franchir le
GRAND
par le
PETIT
matière/économies/assemblage WANTIER Loïc / ENSAPL / 2016
dessin informatique personnel élaboré à partir : des nexorades d’Olivier Baverel (vers 2000), des réseaux stéréométriques de Robert le Ricolais (vers 1930), et de la voûte plate de Joseph Abeille (vers 1700).
FRANCHIR LE GRAND PAR LE PETIT matière – économies – assemblage
ENSAPL Loïc WANTIER
sous la direction de Antonella MASTRORILLI et Clotilde FÉLIX-FROMENTIN
séminaire de recherche MATÉRIALITÉ ET TECTONIQUE printemps 2016
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Je tiens à adresser mes remerciements,
à Antonella Mastrorilli et à Clotilde Félix-Fromentin, pour leurs propositions et leurs conseils, à la fois bienveillants et avisés,
à Maëlle et Roman, pour leur amitié,
ainsi qu’à mes parents, pour leur relecture perspicace et leur aide précieuse.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
p. 7-13
I_L’ÉCONOMIE PAR LA MATIÈRE
p. 15-39
I.1_intro / le bois et la réciprocité
p. 15-21
I.2__exploiter ce qui est contrainte : nexorades
p. 21-31
I.3___ouverture / vers une écologie
p. 33-39
II_L’ÉCONOMIE DE MATIÈRE
p. 41-67
II.1_intro / optimiser
p. 41-45
II.2__dômes géodésiques et structures réticulaires
p. 47-63
II.3___ouverture / le facteur-joint
p. 63-67
III_L’ÉCONOMIE PAR L’ASSEMBLAGE
p. 69-95
III.1_intro / vers un non-assemblage
p. 69-75
III.2__la réciprocité par la forme
p. 75-89
III.3___ouverture / conséquences sur le savoir-faire
p. 91-95
CONCLUSION
p. 97-103
BIBLIOGRAHIE
p. 105-111
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Fig. 1. DE L’ORME, Philibert. Charpente à petit bois : détail, dessin, 1567. Reproduit dans : POITIÉ, Philippe. Philibert De l’Orme : Figures de la pensée constructive. Marseille : Éditions parenthèses, 1996. p. 149
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L’architecture est un processus : elle emprunte à son milieu des matériaux pour s’édifier, elle s’érige grâce aux mains savantes des ouvriers ; elle se construit. L’architecte doit savoir s’emparer de ces composantes s’il veut atteindre une certaine esthétique : la conception est ce vecteur permanent entre matière et imaginaire. Il faudrait alors posséder un « art de gérer », une capacité à avoir en conscience l’intégralité des éléments à considérer afin d’en obtenir un équilibre ; plus ou moins imprégné de subjectivité. Concevoir est une posture de l’architecte, à travers laquelle il transmet une façon de comprendre et d’appréhender le monde. En observant la conception de structures, et en particulier de structures spatiales composées, peuvent se dégager des attitudes à l’égard de la matière, qui sont autant d’économies différentes, et qui se lisent à travers l’assemblage, nécessaire à ces constructions. Philibert de l’Orme a conçu en 1567 un dispositif (fig. 1 & 2) dont la compréhension s’inscrit dans ces critères. Détaillé dans son ouvrage Nouvelles inventions pour bien bastir et à petits fraiz, celui-ci consiste en l’assemblage de modules de petit bois destinés à former une charpente se voulant économique et simple à réaliser. Cet exemple permet de focaliser la recherche en mettant en exergue ses particularités. En premier lieu, l’étude portera sur des structures constituées de petits éléments comparés à la portée qu’elles franchissent. Par ailleurs, cette démarche ayant, chez de l’Orme, une visée sociale à travers sa construction, une analyse des cas choisis sera effectuée à travers le filtre de l’économie, volontaire ou non. Une interrogation naît de ce regard particulier porté sur l’Histoire de la construction : dans le cas du franchissement de grandes portées au moyen de petits éléments, comment l’économie se manifeste-t-elle ? Afin de concentrer la recherche, une période allant du Moyen-Âge à nos jours est déterminée, car celle-ci sera marquée par deux changements de paradigmes majeurs, qui ont compté dans l’Histoire de l’Architecture. Si le franchissement par une structure assemblée répond dans un premier temps aux
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Fig. 2. DE L’ORME, Philibert. Charpente à petit bois : axonométrie, dessin, 1567. Reproduit dans : POITIÉ, Philippe. Philibert De l’Orme : Figures de la pensée constructive. op. cit. p. 150
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limites dimensionnelles du bois, un premier basculement de paradigme intervient avec la première révolution industrielle. Avec elle, le métal prend une place structurelle dans la construction, sous la forme de profilés de plus en plus longs. Ensuite, la mouvance postmoderniste enclenche elle aussi un changement de paradigme structurel. Les expérimentations conduites déconstruisent les codes, et la hiérarchisation des éléments y disparaît. L’équilibre traditionnel du portant/porté bouleversé, une certaine liberté dans la conception de l’architecture autorise des innovations où le comportement structurel est singulier. Selon une définition dégagée par le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), l’économie est « l’art d’administrer un bien, une entreprise par une gestion prudente et sage afin d’obtenir le meilleur rendement en utilisant les moindres ressources. ». Appliquée à l’architecture, l’entreprise serait l’édification d’un bâtiment ; le meilleur rendement, dans le cadre de ce mémoire, serait l’efficacité de sa structure ; enfin les moindres ressources correspondraient à de nombreux facteurs tels que la matière première, le temps de chantier, le nombre d’ouvriers, le budget de la construction et de la conception, etc. Sachant que ces variables peuvent entrer en contradiction, l’économie dépend alors du sens qu’on lui donne. C’est pourquoi elle s’inscrit évidemment dans un contexte, à la fois historique et géographique. Toujours d’après le CNRTL, l’économie est aussi « le système général dans lequel vit une collectivité, une nation. », l’équilibre de ce système est ainsi à prendre en considération puisqu’il met en jeu une organisation sociétale, dont la modification d’un rouage de manière inconsciente pourrait s’avérer risquée. A propos du cas des charpentes de Philibert de l’Orme par exemple, si l’intention de simplicité de construction vise à permettre au plus grand nombre de travailler afin de parer au problème de chômage du royaume de France dont il est intendant, le poids des corporations de maîtres, maçons et charpentiers, est si important en ce qui concerne le travail et le savoir-faire dans le bâtiment que l’invention de
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l’architecte ne put jamais s’implanter à grande échelle. La lecture de l’économie ne peut donc être immanente à chaque exemple tant sa définition et son assimilation ou non à la conception ont varié au cours de la période sur laquelle s’étend cette étude. Il s’agira alors d’avoir une lecture à postériori sur les cas analysés, en tâchant de situer l’économie et de comprendre les facteurs qui la déterminent. Et ce afin de nourrir une conscience contemporaine de cette notion, d’éclairer une manière de concevoir globale. La problématique évolue alors de manière plus projective : comment, par l’étude de structures franchissant le grand par le petit, les manifestations de l’économie peuvent-elle nourrir une attitude de concepteur ? Considérant tous ces éléments dans le contexte historique évoqué, le critère de l’économie permettra de lire les exemples choisis illustrant chacun un aspect particulier de celle-ci. A l’origine se trouve la matière, ses caractéristiques déterminant, à divers degrés selon sa nature, celles du matériau qui en est issu et qui va construire l’architecture. Avant que des figures historiques ne fassent apparaître un statut d’architecte, ce dernier avait plutôt un statut de constructeur, et même de « maître-charpentier » étymologiquement. Logiquement la première économie qu’il provoque ou qu’il subit passe par la matière : c’est son coût, sa disponibilité, son abondance qui la conditionnent. Mais là où cette attitude était avant tout pragmatique, l’apparition du calcul comme déterminant dimensionnel faire naître une nouvelle économie : celle de la matière, et des matériaux nouveaux vont entériner ce phénomène. Le métal étant un matériau industriel transformé par l’Homme, le produit utilisé pour construire peut être prédéterminé, voulu comme tel ; le béton, en tant que pierre liquide, nécessite plus encore une conception en amont précise afin de définir sa forme. Alors l’architecte ne s’adapte plus à la matière, il la façonne, avec le concours de l’ingénieur. Or s’il est possible d’optimiser la quantité de matière, le travail de l’architecte se situe encore au lieu de l’hétérogénéité, de l’altérité : l’économie par l’assemblage est toujours entre les mains et l’esprit du concepteur. 11
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Quant
aux exemples sélectionnés, ils
sont
choisis car chacun
représentatifs d’une technique. En effet, pour franchir le grand par le petit, des façons de faire se recoupent. Des écrits contemporains permettent d’extraire ces cas particuliers. Ainsi l’ouvrage Reciprocal Frame Architecture d’Olga Popovic Larsen, publié en 2008, délivre un arrière-plan historique de la réciprocité : s’y retrouvent Villard de Honnecourt, Sebastiano Serlio ou Léonard de Vinci entre autres. Pour le point de vue technique, les publications de chercheurs tels qu’Olivier Baverel, Alberto Pugnale, Calder Danz ou Attilio Pizzigoni, apportent précisions et considérations actuelles sur le principe de réciprocité. Les études menées ces dernières années sur les références historiques par des auteurs comme Bechmann pour Villard de Honnecourt ou Poitié pour Philibert de l’Orme permettent quant à elles de saisir leur démarche de concepteur dans leur entièreté. En ce qui concerne le métal, deux figures sont mises en avant : Buckminster Fuller, qui par ses recherches et réalisations à propos des dômes géodésiques en donne une vision assez globale ; et Robert le Ricolais, dont la poursuite de la légèreté, de la « portée infinie, poids nul »1 (soit d’une économie idéale de matière), est passée par des étapes structurelles variées dont les transitions entre elles dégageront des clés de lecture. Les ouvrages de James Tennant Baldwin en 1996 et de Marc Mimram en 1983 délivrent respectivement une compréhension contemporaine des deux hommes. Enfin, quelques exemples ponctuels signifiants quant à l’économie ou la compréhension du propos sont observés, parmi lesquels l’auberge Wa-Shan de Wang Shu bâtie en 2009, la Serpentine gallery réalisée par Alvaro Siza et Cecil Balmond en 2005 ou encore le cas général des gridshells par exemple. La liste des cas considérés et des études à leur propos n’est ainsi en aucun cas exhaustive au regard de la considération structurelle du grand par le petit, mais sélective par le filtre de l’économie et des apports potentiels à une conscience de concepteur.
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MIMRAM, Marc. Structures et formes. Paris : Dunod, 1983. p. 4
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I_ L’ÉCONOMIE PAR LA MATIÈRE
Il s’agit peut-être de la première des économies. Car quand l’architecture se construit, la considération très pragmatique du comment est-elle constituée est majeure. La matière utilisée, son origine, sa transformation en matériaux de construction, le transport de ceux-ci, leur mise en place, ces facteurs sont potentiellement porteurs d’économie si le concepteur choisit de s’en emparer.
