que i t s i t r a e c n e d i s é Une r tide... s a B a L n a i r o K à e / La Ca Korian La Bastid
scade / Cie Mau
vais Coton
CrĂŠdit photos : Martin Gallone
L’histoire d’une rencontre... À Bourg-Saint-Andéol (07), la Cascade, maison des arts du clown et du cirque, et Korian La Bastide, maison de retraite, dans leurs domaines et avec leurs savoirs-faire respectifs, ont cru ensemble, à une rencontre possible malgré leurs univers différents. En tant qu’acteur culturel et artistique, la Cascade développe un ancrage territorial fort en travaillant sans cesse à la construction de nouveaux partenariats. Son ouverture sur le tissu économique et touristique du territoire ardéchois s’inscrit dans cette démarche qui a permis à Claude Ménétrier, fondateur de la Bastide de Tourne (ancien nom de Korian La Bastide), ami de longue date et membre du conseil d’administration de la Cascade, de voir un intérêt évident à une rencontre entre le groupe Korian (dont fait partie la Bastide) et le pôle national des arts du cirque.
Le groupe Korian (qui signifie «cœur» en espéranto) est particulièrement attentif à la qualité de vie de ses établissements. Il développe déjà des projets artistiques et culturels au sein de ses maisons de retraite autour de la musique. En quête d’originalité et de projets nouveaux pour renouveler l’image des maisons de retraite, Francis Weill, directeur de la communication du groupe Korian, a vite perçu les valeurs humaines communes et la force d’une collaboration entre le groupe et la Cascade. La «première pierre» de cette collaboration s’est posée tout naturellement à Korian La Bastide qui souhaitait célébrer son changement d’appellation par un événement original. «On a fait cette première ici à la Bastide grâce à la Cascade ; maintenant on va voir si on peut développer cela au niveau du groupe Korian. C’est quelque chose de totalement nouveau de faire entrer le cirque en maison de retraite.» Francis Weill, Directeur de la communication du groupe Korian
Sommaire La proposition artistique & la mise en place du projet Au fil des jours - Marion Collé Témoignages & portaits _ Jean-Charles, artiste fil-de-fériste _ Germaine, une résidente _ Anne Belliardo, directrice de Korian La Bastide _ Thierry Blanc, médecin coordonateur _ Laurence, psychologue _ Martin, photographe _ Anouck, formatrice cirque de la Cascade En conclusion _ Le groupe Korian _ La Cascade, Maison des arts du clown et du cirque _ La compagnie Mauvais Coton Remerciements
La proposition artistique En réponse à cette idée de partenariat, la Cascade a proposé une résidence de 3 artistes : fil-de-féristes et musicien, dans le parc de Korian La Bastide du 5 au 9 juillet 2010. Cette semaine devait se clôturer par une présentation de fin de résidence où l’aboutissement du travail accompli serait exposé aux résidents et à leurs invités. L’intérêt de cette proposition était de permettre une véritable rencontre entre artistes et résidents de la maison de retraite. Les résidents pouvaient se familiariser avec les artistes, pouvaient les regarder travailler, leur parler et les questionner. Les artistes bénéficiaient d’un cadre particulier et original, stimulant ainsi le processus de création de leur spectacle, et confrontaient leur travail au regard permanent du public. D’autre part, cet événement donnait l’occasion à la maison de retraite d’inviter d’autres publics (familles de résidents et du personnel, enfants de la crèche voisine...) à bénéficier de la présence des artistes et à rencontrer les résidents. «Avec des animations comme celle là, on fait revenir la vie en maison de retraite. C’est un signe de respect également pour nos résidents. Ce n’est pas parce qu’ils sont en maison de retraite qu’ils doivent être coupés du monde extérieur. Plus on y fera rentrer la vie, moins les établissements seront ghettoïsés». Thierry Blanc, médecin coordonateur de Korian La Bastide
