux habitants la possibilité de visiter le chantier et de rencontrer les entreprises y intervenant - Permettre aux habitants de choisir et améliorer leur logement - Proposer et mettre en place les règles du jeu nécessaire à une bonne entente dans le voisinage Le site de l’ancien bidonville et ses nombreux avantages ont été conservés (situation idéale, lien sociaux, accès à l’emploi…). Les habitants ont uniquement été déplacés durant la période des travaux (environ 1 an). - Déplacement des habitants dans deux camps en périphérie de la ville (Alto Hospicio) ou chez des proches pour ceux qui en avaient la possibilité - Réunions d’informations et avant-projet - Début des travaux tout en poursuivant les réunions d’informations (visites de chantier notamment) - Réintégration du site et remise des clés lors de l’inauguration
plateforme est destinées aux espaces de vies. Un escalier central relie les deux espaces. Les pièces ne sont pas cloisonnées de façon rigide et fixe mais sont équipées de panneaux de bois mobiles permettant de se protéger des intempéries au besoin (inspirés de l’architecture japonaise) Site dont équipements sportifs, café et église : 2530 m² Logements : 920 m² Équipements : 2080 m² Les plateformes qui relient les logements sont conçues comme des espaces qui peuvent grandir avec la structure et accueillir des rassemblements "informels" générés par le mode de vie des habitants des favelas : barbecue, jeux d’enfants, rencontres … Un parc public est créé au sommet de la structure pour offrir un espace de vie agréable aux habitants : secteur ombragé et végétalisé Enfin, la structure génère une ombre nécessaire à optimiser l’usage de l’actuel terrain de football de la favela. En effet, bien que très populaire, ce site est soumis à un ensoleillement trop important qui limite son usage à certains moments de la journée (matin et soir) La structure imagine s’inspire du développement naturel observé dans les bidonvilles et retranscrit à travers le modèle mathématique du diagramme de Voronoï. - Aucun développement planifié et dessiné via une grille urbaine - Création d’une structure évolutive capable de grandir - Reconstitution du fonctionnement urbain existant - Agrégat de dodécaèdres : figures inspirées du modèle de Voronoï réinterprété en 3D /
Au-dessus de l’actuel terrain de football, situé au sommet de la favela. Ce site est particulièrement prisé mais son usage rendu difficile en raison de son exposition continue à un fort ensoleillement. Aucune influence sur les habitations existantes qui restent en l’état. Le projet vient se greffer au-dessus, comme en suspension sur le site.
Le site a inspiré la forme du projet : des nuages se développement souvent au sommet des mornes. Au-delà de son aspect poétique, cette forme suggère un élément non figé dans le temps et qui permettrait une franchissement ou un lien entre les deux reliefs voisins du site.
un lien entre les deux reliefs voisins du site.
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Architecture
Type de construction
Qualités du bâti
Propriété, locatif, autre
Matériaux
Techniques constructives
Construction mixte : - L’ensemble du gros-œuvre et des réseaux ont été réalisés par des entreprises qualifiées : mur structurel et séparatif entre les propriétés, dalle solide entre les appartements, escaliers, cuisine et sanitaires - Les cloisons, l’organisation et la décoration interne ont été laissées au soin des habitants Il s’agit d’un bâti de moyenne voir haute densité tout en intégrant des espaces extérieurs de qualité. La générosité des espaces, la taille des logements et leur solidité apportent une grande plus-value aux constructions en comparaison à celles préexistantes. Les parois et dalles en béton jouent le rôle de coupe-feu et la disposition poreuse et aérée des habitations permet d’optimiser leur ventilation et éclairage pour une meilleure qualité de vie. Enfin les équipements et installations sanitaires fiables viennent compléter ces nouvelles dispositions. Le rachat du terrain dans le cadre du programme de réhabilitation a permis d’offrir à chaque habitant la propriété de sa maison. Certains ont profités de la création d’extensions pour créer de petits appartements destinés à la location. Structure : béton armé Dalle et murs : parpaings et briques de ciment Charpente et menuiseries metalliques Menuiserie et escaliers intérieur et escaliers extérieurs : bois Cloisons : OSB pour la plupart (selon le choix des habitants) Peu d’informations hormis que le projet a été jugé innovant dans le sens ou la dalle entre le rez-de-chaussée et le premier étage, ainsi que les murs séparatifs ont été conçus pour pouvoir accueillir les futures extensions des habitants.
