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Chammal : former les formateurs

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Centenaire de la Grande Guerre 1914-1918

En 1914 comme en 2015, le blessé est le combat du Service de santé des armées. Il est aussi celui de la Nation toute entière. En effet, que ce soit par la réorganisation entreprise sous la pression des événements de la 1 re guerre mondiale ou au travers de la transformation réfléchie et concertée mise en œuvre par le modèle SSA 2020, le but reste le même : améliorer encore et toujours la prise en charge du blessé de guerre.

Le désastre sanitaire des premiers mois de la Grande Guerre a rapidement obligé le Service de santé, mal organisé, mal équipé et brutalement sollicité sur le territoire national, à procéder à une vaste réorganisation. Dès la fin de l’année 1914, le Service de santé innove afin de faire face à l’afflux massif de blessés.

Le dossier thématique de ce numéro d’Actu Santé illustre quelquesunes des avancées médicales, techniques et organisationnelles qui en ont découlé.

Le SSA tel que nous le connaissons aujourd'hui, et plus encore celui du modèle SSA 2020, sont à bien des égards les héritiers de ces évolutions.

Se préparer, s’adapter, innover

L’entrée de la France dans la guerre en 1914 a été un véritable choc. Il faudra beaucoup de courage et d’acharnement pour faire face au drame humain qu’elle va engendrer. En 2015, le contexte sécuritaire et les nouvelles menaces sanitaires obligent le SSA à s’interroger à nouveau sur son organisation et l’évolution de sa chaîne santé opérationnelle. Il doit être en mesure d’assurer le contrat opérationnel pour lequel il est dimensionné. Quel que soit le contexte, il doit remplir sa mission de soutien des armées et garantir sa participation à la gestion de crises dans un cadre interministériel. Construire un SSA capable de s’adapter à tous types de situations graves et souvent imprévisibles est l'un des fondements du modèle SSA 2020. En effet, une nouvelle surprise stratégique est toujours possible et il faut donc prévoir un système adaptable, réactif et innovant pour y faire face.

Ensemble avec le monde civil de la santé

De 1914 à 1918, l’effort unanimement consenti par les acteurs de la santé (civils, réservistes et militaires d'active) pour œuvrer ensemble au soutien des combattants était indispensable. Tout le pays s’est mobilisé pour la Nation. Le rapprochement du monde civil de la santé et du Service de santé des armées était obligatoire et nécessaire mais il n’était pas préparé.

En 1914, au front comme à l'arrière, c'est bien toute la communauté nationale de santé qui, au nom de valeurs patriotiques et humanistes, s'est unie pour le bien commun et cela sans distinction d'uniformes et de conditions. Les professionnels de santé de l'époque y ont ajouté un sens éthique particulier et une vision de leur action au profit de l'humanité qui forceront l'admiration et contribueront plus tard à servir de base aux Conventions de Genève.

En 2015, les menaces protéiformes et persistantes rendent encore plus nécessaire le besoin de travailler ensemble et autrement. C’est dans cette perspective que l’ouverture vers le monde civil de la santé est l'un des principes fondateurs du modèle SSA 2020. Elle a pour objectif de développer de manière pragmatique toutes les synergies possibles, dans le respect des identités de chacun.

Le blessé de guerre, une préoccupation majeure

Le musée du Val-de-Grâce est riche de l’illustration de cette prise en charge des blessés de la Grande Guerre, de leur handicap et des séquelles physiques ou psychiques. Les témoignages de l’époque sont nombreux. Ils montrent l’extrême dureté des combats et le lourd tribut payé par nos soldats : amputations, « gueules cassées », « névrose traumatique »…

100 ans plus tard, le parcours de soins du blessé de guerre depuis sa prise en charge initiale jusqu’à sa réadaptation et sa réinsertion demeure la préoccupation majeure du Service puisque c’est un axe prioritaire de la transformation actuelle.

 MC Chantal Roche,

d’après les propos recueillis auprès du MGA Debonne, Directeur central du Service de santé des armées

La chaîne d’évacuation

des blessés

Contestée dans les premiers mois de la Grande Guerre, l’organisation de la chaîne des évacuations des blessés est rapidement adaptée par les médecins aux contraintes de la guerre, dès lors qu’ils peuvent en assumer la responsabilité logistique. Sous leur impulsion, tout est alors mis en œuvre pour hâter la prise en charge thérapeutique et l’évacuation des blessés, faisant de la chaîne d’évacuation du Service de Santé français un exemple unanimement salué.

Malgré des évolutions doctrinales et des adaptations circonstancielles enregistrées au cours de la guerre, liées à l’expérience acquise et aux progrès techniques, on peut retenir une organisation schématique moyenne de la chaîne d’évacuation des blessés en regroupant les différentes opérations de soutien sanitaire en trois grandes étapes.

Les « opérations de relèvement des blessés »

Les « relais de blessés » organisés sur la ligne de front, permettaient le regroupement des blessés relevés par les brancardiers, en général dans des conditions extrêmes. Des infirmiers

Premiers soins sur le champ de bataille Blessé chargé dans un camion sanitaire

prodiguaient les premiers soins, posaient les premiers pansements. Les blessés étaient acheminés alors aux postes de secours des bataillons et des régiments. En mouvement de combat, ceux-ci étaient sommairement déployés dans un abri, une cave, une école, une église autant que dans une tranchée ou au bord d’un talus. Quand les délais le permettaient, on s’installait pour durer, au mieux des circonstances. Le poste de secours était alors situé à 1 000 ou 1 500 mètres des premières lignes. Malgré leur précarité, ces postes, tenus par des médecins, permettaient une première prise en charge médicalisée des blessés et des malades avant leur évacuation. Il fallait éviter tout

engorgement à leur niveau, même si dans certains cas, certains gestes urgents, en particulier d’hémostase, y furent réalisés. La séparation entre Transport d'un blessé au poste de secours éclopés, blessés marchants, blessés couchés, blessés intransportables et plus tard intoxiqués par les gaz s’effectuait dès les postes de secours. Pour les médecins qui arment ces postes de secours ainsi que pour leurs subordonnés le quotidien est fait de courage, d’abnégation mais aussi d’ingéniosité et d’adaptation permanente aux circonstances et à la précarité de leurs installations. Nombre d’entre eux tomberont, victimes du devoir.