Autour du travail des artistes, la présence d’Anouck Anfreville, formatrice à la Cascade, assurait un encadrement d’initiation au fil à la disposition des résidents et des personnes présentes souhaitant monter sur l’agrès. Un jeune photographe en stage à la Cascade, Martin Gallone, et une artiste-poète de la compagnie Mauvais Coton, Marion Collé devaient «matérialiser» cette expérience qui se poursuivrait par une exposition de photos et un «carnet de voyage» relatant les témoignages, les portraits et l’histoire du projet. Le rapport au temps ayant une place particulière dans ce projet, la traçabilité de l’expérience a été l’un des axes forts de cette proposition. Il s’agissait de développer un projet qui ne soit pas uniquement «événementiel» mais qui, par ses supports visuels et écrits, laisse une empreinte dans le temps et les mémoires de chacun. Cette proposition a pu se concrétiser grâce à l’investissement et à la disponibilité des équipes de chacun des établissements. Des rencontres préalables ont permis d’éclairer les intérêts de chacun, de mettre en place le cahier des charges du projet, et de susciter une curiosité et un enthousiasme partagés. Chacun a mobilisé ses forces vives pour que le projet puisse voir le jour : Korian La Bastide a préparé l’accueil et géré l’organisation nécessaire auprès de ses résidents qui allaient être perturbés dans leurs habitudes ; la Cascade a mobilisé son équipe, et la jeune compagnie Mauvais Coton, pour cette expérience humaine et artistique unique en son genre. Tous se sont montrés ouverts et disponibles à la rencontre.
Poème Ils portent la mémoire – les corps sont usés Mais les souvenirs – vite – les recueillir Chaque petite histoire, précieusement, l’écouter, la ressentir Le corps du vieux respire Son âme, son désir aussi. Puis ça s’efface – eux-mêmes parfois oublient. Il faut garder une trace.
erve... r les regards : on s’obs La rencontre passe pa
Puis vient le contact physique : on se prend la main, on s’aide.
Au fil des jours... Marion CollĂŠ
L’arrivée à la Bastide, 6 juillet
Korian La Bastide, ancienne demeure bourgeoise, est devenue une maison de retraite moderne, avec ses dépendances, ses jardins, ses terrasses. Reste la bâtisse, toute jaune et crépie, avec ses ornements mauresques, ses arbres plantureux, son air d’altesse. Une grande dame, cette Bastide. Cent-vingt cinq résidents. Une centaine d’employés. Une grande majorité de femmes. Aides-soignantes, auxiliaires de vie et, depuis 2002, infirmières vont et viennent des chambres aux couloirs, du pavillon 1 au pavillon 3, de l’étage au rez-de-chaussée, de l’accueil aux lits, des lits aux réfectoires et parfois des lits aux lits. La jeune directrice, toute de rose vêtue, nous présente l’équipe d’animation : Patricia, l’animatrice, Alexia, la psychomotricienne, Laurence la psychologue, l’autre Laurence aujourd’hui moitié animatrice/moitié secrétaire ainsi que la paire d’Agnès. Agnès et Agnès sont des A.M.P. Dans le vocabulaire technique, A.M.P signifie Aide Médico-Psychologique. En fait les A.M.P sont surtout les Amies des Mamies-Papis. Elles sont aux petits soins et à l’écoute. Ca tombe bien, avec Alexia et les deux Laurence, elles sont détachées pour l’occasion. C’està-dire qu’elles vont participer activement à cette semaine particulière, bousculer les plannings, renverser les priorités, changer le rythme et les habitudes du quotidien de la Bastide, faire place au cirque, à l’imprévu, à la rencontre.
Dans le jargon, ici on met en vie, on stimule, on crée de l’intergénérationnel, on psychomotrise, on psychologise, on organise, on gériatrise. Dans le jardin, on parle, on explique, on déplace les tables et les chaises, on sert l’apéro, on regarde, on rassure, on embrasse, on partage. La structure de la compagnie Mauvais Coton est posée entre deux arbres et les deux câbles d’acier prennent le soleil. Les artistes viennent juste de s’installer. Les cigales poussent des cris et la banderole «Bienvenue à la Guinguette» prend le vent. Lampions, guirlandes et ballons se balancent. Kir ou Pastis ? Pêche ou cassis ? Une dame trempe une chips dans son verre de vin. Elle est grise. Un arbre a été coupé. Il était malade. Une autre dame est venue rendre visite à son mari, elle a mis une belle chemise. Ça fourmille au petit bar. Il n’est pas encore midi. On va sucer de la glace – dit Georgette.