I.1_introduction / le bois et la réciprocité Philibert de l’Orme au XVIème siècle, comme explicité précédemment, adoptait en choisissant le petit bois une posture d’innovation née de la contrainte intrinsèque d’une crise en approvisionnement de bois qui sévit depuis plusieurs siècles. Le cas antérieur de Villard de Honnecourt met en lumière cette nécessité d’ingéniosité face à une contrainte dont l’architecte ne peut s’emparer autrement, à défaut d’opulence financière. Figure singulière du Moyen-Âge, Villard a été étudié à plusieurs reprises à travers son carnet. Legs inhabituel pour l’époque, le XIIIème siècle, il fait de lui un précurseur de la figure d’architecte. Roland Bechmann a étudié ses dessins ainsi que leurs légendes, et a reconsidéré l’ensemble au regard du contexte historique dans lequel Villard a vécu et a travaillé. Et c’est bien à la fois l’inscription et l’innovation de l’homme de chantier médiéval dans cette situation particulière qui est à relever. Comme nous l’explique Bechmann, la seconde partie du Moyen-Âge est marquée par une pénurie de bois, liée à l’accroissement de la population et par conséquent des terres agraires, au détriment des forêts : « Le manque de bois d’œuvre, surtout dans les fortes sections, conduisit à chercher des dispositifs
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Fig. 3. DE HONNECOURT, Villard. Plancher avec des bois trop courts – extrait de carnet, dessin sur parchemin, entre 1225 et 1250. Reproduit dans : BECHMANN, Roland et al. Carnet de Villard de Honnecourt d'après le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de Paris. Paris : Stock, 1986. pl. 35
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permettant
d’économiser
ou
d’utiliser
des
éléments
de
plus
faibles
dimensions »2. Le bois, matière dont les dimensions sont limitées naturellement, engrange des matériaux eux aussi contraints. Dans un environnement de crise de l’approvisionnement, le constructeur doit donc adopter une démarche inverse à celle de trouver le matériau adapté à sa conception, c’est-à-dire s’adapter à celui qui est à sa disposition. C’est exactement ce que fait Villard dans deux de ses croquis : l’un d’un plancher, l’autre d’un pont. Le plancher (fig. 2) est sous-titré de cette phrase, dont Bechmann donne une traduction du picard : « c’est ainsi qu’on peut travailler à une tour ou à une maison avec des bois qui sont trop courts. »3. Il représente une pièce dans laquelle on viendrait construire un plancher, ou une galerie, à partir de quatre solives plus courtes que les côtés du carré. Ainsi elles ne franchissent pas de mur à mur, mais chacune s’appuie d’une extrémité dans la maçonnerie, et de l’autre sur la solive perpendiculaire adjacente. De cette manière elles se soutiennent entre elles. Si la solution semble simple, les clous apparaissant sur le dessin laissent supposer une construction rigide afin d’obtenir un plancher d’un seul tenant. Bechmann confirme cette hypothèse en évoquant la nécessité d’un assemblage rigide « pour éviter tout jeu et toute "souplesse" dans le plancher. »4. Dans le cas exposé, les quatre poutres sont strictement identiques. Si elles doivent faire appel à un savoir-faire de charpenterie élevé afin de réaliser un véritable encastrement, une certaine idée de standardisation du matériau est envisageable. Là où l’économie était d’abord subie quant à l’adaptation au bois disponible, elle est aussi voulue au regard de la répétitivité d’un même modulepoutre. En outre, le motif créé par le rayonnement des solives induit une
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BECHMANN, Roland et al. Carnet de Villard de Honnecourt d'après le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de Paris. Paris : Stock, 1986. p. 49 3 BECHMANN, Roland. Villard de Honnecourt : la pensée technique au XIIIe siècle et sa communication. Paris : Picard éditeur, 1991. p. 241 4 ibid. p. 242
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Fig. 4. DE HONNECOURT, Villard. Pont avec des fûts de 20 pieds de long – extrait de carnet, dessin sur parchemin, entre 1225 et 1250. Reproduit dans : BECHMANN, Roland et al. Carnet de Villard de Honnecourt d'après le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de Paris. op. cit. pl. 39
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esthétique particulière, relevant de l’harmonie, différente de celle dessinée par une hiérarchie entre poutres principales et chevêtres, qui si elle n’est pas volontaire n’en est pas moins intéressante à postériori. L’exemple du pont (fig. 4) exacerbe encore les différents points soulevés par celui du plancher. Le dessin de Villard présente deux consoles appuyées sur une pile à chaque rive et se rejoignant au centre de la rivière à franchir. Soustitré « de cette façon on fait un pont par-dessus une eau avec des fûts de vingt pieds de long »5 (traduction de Bechmann), l’attention portée à la dimension des éléments cristallise la démarche : l’assimilation de l’économie trouvée dans la dimension limitée du bois, puis son optimisation via la standardisation. Villard parle de fûts, qui sont des pièces de bois de section circulaire, ce qui permet à Bechmann de mettre en place une hypothèse d’assemblage : par cordage. Cela ne pouvant être avéré sur le dessin, cet élément n’est pas considéré. Cependant, ce qui est notable reste la triangulation de la structure, qui prouve la connaissance du constructeur médiéval sur la rigidité géométrique. Bechmann résume : « Ainsi on pouvait utiliser des bois de faible section et de longueur limitée pour franchir des portées importantes grâce à un tel dispositif triangulé, indéformable, où le nombre des éléments et leur disposition suppléaient à leurs faibles dimensions. » 6 . Deux éléments de langage sont à relever ici : la disposition et le nombre. Le premier laisse préfigurer l’idée que c’e st par l’organisation des petits éléments entre eux que leur force commune se crée ; la préfiguration dans la conception semble nécessaire, mais pas nécessairement par le calcul structurel. Le second terme fait déjà naître un paradoxe : si les éléments sont nombreux, est-il encore recevable de parler d’économie ? Tout est alors condition de la matière : le bois peut être certes pauvre et de faible
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BECHMANN, Roland. Villard de Honnecourt : la pensée technique au XIIIe siècle et sa communication. op. cit. p. 231 6 ibid. p. 233
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Fig. 5. SERLIO, Sebastiano. Plancher de 15 pieds de côtés avec des bois trop courts, dessin, 1545. Reproduit dans : SERLIO, Sebastiano. Trad. fr. par JEHAN, Martin. Le premier livre d’Architecture. Paris : imprimeur Jean Barbé, 1545. p. 49
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dimension, mais avoir un cycle d’exploitation rapide, ce qui justifie l’économie en dépit du nombre, donc de la quantité de matière. De Honnecourt n’est sûrement pas le seul de ses contemporains à avoir exploité ce genre de dispositif constructif, mais certainement l’un des premiers à avoir cherché à transmettre le principe et pas seulement à l’exécuter. Le travail préparatoire d’Olga Popovic Larsen de 2008 à propos de la réciprocité permet de relever de nombreux autres cas de planchers à bois trop courts. Chronologiquement après Villard, Léonard de Vinci (fig. 6), Sebastiano Serlio (fig. 5) et John Wallis sont allés chacun de leur proposition. Et en ce sens ils ont ouvert la voie à une véritable considération de la réciprocité en tant que telle afin d’en extraire le meilleur. Soit la définition de cette disposition structurelle, parmi d’autres, par Alberto Pugnale : « l’utilisation d’éléments porteurs pour composer une configuration spatiale au sein de laquelle ils se supportent mutuellement les uns les autres »7. Il apparaît clair que le plancher de Villard entre dans cette catégorie. Néanmoins, comme évoqué en amont, il s’assure malgré tout d’une rigidité par la présence de clous, qui font de ce plancher un ensemble en soi et plus réellement des poutres indépendantes s’aidant mutuellement.
I.2_exploiter ce qui est contrainte : nexorades Même si le travail de retour historique sur la réciprocité effectué par Olga Popovic Larsen nous expose l’existence de cette technique depuis l’âge des abris primitifs, un retour critique peut être réalisé à travers l’étude avancée d’Olivier Baverel (2000) sur les nexorades. Ce terme décrit l’interprétation du chercheur de la réciprocité, qui la cristallise et vise à se doter d’outils afin de la maîtriser dès l’origine de la conception.
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PUGNALE, Alberto et al. Trad. fr. personnelle. The principle of structural reciprocity. Article universitaire : ingénierie civile. Université d’Aalborg, 2011. p.2
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Fig. 6. PIROOZFAR, Poorang. Reproductions des dessins des structures temporaires (haut) et du pont (bas) de Léonard de Vinci – originellement situés dans son Codex Antlanticus (1478-1518), croquis, 2008. Reproduit dans : POPOVIC LARSEN, Olga. Reciprocal Frame Architecture. Oxford : Architectural Press, 2008. p. 10 & 11
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En s’appuyant sur cette définition, « des poutres inclinées se supportant mutuellement »8, Olga Popovic Larsen inclut par-là des constructions telles que les tipis, qui en effet consistent en un ensemble de poutres formant un cône par le fait qu’elles s’appuient toutes les unes sur les autres en un point, le sommet. Comme cité plus haut, la chercheuse rapproche Serlio et de Vinci de Villard de Honnecourt dans la catégorie des « grillages plats »9. Le dessin de Serlio (fig. 5), présent dans son premier livre d’architecture, témoigne des similitudes avec celui de Villard : si le nombre de poutres est plus grand et l’entrelacement de celles-ci plus complexe, la présence de clous aux liaisons indique encore une volonté de rigidité structurelle. Les expérimentions de Léonard de Vinci (fig. 6) quant à elles montrent déjà une translation vers ce que seront les nexorades étudiées par Baverel. Dans ses croquis du Codex Atlanticus, réinterprétés par Piroozfar, déjà s’efface l’assemblage pour ne laisser apparaître que les éléments en eux-mêmes, entrelacés mais pas nécessairement encastrés ou rigidifiés au droit des nœuds par charpenterie. Cette configuration prend corps plus concrètement dans l’exemple du pont : les poutres de section ronde ne sont que posées les unes sur les autres et liées seulement pour éviter leur glissement. Bien qu’à la fois Larsen, dans son ouvrage Reciprocal Frame Architecture, et Baverel, dans sa thèse de doctorat, rappellent que des ponts de cette nature sont apparus en Chine antérieurement au croquis de de Vinci, ce dernier a tout de même eu une volonté de transmettre cette technique dans son Codex. C’est ce type de réciprocité qu’étudie Baverel, celle qui assume ce qu’est son essence, soit des éléments discrets s’aidant les uns les autres et non rigidifiés, noyés dans un ensemble se voulant continu. Déjà une différence notable est établie par Larsen : « une configuration de réciprocité (avec éléments inclinés) transfère les charges par compression dans chaque membre, alors que
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POPOVIC LARSEN, Olga. Trad. fr. personnelle. Reciprocal Frame Architecture. Oxford : Architectural Press, 2008. p. 1 9 ibid. p. 11
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Fig. 7. BAVEREL, Olivier. Fan constitué de quatre nexors A,B,C et D avec une longueur d’engagement λ, plan et perspective informatiques, 2000. Reproduit dans : BAVEREL, Olivier. Nexorades : a family of interwoven space structures. Thèse : ingénierie civile. Université du Surrey, 2000. p. 30
Fig. 8. BAVEREL, Olivier. Définition de l’excentricité, croquis, 2000. Reproduit dans : ibid. p. 36
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les configurations plates non. »10 ; cette compression est localisée et entraîne bien sûr une flexion des poutres, mais le comportement structurel est facilement identifiable, contrairement à celui des grillages rigides. Dès lors il est possible de réellement discrétiser la structure considérée en poutres indépendantes sans avoir à prendre en compte les effets parasitaires provoqués par une éventuelle rigidification. La non-hiérarchisation de la structure différencie aussi les solutions subies de l’appropriation effective de la technique réciprocité. Villard proposait un plancher, ce qui implique qu’il repose sur des murs porteurs. Qui plus est, son dessin présentait des solives secondaires entre les poutres. Au-delà de l’ingéniosité, l’ensemble reste classique, hiérarchisé : chaque partie a un rôle et un comportement différent dans la transmission des charges (la flexion pour les poutres, la compression pour les murs). Baverel lui a clairement exploité la nonhiérarchisation des éléments : ceux-ci sont tous strictement identiques, et l’ensemble repose à même les fondations. Aucun membre n’a de rôle plus prééminent que les autres et tous subissent les mêmes déformations, à des degrés divers certes (compression-flexion comme évoqué plus haut). Olivier Baverel, va déterminer un vocabulaire, accompagné de valeurs mathématiques, qui permettra de paramétrer une nexorade dans toute sa complexité (fig. 7). Le terme nexorade est proposé à Baverel par son directeur de thèse, tire son origine du latin nexor, « nœud, lien », et se veut un terme à portée signifiante dans l’architecture, comme le sont colonnade ou arcade. Le chercheur utilise ce terme racine de nexor pour définir un membre de l’ensemble, une partie discrète indépendante. Ensuite, il s’agira de déterminer « l’arrangement le plus élémentaire de nexors se supportant mutuellement »11, qui consiste en trois barres s’appuyant concentriquement les unes sur les autres. Bien sûr le nombre de membres peut augmenter mais leur disposition au droit où
10
POPOVIC LARSEN, Olga. Trad. fr. personnelle. Reciprocal Frame Architecture. op. cit. p. 8 BAVEREL, Olivier. Trad. fr. personnelle. Nexorades : a family of interwoven space structures. Thèse : ingénierie civile. Université du Surrey, 2000. p. 29 11
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Fig. 9. BAVEREL, Olivier. Formule de génération d’une nexorade régulière, formule pour le logiciel FORMIAN, 2000. Reproduit dans : BAVEREL, Olivier. Nexorades : a family of interwoven space structures. op. cit. p. 52
Fig. 10. BAVEREL, Olivier. Nexorade plate avec fan carré, images informatiques, 2000. Reproduit dans : ibid. p. 208
Fig. 11. BAVEREL, Olivier. Nexorade complexe avec fans variés, image informatique, 2000. Reproduit dans : ibid. p. 14
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ils se regroupent sera appelée un fan ; qui pourrait être traduit de l’anglais par corolle, mais dont le terme originel sera gardé par souci de fidélité. Une nexorade pourra donc être composée de plusieurs fans, dont certains auront contact avec le sol et d’autres dépendront de ceux qui les entourent, un nexor pouvant participer à un fan à chacune de ses extrémités par exemple. Ce fan étant considéré comme un nœud, Baverel donne de l’importance à la longueur d’engagement d’un nexor, correspondant à la partie de ce dernier qui est impliquée dans la réciprocité, soit la distance entre le point où il s’appuie sur un autre nexor et celui ou un second s’appuie sur lui. Enfin, paramètre essentiel, l’excentricité (fig. 8) est définie comme la distance entre les axes centraux de deux nexors posés l’un sur l’autre au droit de leur contact. Grâce à la géométrie analytique, et en manipulant ces données, Olivier Baverel parvient à générer une fonction mathématique (fig. 9) qui lie ces paramètres et permet donc de les déterminer en fonction des autres. La connaissance précise de la disposition des membres, l’outil développé afin de rendre le paramétrage efficace : ces aspects de la thèse d’Olivier Baverel se mettent à la disposition de la conception afin de faciliter l’appréhension de la technique de réciprocité. De ce constat le chercheur dresse une liste des avantages des nexorades : « Les nexors d’une nexorade peuvent avoir une longueur identique, une section identique et une longueur d’engagement identique. / En faisant varier la longueur d’engagement, différentes tailles de nexorades peuvent être construites en utilisant la même configuration de base. / Les nexorades n’ont qu’un type de joint et ce joint ne lie que deux nexors. / Aucun des composants ne requiert une technologie avancée. / De simples outils suffisent à la construction. »12
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BAVEREL, Olivier. Trad. fr. personnelle. Nexorades : a family of interwoven space structures. op. cit. p. 242
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Fig. 12. BAVEREL, Olivier. Détails de connexions, croquis, 2000. Reproduit dans : BAVEREL, Olivier. Nexorades : a family of interwoven space structures. op. cit. p. 267
Fig. 13. BAVEREL, Olivier. Connexion par bride d’échafaudage, photographie et dessins, 2000. Reproduit dans : ibid. p. 268
Fig. 14. BAVEREL, Olivier. Nexorade constituée de poutres spatiales, image informatique, 2000. Reproduit dans : ibid. p. 271
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Il ressort qu’en utilisant de petits éléments identiques il est possible d’engendrer toutes sortes de formes et de tailles de nexorades (fig. 10 & 11). Puis, étant donné que Baverel part de l’hypothèse qu’il y a excentricité et donc simple contact, il propose des exemples de connexions en fonctions des matériaux employés, et expose leur simplicité. Ces solutions ne fixent pas les membres entre eux de manière rigide, mais empêchent leur glissement en créant de la friction : il peut s’agir d’un cordage, d’une barre traversant les deux nexors (fig. 12), ou même d’une bride d’échafaudage qui serre chaque nexor et peut pivoter (fig. 13). Aucun de ces assemblages n’affecte la forme du nexor en lui-même, et ne sont que montage ; il y a une simplicité de la construction qui implique que la mise en place ne requiert pas de savoir-faire particulier, soit rapide et potentiellement démontable. Enfin les suggestions de Baverel quant à la nature des membres de la nexorade arborent aussi une volonté de simplicité : bois de section ronde standard, bambou, tubes en acier d’échafaudage, poutres-treillis métalliques (fig. 14), etc. L’économie est donc latente, lisible à travers chaque détail de l’aspect constructif de la thèse du chercheur. D’ailleurs il confirme cette position : « Etant donné que tous les éléments d’une nexorade peuvent être standards, ils peuvent être produits en masse à un moindre coût. »13. Aux yeux de Baverel l’économie est ainsi avant tout liée à une standardisation possible, elle-même étant à la fois condition et conséquence de la non-hiérarchisation. Calder Danz va plus loin à propos de la matière. Dans un article de 2014 au sein duquel il étudie le rapprochement entre les structures lamella (fig. 15) inventées par Friedrich Zollinger vers 1920 et le principe de réciprocité, il écrit : « Les systèmes réciproques sont efficaces dans leur utilisation de petites pièces de matériaux pour couvrir de grands volumes. Cela a des implications bénéfiques pour la construction par le fait que cela rend disponible un lot de
13
BAVEREL, Olivier. Trad. fr. personnelle. Nexorades : a family of interwoven space structures. op. cit. p. 275
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Fig. 15. DANZ, Calder. Voûte de type lamella, image informatique, 2014. Reproduit dans : DANZ, Calder. Reciprocal Frames, Nexorades and Lamellae : an investigation into mutually supporting structural forms. Article universitaire : architecture. Université de Washington, 2014. p. 1
Fig. 16. DANZ, Calder. Paramétrage d’une voûte par mappage, image informatique, 2014. Reproduit dans : ibid. p. 12-13
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matériel qui serait autrement inapproprié à une application architecturale. »14. En ce qui concerne son travail, il expose que du bois de moyenne ou mauvaise qualité est parfaitement adapté à la fabrication de voûtes lamella de type réciproque, étant donné que les éléments restent petits et qu’avant tout c’est la forme de ceux-ci qui confèrera de la qualité à la structure. Au-delà de l’aspect matériel, un parallèle peut s’établir avec la démarche de Baverel : le paramétrage informatique. Si ce dernier se concentre avant tout sur la géométrie pour définir les variables d’une nexorade, Calder Danz exploite l’outil Grasshopper, extension du logiciel de conception 3D Rhino. Mais ce travail ne pourrait exister sans les bases géométriques instaurées par le premier. En effet Danz paramètre d’abord une nexorade de quatre nexors par fan afin de créer un motif, qui sera ensuite appliqué sur une forme courbe de voûte (fig. 16). Au-delà du travail géométrique initial, le paramétrage numérique semble être essentiel pour l’appréhension efficace de structures qui auparavant aurait pu être complexe. Si le travail des deux chercheurs est avant tout une prospection scientifique de l’exploitation du numérique afin de théoriser sur une technique usitée depuis plusieurs siècles, leur positionnement quant à la matière est semblable. Danz évoque explicitement l’accès à des matériaux originellement inadaptés à la construction, et ceux proposés par Baverel sont toujours simples, banals et standards. Néanmoins le travail antérieur de paramétrage requiert des compétences particulières ; mais c’est de la complexité, apparente, de ce travail en amont que naît la simplicité de la construction. C’est par la connaissance avancée de dispositifs tels que la réciprocité qu’il est possible d’exploiter pleinement l’adaptabilité à la matière.