Les « opérations de ramassage »

Au delà, le service de santé divisionnaire, avec ses groupes de brancardiers et ses sections de voitures sanitaires, assurait le « ramassage » ou « premier transport ». Les blessés étaient pris en charge aux postes de secours. Le terrain et la permanence des combats interdisaient en général l’approche des véhicules à moins de 1 ou 2 km du poste de secours, imposant un portage dans des conditions souvent si difficiles qu’il fallait organiser des relais tous les 400 à 500m. Chargés dans les véhicules de transport, les blessés étaient alors acheminés, Brocourt (Meuse) - Ambulance soit vers les ambulances divisionnaires où étaient effectués le triage et le traitement des intransportables, soit vers la première ligne des « hôpitaux d’origine d’étape » où ils trouveraient un train sanitaire. Assez rapidement, face au grand nombre de blessés, la notion de « triage » s’est imposée, distinguant les « évacuables » des « intransportables » et des « éclopés » qui restaient dans les ambulances. Il ne sera effectué dans une formation spécialisée qu’à partir de 1917 lorsqu’il deviendra le pivot de l’organisation de la chaîne des évacuations.

Les « opérations d’évacuations »

Les évacuables gagnaient les formations hospitalières déployées dans la « Zone des Etapes ». Ces « hôpitaux d’origine d’étape » (HOE) étaient également qualifiés « d’hôpitaux d’évacuation ». On y arrêtait les blessés et les malades devenus intransportables. Au début de la guerre, les HOE implantés auprès

HOE d’une gare n’assuraient que la mise à bord des trains sanitaires des blessés, pour lesquels commençait alors un acheminement au loin, vers les hôpitaux de l’Intérieur, où ils recevraient, tardivement et au prix de pertes considérables, le premier traitement adapté à leur état. À partir de 1915, la modification de la dotation en matériel chirurgical des HOE permit d’accroître la compétence technique de ces formations afin d’améliorer la régulation des flux des évacuations. Assurant toujours la mission d’embarquement dans les trains sanitaires, ils représentaient désormais de véritables centres de traitement pour les blessés les plus graves. Souvent, furent annexées à ces hôpitaux d’évacuation des formations dites « complémentaires temporaires » pour les gazés, contagieux, neurologiques, psychiatriques.

Au delà de la zone des Armées, le nombre de ces formations d’accueil (hôpitaux militaires mais surtout hôpitaux mixtes militarisés, complémentaires ou auxiliaires) fut considérable : en 1915, on dénombrait 5305 formations offrant un potentiel d’hospitalisation théorique de 507 562 lits.

Hôpital complémentaire à Compiègne - Salle commune

Le Service de Santé a démontré sa capacité d’adaptation pour atteindre l’excellence, mais sa contribution à la Victoire fut aussi celle du lourd tribut qu’il paya en morts et en souffrances. Ses pertes au cours de la Grande Guerre témoignent de l’héroïsme de tout le personnel médical et paramédical. Plus de 1 600 médecins tombèrent au champ d’honneur. Très naturellement, l’essentiel d’entre eux servait « à l’avant ». Comme l’écrira après la guerre Justin Godard, sous secrétaire d’Etat au Service de santé : « Ils venaient, dans la bataille qui ne les épargnait point, pour veiller sur la vie des autres. Et, négligeant la leur, ils pansaient, ils opéraient, la mort furieusement déchaînée les menaçant et les frappant sans distinguer ».

Évacuations sanitaires

par voie ferrée

Au cours de la guerre, le parc des trains sanitaires a dû être réorganiser pour transporter près de 5 millions de blessés ou malades, dont plus de 900 000 dans la seule période de mars à novembre 1918.

Au début des hostilités, le parc se composait de cinq trains dits permanents « hôpitaux roulants » pour 128 à 256 blessés couchés, de 115 trains improvisés à wagons couverts, sans intercirculation, ni chauffage ni éclairage d’une capacité de 396 blessés et de 30 trains ordinaires pour le transport de 1 200 à1 500 blessés assis. Les évacuations réalisées dans les premières semaines de la guerre furent qualifiées de désastreuses : les blessés, seulement pansés, étaient envoyés vers les zones géographiques les plus éloignées ce qui aggravait les blessures et entraînait fréquemment des gangrènes. De plus, on eut recours à des trains « de fortune » dans lesquels les blessés repartaient vers la zone de l’Intérieur couchés sans accompagnement ni brancards, allongés sur du fourrage le plus souvent non désinfecté, pour des trajets extrêmement longs. Enfin, la décision de mise en route des évacuations sanitaires par voie ferrée relevait du seul Commandement, sans qu’aucun représentant du Service de santé ne contribue à sa mise en œuvre.

Selon le règlement de 1910, le parcours du train sanitaire dans la zone de l’Intérieur devait transiter par une ou plusieurs stations de transition pourvues d’une infirmerie de gare où les blessés dont l’état s’était aggravé pouvaient être débarqués et dirigés vers une formation hospitalière voisine. Le train se dirigeait ensuite vers une gare point de répartition où étaient débarqués les blessés destinés aux hôpitaux temporaires, mixtes, auxiliaires, hospices civils. Après recomplètement en matériel et désinfection, le train repartait à vide vers une gare qui lui avait été désignée.

Dès octobre 1914, un nouveau type de train sanitaire fut mis en œuvre : le semi-permanent, formé de voitures à intercirculation pour blessés couchés et assis (dits « mixtes ») de 35 à 37 véhicules avec chauffage, éclairage et tisanerie. Au nombre de 55 à l’origine, ils pouvaient emporter 150 à 300 blessés couchés et 400 à 500 blessés assis, selon leur composition. Les trains sanitaires improvisés, eux, furent améliorés par l’adjonction d’un fourgon-tisanerie et d’une voiture d’accompagnement pour le personnel ; autant que possible leur emploi fut limité aux courts parcours entre l’hôpital d’évacuation et la gare régulatrice.

En août 1915 on comptait 6 trains sanitaires permanents, 167 trains sanitaires semi-permanents et 52 trains sanitaires improvisés qui correspondaient approximativement à une capacité totale de 25000 places couchées et 59000 places assises. Les évacuations par voie ferrée concernèrent alors essentiellement des blessés déjà opérés, et le principe du remplissage « par le fond », appliqué au début du conflit, avait été abandonné. La régulation des évacuations avait fait l’objet d’améliorations sensibles grâce aux médecins régulateurs inclus dans le dispositif mis en place par le commandement.