Trois générations sur le fil, 7 juillet Le mistral s’est calmé. Il fait chaud. Les enfants de la crèche sont venus, comme tous les mois. Sous l’arbre, des cigales, un petit fil autonome est installé, Anouck est là, tout près.
Elle tient les petites mains des enfants, les encourage, surveille la pose du pied sur le câble déroulé. Les retraités regardent. Ils regardent les «grands fils» où dansent Jean-Charles et Anne-Lise. Ils regardent le fil autonome où s’initient les plus petits. Ils regardent. On sent vite que certains retraités ont eux aussi très envie d’essayer. Pas de finasseries pour les convaincre, un clin d’œil, une phrase rassurante, un encouragement suffisent. Ces dames ouvrent le bal. Un marchepied et le tour est joué, les voilà debout sur la plateforme. L’une hésite, puis se lance et traverse en deux temps-trois mouvements. L’autre déchausse ses escarpins et avance, pieds nus. Toutes prennent volontiers la pose à l’arrivée. Photo. Elles portent de beaux noms de famille, ces dames, des noms qui font rêver, des noms d’artistes. Dans leurs petites robes légères, elles ont marché sur le fil, habiles, Chapeau ! Monsieur J. s’approche à son tour et sauve l’honneur des patriarches. Traversée impeccable. Enfin, Madame M. arrive. Elle était au marché. Madame M., c’est la grande sportive. Les hommes en parlent, avec admiration. C’est la vivacité incarnée. Elle est centenaire, mais ne fait vraiment pas son âge. Quand elle marche sur le fil, tous les yeux se tournent vers elle. On se dit qu’elle aurait pu l’être, fil-de-fériste. Puis les enfants s’en vont et les vieilles personnes retournent dans leur pavillon.
C’est l’heure du déjeuner. Aujourd’hui, les artistes mangent avec les résidents du «Moulin». C’est fingerfood, on peut manger avec les doigts. La tablée est longue. Le silence profond. L’ombre se fait rare. Les casquettes sont de sortie. Une dame dit qu’elle est arrivée hier. En fait, cela fait des années qu’elle est ici. Une autre refuse de manger. On lui donne la becquée. Il y a aussi un très beau monsieur, encore jeune, il ferme les yeux et prend le soleil, du bout des paupières. Avant, il travaillait dans un hôpital psychiatrique. Il ouvre les yeux et regarde les autres, profondément. Depuis qu’il a la maladie d’Alzheimer, il rêve. Il a quelque chose d’inquiétant et de terriblement apaisé. Quand on le regarde, on a l’impression de regarder le ciel et de voir les nuages passer, d’éviter les gouttes, d’embrasser l’éternité. L’après-midi, sieste. Sauf pour Madame A. . Elle se promène, le sourcil relevé, le gilet posé sur ses épaules, la jupe droite, la démarche assurée. Elle va et vient, observe, s’assoit, se relève, hésite à remonter dans sa chambre et finalement retourne au jardin, en refait le tour, épie dans un coin, reste à distance, s’approche et reprend sa danse, depuis le début. Elégance et ennui. Présence et distance. Elle ressemble à une héroïne de roman réaliste. Aiguisée, fragile roseau, délicate, précieuse comme un rubis.
Georges le musicien est parti acheter un sifflet d’arbitre pour le spectacle. Dès son retour, les répétitions reprennent de plus belle. JeanCharles et Anne-Lise travaillent les détails de leurs partitions de fil. Georges souffle dans le saxo. Les trains, les avions, les voitures passent et repassent. Georges souffle plus fort. Les cigales aussi. Le spectacle Justa Pugna, c’est l’histoire d’un duel qui se transforme en duo. Ou comment Jean-Charles et AnneLise vont y gagner tous les deux à être là, sur le fil, au même moment. Ou bien comment Georges et les cigales vont finir par s’harmoniser et trouver un rythme commun. Ou bien comment Georges encore donne au duo de fil des airs de trio. Lui- l’arbitre mais aussi le maître du jeu, le donneur de la, l’impulseur, le verbe. Eux- les danseurs de corde, les jouteurs, les releveurs de challenge, les corps. Justa Pugna c’est un chant à trois voix. Ça dit qu’on doit être libre, avoir le choix et donner de l’élan à son prochain.