Intégration de la donnée environnementale Peu d’informations si ce n’est que dépendamment de leur position autour des cours, certains logements sont mieux orientés que d’autres et bénéficient donc d’une meilleure ventilation (moins de surchauffe estivale)
Concept fort
Autres remarques
"Hacer mas con lo mismo" : le budget assigné par le gouvernement est utilisé pour construire les éléments les plus techniques (murs, sanitaires, escaliers…) et le reste des aménagements est confié aux habitants. L’agence Elemental s’oppose à la dévaluation dont sont victimes les logements sociaux généralement. Il est ici conçu comme un investissement au-delà de la dépense La typologie retenue pour le choix du bâti émane d’une réflexion à propos de la densité optimale des logements : 1 maison – 1 lot = 33 maisons > pas assez de logements
Dans le cas où le projet serait construit on peut imaginer que l’intégralité de la construction serait réalisée par des entreprises spécialisées et professionnelles en raison de la complexité et de la dimension de la mégastructure à mettre en place.
Les logements s’inspirent de techniques issues de l’architecture vernaculaires. Ils sont poreux et particulièrement ouverts sur l’extérieurs : plus lumineux et ventilés que les constructions présentent dans les favelas. Chaque logement possède ses sanitaires privés et sa cuisine.
/
Structure : acier essentiellement Peau : polycarbonate et panneau photovoltaïcs Murs : panneaux de bois mobiles (pour les logements) Dalles : planchers ? Utilisation de du dodécaèdre comme éléments structurel et comme générateur d’espace : - La structure principale est composée des poteaux qui ancrent et supportent le projet. Ceux-ci servent de support à l’ensemble des réseaux ou accès au nuage - La structure secondaire est formée par les plateforme et dodécaèdres contenant l’ensemble des espaces (semi-) publics et des zones de circulation - Enfin les logements sont greffés sur cette structure secondaire - Ensoleillement : les dodécaèdres sont déformés et fermés selon leur orientation, dans cette optique, des panneaux photovoltaïques se greffent sur la structure en guise de protection solaire et permettent d’assurer une certaine autonomie électrique à la mégastructure - Matériaux : utilisation de matériaux léger et réfléchissant pour éviter d’emmagasiner la chaleur en journée - Ventilation : la porosité des dodécaèdres permet d’optimiser la circulation interne de l’air et d’assurer une ventilation naturelle et permanente. L’air frais pénètre librement dans la structure et chasse l’air chaud. Réinterprétation d’une technique constructive ancestrale (le cobogó) pour proposer une mégastructure qui offrirait les mêmes avantages : ventilation, ombre et esthétique. Ce concept s’associe à une appropriation des villes utopiques des années 1960 (archigram, plug-in city…) pour concevoir une structure évolutive et inspirée du développement naturel des bidonvilles.
Autres remarques
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gouvernement est utilisé pour construire les éléments les plus techniques (murs, sanitaires, escaliers…) et le reste des aménagements est confié aux habitants. L’agence Elemental s’oppose à la dévaluation dont sont victimes les logements sociaux généralement. Il est ici conçu comme un investissement au-delà de la dépense La typologie retenue pour le choix du bâti émane d’une réflexion à propos de la densité optimale des logements : 1 maison – 1 lot = 33 maisons > pas assez de logements 1 maison – 2 étages – 1 lot = 66 maisons > même constat 100 maisons – 1 lot = 100 logements > pas d’extension possible En mixant toutes ces solutions on obtient : 2 maisons – 1 lot – 3 niveaux = 100 logements avec une possibilité d’adaptation et d’extensions et un édifice suffisamment poreux pour que ses habitants se l’approprient.
cobogó) pour proposer une mégastructure qui offrirait les mêmes avantages : ventilation, ombre et esthétique. Ce concept s’associe à une appropriation des villes utopiques des années 1960 (archigram, plug-in city…) pour concevoir une structure évolutive et inspirée du développement naturel des bidonvilles.