Dans la dernière phase de la guerre, des trains sanitaires improvisés pouvaient utiliser, pendant le trajet, des « marches express » qui permettaient de diminuer la durée du parcours. Ces évacuations massives, réalisées dans des conditions de préparation, de transport et d’accompagnement améliorées, ont permis l’évacuation de blessés non opérés vers des formations accessibles en 10 à 12 heures.

 Col (CR) JP Capel

Les navires hôpitaux

dans la chaîne des évacuations sanitaires

Durant le Premier conflit mondial, 21 navires-hôpitaux furent mis en ligne, alors même qu’en 1914, les armées ne disposaient d’aucun bâtiment récent ou valable. Si les évacuations sanitaires par voie maritime furent essentielles au cours des opérations d’Orient, le rôle du Service de santé de la marine avait déjà apporté, dès octobre 1914, un soutien déterminant sur le front des Flandres.

Navire Hopital La France à Salonique

Le front des Flandres

À Dixmude, sur le front de l’Yser, du 16 octobre au 15 novembre 1914, les combats furent acharnés, héroïques et meurtriers, face à 40000 soldats allemands du Corps de Falkenhayn. Le personnel sanitaire, médecins, infirmiers et brancardiers, paya un lourd tribu. Plusieurs médecins furent tués à l’exemple de Félix Chastang dont le nom sera attribué à un torpilleur en hommage à son courage et à son dévouement. Les blessés furent évacués à Dunkerque par voie de surface où ils furent mis à bord des navires-hôpitaux pour rejoindre les hôpitaux du Havre, de Cherbourg, de Brest et de Nantes. Le Duguay-Trouin, la Bretagne, le Tchad, le Ceylan ou encore l’Amiral Duperré participèrent à l’évacuation de 35000 blessés entre le 23 octobre et le 31 décembre 1914. Leur rôle fut capital, permettant de s’affranchir de la voie ferrée et offrant, pendant le transport, des conditions de prise en charge médicalisée de qualité.

En Orient

Les navires-hôpitaux furent engagés sans relâche sur le front d’Orient. D’abord pour soutenir les forces débarquées dans la presqu’île des Dardanelles où le nombre de blessés fut considérable, imposant de faire appel au renfort de paquebots réquisitionnés, à l’exemple de l’Atlantique IV, du Sphinx, de l’André Lebon ou du Flandre. Les navires-hôpitaux embarquaient les blessés sous le feu des canons turcs, puis se dirigeaient vers l’hôpital maritime déployé sur l’île de Lemnos d’où les blessés pouvaient rejoindre la France ou bien les hôpitaux de la région de Bizerte, sans aucune rupture de leurs soins médicaux et chirurgicaux.

Navire-hôpital La France - Salle d'opération

Ils le furent ensuite en Adriatique, où ils servirent à évacuer vers Bizerte près de 20000 militaires de l’armée Serbe, atteints massivement par le typhus, après sa retraite à travers les montagnes du Monténégro et d’Albanie. Enfin, ils le furent à Salonique à partir d’octobre 1915, alors que le paludisme et la dysenterie faisaient des ravages dans les troupes engagées, s’ajoutant aux nombreux blessés. Les navires-hôpitaux, transportèrent 216000 malades et blessés de toutes nationalités, soit directement vers Marseille et Toulon, soit vers Alexandrie, Bizerte ou l’Algérie.

De la Grance Guerre à aujourd’hui

Durant la Première Guerre mondiale, trois navires-hôpitaux désarmés furent remis en service et modernisés : le Duguay-Trouin (ex-Tonkin), le Bien-Hoa et le Vinh-Long. Pour faire face aux besoins, des paquebots et des cargos mixtes furent réquisitionnés, comme le France IV, le Tchad mais aussi le Sphinx et le Canada qui reprirent du service en 1939 comme navires-hôpitaux, alors rejoints par d’autres paquebots réquisitionnés. Les navires-hôpitaux furent logiquement engagés en soutien de la guerre d’Indochine jusqu’en 1954 mais également dans l’opération de Suez en 1956. Plus récemment, dans les années 1980, le Rance devenu bâtiment « de soutien santé », fut employé en particulier au Liban, à Beyrouth et à Saïda, mais également au cours de la guerre du Golfe à Yanbu ainsi qu’à Dubrovnik au cours de la guerre des Balkans. Depuis 2006, ce sont aux bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral, Tonnerre et Dixmude qu’il revient d’assurer le rôle d’hôpital flottant grâce à leurs installations hospitalières et leurs équipements techniques de pointe. Ils apportent les secours médicaux aux soldats engagés en opérations extérieures au loin, mais également aux civils victimes de catastrophes, lorsqu’ils sont accessibles depuis la mer, notion singulièrement élargie grâce aux capacités de transport des hélicoptères embarqués à leurs bords.

Les évacuations aériennes

Avec la mise en œuvre du module Morphée, les évacuations par voie aérienne des blessés et malades ont atteint un degré de sophistication tout à fait exceptionnel : c’est l’aboutissement des évolutions technologiques d’un projet qui prit naissance au cours de la guerre 1914-18.

Les performances et la fiabilité des premiers avions d’avantguerre et du début du conflit ne permettaient guère de les utiliser à des fins médicales. Le commandement militaire ne s’y intéressait pas et aucun projet d’avion ambulance n’avait abouti. Mais l’idée était dans l’air, et conduisit le médecin aide-major de 2 e classe Eugène Chassaing, médecin de réserve mobilisé et député du Puy-deDôme, à tenter de la mettre en application. Son statut d’élu lui permit de s’affranchir de la voie hiérarchique dont il connaissait l’hostilité au projet, pour emprunter la voie politique.