14
DANZ, Calder. Trad. fr. personnelle. Reciprocal Frames, Nexorades and Lamellae : an investigation into mutually supporting structural forms. Article universitaire : architecture. Université de Washington, 2014. p. 2
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Fig. 17. COPANS, Richard. Vue des toits de la Wa Shan le long de la rivière, capture vidéo, 2015. Extrait de : GARCIAS, Juliette. WA SHAN : La maison d’hôtes [documentaire (26 mn)]. [s.l.] : Arte France, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Les Films d’ici, 2015. 03’35’’
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I.3_ ouverture / vers une écologie Dans la considération pour la matière se situe donc une économie qui est celle des moyens. En cherchant non pas à la soumettre au dessin de l’architecture mais au contraire en l’intégrant, la problématique de son origine est soulevée. Et une démarche de durabilité, non pas en tant que pérennité figée de l’édifice, mais de la filière du bâtiment est possible. Aujourd’hui cela se manifeste par exemple dans le réemploi des matériaux, la réhabilitation, l’utilisation de matériaux locaux acceptés pleinement, pour leurs qualités et avec leurs défauts, etc. Où chaque fois c’est à l’architecte d’intégrer la contrainte à son travail. Depuis quelques décennies, la question de l’économie dans le bâtiment s’est muée en une démarche générale de responsabilité et de sobriété envers l’environnement. Et cela implique une conscience totale de la traçabilité des matériaux employés pour construire. Quand le béton fait face à une crise du sable, que le bois est importé depuis des pays lointains au mépris de la pollution générée par son transport, les exemples suscités sont essentiels pour prouver que l’architecte peut, et se doit, d’user de son ingéniosité pour s’adapter à son milieu, et particulièrement ici que franchir de grandes portées n’implique pas nécessairement un recours à des techniques ou des matériaux exceptionnels. La question du patrimoine en Chine est au cœur du travail de Wang Shu, qui voit dans son métier d’architecte une obligation intellectuelle de perpétuer la culture de son pays. Le documentaire Arte consacré à la maison d’hôte Wa Shan délivre un regard permettant de saisir sa pensée, et ce majoritairement à travers la construction. La ville de Hang Shu, où est implanté l’hôtel, a connu ces dernières années une destruction de 90% de son bâti, pour la plupart des maisons traditionnelles, au profit de constructions neuves en béton. Un campus de 6000 étudiants y a été créé ex-nihilo, et 25 bâtiments furent réalisés par Wang Shu entre 2003 et 2009. En dernier lieu, pour accueillir les chercheurs, les familles des étudiants, etc. la maison d’hôte lui a été commandée. Elle se situe
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Fig. 18. FRITSCH, Jérôme. Murs et volumes de programmes de la Wa Shan, maquette, 2015. Réalisé pour et extrait de : GARCIAS, Juliette. WA SHAN : La maison d’hôtes [documentaire (26 mn)]. op. cit. 08’15’’
Fig. 19. FRITSCH, Jérôme. Structure du toit de la Wa Shan, maquette, 2015. Réalisé pour et extrait de : ibid. 21’30’’
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le long de la rivière du campus (fig. 17), là où il y avait auparavant quelques maisons de paysans et 4 platanes ; platanes conservés car selon Wang Shu l’architecture a raison d’être si elle respecte la nature où elle s’implante. Trente murs en pisé, érigés avec la terre du site, sont placés perpendiculairement à la rivière, pour faire porosité, connexion avec elle. Entre ces murs, les volumes du programme s’insèrent et font une façade discontinue, non linéaire (fig. 18). Cela permet aussi de multiplier les terrasses, couvertes ou non, qui floutent la limite intérieur-extérieur. Un réseau de pont et de passerelles complexe désoriente le visiteur pour le laisser se perdre. L’hôtel qui termine le bâtiment vient en contrepoint du reste avec des murs parallèles à la rivière et troués de formes abstraites en références aux jardins chinois. L’architecte mêle la modernité du béton et les traditions de la terre, du bambou, de la pierre, du bois, etc. L’emploi de techniques vernaculaires est un marqueur critique envers la destruction des 90% du bâti originel suscités : c’est un devoir moral de se souvenir par la matière pour Wang Shu. D’ailleurs, les matériaux de la destruction des maisons d’Hang Shu sont récupérés et utilisés selon le principe du wa-tan, c’est-à-dire « s’accommoder » à reconstruire avec les débris après un typhon. Le toit quant à lui se veut unificateur, c’est un grand geste qui fait la cohésion entre les programmes éclatés, les terrasses nombreuses. Encore dans le souci de réemploi, il est couvert des tuiles des maisons présentes sur le site auparavant. Afin de concrétiser « son geste plastique »15, Wang Shu dessine une charpente complexe, d’un seul tenant, composée de milliers de chevrons ordinaires de même longueur, assemblés pas des vis standards, à la main (fig. 19). C’est l’organisation par triangulations multiples qui créé une rigidité et une indépendance structurelle , permettant la grande portée. Malgré la
15
GARCIAS, Juliette. WA SHAN : La maison d’hôtes [documentaire (26 mn)]. [s.l.] : Arte France, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Les Films d’ici, 2015. 22’12’’
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Fig. 20. COPANS, Richard. Sous-face des toits de la Wa Shan, capture vidéo, 2015. Extrait de : GARCIAS, Juliette. WA SHAN : La maison d’hôtes [documentaire (26 mn)]. op. cit. 22’20’’
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« débauche de bois »16 évidente, du fait de la densité et du nombre de chevrons utilisés (fig. 20), il est encore possible d’invoquer une certaine économie par l’utilisation de matériaux pauvres et standards. Cette démarche vise aussi à être durable, car si la durabilité ne se trouve pas dans la pérennité physique du matériau qui, Wang Shu le sait, ne durera qu’une génération, c’est la possibilité de remplacer les chevrons au fur et à mesure de leur usure qui la crée : « la réversibilité des matériaux est pour lui gage de durabilité »17. Cette idée peut se percevoir comme un gaspillage de matière supplémentaire à celui du nombre de pièces ; mais si le bois est ordinaire, il est alors facile à se procurer et à remplacer, potentiellement local et par conséquent entretenant une filière, donc de l’emploi et des savoir-faire humains. L’approche pourrait alors être presque qualifiée d’écologique plus que d’économique. Ramené au nord de la France, cet effort de localité et d’adaptabilité peut devenir une démarche d’architecte à part entière, une position quasi politique. Le siège lillois d’Europe-Ecologie-Les-Verts réalisé par François Lacoste, professeur à l’ENSAPL, possède une salle de réunion qu’il a fallu couvrir d’une charpente « exemplaire » aux yeux de ce que défend le parti. Acteur de la mise en place d’une filière bois locale, l’architecte a choisi le peuplier, arbre historique de la région, longtemps délaissé car trop « pauvre », faible structurellement. Or dans l’histoire, des constructeurs ont su dépasser et même optimiser cette contrainte. Néanmoins, pour la charpente en question, le processus fût encore différent d’une expérimentation classique liée à la résistance du peuplier. L’architecte a eu accès à un lot de pièces de section faible, toutes débitées à un mètre de long, qui s’avèrent être les chutes issues d’un précédent chantier. Avec ces barres sont formées des poutres triangulées, assemblées simplement avec
16 17
GARCIAS, Juliette. WA SHAN : La maison d’hôtes [documentaire (26 mn)]. op. cit. 22’05’’ ibid. 22’40’’
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Fig. 21. WANTIER, Loïc. Plafond de la salle de réunion du siège d’EELV à Lille – réalisé par François Lacoste, photographie numérique, 2015.
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des grilles cloutées industrielles servant habituellement à la construction de fermettes. Les poutres s’appuient l’une contre l’autre deux par deux, formant un toit à deux pentes, et leur écartement en base est empêché par un tube creux métallique, lui aussi issu de la récupération, faisant office de tirant (fig. 21). Cet exemple dépasse l’économie élémentaire de réduction de matière, l’emploi de « rebuts » de l’architecture questionne même l’origine de celle-ci. Ainsi la conception ne contraint pas la matière, c’est cette dernière qui la détermine. L’économie par la moindre qualité et donc le moindre coût de la matière, en dépit de sa quantité peut-elle être satisfaisante ? Le terme de « débauche » employé plus haut à propos de l’auberge est connoté négativement, alors l’économie est-elle viciée ? La question de la sobriété s’accompagne de celle de parcimonie, et cela peut passer par une recherche de la quantité de matière minimale procurant la stabilité structurelle la plus efficace.
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Fig. 22. GALILEI, Galileo. Diagramme pour la formule de la console, gravure, 1699. Reproduit dans : GALILEI, Galileo. Discursus et demonstrationes mathematicae. Lugdunum Batavorum : F. Haaring & D. Severinum, 1699. p. 103
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II_ L’ÉCONOMIE DE MATIÈRE
Considération très différente de l’économie rapportée à la matière, contrairement à ce qui a été explicité précédemment, l’économie de matière est une volonté. L’adaptation n’est plus celle du concepteur à la matière, mais l’inverse. La préoccupation d’un constructeur face à la réalité du matériau devient celle d’un scientifique, d’un ingénieur qui de manière abstraite s’impose à la matière pour l’optimiser, la façonner pour en tirer parti au mieux, quantitativement parlant.
II.1_introduction / optimiser Déjà quand Galilée au XVIIème siècle imaginait une méthode pour prévoir la hauteur d’une poutre encastrée dans un mur (fig. 22), un basculement s’opère quant à la considération structurelle. Désormais ce ne sont ni l’expérience ni l’assemblage des éléments qui comptent, mais leurs dimensions. Alberto Abriani, dans un effort de comprendre le lien entre construction et architecture, écrit : « la science moderne est issue d’un débat philosophique : c’est ainsi pour Descartes et Galilée, lesquels, avec leurs programmes de "mathématisation de la science", ne font que produire des modèles abstraits de la réalité ; ils la créent en quelque sorte. » 18 .
