Babyspot extrait

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J’ ai jamais aimé écrire. J’ ai toujours pensé que ça sert à rien de se prendre la tête à bien former les lettres. Pili, ma mère, dit que ça sert à ne pas finir comme Germán, comme un type qui n’ a jamais un rond en poche et qui n’ arrête pas de faire des livraisons avec sa fourgonnette. Mais moi, les mecs pétés de thunes des magazines qu’ elle achète, je les ai jamais vus écrire quoi que ce soit. En plus, ce que je voulais, moi, c’ était ressembler au Zurdo, un mec dur, et pour ça, que je sache, pas besoin d’ écrire, il suffit de savoir serrer les poings ou d’ avoir un bon flingue. Oui, à cette époque-là, ce que je voulais c’ était ressembler au Zurdo. Mais bien sûr, je parle d’ il y a longtemps, avant qu’ il se fasse embarquer. Parce que, à cause de ça, à cause de la nuit où il s’ est fait coffrer et de ce qui est arrivé à Lucas, j’ ai pas les idées claires


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et c’ est pour ça que maintenant j’ ai vraiment envie de me mettre à écrire ; même si c’ est ridicule et que ça sert peut-être à rien, mais autrement je ne vois pas comment je vais arriver à faire sortir tout ce que j’ ai dans le crâne. Moi, je pense que sur le papier, si j’ arrive à tout écrire sur des lignes bien droites, une chose après l’ autre et sans faire de ratures, j’ y verrai plus clair. Parce que quand j’ essaie de me souvenir, ça me fait comme avec les images de certains films, pas moyen de les revoir dans sa tête quand on voudrait, mais elles reviennent sans arrêt quand on s’ y attend le moins. Tu ne t’ y attends pas, tu fermes les yeux et elles sont là à t’ empoisonner. C’ est ce qui m’ arrive avec cette nuit-là, je fais tout pour m’ en souvenir mais pas moyen, ma tête se met à courir comme un cheval, d’ un côté et de l’ autre sans y arriver, mais des fois, quand je m’ y attends le moins, quand je joue avec Diana et que je la caresse et que je me sens bien, l’ image du Zurdo me revient en tête et aussi celle de Lucas, là, pendu, qui se balance entre les échafaudages. J’ essaie de les chasser, tous les deux, mais je ne peux pas, ils reviennent encore et encore, comme s’ ils se moquaient de moi et de la trouille que j’ ai eue alors, et j’ ai aussi chaud que la nuit où tout est arrivé. Tellement chaud que j’ ai l’ impression d’ être enfermé dans une étuve et que ça sent l’ essence et le poisson frit, l’ odeur du quartier en été. Avec les films c’ est


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plus facile, parce que quand les images t’ envahissent et que t’ arrives pas à les effacer, tu peux te consoler en te disant que, comme dans les cauchemars, tout est faux, que rien de ce que tu vois dans ta tête n’ est vrai et que bientôt tout va disparaître pour toujours. Mais ce qui est arrivé au Zurdo, et aussi à Lucas, je sais que c’ est arrivé pour de vrai, voilà pourquoi ça ne sort jamais complètement de ma tête. C’ est pour ça que je veux écrire, pour voir si j’ arrive à faire sortir toute cette histoire et à la laisser pour toujours sur le papier. En fait je m’ embrouille, parce que si j’ essaie de me rappeler, de me rappeler vraiment, je ne me souviens que de la fin. C’ est ce qui me revient en tête. Tout d’ un coup, sans m’ en rendre compte, je me mets à penser. Je me dis « Le Zurdo s’ est fait coffrer cette nuit-là », et du coup je revois cette sale image de lui, le Zurdo et sa démarche saccadée. Je vois ses mains aussi, c’ est ce que j’ ai remarqué en premier quand on l’ a amené jusqu’ ici. Je vois ses mains qui tremblent, emprisonnées dans les menottes, comme s’ il était mort de froid, et pourtant on était en août et il faisait une chaleur d’ enfer. Je vois aussi son nez tout enflé à cause des coups et sa bouche pleine de sang, et je me souviens que malgré la peur, j’ ai failli me mettre à rigoler parce qu’ on aurait dit qu’ il s’ était maquillé les lèvres, comme Gloria, la sœur de Gerardo. On aurait dit que c’ était


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plus le même, même s’ il portait encore son blouson vert et ses bottes noires, les militaires, celles qui nous plaisaient tant à moi et à Martín. C’ était plus le même, le Zurdo, il était mort de trouille, lui qui était un vrai courageux, lui qui n’ avait même pas bronché quand il s’ était fait faire son tatouage sur la joue gauche. Mais cette nuit-là, quand on l’ a amené, il gémissait à chaque gifle que lui donnait Antonio, le policier, le mari de Rosa, la boulangère. Beaucoup plus tard, le Gamba, un type que j’ aime pas du tout, son œil à demi fermé avec un nuage à la place de la pupille me file la nausée, tout ça parce qu’ un copain à l’ école lui a planté un stylo dans une bagarre, et en plus, il n’ arrête pas de se passer les mains sur les cuisses quand il te parle et ça aussi ça me rend malade parce que je le regarde lustrer son pantalon et je comprends plus rien à ce qu’ il me raconte ; donc, comme je disais, le Gamba nous a expliqué plus tard qu’ Antonio l’ avait retrouvé, le Zurdo, dans un bar de l’ autre côté du périph et que quand il l’ avait vu avec le walkman encore autour du cou, il lui avait sauté dessus comme une bête sauvage, il lui avait mis le flingue dans la bouche et il l’ avait traîné dans la rue à coups de poing et en le traitant de sale pédé. Je me souviens que quand il l’ a amené sur le chantier pour qu’ il voie le pauvre Lucas, il continuait à le traiter de pédé – moi, j’ ai pensé que le Zurdo devait


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