Les premières évacuations

C’est ainsi que grâce à Justin Godart, sous-secrétaire d’Etat au Service de santé, lui fut attribué en juillet 1917 un avion « Dorand AR » qu’il fit transformer, avec l’aide du Capitaine Dalsace, en ambulance volante pour de 2 brancards. À la fin de l’année 1917, il fut en mesure de réaliser plusieurs démonstrations avec des blessés fictifs. La première eut lieu le 25 septembre devant Justin Godart et en présence de la presse qui lui décerna aussitôt le titre de « père de l’avion sanitaire ». En octobre 1917, la présentation à Moulin Laffaux au commandement de la 6 e Armée reçut un accueil favorable : six nouveaux Dorand lui furent attribués pour être transformés en ambulance en 1918, mais leur mise en service réelle intervint trop tard pour être utilisée avant la fin des hostilités. Les deux premières et les seules évacuations réalisées avec le Dorand AR eurent lieu en janvier et mars 1919 au Maroc. Cependant, ce qui n’était qu’une idée en 1917 était devenu réalité. Soutenu par le Maréchal Lyautey, Chassaing obtint en 1919 la récupération et l’aménagement d’une soixantaine de Bréguet XIV, rendus disponibles par la fin de la Grande guerre. Ils permirent à la France d’être, à partir de 1921, le premier pays au monde à utiliser en milieu opérationnel les avions à des fins sanitaires sur une grande échelle, au Maroc et au Levant, où près de 7000 patients furent transportés. En métropole, deux ans plus tard, Robert Picqué se fit le promoteur de leur emploi au profit de l’ensemble de la population, en mettant en place, sur la base aéronautique de Cazaux, avec le soutien des autorités civiles locales, une organisation pour assurer des évacuations sanitaires aériennes dans le Sud-Ouest de la France.

De la Grande Guerre à aujourd’hui

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les appareils de transport américains effectuèrent des évacuations massives. Pour ce faire, une formation mobile de 100 à 400 lits, destinée à être implantée au plus près des pistes d’atterrissage des avions (holding hospital ou « hôpital de transit air »), fut créée. Son principe fut repris par le service de santé français qui, avec l’ambulance médico-chirurgicale de l’Air n°401, évacua à partir de Mengen (Bade-Wurtemberg) en mai 1945 près de 2000 patients de la 1 re armée française. L’apparition de l’hélicoptère dans le ciel indochinois représente une étape capitale en matière d’évacuation par voie aérienne. L’armée de l’Air ne disposant pas d’appareil de ce type, c’est le MG Robert qui prit en 1950 l’initiative d’acheter 2 Hiller 360 américains et de financer la formation de pilotes et mécaniciens. C’est aussi à cette époque que furent réalisées les premières perfusions en vol et le rapatriement aérien sur la France d’un poliomyélitique sous assistance respiratoire. Pratiquement toutes les techniques de réanimation furent par la suite adaptées au transport aérien, durant la guerre d’Algérie. Enfin, la création des Samu, en 1967, généralisa l’aviation sanitaire à l’ensemble du territoire national.

Fruit d’une collaboration étroite entre les aviateurs et le corps médical, l’aviation sanitaire a bénéficié tout au long du XX e siècle des progrès de la réanimation médicale et des avancées de la technique aéronautique. Développée d’abord dans un contexte militaire, elle s’est désormais imposée comme une nouvelle discipline médicale au bénéfice de toutes les populations.

Démonstration du chargement d’un blessé à bord d’un avion «Dorand AR»

L’organisation de la chaîne médicale en opération :

un siècle après, un héritage bien présent

L’organisation du Service de santé des armées est l’héritage de plus de trois siècles de soutien médical de guerres et d’opérations militaires et humanitaires. Si un certain nombre de principes d’action actuellement utilisés sont antérieurs au premier conflit mondial, celui-ci a grandement contribué à faire progresser les savoir-faire du Service de santé des armées.

Une chaîne de soins graduée et différenciée trop peu nombreux) est en outre l’illustration de la médicalisaEn 2015, la prise en charge des blessés en opérations est orgation balbutiante des vecteurs. La chaîne d’évacuation structurée nisée selon une continuité fonctionnelle et thérapeutique nommée est donc déjà sur pied, utilisant un panel large de vecteurs, et la « chaîne médicale », allant de la réalisation des premiers gestes de séquence « relevage (niveau régimentaire) - ramassage (niveau sauvetage au combat sur le lieu de la blessure, jusqu’au traitement divisionnaire) - évacuation » n’est pas sans évoquer fortement la définitif et à la reprise du service. La chaîne médicale s’organise en séquence « forward MEDEVAC - TACEVAC - STRATEVAC » adopquatre niveaux de prise en charge croissante, du Rôle 1 au Rôle 4. tée actuellement. Cette prise en charge de façon graduée, selon des niveaux de technicité croissante, est l’héritière de la chaîne de relevage et d’évacuaL’avènement de la chirurgie de l’avant tion des blessés qui, selon le règlement de 1910, distingue trois Avant 1915, le principe qui prévaut est de traiter le moins possible à zones de prise en charge des blessés. En zone régimentaire, les l’avant et d’évacuer le plus vite et le plus loin possible. Mais l’afflux blessés sont regroupés au sein de nids puis transportés vers un de blessés au début de la guerre met ce précepte à mal : s’il y a bien premier échelon médicalisé, le poste de secours. À quelques kilodes postes de secours installés au front, les vagues successives de mètres du front, la zone divisionnaire ou de corps d’armée, constiblessés conduisent à des évacuations vers l’arrière sans aucun diatue l’échelon chirurgical avec des ambulances et des hôpitaux gnostic. De nombreux blessés décèdent pendant le transport. Il faut d’évacuation (aussi appelés Hôpitaux d’étapes « HoE »). Enfin, à alors s’adapter et se réorganiser. La plupart des blessés au front le l’arrière, les hôpitaux militaires, civils ou mixtes offrent aux blessés sont par des éclats d’obus souillés par la terre, à l’origine d’infecune prise en charge médico-chirurgicale plus globale. tions sévères. L’amélioration de leur survie passe par un traitement plus précoce et plus proche des blessés, et notamment par le parage Des moyens d’évacuations variés adaptés pour chirurgical des plaies. Le dogme de l’évaune évacuation séquencée cuation systématique des La prise en charge de technicité croissante implique le transport blessés est alors modifié des blessés entre les différentes unités pour donner une plus grande de traitement. Si les progrès techplace à la chirurgie. Les niques nous permettent aujourd’hui premières ambulances de nous appuyer sur des moyens chirurgicales automoessentiellement aériens, il en est biles, ou « autochir », dont la autrement en 1914. Tout au long de la première fut inventée par le Dr Maurice guerre, de nombreuses solutions sont Marcille, constituent alors un tournant développées, utilisant la voie maritime, dans la prise en charge chirurgicale des la voie ferroviaire, ou encore les moyens blessés. Le centre de gravité médicohippomobiles, les seuls utilisables au chirurgical se déporte ainsi vers l’avant, plus près de la ligne de front. L’exisalors qu’en aval, à l’autre extrémité tence préalable au déclenchement de la chaine d’évacuation, les cadu conflit de wagons sanitaires pacités d’hospitalisation se multidédiés (bien que rapidement Brancardiers - École du Val-de-Grâce plient et se diversifient.