C’est donc l’essor des mathématiques qui a
progressivement décalé le regard porté sur la matière. Comme l’explique Mimram : « Les mathématiques visent la raison des choses […] Leur rôle aura été déterminant dans la consolidation des idées intuitives du XVII ème »19. La science s’est ensuite infiltrée dans l’architecture, et Abriani nous rappelle l’apparition de formules telles que celles de Bage, Hodgkinson ou Gordon -
18 19
ABRIANI, Alberto. Construction et architecture. matières, 1997, n° 1. p. 31 MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 5
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Rankine qui s’appliquent à l’architecture. Selon lui, « Les architectes modernes ressentent tout particulièrement la perte de contrôle sur la production et l’emploi des matériaux de construction […] Désormais les industriels, entrepreneurs, ingénieurs s’en sont emparés. »20. Par exemple les deux cas qui seront étudiés ici, Fuller et le Ricolais, ne sont en aucun cas architectes de formation ; même si, évidemment, leurs travaux entrent en écho avec l’architecture. En tout cas la matière n’est plus construite, mais désormais calculée. L’évolution du métal s’est parfaitement inscrite dans cette veine nouvelle. S’il a toujours appartenu à la construction, avant la naissance de l’industrie il n’a eu qu’un rôle dans les assemblages, en étant clous, clés, chaînages, etc. Quand sa production fût maîtrisée, elle fût éminemment industrialisée, le métal étant un matériau issu d’une transformation profonde de la matière première. A la différence du bois auquel il est nécessaire de s’adapter, le métal est qualitativement façonnable en dimensions, composition, forme. Il s’inscrit alors aisément dans cette nouvelle démarche raisonnée et scientifique. Pour citer Abriani : « Ce mythe [du progrès technique] sera véhiculé […] par le nouveau matériau, le métal »21. Il y a donc une économie préalable et induite trouvée dans l’optimisation par le calcul. Aujourd’hui encore la statique est une discipline majeure pour l’édification de bâtiments : qu’elle soit graphique, calculée par le biais de formules ou numériquement, elle est aujourd’hui indispensable au travail de bureaux d’études par exemple. Et si elle n’est pas apprise de manière précise, les connaissances de base en statique sont enseignées en école d’architecture, afin d’avoir en conscience ce que représenterait la structure pendant la projection. Au-delà du calcul dimensionnel, une réflexion plus en avant sur la disposition même des éléments de couverture afin d’encore optimiser l’utilisation
20 21
ABRIANI, Alberto. Construction et architecture. op. cit. p. 31 ibid. p. 35
43
Fig. 23. OTTO, Frei. Étude pour le pavillon allemand à l’exposition universelle de Montréal (1967), maquette en corde et membrane de savon, 1967. Reproduit dans : OTTO, Frei. Trad. fr. par GRELOT Danielle et SOUBEYRAND Paulette. Architecture et Bionique, construction naturelles. Denges : Éditions Delta et Spes, 1985. p. 83
Fig. 24. OTTO, Frei. Couverture du pavillon allemand à l’exposition universelle de Montréal (1967) – filet et membrane, photographie, 1967. Reproduit dans : ibid. p. 83
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de la matière est effectuée par des penseurs au XXème siècle. Et en ce sens l’étude de la géométrie est essentielle, qu’elle soit dessinée ou expérimentée en maquette, car c’est elle qui va conditionner la forme idéale par sa performance structurelle. Frei Otto, architecte allemand durant ce XXème siècle par exemple, fût une figure de proue d’une pensée à travers laquelle la nature pouvait, si bien comprise, être source de modèles pour la technique. Il entendait s’en inspirer, mais sans poursuivre l’analogie : « Les méthodes scientifiques employées jusqu’alors […] s’épuisaient à ressasser des analogies banales. »22. Dans les faits, Otto poursuivait une démarche de compréhension de la nature via l’architecture, et surtout par l’expérimentation. C’est grâce aux maquettes en membranes de savon ou en filets qu’il put s’approprier ces formes en construction, pas par le calcul d’abord (fig. 23 & 24). Et comme il l’explique, « Dès que l’on découvre des formes optimalisées, on les redécouvre dans la nature »23. De la même manière, de nombreux rapprochements à des éléments naturels se retrouvent aussi chez Fuller par exemple, dont Otto parle de la ressemblance de ses dômes avec la coquille de diatomée. Néanmoins, l’architecte allemand tendait lui aussi, comme les ingénieurs du calcul, à « un rendement maximum avec un minimum de matériau »24. L’optimisation de la matière, quelle que soit la démarche dont elle découle (le calcul scientifique, la fascination pour la nature, etc.), vise donc cet unique but chaque fois : faire le mieux possible qualitativement parlant avec le moins possible quantitativement parlant.
22
OTTO, Frei. Trad. fr. par GRELOT Danielle et SOUBEYRAND Paulette. Architecture et Bionique, construction naturelles. Denges : Éditions Delta et Spes, 1985. p. 8 23 ibid. p. 11 24 ibid. p. 131
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Fig. 25. BALDWIN, James Tennant. Solides platoniciens, schéma, 1996. Reproduit dans : BALDWIN, James Tennant. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. New York : Wiley, 1996. p. 70
Fig. 26. BALDWIN, James Tennant. Fréquence d’un isocaèdre, schéma, 1996. Reproduit dans : ibid. p. 77
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II.2_dômes géodésiques et structures réticulaires C’est à travers la géométrie la plus essentielle que Buckminster poursuivra l’optimisation structurelle qu’il souhaite atteindre. Il trouvera cette efficacité maximale dans les dômes géodésiques. Baldwin nous démontre avant tout l’efficacité du dôme, à travers cette démonstration de géométrie pratique : « Leur forme courbe et composée possède une force inhérente, créant une structure autoportante libre de colonnes. Les dômes sont matériellement et énergétiquement efficaces car, de toutes les formes possibles, une sphère contient le plus de volume dans une surface moindre. […] Un dôme a une empreinte au sol circulaire. De toutes les formes possibles, un cercle délimite la plus grande surface dans un périmètre moindre. Ainsi, pour une quantité donnée de matériau, un dôme renferme le plus de surface au sol et de volume intérieur que toute autre forme. »25 La géodésie, d’après son étymologie grecque « diviser la Terre », consiste donc à déterminer une méthode, un moyen de dessiner et de comprendre la géométrie de notre planète. Appliquée au dôme, c’est une volonté de Fuller d’approcher la continuité de la sphère par des éléments discrets, de la diviser en parties. C’est l’étude des solides platoniciens qui permet cela. Ces figures géométriques sont les uniques polyèdres dont les faces sont toutes identiques et dont chaque sommet rejoint le même nombre de faces (fig. 25). Cette régularité est la clé de leur intérêt car cela induit une répétitivité, qui en construction tend à la standardisation. Ils sont au nombre de cinq : le tétraèdre, le cube, l’octaèdre, le dodécaèdre et l’icosaèdre, possédant respectivement quatre, six, huit, douze et vingt faces. Une dérivation du dernier de ces solides permet d’obtenir un dôme géodésique, et ce en faisant varier la fréquence : c’est-à-dire en divisant les
25
BALDWIN, James Tennant. Trad. fr. personnelle. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. New York : Wiley, 1996. p. 112
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Fig. 27. FULLER, Buckminster. Dôme géodésique de la société Ford, photographie aérienne, 1953. Reproduit dans : BALDWIN, James Tennant. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 119
Fig. 28. FULLER, Buckminster. Étapes de montage du dôme Ford, photographies, 1953. Reproduit dans : ibid. p. 120
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segments d’un icosaèdre, ce qui fractionne les faces de celui-ci en triangles. Plus la fréquence est élevée, plus le dôme s’approche de la sphéricité, tout en conservant sa stabilité (fig. 26). Si déjà la forme de dôme est efficace en ellemême, la géodésie est encore une optimisation de celle-ci : « Les dômes géodésiques ont un avantage majeur [sur les autres dômes] : ils sont les plus résistants pour une quantité de matériau employée donnée. »26. Fuller ira plus loin en tentant de définir la synergétique, qui est « la performance imprévue de l’ensemble par l’examen des parties ou de tout sous-ensemble des parties. »27, à travers les deux volumes de son ouvrage Synergetics. La compréhension du concept peut être complexe, mais il s’agit par-là d’avoir une attitude empirique transdisciplinaire envers un sujet afin d’en optimiser l’essence. L’étymologie de la synergie provient du grec sunergia, qui signifie « coopération », et cela témoigne de cette idée d’associer des idées ponctuelles pour nourrir une pensée plus globale. Dans sa philosophie, Fuller avance que chaque être humain devrait savoir suffire à ses besoins primitifs pour ne pas avoir à dépendre d’un travail salarié aliénant (il développera le concept de « jardin d’Eden », un dôme sous lequel le climat artificiel généré permettrait de vivre de sa propre production agraire toute l’année). De cette manière, par son autonomie, chacun accèderait à du temps libre pour penser, innover, exploiter ses capacités intellectuelles ; et participer ainsi à une synergie du monde. C’est d’une certaine utopie d’un monde composé d’individus et non de nations que semble naître ce concept. Il voyait par exemple le dôme géodésique comme un objet purement synergétique, qui donc pourrait être parfaitement économique si chacun s’attelait à l’étude de tout ce qui l’entoure en plus de la géométrie idéale, c’est-à-dire le montage, l’assemblage, la considération matérielle…
26
BALDWIN, James Tennant. Trad. fr. personnelle. Bucky Work : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 117 27 ibid. p. 68
49
Fig. 29. FULLER, Buckminster. Pliage du module de base en carton pour le dôme de l’université de Caroline du Nord, photographies, vers 1950. Reproduit dans : BALDWIN, James Tennant. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 134
Fig. 30. FULLER, Buckminster. Montage du dôme de l’université de Caroline du Nord, photographies, vers 1950. Reproduit dans : ibid. p. 135
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Buckminster consacra une grande partie de sa carrière à ce type de structure, qu’il considérait de son invention. Baldwin dans son ouvrage consacré à Fuller, Bucky works, nous témoigne de nombreux exemples de dômes réalisés au cours de sa vie, et par là même ces cas nous renseignent sur l’économie qui peut s'y trouver. Le premier dôme, construit non en tant qu’expérience mais pour un client, fût celui de la rotonde Ford, à Dearborn en 1953 (fig. 27). Il a été érigé à partir de 20960 petites barres métalliques identiques, d’abord assemblées en triangles puis en fractions de l’ensemble dans des ateliers répartis autour du dôme. Ces parties, toujours manuportables car légères, sont mises en place et assemblées pour former la construction finale. Du triangle au dôme, un seul type de rivet est utilisé (fig. 28). Cette organisation a permis d’édifier le dôme en seulement quarante-deux jours, et ce malgré des ouvriers « qui n’avaient jamais vu quelque chose de semblable. »28. La standardisation des éléments, et certainement la préparation en amont du chantier, sont donc venues ajouter de l’économie de temps et d’argent à celle de la forme structurelle du point de vue matériel. Le dôme réalisé avec les étudiants de l’université de l’Etat de Caroline du Nord, au début des années 1950, reprend lui aussi le même schéma d’organisation du montage mais avec un tout autre matériau : le carton. Un patron découpé en série forme un triangle de base une fois plié (fig. 29). Plusieurs de ceux-ci, associés par sangles, délimitent un hexagone, un pentagone ou un grand triangle, approximativement de la taille d’un humain mais toujours manuportables grâce à la légèreté du carton (fig. 30). Ces grands éléments enfin s’assemblent avec les mêmes sangles pour terminer le dôme. Une même idée de processus d’édification est remarquable, et semble être aussi une clé de l’économie, au même titre que l’optimisation de la matière.
28
BALDWIN, James Tennant. Trad. fr. personnelle. Bucky Work : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 121
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Fig. 31. FULLER, Buckminster. Fabrication et stockages des "cigares" pour le dôme de l’université du Minnesota, photographies, vers 1950. Reproduit dans : BALDWIN, James Tennant. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 136
Fig. 32. FULLER, Buckminster. Dôme de l’université du Minnesota en cours de montage, photographie, vers 1950. Reproduit dans : ibid. p. 138
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Il est aussi intéressant de relever que l’optimisation passe certes par la forme globale du dôme, mais aussi, dans ce mouvement synergétique explicité plus haut, par celle des petits éléments. Les petites barres du dôme Ford étaient profilées, rigidifiées par des ondulations et pliées pour leur donner une résistance de forme. A propos du dôme des étudiants de Caroline du Nord, la plaque de carton minimise les chutes : elle est rectangulaire et seulement quelques minces encoches nécessaires au pliage y sont découpées. Cependant Baldwin rappelle que le carton n’a pas vocation à être réellement utilisé pour construire. Mais le cas du dôme de l’université du Minnesota est encore plus significatif de cette optimisation poussée à l’extrême. Il combine à la fois la géodésie pour l’efficacité de la forme globale, et la tenségrité pour l’efficacité des composants. Ces derniers dont des tubes en fibre de verre résistants à la compression qui ne se touchent jamais, et des câbles en tension permettant de les relier et de maintenir l’ensemble stable (fig. 31 & 32). Baldwin expose : « la forme en cigare des barres correspond à la distribution des charges de compression qui les traversent – un exemple du faire plus avec moins. »29. Il parvient ensuite à cette conclusion : « Les membres en compression sont des "îles". Evidemment, les câbles ne peuvent accepter que la tension. Celle-ci est continue. La division des tâches exploite les matériaux de la manière la plus efficace, en combinant "synergétiquement" la performance des matériaux à la performance déjà existante de la géométrie géodésique. »30. Cette expérience est l’illustration physique de l’expression de Fuller selon laquelle l’Univers est un océan de tension ponctué d’îles de compression. C’est aussi à travers l’appréhension des principes naturels et par leur interprétation que le penseur entend atteindre la perfection structurelle.