Jour de fête, 8 juillet Il fait de plus en plus chaud. L’ombre se fait rare. Mais les résidents sont nombreux à être sortis pour assister au dernier filage de Justa Pugna. Demain c’est le grand jour de la représentation. Tandis que les artistes peaufinent le spectacle, les retraités profitent de l’été. Cette semaine, c’est un peu les vacances.
Tout est différent, le rythme des journées, l’ambiance. Un monsieur écoute attentivement Georges slamer. Un autre bat la mesure. La barrière des premiers jours est définitivement franchie, les fil-de-féristes ont été adoptés, les musiques de Georges aussi. Ça swingue, c’est du jazz, ce n’est ni moderne, ni trop fort, personne ne s’étonne plus de la présence de la petite troupe ici. Ils sont à la maison de retraite comme chez eux. L’après-midi, c’est la fête. Les familles ont été invitées, et toutes les générations se mélangent autour du stand à bonbons et à barba-à-papa. Le grand chef du département est là. La bande à Robert s’est fait dessiner de coquines moustaches. Un chat blanc passe. On sert de la glace. Les résidents posent des questions aux artistes. Ils s’inquiètent de savoir s’ils vivent de leur métier. Ils veulent savoir d’où ils viennent et s’ils ont aimé être là. Monsieur J. remercie les personnes qui l’ont soutenu des deux côtés lorsqu’il a traversé le fil. Charlotte lance des fleurs. Madame G. est heureuse d’avoir été applaudie. Alors on s’applaudit encore. Spectacle
Témoignages et portraits
Marion Collé & Fanny Fauvel
ressenties les émotions , le al st in s’ é estionne. La complicit nte, on se qu co ra se n o : rapprochent
Jean-Charles, fil-de-fériste, 27 ans
J’ai tout de suite aimé le fil car j’ai aimé les sensations que j’ai éprouvées dans mes premiers pas. Tout à coup, je me suis mis à tenir, par hasard, je ne sais pas vraiment pourquoi, et ensuite j’ai cherché les moyens de tenir encore. Quand cela arrive, on se sent puissant. Mais il s’agit d’une puissance qu’on ne peut pas usurper. Sur un fil, si l’on se sent bien, c’est que l’on est bien. Les moments de grâce, c’est au public de les déceler, si le fil-de-fériste s’en rend compte et tente d’apprécier ce moment, le fil se fera un plaisir de le mettre à terre ! Le fil, c’est l’école de l’humilité, de la puissance juste. Et c’est pour cela, qu’il est ingrat et qu’il est souvent dur ! Il ne supporte pas la demi-mesure mais encore moins la démesure. J’ai vu pas mal de gens vieillir, avoir des accidents de la vie, et je me rends compte qu’après ces accidents, ils sont très différents de ce qu’ils ont été. Il suffit de rien pour que les choses se déplacent, que tu ne sois plus le même et que les autres ne te reconnaissent pas. Vieux, c’est à quel âge ? Hier, j’ai écrit que je me sentirai toute ma vie jeune face à la mort. J’aurai toujours une peur primaire malgré toutes les choses que j’aurai construites pour l’exorciser un peu. Vieux, j’aurai des défauts, un appétit sans fin. J’aurai encore de gros mollets. J’aimerai vieillir comme mon papi. Il a quatre-vingt cinq ans. J’espère que j’aurai des enfants. Je ne veux pas mourir seul.