Ligne de front

1915

ZONE RÉGIMENTAIRE Brancardiers régimentaires Poste de secours Médecins (tri sommaire) Voiture hippomobile (Groupe de brancardiers divisionnaire)

Ambulance (1 er tri)

Voiture automobile

ZONE DIVISIONNAIRE Hôpital d’évacuation (HoE) (2 e tri) Gare d’évacuation

Gare régulatrice (3 e tri)

Hôpitaux civils, militaires, auxiliaires, etc.

Train sanitaire

ZONE DES ARMÉES

ZONE DE L’INTÉRIEUR

Zone de contact

Rôle 1

Assurer la survie du blessé

Antenne chirurgicale

Rôle 2

Les urgences du théâtre

Unité médicale de transit

2015

Poste médical

Groupement médico-chirurgical

Rôle 3

Hospitalisation, évacuation

Falcon

Évacuation médicalisée vers la France

Rôle 4

Hôpital d’instruction des armées

Reconnaissance des savoir-faire du Service de santé

Le triage devient systématique : sommaire au niveau des postes médicaux, plus complet au niveau des ambulances et des HoE. Un médecin régulateur priorise désormais les évacuations, ouvrant la voie à ce qui deviendra près d’un siècle plus tard le PECC (Patient Evacuation and Coordination Cell). En 1917, les médecins font leur apparition comme conseillers dans les états-majors. Pendant la Grande Guerre, la chaîne de ravitaillement repose sur une pharmacie centrale, à Paris, et sur des pharmacies régionales dont le nombre augmentera pendant le conflit afin de gagner en proximité et en réactivité. La présence des pharmaciens devient systématique dans les ambulances et les HoE, actant la reconnaissance de leur savoir-faire spécifique, tant dans la préparation que dans la distribution des médicaments et du matériel médical. La direction des marchés et des approvisionnements, l’ancêtre de la direction des approvisionnements en produits de santé des armées, est créée en 1917. Le premier conflit mondial a été l’occasion de progrès considérables, encore visibles aujourd’hui, dans la prise en charge du blessé de guerre, sur le plan technique mais également sur le plan organisationnel. La Grande Guerre aura notamment souligné l’importance d’une direction médicale pour garantir la cohérence de la prise en charge du blessé tout au long de la chaîne médicale. En rappelant les principes de la chirurgie des plaies des parties molles, qui avaient déjà été édictées en leur temps par Ambroise Paré, ce conflit a par ailleurs rappelé que la place de la chirurgie était bien à l’avant, au plus près de la ligne de front.

Guerre chimique :

la première attaque

Le 22 avril 1915, 180 tonnes de chlore, libérées par l’armée allemande, atteignaient les lignes alliées et faisaient environ 10 000 morts et blessés. Un siècle plus tard, retour sur la première véritable attaque chimique de l’Histoire.

Lors de la stabilisation du front, fin 1914, la réduction du saillant de la région d’Ypres, en Belgique, qui subsiste au terme de la « Course à la mer » est devenu l’un des objectifs majeurs de l’armée allemande. Après plusieurs semaines de préparation, l’état-major allemand décidait d’initier une toute nouvelle forme de guerre allant à l’encontre des termes de la conférence de La Haye de 1907 « concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre » qui interdit d’employer du poison ou des armes empoisonnées. Sous l’impulsion d’un chimiste de renom, le Dr Fritz Haber, et grâce au quasi-monopole allemand sur de nombreux produits chimiques fabriqués par une puissante industrie, des nappes de gaz dérivantes devaient être produites pour recouvrir les tranchées ennemies et permettre enfin une percée du front. Mais le régime des vents dominants sur le front occidental n’était pas favorable à ce type d’attaque.

Steenstraat, 22 avril 1915 : première attaque chimique

Par une belle journée de printemps, le 22 avril 1915, en fin d’après-midi, les vents permettent enfin la libération du gaz. « Il faisait une journée de printemps radieuse ; un léger vent du Nord soufflait. Tout était si calme que nous ne pensions plus à la guerre » raconte un grenadier belge présent ce jour-là à Steenstraat*, lieu de la première attaque chimique. Quelques 150 tonnes de chlore se dégagent de près de 6000 bouteilles de gaz amenées dans les tranchées allemandes au prix d’efforts conséquents. Un front de 6 à 7 km est touché, de Steenstraat sur le canal de

l’Yser jusqu’à l’est de Poelcapelle. Les troupes françaises sont la cible principale. Le résultat de cette attaque est principalement psychologique - le nombre de tués par les gaz ne dépassant probablement pas 1 400 soldats et celui des intoxiqués entre 2000 et 3000. Ces chiffres sont à comparer avec la journée la plus meurtrière pour l’armée française, le 22 août 1914, pendant laquelle 27000 soldats français ont péri. Ou avec les quelques 19000 morts britanniques du premier jour de l’offensive de la Somme, le 1 er juillet 1916. La riposte de la Triple-Entente est rapide. Dès le 25 septembre 1915, la première offensive britannique utilisant des nappes dérivantes de chlore est lancée à Loos. Par la suite, les Britanniques privilégient ce mode d’action et lancent près de 300 attaques similaires. Français et Allemands développent plutôt l’artillerie. Plus d’une cinquantaine de composés chimiques sont testés, et certains vectorisés. En juillet 1917, les Allemands doivent tester une nouvelle arme chimique dans la région d’Ypres : le sulfure d’éthyle dichloré ou ypérite, une redoutable arme d’attrition contaminant le sol et les matériels. Elle reste de nos jours une menace militaire ou terroriste crédible et est responsable de quelques accidents sur les vieilles munitions.