Retours
Avis des habitants/appropriation
Le concept proposé par l’agence Elemental a immédiatement / été adopté par les habitants qui ont pu s’y projeter en conservant le mode de vie qui leur était familier. 5 mois après la remise des clés, la plupart des habitants avaient pu s’approprier leur logement (disposition des espaces) et commencé à le décorer. Les plus aisés et débrouillards avaient déjà construits leurs extensions et dans l’ensemble, la majeure partie des habitants se déclaraient satisfait du projet malgré le fait que les premières difficultés apparaissent déjà, notamment concernant les choix d’aménagement des espaces communs et public (cours, esthétique des façades et escaliers extérieurs…)
Critiques de la presse
Critiques des professionnels
5 ans après : - 85% des familles avaient réalisé une extension (généralement destinée à des chambres) et seul 32% des habitants vivaient encore en sur entassement dans leur logements - Globalement 70% des familles se déclaraient satisfaites de leur logements avec pour seuls bémols les inégalités lié à la possession d’un patio pour les logements du rez-dechaussée et les escaliers d’accès aux logements trop inclinés pour les enfants et personnes âgées - La question de l’aménagement des espaces extérieurs n’avaient pas été réglée sauf dans l’une des 4 cours où s’est regroupée une communauté … La difficulté à gérer ces espaces extérieurs a suscité des problèmes de voisinages et entrainée une détérioration du climat social entre les habitants (moins d’entraide) - Malgré tout plus de la moitié d’entre eux sont fiers de leur quartier et seul 8% en sont déçus - Enfin 82% des habitants sont satisfait d’avoir conservé la localisation de leur logement et 93% reconnaissent que leurs conditions de vie se sont particulièrement améliorées (notamment en termes de sécurité face au climat social de ce secteur urbain) Le projet a été beaucoup couvert par la presse et diffusé Projet diffusé sur plusieurs blogs généralistes ou spécialisés comme un exemple à suivre. dans le domaine architectural. Il intéresse de par les solutions innovantes qu’il porte et les idées novatrices qu’il propose comme base de réflexion à de futurs projets plus concrets. Là encore de nombreuses revues et articles de blog /
habitants (moins d’entraide) - Malgré tout plus de la moitié d’entre eux sont fiers de leur quartier et seul 8% en sont déçus - Enfin 82% des habitants sont satisfait d’avoir conservé la localisation de leur logement et 93% reconnaissent que leurs conditions de vie se sont particulièrement améliorées (notamment en termes de sécurité face au climat social de ce secteur urbain) Le projet a été beaucoup couvert par la presse et diffusé Projet diffusé sur plusieurs blogs généralistes ou spécialisés comme un exemple à suivre. dans le domaine architectural. Il intéresse de par les solutions innovantes qu’il porte et les idées novatrices qu’il propose comme base de réflexion à de futurs projets plus concrets. Là encore de nombreuses revues et articles de blog / d’architecture ont médiatisé le projet. Il est diffusé comme une possible source d’inspiration destinée à trouver des solutions durables pour l’amélioration de la qualité de vie dans les bidonvilles. Le projet a permis à Alejandro ARAVENA et Elemental d’obtenir le Lion d’Argent à la 11ème biennale d’architecture de Venise en 2008 puis a été qualifié dans de nombreux prix et concours soulignant la solution audacieuse qu’il propose. Peu de retour à propos de l’usure mais le choix de matériaux / pérennes, la propriété et la volonté de laisser les habitants maîtres de l’esthétique de leur logement ont permis un entretient relativement régulier des constructions. Selon les possibilités des familles, les habitations ont donc conservé un aspect plutôt soigné et subi peu de détériorations.