29
BALDWIN, James Tennant. Trad. fr. personnelle. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 136 30 ibid. p. 137
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Fig. 33. [auteur non-précisé]. Incendie du dôme de Montréal (1976), photographie, 1976. Reproduit dans : BALDWIN, James Tennant. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 169
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Quant à la considération matérielle, Fuller cherche avant tout la pérennité. Pour ces premiers projets de maisons rondes par exemple, il emploie l’aluminium : « Bucky notait que toute combinaison de molécules que la nature permet est naturelle. […] [L’aluminium] a un coût énergétique élevé, mais dure indéfiniment. Il ne requiert ni maintenance ou peinture. Il peut être recyclé. »31. Il assume l’impact écologique de la fabrication de l’aluminium puisqu’elle est au profit d’une temporalité longue ; la position est radicalement différente de l’adaptation à la matière vue précédemment. L’industrie n’est pas à ses yeux condamnable, il s’agit simplement d’en tirer le meilleur. Cependant, il convient de nuancer cette pérennité apparente : comme le rappelle Baldwin, la plupart des dômes « fuient », car sont perméables. La problématique de la couverture de ces dômes ayant souvent été éludée, le matériau qui la constituait a régulièrement été à l’origine de l’échec de nombreuses expériences. Anecdote caractéristique, il ne persiste du dôme de l’exposition universelle de 1967 à Montréal que la structure métallique en acier, la peau en acrylique ayant brûlé dans un incendie en 1976 (fig. 33). Depuis longtemps il est avéré, ou seulement éprouvé, que le triangle, quelles que soient ses dimensions, est une figure indéformable, assurant ainsi une stabilité aux structures. Déjà Villard de Honnecourt triangulait son pont en bois, pour ne se cantonner qu’aux exemples de cette étude. Dans l’architecture industrielle ensuite, il est quasiment omniprésent, à quelques exceptions. Rien que le patrimoine banal des hangars en est la preuve, à travers ses charpentes métalliques. Mais la plupart du temps la forme vient contreventer des compositions structurelles qui s’épanouissent en deux dimensions. Le tétraèdre est quant à lui la quintessence de la triangulation. Il est la forme régulière minimale la plus stable dans les trois dimensions. Buckminster Fuller propose
31
BALDWIN, James Tennant. Trad. fr. personnelle. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 23
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Fig. 34. BALDWIN, James Tennant. Principe de la tétraèdrisation, schéma, 1996. Reproduit dans : BALDWIN, James Tennant. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 71
Fig. 35. BUCKMINSTER, Fuller. Intérieur d’un biodôme, avec planchers en poutres-octet, photographie, vers 1980. Reproduit dans : ibid. p. 179
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même d’en faire une nouvelle unité d’appréhension de l’espace. Si on multiplie cette unité « à la puissance trois », c’est-à-dire en formant une pyramide dont la base aurait trois tétraèdres par côté, celle-ci serait composée de 27 unités (soit 33) et serait stable en soit ; alors qu’un cube composé de 27 unités-cubes occuperait plus de volume et devrait être encore triangulé (fig. 34). Or, comme Baldwin l’écrit : « Si vous ajoutez une diagonale à chaque face du cube pour le rigidifier, celles-ci formeront un tétraèdre. Bucky estimait qu’il serait plus économique de partir directement d’un tétraèdre en premier lieu. »32. Cela implique une conception différente de l’espace, rien que par le remplacement du repère à 90° par celui à 60° du tétraèdre. D’ailleurs, grâce à cet angle différent du repère orthonormé courant, un réseau de tétraèdres est triangulé dans toutes les directions, ce qui en fait une structure totalement autonome, qui ne dépend même pas de la gravité, formant un ensemble stable et rigide en soi. Buckminster a exploité cette configuration à travers la « poutre octet » (fig. 35), un réseau plat de tétraèdres qui est utilisé en tant que plancher. Le dispositif étant composé en grande partie d’air, il y a une économie de matière évidente en comparaison de la portée possible. Durant la première partie de sa carrière, le Ricolais a lui aussi étudié les structures réticulaires de manière plus poussée. Cela peut paraître paradoxal, mais l’origine du questionnement structurel du Ricolais s’est plutôt situé dans la recherche de la continuité : « La structure est vue dans sa globalité ; comme en mathématiques un ensemble a un comportement lié aux éléments qui le composent, mais possède par ailleurs des propriétés intrinsèques, une structure réalise davantage que les éléments qui la génèrent. » 33. Il y a donc une poursuite formelle d’une structure en tant qu’ensemble indépendant ; et c’est d’abord par la réticularité que le Ricolais tendra vers cet idéal. La topologie sera
32
BALDWIN, James Tennant. Trad. fr. personnelle. Bucky Work : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 73 33 MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 3
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Fig. 36. SHEPPARD, Roger. Exemples de réseaux stéréométriques, schémas, 1974. Reproduit dans : MIMRAM, Marc. Structures et formes. Paris : Dunod, 1983. p. 44
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la discipline essentielle pour comprendre cette translation du grand au petit. Marc Mimram en délivre une définition en plusieurs points : « La topologie […] se consacre à la connaissance des formes sans introduire la notion de mesure […] les éléments de l’espace considéré ne sont pas observés sous l’optique dimensionnelle ou métrique »34. Ou pour reprendre les mots du Ricolais cités par Mimram : « L’essentiel de la forme échappe à la notion de mesure. Au chiffre succède le nombre et l’art des arrangements combinés. Seule une discipline abstraite comme la topologie permet d’y accéder, abstraite sans doute – mais élémentaire – puisque son point de départ relie les trois éléments fondamentaux de la notion d’espace : le point, la ligne, la région. »35 C’est à partir de cette géométrie que le Ricolais établit des « réseaux stéréométriques »36, qui, à l’instar du dôme géodésique, découlent d’une étude de la géométrie des solides platoniciens (fig. 36). Au-delà donc de la volonté d’une structure unif iée vient s’ajouter la composante économique, essentiellement fondée sur celle de la matière comme évoqué en introduction : « L’essence des structures réticulées étant l’économie de matière et l’adéquation matière-formes-forces, on comprend l’importance des configurations spatiales dans la réponse aux exigences du minimum »37. Le Ricolais expérimentera de nombreuses mailles, dont certaines pouvaient se regrouper : de base triangulaire, carrée ou hexagonale. Les deux premières catégories, Mimram l’affirme, font intervenir des barres identiques, donc la standardisation : « une grande économie est réalisée par la légèreté générale et par l’utilisation répétée d’éléments identiques permettant ainsi la préfabrication et l’industrialisation. »38.
34
MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 9 LE RICOLAIS, Robert. cité in ibid. p. 31 36 MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 45 37 ibid. p. 46 38 ibid. p. 63 35
59
Fig. 37. LE RICOLAIS, Robert. Dôme TRIHEX, maquette, vers 1935. Reproduit dans : MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 56
Fig. 38. LE RICOLAIS, Robert. Nappe TETRAGRID, maquette, vers 1935. Reproduit dans : ibid. p. 59
60
L’homme de structures manipulera tous ces cas, et baptisera certains systèmes, comme par exemple le TRIHEX (fig. 37), combinaison de mailles hexagonales et triangulaires dont les nœuds périphériques de l’une se situent au nœud central de l’autre, afin de former un dôme. Ce système devait entrer en contradiction avec le dôme géodésique et sa triangulation dans toutes les directions, en n’éludant pas la gravité mais en l’exploitant. En effet, de la même manière que la poutre-octet citée plus haut, une sphère géodésique est triangulée dans l’absolu, c’est-à-dire par sa géométrie même, extraite de toute autre condition ; là où le dôme TRIHEX est un paraboloïde de révolution, « figure optimale pour une charge uniformément répartie »39. En effet cette forme dépend de la gravité : elle est déterminée par la suspension d’une corde, dont la courbure, une fois inversée, conduit idéalement les forces de compression. Certes, les deux cas sont des structures essentiellement non-hiérarchisées, puisque les éléments qui les constituent sont tous supposés avoir le même comportement vis-à-vis du chemin des charges. Mais, si comme le dit le Ricolais la différence est infime, elle existe : Fuller idéalise une forme quitte à ce que certains éléments travaillent plus que d’autres en réalité, alors que lui accepte cette réalité quitte à ce qu’une hiérarchisation réapparaisse à la conception entre éléments principaux et secondaires. Alors un paradoxe naît progressivement dans la pensée du Ricolais, celui de la dimension des éléments. Marc Mimram le cite ici : « pourquoi couper en petites barres des profilés qui sont réalisés en grande longueur, pour les réassembler ensuite »40. Cette remise en question de son travail s’opère peu à peu et, par exemple, le système TETRAGRID (fig. 38) illustre ce revirement : il est formé de deux nappes d’éléments continus espacées l’une de l’autre et
39 40
MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 56 LE RICOLAIS, Robert. cité in ibid. p. 57
61
62
reliées par des éléments plus petits de manière à former des tétraèdres. Une hiérarchisation, telle qu’explicitée plus haut, revient définitivement. Néanmoins, contrairement aux réseaux issus uniquement de tétraèdres, extrêmement rigides, le fait d’avoir des barres longues expose celles-ci au flambement, ce qui entraîne leur épaississement et des moments en charges non uniformes. Ce glissement dans la conception est en réalité un déplacement de la notion d’économie : là où elle résidait d’abord dans celle de la matière, elle devient une considération financière.
II.3_le facteur-joint En reconsidérant le paramétrage du dôme géodésique, l’augmentation de la fréquence, permettant de s’approcher d’une sphère parfaite, pourrait tendre vers l’infini. Bien sûr il y aurait une limite matérielle infranchissable, mais avant de l’atteindre plusieurs options réalistes plus ou moins subdivisées existeraient. Seul varierait le nombre d’éléments et par conséquent le nombre de sommets, c’est-à-dire de joints. L’interrogation très pragmatique du Ricolais, cité précédemment, à propos de la longueur des membres est elle aussi éminemment liée à la question du joint. Comme l’expose Mimram, « Le fractionnement de longueur des membres augmente le nombre de joints proportionnellement à la diminution de longueur, et il est évident que le prix de revient d’un joint est bien supérieur au prix des membres. »41. Le joint semble être la clé de l’économie, car c’est lui qui met en jeu le savoir-faire, la technique, le montage et ses questions de mise-en-place et de temps, la manœuvrabilité, etc. Même si le joint est réduit au facteur financier, donc à l’économie d’argent, il est aussi lié aux autres aspects de l’économie par toutes ces variables. Il est à la
41
MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 64
63
Fig. 39. FULLER, Buckminster. Détail du dôme de Montréal (1967), photographie, 1967. Reproduit dans : BALDWIN, James Tennant. Bucky Works : Buckminster Fuller’s Ideas for Today. op. cit. p. 168
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fois la condition du franchissement des grandes portées par de petits éléments et sa limite. Un élément relie les deux hommes cités dans cette partie, et il s’agit d’une critique, comme nous en témoigne Mimram : « Le Ricolais reprochait au pavillon de Montréal le principe de la bi-triangulation qui augmente considérablement le nombre de joints rencontrés pour les dômes géodésiques. »42. Le français parle ici du dôme réalisé par l’américain dans le cadre de l’exposition universelle de 1967, ayant eu lieu à Montréal. En plus d’augmenter le nombre de joints, cette bi-triangulation (qui a consisté à ajouter à la géodésie de base en hexagones une seconde maille intérieur triangulaire, qui vient contreventer la première, déjà stabilisée par des pointes tétraédriques (fig. 39)) multiplie le nombre de barres, donc la quantité de matière utilisée. Confrontée à la réalité de la construction, l’optimisation géométrique a parfois ses failles. D’ailleurs le Ricolais, comme le raconte Mimram, s’est totalement détourné des structures réticulaires dans la seconde partie de sa carrière, leur préférant les surfaces tendues à l’instar de Frei Otto. C’est en grande partie dû à cette confrontation au joint, ainsi qu’à cet idéal continu inatteignable finalement. Il explique en effet que si le comportement pensé d’une maille tétraédrique est uniforme, une fois confronté aux points d’appui et à la mise en charge, il est traversé de forces qui ne le sont pas. Alors le Ricolais se demande pourquoi ne pas adapter les structures aux situations en allongeant, épaississant certaines barres, dont en hiérarchisant à nouveau. Cité par Mimram, il dit : « ce serait une méprise de penser que les contraintes suivent docilement
cet
enchantement,
et
qu’une
division
de
l’espace
doive
nécessairement correspondre à une division des efforts »43. L’économie par la standardisation est abandonnée, pour tenter de continuer à poursuivre celle de la matière.
42 43
MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 57 LE RICOLAIS, Robert. cité in ibid. p. 65
65
66
L’économie de matière est donc pleine de paradoxes, car elle est cherchée certes dans des structures composées, mais aussi des surfaces continues (or propos dans cette recherche). Et dans le cas des premières le joint semble cristalliser ce paradoxe entre quantité de celui-ci et dimension des membres. Cependant, si c’en est le prix qui est avancé, sa complexité d’assemblage est aussi à considérer car elle peut provoquer l’économie. Le Ricolais résumait en réalité son travail par cette formule : « Je m’occupe de recherche structurale, c’est-à-dire d’assemblage nouveau pouvant intéresser la construction et l’architecture »44. Donc, que l’on cherche l’économie par la matière ou de la matière, l’assemblage apparaît comme le facteur principal où le concepteur peut intervenir pour l’atteindre réellement.
44
MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 23
67
Fig. 40. [auteur non-précisé]. Intérieur de la caserne du Mont-Dauphin ème (XIX ) réalisée selon la technique de de l’Orme, photographie, [date nonprécisée]. Reproduit dans : PÉROUSE de MONTCLOS, Jean-Marie. Philibert De l’Orme : Architecte du roi (1514-1570). Paris : Éditions Mengès, 2000. p. 210
68
III_ L’ÉCONOMIE PAR L’ASSEMBLAGE
« Tout semble se passer à la limite. »45 .
C’est
en
ces
termes
que
Mimram résume la préoccupation de Robert le Ricolais pour le joint. La question de l’assemblage des petits éléments semble concentrer en elle la quasi-totalité des problématiques de l’économie de ces structures composées. Leur nombre et leur complexité entraînent avec eux les sujets de la quantité d’éléments, donc de matière, de la simplicité d’érection, donc de durée de montage, de qualification de main-d’œuvre. Le savoir-faire est ainsi intrinsèquement lié à l’assemblage. L’exemple de Philibert de l’Orme l’illustre parfaitement : le montage par simple clavement ne nécessite aucun matériel, donc aucune compétence particulière. La portée de l’économie réalisée est même sociale : en tant qu’intendant du Royaume de France, de l’Orme entend résoudre le problème du chômage en permettant au plus grand nombre d’accéder à un emploi dans le bâtiment sans qualification. Cité par Poitié, il écrit en préface de son traité : « quel plus grand bien peut-on trouver […] que de faire en bâtissant gagner une myriade de pauvres gens »46. L’assemblage apparaît comme une clé essentielle à l’économie.