Une menace toujours présente

Durant la Première Guerre mondiale, le Service de santé des armées a participé pleinement, non seulement à l’effort de défense contre ces armes nouvelles, mais également au développement des armes chimiques de riposte. Au final, par comparaison avec les autres causes de décès, l’arme chimique n’aura entraîné que peu de morts (environ 8000 à 10000 décès dans chacun des trois pays luttant sur le front occidental). Mais ce sont les 100000 à 180000 gazés retournés dans chacun de ces pays qui ont frappé les esprits, du fait de leur longue agonie ou des séquelles visibles des années plus tard. Lors de son discours de réception du prix Nobel de chimie en 1920, pour ses travaux antérieurs à la Première Guerre mondiale, Fritz Haber n’hésite pas à déclarer : « Dans les guerres futures, les militaires ne pourront pas ignorer les toxiques chimiques. C’est un moyen supérieur de tuer ». Il faudra attendre 1993 pour qu’une convention internationale d’interdiction des armes chimiques soit signée à Paris.

 Pharmacien en chef Frédéric Dorandeu

Chef du Département de Toxicologie et risques chimiques Institut de recherche biomédicale des armées

Transport de blessés en Argonne 1914

La Verrerie - Postes de secours Reims

Les pharmaciens militaires

pendant la Grande Guerre

Le ravitaillement sanitaire et la production pharmaceutique militaire

Face à la réalisation d'achats au jour le jour et mettant plus en concurrence les magasins et les hôpitaux que les intermédiaires, le sous-secrétariat d'Etat au Service de santé militaire décide la création de la « Direction des marchés et des approvisionnements du Service de Santé » (DMASS) le 24 juin 1917, à l'origine de la DAPSA, ayant pour mission de passer les marchés et de constituer des approvisionnements « Santé ». Les pharmaciens organisent et supervisent alors la fabrication de médicaments et de thermomètres médicaux dans les établissements militaires, ainsi que de catguts, pansements individuels et bandes plâtrées dans les locaux de l'École de Pharmacie de Paris.

La lutte contre les gaz de combat

Les pharmaciens ont été les premiers à lutter contre les gaz asphyxiants employés par l'ennemi sur le champ de bataille. En charge du recueil d'échantillons, de l'analyse des toxiques, et de l'identification de substances protectrices, ils ont aussi activement participé à l'élaboration d'équipements de protection, à la formation des personnels ainsi qu'aux opérations de décontamination. Certains ont même contribué à l'élaboration de nouveaux gaz destinés à « contre-battre » ceux de l'ennemi. Après l'attaque allemande du 22 avril 1915, c'est le laboratoire de toxicologie de la X e armée qui identifiera le chlore ainsi que la substance protectrice utilisée par l'ennemi. La fourniture à l'armée de 3642 kg de coton hyposulfité, le 5 mai suivant, marquera le début de la lutte contre les gaz asphyxiants.

L'analyse alimentaire

Depuis mai 1915, c'est le pharmacien affecté dans chaque laboratoire de corps d'armée qui, outre la centralisation des informations relatives au gaz, avait en charge les analyses alimentaires et bactériologiques. Ce sont les laboratoires de toxicologie qui assuraient quotidiennement l'analyse des matières alimentaires proposées aux soldats afin d'identifier toute nourriture avariée ou falsifiée. C'est aux pharmacies régionales que revenait l'analyse des denrées alimentaires entreposées dans les dépôts de corps de troupe. Le service de la répression des fraudes en matière de denrées alimentaires aux armées était aussi placé sous la direction des pharmaciens militaires. Si 150 pharmaciens d'active ou de réserve sont tombés au front, d'autres sont morts à leur poste dans les hôpitaux de l'arrière, victimes du devoir. La preuve du dévouement et du courage des pharmaciens est donnée par les nombreuses croix de la Légion d'honneur, citations et médailles des épidémies qui leur ont été attribuées. C'est le corps pharmaceutique tout entier qui doit être honoré pour le rôle joué pendant la Grande Guerre par les pharmaciens, civils et militaires, d'active et de réserve qui, grâce à leurs actions, ont jeté les bases de l'industrie pharmaceutique d'après-guerre.

À la déclaration de guerre, le nombre total de pharmaciens passe à 2318, dont 2192 réservistes. Si 800 sont affectés dans les formations de campagne et 718 dans les hôpitaux et services de l'intérieur, 800 restent « disponibles ». Un an après le début de la guerre, l'effectif total des pharmaciens passe à 2442. En janvier 1916, les pharmaciens auxiliaires étaient au nombre de 1 880 dont 680 désignés pour l'avant. Deux ans plus tard, on comptait 2131 pharmaciens dont 795 auxiliaires. En septembre 1918, les effectifs sont en baisse avec 1 928 pharmaciens dont 694 auxiliaires.

Le service vétérinaire

de l’armée Opération d’un cheval dans un HVA

En 1914, l’armée compte 522 vétérinaires militaires d’active pour assurer les soins aux 175000 chevaux de l’armée du temps de paix. La mobilisation fait appel à 3000 vétérinaires, officiers de réserve ou vétérinaires auxiliaires et à près de 500 000 chevaux réquisitionnés pour tous les transports des vivres, munitions et fourrages au plus près des premières lignes. Pendant toute la guerre, la mission principale des vétérinaires militaires demeure le soutien des effectifs équins de l’armée de l’ordre d’un million de chevaux.

Chacun des 91 régiments de cavalerie (800 à 1 200 chevaux) et des 62 régiments d’artillerie (1 100 à 1 500 chevaux) est doté d’un service vétérinaire avec trois vétérinaires d’active. Le service vétérinaire régimentaire est dirigé par un vétérinaire major de 2 e classe dans la cavalerie et par un vétérinaire major de 1 re classe dans l’artillerie. Ces vétérinaires sont secondés par les vétérinaires effectuant leur service militaire qui obtiennent le grade de vétérinaire auxiliaire après un an de service et ont alors rang d’adjudant. Les vétérinaires sont employés au sein des unités avec pour seul matériel une cantine à pansements dotée de petits matériels de chirurgie et de quelques solutions antiseptiques. Seule la mise en place de dépôts temporaires de chevaux malades avec des vétérinaires détachés de leurs unités est envisagée. Le service vétérinaire est présent dans les unités combattantes les services et la logistique. Un régiment d’infanterie comptant pas moins de 219 chevaux, un vétérinaire auxiliaire est affecté à chaque brigade d’infanterie.