102
Critiques de la presse
Critiques des professionnels
Vieillissement / état d’usage
×
Bilan
Apport par rapport à l’existant
Avantages
Difficultés rencontrées
Inconvénients
- Gain de surface : minimum 36 m² et diminution de l’entassement des familles - Propriété du terrain et de la maison - Sécurité d’un logement solide et équipé - Organisation urbaine maitrisée et aérée (espaces public dessinés et respectés) - Mise en place de règles urbaines - Adaptabilité des logements et extensions possibles - Conservation du site originel du bidonville a permis d’éviter à ses habitants d’être déplacés en périphérie et ainsi d’être marginalisés - Possibilité de s’approprier le logement - Liberté d’aménager et d’organiser les espaces publics - Choix de ses voisins et de son environnement - Peu/pas d’investissement demandé aux habitants pour la base du logement - Possibilité de profiter des extensions pour créer une source de revenue (appartement en location, commerce…) - Propriété : plus d’expropriation à craindre - Convaincre les habitants de quitter le site en vue de réaliser les travaux. La plupart d’entre eux ne croyaient pas en la réalisation du projet et ont eu peur qu’on ne les exproprie pour profiter d’un site particulièrement prisé en centre-ville - Le prix du terrain qui a beaucoup pesé dans un budget aussi serré que celui alloué à ce type de reconstructions - Trouver une typologie optimale qui permettait de combiner la haute densité nécessaire au relogement de tous les habitants et la qualité de vie souhaitée. Le tout à un prix raisonnable. - Inégalité des différents logements : certains ont accès à un patio, d’autres ont plus de possibilités d’extensions. - Les tensions générées par ces inégalités qui ont quelque peu
- Ajout de surface habitable à la favela - Amélioration d’un secteur populaire dont le potentiel n’était pas pleinement exploité : ombre générée et construction d’équipements autour du terrain de football - Création d’équipements, notamment culturels - Structure évolutive et capable de s’agrandir selon les besoins - Optimisation du confort des occupants - Accessibilité intégrée au projet : le site est situé au niveau de l’une des stations du funiculaire - Programme qui mixe équipements publics et logements - Espaces publics pensés dans la continuité de ceux rencontrés dans les favelas
- Mégastructure imposée aux habitants et parachutée sur le site - Projet très esthétique qui pourrait mal vieillir
103 Inconvénients
pour profiter d’un site particulièrement prisé en centre-ville - Le prix du terrain qui a beaucoup pesé dans un budget aussi serré que celui alloué à ce type de reconstructions - Trouver une typologie optimale qui permettait de combiner la haute densité nécessaire au relogement de tous les habitants et la qualité de vie souhaitée. Le tout à un prix raisonnable. - Inégalité des différents logements : certains ont accès à un patio, d’autres ont plus de possibilités d’extensions. - Les tensions générées par ces inégalités qui ont quelque peu porté atteinte à la qualité de vie sociale préexistante entre les habitants (moins d’entraide, difficile de s’accorder à propos du respect des règles de construction à respecter, manque de considération pour les espaces publics qui passent au second plan après l’aménagement et l’extension des logements…) - Endettement de certains habitants qui ont dépensé plus que ce qu’ils n’avaient pour aménager et étendre leurs logements.
- Mégastructure imposée aux habitants et parachutée sur le site - Projet très esthétique qui pourrait mal vieillir - Taille et ombre de la structure qui peuvent générer des nuisances pour les habitants voisins - Complexité technique : possibilité de la réalisation, complexité de la mise en œuvre des extensions… - Coût potentiel - Structure accessible uniquement à quelques privilégiés : nombre de logement crées relativement faible au vu de la taille de la structure
104
105
x
TABLE DES ILLUSTRATIONS Fig. 01 _
Noms donnés au bidonvilles selon les pays
10
Source personnelle
Fig. 02 _
Quelques édifices emblématiques construits au cours de ces 100 dernières an- 14 nées. De haut en bas : Opéra de Sydney (Jorn UTZON- 1973) _ Congrès national du Brésil (Oscar NIEMEYER
- 1960) _ Centre Georges Pompidou ( PIANO & ROGERS- 1977) _ Villa Savoye ( Le CORBUSIER- 1931) _ Stade national de Pekin (HERZOG & DE MEURON - 2008) _ Musée Guggenheim ( Franck LLOYD WRIGHT - 1959) | Source personnelle
Fig. 03 _
Les bidonvilles de Nanterre _ 1959
16
Fig. 04 _
Représentation caricaturale des slums de Londres _ 1872
16
Fig. 05 _
Grands ensembles de Vélizy Villacoublay (Île de France) _ 1964
18
Fig. 06 _
Le Crystal Palace, construit pour l’exposition universelle de Londres _ 1851
21
Fig. 07 _
Projet de Le CORBUSIER pour la ville de Rio de Janeiro _ 1929
22
Fig. 08 _
Répartition des sites de projets / d’étude
28
Fig. 09 _
Modes de sensibilisation à la question des bidonvilles
29
Fig. 10 _
Cadre dans lequel s’inscrit le choix du projet ou du sujet
30
Fig. 11 _
Localisation de la favela Santa Marta
33
Fig. 12 _
L’aire de loisirs ombragée et redessinée par les architectes
34
Fig. 13 _
Assemblages et combinaisons des dodécaèdres qui structurent le projet
36
Fig. 14 _
Exemple de cobogó
36
Fig. 15 _
Localisation du bidonville de Quinta Monroy
38
Jean POTTIER
Gustave DORÉ
Non renseigné _ disponible sur : http://www.velizy-villacoublay.fr/fr/decouverte-de-la-ville/ Non renseigné _ disponible sur : http://expouniverselle.canalblog.com/ Le CORBUSIER
Source personnelle Source personnelle Source personnelle Source personnelle
Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM Source personnelle
Fig. 16 _
Les typologies écartées
41
Elemental
Fig. 17 _
Le projet lors de sa livraison
42
Fig. 18 _
Le projet habité quelques années plus tard
43
Fig. 19 _
Plan du quartier organisé autour des quatre cours
43
Fig. 20 _
Bidonville City _ Sculpture en polyrethane de l’artiste belge Arne QUINZE
50
Fig. 21 _
Projet 28 Millimètres, Women are heroes au Brésil _ JR - 2012
50
Fig. 22 _
Projet Favela Painting à Santa Marta_ Haas&Hahn - 2010
50
Fig. 23 _
Le projet de l’agence MVRDV en Chine...