Germaine, retraitée, 99 ans Elle s’étire le long de la rambarde puis fait des pompes repoussées. Elle a quatre-vingt-dix-neuf ans et vient du Doubs. De Besançon. «Comtois, rends-toi : Nenni, ma foi !» Derrière ses grosses lunettes, ses yeux vifs sourient. Elle regarde l’entraînement des fil-de-féristes, apprécie les «rattrapes». Elle a déjà marché sur une corde tendue, les yeux bandés. Son professeur de gymnastique, qui venait de Joinville-les-Ponts, lui avait fait faire cet exercice. A petite hauteur, car sinon elle a le vertige. A la gym volontaire, lorsqu’ils ont voulu scinder le groupe en deux, séparer les plus jeunes et les plus vieux, Germaine s’y est fermement opposé. Ce qui est beau, dans le sport, c’est la convivialité. Dans sa chambre, Germaine a disposé quelques uns de ses meubles. Elle a des plantes vertes et sa fenêtre donne sur «la verdure». De grosses peluches sont assises sur le lit. Ce sont des prix qu’elle a remportés au tir à l’arc et au tir à la carabine. C’est d’ailleurs en tirant qu’elle s’est aperçue qu’elle était gauchère.
Germaine est belle. Elle a vécu soixante-dix ans avec Fernand. L’amour, dit-elle, c’est fait de petites choses. Et les petites choses font les grands bonheurs. Le secret d’une histoire d’amour qui dure, c’est le dialogue. Se parler franchement, en ami. Avec Fernand, elle faisait beaucoup de bicyclette. Elle a aussi habité en Ethiopie et à Djibouti. Ici, elle est comme chez elle. Elle a d’ailleurs encore sa maison, dans le village. Mais elle ne veut plus vivre seule, depuis la mort de son mari. Elle va au marché mais n’achète rien. Elle se promène beaucoup. Au-dessus de son bureau, chambre 303, elle a affiché sa devise : «L’énergie de la tendresse est la plus belle et la plus douce. La moins polluante des énergies. Il suffit non seulement de l’accueillir mais aussi de l’offrir à son tour. Un simple geste suffit». Tendre les bras.
Laurence, psychologue et responsable animation, 32 ans
Je travaille ici depuis deux ans et demi et j’ai deux casquettes : psychologue et responsable de l’animation. Mon bureau est dans le secteur fermé, pile au centre. C’est important à savoir, car j’interviens beaucoup dans ce secteur, avec les personnes atteintes de démence. Je travaille avec les résidents, mais aussi avec les familles. Il y a des personnes ici que je vois régulièrement, une ou deux fois par semaine. Mais j’interviens aussi ponctuellement, au quotidien, pour gérer certaines situations de crise. Dès qu’un nouveau résident arrive, je me présente. Après, selon ses envies, ses besoins, ses antécédents, je le revois ou pas. Je fais aussi des bilans cognitifs, des tests de mémoire. Je suis à temps plein et j’accompagne ces personnes en fin de vie. Je soulage leurs angoisses. Je les aide lorsqu’ils traversent des moments difficiles. Ce qui me plait, c’est le travail d’équipe et la vie qu’on arrive à véhiculer dans une maison de retraite. Ce n’est pas un mouroir ici. Ces personnes ont toutes une vie derrière elles, et c’est la dernière tranche de vie. Alors on fait attention, on essaie de prendre vraiment en compte ce qu’ils ont été, leur vécu, leur parcours.
Au quotidien, il y a mille petits bonheurs. Cela me rend heureuse quand je vois, comme hier, une patiente malade monter sur le fil et sourire. La mort, je n’y pense pas. Je sais que la vie défile, mais je n’ai pas d’angoisse. Ici, quand une personne part, on n’a pas toujours le temps de faire le deuil. Il y a d’autres personnes qui arrivent, il faut remplir les chambres pour accueillir ces nouveaux résidents.. La vie continue.