La guerre de mouvement entraîne l’épuisement et la perte de 128000 chevaux. Par la suite, avec la stabilisation du front, les mauvaises conditions d’entretien, la sous-alimentation et un travail excessif fragiliseront les animaux et favoriseront de multiples affections entraînant la perte de 1 140 000 chevaux durant les quatre années de guerre. Face à ses pertes coûteuses de plus en plus difficiles à compenser, le service vétérinaire va être progressivement réorganisé pour mieux remettre en condition les chevaux malades ou blessés. Dès octobre 1914, des dépôts de chevaux malades sont créés en arrière du front. En avril 1917, ils deviennent des hôpitaux vétérinaires d’armée. En novembre 1917, le dispositif d’évacuation est étoffé et rationalisé avec la création d’ambulances vétérinaires et de sections vétérinaires d’évacuation. Les chevaux nécessitant plus de 45 jours de traitement sont évacués à l’arrière vers des hôpitaux vétérinaires de l’intérieur. C’est au vétérinaire inspecteur Jean Fray que l’on doit l’amélioration de l’efficacité du service vétérinaire grâce à sa plus grande autonomie avec la direction par les vétérinaires des ambulances vétérinaires et hôpitaux vétérinaires d’armée.

Le conflit favorisera certains progrès techniques comme le dépistage des chevaux morveux par la malléination intradermo-palpébrale qui permettra de juguler la propagation de cette maladie contagieuse. Faute de moyens de traitement adaptés aux grands effectifs, le service vétérinaire de l’armée aura de grandes difficultés à maîtriser la gale de 460000 équidés (19% des effectifs en 1918) jusqu’à la mise au point d’un traitement par sulfuration gazeuse qui sera généralisé fin 1918.

La guerre de 1914-18 est également le premier conflit où les chiens sont significativement employés : chiens sanitaires pour la localisation des blessés, chiens porteurs, estafettes ou sentinelles, soit 15000 au total. Les vétérinaires seront employés à leurs soins ainsi qu’à l’inspection vétérinaire des viandes des animaux abattus par ou pour l’armée et à la surveillance des fabrications de conserves.

Inspection des viandes par le vétérinaire

Au cours de la Première Guerre mondiale, 134 vétérinaires militaires ont perdu la vie, tués au combat ou morts des suites de blessures, d’accidents ou de maladie. Le rôle majeur de la profession vétérinaire pendant le conflit sera officiellement reconnu par la citation à l’ordre de l’armée des écoles nationales vétérinaires d’Alfort, de Lyon et de Toulouse et par l’attribution de 1 600 Croix de guerre et de 270 Croix de la Légion d’honneur au cours de la guerre.

Boyau de Mareuil Transport d'un blessé

Les pathologies

des tranchées

Soumis au froid, à l’humidité, à l’insalubrité, en compagnie des poux et des rats, les soldats sont atteints de diverses pathologies. Certaines, comme la fièvre des tranchées ou le pied des tranchées, sont spécifiques des armées en campagne et peuvent avoir de graves conséquences sur le plan humain, mais aussi pour le Commandement dont le souci majeur est de conserver les effectifs aptes à combattre.

La fièvre des tranchées

La fièvre des tranchées a fait de véritables ravages dans les armées alliées. Dès 1915, elle est identifiée comme étant une septicémie bactérienne fébrile non mortelle. La forme aigüe, la plus fréquente, présente une triade symptomatique : fièvre à 40°, céphalées intenses, douleurs musculaires et osseuses, notamment pré-tibiales (fièvre tibialgique). Les symptômes évoluent par récurrence tous les cinq jours (fièvre quintane). La maladie peut guérir rapidement ou passer à une forme prolongée subaigüe avec une asthénie invalidante entravant les forces du combattant. Il s’agit d’une maladie contagieuse dont l’agent responsable est Bartonella quintana, petit bacille gram négatif. Le réservoir est l’homme et le pou du corps son vecteur. Les mesures thérapeutiques sont sommaires : repos, bains chauds, et nourriture reconstituante. Une désinfection concomitante est effectuée pour tuer les poux. Cette Bartonellose réapparait durant la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, elle touche les populations défavorisées des grandes métropoles urbaines surpeuplées. Chez le sujet immunocompétent, on peut voir des formes asymptomatiques ou des bactériémies fébriles. Chez l’immunodéficient, les tableaux sont plus graves, avec une angiomatose et une péliose bacillaires voire une endocardite.

Les pieds des tranchées

Le pied des tranchées est connu depuis la description de Dominique Larrey à la bataille d’Eylau, sous le nom de « gelure des pieds » ou « froidure des pieds ». Les

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1 1 - Pied de tranchées, gangrène humide, coll. du Dr. F. Debat 2 - Gelure des mains - Musée SSA 3 - Gelure des pieds - Musée SSA

premiers pieds gelés sont constatés dès octobre 1914. « C’était une nouveauté, écrivait le docteur Javal. Personne ne connaissait la question […]. Les hommes atteints de gelure des pieds étaient-ils des malades ou des blessés ? Toujours est-il que les pieds gelés arrivaient par centaines et qu’on ne savait plus où les mettre ». Les pieds gelés, soumis au triage, sont traités sur place ou évacués. À la suite de multiples controverses étiologiques, Paul Sainton précise en 1916 que le pied des tranchées est « un syndrome caractérisé par des troubles sensitifs, moteurs, vasculaires et trophiques localisés aux membres inférieurs, consécutifs au séjour plus ou moins prolongé dans les tranchées pendant la saison froide ». Le pied des tranchées devient alors un tableau clinique autonome et ce terme est aussi adopté chez les Alliés. De façon sporadique, le pied des tranchées reste d’actualité dans les armées françaises. C’est le cas d’un jeune militaire de 30 ans qui a présenté, lors de manœuvres militaires, un tableau d’ischémie aigüe des deux pieds après un séjour prolongé au froid et à l’humidité, le patient n’ayant pas quitté ses « Rangers » même lors des nuits passées sous la tente. Les lésions des extrémités étaient identiques à celles décrites au cours de la Grande Guerre. (HIA Sainte-Anne, 2008).

Face à la mort de masse, aux blessures ou à la peur, ces pathologies des tranchées peuvent paraître bénignes sinon dérisoires. Cependant, ces maux sont une souffrance supplémentaire omniprésente dans les tranchées. L’Etat-major et le Service de santé ont tenté d’apporter des solutions afin d’améliorer l’état physique des combattants pour diminuer leur souffrance mais aussi pour réduire leur temps d’indisponibilité : avec la guerre qui se prolonge, le combattant doit être à son poste sur la ligne de feu.