III.1_introduction / vers un non-assemblage Le joint, en tant que jonction physique, fait partie de l’assemblage, qui invoque aussi la dynamique de l’action de montage. Existe alors un creuset potentiel d’économies logé au droit du nœud. La fonction de ce joint est de relier les petits éléments des structures afin de les stabiliser, pour leur donner forme,
45
MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 52 DE L’ORME, Philibert. cité in POITIÉ, Philippe. Philibert De l’Orme : Figures de la pensée constructive. Marseille : Éditions parenthèses, 1996. p. 37 46
69
Fig. 41. DU PELOUX, Lionel. Montage du gridshell de la cathédrale temporaire de Créteil, photographies, 2013. Reproduit dans : NAMIAS, Olivier. Le design paramétrique au service de la foi. D’architecture, octobre 2013, n° 221. p. 126
Fig. 42. DU PELOUX, Lionel. Détail du manchon d’acier, photographie, 2013. Reproduit dans : DU PELOUX, Lionel et al. The ephemeral cathedral of Créteil. Article : ingénierie. Atelier T/E/S/S et laboratoire Navier, 2015. p. 7
70
d’assurer la transmission des charges, etc. Il est le vecteur du discret au continu, entre l’élément de base et l’équilibre structurel global. Cependant, la discrétisation de la structure n’est sûrement pas si évidente à définir, et il est possible d’en déterminer des nuances. En sciences, en particulier en mathématiques, le continu et le discret sont deux manières de penser un élément différentes. Le continu tente de l’appréhender entièrement, de formuler son comportement global ; le discret le fractionne pour l’étudier, et s’en approcher. Par exemple, l’intégralité des nombres réels est un ensemble continu, dont la catégorisation par des sous-ensembles de nombres entiers, rationnels ou irrationnels est une forme de discrétisation. Rapporté aux structures, ce principe consisterait à apprécier le degré d’indépendance vis-à-vis du comportement en charge de chaque petit élément constituant une structure : est-il noyé dans un comportement global ou en a-t-il un propre ? Comme explicité auparavant, Robert le Ricolais cherchait dans les structures une certaine cohérence de la forme globale, voulue la plus homogène possible ; c’est pourquoi il est passé entre autre par les mailles tétraédriques. La composition construite est certes constituée d’éléments discrets, mais non discrétisée quant au comportement structurel. Il en va de même pour les gridshells par exemple. Ceux-ci consistent en un grillage orthogonal formé de deux nappes d’éléments continus superposées. Les nœuds où se croisent les tiges sont des articulations libres d’abord, de sorte que, lorsque cet ensemble est soulevé par quelques points précis, la grille prenne forme ; pour figer cette dernière, des diagonales sont ajoutées et les articulations sont verrouillées une par une. Le discret intervient ici dans la constitution des éléments longs : étant donné qu’il est complexe de se procurer des tiges souples de plusieurs dizaines de mètres de long de quelque matériau que ce soit, c’est par adaptation à ceuxci qu’on peut produire le continu. Quand la cathédrale de Créteil a subi une restructuration entre 2013 et 2015, un édifice temporaire (fig. 41) a été installé : un gridshell, recouvert d’une membrane, développé par le laboratoire Navier 71
Fig. 43. WANTIER, Loïc. Première version du dôme réalisé à l’ENSAPL, photographie et croquis, 2014.
Fig. 44. WANTIER, Loïc. Seconde version du dôme réalisé à l’ENSAPL, photographie et croquis, 2014.
72
de l’école des Ponts. Après l’avoir paramétré sur Rhino et Grasshopper, l’équipe en a commencé la construction : ayant à disposition des tubes composites de douze mètres, ces sections ont été assemblées « par le biais de deux manchons en acier sertis sur les tubes composites. Ils sont ensuite reliés entre eux par une tige filetée. »47 (fig. 42). L’économie par la matière liée à l’adaptation à cette dernière n’est pas niable, néanmoins là aussi la discrétisation est absente : le discret est utilisé, mais pour obtenir un comportement structurel continu. En 2014 des élèves de l’ENSAPL ont pu participer, dans le cadre d’un cours d’arts plastiques, à l’édification d’un dôme géodésique, déjà conçu et fabriqué auparavant par d’autres étudiants. Un élément a retenu l’attention : l’évolution de l’assemblage des barres entre elles. Au départ il s’agissait d’une plaque de bois autour de laquelle venaient se ficher les arrêtes en bois du dôme (fig. 43). Mais ce nœud nécessitant une précision importante, était rigide et incapable d’une quelconque tolérance ; difficile à obtenir en auto-construction. C’est pourquoi cet élément solide a été remplacé par une pièce de caoutchouc (issue soit dit en passant de la récupération de pneus) évidemment souple et ainsi capable d’absorber les irrégularités (fig. 44). Cette souplesse permet déjà de tendre à une discrétisation plus forte, où les éléments gagnent en indépendance. Au lieu d’un ensemble rigide, la séparation des tâches, en donnant celle de la tolérance à l’assemblage uniquement, crée un dôme composé, moins continu. Les nexorades étudiées dans la première partie sont elles aussi imprégnées de cette question du nœud. En effet, la principale évolution dans la réciprocité de Baverel, au regard de ce que qui l’a précédée, consiste en cette acceptation de l’excentricité qui le conduit à en tirer parti par un assemblage plus simple basé uniquement sur la friction. Dans ces cas, la discrétisation des
47
NAMIAS, Olivier. Le design paramétrique au service de la foi. D’architecture, octobre 2013, n° 221. p. 126
73
Fig. 45. SHOEI YOH, Hamura. Dôme géodésique en bambou et son détail de connexion, photographie, vers 1990. Reproduit dans : MINKE, Gernot. Building with bamboo. Basel : Birkhäuser, 2012. p. 63
Fig. 46. MINKE, Gernot. Dôme-nexorade en bambou et son détail de connexion – réalisé par Ricardo de Leyva, photographie, vers 2000. Reproduit dans : ibid. p. 65
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éléments est encore plus évidente qu’avec le « dôme géodésique souple ». Baverel exposait dans sa thèse d’utiliser le bambou ; dans l’ouvrage Building with Bambou de Gernot Minke, deux exemples de dômes apparaissent et peuvent être confrontés. L’un est géodésique et les arrêtes de bambou sont reliées par un connecteur en acier (fig. 45), et le second est une nexorade avec excentricité dont l’assemblage consiste en un « lacet » traversant le bambou et noué en extrémité à un petit taquet pour ne pas glisser (fig. 46). Le deuxième joint est évidemment plus économique car ne requiert pas la complexité d’un connecteur usiné. Le discrétisation semble donc tendre à un non-assemblage, qui lui-même serait la condition d’économies multiples.
III.2_la réciprocité par la forme Reconsidérant ce qu’est une voûte de pierre d’après Bechmann, soit « un ingénieux dispositif qui permet de franchir des portées très importantes avec des éléments trop courts. »48, il apparaît essentiel de déterminer ce qui rend possible cet état de fait. Et c’est une discipline : la stéréotomie, c’est-à-dire l’art du trait de la découpe des pierres. Jean-Marie Pérouse de Montclos, dans son chapitre « Les traités et les techniques » de l’ouvrage Philibert de l’Orme, architecte du roi, attribue la théorisation de cet art à ce dernier : « De l’Orme aborde un sujet qui n’a d’antécédent ni dans Vitruve, ni dans Alberti, la stéréotomie » 49 . L’architecte de la Renaissance fustige à la fois l’emploi de fers de maçonneries, qui rouillent et font éclater la pierre, ainsi que l’utilisation de joints épais : il préconise l’emparement du sujet par les concepteurs, afin de retrouver un appareillage massif à joints vifs à l’Antique, et ce grâce à la géométrie. Apparaît
48
BECHMANN, Roland. Villard de Honnecourt : la pensée technique au XIIIe siècle et sa communication. op. cit. p. 199 49 PÉROUSE de MONTCLOS, Jean-Marie. Philibert De l’Orme : Architecte du roi (1514-1570). Paris : Éditions Mengès, 2000. p. 108
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Fig. 47. ABEILLE, Joseph. Voûte plate, gravure, 1699. Reproduit dans : GALLON, JeanGaffin éd. Machines et inventions approuvées par l'Académie royale des sciences – Tome premier. Paris : Martin G., Coignard J.B. & Guérin H.L., 1735. p. 159-162
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l’idée que la précision de la forme des éléments constituant un tout (paramétrée en amont par la conception) est le principal vecteur du non-assemblage. Joseph Abeille, ingénieur français, proposa en 1699 à l’Académie Royale des Sciences une solution de voûte plate, composée de polygones très précisément géométrisés, dont les faces latérales sont biaises, afin de servir de support les uns aux autres (fig. 47). Dans l’article « Digital Stereotomy » du chercheur contemporain Giuseppe Fallarca, celui-ci écrit à propos du système : « toutes les pierres de taille supportent et sont supportées de telle manière que la voûte fonctionne seulement une fois le montage terminé. »50. Soit la définition même de la réciprocité. A noter qu’une économie par répétition est présente : « elle [la voûte] est optimisée pour n’employer qu’une seule forme de pierre standard. La simple configuration géométrique d’une pierre garantit le support mutuel des blocs au sein du système. »51. La fin de cette citation confirme que le paramétrage formel semble être la clé pour franchir le grand par le petit par simple montage, simple contact des éléments. L’essence de la réciprocité seraitelle le non-assemblage, qui par la considération formelle des membres, tendrait à une discrétisation véritable de la structure ? Alberto Pugnale, chercheur lui aussi, écrit dans une tentative d’englober toute l’histoire de cette technique : « Dans les structures réciproques, les connections font partie des membres euxmêmes, la forme globale et le détail ne peuvent être séparés dans la conception de l’ensemble. »52, c’est-à-dire que chaque membre d’une structure réciproque doit intégrer dans sa forme l’assemblage, donc être très précisément détaillé géométriquement. Dans un autre article du chercheur, une représentation d’un plancher à bois courts, proposé par John Wallis en 1695 dans son ouvrage Opera Mathematica, témoigne de cette attitude : y est légendé que les poutres
50
FALLARCA, Giuseppe. Trad. fr. personnelle. Digital stereotomy and topological transformations : reasoning about shape building. Article universitaire : ingénierie civile et architecture. Ecole Polytechnique de Bari, [date non renseignée]. p. 1086 51 ibid. p. 1086 52 PUGNALE, Alberto et al. Trad. fr. personnelle. The principle of structural reciprocity. op. cit. p. 6
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Fig. 48. WALLIS, John. Plancher plat et élément encoché en exergue, dessin, 1695. Reproduit dans : PARIGI, Dario et PUGNALE, Alberto. Threedimensional reciprocal structures : morphology, concepts, generative rules. Article universitaire : ingénierie civile. Université d’Aalborg, 2012. p. 3
Fig. 49. GAT, D. Système Sigma, dessin, 1978. Reproduit dans : BAVEREL, Olivier. Nexorades : a family of interwoven space structures. op. cit. p. 20
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sont des « éléments encochés »53, Wallis mettant en exergue du plan global un dessin de la forme d’un module (fig. 48). A la différence de Villard par exemple, Wallis s’empare de la réciprocité et semble avoir conscience de la nécessité d’intégrer le détail d’assemblage à l’ensemble. Plus tard, comme Olivier Baverel l’évoque dans sa thèse, D. Gat redessine ce système (fig. 49) en ajoutant « une cale spéciale qu’il appelle un "espaceur". Celle-ci peut être utilisée pour créer une pente entre les éléments afin de générer une forme tridimensionnelle. »54. L’exploitation de la forme de l’élément de base est encore améliorée. Afin d’illustrer une « quintessence » de ces propos, le cas d’Attilio Pizzigoni est étudié. Chercheur à l’université de Bergame, il a participé au concours pour le pavillon italien de l’Exposition Universelle de Shanghai de 2010. Bien que non retenu, son projet, basé sur des recherches antérieures qu’il a souhaité mettre en application, n’en reste pas moins exemplaire quant à ce qui a été développé jusqu’ici ; à savoir la réciprocité par la forme. Le développement de la géométrie du module de base est la principale préoccupation de Pizzigoni. Cet élément est une poutre dont les deux extrémités se courbent afin de pouvoir, par ce jeu formel, s’appuyer sur une autre et servir de support à la fois ; il y a là comme une optimisation lissée de la géométrie développée par Wallis puis Gat. Pizzigoni écrit : « La forme en double S de cet élément est dérivée de la nécessité de réduire le chevauchement entre les poutres sans réduire l’aire de la section résistante, et ainsi éviter les joints typiques des poutres de Serlio qui auraient affaibli la structure, tout en dépassant la nécessité de trop incliner les poutres »55. La conception de la géométrie du détail est essentielle car elle est la
53
PARIGI, Dario et PUGNALE, Alberto. Trad. fr. personnelle. Three-dimensional reciprocal structures : morphology, concepts, generative rules. Article universitaire : ingénierie civile. Université d’Aalborg, 2012. p. 3 54 BAVEREL, Olivier. Trad. fr. personnelle. Nexorades : a family of interwoven space structures. op. cit. p. 20 55 PIZZIGONI, Attilio. Trad. fr. personnelle. Leonardo & the reciprocal structures. Thèse : ingénierie. Université de Bergame, [date non renseignée]. p. 4
79
Fig. 50. PIZZIGONI, Attilio. Jonction de trois éléments, maquette, vers 2010. Reproduit dans : PIZZIGONI, Attilio. Leonardo & the reciprocal structures. Thèse : ingénierie. Université de Bergame, [date non renseignée]. p. 4
Fig. 51. PIZZIGONI, Attilio. Structure composée de 25 éléments, maquette, vers 2010. Reproduit dans : ibid. p. 5
Fig. 52. PIZZIGONI, Attilio. Élément de base et son comportement en charge, modélisation informatique ABAQUS, vers 2010. Reproduit dans : ibid. p. 4
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condition du petit et du tout, de l’assemblage par simple contact, de la planéité de l’ensemble. Le chercheur résume : « La recherche dans les structures spatiales réciproques commence avec le design et la construction de la poutre élémentaire et, en particulier, avec l’optimisation géométrique de la forme de la poutre dans le but d’optimiser sa section transversale et la rendre résistante aux forces qui s’appliqueront à la structure. »56 Dans le cas présent le module a aussi la capacité de participer à plusieurs compositions globales. En utilisant trois, quatre, voire plusieurs dizaines de poutres Pizzigoni propose des solutions allant de la nexorade de base à la maille plus complexe (fig. 50 & 51). Cette fois il n’est pas question de s’adapter à la matière puisque le chercheur préconise l’utilisation de matériaux composites tels que le béton de fibre ou le bois recomposé. D’un autre côté la matière n’est pas gaspillée puisqu’elle exploitée pour définir exactement la forme. Elle est aussi optimisée dans le sens où le paramétrage numérique des poutres détermine leur géométrie la plus efficace, comme expliqué ci-dessus. Le passage par le digital a servi à tester la résistance potentielle des poutres. Grâce au logiciel ABAQUS une modélisation du solide a été effectuée sous la forme d’un maillage (tétraédrique) dont on observe ensuite la déformation en charge (fig. 52). Toujours par le même principe de FEM (Finite Element Method, soit méthode des éléments finis) plusieurs poutres sont mises en situation, une articulation libre est placée entre elles pour simuler la réalité, l’ensemble est ensuite soumis à charge (fig. 53). Pizzigoni remarque d’abord que les déformations n’apparaissent pas en premier lieu au niveau du contact. Ensuite, il établit une comparaison avec une structure dite traditionnelle (dont il ne donne pas la description exacte cependant) qui est supposée f r anchir la même
56
PIZZIGONI, Attilio. Trad. fr. personnelle. Leonardo & the reciprocal structures. op. cit. p. 4
81
Fig. 53. PIZZIGONI, Attilio. 4 éléments sous charge (gauche) et avec les déformations intégrées (droite), modélisation informatique ABAQUS, 2008. Reproduit dans : PIZZIGONI, Attilio. Leonardo & the reciprocal structures. op. cit. p. 7
Fig. 54. PIZZIGONI, Attilio. Test de résistance mécanique, maquette, vers 2010. Reproduit dans : ibid. p. 5
Fig. 55. PIZZIGONI, Attilio. Toit du projet de pavillon pour l’exposition universelle de Shanghai en 2010, image numérique, vers 2010. Reproduit dans : ibid. p. 7
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distance : « Considérant la charge de rupture et ses mécanismes, les résultats de l’analyse identifient que les structures réciproques correspondent aux structures traditionnelles similaires. »57. Appuyé par des expérimentations physiques sur de petites poutres en béton de fibres (fig. 54), le chercheur nous démontre la capacité de résistance de son système, et surtout témoigne de l’importance du numérique. Comme Baverel l’a utilisé pour optimiser la géométrie des nexorades, il l’utilise pour optimiser la forme du module de base d’une réciprocité basée uniquement sur la forme, qui par conséquent se doit d’être idéale et efficace. Pourtant une différence majeure est à noter entre les deux exemples. Baverel, cela a été vu, crée des structures spatiales, c’est-à-dire non-hiérarchisées, et par cet état de fait une standardisation est présente. Cette non-hiérarchisation semble exister aussi entre les éléments formés par Pizzigoni, certainement liée à la répétitivité des modules, mais seulement en ce qui concerne la structure horizontale. En effet cette dernière reste dépendante de poteaux, dont la forme exacerbe leur rôle de reprise des charges verticales de poids et des charges horizontales de vent : le cône par sa base épaisse évitant le basculement. La partie exploitant la réciprocité formelle est donc nonhiérarchisée, mais cet attribut se perd dès que l’intégralité du bâtiment est observé. Le système en soi est plus exploité que celui de Villard par exemple, mais n’en reste pas moins un plancher. L’objectif entre Baverel et Pizzigoni est clairement différent : la réciprocité en tant qu’édifice pour l’un, en tant que technique pour l’autre. Enfin il est à relever que l’italien émet une réserve quant à la robustesse de la réciprocité : « Une faiblesse localisée dans une seule poutre provoque l’effondrement global de la structure. Par conséquent, même du point de vue philosophique, les structures réciproques possèdent une robustesse inhérente pauvre. »58. En effet, les éléments étant tous dépendants
57
SGAMBI, Luca et al. Trad. fr. personnelle. Collapse behavior in reciprocal frame structures. Structural Engineering & Mechanics, avril 2013, vol. 46, n° 4. p. 545 58 ibid. p. 535
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les uns des atres. Zekbf erk vudfvkjsd fbvkd fjk vsdfkjbkfgb ksdfg bksfbkfgb jkfbgkbj nfgkbn fgk bkfg
Fig. 56. SCHWARTZ, Thibault et al. Diagramme de modélisation du dôme Abeille, diagramme informatique GRASSHOPPER, 2013. Disponible à l’adresse : http://thibaultschwartz.com/?g1_work=the-bartlett-nexoradeand-reciprocal-structures
Fig. 57. SCHWARTZ, Thibault et al. Découpe automatisée d’un module, photographie, 2013. Disponible à l’adresse : ibid.
