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« C'est d'abord une question de volonté politique »

Climatologue et enseignant-chercheur à l'Université de Reims ChampagneArdenne,Thomas Lauvaux animera une conférence, mercredi 19 avril, à Sciences Po Reims, sur « les outils pour faire avancer le plan climat ».

Après 10 années passées aux EtatsUnis, notamment au sein de l'Université de Pennsylvanie, le climatologue Thomas Lauvaux est revenu en France il y a trois ans environ, dans le cadre du programme national Make Our Planet Great Again pour aider les villes, les industries, et les collectivités à atteindre leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

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Depuis 8 mois, il a posé ses valises à Reims en tant qu'enseignant-chercheur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, à la tête d'Aérolab space, un projet porté par l'établissement champenois en partenariat avec le CNRS et soutenu par le Grand Reims et la région Grand Est, dont l'objet est de proposer, à l’échelle locale, des outils d’aide à la décision en observant, en évaluant et en anticipant les impacts du changement climatique. Il tiendra une conférence à Sciences Po Reims, le 19 avril, sur le thème : « Quels outils pour faire avancer le plan climat ? L’engagement des villes dans la lutte contre le changement climatique ».

Très concrètement, de quoi parle-ton quand on évoque « des outils pour faire avancer le plan climat » ? Pour faire simple, les villes ne possèdent pas d'outils pour réaliser leur bilan carbone. Elles travaillent à partir de données, souvent datées, si bien que les marges d'erreur sont colossales entre ce qui est calculé et la réalité. Surtout, le manque d'outils empêche de voir l'avancement des mesures politiques mises en place au bénéfice du climat. Au sein d'Aérolab, nous développons donc des outils permettant de suivre les émissions de gaz à effet de serre (GES) en temps réel. Personnellement, c'est un travail que j'ai commencé aux Etats-Unis, puis à Paris et que nous développons aujourd'hui à Reims.

De quels types d'outils s'agit-il ?

C'est un peu comme pour mesurer la qualité de l'air. On place des capteurs à différents endroits, comme des tours, dont on exploite les données grâce à des modèles empruntés à la météorologie. Sur les études réalisées à Paris, nous avons par exemple constaté que les émissions réelles de GES étaient en fait supérieures de 10 % aux estimations. Ça peut paraître peu comme écart, mais quand un politique annonce un objectif de diminution des GES de 3 % par an, cela diffère le but à atteindre dans le temps. Autre exemple, nous avons pu clairement constater les effets des mesures mises en place cet hiver par l'Etat pour limiter les dépenses d'énergie sur les GES.

Avec quel objectif au final ?

Aujourd'hui encore, les prises de position se basent sur des données très limitées. De même, le grand public n'a pas accès à ce qui se passe près de chez lui. Nous voulons rendre tout cela transparent. Notre souhait, c'est d'informer les politiques, les collectivités et les entreprises le plus précisément et le plus rapidement possible sur les GES de leur territoire pour gagner en efficacité dans la lutte contre le changement climatique. En septembre dernier, nous avons par exemple pu mesurer, grâce à l’imagerie satellite, les conséquences colossales des fuites de gaz sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2. Ces fuites de gaz ou de pétrole, nous sommes capables de les repérer, de les mesurer et par conséquent de donner vie à des éléments qu'on ne peut pas voir, afin d'éclairer ceux qui doivent agir.

Peut-on travailler sur cette thématique sans être personnellement engagé ?

Je suis un scientifique, mais chaque fois que je prends la parole, je suis obligé d'être engagé. Quand je donne un cours, je montre souvent des photos où l’on voit des chercheurs se faire arrêter à Washington, devant la Maison-Blanche. Aux Etats-Unis, le déni climatique va très loin. C'est un sujet politique qui est encore une lutte d'opinions, au lieu d'être une lutte de savoirs. En revanche, le changement climatique n'est plus un débat en Europe. La question, c'est comment faire pour limiter les dégâts. J'essaie de faire passer ce message aux politiques et aux décideurs économiques pour notamment arrêter le greenwashing. La réalité, c'est que les chiffres des émissions de GES sont terrifiants. Le ralentissement de l'activité économique liée à la pandémie de COVID-19 a permis de faire baisser un temps les GES, mais c'est terminé et jamais les humains n'ont autant produit de GES que l'an dernier. Il faut arrêter les belles annonces et faire preuve de transparence, car sinon nous ne respecterons pas la trajectoire visant à limiter le réchauffement climatique sous les 2 °C d'ici 2100.

Pensez-vous cet objectif encore viable ?

Techniquement, c'est tout à fait possible. Nous possédons les moyens techniques et financiers. C'est d'abord une question de volonté politique. La réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 est un objectif atteignable. En revanche, celui d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, condition sine qua non de la limitation du réchauffement climatique à +1,5 °C, nécessite un véritable changement de mode de vie. Au-delà des décideurs, est-ce que les gens sont prêts à sacrifier leurs petits bonheurs quotidiens ? Nous avons pu constater que les discours alarmistes ne marchaient pas et bloquaient le grand public. Pour mieux les sensibiliser, il me semble qu'il faut parler davantage de solutions locales, mais il est clair que ce sera compliqué de remettre en cause notre façon de nous déplacer ou de nous nourrir. La génération d'après me semble plus réceptive et j'espère qu'elle va se mettre rapidement au travail.

D'où votre conférence à Sciences Po Reims ?

Il est nécessaire de créer des liens entre les politiques et les scientifiques. Ça passe par rendre les outils de mesure de lutte contre le réchauffement climatique utiles aux décideurs. Je peux sortir des kilos de chiffres. D'ailleurs je me suis pris des vestes, car les politiques veulent savoir ce que les mesures ont véritablement changé sur leur territoire. Ce lien, je veux en parler aux futurs décideurs. C'est un peu comme le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui a longtemps balancé des chiffres. Il le fait toujours, mais il propose aussi des solutions. Cela change la donne de montrer que c'est possible d'agir et c'est aussi notre objectif avec Aérolab.

Propos recueillis par Julien

Debant

4 Conférence Quels outils pour faire avancer le plan climat ? L’engagement des villes dans la lutte contre le changement climatique », mercredi 19 avril, à 19 h, à Sciences Po Reims. Gratuit sur inscription.

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