Thierry Blanc, médecin, 48 ans Je suis médecin généraliste depuis vingt ans, gériatre depuis dix ans. J’exerce aussi à l’hôpital local et en ville, trois jours par semaine. Mais le libéral, c’est des actes, des chiffres, de la quantité. On rend service aux patients mais on ne développe pas une relation privilégiée avec eux. Ici, à la Bastide, c’est différent. Avec les personnes âgées, il faut prendre le temps. Le fil représente le passage d’un état à un autre. C’est très symbolique. Je pense que ça leur parle, profondément. Je pense qu’on peut faire plus que de l’animation traditionnelle. Pour mieux les soigner, il faut aussi apprendre à les connaître autrement. C’est d’abord une histoire de rencontre. Je n’ai pas le temps de me projeter. Je ne pense pas du tout à la vieillesse ou à la mort. Ce n’est pas de l’insensibilité. C’est peut-être une carapace. J’ai pris du recul et je me protège. Je sais que ça peut s’arrêter brusquement, mais je suis à fond.
Anouck, formatrice arts du cirque, 28 ans Mon rôle dans le cadre de ce projet était d’encadrer et d’inciter les personnes présentes (résidents de la maison de retraite, enfants, familles des résidents…) à monter sur le fil. J’étais une médiatrice entre les artistes, qui étaient pris par leur travail et les personnes qui les observaient travailler. Je faisais le lien.
Le contact avec les résidents est beaucoup passé par le corps car je les soutenais, les portais quand ils étaient sur le fil, leurs pieds, leurs yeux, leur équilibre, chaque pas ensemble était un exploit.
J’étais une interlocutrice et j’ai beaucoup partagé avec eux sur mon expérience, la vie des artistes de cirque, cet univers un peu marginal. Les résidents m’ont raconté comment était le cirque à leur époque, ça leur évoquait beaucoup de souvenirs de leur enfance, c’était génial de les écouter.
Pour moi, vieillir c’est quand on ouvre la boîte à souvenirs pour la partager avec les plus jeunes. C’est quand on peut dire «à l’époque c’était…». J’imagine que c’est une forme de sagesse qui impose le respect.
J’ai fait en sorte qu’il y ait un vrai partage autour de l’agrès : les enfants montaient et les personnes âgées pouvaient leur tenir la main, à l’inverse quand les résidents montaient sur le fil, les enfants les regardaient. C’était intense et apaisant en même temps d’être dans l’environnement de la maison de retraite. C’était comme faire une «pause», le rythme était différent, on prenait le temps.
Ce qui me fait le plus peur dans le fait de vieillir c’est la souffrance. La souffrance du corps, celle de voir partir ceux que l’on aime, être dépendant des autres. J’imagine que j’aurai les articulations en vrac, des courbatures partout et que je serai une râleuse énergique ! J’ai peur de ne plus me souvenir, de ne plus pouvoir être en communication avec le monde extérieur. Je veux continuer à faire mon marché en vélo et plonger dans l’Ardèche froide.
Dès que j’en ressortais le soir j’avais l’impression que tout allait très vite autour de moi. Pour moi, ce moment à Korian La Bastide était vraiment très fort, comme si je découvrais comment j’allais être plus tard.
Martin, photographe, 20 ans C’était ma première expérience de reportage photos. Je me suis senti à l’aise, assez libre de mes mouvements car en passant la semaine sur place, j’ai vraiment eu le temps de rencontrer les personnes et de «m’installer» dans le lieu, de trouver ma place. L’appareil photo peut faire peur, mais je n’ai eu que de bonnes réactions. Ils ne posaient pas, ils étaient naturels et c’était agréable de ne pas être dans une relation «surfaite». Même si la photo fige un instant dans le temps, je trouve qu’elle est comme les personnes : elle prend de la valeur avec le temps. Dans quelques années, ce ne sera pas uniquement la photo d’un instant, ce sera déjà du passé, un témoignage, le reflet d’une époque. Mon œil a été surtout attiré par les regards, c’est ce qui change le moins chez les personnes. J’ai aimé photographier les moments de complicité, de rires. Cette expérience m’a un peu réconcilié avec l’image que j’avais des maisons de retraite. Pour moi, être vieux c’est quand on a plus de temps derrière soi que devant soi. Mais jeunes et vieux on peut rigoler des mêmes choses, on ne devient pas forcément «un vieux con».