Fig. 58. SCHWARTZ, Thibault et al. Montage du dôme avant son retournement, photographie, 2013. Disponible à l’adresse : ibid. 84
les uns des autres, dans le cas où les éléments sont assemblés par simple contact le danger d’effondrement total est grand. Quant à l’économie, elle est présente à de nombreux niveaux. Grâce à la conception poussée et précise par le numérique, Pizzigoni parvient à atteindre cette réciprocité qui n’est que montage. Aucun matériel n’est nécessaire à la pose ; seuls de petits taquets évitent simplement les déplacements : « la structure entière consiste exclusivement en des joints secs sous la forme de supports de pose »59. L’économie de savoir-faire est totale en chantier ; bien-sûr, en parallèle, le savoir-faire de conception a été sollicité de manière plus importante. A propos de la question matérielle, l’emploi de matières composites, comme suscité, est économique en ce sens qu’il évite les pertes. Ce n’est qu’une suggestion, mais il est possible aussi d’imaginer aller plus loin, en rapprochant paramétrage numérique avec impression et découpe 3D ; ainsi la précision du premier ne serait pas mise en jeu (là où elle pourrait l’être dans la fabrication d’un coffrage par exemple) puisque l’information digitale serait directement matérialisée. Dans un sens, une nouvelle stéréotomie semble se définir. L’art du trait de coupe de la pierre deviendrait celui du paramétrage de forme numérique ; une translation entre géométrie descriptive à la main et géométrie digitale s’établit. L’analogie est aisée : là où le dessin donnait au tailleur de pierre la précision nécessaire à l’appareillage à sec des voûtes, le numérique permet d’atteindre la forme optimale de l’élément participant à la réciprocité. L’exemple d’un dôme à la manière de Joseph Abeille illustre parfaitement ce phénomène de nouvelle stéréotomie. Réalisé par des étudiants de la Bartlett School of Architecture à Londres, dans le cadre d’un workshop consacré à la robotique en 2013, il est constitué de modules de polystyrène expansé configurés par les logiciels Mathematica et Grasshopper (fig. 56), puis découpés avec précision par un bras robotisé équipé d’un fil chaud (fig. 57).
59
PIZZIGONI, Attilio. Trad. fr. personnelle. Leonardo & the reciprocal structures. op. cit. p. 6
85
Fig. 59. BINET Hélène. Extérieur (en chantier) et intérieur (fini) de la Serpentine Gallery 2005, photographie, 2005. Reproduit dans : MULAZZANI, Marco. Alvaro Siza, Eduardo Souto de Moura con Cecil Balmond-Arup – Serpentine Gallery pavilion – Kensington gardens, Londra. Casabella, septembre 2005, n° 736. p. 79 & 83
86
Durant ce processus, l’information est directement convertie en matériau, et ce grâce au numérique qui agit jusque dans la production des pièces. Quoi qu’il en soit, dans le cas du système de Pizzigoni, peu importe le procédé, la préfabrication et la standardisation des modules étant présentes, elles sont potentiellement des sources d’économies ; et si un transport des poutres devait avoir lieu (bien que fabriquer sur place soit possible), il serait facilité par la petite taille des éléments. Mais l’économie que met en avant le chercheur de manière volontaire est celle de la réutilisation. Par le jeu de compostions variées possibles il avance que l’architecture sera ainsi non figée, et qu’il serait envisageable de démonter un bâtiment construit avec son système pour en ériger un totalement différent, à la fois de petite ou de grande portée ; cette capacité de changement fait de ces réalisations des édifices flexibles. Cette démarche est aux yeux de Pizzigoni à la fois écologique et durable : « cette flexibilité géométrique et fonctionnelle permet à la ré cip ro cité spa t ia le d ’a t te ind re le s st an d a rd s é co lo giqu e s et environnementaux du bâtiment. »60. Et c’est par la répétitivité du module que cela est possible : « L’utilisation de poutres élémentaires standardisées était motivée par le besoin de garantir les caractéristiques de flexibilité »61. Sans évoquer l’écologie, Baverel avait lui aussi, comme vu dans la première partie, l’idée de pouvoir former plusieurs nexorades à partir du même stock de barres. La réciprocité semble avoir cette capacité de flexi bilité, foncièrement économique, à condition cependant qu’elle soit constituée d’éléments identiques. En effet, un contre-exemple de réciprocité non-répétitive vient prouver, par les moyens que sa construction a nécessité, que l’économie est issue de la standardisation des éléments et pas uniquement de la technique structurelle : le cas de la Serpentine Gallery, construite à Londres en 2005 par Alvaro Siza,
60 61
PIZZIGONI, Attilio. Trad. fr. personnelle. Leonardo & the reciprocal structures. op. cit. p. 1 ibid. p. 4
87
Fig. 60. BALMOND, Cecil. Principe constructif, échantillonnage des pièces et mesures de résistance, croquis et images numériques, 2005. Reproduit dans : LOYER, Béatrice. Contemporain vernaculaire – pavillon d’été, Serpentine Gallery, Londres. Techniques et Architecture, août-septembre 2005, n° 479. p. 101
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Eduardo Souto de Moura et Cecil Balmond. Cette structure constitue une grille déformée, d’une géométrie courbe et unique (fig. 59), construite à partir de « 427 éléments de bois microlaminé de placage de sapin »62. Dans un article en ligne du dezeen magazine, la directrice de la galerie, Julia Peyton-Jones, explique que « Chaque élément de la canopée était unique. »63, et que de ce fait « [Cecil Balmond] a créé un logiciel extrêmement compliqué pour le design de la canopée »64 (fig. 60). D’un côté il y a réciprocité formelle, les éléments étant des poutres inter-verrouillées entre elles, dont l’assemblage n’est que montage puisqu’il s’agit de tenons-mortaises intégrés à la forme de la pièce, elle-même faite de matière pauvre, du sapin ; mais de l’autre, l’unicité de chaque pièce, la nécessité de les paramétrer, de découper et de monter une par une fait perdre toute économie substantielle à la structure. Larsen, dans son ouvrage Reciprocal Frame Architecture, résume : « l’approche modulaire […] permet une meilleure qualité et une plus grande rapidité de construction. »65. Qu’elle soit complexe ou non, la réciprocité basée sur la considération formelle provoque une économie par l’assemblage, en ce sens où celui-ci n’existe pas. De manière plus générale, en incluant Philibert de l’Orme à la réflexion, c’est par le travail avancé du concepteur en amont sur le paramétrage du petit élément qu’il est possible d’effacer l’assemblage dans sa version complexe, du moins de le simplifier, afin de n’en faire qu’un montage. Néanmoins, il faut reconnaître que la réciprocité par répétition, qui vise à être un idéal de cette technique, apporte en cela bien plus d’économie en soi, en incluant standardisation, flexibilité, durabilité du système, réemploi, etc.
62
LOYER, Béatrice. Contemporain vernaculaire – pavillon d’été, Serpentine Gallery, Londres. Techniques et Architecture, août-septembre 2005, n° 479. p. 100 63 HOBSON, Ben. Trad. fr. personnelle. Siza and Souto de Moura's 2005 Serpentine Gallery Pavilion was "hugely complicated". Dezeen magazine [en ligne], 29 novembre 2015, [consulté le 10 mai 2016]. 64 ibid. 65 POPOVIC LARSEN, Olga. Trad. fr. personnelle. Reciprocal Frame Architecture. op. cit. p. 19
89
90
III.3_ouverture / conséquences sur le savoir-faire Le dispositif de de l’Orme consiste en un assemblage des trois types d’éléments par clavement les uns dans les autres sans aucun secours supplémentaire. Des planchettes, disposées en quinconce afin de dessiner un arc, sont traversées par des liernes qui les relient, elles-mêmes traversées par des clés qui verrouillent l’entraxe correct entre les arcs. Le dessin de Philibert est certes technique, mais non dimensionné, preuve que c’est la manière d’assembler qui importe. Si l’économie se trouvait déjà dans la matière « petit bois », elle réside aussi dans la simplicité de la technique. Philippe Potié, dans son ouvrage Philibert de l’Orme, figures de la pensée constructive, expose : « il suffira de mettre en place un atelier et d’engager, si besoin est, quelques aides qui ne requièrent pas de qualification professionnelle ; le gain de productivité est alors garanti. L’opération de montage de la charpente est, elle aussi, simplifiée puisqu’il ne s’agit que de claver entre elles les pièces »66. Cette déqualification du travail s’accompagne aussi d’une standardisation de la fabrication ; les planchettes
étant
préconçues
pour
être
identiques
cela
induit
« une
rationalisation de la production qui permet d’espérer une rentabilité certaine. »67. L’économie est financière avant tout, mais aussi liée à la simplicité de l’assemblage, et vise une portée sociale, en déqualifiant le travail pour le démocratiser, comme expliqué au début de cette partie. Ainsi l’assemblage paraît être le lieu où le concepteur a encore prise, puisque l’économie de matière, si elle n’est plus nécessairement uniquement à la portée des ingénieurs, est facilitée par l’exploitation de systèmes numériques. Le simplifier revient souvent aussi à le communiquer clairement ; de Philibert à Attilio Pizzigoni, le texte et l’illustration ont été nécessaires à la transmission de l’idée, puisque que celle-ci ne se base pas sur des compétences particulières
66 67
POITIÉ, Philippe. Philibert De l’Orme : Figures de la pensée constructive. op. cit. p. 155 ibid. p. 150
91
Fig. 61. FORNES, Marc et al. Etapes du montage d’une sculpture pour le Centre Pompidou, photographies, 2011. Disponible à l’adresse : https://theverymany.com/constructs/11-centrepompidou/
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connues des ouvriers. Le non-assemblage se traduit souvent par un montage, en chantier sec. La main-d’œuvre, associée ou non à des engins de levage, utilise ses mains pour fabriquer et installer, rien de plus. De ces situations découle une façon de bâtir différente. Le montage des sculptures de Marc Fornes est un processus très pensé et organisé, et qui peut même aller jusqu’à influencer la forme de l’œuvre d’art en fonction des étapes de construction (fig. 61). Il fait partie de l’art, presque en tant que performance. Chaque pièce modélisée est découpée, numérotée, rangée selon une planification précise afin d’assembler la sculpture de manière la plus efficace possible. Si le chantier d’une structure telle qu’étudiée est envisagé, certains détails devront être pensés : stockage des pièces, répartition des ateliers en cas de fabrication in situ, étapes de montage ainsi que de « coffrage » (dans le sens de structure temporaire supportant la structure définitive avant son installation complète, essentiel dans le cas de la réciprocité), nombre de personnes, nombre et emplacement des machines de levage, temps d’édification, etc. Tous ces points font du chantier un ballet dont les mouvements doivent être soigneusement étudiés, à l’instar de ce que fait Fornes. Cependant, si l’économie de matière, de temps et par conséquent d’argent, trouvée dans tous ces aspects suscités est bénéfique, celle du savoirfaire n’est pas forcément sans conséquences. En effet, le terme d’Économie sert aussi à désigner un système équilibré d’emplois et de capitaux. Or, à l’époque de de l’Orme, ce sont les congrégations de maîtres qui incarnent cet équilibre à travers la transmission organisée de leur savoir-faire. Néanmoins, là où Philibert a été conciliant avec les maîtres-maçons, il a eu moins d’égards envers les maîtres charpentiers ; en témoigne Potié : « Alors qu’il intègre avec subtilité l’art du tracé des tailleurs de pierre, celui des charpentiers est simplement éludé »68. Donc si l’intention d’amener à l’emploi plus de personnes semble louable, elle
68
POITIÉ, Philippe. Philibert De l’Orme : Figures de la pensée constructive. op. cit. p. 149
93
kbdfvd fk vkdfb vkdf bvjkdfb vjkbdfkjv bdfkb kfgb vkdfbgvjk bdfkjbv kdfnb dfbl ndfglb ndfgl bnldfgn bkdfgn blfgnl
Fig. 62. [auteur non-précisé]. Détail du dôme de la "jungle" de Calais – simple vis passant au travers des bouts aplatis des tubes, photographie, 2016. Disponible à l’adresse : http://goodchance.org.uk/gallery/
Fig. 63. [auteur non-précisé]. Montage du dôme de la "jungle" de Calais, photographie, 2016. Disponible à l’adresse : http://goodchance.org.uk/gallery/
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est aussi dangereuse pour l’organisation sociale du travail. D’ailleurs, cette situation explique pourquoi ce système de charpente ne s’implanta jamais à l’échelle escomptée. Si l’on voulait analyser la situation aujourd’hui, il serait complexe d’établir des suppositions sur la place du savoir-faire dans la construction, et donc d’imaginer les conséquences d’une démarche similaire à celle de de l‘Orme, soit le travail pour tous par la déqualification. Outre cela, le savoir-faire est un bien culturel immatériel, qui se doit d’être préservé. Est-il donc acceptable de l’effacer ? Ne faudrait-il pas s’y adapter dans la conception, comme pour la démarche d’adaptation à la matière ? Car si le concepteur est capable de communiquer sa production et que celle-ci ne requiert pas de capacités, l’auto-construction est envisageable. En soi, elle est une forme d’économie ultime pour un individu, qui peut construire sans recourir à autrui et en s’adaptant à la matière qu’il a à disposition. Les dômes géodésiques autoréalisés par exemple sont légion sur internet, ce qui permet à d’autres d’appréhender leur fabrication ; ils se vendent même accompagnés d’une notice, comme ce fût le cas pour l’édification d’un théâtre temporaire au sein de la « jungle » de Calais (fig. 62 & 63). En réalité, ces constructeurs amateurs participent à l’idée d’un monde fait d’individus autonomes dans leurs dômes, utopie ultime pensée par Buckmintser Fuller. Mais cela met en jeu des rouages sociaux bien plus grands qui, comme vu par l’exemple de de l’Orme, maintiennent un équilibre dans une communauté. L’architecte peut être une figure de médiation au milieu de toutes ces questions.