53
Fig. 24 _
... et les bidonvilles de Caracas dont il s’inspire
53
Fig. 25 _
Plans des deux types de logements proposés dans le Favela Cloud
85
Fig. 26 _
Répartitions des différents programmes dans la mégastructure
86
Fig. 27 _
Coupe sur l’un des trois points d’accès à la mégastructure
87
Fig. 28 _
Plans de la structure originale et des aménagements / extensions possibles
88
Fig. 29 _
Coupe et élévations des logements sans extensions
90
Fig. 30 _
Exemples d’extensions réalisées par les habitants après la réception de leur logement
91
Elemental Elemental Elemental
Arne QUINZE JR
Haas&Hahn
Agence MVRDV
Yann ARTHUS BERTRAND
Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM Johan KURE, Kemo UTSO et Thiru MANICKAM Elemental Elemental
Elemental
106
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TABLE DES MATIÈRES Remerciements
2
Introduction
5
Méthode de travail
6
Architecture et bidonvilles, regards croises
9
1. Définitions
9
—— Bidonville et ville formelle —— Architecture informelle et architecture savante
9 12
—— Culture et architecture
14
2. Une situation mondiale préoccupante … —— Apparition des premiers bidonvilles —— Nord et Sud, deux évolutions contraires —— L’enlisement
3. … et réaction des architectes —— Un phénomène longtemps négligé par les professionnels —— Opérations de relogements et prise de conscience —— La possibilité d’un cercle vertueux entre l’architecte et le bidonville
La transmission d’un savoir au service de l’intégration de l’habitat informe dans l’urbain 1. Une génération impliquée —— Prise de conscience —— Un engagement volontaire et solidaire —— Vers de nouveaux enjeux pour l’architecture
15 15 17 19
21 21 23 24
27 27 27 28 30
2. Favela cloud, construire pour les habitants
32
—— Contexte : la favela Santa Marta —— Le projet : Favela Cloud —— Méthode d’intervention des architectes
32 35 37
3. Elemental, construire avec les habitants
39
—— Contexte : le bidonville Quinta Monroy —— Le projet : Elemental Chile —— Méthode d’intervention des architectes
39 41 43
Une source d’inspiration pour un renouveau de la culture architecturale 1. Vers une évolution de la pratique de l’architecture —— Remise en question de la démarche de projet —— La fin de l’architecture signée —— Une nouvelle définition du rôle de l’architecte
2. L’habitat informel, moteur d’innovations —— Une fascination esthétique —— Des techniques constructives innovantes et audacieuses —— Une autre manière d’habiter
3. Une croissance urbaine porteuse d’opportunités —— Un village dans la ville —— Croissance urbaine aléatoire —— Pour une autre approche de la ville
Conclusion Bibliographie Annexes —— —— —— ——
Annexe 1 : Enquête Annexe 2 : Favela cloud Annexe 3 : Quinta Monroy Annexe 4 : Tableau comparatif des études de cas
Tables des illustrations Table des matières
45 45 45 47 48
50 50 52 54
56 56 57 58
61 65 69 70 84 88 92
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