Anne Belliardo, directrice Deux fil-de-féristes accompagnés d’un musicien de grand talent se sont installés depuis mardi dans le Parc de l’établissement !!! Des relations privilégiées avec nos résidents et nos équipes, des repas pris en commun avec les résidents, des activités réalisées avec les enfants de la crèche voisine et les enfants du personnel, des initiations pour nos résidents sur le fil d’initiation, des apéritifs tous les jours, des goûters très animés, bref, de magnifiques moments de complicité entre les artistes et les personnes âgées Le moment de l’apéritif de 11H30 a été un temps très fort instauré ces quatre jours par l’installation de «La Guinguette» ! Depuis le 9 juillet, les résidents rêveraient du Pastis et autres boissons fraîches… Nous avons tous appris à vivre ensemble et partagé des moments extrêmement forts en émotions ; des moments simplement magiques où le temps s’est arrêté… Nous avons entendu de nos résidents cette semaine : «depuis que les artistes sont là, je n’ai plus mal» ou bien encore une réaction d’une résidente du secteur Alzheimer après 3 allers-retours sur le fil si fière d’elle : «bien, vous voyez, eux, ils y arrivent alors pourquoi pas moi»… Vous l’aurez compris, 4 journées très fortes en émotions… J’ai entendu ensuite tout l’été : «et pourquoi ils ne restent pas toute l’année ???» : une vraie preuve de la réussite de ces journées !
C’est gagné ! La rencontre a vraiment eu lieu, on vit ensemble au même rythme cette belle expérience.
Parole d’artiste Quand on monte sur le fil, il faut toujours faire comme si c’était la première fois. La chute est toujours possible. Quel que soit le nombre d’années passées sur le fil, on continue de tomber. Marcher par terre c’est pareil. Sur le fil, il faut juste marcher mais le chemin est plus étroit.
Extrait du texte musical du spectacle Justa Pugna («Georges»Nicolas Bachet) «(…) Mettre le corps en péril… L’équilibre est précaire, ici comme ailleurs l’équilibre est précaire… on veut juste tenir, simplement essayer… juste pour la beauté du geste… comment partir, s’envoler… apprendre à rester… avec tes pieds tu choisis de marcher... entre rêve et réalité il faut choisir… pourquoi pas piétiner sur douze millimètres d’acier et ne pas perdre l’équilibre… on prend les mêmes risques mais on respire, on retient son souffle et on respire… »
«Émotions ressenties devant la confrontation des corps : - le corps valide, harmonieux, rayonnant de l’artiste qui dégage une impression de force qui le pousse vers l’avenir - le corps fragile, chancelant, portant les traces de toutes ces années passées de l’ancien... Chaque ride est comme un poème qui raconte la vie de ces personnes âgées. Cette recherche de l’équilibre et du souffle est la même chez le fil-de-fériste et la personne âgée : chercher son équilibre… Continuer à avancer, ne pas oublier de prendre son souffle… Il faut parfois la même énergie pour aller de son lit au fauteuil que pour danser sur un fil. C’est ce fil qui nous a relié tout au long de ce voyage ensemble, de cette belle rencontre.» Claire Peysson
arde chi, on se reg ri en t ar p re s ou un peu, Chacun de n n se connaît o t, en m em différ ter. vie de se quit on n’a pas en
En conclusion Cette semaine, au cœur de la maison de retraite, les jeunes artistes de la compagnie Mauvais Coton ont répété leur spectacle Justa Pugna. Jean-Charles et Anne-Lise étaient là, perchés sur leurs fils tels des oiseaux. Georges le musicien retenait leur envol, égrenant notes agiles, lignes de basse, solos de saxo, longues et sensuelles improvisations sur fond de cigales et de passages d’avion. Une résidence de cirque où «l’intergénérationnel» a donné des ailes, à tout le monde. Cela n’aurait pas été pareil s’ils avaient seulement joué le spectacle. Ils seraient venus et seraient repartis aussi sec. Là, ils se sont installés et ont habité la Bastide, à leur manière. Quatre jours de rencontres, de cirque, d’échanges, de repas partagés, de vies racontées, de rires et de souvenirs. Artistes en résidence et résidents retraités, fil-de-féristes et personnes âgées, même combat, même quête obstinée : se battre, rester en vie, se grandir, pousser dans les quilles, tenir droit et avancer. On a pris le temps et on l’a suspendu. Marion Collé
Le groupe Korian
La Cascade
Le Groupe Korian est né en 2001
Créée en avril 2008, La Cascade est l’un des onze pôles nationaux des Arts du Cirque, et l’unique en RhôneAlpes.