95
Fig. 64. BAVEREL, Olivier. Différents types de nexorades, maquettes, vers 2000. Reproduit dans : BAVEREL, Olivier. Nexorades : a family of interwoven space structures. op. cit. p. 254-256
Fig. 65. [auteurs multiples]. Expérimentations d’étudiants de l’Université de Sheffield, maquettes, vers 2000. Reproduit dans : POPOVIC LARSEN, Olga. Reciprocal Frame Architecture. op. cit. p. 26-30
96
En étudiant la manière dont les architectes ou les ingénieurs se sont emparés de la question du franchissement des grandes portées au moyen de petits éléments, l’économie apparaît être une constante dans la conception de ces structures. Néanmoins, la manière de la considérer peut différer d’autant de paramètres qui l’influencent. Si l’économie reste un « art de gérer », d’exploiter les ressources avec parcimonie, selon la nature de celles-ci le positionnement est variable. Comme vu dans cette recherche, Robert le Ricolais par exemple, s’est retrouvé tiraillé entre l’économie financière et l’économie de matière dans ses expérimentations. Mais au-delà de l’optimisation de la matière, l’adaptation à celle-ci peut amener jusqu’à l’écologie ; associée à l’adaptation aux savoir-faire par la conception de l’assemblage, cette considération envers le contexte d’une construction, son milieu de manière générale, à la fois naturel et culturel, devient une posture. L’économie doit être en conscience de l’architecte, au même titre que les autres aspects de la conception. Il devient à travers cette dernière un médiateur entre calcul pur et adaptabilité. Souvent, c’est un média particulier à l’architecture qui permet de prendre prise sur la conception de structures : la maquette. En effet c’est un outil appréhendé depuis les études, à la fois intuitif et précis. Dans tous les travaux contemporains exposés dans cette recherche elle apparaît. Olivier Baverel, dans le chapitre 5 de sa thèse, présente plusieurs photographies de nexorades construites par lui-même (fig. 64). Dans son livre, Larsen écrit à propos de la recherche menée à l’Université de Sheffield qu’elle « était pensée pour explorer le potentiel de la création de différentes formes de structures réciproques et comment elles pouvaient être utilisées en architecture. »69, tout en illustrant ce propos par de nombreux tests d’étudiants (fig. 65). Alberto Pugnale écrit, dans le rapport d’un workshop : « l’utilisation de maquettes physiques est l’outil le plus
69
POPOVIC LARSEN, Olga. Trad. fr. personnelle. Reciprocal Frame Architecture. op. cit. p. 21
97
98
diffusé
pour
trouver
la
forme
de
configurations
réciproques »70.
L’expérimentation est intrinsèquement liée à l’affinement d’une conception et, cela a été vu, Buckminster Fuller l’avait bien compris en faisant travailler de nombreux étudiants à différents dômes. Néanmoins,
cette
expérimentation
permanente
soulève
des
questionnements. De quelle manière l’architecte peut-il trouver un équilibre entre l’innovation pure et sa confrontation à la réalité, entre recherche et pratique professionnelle ? Car dans l’idéal, l’expérimentation et l’exploration irriguent l’architecture par des applications concrètes. Le cas des nombreux dômes géodésiques dont le principal défaut était le matériau de couverture non-étanche illustre cette situation. A se concentrer sur l’avancée structurelle, éluder des problématiques aussi essentielles que le revêtement rend inapplicables les découvertes dans l’immédiat. Si la plupart des concepteurs étudiés dans ce travail évoquent chacun brièvement la question (Baverel en suggérant l’utilisation de membranes, Pizzigoni celle de feuilles de polycarbonate), elle n’en reste pas moins superficielle, alors qu’elle est aussi essentielle que celle du gros œuvre vis-à-vis de l’économie. Tout est encore question d’équilibre à mettre en place entre expérimentation et réalité de la construction. Toujours est-il que l’architecte, en éprouvant par la maquette les problématiques d’une structure, est capable d’établir un lien entre économie de la construction et esthétique. En effet, avoir une posture économique n’est pas nécessairement « pauvre » architecturalement. Bechmann exposait que Villard de Honnecourt ait pu dessiner son plancher à bois trop courts avec une idée d’harmonie trouvée dans la symétrie centrale. Cité par Mimram, le Ricolais parlait de l’ « envoûtante beauté [des structures réticulaires], faite de la richesse et de la complexité des symétries, d’où résultent souvent simplicité et
70
PARIGI, Dario et PUGNALE, Alberto. Trad. fr. personnelle. Three-dimensional reciprocal structures : morphology, concepts, generative rules. op. cit. p. 2
99
Fig. 66. PIROOZFAR, Poorang. Géométrie mandala japonaise, croquis, 2008. Reproduit dans : POPOVIC LARSEN, Olga. Reciprocal Frame Architecture : op. cit. p. 8
Fig. 67. ISHII, Kazuhiro. Plafond du hall d’un théâtre de bunraku (marionnettes traditionnelles) à Seiwa – réalisé par Ishii, photographie, 1992. Reproduit dans : ibid. p. 95
100
économie. »71. Bien que ce soit en réalité une mise en garde, il est évident que l’effet est présent. Pizzigoni quant à lui, revient sur la recherche structurale concernant la réciprocité, et sur « l’émergence de belles nouvelles formes et compositions que ces systèmes peuvent offrir. »72. Parfois même, cette incarnation de la beauté du dessin dans la structure est volontaire, comme c’est le cas au Japon par exemple : « le moine bouddhiste Chogen a créé une technique de disposition en spirale de poutres en bois qui était utilisée pour la construction de temples. […] Les formes géométriques de ces temples en plan sont des réminiscences des mandalas utilisés lors de la méditation bouddhiste en tant que symbole des divinités »73 Cette pensée japonaise très spirituelle n’est pas nécessairement économique volontairement, mais est
une
preuve
que
l’ornement peut
surgir de
configurations qui le sont à postériori (fig. 66 & 67). De manière générale, l’accumulation de petits éléments, et plus encore dans le cas de la répétitivité, crée un motif. Que ce soient les nexorades, les structures réticulaires, les dômes géodésiques, la réciprocité formelle, chaque fois la multiplicité de membres dessine l’ornement par le motif. Le père Sébastien Truchet, contemporain de Joesph Abeille ayant repris la proposition de voûte plate de ce-dernier dans le but de l’améliorer, s’intéressait particulièrement aux « pavages »74, compositions géométriques décoratives, qu’il a exploité pour redessiner la sous-face de la dite voûte. Le motif paraît posséder un certain potentiel structurel. Kengo Kuma, architecte japonais contemporain, emploie ces mots : « Les analyses [structurales] aujourd’hui nous permettent de concevoir des structures stables à travers l’accumulation de membres délicats, qui ont la
71
MIMRAM, Marc. Structures et formes. op. cit. p. 64-65 PIZZIGONI, Attilio. Trad. fr. personnelle. Leonardo & the reciprocal structures. op. cit. p. 7 73 POPOVIC LARSEN, Olga. Trad. fr. personnelle. Reciprocal Frame Architecture. op. cit. p. 7 74 FALLARCA, Giuseppe. Trad. fr. personnelle. Digital stereotomy and topological transformations : reasoning about shape building. op. cit. p. 1087 72
101
Fig. 68. ROELOFS, Rinus. Œuvre composée de modules de papiers identiques dont la forme permet de les accrocher ensemble une fois pliés – l’artiste parle de "structures mathématiques", sculpture en papier, 2015. Disponible à l’adresse : http://rinusroelofs.businesscatalyst.com/
102
capacité de produire une variété de motifs tout en remplissant leurs responsabilités structurelles. »75 La beauté n’est jamais sacrifiée dans la démarche architecturale et structurale. C’est parce que celles-ci sont poursuivies par le concepteur avec de nombreux paramètres en conscience que l’esthétique peut être présente, même dans les systèmes les plus rationnalisés. Tout cela dans un savant mélange de parcimonie et d’harmonie : de l’économie peut naître la richesse.
75
KUMA, Kengo. in BELFIORE, Matteo éd., LIOTTA, Salvator-John éd. Patterns and Layering : Japanese Spatial Culture, Nature and Architecture. Berlin : Gestalten, 2012. p. 5
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SUMMARY
The main aim of a structure is to cross a given span. In order to do so with smaller elements than this span, the architect has to work on its conception, which often goes with economy; but as this word has a large meaning, economy is variable. First, it can exist by matter, the designer adapting his drawing to it. Since medieval constructors until now, human ingenuity has been able to use the timber as it is. Reciprocity, unintentional first (Villard de Honnecourt) then fully understood (Olivier Baverel), shows this evolution to what could be considered as ecology nowadays. Next, economy of matter has appeared along with structural
calculation
and
metal.
Geometry,
both
of
geodesic
domes
(Buckminster Fuller) and reticular structures (Robert le Ricolais), allows reaching a certain optimization of such structures. Nevertheless, joinery in those cases can be complex. Economy eventually seems to arise from assembling, which can even disappear and lead toward a simple putting up construction, as in formal reciprocity (Attilio Pizzigoni). But the cultural know-how question needs to be considered. In all those cases, the multiplicity raises many issues like standardization (along with structure non-ranking), adaptation, prefabrication, assembly, pattern (then ornament), etc.
STRUCTURE / ECONOMY / MATTER / ASSEMBLING / RECIPROCITY
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RÉSUMÉ
L’essence de la structure est de franchir. Et pour y parvenir avec des éléments plus petits que la portée visée, l’architecte doit s’atteler à sa conception, qui s’accompagne souvent d’une économie ; mais ce terme étant large, l’économie est variable. D’abord elle peut avoir lieu par la matière, à laquelle le concepteur s’adapte. Depuis les constructeurs médiévaux jusqu’à aujourd’hui, l’ingéniosité de l’homme a permis d’utiliser le bois tel qu’il est. La réciprocité, d’abord subie (Villard de Honnecourt) puis exploitée (Olivier Baverel), illustre ce chemin jusqu’à ce qui pourrait être considéré comme de l’écologie aujourd’hui. Ensuite, l’économie de matière est apparue avec le calcul et le métal structurels. La géométrie, des dômes géodésiques (Buckminster Fuller) et des structures réticulaires (Robert le Ricolais), sert à atteindre une certaine optimisation des structures. Cependant, le joint dans ces cas-là peut être complexe. L’économie paraît finalement naître par l’assemblage, qui peut même disparaître et n’être que montage, comme dans la réciprocité formelle (Attilio Pizzigoni). Mais la question du savoir-faire est alors à prendre en compte. Dans tous les cas, la multiplicité des petits éléments s’accompagne de problématiques telles que la standardisation (liée à la non-hiérarchisation), l’adaptation, la préfabrication, le montage, le motif (donc l’ornement), etc.
STRUCTURE / ECONOMIE / MATIERE / ASSEMBLAGE / RECIPROCITE
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