Poste de secours installé dans les ruines - Herbécourt

Les progrès médicaux

et chirurgicaux au cours de la Grande Guerre

Durant la Grande Guerre, des avancées parfois spectaculaires ont lieu dans différentes spécialités médicales et chirurgicales. Afin de traiter les blessés au plus près du front, le chirurgien n'est plus isolé. Il doit être entouré d'équipes spécialisées, notamment en anesthésie, en radiologie, en bactériologie mais également en ophtalmologie, en oto-rhino-laryngologie ou en neurologie.

L' évolution de la chirurgie de guerre est permise essentiellement par une meilleure connaissance de l'évolution biologique des plaies, dont les méthodes de stérilisation ont permis un traitement précoce et efficace. Le pronostic des plaies abdominales, pulmonaires et articulaires évolue favorablement : là où l’abstention était la règle en début de conflit, les traitements ont progressé. La transfusion sanguine se développe à partir de juillet 1917 mais les questions d'incompatibilité entre le donneur et le receveur d'une part, et de la conservation du sang d'autre part, ne seront résolues qu'après la guerre.

Prise en charge des gueules cassées

Les greffes des nerfs, de peau ou osseuses ont également connu de grandes évolutions durant le conflit, notamment pour les deux dernières, à travers le traitement des blessures de la face et du crâne. Devant l’absence de services spécialisés pour traiter ce type de lésions, deux centres sont ouverts dès le débute de la guerre à Paris (Val-de-Grâce, hôpital Lariboisière) pour accueillir ces blessés. Le 15 septembre 1915, des centres sont ouverts à Lyon et Bordeaux. La réparation des pertes de substances tégumentaires a été l'une des plus grandes épopées de la chirurgie durant la guerre de 1914-1918. Lorsque le traitement chirurgical atteint ses limites, les blessés maxillofaciaux peuvent bénéficier d’un traitement prothétique pour réparer•••

••• le préjudice esthétique, afin de redonner une identité à ces blessés qui avaient socialement cessé de vivre.

Jusqu'en 1918, une dizaine de centres annexes sont créés à Paris et on comptera 17 centres interrégionaux et une équipe maxillo-faciale mobile dans chaque armée.

© CCH E. Chérel - BCISSA/DCSSA

Musée du SSA

On notera également les avancées importantes en psychiatrie. En effet, de nombreux troubles sont décrits pendant la Grande Guerre, mais l'individualisation de la névrose hystérique constitue certainement l'apport majeur. La doctrine du début du conflit, affirmant l'absence de lésion anatomique et niant le rôle de l'émotion, se traduit par une attitude thérapeutique volontiers répressive dans le but de démasquer les simulateurs. S'y oppose, dès le début de 1915, la notion de psychonévrose émotionnelle ou d'émotion-choc, qu'il convient de traiter précocement dans la zone de l'Avant. En 1916, une commission de neurologie distingue la névrose traumatique, le trouble hystérique suggestif et les simulations.

Systématisation de la radiologie

Dans les hôpitaux de l’avant et de l’arrière, l'examen radiologique systématique de toutes les blessures devient une obligation pendant la guerre. Il renseigne le chirurgien sur la présence et la localisation exacte des balles, éclats ou corps étrangers, sur l'intégrité des os ou, en cas de fracture, sur le type de celle-ci et surtout sur la position des fragments osseux et le nombre des esquilles, et permet les contrôles jusqu'à la guérison. Le Médecin Major Jules-Eugène Hirtz (titulaire de la chaire de radiologie en 1920), Antoine Béclère et Marie Curie sont à l'origine de la diffusion de cette technique. Béclère forme près de 200 médecins et à partir de 1917, une école de manipulatrices, annexe du Val-de-Grâce, est ouverte par Marie Curie. Dès le 6 août 1914, la radiologie est disponible dans les

À la fin de juillet 1918, le Service de santé dispose de 100 camions de radiologie et de stérilisation, 50 équipages de radiologie, 153 postes fixes de radiologie et 2 postes semifixes.

Découvertes psychiatriques

hôpitaux du front et à bord de camions munis de matériels performants.

Les 28 centres de neuropsychiatrie créés entre 1915 et 1917 dans la zone des armées permettent aux sourds, aphasiques et confus mentaux d'être traités rapidement, avant que la pathologie ne soit fixée.

Voiture radiologique de la 2 e armée

Amélioration du traitement des fractures

En 1914, 35% des fractures évoluent vers la gangrène et l’amputation. Grâce à l’immobilisation précoce et à la stérilisation progressive de la plaie, les résultats orthopédiques se sont particulièrement améliorés puisque les amputations ne représentent plus que 5% des cas en 1918. En mars 1918, il existe au moins un service spécialisé dans le traitement des fractures dans chaque armée, et des services analogues sont ouverts dans tout l'intérieur, permettant un traitement spécialisé continu jusqu'à la guérison. La rééducation fonctionnelle est réalisée dans des services de physiothérapie créés dès le 24 octobre 1914. Pour les mutilés de guerre, on crée en juin 1916 les centres dans lesquels sont réalisés en un même lieu l'appareillage et la rééducation.

 CNE XavierTabbagh

Exposition

Exposition temporaire jusqu'au 4 octobre 2015, incluse dans la visite du musée Ouvert mardi, mercredi, jeudi, samedi, dimanche de 12 h à 18 h Tarifs habituels : 5 € plein tarif, 2,50 € tarif réduit Après le désastre sanitaire des premières semaines de guerre, une direction générale du service de santé, aux larges attributions et désormais confiée à un médecin, est créée. Cette nouvelle organisation permet au service de santé de s’adapter rapidement aux conditions du conflit : d’abord par une accélération de la relève des blessés et de leur évacuation puis par une réorganisation des hospitalisations. Parallèlement, on assiste à des avancées majeures dans différentes spécialités médicales et chirurgicales.

Ce sont ces deux aspects que le musée du Service de santé des armées, à travers près de 400 œuvres, objets, photographies et documents d’archives, présente dans l’exposition Une armée qui soigne.

La rédaction d’Actu Santé remercie les contributeurs qui ont participé à ce dossier ; en particulier les membres de l’AAMSSA

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