Pour Korian, qui garantit par son organisation centrale l’excellence et la continuité du parcours d’accueil et de soin, une personne âgée doit avant tout être considérée comme une personne, y compris lors de son entrée dans le temps de la dépendance. Professionnels de l’humain, les collaborateurs du groupe mettent cette conviction en pratique au quotidien pour accompagner les personnes prises en charge. Korian gère actuellement : 220 établissements implantés dans 3 pays (France, Italie, Allemagne), qui totalisent 21 417 lits exploités, et intervient autour de trois domaines d’activité complémentaires : _ Maisons de retraites médicalisées (EHPAD), _ Cliniques de soins de suite et de réadaptation (SSR), _ et cliniques psychiatriques.
C’est un lieu de création de spectacles, de formation et d’événements dédié aux formes contemporaines du cirque et du clown, portée par deux compagnies professionnelles : Les Nouveaux Nez (clowns musiciens) et Les Colporteurs (acrobates, funambules) à la renommée internationale. Ses partenaires publics ont financé l’investissement et en assurent le fonctionnement : l’Etat, la région Rhône-Alpes, le département de l’Ardèche, la commune de Bourg-SaintAndéol, et, sur certains projets, l’Europe.
La Compagnie Mauvais Coton La Compagnie Mauvais Coton est une jeune troupe de filde-féristes qui s’est créée en 2006. Elle est composée de huit artistes aux parcours et personnalités différentes qui développent divers projets de création. La résidence artistique réalisée à Korian La Bastide était centrée sur le spectacle Justa Pugna.
Remerciement d’Anne Belliardo, directrice de Korian-La Bastide _ Mes premiers remerciements vont aux deux personnes qui sont à l’initiative de ce projet : à Claude Ménétrier, créateur de cet établissement il y a 20 ans avec Sylvie Dupuy et à Claire Peysson, responsable de La Cascade. Merci à eux : leur amitié nous aura permis de nous faire nous rencontrer. _ Merci à l’équipes de La Cascade managée par Sophie et à la troupe «Mauvais Cotton» pour leur merveilleuse intégration et leur énergie donnée à cet événement _ Merci au groupe Korian pour son soutien et son investissement financier. _ Merci aux résidents, familles de résidents pour leur implication forte et leur participation durant ces quatre journées.
Remerciements Equipe Cascade Claire Peysson : co-directrice de la Cascade Sophie Constantinidis : coordinatrice des activités Lucile Reuillard : chargée de l’accueil et de la communication Anouck Anfreville : formatrice cirque Fanny Fauvel : chargée de communication et partenariats Martin Gallone : stagiaire, photographe Artistes de la compagnie Mauvais Coton Anne- Lise Allard : fil-de-fériste Jean Charles Gaume : fil-de-fériste Nicolas Bachet : musicien Marion Collé : écrivain-poète
_ Merci aux équipes hôtelières, médicales et autres pour avoir accepté de changer leurs habitudes quotidiennes pour permettre à nos résidents de profiter pleinement de ces quatre journées. Ce projet fut réellement un projet partagé par l’ensemble des professionnels de l’établissement : les repas servis dans le parc par les aides soignantes, les médicaments par les infirmières, … Un projet qui aura permis à toute l’équipe de se retrouver soudée autour d’un projet commun. Cela a permis de tisser des liens différents avec le personnel ! _ Et enfin, un grand merci tout spécial pour l’ensemble de l’équipe animation. Laurence, qui avez mené cette semaine de manière absolument parfaire. Merci également à Patricia, Laurence, Agnès et Agnès. Merci enfin à toute l’équipe de direction pour leur investissement …